Le Moabi Cinéma, l’oeuvre intéressante de Blick Bassy

Blick Bassy
Blick Bassy. Photo Catherine Helie, Gallimard
Blick Bassy, très grand musicien camerounais, se révèle tout aussi étonnant en écriture.  Très belle musique, sophistiquée, sensible, l’homme a une très belle voix et le personnage, de prime abord, est excentrique et à la fois réservé. C’est l’impression qu’il m’avait laissé à l’occasion des dix ans de la collection Continents noirs de Gallimard. Je commencerai donc par dire que Blick Bassy est avant tout un artiste, un créateur. D'où mon intérêt immédiat dès que j'ai appris la parution de son premier roman : Le Moabi Cinéma. Un roman pour lequel l'auteur a obtenu le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire cette année. 

Chronique d'une bourgeoisie locale du Cameroun


Parlons tout d’abord de ce qui m’a emballé. L’histoire. Le Moabi Cinéma est un roman dont la trame se déroule à Yaoundé, capitale de ce grand pays d’Afrique centrale. A Essos, en particulier. Boum Biboum, dit « Mingri » appartient à la bourgeoisie locale. Son père est commissaire de police, polygame et ils ne font pas partie de cette Afrique que l’on plaint. Il a des frères, des soeurs, des grands parents… Boum Biboum fait surtout partie d’une bande de cinq jeunes adultes. Google+ le génie, Simonobissick le dur à cuir, Rigo le footballeur addict, Obama l'homonyme de quelqu'un, Yap le godfather, qui exerce le pouvoir de la force sur ce beau monde. C’est une bande de gais lurons qui se retrouve régulièrement chez Molo l’Infalsifiable, le bar où ils prennent régulièrement une pinte de bière. Soyons précis, une descente de bière. On boit au goulot là-bas, pas à la pinte. Ces jeunes gens ont tous le baccalauréat et se sont laissés tenter pour nombre d’entre eux, le temps d’une saison, par les études universitaires. Boum Biboum a loupé le coche pour aller faire ses études à l’étranger par un funeste sentiment de solidarité avec ses potes de jeu et de combat. 

Les jeunes, un thème riche et peu traité 

A la longue, en raison d’un pays dont l’horizon ressemble aux environs de Zurich, ville cernée par de hautes montagnes, sans opportunités sur place, cette bande finit par être le réceptacle des discours des mbenguistes (entendez par là ceux qui à habitent Mbeng, en France et par extension en Europe occidentale). A force de discours, partir est la seule issue. Reste à obtenir les visas… Roman sur l’immobilisme, l’attente et la désespérance de la jeunesse africaine, Le Moabi Cinéma est un texte porté par l’humour de Blick Bassy, un talent certain d’écrivain qui ne force pas sa nature. C’est d’ailleurs étonnant puisque le musicien qu’il est ne chante qu’en bassa, langue du centre du Cameroun. De plus, la bande de jeunes n’est pas souvent traitée en littérature africaine.

La patte d'un artiste

Cela étant, qu’est-ce qui caractérise ce roman et le différencie d’autres auteurs qui pataugent dans ce sujet consternant? Le Moabi cinéma, justement. Je vous l’ai dit, Blick Bassy est un artiste pur. Il nous monte de toute pièce une situation ubuesque qui permet pourtant de pousser la réflexion. Boum BiBoum tombe par hasard sur un moabi particulier dans la forêt qui jouxte la capitale camerounaise. Un moabi géant dans lequel sont incrustés des écrans géants qui diffusent des images inédites du monde, de l'Occident, des images brutes de décoffrage. C’est une révélation pour Mingri qui est prêt à tout pour comprendre le phénomène et l’exploiter…

 

Que feraient parents, amis, aventuriers s’il leur était donné de découvrir l’envers du décor, l’imposture des mbenguistes ou des « parisiens » ? C’est la question principale que Blick Bassy pose. Le roman souffre de quelques incohérences chronologiques. Il serait malhonnête de ne pas le dire, mais en terminant ce roman, la chute est particulièrement douloureuse, je pense que cela ne nuit pas à l’intelligence du projet.

Un dernier mot. L’auteur a un regard extrêmement critique vis-à-vis de certaines approches du christianisme en Afrique centrale. Il le met d’ailleurs en scène de manière particulièrement violente. Comme si les croyances protestantes portaient l’essentiel de la désespérance de la jeunesse camerounaise. Par contre, Blick Bassy semble manifestement indulgent vis-à-vis du système politique qui tient ce pays depuis les indépendances. Le sacrifice d’un individu ne provoque que quelques larmes avant que les gens continuent le show et la vie. Une société civile très amorphe et peut-être fataliste.

Pour faire durer le plaisir : lors d'une danse des mots exécutée avec Yvan Amar et Ralphanie Mwana Kongo, nous avions eu droit à un intermède musical de … Blick Bassy. 


Le Moabi cinéma
Par Blick Bassy – Editions Gallimard, Collections Continents noirs
Crédit Photo Helie/Gallimard

Réflexions : de la misère des lucides dans un monde simplifié

lucides-les deux Fridas
Les deux Fridas. Frida Kahlo, 1939.
« Et sans doute notre temps… préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être… Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »

Feuerbach, (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme).

 

La propension à ne point s’intéresser à ce qui a réellement du sens, caractéristique de notre siècle et de bien d’autres aussi, toutefois plus forte dans le nôtre, détourne notre attention des questions que nous devrions nous poser pour garantir notre progression dans la longue marche de l’humanité. Pourtant, croire que l’homme, quoique rationnel, conscience de soi et présence au monde, se pose spontanément des questions sur ce qui fonde son existence, n’est qu’une illusion supplémentaire. S’interroger de la sorte suppose l’habitude de penser, de penser dru.

Or la pensée, qui n’exige que temps et disponibilité d’esprit, est rendue de plus en plus difficile, les conditions de son exercice du moins, tant nos conditions économiques et par conséquent sociales, influençant la production et la diffusion de la culture, font la promotion de produits culturels, qui loin de nous interroger sévèrement et d’illustrer notre condition tourmentée d’inquiétude, comme les œuvres des tragiques grecs et de leurs successeurs (Shakespeare, Corneille, Racine), détournent des préoccupations majeures si bien qu’il devient même sacrilège d’y faire attention. Distrait à force de bêtise et d’inconsistance, tel est l’homme de notre de notre temps. Projeté dans un monde factice libéré de la difficile condition d’homme, le consommateur, dont la seule préoccupation est l’usage passif de produits, s’est substitué au citoyen qui, parce c’est un acteur responsable, se fait le devoir de comprendre sa société et de participer à son progrès.

Epargné des épouvantables guerres qui, il y a encore soixante-dix ans, sévissaient sur presque chaque génération, ses libertés civiles et politiques garanties par la victoire de la démocratie libérale, gavé d’individualisme, épargné de conditions matérielles pénibles du fait d’une croissance effrénée pendant trois décennies, l’Occident, longtemps défenseur passionné de la grandeur de l’homme et des valeurs fondamentales de cette dernière (malgré les très graves égarements dus à la croyance en l’infériorité d’autres races), donne des signes de lassitude. L’Occident ce n’est plus la pensée irrévérencieuse et fougueuse qui au prix d’âpres combats bousculait toute idée d’asservissement, de domination, bref de conduite irrationnelle. L’obscurantisme et les tutelles de toute sortes vaincues par son audacieuse pensée ont été remplacés par une autre tare, l’un des travers de sa philosophie économique : la volonté de simplification.

Pourtant, simplifiez, simplifiez ! La condition de l’homme, même moderne, demeurera complexe et surtout tragique ! Le besoin de penser, de comprendre ne sera jamais remplacé par une technologie et une culture. Celles qui se proposent les dangereux buts d’épargner des peines et difficultés sans lesquelles cependant l’homme n’émerge pas, sont simplement donquichottesques ; elles prennent des moulins à vent pour des géants. Cette perte du sens de la réalité pour s’enfermer dans l’idéal réduit la capacité à affronter le réel, et diminue la capacité de négocier face au destin, mais expose plutôt à le subir. Ce n’est en effet pas en esquivant la réalité qu’on lui tient tête et qu’on trouve un modus vivendi, mais en s’y frottant.

Seulement, penser dans un contexte où tout est organisé pour tenir la réflexion à distance, suppose, lorsqu’on ne naît pas philosophe, que la conscience ait été marquée par un phénomène ou un évènement qui renvoie si profondément en soi même, que, confronté à ce soi qu’on interroge et qui nous interroge à son tour, naît un dialogue intérieur dont la synthèse formera notre appréhension propre du réel, donc notre pensée. Les impressions que le monde fait sur nous se réfléchissent sur notre conscience, et de ce rapport naît notre vision propre. Ce n’est en effet que par la friction du moi avec les phénomènes ou le réel que nous sommes capables de réagir. Ainsi on prend conscience de soi et, partant de là, du fait qu’un véritable rapport au monde nécessite l’analyse préalable de ce dernier par le moi. C’est grâce au commerce et à la pratique fréquents de la pensée qu’on affronte le réel, qu’on le décompose car penser (logein) favorise la compréhension de ce qui lie les phénomènes entre eux. Et sont dits intelligents ceux qui, du fait de leur clairvoyance, lient aisément les faits entre eux. L’habitude de l’observation, de la réflexion, le souci d’objectivité, de vérité et de rationalité donc qui caractérisent les âmes marquées par le mouvement et par le courage de voir et d’accepter la réalité telle qu’elle est, se fondent comme un lingot, dans le creuset de la lucidité.

A la différence des romantiques qui vivent selon leurs sentiments et leur imagination, animés par l’hubris, personnages de tragédies portés à l’éclat et au fracas dans la manifestation de leur personne, qui, selon que leur surcroit d’énergie et de désordre sont apprivoisés ou non, produisent soit du très grand et du très beau, soit du pitoyable, les lucides, armés de cette lumière qui les rend perspicaces, ont la passion du réel auquel ils n’ont aucune envie d’échapper. Ils l’acceptent parce qu’on ne le réinvente pas, mais on ne le modifie que par la confrontation. Une telle capacité à analyser les phénomènes dans les détails qui fondent la pertinence des vues, la sureté du jugement assurée par la prudence et le doute qui se refusent à la facilité des apparences, produisent des étrangetés qui finissent toujours par déranger leurs semblables, comme la plupart des humains mus par leurs humeurs, leurs passions et leurs intérêts plus que par la sainte raison, elle aussi, ne l’oublions pas caractéristique, certes contraignante, mais sans doute la plus importante, de l’humain.

Là est le début de la misère des lucides. Ayant en horreur la propension naturelle, qui marque l’histoire de l’humanité, à se laisser conduire par les affinités groupales, nationales, régionales, partisanes, religieuses et tout rapprochement fondé sur autre chose que la vérité objective, ils défont des liens affectifs si cela est nécessaire, bravent des autorités quand elles se montrent injustes et violent les lois. On croirait de telles personnes sans cœur tant elles raisonnent et analysent en permanence ; ce sont, au contraire, lorsqu’on y regarde bien, des personnes d’une grande sensibilité, mais qui fuient toute sensiblerie.

Achille Mbembe, a cure to  the ‘fetishism of  identity’

Achille MbembeAt about 60 years old, the Cameroonian scholar Achille Mbembe devoted himself to an ambitious as well as risky exercise. He looks at the world as it is, where self-hatred has been transformed into a rejection of others, “Scapegoats have become objects  such as  foreigners, Muslims,  the ‘veiled woman’, the refugees, the Jews or black people”. According to him, a real desire of Apartheid is growing in contemporary societies, which is deeply-rooted in the establishment of liberal democracies and their link to colonialism.

Mbembe painstakingly dismantles the racist  and deep-seated fears and tries to bring a  ‘treatment  to them. Inspired by the work of the Martinican psychiatrist Frantz Fanon , in  his treatment measures in Algeria in the 1950s and his heated writings against colonialism. In this article he speaks to ADI, about his last essay Politics of enmity, published in March 2016. He presented the latter at a grand colloquium in Dakar and Saint-Louis in Senegal ( from the 27th to the 31st of October, 2016). This was a gathering of about twenty African intellectuals who are at the heart of this revival of the African thinking.

You wrote that the days that we live in are characterized by the rejection of others and for the spread of the ‘state of exception’. Furthermore, what does the “politics of enmity” that you speak about stand for? This is of course, what inspired the title of your book

In this project, I meant to take a snapshot of the world. This snapshot is characterized by the propensity to violence and the uprising of war-like instincts. Since the terrorist attacks of September 2001, in the United States, the ‘state of exception’ has become more or less the rule and is connected to the quest and the obsession with the enemy. For us, citizens of the Global South, I wanted to retrace the historical origins of this hostility; to take a look at those moments when politics becomes a vector of  hostility than one that links individuals.  

In your essay, you explain that this violence has long existed in liberal democracies. It also existed in colonial plantations or  penal colonies, far from  the eyes of the world…

The point was to rethink democracy as the ultimate form of human government. More so, a historical rediscovery of modern democracy, the liberal form particularly, enables us highlight that the system was established as a democracy for like-minded people. There is no democracy except the one which gathers like-minded people. This was the case during the long period of slave trade in the United States and in Europe during the colonial period.  Historically, democracies always needed a neutral place beyond their borders where they could accept violence without any boundaries against those who were not considered as part of their clan. The colonial period embodied this moment that I speak about. 

Why did you focus your analysis on liberal democracies? Isn’t this ‘enmity’ a distinctive feature of all states, of every national community which is founded on relationships?

Indeed, this is the peculiarity of the state, and mostly the nation- state, which as we can see with its name, is a state for nationals-for those whom we think are like us. And yet, I am particularly interested in liberal democracies, because, all things considered, I can’t see any hope beyond democracy. But, in the last quarter of the 20th century, the democracy, that we thought was going to triumph over all other political approaches fell apart and underwent a process of reversal. There has been an unprecedented opposition between capitalism and democracy. I do not think that it is possible for  a certain form of capitalism, especially financial capitalism, to co-exist with democracy. I join my voice to recent criticisms of democracy- that it has reached the end of its lifespan. We need to reinvent something else, or at least think about a possible way to revive democracy so as to bring solutions to our problems and save us from this savage world, with extreme and irrational expressions of violence, like terrorism . Although, the fight against terrorism is also an embodiment of violence.

You made reference to Franz Fanon’s ‘pharmaceutical treatment’. To what extent is his method in Algeria the model of an ideal cure?

Fanon is quite a dangerous author… I refer to him because he understood well, maybe even better than any theorist of the anticolonial struggle, how violence was both a remedy and a poison. This reference to Fanon does not aim to present him as a master with the suitable solutions for our current stalemates. I talk about him because he really emphasizes the tensions – unsolvable for most of them –  that we face.

We can say that Fanon dealt with violence and radicalism without inhibition. What would be the practical applications today?

Violence in Fanon’s work  plays a cathartic role, meaning that it enables the colonized subject to get out of his present situation. Paraphrasing Fanon, the oppressed needs to come to the realization that ‘the blood  that runs in the settler’s veins is the same colour as his’- that there is an essential and fundamental similarity among everybody. Violence wakes the oppressed from his slumber. Furthermore, violence brings us back to earth. Its is like an earthquake, which destroys the colonial and racist system and based on those ruins, we might imagine a new order.

But the mythological dimension of violence is not really what I am interested in, but the fact that Fanon who advocates violence, is very attached to what I would call the politics of treatment. It is this same Fanon, who studies the psychological disorder that the policeman who tortures Algerian nationalists has to go through. From an intellectual point of view, I am interested in the double-dialectic of violence and care.   

In order to fight this enmity, you propose the ethics of a traveler. What is this about?

Behind the idea of a traveller is the huge cosmological reflection on “who are we?” and how can we define the essence of human life in relation to the long history of the universe where the human species represents a small fraction- a species amongst others. It seems to me that one of the main characteristics of humans is our temporal being on earth as travellers. We don’t choose our place of birth, that is a choice made by others. What we choose is the type of experiences we have on our journey and what we do with those experiences.

If we really take that image of the traveller seriously, it would open us to new horizons on the question of identity and fetishism of identity. That image would also enable us think differently on the form of the nation-state, which has become a prison. In an era where mobility speeds up everything, it would most importantly, enable us reflect differently on the issue of migrants, of the person who is passing-by, and the types of laws created to face those processes which are sources of fear.

Isn’t the image of the traveller only for those who have the opportunity to travel and to meet others?

Not at all. If we consider people in motion, refugees, people who are forced to leave their place of birth and take risky paths without any guarantee of destination- their numbers are constantly on the rise. Mobility has become the most important condition of survival for a large number of human beings. The tragedy today is being stuck and not being able to move on. Millions of people are facing that tragedy. Governing this type of mobility is probably one of the biggest challenges of the 21st century. If we do not confront and find human solutions to this challenge, we will end up to multiplying the tragedies that we could have avoided. We need to take seriously this image of the traveller and temporal passage as the foundation of our human essence.  

The tone of your book is a worried one. Isn’t the intellectual situation in Africa reassuring?

Yes, absolutely. There is an intellectual and artistic effervescence in several disciplines, from Literature to Dance including the Visual Arts and Philosophical Critique. Indeed, there is a huge movement, which I think will be on the rise over the next decades from people in Africa to those in the African Diaspora. The place of birth of this effervescence is movement and mobility.  This reflection on mobility is what I call Afropolitan.

Further reading – Achille Mbembe, Politics of enmity, Ed. La Découverte, March 2016.


Translated by Laurence Mondésir

Original article by Adrien de Calan

Racines d’amertume : un roman à lire d’urgence(s)

Racines d'amertumeLe roman Racines d’amertume m’a permis de me replonger dans l'univers complexe et passionnant des urgences. J’ai longtemps été un fan de la fameuse série de télévision Urgences. Beaucoup regardaient cette série américaine pour les beaux yeux du Dr Ross incarné par Georges Clooney. 15 ans après, il est difficile de mettre des mots sur l’intérêt qu’on porte à un tel sujet. Les urgences portent en elles plusieurs réalités : la fragilité de la vie, l’élitisme pourtant accessible des urgentistes, les disparités en terme de prévoyance sociale des patients et bien d’autres tares ou croustillantes anecdotes.

Vandji, l’urgentiste révolté.

Ce roman commence par un malentendu. Et pour laisser le lecteur dans une posture inconfortable, le romancier Landry Sossoumihem ne fait rien pour éclaircir la situation. Trois médecins d’origine africaine discutent dans une salle de réunion d’un nouveau dispositif juridique qui n’est pas à leur avantage. Il s'agit d'une loi ou d'une note de service qui ne semble pas leur reconnaitre un statut à part entière dans l’exercice d’un métier qu’ils accomplissent pourtant avec passion et consciencieusement. Vandji est urgentiste depuis une douzaine d’années. Avec le statut batard de médecin esclave. C’est l’un des premiers points intéressants de ce roman :  la description de la condition des médecins exerçant en France avec un diplôme étranger. Cette situation est connue de ceux et celles qui ont dans leur entourage ce type de médecin « étranger ». Des années pour intégrer un système pour réaliser que les compétences acquises et reconnues restent tributaires d’une administration et du pouvoir de l’élite dans le domaine.

La rupture de Vandji dans son accomplissement est introduite par le collectif 10, un manifeste qui lui rappelle qu’il reste un sous-médecin. Cet axe étant posé, il enclenche une introspection très intéressante accompagnée par les questions pressantes de son épouse, gardienne de ses rêves.

De l’abandon des rêves

Ce roman s’inscrit dans un mouvement constant, téléportant le lecteur entre trois champs d’action : le lieu de travail de Vandji Sannou, sa cellule familiale et la communauté africaine de Cherbourg. De manière cyclique, on visite ces trois terrains. Le premier espace nous renvoie à la série Urgences. L’écriture porte les stigmates du propos de l’écrivain-médecin qui oublie que son lecteur ne comprend pas forcément son langage technique. Pourtant, Sossoumihen n’est pas hautain dans son approche et d’une certaine manière, il familiarise au métier d’urgentiste le lecteur qui découvre cet univers par dessus son épaule d'écrivain. Il oeuvre avec un sens de l’éthique et il vit son emploi avec une passion rassurante. Il jouit de la puissance technique et de l'organisation rodée des urgences en Normandie pour pratiquer sa science. Le combat constant et acharné contre la mort, personnifiée, les ressources dont il dispose, sont au coeur de la narration. Comme toutes les séries télévisées « médicales », Racines d’amertume nous donne une vision extrêmement rassurante, angélique de l’exercice tant que le terrain de la pratique est la France. A l’abandon des rêves, en particulier celui du retour au bercail après son internat, Vandji trouve un argumentaire solide, construit au fil des ans : condition de travail, études des enfants, acquisition de biens matériels, etc. 

Le couple, lieu de questionnement et de préservation

Nayline, épouse de Vandji est la gardienne du temple. De manière assez surprenante, elle est la principale partisane d’un retour au pays, lieu d’expression du rêve fondateur de ce couple. Elle impose un refus de toute forme de compromission à son mari. De manière très travaillée, Landry Sossoumihen pousse cette réflexion par le biais de ce couple qui se délite. La place de la foi dans la préservation de l’intégrité des choix fondamentaux est très interpellante. Ce deuxième terrain nous donne l'intériorité des personnages. Les motivations réelles de ceux qui ont émigré sont mises à nue. Nayline n'hésite pas à défier tous ces intellectuels africains exilés à Cherbourg qui portent haut dans leurs rencontres leur amertume à l'endroit des pratiques et des dirigeants de leur pays d'origine. L'interpellation de Nayline fait écho à celle plus haineuse d'un patient désespéré et particulièrement facho.

Il était là debout, les yeux en ignition et le regard assombri. De sa bouche consumée par les fumerolles de la haine, il exécrait Vandji. Les mots jaillissaient tel un volcan crachant des larves d'un feu à l'odeur putride. Ils écorchèrent sa peau et transpercèrent son coeur. Un silence lourd se fit entendre soudainement chargé de violence et de l'opprobre de propos qui finalement ne semblaient pas si dénués de sens que cela, pensa Vandji. "Médecin-au-rabais", "médecin-esclave", "médecin ramasseur-de-miettes", voilà autant de qualificatifs qui pouvaient parfaitement décrire ce qu'il était : n'était-ce pas ce que disait le point 10?

p.269 Racines d'amertume, Mon Petit Editeur 

Pour terminer 

Je n'ai pas abordé le dernier terrain d'observation. Il est le point d'achèvement des interrogations de Vandji. Je laisse aux lecteurs et lectrices le soin de découvrir ce développement de Landry Sossoumihen. Ce roman est passionnant. Il se lit aisément malgré les envolées médicales de l'auteur. Personnellement, en utilisant le portrait du médecin béninois qui, il y a quelques années, incarnait dans certains discours populistes en France, ces élites africaines refusant le retour dans leurs pays respectifs, Sossoumihen aborde le sujet dans toute sa complexité et dans toute sa violence : l'entre-deux culturel et la complexité du retour. Il révèle l'exploitation des médecins ayant obtenu des diplômes hors de France, avec toute l'hypocrisie du système. Mais, je m'arrête là. Les amertumes sont profondes. Il faut en traiter les racines.

Landry Sossoumihen, Racines d'amertumes

Mon petit éditeur, première parution en 2016, 267 pages

Le nouveau couple mixte : essai d’analyse de la psyché masculine

couple mixteL'une des beautés de notre temps est le couple mixte, symbole de la rencontre des communautés. Je ne vais pas trop être sage, je vais plutôt essayer de réfléchir à un fait social qui, si l’on y regarde de plus près, deviendra à une plus grande échelle, un sujet historique, d’envergure. La race noire est-elle en déperdition ? Les vrais noirs seront-ils dans quelques siècles, une sorte d’êtres rares ? Je le dis, tant est grand le désir aujourd’hui, chez les hommes, surtout, de se lier à des femmes blanches. Non pas que je cherche à dire que tout couple ou union mixte soit problématique. Au contraire, à l’ère de la mondialisation, ce type d’union est inévitable, et représente une beauté de  notre temps.

Je veux analyser, questionner les couples mixtes de stars afro-américaines qui ont choisi de n’envisager la vie qu’avec une partenaire blanche [1] (quand ce n’est pas une femme noire ultra light qui a tous les apparats de l’Occidentale).

De la vision de la féminité

Les apparats ou attributs de l’Occidentale ce sont les cheveux longs et raides, les rondeurs, l’absence de muscle ; et un je-ne-sais-quoi de léger dans l’attitude. Anaïs Bohuon[2]  évoque le cas des sportives noires dont le physique est sans cesse remis en question : sont-elles encore féminines ? Les sportives noires américaines par exemple ont choisi l’anticipation à ces regards qui les condamnent (ce male gaze), en usant d’artifices matériels et esthétiques comme les cheveux ultra apprêtés, les ongles faits et les tenues de plus en plus sexualisantes. Une hyperféminité dérangeante, dans un contexte où le corps est censé être asexué.

La femme noire a en effet nombre de "problèmes"[3]qui compliquent les choses, visiblement, du point de vue des hommes noirs. Ces derniers évoquent le cheveu crépu ou les extensions ; les humeurs (ou concept de la black angry woman) ; et l’insoumission. De nombreux auteurs et penseurs comme W.E.B Dubois ont montré que la situation esclavagiste a forcé les femmes noires à travailler[4]. Ces dernières ont donc renoncé à leur féminité (du point de vue de la féminité judéo-chrétienne ou comme-il-faut) afin de répondre à une subordination légale : le travail continu dans les plantations. Par la suite, les handicaps économiques l’ont forcée à se lancer dans le monde du travail ; tandis que la femme blanche était toujours conservée comme le bien le plus précieux des blancs. Alors que la blanche était valorisée, la noire était mise au pilori, décrétée inférieure à toutes les autres femmes.

Le difficile héritage de la couleur

Le corps, le niveau de vie sociale étaient et sont encore les éléments qui rebutent les hommes noirs (américains surtout, c’est mon contexte) à se lier avec une femme noire. Des réalités dues à un contexte américain raciste ont également formaté l’image d’une couleur problématique et maudite.[5] De nombreux hommes, surtout très foncés, se sont ainsi promis de ne pas léguer à  leur descendance une tare, un fardeau. Chacun (regardez les Instagrams de certaines stars afro-américaines du monde du rap et du R&B), tend à blanchir sa lignée.  La femme blanche représente une manière pour eux de se laver à la source pure ; ils entrent par la porte de la rédemption. Avoir une femme blanche représente encore chez beaucoup un sacre, la chance de ne plus rebâtir un cadre ancien avilissant, mais un nouvel éden, reposant ; sans bruit ; odeur d’ail et de fritures ; sans problèmes d’acception sociétale (on réussit plus vite avec une femme blanche ; la noire porte la guigne[6]). Et surtout, le but ultime : la possibilité d’avoir une descendance à la peau "sauvée".

Il y a donc quelques jours je me suis arrêtée sur un de ces Instagrams, et j’en ai encore vu un, mettant en avant son enfant aux yeux verts, devenu mannequin chez IGM. Et sur un autre site pour enfants aux cheveux bouclés, frisés, je remarque que l’avantage est mis sur les enfants ‘clairs de peau’. Le site met en avant les enfants métis, mais ne récolte le maximum de likes que pour ceux dont l’apparence est occidentale : peau claire, yeux clairs, nez droit. On voit ici que la conception commune a intégré des éléments de la beauté qui passent par les critères occidentaux, blancs. Les pauvres "négrions" (nez épaté, peau trop noire…), récoltent moins de likes, et de commentaires.

La construction des modèles et des représentations, est le travail des médias[7]. Ces derniers au travers des images valorisées et des discours construits et répétitifs fixent des attentes, et des conformités. Les médias, pro-blancs pour la plupart,  distillent donc des valeurs conformes aux puissants. Ainsi, vous ne verrez que majoritairement des femmes, hommes blancs en une de magazines. Si les noirs Américains font un travail colossal en terme de visibilité noire (la communauté afro-américaine a  ses propres émissions de télévision, ses programmes de récompenses, ses entreprises, ses maisons de production…), il n’en demeure pas moins que le marché dominant est blanc, riche et judéo-chrétien. Les valeurs de ce groupe vont donc être partout, et influencer les autres médias.

Donc, nous disons que c’est la faute à Kunta Kinte d’avoir été attrapé ce jour où il allait couper du bois pour se faire un tambour ; et puis, chemin faisant, il a eu, mais vraiment eu la mal chance de se faire attraper et d’être emporté, au milieu de son propre vomi en Amérique. Sa descendance a dû trimer dans les plantations, et n’avait rien, mais vraiment rien, pour se faire beau ou belle. Les femmes noires mettaient une graisse horrible sur les cheveux,[8] et n’avaient rien pour se mettre sur le dos. Les figures d’aunt Jemima[9] ont traversé les mangas et les feuilletons, en personnifiant cette grosse femme black obèse, à l’accent soupçonneux.

"L'homme" de la maison est une femme

Evidemment ce que je viens juste d’écrire est une caricature[10]. Ce qu’il fallait retenir est que le contexte de déportation et d’acculturation du Noir l’a fragilisé. Ce dernier s’est retrouvé en train de travailler pour quelqu’un d’autre et n’avait rien pour sa famille. Mal instruit, et chosifié, il va devenir la figure de l’homme brutal et absent ; forçant la femme noire à devenir  "l’homme de la maison". Les femmes noires américaines en premier lieu (et même du monde), n’ont pas vraiment eu l’occasion ni le temps d’être de "vraies femmes", au sens où la société des phallocrates l’entend. La femme noire américaine a eu d’abord à gérer sa survie alimentaire, pour elle et pour ses enfants. Ou tout simplement : sa survie. Elle est de fait devenue un genre double, mi-homme et mi-femme.  Car oui, il y a de l’homme dans la femme noire : une hauteur de ton, de stature, une forte mentalité et une autorité. Passons le raccourci et reconnaissons que oui, la femme noire est forte et qu’elle a sa propre beauté ; pas moindre, au contraire, mais sienne ; tout comme les Asiatiques en ont une propre. Que de blanches qui mettent des extensions, mais les noirs n’en savent rien. Que de noires chefs d’entreprise, mais les noirs les méprisent, pensant qu’elles sont forcément en recherche de maris et dans la galère.

Nous disons donc que l’Histoire aujourd’hui nous permet de voir une génération de femmes noires, qui, petitement, mais sûrement, sortent de leur invisibilité, et prennent de  l’espace. Ceci, parfois aussi pour être visibles malgré elles (au travers d’une lecture hyper-sexuelle, notamment) ; mais dans la majeure partie des cas, celles-ci sont ignorées. Gageons qu’elles vont aussi commencer à sortir des carcans, et alors qu’elles lorgnaient encore leurs pauvres compères ; vont aller explorer (de plus en plus hein…), d’autres nuances…


[1] Voir la Barbie comme phénomène de la beauté blanche idéale. Ouvrage : Hanquez-Maicent, Marie-Françoise, Barbie, Poupée Totem : Entre mère et fille, lien ou rupture ?, Editions Autrement, collection Mutations n°181, 245 pages, p. 11.

 

 

 

[2] Bohuon, A., Le test de féminité dans les compétitions sportives, une histoire classée x ?

 

 

 

[3] Gammage, Marquita Marie, Representations of Black Women, Routledge, 2015.

 

 

 

[4] Idem.

 

 

 

[5] Fanon, les Damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2004 (rééd.); et Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, coll. Esprit ».

 

 

 

[6] Pensée populaire. Je ne serai pas responsable de tous les chocs cosmiques que vous aurez durant cette lecture.

 

 

 

[7] Hall, Stuart, Representation : Cultural representations and signifying practices, London, Thousand Oaks, New Delhi, Sage publications, 1997.

 

 

 

[8] Fauvelle-Aymar François Xavier analyse dans L’invention du Hottentot, histoire du regard occidental sur les  les  Khoisan (XVè- XIXè siècle), les stéréotypes conçus à l’égard des noirs.   Elsa Dorlin dans  La matrice de la race : Généalogie sexuelle et coloniale de nation Française, montre les  rapports de domination depuis l’origine du corps féminin dominé, depuis la plantation.

 

 

 

[9] Le Sphinx de Kara Walker en est une représentation.

 

 

 

[10] Paul Gilroy et la Black Atlantique montre les périples noirs selon l’axe triangulaire. Ouvrage en anglais :  The Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness,  New York, Verso, 1993.

 

 

 

Peinture rupestre en Afrique : et si la première salle de cinéma était une grotte ?

peinture rupestre cinema
Peinture rupestre Bushman, Namibie.
Parler de peinture rupestre à notre époque revient à évoquer des peintures plus ou moins approximatives, des silhouettes d’hommes et d’animaux peints à même la roche des grottes de Lascaux, d’Amérique latine ou d’Afrique du Sud. Il est rare que l’on aborde ces oeuvres "primitives" autrement que comme la tentative de l’homme du paléolithique de rendre compte de son environnement. Pourtant, ceux qui ont observé cet art avec attention se sont aperçus qu’il était tout autre chose, de bien plus surprenant : une forme de récit évolutif. L’art rupestre, ancêtre du cinéma ?

Regarder en marchant

La première fois que j’ai entendu évoquer cette hypothèse, j’assistais à la présentation de projets innovants au domicile d’une Brésilienne férue de nouveautés. Benjamin Rassat, journaliste et réalisateur, nous a alors proposé de poser un regard nouveau sur les grottes peintes comme à Lascaux : « Il faut les visiter la nuit, avec une lampe torche. On avance pas à pas, éclairant à chaque pas les parois avec la lampe, et le récit d’une bataille épique, d’un exploit de chasse, ou d’un voyage, vous est raconté image par image. J’imagine les hommes de cette époque, un flambeau à la main, parcourant la grotte avec à leur suite un groupe d’enfants ou d’adultes qui regardent et écoutent le récit, comme nous allons au cinéma aujourd’hui. ».

Ce n’est pas tant le fait que les hommes du Paléolithique furent conteurs autant que chasseurs qui est étonnant ; c’est le fait qu’ils aient utilisé l’image comme instrument de récit, pour accompagner la parole. En cela, ils ne diffèrent guère de nos réalisateurs contemporains, si ce n’est qu’à la place des rochers et des grottes nous utilisions l’écran, à la place de la torche nous utilisions des projecteurs, et qu’au lieu de marcher nous restions assis.

Leroi-Gourhan et les symboles mouvants

André Leroi-Gourhan, anthropologue controversé des années 40, a longuement évoqué cette possibilité.

En étudiant l’art paléolithique de la graphie sur les parois des cavernes, il constate un fait : sur un dessin ou une peinture, les animaux sont placés selon une logique précise, prenant en compte une place qu’ils ont pu occuper, soit dans le quotidien des personnes, soit, plus intéressant, dans le récit qui a donné naissance au dessin.

En effet, dans plusieurs cavernes, on peut constater un schéma de ce type : bisons et chevaux au centre, bouquetins et cerfs sur les bords du cadre, lions et rhinocéros à la périphérie. Le placement nous force à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une représentation accidentelle d’animaux de chasse, mais d’autre chose qu’une écriture ou un tableau. Il s’agit, pour Leroi-Gourhan*, d’un récit que l’on a conservé par un symbole matériel sur un objet matériel. Les dessins évoluent avec le récit : « derrière l’assemblage symbolique des figures a forcément existé un contexte oral avec lequel l’assemblage symbolique était coordonné et dont il reproduit spatialement les valeurs » (LG, Le geste et la parole, P. 273-274, fig 92 et 93).

Cela n’est pas sans rappeler le couple évolutif récit-graphie que l’on retrouve dans les dessins sur le sable des Chokwe en Angola, que les travaux de Paulus Gerdes* ont permis de mettre en avant. Ou, plus récemment, hormis le cinéma, nos pésentations Powerpoint et nos murs sur Pinterest…

De quoi regarder avec un œil nouveau nos ancêtres et notre rapport au temps et au progrès : et si le progrès n’était rien d’autre que la répétition par l’homme des mêmes actions, mais avec des matériaux différents selon les civilisations?

Pour aller plus loin : 

  • André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, 1983, Albin Michel. 
  • Paulus Gerdes, Une tradition géométrique en Afrique : les dessins sur le sable, L’Harmattan, 1995

Aïcha Dème : portrait d’une agitatrice culturelle

Aïcha Dème agitatrice culturelle
Aicha Deme, agitatrice culturelle. Source Africultures.

Aïcha Dème se définit comme une activiste ou une agitatrice culturelle. À Dakar, où se côtoient allègrement, sans forcément se toucher, le gratin local et les gens issus de la banlieue, tous également nourris à grands coups d’afflux culturels émanant des quatre coins du monde, elle se débat, depuis pratiquement une décennie, après avoir sacrifié son emploi de l’époque, pour assouvir sa passion de l’art, de la culture, et du divertissement. Portrait d’une figure incontournable de l’univers culturel sénégalais.

Si le grand public la connaît très peu – il s’agit là d’une personne discrète qui préfère rester derrière les projecteurs, les témoignages de sympathie et de reconnaissance de la part des professionnels du milieu affluent. Ancienne professionnelle de l’informatique, c’est en 2009 qu’elle se décide à changer de voie pour s’orienter dans la promotion d’une culture sénégalaise très peu présente sur la toile. Armée de son expérience de passionnée qui avait assisté à un grand nombre d’événements culturels[1], et qui cherchait compulsivement à rassembler des infos sur les sujets, elle réussit très rapidement à se faire un carnet d’adresses et à acquérir une certaine légitimité dans le milieu. C’est ainsi qu’elle a eu l’idée d’un agenda en ligne, ayant compris la force que représentaient les nouveaux outils de communication dans cette entreprise. Elle crée donc AgenDakar, le premier portail sénégalais entièrement dédié à la culture, sous la forme d’un hub permettant de recenser les évènements et productions artistiques dans la presqu’île et au-delà. Sur le même site, elle a pendant longtemps tenu un journal de bord, signé Aïe-Chat, son avatar félin, dans lequel elle croquait, avec bienveillance, le monde culturel dakarois, partageait ses expériences, ses coups de cœur, donnait ses impressions après les rencontres, concerts et autres festivals de la région, en ponctuant ses articles de « Miaou » légers et bien sentis.

Elle est aujourd’hui très active sur les réseaux sociaux, où nous avons pu abondamment échanger. « Dakar vibre, Dakar bouillonne, et Dakar déborde de créativité, répète-t-elle inlassablement. Je considère que c’est un devoir de mettre cela en lumière, et en plus j’adore le faire. C’est complètement grisant et je pense que personne n’a jamais été aussi heureux que moi de changer de métier ».

 Quand, de façon terre à terre, je lui rappelle que la pauvreté frappe la majorité des habitants de la région, ce qui laisse assez peu de place à toute initiative culturelle, elle me corrige : « Le Dakar culturel s'extirpe comme il peut de la misère. La créativité est bien présente, et les jeunes sont débrouillards. Le Dakar le plus créatif, le plus actif et le plus vibrant, c'est celui qui connaît le plus la misère. C'est celui de la culture urbaine, celui de la banlieue ». Puis elle rajoute, lucide : « Bien sûr, quand on parle culture, il y a toujours cette niche, ces trucs de bourgeois où on retrouve les mêmes personnes entre expositions, danse contemporaine et autres… Mais tu trouveras des expos dingues au cœur de la Médina, avec des vernissages agrémentés de « gerte caaf » et « café Touba »[2], ainsi que des initiatives incroyables menées par les gens de la banlieue ». Elle prend l’exemple du Festa2H, d’africulturban : « Ce festival a été créé il y a dix ans maintenant, avec dix personnes et zéro de budget. Aujourd'hui, ils sont mille à y être affiliés, avec un budget de 150 000 euros pour chaque édition. Ils ont créé des emplois, formé des jeunes, ont des projets avec des détenus pour leur réinsertion. Ils font bouger des montagnes avec un dynamisme et un professionnalisme remarquables. Ils ont aussi formé les premières femmes « graffistes » et DJs au Sénégal ». À l’évocation du frein que peuvent constituer les prétendues valeurs sénégalaises que sont le « masla »[3] et autres, elle répond de façon catégorique :

« Ce sont des gens directs et carrés, qui ont envie d’aller vite, et bien. Amadou Fall BÂ, le directeur de Festa2H, par exemple, est un modèle d’efficacité. Il est réputé dans Dakar pour répondre à tous ses mails même à 4 heures du matin », conclut-elle, badine.

Quand je note que, finalement, la culture au Sénégal souffre surtout de l’indigence des relais entre les acteurs du monde artistique et le grand public, elle réagit : « Justement, j’allais te dire que c’est là que se situe notre rôle. Tout le monde n’a pas conscience du travail qu’abattent ces gens, mon combat, c’est de le faire savoir, de montrer cette Afrique créative qui bouge et fait bouger les lignes de Johannesburg à Nouakchott ». Car l’œuvre de Aïcha est essentiellement panafricaine. Elle est aujourd’hui vice-présidente de « Music in Africa », une plate-forme continentale qui permet, entre autres, de faciliter les échanges culturels entre pays.

Concernant AgenDakar, Aïsha a passé la main. Elle se consacre notamment à son agence d’ingénierie culturelle, qui propose divers services sur des plates-formes variées. Elle est intervenue dans plusieurs talks de par le monde afin de présenter l’entrepreneuriat culturel – si cher à son idole Angélique KIDJO qu’elle a eu la chance d’interviewer ; et a aussi lancé, entre autres initiatives, la vague CultureMakers afin « de mettre en lumière tous les trésors culturels partout en Afrique ».

Vous pourrez trouver toute son actualité sur son site personnel, vitrine polyvalente, où il est possible de retrouver ses anciennes chroniques, même si, freudienne, elle déclare vouloir tuer le Chat, symbole d’une vie passée.

 


[1] Plus d’une centaine de concerts, notamment.

[2] Apéritifs sénégalais

[3] L’art dispensable et bien sénégalais du compromis

Une librairie ambulante dans nos capitales

Vendeur de livres ambulant
Vendeur de livres ambulant à Bitam, Gabon. Source : businessattitude.fr.
Les librairies à la criée, vous connaissez ? 

Dans un texte publié chez l’éditeur togolais Awoudy, l’écrivain belge Charles Manian donne cette représentation de la ville de Lomé :

« Lomé, c’est la ville partout. Les bagnoles coulent, s’écoulent des grands axes dans les rues de sable noir, gras, huileux. Lomé c’est une foule sans cesse recommencée qui s’agglutine au Grand Marché, des milliers de boutiques, de tout : des tissus, du riz taïwanais, des éviers germaniques, des bidets sud-africains, des boutiques avec trois articles ou trois mille, l’odeur de viande frite, des odeurs épaisses dans la chaleur plus suffocante encore avec cette foule dense, bruyante. Fripes, sacs à main  en skaï accrochés à un présentoir de bois maladroit, posé sur un trottoir inondé, invisible, submergé, bananes, ananas, frigos d’occase chez Petit-à-Petit, et parfois une grande façade balafrée par une écriture incertaine : à ne pas vendre. Lomé vend tout. »  (Mélancodo, 2013, p. 16)

La capitale togolaise n’est pas seule à vendre tout partout. Cotonou, Ouagadougou, Lagos, Dakar, Accra…, beaucoup de capitales africaines connaissent la même réalité : la prolifération de marchands ambulants avec des techniques de vente parfois hilarantes, parfois agaçantes, dans tous les cas théâtrales. Parmi ces marchands ambulants, émerge de plus en plus un personnage qui mérite attention : le libraire ambulant.

A la librarie comme au théâtre

Novembre 2013 à Ouagadougou. L’hôtel de ville fut témoin d’un jeune homme qui me  convainquit d’acheter L’aventure ambiguë qu’il arracha d’une pile de livres de poche. « C’est un bon livre, vous allez trop aimer », m’avait-il lancé avant d’ajouter qu’un « gars d’Afrique (y) joue à un philosophe d’Europe et comme personne ne le comprend, on a chargé un fou de le tuer. »

Février 2012, Cotonou au soleil couchant. L’homme qui m’arrêta au carrefour « Sacré Cœur », avait le bras gauche chargé de nourritures d’esprit. Je lui ai pris La secrétaire particulière pour éviter à Jean Pliya des maux de tête, dus aux gros commentaires de l’ami marchand.

Novembre 2015, Lomé. Dans un bar, au sens plein du terme, un jeune homme réussit à me vendre Œuvres poétiques de Senghor. Deal facile, il déclama Femme nue, femme noire… avec une étonnante théâtralité.  Le jeune homme me fit penser à bien des choses…

J’ai pensé à la part du théâtral dans le commerce et les négoces. J’ai pensé à Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton. Seul compte l’objet de la transaction. La démarche du vendeur consiste à capter le désir de l’acheteur. L’identité de celui-ci passe en second. Il faut donc imaginer par exemple l’embarras de cet auteur togolais : « Une fois, se souvient-il, un libraire ambulant a tenté de me vendre mon propre livre ».

J’ai pensé aussi aux bouquinistes de l’université de Lomé et d’autres places de la ville, qui exposent à même le sol ocre couvert d’un plastique, des livres de tous genres. « Une librairie par terre », selon la formule populaire, où parfois la voix taquine du marchand laisse tomber ces mots : « trois livres pour un seul prix ».

Vendeur des ouvrages en occasion au coin d’une avenue de Kinshasa. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo
Vendeur des ouvrages en occasion au coin d’une avenue de Kinshasa. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo
La littérature faite par tous 

À quelle échelle ces acteurs presque anonymes participent-ils à l’économie d’un pays? Comment obtiennent-ils les livres qu’ils vendent ? Quelle place occupent-ils réellement dans la chaine du livre ? Il faut rêver que ces questions susciteront intérêt auprès des personnes autorisées. Pour l’heure, on peut se satisfaire que le libraire ambulant est entré dans la fiction littéraire. Une lecture de L’ombre des choses à venir de Kossi Efoui peut nous en convaincre. Son personnage Axis Kémal « tenait une librairie, Le Quai des livres anciens, dont la spécialité n’était pas des livres anciens à proprement parler, du genre qu’affectionnent les amateurs d’imprimerie, de reliure, de parchemins et d’autographes, mais des volumes de deuxième, troisième, douzième main qui constituaient l’essentiel du stock et justifiaient l’enseigne ». (p. 59). Le bouquiniste Kémal sait rester sur place, mais il sait aussi être ambulant et marchand à la criée, une façon pour lui de ramener le livre dans l’alimentation quotidienne des humains. Écoutons le narrateur raconter leur saga :

«J’ai commencé à déserter les cours pour garder la boutique d’Axis Kémal, Le Quai des livres anciens, pendant qu’il partait avec un stock de livres sur une bicyclette aussi récalcitrante qu’un âne et qu’il engueulait à hue et dia. Parfois, je le rejoignais dans une cour d’école où il avait autorisation d’étaler ses livres et de haranguer les élèves comme un vendeur de fruits, pour leur « faire goûter », comme il disait, quand il faisait des lectures à haute voix au micro, debout sur un amplificateur qui servait de tréteaux, invitant les élèves à l’imiter en prenant sa place sur « la plus petite scène du monde ». Les élèves souriaient, applaudissaient, attendaient la fin pour se ruer sur les bandes dessinées. » (pp. 57 – 58).

Il parait que l’un des vœux de Ducasse fut de voir la littérature faite par tous. Le libraire ambulant serait en fait une articulation de ce vœu. L’écrire, la promouvoir, la transmettre fait partie du même « faire »…pourvu qu’on prenne garde à ne pas mêler les enfants au « vendre » !

Anas Atakora

Repenser l’éducation : pour une Afrique qui propose

Une étude menée par les Nations Unies en 2013 a donné lieu à des statistiques affolantes concernant l'éducation en Afrique : près de trois jeunes sur dix ne sont pas capables d'effectuer une opération de calcul simple, et deux jeunes sur cinq sont incapables de lire une phrase malgré leur scolarisation. 

Nietzche disait, à propos de la connaissance, que :

« Ce n’est que lorsque l’homme aura atteint la connaissance de toutes choses qu’il se connaîtra lui-même, car les choses sont les frontières de l’homme. ».

Du point de vue de l'éducation, il est nécessaire de prendre en considération la différence entre les besoins et les contraintes des enfants dans les pays africains et ceux d'autres continents, voire entre les enfants de chaque pays du continent. L'apprentissage, comme le définit Dewey, devrait prendre l'enfant pour base, car il est destiné à répondre à la nécessité de s'adapter à un écosystème donné. 

Or il s’avère qu’en 2014, les outils proposés aux enfants africains sont plus utiles aux enfants européens, car ils répondent aux contraintes de ces derniers. Il est urgent de repenser l’éducation dispensée aux enfants des Afriques de manière à ce que celle-ci réponde à leurs contraintes immédiates, et leur ouvre des pistes d’avenir dans leur propre territoire de naissance. Peut-être cela permettra-t-il aux générations futures de nourrir des rêves qui, loin de rejeter leurs traditions au profit d’un idéal « occidental », les connectera de nouveau à une civilisation dans laquelle, enfin, ils pourront se reconnaître. 

L’éducation comme réponse aux contraintes de notre environnement

La forme graphique dans laquelle se projette la pensée, le mode de compréhension de l'univers qui nous entoure, conditionnent durablement notre manière de réfléchir. Un paradigme se construit autour de cette réflexion, qui traverse les générations. Les pays Africains doivent investir dans des méthodes d'apprentissage qui répondent aux contraintes qui leur sont propres, afin d'apporter à leur tour leur manière de percevoir le monde à la grande fresque du savoir humain. 

Nombre de sociétés considérées comme primitives s’avèrent aujourd’hui détenir une rare connaissance de l’être humain et de son environnement. Que ce soit au fond de l’Amazonie, dans le désert du Kalahari, ou dans les endroits reculés d’Australie, les vestiges de ces civilisations que nous envions aujourd’hui sont encore témoins de systèmes éducatifs qui ont fonctionné. Ceux-ci sont à la peine aujourd’hui, en raison d’une mondialisation agressive et du désamour qui en découle pour tout ce qui concerne l’éducation traditionnelle. 

Se réconcilier avec les repères traditionnels 

Pourtant, les enfants Africains disposent de tous les outils nécessaires à la compréhension et à l’appréhension de leur environnement immédiat, et du grand mystère de la vie. Les contes, pour ne citer qu’eux, sont reconnus par les psychanalystes comme étant des outils qui permettent aux enfants de connaître les dangers auxquels ils peuvent être exposés, de les appréhender, d’y trouver des solutions grâce à leur ingéniosité. 

Il nous appartient d’explorer ces richesses, de les analyser, de nous en inspirer pour permettre à l’Afrique de s’exprimer de sa propre voix. Il est temps que les Africains se saisissent de cet héritage intellectuel et le mettent à exécution à travers le continent. Il est temps que l’Afrique propose, après avoir tant reçu. Qu’elle se construise par ses propres matériaux qu’elle aura solidifiés par les connaissances du passé, et qu’elle arrose la plante qui a longtemps germé dans ses terres. 

Comme les Grecs de l’Antiquité, les Africains doivent entrer en possession d’eux-mêmes. Le monde a aujourd’hui besoin d’une Afrique qui dialogue d’égal à égal avec les autres continents. L’Afrique a un devoir de prise en main et de restitution. Cela commencera par une réappropriation des modes d’enseignement par les citoyens Africains. C’est dans cette démarche que les pays Africains pourraient travailler en tant que partenaires, avec les pays d’Occident, et bénéficier de leur accompagnement durable et de leur expérience en tant que pays ayant eu l’occasion de développer leurs outils éducatifs. 

L’Afrique doit devenir ce qu’elle est déjà, c’est-à-dire un creuset de savoirs, un générateur de connaissances. Elle ne deviendra un partenaire efficace que quand elle apprendra à respecter sa propre individualité. 

Lycée à Abidjan – Copyright Zenman

Après les « grandes figures », quelle succession ? 

Le principe de l’enseignement, comme nous le savons grâce aux données historiques que nous possédons sur les aspects de la civilisation africaine, existe dans les fondements des sociétés africaines. Des auteurs comme Amadou Hampaté Bâ l’ont souligné à plus d’un titre. Les leaders politiques qui ont montré l’exemple de la sagesse africaine ont permis au continent de se hisser sur la scène internationale, tels Nelson Mandela ou Jomo Kenyatta. Dans les mondes Peul ou Bambara, l’homme est tenu, arrivé à un certain âge, d’enseigner aux plus jeunes ce qu’il a appris. Il y a là des leviers sur lesquels nous appuyer pour impulser un souffle nouveau au corps éducatif africain. 

Si les structures éducatives propres à l’Afrique ont disparu face à l’occidentalisation, leurs principes fondateurs demeurent, et leurs témoignages physiques sont encore présents. Il faudra étudier à nouveau ces structures, les replacer dans le contexte actuel, extraire les réponses qu’elles apportent aux contraintes aujourd’hui inhérentes aux sociétés africaines, et les réactiver dans les esprits afin qu’elles donnent naissance à une technologie maîtrisée par les africains sur les plans historique et pratique. Aujourd’hui, le G20 doit accompagner l’Afrique dans un processus de ré-enracinement dans le terreau du savoir. Il est temps de permettre une Renaissance africaine pour que le continent ait une pierre à apporter à l’édifice du savoir humain. 

Nelson Mandela disait que les actes des Sud-Africains devaient désormais déboucher sur une véritable réalité africaine, une société dont l’humanité serait fière. Ces mêmes propos s’étendent à tout le continent africain. Vingt ans plus tard, au devoir de « panser nos blessures » s’est ajouté celui de faire la paix avec une histoire trop longtemps limitée à ses épisodes aliénants, et concerne désormais la totalité du continent. A l’ère du Village Global, il est urgent de parachever la construction d’une Afrique qui propose.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright Photo Bernd Weisbrod

Touhfat Mouhtare

La culture africaine à l’épreuve de la tentation identitaire

Culture-Narcisse, par Le Caravage. XVIème siècle.
Narcisse, par Le Caravage. XVIeme siècle.
Sont suspects ces hommes de culture qui ne savent pas déchausser leurs lunettes pour fondre leur regard dans celui de l'autre afin de le mieux connaitre; sont étranges ces hommes de culture qui s'assignent comme tâche la farouche défense d'un lumignon quand le ciel de l'humanité brille d'une multitude d'étoiles.

La vanité de la sanctuarisation

 

Il est remarquable et inquiétant à la fois que dans les moments de crispation se ravive la volonté de définir les points d’ancrage d’une entité sociale. Si encore cette tentative prenait la forme du débat, peut-être en sortirait-il quelque chose. Mais passionnée, son expression se veut péremptoire et emprunte souvent à l’ignoble. La défense de ces points d’ancrage qu’on fixe sous l’appellation de culture adopte presque toujours l’expression brusque du rejet de ce qui déborde des colonnes de classification, menaçant de leur impureté l’éclat de ladite culture, profanant la pureté des origines aussi sans doute. Le postulat trois fois douteux de la permanence d’une culture, par essence mouvante, fluctuante, s’enrichissant, s’appauvrissant tel le lit d’un fleuve au gré de ses affluents ou des conditions météorologiques, nourrit ce désir d’homogénéité. Sans apports extérieurs qui la dynamisent, heureusement ou non, une culture se dévitalise ainsi qu’une langue peu à peu délaissée finit par mourir.

Il n’est donc, quoiqu’imaginent les partisans d’une identité figée, aucune culture qui puisse se targuer de sa permanence. L’Occident aux racines judéo-chrétiennes, la première. Sa foi chrétienne, sa citoyenneté romaine et ses idéaux culturels hellènes n’ont pas empêché qu’hier Germains, Goths, Lombards, Vandales et Arabes, entre autres, y laissassent un peu d’eux ; qu’aujourd’hui l’individualisme, la subjectivité et la laïcité y sèment les germes d’un ordre nouveau. Toujours les cultures, les civilisations empruntent, adaptent, assimilent. Le projet caressé par une partie de l’élite politique française, érigeant l’identité au rang de projet politique, est symptomatique de cette erreur brandie au peuple avec l’enthousiasme d’une croisade. Comme si ce dernier n’avait vocation qu’à humer le nauséabond.

Passons, car la France comme le reste de l’humanité n’a pas le monopole de la bêtise. Comme ailleurs elle a établi son règne en Afrique. Ce en dépit du ferme sentiment chez certains de son caractère immaculé, rêveurs d’une Afrique en apesanteur, épargnée de l’humaine férocité. Toujours les maux décriés ailleurs leur paraissent des bizarreries dont ils se croient exempts.

Les sociétés étant confrontations d’intérêts divers, parfois antagonistes, que parvient à peine à réguler la norme, un espace de socialisation si lisse relève simplement du mythe. L’Afrique, constate-t-on, est aussi percluse de sottise que les autres. La tentation identitaire quant aux œuvres de l’esprit qu’on constate chez certains Africains, en est avec d’autres la coupable empreinte. Seraient-ils sortis du dernier village du Sahel ou du Bassin du Congo que je ne le relèverais pas, mais il s’agit d’une tendance remarquable chez une partie sa fleur intellectuelle. Volontairement elle chausse des œillères et ne daigne considérer une œuvre que si elle porte l’estampille africaine.

L’autre jour en séjour chez un ami, comme je lui partageai mon désir de visiter le musée Balzac au château de Saché, ce dernier, déçu, s’engagea dans une critique de mon envie saugrenue et de mon intérêt pour l’illustre maitre Français. Comment, peut-on, Africain, éprouver le désir d’aller visiter un musée Balzac alors qu’on pas épuisé l’œuvre des écrivains Africains ? Rien que ça ! Un autre, promoteur passionné des lettres, me surprit lorsqu’au cours d’une discussion il tança sévèrement les penchants occidentalisants de la plume d’un écrivain africain nationaliste. J’entendis dans ses propos un reproche sous-entendu des choix plastiques de l’auteur, un peu trop éloignés, à son gout, d’une certaine esthétique africaine. Caricaturale, dirais-je.

Repli sur soi et culture : deux attitudes antinomiques

Défendre des intérêts nationaux, encourager la production culturelle d’une certaine aire, revendiquer son appartenance obligent-elles à verser dans l’inculture ? Dans la mesure où la culture est ouverture, élan vers l’autre qu’on approche d’abord pour son génie propre et qu’on découvre plus tard si on souhaite. L’inculture c’est l’esprit de clocher, c’est l’entre soi, c’est le sentiment de son propre génie, convenables aux esprits étriqués, enclins à limiter leur regard sur le vaste monde sur ce qui leur est familier. Ce repli sur soi-même, vulgaire crispation simpliste et bigote qui, si l’on fouille bien, réduit l’identité – subjective, mélange des diverses substances d’ici et d’ailleurs assimilées par le sujet -, à une seule appartenance, signe une culture chétive, avilit ce grand idéal.

Elégante, solide et gaillarde la culture souffle sur l’esprit, le nourrit, l’affermit et le rend agile. Elle est à l’esprit ce qu’est au corps l’exercice. Modérant et apprivoisant les affects, elle fait réaliser aux hommes leur ressemblance. Tout le contraire du carcan nombriliste. Par la puissance de leur beauté, la sincérité de leurs accents le Jazz et le Blues explosèrent leurs frontières primitives et séduisirent une partie de l’Amérique ségrégationniste. Qui se souvient du contexte de leur éclosion ? Aujourd’hui ces musiques sont assimilées blanches, mêmes dans l’esprit des Africains.

Amasser les lectures et les références intellectuelles ne cultive que si on se laisse transformer par la sève des lectures, et des arts en général, puissante source de révolte, d’irrévérence et d’élégance. Avoir des prétentions à la culture et n’apprendre jamais à regarder l’homme par-delà les montagnes et les océans, est une imposture ! On dit de l’Allemagne nazie qu’elle était policée, cultivée. Bien non ! Quoiqu’ayant lu tout Schiller, tout Goethe assimilé son romantisme, traquer Arendt, Zweig Mann, Brecht, Heine, était preuve de la barbarie la plus sombre. Et chaque fois qu’on nie la voix de l’autre simplement par idéologie ou par racisme, on se rapproche des autodafés et de l’exclusion.

Relativiser dans la douleur, dialoguer dans la différence

Nécessaire, le besoin de connaitre la culture de son terroir ou d’augmenter ses connaissances quant aux cultures des aires avec lesquelles on revendique une attache ne se fait pas sur le dos des autres cultures, fussent-elles celles d’un pays avec lequel on entretient des rapports difficiles du fait de la politique ou de l’histoire. C’est de culture donc qu’était imprégné l’auteur Africain blâmé par mon ami. Malgré ses griefs, il ne s’était pas débarrassé de la langue française, continuait, malgré sa mise au ban par la France de son temps, de célébrer ses beautés, et d’exprimer son génie par son truchement. Il avait réussi à prendre le recul nécessaire pour que son combat ne le brouillât jamais avec les grands esprits admirés au sein de la nation combattue.

A-t ‘on jamais entendu l’âme révoltée et anticolonialiste de Césaire renier Shakespeare ou Hugo ? L’a-t ’on jamais entendu cracher sur sa culture classique occidentale ? C’est en articulant l’idéal de dignité de cette culture à sa révolte de nègre qu’il nous est devenu ce grand poète, dénonciateur du colonialisme et pourfendeur des roitelets nègres. Allons-nous lui faire un procès en infamie ou en aliénation pour avoir crié sa négritude en français ?

La mémoire douloureuse des africains, légitime, continue de souffrir de la relégation du continent noir aux confins de l’humanité, chosifié, n’ayant « inventé ni la poudre ni la boussole », n’a pas fait sienne l’injonction du poète : « sois calme ma douleur ». Mieux que sombrer dans une valorisation agressive de l’histoire et des cultures africaines, au risque non seulement de graves incohérences et d’un criard manque rigueur, mais aussi de déshumaniser l’Africain, nettoyé des pesanteurs constitutives de l’homme que l’idéal d’humanité rêve de gommer, n’est-il pas préférable que l’Afrique embrase et réchauffe le cœur refroidi de l’humanité gagné par les démons de la discorde par ce rire fraternel et insoumis qui la sauva de la disparition ?

Webdays : un rendez-vous 2.0 en Afrique et au Moyen-Orient

En 2011, en Algérie, un groupe de passionnés des nouvelles technologies décide d'organiser un évènement qui serait dédié à ces dernières. Les Webdays sont nées. Elles deviennent peu à peu un évènement phare dans le domaine en Afrique, présent dans plus de 20 pays. L'association fête ses 5 ans le 30 novembre. L'occasion pour nous d'établir un bilan avec l'une des membres de l'organisation, Mounira Hamdi. 

Une brève histoire des Webdays ?
A l'origine des Webdays, il y a l'association Founder Family. Elle a été fondée par Farid Arab (Franco-Algérien) et Mehdi Omarouayache (Algérien). Cette association à but non lucratif est axée sur les nouvelles technologies, l'innovation et l'entreprenariat. Les#webdays sont ensuite nées de cette démarche. Ces rencontres sont organisées sous forme de symposiums. Elles visent à favoriser les rencontres entre acteurs des différents écosystèmes numériques. Nous avons organisé plus d'une centaine de rencontres en 5 ans. 

Dans quelq pays les webdays sont-ils présents ?
A ce jour, les Webdays sont présents dans plus de 20 pays, dont  l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal, le Togo, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Lybie et le Qatar. 
 

Quelles sont les perspectives pour les années à venir ?
Nous comptons développer les rencontres Webdays dans la majorité des pays d'Afrique et créer des synergies avec d'autres écosystèmes entrepreneuriaux dans le monde.

Les prochaisn rendez-vous #webdays
La prochaine session des Webdays aura lieu le 30 novembre à Oran, pour fêter les 5 ans de l'organisation. Communicants, technophiles, passionnés du web, réservez vos billets ici : https://www.facebook.com/events/1421476624733899/

Nietzsche, le Bénin, et Mylène Flicka la chasseuse de talents

De gauche a droite : Mylène Flicka et Delphine Anglo a la place des Martyrs, Cotonou. Copyrigths : L'Afrique des Idees
Elle diffuse des histoires vraies ou imaginaires qui nous retournent comme jamais. Et elle insulffle de l'espoir à travers son site, Irawo. Voici son histoire, chapitre premier : Mylène Flicka, la chasseuse.

Elle n’a pas de repère physique mais elle sait trouver des talents.

Je sais que vous êtes une « inconditionnelle » des réseaux sociaux. N’est- ce pas ? Sur votre profil Twitter, on pouvait lire, au 22 août 2016 : « Je voue un culte malsain à Nietzsche. Et quand je m'ennuie, je joue à l'écrivain sur founmi.com  et à la chasseuse de talents sur irawotalents.com. Alors, une première question qui me ronge l’esprit, pourquoi Nietzsche ?

Mylène Flicka : Nietzsche, je l’ai connu comme tous les élèves du Bénin en classe de Terminal parce qu’on a parlé de Dieu et beaucoup de personnes le connaissent pour sa célèbre phrase « Dieu est mort ». Ça m’a toujours semblé atypique parce que les autres philosophes n’osaient pas le dire de cette manière.  J’ai décidé de lire le « Gai Savoir » à une époque où j’étais en stage au Ministère des Affaires étrangères du Bénin. Le stage me « tuait » et Nietzsche me rendait la vie. Je le comprenais facilement. Il est devenu en quelque sorte un repère, ce qui m’apparaissait incroyable car j’ai du mal à avoir des modèles. Il suffit juste qu’on appelle Nietzsche à côté de moi pour que je devienne complètement électrique. 

Je dis lui vouer un culte « malsain » parce qu’il pose toujours des dilemmes intellectuels ; c’est un auteur compliqué à lire: il affirme d’ailleurs que tout culte est malsain, d’où l’adjectif.

Ok, je comprends mieux. Aujourd’hui quand on entend le nom Mylène Flicka, on pense forcément à « Irawo ». Et mon bon sens voudrait par exemple qu’un jour (ou une nuit), vous ayez rêvé de talents pour que tout ait commencé. Est-ce cela ?

Mylène Flicka : Ce n’est pas çela. En fait, j’ai commencé à bloguer en Novembre 2014. J’ai créé mon premier blog qui s’appelait « myleneflicka.wordpress.com » et je faisais un peu de tout : j’écrivais des histoires et je partageais mes opinions. Un jour sur Internet, j’ai découvert Jowel Maestro qui dessine au stylo; il dessine de manière si réaliste que je me suis demandée pourquoi ne pas l’interviewer pour le faire connaître. Sur ce coup de tête, je l’ai contacté et il a accepté que je l’interviewe. L’interview publié a eu un tel impact que j’ai récidivé ici même à la « Place des Martyrs » de Cotonou  avec l’association « Ori-art Dance ». Cette dernière, composée de jeunes ayant pour passion la danse, y avait organisé un concours de danse. J’ai écrit l'histoire de leur amour pour la danse. La jeunesse du Bénin a un talent fou mais souvent personne pour y croire.

Pour les 10 ans de la Fondation Zinsou, j’ai rencontré Marie-Cécile Zinsou que J’ai interviewée en vue d’en savoir plus sur la fondation. Je me suis rendu compte de toutes ces petites initiatives de jeunes béninois qui ont tellement de poids mais dont on ne parle pas ou si on en parle c’est avec condescendance. La plupart des médias se concentrent sur les politiciens comme si c’était eux qui faisaient le Bénin. Mais ceux qui font le Bénin, ce sont ces « petits citoyens de rien du tout » auxquels personne ne pense, qui n’ont peut-être pas une fortune à faire valoir mais qui ont un talent, une passion qui les pousse en avant. C’est là que j’ai fait une pause dans le « blogging ». En Novembre 2015, à l’occasion de l’anniversaire de mon blog, j’ai dit officiellement que je l’ai tué pour créer un autre.  Irawo était né: un repertoire de jeunes  talents du Bénin.

Aujourd’hui, Irawo n’est plus un blog. C’est tout un média puisqu’on a le site web et la webTv. On se concentre sur le talent.

Irawo, pour les « nuls » serait quoi ?

Mylène Flicka : Etoiles, en langue Nago tout simplement. En une phrase, Irawo est un répertoire de jeunes talents du Bénin.

Et plus encore, qui sont les Irawo ?

Mylène Flicka : Ce sont les jeunes talents que nous interviewons sur irawotalents.com. Des artistes photographes, peintres, des développeurs, acteurs culturels, danseurs, stylistes, écrivains, etc. Par ailleurs, il faut que les talents aient de préférence 30 ans au plus, qu’ils soient originaux, qu’ils aient une approche de travail différente et que leur travail ait un impact sur la communauté.

De la créativité 

Pour le moment, ce sont des métiers vraiment créatifs parce que je trouve que c’est beaucoup plus difficile pour nous de savoir par exemple si un DG (Directeur Général) est plus talentueux qu’un autre car c’est une fonction dépendante de beaucoup de circonstances ou d’éléments. Donc on ne peut, pour l’instant, pas dénicher des talents dans des métiers non créatifs.

Un idéal de 30 ans 

Il faut que les talents aient 30 ans ou moins parce que Irawo veut casser un préjugé ou plutôt une mentalité béninoise : celle qui voudrait que ce soit après 30 ans que ce soit plus légitime de réussir. Même les jeunes eux-mêmes ne croient pas en eux tout simplement parce qu’il y a toute une connotation négative autour de la définition de la jeunesse au Bénin. Imaginez-vous par exemple dans un groupe de jeunes qui voit passer un autre jeune avec une jolie voiture, une « bonne caisse » comme on dit, la première réaction serait « Sûrement qu’il fait des trucs louches ». La jeunesse elle-même ne s’imagine pas réussir véritablement ; on se dit que cette réussite ne peut être que truquée. Au-delà, je trouve qu’au Bénin il y une véritable condescendance des aînés envers la jeunesse. Quand vous êtes jeune, on ne vous respecte pas. Vous n’avez pas droit à la parole, on ne veut même pas vous laisser faire vos preuves. Pour eux, parce que vous êtes jeune, vous n’êtes pas compétent ; vous n’êtes pas digne de confiance. Emprunter de l’argent à une banque, c’est vous entendre rappeler que vous n’avez pas de garanties. On vous paye moins parce qu’on estime que vous êtes trop jeunes pour valoir certaines sommes.

En réponse à quelqu'un qui ne comprenait pas pourquoi il y a un critère d'âge, Mylène Flicka avait écrit ces lignes qui résument bien ses arguments :

Bénin talents

Capture d ecran du 24/08/2016. Source : Facebook.com, Page : Mylene Flicka

Une démarche différente

Nous insistons beaucoup sur la différence de la démarche. Par exemple, on m’a recommandé une fois,  une jeune personne qui travaillait dans une organisation internationale. La personne répondait au critère d’âge. Toutefois, je ne pouvais pas l’interviewer parce que le critère sur lequel repose son originalité était son âge et quand bien même j’aimerais me dire que l’âge est un plus, je crois qu’il n’est pas un critère de talent. Mais non: être le plus jeune quelque part ne nous rend pas plus meilleur que les autres. Ce n’est pas un mérite mais un avantage.

De l'impact sur la communauté 

Pour déterminer l’impact sur la communauté, nous essayons en amont, de discuter avec les potentiels Irawos pour en savoir davantage sur leur activité. Un exemple concret : pour un vendeur de sandwich, nous lui demanderions combien de sandwichs il a eu à vendre depuis le début de son activité, combien de personnes fréquentent son bar et aussi des questions subjectives comme : est-ce qu’on peut dire qu’il fait par exemple le meilleur sandwich de la ville ? On lui demanderait combien de personnes il emploie parce que nous accordons beaucoup d’importance au volet emploi. Les talents en vivant leur passion, la font vivre à d’autres personnes.

Une image sur un mot « Irawo »

Irawo bénin talents
Capture d ecran du 24/08/2016. Source : irawotalents.com
Elle a la main suffisamment forte et bien entourée pour élever un « groupe » !

Dénicher des talents jeunes et africains, les interviewer, arriver à transcrire puis partager l’émotion et le message voulu : ce sont des exercices non aisés qui exigent entre autres des qualités d’organisation, de communication et d’écriture. Alors, je ne peux m’empêcher de vous demander comment arrivez-vous à gérer cela.

Mylène Flicka : Quand je regarde le parcours, je me demande : comment on en est arrivé là ? J’ai toujours aimé écrire et rencontrer des gens qui  « font quelque chose ». J’aime découvrir leur personnalité. Avec Irawo, je réalise le rêve de ma vie parce que Irawo regroupe tout ce que j’aime faire : pouvoir interviewer des gens, parler d’eux, montrer ce qu’ils ont de plus beau, raconter une histoire vraie, transmettre l’émotion. J’ai appris à découvrir mon pays. J’ai découvert mon patriotisme. Irawo construit la fierté des gens à se dire béninois. Aujourd’hui, vous avez juste à visiter le site de Irawo pour avoir une dizaine de raisons d’être fier d’être béninois, juste parce qu’il y a des gens qui sont là et qui travaillent. Ce sont des repères.

Ensuite, par rapport à l’organisation, Irawo nous prend tout notre temps ; Je dis nous parce que nous sommes à présent une équipe: La Team Irawo est composée à l’heure actuelle de Mawunu Feliho, de Darios TossouYanick Folly, de Jessica Gaba et Jean Morel Morufux.. Ils sont là et donnent tout à Irawo. Nous croyons en l’objectif, en l’idéal de Irawo et par conséquent, tout passe après. On essaye de rester authentiques et atypiques afin de proposer à chaque fois, quelque chose d’accrochant. Dans chaque interview, on essaie d’imaginer par quel moyen « fun, high » ou bizarre,  faire passer le message.

Nombreux sont les internautes qui n’hésitent pas à vous adresser leur reconnaissance, leur fierté, leur félicitations et encouragements. Considérez- vous que l’objectif s’atteint ? A quel niveau vous situez-vous sur la trajectoire menant à ce que vous aviez comme cible et objectif au départ ?

Mylène Flicka : Euh…Nous avons des objectifs par talent. Sur le site de Irawo, il est marqué qu’Irawo vise entre autres à connecter les jeunes talents à des partenaires potentiels, chefs d’entreprise, acteurs du secteur public, etc. Pour chaque talent, nous essayons de voir si nous avons atteint tous ces objectifs. On pourrait se donner comme objectif 10 milles vues dans la journée. Le talent qui m’a le plus marquée jusque-là reste Ulrich Sossou parce que nous lui avons fait l’interview un jour et le jour d’après tout est parti en « vrille » ; nous avons atteint tous les objectifs d’Irawo avec lui. Le magazine « Canal + Réussite » a réalisé par la suite un interview sur lui. On a beaucoup de fierté à dire qu’il fait partie de nos « Irawos ». Je pense aussi à Maureen Ayité de Nanawax qui nous a raconté son histoire d’une manière qu’elle n’avait jamais faite. Elle travaille sans relâche. Elle a eu des coups bas, a sacrifié beaucoup de choses pour se retrouver là aujourd’hui. Elle nous a dit que c’était la meilleure interview de sa vie. Pour nous c’est une joie, tout simplement.

Vous le disiez rapidement en début d’entretien, Irawo ce n’est pas que le site des talents interviewés, c’est aujourd’hui tout un ensemble composé notamment d’une chaîne. J’ai envie de dire que c’est aussi une vitrine où on présente des « mamelles cachées » ou des plaies non soignées.  Pourriez- vous nous en dire davantage ?

Mylène Flicka : Nous avons lancé IrawoTV en Mai 2016.  On voulait créer une télévision sur Snapchat qui était en ce moment-là  le média sur lequel il fallait être. Le but c’était de pouvoir re-transmettre aux gens à travers Snapchat, les interviews, leur permettre de parler directement avec les talents qui sont passés en « guest » (Langage Snapchat pour dire « Invité ») et ensuite, pouvoir remédier aux critères assez carrés de Irawo (le site) en permettant à tous ceux qui font quelque chose pour l’Afrique de s’exprimer. C’était aussi de pouvoir montrer des talents dans la rue, montrer les petites choses du Bénin qui font sa fierté, faire des émissions sur tel métier ou telle expertise, retransmettre des événements ou faire découvrir des lieux. Ensuite ça a vraiment évolué parce qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait remédier aux côté éphémère de ce média puisqu’un « Snap » dure 24h. Donc on a créé la WebTv qui sert actuellement de plateforme pour des reportages : « Yanick Folly et les enfants de Dangbo », « Les trois mamelles de Savalou » et « Bonouko, un petit enfer au Bénin », etc.

Irawo, ce sont des objectifs, une équipe solide, des activités à valeur ajoutée, etc. D’où ma question : Irawo, n’est- ce pas en réalité une entreprise qui pourtant ne s’en réclame pas une?

Mylène Flicka : J’ai en horreur les termes comme entrepreneur, CEO qui franchement me passent par-dessus la tête. Je ne veux pas encore dire qu’on est une entreprise parce qu’on n’a pas encore de business model pour moi et tant que c’est le cas, on n’est pas encore une entreprise, à mon sens. Je respecte beaucoup les entrepreneurs. Mais je trouve qu’il y a une certaine tendance malsaine à tout appeler “start-up’’. Il ne faut pas faire beaucoup de bruit pour ne finalement rien faire. Si un jour, on dit qu’Irawo est une entreprise, il faudrait qu’on soit en mesure de supporter le poids de ce mot : pouvoir montrer des chiffres, le besoin résolu, le business model, l’impact, etc. Pour le moment, on est un média sur internet qui veut valoriser le talent. Travaillons à cela d’abord.

Delphine Anglo

A suivre : L’histoire de Mylène Flicka, chapitre second

 

Mise en ligne le 09 novembre 2016

Mathématiques africaines : entre langage social et débat d’idées

Mathématiqeus africaines - image African Fractals- tresses
Source : African Fractals, par Ron Eglash
« Toute activité mathématique, dans quelque société au sein de laquelle elle opère, résulte d’une interaction entre la liberté de l’imagination humaine et les contraintes universelles qu’imposent l’espace et la logique. ». African Fractals, par Ron Eglash. 

Nous vous avions déjà proposé une lecture des travaux de Ron Eglash, ce mathématicien américain qui, à l'instar de Claudia Zaslavsky en Russie ou de Paulus Gerdes au Mozambique, révèlent la dimension logique de la pensée africaine. Plus que cela, de tels travaux clouent le bec aux théories selon lesquelles une société sans écriture est une société qui ne pense pas, et inscrivent l'Afrique autant qu'une partie de l'Europe antique dans l'Histoire de la pensée humaine. Dans La raison graphique, Jack Goody soulaignait déjà la tendance du milieu de la recherche à vouloir "lire" les sociétés qui donnent la part belle à la matière, aux quantités, et au discours, avec une grille influencée par l'histoire occidendale de l'écriture ; il appelle cette tendance l' "habitus littératien". Ron Eglash propose ici de regarder autrement les manifestations de l'art dans certaines sociétés africaines, et d'y voir l'expression d'une pensée mathématique qui s'écrit autrement. Tour d'horizon. 

Plus proche d’une intention que de la nécessité de représenter un concept social, l’art recèle lui aussi des concepts mathématiques complexes que l’auteur fait ressortir. Ceux-ci peuvent, ou non, se rapprocher de notre compréhension euclidienne des mathématiques ; mais si l’auteur avoue ne pas avoir les outils nécessaires pour affirmer avec fermeté que l’intention est animée par une même passion pour les nombres que les contemporains de Pythagore ou d’Euclide, il n’en précise pas moins qu’il existe, dans certaines formes d’art, une volonté assumée de faire apparaître des idées mathématiques telles que les angles ou les algorithmes. Celle volonté peut être issue de stimuli différents :

Les angles : On observe ainsi que les Mangbetu du Congo Kinshasa(Nord-Est) expriment l’angle 45° dans la plupart de leurs créations artistiques (instruments de musique, coiffures…), et que celui-ci est répété à l’infini selon un système fractal d’échelles. Une telle création artistique est considérée comme un challenge, un défi que se lancent les artistes Mangbetu, et a pour principal leitmotiv la compétition des idées.

Les algorithmes et le graphe eulérien : caractérisé par l’exigence d’exécuter un dessin reliant des points dans l’espace sans jamais lever la main, le graphe qui porte le nom du mathématicien Euler se retrouve dans plusieurs sociétés africaines, dont les Chokwe, en Angola. Ici, le graphe, qui fait appel aux propriétés scalaire et récursive des fractales, a un rôle initiatique pour les enfants : à mesure que ceux-ci grandissent, ils relèvent le défi d’en dessiner un plus grand et plus complexe.

Les transformations affines contractantes : on en retrouve la logique dans les motifs réalisés à la main des tissus ghanéens Kente, construits sur la base de rectangles dont la taille se module en conservant le parallélisme. L’auteur souligne ici que selon les tisserands, il s’agit de suivre l’itinéraire de l’œil quand il parcourt un objet.

Les fonctions exponentielles : elles se retrouvent dans le tressage des clôtures de millet au Mali, dont les finitions plus effilées que la base sont travaillées en fonction de la puissance estimée du vent. Il est intéressant de noter que lorsqu’on calcule, grâce à l’outil informatique, les dimensions et les propriétés qui permettraient à un mur de millet de freiner la course du vent – sachant que la puissance du vent est fonction de sa vitesse à un temps T, de son point de départ (mesurable sur un repère cartésien, par exemple), et de la distance qu’il parcourt – celles-ci se rapprochent du travail effectué par les bâtisseurs.

Le calcul informatique est d’ailleurs un outil que l’on retrouve tout au long de l’ouvrage, puisqu’il sert d’outil de modélisation et de mise en équation des différentes structures construites selon un mode fractal. L’auteur précise sans cesse que l’on retrouve, pour chacune des formes et des associations de formes étudiées, des données quasi précises à travers un calcul mécanique.

Alors qu’ailleurs les maths s’expriment à travers des symboles écrits, ici, elles sont palpables. Evidemment, on pourrait répliquer que dans toute construction humaine se trouve un concept mathématique : dans une brosse à dent ou une chaise, comme dans une équerre ou un double-décimètre. La question qui se pose concerne alors la conscience, ou l’inconscience, qui accompagne les oeuvres humaines lorsqu’elles expriment des idées mathématiques. Mais ça, c’est un autre débat.

Pour aller plus loin : 

African Fractals, Ron Eglash, Rutger’s university press, 2012.

Achille Mbembe, remède à la “fétichisation de l’identité”

achille-mbembe_1A près de 60 ans, l’intellectuel camerounais Achille Mbembe se livre à un travail aussi ambitieux que périlleux. Tracer les lignes de force d’un monde inquiétant où l’heure est à la haine de soi transformée en rejet de l’autre, à la “fixation imaginaire sur l’étranger, le musulman, la femme voilée, le réfugié, le juif ou le nègre”. Pour lui, c’est bien un désir d’apartheid qui est à l’œuvre dans les sociétés contemporaines et qui trouve ses origines dans la construction des démocraties libérales et leur adossement au fait colonial.

Mbembe démonte méticuleusement les phobies racistes et tente de leur opposer une “pharmacie”, inspirée du travail du psychiatre martiniquais Frantz Fanon: de sa pratique des soins dans l’Algérie des années 50 et de ses textes brûlants contre la colonisation. Pour l’Afrique des idées, il revient sur son dernier essai Politiques de l’inimitié paru en mars dernier, avant un grand colloque au Sénégal, à Dakar et à Saint-Louis (27-31 octobre), où seront rassemblés une vingtaine d’intellectuels du continent, au cœur de ce renouveau de la pensée africaine.

L’heure, écrivez-vous, est au rejet de l’autre et à la généralisation de l’état d’exception. Que désignent ces “politiques de l’inimitié” qui donnent son titre à votre ouvrage ?

Le projet consistait à prendre la mesure d’un temps du monde qui me paraît dominé par le désir de violence et l’accélération des instincts guerriers. Depuis les attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis, l’état d’exception est devenu plus ou moins la règle, et avec lui la demande et l’obsession de l’ennemi. Pour ce qui nous concerne, les gens du Sud, je voulais retracer les origines historiques de cette hostilité, ces moments où le politique en vient carrément à faire de la gestion de l’hostilité et non plus de mise en lien des individus.

Vous expliquez que cette violence était déjà en germe historiquement dans les démocraties libérales. Mais qu’elle avait lieu dans la colonie ou au bagne, loin des regards…

Il s’agit de repenser la démocratie en tant que forme ultime, dit-on, de gouvernement des humains. Or une relecture historique de la démocratie moderne, libérale en particulier, permet de montrer que le système s’est constitué sous la forme d’une démocratie des semblables. Il n’y a pas de démocratie autrement que pour ceux qui sont semblables les uns aux autres. Ce fut le cas pendant très longtemps aux Etats-Unis à l’époque de la traite des esclaves, ce fut le cas en Europe au moment des conquêtes coloniales. Les démocraties, historiquement, ont toujours eu besoin d’un tiers-lieu à l'extérieur d’elles-mêmes, où elles pouvaient exercer une violence sans réserve contre ceux qui avaient été décrétés comme n’étant pas des leurs. Le moment colonial fait partie de tout cela.

Pourquoi centrer l’analyse sur les démocraties libérales ? Cette inimitié n’est-elle pas le propre de tout Etat, d’une communauté nationale qui se construit par rapport aux autres ?

C’est en effet propre à la forme Etat, et surtout à l’Etat-nation, qui comme son nom l’indique est un Etat pour les nationaux, pour ceux dont nous pensons qu’ils sont comme nous. Mais je m’intéresse de façon privilégiée aux démocraties libérales, parce qu’en fin de compte, je ne vois pas d’autres espoirs au-delà de la démocratie. Or dans le dernier quart du 20e siècle, la démocratie dont on pensait qu’elle allait triompher de toutes les autres formes du politique est soumise à un processus sinon de délitement, en tout cas d’inversion. Le conflit entre le capitalisme et la démocratie a atteint des niveaux sans précédent. Il n’est plus du tout évident qu’une certaine forme de capitalisme, notamment financier, soit compatible avec la démocratie. Je me situe donc dans le prolongement des critiques récentes de cette forme de gouvernement dont beaucoup pense qu’elle est arrivée au bout de ses possibilités. Il faudrait réinventer sinon autre chose, du moins réfléchir à la manière dont on pourrait la réanimer puisque nous en avons besoin si nous voulons sortir du procès d’ensauvagement du monde auquel nous assistons, qui se traduit par des violences paroxystiques, irrationnelles, le terrorisme en étant une, mais une certaine forme de lutte contre la terreur en étant le pendant mimétique.

Vous en appelez à la pharmacie de Frantz Fanon ? En quoi la pratique qu’il avait en Algérie est-elle l'esquisse d'un remède ?

Fanon est un auteur assez dangereux… Je l’évoque parce qu’il a bien compris, peut-être mieux que tous les théoriciens de la lutte anticoloniale, comment est-ce que la violence était à la fois un remède et un poison. L’évocation de Fanon ne vise pas à l’ériger en maître auprès duquel on se précipiterait pour trouver des solutions à nos impasses actuelles. Je parle de lui parce qu’il me semble figurer de manière très dramatique les tensions pour la plupart insolubles auxquelles nous sommes confrontés.

Fanon avait un rapport plutôt décomplexé à la violence et à la radicalité. Quelles en seraient les applications concrètes aujourd’hui ?

La violence chez Fanon joue un rôle cathartique dans le sens où elle permet au sujet colonisé de sortir de son état d’objet : si je paraphrase Fanon, ne serait-ce que parce que le sujet en vient à réaliser que le sang qui coule dans les veines du colon a la même couleur que le sien. Donc qu’il y a une similarité essentielle, fondamentale entre l’un et l’autre. La violence permet de réveiller l'assujetti de son sommeil. Mais elle a aussi une fonction tellurique. Elle agit comme un tremblement de terre qui permet de détruire le système colonial et raciste sur les ruines duquel on peut éventuellement imaginer un ordre nouveau.

Mais ce qui m’intéresse ce n’est pas vraiment cette dimension mythologique de la violence, mais le fait que le même Fanon, qui en appelle à la violence, est celui qui est très attaché à ce que j'appellerais la politique du soin. C’est ce même Fanon qui est prêt à se pencher sur les troubles psychologiques qui déchirent le policier tortionnaire qui passe son temps à torturer les nationalistes algériens. C’est cette double dialectique de la violence et du soin qui m’intéresse d’un point de vue intellectuel.

Pour résister à cette inimitié, votre proposition est celle d’une éthique du passant. De quoi s’agit-il ?

Il y a derrière l’idée du passant toute une réflexion cosmologique sur “qui sommes nous ?” et comment peut-on définir les humains en relation avec une histoire très longue de l’univers où l’espèce humaine n’est qu’une petite ponctuation, une espèce parmi d’autres. Il me semble que l’une des caractéristiques fondamentales de l’humain est d’être là provisoirement, de passage. Nous ne choisissons pas le lieu de notre naissance, c’est un choix qui est fait par d’autres. Ce que nous choisissons, c’est le type de rencontres que nous faisons chemin faisant, et c’est ce que nous faisons de ces rencontres.

Si on la prenait vraiment au sérieux, cette figure du passant nous permettrait d’ouvrir des perspectives nouvelles sur la question des identités et la fétichisation de l’identité à laquelle on assiste. Elle nous permettrait aussi de penser autrement la forme de l’Etat-nation qui est devenu une prison. Elle nous offrirait surtout, à l’ère où la mobilité s’accélère partout, de penser autrement la question des migrants, de celui qui est de passage, et des formes du droit qui pourraient être inventées pour confronter ces processus qui alimentent tant de peurs.

La figure du passant n’est-elle pas réservée à des privilégiés qui ont cette capacité de voyager et de rencontrer l’autre ?

Pas du tout. Si on se limite aux gens en mouvement, aux réfugiés, à tous ceux qui sont obligés de quitter leurs lieux de naissance, d’emprunter les chemins hasardeux sans garantie de destination, leur nombre va grandissant. La mobilité est devenue pour une grande partie de l’humanité la condition première de survie. Le drame aujourd'hui c’est de ne pas pouvoir bouger. Ce drame des millions et des millions de gens y sont confrontés. Le gouvernement de la mobilité est peut-être le défi majeur du 21e siècle. Faute de régler ce défi, de le confronter de manière humaine, nous finirons par multiplier les affres et les tragédies qu’on aurait pu éviter si on avait pris au sérieux cette affaire du passant et du passage comme fondement de notre humanité.

La tonalité de votre livre est plutôt inquiète. La dynamique intellectuelle à l’œuvre en Afrique n’est-elle pas de nature à rassurer ?

Si, absolument. Il y a une ébullition intellectuelle et artistique dans plusieurs disciplines, de la littérature à la danse en passant par les arts plastiques et la critique philosophique. Il y a effectivement un énorme mouvement dont l’ampleur, je crois, ira croissante dans les années qui viennent. Que cela vienne des gens du continent ou de la diaspora. Cette ébullition, son lieu de naissance, c’est le mouvement, la mobilité, la circulation. Il y a une pensée de la circulation qui est en cours et que je qualifie, de mon point de vue, d’afropolitaine.

 

Propos recueillis par Adrien de Calan

Pour aller plus loin – Achille Mbembe, Politiques de l’inimitié, Ed. La Découverte, mars 2016.

 

Exorcising Kenya’s ghosts : a review of Yvonne Ouwor’s novel, Dust

Exorcising the ghosts of Kenya : a review of Yvonne Ouwor's novel Dust

Dust is the debut novel of Kenyan writer Yvonne Adhiambo Owuor. Published in 2013 by Kwani?, it tells different narratives of people whose intertwined destinies unfold over five decades of Kenyan history, from the colonial time to 2007 post-electoral violence. Indeed, important landmarks in Kenya’s history serve as backdrop for the narration and put into perspective the tragic fates of characters.

Dust is set both in Nairobi and the surroundings of Lake Turkana. Through a keen mastery of the language and a vivid imagery of Kenya’s landscapes, the narrator sets the stage for a slow motion tragedy the peak of which is… the prologue. It opens on the death of Odidi Oganda killed in a gunfight with the police in a Nairobi street. His untimely death “unravels a whole lot of things”. As his corpse is laid to rest in Wuoth Ogik, Odidi’s family goes on a pilgrimage to “find him again”. On their way, lots of secrets surface.

Then, the reader gets to know Dust’s gloomy, dark, mystifying protagonists. They fail to be strong-headed, leading characters, with great divides and strong motives. For example, Odidi is a naïve and “doomed idealist” whose honesty and uncompromised ideal made un-adequate. He rejects the “establishment”, yet he doesn’t struggle for the ideal he stands for and his flight and cowardly death in the prologue make him an anti-hero rather than the strong-headed, visionary revolutionary Kenya might crave for. As for the secondary characters, they are corrupt, they trigger electoral violence, or they are instruments of State violence. With all their complexities and mystery, these characters embody what Owuor has coined ‘a national economy of secrets’. The 1984 Wagalla Massacre, the contested and violent elections of 2007 are among other important events evoked in the novel. But, they are not sufficiently evoked to inform the reader; probably because these tragedies haven’t been addressed and justice applied. This pattern is emphasized by jangled up narrative sequences and the use of flashbacks which illustrate the impossibility to project into the future. The dense lyricism contributes to construct the narrative of a complex country and the elusive, transient nature of human experience. Besides, the narrator’s incantatory-like descriptions of the landscape are evocative of the haunted ideal Kenya is, with all its poor and broken promises”.

In the aftermath of the Westgate blast and the Garissa Attack, Dust is a relevant read to weigh on the debate over state violence, corruption and the collective amnesia which seems to infuse the whole country. Through the book, the author posits the relevance and necessity of memory, justice and transparency to make #MagicalKenya “whole again”, provided that the ghosts are addressed.

Ndeye Seck