Annus Malum ou Annus Bonum ?

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Par rapport à 2013, l'année 2014 a connu moins d'événements significatifs. Cependant, lorsqu'on regarde en Afrique, les populations civiles et certains hommes politiques ont passé soit un Annus Malum ou un Annus Bonum.[1] Cet article revient sur ces événements phares afin de constituer une référence par rapport à laquelle les événements de l'année 2015 pourront être mis en perspectives.

Annus Malum pour les populations Guinéennes, Sierra-Léonaise et Libérienne qui ont été frappées par l'éruption de l'épidémie de maladie à virus Ebola en 2014. Nul besoin de refaire l'arithmétique macabre pour évoquer la violence de cette épidémie. Au-delà de ces populations c'est tous les Africains qui ont vécu sous la peur de voir les perspectives d'émergence économique ralenties par une épidémie dont le vaccin ne leur était pas accessible. Alors que le problème du manque d'infrastructure est pointé du doigt pour expliquer la propagation de l'épidémie, on ne peut pas manquer de souligner le manque extrême de recherche médicale en Afrique sur les maladies tropicales, surtout lorsqu'on sait que le virus a été identifié depuis 1976.

Annus Malum pour les populations Nigérianes obligées de vivre sous la terreur du groupe islamiste Boko Haram. Cette terreur a atteint son paroxysme lorsque le 14 avril, plus de deux cent filles ont été enlevées à Chibok dans le Nord-Est du pays. Au delà de l'émotion que cette situation peut susciter, il est intriguant qu'elles n'aient pas eu le bonheur de fêter les fêtes de fin d'année avec leurs proches et amis dans le premier Etat producteur de pétrole en Afrique. Il ne se passe plus une semaine sans qu'un attentat n'arrache la vie à des personnes vacant tout simplement à leurs occupations quotidiennes. Cette situation met en évidence que le terrorisme se nourrit surtout de la pauvreté et des inégalités. La redistribution des richesses et la mise en place de politiques sociales dans les couches vulnérables de la société devraient donc être privilégiées comme solutions de long terme de prévention du terrorisme.

Annus Malum pour les pays producteurs de pétrole en Afrique avec la chute vertigineuse des cours du pétrole. Cette situation vient leur rappeler que la dure loi de l'offre dont l'abondance fait nécessairement baisser les prix, mais aussi la dépendance du cours par rapport au contexte géopolitique et au progrès technologique notamment dans les énergies renouvelables. Il convient dès lors d'envisager l'utilisation des moyens financiers générées par ces ressources naturelles pour construire les bases d'économies nationales moins dépendantes des ressources naturelles et génératrices de recettes publiques pour le financement des infrastructures du développement.

Annus Malum, voire même "Annus Horibilis" pour Blaise Compaoré qui s'est vu obliger de fuir son pays comme un vulgaire individu après avoir consacré 27 années de sa vie à se faire réélire président de son pays. Ce triste sort vient rappeler aux dirigeants qui s'éternisent au pouvoir ou qui ont l'intention de le faire la nécessité de favoriser le renouvellement du leadership. Au cœur de ce constat se trouve la question de l'organisation de la vie politique dans les pays Africains. Tout se passe comme si lorsqu'il n'existe pas d'opposition ou tout simplement une organisation politique capable de proposer une alternative, les dirigeants au pouvoir profitent pour mettre la main sur certains secteurs importants de l'économie ou ne sont plus découragés de commettre des délits ou crimes. Dans ces conditions, quitter le pouvoir est tout simplement synonyme de vulnérabilité.

Faut-il dire Annus Bonum pour la francophonie qui a échappé à la règle en renouvelant son leadership avec en prime une femme, fruit du métissage, en la personne de Michaëlle Jean ? Certains Africains y verront plutôt un Annus Malum dans la mesure où le nouveau président n'est pas de nationalité africaine. Ces malentendus montrent à quel point le défi de l'intégration culturelle reste à relever au sein de l'espace francophone pour faire en sorte que les peuples qui y vivent fassent abstraction des "différences administratives" pour embrasser l'idéal de partager une langue commune qu'est le français.

Faut-il dire Annus Bonum pour la démocratie en Afrique qui semble faire des progrès avec l'élection d'un président démocratiquement élu à Madagascar et en Tunisie ; mettant fin à des transitions politiques instables. Cependant, à y voir de près, le pouvoir n'a fait que changer de tête à Madagascar alors qu'en Tunisie il reste dans les mains d'une génération dont on se demande si elle mesure encore les enjeux des décennies à venir. Que ce soit en Tunisie ou au Burkina Faso, voire même en Egypte, partout où des soulèvements populaires ont renversés des régimes existants, force est de constater que l'absence d'une alternative crédible, ou du moins d'une structure d'idées, laisse place à la régénération de l'ancien régime.

Pris ensemble, ces événements viennent rappeler une fois de plus en quoi les questions liées à la santé, à l'éducation, à la création et à la redistribution des richesses, ainsi que celles liées au fonctionnement des institutions politiques demeurent des défis à relever en Afrique. Alors que le continent s'engage dans une phase de croissance, quelles sont les stratégies sur lesquelles ces gouvernements devraient miser pour s'assurer que cet épisode de croissance soit la promesse de futures Annus Bonum pour l'ensemble des populations africaines. Il est vain d'en fournir les détails ici, mais nous nous tâcherons de proposer dans un prochain article une présentation schématique des alternatives qui s'offrent aux gouvernements africains. En attentant, Annus Bonum à tous.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Les termes latins "Annus Malum" et "Annus Bonum" se traduisent comme "Mauvaise année" et "Bonne Année" respectivement.

L’aventure ambigue des langues africaines

Souleymane Bachir DiagneLe philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a été récemment chargé par Macky Sall de conduire une réflexion sur la réforme de l’enseignement supérieur avec la mise sur pied d’un Comité de pilotage de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES). Une de ses conclusions est que la difficulté de maitrise de la langue française  constitue une sérieuse anomalie pour l’école sénégalaise. Cela repose la question de l’introduction des langues locales dans l’enseignement au pays de Senghor. 


Invité, sur un plateau de télévision, à s’exprimer sur les conclusions de cette réflexion Souleymane Bachir Diagne a expliqué que la baisse du niveau d’enseignement au Sénégal était liée à la non maitrise par les élèves et étudiants de la langue de travail qu’est le français.

Dans l’établissement des causes de cet état de fait, il a avancé que le français n’étant parlé qu’à l’école – les jeunes sénégalais préférant parler les langues locales (le wolof notamment) en dehors- il se posait même, du fait de cette utilisation partielle, un problème d’identification et de maîtrise des connecteurs logiques et donc d’argumentation tant à l’écrit qu’à l’oral.

Deux parmi ses disciples de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Khadim Ndiaye et Thierno Gueye ont tenu à lui « répondre », dans un texte très démonstratif que « logique pour logique » si « l’élève ne performe pas en français. » et que « Le fait que l’élève ne parle que wolof (hors de la classe) » implique que« l’élève ne  performe  pas dans sa langue de travail (au point que les connecteurs logiques dans cette langue ne peuvent se mettre en place). » donc « Il faudrait que l’élève parle wolof au sein de la classe. »Autrement dit, il faudrait arrêter de n’insister que sur le français au sein de la classe ou l’élève ne réussira jamais assez bien ni dans sa langue maternelle, ni dans sa langue de travail.

Ils en arrivèrent à la conclusion que : « c’est peut-être en procédant au renversement que nous rechignons à opérer que nous réglerons la question du problème des connecteurs logiques de l’argumentation ainsi que celle de la baisse de niveau, tant en français que dans les autres langues étrangères éventuellement (à moins, bien entendu, de considérer que ces connecteurs n’existent pas dans les langues locales sénégalaises)

Ndiaye et Gueye pouvaient d’autant plus apporter de l’eau à leur moulin qu’au mois de mars dernier, à liberté 6, un quartier de Dakar, une expérience pilote mêlant apprentissage en wolof et français, dans une classe de Cours d’Initiation a vu les enfants de cette classe avoir les meilleurs notes en français dans toute la circonscription, dépassant les autres élèves qui ne prenaient leurs cours qu'en français.

Au début des années 80 déjà, au Sénégal, une expérience similaire, à plus grande échelle, avait donné les mêmes résultats. Cependant les autorités de l’époque avaient préféré ne pas donner suite.

Contribuant à ce débat, la linguiste Arame Fall Diop est d’avis qu’on ne pourra parler de renaissance africaine que lorsque les langues indigènes seront promues. « A son accession à l’indépendance le Sénégal était au même niveau  de développement que la Corée du Sud. L’un des facteurs explicatifs, bien entendu pas le seul, de l’écart que nous constatons entre les deux pays aujourd’hui, affirme-t-elle, est que la Corée, contrairement au Sénégal, a réalisé un travail de promotion de la langue coréenne pour en faire le moteur de son développement ».

L’économiste et philosophe El Hadj Ibrahima Sall préfère quant à  lui mettre en garde contre ce qu’il appelle un « populisme à rebours ». Oui à l’introduction des langues nationales à l’école, dit-il, ne serait-ce que pour mieux communiquer entre Africains d’un même pays ou à l’échelle continentale mais non à l’idée d’aller, à l’état actuel des choses, jusqu’à enseigner des disciplines telles que les mathématiques dans les langues africaines. Pour lui, il y a tout un travail à faire dans la codification,   la recherche, avant de nourrir de telles prétentions. Il évoque l'exemple de la Mauritanie, pays qui, du jour au lendemain, a abandonné l’enseignement du français à l’école pour lui substituer l’arabe contribuant ainsi à faire s’affaisser des pans entiers de son système éducatif.

Cette position de Sall caractérise ainsi une voix de la prudence donc contrairement à Arame Fall Diop qui souhaite voir les décideurs politiques tenter l’aventure car pensant que l’on a que trop attendu. Elle rappelle qu’en son temps, Cheikh Anta Diop avait déjà fait un travail de codification et sorti plusieurs publications (dans les revues de l’IFAN notamment) dans le sens de l’utilisation des langues africaines dans le domaine de la science ; travail qui, selon elle, n’a pas été exploité.

Elle assure que d’autres études réalisées par des structures comme l’Académie Africaine des Langues (ACALAN), sont aussi disponibles et prône leur application quitte à rectifier et améliorer certains aspects au fur et à mesure qu’avancerait l’expérience.

L’ACALAN, créé en 2001 et placé sous l’autorité de l’Union Africaine, a des objectifs qui vont du « renforcement de la coopération entre les États africains en matière de langues africaines » à « la promotion d’une culture scientifique et démocratique fondée sur l’usage des langues africaines » en passant par « le développement économique, social et culturel harmonieux des États membres basé sur les langues africaines et en relation avec les langues partenaires».

DOOMI-GOLODes intellectuels africains ont déjà commencé, à leur niveau, à prendre des initiatives recoupant certaines de ces préoccupations. Le projet de l’écrivain Boubacar Boris Diop consistant en la publication d’ouvrages (tels son Doomi golo*) en langues nationales en est une illustration.

Terangaweb a été déjà montré l’engagement de certaines élites africaines à porter ce combat présenté de plus en plus comme un impératif de développement du continent. Il existe tout de même un vrai courant de scepticisme de la part de ceux qui craignent que l’écriture en langue locale devienne une méthode de repli identitaire notamment ethnique au détriment de l’usage des langues communes africaines comme le Swahili pour construire des ponts entre différents individus.

C’est peut-être pour tenter de pallier ce risque de communautarisme et d’enfermement relevé que l’homme politique et ancien diplomate sénégalais Ibrahima Fall propose de faire de l’enseignement des langues africaines, un outil d’intégration avec des sortes des cercles concentriques linguistiques. Avec cette méthode, le pulaar serait, par exemple, la langue enseignée dans toute l’Afrique de l’Ouest et le Swahili en Afrique de l’Est car étant les langues les plus parlées dans ces aires géographiques.

A défaut d’entamer une « révolution linguistique » par le bas, certains établissements d’enseignement supérieur proposent des programmes en langues nationales à leurs étudiants. C’est le cas de l’université Gaston Berger de Saint Louis où vient de s’ouvrir un département de « Langues et Cultures africaines ».

*Les petits de la guenon

Racine Demba

Sur le même sujet : 

http://terangaweb.com/lecole-en-afrique-francophone-integration-ou-exclusion/

http://terangaweb.com/le-francais-est-un-frein-a-lalphabetisation-en-afrique-francophone/

Quelle est la place de la Francophonie en Afrique ?

A la veille de l’ouverture du sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie en République Démocratique du Congo, pays aux multiples imbrications politiques et militaires, il est important d’analyser les enjeux de ce grand rendez-vous diplomatique en Afrique.

Il n’est pas fortuit de confier l’organisation de ce sommet à la RDC qui, il faut le rappeler, est le plus grand pays francophone au monde, avec ses 69 millions d’habitants.
 

Ce sommet pourrait être celui d’un nouveau tournant pour une organisation qui, tant bien que mal, ne cesse d’essayer de compter dans le jeu diplomatique mondial. Cela, du fait de l’intérêt croissant qu’elle accorde dorénavant aux problématiques liées à la paix, la démocratie, l’Etat de droit et la préservation des droits de l’homme.
 

Ce sommet en Afrique centrale comporte une importance capitale eu égard à l’importance du continent dans la préservation de l’identité francophone. L’Afrique est encore le dernier rempart de l’avancée massive de l’anglais sur les bases francophones. Faut-il rappeler que sur les 56 pays membres de plein exercice de l’OIF, 30 sont africains. En outre, selon les chiffres de l’organisation, 96 sur les 220 millions de locuteurs francophones dans le monde vivent en Afrique.
Dès lors, l’on ne peu négliger la place que devrait occuper l’OIF en Afrique et l’ambition qui devrait être sienne de toujours y solidifier ses bases.
 

La place de la francophonie en Afrique ne peut être analysée seulement à l’aune de la consolidation de la présence et de l’influence de la France sur le continent. Ce serait tout de même faire preuve d’une grande naïveté de faire fi de cet aspect. Mais les relations entre le continent et la langue française découlent d’un passé qui a vu des chefs d’Etat africains prôner, défendre et construire une entité regroupant tous les locuteurs de cette langue au lendemain des indépendances. Léopold Senghor, Habib Bourguiba, Hamani Diori…furent les pionniers de cette unité organique des francophones qui, au début, jouait le rôle de lien entre la France et ses anciennes colonies.
 

Si au départ, le sentiment d’appartenir à une même communauté cimentée par la langue a prévalu à la création de l’OIF, d’autres enjeux plus politiques ont rejoint le chapelet des principes, missions et objectifs qui délimitent le champ d’intervention de l’organisation.
Ainsi, l’OIF est de plus en plus présente, depuis la Déclaration de Bamako, sur les questions de démocratie, de paix et de droits de l’Homme.
 

C’est cette orientation, plus ou moins récente donnée à l’OIF qui a prévalu à l’établissement de plusieurs mécanismes avec des résultats encore relatifs sur le terrain. Ainsi, Abdou Diouf avait pris des positions tranchées lors de la crise ivoirienne en demandant à Gbagbo de quitter le pouvoir après son refus de se conformer au verdict des urnes.
D’ailleurs, trois pays ont encore subi les foudres de la communauté francophone. Le Mali, la Guinée Bissau et le Madagascar sont suspendus de l’OIF à la suite des crises qui ont vu le fonctionnement normal de leurs institutions rompus. Ces pays ne seront pas représentés au ballet diplomatique de Kinshasa et ne pourront réintégrer les structures de l’organisation que lorsque la démocratie y sera rétablie.

Mais malgré ses positions régulièrement déclinées sur le continent, l’OIF peine à s’imposer en Afrique comme un géant politique et diplomatique capable de peser un poids énorme dans la résolution des crises institutionnelles nombreuses encore sur le continent. Ainsi, lors de plusieurs conflits intra ou inter pays du continent, elle ne s’en remet souvent qu’aux laconiques et répétées déclarations de principe et autres appels souvent peu entendus et suivis.

La situation conflictuelle qui demeure entre la RDC et le Rwanda, et qui a contribué au « boycott » du sommet de Kinshasa par le président Kagamé, (il sera finalement représenté par sa ministre des affaires étrangères) malgré les pressions amicales d’Abdou Diouf sont symptomatiques de la faiblesse diplomatique de l’organisation.
Kinshasa devait pourtant valablement servir de cadre de dialogue propice entre les deux pays qui s’accusent mutuellement de déstabilisation par groupes armés interposés. On se souvient que Dakar servit de cadre, la veille du sommet de l’OCI, de signature d’un accord de paix entre le Tchad et le Soudan.

Cette absence de poids diplomatique réel en Afrique constitue une tare assez incompréhensible du fait du nombre conséquent de pays africains membres de l’OIF, du leadership qu’incarne depuis 2002 Abdou Diouf à la tête de l’organisation et des nombreux fonctionnaires issus du continent qui servent dans toutes les sphères de l’organisation.
En effet, il suffit d’effectuer un tour au 19-21 de l’avenue Bosquet, siège de l’OIF, pour se rendre compte de la place que cette organisation devrait occuper sur le continent eu égard au nombre important de ressortissants africains qui y travaillent.
 

Il faut maintenant observer le déroulement de Kinshasa 2012, attendre ses conclusions afin de voir ce qui va sortir de ce grand rendez-vous transcontinental. L’OIF exploitera t-elle enfin le fort potentiel qu’elle détient sur le continent ? La réponse, elle est en anglais, un crime de lèse-organisation, wait and see !
 

Hamidou Anne

France-Afrique : une histoire politique

L’heure est-elle venue de repenser un espace politique francophone mondial ? De se débarrasser de la “Françafrique” sans détruire un héritage historique potentiellement avantageux dans la concurrence mondiale qui se profile ? Une courte histoire vaut parfois un long discours…

Décolonisation et intégration européenne

Après la Deuxième Guerre mondiale, Paris fait face à un insurmontable dilemme : comment concilier la nécessaire pacification européenne (qui passe, on le sait dès ce moment-là, par une forme ou une autre d’unité) et l’empire colonial en mutation ? Dilemme insurmontable sans un choix qui tranche dans un sens (la France reste une puissance coloniale et mondiale) ou un autre (la France redevient un État parmi ses semblables dans l’ensemble européen). Le choix fait par la IV° république est transparent : l’abandon de l’empire colonial, malgré ses difficultés et ses tragédies (la guerre en Indochine, les massacres en Algérie et à Madagascar) est parallèle à la mise en place des premiers instruments d’intégration européenne (la CECA, le projet de défense unifié, etc.) Malgré les apparences, le choix du général de Gaulle n’est pas différent : l’indépendance de l’Afrique noire (1960) puis de l’Algérie (1962), les différents accords franco-africains sont cadencés, au mois et au traité près, par les retrouvailles franco-germaniques. Moins Paris est une capitale arabo-africaine, et plus son caractère européen s’affirme.

Intégration européenne et visas méditerranéens

Les années qui suivent la chute du mur de Berlin constituent le second moment phare dans cette entreprise binaire : l’intégration de l’Europe de l’est et la cicatrisation de la blessure causée par le rideau de fer, imposent des frais (financiers et humains) auxquels Paris participe parallèlement à la mise en place des premières mesures autoritaires de contrôle des flux provenant des anciennes colonies. Le discours de la Baule, en 1990, prononcé par Mitterrand, n’est pas seulement un appel à la démocratisation de l’Afrique, il est aussi, en creux, un aveu : la France, de plus en plus européenne, se fera de moins en moins ouverte et accueillante à son histoire ultra-marine.

Si ce mouvement est globalement valable pour d’autres ex-puissances coloniales européennes – le Portugal qui tourne le dos à l’Afrique lusophone, l’Italie à la Méditerranée… tout à leur nouvelle vocation européenne – il prend pour la France une acuité particulière, due à la proximité géographique et à l’importance des territoires et des populations concernés. Les incantations récurrentes sur la francophonie, l’amitié franco-arabe ou franco-africaine masquent à peine ces vases communicants : plus d’espace (politique) européen, c’est moins d’espace (politique) francophone.

Vers une citoyenneté francophone mondiale ?

Cet enchaînement – de la décolonisation à l’intégration européenne, de l’intégration à la fermeture des frontières – il serait malvenu et paradoxal de le déplorer : après tout, ne sommes-nous pas dans le sens d’une histoire qui s’écrit avec les caractères de l’indépendance retrouvée et de la souveraineté nationale ? Sauf que la mondialisation économique et financière d’une part, de l’autre la résilience de la langue française (en Afrique subsaharienne particulièrement) et des liens historiques et symboliques ont maintenu, vivant d’une vie informelle, un espace post-colonial francophone. Vie informelle car apolitique, opaque, sans publicité ni légitimité.

On compare parfois le Commonwealth britannique à l’espace francophone, pour déplorer les égarements du second. C’est négliger plusieurs dimensions : l’engagement européen de Londres resta toujours mesuré ; l’essentiel des pays du Commonwealth sont des boutures coloniales (réussies) de la population anglo-saxonne ; la Monarchie britannique permet des degrés d’investissement citoyens modulables. Dernière dimension, qui s’appuie sur les autres, le haut degré de formalisation institutionnelle du Commonwealth, dont la francophonie ne dispose pas, le remplaçant par cette « Françafrique » tant décriée. Là où Londres multiplie les avantages, Paris devrait concilier tant de paramètres : intégration européenne et intégration francophone, citoyenneté républicaine et espace politique transnational, hétérogénéité ethnique et culturelle forte et (de plus en plus) revendiquée. Certes, l’émergence économique de l’Afrique, sa démocratisation (autonome) ébauchent un avenir francophone démocratique et relativement prospère possible. Possible mais peu probable…

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog

Crédit image : http://www.africamaat.com/IMG/arton999.jpg

 

L’école en Afrique francophone: intégration ou exclusion ?

Evoquant des souvenirs d’enfance, l’ancien directeur général de l’Unesco, Amadou Makhtar Mbow, rappelait : « le premier qui, dans la cour de récréation, parlait sa langue maternelle recevait un bâton, le symbole, qu’il fallait à tout prix refiler à un autre « fautif » car, lorsque la cloche sonnait, c’est le dernier possesseur du symbole qui recevait la punition ! ». Témoignage éclairant et non isolé d’un système scolaire qui a marginalisé la langue maternelle en l’excluant du processus éducatif !
Comment ne pas voir là une des causes de l’échec des politiques francophones en matière d’éducation ?

En Afrique francophone, deux enfants sur cinq n’accèdent pas à l’école et sept adultes sur dix ne sont pas alphabétisés ; dans certains pays, le taux de scolarisation dans le secondaire est de 5 % (par comparaison, la Norvège est à 95% et Guyana à 75%). Le problème n’est pas seulement financier et il ne pourra être résolu seulement à coup de milliards de dollars ou d’euros. Il faut s’attaquer à l’ensemble des causes et, particulièrement, au rôle que l’école doit jouer comme facteur d’intégration sociale et de construction de l’identité. Bref, repenser l’école à l’heure de la mondialisation et sous l’angle de la diversité culturelle et linguistique.

Les débats des dernières années ont porté sur l’importance de cette approche dans l’ensemble des politiques. En septembre 2002, au Sommet de Johannesburg, la Communauté internationale a retenu la diversité culturelle comme un des quatre piliers du développement durable. L’Unesco, le 20 octobre 2005, a adopté une convention pour la diversité culturelle. La Francophonie a largement contribué à ces résultats. Pourquoi l’école échapperait-elle à cette question et pourquoi l’école au Sud est elle si peu efficace et accueillante que 2 enfants sur 5 ne terminent pas l’école primaire ? Par comparaison, comment se déroule la formation d’un enfant du Nord ? Au plus souvent, après 1 ou 2 ans de maternelle qui le préparent au primaire, l’enfant sera formé par l’école, par la télévision, parfois par l’Internet et, très souvent, par la famille qui parle la langue du livre de lecture.Ainsi, l’école n’est qu’un acteur parmi d’autres de l’apprentissage.

A l’opposé, l’école au Sud constitue pour l’enfant une rupture brutale avec son milieu, une source d’insécurité linguistique et affective puisqu’il apprend à lire et à écrire et à communiquer son monde dans une langue qui n’est pas encore la sienne et qui n’est pas la langue de son quotidien.

Rarement la télévision pour compléter l’enseignement et pas d’environnement familial pour l’assister et l’accompagner puisque l’école ne parle pas la langue de la famille ! Ainsi, l’enfant du Sud est, sans doute, le seul enfant du monde qui ne peut demander l’aide de sa grand-mère pour ses devoirs…

Il faut resituer ce problème dans la réalité linguistique des pays d’Afrique subsaharienne. Selon le dernier rapport du Haut conseil de la francophonie, à l’exception du Gabon, du Congo et du Cameroun, dans les pays d’Afrique dont le français est une langue nationale, le nombre de francophones est généralement inférieur à 10%. Comment alphabétiser en français dans un tel contexte ? L’école a un rôle fondamental à jouer dans l’insertion de l’enfant dans sa communauté, elle constitue à la fois l’ouverture au monde mais aussi le « conservatoire » des valeurs et des traditions ; elle est le lien entre les générations. Pourquoi, alors, une pédagogie qui contribue à la déstabilisation ?

Les responsabilités sont partagées : politique coloniale de l’assimilation, attitude centralisatrice des gouvernements africains (donc, recours à la « langue unique »), attrait des familles pour la « langue de la promotion sociale »… Et pourtant, depuis de nombreuses années, des expériences originales de « pédagogie convergente » sont menées dans plusieurs pays : Burkina Faso, Gambie, Mali, Namibie, Niger, Nigeria, Sénégal notamment avec des résultats parfois spectaculaires. 

Le rapport mondial sur le développement humain 2004 publié par le PNUD, nous donne quelques données intéressantes. La Papouasie Nouvelle-Guinée, en 1993, a introduit 369 langues autochtones dans les trois premières années de scolarisation et cette réforme a amélioré l’accès à l’école notamment en diminuant l’abandon des filles. Aujourd’hui, plus de 70% des élèves du CM2 passent en sixième contre 40% en 1992 ; de plus, les enfants apprennent à lire, à écrire et à parler le français plus vite et plus facilement. Au Burkina Faso, 72% des enfants obtiennent le certificat d’études primaires dans l’école bilingue contre 14% dans l’école conventionnelle monolingue et le « taux de rendement » (tenant compte des redoublements et des abandons) est de 68% dans la première contre 16%, seulement, dans la seconde.

Depuis plus de 40 ans, (comme le recommande l’Unesco) l’Inde développe une politique d’éducation intégrant 3 langues : une langue internationale, une langue véhiculaire, une langue maternelle (selon le concept indien de gradual differentiation process fondé sur le principe pédagogique classique du connu à l’inconnu, dans l’ordre, une langue maternelle, une langue véhiculaire, une langue internationale). En Afghanistan, à côté des 2 langues nationales, la nouvelle Constitution accorde une place à toutes les langues minoritaires pour l’éducation. Cette question de la langue maternelle dans le processus d’alphabétisation se pose à l’ensemble des pays en développement mais c’est l’Afrique qui, dans ce domaine, fait preuve de la plus grande frilosité. En Amérique latine 91 % des enfants sont instruits dans un système bilingue contre 13% en Afrique subsaharienne.
L’argument des coûts n’est plus recevable.
Le cumul en 40 ans des dépenses publiques (nationales et internationales) en matière d’éducation représente un montant gigantesque et cela, avec une absence de résultat d’autant plus révoltante qu’il y a une concordance parfaite entre les chiffres de la pauvreté et ceux de l’analphabétisme. Or, au Burkina, le coût par élève (enseignants, fournitures, entretien) de l’école bilingue est de 77.500 CFA contre 105 000 CFA pour l’élève de l’école monolingue. Au Guatemala, l’introduction des langues indiennes a permis d’économiser immédiatement 5 millions de dollars grâce à la baisse du nombre de redoublements Ainsi, l’utilisation des langues maternelles donne de bons résultats dans toutes les aires linguistiques ; en termes économiques ce système apparaît comme d’avantage productif et ce type d’enseignement permet une meilleure acquisition de la langue internationale.

Qu’attend, dès lors, la communauté internationale pour adopter et financer un plan mondial de l’éducation intégrant de manière systématique une véritable diversité culturelle et linguistique ? Bien sûr, il faudra former des instituteurs, produire des manuels scolaire, inventer d’autres méthodes… Mais si l’école redevient un vrai produit « du village » alors, chaque citoyen, chaque « Ancien », détenteur d’une partie de l’histoire deviendra, à sa façon, un auxiliaire de l’enseignant et l’éducation des enfants constituera une entreprise collective dont personne ne sera exclu. Un premier jour à l’école s’apparente à un rite initiatique, il doit se faire dans la langue des rêves.

De même, pour l’alphabétisation des adultes l’usage des langues vernaculaires encourage la mobilisation communautaire et le développement social. Pourquoi refuser plus longtemps d’ancrer l’enseignement dans la réalité culturelle, même la plus locale, et pourquoi la langue maternelle est-elle réduite à des approches expérimentales ? On a cru longtemps que les responsables politiques africains ne voulaient pas choisir entre les langues de telle ou telle ethnie. Mais, qui parle de choisir ? Toutes les expériences analysées par le Pnud intègrent les langues les plus minoritaires.

La diversité culturelle et linguistique est à ce prix et elle ne peut s’accommoder d’une quelconque hiérarchie. Il faut en finir avec le double langage qui consiste à s’inquiéter de la disparition des langues (une par jour, selon l’Unesco) tout en étant responsable ou complice de leur marginalisation.
Il ne s’agit pas de bouleverser l’ensemble des systèmes scolaires mais, tout simplement, d’accorder aux langues nationales la première place dans l’alphabétisation et une place significative dans les autres cursus.

S’ils en ont la volonté, les Etats n’auront aucun mal à recruter l’instituteur capable d’enseigner dans sa langue à tel petit groupe et cela quel que soit le nombre de langues à prendre en compte (à l’exemple de la Papouasie Nouvelle-Guinée).
L’Unesco a consacré bien des travaux et des colloques pour sensibiliser les autorités à cette question et, lors du Sommet de Dakar, en 1989, les chefs d’Etats et de Gouvernements de la Francophonie avaient réclamé des programmes ambitieux en la matière. 

En mars 2003, à l’occasion des « Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone », les 17 ministres de l’éducation concernés ont adopté un mémorandum mettant la priorité sur la collaboration entre le français et les langues nationales. En soutenant les langues nationales, la Francophonie ne renonce pas à son objectif de défense de la langue française. Au contraire, c’est en substituant le partenariat à la contrainte que la langue internationale s’inscrira durablement dans la diversité culturelle de la communauté francophone.

Depuis la conférence de Jomtien en 1990, la communauté internationale s’est mobilisée en vue de la scolarisation du plus grand nombre. La réunion de Dakar, en 2000 a fait le constat de l’échec de cette politique et les résultats, à ce jour, ne sont pas plus rassurants. Sans doute le temps est il venu de s’attaquer également à la question des méthodes et des contenus ; c’est dans cette approche qu’il faut situer la problématique des langues de l’école. Comme elle l’a fait, avec l’Unesco, pour la diversité culturelle, la Francophonie peut jouer un rôle majeur dans la mise en place d’une autre politique de l’éducation sur le continent africain.

Roger Dehaybe, ancien administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la francophonie.

Le français est un frein à l’alphabétisation en Afrique francophone

Roger Dehaybe est un homme de culture et un haut diplomate de nationalité belge. Il a présidé le « Comité de réflexion pour le renforcement de la Francophonie » dont les conclusions ont fourni la base du nouveau cadre institutionnel de la Francophonie. De 1999 à 2005, Roger Dehaybe était l’administrateur générale de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF). C’’est donc un homme du sérail longtemps au cœur de l’action de la francophonie qui nous livre son regard sur cette organisation et sur cet espace international.

Bonjour M. Dehaybe. Vous avez piloté la réforme de la francophonie. Quel rôle peut jouer cet espace de coopération dans les relations internationales ?
Il faut d’abord dire qu’est ce que c’était que la francophonie avant et qu’est ce qu’elle est devenue aujourd’hui. La francophonie telle qu’elle a été imaginée dans les années 1960 était pour beaucoup un instrument néocolonial, mais qui, en quelque sorte, a bien tourné. Plusieurs avaient une vision nostalgique et espéraient que, grâce à la langue française, les gens garderaient un même système de pensée. Mais à côté, heureusement, des personnalités ont développé une réflexion plus politique et plus élaborée. Je pense surtout à Senghor et Césaire. Dans les années 1930, des africains, des antillais, des afro-américains, développent, à Paris, une réflexion sur leur identité. C’est de cette réflexion que naitra le concept de « négritude »: nous les Nègres sommes porteurs de culture, de valeurs, et entendons apporter notre pierre à l’édifice de la culture mondiale. Ainsi, ils étaient dans une démarche de refus du modèle culturel dominant européen. Quand Senghor devient chef d’Etat, il milite pour créer une francophonie qui soit un espace à l’intérieur duquel des cultures différentes pourront communiquer grâce à une même langue en commun. Ainsi, quand je parle de ma culture à des Vietnamiens qui me parlent des leurs, grâce à « la langue de partage » on parvient à communiquer, et dans cette démarche, nous renforçons nos spécificités. Dans cet esprit, la francophonie est sans doute la seule organisation internationale qui se propose de développer et de renforcer les différences appréhendées comme une valeur ! Alors que l’UE veut supprimer tout ce qui est différent entre les Européens, la francophonie, elle, est un espace qui veut permettre à chaque culture et à chaque peuple de s’affirmer comme différent de l’autre. C’est assez paradoxal : grâce à une langue de communication internationale, on donne la possibilité à des cultures de s’affirmer et de se renforcer. 

A ce propos, il y a un concept avec lequel je ne suis pas d’accord : c’est le terme de « culture francophone ». C’est un contresens. Comme de dire par exemple que la langue française est la « langue des droits de l’homme » : au XII° siècle, les Mandingues avait déjà fait leur propre charte des droits de l’homme. Toutes ces affirmations, ce sont les séquelles de la francophonie des années 1960. Heureusement, elle n’a pas duré longtemps, c’est celle de Senghor qui a gagné.

De manière plus particulière, en quoi la francophonie peut participer au développement de l’Afrique ?
On peut utiliser la langue française comme un outil de développement. Il y a eu une mauvaise lecture de la francophonie qui a longtemps considéré que sa seule finalité c’était la langue française en soi. La langue française est un outil, non un objectif. Quand nous nous battons pour maintenir le français dans l’UE et à l’ONU, c’est pour que les pays francophones ne soient pas marginalisés diplomatiquement, donc on protège des intérêts stratégiques. La défense de la langue française c’est aussi un moyen pour que les pays du Sud francophones puissent garder toute leur place dans les organisations internationales et continuent à se faire entendre sur la scène internationale. 

En tant qu’outil de communication, d’échanges, le français est un facteur de développement pour les populations qui le partagent. Ainsi, par exemple dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, 5% des pages internet au niveau mondial sont en français, alors que les francophones représentent 2% de la population mondiale. Les francophones ont donc une visibilité plus forte que leur place réelle.

Est-ce que la francophonie ne se construit pas à l’encontre des cultures des pays qui en font partie ?
Dans toute organisation internationale, vous avez un problème de rapport de forces : la francophonie est principalement portée par la France. La première image qu’on en a, c’est celle de la puissance de la France. Ce n’est pas une critique que je porte, c’est un constat : tous les pays utilisent une organisation internationale pour faire avancer leur propre agenda. Je ne reproche pas à la France de peser sur la francophonie, mais il appartient aux non-Français de faire en sorte que ce rapport de forces reste équilibré. 

J’aimerai prolonger votre question sur un aspect qui me tient particulièrement à cœur, la question de l’éducation. A mes yeux, une des raisons de l’échec des politiques d’éducation dans les pays francophones, c’est le fait qu’on alphabétise en français. 95% des enfants en Amérique latine sont alphabétisés dans leur langue maternelle, 70% en Asie et 13% seulement en Afrique francophone. Tout le système francophone d’éducation est resté sur le modèle néocolonial qui ignore les langues locales.

Pour l’enfant européen, sa formation c’est : l’école, la famille, la télévision, internet. En Afrique : l’enfant n’a pas internet, la télévision par intermittence, il lui reste l’école, mais il n’a pas la famille, car quand il rentre de l’école, ses grands-parents ne savent pas lire des livres écrits dans une autre langue. Cessons de croire ou de dire que tous les citoyens des pays francophones connaissent le français. Le dernier et passionnant rapport sur l’état de la langue française réalisé par l’OIF est éclairant : ainsi, par exemple, ce rapport donne pour le Niger, pays fondateur de la Francophonie (Traité de Niamey) le chiffre de 12% de francophones ! On perd l’impact de l’éducation familiale dans la formation scolaire des enfants. L’enfant africain est le seul enfant du monde qui n’a pas la possibilité d’apprendre avec ses grands-parents. 

Il existe pourtant une solution alternative : la pédagogie convergente. Les premières années de l’école, on apprend à l’enfant à lire et écrire dans sa langue maternelle, et c’est seulement à partir de l’équivalent du CE1 qu’on lui apprend la langue française. Les expériences pilotes ont prouvé que l’enfant qui a appris le français de cette manière, le connait mieux que les autres : on a un taux de réussite du primaire au secondaire supérieur à celui de la pédagogie traditionnelle. En plus, la pédagogie convergente est moins chère que la pédagogie traditionnelle. Cette approche, qui est celle de l’Amérique latine, de l’Asie, n’est pas mise en œuvre en Afrique francophone si ce n’est de manière extrêmement limitée (expérimental !). 

Il y a plusieurs raisons à cela. Le français reste pour tous ces pays la langue de l’unité nationale et territoriale. Si on doit prendre en compte les langues maternelles des uns et des autres, il va falloir faire une politique de décentralisation, alors que le français est la langue de la centralisation. Deuxièmement, il n’y a pas de marché pour les manuels scolaires dans les différentes langues africaines, notamment celles qui concernent des communautés réduites. Les parents ont aussi des complexes par rapport aux langues ethniques, ils préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles classiques. Dans ces cas de figure, la langue française s’oppose en effet aux langues et aux cultures locales, et il y a beaucoup de complices à cet état de fait. Il faut faire attention à ce que le français ne serve pas une politique de répression des cultures et des langues des différents pays. On ne prend pas assez garde à cela.

Propos recueillis par Marwa Belghazi et Emmanuel Leroueil