TIC et Développement Durable en Afrique

e-governmentTout au long des siècles, les innovations technologiques ont façonné les rapports entre les individus, ainsi que les interactions entre ceux-ci et leur environnement. On pense par exemple à l’imprimerie d’abord pratiquée par les Chinois (depuis le IIème siècle après JC) puis perfectionnée et démocratisée par Gutenberg. Il est dit que l’imprimerie contribua fortement à diffuser la pensée et les idées dès la Renaissance, révolutionnant par ricochet la transmission d’informations et de connaissances entre les individus. L’expansion d’internet dès le début des années 2000 a considérablement modifié nos modes de vie et ouvert la voie à de nouveaux outils et modèles de communication.  A travers ces nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), le monde est devenu un « village planétaire » : la mondialisation, disait-on ! En révolutionnant nos environnements, nos cadres de vie, nos systèmes d’apprentissage, nos déplacements, nos schémas de réflexion, bref notre quotidien, les TIC ont remanié de fond en comble nos sociétés. Au cœur des transformations de ces dernières, les innovations technologiques apportent des réponses à des problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Constat encore plus marqué dans les pays africains : le boom des télécommunications y a créé des conditions idéales pour le développement d’application et de logiciels locaux.

 L’exemple le plus marquant est celui de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne. Le téléphone portable y est actuellement le 1er moyen d’accès à internet. Selon une étude publiée en 2013 par l’Association Mondiale des Opérateurs Télécom (GSMA), le nombre d’abonnés mobile dans cette région du monde a progressé de 18% par an entre 2007 et 2012[1]. En Afrique, la plupart des téléphones portables vendus sont des smartphones sous Androïd, un système d’exploitation pour lequel il est très facile de créer des applications/logiciels mobile. Ceux-ci permettent de créer des synergies entre différents secteurs et contribuent à l’innovation sociale (e-santé, e-learning, etc.), économique (mobile Banking, e-commerce…), environnementale (consommation d’électricité, gestion des déchets urbains etc.)

D’abord cantonnées à un usage privé, les TIC sont aujourd’hui plébiscitées dans la sphère formelle et institutionnalisée: elles sont appréhendées tels de véritables outils de développement, de croissance socio-économique pour des populations en quête d’émergence. Ces innovations technologiques, impactent inégalement les PIB des différentes pays africains : selon une étude du Mc Kinsey Global Institute (MGI) rendue publique en novembre 2015, internet contribue à 3,3% au PIB du Sénégal, 2,9% pour le Kenya, 2,3% pour le Maroc et 1,4% pour l’Afrique du Sud.[2]

Il n’est donc pas surprenant que les TIC soient directement mentionnées dans 4 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU en septembre 2015. En tant que catalyseurs pour l’éducation, l’égalité homme-femme[3] ou moteur de la construction d'infrastructures résilientes pour une industrialisation durable[4] qui profite à tous, il est largement reconnu que les TIC jouent un rôle fondamental dans l’émergence de l’Afrique. Cet article revient sur le rôle que les TIC peuvent jouer dans l’émergence de l’Afrique ainsi que la manière dont elles participeront à la croissance inclusive sur le continent. 

 

  1. Les TIC comme catalyseurs de développement en Afrique

Tout l’intérêt des TIC en Afrique repose sur leurs usages et les services qu’elles permettent de développer : elles ne sont plus seulement utilisées comme de simples supports de communication (privée ou professionnelle)  mais plutôt comme de véritables instruments à des fins de développement socioéconomique. Le recours aux TIC dans le continent est passé d’un « usage de loisirs » à une « utilisation thérapeutique » : elles apportent des solutions aux besoins de base des populations : éducation, santé, transports, alimentation, accès à l’énergie et à l’eau potable etc.[5] Pourtant ce ne fut pas toujours le cas ; pendant très longtemps les « TIC-Sceptiques » ont vu l’émergence de ces nouveaux moyens de communication comme l’arbre qui cache la forêt ; un miroir aux alouettes qui détournait l’attention des « vrais » problèmes de l’Afrique : la famine,  la malnutrition, l’analphabétisme, l’illettrisme, les épidémies et pandémies, les guerres, les catastrophes naturelles et toute autre calamité collée à la représentation que certains se faisaient ( se font encore !) du continent. Ne dit-on pas que le temps est meilleur juge ? A ce propos, le temps a donné raison aux « TIC-Optimistes ». En effet depuis une dizaine d’années pléthores d’applications mobiles, développées par des start-up innovantes ont prouvé que les TIC ne sont pas superflues, bien au contraire qu’elles sont une des solutions pour résoudre  ces « vrais » problèmes auxquels les pays africains font face.

Pour les plus connues, elles s’appellent Obami en Afrique du Sud (plateforme-web de cours et vidéo éducatives gratuits),  Gifted Mom au Cameroun (santé de la femme enceinte et des nourrissons), M-Pesa au Kenya (paiement mobile), Jumia (e-commerce), W Afate au Togo (imprimante 3D à base de déchets électroniques),  M-Louma au Sénégal (bourse agricole en ligne). Toutes initiatives audacieuses illustrent le rôle incontournable que jouent les TIC dans la lutte contre la pauvreté, l’accès de tous à une éducation de qualité, l’accès aux soins de santé. Comme l’a souligné Alain François LOUKOU[6]  « les TIC ne constituent pas un problème totalement découplé des autres problèmes de développement. Elles sont plutôt en interaction avec eux». De plus l’usage des TIC à travers le développement d’applications mobile revêt une dimension de responsabilité intergénérationnelle, très peu mise en avant dans l’analyse de l’émergence des TIC en Afrique. En effet, en développant une application comme Gifted Mom, ou Obami, les créateurs répondent non seulement à des besoins actuels mais aussi anticipent des besoins futurs des générations suivantes : accès aux soins de santé,   accès à l’éducation etc.

En ce sens les TIC sont bel et bien des instruments qui permettront d’atteindre les Objectifs du Développement Durable tels que définis par les Nations Unies. On peut ainsi paraphraser la définition du Développement Durable en disant que les TIC sont des technologies qui permettent de répondre aux besoins des générations actuelles et à ceux des générations futures.

 

  1. Les TIC comme instruments de croissance inclusive

Il est indéniable que les Technologies de l’Information et de la Communication contribuent à booster le développement pour le continent africain. Il est révolu le temps où on voyait les TIC comme un luxe pour l’Afrique (en proie à de lourds retards structurels et infrastructurels). Aujourd’hui grâce aux TIC de nombreux entrepreneurs africains proposent  à leurs compatriotes des solutions locales aux problèmes locaux.  Mieux, certaines initiatives visent même une portée internationale : on parle de Glocalisation développer des solutions locales qui peuvent aussi bien s’étendre bien au-delà du marché national (notamment au sein de pays partageant des difficultés identiques). C’est le cas notamment des applications de transferts d’argent par mobile dans des sociétés où très peu de particuliers disposent de compte bancaire classique, mais possèdent 2 voire 3 téléphones portables. Aujourd’hui la réflexion ne porte plus sur l’utilité avérée des TIC pour le développement de l’Afrique. La question fondamentale est désormais comment les TIC peuvent-ils contribuer efficacement à la croissance durable et inclusive des pays africains ?

Face à ces bénéfices mentionnés ci-dessus, les gouvernants, les acteurs économiques mettent à pied d’œuvre des stratégies de promotion des TIC via l’émergence de l’économie numérique. Selon The Australian Bureau of Statistics,  l'économie numérique peut être définit comme l’ensemble des activités économiques et sociales génératrices de revenus qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux Internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique. Cette nouvelle catégorie d’économie regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies. Le caractère multidimensionnel des innovations technologiques en font un vecteur non négligeable de croissance, de productivité et de compétitivité dans certains divers secteurs comme l’agriculture, la finance, l’accès à l’énergie, la consommation de bien et services etc.

Mais pour que les TIC deviennent de véritables leviers de croissance (inclusive donc qui profitent à tous), les ressources nécessaires doivent être mobilisées.

  1. Le rôle des Etats

En commençant par une offre éducative et de formation en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi. Très peu de structures éducatives proposent des enseignements à l’utilisation des TIC ; très peu d’écoles primaires, de collèges, de lycées en Afrique disposent d’ordinateurs pour l’enseignement de l’informatique. Rares sont les établissements qui proposent des cours ou ateliers d’initiation à internet. L’apprentissage se fait intégralement dans le circuit informel (auprès des amis, de la famille ou dans les cyber café).  Inutile de préciser les dérives que ce manque d’encadrement engendre (utilisation détournée des outils de communication à des fins peu éthiques).  Beaucoup d’apprenants sont des autodidactes ou au mieux ont suivi des enseignements dans des structures d’apprentissage et d’initiation aux TIC[7]. Ces formations arrivent trop tard dans l’offre de formation éducative quand elles n’en sont pas à la marge.  Le secteur de l’économie numérique est un secteur porteur dont les besoins en compétences seront très forts dans l’avenir. Pour ce faire, l’Afrique a besoin de former les futurs codeurs, ingénieurs, développeurs et ne pas s’enfermer dans un état de léthargie qui en fera un désert de compétences.

Par ailleurs du côté des administrations publiques, pendant longtemps celles-ci n’avaient pas investi la sphère digitale ; depuis quelque temps, on note une digitalisation des  structures gouvernementales (site web, compte sur les réseaux sociaux, numéro d’accès via application mobile etc.). Ceci dénote une mobilisation par le geste des pouvoirs publics qui comprennent progressivement l’intérêt des TIC dans la gestion quotidienne des services. La mise en place d’une administration dématérialisée permettrait aux Etats d’être plus performants et mieux servir les citoyens.

  1. Le rôle des entreprises

Rappelons que pour une croissance inclusive des pays Africains, les entreprisses  sur le continent ont également un  rôle primordial à jouer.

Aujourd’hui encore, l’accès à internet s’avère coûteux pour beaucoup de particuliers. L’offre tarifaire (très vaste pour que chaque consommateur trouve chaussure à son pied) reste souvent très élevée pour une consommation en permanence. Il n’est donc pas rare que certains n’aient pas accès à internet pendant plusieurs jours car leur forfait est épuisé. Il faudra alors recharger son téléphone pour avoir internet.  L’accès à internet est certes en hausse mais il est encore insuffisant pour combler la fracture numérique Nord/Sud et atténuer les disparités intrarégionales (zones rurales, péri urbaines et urbaines). Les coûts d’accès élevés sont un corollaire de la faiblesse des infrastructures et de la faible connectivité intracontinentale[8]. La réduction des tarifs des « abonnements » internet est un prérequis majeur pour que l’accès à internet en continu ne soit plus un luxe pour certains.

Pour cela, les entreprises de télécommunication en collaboration avec les Etats et les investisseurs doivent travailler à améliorer les infrastructures de télécommunications. Dans le cadre de leur Responsabilité Sociétale (RSE) ces entreprises gagneraient à déployer des réseaux de télécommunication plus performants et plus modernes : la vétusté des équipements et le faible taux d’électrification du continent sont les principaux handicaps qui affectent la qualité de service des opérateurs.

Le manque de capitaux dans le secteur des télécommunications peut  être résolu par la mise en place de garanties à savoir un climat des affaires plus sain et responsable. Conjointement avec les  Etats,  les entreprises doivent lutter conte la corruption et les pratiques déloyales. C’est ainsi que les pays africains sauront attirer de nouveaux investisseurs, pour palier le faible renouvellement des équipements et l’obsolescence des infrastructures. Les difficultés issues de la vétusté des équipements résultent aussi des défaillances dans la maintenance des infrastructures. Les insuffisances constatées s’expliquent également par l‘absence de ressources humaines hautement qualifiées. Toujours dans le cadre de leur RSE, les entreprises peuvent favoriser le renforcement  de compétences, de capacités en nouant des partenariats avec des centres de formations, afin que ceux-ci forment les apprenants aux métiers dont ont réellement besoin les entreprises. Une fois de plus l’éducation et l’offre de formation se trouvent au cœur de l’impact des TIC sur le développement des pays africains.

Mentionnons avant de clore cet article un élément peu traité dans la réflexion sur les TIC en Afrique : la gestion des déchets électriques et électroniques (DEE). Dans un contexte où la communication entre 2 opérateurs concurrents coûte excessivement chers, les consommateurs ont pris l’habitude d’avoir plusieurs téléphones (un pour chaque opérateur) ou un téléphone à 2 ou 3 puces. A cela s’ajoutent les tablettes et ordinateurs (portable ou fixe). Si on considère que chaque individu change de téléphone portable tous les 18-24 mois, tout cela représente une tonne de déchets non ou mal recyclés. Un certain nombre de précaution (par exemple porter des équipements de protection) sont à prendre dans le traitement de ces déchets.  En effet tous ces appareils sont composés d’éléments toxiques pour la santé des personnes et l’environnement s’ils ne sont pas correctement recyclés. En l’absence de réglementations, le marché du recyclage et de la revalorisation des DEE est principalement informel donc sujet à de graves manquement dans le respect des mesures de sécurité.  Dans le cadre de la RSE, les entreprises de télécommunication seront appelées à trouver des solutions à la gestion des « e-déchets ». Ces derniers, s’ils sont négligés entraineraient de graves dommages de santé aux recycleurs (cancers, problèmes respiratoires), et d’importants dommages environnementaux (pollution des nappes phréatiques et des sols à proximité des centres sauvages de tri et recyclage)[9].

 

Les TIC sont effectivement des instruments au service du développement durable de l’Afrique mais en poussant la réflexion plus loin, on peut affirmer qu’avec un certain nombre de prérequis remplis, les TIC peuvent être des catalyseurs de la croissance soutenable et inclusive des pays africains. Nous avons énuméré quelques points d’amélioration à l’égard des Etats et des entreprises en tant que principaux acteurs du développement du continent ; sans toutefois nier l’importance de la société civile dans cette marche vers l’émergence. Les TIC sont aujourd’hui un maillon fort de l’économie de beaucoup de pays africains dont la contribution d’internet pourrait atteindre 5 à 6% du PIB des pays africains d’ici 2025. Ce qui montre que le secteur est hautement dynamique. À cela, il faut ajouter un secteur informel dont les données par essence « informelles » échappent à toutes statistiques officielles.  Le secteur informel génère des  milliers (voire des millions) de petits emplois et des revenus substantiels aux personnes de tous âges et de tous sexes qui l’exercent partout où les réseaux sont disponibles.

Pour confirmer ces faits, il serait nécessaire que soient mis en place de solides indicateurs d’appréciation de l’impact réel des TIC sur le développement des sociétés africaines. Pour cela deux pistes : d’une part quantifier la part de l’économie numérique aux PIB des pays africains (à travers par exemple le nombre d’emplois décents et pérennes crées dans les secteurs liés aux TIC.). On parle d’approche comptable car elles s’expriment uniquement en termes financiers ou création d’emplois. D’autre part quantifier le manque à gagner des pays africains en cas de « privation » des TIC ; on évaluerait ainsi les conséquences organisationnelles sur les entreprises, les particuliers, les administrations de  la non utilisation des TIC.

 

Rafaela ESSAMBA


[3] 5.b  Renforcer l’utilisation des technologies clefs, en particulier l’informatique et les communications, pour promouvoir l’autonomisation des femmes

[4] 9.c  Accroître nettement l’accès aux technologies de l’information et de la communication et faire en sorte que tous les habitants des pays les moins avancés aient accès à Internet à un coût abordable d’ici à 2020

[5] Besoins qu’on peut assimiler aux 2 premières bases de la pyramide de Maslow à savoir les besoins physiologiques et ceux de sécurité/protection

[6] Alain François Loukou, « Les TIC au service du développement en Afrique : simple slogan, illusion ou réalité ? »

[7] Signe d’un fort engouement pour l’économie numérique et les TIC, des espaces d’innovation digitale (hub, pépinières, espace de co-travail, incubateurs..) voient de plus en plus le jour en Afrique.

[8] La plupart des pays africains utilisent la largeur de bande passante internationale pour un partage de données au  niveau local ; opération extrêmement chère.

TIC, Entrepreneuriat et les start-up technologiques

Notre précédent article sur les Télécommunications en Afrique dressait un panorama du secteur sur le continent, avec des chiffres témoignant de l’importance et de la croissance du secteur aujourd’hui et pour les années à venir. La croissance attendue du nombre d’abonnés mobiles en Afrique et le développement de la data vers des réseaux plus rapides (3G et 4G) font du secteur des NTIC un secteur privilégié par les entrepreneurs et startups africaines et les investisseurs.

La multiplication et le succès des incubateurs numériques dans les grandes capitales africaines témoignent de l’esprit d’entreprenariat et d’innovation qui se développe chez les jeunes africains. En particulier, l’Afrique du Sud, le Kenya ou le Nigéria sont des places incontournables dans l’écosystème de l’entrepreneuriat numérique en Afrique, de par le nombre de structures d’accompagnement (incubateurs, accélérateurs…), du nombre de startups qui voient le jour et des financements qu’attire le secteur. Les KINGS (Kenya, Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana et Afrique du Sud) représentent ces pays africains en plein essor économique, et porteurs du développement des NTIC et du digital, aussi bien dans la sphère entrepreneuriale que dans la cour des grands.

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D’autres pays, comme le Maroc, Maurice ou le Sénégal ne sont pas en reste et attirent de nombreuses entreprises du secteur des TIC. En 2015, les investisseurs et les institutions d’aide au développement auraient accordé près de 185 millions de dollars de financement aux startups africaines.

 

Les principaux incubateurs numériques en Afrique

Afrique du Nord

Afrique de l'Ouest

Afrique de l'Est

Afrique du Sud

WikiStartp.tn

Flat6Labs.com

PlugAndPlayEgypt.com

Tahrir2.com

 

JokkoLabs.net

Cticdakar.com

iLabLiberia.org

MobileWebGhana.org

mFriday.org

CCHubNigeria.com

WennovationHub.com

ActivSpaces.com

Tekxl.com

IceAddis.com

iHub.co.ke

HiveColab.org

TheHubKampala.com

kLab.rw

Teknohama.or.tz

 

mLab.co.za

Google.co.za/Umbono

BongoHive.com

i-Hub.mg

 

 

Source : Etude Forbes Afrique 2015

 

En effet, aux quatre coins de l’Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest et Centrale, les entrepreneurs jouissent d’espaces d’échanges, de création et de développement, leur permettant de développer des applications et outils répondant aux besoins de la société et des consommateurs africains. Par ailleurs, l’organisation d’évènements, concours et Hackathons contribue à favoriser l’esprit entrepreneurial et à l’animation du secteur des TIC.

 

"Contraction de "hack" et "marathon", un hackathon est un événement lors duquel des équipes (composées de développeurs, mais aussi parfois de designers et de chefs de projet) doivent développer un projet informatique, en général un logiciel ou une application. Elles doivent le faire sur une période limitée, et généralement courte (une journée, une nuit, un week-end). Le but est donc de coder rapidement quelque chose de malin (d'où le "hack"). Il s'agit aussi de développer de manière intensive, sans s'arrêter (d'où le marathon). C'est aussi souvent une compétition festive à l'issue de laquelle un jury choisit et récompense des gagnants." Journal du net

 

Prenons l’exemple de Tekki48, un événement de 2 jours dédié aux startups organisé à Saint-Louis au Sénégal par le CTIC Dakar et Jokkolabs, en partenariat avec une université locale. L’événement a accueilli plus de 100 participants venus de tout le pays et 50 projets ont été pitchés devant un jury composé des acteurs clés de l’écosystème de l’entrepreneuriat au Sénégal. En particulier, depuis ces dernières années, les applications et startups technologiques à succès se concentrent sur des secteurs de l’économie dont le développement va de pair avec la croissance du continent. On retrouve ainsi des applications et plateformes dans les services financiers, avec l’essor des startups de la Fintech (M-Pesa, WeCashUp), du secteur de la santé, Healtech (JokkoSanté, Gifted Mom), de l’éducation, Edutech (WikiAfrica), de l’énergie et dernièrement, le secteur agricole (XamMarse, Trade at Hand).

Le point commun de ces startups technologiques à succès est l’aptitude qu’elles ont à allier esprit entrepreneurial et utilité sociale, ce qui leur permet non seulement de toucher un marché large, mais également d’attirer plus facilement des financements. Nous évoquons la question des financements à juste titre, car bien que le secteur des TIC soit prometteur en Afrique, les startups technologiques restent confrontées aux mêmes difficultés et contraintes que les startups classiques.

 

C'est aussi une question de financements et de ressources humaines!

En premier lieu, il n’est pas évident pour tous de trouver les financements nécessaires au développement de son projet. Prix, concours, emprunts ou Business Angels sont autant de pistes pour les entrepreneurs avertis, mais encore faut-il convaincre les investisseurs. Les structures d’accompagnement et de coaching jouent un rôle central sur ce volet, par le biais de l’incubation, des formations et ateliers divers. Par ailleurs, le développement de certaines plateformes requiert des compétences technologiques ou sectorielles (tel est le cas des startups technologiques dans le domaine de la santé ou des secteurs financiers par exemple), mais aussi commerciales et managériales. « Un technicien inventif et compétent est rarement un vendeur ou un homme d’affaires dans l’âme. », souligne Claude Migisha co-fondateur de The iHills Network, et membre fondateur de kLab, dans un article dédié au sujet.

Ces ressources humaines peuvent s’avérer difficiles à trouver et/ou coûteuses pour une jeune startup. De plus, les coûts de développement se répercutent parfois sur le prix du produit/service, ce qui limite son accessibilité à la population. Il convient donc que ces innovations technologiques, notamment celles ayant un impact social évident, soient accompagnées par le développement d’un environnement des affaires favorable ; on parle d’un accès facilité au financement, des infrastructures technologiques entretenues et la formation d’une ressource humaine adaptées. Au Kenya, suite à l’ICT Innovation Forum (Mars 2015), Bitange Ndemo, le précédent Secrétaire Permanent au ministère de l’information, de la communication et de la technologie, et Uhuru Kenyatta, le Président de la république, souhaitent faire du Kenya une « startup nation », par le biais de mesures encourageant l’innovation chez les jeunes, le financement de la recherche et du développement, dans l’optique notamment de créer des emplois.

 

 

Ndèye Fatou Sène

 

Sources

 

Le numérique peut-il vraiment changer votre vie ?

Depuis que le football ne fait plus rêver, le nouvel eldorado social africain se trouve dans l’entrepreneuriat, avec un intérêt particulier dans les domaines du virtuel. En même temps que le nombre d’Africains connectés monte en flèche, Internet, les réseaux sociaux en général ainsi que les solutions numériques sont  envisagés dans tous les discours. Ces changements se suivent forcément de modifications plus ou moins profondes dans le quotidien des uns et des autres, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Le digital a-t-il une influence si grande sur nos vies ?

  1. Le digital change-t-il nos habitudes ?

Le réseau social Facebook a atteint en juin 2014 les 100 millions d’utilisateurs mensuels en Afrique. Avec une telle croissance, les faits par eux même  prouvent que les modes de vie changent, ici comme ailleurs. L’ampleur de ces changements se perçoit plus facilement dans des nations à forte présence technologique comme le japon ou Singapour, mais de plus en plus les vies africaines se modifient, de manière parfois plus forte qu’ailleurs. Le continent vert étant par exemple le seul sur lequel le mobile est utilisé à plus de 80% par rapport aux ordinateurs et autres tablettes pour les connexions sur le Web.

 

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(c) Jeune Afrique / Infogram

Plus généralement, on voit le digital changer les sociétés de plusieurs manières. Nous le voyons quand nous nous rendons compte que plus du tiers de la population mondiale aujourd’hui dispose d’internet. Nous voyons de  plus en plus fréquemment nos mamans nous envoyer des demandes d’amitié sur Facebook *pour notre plus grand malheur*, pendant que nos papas regardent leurs matchs, consultent leurs mails, profitent des services vidéos comme YouTube via leurs téléphones. Et la tendance est croissante, puisque les transports par drones d’Amazon et les ballons distributeurs de Wi-Fi nous font passer dans un univers digne des meilleures séries de science-fiction.
Nous voyons aussi le digital quand nous pouvons assister en streaming (en direct) à l’E3, la conférence du jeu vidéo, et lorsque nous pouvons lancer des campagnes de financement participatif (« Crowdfunding »). Ces campagnes de financement permettent entre autres de redonner ses couleurs à une culture comme avec le projet JeParleBassa’a 2.0, qui vise à réhabiliter certaines langues  locales au Cameroun. Le digital permet à  une entreprise de faire de la location de voitures sans voitures, et le digital permet aussi à une voiture de se déplacer sans chauffeur. De la monnaie à la météo en passant par la télévision, les transports. D’ailleurs prenez une minute, et pensez au téléphone. A chaque appels que vous émettez, vous entendez distinctement la voix d’une personne située à des milliers de kilomètres de votre position, vous arrivez à la voir en direct et même, vous pouvez lui faire un transfert d’argent *ce qui doit être fréquent si vous êtes africains*.

Il y a moins de quarante ans que l’internet est entré dans nos habitudes, mais on peut difficilement imaginer un monde sans le digital. Ceci dit, ces changements globaux n’ont pas forcément d’impact réel sur les vies des africains, qui sont relativement en retard dans la course aux datas.

  1. Le digital change-t-il vraiment la vie ?

Selon beaucoup, pas vraiment. Soyons un peu pragmatiques. L’homme n’en est pas à sa première révolution, et à moins que les mayas aient raison, l’humanité a encore quelques belles années avant que nous ne soyons tous dévorés par les oranges mutantes issues de l’agriculture OGM. En attendant, l’homme a toujours vécu des innovations, et très peu ont réellement changé quelque chose à notre manière fondamentale de vivre. Malgré les discours  optimistes à souhait, en fait, tout   est pareil. Notre manière d’aimer par exemple n’a pas changé, les compétences nécessaires au leadership n’ont pas  changé, et on se rend compte que la vie est un éternel recommencement, vu que Pokemon et les jeans déchirés  sont revenus à  la mode.  De plus, malgré les ambitions philanthropiques et mégalomaniaques des superpuissances et des milliardaires de l’heure, on n’a pas encore vu beaucoup de réalisations  vraiment utiles pour l’humanité, au point que certains se demandent si ces projets humanitaires sont vraiment si humanitaires que ça.

Parce qu’entre nous, l’Afrique est pauvre. Bon. Soyons politiquement corrects. L’Afrique est un « contexte géopolitique complexe et incertain». Qu’est-ce que des applications web, le data mining ou les drones peuvent apporter à une région où on a des coupures de courant de vingt heures par semaine? Qu’est-ce que les « wazzaps » et les « fassbook » peuvent apporter à quelqu’un qui vit sous le seuil de un Euro par jour ? Comment est-ce possible que l’homme soit capable d’aller sur la Lune et sur Mars, et qu’il soit inapte pour éradiquer la famine ?

 

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(c) Jeune Afrique / Infogram

A contrario, la transformation digitale qu’est en train de connaitre le continent africain ne se fait  pas sans risques. En Algérie qui est le cinquième pays africain sur  les réseaux sociaux, on a récemment ouvert un centre de désintoxication contre  Facebook. Incroyable mais vrai. Pendant ce temps des terroristes notoires utilisent fréquemment des vidéos de propagande diffusées via les réseaux sociaux, ainsi que des services de messagerie chiffrée comme Telegram, l’application de messagerie qui permet d’envoyer des messages virtuellement impossibles à intercepter. Le digital change même la manière de faire la guerre.

Des variations notables du quotidien africain sont certes perceptibles. Outre les 25 % d’abonnés mensuels revendiqués par le continent, on compte aussi une utilisation plus que massive des outils de messagerie instantanée comme WhatsApp, qui a affiché deux années de suite un taux de croissance de plus de 50%. L’Afrique est aujourd’hui le premier continent en matière d’utilisation de solutions de paiement mobile comme avec M-PESA au Kenya, et de manière générale le digital a rendu l’Afrique beaucoup plus mobile. Dans les deux sens que peuvent prendre ce mot.

  1. Qu’est-ce que le digital apporte alors à l’Afrique ?

Des perspectives.

Il ne faut pas se voiler la face. Les discours sur le prétendu réveil africain n’auront pas passé l’épreuve du temps. Beaucoup des problématiques sociales, économiques, structurelles de  l’époque des indépendances sont encore bien présentes de nos jours. Ceci dit, même si une connexion internet ne remplace un champ détruit par la sécheresse, le digital est loin d’être un placement à perte, au contraire.

Considérer que le numérique n’est pas une  priorité parce que le peuple a faim, c’est  équivalent à considérer en pleine deuxième guerre mondiale que la fabrication d’armes  et les entraînements  des soldats ne sont pas  une priorité… parce que le peuple a faim. C’est incohérent, surtout qu’en vérité, on est vraiment en guerre. Les épidémies, l’instabilité sociale, et les très nombreux préjugés nuisent à l’image de l’Afrique, et empêchent l’instauration d’un climat entrepreneurial fiable.

Sur tous ces champs de bataille, les technologies de l’information et de la communication offrent des perspectives, ouvrent des portes. Le simple accès à l’information permettrait déjà de mieux gérer certaines épidémies, pendant que les applications de sécurité routière offrent de belles solutions à des problèmes concrets, permettant de [plus ou moins] réduire les taux d’accidents en attendant les super-routes promises par tous les plans africains d’émergence en 2025, 2035, 2045 et cetera.

S’agissant de l’éducation la question ne se pose même pas. A l’heure actuelle on devrait intégrer l’utilisation des blogs et des algorithmes dès la sixième pour rattraper le retard pris sur les nations des autres continents. Au japon, on envisage déjà d’introduire le code dans les programmes scolaires. Au primaire -_-.

De toutes manières, même si les technologies de l’information ne résolvaient aucun problème et ne changeaient rien au quotidien, il faudrait  quand même capitaliser dessus. Si on ne le fait pas, d’autres le feront à notre place et ils ont même déjà commencé. Les projets visant à « connecter l’Afrique » sont des priorités pour de nombreuses grosses boites américaines et chinoises. La ville de Hong Kong à elle seule produit plus de contenu sur WIKIPEDIA que tout le continent Africain. Faudra-t-il attendre que le monde vienne écrire nos articles à notre place ?

Quelques-uns ont compris, et certaines de nos figures politiques se sont aussi mises à la page, avec des mesures plus ou moins utiles, éthiques, efficaces. L’exonération d’impôts sur l’importation de matériel technologique ou l’achat d’ordinateurs pour les universités sont déjà adoptées, même si on débattra plus tard de la pertinence souvent discutable de celles-ci. Dans le même temps les coupures brutales de l’internet en périodes électorales ne sont pas rares non plus. En outre il n’est pas rare de voir quelques « négligences » de la part des gros médias sociaux, envers certaines figures emblématiques africaines. Le compte « officiel » de l’artiste Youssou n’dour notamment, avec 173k abonnés, n’est pas certifié. Comme quoi le digital ne peut pas tout changer, sans une vraie volonté.

Cela signifie que nous avons encore du chemin à faire, mais ce qui est sûr c’est que ce chemin sera bien moins pénible pour les nations et peuples africains qui auront compris ce qui est plus qu’un slogan pour quelques geeks en mal de reconnaissance : Le digital, c’est le futur. Si vous en doutez, vous vous trompez.

 

Cet article est issu de TechofAfrica.com, site d'actualités sur les nouvelles technologies et les startups en Afrique.

 

Pourquoi n’avons-nous pas (encore) une Silicon Valley Africaine ?

La Silicon Valley n’a plus le monopole de l’entrepreneuriat. C’est en tout cas ce que révèle l’émergence de nouveaux pôles de plus en plus attractifs pour les startups comme New York, Boston, Singapour, mais aussi Sao Paulo ou Bangalore (d’ailleurs surnommée la « Silicon Valley Indienne). Ces villes figurent désormais en bonne place dans les classements internationaux de référence, et progressent chaque année.  

Aucune ville ou région africaine ne peut aujourd’hui raisonnablement revendiquer une telle place sur le podium et mettre en avant un écosystème d’envergure mondiale, malgré les déclinaisons souvent symboliques de plans et concepts « importés », dont la réalisation est imparfaite ou incomplète. Dans quelles conditions peut-on voir émerger des startups nées en Afrique et mondialement compétitives, qui pourront tirer des écosystèmes pour intégrer et progresser dans les classements les plus sélectifs? 

L’enjeu est de taille. Avec la transition des économies vers les services et la place prise par « l’économie du savoir » dans les prochaines décennies, les pays qui auront les meilleurs écosystèmes entrepreneuriaux auront de bonnes chances d’être les plus prospères du monde, constituant ainsi des moteurs de croissance et de création d’emploi.  

Les startups les plus brillantes de ces dernières décennies, celles en tout cas qui ont connus un développement mondial et ont révolutionné nos usages (Google, Facebook, Amazon…) jouent désormais dans la cours des (très) grands, avec des chiffres d’affaires et une capitalisation boursière ayant progressé de façon exponentielle et détrônant des conglomérats mondiaux bien établies.  

Cette « révolution économique » a de bonnes chances de perdurer et de s’accentuer : il est ainsi très probable que l’économie mondiale de 2030 soit dominée par des entreprises dont nous ne connaissons pas encore le nom ou qui n’ont même pas encore été créées. La nouveauté est que ces startups promises à un destin mondial ne sortiront plus uniquement de la Silicon Valley, mais de plus en plus de nouveaux écosystèmes en pleine émergence. Aujourd'hui d'Inde et du Brésil, demain de pays Africains.  

L’environnement type des startups au XXIème siècle : plus d’espace, moins de temps… 

Une startup est généralement le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs complémentaires : un capital (de plus en plus limité), des cofondateurs talentueux, une technologie innovante (et pas forcément numérique…), baignant dans un environnement porteur.  

L’environnement des affaires évolue, et les recettes du passé ne fonctionnent plus pour ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’adapter. Au XXème siècle, le principal défi des entreprises était de se développer sur un espace géographique de plus en plus vaste, en étendant la gamme de services sans nuire à la qualité ou à la visibilité de la marque.  

Le XXIème est résolument diffèrent. Le défi n’est plus tellement de maitriser l’espace, mais plutôt le temps (qui semble de plus en plus accéléré). La distance d’accès au client a diminué, de nombreuses barrières ont sauté : le contact entre une offre et une demande de service peut désormais être quasi-instantané peu importe la distance géographique, vu le degré de connexion permis par les nouvelles technologies.   

Si les consommateurs sont de plus en plus accessibles, le cout d’accès au marché pour les entrepreneurs diminue de façon spectaculaire. Mais cet avantage a aussi une conséquence majeure : la compétition est beaucoup plus rude et peut provenir des acteurs les plus inattendus.  

Une concurrence de plus en plus intense 

Les secteurs ayant connu d'importantes transformations à traves le digital ne sont plus à présenter: médias, éducation, santé, loisirs, transport, commerce de détail… Certains startups ont entièrement bouleversé des secteurs d'activité et créés de nouvelles possibilités, à l'instar d'Airbnb ou d'Uber. L'innovation n'est donc plus le domaine réservé des grands groupes et des Etats, mais provient de nouveaux acteurs plus jeunes, plus ambitieux, et qui cherchent délibérément à remettre en cause le statu quo en permanence. 

Durant des décennies, la plupart des entreprises ont bénéficiés de rentes plus ou moins importantes et plus ou moins durables. Elles évoluaient dans un environnement cloisonné, avec un faible niveau de compétition réelle, une asymétrie d'information par rapport aux clients, et une consommation constamment en hausse.  

L'arrivée de nouvelles tendances et de nouveaux acteurs ont brisés ces protections et ont révélé l'obsolescence des pratique établis. Des organisations leaders dans leur secteur pendant des décennies et en situation de quasi-monopole ont en fait les frais, à l'instar de Kodak dans la photographie. 

Création plus simple, mais survie plus rude  

Il est aujourd'hui beaucoup plus aisé de lancer une entreprise (au delà des difficultés administratives qui persistent…). Grace aux technologies disponibles (parfois en libre accés), aux services offerts par le cloud, à l'exposition assurée par les réseaux sociaux ou aux compétences mobilisables par des free lance, il est possible de lancer son affaire rapidement et avec peu de moyens (notamment en s'appuyant sur le crowdfunding). Et beaucoup de personnes l'ont fait, ce qui augmente constamment la concurrence à travers de nouveaux entrants qui peuvent accéder aux mêmes marchés… 

Les flux d'information sont plus fluides, ce qui permet des ajustements en temps réels et une personnalisation des produits. Les moteurs de recherche et les comparateurs de prix permettent de se rapprocher d'une totale transparence sur l'information qui intéresse le client, et de maintenir une tension permanente sur les prix. 

Il n'y a donc aucune raison qui empêche structurellement l'émergence en Afrique d'écosystèmes compétitifs à l'échelle mondiale sur le modèle de la Silicon Valley, d'autant plus que l'innovation y progresse parfois plus vite qu'ailleurs. Si nous ne devions d'ailleurs retenir qu'un seul principe qui a fait le succès des startups de la Silicon Valley, ca serait qu'il faut être prêt à évoluer et à adapter son activité en permanence afin de ne pas être dépassé par d'autres. L'innovation n'évolue pas en progression linéaire, mais avance par tâtonnement à des rythmes variables, et souvent par des chemins inattendus..

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Nacim KAID SLIMANE 

Ce qui manque aux startups technologiques africaines pour réussir

Pourquoi les startups technologiques africaines ne percent pas ? Pour quelles raisons elles ne deviennent pas des Facebook, Cisco ou SAP ? Que faut-il mettre en place pour que les jeunes pousses technologiques africaines deviennent grandes et soient en mesure d’être compétitives sur le marché ? En discutant avec des entrepreneurs technologiques africains, ceux qui sont toujours dans la course et ceux qui ont jeté l’éponge, puis en parcourant la presse spécialisée sur les startups africaines, j’ai établi cette liste de 6 défis à relever pour que les startups technologiques africaines puissent être rentables, percer et se maintenir sur le marché.

DÉFI N°1 : DE MEILLEURES FORMATIONS POUR GÉNÉRER PLUS D’IDÉES NOVATRICES ET DE COMPÉTENCES

Il y a un énorme défi à relever au sein des universités et écoles africaines qui n’arrivent clairement pas à former des diplômés désireux ou en mesure de commercialiser leurs idées novatrices et leurs projets de recherche. Les résultats de thèses de doctorat se retrouvent souvent dans les placards poussiéreux. En outre, le manque de financement de la recherche constitue une entrave majeure à l'innovation. Or, le fonds de commerce des entreprises technologiques, ce sont les personnes qualifiées, pas les machines ou les marchandises. Par définition, le personnel doit être compétent et qualifié dans le domaine des sciences en général, le point faible de nos programmes scolaires. La pénurie de compétences a pour conséquence que de nombreuses entreprises en phase de démarrage ne sont pas en mesure de répondre aux besoins spécifiques de leurs clients.

DÉFI N°2 : LES GOUVERNEMENTS DOIVENT S’IMPLIQUER

Il n'y a rien dans les politiques gouvernementales africaines qui facilite la vie aux startups. Nous n'avons pas de zones de développement technologique, où la bande passante est libre et prend une partie de la charge des startups. Nous ne bénéficions pas de politiques agressives qui permettent de capitaliser sur les tendances mondiales. Par exemple, aux Etats-Unis, les bourses Fulbright ciblent les étudiants les plus brillants en leur offrant l'enseignement supérieur dans les meilleures universités du pays. Ces étudiants quittent rarement la zone après avoir obtenu leur diplôme et peuplent la côte ouest des Etats-Unis d’individus brillants. Pourquoi n’avons-nous pas mené des politiques de récupération de notre diaspora, en Europe par exemple, d’ingénieurs africains déjà qualifiés en électronique et informatique en leur offrant la possibilité d'utiliser leurs compétences pour aider à contribuer à la construction de notre avenir ?

DÉFI N°3 : PROMOUVOIR LE FINANCEMENT DE L’AMORÇAGE ET DE LA CROISSANCE

Dès la première étape de levée des fonds pour le capital de départ, de nombreux projets technologiques sont tués dans l’œuf. Nos startups sont freinées par le manque de fonds d'amorçage pour le pilotage des processus de production et l'amélioration de leur produit. Celles qui réussissent à passer cette étape se trouvent ensuite confrontées au problème de financement de leur croissance. En Afrique, les startups technologiques ne sont pas financées. Ces entreprises consomment souvent beaucoup d'argent et sont construites sur un modèle visant à construire et attendre que les gens viennent les chercher. Mais bien souvent, cela ne suffit pas. Aujourd’hui en Afrique, il n’existe pas de communauté technologique semblable à ce qui se trouve à Palo Alto, où les bailleurs de fonds expérimentés et spécialisés en technologies savent comment financer par étape et les entrepreneurs expérimentés savent comment choisir les bons bailleurs de fonds.

DÉFI N°4 : SURMONTER LES DIFFICULTÉS SOCIALES

Les PME sont principalement des entreprises unipersonnelles. Certains patrons de PME conçoivent leurs produits et services depuis leur chambre, leur cuisine ou leur garage, et vendent auprès du voisinage. Les produits sont principalement de mauvaise qualité en raison des mauvaises conditions de production et, dans certains cas, avec des matériaux de mauvaise qualité. Le résultat est que le consommateur final, que ce soit le service gouvernemental ou le consommateur individuel se retrouve avec un produit inférieur à la norme en termes de qualité.

DÉFI N°5 : SE FORGER UN ESPRIT COMMERCIAL

Même lorsque l’on a bénéficié d’une formation universitaire, nous restons des techniciens, c’est-à-dire techniquement compétents en chiffres, contrats, fabrication de produits ou solutions, consultation selon notre domaine de formation. L'enseignement supérieur aide à être un technicien mais pas à bâtir une entreprise. L'entrepreneuriat n'est pas l'effort d'une seule personne. Savoir comment construire une entreprise et motiver les gens pour soutenir et aider dans son entreprise est la clé de la réussite. Les questions de marketing (branding, publicité et vente) constituent également un énorme défi pour toutes les startups car elles ne peuvent pas correctement faire de la publicité pour leurs marques et leurs produits en concurrence avec des marques établies. Cela affecte directement leurs ventes et par conséquent leurs revenus.

DÉFI N°6 : GARDER LES PIEDS SUR TERRE

Beaucoup de jeunes entrepreneurs technologiques croient en l’utopie de leurs feuilles de calcul Excel qui leur disent qu'ils seront milliardaires dans un court laps de temps. Les plus grands ennemis des entrepreneurs technologiques africains sont souvent les entrepreneurs eux-mêmes. Beaucoup de startups technologiques oublient de distinguer ce qui vient en premier entre l'idée de l'entrepreneur technologique et le besoin du client. Certains entrepreneurs font preuve d’arrogance et/ou de naïveté et oublient de se concentrer sur l’essentiel : qui est le client, comment le trouver et surtout comment construire en fonction de ses besoins ? Cela est le plus grand défi auquel sont confrontés les entrepreneurs technologiques. Mal gérer cela (ou pire l'assumer et ne pas le faire parce qu’on pense qu’on est le meilleur) conduit nombre d’entrepreneurs dans un cercle vicieux de bidouillage et de paranoïa : le monde est contre eux et les clients sont stupides.

Terminons sur une note optimiste car, malgré tous ces défis, certains entrepreneurs technologiques africains réussissent à émerger ; par exemple le congolais Vérone Mankou créateur d’Elikia, premier smartphone africain et de la Way-C, première tablette africaine, ou le camerounais créateur de CardioPad, la première tablette médicale africaine ou enfin le nigérian Saheed Adepoju, créateur d’Inye, la deuxième tablette tactile africaine.

Kader Diakité, article initialement paru chez notre partenaire Next-Afrique