G5 Sahel : l’espoir est-il encore permis ?

Le G5 sahel a été lancé en grande pompe et son avènement était porteur d’espoir. Il donnait tous les signes évidents d’une bonne solution africaine pour venir à bout du terrorisme dans le sahel. Cependant à ce jour, cette lueur semble vacillante. Les regards sont tournés vers les puissances occidentales pour réveiller cette force qui se targuait d’être une initiative africaine. Le dernier Sommet de l’Union africaine s’en est en fait une préoccupation. Etait-il possible d’envisager déjà dès sa naissance que cette force se heurterait au mur ? Le G5 Sahel peut-il honorer les espoirs ? Faut-il envisager les choses autrement ?

Le G5 Sahel aux origines

Le G5 Sahel ou « G5S » est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. Il a été créé lors d’un sommet du 15 au 17 février 2014 par cinq États du Sahel à savoir le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.  Ces 5 Etats s’étaient mis en commun pour venir à bout de la menace terroriste commune. En effet, la région du Sahel est souvent aux prises avec des forces terroristes telles qu’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), Al Mourabitoune, l’Etat islamique dans le Grand Sahara, Ansar Dine, Boko Haram.

Il  trouve donc sa justification dans la volonté des chefs de ses Etats membres d’éradiquer la menace terroriste et amorcer une marche commune vers le développement, persuadés que les questions du développement économique et de la sécurité étaient interdépendantes. Toutefois, le G5 Sahel est-elle la seule et la première organisation régionale à se pencher sur la question ?

Multiplicité des organisations régionales sur la question du terrorisme

Le G5 Sahel n’est pas la première organisation à lutter contre la menace terroriste en Afrique. Chacun de ses Etats membres fait partie d’au moins une organisation régionale travaillant sur les mêmes thématiques que le G5 Sahel.

Ainsi, sur le plan de développement (et de l’intégration économique), on peut énumérer l’UEMOA et la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, la CEMAC pour l’Afrique centrale et l’UMA pour l’Afrique maghrébine. Il faut toutefois rappeler que l’Union du Maghreb Arabe dont est membre la Mauritanie avec les autres pays du Maghreb arabe n’existe aujourd’hui que de nom en raison de ses difficultés à décoller réellement. Cela plante déjà le décor de l’efficacité relative de l’UMA et de sa capacité à faire face à la menace terroriste.

Sur la question de la lutte contre le terrorisme (et par là-même du blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), les Etats du G5 Sahel appartiennent encore à d’autres organisations. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont membres du GIABA ou Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent (et le financement du terrorisme) en Afrique de l’Ouest qui regroupe 16 pays d’Afrique de l’Ouest, par ailleurs membres de la CEDEAO, la Mauritanie est membre de l’organisation GAFIMOA / MENAFATF avec les pays du Maghreb et du monde arabe et le Tchad est membre du GABAC, une organisation dépendant de la CEMAC et créée en 2000.

Fortes ambitions et faibles moyens

Parmi les principaux objectifs du G5 Sahel, il y a entre autres, la création d’une force d’intervention commune, la création d’une école de guerre en Mauritanie, le lancement d’une compagnie aérienne, la construction d’une voie ferroviaire reliant les cinq pays et la suppression des visas entre les pays de la région. Seulement, faire face à la menace terroriste n’est pas sans susciter des difficultés d’ordres financiers et logistiques. La forte ambition économique du G5 Sahel a donc été freinée par les difficultés à réunir les fonds nécessaires à la réalisation des projets, d’où la nécessité de se tourner vers l’extérieur. Le coût de fonctionnement du G5 Sahel pour est estimé à environ 350 millions d’euros par an. Celui-ci a été au niveau des promesses, plus que rempli, puisqu’il y a eu plus de 400 millions d’euros de financements promis. La force ambitionne compter un effectif de 5000 hommes et la moitié n’est pas encore atteinte. La force conjointe souhaite être pleinement opérationnelle au printemps 2018 pour appuyer les 4 000 hommes de l’opération Barkhane et les 12 000 soldats de la MINUSMA (Mission onusienne au Mali). A ce jour, sur les 480 millions d’euros nécessaires, 414 millions sont disponibles.

La campagne pour le financement de la force a abouti à l’appui, de l’Union européenne (UE), les États-Unis, de l’Arabie saoudite et de quelques pays du Golfe. Cependant, cette aide, ne pourra permettre au G5 Sahel d’être opérationnel que lorsqu’elle sera réellement versée. En outre, le problème se pose au niveau des effectifs. Les militaires formés et affectés au G5 Sahel sont déjà en service soit au MINUSMA, soit dans leur armée d’origine, ce qui suppose la constitution d’effectifs de remplacements. Un défi humain en perspective pour chacun des Etats membres. La France quant à elle soutient sans réserve le G5 Sahel et encourage à une prise en main africaine de la question du terrorisme sur le continent, ce qui permettra à terme à un retrait de l’Opération Barkhane.

Réactivité et ingéniosité des groupes terroristes

Les groupes terroristes ne semblent pas manquer de réactivité. En effet, les cinq groupes terroristes en activité dans le Sahel ont créé ensemble une nouvelle entité « Jamaât Nosrat Al-Islam Wal Mouslimine » (groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, principale alliance djihadiste du Sahel, liée à Al-Qaïda). Et alors que le Sommet de l’Union Africaine prenait ses marques à Nouakchott, un attentat suicide a été perpétré vendredi 29 juin 2018 contre le quartier général de la force du G5 Sahel au Mali. L’attentat a été revendiqué par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Dans le même sillage, des militaires  français de l’opération Barkhane ont été victimes d’un attentat à la voiture piégée le dimanche 1er juillet.  Cela repose avec une toute nouvelle acuité la question de la sécurité dans la région du Sahel et appelle à la mobilisation de moyens nécessaires.

La menace terroriste au Sahel, un frein au développement

La menace terroriste dans le Sahel se fait de plus en plus lourde et les groupes terroristes semblent être de plus en plus organisés. L’effort entrepris pour la lutte contre ce fléau détourne sans doute des priorités en matière de développement. Le terrorisme a transformé la configuration internationale d’autant qu’elle laisse encore le droit international tétanisé et pantois. A ce fléau, de solutions nouvelles devraient être proposées. La question du terrorisme au Sahel ne manque pas certainement d’avoir des ramifications avec des questions d’ordre économiques et politiques relatifs avec l’immigration aux portes de l’Europe, le chômage. Les Etats membres du G5 Sahel, n’étant pas des Etats économiquement avancés, la lutte contre le terrorisme pourrait faire dépenser une précieuse énergie utile au développement.

 Perspectives incertaines

La question du G5 Sahel était à l’ordre du jour des discussions prévues pour le 31 Sommet de Nouakchott (du 1er au 2 juillet 2018) et le président français était attendu pour redynamiser cette alliance militaire. En réalité, la France qui conduit dans la région l’opération Barkhane, voit dans la force du G5 Sahel un possible modèle de prise en main par les Etats africains de leur propre sécurité. Seulement la question du financement pérenne reste une équation difficile à résoudre  et ce en raison du véto américain au financement par les Nations Unies de la force anti djihadiste. Si le Conseil de Sécurité avait pu réussir à placer l’activité du G5 Sahel sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, cela aurait résolu durablement la question du financement.

En revanche, le G5 Sahel pourrait s’inspirer du modèle de la Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF), qui lutte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. La forte collaboration de ces Etats membres et la mobilisation des moyens conséquents ont permis d’avoir des réduire la capacité de nuisance de la secte et la confiner dans ses retranchements.

Si la question se pose autrement pour le G5 Sahel avec des enjeux qui affectent nécessairement les pays occidentaux, il semble tout de même contre-indiqué, au vu des récents développements d’envisager la prise en main totale du G5 Sahel par ses initiateurs.

Voir au-delà de l’aspect militaire

En sept mois, la force a mené deux opérations dans la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger où sévissent notamment le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). Les accusations de violations des droits de l’homme perpétrés par les militaires du G5 Sahel lors de l’Opération Hawbi amènent aussi à s’interroger sur la confiance qu’il peut susciter au plan international et même auprès des populations locales.  Il a été rapporté que des violations des droits de l’Homme ont été perpétrées. Ne serait-il pas temps de repenser la stratégie afin de ménager les populations locales? Ne faudrait-il pas voir au- delà de l’aspect militaire pour éduquer les populations civiles qui sont parfois victimes de bavures afin d’éviter qu’elles se radicalisent et ne rejoignent les rangs des terroristes ? La lutte contre le terrorisme ne doit pas être perçue par les autochtones comme une lutte dirigée contre leurs religion ou groupes ethniques. Aussi la réponse militaire doit être respectueuse du Droit international et minimiser les risques pour les civils.

Le football, première étape vers les Etats-Unis d’Afrique?

L’union fait la force, dit-on souvent. Cette force dont l’Afrique a tant besoin pour peser elle aussi sur la scène internationale, les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine en ont rêvé. Dire aujourd’hui que de l’intégration africaine est un échec n’est que pur euphémisme.  La révolution que devait constituer l’Union Africaine, substitut de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), n’a été qu’un écran de fumée. Les pouvoirs politiques ne sont pas encore prêts à donner à une telle organisation supranationale les moyens dont elle a besoin pour une réelle politique d’intégration devant baliser le terrain vers de véritables « Etats-Unis d’Afrique », comme le préconisait l’ancien dirigeant de la Jamahiriya arabe libyenne Mouammar Kadhafi. Outre quelques timides réalisations telle que la mise en place du conseil de sécurité de l’UA (dont l’efficacité et l’utilité restent à démontrer), l’adoption récemment  de l’accord sur la zone  de libre échange continentale, que peut-on bien mettre en toute objectivité à l’actif de cette organisation ?

Le cas des organisations sous-régionales est encore plus patent. Que ce soit la CEDEAO, L’UEMOA ou encore la CEMAC, les objectifs fixés par ces différentes institutions sont loin d’être atteints. Les fréquentes raquettes aux frontières des Etats de la CEDEAO témoignent de la difficulté de mise en œuvre de la liberté de circulation des personnes et des biens dans la sous-région. L’appartenance à une identité africaine est loin d’être acquise. La symbiose entre l’échec politique de l’intégration et l’absence de sentiments d’identité panafricaine constituent le véritable frein d’une avancée vers les Etats-Unis d’Afrique.

Le football, notre rédempteur ?

Le constat décrit perd tout son sens lorsque nous parlons d’activités sportives et précisément de football. En effet cette discipline sportive à un impact de transcendance certain sur le panafricanisme, notamment lors des rendez- vous mondiaux.

Rappelons-nous de l’été 2002, lorsque des foule immenses inondaient les villes africaines pour célébrer les successives victoires et qualifications du Sénégal pour les huitièmes et quarts de finale de la Coupe du monde organisée en Asie. Avant ce rendez-vous planétaire du football, les Togolais connaissaient-ils ne serait ce qu’une partie de l’Histoire de cette Nation ouest-africaine ? Aurais-je demandé à un Loméen lambda le nom du Premier ministre Sénégalais de l’époque, tout porterait à croire qu’il aurait été incapable de répondre. Et pourtant ils étaient dans les rues pour célébrer la victoire de cette Nation. La Nation, ce solide terme riche d’Histoire et d’appartenance à une certaine identité culturelle perd tout son sens lors des rendez-vous planétaires du football. En tout cas ceci est vrai en ce qui concerne le continent africain. L’appartenance à une Nation s’éclipse derrière une identité continentale, une appartenance à cette terre mère de l’humanité qu’est l’Afrique. Aujourd’hui il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux lors des rencontres des Nations africaines lors du Mondial pour attester de la véracité de mes dires.

Quel Tanzanien n’était pas fier du parcours des Black stars lors du Mondial africain de 2010 ? Quel Malien n’était pas révolté et désolé des frasques et de la piètre image laissée par les Camerounais lors des coupes du monde 2002 et surtout 2014 ? Allons encore plus loin et sortons la boite à archives avec la victoire de l’équipe olympique du Nigéria en 1996 en éliminant des grandes nations du football telles que le Brésil et l’Argentine.  L’identité africaine avait pris le pas sur la Nation nigériane. La question qui traverse l’esprit ne peut pas être posée en des termes on ne peut plus clair : et si les Etats-Unis d’Afrique se faisaient à travers le football ?

Football, élément pacificateur ?

Plus de 50 années après les indépendances, l’Afrique est toujours minée par des crises politiques de forte envergure. Nombreux sont les pays au sein desquels le tissus national est déchiré et la « réconciliation nationale » est devenue une marque de fabrique. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo mais aussi l’actuel président de la république Alassane Ouattara ont misé sur le talent et les prouesses de l’équipe nationale pour ramener la paix et la réconciliation dans le pays. Si les résultats escomptés sont loin d’être atteints, il faut quand même souligner le poids politique de ce sport. L’implication de Didier Drogba, la grande star ivoirienne du football, dans le processus de réconciliation nationale n’est pas anodine et témoigne une fois encore de l’influence politique du football. On peut citer aussi l’exemple du Togo. Après une année 2005 obscure marquée par le décès du président Eyadema et les violences pré- et post-électorales qui ont émaillé le processus devant désigner son successeur, la qualification des éperviers pour le Mondial 2006 a apporté du baume au cœur à cette nation. Le temps d’une qualification, les clivages politiques et ethniques ont été oubliées pour laisser place à la fierté vis-à-vis de cette équipe nationale.

Lors du mondial 2014 au Brésil, le Premier ministre centrafricain a voulu surfer sur la vague de la Coupe du monde pour ramener la paix dans son pays en demandant aux différents belligérants de faire une trêve le temps du plus prestigieux tournoi planétaire.

 Le football possède des vertus pacificatrices. On ne saurait expliquer les raisons mais ceci est une réalité. Si sur le plan politique, la conception d’une Afrique politique unifiée demeure à l’heure d’aujourd’hui une chimère, sur le plan sportif, notamment, dans le cadre du football, le propos doit fortement être nuancé.

Fédérer les compétences des différentes instances dirigeantes de notre football, premier pas vers une véritable Union africaine

Contrairement au début du tournoi 2018, le mondial brésilien a  révélé les tares organisationnelles et managériales de certaines fédérations africaines de football. Des maux qui ont une conséquence directe sur les prestations mais surtout sur les comportements de joueurs desdites nations. Le cas du Cameroun qui n’est pas à son premier chef d’œuvre est d’une tristesse inouïe pour cette grande Nation du football africain. C’est toute l’Afrique qui a pâti de ces comportements déplorables. Il n’y avait pas que les Camerounais qui se sont indignés car cette équipe représentait également tout un continent.

La synergie des fédérations africaines de football peut constituer une hypothèse de solution pour éviter de pareilles crises dans l’avenir. Il pourrait s’agir d’une sorte de coopération sud-sud, coopération qui est citée parmi les conditions incontournables du développement économique du continent africain. Si cette coopération sud-sud a du mal à poser les bases tant sur le plan politique qu’économique, pourquoi ne pas l’enclencher par le football ? Au moins sur ce terrain l’unanimité ou dans une moindre mesure le compromis est plus facilement trouvé car le seul et plus grand intérêt, c’est le rayonnement international du football africain.

Cette coopération pourrait par exemple se matérialiser par des échanges d’expériences entre différentes fédérations afin de s’instruire des réussites des fédérations sœurs mais également de tirer des leçons des échecs des autres fédérations. Pourquoi les dirigeants camerounais ne coopéreraient-ils pas avec leurs homologues Nigérians pour bénéficier de l’expérience de cette dernière dans la gestion de leur football ? Pourquoi la fédération togolaise ne signerait-elle pas des contrats de coopération avec sa sœur et voisine ghanéenne pour apprendre de cette dernière les raisons de ses gestions plutôt bien réussies des grands rendez-vous ?

Cette coopération pourrait même aller plus loin par la mise en place par exemple d’organisations africaines ou sous-régionales ayant pour mission de coordonner et de gérer les fédérations des différents pays pour ainsi améliorer leur qualité. Ne dit-on pas que qu’ensemble, on va plus loin ? C’est bel et bien dans ce domaine que les africains peuvent montrer au monde entier que l’Union africaine est une réalité. Il suffit de mettre en place les organes indispensables et de fixer les objectifs nécessaires à atteindre pour montrer la voie aux politiques africains.

Le rôle central du politique dans un tel projet

En effet si l’objectif de cet article est bien une « union sportive des peuples africains » pour baliser la route ensuite vers une « union politique », le rôle du politique dans une telle entreprise n’est pas moins importante. C’est une vérité que l’immixtion du politique dans les affaires du football est scrupuleusement interdite par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). Cependant avec la nouvelle stature du football, comment pourrait-il en être autrement ? L’ancien président Sepp BLATTER confessait cette réalité il y a quelques jours dans une interview.

En France après la débâcle de l’équipe nationale au mondial 2010 avec comme summum la grève de Knysna, le président de l’époque a reçu certains joueurs pour élucider les causes  de cet invraisemblable scénario. En Afrique, il est de notoriété publique que les chefs d’Etat reçoivent les joueurs leader des sélections pour discuter des problèmes et de l’avenir du football dans leurs pays respectifs.

Aussi faut-il noter, que contrairement à l’occident, la concentration du pouvoir caractérise toujours la plupart des Etats Africains. Ceci a un impact plus ou moins direct sur les organisations sportives. Les élections ou les nominations à la tête des instances dirigeantes ne sont pas exempts de coloration et de connotation politique. Le rôle du politique se trouve encore plus renforcé par le fait que les fédérations des pays africains n’ont pas d’autonomie financière et dépendent largement du budget des Etats.

Partant de ces constats, le rôle du politique peut et doit être déterminant dans la mise en place d’une politique d’intégration régionale en matière sportive et spécifiquement concernant la question du football. Tout comme les ministres des finances et de la défense se réunissent occasionnellement pour discuter entre eux, il devrait être de même pour les responsables politiques chargés du sport de nos différents pays afin de pouvoir mettre en place de stratégies et prendre des décisions allant dans le sens de l’amélioration de la qualité de nos différentes instances dirigeantes. Utopie d’un rêveur ? Réponse certainement affirmative. Mais où va l’Afrique quand ses enfants cessent de rêver ?

Giani Gnassounou

En Côte-d’Ivoire l’histoire d’Houphouët-Boigny veut-elle se répéter ?

En un petit fracas, le Président Ouattara met en pièces la nouvelle Constitution ivoirienne et repositionne le pays vers une potentielle nouvelle période d’instabilité. Morceaux choisis : «… la nouvelle constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020… la stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes »[1]déclare-t-il. Mais dans la réalité cette posture, outrageusement incarnée par ceux qui ne veulent pas respecter les termes fixés par les mandats constitutionnels, n’est en rien nouvelle. Mieux, elle est contre-productive et génère des tensions.

Sorti de Ivy League et après avoir arpenté les couloirs des grandes institutions financières, Ouattara a bâti une réputation de développeur efficace en Afrique et notamment en Côte-d’Ivoire où il a fait ses armes en politique auprès du Président Houphouëten tant que Premier Ministre. Lorsqu’il prenait les rênes de la Côte-d’Ivoire en 2010 après une longue et coûteuse crise, personne ne se doutait que la Côte-d’Ivoireconnaîtra un come-back économique. Le pays est redevenu la locomotive de UEMOA et affiche des performances économiques à faire pâlir. Après une croissance économique soutenue sur le quinquennat 2010-2015, les perspectives sont tout aussi bonnes. Selon la BAD[2], le pays connaîtrait 7,9 % de croissance en 2018 et 7,8 % en 2019, malgré une chute de 35% des cours du cacao[3]entre novembre 2016 et janvier 2017. Par ailleurs, le déficit est projeté pour être en baisse de 1 point (de 3.8% à 2.8% du PIB). L’endettement reste maîtrisé même si sa soutenabilité deviendra problématique lorsque les remboursements exigibles des euro-obligations s’entasseront entre 2024-2028. La Côte-d’Ivoireest un turbo économique qui surfe sur des investissements publics aussi structurants que dynamiques et un boom des investissements privés. Néanmoins les performances sociales et de redistribution de la croissance sont encore attendues. Et, Ouattara doit encore donner la preuve de sa bonne gouvernance en matière de sécurité et de stabilité politique. Les sautes d’humeur des mutins à Bouake et l’attaque terroriste de Grand-Bassam en 2016 rappellent fort bien que le pays est encore vulnérable sur ce plan. Ils ont tôt fait de faire sauter le verrou de la fragile stabilité avant même que Ouattara lui-même ne se prépare à assener au pays le coup de grâce avec l’idée d’un troisième voire quatrième mandat. Bien qu’il y ait une nouvelle Constitution, les compteurs des acteurs politiques et même de la population ne se remettent pas à zéro, bien au contraire, ces acteurs sont impatients.

Mieux, les germes de la crise ivoirienne n’ont pas pour autant disparus comme par enchantement. L’alliance entre le Rassemblement des Républicains (RDR) et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) n’est pas une soupape sûre contre les interminables luttes de positionnement entre le clan Ouattara et celui de son allié circonstanciel, Bédié. Gbagbo est toujours à La Haye et ses partisans n’ont certainement pas bu jusqu’à la lie les appels au dialogue, lequel dialogue n’est pas encore synonyme de réconciliation. Le passif de la crise n’a pas encore pas épongé par les ivoiriens et malgré les interventions extérieures, la réconciliation devra être ivoirienne ou ne sera pas. Même les circonstances de l’arrivée au pouvoir de Ouattara appellent à la prudence et à plus d’investissement dans le processus de liquidation du passif couvé de la crise. Les protagonistes de la crise sont encore presque tous vivants. Pire, ils sont mécontents pour certains, impatients pour d’autres, à noter qu’être pensionnaire de la Haye ne rime pas avec inactivité politique.

Pour l’ascension au pouvoir du Président Ouattara, remontons rapidement dans le temps. Sur les cendres chaudes de la crise d’« ivoirité », en 2002 lors d’un putsch, un groupe de jeunes échoue à prendre la Présidence de la République mais se replie sur la moitié Centre et Nord du pays où il organise une administration parallèle. Les processus de paix de Marcoussis et de Ouagadougou vont coup sur coup produire des résultats mitigés jusqu’aux élections qui opposeront Ouattara et Gbagbo en 2010. Les résultats, contestés par Gbagbo, donnent Ouattara gagnant et plongent le pays dans une crise post-électorale pendant laquelle les exactions reprochées à Gbagbo sont perpétrées. Le pays parvient néanmoins à retrouver le chemin d’une certaine accalmie après l’installation du Président Ouattara qui déroule un quinquennat à succès macro-économique. Entre temps, il renouvèle son mandat et fait adopter une nouvelle Constitution en 2016. Parce qu’il arrive au pouvoir tel qu’il y est arrivé et malgré la paix mosaïquement maintenue sur le territoire, même la « légalité » de se présenter à de nouvelles élections ne garantira pas une légitimité à Ouattara.

Les acteurs de l’opposition ivoirienne trouvent de quoi alimenter leur réprobation contre le Président Ouattara. Si les partisans du Président atténuent le choc, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) monte au créneau et à travers son Secrétaire Exécutif se fend d’un communiqué : « Ouattara ne sera pas candidat pour un troisième mandat. C’est écrit dans la Constitution qu’au plus tard, le 5 décembre 2020, le président sortant devra se soumettre à une passation des charges avec le nouveau président »[4]. Quant à Pascal Affi N’Guessan, Président d’un camp du Front Populaire Ivoirien (FPI), il s’indigne en ces termes : « comment Ouattara peut s’imaginer un troisième ou un quatrième mandat. Ce serait même une violation flagrante de la Constitution et de la volonté exprimée par les Ivoiriens. On ne peut pas dire que l’application de la loi dépend des circonstances, des situations, ou des ambitions des uns et des autres. La loi, c’est la loi. »[5]. Le camp du Président de l’Assemblée à travers la voix de Félicien Sekongo, Président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (MVCI, composé d’ex-rebelles) « invite les Ivoiriens à se concentrer sur l’essentiel, contenu uniquement dans la sauvegarde de la démocratie, l’amélioration des conditions de vie du peuple, largement endommagées et laisser monsieur Ouattara, assis seul devant la marre à s’amuser à y lancer des pavés… »[6]. Au fond l’intérêt général et la stabilité qu’évoque le Chef de l’État ivoirien sont fortement menacés et malgré toute la mesure dans ses propos, l’avis de l’ancien Président de la Cour Constitutionnelle, Francis Wodié, le révèle : « Nous en sommes encore au stade des supputations, des hypothèses. Mais le président de la République est un homme majeur, un homme responsable qui sait ou doit savoir ce qu’il doit faire, non pas seulement pour lui-même, mais d’abord pour le pays. Donc c’est à lui de voir, de juger pour n’avoir à faire que ce qui va dans le sens de l’intérêt de la Côte d’Ivoire, donc de l’intérêt général »[7].

Mais en réalité, la position de Ouattara rappelle bien celle du Président Houphouët,qui, au nom de sa Côte-d’Ivoire chérie qu’il a bâtie de sa main et de son intelligence, a voulu garder les choses en main jusqu’à ce que la mort l’en sépare en 1993. Seulement, Ouattara n’est pas Houphouët. C’est un principe de gouvernance très usité dans nos contrées : on préfère une stabilité coûteuse au respect des principes d’alternance politique. Et, dans les pays africains où les modèles politiques sont encore à l’essai, avec une tendance accrue au rétropédalage sur les avancées démocratiques, il est bien fréquent que le chef pense qu’il est indispensable, irremplaçable et que la stabilité du pays ne tient qu’à lui. Il se fait cheviller au corps une certitude que les choses tiennent parce qu’il les maintient. Dans l’absolue hypothèse que c’est le cas, il est aussi d’évidence que lorsqu’il ne les tiendra plus, qu’avec certitude les choses vont péricliter. Et tout naturellement, les exemples foisonnent pour démontrer qu’à une administration forte et longue succède une crise qui décape tout le progrès économique construit au long des années : Côte-d’Ivoire, Gabon, Lybie, Togo, etc. Face au dilemme institutions fortes ou hommes forts, nos modèles peinent à choisir les formes résilientes qui ne peuvent en rien dépendre de la finitude des hommes mais uniquement de la chaîne générationnelle qui donne aux institutions une forme d’infinitude. Peut-être qu’il n’y a même pas de dilemme et que le bon sens voudrait que l’on s’attèle à bâtir des institutions fortes quitte à les voir occasionnellement, si bonne fortune nous arrive, sous le leadership d’hommes forts. A tout le moins, quand bien même on aurait la maladresse de les confier à des hommes faibles, la force des institutions, leur fondation légale et légitime survivront au temps.

Parce que la Côte-d’Ivoire est la locomotive de l’UEMOA et joue un rôle stratégique pour toute la sous-région Ouest Africaine, les autres pays doivent s’y intéresser. Ils doivent proactivement préparer leur leadership à prévenir et notamment à éviter la contagion qui commence par les exemples complaisants. Les aventures de structuration de la CEDEAO plutôt ambitieuses sur l’intégration économique et monétaire sont des enjeux assez colossaux qui dépendent d’une Côte-d’Ivoire stable, solide, prospère et où l’histoire d’Houphouëtne se répète pas.

[1]http://www.jeuneafrique.com/565618/politique/cote-divoire-comment-le-discours-dalassane-ouattara-sur-le-3e-mandat-a-evolue/  Edition n° 2995 de Jeune Afrique

 

[2]https://www.afdb.org/fr/countries/west-africa/cote-d%E2%80%99ivoire/cote-divoire-economic-outlook/

[3]Le cacao est le principal produit d’exportation du pays

[4]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[5]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[6]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[7]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

Former pour l’emploi en Afrique

Les rideaux sont tombés le weekend dernier sur les 53èmeassemblées annuelles de la BAD réunies autour du terme, « Accélérer l’industrialisation de Afrique ». En marge de cette rencontre, le Président de la Banque a indiqué que les universités africaines forment pour les métiers du passé, alors même qu’elles devraient former pour le futur, avant de les enjoindre de revoir leurs programmes. Il revient très souvent dans les débats que la formation en Afrique est déconnectée d’avec les mêmes besoins du marché auxquels elle est supposée répondre. Mieux, la structuration de la formation appelle souvent l’interrogation sur le modèle de développement adéquat sur le continent. Le Président de la Banque Mondiale rappelle dans ce sens que le meilleur investissement qui pourrait réorienter la marche du continent vers le progrès est sans nul doute l’éducation. L’Afrique des idées offre une relecture de la formation et de l’éducation en Afrique lors de sa conférence annuelle le 9 juin 2018 à l’Université Paris Dauphine. Notre Think Tank saisit l’occasion de la sortie d’un rapport [dans lequel il livre ses analyses et fait des propositions] dédié à la réforme de la formation professionnelle pour ouvrir des échanges et réflexions entre les jeunes, les leaders et décideurs de la formation professionnelle venus d’Afrique, les recruteurs, les experts internationaux de la formation professionnelle dans le but d’émuler un changement de paradigme dans la formation professionnelle sur le continent.

Si le chômage, quoique inexactement mesuré encore dans nombre de pays du continent, étrangle l’économie et réduit les perspectives pour les jeunes, notre rapport sur l’éducation pour l’employabilité des jeunes examine le champ des possibles. Il s’appuie sur (1) le dividende démographique et la jeunesse de la population du continent, (2) les transformations des modèles de formation professionnelle et de financement avec un rôle de plus en plus important pour le secteur  privé, et (3) la digitalisation du secteur et de l’économie en général.

Parce que la croissance économique dans nombre de pays du continent ne génère pas assez d’emplois[1]et que les filets de sécurité sont quasi-inexistants, la jeunesse sans emplois ou sous-employée, connait des frustrations et éventre à mains nues la froide violence de la Mer en marche vers l’Europe. Ils ont été quelques 630 000 entre 2011 et 2016 à tenter le périlleux trajet[2]. Les activités illicites, la contestation et la violence complètent le tableau. Par exemple,  59% des cybercriminels sont sans emplois et sont jeunes (19-39 ans)[3]et la persistance des conflits armés constitue une des illustrations de l’enrôlement des jeunes dans la violence[4]. En Afrique, l’emploi jeune est surtout vulnérable et nul doute que l’emploi vulnérable rend l’économie tout autant vulnérable. Plus de 19% des sans emplois dans le monde se retrouvent en Afrique. Il faut tout de même signaler que la réalité du chômage cache des nuances régionales ou même par pays. Les pays de l’Afrique Australe rapportent des taux de chômage élevés [peut-être parce que la collecte des données y est plus systématique ou structurée] que les autres parties du continent.

Malgré une structure démographique qui suppose un jet d’énergies alimenté par sa jeunesse, l’Afrique est loin de tirer parti de son potentiel en capital humain [en moyenne capturé à 55% contre 65% dans le monde selon l’indice du capital humain du WEF[5]] et reste inadéquatement préparée au changement brusque dans les emplois et les compétences qu’apporte la 4èmerévolution industrielle. Nos analyses indiquent que revisiter les curricula, réorienter les ressources vers la formation tirée par les secteurs à forte croissance (agrobusiness, santé, BTP, le numérique) et réinventer des partenariats nouveaux qui mettent le secteur privé au cœur de la formation professionnelle doivent être au nombre des réformes. Ces réformes devront intégrer le rôle de l’informel dans la formation [80% des jeunes en formation professionnelle le sont dans l’informel] et les emplois. Le financement déjà insuffisant du secteur repose encore essentiellement sur le secteur public. Il est de l’ordre de 2-6% des dépenses publiques en éducation[6]. Deux options complémentaires sont possibles. Premierement, il s’agira de réorienter et d’accroitre l’efficience des dépenses publiques vers les TVET[7]et les STEM[8] sachant que seulement 1% de formation supérieure est en ingénierie. Deuxiement, il faudra inventer de partenariats nouveaux qui couplent  financement du privé, plans de formation et de carrière basés sur les besoins du marché du travail.  La main d’œuvre non qualifiée est citée comme contrainte par 40% des employeurs sur le continent. On peut aussi explorer la titrisation des prêts éducation, apporter une souplesse et des formes de formation en alternance ou des stages le long de la constitution des compétences. Les modèles ayant marché au Singapour, en Allemagne et en Finlande sont aptes à un essai contextualisé. L’Afrique peut aussi apprendre d’elle-même, avec quelques champions comme le Rwanda, l’Éthiopie et le Ghana.

Puisque le futur est digital, l’automation du travail prédite pour atteindre 41%, 46% et 52% respectivement en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya pourrait soumettre l’emploi à des bouleversements importants. Les institutions de formation doivent exercer l’anticipation et la proactivité. Bien entendu des nuances non négligeables entre pays existent, mais la digitalisation de l’emploi sera réelle. A elle toute seule, la digitalisation suggère que les modèles de formation de l’Afrique devront se reposer sur les habiletés numériques, les STEM, les soft skills, l’intelligence émotionnelle et l’analyse critique. Aussi confirme-t-elle que l’industrialisation du continent est une histoire à écrire et que les modèles classiques ne seront pas la baguette magique.

[1]Selon une étude de la Banque Africaine de Développement, chaque point de croissance génère seulement 0,41 point de croissance des emplois.

[2]Rapport OIM (2017)

[3]Trend Micro (2016) et Symantec (2016)

[4]Wim Naudé (2008)

[5]World Economic Forum (2017). The future of Jobs and Skills in Africa: Preparing the Region for the Fourth Industrial Revolution

[6]OECD/AfDB (2008)

[7]Technical and Vocational Education and Training

[8]Science, Technology, Engineering and Maths

300 000 Gassama

Deux beaux gestes, l’un spontané, l’autre calculé. Ce samedi 26 mai à Paris, Mamoudou Gassama, jeune malien sans papiers de 22 ans, n’a pas hésité à grimper à mains nues la façade d’un immeuble pour sauver la vie à un enfant de 4 ans suspendu dans le vide du balcon du 4ème étage d’un immeuble du 18ème arrondissement. Alors que l’émotion était à son paroxysme, il fut invité par le président français qui lui proposa une naturalisation et une intégration dans le corps des sapeurs-pompiers. Un parfait scénario pour un film à la Clint Eastwood ! Soit. Quoique cette régularisation puisse susciter de l’admiration, elle est pourtant la fumée qui cache la face hideuse d’une politique d’immigration qui contraint à la clandestinité 300 000 autres Gassama et bloque des millions d’autres dans des pays tiers.

« Gazage » de migrants à Calais, inaction de l’Etat face à des nazillons qui s’improvisent police des frontières, expulsion de migrants, y compris les femmes enceintes… il ne se passe plus une semaine sans que les effets de la nouvelle politique migratoire ne se manifestent. Celle-ci a été récemment formalisée à travers la loi « asile et immigration » dont le principal objectif est d’accélérer les expulsions. Ainsi, le délai pour déposer une demande d’asile a été réduit de 120 à 90 jours alors que la durée maximale de rétention administrative est passée de 45 à 90 jours.

Peut-on en vouloir aux soutiens de ces réformes lorsqu’ils ne voyagent pas en classe économique à destination de l’Afrique pour vivre en live les conditions d’expulsion humiliantes de ces jeunes Africains qui pourtant ne sont pas si différents de Gassama. A titre d’exemple, le 15 février dernier, dans un vol de la compagnie aérienne nationale à destination de Conakry via Freetown, grande a été la surprise de tous les voyageurs de découvrir un jeune africain, dans la vingtaine, encagoulé, menotté et entouré de policiers installés à bord de l’avion, au beau milieu des autres voyageurs, dans le cadre d’une procédure d’expulsion. Sortez les mouchoirs. Et ce n’est pas la première fois, ni la dernière. C’est ainsi que se déroule les expulsions de migrants telle que l’envisage la nouvelle loi. Peine perdue, beaucoup reviennent.

Or, ce que nous rappelle l’histoire de Gassama, c’est tout simplement l’humanité de tous les migrants au grand dam de ceux qui font la distinction entre migrants et réfugiés, immigrés et expatriés, « français de souche » et français de x génération. C’est aussi le talent exceptionnel que possède chacune de ces personnes qui ont bravé tous les obstacles au péril de leur vie pour rejoindre l’Europe. En voyant Gassama grimper l’immeuble à main nue, on ne peut s’empêcher de penser à ces migrants escaladant les « grilles de la honte » à Melilla, enclave espagnole jouxtant le territoire marocain.

Au-delà du traitement de son cas spécifique, le geste de Gassama devrait amener l’Etat français à penser aux sorts des millions d’autres comme lui qui déambulent dans les rues de France, ou qui sont retenus dans des conditions abjectes en Lybie, en Turquie et j’en passe grâce au soutien financier de l’Europe. Il manquait au geste du président français des paroles fortes pour diluer le discours ambiant selon lequel les personnes en situation irrégulière seraient de trop et qu’il faille les expulser au plus vite et en grand nombre. Etre en situation irrégulière est plus un fait administratif qu’un choix personnel.

On ne le répètera jamais assez. L’immigration n’est pas le résultat d’une natalité trop forte en Afrique. Elle l’est davantage à cause des guerres, des dérèglements climatiques, et de la détérioration des conditions de vie. Dans la majeure partie des cas, ces causes sont de la responsabilité des pays d’accueil. Le cas de la guerre en Lybie avec ses conséquences sur la situation sécuritaire actuelle au Mali illustre bien la première cause. Ce n’est pas l’Afrique qui pollue la planète, et l’ouverture commerciale mal organisée est en bonne partie responsable de la détérioration des conditions de vie. Certes la mauvaise gouvernance de certains dirigeants africains est aussi en cause, mais elle est parfois entretenue par un soutien implicite étranger.

Par conséquent, toute politique migratoire dont le principal objectif est d’expulser les migrants ne fait que traiter les symptômes et non les causes. Il ne suffit pas non plus d’augmenter l’aide au développement, car le problème n’est pas que financier. Il faut avant tout changer radicalement la nature des relations entre l’Etat français et les Etats africains. Fini le copinage entre chefs d’Etats, fini le soutien aux régimes dont les populations n’en veulent plus. Place à une exigence de résultat et à un soutien aux institutions qui régissent la vie démocratique en Afrique. C’est ainsi qu’on aidera les millions d’autres de Gassama qui ne demandent qu’à vivre avec les leurs, chez eux.

Environnement: l’heure du bilan anthropique

Si l’on faisait le bilan du monde ?

 L’apparition de l’homme prend aux yeux des environnementalistes la même signification que les grands cataclysmes à l’échelle du temps géologique qui ont marqué l’histoire du monde.

 De nos jours la situation atteint un niveau de gravité extrême jamais connu par le monde.  Tous les phénomènes de destruction dont  l’homme est acteur principal se déroulent à une vitesse exponentielle et à un rythme qui les rend presque non maîtrisables.

 L’homme utilise inconsciemment les ressources non renouvelables, ce qui risque d’aggraver la déstabilisation de la civilisation actuelle et future. Les ressources renouvelables et la biodiversité, sont utilisées   avec une banalité, ce qui est encore plus dangereux :  l’homme peut se passer de tout, sauf de manger, de boire et de respirer.  Nous manifestons une véritable adoration à l’égard de la technique que nous croyons avant tout, capable de résoudre tous nos problèmes sans l’apport du milieu dans lequel on vie et la nature.

Légions de nos contemporains estiment de ce fait qu’ils sont en droit de couper les ponts avec le passé.  Le vieux contrat nature homme est rompu.  Nous sommes quand même en mesure de nous questionner sur la valeur universelle d’une civilisation technique  dont le bienfait est remarquable que dans certains cas.

Il est d’ailleurs évident de constater que l’homme dépense les 80% son énergie et ses gains pour se protéger contre les effets pervers de  ses propres activités initiés. La nature a besoin d’être protégée contre l’industrialisation. L’homme, pour la sauvegarde de son espèce doit se réconcilier avec la nature en respectant et se soumettre aux lois écologiques qui font véritablement partie de la constitution de la biodiversité.

En Afrique, il faut « interdire » l’entrée des hommes d’affaires en politique

La scène politique africaine voit émerger de plus en plus d’hommes d’affaires, et cela est inquiétant. De Marc Ravalomanana hier à Patrice Talon aujourd’hui en attendant peut-être Moïse Katumbi demain leur ambition ne se limitent plus aux postes ministériels. Tous mettent en avant leur approche pragmatique, censée faire de leur pays la nouvelle Corée du Sud. Cependant, l’histoire et l’analyse politique nous enseignent qu’ils ont toujours tendance à engager leurs nations sur une pente glissante caractérisée par une instabilité politique, une monopolisation de l’économie, et dans le meilleur des cas un creusement des inégalités.

L’influence politique du secteur privé est ancienne. Du financement des partis politiques à l’élaboration des lois, en passant par l’acquisition des médias, elle s’est amplifiée au cours des dernières années partout dans le monde et en particulier en Afrique. Peu d’informations crédibles et fiables existent sur ces pratiques, mais des indices concordants les attestent. Dans le cas du Bénin, par exemple, les deux plus riches hommes d’affaires ont longtemps financé les campagnes politiques, qu’elles soient présidentielles, législatives ou communales et possèdent des médias. Mais c’est plus récemment que la percée des personnalités issues du secteur privé sur la scène politique est devenue plus visible puisqu’ils aspirent dorénavant aux postes électifs de premier plan.

Dans tous les pays africains, ces personnalités peuvent être regroupées en deux catégories : celles qui se sont enrichies grâce aux marchés publics, et celles qui l’ont été en monopolisant la distribution des produits et services de grande consommation. Dans les deux cas, cet avantage est acquis à la faveur de décisions politiques motivées par la privatisation des anciens monopoles d’Etat ou par l’objectif de créer des champions nationaux. Toutefois, il s’est très vite transformé en contrepartie de financement des partis politiques et en levier d’acquisition de pouvoir politique pour les entrepreneurs.

Face à l’échec des hommes politiques traditionnels à améliorer le niveau de vie de leurs concitoyens, l’argument de ces nouveaux politiciens peut se résumer ainsi : notre succès personnel est le résultat de notre approche pragmatique, confiez-nous l’Etat et nous en ferons un succès collectif. En vertu des facilités accordées par l’Etat, cet argument est pourtant fallacieux puisque la clé de leur succès est largement externe à leur habileté entrepreneuriale. Par conséquent, une fois au pouvoir, ils ne peuvent pas faire autrement que d’utiliser les leviers du pouvoir pour accroître davantage la prospérité de leurs affaires, qu’elles soient personnelles ou déléguées.

Même si leurs fines connaissances du secteur privé était un facteur de succès économique, dans un contexte institutionnel où les contre-pouvoirs sont faibles, il y a manifestement le risque d’une captation plus importante de la richesse créée au profit d’intérêt personnel ou partisan. Dans aucun des pays où ils ont pris le pouvoir, il n’a été observé une baisse des inégalités, bien au contraire. Devrait-on citer le cas de Silvio Berlusconi en Italie.

Le cas de Madagascar illustre à maints égards les risques associés à l’entrée des hommes d’affaires en politique. Après avoir dominé le secteur des produits laitiers grâce à un appui financier de la Banque Mondiale, Marc Ravalomanana utilise ses moyens financiers pour acquérir des médias, puis accède à la mairie de la capitale et enfin à la présidence. Il en profite pour développer son groupe de médias, et renforce son groupe laitier. De cet usage du pouvoir politique à des fins de promotions économiques personnelles va naître la contestation qui va non seulement l’évincer du pouvoir en 2009, mais aussi plonger la grande île dans une instabilité politique qui se prolonge jusqu’aujourd’hui malgré l’élection d’un nouveau président. Qu’ils aient été présidents comme Uhuru Kenyatta au Kenya, ou ministres comme Dossongui Koné en Côte d’Ivoire, Moulay Hafid El Alamy au Maroc ou Yousou N’Dour au Sénégal, le miracle ne s’est pas produit.

En général, l’entrée des hommes d’affaires en politique n’est pas indépendante de la tendance des hommes politiques traditionnels à faire l’inverse. Cette tendance est tout aussi fréquente et dangereuse. L’affaire dite « Gupta » en Afrique du Sud illustre à dessein les implications de cette connivence entre les hommes politiques et le milieu des affaires. L’Angola de Edouardo dos Santos offre également un exemple concret. Selon les enquêtes du FMI, 32 milliards de dollars US, soit le quart du PIB, se sont évaporés par le biais de la compagnie nationale pétrolière Sonangol entre 2007 et 2010, alors que deux tiers de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.

Certains pays comme  le Ghana, le Sénégal ou le Nigéria ont tout de même réussi à limiter les relations entre le secteur privé et la politique. Ils ont été jusqu’ici épargnés par une tentative de prise de pouvoir par leurs opérateurs économiques. Cependant, les frontières restent ténues, c’est pourquoi il urge d’envisager une « constitutionnalisation de l’économie » pour reprendre les termes de David Gerber. Cela passe par la légalisation d’une stricte séparation entre le pouvoir politique et le monde des affaires. Concrètement, en plus du financement public des partis politiques et des règles encadrant les donations, il s’agit de :

  • interdire tout mandat électif à toute personne contrôlant plus d’un certain pourcentage du PIB,
  • contrôler et imposer à 100%  tout dépassement de ce seuil par tout décideur politique à l’issue de son mandat,
  • interdire tout avis, recommandation ou suggestion non sollicité à l’endroit de tout responsable de l’Etat.

Dans les pays les plus avancés, les hommes d’affaires s’occupent de ce qu’ils savent mieux faire, c’est-à-dire la création de richesses. Dans les cas où ils entrent en politique comme avec Donald Trump aux Etats-Unis, le poids significatif des contre-pouvoirs les empêche d’utiliser le pouvoir politique à des fins de promotion économique personnelle. En attendant que ces contre-pouvoirs se structurent dans les nations africaines, il vaudrait mieux instituer la séparation entre les affaires économiques et les affaires politiques.

PS : Les expressions « hommes d’affaires » et « hommes politiques » ne sont pas exclusives du féminin.

Que Monsieur Bolloré réponde de ses actes en Afrique !

      Si un demi-siècle après les indépendances, le niveau de vie de l’Africain moyen n’a pas évolué, c’est en grande partie à cause de la capture de l’Etat opérée par certains investisseurs dont M. Bolloré est l’archétype.[1] Certes, les investissements étrangers restent incontournables pour bon nombre d’économies africaines, mais lorsqu’ils sont réalisés à la marge de l’éthique des affaires et en collusion avec les institutions politiques, ils deviennent nuisibles, néfastes, voire dangereux. Dans le cas d’espèce, ce n’est pas tant les investissements africains de M. Bolloré qui sont en cause, ni les soupçons qui pèsent sur les conditions de leur réalisation[2], mais plutôt la ligne de défense qu’il a choisie pour soigner son image auprès de l’opinion publique.

En effet, dans une tribune dans le JDD du 29 avril 2018, il défend être victime de la perception biaisée d’une Afrique « terre de non-gouvernance, voire de corruption » et se demande s’il ne faut pas l’abandonner. Loin de toute réalité, cette ligne de défense est la caricature la plus emblématique du nouveau discours sur l’Afrique construite par la toute petite minorité qui s’accapare les fruits de la croissance. Elle est fallacieuse car assimilant le Togo et la Guinée à toute l’Afrique, grossière car utilisant le chantage comme moyen de pression et relève de la diversion puisqu’il n’y répond pas aux actes qui lui sont reprochés.

Il est aujourd’hui admis, en particulier par les organismes en charge du financement du développement, que la croissance africaine ne profite pas aux moins nantis.[3] Malgré les investissements dont se prévaut M. Bolloré, ainsi que les milliers d’emplois qu’il prétend avoir créé, les personnes les moins nanties n’ont guère vu leurs effets. Par ailleurs, les ports africains, y compris les dizaines gérées par son groupe, sont les moins compétitifs au monde[4], en raison du monopole qui y est exercé. Par conséquent, il est inexact de brandir cette image d’une Afrique qui réussit pour si peu de personnes et dont il fait partie.

En parlant d’une Afrique de buildings, de réseaux informatiques et de jeunesse vigoureuse, son argumentaire occulte la particularité des pays concernés par l’instruction judiciaire dont il fait l’objet. Justement, le Togo et la Guinée sont deux pays parmi les plus pauvres d’Afrique. Dans le premier cas, l’Etat est géré comme une boutique familiale depuis plus d’un demi-siècle au détriment des togolais qui croupissent dans la misère absolue. Jamais, il n’y a eu d’alternance politique au Togo, le fils ayant remplacé le père, spécialiste des coupures d’Internet et de la répression violente de toute opposition. Comment s’attendre donc que dans un tel Etat il y ait des contre-pouvoirs capables d’empêcher la capture de l’Etat par des investisseurs maximisant leur profit ? Le cas de la Guinée est encore pire, point besoin de faire un dessin. Nous sommes donc en présence d’agissements ayant lieu dans des contextes institutionnels très faibles où l’appétit de l’investisseur n’a de limite que les intérêts du prince et de lui seul.

Il se demande s’il ne faut pas « abandonner l’Afrique » comme si en 2018, il était encore crédible d’utiliser le retrait des investissements comme un moyen de pression. Les grands pays émergents dont la Chine, l’Inde et le Brésil sont à l’affût. Par ailleurs, l’investissement en Afrique est de plus en plus réalisé par les Africains eux-mêmes, comme en témoigne le récent rapport du Boston Consulting Group. Par conséquent, continuer à utiliser des moyens de pression de la période postindépendance alors que les temps ont changé relève soit de la myopie ou de la diversion vis-à-vis des personnes qui ignorent l’environnement économique de l’Afrique.

Toutefois, au-delà des faits qui lui sont reprochés, c’est surtout le silence assourdissant des chefs d’Etats concernés qui intrigue. N’y a-t-il pas une procédure d’ouverture d’enquête judiciaire automatique au Togo et en Guinée ? N’est-ce pas là encore le signe de la faiblesse des institutions de certains pays africains ?

En tout état de cause, l’Afrique devrait se réjouir que des investisseurs qui utilisent la capture de l’Etat comme méthode l’abandonne. C’est à ce prix que les investissements bénéficieront aux personnes les moins nanties, créant ainsi un cercle vertueux d’une croissance inclusive et durable. Il est aussi question d’assainir les relations franco-africaines, car en le poursuivant, la justice française défend la république et envoie un signal fort aux investisseurs qui profitent de la faiblesse de certaines institutions africaines pour piller les économies, laissant derrière eux les pauvres diables qui, pour certains, se noient dans la méditerranée et, pour d’autres, souffrent le calvaire dans les rues de France. Que M. Bolloré aille donc répondre de ses actes en Afrique.

 

[1] Le documentaire « Complémentaire d’enquête » de France 2 est à ce titre très illustrateur.

[2] Cela est désormais du ressort de la justice française. Voir le multimédia du magazine Le Monde pour plus de détails.

[3] Voir l’édition 2018 des perspectives économiques en Afrique

[4] Voir les statistiques établies par l’UNECA sur la base des données de la Banque Mondiale

La supercherie de la croissance des économies africaines

Comme au début de chaque année, le mois de janvier 2018 n’a pas échappé aux ballets d’annonces des performances macroéconomiques des pays africains. Et comme depuis un certain nombre d’années maintenant, l’Afrique est au premier rang en matière d’économies les plus prospères ; certains classements positionnant d’ailleurs six pays africains dans le top dix des économies en croissance sur l’année à venir.

La guerre des chiffres

 Ce qui frappe tout observateur de ces publications macroéconomiques est le manque de convergence en fonction de qui publie ces chiffres. Pour illustration, la Banque mondiale a estimé que l’économie de l’Afrique subsaharienne va rebondir à 3,2% en 2018 et à 3,5 en 2019 après une croissance enregistrée de 2,4% en 2017. Le Fonds Monétaire International (FMI) qui n’a pas encore annoncé ses prévisions pour 2018 table sur une croissance à 2,7% en 2017 pour l’Afrique subsaharienne. Pour sa part, la Banque Africaine de Développement (BAD) qui publiait les Perspectives Économiques Africaines (PEA 2018) annonce une croissance à 4,1% en 2018 et 2019 après 3,6% en 2017 pour toute l’Afrique, Afrique du Nord incluse (zone généralement associée au Moyen-Orient par le FMI et la Banque Mondiale). Selon certains spécialistes, cette divergence de chiffres s’explique par la différence des méthodes de calcul (indicateurs considérés dans le calcul du Produit Interieur Brut (PIB)) et des zones couvertes (Afrique entière ou Afrique subsaharienne).

Pour quelle validité ? 

Ces différences de performances macroéconomiques des états poussent à réfléchir, notamment à la lumière du scandale autour du classement Doing Business de la Banque Mondiale. Paul Romer (ancien économiste en chef de la Banque Mondiale) a démissionné récemment en critiquant son ancien employeur et l’accusant de défavoriser certains pays comme le Chili et d’en favoriser d’autres comme  l’Inde dans le Doing Business. Il dénonce notamment l’utilisation d’un classement qui fait autorité depuis 15 ans à des fins politiques, et ce depuis au moins 4 ans. C’est à se demander si une institution qui “aurait biaisée” son classement des pays les plus “business-friendly” n’aurait pas fait de même sur les autres indicateurs qu’elle publie. Quid de ses confrères ?

Pour quel impact ?

Au lendemain de la publication de ces chiffres, il est fréquent de voir les responsables politiques se féliciter des performances macroéconomiques de leurs pays. Seulement, ces derniers oublient très souvent les aspects microéconomiques. Selon les PEA 2018 de la BAD :” l’amélioration ne résulte pas d’un facteur unique. Elle est le reflet d’une conjoncture internationale plus favorable, du rétablissement des prix des matières premières, principalement le pétrole et les métaux, de la demande intérieure soutenue, en partie satisfaite par la substitution des importations, et des améliorations de la production agricole”. ​Le constat est encore beaucoup plus alarmant du côté du FMI, pour qui ​“en moyenne, la croissance du PIB par habitant devrait à peine dépasser zéro, et restera en territoire négatif pour près d’un tiers des pays de la zone à ​cause d’une croissance de la population élevée​”​.

A la lecture de ces commentaires, l’on peut se dire que nos politiciens se congratulent d’une croissance artificielle, complètement exogène et qui ne profite pas au panier de la ménagère. Pire, plusieurs pays africains ont basé leur croissance sur de l’endettement lourd pour financer les projets d’infrastructure, et comptent donc sur une population qui ne bénéficie pas des retombées de cette croissance pour rembourser la dette qui la génère. Au lieu de jubiler sur une croissance hors-sol, nos dirigeants feraient mieux de travailler pour des économies beaucoup plus inclusives. Pour cela, certains chantiers sur lesquels ils pourraient s’atteler sont : la modernisation des méthodes et outils agricoles, la mise en place de politiques d’industrialisation, la transformation locale des matières premières, l’amélioration du financement des PME, etc.

D’après certains spécialistes, plus de la moitié de la croissance africaine ne crée pas d’emplois. D’ailleurs l’Organisation Internationale du Travail estime que l’Afrique subsaharienne devrait connaître une augmentation du nombre de chômeurs qui devrait atteindre 30,2 millions en 2018, soit une nette progression par rapport aux 29,1 millions de chômeurs enregistrés en 2017. Il y a donc besoin de mieux redistribuer la richesse sur le continent. Comme le dit une vendeuse de beignets à Abidjan, « ce ne sont ni le métro ni le pont qui vont acheter mes beignets ».

LD

Le déclin de Jacob ZUMA ou la suprématie du régime parlementaire sud-africain ?

L’ANC a voulu offrir une sortie honorable à son leader contesté en lui proposant de présenter lui-même sa démission. C’était sans compter sur la tenacité de Jacob ZUMA qui tenait à son baroud d’honneur. Il s’est accroché  au pouvoir contre vents et marées.  Il a défié son propre parti en refusant dans un premier temps de démissioner. La  menace de la motion de censure initiée par son propre camp le 14 fevrier 2018 a cependant eu raison de lui.

La confiance brisée entre le camarade Zuma et le parti historique

Les affaires de corruption dans lesquelles le nom de Zuma sont citées sont nombreuses et ont finalement eu raison de sa légitimité. Nombreux sont celles et ceux au sein du parti de Nelson Mandela qui estiment depuis un moment, que le désormais ex-président n’était plus à même de conduire la destinée du pays Arc-en Ciel.

Jacob  ZUMA n’a pas attendu son arrivée au pouvoir pour être empêtré dans des affaires  de corruption et d’éthique. Il avait déjà été contraint à la démission lorsqu’il était vice président de Mbeki avant d’être traduit en justice pour viol sur une femme séropositive.  Bien avant cette affaire, son nom avait été cité en 2003, alors qu’il était déjà vice président, dans une affaire de corruption qui datait de 1999. Cette affaire qui a été par la suite classée sans suite, n’a pas empêché le tandem Mbeki-Zuma de rempiler pour un nouveau mandat.

Devenu en 2007 président de l’ANC, de nouvelles affaires de corruption dans lesquelles son nom est cité sont apparues. Cette accumulation de dossiers compromettants ne l’ont pas empêché d’être élu par ses camarades du parlement, président de la république en mai 2009.

Cette confiance d’apparat n’était en fait entretenue que par la phobie du parti de perdre le pouvoir et de ne pas poursuivre l’oeuvre des fondateurs. Depuis la fin de l’aparteid, l’ANC constitue à lui seul, un « régime politique » qui dirige ce pays. A ce titre, sa démarche a toujours consisté à se maintenir au pouvoir, qu’importe les conditions.

Les affaires  politico-financières de Zuma, ont ébranlé l’électorat de l’ANC, et cela s’est traduit par un cinglant revers électoral lors des élections locales de  2016 et une contestation sociale permanente. Cette situation a catalysé la mobilisation au sein de l’ANC, afin d’éviter la perte du pouvoir  en 2019.

Le peu de crédit et de légitimité dont disposait encore l’ex président au sein de son propre parti ont été épuisés par ces événements et surtout à la suite de sa condamnation pour détournement de deniers publics. Dans cette affaire, la justice a demandé à l’ex président de rembourser une somme totale de 15 millions d’euros à l’Etat ; somme qui a servi à la rénovation de sa résidence privée.Cette enième humiliation judiciaire a sonné le glas de la présidence Zuma dont on retiendra malheureusement plus les frasques judiciaires que les progrès économiques et sociaux qu’elle a pu apporter.

Le départ contraint de Zouma, c’est le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité.

 En 1958, la France sous la férule du Général DE GAULLE , a adopté la constitution de la 5è république , pour palier les limites de la 3èmeet 4ème république qui  ont brillé par les instabilités institutionnelles quasi chroniques. La constitution sud africaine de 1993, modifiée en 1996,  faisant un bien original compromis entre un régime parlementaire (où le pouvoir législatif a une puissance politique quasi équivalente à l’exécutif) et un régime présidentiel (où l’exécutif est prédominant dans la gestion des affaires) a elle aussi voulu éviter à l’avenir les dérives de l’exécutif de la période apartheid. C’est ainsi que le président de la république sud africaine n’est pas élu au suffrage universel direct mais est choisi par le parlement et évidemment, au sein du parti ayant obtenu la majorité aux élections législatives.

C’est à cette légitimité que Zuma a essayé de s’accrocher durant ces dernières heures en refusant de démissionner malgré la pression de son parti l’ANC, qui ne trouvait plus en lui, aucune légitimité lui donnant la possibilité de conduire l’exécutif de l’Etat. Peut-être, a –t-il pensé pouvoir encore convaincre des députés de son camp au sein de l’Assemblée, de ne pas voter la motion de défiance qui se préparait contre lui et sa présidence. Une motion de défiance pour rappel, est une procédure législative réservée dans certaines normes fondamentales aux élus du peuple leur permettant de retirer la confiance au chef de l’exécutif (premier ministre généralement dans un régime parlementaire ou semi-présidentiel).

Zuma a donc voulu gagner du temps, histoire de tenter un dernier tour de lobbying afin de convaincre certains élus de son camp de renoncer à l’utilisation de cette arme ultime et fatidique à son règne. Il n’en a malheureusement rien été. Il a été contraint de démissionner et c’est bien le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité qui a été manifesté.

La principale leçon à tirer de cette tragédie politique pour les pays africains se résume en la sacralisation des institutions sur les hommes qui les incarnent. Une  situation similaire dans d’autres pays africains n’aurait sans doute pas connu le même épilogue. Des acrobaties constitutionnelles couplées à des arguties juridiques auraient été utilisées pour  sauver un homme ( et ses intérêts)  au détriment des institutions.

L’Afrique du Sud nous réveille ce matin avec ce brin d’optimisme supplémentaire que le principe selon lequel les institutions sont au dessus des hommes n’est pas qu’une théorie en Afrique, mais peut bel et bien être mis en application.

Perspectives Economiques en Afrique : quand la Bad se réapproprie l’exercice !

La Banque Africaine de Développement a publié le mercredi 17 janvier dernier l’édition 2018 de son rapport sur les Perspectives Economiques en Afrique. Cette édition se démarque des précédentes et marque une certaine rupture dans la production de ce document. L’institution semble s’être appropriée totalement l’exercice, tant dans la forme que dans le fond. Le document sera désormais publié à la mi-janvier de chaque année, au lieu de juin, période traditionnelle de publication du rapport. L’institution assure vouloir être celle qui propose en premier des informations économiques sur l’Afrique, prenant ainsi à contre-pied le Fmi qui jusque-là établissait des prévisions sur les performances économiques en Afrique, en avril de chaque année. Le volume est réduit de moitié et seule la BAD a produit et signé cette édition – contrairement aux autres éditions co-signées avec l’OCDE et le PNUD. Elle va proposer aussi des sous rapports pour chacune des cinq régions du continent, une première.

La rupture est encore plus marquante au niveau méthodologique. Si le document propose toujours deux chapitres, l’un faisant l’état des lieux de la performance socio-économique et le second traitant d’une thématique donnée ; l’édition 2018 propose une lecture différente des pays africains, faite exclusivement par des africains – avec la contribution de quelques universitaires externes, spécialisés sur l’Afrique. Le nouveau format propose d’abord une lecture de la performance et des perspectives sur l’activité économique, les finances publiques, le secteur financier et les relations avec le reste du monde (avec un accent sur l’effet des chocs extérieurs). Il discute ensuite les évolutions sur le marché de l’emploi et la pauvreté, en lien avec les performances économiques des pays. En ce qui concerne la thématique d’intérêt (pour l’édition 2018, le focus a été mis sur le financement des infrastructures), le document propose une discussion de l’impact des infrastructures sur la performance économique des pays puis présente les stratégies ou les outils qui pourraient être utilisés pour accroître le financement des infrastructures sur le continent. Surtout, à chaque niveau, le rapport est force de proposition pour améliorer les conditions socio-économiques, en rupture avec les anciennes éditions qui se contentaient d’observer, d’expliquer et de décrire les actions mises en œuvre – de les juger le plus souvent.

Cette nouvelle approche est plus qu’appréciable à plusieurs titres. D’abord, la BAD se positionne comme une institution qui veut œuvrer pour le développement des pays africains, en s’appropriant effectivement les problématiques des pays et en étant force de proposition pour les résoudre en s’appuyant sur de l’expertise africaine. La BAD pourra ainsi se positionner en maître sur les discours portant sur l’Afrique et être une voix de référence sur la performance économique des pays africains et orienter les autres institutions intéressées par des travaux sur l’Afrique. Ensuite, le calendrier de publication proposé permet d’avoir une base de travail de référence sur l’Afrique pour les investisseurs. Enfin, le fait de proposer des rapports régionaux permet de tenir compte des hétérogénéités des pays, de proposer une lecture plus fine et surtout de traiter de thématiques d’intérêt pour Chacune des régions et mieux orienter les politiques publiques selon les urgences par zone. L’institution démontre que les autorités africaines ont pris la pleine mesure de la nécessité de se réapproprier les discours sur l’Afrique et de définir la stratégie de développement sur la base des particularités qui sont nôtres.

Sur le fond, la BAD prévoit que la croissance devrait continuer à progresser en 2018 et 2019. Selon l’institution, elle devrait atteindre 4,1% en 2018 et 2019, après 3,6% en 2017 (et 2,2% en 2016) portée notamment par le redressement des économies à forte intensité de ressources, en raison du rétablissement des cours mondiaux. Toutefois, ce regain de croissance n’est pas générateur d’emplois, de sorte que les inégalités et la pauvreté persistent (indice de Gini est passé de 0,52 en 1993 à 0,56 en 2008). La Banque estime que le manque d’investissement dans le capital humain, dans un contexte de forte progression démographique d’une population de plus en plus jeune pourrait expliquer cette situation. A ce titre, elle invite les pays à poursuivre les efforts visant à améliorer leur capacité de mobilisation des ressources internes. En effet, bien que les pays aient consenti des efforts pour accroître leur capacité de mobilisation des ressources intérieures, se situant aujourd’hui à des niveaux comparables avec des pays d’Asie ou d’Amérique Latine ; cela reste insuffisant pour couvrir les besoins de financement nécessaire pour l’expansion des infrastructures et du capital humain, primordiales pour l’industrialisation et accroître davantage l’entrée des investissements étrangers. Ce déficit, la BAD le chiffre entre 68 à 108 Mds USD. Pour le résorber, elle invite les pays à se saisir des différents outils financiers auxquels ils peuvent désormais avoir accès pour mobiliser l’épargne mondiale, concomitamment à la poursuite des réformes fiscales. Un accent particulier est mis sur les partenariats public-privé ou le recours aux fonds souverains. Elle exhorte à la prudence en ce qui concerne l’endettement extérieur. Bien qu’indiquant que le risque de surendettement reste faible ou modéré (selon les pays), les experts de l’institution s’inquiètent quand même de l’accélération de la dette après l’atteinte des PPTE et indiquent qu’il faudrait orienter les emprunts vers les secteurs à fort potentiel.

Pour la BAD, doter le continent d’infrastructures performantes permettra d’accélérer son industrialisation, condition nécessaire pour lutter de façon efficace contre la pauvreté.  Elle exhorte ainsi les pays à adopter une stratégie visant à construire les infrastructures adaptées permettant de valoriser leur secteur à fort potentiel mais aussi d’intensifier l’investissement dans le capital humain.

Parcourir les PEA 2018 de la BAD offre une vision différente du continent et de ses performances. Une place de choix est donnée à l’analyse et aux recommandations. Les différents acteurs de la vie sociale et économique des pays africains gagneraient à s’approprier ce rapport, qui offre des orientations quant aux politiques à mettre en œuvre pour asseoir un développement durable pour le continent.  Il ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas un rapport de plus et que les autorités africaines feront elles aussi le choix, comme le top management de la BAD, de penser leur politique sociale et économique davantage en collaboration avec des institutions africaines.

Chers ministres, le code n’est pas l’avenir de l’Afrique!

Depuis un certain nombre d’années, on voit se multiplier partout en Afrique des “Journées  Nationales des TIC”, portées et promues par des ministres de l’Economie Numérique qui veulent de plus en plus nous faire croire que le numérique ou le digital serait la réponse à tous les maux de l’Afrique.

Ces ministres laissent penser que l’éducation à la programmation informatique serait la solution miracle pour le développement de l’Afrique ; des thèses sûrement inspirées des réussites des géants du net tels que Facebook, Google, Amazon et autres. Toutefois, chers ministres de l’Economie Numérique africains, ces entreprises sont portées par des personnes ayant bénéficiés de systèmes de formation performants. Or, aujourd’hui, 38% des adultes dans nos pays (soit 153 millions d’habitants) sont analphabètes. Pour ceux ayant accès à une école, il faut très souvent faire face à un fort taux d’absentéisme du personnel enseignant ou au défaut des infrastructures.

Au-delà de l’accès, la qualité des formations est aussi à interroger. On trouve énormément de jeunes qui entament des études secondaires sans réellement savoir lire et compter, éléments de base pour l’apprentissage. L’offre de formation en Afrique aussi serait à revoir car pour former de bons codeurs, peut-être qu’il faille déjà donner une meilleure visibilité aux formations scientifiques et non pas celles qui ont pignon sur rue dans nos universités : sociologie, psychologie, anthropologie, philosophie et autres. On assiste ainsi chaque année à l’arrivée sur le marché de l’emploi de plus de 12 millions d’africains dont la formation est très souvent inadéquates aux besoins des entreprises.

Chers ministres, même si nous devons former nos jeunes aux codes, il faudrait d’abord mettre en place des politiques publiques favorisant leur formation et insertion professionnelle. Certains d’entre vous lancent des campagnes “Un étudiant, Un ordinateur” qui ne sont en réalité que des initiatives conçues à des fins électoralistes. De fait, la qualité du matériel distribué aux étudiants, soulève des interrogations quant à l’opportunité d’un tel investissement. Les plus fortunés qui souhaitent ou peuvent faire venir des équipements informatiques de qualité de l’étranger, doivent désormais faire face aux barrières tarifaires, avec la levée des exonérations de TVA.

Si tant bien que l’on ait accès à de l’équipement de pointe, sans énergie, tout cela ne servira à rien. Il est encore bien fréquent de subir des délestages de plusieurs heures, voire plusieurs jours dans certaines grandes capitales africaines. Selon la Banque Africaine de Développement, ce sont plus de 600 millions d’africains qui n’ont pas accès au réseau électrique, soit 50% de la population africaine. L’accès en lui-même ne garantie rien, il faudrait encore que le service soit fiable, stable et continue ; ce qui n’est pas le cas dans la grande partie de nos pays.

Chers ministres, comme le disait feu Felix Houphouet Boigny concernant la Côte d’Ivoire :  “le succès de ce pays repose sur l’agriculture”. Il ne serait pas imprudent d’étendre cette citation à l’Afrique entière tant ce secteur est fournisseur d’emploi sur le continent (environ 60%). L’Afrique dispose de 60% des terres arables inexploitées mais importe encore plusieurs dizaines de milliards de produits alimentaires chaque année. L’une des causes étant le faible taux de rendement de nos exploitations agricoles et de l’obsolescence des pratiques et outils.

Chers ministres, comment se lancer dans le code lorsqu’il manque des infrastructures médicales pour soulager le mal de dos, le mal de tête, la baisse de la vue,etc… ; maux fréquents chez les développeurs informatiques ? Qui deviendra codeur quand on assiste encore à des centaines de milliers de décès pendant l’accouchement, liés très souvent au manque d’équipements ou personnels adéquats ? En 2014, l’OMS publiait un rapport révélant qu’il y a 90 infirmières et sage-femmes pour 10.000 habitants dans les pays à revenus élevés contre seulement 2 pour plusieurs pays d’Afrique.

Oui le numérique peut contribuer à combler certains manques mais il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs. Aucune économie n’a connu un développement durable sans assurer certaines bases : sécurité alimentaire, offre de formation de qualité, accès à l’énergie et aux infrastructures sanitaires, etc. Commençons à assurer un accès à une éducation de base et de qualité à tous. Développons des cursus qualifiants en accord avec les défis actuels du continent, notamment les formations techniques : agricoles, médicales, énergétiques, etc. Nous avons besoin de jeunes formés dans les Sciences, la Technologie, l’Ingénierie et les Mathématiques. Ceux-là pourront ensuite penser l’innovation africaine, une innovation au prise avec les réalités des populations autour d’eux et non pas une énième copie d’une quelconque plateforme américaine. Ils pourront utiliser le numérique et le code comme les outils qu’ils sont et non pas comme une fin en soi.

A force de parler de “Numérique en Afrique”, on pourrait croire que des 1 et des 0 une fois plantés peuvent donner du manioc.

LD

Une voix africaine !

L’Afrique fait aujourd’hui l’objet de tous les fantasmes : soit une terre d’opportunités plaçant le continent au centre de toutes les convoitises, soit une terre qui continue de pâtir de son si mauvais départ comme l’indiquait Réné Dumont. Cet optimisme et ce pessimisme, trouvent leur raison d’être.  Opulence côtoie précarité. L’Afrique apparaît comme le nouveau relai de la croissance mondiale alors que le Pib par habitant dans la plupart des pays ne progresse que faiblement, voir stagne dans certaines régions. Le numérique a permis l’éclosion d’une jeunesse entreprenante mais ne reste accessible qu’à une minorité. La population s’urbanise de plus en plus alors que les bidonvilles croissent, avec des accès de plus en plus limités aux services sociaux de base.

Ce grondement d’idées et de discours, parfois laudateurs ou alarmistes, portés par des entités exogènes au continent, a fait de l’Afrique une terre d’expérience en tout genre dans la quête du développement suivant le modèle occidental, comme le rappelle si bien Felwine Sarr dans son Afrotropia. Aussi ont-ils étouffé la voix intérieure du continent qui depuis les indépendances questionne et discute son modèle de développement en faisant appel à son histoire, ses croyances et ses différentes cultures.

Cette voix devient cependant de plus en plus audible à la ferveur des nombreux défis du continent, portée par une jeunesse qui peu a peu saisi les messages que lui ont laissé ses pères. Chinua Achebe interpellait déjà dans Man of the Nation et Anthills of the Savannah quant aux dérives de l’autocratie. Dans sa si longue lettre, Mariama Bâ décrivait les conditions sociales, celle de la femme en particulier, à l’aube des indépendances en Afrique ; et Ngugi wa Thiong’o dans A Grain of Wheat annonçait les écarts économiques qui émergeaient au début de la période post coloniale.

Cette nouvelle voix se matérialise sous plusieurs formes. Les réflexions d’Achille Mbembé dans Sortir de la Grande Nuit, la jeunesse africaine qui lutte pour un avenir meilleur que décrit Mbougar Sarr dans son Silence du Chœur et l’invitation à la chose politique d’Hamidou Anne et al. dans Politisez-vous ! en sont de véritables témoins. Les initiatives pour repenser l’Afrique, par les africains eux-mêmes, se multiplient. La société civile dans les pays s’organise et assure la veille citoyenne.

Toutefois, malgré ce regain de vitalité, cette voix est encore porteuse de bruits qui annihilent la clarté du message qu’elle porte et qui vise à définir une nouvelle pensée, un nouveau paradigme en ce qui concerne le développement de l’Afrique.

A ce titre, un filtre est plus que nécessaire afin d’extraire de ce signal riche en idées et réflexions nouvelles, celles qui permettront de construire l’Afrique que nous voulons. Comme le rappelle Georges Vivien Hougbonon, un tel filtre ne peut exister que dans « un cadre bien approprié » qui favorise la confrontation des idées, seule condition nécessaire et suffisante pour l’émergence de nouveaux courants politiques, économiques et sociales, pour envisager une transformation pérenne et endogène du continent.

L’Afrique des Idées ne manquera pas d’être présent à ce rendez-vous, et de participer activement à la construction par les idées d’une Afrique qui fait rêver ses enfants, car nous croyons fermement à la philosophie de Senghor que c’est « au carrefour du donner et du recevoir où chacun se sentira à l’aise parce que se sachant à la fois donneur et receveur » que l’Afrique pourra être repensée.

Comment améliorer la participation des acteurs africains à la révolution énergétique ?

S’il n’est plus à démontrer les enjeux de l’accès à l’électricité durable et compétitive pour tous en Afrique subsaharienne, il est indispensable de toujours souligner que l’électricité demeure avant tout un outil de réduction des inégalités de base, sociale et économique. Les nombreux enjeux autour de l’électrification du continent africain nous interpellent sur un certain nombre de points sur lesquels nous proposons à travers ce billet de murir la réflexion.

  • La question du capital africain

D’après le GOGLA[1], environ 4 millions de solutions solaires ont été distribuées dans le monde au premier semestre 2017, impactant plus de 120 millions de personnes dans le monde, et représentant un chiffre d’affaires d’environ 96 millions USD, soit plus de 50 milliards de FCFA. De façon spécifique, l’Afrique subsaharienne, où près de 600 millions sont concernées représente la moitié de ce portefeuille en termes de ventes et de revenues. Ces chiffres mettent en avant un fait : La révolution énergétique du continent est déjà en marche. Ces initiatives sont pour la plupart financées par des capitaux privés et non des programmes publics et institutionnels classiques.

Quel que soit le modèle d’affaires de ces compagnies (cash ou PAYG[2]), les revenues de ses activités émanent des bénéficiaires eux même, quand bien même il peut exister des subventions et appuis en tout genre[3]. En conséquence, dans un environnement où la Responsabilité Sociétale et Environnementale et le Local Content sont de plus en plus défendues, il revient donc de s’interroger sur la structure du financement. Le constat est que plus de 80% des compagnies les plus actives sur le continent n’ont pas un capital africain mais plutôt américain, européen et/ou asiatique. En somme, l’électrification du continent revêt plus un enjeu financier et économique mondial, dans le contexte actuel. Nous proposons dans ce billet quelques pistes de réflexion pour permettre au continent de relever les défis de son électrification.

  • L’accès à l’information et la promotion des initiatives des start-ups

Compte tenu des enjeux sociaux et climatiques, il existe de plus en plus de fonds d’impact et d’investissement destinés à la mitigation de ces défis. Ces opportunités financières sont nivelées en différentes catégories qui vont des donneurs à du financement de dette senior.

Les quelques chiffres disponiblesmontrent que très peu de compagnies africaines sont visibles dans ces canaux d’investissement ; non pas uniquement pour une question de bancabilité mais par asymétrie d’informations. En effet, il existe très peu de canaux officiels recensés pour disséminer les opportunités mondiales qui sont disponibles ; une situation exacerbée par le  les faibles taux de couverture d’internet et d’électricité dans les pays africains. D’après GSMA, environ 35% de la population africaine a un accès imminent à la téléphonie mobile de type smartphone. Quand bien même les plus grandes plateformes de réseaux sociaux[5] développent des contenus allégés pour l’Afrique, il est capital de réduire les coûts d’accès des données et aux infrastructures.

Aussi, le succès des start-ups occidentales résident le plus souvent dans l’existence de « Call For Projects » ou de « Grants » disponibles qui sont des opportunités de financement accessibles en soutien des projets naissants. Elles ont un double intérêt dans la mesure où elles permettent de traquer les meilleurs projets sans dépenser des montants faramineux en R&D[6], ou pour promouvoir un savoir-faire local. A l’échelle de la Zone B de l’Afrique de l’Ouest[7], la balance est très déséquilibrée entre les dons locaux et internationaux[8]. En conséquence, il est indispensable pour nos instances sous régionales d’appuyer à travers des financements attractifs et accessibles pour la consolidation d’un réel cocon d’opportunités et d’acteurs innovant à l’image des Labs ouest africain de Dakar, Lomé et Cotonou, ainsi que des opporunités telles que le Energy Génération animées de jeunes togolais.

  • Des indicateurs afro-responsables

L’accompagnement des institutions et gouvernements est plus que nécessaire pour la viabilité et la pérennité des initiatives locales. . Pour ce faire, il est important pour ces derniers d’avoir une vision structurée sur les enjeux et les défis à relever. Au-delà du critère universel d’accès pour tous à l’électricité, il faut définir de nouveaux indicateurs de performance socio-économique aux échelles micro et macroéconomique. Au titre de ces exemples, nous pouvons citer le nombre de personnes impactées pour justifier l’atteinte des Objectifs du Développement Durable pour augmenter les chances d’accès à davantage de financement d’impacts, le nombre de sociétés crées dans les filières pour mettre en place les politiques fiscales et commerciales en faveur de l’employabilité, la part de projets sous régionaux cofinancés[9] pour parler en termes du commerce intra-région sous l’aval des institutions cadres (UEMOA, CEDAO, CEMAC, etc.…), etc. Ces nouveaux KPI que nous jugeons afro-responsables sont à la fois des critères de performance et de défis aux échelles nationale et sous régionale dans la mise en œuvre des multiples politiques publiques d’intégration et de développement.

  • Oui au protectionnisme panafricain !

Enfin, dans une Afrique où les taux de collecte fiscale sont relativement faibles, la crédibilité et la viabilité des Budgets des Etats hors IDE[10] dépend principalement de leur revenu disponible. Au regard de la part importante de l’économie dite informelle, l’amélioration des taux de collecte passe par des assiettes et des abattements de plus en plus larges. A contrario des grands projets miniers et d’infrastructures où les MoU[11] couvrent des facilitations et exonérations pendant les périodes d’exploitation, les enjeux microéconomiques des solutions développées pour le secteur de l’électricité imposent aux Etats d’avoir des structures de collecte adaptées à chaque niveau d’opérations. Exonérer le marché solaire revient de facto à intensifier l’extraction des ressources hors du continent car la majorité des sociétés n’ont pas du capital africain et plus de 99% des produits consommés n’y sont pas produits : Il s’agit avant tout d’un enjeu de stratégie et de développement.

Pour terminer, il n’est pas inutile de rappeler que dans les années 50, au nom du National & Patrioct Act, les USA ont labellisé et normés le marché fluvial pour favoriser les compagnies américaines les domaines de l’acier et du container. Dans les années 2000, l’Union Européenne a imposé des taxes pour décourager l’entrée sur le marché commun des modules fabriqués en Asie et en Chine particulièrement. Encore plus récemment aux USA, le leader européen de l’aéronautique Airbus a racheté la filiale CS de Bombardier, leader canadien du même domaine face aux mesures du Président Trump pour l’assemblage des appareils sur les chaines d’Airbus aux USA ; créant donc des emplois et de la croissance à l’économie américaine. Tout au même moment sur le marché africain, au Sénégal, la société Nadji –Bi développe et conçoit au niveau local des produits solaires certifiés Lighting Africa.   Au Bénin, des inventeurs, jumeaux ont conçu un foyer amélioré fiable et compétitif prêt à l’export qui promeut aussi bien des composants solaires importés et assemblés localement, ainsi que les résidus de palmier traditionnel. Enfin, au Togo, sous l’égide du Feu Président Tall, la SABER-ABREC, institution panafricaine conçoit finance, développe des projets d’impact avec l’appui de la CEDEAO et de l’UEMOA en faisant la promotion de groupements sous régionaux et internationaux.

Leomick SINSIN

[1] Global Off Grid Lighting Association

[2] Pay As You Go

[3] EnDeV de la GIZ, DFID, SNV est un programme de subvention des produits à des taux préférentiels

[4] https://www.usaid.gov/news-information/press-releases/oct-25-2017-usaid-announces-63-million-awards-bolster-sub-saharan-africas-grid

[5] Facebook, Whatsapp, Twitter, Google

[6] Recherche & Développer

[7] Côte Ivoire, Mali, Niger, Burkina, Togo, Benin, Ghana, Nigeria

[8] En Grant international, nous avons recensés ceux des organismes de développement (AFD, USAID), des Banques et Telco (Orange, SGB, etc.). S’agissant des sous régionaux et nationaux, nous avons rencensés particulièrement ceux du Nigéria (Dangote, TEFUN, et récemment de banques locales (Ecobank). Cette liste est loin d’être exhaustive.

[9] à l’instar du PRODERE de la Commission de l’UEMOA

[10] Investissement Direct de l’Etranger

[11] Memorandum Of Understanding

« Politisez-vous ! » : une invitation à la chose politique pour la jeunesse africaine

S’appuyant sur l’exemple de leur pays, dix jeunes sénégalais dénoncent dans un ouvrage collectif, la désuétude de la vie politique en Afrique, abandonnée par les intellectuels et envahie par des politiques professionnels qui peinent à transformer de façon durable et pérenne leurs pays. Fort de ce constat, ils invitent la jeunesse africaine à s’intéresser à la vie politique de leur pays parce que le développement tant recherché et souhaité par cette dernière ne peut se faire sans une gouvernance forte.

Dans cet entretien, certains des auteurs partagent leur lecture des mutations qu’a subies la sphère politique en Afrique et discutent de son renouvellement par une jeunesse engagée.

L’abandon du débat politique par les intellectuels serait la source de l’envahissement de la sphère politique par des personnes qui auraient plutôt un agenda personnel d’enrichissement. Comment peut-on expliquer ce paradigme quand ce sont les intellectuels qui avaient œuvré pour l’indépendance ? 

Racine Assane Demba – Oui la lutte pour l’indépendance a vu les intellectuels de l’époque s’engager pour l’émancipation pleine et entière des peuples africains. Puis sont arrivées les années post-indépendances avec les partis uniques, ensuite le multipartisme contrôlé et enfin le multipartisme intégral dans la plupart des pays du continent. Il y a eu deux types d’intellectuels : ceux qui se sont opposés aux nouveaux pouvoirs et les autres qui, par la force des choses, étaient devenus les intellectuels organiques de ces nouveaux pouvoirs. Les années passant, les jeux de pouvoir sont devenus de plus en plus violents. Une violence, pendant longtemps systématiquement physique contre les intellectuels qui osaient s’opposer, puis plus pernicieuse avec le vent de démocratisation qui a soufflé au début des années 1990 même si les assassinats, les enlèvements, les intimidations ont perduré ici ou là.

Cette violence de l’espace politique qu’elle soit physique ou verbale a poussé la plupart des intellectuels à déserter ce champ pour se retrancher dans les organisations dites de la société civile ou à se consacrer à leurs carrières laissant ainsi de plus en plus l’espace public à ceux que je nomme des politiciens professionnels. Il en a résulté une perte qualitative dans le débat public, dans la compétition partisane et dans l’action publique.

Quel doit être le rôle du politique et du citoyen « politisé » dans la société ? 

Racine Assane Demba – Il faut d’abord, je pense,  revenir à la nuance entre le politique et la politique  qu’introduit si bien Mohamed Mbougar Sarr dans « Politisez-vous !».  Mbougar rappelle, en résumé, que le politique est le rapport social, le lien qui se tisse toujours entre les individus pour que la vie en société soit possible. Alors que la politique consiste en l’organisation de ce rapport social déjà établi. En cela, nous dit-il, tout le monde est dans le politique. Ainsi, pour en revenir à la première partie de la question, le rôle du politique est de permettre à l’individu qui nait animal politique comme dirait le philosophe d’évoluer en société. La deuxième partie de la question concerne, quant à elle, le citoyen « politisé ». Je pense que son rôle, lui qui dans son processus de politisation a pris conscience des rapports de force et de domination dans la société, est d’essayer de faire comprendre ces enjeux à un maximum de ses concitoyens, ce que j’appelle passer du « je » au « nous » et pourquoi pas de faire la politique pour influer sur les décisions concernant le plus grand nombre. Et c’est là qu’il passe du « nous d’éveil » c’est-à-dire faire prendre conscience des enjeux au « nous de transformation » à savoir, au bout du compte,  être dans les espaces de décision et d’orientation de l’action publique.

Les défis des sociétés africaines sont multiples : justice, équité, égalité, éducation, environnement, etc. Selon votre livre, la réponse à ses défis est d’abord politique et vous estimez qu’il faudrait, pour ce faire, un plus fort engagement politique des jeunes. Comment devrait se dérouler ce processus de repolitisation auquel vous invitez  la jeunesse, dans un contexte de désaveu de la chose politique ?   

Hamidou Anne – Effectivement, les problèmes auxquels sont confrontées les populations africaines sont divers. Mais ils peuvent se retrouver sous une même matrice qu’est la faillite de la gouvernance qu’incarne le leadership politique. Et ces problèmes vont s’accroitre tant que les mêmes personnes avec les mêmes méthodes continuent à gérer les mêmes pays. La faillite de notre classe politique implique nécessairement son remplacement par une autre dotée d’une volonté de rupture, de transformation et de construction d’un nouveau peuple africain capable de relever les défis de notre époque.

Cela nécessite ainsi pour la jeunesse de quitter le registre de l’indignation stérile, de la colère non suivie d’effet car celle-ci est vaine. Ignorer le politique est une désertion coupable.

La jeunesse ne doit jamais abandonner le champ du rêve d’une société différente ; d’une société qui repense les rapports sociaux sous le prisme de la justice et de l’égalité. La politisation commence d’abord par le rêve d’une Afrique où la vie serait meilleure.

Nous devons nous mettre au fait des rapports de force en cours dans l’espace public, de la nécessité de changer qualitativement la vie des gens et de forger une destinée nouvelle.

Dans ce sens, vous invitez à une puissance publique forte ! Ne serait on pas dans une impasse si on considère que les politiques qui détiennent ce pouvoir publique n’ont pas toujours à cœur l’intérêt général ?

Nous sommes, il est vrai, dans une crise politique de long terme car nos pays, dans leur majorité, ne sont gouvernés ni dans la vertu dans la volonté de construire un présent et un futur de progrès. Dès lors, la puissance publique est aux mains de personnes qui ont perdu une légitimité  morale – parfois aussi électorale- d’agir au nom des millions de jeunes africains car elles ne sont pas mues par l’intérêt général. Nous sommes dans une triple impasse : politique, éthique et spirituelle car les valeurs sont désertées au profit de la perpétuation d’un système kleptocrate érigé depuis l’indépendance.

S’engager en politique doit être selon vous précédé d’un amour sincère pour la personne et la société. Pourquoi cet amour est il essentiel, voir fondamentale ? 

Hamidou Anne – La dimension sentimentale est importante en politique. C’est même la base de l’action publique. On ne peut pas agir, travailler, se lever pour des gens qu’on n’aime pas. Sartre disait « Pour aimer les hommes il faut détester violemment ceux qui les oppriment ». C’est de cette spiritualité  que nous parlions plus haut, celle de l’amour pour les plus faibles, les opprimés et ceux que nos systèmes de gouvernance briment au quotidien. Comme y invite le texte de Youssou Ndiaye, nous pensons que la politique dans la rigidité des statistiques et des classements est une impasse qui plonge nos démocraties dans l’ennui et la déshumanisation. Gouverner c’est gérer des Hommes et se préoccuper de leur devenir.

Tout le monde ne peut s’engager en politique mais vous estimez que l’implication de personnes honnêtes est suffisante et nécessaire. Comment alors mesurer la sincérité de l’engagement de ces hommes politiques nouveaux que vous appelez de tous vos vœux ?

Fary Ndao – L’homme politique, tout comme l’artiste ou l’écrivain, ne peut qu’inspirer, susciter le rassemblement autour de valeurs qu’il professe par ses écrits ou ses discours et  qu’il incarne dans son comportement, sa constance. A l’heure où de plus en plus de citoyens sont éduqués et que les médias classiques ou nouveaux prennent encore plus d’ampleur, l’homme politique sait que rien ne lui sera pardonné. Il a donc, aujourd’hui plus que jamais, un devoir de cohérence. C’est à cela qu’il sera jugé.  Il pourrait également se lancer dans des initiatives non partisanes et d’utilité publique (action sur l’environnement, action éducative, bénévolat etc) afin de donner, un tant soit peu, du sens aux idées qu’il développe. Cela peut également permettre de distinguer les hommes politiques sincères et cohérents de ceux qui ne font qu’adopter des postures.

Le Sénégal est toujours cité comme un exemple de démocratie, avec un espace politique vivant, une jeunesse engagée- on se rappelle encore du mouvement Y en a marre ! qui a su faire front pour amener le président Wade à revoir ses ambitions en 2012 – pourtant il constitue le cadre de vos discussions, qui s’appliquent à la majorité des pays d’Afrique subsaharienne. Qu’est ce qui explique cette dégradation et comment la jeunesse sénégalaise peut-elle encore s’approprier le combat de ses pères ?

Fary Ndao – Le Sénégal, « mondialisation » économique oblige, n’a pas échappé ces dernières décennies à l’accélération de la technicisation du monde. Or la technique nous dit Jacques Ellul, finit par faire des Hommes des îlots d’individualité sans lien réel entre eux et devient le principal moteur de l’Histoire. Un exemple : depuis 30 ans, l’ordinateur a  davantage transformé le monde que les forces classiques comme le travail ou le capital. Ainsi, les idéologies politiques dans lesquelles se reconnaissaient les militants d’hier, ne pèsent plus autant face à cette technique autonome et globalisante. Celle-ci est d’ailleurs toujours accompagnée d’une ribambelle de normes internationales qui assurent la standardisation de l’économie mondiale et « dépolitisent » les choix économiques et de société. Cet état de fait touche tous les pays du monde, et pas seulement le Sénégal. Partout, le militantisme est en net recul par rapport aux années post- seconde guerre mondiale, pour ce qui est des pays occidentaux et post-indépendances pour l’Afrique subsaharienne.

Il y’a également le fait qu’il ne semble plus y avoir, comme le rappelle Hamidou dans son texte, de dessein assez grand pour cristalliser la passion des jeunes d’un point de vue politique. « Nous sommes entrés dans l’ère des gestionnaires ». L’avènement des « pragmatiques » et des technocrates, ainsi que leur inclinaison naturelle pour la quantophrénie économique, n’a pas empêché la dégradation continue de l’environnement, l’affaissement de la justice sociale, la casse ou la privatisation des services publiques et de tant d’autres champs pouvant être importants dans la vie des hommes et d’une nation. Il faut donc arriver à trouver de nouveaux desseins collectifs assez inspirants qui pourront parler à la jeunesse sénégalaise, et africaine en général. Peut-être ainsi, sera t-il possible de la pousser à avoir un véritable projet de transformation de la société. Les taux de croissance, l’entreprise ou les kilomètres d’autoroute, bien que nécessaires, ne parlent pas au cœur des gens. Penseurs et hommes politiques doivent montrer qu’un grand défi d’humanisme, écologique et de changement de paradigme (économique notamment) nous attend pour les décennies à venir. Et, pour y répondre, nous devrons inaugurer de nouvelles utopies (sur l’humain, la nature, l’unité africaine réelle etc), les soumettre à la critique et les transformer en projet de gouvernement auquel il faudra essayer de faire adhérer les peuples africains. C’est comme cela que nous arriverons à réenchanter la politique.

Propos recueillis par Foly Ananou

Powered by WordPress