Pourquoi les firmes transfrontalières réussissent-elles ?

La création d’espaces transfrontaliers d’échanges intercommunautaires a été depuis longtemps les prémices du commerce international.  A l’exemple de la région genevoise entre la France et la suisse, ces espaces transfrontaliers sont convoitées par des firmes qui s’y installent pour se développer. Mais qu’est ce qui pourrait expliquer la réussite de ces firmes ? La réponse se trouve sans doute dans les opportunités que pourrait offrir une frontière. Ceci nous ramène à la question de savoir comment est-ce qu’une frontière peut-elle se transformer en zone de développement pour les firmes et le commerce ? Et aussi, comment l’Afrique peut-elle construire ce type d’environnement ?

Les firmes transfrontalières se caractérisent par leur implantation le long ou près des frontières séparant un ou plusieurs pays. Dans la théorie économique, les débats sont très florissants en ce qui s’agit du lien entre frontière et développement économique. Pour certain comme Mac Callum et Helliwell, la frontière est une ligne de démarcation entre Etats qui limite et réduit les échanges. Pour d’autres comme Judet et Courlet, les frontières représentent une opportunité de développement et d’intégration pour les pays. Bien que cela ne soit exclusif, nombreux sont les exemples dans le monde qui prouvent que les frontières peuvent apporter des éléments catalyseurs pour la réussite des firmes installées près de cette dernière et faciliter le processus d’intégration par le brassage culturel des populations qu’elle induit et ce en dépit des relations parfois eratiques des pays. Le constat est que la frontière sera d’autant plus exploitable que les firmes et les pays développeront des activités complémentaires de part et d’autre, que les firmes ne seront pas susceptibles de se concurrencer sur un même marché (exploitation d’oranges dans le MERCOSUR[1] en Amérique latine) et que les informations stratégiques circuleront. 

Les facteurs de réussite des firmes transfrontalières reposent donc sur les avantages que peut offrir la frontière et qui sont souvent liés les uns aux autres (les avantages comparatifs ; les effets de réseaux ; les effets d’agglomération ; les accords institutionnels).

Dans le contexte africain, les problèmes de pauvreté, d’enclavement des zones de production agricole, de fragilité des PME[2] et de porosité des frontières pourrait trouver solution, ou du moins en partie, à travers l’exploitation des frontières à des fins de développement économique. En effet, avec la mondialisation, la facilitation du commerce entre les pays devient un enjeu de plus en plus important pour les entreprises africaines. Selon Douillet (2012), une exploitation des frontières dans le cadre d’une intégration régionale ambitieuse apporterait autant à l'Afrique subsaharienne qu’une intégration multilatérale au commerce mondial, en termes de croissance du produit intérieur brut, du bien-être économique et du volume des exportations agricoles. En 1986, Courlet et Tiberghien notaient que la majorité des PME efficientes d'Afrique subsaharienne se trouvaient près de frontières. Par ailleurs, d’après les travaux de Judet en 1988 sur le décollage des pays émergents d’Asie, les frontières représentent une base de lancement pour les firmes car ils  limitent leur exposition aux aléas des transactions internationales et représentent un incubateur idéal pour affronter plus tard le marché international.

Pourtant,  la volonté de création d’espaces sous régionaux intégrés existe depuis les années 60. Orientés vers le libre-échange, la circulation du facteur travail, l’union monétaire, douanière et la conciliation des politiques monétaires,  ces tentatives  n’ont pas très souvent envisagé l’exploitation des opportunités qu’offrent les frontières pour un développement local qui puisse se diffuser à la nation toute entière. Associé au protectionnisme des états, ceci n’a produit que des résultats mitigés et souvent décevants en termes de création de commerce et d’accélération de la croissance économique. A partir du début des années 90, les pays africains (ceux d'Afrique sub-saharienne notamment) ont relancé le processus d’intégration régionale et des avancés majeures en termes de création d’espaces transfrontaliers qui insufflent une dynamique de développement sont en voie de voir le jour.

Pour la réussite de ces projets ambitieux, les frontières doivent être capables de créer un contexte générateur d’informations stratégiques différentes échangeables. Les communautés sous régionales africaines devront axer leurs efforts sur le développement en agglomération des localités situées près des frontières par : la construction des infrastructures de transports, le développement des activités agricoles, l’exploitation de la diversité culturelle des populations[3] vivant aux frontières, l’accélération du processus d’institutionnalisation de l’intégration régionale par des accords forts et l’exploitation des avantages comparatifs. 

Ivan Mebodo

Bibliographie

CHASSIGNET DANIEL : L'intégration transfrontalière et ses conséquences spatiales dans le Sud-Alsace. Dans : Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 113-131.

COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE : Etat de l’intégration en Afrique Juillet 2011

COURLET, CL.; TIBERGHIEN, R. (1986): « Le développement décentralisé des petites entreprises industrielles au Cameroun ». Dans : Revue Tiers Monde, XVIII, n. 107.

DOUILLET, M. 2012 «Trade policy reforms in the new agricultural context: Is regional integration a priority for Subsaharan African countries agricultural-led industrialization? Insights from a global computable general », Conference de l’International Association of Agricultural Economists, 18-24 août 2012, Foz do Iguacu, Brésil.

HELLIWELL, J. (2002): La mondialisation et le bien-être – l’effet frontière, le rôle de l’État nation et les relations économiques canado-américaines. Dans : UBC Press.

JUDET, P. (1988): « Les pays intermédiaires: des expériences à l'appui d'une réflexion moins pessimiste sur le développement », Revue Tiers-Monde, n. 115.

MAC CALLUM, J. (1995): «National Borders Matter: Canada-US Regional Trade Patterns». Dans: American Economic Review, 85, pp. 615-623.

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SCHULZ CHRISTIAN : L'agglomération transfrontalière du Pôle Européen de Développement (P.E.D.) Longwy-Rodange-Athus. Expériences et perspectives d'un programme trinational de restructuration économique. Dans: Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 133-150.

WACKERMANN GABRIEL : La mobilité des firmes et ses effets sur la population active. L'exemple de l'espace transfrontalier du Rhin supérieur. Dans: Bulletin de l'Association de géographes français, 66e année, 1989-2 (avril). pp. 103-109.


[1] Le Mercosur est une communauté économique née le 26 mars 1991 avec la signature du Traité d’Asunción. Il regroupe les pays d’Amérique latine.

[2] Les petites et moyennes entreprises sont les plus grands pourvoyeurs d’emplois dans les pays de l’ASS

[3] En Afrique, de part et d’autre des frontières communes des pays, il est très commun de retrouver des populations qui partagent de nombreuses similarités ethniques, des liens sociaux plus forts qu’avec le reste des populations des pays.

La Pologne: un nouvel acteur économique en Afrique ?

Depuis la période de la décolonisation, l’Afrique a connu bien d’évolutions. Souvent vu comme un continent pauvre caractérisé par des conflits et des crises humanitaires au cours du 20ème siècle, il semble qu’elle est à un tournant de son histoire. En ce début de nouveau millénaire, elle connait un développement économique impressionnant.  Effectivement, en dépit d’un environnement mondial fragile, elle a enregistré une croissance moyenne de 3.96% au cours des trois dernières années. Pour 2016, celle-ci devrait passer au-dessus de la barre des 5%, selon le rapport Perspectives économiques en Afrique (PEA) publié conjointement par la Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Banque africaine de développement (BAD) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Dans ce contexte, la vision qu’avaient les experts financiers vis-à-vis du continent africain s’est radicalement transformée et l’Afrique est perçue aujourd’hui comme une terre offrant d’immenses opportunités. Pour preuve, cette région peut se targuer d’avoir attiré un montant record d’investissements directs étrangers (IDE) à hauteur de 57 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 4% par rapport à l’année 2012. En outre, dans le récent rapport Doing Business de la Banque mondiale qui mesure chaque année la qualité et l'évolution du climat des affaires à travers le monde, cinq pays africains se hissent dans le top 10 des pays les plus réformateurs. Dès lors, il n’est pas étonnant que de plus en plus d’acteurs économiques aient émergé au fil du temps tels le que la Chine, l’Inde voire le Brésil. Parmi ceux-ci, un nouveau pays vient d’apparaitre, la Pologne.

Tout comme beaucoup de pays  africains, cette nation d’Europe centrale a connu d’énormes changements. Depuis la fin de la guerre froide, elle a entrepris de profondes réformes étatiques qui lui ont permis de devenir une démocratie,  rejoindre les rangs de plusieurs organisations internationales telle que l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) et adhérer à l’Union européenne (UE). Elle s’est aussi attaquée à son économie en adoptant plusieurs politiques visant à passer d’une économie, fondée sur la propriété d'état et la planification centralisée, à une économie de marché de type capitaliste.

Aujourd’hui, elle est considérée comme une des économies les plus dynamiques sur le vieux continent. Grâce entre autres aux aides financières européennes, qu’elle a su exploiter efficacement, à une consommation intérieure soutenue et à une main d’œuvre bien formée qui a su attirer des investisseurs, elle a enregistré une croissance constante depuis plus de 25 ans, ce qui a permis de doubler son Produit intérieur brut (PIB) et augmenter substantiellement ses exportations, notamment vers les pays membres de l’UE qui représentent 78% de ses échanges commerciaux. Toutefois, le recul de la consommation européenne due à la crise, a poussé Varsovie à chercher de nouveaux débouchés pour ses produits.

À cet effet, le ministère de l’Economie a lancé en 2013 le programme « Go Africa » pour soutenir les entreprises polonaises dans leurs efforts de développement de relations bilatérales plus serrées avec les partenaires africains. Ce projet inclut plusieurs aspects telles que l’organisation de missions économiques, la mise en place de plateformes pour informer et créer des liens entre les entrepreneurs et des supports financiers pour aider les firmes polonaises à investir en Afrique.  Bien qu’étant récente, cette ouverture vers le marché africain a déjà porté ses fruits. Entre 2012 et 2014, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Pologne ont augmenté de 24% passant de 2.86 milliards à 3.61 milliards d’euros. Toutefois, ces chiffres ne représentent toujours qu’1% du total des échanges commerciaux polonais et la Pologne a émis, fin 2014, la volonté d’augmenter cette part à 3%.

Pour ce faire, elle s’est résolue à étendre son réseau diplomatique sur le continent africain en créant de nouvelles ambassades, outil qui contribue à la promotion et à la création de contacts pour développer des relations commerciales. À ce titre, il est prévu qu’une nouvelle ambassade voit le jour au cours des prochains mois à Dakar, la capitale sénégalaise.  De plus, elle a entamé des rapprochements stratégiques avec certaines nations, notamment l’Algérie qu’elle considère comme un pays d’excellence pour bâtir des plateformes industrielles orientées vers l'Afrique. C’est donc sans surprise que ce pays du Maghreb est devenu l’un de ses premiers partenaires commerciaux avec qui les échanges ont quasiment décuplé en un an passant de 395 millions de dollars en 2013 à 736 millions en 2014, ceci grâce, entre autres, à la signature de plusieurs accords et à la création de forums destinés aux chefs d’entreprises tant privés que publics. En outre,  il y a aussi le Nigeria, la Zambie, le Sénégal et l’Afrique du Sud dont les volumes d’échanges ont augmenté de 47%, 44%, 16% et 11% respectivement, ce qui a permis de doper les exportations polonaises vers l’Afrique de 48% pour atteindre 2.27 milliards d’euros en deux ans. Toutefois, la stratégie appliquée n’explique pas à elle seule cette explosion dans les exportations car la Pologne bénéficie d’autres atouts.

En effet, la souveraineté monétaire dont elle jouit lui permet d’avoir un taux de change flexible afin de soutenir les exportations. De plus, elle possède un capital humain de qualité accouplé à des salaires très compétitifs. Le coût horaire moyen de la main-d'œuvre  est l’un des plus bas d’Europe avec 7,9 euros contre 24.2 euros dans l’UE, selon les données publiées par la direction générale de la Commission européenne chargée de l'information statistique, Eurostat.  Au niveau qualitatif, 36.8% des 30-34 ans sont titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur et le système éducatif polonais est classé parmi les plus performants d’Europe par l’OCDE. Grâce à ces éléments, elle est en mesure de proposer des produits à des prix très attractifs ayant une qualité comparable aux biens fabriqués dans les pays occidentaux, comme c’est le cas pour les produits électroniques qui sont les moins chers en Europe (86 % du prix moyen) selon une récente étude de l’UE.

Bien qu’une relation existait durant l’ère soviétique, le nouveau rapprochement entre la Pologne et l’Afrique n’est encore qu’en phase de décollage mais celui-ci devrait s’intensifier dans les années à venir. En effet, Varsovie a récemment déclaré vouloir développer sa coopération économique avec les pays africains car ce continent, considéré comme le marché du 21ème  siècle par plusieurs organisations financières, offre d’énormes opportunités avec de nombreux marchés séduisants en raison de leur croissance, comme c’est le cas au Botswana, au Ghana voire en Ethiopie. De son côté, la Pologne représente aussi un débouché important pour l’Afrique.

Forte d’une position géographique au carrefour du vieux continent, d’une économie ayant doublé en dix ans, d’un marché avec une classe moyenne stimulant la demande de produits de consommation et d’un régime fiscal favorable aux investissements directs étrangers (IDE) qui se sont élevés à plus de 160 milliards d’euros entre 2004 et 2013, ce pays d’Europe centrale représente un pôle d’attractivité pour les produits et les investissements africains. À ce titre, beaucoup d’entreprises sud-africaines ont déjà profité des avantages qu’offre le marché polonais comme le démontrent les exportations qui se sont élevées à 164,2 millions de dollars en entre janvier et juin 2014, soit une augmentation de 9,7% par rapport à la même période l’année précédente. En outre, d’autres pays tels que Kenya, dont les exportations vers la Pologne ont dépassé les importations,  ont commencé à suivre cette voie et apparaissent progressivement sur le marché polonais, ce qui sous-entend que la part africaine dans les importations totales polonaises devrait augmenter au fil du temps.  Devrait, car la récente venue au pourvoir du parti ultra-conservateur Droit et Justice, lequel a émis la volonté d’augmenter les taxes à hauteur de 26 milliards de zloty soit presque 6 milliards d’euros au cours de la prochaine législature, pourrait quelque peu freiner l’engouement que connait la relation économique polono-africaine. 

Szymonz Jagiello

Le nouveau visage des IDE entrants en Afrique

IDans son rapport sur les investissements en Afrique pour l’année 2015, This is Africa annonce un montant global de 87 milliards d’euros d’IDE en direction des 54 pays africains, soit 13% du montant total des IDE mondiaux pour l’année 2014. De manière générale, les IDE à destination du continent ont fortement progressé sur ces dernières années. Les montants ont augmenté de 10 points entre 2013 et 2014 et sont à leur plus haut niveau sur ces 5 dernières années. En outre, ces IDE sont fortement créateurs d’emplois (voir graphique ci-contre). Le nombre d’emplois crées par les IDE a augmenté de 3 points entre 2013 et 2014 et s’établit à 188 milliers d’emplois, son niveau le plus élevé de ces 5 dernières années.

Le chiffre de 87 milliards d’euros, précédemment mentionné, est le fait de 464 entreprises ayant investis dans la région. Celles-ci ont ainsi permis le financement de 660 projets à travers le continent. Les secteurs privilégiés par les investisseurs sont les industries liées aux énergies pétrolières, au gaz et charbon, et celles-ci ont attiré 38% des investissements. Les pays ayant accueilli le plus de projets sur l’année 2014 sont l’Afrique du Sud avec 116 projets, le Maroc (65 projets), le Kenya (57 projets), l’Egypte (51 projets) ou encore le Mozambique (50 projets).Ces chiffres illustrent, en partie, l’attractivité croissante d’un certain nombre de pays africains. Cette attractivité est liée notamment à leur performance économique : on peut citer en exemple les cas du Maroc et de l’Egypte qui sont selon le FMI, les principaux moteurs de la croissance du continent.

II

Pour certains pays, cette attractivité est davantage liée à des changements dans la politique fiscale (cas de la baisse de l’impôt sur les sociétés en Afrique du Sud en 2013) ou juridique (cas du Maroc avec la réduction de la durée de traitement des litiges commerciaux). D’autre part, certains pays ont privilégié la conclusion de projets d’investissements avec leurs voisins africains, afin de favoriser la croissance et l’émergence de nouveaux projets (comme par exemple la Zambie et Zimbabwe avec des projets dans le secteur des énergies vertes).

Globalement, les investissements intracontinentaux ne représentent que 10% de l’ensemble des investissements en 2014, portés principalement par l’Afrique du Sud. Ils sont susceptibles d’accroître dans les années à venir : les grands groupes africains, en quête de nouveaux marchés pour leurs offres de produits et services, comme c’est le cas par exemple de la banque marocaine BMCE Bank, ou des entreprises sud-africaines MTN et Shoprite, adoptent depuis ces derniers années des stratégies très agressives pour renforcer leur position sur le marché africain. 

IIIIl est important de noter un certain élargissement des secteurs d’investissement. En effet, les secteurs habituellement privilégiés sont ceux de l’énergie, de l’exploitation minière et des matières premières (1er en terme de fonds investis) ou encore le secteur financier (1er en terme de nombres de projets). Cependant, les investisseurs semblent s’intéresser à  de nouveaux secteurs, notamment ceux des industries manufacturières.

Cette caractéristique nouvelle des IDE en Afrique est une bonne nouvelle, quand on sait que l’Afrique se doit d’aller vers une transformation économique, qui privilégierait davantage le secteur secondaire. Cependant, ces investissements paraissent encore trop faibles pour entamer la révolution industrielle africaine.

Les prévisions de croissance positive pour l’Afrique pour 2015 peuvent laisser imaginer que les flux d’investissement en direction du continent vont se poursuivre mais il faudrait que les pays approfondissent davantage les réformes, afin d’orienter ces flux financiers vers des secteurs capables de soutenir la croissance à long terme, de créer de l’emploi et ceci en modifiant structurellement leur économie.

De plus, parmi les objectifs des entreprises à l’origine de ces IDE, on distingue, entre autres,  l’exploitation des ressources naturelles, l’accès aux programmes de privatisation ou encore la volonté de renforcer le système de gouvernance et donc la gestion d’une entreprise. Ainsi il est nécessaire que les pays destinataires de ces IDE mettent en place des mesures permettant de limiter la part de leur économie sous contrôle étranger.

A cela, s’ajoute le risque de dépendance aux capitaux étrangers, qui peut nuire à la situation économique d’un pays. En effet, dans le cas d’un climat des affaires défavorable ou d’une économie déstabilisée par un évènement externe, les investisseurs étrangers rapatrient leurs capitaux, fragilisant davantage l’économie du pays (cas de la Serbie qui a subi une fuite des capitaux étrangers suite à la crise financière de 2008).

Somme toute, malgré les incertitudes socio-politiques dans plusieurs régions du continent, les pays africains paraissent globlament de plus en plus attractifs : les uns pour leurs ressources, les autres pour la stabilité politique et juridique qu'ils offrent. Si ces investissements s'orientent davantage vers l'industrie et sont financés par des capitaux africains, ils demeurent dépendant du reste du monde. Cette dépendance est certes moins contrôlable mais les pays africains devraient pouvoir les orienter vers les secteurs les plus stratégiques de leur économie, afin d'en maximiser l'impact. 

Ndèye Fatou Sène

Sources

Patterson, J. (2015). Africa outperforms global economy despite downward revisions – News – This is Africa. [online] Thisisafricaonline.com.

Available at: http://www.thisisafricaonline.com/News/Africa-outperforms-global-economy-despite-downward-revisions?ct=true [Accessed 17 Dec. 2015].

The Africa Investment Report 2015: http://forms.fdiintelligence.com/africainvestmentreport/

EY’s attractiveness survey Africa 2015: http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/EY-africa-attractiveness-survey-2015-making-choices/$FILE/EY-africa-attractiveness-survey-2015-making-choices.pdf

Pour aller plus loin

Africa sustainability report par This is Africa: http://www.thisisafricaonline.com/Microsites/African-Sustainability/Africa-Sustainability

Article de la Banque Mondiale sur l’attractivité de l’Afrique pour les investisseurs : http://www.banquemondiale.org/fr/news/opinion/2015/06/30/africa-still-poised-to-become-the-next-great-investment-destination

Aveline, M. (2013). Quand les Africains investissent l'Afrique – Economie Globale – Informatique sans frontières. [Online]

Available at:  http://www.informatiquesansfrontieres.org/econo/65.html

Cadre juridique des PPP au Sénégal : une reforme incomplète ?

posteautorouteAvec l’adoption de la loi 2004 -13 du 1er Févier 2004, le Sénégal était devenu le pionner  de la pratique des Partenariats Public Privé (PPP) en Afrique subsaharienne. En dehors de l’Afrique du Sud, seule l’Ile Maurice pouvait se prévaloir d’avoir adopté, dans la même année,  un dispositif juridique relatif aux PPP (PPP Act No. 37 of 2004). A titre de comparaison, il faut rappeler que l’Ordonnance sur les Contrats de Partenariat n’a été prise, en France, qu’au mois de Juin de l’année 2004, soit plusieurs mois après l’adoption de la loi sénégalaise.

Le dispositif  juridique et institutionnel mis en place en 2004 au Sénégal  a donc inspiré plusieurs pays africains de la sous-région. En effet, entre 2008 et 2012, l’Agence pour la Promotion des Investissements et des Grands Travaux (APIX), chargée de la mise en œuvre de la loi,  a reçu plusieurs délégations africaines venant de différents pays du continent, pour s’inspirer de l’expérience sénégalaise.

Il faut souligner que les PPP sont devenus, aujourd’hui, une mode et une pratique qui se sont propagées à travers toute l’Afrique. A titre d’exemple, le Cap Vert s’est doté d’une loi PPP en 2010, Le Nigeria, le Niger et l’Angola en 2011, la Cote d’Ivoire en 2012, le Kenya et le Burkina Faso en 2013 et le Maroc en 2014 . Il est à noter que le Mali et la Gambie envisagent la même démarche. Même les institutions financières internationales telles que la Banque Africaine de Développement (BAD) et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) ont mis en place des instruments pour la promotion des PPP. La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) sont engagés dans le processus d’élaboration de directives et règlements destinés à  une meilleure harmonisation de la règlementation sous régionale en matière de PPP.

En effet, ce besoin d’harmonisation du cadre juridique au plan régional est d’autant plus urgent que le concept même de PPP suscite beaucoup d’engouement et  d’intérêt, mais également  de controverses. D’ailleurs, certains de ses détracteurs définissent désormais l’acronyme PPP  comme signifiant Problèmes, Problèmes, Problèmes.

Bref rappel historique

Pour une bonne compréhension du concept de PPP, il n’est pas sans intérêt de faire un petit rappel historique. Le Sénégal possède une vielle tradition des partenariats public privé, puisqu’en effet  le premier contrat PPP serait conclu le  21 Mai 1888 à St Louis (alors capitale de l’Afrique Occidentale Française) et portait sur un service de transport par bateau à vapeur entre Dakar et Gorée. Dans les années 90, plusieurs contrats PPP, notamment dans le secteur de l’eau et de l’électricité, ont été signés au Sénégal et dans plusieurs pays en Afrique.  En France, la pratique des PPP date de plusieurs siècles, soit  depuis les premiers textes sur le service public publiés entre 1270 à 1789 (Voir, à cet égard, Xavier Bezancon, dans Une Approche Historique des PPP). Du point de vue juridique, ces textes  concernaient essentiellement le contrat de concession ou de délégation de service public. Toutefois, la fin des années 90 allait voir cette pratique évoluer pour donner naissance à de nouvelles formes de partenariats publics privés, notamment les Private Finance Initiative (PFI) en Grande Bretagne  ou les contrats de partenariat en France.

Sur la typologie des PPP

Ce bref rappel historique avait pour objectif de différencier les deux grandes familles de PPP. D’une part, les PPP de type concessif qui comprennent les délégations de services publics, les contrats d’affermage, les concessions (BOT, BOO, BOOT…) et, d’autres part, les PPP à paiements publics. Les  principales différences entre ces deux familles de PPP tiennent  (i) au partage des risques et des responsabilités, et (ii) à la source de rémunération de l’operateur privé (paiement public sous forme de loyer ou péage des usagers).

Au Sénégal, cette différenciation qui, pourtant, est clairement établie dans la règlementation, est encore la source de plusieurs confusions. Il faut ,en effet ,rappeler les PPP sont  régis par deux régimes juridiques distincts.  Les PPP de type concessif sont codifiés et relèvent du code des marchés publics, alors que les PPP à paiement public sont, désormais, régis par la loi 2014.09 du 20 février 2014 relative aux contrats de partenariat, entrée en vigueur .

En réalité,  cette loi de 2014,  abusivement qualifiée de loi PPP, couvre uniquement les contrats de partenariat et non les contrats de type concessif. Ce qui ajoute à la confusion, c’est que cette loi est, paradoxalement, venue abroger et remplacer la loi de 2004 dont l’objet portait principalement sur les PPP de type concessif.  Le choix de faire abroger la loi 2004 par la loi de 2014,  alors même que les deux textes pouvaient cohabiter et se compléter moyennant une petite mise en cohérence, est peut être à l’origine de ce manque de clarté dans la règlementation actuelle des PPP au Sénégal.

En vérité, la loi sénégalaise de 2014 s’est peut être trop inspirée de l’expérience française et de l’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les Contrats de Partenariat. Il est vrai qu’en France, le concept de PPP, du reste très controversé, est généralement assimilé aux contrats de partenariat. 

A cet égard, il est intéressant de souligner que la Cote d’Ivoire a, pour sa part,  choisi une option qui suscite moins de controverse dans la définition des concepts. Pourtant, ironie de l’histoire, c’est en 2011 que la Cote d’Ivoire est venue s’inspirer de l’expérience sénégalaise en matière de cadre juridique et institutionnel des PPP. En effet, le décret ivoirien de 2012.1151 du 19 Décembre 2012 relatif aux Contrats PPP en Cote d’Ivoire  a une portée plus large et couvre toutes les formes de PPP, y compris les contrats de partenariats et les contrats de concession. Un tel choix présente l’avantage de la clarté pour les praticiens.

Sur le  dispositif institutionnel des PPP

La création du Conseil National d’Appui aux PPP (CNAPPP) est, assurément, une avancée majeure du dispositif institutionnel des PPP au Sénégal, même si, un an après  la réforme,  le décret d’application portant organisation et fonctionnement de cet organe n’est toujours pas publié.  Depuis, 2005, à la suite de l’étude Chemonics sur les potentialités de PPP au Sénégal, il avait été convenu de mettre en place une unité PPP ou  « PPP Unit » pour développer une politique de partenariat à grande échelle, à l’instar des  pays du monde où les PPP se sont développés avec succès. 

Force est cependant de constater que le cadre institutionnel au Sénégal présente encore des insuffisances qui ne favorisent pas le développement des PPP au Sénégal. La cohabitation de deux dispositifs juridiques fait que la régulation des procédures de passations des contrats PPP relève de différentes compétences. Les PPP de type concessif tombent  sous le régime des marchés publics donc sous la responsabilité de la DCMP (contrôle à priori) et de l’ARMP (contrôle à posteriori) alors que les contrats de partenariat sont assujettis à la régulation du CNAPPP (contrôle à priori)  et du Conseil des Infrastructures  (contrôle à posteriori).

Il est vrai que le Sénégal a été  précurseur dans le domaine des PPP en Afrique. Cependant, entre 2004 et 2014, trois (03) contrats PPP seulement ont été effectivement signés et mis en œuvre. Ils concernent les projets relatifs  à l’autoroute à péage, la charge à l’essieu et le contrat Construction Exploitions et Transfert (CET) de Sindia. Par contre, au mois de Septembre dernier,   le Comité National de Pilotage des Partenariats Public-Privé (CNP-PPP) de la Cote d’Ivoire, faisant le bilan deux ans après la reforme, a révélé un portefeuille de 127 PPP dont 16 déjà signés et en phase d’exécution, 80 en préparation et 31 en transaction (appels d’offres et négociations entamés).  Le retard du Sénégal, pourtant pionnier dans le domaine, est donc très préoccupant, voire alarmant.

Il est donc urgent de mettre en place au Sénégal un dispositif juridique harmonisé et commun à toutes les formes de PPP. Ce dispositif devra s’appuyer sur un cadre institutionnel distinct du régime des marchés publics. Le Conseil des Infrastructures, dans sa composition et compte tenu de son expérience, offre toutes les garanties pour pleinement jouer ce rôle de régulation des contrats PPP. Cependant, son autonomie budgétaire doit être renforcée. Dans le même ordre d’idée,  l’ancrage institutionnel de l’unité PPP (CNAPPP) n’offre pas aujourd’hui des garanties de pérennité et devrait  faire l’objet d’un repositionnement.  En somme, il faut ériger les PPP en politique de financement avec une stratégie globale et de long terme. 

Abdou Salam DIAW

Expert PPP au sein de l'Agence de Promotion des Investissement du Sénégal – APIX.

Loss of competitiveness in the Waemu: do not blame just the CFA

waemuTwo very different monetary zones, yet linked through currency

There are three “Franc zones” stemming from colonization and sharing one (though not interchangeable) currency, the CFA Franc: the WAEMU (West African Economic and Monetary Union), the CEMAC (Economic and Monetary Community of Central Africa, or EMCCA) and the Union of the Comoros. This currency has evolved in a fixed parity regime with the French Franc from 1959 (1981 for the Comoros) to 1999 before being pegged to the Euro.

This fixed parity aimed at ensuring macroeconomic stability, reducing risks of exchange rate crises, importing policy credibility and promoting intra-zone trade. It was deemed adequate given that the Eurozone is the main trading partner. Nevertheless, both monetary areas are not only suboptimal with regard to Mundell’s criteria, but are also very different from one another, as the Eurozone consists of industrialized countries and the CFA Franc is used in low-income economies. This potentially induces incompatibility of monetary policies, and therefore an inadequate policy stance in the Franc zone. The inflation target in the eurozone is 2 percent, acceptable for a group of industrialized economies, but less desirable for the Franc zone whose target of 3 percent is costly in terms of growth. Studies have clearly shown that inflation levels of developing countries between 7% and 11% stimulate production, against 2% to 3% in developed economies. However, the main goal of the three Franc zone central banks is to fight inflation with tools adapted to an inflation of monetary causes in a zone where real factors dominate: climate hazards impacting countries still very reliant on agriculture, an increase in energy prices (notably oil) and inflation imported from the Eurozone. Despite these factors, they maintain the 3% target while trying to support local economic activity.

The immediate explanation of currency overvaluation

A common challenge to all monetary zones is convergence among its economies. In the Eurozone, this convergence is still a slow on-going process—marked by diverging competitiveness, labor market trends, and external balances.[i] Within the Franc zone, a few groups of countries emerge. CEMAC economies experience trade surpluses thanks to oil exports. This similarity of production structures allows for a convergence of CEMAC members’ external trade, measured by the standard deviation of their current accounts weighted by their real GDP.[ii] In the WAEMU, Côte d’Ivoire (the largest economy) displays significant trade surpluses while other countries experience deficits, such as Senegal, often considered another WAEMU economic power.

Critics estimate that the strong level of the Euro against the US dollar is responsible for an overvalued CFA Franc that penalizes the zone’s export competitiveness. The question is whether this loss of competitiveness is simply due to the CFA Franc level, or whether other factors can be identified.

Economies with little diversification and very exposed to international competition

WAEMU global competitiveness, measured by the real effective exchange rate, has deteriorated over the 2002 – 2011 period by about 5 percent according to the BCEAO. In 2012, it improved with a decrease of 3% of the real effective exchange rate and inflation lower than its partners’. WAEMU countries are mainly commodity exporters. Between 2000 and 2004, oil, cotton, cacao, gold and precious metals represented 50% of exports and rose to 60% in the 2005 – 2011 period. In 2012, these countries recorded increasing export rates, due to the dynamism of extractive industries, with the exception of Senegal and Guinea-Bissau that lost respectively 0.2% and 1.4% in 2012 compared to 2011. The zone as a whole gained 2.1% over the period 2002 – 2011 and an additional 1.1% in 2012. On the other hand, the penetration rate for foreign enterprises progressed by 1.2% between 2001 and 2011, and an additional 3.8% from 2011 to 2012, which translates into a decrease of domestic companies’ market share, and thus a net loss of competitiveness. At the level of individual countries, foreign penetration rates increased by 11.3% in Burkina Faso between 2001 – 2011, 14.7% in Niger and 8.7% in Togo.[iii] In addition, imports are generally finished equipment and consumption products with a strong added value. Individual countries’ deficits suggest that imports outweigh competitiveness gains.

High costs of factors of production and an unfavorable business climate

Over the period 2001 – 2011, the steady increase in world oil prices strongly disadvantaged local producers. This caused a generalized price increase in oil products within the WAEMU and therefore a cumulated growth of energy prices of 33.4% in Côte d’Ivoire and 91.5% in Senegal over the same period, the weakest prices being in Benin. Different price levels among countries are chiefly due to differing tax levels. Electricity and transportation costs have equally risen. Fuel oil, used as intermediate consumption in thermal electricity production, leading to an increase of electricity rates of an approximate average of 100 FCFA.

Labor and financing costs also rose substantially. While remaining stable in Côte d’Ivoire and Senegal, minimum interprofessional wages went up by 26.5% in Benin, 50% in Niger and even 103.5% in Togo. Higher costs of factors of production have strongly deteriorated local companies’ competitiveness.

The unfavorable business climate to these higher costs. The World Bank’s 2014 Doing Business ranking, based upon the ease of doing business in a country, issues a severe judgment for the WAEMU and the Franc zone generally. First among these countries, Burkina Faso is ranked 154th, just before Mali (155th) and Togo (157th). Côte d’Ivoire, the regional export champion, is only 167th, Senegal 178th and the Central African Republic and Chad come last, respectively 188th and 189th.

What policies for the future? Budgetary rigor, economic diversification and… federalism ?

Competitiveness could be restored with budgetary restraint measures aiming at minimizing situations of twin deficits in the long run. This may be difficult to conciliate with economic development imperatives, and may come at a cost for public as well as private investment, in countries that have paid the costs of structural adjustments in the past. More reforms at the regional level will be needed to ensure convergence among economies. As mentioned before and alike the Eurozone, the WAEMU is far from being an optimal currency area due to its exposure to idiosyncratic shocks and low mobility of capital and labour. The BCEAO has admittedly decided to reduce banking transaction costs in the whole zone, but federalism is certainly not underway. The WAEMU has undertaken a number of initiatives in favour of greater market integration in labour, agricultural and manufactured goods, energy and oil products, but in the end decisions are still taken at the national level, thus perpetuating an intra-zone segmentation that limits the competitiveness of local companies and delays convergence among countries. But dismantling trade barriers, especially non-tariff ones, would improve efficiency of investments as well as circulation of talents, knowledge and goods. This integration, coupled with efforts in broadening the tax base (an IMF recommendation for the EU also applicable to the WAEMU), could provide local political and economic institutions with greater means to finally stimulate the emergence of a real common industrial setting and diversify their economies in order to improve resilience to idiosyncratic shocks. This seems all the more desirable as the openness of local economies weakens local enterprises, very exposed to international competition, yet still lacking the capacities to produce needed equipment goods. Finally, even if the fixed pegging to the Euro remains an important factor of stability and credibility given the weaknesses of African economies and their persistently strong ties with the Eurozone, the question of abandoning this monetary regime may be raised more seriously in the nearby future, especially in view of increasing trade relations with Asia, and China in particular.

Koffi Zougbede and Victor Valido Vilela


[i] (OCDE, estimations Coe-Rexecode, D. Ordonez, 2013)

[ii] Lessoua, Albert & Sokic, Alexandre, “Union monétaire et compétitivité comparée : les cas de la zone euro et de la zone CFA”, Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, 2012

[iii] Rapport sur la compétitivité des économies de l’UEMOA en 2001-2011 et 2012

Rencontr’Afrique avec Ndongo Samba Sylla : l’Afrique est-elle condamnée à la pauvreté ?

10403564_866589696695482_7237605275269175726_nLa Rencontr’Afrique organisée le 13 Décembre 2014 par le bureau ADI basé à Dakar, a connu la participation du Dr Ndongo Samba Sylla, Economiste de Développement et Chargé de programmes au bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des échanges offerts par L’Afrique des Idées pour permettre à des personnalités ayant un profil intéressant pour  l’Afrique de partager leur expertise, et d’échanger sur leurs visions du continent. C’est dans cet ordre d’idées que Dr Ndongo a entretenu son auditoire autour du thème « Pour une autre Afrique : Eléments de réflexion pour sortir de l’impasse ». A en croire le conférencier, l’Afrique est, une nouvelle fois encore, mal partie.

L’émergence économique de l’Afrique : Mythes ou Réalités ?

Il y a plusieurs arguments qui militent aujourd’hui en faveur de la croissance rapide et conséquente des économies africaines. L’Afrique disposerait en effet à l’heure actuelle du potentiel économique le plus important. Sa croissance démographique soutenue et le pouvoir d’achat croissant de sa population en sont des arguments notoires. De plus, dans les chiffres cités par Dr Ndongo, on peut noter que le continent africain concentrerait environ 60 % des terres arables non cultivées du monde. Le même continent aurait aussi une classe moyenne en termes démographiques proche de celle de la Chine et de l’Inde (elle est passée de 115 millions en 1980 à 313 millions en 2010). Sur la décennie 2000-2010, l’analyse révèle que le taux de croissance annuelle moyen du PIB a dépassé les 08 % pour 06 pays africains (dont Guinée Equatoriale 14.8 % ; Tchad 10.7 % ) et les 04 % pour 30 pays (dont Angola 11.3 %, Ethiopie 8.4 %, Rwanda 8 %, Ouganda 7.4 %, Burkina Faso (6%), etc).

Malgré cette bonne performance économique, il faut cependant noter que la dynamique de croissance en Afrique est loin d’être uniforme, ce qui rend justement la progression du PIB très volatile. De plus, les sorties illicites de capitaux ont augmenté durant la dernière décennie, notamment dans les pays exportateurs de pétrole. Sur la période 2005 – 2010, le conférencier souligne qu’au moins 205 milliards de dollars auraient été perdus par le continent. Ce qui représente le quart de la valeur estimée des flux financiers illicites entre 1970 et 2010. Dans la mesure où les secteurs porteurs de la croissance en Afrique sont de plus en plus la propriété d’étrangers ou sous gestion étrangère, le PIB va être beaucoup plus important que le Revenu National Brut (RNB). Ainsi, les nationaux des Pays les Moins Avancés (PMA) vont recevoir en réalité peu des bénéfices générés par le commerce international. Le commerce inter et intra-industriel qui est mis en œuvre peut ressembler à un commerce entre  des nations riches et des nations pauvres. Mais en réalité, Dr Ndongo Sylla fait remarquer que ce commerce est mené entre des nations riches et d’autres nationaux de pays riches qui opèrent en Afrique.

Par ailleurs, il apparait pour le conférencier que les revenus primaires de l’IDE ont représenté la composante la plus importante des paiements de revenus effectués par les économies africaines en direction du reste du monde. En prenant l’année 2010 par exemple, cette part s’est située entre 49% et 98% pour 26 pays sur un total de 37 pays pour lesquels des données existent. C’est le cas notamment des principales puissances économiques africaines telles que l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte, l’Angola, l’Algérie, etc. Le taux de profit des IDE a doublé durant la décennie 2000-2010, passant de 6 % à 12 %. De façon désagrégée et considérant toujours la période 2000-2010, 24 pays africains sur 40 pour lesquels des données existent ont connu  des taux de profits moyens de l’IDE supérieurs à 7 %. Le même taux avoisinait 77 % au Botswana, 51 % au Lesotho comme en Algérie et 36 % au Mali comme en Angola. Autrement dit, un investissement direct étranger de 100$ au Botswana rapporte, toutes choses étant égales par ailleurs, 77$ à son propriétaire. 100$ rentrent donc dans l’économie botswanaise, et 77$ en sortent. C’est dire qu’une partie non négligeable de la richesse créée sort de l’économie botswanaise. Cet exemple montre comment la croissance économique peut être forte en Afrique sans pour autant que les populations ne le ressentent dans leur quotidien. La thèse de l’émergence doit donc être revisitée pour lui donner un contenu nouveau plus adapté aux réalités africaines. Dr Ndongo Sylla s’interroge notamment sur le coût de la croissance économique pour les Africains ainsi que sur ses véritables bénéficiaires.

Le commerce équitable : Véritable scandale ?

Cette Rencontr’Afrique a connu également un partage d’idées sur le concept du commerce équitable. Celui-ci est définit comme étant un système d'échanges dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Sa démarche consiste à assurer une juste rémunération à des producteurs des pays pauvres afin qu’ils puissent développer leur activité à long terme et améliorer ainsi leur niveau de vie. Ayant eu l’opportunité de travailler en 2010 au sein du mouvement du commerce équitable/Max Havelaar dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, Dr Ndongo Sylla s’est tout particulièrement intéressé à ce commerce en se demandant principalement dans quelle mesure le commerce équitable est une réponse satisfaisante à la question de l’échange inégal. Son livre intitulé « Scandale du Commerce Equitable » fait autorité dans ce débat. En étudiant le modèle économique du commerce équitable Max Havelaar, le conférencier a montré, in fine, que ce commerce ne cible pas en réalité les producteurs les plus pauvres, ni les plus dépendants de l’exportation des produits primaires tels que le cacao ou le café. De plus, selon lui, la logique marketing a été poussée un peu trop loin.

Regard sur les Accords de Partenariat Economique (APE)

En juillet 2014, après une décennie de négociations, les chefs de l’Etat des quinze pays membres de la CEDEAO ont 

accepté de « parapher » les APE avec l’Union Européenne (UE). La « signature » aura lieu après leur ratification dans chaque pays membre. Ces accords prévoient une libéralisation progressive sur vingt ans (2015-2035) des importations des pays de la région à hauteur de 75%. Pour compenser les pertes de recettes fiscales qui vont s’ensuivre, l’Union Européenne a prévu pour la période 2015-2020 la mise en place d’un PAPED – programme des APE pour le développement – d’un montant de 6,5 milliards d’euros.

10374434_866589563362162_5231695328429590160_nPour Dr Ndongo Samba SYLLA, les APE sont une perte de temps et d’énergie. En effet, La plupart des études d’impact souligne des conséquences négatives du point de vue des recettes fiscales, de la balance des paiements, de la création d’emplois et de la croissance économique. Dans son argumentaire, le conférencier considère que les APE constituent une forme de confiscation de souveraineté dans la mesure où ils privent les pays africains de recourir aux politiques qui ont permis l’industrialisation des pays occidentaux. En outre, il fait remarquer que négocier des APE avec l’UE, première puissance commerciale mondiale, n’est pas pertinent pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. La raison en est que sur les 16 pays qui composent cette région, 12 sont classés parmi les PMA. Et Comme les PMA ne sont pas obligés de signer les APE, il paraît ainsi disproportionné de la part de l’UE de vouloir traiter ces PMA sur le même registre que les quatre autres pays classés parmi les « pays en développement ». D’un autre coté, la libéralisation des importations de la région risque d’anéantir les efforts déployés jusqu’ici pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, pour transformer localement les matières premières locales, et pour amorcer le développement d’un tissu industriel.

Par ailleurs, en demandant l’application de la clause de la Nation la plus favorisée, l’UE pourrait aller à l’encontre de la stratégie des pays africains de diversifier leurs partenaires commerciaux. Pour le conférencier, les APE sont perçus comme d’autant plus asymétriques et inéquitables qu’ils occultent la question de la libre circulation des personnes.

Carmen Thiburs Agbahoungbata

L’illusion de l’entrepreneuriat en Afrique

youth_ict_1Dans une Afrique où 60% des chômeurs ont moins de 25 ans,[1] l’entrepreneuriat est devenu la panacée, la solution miracle privilégiée par les décideurs politiques et par les jeunes eux-mêmes. Cet engouement pour l’entrepreneuriat se manifeste à travers les innombrables programmes gouvernementaux en soutien à l’entrepreneuriat des jeunes (25% des projets y sont consacrés)[2], et aussi à travers le désir des jeunes chômeurs de créer leurs propres entreprises (35% des chômeurs envisagent de créer leur propre entreprise)[3]. Cet engouement correspond-t-il à la réalité de l’entrepreneuriat ? L’Afrique serait-elle une exception à cette réalité ? Existe-t-il des voies alternatives à l’emploi des jeunes en Afrique ? Cet article se propose d’ouvrir le débat sur ces questions.

La réalité de l’entrepreneuriat dans le Monde

Parler des limites de l’entrepreneuriat en Afrique fait tout de suite référence aux problématiques d’accès au financement. Il serait donc plus pertinent de commencer par examiner les performances des entrepreneurs dans d’autres régions du Monde où l’accès au financement et la bureaucratie sont plus favorables. A cet effet, les Etats-Unis d’Amérique seraient le bon cadre d’analyse puisque c’est dans cette fédération que l’on retrouve les startups qui ont eu le plus de succès au cours des 20 dernières années (Google, Amazon, Facebook, Apple). Or c’est justement dans cette région du Monde que les statistiques les plus récentes montrent un taux d’échec allant jusqu’à 50% des nouveaux startups.

Selon le graphique ci-dessous, seuls 50% des nouvelles startups ont pu réaliser un chiffre d’affaire six années après leur création. Celles qui ont réussi ne réalisent pas non plus des chiffres d’affaires importants. Ainsi, elles sont moins de 1% à pouvoir réaliser plus de 5 millions de dollars US de chiffre d’affaires six années après leur création. Cette distribution des chances de succès d’une startup est similaire à celle de la loterie : très peu de gagnants à l’exception de quelques chanceux. Tout se passe comme si seulement 1% des startups auront la chance de devenir de grandes entreprises, et cela dans un environnement où il existe très peu d’obstacles à l’entrepreneuriat.

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Source: Shane (2009). Donnees US Census Bureau

On peut toutefois arguer que des entreprises ayant six ans n’ont pas encore atteint leur maturité et qu’il serait possible qu’elles réussissent plus tard. Cette hypothèse est largement remise en cause par une autre étude portant sur la valeur des capitaux propres de 22 000 startups créées entre 1987 et 2008 aux Etats-Unis (graphique 2 ci-dessous). Il en ressort clairement que ¾ de ces entreprises n’ont aucune valeur boursière de nombreuses années après leur création. Là encore, seulement quelques-unes, moins de 1%, parviennent à avoir une valeur boursière supérieure à 500 millions de dollars US. Il ne s’agit donc pas d’un biais lié au manque de recul : la réalité de l’entrepreneuriat est qu’à peine 1% des startups deviennent des grandes entreprises. La perception générale que l’on a de l’entrepreneuriat est largement biaisée par le fait que seuls les « success stories » sont présentées au grand public, occultant ainsi le plus grand nombre dont font partie les perdants, exactement comme dans le cas d’une loterie.

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Source: Hall and Woodward (2010). Donnees Stand Hills Econometrics

Jouer à la « loterie » de l’entrepreneuriat en soi n’est pas une mauvaise chose. Ce qui est dommageable, c’est l’illusion qu’elle donne à des centaines de milliers de chômeurs en quête d’emplois que leur avenir se trouve dans la création d’une entreprise. D’ailleurs, même du point de vue des revenus, un salarié est en moyenne plus riche qu’un entrepreneur.[4] Il existe certes des entrepreneurs multimillionnaires ; mais ils sont tellement rares que choisir d’être salarié garantit un revenu moyen supérieur à celui d’un entrepreneur moyen. Qu’est-ce qui pourrait donc faire la différence en Afrique pour que l’entrepreneuriat soit la solution contre le chômage des jeunes ?

L’Afrique serait-elle une exception ?

L’une des spécificités de l’Afrique est que la marge extensive de l’entrepreneuriat, celle qui englobe les activités économiques traditionnelles, est encore tout aussi importante que la marge intensive, i.e. celle qui regroupe les innovations. Cette importance de la marge extensive est liée à l’émergence graduelle d’une classe moyenne en Afrique avec des besoins nouveaux biens et services de grande consommation. Or, les technologies nécessaires à la production de ces biens et services ont déjà été développées dans les pays industrialisés et représentent l’activité de grands groupes industriels, que ce soit dans les domaines de l’agroalimentaire, des télécommunications, des transports, des services financiers etc. Dès lors, il y a peu de chance pour un entrepreneur local de réussir dans ces secteurs émergents en dehors de tout protectionnisme étatique.

C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la plupart des économies africaines, où les grandes surfaces ne sont pas l’émanation d’une fusion entre les boutiquiers du quartier, mais plutôt l’affaire des grands enseignes multinationales. Il en est de même dans les secteurs d’activités traditionnelles telles que les transports, l’énergie et le numérique. Certes, les multinationales qui investiront dans les secteurs d’activités traditionnelles vont participer à la création d’emplois. Toutefois, les nouveaux emplois ne suffiront pas pour combler les emplois détruits pour la simple raison que ces multinationales disposent de technologies de production très efficaces qui requièrent moins de main d’œuvre pour les mêmes niveaux de production.

Ce n’est d’ailleurs pas dans les secteurs traditionnels que l’on retrouve les jeunes entrepreneurs. Plutôt, ils s’investissent dans la marge intensive de l’entrepreneuriat. C’est ainsi que la plupart se retrouve avec des projets sur le numérique et les énergies renouvelables. Or, c’est justement à cette marge que s’applique les conclusions issues des études présentées ci-dessus sur les performances de l’entrepreneuriat dans les pays développés. Cette marge fait appel à de l’innovation, qui est par nature incertaine. Les services numériques ou d’accès à l’énergie apportés sur le marché ne vont pas nécessairement trouver de débouchés. C’est ce qui explique les taux d’échecs aussi élevés constatés aux Etats-Unis. Avant que Facebook n’émerge, il y a eu de nombreux réseaux sociaux similaires qui ont tenté en vain la même aventure. Il en est de même pour tous les autres services innovants dont les stars font aujourd’hui l’actualité dans les médias.

En Afrique, nous ne disposons pas encore de recul pour évaluer l’impact des nombreux incubateurs qui hébergent tous ces entrepreneurs qui veulent aussi tenter leur chance à cette loterie. Il n’y a cependant pas de raisons pour que l’Afrique offre des conditions de réussite plus favorables que celles qui existent déjà dans les pays développés ; bien au contraire les difficultés d’accès au financement et la bureaucratie restent encore des obstacles persistants sur le chemin de l’entrepreneur Africain. Face à cette impasse, existe-t-il d’autres voies vers l’emploi des jeunes en Afrique ?

Les voies de l’emploi en Afrique

D’emblée, il n’existe pas de solution miracle. On peut néanmoins s’inspirer des exemples des pays actuellement développés comme la France ou les Etats-Unis pour mieux identifier, s’ils existent, les leviers sur lesquels les Etats Africains peuvent agir pour promouvoir l’emploi des jeunes. D’abord, il faut commencer par imaginer ce que serait les employés des groupes français Renault ou Peugeot si ces entreprises de production automobile n’avaient pas été créées en France. Ensuite, il faut faire le même exercice pour chacun des grands groupes industriels français, que ce soit les chantiers navals, Airbus, la SNCF, etc. Typiquement, un seul contrat de construction d’un navire mobilise des milliers de salariés pendant dix ans, sans compter tous les sous-traitants. Il suffit d’en avoir 4 pour garantir un emploi à vie à ces milliers de salariés. Par conséquent, la solution à l’emploi des jeunes se déduit naturellement : elle s’appelle l’industrialisation.

Il s’agit là d’une solution qui se passe de démonstration. Mais c’est dans la manière dont on s’industrialise que se trouve l’originalité de l’approche que nous proposons. En effet, l’une des propositions phares pour l’industrialisation de l’Afrique est l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales.[5] Si les chaînes de valeurs mondiales peuvent être une solution, encore faudrait-il les identifier et pouvoir s’y insérer. L’imperfection de cette solution se trouve dans les difficultés de coordination entre des agents extérieurs au continent africain et ceux qui y sont présents. Pour cela, l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales ne se décrète pas, mais elle s’accomplit d’elle même lorsqu’une économie nationale présente des avantages comparatifs dans la production de certains biens et services intermédiaires ; ce qui n’est pas encore le cas dans la plupart des économies africaines. Un récent rapport du Center of Global Development montrait d’ailleurs que le coût de la main d’œuvre est plus cher en Afrique que dans des économies comparables.[6]

Les voies de l’emploi en Afrique se trouvent donc dans le développement d’un marché local mettant en concurrence des industries locales. Un exemple concret d’une telle stratégie consiste à attribuer les marchés publics à des entreprises locales mise en concurrence effective, car c’est cette dernière qui garantit que chaque entreprise fasse de son mieux pour s’approprier les dernières technologies afin d’être plus compétitive. C’est ce qui se fait partout ailleurs, notamment aux Etats-Unis, en Chine, et dans une certaine mesure en Europe. Une autre solution consisterait à inciter à la fusion entre des entreprises du secteur informel en contrepartie d’un accès subventionné aux financements privés. Ce qui peut permettre à ce dernier bastion des jeunes chômeurs africains de se mettre à l’abri de la vague de multinationales qui se déferlera sur le continent, attirée par l’émergence des classes moyennes et à la recherche de nouvelles sources de croissance. Ces solutions ne suffiront pas à elles seules à donner de l'emploi aux millions de jeunes chômeurs africains mais elles auront le mérite d'aller dans le bon sens de la lutte contre une situation qui menace la paix sociale dans les nations africaines.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Chiffres 2009 du BIT cité dans les perspectives économiques en Afrique 2012 : http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/thematique/youth_employment/

[2] Résultats d’enquête auprès des experts pays des perspectives économiques en Afrique (2012).

[3] Données issues des sondages Gallup World Poll (2010).

[4] Données du Bureau des Statistiques du Danemark portant sur l’ensemble de la population danoise.

[5] Le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2014 discutait déjà de ce sujet comme le moyen par lequel l’Afrique peut s’industrialiser.

[6] Gelb et al. 2013. « Does poor means cheap ? A comparative look at Africa’s industrial labor costs » Working Paper N° 325, Center of Global Development.

Quelle contribution des femmes africaines au développement du continent ?

cristina1Femme et africaine : un héritage social et économique de mauvais augure au regard des représentations culturelles, des réalités sociologiques et des pratiques discriminatoires en vigueur sur le marché du travail ou du capital ; pourtant les travaux[1] démontrant que l’égalité des sexes est un des piliers du développement économique de l’Afrique se multiplient.

Dans l’étude Women in Africa publiée en 2013, l’OCDE estimait que les femmes constituent 70% de la main d’œuvre agricole du continent et concourraient à la production de 90% des denrées alimentaires.  En outre, se plaçant au-delà de la moyenne recensée dans toutes les autres régions constituant l’OCDE,  les femmes africaines produisent 61,9% des biens économiques. Cette production majoritairement informelle, agricole et non salariée donne lieu à une segmentation du marché du travail africain et à une sous-représentation record des femmes dans le salariat et le secteur non agricole (8,5% à l’échelle du continent). Ce constat est d’autant plus alarmant que la tertiarisation de l’économie africaine – reposant sur l’essor des secteurs du numérique, des télécoms ou des services financiers – pourrait conduire à un phénomène de progrès technologique biaisé[2] en défaveur des femmes peu investies en capital humain.

Les barrières à l’entrée sur le marché du travail dont souffrent les femmes sont de plusieurs natures et ont déjà été analysées au prisme de la morale, de la culture ou des droits fondamentaux. Toutefois, force est de constater que par-delà ces considérations légitimes et incontestables ; l’Afrique n’a également aucun intérêt économique à se passer de la compétence de plus de la moitié de sa population dans les secteurs secondaires et tertiaires. Une défaillance des institutions et du marché peut contribuer à expliquer l’éviction nuisible des femmes dans les secteurs secondaire et tertiaire.

Le présent article proposera d’abord un panorama du cadre institutionnel régissant l’activité économique des femmes en Afrique, en revenant sur les mesures entreprises pour l’améliorer ; puis discutera les limites de ces politiques publiques et les perspectives d’évolution.

Qualifiées ou non, les femmes africaines contribuent à la croissance du continent malgré de nombreux obstacles structurels 

La plupart des études montrent que les échanges internationaux ont un impact négatif mais faible sur l’emploi. Ce solde négatif se concentre principalement sur les emplois les moins qualifiés, majoritairement occupés par les femmes en Afrique. A titre d’exemple, d’après l’INSEE en 2011, les échanges industriels de la France avec les PED ont abouti à un déficit de 330 000 emplois. Sans investissement urgent dans la main d’œuvre féminine peu qualifiée, les Etats africains risquent donc de voir croître le taux de chômage alors même que le volume d’investissement dans les secteurs porteurs de croissance augmente. L’éviction des femmes non qualifiées sur le marché du travail formel ne se traduit pourtant pas par une inactivité totale mais donne lieu à un renforcement du marché informel qui s’accompagne parfois de succès sur le long terme comme le montre l’exemple des « Nana Benz » togolaises ayant fait fortune dans le commerce informel des tissus wax de la période coloniale aux années 2000[3].

Concernant les femmes qualifiées, les barrières sont majoritairement d’ordre institutionnel et juridique. En effet, le code familial en vigueur dans plusieurs Etats africains génère des distorsions économiques nuisibles à l’efficacité des marchés en limitant la répartition équitable des parts d’héritage entre descendants féminins et masculins lors des successions ou en restreignant l’accès des femmes au crédit bancaire. En outre, l’iniquité des droits de propriété foncière constitue une entrave à l’entrepreneuriat des femmes et évince un grand nombre d’entre elles des différents marchés. L’imperfection du marché du travail et le faible accès à l’offre de capital génèrent une asymétrie entre les femmes et les structures demandeuses de main d’œuvre en mesure de fixer des salaires nominaux dérisoires. Pour faire face à cela, les entreprises de micro-crédit se sont développées à destination des populations les plus vulnérables et les plus éloignées du secteur bancaire comme le démontre la chercheuse Annelise Sery dans Le micro-crédit : l’empowerment des femmes ivoiriennes.

Réfondre le cadre institutionnel de l’activité économique des femmes africaines

Conscients du danger que constitue l’éviction des femmes, plusieurs Etats Africains ont initié un débat sur la parité. Ainsi, le 14 mai 2010, l’Assemblée nationale sénégalaise adoptait-elle une loi de parité homme-femme dans les listes électorales dans un pays où les femmes représentent 52% de la population. Cette nouvelle donne électorale devrait permettre une refonte du code familial. Par ailleurs, au Maroc dont la Constitution de 2011 s’engage à lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe, la ville de Marrakech a abrité au mois de novembre 2014 le Global Entrepreneurship Summit visant particulièrement à promouvoir les activités économiques régionales et locales des femmes.  En effet, si ce  pays est actuellement  un moteur de la croissance africaine ; la participation des femmes à l’économie avait pourtant drastiquement chuté de 30% en 1999 à 25% en 2012[4]. L’article 19 de la Constitution marocaine de 2011 n’a certes pas supprimé les inégalités économiques mais a contribué à mettre en lumière le débat sur la parité, qui s’est notamment institutionnalisé avec la création de la Haute Autorité de la Parité.

Enfin, le développement du micro-crédit  doit être  développé et encadré afin de permettre l’essor d’une protoindustrie permettant aux mères de famille de travailler à domicile, tout en entraînant  l’ensemble du système bancaire africain dans un cercle vertueux profitable tant aux actionnaires qu’aux populations vulnérables telles que les femmes. Transnationaux et échappant aux impératifs religieux et culturels limitant le droit des femmes dans les différents Etats africains, les organismes internationaux bancaires et financiers ont un rôle à jouer dans le renforcement de la participation des femmes à l’économie du continent. A ce titre les initiatives telles que celle imaginée par la Banque Africaine de Développement en octobre 2010, consistant à créer un « prix féminin de l’innovation en Afrique » ne doivent pas rester lettre morte mais donner lieu à des réalisations concrètes et volontaristes pour encourager l’entrepreneuriat féminin.

Pour l’heure, les femmes peu qualifiées sont le pilier de la production agricole en Afrique. Toutefois les perspectives de croissance et la tertiarisation des économies nationales rendent urgente la suppression des barrières l’entrée sur les marchés du travail secondaire et tertiaire auxquelles font face ces-dernières. Ainsi, une politique volontariste de refonte des codes familiaux et d’équité de l’accès au crédit bancaire doit être initiée à l’échelle du continent. Enfin, les initiatives émanant de grands organismes internationaux et visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin permettront à l’Afrique de se doter de leader femmes et d’accroître la parité au sein des milieux dirigeants.

Daphnée Sétondji


[1] Cf Women in Africa publié par le Centre du Developpement de l’OCDE.

[2] Etude de Katz et Murphy en 1992 Changes in relative wadges, 1963 -1987 : supply and demand factors

[3] Cf Travaux de Amselle en 2001.

[4]Word Bank Poverty, adjustment and growth, Royaume du Maroc 2013. 

Le mythe du péril Jaune

chine_afrique_info-afrique_com_Souvent nous entendons crier au loup lorsque l’on évoque l’arrivée massive des Chinois sur le continent africain. Voleurs de ressources, aucun transfert de technologies, racisme, xénophobie sont quelques traits de pinceaux de la toile asiatique en Afrique telle que présentée en Occident.  Au quotidien, s’il est vrai que certains de ces maux comme la question épineuse du transfert de technologie s’appuient sur des faits concrets, le reste relève souvent du pur fantasme, ou d’opérations de guerre psychologique destinées à dénigrer l’image de la Chine en Afrique et ceci non pas au profit des Africains mais d’autres partenaires. Le but de cet article est d’illustrer les incohérences de la critique occidentale envers la Chine tout en démontrant que la coopération sino-africaine pourrait être bénéfique au continent.

Les Africains devraient regarder avec ironie les occidentaux parler du pillage des ressources naturelles africaines. Dans les faits, l’Europe et l’Amérique reçoivent plus d’investissements chinois que l’Afrique au  point où la Chine a une réserve de change de 3 400 milliards de dollars, soit plus que les Etats-Unis eux mêmes, alors que l'Afrique a servi depuis les indépendances de fournisseur de matières premières pour les industries de ces continents. Si l'on considère que les africains ne parlent pas chinois et que le français et l’anglais sont les langues les plus répandues, il est évident que les entrepreneurs africains jettent leur dévolu sur les pays anglo-saxons ou la France. Ceci dit, les chinois réussissent en Afrique du fait de leur approche gagnant-gagnant. L'illusion win/win apparaît bien plus crédible avec les chinois. L’or du Congo va en Suisse sans traçabilité, le cacao ivoirien alimente les marchés belge et français avant, pendant et après les crises qu’a traversées le pays. Certains pays qui critiquent aujourd’hui la Chine font donc preuve d’une conscience sélective, qui à défaut de produire une critique pertinente, permet de révéler les dessous des guerres économiques sur le continent africain. Au Cameroun, le palais des sports a été construit par les chinois. Dans un pays où le sport et la culture étaient en crise, cet édifice à tout simplement changé le visage de la capitale et redonné un nouvel élan aux évènements pour promouvoir la culture locale et l'épanouissement de la jeunesse. La coopération sino-africaine est critiquée sur la base de plusieurs problématiques propres à presque tous les projets de coopération. Il convient donc de prendre avec beaucoup de prudence tous ces discours qui tentent de "dramatiser" l'importance de la coopération sino-africaine.

La question du racisme :  Les chinois seraient foncièrement racistes, selon leurs détracteurs. Pour comprendre cette question, il faut s’intéresser à la culture chinoise. La Chine est un pays organisé en provinces ayant chacune leurs propres réalités culturelles. Les langues y diffèrent d’une province à l’autre, au point où deux chinois parlant chacun la langue propre à leur province peuvent avoir beaucoup de difficultés à se comprendre. En outre, l’immense majorité des chinois vit encore dans des zones rurales où l'ouverture sur le reste du monde est nécessairement plus ardue. Le comportement face à l'étranger ne sera par conséquent pas le même selon le lieu de provenance du chinois. Même du point de vue ethnique, les Hang sont d'une classe sociale bien plus élevée que celle du chinois moyen. Les ouvriers et les chefs de chantiers présents en Afrique sont de deux univers différents. Les chinois qui négocient les contrats avec les Etats appartiennent essentiellement au parti au pouvoir et font partie d'une élite de "Laoban”, qui peut sembler hautaine voire raciste, et ce envers leurs compatriotes. Certes les chinois ont un comportement plus que critiquable sur le terrain envers leurs collaborateurs locaux, les insultes et les brimades sont monnaie courante. Ceci dit, le problème n'est pas propre aux chinois mais bien à la plupart des chantiers issus de la coopération et dirigés par des étrangers en Afrique. Beaucoup d'ouvriers chinois en Afrique sont en réalité des prisonniers payés au lance-pierre. La solution n'est donc pas de ne plus travailler avec les chinois, sinon il faudrait aussi cesser de travailler avec presque toute l'Union Européenne mais plutôt de réformer les conditions de travail sur les chantiers de ce type.

Le transfert de technologie : L'une des tares de la coopération entre l'Afrique et la Chine  est le manque de transfert de technologies. Les chinois ont en effet tendance à faire venir des ouvriers chinois et à conserver toute la technicité liée à l’exécution de leurs marchés. L'idée étant de créer une dépendance du pays hôte pour la maintenance du site. Le fait est que transfert de technologie ou pas, du point de vue des africains, les chinois ont une approche bien plus concrète. Des ponts et des routes, des immeubles, des hôpitaux sont rapidement construits. Les africains voient les chinois travailler sur leur terre de jour comme de nuit, dans les mêmes conditions et manger les même repas. Automatiquement des questions qui peuvent paraître centrales comme le transfert de technologie deviennent périphériques pour des raisons sociales. Les Africains passent des marchés en un mois avec les chinois, là où les pays occidentaux peuvent passer des années pour des raisons bureaucratiques. Les prêts sont accordés aux Etats africains par les banques asiatiques sur la seule base d'intérêt économique tandis que les banques occidentales ou des organisations comme la banque mondiale tentent d'imposer leur vision de la société et des droits de l'homme en échange de financement. La question du transfert de technologie pose aussi un problème avec les partenaires occidentaux. Sur les contrats gérés par des partenaires occidentaux, l'essentiel des postes à responsabilité est confié aux expatriés. Les locaux restent donc là aussi dans une position d'exécutants. Comme avec le problème du racisme où le souci  ne vient pas uniquement des partenaires mais aussi de l’incapacité des africains à négocier les termes de la collaboration.

La question des investissements : L’Europe et les USA mettent en garde l’Afrique contre les investissements chinois alors qu’eux mêmes en profitent assez bien. Près de la moitié des investissements chinois – environ 46 % en 2010 – a été réalisé en Asie. En 2012 l'Europe a récupéré 86% des investissements industriels chinois dans le monde. Les projets d’investissements tels que l'USAID censés soutenir des projets de développement se sont transformés en soft power. Le soft power peut être défini comme une forme d'influence indirecte qui permet à des Etats ou des organisations de gagner en puissance sur le terrain apparemment déserté mais pourtant hyperactif de la culture. A l'heure de la mondialisation et d'internet, la puissance ne se mesure plus seulement à la portée des missiles mais aussi à la portée de la culture et de la vision du monde. Les américains par exemple se servent du Young Leader Program pour transformer des jeunes africains, de 25 et 35 ans, à très fort potentiel en futures portes d'entrée de l'Amérique sur l'Afrique sous couvert de formation dans les plus grandes universités américaines. Lorsque Barack Obama parle des jeunes leaders africains rencontrés, il ne s'agit pas de jeunes pris sur la seule base de leur mérite. L'immense majorité sinon tous faisaient partie du Young Leader Program. Autrement dit ce sont des jeunes africains fortement américanisés du point de vue culturel, qui ne gardent somme toute de l'Afrique que leur passeport. La contre-attaque Chinoise ne s'est pas faite attendre avec les instituts Confucius. Aujourd'hui au Cameroun et ailleurs en Afrique, on trouve des jeunes africains qui chantent l'hymne chinois en cours. Pour s'assurer une place de choix en Afrique dans les prochaines décennies, la Chine a misé comme les autres partenaires de l'Afrique, sur  la conquête des esprits. Ainsi CCTV diffuse en français des informations en continu sur la Chine. La chaîne a su trouver un écho favorable en Afrique et présente la Chine sous son meilleur jour. Les concurrents de la Chine ont eux aussi des armes culturelles en Afrique, notamment le Japon avec NHK world et l'Allemagne avec l'Institut Goethe. Enfin selon le cabinet d’avocats d'affaires internationales Linkslaters le Japon investit trois fois plus que la Chine en Afrique. Le rapport précise que « sur les 4,2 milliards de dollars que les pays asiatiques ont investis durant l'année écoulée dans la réhabilitation des routes, l'adduction d'eau, le déploiement de réseaux d'assainissement et la construction d'oléoducs et de gazoducs, les  investisseurs japonais ont apporté 3,5 milliards de dollars ».

Somme toute, la Chine n'est en Afrique qu'un partenaire comme tant d'autres avec une approche, des objectifs et des pratiques différents, qui ont permis à plusieurs pays du continent de se doter d'infrastructures assez rapidement, contrairement à ce qui a longtemps été observé avec les partenaires classiques. Loin de nous constituer en défenseur de certains comportements parfois inacceptables des entrepreneurs chinois en Afrique, il faut préciser ces comportements sont souvent soulignés dansle but de conforter la position de partenaires depuis longtemps installés sur le continent et qui s'inquiètent face à l'importance de la Chine dans l'environnement économique africain. De part son embellie économique et les opportunités qu'elle offre, l'Afrique est aujourd'hui au coeur de toutes les convoitises et devient donc le terrain de guerres économiques. Dans ce contexte et dans le contexte actuel marqué par une forte volonté des peuples africains à se développer, il est impératif que les pays africains développent une réelle capacité en matière de négociations afin de tirer meilleur parti de leurs partenariats.

William Ndja Elong

Objectifs du Millénaire pour le Développement : l’Afrique à l’heure du bilan

omd78I« L'élimination de l'extrême pauvreté demeure l'un des grands défis de notre temps et constitue l'une des principales préoccupations de la communauté internationale.» tels sont les mots prononcés par le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki Moon, en Juillet 2008, à mi-parcours de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Picture1Adoptée en Septembre 2000, lors du Sommet du Millénaire qui s’est tenu au Siège de l’ONU, la Déclaration du Millénaire est une grande première dans les relations Nord-Sud. Vaste programme en faveur du développement, elle vise à favoriser l’éducation, la santé et à réduire la pauvreté dans les pays en développement. En ce sens, la Déclaration du Millénaire énonce huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) (voir image ci-contre). Alors que les Nations Unies ont récemment publié leur rapport 2015 sur les OMD, les pays signataires, aussi bien développés qu’en cours de développement, se lancent déjà dans l’après 2015 avec 17 nouveaux Objectifs de Développement Durable (ODD), prolongeant et complétant les OMD. Ainsi, il semble incontournable de dresser le bilan des OMD, afin de pouvoir en tirer des leçons, notamment en ce qui concerne le développement et l’atteinte de ces objectifs sur le continent africain.

Les OMD sont une initiative des pays développées vers les pays en développement, incluant des zones très hétérogènes économiquement et socialement (Afrique, Asie, Amérique Latine ou encore le Moyen-Orient). Adoptés par 189 États, ils sont définis par des objectifs chiffrés permettant de mesurer le progrès vers l’atteinte des 8 objectifs, sur un horizon de 15 ans.

  1. Éliminer l’extrême pauvreté

L’extrême pauvreté, fléau qui touche près de 47% de la population des pays en développement en 1990, s’est vue réduite de manière conséquente au cours des dernières décennies. En effet, en 2015, le pourcentage atteint 14% dans l’ensemble des pays en développement.

Néanmoins, ces progrès considérables cachent des disparités entre les régions. En effet, cette forte baisse est principalement due à la croissance de certains pays émergents, comme l’Inde ou la Chine. Le continent africain, en particulier, reste très touché par la pauvreté, et ce, malgré des progrès conséquents pour certains pays (Niger, Burkina Faso ou encore Swaziland). Son taux a reculé de 56,5% à 48,4% entre 1990 et  2010 (hors Afrique du Nord).

Sur la même période, la proportion de personnes sous-alimentées est passée de 23% à 13% entre les années 90 et aujourd’hui. Et sur la réduction de la faim, le constat reste le même : ce sont les pays ayant connu une grande croissance qui tirent les taux à la baisse.

Ainsi, afin de réduire durablement la pauvreté, la croissance en Afrique doit se poursuivre dans les prochaines années.

  1. Assurer l’éducation primaire pour tous

L’éducation primaire pour tous, mesurée par le taux de scolarisation à l’école primaire, a également progressé de 83% à 91% entre 1990 et 2015, mais derrière ce taux qui peut paraître élevé, se cachent près de 57 millions d’enfants non scolarisés.

Encore une fois, les résultats positifs globaux ne reflètent qu’en partie la situation sur le continent. En effet, sur les 25 pays pour lesquels des données étaient disponibles en 2012, 17 pays ont atteint un taux de scolarisation au primaire d’au moins 75%, un taux plus faible que le taux de départ de la moyenne des pays en développement.

Cette dernière décennie, les pays africains ont mis l’éducation au centre de leur politique, lui allouant des ressources considérables. Ceci est permis notamment par l’allégement de la dette et l’aide publique au développement (APD) en provenance de pays développés.

Néanmoins, les cibles telles que définies dans l’OMD 2 ont pu pousser certains Etats à favoriser le quantitatif au qualitatif, en augmentant le nombre d’écoles ou d’enseignants, sans assurer au préalable que les programmes soient adaptés et que la continuité soit assurée au-delà des classes primaires. En effet, les taux d'achèvement du cycle primaire ou de scolarisation au collège ou lycée sont nettement plus faibles.

  1. Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes

Outre le taux de scolarisation, l’accès à l’enseignement dans les pays en développement se concentre également sur la réduction de l’inégalité entre les sexes. En effet, en 1990, seulement 84 filles pour 100 sont scolarisées à l’école primaire pour 100 garçons.

Aujourd’hui, les filles sont davantage présentes dans les salles de classe : en Asie du Sud-Est, la parité est atteinte dans les classes primaires (1990: 74 filles pour 100 garçons), et en Afrique (hors Afrique du Nord) des progrès ont été constatés de 83 à 92 filles pour 100 garçons entre 1990 et 2015.

Par ailleurs, la représentation des femmes dans la société a progressé en Afrique, comme en témoigne le taux de représentation parlementaire passé de 14 à 22% entre 2000 et 2014.

  1. Réduire la mortalité infantile et post-infantile

L’OMD 4 visait la réduction de deux tiers du taux de mortalité infantile. En 1990, on dénombre près de 12,6 millions de décès d’enfants de moins de cinq ans. En 2015, ce chiffre est passé à 6 millions, soit une baisse d’environ 50%.

Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans s’est réduit de la même proportion sur le continent africain, mais avec un chiffre de 3,2 millions, l’Afrique représente 50% des décès d’enfants de moins de cinq ans survenus dans le monde en 2015.

Ces chiffres élevés s’expliquent notamment par des taux de mortalité néonatale encore très élevés du fait d’un accès aux soins (personnel médical qualifié et soins de base) encore limités.

  1. Améliorer la santé maternelle

Parallèlement, l’OMD 5 visait la réduction des trois quarts du taux de mortalité maternelle. Le taux de mortalité maternelle a diminué de 45 % dans le monde depuis 1990, grâce notamment à l’augmentation du nombre de femmes enceintes suivies.

L’Afrique reste la région du monde  où le taux de mortalité maternelle est le plus élevé, avec en 2013, une moyenne de 289  décès maternels pour 100 000 naissances vivantes (moyenne mondiale : 210  décès maternels pour 100 000  naissances vivantes).

En 2013, selon les données des Nations Unies datant, seuls quatre pays africains avaient atteint la cible de l’OMD 5 : le Cap Vert, l’Érythrée, la Guinée équatoriale et le Rwanda.

Encore une fois, c’est l’accès aux soins qui est en cause : non seulement, les femmes enceintes n’ont recours que très tardivement aux soins médicaux de base, mais la rapidité et la qualité de la prise en charge n’est pas toujours adaptée.

  1. Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies

Le combat contre le VIH/Sida porte sur deux dimensions : réduire le nombre de nouvelles infections et augmenter l’accès aux soins des personnes atteintes. Sur ces deux dimensions, des avancées considérables ont été faites. En effet, le nombre de nouvelles infections au VIH a baissé d’environ 40 % entre 2000 et 2013. Et, le nombre de personnes recevant un traitement antirétroviral est passé de 800.000 en 2003 à plus de 13,6 millions de personnes en 2014.

Grâce aux nombreux programmes de prévention (l’usage de préservatifs ou d’antiviraux contre le VIH/Sida ou usage de moustiquaires contre le paludisme, par exemple), de détection et de traitements mis en place, les taux d’incidence, de prévalence et de mortalité du VIH/Sida, du paludisme et de la tuberculose ont fortement baissés sur le continent africain.

  1. Préserver l’environnement

L’OMD 7 sur la préservation de l’environnement vise, entre autres, à ce que toutes les populations aient accès à l’eau potable. En effet, en 1990, le taux de personnes dans le monde ayant accès à l’eau potable s’élevait à 76 %. En 2015, le taux s’élève à 91 % dans le monde, mais reste faible en Afrique avec un taux de 64%, concentré dans les zones urbaines.

  1. Mettre en place un partenariat pour le développement

Qui dit programme de développement, dit nécessairement financement. De ce fait, l’aide publique au développement en provenance des pays développés s’est accru de 66 % entre 2000 et 2014, atteignant ainsi 135 milliards de dollars, et ceci malgré une baisse au moment de la crise.

Malgré les dispositifs de réduction de la dette mis en place, celle-ci reste encore très élevée en Afrique : la dette extérieure totale de l’Afrique s’élève à 30% de son PIB en 2010.

Ces données reflètent les progrès majeurs réalisés en Afrique afin de favoriser le développement, mais, force est de constater que les objectifs n’ont pas été atteints. En effet, l’inégalité des progrès, et notamment le retard de certains pays africains, indiquent que les objectifs doivent être poursuivis.
Néanmoins, il est important que ceux-ci soient adaptés afin de répondre aux besoins des différents pays, mais surtout afin que les progrès soient durables et profitables à tous.

Il est important, comme souligné dans le rapport 2015 sur l’Afrique[1], que soient “abordées les causes profondes du sous-développement, pas seulement les symptômes”.

C’est dans ce sens que les Objectifs de Développement Durable, ont été définis. En effet, ce nouvel accord, permettrait de prolonger et de compléter les objectifs du millénaire (OMD) jusqu’en 2030. Il se décline, dans cette nouvelle version, en 17 Objectifs qui visent aussi bien l'éradication complète de la faim et de la pauvreté avant 2030, mais également une croissance inclusive et créatrice d'emplois, des modes de production et de consommation durables, l'accès à la justice et à la démocratie…

Mais l’Afrique est-elle prête à relever ce défi de taille et saura-t-elle atteindre les nouveaux objectifs pour 2030 ?

Avoir une réponse exhaustive et réaliste à cette question est un exercice difficile. En effet, il y a de réponses que d’analyses différentes, selon les actions, les acteurs et les objectifs privilégiés. Mais, comme souligné précédemment, un axe de réponse reste l’importance du rôle des gouvernements des pays concernés dans les processus de développement et de réduction de pauvreté. En effet, il est important que soient mises en place des politiques et alloués des budgets permettant de renforcer l’économie, réduire le chômage, offrir les infrastructures et les moyens nécessaires à l’amélioration de la santé et de l’éducation.

Par exemple, en ce qui concerne la réduction de la pauvreté, comme indiqué précédemment, il est important qu’elle se fasse dans un contexte de croissance constante pour être durable. En effet, qui dit réduction de la pauvreté et développement s’attend à de potentiels changements structurels, aussi bien positifs que négatifs, de l’économie et de la société. Malgré la réduction de la pauvreté, les inégalités persistent dans les sociétés africaines. A cela s’ajoute des taux de chômage élevés notamment chez les jeunes et les femmes. Ainsi la réduction de la pauvreté requiert des politiques la mise en place de mesure permettant de réduire les inégalités de richesse, de réduire le chômage et d’améliorer la productivité, et cela passe par la transformation industrielle et la diversification de l’économie. Ces politiques en faveur de l’emploi doivent notamment favoriser l’accès des femmes aux secteurs non agricoles. En effet, la transformation de l’économie favorise l’industrie et les services au détriment du secteur agricole, mais le transfert de la main d’œuvre vers les secteurs non agricole accroit le chômage des femmes.

Par ailleurs, le constat des analystes aussi bien des Nations Unis qu’externes, est que les économies africaines restent fragiles face à des chocs externes, comme cela a pu être constaté lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’ouest. Et, ceci est sans compter sur les chocs récurrents que connaissent bon nombre de pays africains, comme la sécheresse ou encore les conflits armés.

L’éducation et la santé sont des secteurs qui se sont fortement développés ces dernières années en Afrique, mais il reste encore des progrès à faire notamment en ce qui concerne les infrastructures, l’accès à tous aux services offerts et la formation d’une main d’œuvre qualifiée.

Dans un premier temps, prenons le cas de l’éducation, les OMD 2 et 3 traitent de l’accès à l’école primaire pour tous et de réduction des inégalités de genre. Les objectifs chiffrés qui leur sont associés ont bien souvent favorisés des actions axées sur le quantitatif : des taux de scolarisation élevés, sans se préoccuper du qualitatif : l’adéquation des programmes scolaires, des enseignants qualifiés, des infrastructures suffisantes et adaptées, et l’accès aux systèmes scolaires aux populations les plus démunies ou les plus excentrées. De plus, il est constaté que seul un tiers des enfants scolaires dans en première année de cycle primaire finissent le cycle, et le taux de scolarisation dans les classes supérieurs va en décroissant. Enfin, pour faire le lien avec la question du chômage, n’est-il pas pertinent de se demander si l’offre d’enseignement correspond aux besoins du marché de l’emploi ?

En ce qui concerne le secteur de la santé, malgré de belles avancées, l’accès aux soins tardifs ou le manque de personnels qualifiés dans certaines zones sont décriés. En effet, il existe une inégalité de soins dans les pays africains pour les soins médicaux de base. L’inégalité est géographique : les infrastructures et le personnel qualifié est plus présent dans les villes, que dans les zones rurales, mais également financière : l’accès à des soins de qualité et dans les délais impartis requiert une certaine aisance financière.

Enfin, les progrès avancés fait en matière de planification familiale et d’informations aux femmes sur les questions de santé doivent être, à minima, maintenus.

Education, santé, chômage, croissance, pauvreté, inégalités, corruption… autant de maux que les pays africains doivent combattre de front, tout en faisant face à de nouveaux défis, tels que la croissance démographique forte et ses impacts sur l’urbanisation et l’environnement.

« Les Objectifs de développement durables permettront d’achever la tâche commencée avec les OMD et ne laisseront personne à la traîne[2] » : l’objectif est ambitieux, mais espérons que l’Afrique sera au rendez-vous.

Ndeye Fatou Sene

Sources :

Objectifs du Millénaire pour le développement : Rapport 2015 : http://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/rapport_2015.pdf

Rapports de progrès sur les OMD en Afrique : http://www.undp.org/content/undp/fr/home/librarypage/mdg/mdg-reports/africa-collection.html

Articles faisant le bilan des OMD au niveau global :

http://www.carefrance.org/actualite/communique-presse-news/2014-12-31,OMD-objectifs-millenaire-developpement-bilan.htm

http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-bilan-des-objectifs-du-millenaire-2015-08-04-1341290

http://www.alternatives-economiques.fr/objectifs-du-millenaire–tout-reste-a-faire_fr_art_946_50210.html

http://www.alternatives-economiques.fr/retards-de-developpement_fr_art_1334_70682.html

En savoir plus:

http://www.un.org/fr/millenniumgoals/news.shtml

https://sustainabledevelopment.un.org/post2015

http://www.agencemicroprojets.org/wp-content/uploads/etudes40834/omd-2015-le-mirage.pdf

http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/MDG_Report_2015.pdf


[2] http://www.undp.org/content/undp/fr/home/mdgoverview/post-2015-development-agenda.html

 

 

Migration et transferts financiers, enjeu de développement : cas du Sénégal

okLa migration, conséquence de la répartition inégale des richesses dans le monde. Tout au long de l’histoire de l’humanité, les mouvements migratoires n’ont cessé de se succéder et semblent toucher tous les continents du monde. Ces migrations, lorsqu’elles ne sont pas forcées, résultent directement de la répartition inégale des richesses, qui poussent les personnes à aller là où sont ces richesses. Selon certains auteurs, la volonté et la capacité d’émigrer à l’étranger résultent à la fois de la personnalité et de la situation socio-économique du candidat migrant, des circuits d’informations auxquels il a accès, des réseaux migratoires, des contextes politiques et économiques des pays d’origine et d’accueil et de leurs rapports historiques. En effet il est certain que la distribution des hommes à la surface de la terre résulte pour une large part des grandes migrations qui se sont déroulées le plus souvent sur de longues périodes.

De tout temps, les géographes ont été fascinés par les emplacements des hommes et des civilisations. Toute l’histoire du monde n’est qu’une suite de nomadismes, de conquêtes, de migrations. Les hommes ne sont que mobilité étrange paradoxe que de rêver à la fois aux racines et à la route. Ces flux, objets géographiques ne sont que devenir. Dans leur ampleur, l’audace de leur avancée, dans leurs échecs et leurs reculs, se joue l’éternel équilibre entre le possible héritage du passé et l’anticipation de l’avenir. Ces migrations toujours renouvelées ont marqué l’espace aux cours des siècles et les géographes n’en ont pas toujours retenus la même image  (Bonnamour, in Gonin P et Charef M,  2005).

Comme toute espèce animale, l’homme se déplace continuellement dans l’espace. Ses déplacements ne sont pas aléatoires, ils sont dictés par ses besoins et ses aspirations, et par le jeu des contraires et des potentialités du milieu géographique dans lequel il vit (Noin D, 2001)

Soit les hommes vont là où sont les richesses, soit les richesses sont là où sont les hommes. Les migrations sont donc une expression courageuse de la volonté qu’ont les individus de surmonter l’adversité pour vivre mieux  (Annan K, 2006).

A l’échelle mondiale, les migrations sont devenues partie intégrante des politiques et stratégies de développement, aussi bien dans les pays d’origines que dans les pays d’accueil. D’après les chiffres de l’ONU (2005), le nombre de migrants a presque doublé en 20 ans. En 2005, 191 000 000 de personnes vivaient hors de leurs pays d’origine (OCDE, 2005).

Au Sénégal, les effets des sécheresses vont se combiner à ceux des PAS[1] pour favoriser le développement de l'émigration qui va connaître de forts changements dans ses modalités et dans sa géographie. En effet, l'émigration est une pratique de longue date qui a fortement marqué l’évolution des sociétés sénégalaises. Amorcé par les habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le mouvement migratoire était d'abord et durant longtemps saisonnier ou temporaire (« navétane[2] » ou « noorane ») avant de gagner des destinations lointaines (émigration vers les pays frontaliers ou de la sous-région).

En effet, la migration sous régionale est une conséquence directe de la crise économique qui touchait les territoires ruraux (sécheresses). Les populations du bassin arachidier se déplaçaient  pour chercher du travail. Les jeunes qui avaient la force de cultiver la terre convergent vers les grandes villes et finissent par un abandon massif des activités agricoles. L’idéal est la recherche d’une meilleure condition de vie à travers une migration régionale dans un premier temps, puis vers une migration internationale dans une seconde étape.

Au Sénégal, près de 100 milliards de FCFA sont transférés chaque année et ce chiffre ne concerne que les canaux officiels[3] de transfert. L'utilisation de ces revenus et leurs impacts dans les zones de départ prennent des formes variées induisant des changements plus ou moins notables. Ainsi ces impacts sur le milieu doivent être recherchés et analysés dans leurs dimensions tant économiques et sociales, que géographiques.

En plus, l'​’apport des migrants internationaux est indéniable dans les transformations de l’habitat (Tall 1994) et la reproduction des groupes domestiques (Blion, 1998). Beaucoup de villages de la vallée du fleuve Sénégal par exemple dépendent, en partie, des envois d’argent venus de l’extérieur. Cependant, la variation des points de vue et des lieux d’études incite à relativiser le rôle de premier plan attribué aux migrants internationaux dans leurs villages d’origine. Dia (H), 2008. 

Il est alors légitime de se demander dans quelle mesure les transferts financiers contribuent-ils au développement ? En effet, les émigrés investissent dans leurs localités d’origine mais participent également à l’entretien de leurs familles par le biais des envois financiers. La priorité accordée à l’amélioration des conditions de vie de la famille du migrant montre à quel point les transferts migratoires sont nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires des ménages. Cette destination est, rappelons-le, le dénominateur commun des motifs de départ et d’envoi d’argent de la plupart des émigrés.

L’impact des transferts d’argent des migrants sur leurs pays d’origine a, depuis une dizaine d’années, fait l’objet d’un grand nombre de travaux à la fois théorique et empiriques. Quelle que soit l’approche adoptée, l’un des effets positifs des transferts d’argent des migrants sur lesquels il y a l’unanimité est l’impact sur la pauvreté. Car c’est le lien le plus tangible et le moins controversé des liens entre migration et développement (Ratha, 2007). L’effet le plus senti est l’augmentation des ressources des ménages, le lissage de leurs dépenses de consommation et des effets multiplicateurs de celles-ci sur l’ensemble des revenus (Gupta, Pattillo et Wagh 2007).

Au Sénégal, la seule étude qui montre à notre connaissance les impacts de transferts sur l’économie est celle effectuée par la DPEE[4]. Le tableau suivant récapitule les résultats de l’étude sur les effets des transferts sur les dépenses par tête et sur l’incidence de la pauvreté.

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Le tableau montre en particulier que les transferts accroissent de près de 60% en moyenne les dépenses par tête des ménages qui en sont bénéficiaires, ce qui réduit de près d’un tiers (30,7%) l’incidence de la pauvreté au plan national.

Le soutien apporté au budget familial par les envois d’argent des migrants constitue une forme d’assurance contre la précarité des conditions de vie des bénéficiaires et l’instabilité de l’environnement macroéconomique. Mais, étant donné l’importance et la régularité des transferts de fonds, comparés aux propres capacités de création de richesses et aux revenus personnels d’un grand nombre de ménages bénéficiaires, ce rôle finit par installer ces derniers dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette ressource. Une fois mise en place, la relation de dépendance devient même réciproque, elle place aussi le migrant dans l’obligation de subvenir régulièrement aux besoins de consommation courante des membres de la famille. Si le migrant tient compte de l’urgence des problèmes à résoudre, sa capacité d’épargne et d’investissement personnelle peut s’en trouver largement entamée. En l’absence d’un contrôle par le migrant de l’utilisation finale de ses envois d’argent, même les transferts destinés à financer ses projets personnels ne sont pas à l’abri d’un « détournement » au profit de besoins jugés plus urgents.

La situation s’apparente à celle que les économistes, à la suite de Keynes, appellent la « trappe à liquidité »[5]. On peut la décrire de la manière suivante : en présence d’envois massifs d’argent, tout flux supplémentaires de transferts est, faute d’utilisation productive, rapidement englouti dans le budget familial, avec la certitude de recevoir d’autres envois aux prochaines échéances. En raison des anticipations des destinataires les flux de transferts servent ainsi à entretenir les comportements de dissipation des ressources de la part de ces derniers.

La spirale pauvreté-migration-transferts-pauvreté fonctionne d’autant mieux que le lien de dépendance se double d’un contrat d’assurance entre le migrant et sa famille d’origine. Elle ne s’emballe lorsque les transferts ne se limitent plus seulement à lisser les dépenses de consommation du ménage bénéficiaires, mais transforment et diversifient également ses besoins de consommation.

Ba Cheikh

Références :

Gupta (S), Patillo (C), 2007a, « L’impact bénéfique des envois de fonds sur l’Afrique », Finances et Développements, pp.40-43.

Noin (D), Géographie de la population, Paris, Masson, 3e édition, 281p.

OCDE, 2005 « Migration, transfert de fonds et développement ».

Ratha (D), 2007: www.worldbank.org/prospects/migrationandremittances.

Diop (A), 2008, Développement local, gouvernance territoriale, enjeux et perspectives, éditions Karthala, 85p.

Diop (M.C.), Mars 2012, La Société sénégalaise entre le local et le global, collection hommes et sociétés, éditions Karthala, 728p.


[1] Programmes d’ajustements structurels

[2] Les Navétanes sont des migrants saisonniers d'Afrique de l'Ouest, notamment au Sénégal et en Gambie. Ces vastes déplacements de population, souvent en provenance de Guinée, étaient généralement liés à la culture de l'arachide.

[3] A part la voie formelle pour transférer de l’argent, il existe une autre forme pour envoyer des fonds au Sénégal, cette forme se traduit par une organisation informelle des transferts.

[4] Direction de la Prévision et des Etudes Economiques

[5] Mise en évidence par Keynes et vulgarisée par Hicks, la « trappe à liquidité » désigne une situation où le taux d’intérêt tombe si bas que tous les agents économiques s’attendent à ce qu’il augmente. Leur préférence pour la liquidité devient absolue et toute augmentation de la masse monétaire devient sans effet sur l’activité réelle

Where PRSP efficient ?

img-8Since the 2000s, a few African countries have committed to strategies, initiated by the World Bank and then extended to the Millennium Development Goals (MDGs), to fight against poverty. These strategies, compiled in what are generally called Poverty Reduction Strategic Papers (PRSPs), are based on the dogma which considers that growth is enough to reduce poverty. Therefore, they highlight growth acceleration and identify measures to be implemented to improve the living conditions of the poorest.

Discussing the efficiency of these programs, with the birth of MDGs, the Bretton Woods institutions, in particular the IMF, indicated that these strategies constitute a break from other existing development programs, and offer a pool of measures which probably be able to reduce poverty. Although the MDGs have reached their completion point and data is available, it is possible to wonder whether these strategies have had the expected results. A tentative answer is given by Daouda Sembene[i], who analyses the impact of PRSP on growth, inequities and poverty in Sub-Saharan African countries. His analysis compares countries having adopted PRSP and countries which haven’t.

In his analysis, it appears that although the implementation of PRSPs has allowed a significant reduction of poverty elsewhere in the word, in the Sub-Saharan African countries which have adopted them (32 in total), it remains difficult to identify its impact on poverty and inequalities. Indeed, poverty is increasing at almost the same speed in all countries of the region, whether or not they have adopted PRSPs. The good news is that DSRPs have allowed countries which have adopted them to be more efficient and more resilient to economic shocks. For instance, the PRSPs countries recorded far more stable and substantial growth rates since the implementation of PRSPs (with an average of 2.13% during the 1990-1999 period against 5.12% between 2000 and 2012). On the contrary, economies which had not adopted the PRSPs have had more erratic performances (from 7.1% on average between 1990 and 1999, to 5.3% between 2000 and 2012). In addition, the 2008 financial and economic crisis had less impact on PRSPs counties than on non-PRSP countries: average growth of – 1.9% in 2009 for non PRSPs, when PRSPs countries demonstrated an average growth of 4%.

According to PRSPs, only public action can generate sustainable growth, able to reduce poverty. The actions to be implemented in the context of PSRPs in the concerned Sub-Saharan African countries were therefore in favour of growth. They involved in particular infrastructures and human capital (health and education), diversification and private sector development but also some transversal issues such as good governance promotion and rural development. For the growth created through these measures to be able to reduce poverty and inequalities, it was thus necessary to strengthen the redistribution channels. To attain this, the PSRPs planned to improve access to basic social services, to employment or to revenue-generating activities. Fund transfers and a priority access to public jobs for poor people, also constituted fundamental pillars of these strategy papers.

The failure of these strategies to reduce poverty and inequalities is mainly linked to the redistribution strategy used. For instance, social transfer programs are usually not conditional on results to be reached by the beneficiary household, in terms of health and education for the children. According to Kakwani and al. (2005) [1], in about 15 Sub-Saharan African countries, the implemented transfer programs depended on the registration and regular school attendance, and the amounts involved were not sufficient to take the beneficiaries out of their situation of poverty. Another form of redistribution is the implementation of subsidies (either in the agricultural, energy, or food sectors). It is the most common form of redistribution used on the continent; each African country benefits from subventions in one or more of those sectors: Nigeria and Ghana for instance have implemented subsidies in the agricultural and energy sectors. Others are more focused on the agricultural sector (Tanzania) or the energy sector (Niger, Senegal and Mali). These subsidies, supposed to be beneficial for the poorest and which mobilize a non-negligible part of budgetary resources, do not really produce the expected results [2]. They benefit mostly the richest, who consume an important part of the subsidized products and services.

Overall, the implementation of PSRPs has particularly allowed to improve economic governance in the countries which have adopted them, which translated into improved economic performances and a strong resilience to exogenous shocks. Regarding poverty and inequalities, these strategies have been less efficient. A failure which could be linked to the design strategy of PSRPs. Indeed, if the way PSRPs are designed, they provide conditions to reduce poverty with a focus on growth, their implementation is made difficult by the institutional capacity of the countries to identify precisely the targets of those policies. Policies aimed at reducing poverty and inequalities should not only take more into account local realities, but also integrate measures to be appropriated by local authorities, in order to design redistributive policies more adapted to the local context, and whose implementation would be linked to institutional capacities and competencies of the country. It is an approach that countries already try to have within their own development programs, which are then submitted to their partners for funding. Regional programs, or those initiated by international institutions, should therefore be reshaped according to a same model, to strengthen redistributive mechanisms. 

An original article by Foly Ananou, translated by M.C. 


[1] Kakwani, Nanak, Fábio V. Soares, and Hyun H. Son (2005). Conditional Cash Transfers in African Countries. UNPD International Poverty Centre, Working Paper n° 9, Brasilia.

[2] See Faut-il supprimer les subventions à l’énergie en Afrique ? for the case of energy.

[i] Daouda Sembene (2015). Poverty Growth and Inequality in Sub-Saharan Africa : Did the Walk Match the Talk under the PRSP Approach ? IMF Working Paper, WP/15/122.

OMD1 : Quel bilan pour l’Afrique Sub Saharienne ?

Afrique_rueDans le souci de mettre en place un véritable partenariat pour le développement mondial, 189 pays ont Adopté lors du sommet du millénaire des Nations Unies en Septembre 2000 ce qu’il était convenu d’appeler « Objectifs du Millénaire pour le Développement ». Réduire l’extrême pauvreté et la faim, avec en ligne de fond la logique selon laquelle « Tout être humain où qu’il soit aspire à de meilleures conditions de vie et y a droit », constitue le premier défi de ces temps.

Définie comme « la résultante de processus économique, politique et sociaux qui interagissent entre eux dans un sens qui exacerbe l’état d’indigence des populations pauvres » (BM, 2000, 1), la notion de la pauvreté interpelle d’avantage la responsabilité des sociétés ; tant pour créer les opportunités, réduire les inégalités et les discriminations (dans une approche socialiste) que pour doter les individus des moyens nécessaires à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux (approche libérale). Ainsi, l’action concertée des Nations Unies s’agissant de la réduction de l’extrême pauvreté se déclinait ainsi en trois points essentiels:

  • Réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1$
  • Assurer le plein emploi et la possibilité pour chacun y compris les femmes et les jeunes de trouver un travail décent et productif
  • Réduire de moitié entre 1990 et 2015 la population de pauvre qui souffre de la faim

A ce jour, plusieurs rapports ont été dressés avec plus ou moins des perspectives favorables.  Toutefois, si l’intuition du 2ème bilan sur l’état d’avancement des OMD de Septembre 2010 affirmait sans ambages que tous les objectifs seront réalisés d’ici 2015, l’instabilité socio économique dont est tributaire le monde depuis quelques années peut inquiéter à plus d’un titre. Ce d’autant plus que ces aléas peuvent avoir de graves incidences sur les populations vulnérables, ralentir le rythme de réduction de la pauvreté et accentuer sa persistance notamment en Afrique Sub Saharienne qui en est la région la plus exposée.

La dernière décennie a été marquée par des progrès économiques impressionnants en ASS. Grâce à l’amélioration des perspectives dans un grand nombre de pays de la région, dont la plupart des pays exportateurs de pétrole et plusieurs pays à faible revenu et États fragiles, la  zone connait une croissance rapide et soutenue. L’activité économique de la région continue de s’appuyer sur des investissements de grande ampleur dans les infrastructures et le secteur minier ; ce qui lui vaut, selon les données du FMI, une croissance de 5,26% en moyenne au cours des trois dernières années. Théoriquement, la croissance serait positivement corrélée à la réduction de la pauvreté qu’elle favorise même s’il est reconnu que son effet reste marginal.

Cette croissance économique clairement anti-pauvre a-t-elle favorisée la réalisation de l’OMD1 ?

Cette question sera analysée sous le prisme des trois cibles subsidiaires qui lui sont associées.

1. Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour

Paradoxalement, l’ASS reste l’une des zones les plus pauvres du monde malgré l’étendue de ses ressources. Selon les données du PIB par tête du FMI en 2015, parmi les 25 pays les plus pauvres du monde, 22 se situent en ASS et, elle concentre désormais 49,4% des pauvres du monde.

Néanmoins, comme dans toutes les régions du monde, la part de la population concernée par la pauvreté en ASS a baissé au cours des trois dernières décennies. Si à l’échelle mondiale, le nombre de pauvres a baissé de façon marquée[1], en ASS par contre, il recule plus timidement. Mesuré au seuil de 1,25$/jour, la pauvreté en ASS s’établit à 43% en 2013. Une avancée tout de même par rapport aux 56,8% de 1990 ou aux 57% de pauvres enregistré en 1999. Ainsi, sur la période 1990-2013, elle a été réduite de 13,8% et de 4,5% entre 2008, année de la crise financière et 2013.

Cette évolution a été soutenue par l’amélioration des indicateurs sociaux faisant référence au développement. Bien que les Indices de Développement Humain des pays d’ASS restent les plus faibles du monde (inférieurs à 0,5), en valeur l’IDH de la zone a évolué de 0,115 (0,093) passant de 0,387 à 0,502 entre 1990 (2013 et de 0,405 à 0,502 entre 2000 et 2013). Selon les données de la Banque mondiale et du PNUD, l’espérance de vie aussi s’est améliorée dans la zone au cours des 15 dernières années passant de 50 à 57 ans.

2. Assurer le plein-emploi et la possibilité pour chacun, y compris les femmes et les jeunes, de trouver un travail décent et productif

L’ASS est la région du monde ou le plus d’efforts a été consentis pour améliorer le PIB par habitant. Mais, bien que la croissance de l’Afrique ait été relativement forte, elle a été insuffisamment rapide ou inclusive pour créer des opportunités d’emplois décents par rapport à la taille de  population du continent. Les taux de chômage les plus élevés en 2013 ont été observés en Afrique ; 21,6 % en Afrique australe, 13,2 % en l’Afrique du Nord, 8,5 % en Afrique centrale, l’Afrique de l’Est (7,9 %), et 6 % en Afrique de l’Ouest qui a connu les taux de chômage les plus faibles. Bien plus, les disparités de genre demeurent persistantes. En effet, le chômage des jeunes et des femmes reste supérieur à celui des hommes, toutes régions confondues.

3. Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim

Pressenti comme l’objectif le plus accessible aux pays africains, La proportion de la population exposée à la faim diminue lentement, mais les catastrophes et les conflits persistants freinent la progression vers la sécurité alimentaire.

Depuis 1990 des progrès ont été accomplis au niveau de la réduction de la faim dans le monde, mais 805 millions d’êtres humains souffraient toujours de sous-alimentation chronique à la fin de l’année 2014.

En ASS, La prévalence de la malnutrition aussi a évolué, de 28% en 2000 pour 23% en 2011. Le nombre de personnes exposé à la faim et à la malnutrition est tombé de 33% entre 1990 et 1992 à25% entre 2011 et 2013. Malgré cette amélioration de 8% par rapport aux chiffres de 1990-1992, L’ASS demeure la région du monde affichant le plus fort déficit alimentaire.

Ces évolutions sont complétées par la nouvelle actualité sur la question qui de part les nouvelles estimations et prévisions qu’elle autorise permet d’étendre les analyses jusqu’à l’année 2015, date butoir des OMD.

En effet, à quelques jours du bilan des OMD, la Banque Mondiale relève le seuil de pauvreté[2] de 1,25% à 1,90%. Le nouveau seuil représente le seuil moyen de pauvreté des 10 à 20 pays les plus pauvres du monde. Selon Jim Yong Kim c’est une décision nécessaire compte tenu de l’évolution de l’inflation, des prix des matières premières et des taux de change entre 2005 et 2011.

A ce nouveau seuil, les taux de pauvreté continuent de fléchir. Selon les prévisions de la Banque mondiale  le nombre de personne vivant dans l’extrême pauvreté passerait de 902 millions (12,8%) en 2012 à 702 millions (9,6%) en 2015. Le pourcentage d’africains au Sud du Sahara vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2015 serait de 35,2%. Soit une réduction significative de 17,5% par rapport à l’année 2012.

Toutes ces statistiques et dynamiques traduisent le fait que les populations au cours des deux dernières ont bénéficié de meilleurs soins et d’un suivi meilleur. Les efforts déployés par la communauté internationale et les stratégies nationales de réduction de la pauvreté ont permis à ce jour de réaliser les efforts significatifs en ASS.

Toutefois, en dépit de la baisse de ses taux de pauvreté, l’ASS est la seule région du monde où le nombre de pauvres a augmenté de façon régulière et prononcée. Elle est d’ailleurs passée devant l’Asie qui abritait en 1990 la moitié des pauvres de la planète. Pour ce qu’il en est, la zone est passée de 284 millions de pauvres en 1990 à 388 millions en 2012. Soit 144 millions de pauvres en plus en 22 ans. En 2012, le nombre de personnes extrêmement pauvres représente donc près de 1,4 fois ce qu’il était en 1990.

En réalité, la pauvreté en ASS se perpétue par le biais de l’organisation sociale en lien avec les politiques pro-pauvres, du boom démographique qui a un impact négatif sur le développement économique et contribue durablement à la faire augmenter ; et par les crises sociaux politiques, alimentaire, énergétique le chômage, l’insécurité transfrontalière, les épidémies, les catastrophes naturelles, les migrations clandestines etc. qui continuent de peser sur la région. A cause de cela, plusieurs pays d’ASS (Madagascar, Nigéria, RDC, Zimbabwe, Kenya, Burundi) n’ont pu véritablement améliorer la qualité de vie des populations[3] entretenant ainsi le cercle vicieux[4] de la pauvreté.

Bien plus, les indicateurs agrégés de croissance, les statistiques sur la pauvreté et le développement humain masquent les écarts et les inégalités persistantes entre pays et même entre régions d’un même pays. La pauvreté peut reculer (pauvreté absolue) alors que l’écart entre le niveau de vie des plus pauvres et la classe moyenne s’accroit (pauvreté relative). Selon le rapport « Perspectives Economiques Régionales » du FMI  (2015), l’ASS reste la région où les inégalités de revenu sont les  plus accentuées bien que son indice de Gini[5] ait baissées d’environ 5% depuis 1990. Le Rapport sur le Développement de l’Afrique de la BAD atteste qu’en 2012, sur les 10 pays les plus inégalitaires du monde, 6 se trouvaient en ASS. A titre illustratif, le total du PIB par habitant des 10 pays les plus riches d’ASS représente 25,2 fois celui des 10 pays les plus pauvres. Les écarts de revenu mesurés par l’indice de Gini en 2012 oscillent entre 30% en Ethiopie et 68% aux Seychelles (BAfD,  2012) avec 46% en moyenne régionale.

A coté de ces inégalités de revenu, on note également la prédominance des inégalités en termes d’opportunités (Assiga, 2010) – aussi bien sur les plans foncier et financier ; qu'en ce qui concerne l’accès aux services sociaux essentiels et au marché de l’emploi – qui affectent la réalisation du potentiel humain et la productivité. 

L’Afrique demeure la région du monde la plus touchée par la crise de l’emploi. Sur les 75 millions de jeunes au chômage que comptait le monde en 2013, 38 millions vivait en Afrique. L’inégalité est fondamentalement considérée comme une injustice sociale. Elle engendre les problèmes sociaux et l’instabilité[6]. Elle accentue donc la pauvreté et, il serait incohérent de prétendre réduire la pauvreté sans résoudre parallèlement ou en amont le problème des inégalités. Si la croissance économique en permettant d’améliorer même marginalement la qualité de vie des populations est indispensable pour réduire la pauvreté, elle n’a pas réduit de façon significative les inégalités.

Réduire de moitié l’extrême pauvreté en ASS entre 1990 et 2015 engageait la région à passer de 56,8% de pauvres en 1990 à environ 29% à l’horizon 2015. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, le nombre de pauvres à certes baissé mais l’objectif est loin d’être atteint. La pauvreté en ASS correspond à 35% de la population en 2015 ; soit une baisse effective de 21,8% seulement par rapport à l’année 1990.

En définitive, la dernière décennie a ainsi été marquée par les progrès considérables et par l’amélioration des indicateurs de bien être en ASS. L’engagement historique pris par les dirigeants du monde en 2000 a permis de réduire le taux de pauvreté dans la région même si en termes absolu, le nombre de pauvres augmente. Ainsi, l’Afrique Sub Saharienne compte encore plus du tiers des pauvres du monde. Cette dynamique de la pauvreté traduit donc en réalité une augmentation mais à un rythme moins prononcé que celui de l’évolution de la population.

La croissance économique forte nécessaire pour réduire la pauvreté n’a pas été suffisante pour que l’OMD1 soit réalisé. D’ailleurs, le poids des inégalités socioéconomiques et les discriminations soutenu par celui de la pression démographique continuent de peser lourd sur le développement humain de la région. Somme toutes, le défi de la réduction de pauvreté reste d’actualité. Ce d’autant plus qu’aux réalités sociales que subit la zone, s’ajoutent les risques liés au réchauffement climatique qui peuvent nuire aux récoltes, réduire les revenus des populations rurales, contraindre d’avantage la sécurité alimentaire et donc aggraver la pauvreté. 

On peut donc admettre avec Makhtar Diop, Vice Président du Groupe BM pour l’Afrique, que  « Le coût humain de la pauvreté est bien trop élevé en Afrique ». Les personnes pauvres n’ayant pas les moyens de sortir de la pauvreté, il convient d’accroître leur productivité en investissant d’avantage dans leur éducation et leur santé et en assainissant leurs milieux de vie. Parallèlement, il est tout aussi impératif de promouvoir l’intégration ou l’inclusion sociale et l’équité, base d’une croissance nécessairement pro-pauvre ; de réduire les vulnérabilités, de favoriser une meilleure redistribution des ressources et des richesses selon les critères relevant du contrat social ou de la constitution (Weber, 1997 cite par Assiga, 2010); et enfin, intégrer les aspects climatiques dans les actions menées en faveur du développement. Une autre porte de sortie de la pauvreté est l’emploi ; la création d’emplois décents étant primordiale pour mettre fin à la pauvreté et promouvoir une prospérité partagée de manière durable. Telle sont les responsabilités des autorités dont l’engagement est tout aussi déterminant dans la réduction de la pauvreté. C’est dans cette optique que le nouvel agenda post 2015 invite les dirigeants à redoubler d’effort pour atteindre les nouveaux objectifs de développement durable et éliminer la pauvreté extrême  à l’horizon 2030.

Claude Aline ZOBO et Ivan MEBODO

Référence :

ASSIGA E. Modeste (2010) : « Croissance Économique et Réduction de la Pauvreté au Cameroun » , Édition Harmattan. 

BAD (2012) : « Les principaux facteurs de la performance économique de l’Afrique », Rapport sur le développement en Afrique – Vers une croissance verte en Afrique.

FMI (2015) : « Afrique Sub Saharienne pour une croissance durable et plus solidaire », Etudes Economiques et Financières, Perspectives Economiques Régionales.

PNUD (2014) : « Pérenniser le Développement Humain : Réduire les Vulnérabilités et renforcer la résilience », Rapport sur le Développement Humain. 

Rapport des Nations Unies (2014) : « Objectifs du Millénaire pour le Développement ».


[1]Passant de 2 milliards en 1990 à 902 millions en 2012. Les prévisions de la Banque Mondiale anticipent que le monde ne comptera plus que 702 millions de pauvres en 2015.

[2] Niveau de revenu en deçà duquel un individu est considéré comme pauvre. Ce seuil est fixé depuis les travaux de Benjamin Seebohm Rowntree en 1901 en fonction d’un panier de biens alimentaires et non alimentaires nécessaire à la survie quotidienne.

 

 

[3]A titre illustratif, on note la prévalence des meurtres et des tueries en RDC, l’accroissement de la pauvreté de près de 50% au Zimbabwe, la mortalité infantile qui croit de 105 à 108 pour 1000 au Kenya.

 

 

[4]La faiblesse des revenus oblige à se loger à bas prix dans les quartiers ayant une mauvaise réputation, où il y a peu de travail et une éducation dégradée, une criminalité élevée et une prévention médicale moins active.

[5] Mesure statistique de la dispersion d’une distribution de revenu au sein d’une population.

[6]Selon une enquête de la Banque mondiale, environ 40% de ceux qui rejoignent les mouvements terroristes seraient motivés par le manque d’emploi.

 

 

An interview with Nunu Ntshingila, futur Director for Facebook in Africa

12c509eWhen she begins her career in the advertising industry at the end of the 1980s in South Africa, Nunu Ntshingila discovers a universe she describes as being “very white and very masculine”. Let us take another look at an Africa fully involved in a digital (r)evolution, through the eyes of a woman promoting afro-responsibility on the continent.

An activist in women access to leadership

« After staying in the US for my studies, I came back to South Africa to work at Nike’s in communication. When I came back in the advertising sector, South Africa had democratized itself. I particularly remember debates on the role of women in the development of the post-apartheid country. It was reassuring to know we were involved in these types of discussions”, says Nunu Ntshingila who, at almost 50, is about to leave the world of advertising and to take the lead of Facebook in Africa. In 2011, Nunu Ntshingila joined the Executive Committee of Ogilvy & Mather, becoming the only representative of the African continent to serve on the committee, amongst thirty executives.

« The access of women to executive positions is a determining factor, especially in the creative industry, as they are required to speak up to be represented with respect ». Representation, explains Nunu Ntshingila, also takes into account the race issue, an issue which, according to her, is not about to disappear easily in South Africa. She believes that the distribution of wealth would be a good solution to remedy the racial tensions that still divide the country: “We must ensure that diversity can take root in our environment. All the capital currently belongs to the white minority, we must ensure that this capital belongs to the majority.”

A stronger advertisement market, thanks to the new technologies

In 2015, the advertisement market’s growth in Africa is estimated at 8%, against 5% in the rest of the world. On this topic, Nunu Ntshingila confirms: “It is true that the market evolves a great deal. But I insist on the fact that we should guide this evolution ourselves. When we talk about Africa in motion, it is important that Africans first appropriate this idea. I am sceptical when this message comes from outside the continent. We need to make Africa grow, as Africans. Today, people here want to live in better conditions. This is why the diaspora realises the potential of the continent and goes back to Africa.”

Asked about the impact of digital, she admits that she does not believe in a negative aspect of this revolution for the advertisement market. “The press was a pillar of our strategies, and we really feel in South Africa, a concentration of the advertisement market towards digital. We need to adapt to new technologies”

New technologies, such as the mobile

According to a study published at the beginning of the year by Frost & Sullivan on mobile usage trends in Subsaharan Africa, mobile penetration rate should attain 79% in 2020. “Mobile has allowed a leap forward regarding the way we communicate with consumers. Technology has allowed to reduce the gap between urban and rural areas. It is also a powerful tool to hear the voices of the poorest. It has even transformed the way we communicate between countries. Here, it is time for erasing the boundaries”, affirms the woman who has participated to the development of the international group on advertisement in 14 African countries.

Despite the optimistic perspective she has on the current state of the African advertisement market, Nunu Ntshingila remains lucid on the long road ahead. There are disparities, especially between Maghreb, Egypt and South Africa, and the rest of Sub-saharan Africa. A report from the Alliance For Affordable Internet shows that French-speaking African countries are particularly affected by the high costs of high speed internet. “In Africa, what will determine the evolution of advertisement will be the cost of high speed internet”, she declares. This cost is one among the many obstacles that the future director of Facebook will face when developing the social network on the African network, from the month of September.

Translated by M.C.

Pourquoi la RDC doit mieux faire

La 10ème édition de la Conférence Economique Africaine s'est déroulée à Kinshasa du 2 au 4 novembre 2015 en République Démocratique du Congo (RDC). C'est à cette occasion que Son Excellence Monsieur le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo a présenté l'économie de la RDC dont les performances interpellent notre sagacité. Le fait le plus spectaculaire de sa description est l'évolution du PIB par habitant de la RDC, une mesure du niveau de vie moyen, de 1990 à 2014. Le graphique, reproduit ci-dessous, montre un effondrement drastique du niveau de vie de la population congolaise entre 1990 et 2001, avec un revenu par habitant divisé par deux, partant d'un niveau exceptionnellement bas.

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De l'avis du premier ministre, cet effondrement s'explique par la guerre civile qu'à connu le pays pendant cette période. Mais depuis la fin de la guerre, avec l'arrivée au pouvoir du président Joseph Kabila, le niveau de vie a rebondi pour retrouver en 2014 presque son niveau du début de la guerre. Ce rebondissement s'est accompagné d'une réduction de 15 points de pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Il s'agit là d'un progrès saisissant que le premier ministre explique par un leadership fort du chef de l'Etat et une bonne gouvernance. Il résume cette explication dans une équation, seule conclusion de sa présentation :

RP   = LF + BG

Cette équation relie la réduction de la pauvreté (RP) à un leadership politique fort (LF) et à une bonne gouvernance (BG). On peut dénoncer une posture politique et ignorer tout simplement cette équation, mais à tort car elle possède deux qualités. D’une part, elle émane d'un responsable politique ayant été au cœur de l'exécutif congolais pendant et après la guerre civile, ce qui lui confère un fondement tiré de l'expérience.[1] Dès lors, la contribution du leadership du chef de l'Etat à la réduction de la pauvreté mériterait d'être mieux prise en compte par les analystes du développement. D’autre part, cette équation a l'avantage d'être ancrée dans la théorie économique du développement car la bonne gouvernance représente la composante institutionnelle des modèles de Solow augmentés.[2] Cependant, la principale question qui se pose est de savoir si les performances économiques récentes de la RDC sont effectivement dues au Leadership Fort du chef de l'Etat et à la Bonne Gouvernance.

Les performances économiques de la RDC sous une perspective historique et régionale

Lorsqu'on considère le niveau de vie de la RDC sous une perspective historique, on s'aperçoit très vite que ce pays vient, non pas de loin mais, de très haut. Comme le montre le graphique ci-dessous, le niveau de vie après les indépendances était d'environ quatre fois supérieur au niveau actuel, et comparable à celui de la Malaisie et de la Corée du Sud. Il évoluait à un rythme annuel de 1% en dépit de l'instabilité politique ayant caractérisée la période post-indépendance. Cette tendance a malheureusement fléchi suite au choc pétrolier de 1974. La chute du niveau de vie s'est aggravée avec la mise en place des programmes d'ajustement structurel, combinée aux turbulences politiques du fait de la gouvernance par feu Mobutu. C'est dans cet état de déclin qu'éclate la guerre civile congolaise. Chacun de ces épisodes a contribué à dégrader le niveau de vie des congolais, plongeant la majorité de la population dans le dénuement total, avec plus de 9 congolais sur 10 qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté extrême, fin 2004.

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Avant la guerre civile, les deux épisodes de baisse du niveau de vie des congolais résultent à la fois d'une mauvaise gouvernance politique et économique du pays : d’une part, le système de parti unique avec les dérives liberticides qui s'en suivent et d’autre part, le recours excessif à l’impression de billets de banques pour financer les dépenses excessives du régime politique.[3] Les performances économiques depuis 2001 ont, pour l’instant, permis de retrouver le niveau de vie atteint juste avant la guerre civile, bien en dessous de celui qui aurait été atteint si la tendance post-indépendance s’était poursuivie, soit 4 fois le niveau de vie actuel.

Par ailleurs, en comparant les performances économiques de la RDC à celles du reste de l'Afrique Subsaharienne, il ressort que le niveau de vie dans ce pays suit la même tendance (à la hausse) que celle du reste de la région, cependant de façon moins prononcée. L’augmentation du niveau de vie depuis 2001 n’est donc en aucun cas une spécificité congolaise. Par conséquent, l'explication des performances économiques de la RDC accompagnée d’une réduction de la pauvreté se trouve moins dans le leadership du chef de l'Etat ou dans la bonne gouvernance.[4] Les performances économiques soutenues du pays proviennent plutôt de la hausse des cours des matières premières depuis 2001, comme le montre le graphique ci-dessous : les cours du pétrole et du cuivre, deux principaux produits d'exportation de la RDC, ont été respectivement multipliés par quatre et trois sur cette période.[5]

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Le plus important n'est pas tant la justesse de l'explication du premier ministre, mais plutôt les conséquences d'un prochain effondrement des cours des matières premières comme cela s'observe depuis fin 2014.[6] Si cette tendance se poursuivait, alors l'histoire de la RDC risquerait de se répéter. Il faudra donc miser sur une amélioration rapide et effective de la bonne gouvernance et du leadership des responsables publiques pour que l'équation de S.E.M Matata Ponyo devienne opérationnelle, car avec ses ressources naturelles et humaines la RDC peut et doit mieux faire.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Voir le parcours du premier ministre sur sa page Wikipédia.

[2] Le modèle de Solow de base exprime le revenu par tête comme une fonction des investissements dans l'appareil productif et du capital humain. Dans sa forme augmentée, il intègre une composante multiplicative caractérisant la qualité des institutions.

[3] Au sujet du seigneuriage, voir Nachega (2005). « Fiscal Dominance and Inflation in DRC », IMF Working Paper, WP 05/221.

[4] Il suffit d'ailleurs de se référer à l'indice Mo Ibrahim de gouvernance de la RDC. Le pays occupe en 2015 le 48ème rang sur les 54 pays, dans un statu quo depuis 2000.http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/data-portal/

[5] La pauvreté peut avoir effectivement baissé en raison du regain de l’activité économique, réelle, mais peu durable.

[6] Voir l’abaissement des perspectives de croissance économique de la RDC par le FMI entre Avril et Octobre 2015.

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