Leurres, lueurs et jour nouveau

jeunes Afrique« Comment aller plus loin que Mandela sans devenir Mugabe ? » La réponse à cette interrogation de Slavoj Zizek est, pour moi, fondamentale dans la construction d’une Afrique nouvelle.

Comment sortir de cette quête d’icônes qui fait que, pour certains d’entre nous, un président, parce qu’il aura rendu des terres aux paysans de son pays, ait le droit de rester au pouvoir à 90 ans révolus, avec un bilan économique peu enviable ? Comment renforcer les institutions étatiques, la cohésion nationale, le vivre ensemble comme l’a fait Mandela, tout en reprenant les leviers de nos économies extraverties aux groupes compradors ignorants du patriotisme économique ou à ceux dont le patriotisme va à d’autres Etats que ceux dans lesquels ils prospèrent ?

Comment remettre la souveraineté politique, économique, culturelle de nos Etats au centre des débats nationaux et par delà du débat continental sans tomber dans de dangereux nationalismes avec leurs lots d’exclusion et de stigmatisation ? Comment libérer les leviers de production, les donner en priorité au peuple réel, celui qui cultive la terre, creuse la mine, défie la mer, trait la vache, sans tomber dans le culte de la personnalité ? Comment en finir avec l’attente des messies et la tradition des hyper présidents tout en stimulant le sens commun vers un but de libération de toutes les entraves à l’épanouissement de l’homme ? Comment ne plus se contenter de démocraties électorales ; faire en sorte que le curseur de la nation qui avance ne soit plus seulement placé au dessus de la case « organisation d’élections transparentes » mais déplacé vers « acquisition d’une réelle indépendance économique et culturelle » ? Comment faire recouvrer toutes leurs souverainetés aux anciens pays colonisés tout en réussissant à vaincre les démons de la division interne  dont souvent les ficelles sont tirées depuis cet ailleurs où se retrouve la souveraineté usurpée et à reconquérir ?

Comment faire pour que, face aux conformistes de tous ordres qui ont fini de faire un maillage efficace du système, les véritables patriotes désintéressés, ceux qui veulent sincèrement changer les mentalités et transformer le quotidien de leurs compatriotes en partant des dynamiques internes, aient leur mot à dire et la possibilité de montrer leur savoir faire ; pour qu’ils ne soient pas disqualifiés par une démocratie des oligarques où l’argent et les accointances avec des groupes de pressions fixent les règles ? Comment discipliner des peuples, les mettre au travail sans succomber à l’appel de la tyrannie? Comment avoir l’éclairé sans le despote, le visionnaire au leadership transformateur sans le monarque à l’ego surdimensionné ? Comment avoir le chef intransigeant sur les questions de souveraineté sans le démagogue qui, de manière intempestive, évoque l’autre pour masquer ses propres limites devant ceux qui l’ont porté au pouvoir ?

Comment donner le pouvoir au peuple, celui des champs et des usines sans qu’il se retrouve dans la rue où le premier démagogue venu aura tout le loisir de le ramasser ?

Une génération d’africains, intellectuels, activistes, entrepreneurs, est entrain de répondre à ces questions. Elle sait que 80% des terres arables de la planète se trouvent sur le continent, qu’à l’horizon 2050 la plus grande population en âge de travailler et d’être productive se trouvera en Afrique. La prochaine usine du monde dit-on. Oui mais à condition, pour que cet optimisme fasse sens, que les leviers et capacités de production soient tenus par des entrepreneurs locaux dans un système où mérite ferait loi.

Ma conviction est qu’il faudra un jour pas très lointain en finir avec les « taxistes »  et les « sous-employistes ». Les premiers se glorifient d’une croissance économique sans impact social dans leurs pays car tirée par des entreprises étrangères. Ils se contenteront des taxes versées par ces firmes, portion congrue comparée aux sommes rapatriées dans les pays d’origine surtout en zone CFA où la possibilité de rapatrier des bénéfices est illimitée contrairement à d’autres aires monétaires où cette pratique est plafonnée.

Les seconds cèdent facilement au chantage à l’emploi. Les entreprises bien installées, ceux qui sont là depuis la colonisation comme ceux qui viennent d’arriver, des françaises aux chinoises, créent des emplois disent-ils. Cela suffit à leur bonheur et à leur détermination à maintenir le statu quo. Que ces emplois dont on parle soient, dans la grande majorité des pays africains, une goutte d’eau dans l’océan du chômage n’y fait rien.

Ces deux spécimens qu’on pourrait qualifier d’ « intellectuels compradors » qui sont les garants d’intérêts autres que ceux de leurs pays et se satisfont du monde tel qu’il est, consentant à peine à quelques ajustements mais toujours dans le même cadre prédéfini, sont malheureusement nombreux à des postes de responsabilités dans les pays africains. Leurs convergences d’intérêts avec des milieux d’affaires mus seulement par la recherche du profit à moindre coût d’investissement ne pourraient conduire à des avancées sociales.

Il faudra trouver les voies et moyens de donner plus de place dans le débat public à ceux qui déconstruisent les options prises depuis prés de 60 ans par la plupart des pays africains, souvent avec le duo de Bretton Woods comme muse, et qui n’ont pas donné de résultats à la hauteur de la demande sociale et de la poussée démographique. Cette ouverture doit aller de l’économiste qui travaille à l’élaboration d’indicateurs autres que le PIB et l’IDH pour mesurer la productivité des agents économiques ou le caractère inclusif de la croissance au philosophe qui appelle à l’introduction des langues locales dans l’enseignement pour une meilleure appropriation des concepts et une démocratisation du savoir.

Le refus salutaire des modèles importés faisant son bonhomme de chemin, il faudra, au plan interne, en finir avec les lobbys obscurantistes qui trouvent explications à toutes les forfaitures.  Des pratiques du fonctionnaire subitement milliardaire qui passe pour généreux parce que partageant son butin avec des groupes de pression et leaders d’opinion à celle consistant à faire mendier des enfants par milliers dans les rues de nos villes sous prétexte d’apprentissage d’une religion, en passant par les oppositions à la mise à niveau du statut de la femme avec celui de l’homme ; oppositions nourries par des conservatismes révolus.

Il y a un passage entre la nuit noire et le soleil éclatant. Il y a ceux qui ont dormi à poings fermés, qui se sont complus de leur journée d’hier et n’attendent pas de bouleversements dans celle qui s’annonce. Mais il y a aussi ceux qui ont rêvé de jours heureux et qui se disent que ce rêve est atteignable ; qu’une Afrique qui compterait sur ses forces et dynamiques propres et avancerait à son rythme en assurant un bien-être certain à ses enfants n’est pas qu’utopie. 

La réalité de ce rêve commence par le fait de penser par soi même et de refuser les satisfécits décernés par d’autres au motif d’une croissance qui serait bonne alors que le chômage explose, des femmes meurent dans presque tous les pays d’Afrique en donnant la vie faute de structures de santé à proximité, que des enfants étudient dans des abris provisoires, que l’avancée de la mer engloutit des villages entiers, que des hommes et femmes doivent marcher des dizaines de kms pour trouver de l’eau, que sont érigés en règles les emplois précaires et la corruption, que les passe-droits dans tous les secteurs de la vie active ont la peau dure…Bref que la croissance « bonne » chantée à l’unisson par certaines institutions et tous les gouvernements s’avère inutile à l’épreuve des faits et du vécu des populations.  

Ce passage entre la nuit noire et le soleil éclatant est le temps actuel de l’Afrique. Un continent qui se réveille mais qui en est aux premières lueurs d’un jour nouveau devant la conduire à prendre son destin en main par le courage de ses élites et la libération de ses masses laborieuses.

Racine A. Demba

Bénin : Pourquoi le mandat unique serait-il une mauvaise idée ?

P TalonL’élection présidentielle béninoise de mars 2016 a été l’occasion pour chaque candidat de faire des propositions de réformes institutionnelles notamment sur l’organisation de la vie politique nationale. A cet effet, la proposition du nouveau président Patrice Talon d’instaurer un mandat présidentiel unique et un financement public pour les partis politiques mérite une analyse plus approfondie, tant elle paraît à la fois séduisante et complexe. Le mandat unique enlèverait au président l’incitation à étouffer l’opposition ou à distordre les politiques publiques dans le but de renouveler son mandat. Quant au financement public, il rendrait les partis politiques plus indépendants des milieux d’affaires, jusqu’ici leurs principaux bailleurs de fonds. Cependant, en dépit de ces bonnes intentions, ces réformes risquent de porter un coup à la vitalité de la démocratie béninoise, et ceci pour deux raisons liées.

Déplacement du problème de l’individu vers le parti

Jusqu’aux dernières élections, les présidents béninois n’ont jamais été issus de partis politiques. Une fois au pouvoir, le président est typiquement soutenu par une alliance de partis politiques qui s’étiole dès son départ du pouvoir. Ce fût le cas de Soglo, de Kérékou et probablement de Yayi. Dans ce contexte où le président n’est redevable à aucun parti politique, son incitation à conserver le pouvoir se recentre sur lui-même, l’alliance de partis créée lors du premier mandat n’étant qu’un instrument à cette fin. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un mandat unique, l’incitation du nouveau président pourrait toujours être la conservation du pouvoir, mais cette fois-ci au profit de son parti politique.

Le paysage politique mexicain offre un exemple saisissant de cette éventualité. Le Mexique a instauré un mandat présidentiel unique de six ans depuis 1934 avec un régime présidentiel comme au Bénin. Depuis 80 ans, le président a toujours été issu du parti libéral, à l’exception de la décennie 2000-2012 où le président était issu du parti conservateur. Cet exemple suggère donc que l’incitation à étouffer l’opposition reste entière, voire renforcée, lorsque le président n’a droit qu’à un seul mandat.

Il est toutefois possible que le mandat unique réduise la distorsion des politiques publiques à cause de l’incitation du président à conserver le pouvoir au profit de son parti politique. Cependant, la question de l’innovation dans les politiques publiques reste posée, car même si la politique n’est plus biaisée, elle pourrait être plus efficace si de nouvelles idées étaient régulièrement introduites dans le corpus idéologique des partis politiques qui aspirent à exercer le pouvoir exécutif. Cette quête d’innovation politique pourrait être garantie si de nouvelles figures politiques, issues de la jeunesse ou des couches sociales minoritaires, avaient la possibilité d’intégrer les organes dirigeants des partis politiques.

Emergence d’un parti politique dominant et stable

Les risques suscités par le déplacement du problème de l’individu vers le parti politique, à savoir l’étouffement de l’opposition et le manque d’innovation politique, ne sont avérés que si les conditions sont remplies pour l’émergence d’un parti politique qui rassemble la majorité des électeurs et qui dispose d’une stabilité temporelle.  Dans l’exemple du Mexique, le parti libéral ayant conservé le pouvoir plus de 80% du temps depuis le passage au mandat unique existait bien avant cette réforme et avait exercé le pouvoir exécutif pendant de nombreuses années. En l’état actuel des choses au Bénin, il y a peu de chance qu’émerge un parti politique dominant à cause de la base ethnique des partis politiques dans un environnement ethniquement fragmenté.

Quoiqu’une bonne nouvelle, cette situation est de nature à pervertir l’exercice du pouvoir exécutif en cas de mandat unique. Chaque nouveau président s’arrangerait pour profiter au maximum de son mandat sachant qu’il n’a pas de compte à rendre, sauf si les institutions de contre-pouvoir étaient suffisamment fortes. Le financement public des partis politiques, si elle était uniquement fonction du poids électoral, lève cette contrainte en incitant les partis politiques à s’allier au-delà des frontières ethniques.  

Il semble donc que l’instauration du mandat unique, accompagné d’un financement public des partis politiques, pourrait être un puissant moteur à l’émergence d’une sorte de parti unique durable et peu innovant. Même si ces réformes permettent de limiter la distorsion des politiques publiques créées par le renouvellement du mandat, elles laissent plus forte l’incitation à étouffer l’opposition politique, entamant ainsi la vitalité de la démocratie. Dès lors, la question fondamentale que soulèvent les deux réformes phares du nouveau président est celle de l’arbitrage entre vitalité démocratique et innovation politique.

Concilier vitalité démocratique et innovation politique

Pour concilier ces deux effets la réforme institutionnelle du président Talon aurait besoin d’être complétée par des mesures spécifiques sur la base du financement public. Ainsi, il pourrait être demandé aux partis politiques d’avoir un quota permanent de jeunes dans leurs instances dirigeantes. Avoir les jeunes à ces niveaux hiérarchiques des partis politiques permet d’inciter à l’innovation politique. Exclus, ils constituent en même temps la principale force politique susceptible de menacer la dominance et la stabilité d’un parti politique.

Par ailleurs, il devrait y avoir un financement de base identique pour tous les partis politiques dès lors qu’ils justifient d’un seuil minimal d’adhérents, plus une partie variable en fonction du poids électoral. Cela éviterait également la persistance d’un parti dominant. En outre, le renforcement des institutions de contre-pouvoir et la mise en place d’un système de reconnaissance vis-à-vis des présidents les plus méritants décourageraient la perversion du mandat unique comme un appel à se servir au plus vite.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

La Gambie, cet exemple des conséquences de l’absence de gouvernance économique

gambia

La Gambie est un pays qui offre un contraste saisissant, entre l’image qu’en véhiculent les médias en lien avec les déclarations et positions de son président, la personnalité de ses habitants et sa situation socio-économique.

Banjul a l’air d’une ville des années 90, cependant ses habitants s’y sentent bien. Bien parce que malgré leur pauvreté, ils ont une joie de vivre que rien se semble justifier et ne se montrent pas du tout hostile envers les touristes. Au regard de l’intérêt que portent les touristes, notamment allemand et britannique, à ce pays ; on se demande bien pourquoi on nous vend la Gambie comme un pays à éviter. Le tourisme sexuel y est réel mais ne justifie pas l’importance de ce secteur[1].

La destination est avant tout low cost, dispose de belles plages avec des habitants plutôt conviviaux. Certains y découvrent des opportunités d’affaires. De fait, tant qu’on ne s’intéresse pas aux questions politiques, on peut y faire des affaires. Enfin sans compter sur les éventuels caprices du président. En effet, s’il ne s’invite pas dans la sphère économique (lui et son cercle), ce sont ses décisions arbitraires qui détériorent l’environnement des affaires. Des décisions que les médias occidentaux surenchérissent, créant une certaine phobie de ce pays alors que certaines de ces décisions paraissent plutôt correctes : interdiction de l’excision ou de la dépigmentation, entre autres.

La réelle difficulté de la Gambie réside dans l’absence d’une stratégie de gouvernance socio-économique, qui se traduit par les décisions arbitraires des autorités. Son administration constituée de ressources humaines qualifiées, s’exerce donc plus à rafistoler les dégâts causés à l’économie par les décisions erratiques des autorités que d’assurer la mise en œuvre des projets et programmes définis dans le plan d’émergence du pays, et ceci, à tous les niveaux. De l’exécutif au judiciaire en passant par le législatif, les fonctionnaires de ce pays tentent d’assumer au mieux leur fonction pour améliorer la situation de leur pays mais doivent composer avec un exécutif dont les décisions leur échappent complètement et sont tout à fait imprévisibles.

Le budget qui constitue un instrument de politique économique est complètement politisé et traduit les seules ambitions du président. Son financement est rendu complexe par l’isolement de plus en plus croissant du pays, qui depuis son indépendance est gavé d’aides extérieures. Les agents de l’administration ont donc été contraints de recourir au marché domestique pour mobiliser les ressources nécessaires au financement des déséquilibres budgétaires, créant un effet d’éviction au détriment du secteur privé. Les taux d’intérêt y atteignent aujourd’hui près de 30%.

Ces fonctionnaires n’ont vraiment pas le choix. Il ne faut pas leur en vouloir. Il faut bien payer les salaires et assurer le fonctionnement de l’administration ; au moins pour entretenir la demande afin de créer un semblant de marché domestique pour que les quelques entreprises, hôtels et autres commerces puissent fonctionner. Les projets d’investissement sont rares et le paiement des intérêts absorbe une bonne partie des ressources propres de l’Etat. La Banque Centrale n’y est pas indépendante et ne peut donc mettre en place des mesures pour contrôler ces interventions de l’Etat sur le marché financier.

La politique de change est pilotée depuis la présidence de la république. Le taux de change dalasi-dollar a ainsi été fixé à plusieurs reprises sur les trois dernières années par simple annonce présidentiel et sans une évaluation préalable des risques pour l’économie, contribuant à éroder les relais de croissance du pays et à fragiliser ces équilibres extérieurs. Les réserves du pays ont fondu au cours des deux dernières années et se situent aujourd’hui à un niveau qui ne permettrait de financer que deux mois et demi d’importations.

Le développement du pays est donc pris en otage par la seule volonté d’un politique, toute manœuvre visant à favoriser le développement du pays pouvant être remis en cause par une simple décision présidentiel. Ainsi en plus des difficultés usuelles – approvisionnement électrique, cadre réglementaire, état des infrastructures, etc. – qui affectent l’attractivité des pays africains, la Gambie a en plus son président, qui se constitue en une source d’instabilité de l’environnement des affaires, affectant fortement l’attractivité du pays et obérant toute perspective de développement. Au dernier classement Doing Business, le pays a reculé à la 151ème place.

Définir un plan, avec un ensemble de projets à exécuter, ne suffit pas pour garantir le développement ou l’émergence. Son appropriation par les hautes autorités est nécessaire pour sa réussite.

Le cas gambien qui montre assez bien comment le manque d’une stratégie de gouvernance économique cohérente peut être dommageable pour l’économie, n’est pas une particularité. Ceci est une problématique qui se pose à plusieurs pays africains aujourd’hui. La détermination politique devant accompagner la mise en œuvre des projets et programmes de développement est quasi-absente et la situation se détériore quand en plus, les autorités interviennent dans la sphère économique ou s’enlisent dans des jeux ou calculs politiques. On citera le cas du Congo, du Burundi, de la Centrafrique, etc.

Les réglementations ne servent à rien si les politiques ne sont pas conscientes que ce sont leurs actions qui en déterminent la pertinence. Cette inconscience de nos politiques, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui se réclament de l’opposition, est frustrante. Frustrante, parce que nous voulons voir cet Afrique se développer à travers la valorisation de son potentiel que plusieurs entités physiques et/ou morales, aussi bien externes qu’internes sont prêts à financer.

 

[1] Le tourisme représente 11% du PIB et constitue le premier poste de salariés dans le pays.

Ensemble, nous avons le pouvoir !

africa unitePendant la colonisation les Baoulés, Wolofs, Peuls, Mossis, Sousous, Dogons, Malinkés, Ebriés des territoires ivoirien, soudanais, guinéen ou voltaïque, comprennent  que l'unité est la seule manière pour eux de vaincre l'oppression coloniale. De Dakar à Abidjan en passant par Cotonou ou Conakry, l’intensité et la férocité de la colonisation sont identiques. Les Africains souffrent ensemble mais luttent et résistent ensemble. Les humiliations et la soumission servent alors de ciment à l'unité de ces peuples.

Mansaya Ya An Bé Ta Lé di

Dès 1895, après avoir soumis par la force une grande partie de l'Afrique de l'Ouest, l’État français met en place une fédération, l'Afrique occidentale française (AOF), pour administrer les territoires sous sa domination. Cette fédération composée de six puis de sept territoires sera administrée par un gouverneur général et aura pour capitale Saint Louis. En 1956, sous l'impulsion de la loi cadre, l'AOF est démantelée. Les sept territoires sont désormais séparés, isolés et administrés séparément par des institutions locales.

En 1958, le référendum sur la Communauté franco-africaine entérine cette division par l'institution de républiques autonomes. Ces deux événements valident le processus de balkanisation de l'ex AOF. Ainsi après avoir lutté ensemble contre l'oppression coloniale c'est en ordre dispersé que les peuples de l'ex AOF s’apprêtent à accéder à l’indépendance.

Minh wo hégba hé sanou

En 1957, la Gold Coast ex colonie britannique arrache son indépendance et devient le Ghana sous la direction de son leader Kwamé N'krumah partisan du panafricanisme et de l'unité africaine. En 1958, la Guinée, conduite par son charismatique leader Sékou Touré, obtient l'indépendance en refusant avec fierté de participer à la communauté franco-africaine.

Mbolo moy dolé

De leurs cotés les autres colonies françaises intègrent la communauté franco-africaine mais comme le rappelle Léopold Sedar Senghor « La Communauté n'est pour nous qu'un passage et un moyen, notamment celui de nous préparer à l'indépendance à la manière des territoires sous dépendance britannique. » Un vent de liberté souffle sur le continent africain et de Dakar à Niamey l’indépendance n'est alors  plus qu'une question de temps.

Won Ma Langui Mainguèya Na Won Yi Ra

C'est dans cette atmosphère de liberté que le Sénégal, le Soudan, le Dahomey et la Haute-Volta choisissent le chemin de l'unité. « Notre réunion, dans cette salle des délibérations du Grand Conseil, est un acte de foi dans le destin d'une Afrique forte de l'union de tous ses membres sans discrimination d'aucune sorte ». C'est par cette phrase de l’avocat sénégalais Lamine Guèye que s'ouvre l'Assemblée constituante qui officialise la création  d'une fédération regroupant ces quatre territoires. Elle prendra le nom de Fédération du Mali en référence au grand empire fondé par Soundjata Keita.

Le 14 janvier 1959, la Constitution présentée par le sénégalais Doudou Thiam est approuvée par acclamation par les délégués de tous les territoires. Le rêve unioniste porté par Modibo Keita et Léopold Sédar Senghor voit le jour. C'est donc ensemble que ces quatre nations souhaitent acquérir leur indépendance. Nous sommes en 1959 et l'indépendance pointe à l'horizon.

Mi do kpo mi na dou gan

Mais la fédération va être torpillée par le chef du RDA Félix Houphouët-Boigny artisan de la loi cadre et partisan d'une évolution séparée des anciennes colonies.
Il voit d'un mauvais œil la formation de cette fédération qui pourra lui faire de l'ombre et lui faire perdre son influence dans la sous-région.

Sous la pression d'Houphouët Boigny, la Haute volta et le Dahomey vont se retirer de la fédération et construire une organisation de coopération régionale en opposition à la fédération du Mali. Ces défections ébranlent la fédération mais ne la détruisent pas. Le Sénégal et le Mali sous la houlette du leader panafricain Modibo Keita continuent l'aventure.

Né mi lé dou, nousein la non mia si

Le 4 avril 1959, l'Assemblée de la Fédération se réunit ; Modibo Keita, Léopold Sedar Senghor et Mamadou Dia sont alors désignés respectivement président, président de l'Assemblée et  Vice-Président. Après la mise en place des instances politiques, la prochaine étape est celle de l'acquisition de l'indépendance. Le 20 juin 1960, Léopold Sédar Senghor président de l'Assemblée proclame l'indépendance de la Fédération.

Tond san bé nii taba nama ya tond so

Mais les conflits internes, les antagonistes et les rivalités au sommet de l’État viennent à bout de la fédération.  A la suite d'un conflit institutionnel le Sénégal par la voix de son chef Senghor se retire de la fédération et proclame l'indépendance du Sénégal. Le Soudan proclame à son tour son indépendance et devient le Mali. Après seulement quatre mois d’existence en tant qu’Etat indépendant la Fédération du Mali disparaît.

Tcharbandé no ir gaté gabi

La disparition de la Fédération du Mali emporte avec elle les rêves d'unité portés par les leaders africains. Malgré d'autres initiatives insufflées par Kwamé N'krumah ou encore Sékou Touré les africains ne parviendront pas à s'unir. Ainsi aux lendemains des indépendances on voit apparaître sur le continent africain des états aussi faibles les uns que les autres et n'ayant aucun poids sur la scène mondiale.

Aussi longtemps que notre peuple s'expose au danger d'être faible en étant désuni, il est à prévoir que nous restions sous la domination d'autres peuples qui ont su devenir forts en s'unissant. Unis, nous sommes forts et dans toute l'Afrique les peuples lancent un appel: ensemble nous avons le pouvoir.

Joël-Armel Nandjui

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quels sont les défis et opportunités de financement de l’économie verte en Afrique ?

eco verteDepuis la révolution industrielle, les activités économiques sont basées sur l’exploitation massive des ressources naturelles. La question de la pérennité de ces ressources ne s’est posée que récemment avec l’ampleur du dérèglement climatique.

Appelant à un changement de paradigme, le concept de l’économie verte a vu le jour. Elle se caractérise selon les Nations Unies par l’utilisation rationnelle des ressources, un faible taux d’émission de carbone et l’inclusion sociale. Ces caractéristiques, difficiles à évaluer, représentent un défi pour son développement quoique de réelles opportunités existent sur le continent africain.

Une économie entravée par des politiques publiques en faveur des activités traditionnelles

En Afrique, l’économie verte englobe des activités dans des domaines variés allant de l’agro-alimentaire aux énergies en passant par la gestion des déchets, l’eau, la santé et le tourisme. Pour répondre au triple objectifs social, environnemental et de rentabilité économique, les activités vertes nécessitent de gros investissements ou engendrent des coûts de production significatifs. Par exemple les énergies renouvelables nécessitent des investissements initiaux importants bien que leurs coûts d’exploitation soient faibles contrairement aux énergies fossiles.

Les difficultés soulevées par les entrepreneurs de l’économie verte sont très souvent liées à l’accès aux financements ou à des pratiques de taux d’intérêt élevés à causes des réticences des investisseurs face à des risques élevés. Les politiques publiques rechignant encore à créer des cadres favorables de nature à atténuer ces risques. En effet ne tenant pas compte des externalités négatives, les activités traditionnelles bénéficient d’un coût de production plus faible et de revenus plus significatifs liés aux subventions publiques. Ces politiques de soutien engendrent une distorsion des prix au détriment des produits issus de l’économie verte.

En plus, certains biens intermédiaires entrant dans la production de l’économie verte comme les panneaux solaires, les éoliens, et les produits issus de l’agriculture écologique par exemple sont encore frappés de taxes, ce qui a tendance à renchérir le prix des produits de l’économie verte.
Dans ces conditions, la rentabilité des investissements dans l’économie verte est plus faible, limitant de fait les opportunités de financement pour les acteurs du secteur. Des efforts financiers et une révision des modèles de développement permettront d’opérer la transition vers une économie verte et résiliente face au dérèglement climatique. Les dispositions financières et fiscales qui pour l’instant pénalisent le développement de cette économie peuvent être transformées en facteurs favorables à ce dernier.

Une transition verte nécessaire et opportune

Les Etats africains ont des économies basées essentiellement sur les ressources naturelles. Ils peuvent en tirer davantage de valeur en favorisant des activités qui valorisent et perpétuent ce capital. Les activités vertes créent de nouveaux marchés et permettent la création d’emplois. La transition vers une économie verte ne pourrait qu’améliorer la croissance économique plus qu’un simple maintien du statu quo ou des politiques publiques entravant. Les besoins de financement de cette transition sont certes importants mais selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, à l’échelle globale, investir 2% du PIB mondial d’ici 2050 dans des secteurs cibles comme l’agriculture et l’énergie permettrait d’accélérer la croissance économique. C’est ainsi que les dirigeants africains ont lié le financement de la lutte contre le dérèglement climatique à celui de la transition verte.

Dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, plusieurs instruments économiques ont vu le jour notamment le mécanisme de développement propre et le marché carbone découlant du protocole de Kyoto. Des institutions financières publiques, des fonds souverains et des banques de développement ont également commencé à orienter une partie de leurs investissements dans l’économie verte favorisant son développement bien qu’il soit encore modeste.

Cependant, les Etats africains n’ont pas réussi à capter la majorité de ces investissements. Pour l’heure, ils développent différentes stratégies pour accroître leur soutien à l’économie verte. Celles-ci apparaissent notamment dans les contributions prévues déterminées nationales (CPDN), soumises à l’Accord de Paris sur le climat. Ils se sont engagés sur des objectifs chiffrés de réduction d’émissions de carbone. La réalisation de ces objectifs traduisant une économie sobre en carbone reste conditionnée en grande partie par des apports financiers extérieurs.

Améliorer les mécanismes de financement et repenser les investissements

Le financement public joue un rôle essentiel pour enclencher la transformation de l’économie traditionnelle et répondre à ces attentes. Au niveau global, beaucoup d’efforts restent à faire pour rendre efficace les fonds en faveur du climat et de l’environnement et améliorer leur accès aux Etats africains. Ils sont encore insuffisants pour entamer une véritable transition verte mais ils pourraient être renforcés par le recours à des sources complémentaires de financements prévisibles tels que des taxes sur le transport et les transactions financières dans les pays développés.

Au niveau local, les Etats qui choisissent les options politiques concrètes pour une transition verte seront les premiers à être résilients face aux dérèglements climatiques. Il s’agit de limiter les dépenses et les investissements dans les domaines qui épuisent les ressources naturelles tout en les augmentant dans les activités vertes, la formation et le renforcement de capacité. Beaucoup d’Etats africains ont par exemple un fort potentiel de tourisme durable, d’agriculture biologique et d’énergies renouvelables. Agir sur le cadre réglementaire et ne pas soumettre ces activités à des régimes fiscaux rigides grâce à des exemptions fiscales, des crédits d’impôts, la mise en place des systèmes de subvention bien orientés ou de fonds nationaux alimentés par les activités à fortes externalités négatives seraient des mesures encourageantes pour promouvoir une économie verte encore fragile.

Tribune initialement parue chez nos partenaires de Financial Afrik. 

Djamal Halawa

 

 

Museveni, l’automne d’un patriarche africain.

MuseveniIl y a deux ans, je rencontrai Richard, jeune ambassadeur d’Ouganda en Egypte. Exubérant et très sympathique, Richard adorait parler politique. Au détour d’une conversation, je lui demande combien d’années Museveni avait passé au pouvoir. Réponse implacable et sans fard de Richard : « only 28 years ».

La réponse, surprenante pour moi, était en fait une banale conviction au sein de l’appareil d’Etat au service de Museveni. Le président ougandais, âgé aujourd’hui de 71 ans, vient de prolonger pour la cinquième fois son éternel bail avec le peuple. 60% de suffrages favorables. Un principal opposant arrêté avant même la proclamation des résultats. Une nouvelle idylle entre un peuple et un homme. Voilà le bilan d’un éternel recommencement depuis 30 ans en Ouganda.

Les sempiternelles « observations »… des observateurs internationaux sur la sincérité du scrutin resteront anecdotiques. De toutes les façons, d’une victoire de Museveni, on ne s’émeut plus en Afrique. Le suspens était : avec quel score.  

La jeunesse ougandaise, dont une écrasante majorité n’a connu qu’un président, n’avait pas l’espoir du changement. Dans ce type de démocratie, le système est organisé pour assurer la victoire d’un homme. Abdoulaye Wade, vieux fauve politique sénégalais, disait qu’en Afrique, on n’organise pas des élections pour les perdre, surtout quand on a à disposition l’argent et l’armée.

Qu’est ce qui fait encore courir Museveni ?

Yoweri Museveni est un ancien guérillero, un homme du « bush » qui a fait ses classes au sein du Frelimo mozambicain. De la Tanzanie voisine, il a lancé l’assaut libérant son pays des sanguinaires dictatures d’Idy Amine Dada puis de Milton Oboté. L’homme a indéniablement fait passer son pays un cap économique remarquable et en a fait un acteur de poids sur la scène diplomatique africaine.

Mais qu’est ce qui fait encore courir le « père » de Kampala ? Un nom gravé dans l’histoire ? L’argent, la gloire, les honneurs ? Mourir au pouvoir pour échapper au jugement implacable du temps et la descente aux enfers de son vivant ? Que cherche t-il dans cet interminable flirt de 30 ans aux multiples feuilletons ? Comme tous les amours incontrôlés conçus dans l’ivresse romantique du maquis, celui de Museveni en devient tyrannique ; il se terminera par un drame. De quel nature ? Je ne sais pas.

Museveni et l’Ouganda : un amour sans fin.

Museveni et sa « bananeraie », l’Ouganda, c’est un mariage de cœur et de déraison, avec toute la tragédie que peuvent nourrir ces formes de liaisons dangereuses et redondantes.

De manière plus globale, le cas Museveni illustre le rapport particulier que les « Pères » ont avec la nation qu’ils ont vu naître au bout d’une lutte armée, souvent féroce. Comme Mugabe au Zimbabawe ou Dos Santos en Angola, Museveni a le sentiment que son pays lui appartient. La guerre de libération est un facteur qui légitime, chez eux, un rapport paternaliste avec leurs pays. Ils ne voient jamais les populations comme des concitoyens dont ils doivent se soumettre aux volontés, mais comme des « fils » sur lesquels une autorité quasi parentale, enrobée dans un vernis institutionnel, s’exerce continuellement.

Ces vieux « camarades » ne peuvent pas passer la main dans la gestion de pays qu’ils ont pendant des décennies façonnés, souvent à leur image. Ils en connaissent tous les coins et en devinent les moindres contorsions, les plus petites gesticulations. On ne peut nier l’amour d’antan des « Pères » pour des pays pour lesquels ils ont risqué leur vie face, soit à des armées coloniales aux méthodes cruelles, soit à de sanglantes dictatures, comme ce fut le cas en Ouganda. Mais cet amour débouche sur une sorte de culte de la personnalité et d’une confusion entre les intérêts personnels et ceux d’un peuple qui a grandi, qui a changé, et qui mérite de ce point de vue un changement de gouvernail.

Les « Pères » ont raté un virage important et ont manqué de lucidité sur leurs peuples. Ils continuent à les regarder avec des yeux d’hier. Aux premières heures de l’indépendance, ils étaient des héros, des libérateurs de peuples bâillonnés. Des décennies plus tard, ils sont devenus des autocrates et s’imposent le drame du déclassement personnel. Leur renonciation aux idéaux du passé en fait des vieux aigris, courant derrière un faste que, ni notre génération, ni notre époque ne peuvent leur offrir. Les « pères » s’appuient sur le plus confortable et le plus fiable socle : celui de la famille et de la cour. Le gaucho Museveni qui voulait émanciper son peuple des horreurs de la dictature sombre dorénavant dans un exercice solitaire du pouvoir avec, comme seul allié sa famille. Finalement « ex révolutionnaire » est sans doute l’un des pires qualificatifs adressés à un homme politique. Car si Museveni a obtenu le droit de gouverner l’Ouganda pour encore 5 ans, il annihile la justesse de son combat passé.

Mais après tout, comme dirait simplement mon ami Richard entre deux blagues douteuses : « only 5 more years » …

 Hamidou Anne

 

A la recherche de mon futur Président

politique SNAu Sénégal, le débat politique est accaparé par une poignée de personnes militant pour leurs stricts intérêts personnels. Cela conduit à un champ politique déserté par la production d’idées et de propositions solides au profit de querelles intempestives crypto personnelles et nauséabondes.

La classe politique sénégalaise a décidé, dans son entre soi, d’ignorer les préoccupations et les aspirations de notre peuple pour se complaire dans une stérile et vaine mascarade.

Cette classe politique délégitimée n’a réussi qu’une chose : faire fuir tout un peuple qui a l’impression d’être l’agneau du sacrifice sur l’autel d’une politique politicienne.

C’est à cause de cette entreprise d’abaissement national que moi, simple citoyenne, je suis partie à la recherche de mon futur Président.

Je suis à la recherche de mon futur président dans ce méli mélo politique que nous avons du mal à comprendre et qui nous repousse de plus en plus. Lorsqu’après plusieurs années de tentatives d’expression d’un discours politique vain et similaire au gré des changements, le peuple a encore faim et soif, on se pose la question à savoir qui pourrait être le prochain. Où plutôt qui devrait être le prochain ? Celui-là devrait être le bon car nous avons énormément besoin de sincérité pour un changement structurel et profond.

Je suis à la recherche de mon futur Président car pendant longtemps on m’a fait croire qu’il fallait qu’il soit issu d’un parti politique, et pas n’importe lequel, mais évidemment d’un « grand parti ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle certains se sont précipités pour trouver une telle dénomination à leur appareil politique ?

En tout cas, pendant longtemps on m’a fait croire que mon Président, pour être élu devrait mener une campagne électorale où l’argent coulerait à flots, sinon l’échec serait assuré. Peut-être est-ce la raison pour laquelle, certains useraient de voies et moyens peu légaux pour accéder au sacre suprême ?  Pendant longtemps on m’a fait croire que mon président pour être élu devrait faire des promesses et se réserver le droit de ne pas les tenir. Peut-être est-ce la raison pour laquelle un ami m’a récemment rappelé que la promesse d’un politicien n’engage que celui qui y croit ! Vérité finalement implacable.

Je suis donc à la recherche de mon futur Président. Ce Président qui viendrait d’une coloration politique quelconque, sociale, libérale, démocrate, entre les deux ou rien de tout cela, peu importe.

Ce président qui serait tout simplement patriote juste et indépendant. Ce Président qui serait assez courageux pour changer la destinée de tout un Peuple. Ce Président qui serait assez instruit et cultivé, qui serait forgé façonné par la culture de son pays pour imposer sa vision.

Une vision non pas copiée mais réfléchie et adaptée, capable de transformer structurellement notre économie. Une vision qui nous conduirait à agir par nous-même. Ce président qui nous proposerait un système éducatif qui refléterait notre histoire et nos valeurs, où la recherche aurait une place prépondérante; une économie basée sur industrie solide gérée par nous-même et sous-tendue par une gestion vertueuse de nos ressources naturelles ; un système sanitaire de bonne qualité et à la portée de tous ; un système agricole capable d’inverser la courbe des importations…

Bref, un président qui rendrait notre Peuple souverain et indépendant tout simplement, et pour de vrai cette fois-ci !

Et vous, quel Président cherchez vous ?

Lika Scott 

 « Malheur à celui qui bâillonne son peuple »

MY« Nous sommes le 3 janvier 1966, six ans après l’accession à l’indépendance de la Haute-Volta pays dirigé par Maurice Yaméogo successeur du lion du RDA Daniel Ouezzin Coulibaly parti trop tôt. En ce premier lundi de l’année 1966 le président est retranché dans son palais, à l’extérieur le peuple gronde, le peuple prend le pouvoir… »

En 1965 Maurice Yameogo est réélu à la tête de la Haute-Volta avec 99.98 % des voix. Au sein du pouvoir on célèbre cette victoire avec faste. Loin des murmures d’un peuple qui commence à perdre patience face à un pouvoir arrogant qui du haut de son piédestal, le méprise et oublie trop souvent de qui il tient sa légitimité. Les jours qui suivront l’euphorie de la victoire seront fatals au président Maurice Yaméogo.

En effet cinq ans après l’octroie de l’indépendance, la Haute -Volta est dans une situation économique dramatique, les finances publiques sont au plus mal et les comptes de l’Etat accusent un déficit de 100 millions de francs pour un budget d’à peine 10 milliards. Face à cette situation le pouvoir, déjà très critiqué au sein de la population, décide de faire voter un budget d’austérité qui prévoit une réduction de 20% du salaire des fonctionnaires voltaïques. Cette mesure va sonner le glas du pouvoir de Maurice Yaméogo.

Les syndicats s’opposent à cette mesure et se mobilisent sous l’impulsion de l’un de leurs leaders Joseph Ouedraogo alors dirigeant de la confédération africaine des travailleurs chrétiens.

Le 28 décembre 1965 suite aux travaux de l’assemblée sur le budget d’austérité, les syndicats demandent à rencontrer le président ; celui-ci refuse et confie cette tache à son ministre de l’intérieur. La rencontre qui s’en suit est houleuse et se mue en dialogue de sourds, les positions restent figées. Au sortir de cette réunion face à l’entêtement du gouvernement les syndicats décident de porter leurs revendications dans la rue à la faveur d’une grande manifestation programmée pour le 3 janvier 1966.

Alors en voyage chez son voisin ivoirien le président Maurice Yaméogo décide de rentrer deux jours avant la marche. Il interdit la marche du 3 janvier, il déclare l’état d’urgence, toutes les manifestations et grèves sont déclarées illégales, la menace du licenciement plane sur tous les fonctionnaires qui souhaiteraient manifester. L’armée est mobilisée, le président est prêt à entamer un rapport de force avec les syndicats. La date du 3 janvier approche, syndicats et gouvernement restent sur leurs positions, le début de l’année 1966 s’annonce tendu dans un pays où l’exaspération se fait grandissante.

Cette Haute-Volta qui décide de se révolter ce lundi 3 janvier est un pays bâillonné ou le jeu politique se résume à un seul parti l’ UDV-RDA dirigé par le président , un pays où les leaders qui osent s’opposer au régime sont embastillés, un pays où les mouvements d’opposition sont contraints d’exister dans la clandestinité, un pays où tous les pouvoirs sont accaparés par un seul homme, un pays où le voltaïque peine à trouver de quoi subsister, un pays où le murmure de la révolte se fait de plus en plus insistant et assourdissant.

En ce premier lundi de l’année 1966, les syndicats bravent l’interdit et sont dans la rue pour porter leurs revendications. Ils sont soutenus par la population emmenée par les leaders de l’opposition clandestine dont le MNV du professeur Joseph Ki-Zerbo et sa femme. Ils sont plus de 100 000 Ouagalais à protester ce jour là dans les rues d’une ville en ébullition. De Gounguin à Tampouy en passant par Tanguin et Dagnouin, le peuple se lève et fait face à son destin.

Cette manifestation contre le budget d’austérité se transforme rapidement en révolte populaire, et les manifestants réclament désormais du pain, de la démocratie mais surtout la démission du président. Le peuple s’amasse devant le palais présidentiel et attend que le régime autocratique de Maurice Yaméogo tombe. Celui-ci retranché dans son palais avec ses ministres sent le vent tourner. Il a dans ses mains tous les attributs du pouvoir mais se retrouve démuni et affaibli face à un peuple obstiné et déterminé.

Au sein du palais les tractations sur le sort du président débutent, le lieutenant Sangoulé Lamizana alors chef d’état major est présent lors de ces tractations. L’Eglise Catholique alors très influente en Haute-Volta refuse de porter secours au président. Le président se retrouve esseulé, l’armée de son coté se rend à l’évidence : elle ne peut rien face à la détermination du peuple. Dans un dernier sursaut pour sauver son pouvoir, Maurice Yaméogo souhaite revenir sur sa décision de réduire les salaires mais il est déjà trop tard. Dans la foule amassée dans les rues de Ouagadougou le slogan « l’armée au pouvoir !! » revient de plus en plus. Maurice Yaméogo comprend alors qu’il vient de perdre son pouvoir. Dans la soirée, il annonce sa démission au cours d’une allocution radio diffusée et annonce que le nouveau dirigeant de la Haute Volta est désormais le lieutenant Sangoulé Lamizana alors chef d’état major de l’armée nationale.

Ce 6 janvier le peuple de Haute-Volta vient de faire tomber en un jour un pouvoir qui se croyait invulnérable. En un jour le peuple de Haute-Volta à donner un signal fort à l’Afrique. Maurice Yaméogo ne sera pas le seul à subir les foudres d’un peuple qui très tôt avait compris que seule la lutte libère.

Aujourd’hui plus que jamais nous devons nous souvenir et ne plus jamais oublier que tout au long de son histoire les habitants du pays des hommes intègres ont toujours su se lever pour leur liberté et leur dignité.

Joël-Armel Nandjui

Au Bénin, la bataille pour le contrôle de l’économie a commencé

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Alors que le débat public sur la prochaine élection présidentielle au Bénin se cristallise autour de la légitimité de tel ou tel candidat, le véritable enjeu qu’est le contrôle des opportunités économiques du pays est entièrement passé sous silence.[1] En effet, comme la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, le Bénin est un pays où tout est encore à faire. Des aéroports aux ports en passant par les autoroutes, la privatisation des anciens monopoles d’eau, d’électricité et de télécommunications, voire même la gestion de la manne pétrolière récemment découverte en offshore : les opportunités économiques sont colossales. Elles existent également dans les secteurs innovants du numérique, des énergies renouvelables et de la santé. Par ailleurs, en dépit de sa petite taille, le Bénin jouera sans nul doute un rôle intellectuel central dans les débats économiques qui auront lieu au sein de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest au cours des dix prochaines années, qu’il s’agisse de la création d’une monnaie unique ou de la finalisation des accords de partenariats économiques avec l’Union Européenne. C’est face à ces enjeux que la compétition électorale a pris une nouvelle tournure, mettant en jeu les opérateurs économiques nationaux face aux investisseurs étrangers.

L’approche traditionnelle de la bataille économique au Bénin

Traditionnellement, la bataille pour le contrôle de l’économie béninoise se déroule entre les opérateurs économiques nationaux lors des élections présidentielles et législatives. En l’absence de financement public, les plus grands partis politiques sont financés par des opérateurs économiques, pour la plupart nationaux, en contrepartie de la signature de contrats d’investissements publics ou de la privatisation d’anciens monopoles d’Etat. Trois cas emblématiques illustrent cette collusion entre milieux d’affaires et milieux politiques depuis l’avènement de la démocratie en 1990 :

  • La privatisation de la filière d'égrenage du coton par le régime du président Soglo entre 1991 et 1996 au profit de l’homme d’affaires Patrice Talon, une privatisation régulièrement contestée devant les tribunaux,
  • La privatisation de la société de commercialisation des produits pétroliers (SONACOP) par le régime du feu président Kérékou entre 1996 et 2006 au profit de l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun, contestée et annulée par le régime du président Yayi Boni peu après son entrée en fonction en 2006,
  • La privatisation de la distribution d’intrants agricoles et la gestion du trafic au port autonome de Cotonou par le régime du président Yayi Boni entre 2006 et 2011 au profit de Patrice Talon, remise en cause et annulée par le même régime après sa réélection en 2011.

D’autres cas tout aussi importants sont à dénombrer pour chacun des régimes avec la constance que la concurrence pour la signature des contrats publics se déroule essentiellement entre les plus gros opérateurs économiques nationaux.

Une bataille d’une nouvelle nature s’installe

Aujourd’hui, la donne est en train de changer. Tout porte à croire que les hommes d’affaires béninois en sont conscients depuis l’entrée en scène de Lionel Zinsou, banquier d’affaires franco-béninois, nommé premier ministre depuis juin 2015 et actuellement candidat du parti au pouvoir à l’élection présidentielle du 28 février prochain. Son éventuelle élection à la présidence de la République ne signifierait pas nécessairement que les investisseurs français et de la diaspora béninoise seront privilégiés par rapport aux investisseurs traditionnels béninois. Cependant, cela encouragerait davantage ces derniers à explorer le marché béninois espérant trouver une oreille plus attentive et plus sûr à leurs projets d’investissements. Nous n’en voulons pour preuve que la signature éclair de la convention d’exploitation et de construction du chemin de fer reliant Cotonou à Niamey par le Groupe français Bolloré en août 2015.

C’est dans la crainte de cette concurrence que deux des plus grands hommes d’affaires béninois, Patrice Talon et Sébastien Ajavon, se sont également lancés dans la course à la présidentielle, abandonnant leurs stratégies classiques de soutien à un candidat de la société civile. En face, se trouve le premier ministre avec le soutien des deux plus grands partis politiques de l’opposition. Dans ces circonstances, la sauvegarde de leurs intérêts économiques se trouve confrontée au présage d’une concurrence plus rude en provenance de l’extérieur.

L’intérêt de la population béninoise

Cette confrontation soulève la question de savoir laquelle des deux parties aurait plus de chance d’améliorer de manière plus substantielle les conditions de vie des béninois. Cela dépend d’une part de l’ampleur de la valeur ajoutée économique que chacune d’elle créerait si elle était élue, et d’autre part de la part qu’elles laisseraient au profit de la population, notamment aux 90% les plus pauvres.

Une simplification de l’analyse, sans perte de généralité, consiste à approximer la contribution en valeur ajoutée par le taux de croissance du PIB, et la part de cette valeur ajoutée allouée à la population par l’évolution de la proportion de personnes en situation de pauvreté. Une baisse de cette proportion signifie que la part de la valeur ajoutée allouée aux plus pauvres s’accroît, ou plutôt qu’elle n’a pas baissé. A l’aide de ces deux indicateurs, on peut d’ores et déjà se faire une idée de la contribution de l’approche traditionnelle de la bataille économique à la création de la richesse et à la réduction de la pauvreté au Bénin au cours des 25 dernières années.

Contrairement aux attentes, tous les indicateurs sont au rouge. La pauvreté s’est considérablement accrue au cours des 25 dernières années au Bénin en dépit d’un taux de croissance moyen proche de 5%. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, la proportion de personnes vivant avec moins de 500 FCFA par jour, juste suffisant pour le déjeuner, est passée de 49 à 53% entre 2003 et 2011 alors que le taux de croissance moyen était de l’ordre de 3,5%.[2] Par conséquent, le contrôle exercé par les opérateurs économiques nationaux sur l’économie béninoise, bien qu’elle a généré une certaine valeur ajoutée, s’est même accompagné d’une paupérisation de la majorité des béninois. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils en sont les seuls responsables. Bien entendu, les gouvernements successifs, à travers leurs partis politiques, ont aussi leur part de responsabilité. Après tout, c’est bien la collusion entre milieux d’affaires et partis politique qui a conduit à cette catastrophe sociale.

La démonstration pourrait s’arrêter là puisque le béninois moyen ne peut plus espérer pire. Mais ce serait omettre l’effet bénéfique que pourrait exercer une concurrence « étrangère » sur l’innovation de la part des investisseurs traditionnels béninois. En effet, non seulement les investissements étrangers et de la diaspora, de par leur capacité de financement, peuvent toucher de larges pans de l’économie béninoise, générant ainsi de la croissance et éventuellement de la réduction de la pauvreté, mais également, ils sont susceptibles d’inciter les entrepreneurs traditionnels à investir dans de nouveaux secteurs plus innovants comme le numérique, les énergies renouvelables et la santé, ou à améliorer leur processus de production. Jusqu’à présent, la plupart se focalisent sur les secteurs traditionnels tels que l’agro-alimentaire, l'importation de véhicules d’occasion et les exportations de matières premières agricoles telles que le coton.

Le problème de l’électeur béninois

Loin des considérations personnelles sur les connaissances anthropologiques de tel ou tel candidat, il semble donc bien que ce qui importe dans cette élection présidentielle soit la capacité de chacune des parties à générer de la croissance et à en distribuer une partie aux populations sous forme d’emplois décents ou de programmes sociaux. Une éventuelle victoire de Lionel Zinsou peut garantir une forte croissance mais pas nécessairement une plus grande part redistribuée aux populations. Tout dépendra de ses choix de politiques de développement. En cas d’une victoire de l’un des hommes d’affaires béninois, il semble que la croissance économique ne serait pas supérieure à la moyenne enregistrée au cours des 25 dernières années pour la simple raison qu’on se retrouverait dans un statu quo. Cependant, il est plus probable que ces derniers réallouent une plus grande part de la valeur ajoutée aux populations, même indépendamment de leurs politiques économiques, ne serait-ce qu’en guise de reconnaissance vis-à-vis des populations qui leur auraient permis d’éviter la faillite de leurs entreprises.

A long terme, il faudra envisager une séparation stricte entre les partis politiques et les milieux d’affaires. Cela passe par le financement public des partis politiques reconnus par l’Etat, couplée à une régulation indépendante de la concurrence, source d’innovation et de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Dans un tel contexte, les entrepreneurs locaux n’auront pas besoin d’être confrontés à une concurrence étrangère pour innover et proposer leurs produits et services à un prix qui laisse davantage de pouvoir d’achat aux populations. C’est aussi dans ce contexte que seules les propositions de politiques publiques des candidats à l’élection présidentielle compteront, et non leurs capacités à créer de la croissance, un rôle qui incombe plutôt au secteur privé.

 

[1] Le premier tour de l’élection est prévu pour le 28 février 2016.

[2] Conversion de 1,9 $ PPP 2011 en FCFA sur la base de 220,02 FCFA pour 1$ PPP 2011. Ces observations ont également été relevé par le dernier rapport conjoint Gouvernement Béninois – Banque Mondiale sur la pauvreté au Bénin publié en 2014.

Le Burundi est aux portes de l’horreur

burundiAu Burundi, nous sommes en train de voir se développer les germes d’un danger imminent, sans grande réaction autre que symbolique. L’entêtement de Pierre Nkurunziza à obtenir un 3ème mandat malgré une grande opposition d’une partie de son peuple a déjà coûté au pays un bilan macabre. Selon le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, 134 morts, des centaines d’arrestations et plusieurs milliers de déplacés ont été enregistrés.

Des cadavres de personnes tuées à bout portant, souvent avec des traces de torture, jonchés dans les rues de Bujumbura semblent devenir un spectacle quotidien dans le pays. Il se passe au Burundi quelque chose d’effroyable et qui peut bientôt virer au drame pour l’humanité à l’instar de cette balafre sur le corps de l’Afrique qu’est le génocide rwandais.

Il y a 20 ans, par un silence coupable, le monde a regardé une horreur insoutenable se perpétrer au Rwanda, alors petit pays niché au cœur de l’Afrique profonde, sans ressource. Donc peu digne d’intérêt. Parti d’une contestation politique sur fond de divergence d’interprétation de la constitution entre un président têtu et une opposition soucieuse d’exprimer de façon vive son avis dans la rue, on est aujourd’hui en face d’un vrai risque de basculement dans la guerre civile.

La répression du pouvoir burundais est atroce. Pierre Nkurunziza n’a jamais montré une réelle envie de trouver une issue pacifique à la crise qui secoue son pays depuis plusieurs mois. Au contraire, son attitude désinvolte a convaincu  les plus optimistes qu’il n’a guère l’étoffe du leader à la hauteur de la situation du pays.

Mais ce qu’il a en face de lui n’est plus seulement une jeunesse qui se dresse pour recouvrer une souveraineté démocratique usurpée par un homme et un clan. Mais une véritable résistance armée, organisée et prête à en découdre.

Une rébellion sur fond de division dans l’armée ?

La disparition dans la nature du général Godefroid Niyombare, auteur du coup d’Etat manqué contre Nkurunziza et le degré de professionnalisme par lequel certains proches du président burundais on été tués laissent croire à une pareille éventualité. Le Burundi est aux portes de l’enfer de la guerre civile. Aux exactions du pouvoir succèdent ceux du camp d’en face. Les deux parties rivalisent dans la création des conditions d’un équilibre dans la terreur.

A l’assassinat, le 2 août, du général Adolphe Nshimirimana, très proche de Nkurunziza, est venu répondre celui du colonel Jean Bikomagu ancienne figure de l’armée. Depuis, l’escalade est de mise. Des dirigeants de partis d’opposition ont été tués. Le défenseur des droits de l’homme Pierre-Claver Mbonimpa ainsi que Prime Niyongabo, chef d’Etat major de l’armée burundaise, ont tous les deux échappé de justesse à des attentats. Le pays est en passe de basculer dans une violence généralisée sur fond de soupçon de déstabilisation du voisin rwandais.

Où va le Burundi ?

Jusqu’à quelle profondeur le pays s’enfoncera dans la violence ? Aucun scénario de sortie de crise ne se dessine. Pierre Nkurunziza a mis l’Afrique et le monde devant le fait accompli avec sa réélection contestée en juillet dernier.

Le camp du pouvoir refuse d’entamer le moindre dialogue avec ceux qu’il qualifie d’ « insurgés ». Et l’opposition armée n’est plus dans une logique défensive, mais attaque les positions du pouvoir. Elle est même visiblement dans une stratégie d’isolement de Pierre Nkurunziza à travers l’élimination d’éminents membres de sa garde rapprochée.

Quel est son but final ? Eliminer physiquement Nkurunziza et prendre le pouvoir à Bujumbura ? Ce scénario rappelle douloureusement celui de 1993 quand l’assassinat du président hutu Melchior Ndadaye avait lancé une guerre civile dans le pays avec à la clé 10 ans de conflit et 300 000 morts.

Les Nations Unies ne semblent pas prendre la pleine mesure du risque qui pèse sur ce petit pays pauvre. L’Union Africaine ainsi que les instances sous-régionales, quant à elles, malgré quelques déclarations de principe, peinent à imposer le dialogue à des acteurs dont la frénésie guerrière semble sans limite.

Or, le monde ne doit pas détourner son regard du Burundi. Nous ne devons pas nous lasser des morts quotidiennes qui reçoivent hélas, à terme, le triste sort d’une banale statistique. Le souvenir du Rwanda doit rester vif dans nos esprits. Le Burundi est un cas sérieux qui mérite qu’on s’y penche avant que l’irréparable ne s’y produise.

Hamidou Anne

 

L’Afrique que nous voulons !

c68a72e0-2En perspective de la première conférence annuelle de l'Afrique des Idées le 30 mai  prochain à Paris, la rédaction publie une série de tribunes sur le thème de l'Afro-responsabilité. Matrice intellectuelle et cadre d'analyse de notre Think Tank, ce concept est pour nous la voie idéale pour la construction d'une Afrique maitresse de son destin. Cette Afrique que nous voulons est justement le sujet de la première tribune en deux parties de Hamidou Anne et Christine Traoré. 

 

Phénomène nouveau, l’Afrique compte de plus en plus de « returners » ou « repats ». Comprenez cette diaspora composée d'enfants d’émigrés ou de personnes elles-mêmes émigrées, qui font le choix de quitter leur vie au Nord, pour revenir s’installer dans leur pays d’origine, au Sud. Au delà d’une vision binaire du monde, que nous enseignent ceux, qu’affectueusement, nous pourrions appeler les nouveaux porteurs d’espoir. L’Afrique serait-elle devenue, après avoir été de nombreuses années le berceau de l’humanité puis de la litanie, cette « nouvelle terre promise » des « patrides » en désir de renouveau ?

S’il ne fait aucun doute que les raisons qui motivent les returners sont multiples et propres à chacun, ont-elles en partage deux particularités : le fait d’être mus par un désir de ré-enracinement et la volonté de tourner le dos à une Europe en crise. D’ailleurs cette logique ascendante touche plus particulièrement certains pays en difficulté, le Portugal en tête. Mais sans doute également et tout simplement, cet exil inversé répond-il à l’attractivité envers les potentialités offertes par le continent.

Ainsi l’Afrique connaîtrait-elle enfin, « l’année de son année » pour parodier les paroles d’une célèbre chanson populaire ? A en croire l’écho médiatique de certains signaux faibles, nous serions portés à croire que oui. Oui, car une actrice mexico-kenyane ne cesse de rafler le haut des podium ; oui, car le Sénégal est désormais dans le top 10 des pays africains à l’indice du meilleur progrès social[1] ; oui encore car sa sœur abidjanaise semble signer son grand come back. A ce tableau d’apparence idyllique nous pourrions ajouter quelques données métriques clefs : 5% de croissance sur les 10 dernières années et des prévisions rassurantes.  

Oui, mais. Concrètement, quels changements tangibles peut-on observer dans le quotidien des populations ? Certes ces 15 dernières années ont été le théâtre du changement des visage de nos capitales : exit les ruelles de terre battue, exit les chevaux, exit les maisonnettes en banco. Mais c’est majoritairement avec la même ferveur parfois teintée de résignation que continue de battre le cœur de nos villes. La débrouille se taille toujours la part du lion sous le soleil de Ouagadougou, Dakar, Bamako ou Abidjan. Et aux rêves d’Afrique des uns, s’opposent les rêves d’ailleurs des autres. La Méditerranée a encore ce 18 avril englouti plus de 800 victimes attirées par l'eldorado d’une vie meilleure en Europe.

Perdus dans le brouhaha du quotidien, éblouis par les discours lénifiants et fascinés par les grues qui s’élèvent, nous en oublions l’essentiel. Mais au fait, où va-t-on ?

Pour éviter qu’à nouveau des vies n’aillent se perdre dans les méandres noirs de la mer, il serait plus qu’urgent de s’interroger sur l’Afrique que nous voulons et de poser, ensemble, les fondations d’une troisième voie, celle d’un développement inclusif et durable. Nos colonnes font régulièrement l’objet d’appels à la jeunesse. Qu’elle soit aujourd’hui une pierre supplémentaire à l’édifice d’une pensée afro-responsable.

L’émancipation créatrice face au principe de réalité : l’illusion des trois « i ».

La crise financière puis économique dans le monde occidental coïncide avec le nouveau positionnement accordé à l'Afrique dans le débat économique mondial. Le continent est devenu l'aire de toutes les promesses, souvent exagérées voire simplement sans aucun fondement objectif. L'Afrique en devenir, lieu d'expression des nouveaux rêves de tous ordres, est positionné au carrefour de toutes les influences et attire différents chasseurs de parts de marché. Nous mettant ainsi en face d'un nouvel impérialisme qui menace par une triple illusion.

Si les colonisations française, britannique et portugaise ont pris fin majoritairement dans les années 60, l'influence de ces pays n'a jamais véritablement cessé en Afrique. L'invention et l'usage réitéré de la notion de néo-colonialisme dont la version la plus caricaturale est le concept de Françafrique le prouve à suffisance.

La crise économique structurelle dans laquelle se trouve les anciennes puissances coloniales et l'émergence de nouvelles puissances économiques qui amorce leur dessein hégémonique hors de leurs frontières, font de l'Afrique un nouveau terrain d'expression de plusieurs luttes d'influence. L'Afrique est ainsi en proie aux visées hégémoniques chinoise, arabe, russe voire indienne, sans grande résistance et souvent sans une réelle prise en compte de son intérêt. Et il s’agit là de la première illusion. Celle de l’impérialisme politique qui résulte d’une forme de servitude volontaire installée dans les rapports avec ces nouveaux « géants » aux agendas aussi divers que peu philanthropiques.

La mondialisation, la faiblesse des États qui s'est accompagnée d'une forte croissance de multinationales aux capacités financières énormes génèrent aussi une présence de grandes entreprises étrangères sur le continent, avec souvent une puissance supérieure aux États dans lesquels elles s'installent. Si le discours de ces entreprises laisse croire à un volontarisme et une participation au développement des pays africains, la réalité est souvent différente à l'aune des faits. Leur impact est faible sur la croissance des pays, car une grande part des capitaux est exportée en dehors du continent et leur agenda est en inadéquation avec l'impératif de développement dans lequel doit s'inscrire un investissement dans un pays au-delà de la quête de rentabilité. C’est ainsi qu’intervient la deuxième illusion. Celle de l'impérialisme économique.

Mais l'économie n'est pas le seul domaine dans lequel la ruée vers l'Afrique se caractérise. Ainsi à l'impérialisme politique et économique, répond l’impérialisme culturel. Le fameux soft power, qui est aussi une réalité à laquelle l'Afrique est confrontée. Les chaînes câblées, l'arrivée de grands groupes audiovisuels la consommation culturelle étrangère sont symptomatiques de l'énorme défi qui se pose à nous dans la formulation d'une efficace bataille culturelle en vue d'inverser la tendance.  Le propos n’étant pas de tourner le dos à la modernité recherchée, mais de l’impulser dans une direction qui nous ressemble.

Les États face aux serments de l’Histoire.  

A l’illusion des trois « i » : impérialisme politique, économique et culturel, vient s’ajouter, presque 60 ans après nos indépendances, le temps des divergences qui freinent l’émergence d’États forts capables de changer radicalement et qualitativement la vie des citoyens pour amorcer un développement pérenne et profond.

L'absence d'unité nationale, qui est la résultante d'une décolonisation amorcée sur les bases des frontières issues du congrès de Berlin a conduit à la difficulté d'ancrer le principe d’État-nation dans plusieurs pays. Depuis le premier sommet de l'OUA marqué par les dissensions entre les groupes de Casablanca et de Monrovia, l'on est en proie à une faiblesse du sentiment de destin commun en Afrique. Les facteurs exogènes qui ont sabordé toutes les tentatives d'unité politique du continent ont trouvé résonance avec une irresponsabilité de dirigeants africains peu enclins à un devenir commun.

Ces facteurs combinés génèrent des drames aussi tristes et scandaleux que la vague de violences xénophobes actuelle en Afrique du Sud.

A contre courant de l'histoire qui voit de grands ensembles se former en Europe et en Amérique latine notamment, l'Afrique demeure le continent le plus divisé et certainement le plus désarticulé. Ceci rendant illusoire, dans un contexte de mondialisation, toute velléité d'émergence.

Pis encore, aujourd'hui ces faiblesses structurelles ayant trait à une faiblesse de la puissance publique et à l'incurie de choix politiques désastreux, deviennent un terreau fertile pour la gangrène du terrorisme qui, au-delà de menacer la survie des États, devient un défi lancé à notre survie en tant que culture et civilisation.

À la recherche d’une 3ème voie, le temps des solutions.

Face à tant de constats négatifs, que faire ? S'il est indéniable que l'Afrique n'a jamais été dans une période aussi avantageuse pour enfin amorcer et concrétiser son développement, les forces contraires à cet idéal sont nombreuses et les défis énormes.

La puissance publique garante de l'égalité des droits et du dessein commun doit être renforcée. Nos États doivent être forts, dans l'égalité et la justice, pour affronter des défis comme celui, par exemple, du terrorisme. La pensée doit connaître un nouveau printemps. Il faut réconcilier l'université avec le politique. La place existe également pour de nouveaux intellectuels et pour une résurgence de la pensée positive et dépossédée des vestiges d'un passé complexé et en déphasage avec l'exigence de rigueur et de développement du continent.

La nouvelle élite intellectuelle doit faire œuvre de praxis car une action non conceptualisée est désordonnée. Une pensée non suivie d'action est vaine et ne peut avoir aucune incidence sur la marche de l'histoire. Marx disait qu'une « pensée qui transperce les masses devient révolutionnaire ».

N’est ce pas les bribes de ces cœurs percés qui ont soulevé les âmes burkinabè hier, peut-être béninoises demain ? Voilà nos dirigeants prévenus. L’ère de l’afro-responsabilité et de toutes ses résurgences semble amorcée.

 

Hamidou Anne et Christine Traoré

Ici la deuxième partie de cet article.

 


[1] Le Sénégal est la 10ème place des pays africains de l’indice du progrès social publié par l’Ong « The social progress imperative ». Le pays est au 97ème rang mondial sur 133. 

 

 

 

 

Macky Sall, l’équilibriste

Mali-Macky-Sall-à-BamakoLe Sénégal vient-il d’interdire le port du voile intégral sur son territoire pour « raisons sécuritaires »? Le Président Macky Sall en a bien manifesté la volonté au début du mois de novembre lors du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité. Aucune interdiction officielle n’a toutefois été encore édictée, en dépit de l’information relayée récemment par plusieurs médias sénégalais et étrangers. Au vu de la recrudescence des attaques terroristes, en Afrique comme ailleurs, la question semble plus que jamais d’actualité et divise l’opinion sénégalaise.

En vérité, l’importance du débat se base surtout sur sa forte portée symbolique, et sur ce qu’il soulève d’interrogations sur la stratégie antiterroriste adoptée par Dakar. Il est clair aujourd’hui que nul pays n’est à l’abri d’une menace terroriste sans frontières et sans limites. A l’instar de ses voisins ouest-africains et en raison de son intervention sur le territoire malien et de sa position assumée d’acteur-clé de la lutte contre le terrorisme, le Sénégal est exposé aux représailles des principaux groupes djihadistes opérant dans le Sahel.

Les réponses à apporter à cette menace ont été largement débattues à l’occasion du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité, dont la deuxième édition s’est déroulée dans la capitale sénégalaise les 9 et 10 novembre derniers. Le forum de Dakar se veut un lieu de discussions informelles entre chefs d’Etat, diplomates, militaires et experts visant à réfléchir à une solution globale aux défis sécuritaires auxquels doit faire face le continent. Bien qu’il ait été primordialement pensé comme un espace d’appropriation des questions de sécurité par les dirigeants africains, le Forum a réservé lors de ses deux éditions une place de choix aux principaux partenaires occidentaux du continent en matière de défense, Paris en tête.

Est-ce cette présence privilégiée qui a cristallisé l’agacement d’une bonne partie de l’opinion sénégalaise face aux déclarations de son Président contre le port du voile intégral ? « Nous ne saurions accepter (…) qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion, (…) le port du voile intégral dans la société ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions, ni même à notre conception de l’Islam », estime le chef de l’Etat. Ainsi donc, Macky Sall voudrait, à l’instar du Tchad ou du Cameroun, interdire sur le territoire sénégalais le port du voile intégral pour des raisons sécuritaires. « Mesure prudente », reconnaissent certains ; « encore une stratégie politico-liberticide importée de l’Occident», s’exclament les autres. L’annonce des arrestations récentes de plusieurs imams, en raison de leurs liens supposés avec des organisations terroristes et de leur participation au financement desdits groupes, a sans doute participé à cette vague de mécontentement à l’encontre de Macky Sall. Aborder la question de la religion au Sénégal est un exercice particulièrement délicat, même pour un chef de l’Etat.

Bien que laïc, le pays comporte en effet plus de 95% de musulmans dont la grande majorité est adepte du soufisme, un courant de l’islam basé sur une organisation confrérique. L’influence de ces confréries et de leurs chefs religieux sur la population représenterait le meilleur rempart du pays à la propagation des idéologies extrémistes qui prolifèrent chez ses voisins. Ainsi, l’idée d’un islam soufi réputé « tolérant » et « modéré » en opposition à des courants étrangers dits « radicaux » fait largement consensus. C’est à ces courants importés des pays du Golfe que Macky Sall fait allusion lorsqu’il évoque, le 10 novembre dernier, le danger de se laisser imposer une conduite par ceux qui « financent des mosquées et des écoles » dans le pays. La progression du wahhabisme saoudien, réputé pour sa vision rigoriste et traditionaliste de l’islam, est ainsi favorisée par l’importance des investissements des pétromonarchies dans le domaine religieux au Sénégal.

Toutefois, Macky Sall, nous dit-il, s’oppose à cette progression et à l’ingérence des pays étrangers dans les affaires religieuses de son pays, malgré le soutien financier non-négligeable que représentent ces Etats. C’est tout à son honneur. Il ne faut toutefois pas oublier la décision prise par le même Président, en avril dernier, d’envoyer sur l’appel de l’Arabie Saoudite plus de 2 000 soldats sénégalais lutter contre la rébellion houti active au Yémen. Décision qui a été prise sans avoir consulté au préalable une opinion publique largement réfractaire à l’idée de s’impliquer dans une guerre qui n’est pas la sienne. Il en va de même pour l’épisode « Charlie Hebdo», où l’image du Président aux côtés de François Hollande lors des commémorations des attentats de janvier à Paris avait fait grincer les dents de nombreux sénégalais profondément offensés par les caricatures de l’hebdomadaire satirique. Dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, il est certain que la France est un allié de choix pour le Sénégal et la majorité de ses voisins. Ou, dépendant du point de vue selon lequel on se place, la « guerre » française contre le terrorisme peut se faire, en Afrique, sans la coopération de ses partenaires ouest-africains.

Quoiqu’il en soit, la France ne rechigne pas à investir lourdement dans les dispositifs sécuritaires des pays de la région, en particulier dans les services de renseignement. Son soutien passe également par la formation des forces spéciales et le renforcement des systèmes d’armement. 1 A ce titre, la question de la stratégie anti-terroriste du gouvernement sénégalais et de son insertion dans le contexte régional est légitime. Comme il a été dit et répété à l’occasion du Forum de Dakar, la solution apportée aux risques sécuritaires qui pèsent sur la stabilité du continent ne peut être que globale, multilatérale, et basée sur une profonde coopération entre les secteurs politiques et militaires des Etats concernés. Dans ce cadre, la fameuse réputation de «havre de paix et de stabilité» dont jouit le Sénégal renforce ses ambitions de leader régional en matière de lutte contre le terrorisme. Son armée, réputée professionnelle et bien entrainée, et son système de sécurité performant sont autant d’éléments jouant en sa faveur. A ce titre, il est utile de rappeler que le Sénégal est le 7ème pays contributeur mondial de troupes des missions onusiennes de maintien de la paix.

Dans cette conjoncture, les propos tenus par Macky Sall sur le voile intégral et l’arrestation des imams alimentent les inquiétudes de la population sénégalaise, qui n’en est pas pour autant moins préoccupée par la menace terroriste qui pèse sur le pays. A la tension entre le respect des libertés fondamentales de ses concitoyens et l’absolue nécessité de protéger le pays, s’ajoute la volonté du Président de se positionner en tant qu’acteur incontournable de la stabilité dans la région. Cette position implique également le maintien de relations privilégiées avec ses partenaires régionaux et internationaux.

A l’heure de la surenchère belliciste et des démonstrations de force, il serait pourtant bon de rappeler que le radicalisme se nourrit avant tout de la frustration provoquée par l’absence de perspectives d’avenir et de la perte de repères. Ce sentiment-là, qui pèse sur la jeunesse sénégalaise et qui représente la plus grande faiblesse du pays face à la menace djihadiste, n’est pas le produit d’une nation étrangère et ne pourrait disparaître avec la modernisation des services de renseignement. Peut-être existe-t-il donc d’autres priorités pour un chef de l’Etat que celle de lancer un débat polémique dont l’issue, quelle qu’elle soit, n’aura aucune incidence sur la menace à laquelle son pays est exposé…

Marième Soumaré

Des morts, des larmes, du sang et…leurs ricanements.

attentats Bataclan A mon ami Amadou Thimbo, rescapé de la prise d'otages de Bamako. 

Une indécence, sœur de la banalisation de l’horreur gagne une partie de l’opinion publique africaine suite au drame de Paris. Il y a un héritage colonial dont les derniers complexes demeurent à solder. Il y a une histoire douloureuse entre la France et ses anciennes colonies, à laquelle les morts de vendredi soir n’échappent pas. Or, ces jeunes gens, tombés sous les balles de fous, méritent le simple respect dû aux victimes innocentes de la barbarie.

Face à la condamnation générale des chefs d’Etat africains, se dresse comme une hideuse plaie la réaction d’une grande partie de l’opinion publique. Au pire, elle approuve le carnage de Paris, au mieux, tente un curieux exercice de comparaison avec d’autres victimes ailleurs pour justifier un ricanement gênant et outrancier. 

Après l’affaire Charlie Hebdo, internet était devenu le déversoir de la crasse bêtise. Certains jubilaient sur les cadavres fumants des « blasphémateurs », d’autres éructaient encore et toujours au « deux poids, deux mesures. » Pourquoi s’indigner ici et non là ? Comme si les morts pouvaient être hiérarchisés. Les mêmes, cloitrés dans l’indécence, comprennent, tolèrent, presque justifient le sang versé. Ils invoquent les morts « non pleurés » de la Palestine, du Nigéria, du Cameroun…

Bientôt leur indignation sélective les poussera à se demander pourquoi le sort des morts du Bataclan passerait-il devant celui des hypothétiques habitants de Mars. Ont-ils pleuré avec les Ukrainiens, Tchétchènes, Sud Soudanais, Erythréens ? Non ! La France est coupable d’être cette grande sœur dont on n’a jamais accepté le pâle et lointain reflet. Rengaine anti-coloniale.

Inutile de convoquer l’humain. Sa sacralité. Finalement sa fragilité en ces moments troubles. Il est dramatique de voir que c’est en Afrique, terre d’une négation pluriséculaire de l’humain qu’une partie de la jeunesse par inculture, désespoir ou coquetterie intellectuelle en arrive à accorder sa bénédiction à l’inhumain et à tolérer la barbarie.

Devant leur gênant ricanement face à l’horreur, il est si nécessaire pourtant de rappeler que nous assistons à un basculement du monde qui pose un pari de civilisation. La preuve : après Paris, des criminels ont tapé en Afrique cette fois. Le Mali paye à nouveau un lourd tribut dans cette guerre impitoyable que mènent ces forces du mal contre nos valeurs. Nul ne sera épargné.

Bamako, Tunis, Beyrouth, Paris, Garissa, Baga sont aujourd’hui des lieux-mémoire d’un monde profané par des individus qui n’ont que la mort à vendre. Ce 13 novembre, derrière le visage tuméfié d’une ville, Paris, c’est des familles qui ont été séparées d’un fils, d’une nièce, d’un ami… Ce sont des vies qui ont été arrachées à l’affection de leurs proches. Qu’on haïsse la France et sa politique africaine pourquoi pas, mais qu’on perde jusqu’à l’humanité de respecter les morts est inconcevable.

Personne ne sera épargné par cette guerre d’un genre nouveau, avec un ennemi aussi insaisissable que déterminé, aussi macabre que sophistiqué. Après Paris, Kano, Bamako, qui figure encore sur leur liste macabre ? Aucune citadelle ne sera dorénavant un rempart suffisant face à l’avancée inexorable de l’Etat islamique. Nous nous devons donc de pleurer les morts de Paris pour demain ne pas être seuls quand nous pleurerons les nôtres.

Devoir de solidarité. Nous sommes en guerre contre un ennemi dont la motivation est de distiller la haine. Notre capacité de résistance face à ces hordes de criminels est interrogée. Ils ont des armes et nous [que] des valeurs…

Hamidou Anne 

Que veulent dire les réélections d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara ?

alpha_conde_et_alassane_ouattara1Si, de Bouteflika à Robert Mugabe, on ne fait pas fi depuis quelques années du débat sur l’âge des chefs d’Etat africains, les jeunes de Guinée et de Côte d’Ivoire, pourtant soucieux de leur avenir, ont voté pour des personnalités représentant sensiblement le passé. Ces victoires de septuagénaires rompus à la bataille politique sont emblématiques d’une difficulté récurrente au sein des oppositions africaines.

Pourquoi les jeunesses guinéenne et ivoirienne ont-elles accordées leur confiance aux anciens Condé et Ouattara ? Ils ne sont sans doute pas nombreux, ceux qui, parmi eux se souviennent de l’Alpha Condé, opposant teigneux et bouillant, familier des geôles de Lassana Conté. Tout comme rares sont ceux qui trépignent encore au souvenir de l’appel au secours du « vieux » Houphouët Boigny au brillant technocrate Alassane Ouattara pour sauver la Côte d’Ivoire de la crise économique, en 1990.

A Conakry comme à Abidjan, le « Un coup Ko » a rendu groggy une opposition aussi dispersée que disparate, aussi désorganisée qu’incohérente

En Afrique, les oppositions n’ont souvent que pour seule ambition de remplacer le président sortant. On cherche le consensus contre un homme, oubliant l’édification d’une véritable alternative politique et d’un projet de société crédible.

Alors que, contrairement à ce que semble penser une partie de l’élite politique, les électeurs ne sont guères des aventuriers incapables de choix de raison face à l’impérieuse question du destin de leur pays. Nos opinions publiques ont foncièrement mûri et les électeurs sont dans l’attente d’une meilleure gouvernance, qui prennent en considération leurs préoccupations, notamment les plus élémentaires et impactent positivement leurs conditions de vie.

Malgré la plume de Thierno Monénembo qui reproche à l’opposition guinéenne d’être « trop légaliste, trop démocrate », la réélection de Condé tout comme celle de Ouattara suivent une logique claire : ils ont, mieux que la « jeune garde » de l’opposition, réussi à donner espoir à travers des réalisations et à forger l’assurance de lendemains meilleurs. Tiendront-ils parole ?

Et devant une cinglante défaite, leurs oppositions ont, soit refusé de combattre, soit invoqué, une énième fois, la fraude devenue un point Godwin, déjà vu !

Du défi de transformer les promesses en actes

Le défi de cette classe politique finissante est de préparer le passage du témoin à une nouvelle génération, et de ne pas s’inscrire dans une tentative, qui sera vaine, de s’agripper au pouvoir. Un vent de renouveau souffle en Afrique et le continent se place lentement mais sûrement au cœur des problématiques mondiales. Le point noir de la carte du monde, jadis océan de misère, compte dorénavant comme une opportunité économique.

Mais je demeure convaincu que cette belle promesse africaine restera vaine si nous n’arrivons pas à construire des modèles démocratiques solides et à la hauteur des défis qui nous interpellent.

C’est là le grand défi de notre génération de « smarts » (l’expression est du caustique ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau) : au delà du gazouillis des réseaux sociaux et des objets connectés, il devient en effet urgent de transformer enfin cette énergie et cet élan en un engagement concret pour la démocratie et le progrès social.

L’Afrique a besoin que sa nouvelle élite quitte sa zone de confort technocratique pour s’engager à prendre le pouvoir, et à gouverner. Car la révolution transformatrice, celle qui charriera une Afrique nouvelle, ne sera pas twettée. Elle est à fabriquer et imposer. Il faut que la jeunesse intègre cette réalité.

Hamidou Anne

Afrique : le continent des pauvres ?

bm pauvreteDans un communiqué récent, la Banque Mondiale annonçait que le nombre de pauvres dans le monde aurait diminué de 3,2 points de pourcentage entre 2012 et 2015 pour s’établir à 702 millions de personnes, soit un peu moins de 10% de la population mondiale, et qu’à cette allure l’extrême pauvreté pourrait être éradiquée d’ici 2030. Cette donnée est d’autant plus impressionnante que le seuil a été révisé à la hausse, passant de 1,25 USD par jour à 1,90 USD.

Avant toute chose, il faut préciser qu’en termes réelles, ce seuil n’a point changé. La méthodologie utilisée par les analystes de la BM conserve le pouvoir d’achat réel et l’actualise au prix de 2011. En d’autres termes, il est considéré que la quantité de biens et services qu’une personne peut s’offrir n’a pas changé mais que ce sont les prix qui ont évolué. Ce nouveau seuil ne traduit donc qu’une augmentation de prix plutôt qu’une variation (à la hausse des capacités réelles) et c’est tant mieux. Les résultats des estimations effectuées par la Banque ne seraient donc pas liés à la méthodologie.

En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, le taux de pauvreté est passé de de 56% en 1990 à 35% en 2015. Une donnée qui tend à prouver que les pays africains luttent effectivement contre la pauvreté. Or sur les 702 millions de personnes concernés, 346 millions seraient d’Afrique subsahariennes contre 285 millions en 1990.

Le 35% annoncé comme taux de pauvreté en Afrique subsaharienne serait donc lié à un effet de base ; la population africaine ayant fortement cru sur la période passant de 523 millions en 1990 à près d’un milliard en 2015. Comparé à d’autres régions du monde (notamment ceux affichant un niveau de pauvreté similaire à celui du continent en 1990), le constat est que de façon absolue, la croissance de la population africaine s’est accompagné d’une augmentation de la population des pauvres mais à un rythme moins prononcée de sorte qu’il paraît négligeable. En effet, en Asie du sud ou en Asie de l’Est-Pacifique, le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est passé de 583 millions et 1 milliard en 1990 respectivement à 225 millions et 84 millions en 2015.

Bien sûr la situation est très hétéroclite suivant les pays. Certains ayant subi plusieurs années de crises socio-politiques qui ont inhibé la mise en œuvre de toutes politiques susceptibles d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres. En outre, les données discutées ici ne sont que des estimations et pourraient être révisées à la  hausse ou à la baisse quand seront disponibles des données plus précises. Au-delà de ces considérations méthodologiques, ces données traduisent un certain échec des différents programmes (y compris OMD), des initiatives privées (d’ONG) visant à réduire la pauvreté. Un contexte africain pourrait-il expliquer cette situation, d’autant plus que les mêmes programmes exécutés ailleurs dans le monde semblent aboutir à des résultats satisfaisants ?

Une tentative de réponse avait été fournie dans un article précédent en insistant sur la conception de ces programmes qui se focalisent davantage sur la croissance, occultent les canaux de transmission et ne sont pas parfois adaptées aux réalités locales. La corruption (qui se traduit par des détournements de fonds) et les tensions socio-politiques sont autant de facteurs qui obèrent l’efficacité des programmes de développement. Le manque de planification autonome du développement constitue, par ailleurs, un facteur entravant. Plusieurs pays du continent subissent l’évolution de leur population, sans pouvoir y apporter une réponse adéquate. A titre d’exemple, le manque de politique d’urbanisation se traduit par une concentration des ruraux (qui se sont déplacés vers les centres urbains) dans des zones non adaptées pour l’habitation. A termes, ces personnes font face à des problèmes récurrents d’inondation, qui à leur tour induisent des problèmes d’assainissement, retardent les rentrées scolaires, etc., qui obèrent toutes perspectives d’élévation du niveau de vie de ces personnes, qui seront tout naturellement comptabilisées comme étant pauvres. En outre, les économies africaines sont extraverties sur l’extérieur de sorte que les performances économiques récentes du continent n’ont eu que des impacts limitées sur la situation des plus pauvres, qui ne participent pas du tout ou que très peu à cette embellie économique. Il apparaît donc que la résolution de la question de la pauvreté repose fortement sur la capacité des pays en mettre en place de façon autonome des politiques économiques susceptibles d’améliore la situation les plus pauvres comme l’ont fait les autres[i].

Rien n’a-t-il donc été fait depuis plus de 20 ans ? A cette question, la réponse serait : beaucoup mais pas assez. De toute évidence, si rien n’avait été fait, le nombre de pauvre sur le continent serait bien plus important. Il faudrait davantage approfondir la lutte contre la pauvreté et cela passerait sans doute par une politique (économique, sociale et de gestion) plus responsable et qui s’attache à l’amélioration du bien-être globale de la société. Si la mesure de la pauvreté, via l’approche monétaire, est discutable, elle ne peut en aucun cas constituer un argument. Certes le modèle utilisé se base sur une conception occidentale du mode de vie mais « un mode de vie à l’africaine » (encore qu’il faudrait pouvoir en donner une définition dans le contexte actuel de mondialisation) ne stipule pas non plus  une vie sans accès aux fondamentaux d’une vie décente (éducation peu importe la forme qu’on lui donne, accès aux soins, nutrition, etc.).

Foly Ananou

 


[i] Cas des BRICS ?

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