Sans hésitations, ni murmures

 

 

 

« Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches nues

Et je suis vêtu de mots étrangers, où tes yeux ne voient qu’un

               Assemblage de bâtons et de haillons

(…)

Mère, je suis un soldat humilié qu’on nourrit de gros mil.

Dis-moi donc l’orgueil de mes pères »

Ndessé, Léopold Sédar Senghor

 

Si les « mémoires de guerre » et les chroniques martiales de qualité abondent, il existe, à ma connaissance, très peu de bons ouvrages sur la vie militaire : quelques chapitres de La Promesse de l’Aube de Romain Gary, Hommage à la Catalogne d'Orwell, Les désarrois de l’élève Torlëss de Musil et la Ville et les Chiens de Vargas-LLosa. Au-delà, il n’y a rien de très lisible[i]. Rien qui dise suffisamment l’enfermement, la saleté, l’injustice, la peur, la violence, la faim et la misère sexuelle, rien non plus qui rende convenablement justice à l’innocence, à l’apprentissage du métier de tuer, à l’esprit de sacrifice inculqué à coup de Pataugas dans les reins et à la solidité des liens qui se tissent dans la vie d’un soldat. C'est l'une des raisons pour lesquels, les "civils" ne comprennent presque jamais les réactions et les motivations des "corps habillés".

 

Je garde, pour ma part, un souvenir assez pénible des années passées au Prytanée Militaire Charles N’tchoréré de Saint-Louis (Sénégal), du décrassage matinal au champ de tir, de la Préparation Militaire Elémentaire au Brevet de parachutisme, de la « Nuit Noire » à la cérémonie de remise des insignes, des violences subies à celles infligées aux autres. Malgré cela, je n’ai jamais cédé à la tentation du mépris.

 

C’est un privilège de « civils » que de mépriser ou d'aduler les militaires. La mutinerie des soldats maliens en Mars 2012 qui mena au renversement d'Amadou Toumani Touré est condamnable parce que irréfléchie, impétueuse et incroyablement dangereuse. Les membres du CNRDR sont une petite bande assez grotesque de sous-Sankara. Soit. Mais cela n'enlève rien au traumatisme qu'a représenté l'avancée des troupes du MNLA au début du mois de mars, ni à la colère que la lenteur du pouvoir politique à prendre la mesure de cette rébellion a provoqué dans les rangs, ni à la peur que le sous-équipement de ces troufions maliens exilés dans le Nord du pays et les images des exécutions commises par Ansar El Dine ont suscité. Voilà de très jeunes hommes mal payés, mal armés, mal dirigés, mal nourris, mal logés, mal aimés, mal du pays, loin de leurs familles. Et on attend d'eux les plus grands sacrifices. Et on hausse les sourcils parce qu'ils regimbent devant la tâche ingrate?

 

Je ne sais pas si les militaires maliens ont eu raison de s'indigner de leur sort. Je sais néanmoins que la consigne : "un ordre est à exécuter sans hésitation, ni murmures. Et celui qui donne l'ordre en est le seul responsable" est d'une logique moyenâgeuse. On peut condamner la désertion de poste des officiers de Kidal. Je ne crois pas qu'on doive mépriser ces soldats. Aussi forte qu'en soit la tentation.


Joël Té-Léssia


[i] Il existe en revanche d’assez braves œuvres cinématographiques sur la vie de soldat : Camp de Thiaroye d’Ousmane Sembène, We were Soldiers de Randall Wallace ou la série Band of Brothers de Steven Spielberg et Tom Hanks.

 

 

 

 

 

 

Les Forces Armées Maliennes ont-elles (déjà) perdu le Nord?

 

 

 

Le moins que l’on puisse dire est que les Forces Armées Maliennes ne semblent pas pressées de reprendre le combat contre les forces rebelles du MNLA et les ismalistes d’Ansar el DIne– à considérer qu’elles l’aient jamais commencé.
 
Des quelques 7000 soldats que comptait l’armée de terre malienne en Janvier 2012, 1000 sont aujourd’hui réfugiés au Niger. Au total, après moins de deux mois d’affrontements, le Mali a perdu 1500 (désertion, rébellion, mort au combat) des 15.000 hommes en armes (infanterie, « Marine », armée de l’air, gendarmerie, police, garde républicaine et milices plus ou moins officielles). Dans le même temps, la 1ère région Militaire et le Régiment interarmes de Gao sont tombés aux mains des rebelles, La 5ème région militaire définie autour de Tombouctou est occupée par la rébellion, le commandement militaire de Kidal a d'abord rejoint les rangs du MNLA avant de s'exiler, armes et munitions en mains au Niger.

 

Le roman du coup d’état monté en mars 2012 par quelques officiers subalternes, sous-officiers et hommes de rang des forces armées maliennes et qui aboutit à la destitution du Président Amadou Toumani Touré est bâti sur l’idée que les hommes en armes se seraient révoltés contre l’incurie, la mollesse et l’incompétence du pouvoir politique, ATT en tête. L’idée étant que les armes, les minutions et le soutien aérien dont les FAM auraient eu besoin pour repousser les avancées du MNLA auraient été bloqués à Bamako, par la faiblesse du gouvernement.

 

Or, les câbles de l'ambassade américaine à Bamako révélés par Wikileaks montrent que dès 2008 désertions, exactions et dénonciations (puis exécutions) de militaires maliens étaient phénomènes déjà connus. L'administration ATT présentée par la Junte militaire malienne comme apathique et désintéressée, s'est démenée – ces mêmes cables l'attestent – pour obtenir l'installation du commandement militaire intégré des forces américaines en Afrique au Mali et a rejoint, dans les premiers moments, la force de lutte contre le terrorisme installée par les Etats-Unis dans la région.

 

Depuis trois semaines qu'elle a pris le pouvoir à Bamako, les réponses proposées par la junte militaire, sont des plus confuses et la théorie censée guider sa stratégie militaire est illisible. Il a d'abord été question de contention : les forces armées maliennes se retiraient, selon la junte, pour constituer des points forts et imprenables. C'était avant la perte de Kidal. Par la suite, le Capitaine Sanogo faisait appel à l'intervention des forces occidentales – si l'OTAN est intervenu en Libye, elle peut bien intervenir au Mali. La fin de non-recevoir opposée par le Quai d'Orsay à cette proposition déclenchait presque aussitôt, les débuts d'une mobilisation de 3000 hommes par la CEDEAO. Deux semaines après cette mobilisation, la junte militaire refuse l'intervention de troupes étrangères. Entre temps, elle a perdu Gao et Tombouctou, deux bases aériennes et le contrôle de la moitié du pays, la république de l'Azawad a été proclamée par le MNLA et le drapeau noir du Djihad est imposé à Tombouctou. Et contrairement aux premières infos reçus, la junte militaire menée par le Capitaine Sanogo n'a pas cherché à "arrêter" Amadou Toumani Touré. Les tirs d'artillerie lourde qui visaient le palais présidentiel et menèrent à la fuite d'ATT n'étaient pas des tirs de sommation… Même quand elle semble préparer sa sortie – avec l'adhésion au plan de sortie de crise proposé par la CEDEAO – la junte militaire au pouvoir en Mali reste indécise : elle se garde le droit d'intervenir à l'issue des 40 jours d'intérim qu'assurera le Président de l'Assemblée Nationale. On en viendrait à croire que rien n'effraie plus les officiers du CNRDR que de devoir retourner au front.

Doit-on rappeler que les "redoutables" forces rebelles qui contrôlent la moitié du Mali ne comptent que 3000 hommes?


Joël Té-Léssia

 

Sur le même sujet :

Les rébellions Touarègue et Les coups d’Etat en Afrique par N. KAID SLIMANE

Un coup d’Etat, combien ça coûte ? de Georges Vivien Houngbonon

Mettre fin au problème institutionnel, éditorial d'Emmanuel Leroueil

Pour que le Mali demeure une mauvaise idée de Joël Té-Léssia

 

 

 

 

Pour que le Mali demeure une mauvaise idée

Le Mali a toujours été une mauvaise idée. De géographie. De Fédération. De politique de développement. De démographie. De protection des femmes . De trajectoire historique. De placement en demi-finale de la CAN. Et probablement une mauvaise idée de chronique dominicale. L’affaire, c’est que les Maliens ne font jamais rien comme il faut, même si, l'un dans l'autre, ça leur réussit plutôt bien.

Le Mali avait bien commencé. Entre l’idolâtrie francophile de Senghor ou l’obsession de stabilité et de contrôle d’Houphouët-Boigny d’un côté et l’irréductible et dangereuse radicalité de Sékou Touré, le Mali accéda à l’indépendance sous la houlette d’un panafricaniste non-doctrinaire, résolument non-aligné mais pragmatique : Modibo Keïta, une sorte de Kwame Nkrumah sans la folie des grandeurs. Et si Keïta se goura, en matière de politique économique (l’endettement colossal du Mali, c’est d’abord une mauvaise idée de Modibo Keïta), il reste définitivement l’un des « socialistes » africains les moins sanguinaires et son éviction du pouvoir fut des plus pacifiques. Mieux, il demeura jusqu’à sa mort (probablement par empoisonnement) un partisan résolu de la démocratie (sinon du multipartisme).

Puis, il y eut les deux décennies de la dictature de Moussa Traoré (1968-1991). Et là encore, à l’aune des calamités que connut l’Afrique des années 70 et 80, cette brave Afrique de l’Apartheid, de Mobutu, Amin Dada et Bokassa, de la Gukurahundi, des guerres civiles angolaise, éthiopienne, mozambicaine ou tchadienne, et même dans cette sereine Afrique de l’Ouest qui vit l’éclosion du conflit casamançais, le coût humain et financier de la dictature de Traoré reste assez mineur. Le Mali réussit même, au tournant de la décennie 90 (oui, celle-là même du génocide rwandais et des guerres civiles en Sierra Léone et au Libéria) à mettre Moussa Traoré aux arrêts, à le faire juger et condamner. Et derechef, le Mali se résolut à décevoir : non seulement, Traoré ne fut pas exécuté, il vit d’abord ses deux peines capitales commuées en détention à perpétuité, avant d’être gracié en 2002 et de bénéficier d’une villa officielle et de 1200 euros de rente publique par mois ; pour aggraver leur cas, les autorités militaires maliennes non seulement présentèrent leurs excuses à la population mais organisèrent une étonnamment rapide dévolution du pouvoir politique aux civils.

Et depuis vingt ans, cahin-caha, le Mali est une démocratie relativement paisible et passablement ennuyeuse. Pauvre, désespérément pauvre mais pas trop misérable, ni sous complète perfusion. Une mauvaise idée quand on a pour voisins la Côte d’Ivoire, l’Algérie ou la Mauritanie.

Voilà que le Mali s’apprête soudain à en prendre une « bonne » : suivre l’exemple de ses voisins et transformer un conflit politico-économique (les griefs des populations Touareg du Nord du Mali) en véritable crise militaro-ethnique.

Depuis la mi-janvier 2012, le Mali doit faire face à la quatrième rébellion Touareg de son histoire. Ce chiffre est assez significatif : de 1961 à maintenant, cet immense Nord malien n’a cessé de gronder, sans que Bamako ne sache exactement quelle solution apporter aux griefs de ses habitants. La pauvreté du pays, sa trajectoire politique depuis l’indépendance et les hérésies du découpage géographique n’expliquent qu’en partie cet échec. Une autre mauvaise idée malienne.

En 1961, une première rébellion éclate. Les chefs Touaregs de la région de l’Adrar des Ifoghas se révoltent contre l’autorité du pouvoir central et la politique de Modibo Keïta. Ce dernier, soutenu par le Maroc et l’Algérie écrase brutalement ces soulèvements, tout en en niant la réalité jusqu’en 1964. La dissidence Touareg n’en est qu’à ses débuts. Le terrible bagne-mouroir de Taoudéni bientôt fonctionnera à plein régime.

La grande sécheresse de 1972-74 fait 100.000 morts dans les régions de Gao et Tombouctou (Nord/Nord-est). L’indifférence coupable du régime de Moussa Traoré est interprétée à raison comme une mesquine revanche contre cette indocile partie du territoire. Pire : l’aide humanitaire reçue pour cette sécheresse et la suivante en 1982-85 est détournée par le gouvernement. Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) est créé en 1988. Dès 1990, un second soulèvement éclate, qui voit l’attaque de la ville de Ménaka et des postes militaires avancés. Les accords de Tamanrasset signés en janvier 1991 sont censés régler définitivement la question : la région de Kidal est créée, Taoudéni est fermée, 240 prisonniers politiques sont libérés. Un calme précaire s’établit.

En 2006, les troubles reprennent : l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement dénonce le non-respect des accords de 1991. Le développement économique n’est pas venu, l’administration publique est inefficiente et jugée éloignée des populations. Les Touaregs s’aperçoivent peu à peu que cette administration est essentiellement originaire du Sud. La Côte d’Ivoire a ouvert la voie. Le GSPC et Kadhafi y ont certainement ajouté leur grain de sel. Les Accords d’Alger sont signés en juillet 2006 : un fonds d'investissement, de développement et de réinsertion socio-économique des régions du Nord-Mali sera mis en place et doté de 700 milliards de francs CFA, une nouvelle région administrative (Ménaka) doit être crée. La mécompréhension s’accentue : la majorité du pays est pauvre, elle aussi et ne comprend pas la facilité avec laquelle le gouvernement cède aux desiderata des minorités berbères du Nord du pays. Qu’importe l’état réel (profondément désastreux, même pour le Mali) des infrastructures publiques et sanitaires dans le Nord… Désengagement de l’Etat qui ne semble pas s’améliorer puis qu’une quatrième révolte touareg éclate, cinq ans seulement après ces Accords.

Depuis la mi-janvier 2012 le MNLA mène une violente offensive contre les forces armées maliennes. Les rebelles occupent désormais la ville de Tinzaouatène. L’armée républicaine essaie de contenir leur avancée. La classe politique appelle à l’unité et soutient le Président Amadou Toumani Touré. La crise humanitaire est grande : 30.000 déplacés internes, près de 20.000 réfugiés au Niger, en Algérie, au Burkina et en Mauritanie; les villes de Gao, Kidal, Ménaka, Adaramboukare, Tessalit et Tombouctou sont quasiment désertes, en état de siège.

La rébellion est mieux armée, en partie grâce à l’afflux d’armes sorties de Libye à la suite du « printemps » libyen, en partie grâce au soutien non-assumé d’AQMI. Et pour la première fois, malgré les dénégations du MNLA, le caractère ethnico-culturel de ses revendications est au cœur du problème : des affrontements ont opposé à Bamako, d’un côté, les parents des militaires maliens et les forces de l’ordre ; de l’autre, populations malinkés et Touaregs. Le gouvernement est désormais accusé de trahison et d’abandon par une part non-négligeable de la population. Sa réaction immédiate aux attaques du MNLA est jugée faible et brouillonne. De plus, les populations des principales villes du Sud vivent assez mal ce qu’elles considèrent comme une agression injustifiée de la part du Nord. Les appels au calme fusent de partout. Les incitations à éviter les amalgames entre les rebelles et le reste de la population Touareg, arabe, mauritanienne ou « nordiste » du pays, se multiplient. Pas sûr qu’elles soient suivies. Et ceci d’autant moins que le conflit semble s’accentuer. Ce que n’arrangeront pas les désertions au sein de l’armée malienne

Le libéral en moi, voit ici une autre conséquence de l’interventionnisme étatique (in fine, tout le monde l’accuse de tous les maux puisque tout le monde l’imagine omnipotent), l’Ivoirien ressent, en revanche, une terrible impression de déjà-vu. Il vaudrait mieux que le Mali reprenne sa tradition de mauvaises idées – modérées et progressives.
 

 

Joël Té-Léssia

Novembre à Bamako

On connait la chanson, les dimanches à Bamako sont des jours de mariage. Ok, pour celles et ceux qui aiment Amadou et Mariam. Mais saviez-vous que Novembre à Bamako, c’est le mois de la culture ?

Personnellement, je savais que le Festival Etonnants Voyageurs s’y déroulait à cette période depuis quelques années. J’avais également eu vent de la Biennale africaine de la photographie, sans mesurer la portée de cet événement. Mais que dire du festival Danse Afrique danse?

Non, je ne savais rien de la densité de l'activité culturelle à Bamako à cette période de l'année. C'est donc par le biais de ce très bel ouvrage publié aux éditions Cauris (éditeur malien) et Bec en L'air que j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt les actrices et acteurs d'une certaine forme de la culture à Bamako. Valérie Marin Le Meslée, journaliste littéraire, nous introduit par sa plume dans cet univers qu'elle connait bien puisqu'elle se rend régulièrement au festival Etonnants Voyageurs de Bamako depuis plusieurs années. Elle est accompagnée dans sa démarche par la photographe Christine Fleurent.

Avant d'aborder le reportage de Valérie Marin La Meslée, je souhaite souligner la qualité et la complémentarité du travail de ces deux artistes, à savoir l'écrivaine et la photographe. Les plans, les angles d'attaque de la photographe sont fonction de l'interlocuteur ou de l'interlocutrice, de la situation à mettre en scène. Elles ont très bien su se placer en retrait pour mettre en avant le sujet de leur investigation, laissant souvent leurs propres regards aux oubliettes.

Je pense d'ailleurs que c'est tout l'intérêt du travail de fourmi réalisé par ces deux femmes. Le terme est assez faible pour décrire ce tour de Bamako de la culture de personnes souvent interviewées à domicile. A Magnambougou, à Djelibougou, à Ouolofobougou et bien d'autres quartiers de la capitale malienne. Je vous les ai cités de tête pour bien montrer qu'au fil de la lecture, on s'imprègne tant du discours, des espérances de ces hommes et ces femmes que de l'endroit où il est émis, les noms de ces quartiers étant souvent chargés de sens… Djelibougou, quartier des griots, par exemple.

Tous les champs de la culture sont passés au crible de Valérie Marin La Meslée. Les livres naturellement. Les acteurs du livres. Ceux qui écrivent comme Moussa Konaté, Ibrahima Aya, Ousmane Diarra. Ceux qui en font la promotion par l'édition, par la réalisation d'événements autour du livre comme le fameux festival déjà mentionné ou cette Rentrée Littéraire Malienne, manifestation qui entend faire la part belle aux productions locales. La démarche de la journaliste de l'Express s'exprime déjà. Par des interviews courtes, ces personnalités livrent leur impression sur leurs initiatives respectives et les moyens de toucher un public large, sur les enjeux de leur travail d'écrivains et le besoin de costumizer à la sauce local leurs actions… Un point a retenu mon attention, à savoir le contexte de travail de ces auteurs, et la difficulté de création dans un environnement laissant peu de temps au retrait, à la mise en aparté qu'exige la constitution d'une oeuvre littéraire…

Quand elle s'attaque aux musiciens, l'affaire se corse. Mettre la main sur les stars internationales que sont Salif Keita ou Rokia Traoré n'est pas une partie de plaisir, mais l'échange qui en résulte annihile toute amertume. Le discours est intéressant et un premier constat que l'on peut faire est ce contact de ces musiciens avec la terre originelle. Cheick Tidiane Seck, Habib Koité, Rokia Traoré, Amadou et Mariam ou Salif Keita, tous ont une attache forte avec leur pays et la volonté d'y développer des projets permettant le passage de témoin à d'autres… En même temps, ils parlent de leur art avec passion, avec lucidité. Sur les difficultés à être artiste dans un pays où la notion de castes est tres prenante et où par conséquent on ne s'improvise pas à certaines activités sans jeter l'opprobe sur toute une famille, fasiya quand tu nous tiens…

De la musique à la danse, il n'y a qu'un pas qui me fait découvrir Kettly Noël, chorégraphe haïtienne qui s'est installée dans la ville depuis des années et y a initié de nombreux danseurs avec la poigne du Roi Christophe, on pourrait penser. Une exigence salutaire, sûrement sélective dans un créneau où la vocation est nécessaire.

Les acteurs de la culture ne sont pas seulement maliens. Haïtien comme James Germain, camerounaise comme Marthe Bolda.

De la danse au cinéma, du cinéma à la mode, de la mode au théâtre, du théâtre aux arts plastiques, des arts plastiques au Hip Hop, du Hip Hop à la photographie…

Si les mentalités doivent continuer à être travaillées pour qu'elles éveillent à ces codes occidentaux, désormais universels de la culture, il est intéressant de constater que c'est dans la culture traditionnelle que tous ses artistes puisent pour faire entendre leurs voix, la voix de leur pays. C'est à cela qu'on entendra surement les histoires de lions qui donneront leurs versions des faits…

J'ai aimé l'ambition, l'enthousiasme de tous ses acteurs de la place culturelle bamakoise, comme Kettly Noël à propos de la danse:       

J'aimerais que cette danse soit porteuse d'espoirs pour la créativité contemporaine. Qu'un milieu en danse existe vraiment. Il faudrait qu'on parle des danseurs de Bamako et même de l'école de Bamako. Déjà on dit partout que Bamako a le truc culturel. la ville bouge. Reviens dans dix ans, tu verras.
Novembre à Bamako, page 72

La pertinence de certaines analyses, loin d'être du réchauffé servi aux journalistes occidentaux. Ecoutons par exemple Samuel Sidibé, directeur du Musée National :

Imaginer d'autres perspectives…

Lorsqu'on parle de Bamako, ce sont les Rencontres photo, Culturesfrances, Etonnants voyageurs.. Même si Moussa Konaté est malien, qui dirige ce dernier festival, ce sont toujours des pôles d'activités culturelles tenus à bout de bras par l'étranger qui servent de vecteurs à la circulation de l'image de l'Afrique. Pourquoi ne pas imaginer d'autres perspectives? (…)

Notre manque de vision

           C'est notre manque de vision… L'Afrique n'a pas été à la hauteur de proposer au monde sa propre lecture, sa propre façon de voir, c'est un véritable déficit. Il faut aujourd'hui rendre visible notre force. Et nous en avons. Ce ne sont pas les moyens techniques qui manquent. Nous avons vécu pendant quarante ans de l'aide au développement, qui nous a éliminés de notre propre champ. C'est dramatique.

              Page 154, Editions Cauris

Lareus Gangoueus

Article initiallement paru Chez Gangoueus

Valérie Marin La Meslée, Christine Fleurent : Novembre à Bamako
Cauris Editions et Le bec en air Editions
1ère parution en 2010, 221 pages, préface d'Oxmo Puccino

Amadou Hampâté Bâ : Amkoullel, l’enfant peul

Hampâté Bâ a été un auteur incontournable pour des générations d’élèves africains et notamment congolais. Et pour cause. Son fameux roman L’étrange destin de Wangrin a fait rire nombre de collégiens à Brazzaville ou à Pointe-Noire. Pour le plaisir, je me suis procuré ce classique de la littérature africaine pour me replonger dans ces années de collège et surtout relire l’itinéraire de cet homme exceptionnel que fût Wangrin sous la période coloniale. Un ami vaudois connaissant mon intérêt pour la littérature africaine m’a offert l’an dernier le premier volet du récit autobiographique d’Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel l’enfant peul. Bon choix et je l'en remercie. Koullel fut au début du siècle un des griots de la cour de son père. A cause de son intérêt dès l’enfance pour les contes et cette tradition orale, Amadou fût affublé de ce pseudonyme. Enfant peul ? Oui, mais pas seulement. Fils d’Hampâté Bâ, descendant des fondateurs de l’Empire peul du Macina et d’une notable peule, le jeune Amadou est également élevé par Tidjani Thiam, un aristocrate toucouleur.

Ce livre publié après la disparition du romancier malien en 1991, est une occasion d’immerger dans cette période de grande bascule qu’a constituée la colonisation. Hampâté Bâ commence son récit par le témoignage de figures familiales comme cette mère servante que fût Niélé par exemple, qui lui raconte l'histoire de son père. Le contexte sociopolitique qui entoure sa naissance est ainsi posé, le portrait de son père qui a échappé à la répression féroce des Tall est apporté avec celui de sa mère ou de sa grande tante paternelle pour ne citer que ces personnages hauts en couleur.
C’est une description d’une aristocratie peule altière, à cheval sur ses principes, sur des questions d’honneur, d’orgueil. Amadou Hampâté Bâ offre, au travers de l’histoire de sa famille, de conduire le lecteur dans la complexité des rapports entre toucouleurs et peuls, la subtilité des liens n’étant décelable que par un regard acéré.

Il s’agit d’un récit. Celui d’Hampâté Bâ sur sa jeunesse, sur sa famille avec le parti pris de présenter la face grandie de ces individualités qui ont façonné sa personnalité. Il ne porte aucun jugement sur cette femme si forte que fut sa mère sur laquelle les oracles d’un marabout prévoyaient moult malheurs dont elle se redresserait toujours avec force et dignité. Il retient de ses servantes, la figure glorieuse d’un père qui renonça à l’élévation après la persécution pour honorer une dette d’honneur à l’égard de l’homme qui le protégea.

Hampâté Bâ est né vers 1900. Ses années d’enfance sont celles aussi de l’infiltration des transformations sociétales avec les avancées du colonialisme français dans ces terres d’Afrique de l’ouest. Les premières compromissions des autorités locales avec le nouveau pouvoir. Et le bagne pour ceux qui mettaient trop de zèle à défendre leur honneur et leur valeur. C’est l’enfance d’un futur globetrotteur. Entre Bandiagara et Bougouni en pays bambara, Mopti ou Kati, Djenné, Bamako ou Ouagadougou. Les différentes chroniques de l’auteur malien permettent de découvrir entre autres les associations de jeunesse dites waaldés chez les peuls, mais que l’on retrouve également dans toutes les communautés qu’il a côtoyé. Ces bandes de jeunes souvent créées grâce à l’influence de sa famille, ressemblent à n’importe quel groupe d'adolescents d'aujourd'hui, avec toutefois des formes d’organisation très codifiées.

Dans ce texte, le lecteur comprendra l’essence de la passion d’Hampâté Bâ pour les traditions orales, lui qui profitant des grandes veillées dans la cour de ses pères, s’est abreuvé à la source des grands conteurs de cette région. « Un vieil homme qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » disait Hampâté Bâ. Fort de ce constat, le malien aura pris soin de laisser par écrit aux futures générations ses souvenirs d’une enfance peule au début du siècle dernier. La bibliothèque n'a pas brûlé. Un récit magnifique porté par une écriture maîtrisée et agréable.

Bonne lecture !

Lareus Gangoueus, article initialement paru chez Gangoueus

Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel l'enfant peul
Edition Actes Sud, 1ère parution 1991, 1992. Collection J'ai lu, 447 pages

Voir le commentaire d' Encres noires

Cheikh Modibo Diarra : scientifique, mécène et maintenant homme politique

Né en 1952, Cheikh Modibo Diarra, Bambara originaire d’un village de la région de Ségou au Mali, est un vrai motif de fierté pour l’Afrique. Cet astrophysicien et navigateur interplanétaire fut le premier noir francophone à avoir intégré la NASA. Il a largement contribué au succès de l’opération Mars Pathfinder en 1996, que le président Bill Clinton a qualifié de mission la plus réussie de l’histoire de la Nasa.

Sa philosophie
Cheikh Modibo Diarra voit la vie comme le résultat d’un concours de circonstances et estime que son arrivée à la Nasa est due au hasard. D’autre part, il pense qu’il existe une intelligence collective universelle et que l’ensemble des êtres humains est capable de résoudre tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés (cancers, VIH, etc.). Cependant, l’individualisme et l’affiliation des individus à des groupes identitaires représentent un obstacle à l’émergence de cette intelligence collective. Or, parmi les jeunes Africains non scolarisés, il est possible qu’un seul d’entre eux, parmi les 6,5 milliards d’êtres humains que nous sommes, ait le cerveau structuré de façon tel qu’il puisse résoudre l’énigme du cancer ou du Sida. Mais cette personne va probablement rester dans la rue, finira peut-être par vendre du poisson au bord d’un fleuve et ce sera une perte pour l’humanité entière car personne n’aura pensé à l’envoyer à l’école.

Son engagement en Afrique
Malgré tous ses succès, Cheikh Modibo Diarra n’a pas oublié d’où il venait. Il se considère avant tout comme un Africain et met à profit une grande partie de son temps au développement du continent. En 1999, il décide de travailler à mi-temps afin de se consacrer à l’éducation en Afrique. C’est pourquoi il crée la fondation Pathfinder, un centre de formation professionnelle basé à Bamako. Dans le cadre de cette fondation, tous les ans pendant trois semaines, les trois meilleures étudiantes africaines en sciences et mathématiques sont entraînées dans le centre afin d’obtenir leur baccalauréat avec des résultats suffisamment excellents pour qu’elles soient acceptées dans les meilleures écoles du monde. En effet, après avoir découvert qu’en Afrique, 80% des enfants d’une famille atteignent au moins le niveau d’éducation de leur mère et qu’aucune corrélation n’a été établie avec le niveau d’éducation du père, Cheikh Modibo Diarra a compris que les femmes sont un pilier important du développement. Aussi, plus on éduquera les femmes africaines et plus l’Afrique engendrera des individus hautement diplômés.

En 2002, il prend un congé sabbatique pour créer un laboratoire de recherche sur l’énergie solaire à Bamako. Ce projet est un échec dû, selon Cheikh Modibo Diarra, à une mauvaise gouvernance de la part des dirigeants maliens. En 2003, il co-fonde l’Université numérique francophone mondiale qu’il préside jusqu’au 20 février 2006, date à laquelle il est nommé à la tête de Microsoft Afrique.

Les leçons qu’il tire de ses expérimentations
Suite à ces expériences, Cheikh Modibo Diarra estime que le problème actuel du sous-développement provient de la mauvaise affectation des moyens. Le budget du Mali est trop faible pour lui permettre d’investir dans tous les domaines. Il propose donc de concentrer les investissements sur des secteurs clés qui devraient créer un effet levier sur l’ensemble de l’économie, plutôt que de faire du « saupoudrage » comme le font actuellement les dirigeants africains, ce qui ne résout rien. Les secteurs clés dont il parle sont l’eau, puisque l’eau c’est la vie et que l’Afrique en regorge (fleuves, immenses nappes phréatiques sous le Sahara), l’agriculture pour atteindre la suffisance alimentaire, et l’énergie solaire (dont le sable du désert serait la matière première) qui coûterait beaucoup moins chère aux Africains.

De quelles forces dispose l’Afrique ?
Pour Cheikh Modibo Diarra, le plus grand problème de l’Afrique est un manque de confiance en elle-même. Or l’Afrique doit trouver des solutions endogènes au lieu de chercher des solutions extérieures, puisque le développement ne s’importe pas et qu’au final il est plus difficile d’adapter des solutions provenant de l’extérieur plutôt que créer ses propres solutions. Comment réussir ? Ce n’est pas bien compliqué. Le secret du succès c’est la discipline et la passion. Et cela est à la portée de tout le monde. En effet, la particularité de l’opération Mars Pathfinder était de réussir une opération importante avec moins de moyens (Faster, Better and Cheaper). « Quand une agence spatiale comme la NASA veut faire plus avec moins, elle ne peut trouver mieux qu’un Africain ». Car nous avons toujours su que la créativité et l’innovation peuvent se substituer aux ressources financières ! L’Afrique doit inventer son propre modèle. Un modèle qui allie bonne gouvernance, solidarité et tradition. De cette façon, selon Cheikh Modibo Diarra, nous pouvons créer un modèle plus performant que le modèle asiatique. 

Course à la Présidence de 2012
En septembre 2010, Cheikh Modibo Diarra, qui est également le gendre de l’ancien dictateur malien Moussa Traoré, fonde son propre parti, le Rassemblement pour le développement du Mali (RPDM) avec l’objectif d’être élu Président de la République du Mali en 2012. Malgré son entrée médiatique sur la scène politique malienne, il sera très difficile pour lui de s’imposer, d’autant plus que le Mali connait un nombre très élevé de partis politiques et que la grande popularité du président sortant, Amadou Toumani Touré dit ATT, « soldat de la démocratie » et lauréat du prix Kéba Mbaye de l’éthique, favorisera probablement les partenaires politiques de ce dernier.

 

Awa Sacko