La malédiction des matières premières en Afrique : fantasme ou réalité ?

Dans son rapport sur les investissements dans le monde en 2018, la Commission des Nations Unies sur le Commerce et le développement (Cnuced) fait état d’un recul de 21% des investissements directs étrangers vers l’Afrique en 2017. Selon l’institution, la baisse généralisée du cours des matières premières serait la principale raison à ce recul d’intérêt pour les pays africains. Ce constat vient témoigner davantage de l’importante dépendance des pays africains à leurs ressources naturelles. Cette forte richesse des pays africains en ressources naturelles, qui détermine leur trajectoire économique, est souvent considérée comme une malédiction. Un terme trop souvent associé au continent parce qu’ailleurs dans le monde, les ressources naturelles ont servi de base pour le développement ou l’émergence de certains pays. C’est le cas de la Norvège et de plusieurs pays du Moyen-Orient. Le cas des pays africains est-il alors singulier ? La richesse en matières premières des pays africains constitue-t-elle une entrave au développement ?

Nous proposons dans cet article de porter un regard sur la question, en analysant la relation entre abondance des ressources naturelles, niveau de revenu par habitant et profondeur de la paix dans les pays africains.

Selon Richard Auty (1994)[1], précurseur de cette théorie, les économies axées sur l’exploitation de matières premières se développent plus lentement que les autres et font face à de la corruption et des violences internes. Ainsi selon cette théorie, les pays africains dont l’économie est fortement dépendante de l’exploitation de matières premières devraient afficher des niveaux de développement relativement faible et un climat social délétère.

Pour mesurer cela, considérons le revenu par habitant pour mesurer le niveau de développement[2], l’indice de globale de paix proposé par l’Institute of Economics and Peace[3] et le poids des rentes tirées de l’exploitation des matières premières dans le Pib. Le graphique[4] suivant combine ces trois dimensions et apporte quelques éléments de réponses.

La lecture de ce graphique permet d’établir deux constats majeurs. D’une part, la quasi-totalité des pays se concentre dans le coin droit du rectangle de bas à gauche, indiquant que sur le continent, le degré de pacifisme est plutôt moyen – ce que souligne à juste titre l’Institute for Economics and Peace dans son rapport 2018. En outre, le graphique met en exergue que l’exploitation des matières premières n’auraient pas d’incidence majeure sur la qualité de la paix et sur la stabilité socio-politique. Toutefois, dans certains pays, l’indice de paix est plus dégradé et il reste difficile d’attribuer cela au seul fait de l’exploitation des matières premières, sans toutefois écarter leur contribution. Au Nigéria[5] comme en RDC[6], par exemple, la persistance des conflits est liée à l’exploitation des ressources naturelles.

D’autre, part, les pays dont l’économie dépend fortement de l’exploitation de leurs ressources ont des niveaux de revenus par habitant plus faibles que ceux dont l’économie est moins dépendante. Plus impressionnant encore, on constate que ces derniers pays sont les plus paisibles et compte parmi les pays avec les niveaux de revenu par habitant les plus élevés du continent. Plus généralement, pour « un même niveau de paix » donné, les économies peu dépendantes de leurs ressources ont des revenus par habitant relativement plus élevés que les autres, à quelques exceptions près.

Si les ressources naturelles semblent avoir un impact peu significatif sur la paix, il semble qu’elles pénalisent fortement tout progrès économique. Toutefois, ce constat ne suffit pas pour établir un lien de causalité entre abondance de ressources naturelles et situation socio-économique ; parler de malédiction serait ainsi abusif. L’expérience d’autres pays non africains montrent que plusieurs autres facteurs entrent en jeu comme potentiels catalyseurs. Le cas de la Norvège est particulièrement édifiant dans ce sens : l’environnement économique et politique – gouvernance, environnement des affaires, corruption, etc. – apparait déterminant dans le rôle des ressources naturelles sur les trajectoires nationales de développement.

Le graphe[7] ci-après présente le positionnement des pays par rapport au niveau de corruption et à l’importance de l’exploitation des ressources naturelles dans le PIB. La corruption est mesurée par l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International[8] et le niveau de maturité de l’environnement des affaires par l’indice de liberté économique élaboré par The Heritage Foundation.[9]

Le constat majeur est que les économies les plus dépendantes de l’exploitation des ressources naturelles comptent parmi les plus corrompus du continent avec un environnement des affaires peu attractif. C’est le cas de la RDC, du Congo, de la Guinée Equatoriale, de la Guinée, de l’Algérie ou de la Mauritanie. Le cas du Libéria est assez singulier. Le pays sort d’une longue période de crise et l’exploitation des ressources naturelles constitue pour l’heure sa principale source de revenus d’une part et l’environnement des affaires reste à améliorer d’autre part. On note aussi que les pays les moins dépendants de leurs ressources naturelles (tels que le Rwanda, la Namibie et le Botswana) affichent un faible niveau de corruption et sont plus attractifs pour les affaires. Pour les autres pays, la situation est plutôt mitigée : certains pays relativement peu dépendants de leurs ressources naturelles affichent des niveaux de corruption élevés avec un environnement des affaires qui reste perfectible (cas du Togo, du Kenya, Djibouti, etc.) alors que d’autres dont l’économie repose sur l’exploitation de ressources naturelles apparaissent meilleurs en termes de corruption et plus attractifs (cas du Burkina et du Ghana, etc.). Et cela transparait dans le niveau des revenus par habitant.

L’abondance des ressources annuelles semble contribuer assez fortement à la corruption, sans néanmoins l’être de façon systématique. Le cas de plusieurs pays du continent permet de déjouer tout hypothétique lien de causalité entre exploitation de ressources et corruption. Toutefois, la première peut entretenir la seconde, si elle existait déjà et que l’environnement des affaires présente des défaillances. Des pays comme le Congo, la RDC, l’Ouganda ou encore la Guinée illustrent parfaitement ce triste phénomène.

Les pays africains ne sont pas maudits par leur richesse en ressources naturelles et les pays dépendants de leurs ressources ne se trouvent pas systématiquement dans des situations socio-économiques critiques. Ils souffrent surtout d’un environnement institutionnel défavorable, qui exacerbe les dérives que peut engendrer une grande richesse si elle n’est pas correctement gérée. La trajectoire du Ghana l’atteste : avant la découverte du pétrole – dont l’exploitation a démarré en 2010 –  le pays avait un environnement des affaires et institutionnel meilleur que celui que du Nigéria, de l’Afrique du Sud ou encore de la Guinée Équatoriale. Il ne s’est donc pas embourbé dans les travers de corruption qu’ont connus par les pays précités. Il est ainsi bon d’espérer que le Sénégal, l’un des pays les moins corrompus du continent, avec un environnement des affaires plutôt favorable, ne connaisse pas de semblables travers avec l’exploitation de son gaz.

La découverte de gisement de minerais ou de combustibles tend malheureusement à s’instituer en sport continental pour financer les programmes de développement des pays. Pour en profiter au mieux, les pays devraient renforcer leur institution et améliorer leur environnement des affaires, afin d’assurer la diversification de leurs économies. Les Gouvernements doivent plutôt viser à considérer l’exploitation des ressources naturelles comme une activité économique parmi d’autres ou/et, user de façon plus efficiente les revenus générés par ces ressources pour financer l’expansion de leur économie.

 

 

 

 

[1] Richard Auty (1993). Industrial policy reform in six large newly industrializing countries: The resource curse thesis. World Development 22, 11-26.

[2] Cet indicateur peut souffrir d’un effet de base liée à la population et ne suffit pas à juger de façon pertinente du niveau de développement. Cependant, il permet d’appréhender au mieux la situation socio-économique d’un pays.

[3] Cet indicateur mesure le degré de pacifisme dans un pays. en s’appuyant sur la participation du pays à des conflits armés (internes ou externes), le niveau de sécurité interne (criminalité, terrorisme, instabilité politique, pression policière et/ou politique, population carcérale, etc.) et le niveau de militarisation . Plus le score est faible, plus le pays est considéré comme paisible. Plus de détails sur le site de l’IEP.

[4] Pour tenir compte de l’échelle, les données sur les rentes ont été augmentées de 10. Ainsi, pour Maurice par exemple les rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles sont nulles et ne représentent pas 10% du Pib. Pour chaque pays, la donnée réelle est donc celle présentée sur le graphe à laquelle il faut soustraire 10.

[5] Exploitation du pétrole et rébellions dans le delta du Niger

[6] Congo : la guerre des minerais, le récit d’un désastre

[7] Réduire de 10 les statistiques sur les rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles.

[8] Nous avons pour l’exercice, considéré le complément à 100 du score fourni par Transparency International, de sorte que les pays avec une corruption moindre se retrouveraient le plus à gauche du graphique.

[9] Cet indice mesure pour un pays donnée, la capacité à y mener des activités économiques sans contraintes légales majeures. Elle va plus loin que le Doing Business, à la mesure où elle tient compte du poids de la pression fiscale, de l’ouverture économique et de l’environnement légale pour les affaires.

En Afrique la ville est fabriquée en permanence par la planification et par l’informel.

Le constat d’une urbanisation galopante n’est plus à démontrer dans les villes africaines : d’après les prévisions des Nations Unies et de l’OCDE, en 2050, environ 60 % des Africains devraient vivre dans des villes. Les villes s’urbanisent à outrance, car elles sont perçues comme des lieux d’opportunités économiques et sociales, comme des eldorados qui offrent des conditions de vie meilleures aux populations modestes, provenant principalement des zones rurales (plus de 50 % des ruraux migrent vers les villes : exode rural). Cette forte urbanisation massive qui prend forme depuis 1960 — date à laquelle plusieurs pays africains sont devenus indépendants — n’est pas proportionnelle au niveau de développement économique des villes concernées. Ainsi se pose le problème de l’occupation anarchique, informelle des espaces périurbains. La majorité des grandes villes a une configuration spatiale duale — voire marxiste — avec d’une part, un pôle urbain qui abrite les principaux services publics, privés et les quartiers résidentiels aux alentours pour les riches et d’autre part une périphérie qui s’étale horizontalement, animée par des habitations éparpillées d’une couche de population modeste. La prise en compte de cette configuration spatiale — appelée autrement centre-périphérie — est particulièrement intéressante pour comprendre le processus de fabrication des villes africaines. En effet, si des plans d’urbanisme et d’aménagement existent depuis les indépendances dans la plupart des villes, leur application est défaillante, car des dysfonctionnements sont constatés dans l’espace vécu. Les documents d’urbanisme existants sont appliqués dans les différentes politiques urbaines — cela renvoie à la dimension formelle de la planification des villes — cependant, les villes africaines sont également fabriquées foncièrement par l’informel. En effet, s’il existe des textes juridiques qui régissent l’occupation des espaces, une analyse lucide de la réalité permet de comprendre que les habitants — surtout les plus pauvres — sont des acteurs importants dans le processus de fabrication des villes, à travers notamment des pratiques informelles.

   Comment la prise en compte du maillage entre les pratiques formelles et informelles peut permettre de comprendre la fabrication des villes africaines ?

Dans cet article, il s’agit d’analyser, dans un premier temps, les particularités des documents d’urbanisme dans villes africaines ; ensuite, de montrer en quoi les villes africaines s’autoconstruisent avec l’informel ; enfin, de proposer quelques pistes pour trouver un équilibre entre le formel et l’informel pour une planification harmonieuse des villes africaines.

     Nous vivons dans des villes où les citadins aux catégories sociales variées ont des intérêts divers : ils ont besoin de se loger, de se déplacer, de se divertir. Les besoins sont nombreux, mais les intérêts des uns et des autres sont antagonistes. Ainsi, pour veiller à la qualité de vie de tout un chacun dans le temps et dans l’espace, les acteurs doivent faire de sorte que l’intérêt général soit assuré. Cela nécessite une planification. L’objectif de la planification c’est d’organiser les espaces urbains de sorte qu’ils soient occupés de manière rationnelle avec une bonne gestion des transports et mobilité, du foncier et la création des conditions de développement économique pour les habitants.

Dans les villes africaines, les plans d’urbanisme existent, mais c’est plutôt leur opérationnalité par rapport aux réalités africaines qui mérite des réflexions. Si ces documents ont permis de rationaliser en partie l’occupation des espaces urbains, force est de constater que l’évolution et l’état actuel de la plupart des villes africaines ne permettent pas de valider l’efficacité de ces plans qui, en réalité, ne sont pas mis à jour et restent des vœux pieux jamais opérationnalisés entièrement. Les plans, faits généralement par des bureaux d’étude étrangers qui ignorent les aspects sociologiques africains, sont inadaptés. De plus, leur production prend du temps et leur application est souvent programmée sur le long terme : planifier une ville à l’horizon 2065, alors qu’il existe des problèmes urgents en 2018 : voilà l’incohérence des documents d’urbanisme dans les villes africaines ! « L’Afrique est un cimetière de plans mort-nés », caricaturait Philippe Hugon en 1985. En effet, entre le début et l’élaboration du plan, les dynamiques économiques, sociales et surtout démographiques de plusieurs villes africaines évoluent complètement. Il est tout à fait intéressant de planifier, car on ne peut pas continuer à faire abstraction de l’occupation anarchique des espaces, notamment dans les zones périurbaines du fait de la croissance démographique et de l’inaccessibilité des centres urbains pour les populations modestes. Cette planification nécessite un réajustement régulier des documents d’urbanisme pour qu’ils puissent répondre aux enjeux changeants et évolutifs des villes. Ainsi, s’il existe bel et bien une dimension formelle de l’organisation des villes — bien que celle-ci cause des problèmes évoqués plus haut —, il est tout de même intéressant de comprendre que les villes africaines s’autoconstruisent en permanence dans l’informel.

Les villes africaines sont aussi fabriquées par l’informel. En effet, lors de la première phase d’urbanisation des villes, les espaces périurbains représentaient des réserves foncières. Lorsque l’urbanisation est accentuée, les plus pauvres sont rejetées dans ces espaces sans que ces derniers aient de documents de planification prévus pour leur organisation. Loin des considérations politiques et institutionnelles, les habitants se font leur propre conception de la ville, l’auto-organisent en permanence et de façon circonstancielle en fonction de leurs activités : ils se fixent leur propre limite de la ville, définissent les zones d’activités commerciales à travers d’installations de boutiques ou stands informels, autoconstruisent des infrastructures (bricolage de dos-d’âne, système d’irrigation dans les rues en période hivernale) pour pallier à leur manque de confort dû à un déficit d’infrastructures publiques formelles, s’autoérigent comme des propriétaires fonciers dans ces espaces périurbains s’autodélimitent des espaces d’habitat informels — faits souvent avec des matériaux trouvés — quitte à empiéter sur les voies publiques. Les conditions de vie de ces espaces sont souvent marquées par une grande précarité : insécurité, contiguïté du voisinage, défaillance des réseaux publics d’assainissement, d’adduction en électricité, en eau potable, absence de voiries publiques : c’est l’exemple du quartier Guinaw Rail, à Pikine, à la banlieue de Dakar. Ces espaces informels — construits en permanence dans l’illégitimité sur plusieurs décennies — traduisent une réponse informelle face au caractère inadaptable des documents d’urbanisme classiques et l’insuffisance de l’offre formelle des acteurs publics. Ils font partie — au même titre que les centres urbains planifiés — dans le processus de fabrication de la ville.

Que faut-il donc faire pour trouver l’équilibre entre le formel et l’informel dans la planification des villes africaines ?

D’une part, il faudrait encadrer davantage les espaces formels. Pour ce faire, il est important de prendre en considération des réalités sociologiques. Aujourd’hui, les documents de planification existants sont en décalage avec les réalités locales, soit par le temps (car les pratiques évoluent et les documents sont destinés à des périodes différentes), soit par l’espace (les espaces changent également) ; ils sont donc inefficaces. Les règles de bases prescrites dans les documents doivent être ajustées par rapport aux contextes locaux pour conduire un programme de restructuration progressive des quartiers informels, en concordance avec les pratiques des habitants et les moyens techniques et financiers des collectivités locales.

D’autre part, il s’agit de « formaliser l’informel », on ne peut pas déloger des habitants (des acteurs entiers de la fabrication des villes) qui habitent depuis des décennies dans un endroit sous prétexte de planification qui, à terme, risque de produire des mêmes effets : nous pouvons citer l’exemple de la cité Jaxaay créée par l’ancien président du Sénégal, Wade, pour déloger les habitants des quartiers informels de Médina Gounass, touchés alors par des inondations. Jaxaay connaît le même sort : de terribles inondations, car des règles d’occupation de l’espace y étaient quasi-absentes.

La formalisation du secteur informel part de la mise en œuvre de modalités strictes : délimiter la trame urbaine, interdire et sauvegarder des espaces non propices à l’habitat (les zones à risque et les zones naturelles et agricoles), veiller sur l’occupation des espaces destinés aux équipements publics.

En définitive, au regard du caractère ambivalent de l’occupation des espaces — avec le formel d’une part et l’informel d’autre part — il est important de comprendre que les villes africaines ne sont pas fabriquées uniquement par les planificateurs ; elles sont aussi fabriquées de façon informelle par les habitants sur le long terme (les représentations individuelles et collectives : les différentes formes d’appropriation de l’espace urbain). C’est l’informel et quelques restrictions très rudimentaires des documents d’urbanisme qui font foncièrement la ville. La volonté de planifier la ville africaine doit impérativement partir de la prise compte du secteur informel comme un indicateur fondamental, sans quoi toute analyse, toute politique relèverait d’un pur fantasme.

 

Restructurer les stratégies de croissance pour l’atteinte des ODD en Afrique

Depuis le début des années 2000, l’Afrique connaît une phase d’expansion économique soutenue, avec un taux de croissance réel moyen du PIB avoisinant 5 % entre 2000 et 2014. Cette dynamique, portée par une amélioration de la gouvernance macroéconomique, un afflux croissant d’investissements directs étrangers, la flambée des prix des matières premières et le renforcement des partenariats Sud-Sud, notamment avec la Chine, a nourri l’idée d’un « réveil économique » du continent.

Pourtant, derrière cet élan apparu au tournant du siècle, les fondements structurels du développement africain demeurent précaires. À partir de 2015, le ralentissement de la demande mondiale, la chute des cours du pétrole, et les fragilités internes de plusieurs économies majeures (Nigéria, Angola, Afrique du Sud) provoquent un net ralentissement. En 2016, la croissance tombe à 2,2 %, son niveau le plus bas depuis deux décennies. Et si la reprise amorcée en 2017 (3,6 %) et 2018 (4,1 %) témoigne d’une certaine résilience, elle reste inférieure au seuil requis pour absorber la croissance démographique et répondre aux besoins d’investissement productif et social du continent.

Dans le même temps, les déséquilibres structurels persistent. L’économie africaine reste dominée par l’exportation de matières premières non transformées, l’industrialisation tarde à s’imposer comme moteur de croissance, les systèmes agricoles stagnent en productivité, et la transition démographique s’accompagne d’un chômage massif des jeunes. Le tout dans un contexte d’urbanisation accélérée, mais peu connectée à une base productive solide.

Ce paradoxe interroge : comment un continent aussi riche en ressources naturelles, en capital humain et en potentiel agricole peut-il demeurer prisonnier d’une trajectoire de croissance peu inclusive, faiblement diversifiée, et structurellement vulnérable aux chocs externes ? La réponse réside peut-être dans les stratégies elles-mêmes : trop orientées vers la captation de flux exogènes, insuffisamment articulées à la transformation productive, et souvent découplées des dynamiques territoriales et démographiques profondes.

Ce texte propose une relecture critique des stratégies de croissance en Afrique à la lumière des dynamiques observées jusqu’en 2018, en s’interrogeant sur leur capacité à générer une véritable transformation structurelle. Il explore les conditions d’un basculement vers une trajectoire plus souveraine, plus résiliente, et plus soutenable, à travers huit axes d’analyse, chacun structuré autour d’une question fondatrice sur l’avenir économique du continent.

 

Les ressources naturelles peuvent-elles fonder un développement soutenable en Afrique ?

Les ressources naturelles constituent encore l’un des principaux moteurs de l’activité économique dans la majorité des pays africains. Elles représentent environ 70 % des exportations totales du continent et près de 28 % du PIB, concentrées dans les secteurs extractifs — pétrole, gaz, minerais métalliques, métaux précieux — qui alimentent directement les recettes publiques et les réserves de change. Cette forte intensité minérale de la croissance soulève une question essentielle : l’Afrique peut-elle bâtir un développement soutenable sur la base de sa rente naturelle ?

Le continent dispose d’un capital géologique exceptionnel, difficilement égalé à l’échelle mondiale :

  • Il concentre 40 % des réserves mondiales d’or, avec des pôles majeurs au Ghana, en Afrique du Sud et au Mali.
  • Il détient plus de 90 % des réserves mondiales de platine et de chrome, stratégiques pour l’industrie automobile et la catalyse.
  • La RDC fournit près de 70 % du cobalt mondial, un métal critique pour les batteries lithium-ion.
  • Le lithium (Zimbabwe, Mali, Namibie), le graphite (Mozambique), l’uranium (Namibie, Niger) et les terres rares (Angola, Tanzanie, Afrique du Sud) positionnent l’Afrique au cœur de la transition énergétique mondiale.
  • En matière d’énergie fossile, le continent détient 12 % des réserves prouvées de pétrole et 8 % de gaz naturel, concentrées au Nigéria, en Angola, en Algérie et au Mozambique.
  • Enfin, 65 % des terres arables non encore exploitées de la planète se trouvent en Afrique, ce qui confère au continent un avantage stratégique face à la crise alimentaire mondiale émergente.

Ce patrimoine minéral et écologique constitue un atout géoéconomique majeur dans un contexte où la demande mondiale en métaux critiques explose. L’Agence internationale de l’énergie estime que, d’ici 2040, les besoins mondiaux en cobalt, lithium et graphite seront multipliés respectivement par 20, 40 et 25, sous l’effet combiné de la transition énergétique, de l’électrification des mobilités et de la numérisation de l’économie.

Le modèle extractif africain reste essentiellement rentier, extraverti et faiblement transformateur. Les matières premières sont exportées à l’état brut, avec une intégration très limitée dans les chaînes de valeur locales. Les secteurs miniers et pétroliers ne créent que peu d’emplois — moins de 5 % de l’emploi formel dans la majorité des pays exportateurs — et n’induisent que faiblement de transfert technologique. Les infrastructures associées restent souvent enclavées et peu interconnectées avec les systèmes productifs nationaux.

La volatilité des prix internationaux renforce cette vulnérabilité structurelle. L’effondrement des cours du pétrole entre 2014 et 2016 continue, en 2018, de produire ses effets sur les soldes budgétaires, les niveaux d’endettement et la capacité de financement public dans plusieurs pays comme le Nigéria, l’Angola ou la Guinée équatoriale.

Dans ce contexte, la gouvernance des ressources devient une question cardinale. Le continent perd chaque année jusqu’à 195 milliards de dollars en flux financiers illicites, évasion fiscale et exploitation illégale. De nombreux contrats miniers sont renégociés ou revisités, dans un effort de sécurisation des recettes et de redéfinition du rapport entre les États et les multinationales extractives.

Mais des dynamiques positives émergent. Des pays adoptent des politiques locales de contenu, créent des fonds souverains pour lisser la rente dans le temps, et tentent d’orienter la ressource vers le financement des infrastructures, de l’éducation ou de la transition énergétique. Le développement de corridors miniers intégrés (infrastructures ferroviaires, zones industrielles, hubs logistiques) vise à articuler l’exploitation des ressources à une stratégie plus large de transformation structurelle.

Il ne s’agit plus de savoir si les ressources naturelles constituent une chance ou un risque, mais dans quelle mesure les institutions africaines sont capables de les convertir en leviers de souveraineté productive, de transformation industrielle et d’intégration régionale. La ressource, seule, ne fonde pas un développement. Elle devient un outil stratégique, si et seulement si elle s’inscrit dans une trajectoire d’investissement long terme, de structuration des filières et d’intelligence politique.

Pourquoi l’Afrique se désindustrialise-t-elle avant même d’avoir industrialisé ?

Alors que l’industrialisation constitue historiquement le socle de la transformation économique des pays émergents, l’Afrique semble suivre une trajectoire inverse. Le continent affiche une part de l’industrie manufacturière dans le PIB qui reste structurellement faible, oscillant autour de 10 %, contre 15 % à 20 % au moment des indépendances. Cette part recule même dans plusieurs sous-régions, alors même que le continent n’a pas encore atteint les seuils critiques de diversification et de montée en gamme observés ailleurs dans le monde en développement.

Ce phénomène, qualifié de désindustrialisation précoce (Rodrik, 2016), pose un problème structurel majeur. L’Afrique semble se spécialiser dans les services à faible productivité — souvent informels — sans être passée par une phase intermédiaire de consolidation industrielle. La base productive reste étroite, concentrée dans quelques filières (textile, ciment, agrotransformation, matériaux de construction), avec un tissu de PME peu dense, une spécialisation à faible contenu technologique, et une dépendance persistante aux intrants importés.

Les écarts régionaux sont significatifs :

  • En Afrique australe, l’industrie conserve une contribution relativement élevée au PIB (autour de 15–18 %), grâce à l’Afrique du Sud et à ses infrastructures industrielles historiques.
  • En Afrique de l’Est et de l’Ouest, cette part stagne entre 6 % et 10 %, malgré les efforts récents de réindustrialisation au Kenya, au Nigéria, au Ghana ou en Éthiopie.
  • L’Afrique centrale affiche une performance plus faible encore, tributaire des exportations de matières premières non transformées.

Plusieurs facteurs convergents expliquent cette désindustrialisation silencieuse :

  1. Manque d’infrastructures : l’électricité, le transport, la logistique portuaire, les télécommunications restent coûteux, instables ou inaccessibles, pénalisant la compétitivité des unités industrielles locales.
  2. Faible accès au financement de long terme : la faiblesse des marchés financiers, l’insuffisance des banques de développement et le manque de garanties empêchent le déploiement de stratégies industrielles intensives en capital.
  3. Insertion défavorable dans les chaînes de valeur mondiales : l’Afrique reste majoritairement en position de sous-traitance peu qualifiée ou d’exportateur de matières premières, sans capacité d’absorption technologique significative.
  4. Contraintes commerciales : la fragmentation des marchés régionaux, les barrières non tarifaires et l’insuffisance de coordination des politiques industrielles affaiblissent les perspectives de montée en échelle.

Ce déficit d’industrialisation a des implications profondes sur la productivité globale, la création d’emplois qualifiés, la capacité d’absorption de la main-d’œuvre urbaine croissante, et la résilience aux chocs externes. Dans une économie mondialisée, l’absence d’un tissu industriel robuste fragilise la souveraineté économique et technologique, accroît la dépendance aux importations manufacturières (estimées à plus de 500 milliards de dollars par an pour l’ensemble du continent) et limite la capacité de réponse aux crises systémiques.

Pourtant, des signaux émergents dessinent une volonté de rupture. Plusieurs pays adoptent ou réactualisent des stratégies industrielles nationales, investissent dans des zones économiques spéciales, et mobilisent les outils de politique industrielle — incitations fiscales, financement ciblé, partenariats public-privé, contenu local obligatoire — pour stimuler la production nationale.

Mais une politique industrielle cohérente ne peut être pensée sans une vision d’ensemble qui articule :

  • le renforcement des infrastructures régionales,
  • la structuration des chaînes de valeur continentales,
  • l’investissement dans les compétences industrielles (ingénierie, robotique, logistique),
  • et l’exploitation stratégique du marché commun africain, avec la ZLECAf comme catalyseur.

L’enjeu dépasse la simple création d’usines : il s’agit de reconstruire les fondations productives du développement africain, en articulant industrie, emploi, innovation et souveraineté. La désindustrialisation précoce n’est pas une fatalité. Elle peut être inversée par une reprogrammation stratégique ambitieuse, fondée sur un État développeur, des partenariats intelligents et une vision panafricaine de la transformation productive.

L’agriculture africaine peut-elle devenir un moteur de productivité et de souveraineté alimentaire ?

L’agriculture reste, en 2018, le principal secteur d’emploi en Afrique, représentant près de 60 % de la population active dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Pourtant, malgré cette centralité socio-économique, la productivité agricole africaine demeure structurellement faible : la production vivrière par habitant n’atteint que 56 % de la moyenne mondiale, selon la Banque africaine de développement. Ce déficit chronique de productivité, combiné à une forte croissance démographique, fait de la sécurité alimentaire un défi critique.

Historiquement, les gains de production sont majoritairement obtenus par l’expansion des superficies cultivées, plutôt que par l’intensification productive. Mais cette stratégie extensive atteint ses limites face à la pression foncière, à la dégradation des sols et à la fragmentation des exploitations rurales. Dans de nombreux contextes, la taille moyenne des exploitations est en baisse continue, tandis que les populations rurales sont repoussées vers des terres plus marginales et plus vulnérables aux chocs climatiques.

L’Afrique possède pourtant 65 % des terres arables non exploitées de la planète, ainsi qu’un potentiel hydraulique encore sous-utilisé, avec à peine 6 % des terres irriguées, contre plus de 35 % en Asie du Sud-Est. Ces indicateurs révèlent un paradoxe productif : une abondance de ressources naturelles agricoles, mais une faible conversion en valeur économique et sociale.

Plusieurs facteurs structurels expliquent ce blocage :

  • Manque d’accès aux intrants modernes (semences améliorées, engrais, irrigation),
  • Faible mécanisation : en moyenne, moins de 13 tracteurs pour 10 000 hectares cultivés (contre plus de 200 en Inde),
  • Insuffisance des infrastructures rurales (routes, stockage, marchés),
  • Accès limité au crédit agricole et à l’assurance climatique,
  • Déficit de structuration des filières et des circuits de distribution.

Les conséquences sont lourdes. L’Afrique, bien que dotée d’un potentiel agroécologique exceptionnel, importe plus de 60 milliards de dollars de denrées alimentaires par an, principalement des céréales, des produits laitiers et des huiles. La facture alimentaire ne cesse de croître, accentuant les déséquilibres extérieurs. Par ailleurs, près de 20 % de la population est sous-alimentée, avec des poches aiguës d’insécurité nutritionnelle dans des zones touchées par les conflits, la sécheresse ou la mauvaise gouvernance.

Pourtant, des dynamiques positives émergent. Des pays comme le Maroc, l’Éthiopie, le Rwanda ou le Nigeria expérimentent des stratégies agricoles intégrées : subventions ciblées, développement de filières agro-industrielles, réforme foncière, plateformes logistiques régionales. L’investissement privé dans l’agriculture contractuelle, les chaînes de valeur horticoles, ou les technologies climato-intelligentes ouvre également de nouvelles perspectives.

À moyen terme, l’agriculture peut devenir un moteur de transformation structurelle, à condition d’être articulée à une vision industrielle (agro-industrie, biotechnologie, agroéquipements), technologique (numérisation des services agricoles, collecte de données), et territoriale (désenclavement, aménagement des bassins de production).

Il ne s’agit plus seulement de nourrir les populations, mais de transformer l’agriculture en un secteur de croissance, d’innovation et d’emplois qualifiés, capable de résorber le sous-emploi rural et de contribuer à la souveraineté alimentaire du continent. En ce sens, la révolution agricole africaine n’est pas un retour à la terre, mais une conquête technologique, organisationnelle et politique du système alimentaire.

Urbanisation sans base productive : vers une fracture territoriale durable en Afrique ?

L’Afrique connaît l’un des processus d’urbanisation les plus rapides au monde. En 2000, environ 35 % de la population vivait en milieu urbain ; cette part dépasse 43 % en 2018 et devrait atteindre plus de 50 % d’ici 2035, selon les projections de la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Chaque année, ce sont plus de 20 millions de nouveaux citadins qui s’ajoutent au tissu urbain africain, créant une pression considérable sur les infrastructures, les services publics et les marchés de l’emploi.

Mais cette urbanisation fulgurante ne s’appuie pas sur une base productive consolidée. Contrairement aux trajectoires historiques des pays industrialisés ou émergents, où l’urbanisation est portée par l’industrialisation ou par une révolution agricole préalable, la dynamique urbaine africaine est décorrélée de la transformation structurelle. Elle se nourrit principalement :

  • de la rente issue des ressources naturelles (qui stimule la consommation urbaine mais peu la production),
  • de la croissance démographique naturelle,
  • et des migrations internes induites par le déclin rural, les conflits, ou les chocs climatiques.

Ce phénomène engendre une urbanisation sans industrialisation, marquée par :

  • une prédominance de l’économie informelle (jusqu’à 80–90 % de l’emploi urbain dans certaines métropoles),
  • une polarisation extrême entre centres dynamiques et périphéries précaires,
  • un accès inégal aux services essentiels (eau, électricité, transport, assainissement),
  • et une absence de structuration des espaces productifs urbains (zones industrielles, hubs logistiques, infrastructures numériques).

La multiplication de villes de taille moyenne n’implique pas nécessairement un développement inclusif. Plusieurs études montrent que les villes africaines restent plus chères et moins productives que leurs homologues asiatiques ou latino-américaines, en raison de coûts logistiques élevés, d’un manque de connectivité régionale, et d’une informalisation croissante des chaînes de valeur.

Pourtant, l’urbanisation offre aussi des opportunités. Elle peut catalyser l’investissement, la consommation, l’innovation sociale et technologique, et l’émergence d’une classe moyenne. À condition toutefois de repenser la fonction économique des villes. Cela suppose :

  • d’articuler urbanisation et stratégie industrielle (zones économiques, corridors urbains),
  • de planifier l’expansion urbaine avec une approche polycentrique, inclusive et résiliente,
  • de mobiliser des financements durables pour les infrastructures, notamment par la fiscalité foncière et la titrisation de l’investissement local,
  • et de connecter les villes aux espaces ruraux dans une logique d’intégration territoriale.

L’urbanisation ne doit plus être vue comme un problème à gérer, mais comme un levier de transformation économique. Si elle reste chaotique et non adossée à une base productive, elle risque d’accroître les inégalités spatiales, d’alimenter les tensions sociales et de renforcer les vulnérabilités structurelles. Mais si elle est intégrée à un projet de développement économique structurant, elle peut devenir un moteur d’innovation, de création d’emplois et de diversification.

Comment convertir le dividende démographique africain en dynamique inclusive d’emploi ?

L’Afrique détient aujourd’hui l’une des populations les plus jeunes et les plus dynamiques au monde. Près de 60 % des Africains ont moins de 25 ans, et la tranche d’âge des 15–24 ans représente déjà plus d’un tiers de la population active. Selon les projections démographiques, l’Afrique comptera près de 1 milliard de personnes en âge de travailler d’ici 2030, faisant du continent l’épicentre potentiel du dividende démographique mondial.

Mais ce dividende reste largement théorique tant qu’il n’est pas encadré par des politiques économiques et sociales cohérentes. Le chômage et le sous-emploi des jeunes atteignent des niveaux préoccupants : environ 13,4 % des jeunes actifs sont sans emploi, et près de 63 % sont classés comme travailleurs pauvres, c’est-à-dire gagnant moins de 3,20 USD par jour. Ces chiffres traduisent une inadéquation structurelle entre la croissance de l’offre de travail et la création d’emplois décents.

La transition démographique africaine diffère radicalement de celle qu’ont connue les pays asiatiques ou latino-américains. En l’absence d’un tissu industriel dense et de services modernes formels, la majorité des jeunes se retrouvent cantonnés dans l’économie informelle, souvent sans protection sociale, ni perspectives de mobilité ascendante.

Plusieurs défis systémiques limitent la conversion du dividende en dynamique économique :

  • Faible création d’emplois formels : la croissance reste peu intensive en emploi (notamment dans les secteurs miniers, financiers ou extractifs).

  • Manque d’adéquation formation-emploi : les systèmes éducatifs produisent des diplômés mal adaptés aux besoins du marché.

  • Déficit de politiques d’apprentissage structuré : les systèmes d’enseignement technique et de formation professionnelle peinent à se déployer à l’échelle continentale.

  • Accès limité à l’entrepreneuriat : malgré un fort dynamisme, les jeunes entrepreneurs font face à d’importants obstacles d’accès au crédit, à l’encadrement et aux marchés.

Pour autant, le potentiel est immense. Le dynamisme entrepreneurial des jeunes Africains — visible dans les technologies, l’agrobusiness, les services logistiques, les industries culturelles — peut devenir un vecteur de transformation. Des plateformes d’innovation (hubs technologiques, incubateurs, fab labs) émergent dans plusieurs villes du continent, témoignant d’une volonté de rupture générationnelle.

La clé réside dans la mise en place d’une stratégie intégrée autour de trois piliers :

  1. Investir massivement dans le capital humain : éducation, formation, santé reproductive, et compétences transversales (numérique, soft skills, langues).

  2. Structurer des filières d’emplois productifs dans l’industrie légère, l’agriculture commerciale, l’économie numérique, les infrastructures vertes.

  3. Créer un écosystème inclusif pour l’emploi des jeunes, associant États, secteur privé, collectivités territoriales et bailleurs, avec des outils innovants : financements mixtes, garanties, fonds de microcapital-risque, politiques fiscales ciblées.

Le dividende démographique n’est pas automatique. Il ne se réalise que si le rythme de création d’emplois dépasse celui de l’accroissement de la population active, et si les jeunes sont intégrés dans un cycle vertueux de production, d’apprentissage et d’innovation. Dans le cas contraire, il devient un dividende différé ou, pire, un facteur de fragmentation sociale.

La transformation structurelle en Afrique : transition inévitable ou mirage stratégique ?

La notion de transformation structurelle occupe une place centrale dans les discours économiques africains contemporains. Elle désigne le processus par lequel une économie évolue d’une dépendance aux activités primaires de faible productivité vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée — notamment l’industrie, les services modernes, et une agriculture mécanisée. Sur le papier, cette trajectoire est à la fois souhaitée et nécessaire. Dans les faits, elle demeure partielle, fragmentée et souvent retardée.

Les indicateurs macroéconomiques révèlent une dynamique paradoxale : alors que plusieurs pays enregistrent des taux de croissance relativement robustes, cette croissance s’accompagne d’une spécialisation persistante dans les produits de base, d’une faible diversification des exportations, et d’une économie informelle surdominante. L’emploi se concentre dans les secteurs les moins productifs (agriculture de subsistance, petits services), tandis que les secteurs manufacturiers stagnent ou reculent en proportion du PIB.

Plusieurs facteurs bloquent l’amorçage d’une véritable transition :

  • L’absence de politiques industrielles coordonnées, souvent remplacées par des cadres stratégiques généraux peu opérationnels.

  • La faible mobilisation du financement domestique au service de la transformation productive (taux d’investissement moyen autour de 20 % du PIB, très en dessous des standards asiatiques à leur période de décollage).

  • Le coût du capital, trop élevé pour les industriels locaux, en raison de la faible profondeur des marchés financiers.

  • Le découplage entre investissement public et création de capacités productives, de sorte que les infrastructures n’entraînent pas automatiquement de dynamique industrielle.

Les pays africains lancent néanmoins plusieurs initiatives structurantes : zones économiques spéciales, plans de transformation agricole, politiques de contenu local dans les secteurs extractifs, promotion de clusters industriels, stratégies d’économie numérique. Mais ces efforts restent souvent isolés, sous-financés ou dépendants de partenaires externes.

Sur le plan régional, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) représente un levier stratégique pour briser l’enclavement des économies et stimuler l’émergence de chaînes de valeur régionales. Mais son potentiel transformateur repose sur une condition clé : l’existence d’une offre productive compétitive, capable de répondre à une demande continentale croissante. Or, cette base industrielle reste, à ce stade, insuffisante dans la majorité des pays.

L’autre défi structurel est celui du découplage ressources/croissance. L’Afrique ne peut pas engager un processus de transformation structurelle en reproduisant les logiques extractivistes du passé. Elle doit construire une transition fondée sur une valorisation durable des ressources, à travers des filières circulaires, une montée en gamme industrielle, et une réduction de l’intensité matérielle de la croissance. Cela implique de concevoir une transformation structurelle écologiquement soutenable, reposant sur l’innovation, l’efficience énergétique, et l’industrialisation verte.

Ainsi, la transformation structurelle ne peut être pensée comme un simple ajustement sectoriel ou un transfert mécanique d’activités. Elle suppose une reconfiguration complète du modèle de développement, articulant réforme foncière, politique industrielle, révision des cadres fiscaux et douaniers, et investissement dans les capacités institutionnelles. Elle requiert un État stratège, des coalitions sociales fortes et une vision de long terme.

L’Afrique est donc à la croisée des chemins : ou bien elle enclenche une transformation structurelle maîtrisée, inclusive et souveraine, ou bien elle risque de s’enfermer dans un modèle de croissance peu productif, vulnérable, et socialement instable.

Quelle souveraineté économique pour l’Afrique face aux limites du modèle rentier ?

Les trajectoires économiques africaines de ces deux dernières décennies mettent en lumière les limites structurelles d’un modèle fondé sur la croissance extensive, la rente naturelle et l’intégration commerciale inégalitaire. Si des progrès ont été réalisés — en matière d’infrastructures, d’initiatives régionales, de gouvernance macroéconomique — la transformation productive reste inachevée, la création d’emplois insuffisante, et les bases de la souveraineté économique encore fragiles.

Le continent se trouve aujourd’hui confronté à une série d’injonctions stratégiques :

  • Assurer une croissance forte et inclusive, capable d’absorber une population active en expansion rapide ;
  • Accélérer la diversification économique, pour sortir du piège de la spécialisation extractive ;
  • Maîtriser les chaînes de valeur pour transformer localement ses ressources ;
  • Réduire la dépendance aux chocs extérieurs, qu’ils soient liés aux prix des matières premières, à l’endettement ou aux crises climatiques ;
  • Et surtout, réinscrire les économies nationales dans des trajectoires de souveraineté, tant financière que technologique, productive et alimentaire.

Cette souveraineté ne peut être entendue comme un repli. Elle désigne plutôt la capacité des États et des sociétés africaines à orienter leurs trajectoires de développement, à maîtriser les leviers fondamentaux de production et de redistribution, et à protéger leurs intérêts stratégiques dans un monde caractérisé par la fragmentation géoéconomique et l’intensification des rivalités globales.

Concrètement, cela suppose :

  • La refondation de la fiscalité pour mobiliser les ressources domestiques, réduire les dépendances budgétaires et financer les priorités publiques sans surendettement.
  • La consolidation d’un appareil productif souverain, via l’industrialisation, l’agriculture stratégique, les services numériques, et l’innovation technologique locale.
  • L’ancrage d’un capital humain de qualité, par l’investissement massif dans l’éducation, la santé, et la formation professionnelle.
  • La régulation des marchés, pour favoriser l’émergence d’un secteur privé productif, compétitif et ancré dans le tissu local.
  • La coopération régionale, non plus seulement comme un idéal diplomatique, mais comme un levier opérationnel pour la mutualisation des politiques industrielles, des infrastructures, et de la défense économique collective.

La souveraineté économique africaine se construira à la croisée d’un État stratège, d’institutions renforcées, de coalitions entrepreneuriales endogènes et d’une jeunesse mobilisée. Elle ne pourra se réaliser sans une rupture assumée avec la logique rentière, extractiviste et désarticulée héritée de l’histoire coloniale et des ajustements structurels.

Il ne s’agit plus simplement d’adapter l’Afrique à la mondialisation, mais de refonder un modèle de développement propre, contextualisé, résilient, et capable de répondre aux aspirations profondes des populations : emploi, dignité, autonomie.

La question n’est donc pas de savoir si le continent peut croître, mais dans quelles conditions il peut croître de manière souveraine, transformante et soutenable. Ce défi est immense, mais il est aussi porteur d’un horizon de possibilité unique dans l’histoire économique contemporaine.

De la croissance à la transformation : l’Afrique face à son rendez-vous historique

L’Afrique se trouve à un moment charnière de son histoire économique. Jamais le continent n’a disposé d’un tel potentiel de levier : ressources naturelles critiques pour la transition énergétique mondiale, jeunesse démographique inédite, urbanisation rapide, marchés régionaux en construction. Et pourtant, jamais le risque d’enlisement dans un modèle désarticulé, fragile et dépendant n’a été aussi réel.

La croissance ne suffit plus. Elle doit se doubler d’une transformation structurelle profonde, qui implique de repenser les moteurs du développement : industrialiser, moderniser l’agriculture, valoriser les ressources localement, investir dans le capital humain, et intégrer les économies à l’échelle régionale. Cette transformation suppose des ruptures : avec la rente, avec les modèles importés, avec les dépendances financières, mais aussi avec les inerties institutionnelles internes.

Le défi africain n’est pas seulement économique. Il est politique, intellectuel et stratégique. Il concerne la capacité des États, des sociétés civiles, des entrepreneurs et des jeunes générations à définir un projet commun de développement fondé sur la souveraineté économique, la justice sociale et l’intelligence écologique.

Plus qu’un changement de rythme, c’est un changement de direction qui s’impose. Non pas pour imiter, mais pour innover à partir de l’histoire, des ressources et des aspirations propres au continent.

Bibliographie

Par Omar Ibn Abdillah

Former pour l’emploi en Afrique

Les rideaux sont tombés le weekend dernier sur les 53èmeassemblées annuelles de la BAD réunies autour du terme, « Accélérer l’industrialisation de Afrique ». En marge de cette rencontre, le Président de la Banque a indiqué que les universités africaines forment pour les métiers du passé, alors même qu’elles devraient former pour le futur, avant de les enjoindre de revoir leurs programmes. Il revient très souvent dans les débats que la formation en Afrique est déconnectée d’avec les mêmes besoins du marché auxquels elle est supposée répondre. Mieux, la structuration de la formation appelle souvent l’interrogation sur le modèle de développement adéquat sur le continent. Le Président de la Banque Mondiale rappelle dans ce sens que le meilleur investissement qui pourrait réorienter la marche du continent vers le progrès est sans nul doute l’éducation. L’Afrique des idées offre une relecture de la formation et de l’éducation en Afrique lors de sa conférence annuelle le 9 juin 2018 à l’Université Paris Dauphine. Notre Think Tank saisit l’occasion de la sortie d’un rapport [dans lequel il livre ses analyses et fait des propositions] dédié à la réforme de la formation professionnelle pour ouvrir des échanges et réflexions entre les jeunes, les leaders et décideurs de la formation professionnelle venus d’Afrique, les recruteurs, les experts internationaux de la formation professionnelle dans le but d’émuler un changement de paradigme dans la formation professionnelle sur le continent.

Si le chômage, quoique inexactement mesuré encore dans nombre de pays du continent, étrangle l’économie et réduit les perspectives pour les jeunes, notre rapport sur l’éducation pour l’employabilité des jeunes examine le champ des possibles. Il s’appuie sur (1) le dividende démographique et la jeunesse de la population du continent, (2) les transformations des modèles de formation professionnelle et de financement avec un rôle de plus en plus important pour le secteur  privé, et (3) la digitalisation du secteur et de l’économie en général.

Parce que la croissance économique dans nombre de pays du continent ne génère pas assez d’emplois[1]et que les filets de sécurité sont quasi-inexistants, la jeunesse sans emplois ou sous-employée, connait des frustrations et éventre à mains nues la froide violence de la Mer en marche vers l’Europe. Ils ont été quelques 630 000 entre 2011 et 2016 à tenter le périlleux trajet[2]. Les activités illicites, la contestation et la violence complètent le tableau. Par exemple,  59% des cybercriminels sont sans emplois et sont jeunes (19-39 ans)[3]et la persistance des conflits armés constitue une des illustrations de l’enrôlement des jeunes dans la violence[4]. En Afrique, l’emploi jeune est surtout vulnérable et nul doute que l’emploi vulnérable rend l’économie tout autant vulnérable. Plus de 19% des sans emplois dans le monde se retrouvent en Afrique. Il faut tout de même signaler que la réalité du chômage cache des nuances régionales ou même par pays. Les pays de l’Afrique Australe rapportent des taux de chômage élevés [peut-être parce que la collecte des données y est plus systématique ou structurée] que les autres parties du continent.

Malgré une structure démographique qui suppose un jet d’énergies alimenté par sa jeunesse, l’Afrique est loin de tirer parti de son potentiel en capital humain [en moyenne capturé à 55% contre 65% dans le monde selon l’indice du capital humain du WEF[5]] et reste inadéquatement préparée au changement brusque dans les emplois et les compétences qu’apporte la 4èmerévolution industrielle. Nos analyses indiquent que revisiter les curricula, réorienter les ressources vers la formation tirée par les secteurs à forte croissance (agrobusiness, santé, BTP, le numérique) et réinventer des partenariats nouveaux qui mettent le secteur privé au cœur de la formation professionnelle doivent être au nombre des réformes. Ces réformes devront intégrer le rôle de l’informel dans la formation [80% des jeunes en formation professionnelle le sont dans l’informel] et les emplois. Le financement déjà insuffisant du secteur repose encore essentiellement sur le secteur public. Il est de l’ordre de 2-6% des dépenses publiques en éducation[6]. Deux options complémentaires sont possibles. Premierement, il s’agira de réorienter et d’accroitre l’efficience des dépenses publiques vers les TVET[7]et les STEM[8] sachant que seulement 1% de formation supérieure est en ingénierie. Deuxiement, il faudra inventer de partenariats nouveaux qui couplent  financement du privé, plans de formation et de carrière basés sur les besoins du marché du travail.  La main d’œuvre non qualifiée est citée comme contrainte par 40% des employeurs sur le continent. On peut aussi explorer la titrisation des prêts éducation, apporter une souplesse et des formes de formation en alternance ou des stages le long de la constitution des compétences. Les modèles ayant marché au Singapour, en Allemagne et en Finlande sont aptes à un essai contextualisé. L’Afrique peut aussi apprendre d’elle-même, avec quelques champions comme le Rwanda, l’Éthiopie et le Ghana.

Puisque le futur est digital, l’automation du travail prédite pour atteindre 41%, 46% et 52% respectivement en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya pourrait soumettre l’emploi à des bouleversements importants. Les institutions de formation doivent exercer l’anticipation et la proactivité. Bien entendu des nuances non négligeables entre pays existent, mais la digitalisation de l’emploi sera réelle. A elle toute seule, la digitalisation suggère que les modèles de formation de l’Afrique devront se reposer sur les habiletés numériques, les STEM, les soft skills, l’intelligence émotionnelle et l’analyse critique. Aussi confirme-t-elle que l’industrialisation du continent est une histoire à écrire et que les modèles classiques ne seront pas la baguette magique.

[1]Selon une étude de la Banque Africaine de Développement, chaque point de croissance génère seulement 0,41 point de croissance des emplois.

[2]Rapport OIM (2017)

[3]Trend Micro (2016) et Symantec (2016)

[4]Wim Naudé (2008)

[5]World Economic Forum (2017). The future of Jobs and Skills in Africa: Preparing the Region for the Fourth Industrial Revolution

[6]OECD/AfDB (2008)

[7]Technical and Vocational Education and Training

[8]Science, Technology, Engineering and Maths

L’accord de Zone de Libre-Echange Continentale

La naissance de la zone de libre échange continentale (ZLEC), dont l’accord a été signé en grande pompe le 21 mars au sommet de l’Union Africaine (UA) à Kigali, s’inscrit dans une trajectoire linéaire. Dans les années suivant les indépendances, le panafricanisme avait le vent en poupe, favorisant une velléité d’initiatives intergouvernementales de coopération économique multisectorielle et d’initiatives bilatérales ou multinationales mono-sectorielles. Le traité d’Abuja, en 1994, en prévoyant la Communauté Économique Africaine (CEA) d’ici 2027, pose les jalons de l’intégration continentale avec une monnaie commune, une mobilité des facteurs de production et la libre circulation des biens et des services. Le traité ouvre aussi la voie à la mise en place de Communautés Economiques Régionales (CER). Depuis lors, quatorze CER ont été créées[1], avec des états d’avancement assez hétérogènes. En 2012, est adoptée au sommet d’Addis Abeba une feuille de route pour l’intégration continentale dans laquelle la ZLEC prend pleinement place : une zone économique tripartite entre 26 pays en 2017 (zone de libre échange tripartite ou ZLET), un marché commun en 2023 et, à terme, une Communauté Economique Africaine.

Étape clé de ce processus, la ZLEC porte cinq objectifs majeurs : disposer d’une force de négociation renforcée auprès des partenaires extérieurs au continent, ce qui repose sur une diplomatie commune et non pas parcellaire et bilatérale, faisant le jeu des pays extérieurs ; promouvoir un commerce intrarégional en supprimant les barrières tarifaires et non tarifaires, en visant une hausse de 60% d’ici 2022[2] ; appuyer le développement régional par un effort de diversification et d’industrialisation soutenu, basé sur une complémentarité renforcée des secteurs et des infrastructures, et assis sur un marché potentiel de 1,2 milliard de personnes, pour un PIB cumulé de plus de 2 500 milliards de dollars ; supprimer les obstacles à la libre circulation des facteurs de production pour gagner en compétitivité ; s’acheminer vers une coopération et, in fine, une stabilité monétaire.

Après la signature de l’accord réunissant quarante-quatre pays en mars 2018[3], d’autres étapes sont prévues pour que la ZLEC entre pleinement en vigueur. D’une part, 50% minimum des pays membres de l’UA devront ratifier l’accord dans un délai d’un an. D’autre part, il s’agira de régler des points de la première et de la deuxième phase concernant l’investissement, la politique de la concurrence et la propriété intellectuelle.

Cependant, la signature de l’accord est loin d’être gage de sa viabilité et de son effectivité. Ces dernières peuvent être évaluées à la lumière du cadre de réflexion et d’élaboration de la ZLEC. En effet, la ZLEC se fonde sur une démarche de construction par blocs. Elle entend capitaliser sur les acquis des différentes CER existantes et les consolider afin, à terme, d’arriver à un niveau égal sinon supérieur de libéralisation et d’intégration à l’échelle continentale.

Or, en dépit de cette logique de bon sens, de nombreux écueils existent. Tout d’abord, les bases de la ZLEC, les CER, sont fragiles. S’il est bon de rappeler certaines réussites –  par exemple, dans le domaine énergétique, le Southern African Power Pool, un système hydroélectrique partagé entre douze pays d’Afrique de l’Est – beaucoup de CER présentent de nombreux défauts. Le premier est leur nombre, puisqu’il existe plus d’organisations régionales en Afrique qu’ailleurs, avec de nombreuses juxtapositions – seuls huit pays sur cinquante-quatre n’appartiennent qu’à une seule organisation. Ces difficultés risquent fort de se retrouver dans la ZLEC, avec des enjeux complexes de chevauchement et de tensions lors de négociations entre les pays. D’autre part, le grand nombre de pays au sein de la ZLEC peut être une source de conflit. L’hétérogénéité des membres – petits et grands pays, pays enclavés et pays côtiers, pays aux niveaux de développement variés, ethnies et langues représentées – implique une plus grande difficulté à trouver un consensus et des coûts politiques en matière de fourniture de biens publics plus élevés.

En outre, pour les détracteurs de l’accord, l’aspect matériel est un facteur critique. L’état des infrastructures en Afrique, avec des niveaux de développement hétérogènes mais globalement faibles, constitue un sérieux frein à la mise en œuvre de l’accord de libre-échange.  De plus, il est opportun de se demander, en faisant le bilan en demi-teinte des acquis et bénéfices de l’intégration régionale africaine, si le coût du processus n’a pas finalement absorbé ses avantages. Enfin, les vœux de transformation et de diversification économique nourris par l’accord pourraient s’avérer pieux en raison d’un manque de complémentarité économique et commerciale entre les pays membres.

Dès lors, l’enthousiasme des signataires enjoint de rappeler les facteurs clés de succès pour la ZLEC. Premièrement, la mise en œuvre doit concilier cohésion continentale et adaptation nationale. Ainsi, sur l’exemple réussi de la Communauté d’Afrique de l’Est, la ZLEC a tout intérêt à nommer une agence par pays membre chargée de coordonner l’effectivité de la ZLEC sur son territoire. Deuxièmement, afin de forcer la main sur le terrain des plus récalcitrants, car c’est bien là que tout se jouera, un système de sanctions et d’incitatifs adaptés doit être établi. La responsabilisation des acteurs, à différents échelons, est à renforcer, pour que tout un chacun comprenne, s’approprie et mette en œuvre le changement induit par un tel accord panafricain. Troisièmement, le cadre institutionnel doit être souple et simple. Si le cadre des CER sert de base, il représente aussi un enchevêtrement juridique et commercial susceptible d’embourber la ZLEC. C’est pourquoi, à terme, la mise en place d’un cadre épuré est à souhaiter. Quatrièmement, l’intégration continentale portée par la ZLEC a beaucoup à apprendre des manquements du modèle européen. Souvent dépeint comme éloignée et obscure pour les citoyens, la construction européenne souligne a contrario la nécessité de rendre accessible et compréhensible une telle structure à ceux qu’elle entend servir in fine. Enfin, tout comme le marché commun est un aspect parmi d’autres mais dont la pertinence est indissociable d’autres politiques économiques, la ZLEC doit aller de concert avec la mise en place de politiques ambitieuses et pragmatiques, sur la base du plan BIAT (Boosting Intra African Trade) de l’UA.

Outre l’effectivité, l’inclusivité et la pérennité sont deux enjeux critiques pour la ZLEC ; l’ultime ambition de l’Union Africaine pour la ZLEC étant son accomplissement en CEA. De nombreux analystes mettent en garde contre les risques qu’un tel accord fait peser sur les pays les plus faibles et les populations fragiles. En effet, la loi du plus fort étant hélas bien souvent la meilleure, les intérêts des pays les plus puissants risquent de prévaloir, au détriment de pays moins richement dotés. Ainsi, le coût de l’intégration à une union douanière au sein d’une organisation à géométrie variable sera élevé pour des petits pays. C’est pourquoi des mesures d’accompagnement sont primordiales pour accompagner et assurer la mise en œuvre de l’accord. Pour les économies les moins diversifiées, l’argument de l’industrialisation et des bénéfices du libre-échange n’apparait guère convaincant. Faire compétir sur un même marché le Maroc, dont 75% de ses exportations est composé de plus de 80 lignes de produits, contre le Tchad, pour qui le seul pétrole totalise plus de ce même taux (82,36%)[4], se révèle être un match bien inégal.

En outre, la ZLEC ne sera pas sans répercussion sur le commerce informel africain, segment primordial des économies du continent. Des mesures d’accompagnement sont donc bienvenues, pour ne pas bouleverser brutalement ces systèmes et/ou risquer l’échec de la ZLEC si les mesures sont contournées. De même, les règles induites par la mise en place d’un marché économique commun, telles que les règles d’origine et phytosanitaires ne vont pas sans péril et sans coût pour les petits exploitants agricoles, qui représentent pourtant plus de 60% des emplois en Afrique subsaharienne[5]. La mise aux normes implique donc des aides et des formations pour s’adapter et se conformer à ce nouveau cadre.

En conclusion, s’il est bon de sourire devant les photos de poignées de mains satisfaites de nos présidents, il est tout autant souhaitable de ne pas se réjouir trop vite, le plus dur restant à faire. 

[1] L’Afrique compte 14 CERs. Mais seuls huit ont été officiellement reconnus par l’Union africaine : la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la Communauté de Développement de l’Afrique du Sud-est (SADC) ; la Communauté Economique de l’Afrique Centrale (CEEAC) ; l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ; la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ; le Marché Commun de l’Afrique du Sud-est (COMESA) ; la Communauté Economique des Etats Sahélo-Sahariens (CENSAD) et l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD).

[2] Le commerce intrarégional étant aujourd’hui de 16%.

[3] Parmi les non-signataires, on compte notamment le Nigéria, le Bénin, l’Érythrée, le Burundi, la Namibie et la Sierra Leone.

[4] Atlas.cid.harvard.edu

[5] Rapport de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) – Septembre 2017

Quelles conséquences de l’adoption des normes de liquidité de Bale III en Afrique ?

Du troisième trimestre de l’an 2007 au deuxième trimestre de l’an 2009, le monde était frappé par une des plus sévères crises économiques de son histoire, après la crise de production de 1929.  Cette crise a mis à jour plusieurs défaillances dans la gestion des liquidités des banques[1]. Ainsi, afin de renforcer et assurer un système financier sain, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) a établi en 2010, dans le cadre des accords de Bâle III, deux standards de liquidité à savoir : le ratio de liquidité à court terme (LCR) et le ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR). Ces ratios sont entrés en vigueur graduellement depuis 2015 et seront entièrement appliqués en 2018 pour le ratio structurel de liquidité, et en 2019 pour le ratio de liquidité à court terme. En revanche, la plupart des pays africains n’ont pas encore adopté ces normes de liquidité. Par exemple, selon un rapport de l’agence Finafrique réalisé en 2015, les pays de l’UEMOA et de la CEMAC sont encore en migration vers le Bâle II pendant que le Nigeria est aux normes du Bâle II. Ces pays aspirent néanmoins à l’application du Bâle III. Quel pourra être l’impact de ces normes de liquidité sur les économies des pays africains ?

Le ratio de liquidité à court terme (LCR)

Le ratio de liquidité à court terme a pour but de permettre aux banques de posséder des actifs liquides de haute qualité pour résister à une crise de liquidité idiosyncratique ou systémique[2] sur un mois. Pour le calculer, le stock d’actifs liquides de haute qualité est divisé par les sorties nettes au cours des 30 prochains jours calendaires. Les actifs hautement liquides correspondent aux actifs de niveau 1 (cash, réserves au niveau de la banque centrale…) et de niveau 2 (les obligations sécurisées notées AA- ou plus et les actifs avec 20% de pondération au risque).

Le ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR)

Le ratio structurel de liquidité à long terme est un ratio permettant aux banques de faire face au risque de liquidité sur le long terme. Il est calculé en divisant le montant du financement stable disponible par le montant du financement stable exigé. Il peut alors être défini comme la proportion d’actifs à long terme[3] financés par un financement à long terme ou stable[4]. Le financement stable disponible concerne la part du capital et du passif dont l’échéance est supérieure à un an. Le financement stable requis correspond aux différents actifs détenus par la banque concernée, y compris ceux de son exposition hors bilan[5]. Par conséquent, avec le ratio structurel de liquidité à long terme, les régulateurs veulent inciter les banques à maintenir un profil de financement stable par rapport à la composition de leurs actifs et de leurs activités hors bilan. Le ratio structurel de liquidité à long terme oblige ainsi les banques à utiliser des sources de financement stables dans l’optique de réduire la probabilité de perturbation des sources de liquidités régulières de la banque, ce qui est censé réduire la probabilité de faillite.

Il vise également à réduire le recours excessif au financement de gros à court terme[6]. Les banques peuvent en effet être incitées à élargir leurs bilans très rapidement. Pour cela, elles peuvent s’appuyer sur un financement de gros à court terme bon marché. Et pourtant, une augmentation rapide de la taille du bilan peut affaiblir leur capacité à répondre aux chocs de liquidité.

Les limites de la règlementation de la liquidité du Bâle III 

Même si les nouvelles réglementations du cadre de Bâle III semblent permettre d’éliminer une bonne partie du risque de liquidité bancaire et constituent un progrès considérable dans la gestion du risque de liquidité, leur application peut générer de nouveaux problèmes. En effet, le ratio de liquidité à court terme accorde de l’importance aux actifs non risqués comme les obligations d’État. Ainsi afin de satisfaire cette exigence règlementaire, les banques pourraient préférer prêter aux gouvernements et être moins incitées à prêter aux investisseurs. Cela réduira l’investissement privé. Cette baisse de l’investissement privé peut engendrer le ralentissement de l’activité économique si elle n’est pas compensée par l’accroissement de l’investissement public effectué grâce aux prêts bancaires. En outre, nous avons tous été témoins de la crise de la dette souveraine en 2011 dans la zone euro. Cette crise a montré que le risque de défaut d’un État peut exister et donc les obligations d’État peuvent être risquées et illiquides.

Le ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR) présente également ses failles. La principale limite de ce ratio est en effet, qu’il va à l’encontre d’une des principales fonctions intrinsèques aux banques : la transformation de maturité. Les banques transforment les fonds à court terme tels que les dépôts d’épargne en emprunts à long terme comme les hypothèques. Ainsi, dans un objectif de réduire l’asymétrie de maturité tout en exigeant des banques qu’elles financent une bonne partie des actifs à long terme avec des fonds stables, le ratio structurel de liquidité à long terme pourrait pousser les banques à offrir moins de crédit et à une allocation des ressources non optimale. D’une part, une allocation de ressources peu efficiente impactera négativement la performance des banques et d’autre part le rétrécissement de l’activité de crédit entrainerait le ralentissement de l’activité économique.

Règlementation du risque de liquidité du Bâle III : danger ou solution pour l’Afrique ?

Les banques sont aussi connues pour être le poumon des économies. Elles financent les économies essentiellement par leurs prêts qu’elles octroient aux agents économiques. Elles rationnent les prêts et fixent la rémunération de ces prêts (taux d’intérêt débiteur) selon le profil de risque des potentiels emprunteurs. La rémunération des prêts constitue la prime du risque pris par la banque. Ainsi, plus le risque est important, plus le taux d’intérêt sera élevé. Les banques octroient également les crédits en fonction de l’environnement économique. Elles seront plus incitées à produire des prêts à des taux relativement faibles lorsqu’elles ont confiance en l’environnement économique.

De façon générale en Afrique, les banques font face à des potentiels emprunteurs assez risqués du fait de l’opacité de ceux-ci. Cette opacité est soutenue par le poids non-négligeable de secteur informel (25 % à 65 % du PIB selon le FMI). Le manque d’information sur les demandeurs de prêts constitue un élément essentiel qui réduit l’activité de prêts des banques et surtout qui exige des taux d’intérêt élevés. En plus, il n’existe pas d’importantes structures pouvant augmenter l’incitation des banques à prêter. Dans les pays développés par exemple, il existe des structures qui accompagnent les chômeurs (tel que pôle emploi en France). Ces structures garantissent une entrée de revenus pour les travailleurs en cas de perte d’emploi réduisant ainsi le risque de défaut lorsque ces travailleurs souhaitent avoir un prêt. L’absence de telles structures dans la quasi-totalité de l’Afrique, ne facilite pas la mise en place des crédits de la part des banques.

Certes, on pourrait atténuer ce problème avec la mise en place d’une assurance mais la prime d’assurance viendrait rendre le cout total des prêts plus importants. De plus, pour la plupart des prêts accordés, la banque exige une assurance vie qui garantira le remboursement du prêt en cas de décès de l’emprunteur. En Afrique l’espérance de vie est en moyenne 60 ans alors qu’en France, elle est de 82 ans selon la radio publique d’information française France info. Dans un communiqué de presse de l’OMS paru en 2016, vingt-deux pays de l’Afrique subsaharienne ont une espérance de vie de moins de 60 ans. On se retrouve alors avec des primes d’assurance beaucoup plus élevées en Afrique d’où des couts de prêts assez significatifs à supporter par le potentiel emprunteur. L’importance de ces coûts impactent évidemment de manière négative la demande de prêt. Le taux de bancarisation est également assez faible en Afrique. Il est de 10% en Afrique subsaharienne, se situe entre 7,4 et 8% dans la zone UEMOA et avoisine les 40% au Maroc contre 99% en France selon la chaine d’information Africa24. Par conséquent, les banques collectent moins de dépôt en raison de la thésaurisation des ménages. Et pourtant pour effectuer les prêts, la banque utilise essentiellement ses dépôts. Ainsi la faible collecte de dépôts décourage la mise en place de prêts et incite davantage à rationner les crédits. Enfin, l’aléa de l’instabilité politique de certains pays ne favorise pas également la mise en place prêts car cela détériore la confiance des banquiers.

En raison de ces aspects, les banques africaines limitent leurs activités de prêts et exigent des taux d’intérêts élevés.

Comme énuméré plus haut, les nouvelles exigences de liquidité dans le cadre du Bâle III pourraient inciter les banques à moins prêter.  Ainsi leur application en Afrique, un continent qui souffre déjà du manque de financement, pourrait être néfaste pour la performance des banques africaines et surtout pour les économies africaines. Il serait du coup intéressant de songer à une règlementation selon le niveau de développement des pays.

Sources

Basel Committee on Banking Supervision, 2010, Basel III: International framework for liquidity risk measurement, standards and monitoring.

Idrissa Coulibaly, 2015, L’impact des réglementations internationales BÂLE I, II & III sur le système bancaire africain, FinAfrique

[1] Le terme liquidité est vaste. Nous pouvons néanmoins distinguer trois définitions de base : (i) la liquidité d’un titre financier définie comme la facilité de le vendre sans perdre de la valeur ; (ii) la liquidité du marché définie comme étant la possibilité d’échanger sur ce marché une grande quantité de titres sans influencer leurs prix ; (iii) la liquidité de financement que l’on peut définir comme la capacité d’honorer ses obligations dans le temps. On peut ainsi associer le risque de liquidité à chaque aspect. Le risque de liquidité d’un actif est le risque qu’on ne puisse pas le vendre sans perde de la valeur. Le risque de liquidité du marché est le risque qu’on ne puisse effectuer plusieurs transactions sur le marché sans impacter les prix et le risque de liquidité de financement d’une firme est le risque que cette firme ne parvienne pas à satisfaire ses obligations sur un horizon donné.

[2] Une crise de liquidité idiosyncratique d’une banque est une crise de liquidité qui touche que cette banque tandis qu’une crise de liquidité systémique est une crise de liquidité qui touche de façon simultanée plusieurs banques.

[3] Il s’agit des actifs ne pouvant pas être liquides ou utilisés avant au moins un an.

[4] Les sources de financement à long terme sont des ressources étalées sur plus d’un an (capital, dettes de long terme…).

[5] Les activités hors bilan d’une banque sont l’ensemble de ces activités qui ne sont pas inscrites dans son bilan. Il s’agit par exemple des engagements de crédits.

[6] En plus de la source de financement traditionnelle qu’utilisent les banques (dépôts à vue), elles utilisent aussi Le financement de gros. Cette source de financement correspond essentiellement pour les banques américaines, aux federal funds (fonds fédéraux), foreign deposits (dépôts étrangers) et brokered deposits (dépôts effectués par un courtier). Ces types de financement sont le plus souvent de court terme. Du coup, une banque fortement dépendante de ces types de financement peut facilement faire face à un problème de liquidité si elle est perçue comme risqué ou peu capitalisée.

Economie de la connaissance : un accès difficile pour les pays en développement

3D illustration of people on the map, representing the country’s demography.

L’économie de la connaissance est un paradigme largement accepté dans l’étude de l’économie, et plus particulièrement dans le champ de l’économie du développement. En effet, à première vue, la diffusion de la connaissance et de l’information ouvre des perspectives de développement en améliorant la productivité des entreprises et proposant des nouveaux modes de consommation, de travail, etc. De plus, contrairement aux biens matériels qui bénéficient uniquement aux agents qui les possèdent, la connaissance peut être détenue, simultanément, par plusieurs agents qui en tireront les mêmes bénéfices, sans en priver l’autre. Dans ce contexte, on peut facilement imaginer que les pays en développement, à défaut d’avoir des ressources financières immédiatement mobilisables, leur permettant de combler leur retard économique et social, pourraient au moins obtenir facilement un accès à l’information, à la connaissance, qu’ils pourrait exploiter à leur avantage.

En réalité, l’idée d’une économie fondée sur le savoir qui permettrait aux pays en développement de rattraper leur retard est facilement remise en question. Les indicateurs utilisés pour mesurer l’économie de la connaissance montrent eux même les biais de la théorie économique en faveur des pays développés. De plus, en pratique, les effets positifs d’une économie de la connaissance et de l’information sur les pays en développement restent discutables.

La mesure de la connaissance : des indicateurs biaisés

L’économie de la connaissance est souvent identifiée par des indicateurs généraux (taux de scolarisation, d’analphabétisme, etc) et des indicateurs plus spécifiques : nombre de brevets, d’articles scientifiques, paiement de redevances/licences, investissement en R&D…. Comme on va le voir, ces indicateurs sont tellement liés aux indicateurs généraux, qu’il est difficile de savoir s’ils mesurent l’économie de la connaissance, ou sont simplement révélateurs du niveau de développement général de la société.

Les pays développés ont de manière générale, plus de moyens que ceux en développement pour investir et mener des recherches permettant de créer du savoir, de la connaissance, ce qui explique un nombre plus important de brevets. Mais les individus et entités de ces pays sont également mieux informés sur les processus de dépôt de brevet, leur permettant d’en déposer plus facilement, sur toutes sortes d’« innovation ». Ainsi, les cas de biopiraterie, où une entreprise multinationale s’approprie des ressources biologiques d’un autre pays, moins développé, ou un savoir traditionnel comme l’utilisation d’une plante à des fins médicinales, pour les commercialiser, sont maintenant bien connus. L’Office Européen des Brevets a par exemple donné raison, en 2010, à une communauté Sud Africaine contestant le brevet de l’entreprise Schwabe Pharmaceuticals, sur une méthode d’extraction de racine, utilisée depuis longtemps par la communauté, mais que celle-ci n’avait pas brevetée, ne connaissant pas le système de droits de propriété intellectuelle[1].

Ces cas démontrent que la détention de brevet ne relève pas forcément de la maîtrise d’un processus de production complexe ou d’une technologie pointue, mais plutôt d’une maitrise du système de brevet et une meilleure compréhension des enjeux économiques derrière un produit… Ils démontrent également des différences de perception de la connaissance, celle-ci étant un bien commun n’appartenant à personne pour les communautés des Pays du Sud, alors que le système international de propriété intellectuelle donne un droit de propriété exclusif sur certaines connaissances, à des agents économiques.

Il existe un réel manque à gagner pour les pays en développement derrière le système des brevets, car il était estimé en 2008 que 10 à 15% des brevets donnent lieu à des licences, et donc des redevances mensuelles pour les entreprises qui les détiennent[2]. Les pays en développement, possédant moins de brevets que les pays développés, bénéficient donc de moins de retombées.

Le nombre d’articles scientifiques publiés est également censé être révélateur d’une société de la connaissance. Les pays africains, on l’a vu dans un précédent article, sont bien loin derrières d’autres pays en nombre d’articles publiés ; mais ce nombre est à relier directement à la situation financière de ces pays. En effet, dans des sociétés où les taux d’éducation et de formation sont les plus faibles, ou les dépenses en R&D des entreprises sont bas, et où les Etats ne sont pas en mesure de soutenir ni universités, laboratoires, ou encore entreprises, comme cela peut être le cas dans les pays dits développés, il est évident que les chercheurs seront moins nombreux, ou n’auront pas une autonomie financière leur permettant de se dédier à la recherche. En 2013, on comptait 2,4% d’africains parmi les chercheurs mondiaux[3], alors que les Africains représentaient 15% de la population mondiale[4].

Enfin, La répartition des revenus en R&D par zones géographiques est représentative des disparités entre les différentes zones. L’UNESCO est un peu plus optimiste que la Banque Mondiale, estimant que la R&D africaine représente 1,3% des dépenses mondiales, (contre 0,5% pour la BM), à un niveau similaire à celui de l’Océanie, alors que l’Europe, les Amériques et l’Asie représenteraient respectivement 22%, 32% et 42% des dépenses en R&D mondiales. L’Etat financerait 60 à 70% de la R&D (souvent grâce aux bailleurs internationaux), le secteur privé étant un faible contributeur[5] ; mais le niveau de R&D reste faible – encore une fois à cause d’une difficulté à mobiliser des ressources.

Cela dit, cet indicateur présente une faiblesse liée à la difficulté à quantifier la connaissance : il repose uniquement sur les inputs – les investissements en R&D – et non les outputs, c’est à dire les innovations ou les gains de productivité réellement produits.

Les limites de ces indicateurs montrent que la connaissance reste un bien commercialisable comme d’autre, et que l’économie de la connaissance ne peut pas ignorer les coûts liés à la transmission des savoirs, dans ce contexte. Outre ces coûts, d’autres éléments comme les déficiences structurelles des pays en développement mitigent l’impact potentiel de l’économie du développement sur la croissance.

L’économie de la connaissance : cercle vertueux ou cercle vicieux ?

L’économie de la connaissance permettrait-elle réellement le rattrapage envisagé par économistes et organisations internationales ? Peut-être, mais seulement pour les Etats qui possèdent déjà certains prérequis.

Ces prérequis concernent les infrastructures : route, électricité, internet…. Des équipements modernes auront besoin d’électricité pour fonctionner, un système d’information utilisant la sauvegarde de données en cloud ou des modes de collaboration partagés nécessiteront une bonne connexion internet. De même, le processus d’appropriation des connaissances sera plus difficile pour un personnel peu éduqué, qui sera donc plus couteux en termes de formation pour une entreprise internationale, que si elle peut trouver sur place des individus déjà qualifiés.

En effet, étant donné le peu de ressources mobilisées par les Etats africains pour des activités scientifiques, de recherche et d’innovation, les IDE sont perçus comme davantage capables de contribuer à l’économie du développement, à travers des transferts de technologie, comme l’import d’équipements modernes, de technologies ou systèmes récents (entre autres, via les licences).

Pourtant les IDE vers les pays en développement concernent souvent des activités primaires (extraction de matières premières notamment) et n’apportent donc pas de valeur ajoutée à l’économie locale ; celle-ci ne bénéficie pas réellement de transferts de technologie ou de connaissances qui puissent avoir un effet ricochet sur d’autres secteurs. De plus, les équipements ou procédés importés, y compris dans d’autres secteurs, ne sont pas forcément les plus récents, les innovations étant réservées aux marchés développés, plus aptes à les rémunérer.

Ainsi, difficile de dire que les IDE des entreprises multinationales sont révélateurs de transferts de technologie et de connaissance ; ils peuvent éventuellement permettre de stimuler les économies, mais il serait pertinent de les étudier de plus près pour voir de quels types de dépenses ils sont composés. Par exemple, il serait intéressant de voir si ces IDE concernent l’implantation de services d’ingénierie, de recherche ; le recrutement et la formation d’employés en local ; ou l’importation d’équipements et logiciels récents, et à fort contenu technologique.

Pour certains auteurs, les IDE témoignent même qu’une économie basée sur les connaissances contribue à perpétuer des inégalités entre pays ayant atteints différents niveau de développement : dans les pays les moins avancés, les investissements se feront en direction d’activités à faible valeur ajoutée, et se traduiront peu par des transferts de connaissance, contrairement aux pays plus développés où l’existence de certains prérequis incitera davantage les entreprises à y implanter des activités à plus forte valeur ajoutée[6].

Cela dit, ce constat pessimiste doit être mitigé avec certains pays dans lesquels les multinationales n’hésitent pas à employer de la main d’œuvre locale, de plus en plus qualifiée, au sein de secteurs plus sophistiqués. Dans le secteur des TIC, on voit ainsi de plus en plus d’ingénieurs africains, que ce soit au sein de filiales ou en tant que prestataires de ces multinationales, tandis que certains pays comme Nigeria attirent davantage de chaines de production quasi-complètes, montrant ainsi que le savoir-faire nécessaire à cette production est présent en local.

Concernant la relation entre économie de la connaissance et développement, certains auteurs constatent une corrélation entre niveau de connaissance (mesuré par le KEI de la Banque Mondiale) et niveau de développement, mais difficile d’établir le sens de la causalité entre développement et économie de la connaissance. En effet, les pays développés possèdent également un cadre institutionnel plus solide, des meilleures infrastructures, des systèmes éducatifs et de santé plus sains ; comment établir que la connaissance, déjà difficilement définissable, soit un facteur décisif du développement ?

Dans leur article intitulé « Pour une critique de l’économie de la connaissance comme vecteur du développement », les auteurs tentent de mesurer l’impact de la connaissance sur le développement, et concluent que l’investissement dans les TIC a un impact plus important sur la croissance pour les pays déjà développés, que dans ceux qui le sont moins[7].

Les mêmes auteurs vont plus loin en considérant que les investissements dans les TIC, encouragés par le paradigme actuel, se feraient au détriment d’investissements autrement plus urgents comme la santé, l’éducation, les infrastructures, et la sécurité pour certains pays… Autant de domaines qui, s’ils étaient renforcés, contribueraient de manière bien plus certaine au développement d’un pays, que l’économie de la connaissance.

Ces remarques sur les différents indicateurs révèlent plusieurs choses. L’économie de la connaissance reste un concept difficile à saisir, sans définition unanimement acceptée, certains la considérant d’un point de vue sociétal – une société aux modes de vie transformés par l’immatériel – et d’autre d’un point de vue économique, celui de la contribution des connaissances – un bien difficile voire impossible à quantifier – à l’économie.

La connaissance pourrait être gratuite, mais le système de propriété intellectuelle actuel en fait un bien payant au même titre que les biens matériels : c’est le cas du système des brevets, ou encore des articles scientifiques, parus dans des revues au coût prohibitif. Les coûts liés aux brevets et licences, à l’accès à la connaissance à travers des revues sont ainsi des barrières à l’accès aux connaissances pour les pays les moins développés.

La connaissance existante dans les pays en développement, peu formalisée, semble ne pas rentrer dans les cadres d’analyse de l’économie de la connaissance. Les savoirs traditionnels détenus par les pays du Sud sont réels et sans doute sous-estimés, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, car les sociétés qui les connaissent ne les considèrent pas comme des biens sur lesquels certains individus ou organismes peuvent revendiquer des droits exclusifs de propriété, mais comme un savoir qui appartient à tous. Ensuite car la prépondérance de l’oralité rend superflue la formalisation écrite d’un tel savoir, or le système moderne de brevet a besoin d’une trace écrite pour valider la possession de cette connaissance. Enfin, la mesure de la part des connaissances dans l’économie est complexifiée, dans le cas des pays africains, par un manque de statistiques criant.

Marie Caplain

[1] Reinert Magalie, « Biopiraterie: une communauté autochtone d'Afrique du Sud remporte une victoire face au géant Schwabe », Novethic, 27 avril 2010

[2] Guellec Dominique, Madies Thierry et Prager Jean Claude, « les marchés de brevet dans l’économie de la connaissance – rapport (version provisoire), Conseil d’Analyse Economique, 28 Juillet 2010, p.24

[3]  Unesco, Rapport de l’Unesco sur la science – vers 2030 (résumé exécutif), 2015, p.16.

[4]  Ibid, p.11

[5] Union Africain et Nations Unies, « Transferts de technologies – L’industrialisation au service du développement inclusif et de la transformation en Afrique », Septième réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement  économique de la Commission économique pour l’Afrique et de la Conférence des ministres de l’économie et des finances de l’Union africaine , 29-30 Mars 2014, p.10.

[6] Clévenot, Mickaël, et David Douyère. « Pour une critique de l’économie de la croissance comme vecteur du développement », Revue Congolaise de Gestion, vol. numéro 17, no. 1, 2013, pp. 9-56.

[7] Ibid.

SOURCES

Reinert Magalie, « Biopiraterie: une communauté autochtone d'Afrique du Sud remporte une victoire face au géant Schwabe », Novethic, 27 avril 2010

http://www.novethic.fr/empreinte-sociale/droits-humains/isr-rse/biopiraterie-une-communaute-autochtone-d-afrique-du-sud-remporte-une-victoire-face-au-geant-schwabe-144060.html

Guellec Dominique, Madies Thierry et Prager Jean Claude, « les marchés de brevet dans l’économie de la connaissance – rapport (version provisoire), Conseil d’Analyse Economique, 28 Juillet 2010, p.24 http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/rapport_brevets_CAE.pdf

Unesco, Rapport de l’Unesco sur la science – vers 2030 (résumé exécutif), 2015, p.16. http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002354/235407f.pdf

Union Africain et Nations Unies, « Transferts de technologies – L’industrialisation au service du développement inclusif et de la transformation en Afrique », Septième réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement  économique de la Commission économique pour l’Afrique et de la Conférence des ministres de l’économie et des finances de l’Union africaine , 29-30 Mars 2014, p.10.

https://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/CoM/com2014/com2014-innovation_and_technlogy_transfer_for_enhanced_productivity_and_connectiveness_in_africa-french.pdf

Clévenot, Mickaël, et David Douyère. « Pour une critique de l’économie de la croissance comme vecteur du développement », Revue Congolaise de Gestion, vol. numéro 17, no. 1, 2013, pp. 9-56.

https://www.cairn.info/revue-congolaise-de-gestion-2013-1-page-9.htm

Collecte-t-on trop ou pas assez d’impôts en Afrique ?

L’amélioration de la performance fiscale constitue l’un des défis de développement pour les pays africains.[1] Dans sa publication récente sur les recettes publiques en Afrique[2], l’OCDE indique que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1% du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3% en Amérique Latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique). Selon l’institution, cette performance est « due à deux facteurs. D’abord, la bonne performance des économies africaines, et notamment leur forte croissance, ensuite l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales»[3] mais elle craint que la fiscalité ne devienne régressive[4] sur le continent. Elle part du constat que les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57.2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivis des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32.4 %). Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ?

Afin de répondre à cette question ; des experts de L’Afrique des Idées ont élaboré une nouvelle approche pour estimer l’écart fiscal[5]. Cette estimation permettra de déterminer le compromis à trouver entre l’assiette et la pression fiscales pour maximiser les recettes fiscales en Afrique. Il faut préciser que la performance fiscale dépend, outre l’activité économique, d’autres facteurs difficilement quantifiables : exemptions fiscales, dépenses fiscales, évasion fiscale, gestion de l’administration fiscale, etc. Ces facteurs peuvent affecter la performance fiscale d’un pays en le révisant à la hausse ou à la baisse par rapport à son potentiel fiscal réel, déterminé par la structure de son économie et la législation en place. Dans l’un ou l’autre des cas, cet écart fiscal serait nuisible à l’économie. Une moindre performance constitue un manque à gagner et pourrait limiter les investissements publics alors qu’une surperformance pourrait ralentir l’investissement privé.

Une méthode d’estimation de l’écart fiscal

L’écart fiscal se mesure comme la différence entre les recettes fiscales collectées et les recettes fiscales potentielles. Ces dernières dépendent de la structure de l’économie, qui détermine l’assiette fiscale, et des politiques publiques qui établissent le taux moyen d’imposition. La structure de l’économie se mesure à partir de la valeur ajoutée des différents secteurs de l’activité économique et du niveau de développement humain. Quant aux politiques publiques, elles sont approximées par le taux d’inflation, le niveau des inégalités et l’existence d’une rente minière.

L’estimation consiste à comparer les recettes fiscales effectivement collectées par chaque pays africain entre 1996 et 2011 à celles qu’a pu collecter un autre pays, non africain, ayant la même structure économique et le même niveau de développement. Ainsi, une performance supérieure traduirait un « trop perçu fiscal » alors qu’une moindre performance correspondrait à un « manque à gagner fiscal ».

Un trop perçu fiscal en Afrique par rapport au reste du monde

Les résultats des analyses suggèrent que même si les pays africains affichent des performances fiscales plus faibles que les autres pays du monde, leurs administrations fiscales affichent globalement des performances supérieures au regard de la structure de leur économie. Sur les 49 pays analysés, près de la moitié affichent un trop perçu fiscal.  La performance fiscale des pays concernés serait de 1.3 (Tunisie) à 3.5 (Namibie) fois supérieure à son niveau potentiel. Seuls la Côte d’Ivoire, le Djibouti et le Nigéria ont un manque à gagner fiscal ; le reste étant à des niveaux comparables avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire, pour sa part, ne mobilise pour l’heure que 90% de son potentiel. A l’exception de la Côte d’Ivoire, cet écart fiscal ne tend pas à se réduire.

Ce trop perçu fiscal se manifeste notamment dans les taxes directes composées principalement des impôts sur les bénéfices et sur les revenus[6]. En ce qui concerne les taxes indirectes et douanières, il n’y a pas d’écart par rapport au potentiel fiscal ; la quasi-totalité des pays africains étant pratiquement au même niveau que les autres pays du monde.

Ce résultat se comprend assez bien dans la mesure où le faible nombre d’entreprises et de salariés dans le secteur formel africain permet à l’administration fiscale de recouvrer plus facilement les taxes directes. Il est aussi caractéristique d’une politique fiscale trop centrée sur les taxes prélevées sur les activités du secteur privé formel. Au Sénégal par exemple, le taux d’imposition moyen sur les entreprises s’établit à 48% alors que la pression fiscale au Sénégal se situe à environ 20%.[7] Ainsi la faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie s’explique essentiellement par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales. Par ailleurs, la pression fiscale exercée sur le secteur privé, principale source des recettes fiscales, est trop forte par rapport aux pratiques dans le reste du monde et pourrait contribuer à affaiblir la capacité des Etats à élargir l’assiette fiscale.

Quelle mesure pour améliorer la performance fiscale des pays africains ?

Au regard de ces résultats, l’amélioration de la performance fiscale dans les pays africains passera essentiellement par la mise en place d’un cadre favorable au développement du secteur privé. Pour ce faire, il faudrait surtout réduire la pression fiscale exercée sur le secteur privé afin de favoriser sa croissance et sa compétitivité. Cette forte fiscalité constitue, par ailleurs, l’une des contraintes majeures à la formalisation de certaines entreprises. L’assouplissement de la pression fiscale permettra donc de faciliter l’intégration de certaines « grosses » entités informelles dans l’assiette. Une telle stratégie renforcera aussi l’attractivité des économies pour les entrepreneurs, contribuant ainsi à élargir l’assiette fiscale. Certains pays comme le Lesotho ont entamé des réformes dans ce sens, ce qui leur a permis d’améliorer sensiblement leur performance fiscale sans constituer un obstacle pour le secteur privé. Selon l’étude « Paying Taxes 2016 » de Pricewaterhouse Coopers, le Lesotho est le pays africain avec le plus faible taux d’imposition des entreprises (13,6% en 2015) alors que son ratio de recettes fiscales sur PIB est le plus élevé du continent (40% contre 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE) ; ces revenus fiscaux s’appuyant sur toutes les catégories de taxes.

Foly Ananou et Georges Vivien Houngbonon

[1] Cette amélioration se mesure par l’évolution du ratio des recettes fiscales sur le PIB.

[2] Ce rapport couvre 16 pays : Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie

[3] Interview de Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE pour Jeune Afrique à l’occasion de la publication de l’édition 2017 des Statistiques des recettes publiques en Afrique.

[4] Soit que les Etats ne lèvent que peu d’impôts directs (impôts sur les revenus notamment) quand la base s’accroît.

[5] Se rapprocher des auteurs pour en savoir plus.

[6] Certains pays, comme l’Ethiopie, mobilise jusqu’à 25 fois plus que ce qu’ils devraient dans cette catégorie.

[7] Pricewaterhouse Coopers (PwC) et World Bank, Paying Taxes 2016 : Ten years of in-depth analysis

Sommes-nous trop nombreux sur Terre ?

Cet article a été écrit par Gilles Pison, spécialiste des questions de démographie et en particulier en Afrique. Il était l’invité de la dernière conférence de l’ADI qui s’est tenue à Paris, le 6 Octobre dernier. Cet article est initialement paru le 24 Juillet 2017 sur The Conversation.

En 2017, la population mondiale a franchi le seuil de 7 milliards et demi. Elle ne comptait qu’un milliard d’habitants en 1800 et a donc été multipliée par sept et demi depuis (voir la figure ci contre). Elle devrait continuer à croître et pourrait atteindre près de 10 milliards en 2050. Pourquoi la croissance devrait-elle se poursuivre ? La stabilisation est-elle envisageable à terme ? La décroissance tout de suite ne serait-elle pas préférable ?

Si la population mondiale continue d’augmenter, c’est en raison de l’excédent des naissances sur les décès – les premières sont près de trois fois plus nombreuses que les seconds. Cet excédent apparaît il y a deux siècles en Europe et en Amérique du Nord lorsque la mortalité commence à baisser dans ces régions, marquant les débuts de ce que les scientifiques appellent la transition démographique. Il s’étend ensuite au reste de la planète, lorsque les avancées de l’hygiène et de la médecine et les progrès socio-économiques atteignent les autres continents.

Une population africaine en pleine croissance

Gilles Pison (à partir de données des Nations unies), CC BY-NC-ND

 

La croissance démographique a atteint un taux maximum de plus de 2 % par an il y a cinquante ans et a diminué de moitié depuis, pour atteindre 1,1 % en 2017 (voir la figure ci-contre).

Elle devrait continuer de baisser dans les prochaines décennies en raison de la diminution de la fécondité : 2,5 enfants en moyenne par femme aujourd’hui dans le monde, contre le double (cinq enfants) en 1950. Parmi les régions du monde dans lesquelles la fécondité est encore élevée (supérieure à trois enfants), on trouve en 2017 presque toute l’Afrique intertropicale et les régions allant de l’Afghanistan jusqu’au nord de l’Inde en passant par le Pakistan (voir la carte ci-dessous). C’est là que se situera l’essentiel de la croissance démographique mondiale à venir.

L’un des grands changements à venir est le formidable accroissement de la population de l’Afrique qui, Afrique du Nord comprise, pourrait quadrupler d’ici un siècle, passant d’un milliard d’habitants en 2010 à probablement 2,5 milliards en 2050 et plus de 4 en 2100, ceci malgré l’épidémie de sida. Alors qu’un homme sur six vit aujourd’hui en Afrique, ce sera probablement plus d’un sur trois dans un siècle. L’accroissement devrait être particulièrement important en Afrique au sud du Sahara où la population pourrait passer d’un peu plus de 800 millions d’habitants en 2010 à 4 milliards en 2100.

Carte de la fécondité dans le monde en 2017. Ined, Author provided
               

À quoi s’attendre dans les décennies à venir

Ces chiffres sont des projections et l’avenir n’est évidemment pas écrit. Il reste que les projections démographiques sont relativement sûres lorsqu’il s’agit d’annoncer l’effectif de la population à court terme ; c’est-à-dire pour un démographe, les dix, vingt ou trente prochaines années. La majorité des hommes et des femmes qui vivront en 2050 sont déjà nés, on connaît leur nombre et on peut estimer sans trop d’erreurs la part des humains d’aujourd’hui qui ne seront plus en vie. Concernant les nouveau-nés qui viendront s’ajouter, leur nombre peut également être estimé, car les femmes qui mettront au monde des enfants dans les 20 prochaines années sont déjà nées, on connaît leur effectif et on peut faire également une hypothèse sur leur nombre d’enfants, là aussi sans trop d’erreurs.

Il est illusoire de penser pouvoir agir sur le nombre des hommes à court terme. La diminution de la population n’est pas une option. Car comment l’obtenir ? Par une hausse de la mortalité ? Personne ne le souhaite. Par une émigration massive vers la planète Mars ? Irréaliste. Par une baisse drastique de la fécondité et son maintien à un niveau très inférieur au seuil de remplacement (2,1 enfants) pendant longtemps. C’est déjà ce qui se passe dans une grande partie du monde, les hommes ayant fait le choix d’avoir peu d’enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité.

Mais il n’en résulte pas immédiatement une diminution de population en raison de l’inertie démographique : même si la fécondité mondiale n’était que de 1,6 enfant par femme comme en Europe ou en Chine, la population continuerait d’augmenter pendant encore quelques décennies. Cette dernière comprend en effet encore beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses et le nombre de décès est faible.

La question de la baisse de la fécondité

Les démographes ont été surpris il y a quarante ans quand les enquêtes ont révélé que la fécondité avait commencé à baisser très rapidement dans beaucoup de pays d’Asie et d’Amérique latine dans les années 1960 et 1970. Ils ont dû notamment revoir sensiblement à la baisse leur projection démographique pour ces continents.

Une autre surprise, plus récente, est venue de l’Afrique intertropicale. On s’attendait à ce que sa fécondité baisse plus tardivement qu’en Asie et en Amérique latine, en relation avec son retard en matière de développement socio-économique. Mais on imaginait un simple décalage dans le temps, avec un rythme de baisse similaire aux autres régions du Sud une fois celle-ci engagée. C’est bien ce qui s’est passé en Afrique du Nord et en Afrique australe, mais pas en Afrique intertropicale où la baisse de la fécondité, bien qu’entamée aujourd’hui, s’y effectue plus lentement. D’où un relèvement des projections pour l’Afrique qui pourrait rassembler plus d’un habitant de la planète sur trois en 2100.

Gilles Pison (à partir de données des Nations unies), CC BY-NC-ND

 

La fécondité diminue bien en Afrique intertropicale, mais dans les milieux instruits et en villes plus que dans les campagnes où vit encore la majorité de la population. Si la baisse de la fécondité y est pour l’instant plus lente que celle observée il y a quelques décennies en Asie et en Amérique latine (voir la figure ci-contre), cela ne vient pas d’un refus de la contraception.

La plupart des familles rurales ne se sont certes pas encore converties au modèle à deux enfants, mais elles souhaitent avoir moins d’enfants et notamment plus espacés. Elles sont prêtes pour cela à utiliser la contraception mais ne bénéficient pas de services adaptés pour y arriver. Les programmes nationaux de limitation des naissances existent mais sont peu efficaces, manquent de moyens, et surtout souffrent d’un manque de motivation de leurs responsables et des personnels chargés de les mettre en œuvre sur le terrain. Beaucoup ne sont pas persuadés de l’intérêt de limiter les naissances y compris au plus haut niveau de l’État, même si ce n’est pas le discours officiel tenu aux organisations internationales.

C’est là une des différences avec l’Asie et l’Amérique latine des années 1960 et 1970 et l’un des obstacles à lever si l’on veut que la fécondité baisse plus rapidement en Afrique subsaharienne.

À long terme : l’explosion, l’implosion ou l’équilibre ?

Au-delà des cinquante prochaines années, l’avenir est en revanche plein d’interrogations, sans modèle sur lequel s’appuyer. Celui de la transition démographique, qui a fait ses preuves pour les évolutions des deux derniers siècles, ne nous est plus guère utile pour le futur. L’une des grandes incertitudes porte sur la fécondité. Si la famille de très petite taille devient un modèle dominant de façon durable, avec une fécondité moyenne inférieure à deux enfants par femme, la population mondiale, après avoir atteint le niveau maximum de dix milliards d’habitants, diminuerait inexorablement jusqu’à l’extinction à terme.

Mais un autre scénario est possible dans lequel la fécondité remonterait dans les pays où elle est très basse pour se stabiliser à l’échelle mondiale au-dessus de deux enfants. La conséquence en serait une croissance ininterrompue, et à nouveau la disparition de l’espèce à terme, mais cette fois par surnombre. Si l’on ne se résout pas aux scénarios catastrophes de fin de l’humanité, par implosion ou explosion, il faut imaginer un scénario de retour à terme à l’équilibre.

Ce sont les modes de vie qui comptent

Les hommes doivent certes dès maintenant réfléchir à l’équilibre à trouver à long terme, mais l’urgence est le court terme, c’est-à-dire les prochaines décennies. L’humanité n’échappera pas à un surcroît de 2 à 3 milliards d’habitants d’ici 2050, en raison de l’inertie démographique que nul ne peut empêcher. Il est possible d’agir en revanche sur les modes de vie, et ceci sans attendre, afin de les rendre plus respectueux de l’environnement et plus économes en ressources. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est finalement moins celle du nombre que celle des modes de vie.

Gilles Pison

Comment créer une «  ville intelligente » à l’africaine ?

Marquées depuis plusieurs décennies par des crises urbaines, beaucoup de villes africaines (Diamniadio, Casablanca, Kigali, etc.) s’autoproclament comme des « villes intelligentes » — influencées par un contexte de mondialisation et de course à la métropolisation. Alors qu’elles doivent faire face à une urbanisation galopante, une pression et spéculation foncière, une bidonvilisation des espaces périphériques des grandes villes et la question épineuse de la pauvreté d’une part importante des populations, elles cherchent à s’inspirer de modèles de planification urbaine importés des pays développés.

En effet, l’expression ville intelligente devient une marque de fabrique et s’inscrit dans une approche de planification urbaine stratégique, de marketing pour attirer des touristes et des investisseurs internationaux. Cependant, peut-on valider cette conception africaine de la ville intelligente, si l’on sait que chaque pays, chaque ville a des réalités particulières ? Ne serait-il pas plus pertinent de penser une ville intelligente à l’africaine qui prendrait en compte — dans sa fabrication — tous les problèmes que rencontrent les villes africaines comme des équations à résoudre de façon « intelligente » ?

Pour expliquer la problématique de la ville intelligente en Afrique, dans cet article, nous interrogerons d’abord l’expression « ville intelligente » pour connaître ses caractéristiques et ses modalités, avant d’analyser les conditions de son adaptabilité dans les pays africains.

Définition et identification de la ville intelligente

D’abord, la ville intelligente est généralement définie comme une ville « connectée » — en faisant référence à l’accès au numérique et à l’internet. G. Dupuy (1992), évoque l’idée « d’informatisation de la ville ». Cette définition paraît simpliste, car la ville intelligente s’inscrit dans une dynamique plus globale qui met en interaction — selon une approche systémique — plusieurs éléments complémentaires (loisir, habitat et logement, transport et mobilité, services essentiels comme l’accès à l’eau, l’électricité et plus récemment le numérique) afin de créer un équilibre et une amélioration des conditions de vie des habitants, quelle que soit leur catégorie sociale. Giffinger, dans un article publié en 2011, a mis en évidence cette approche globalisante de la ville intelligente. Pour lui, les villes intelligentes peuvent être identifiées selon six principales dimensions : une économie intelligente (collaborative et adaptée), une administration intelligente (souple, intégrée et participative), un environnement intelligent (écologique, sobre, vertueuse), une mobilité intelligente (douce et efficiente), des habitants intelligents (acteurs dans fabrication de la ville). En d’autres termes, une ville intelligente est un système qui concilie de façon cohérente plusieurs « sous-systèmes » qui tournent autour de trois principales thématiques : l’économie, le social et l’environnement avec les usages numériques comme toile de fond. Toutefois, les usages numériques ne fabriquent pas fondamentalement et exclusivement une ville intelligente ; ils doivent être compris et pris comme des outils qui interagissent avec d’autres éléments structurants et non une fin.

Ensuite, une ville intelligente est aussi résiliente et inclusive. Autrement dit, c’est une ville qui répond aux besoins urgents et fondamentaux de ses habitants pour l’amélioration de leur cadre de vie et l’assurance d’un minimum de confort et de bien-être. La résilience d’une ville intelligente se mesure par sa capacité à se remettre, à revenir à son état de départ, suite à une perturbation ou un choc majeur (catastrophes naturelles, etc.). Une économie équilibrée, intégrée, une justice sociale et spatiale assurent l’inclusivité d’une ville.

Les différents paramètres évoqués sur la ville intelligente sont parfois mal-maîtrisés, voire non pris en compte dans les villes africaines. À Dakar — par exemple —, il suffit d’avoir quelques gouttes d’eau de pluie pour que des inondations à ruissellement urbain bloquent toutes les activités, donc une bonne partie de l’économie — sans compter les conditions de précarité que celles-ci créent chez de nombreux habitants vivant dans des habitats informels sur le long des espaces périphériques de la ville (Pikine, Yeumbeul, Médina Gounass, etc.). Dans ces circonstances, la planification d’une ville intelligente serait de faire en sorte que la ville soit résiliente, c’est à dire capable de se redresser aussitôt après un choc naturel ; au lieu de miser sur un modèle de ville connectée, importé des pays développés, qui améliorerait le quotidien d’une partie infime de la population.

Quelle ville intelligente pour l’Afrique ?

 Au regard de la définition globalisante de la ville intelligente, l’approche la plus appropriée serait d’adapter son modèle de ville aux réalités locales. En effet, l’intelligence et la cohérence de la démarche d’une ville intelligente se trouvent dans cette capacité d’adaptation et de prise en compte des spécificités locales. Malheureusement, les démarches de planification de quelques villes africaines qui s’autoproclament « villes intelligentes » ne sont pas dans cette dynamique d’adaptation. Comment peut-on qualifier une ville « intelligente », si le modèle de ville est importé d’un pays où les configurations socioéconomiques et spatiales sont différentes des siennes ? Un problème de réalisme se pose !

En réalité, il n’existe pas un modèle de ville intelligente figé ; un modèle s’adapte à un contexte. L’intelligence prend tout son sens quand la ville assure un minimum de confort et de réponses aux besoins urgents et contemporains de la majorité des habitants. En outre, l’intelligence d’une ville ne se trouve pas forcément dans la course à la modernité 2.0 ; mais plutôt dans sa capacité à être utile à tous ses habitants. Diamniadio et Kigali tendent vers des modèles de « villes intelligentes », importés de l’occident et vitrines de la mondialisation, mais une analyse pragmatique permettrait de remettre en cause leur réelle utilité, si l’on sait déjà les conditions de vie précaires des habitants aux alentours (l’accès à l’électricité et l’adduction en eau potable défaillants à proximité de Diamniadio, urbanisation anarchique autour de Kigali) et le prix à payer pour mettre en place ces villes, dans un contexte de tarissement des finances publiques. De même, dire que Nairobi a son « Silicone Valley » est bien pour son image de marque, pour sa propension à devenir la plus grande « technopole » africaine, mais cette image paraît surprenante et inutile, car les solutions à apporter pour la régulation des habitats informels en périphérie de la ville sont plus préoccupantes et urgentes. Que faire de ces milliers de pauvres qui peinent à bénéficier des rentes de cette « technopole » ? L’urgence est donc ailleurs ! Promouvoir des solutions et innovations technologiques toutes faites est bien, mais interroger les conditions de leur intégration cohérente dans l’existant est un important travail à faire en amont.

En outre, en Afrique, la généralisation progressive de l’accès au numérique et à internet est prise comme des atouts et des « arguments » par les politiques pour la mise en place de « villes intelligentes », mais l’intelligence de cette démarche est de reconnaître — en amont — que la fracture numérique, la pauvreté, l’accès aux services essentiels tels que l’eau potable, l’électricité (« une condition de base pour une ville connectée »)…. sont encore de réelles équations à résoudre dans les grandes villes africaines (Dakar, Bamako, Nouakchott, etc.). La démarche idéale serait — par exemple — d’injecter des possibilités d’usages numériques dans ces services essentiels pour faciliter leur accès, pour donner également un confort de vie aux populations par rapport à leurs besoins les plus urgents.

 Enfin, le projet de ville intelligente est bien, mais — en Afrique — il faudrait que tous les habitants y soient investis. En effet, une ville intelligente met l’humain au cœur des dispositifs des politiques de la ville. Donc toute idée de ville intelligente est dénuée de sens si les habitants ne n’y sont pas intégrés comme des acteurs.

Conclusion

Nous estimons finalement qu’une ville intelligente est une ville construite selon une approche systémique et globale qui met en symbiose le développement urbain et le développement humain. L’intelligence de la fabrication d’une ville intelligente à l’africaine se trouve dans la capacité à l’adapter aux réalités socio-économiques et culturelles des villes pour répondre aux besoins et aux préoccupations les plus alarmantes et utiles des populations, notamment le plus grand nombre (généralement les pauvres dans les villes africaines). Ces préoccupations peuvent être orientées vers les besoins essentiels : parvenir à améliorer l’accès aux soins, à l’électricité ; mettre en place des systèmes de déplacement doux, adaptés et peu coûteux ; parvenir à créer une mixité fonctionnelle et sociale afin de donner les mêmes chances à toutes les catégories de population. 

En définitive, l’intelligence d’une planification se trouve dans sa démarche cohérente et non dans un fantasme que l’on montre et vend. 

Bibliographie :

 Dupuy G (1992) L’informatisation des villes ; Que sais-je ? ; 2701. Ed : PUF, 1992.

La pertinence de la coproduction dans l’intégration économique régionale africaine

SM le Roi Mohammed VI du Maroc et SEM. Daniel Kablan Duncan, alors Premier ministre de la Côte d’Ivoire, inaugurant des chantiers dans la commune de Yopougan le 26 février 2014

A l’aune de l’intégration du Maroc à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest[1], les opérateurs économiques marocains sont invités à renforcer leur présence en Afrique subsaharienne à travers l’installation d’unités de production délocalisées. L’industrie se révèle être le véritable véhicule d’une intégration économique régionale inclusive, créatrice de valeur et d’emploi.

Le continent Africain suscite un engouement mondial. La croissance du PIB africain est estimée à 3.2 % en 2017 et devrait passer à 3,8 % en 2018[2]. Toutefois, afin de mieux maitriser cette croissance, il convient pour les pays africains de changer de modèle de développement et d’adopter des stratégies plus innovantes couvrant des secteurs de croissance et créateurs de richesse. Avec une telle dynamique, les opérateurs marocains ont tout intérêt à considérer le sous-continent subsaharien comme un partenaire prometteur en mettant en avant des partenariats stratégiques de coproduction. L’impact sur le marché sous continental est considérable. La coproduction crée des emplois sur le territoire et professionnalise la main d’œuvre locale. Elle permet, en même temps, aux entreprises, par le biais des exportations, de renforcer leur compétitivité.

Par ailleurs, le secteur industriel contribue à rendre la croissance africaine plus inclusive. En effet, la part de l’Afrique dans l’activité manufacturière est faible. La contribution du secteur industriel africain à l’économie totale du continent a diminué, de 18% à 11% entre 1975 et 2014[3]. Et le commerce intra-africain ne représente 15% du commerce total de l’Afrique. Dès lors, comment l’industrialisation, peut-elle participer à une transformation structurelle du marché africain et à la mise en place d’un développement plus inclusif ?

Contribuer à l’industrialisation africaine à travers la co-production

La mobilisation des investissements privés étant primordiale pour la création d’emploi et de richesse, les opérateurs nationaux sont invités à partager leurs expériences et à transférer leurs connaissances avec les pays africains, tout en exploitant le potentiel de production local. Le concept de coproduction développé par l’IPEMED (Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen) constitue alors un modèle industriel pertinent pour favoriser l’intégration régionale et contribuer au développement d’une économie africaine plus équitable[4].

Le positionnement du Royaume dans l’environnement macro-économique subsaharien appelle à un recours à la coproduction, reposant sur le partage de la chaîne des valeurs et un partenariat plus équilibré. L’industrie agroalimentaire permet non seulement d’augmenter l’approvisionnement alimentaire, mais également une création de richesse à travers la valorisation des produits alimentaires transformées localement et l’exportation des denrées. Les exemples marocains ne manquent pas. Cosumar, leader marocain du sucre, a remporté en 2015 un appel d’offre – estimé à 91,5 millions d’euros – pour la construction d’un complexe sucrier (quelques 30 000 ha de plantations de canne à sucre et une raffinerie) entre Batouri et Bertoua, à l’est du Cameroun[5]. La Compagnie chérifienne de chocolaterie (CCC) a également misé sur l’Afrique en installant en 2012 une première usine de transformation de cacao au Cameroun d’une capacité de 40 000 tonnes par an. Les produits finis « made in Cameroun » sont destinés au marché local et à l’exportation, principalement vers l’Europe.

Toujours dans le secteur agroalimentaire, le groupe Holmarcom – à travers sa filiale Les Eaux minérales d’Oulmès – a acquis, en 2015, 55% du capital de la société béninoise Eau Technologie Environnement (ETE), spécialisée dans la production et la distribution d’eaux minérales en bouteilles. ETE pourrait reposer sur le savoir-faire reconnu de son nouvel actionnaire, que ce soit sur la partie industrielle ou sur la distribution et le marketing, pour renforcer sa présence dans les pays limitrophes (Burkina Faso, Niger, Nigéria et Togo). Toujours dans le cadre de ses activités agro-industrielles, Holmarcom a signé, en novembre 2016, un Mémorandum d’Entente avec la Commission Ethiopienne pour l’Investissement pour la création d’une unité industrielle pour la valorisation des fleurs locales, via la production d’huiles essentielles et d’eaux florales destinées à l’export. L’Ethiopie, 4e exportateur de roses dans le monde, écoule ses roses en l’état, principalement vers le marché européen.

Ces investissements « greenfield » sont mis en avant aussi bien par les pays investisseurs que les pays d’accueil, sous une approche gagnant-gagnant. La proximité géographique, voire culturelle permet la redynamisation du tissu industriel local en assurant la création d’emploi, et le transfert technologique et de savoir-faire industriel. Les investissements marocains dans le secteur pharmaceutique constituent un parfait exemple. En effet, lors des premières Assises sur les médicaments et les produits de santé, organisées par le Ministère marocain de la Santé en décembre 2015, le Gouvernement chérifien avait annoncé son ambition d’accéder au marché africain et sa disposition à partager son expérience en matière de l’industrie pharmaceutique avec les pays du continent[6]. Dès octobre 2016, le laboratoire marocain Cooper Pharma a signé un mémorandum d’entente avec le Rwanda Development Board en vue de la construction d’une première usine pharmaceutique spécialisée dans les antibiotiques bêta-lactamines. Opérationnelle en 2019, cette usine est le deuxième projet du genre pour le laboratoire marocain en Afrique subsaharienne. Ce dernier procède actuellement à la réalisation d’une unité industrielle de production de médicaments en Côte d’Ivoire, suite à un accord signé avec le gouvernement ivoirien en 2014. Idem, Pharma 5, pionnier dans la production de médicaments génériques, a annoncé en septembre 2016 son intention de construire une usine pharmaceutique dans la zone franche de Bassam, près d’Abidjan pour un investissement d’un peu plus de 9 millions d’euros, en partenariat avec la société Alliance Médicale de Côte d’Ivoire (AM-CI)[7].

Créer des zones industrielles dédiées aux activités exportatrices vers l’Afrique

Bénéficiant d’une situation stratégique entre les régions du Nord et l’Afrique Sub-saharienne, les régions de Sud[8] constituent un carrefour d’échanges et de commerce par excellence.

A ce titre, il devient pertinent de donner un nouveau souffle aux zones franches de Laâyoune et Dakhla et de stimuler l’investissement privé tout en accompagnant la dynamique de développement régional. Conçues en adéquation avec le contexte économique régional, ces deux plateformes devraient lancer une nouvelle offensive commerciale pour attirer les industriels nationaux et/ou étrangers désirant exporter une partie ou la totalité de leur production vers l’Afrique subsaharienne et les Etats insulaires avoisinants.

L’idée étant de faire de ces deux zones franches d’exportation de véritables plateformes de délocalisation. Pour ce faire, des mesures devront être mises en place pour inciter les entreprises à y opérer : une exonération d’impôt sur les sociétés durant les cinq premiers exercices et un taux avantageux pour les vingt exercices Le Gouvernement marocain doit également œuvrer à construire de nouvelles lignes de transports directes vers les pays du Sud et à réduire les coûts logistiques.

De tels projets donneraient un signal fort d’incitation à l’investissement, à condition que l’indice de complémentarité soit élevé et que les exportations marocaines correspondent aux importations des pays partenaires. Ainsi, l’accent sera mis sur les ressources halieutiques, la transformation des produits maritimes et la congélation, et toute autre activité industrielle en lien avec la structure économique des pays subsahariens. Unimer, groupe marocain spécialisé dans les conserves de poissons et de légumes, entend renforcer ses activités à Dakhla, à travers trois nouvelles unités : une unité de triage de poisson, une conserverie et une exploitation d’élevage aquacole de 180 hectares[9]. Ce nouveau projet de valorisation des petits pélagiques permettrait au groupe de consolider sa présence sur le continent africain qui étale déjà ses produits dans une trentaine de pays du continent (Afrique du Sud, Bénin, Guinée, Nigéria, Niger, RDC, Sénégal, Togo, etc.)

Autre marché juteux, le coton, dont la part de l’Afrique de l’Ouest dans la production continentale atteint les 65%. Le Maroc, fort de son industrie de textile, pourrait importer une partie de la production ouest-africaine (burkinabaise, malienne ou ivoirienne) et la transformer sur place avant de la réexporter, créant ainsi un « marché africain du coton ». Des unités d’égrenage mais également de valorisation pourraient voir le jour dans la zone franche de Laâyoune pour transformer la fibre en fil puis en tissu. D’autant plus que le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, apporte un appui soutenu à l’émergence d’un amont textile[10].

Ceci s’inscrit en droite ligne avec le nouveau modèle de développement des provinces du Sud initié par l’Etat marocain. « Le Maroc s’engage aujourd’hui à faire du Sahara marocain un centre d’échanges et un axe de communication avec les pays africains subsahariens et à mettre en place les infrastructures nécessaires à cet effet » déclarait le Roi Mohammed VI lors de son discours à la Nation du 6 Novembre 2015, à l’occasion du 40e anniversaire de la Marche verte.

Tous ces facteurs feront des régions du Sud un terreau favorable à l’investissement et aux échanges économiques, faisant évoluer ces régions vers un véritable hub pour l’Afrique subsaharienne.

Ainsi, les expériences de coproduction présentées dans cet article, auxquelles s’ajoutent de nombreux cas non-signalés démontrent la mutation industrielle qu’est en train de se faire en Afrique subsaharienne. Toutes ces entreprises ont franchi le cap du sud dans un même but : une internationalisation en vue d’accroître leur compétitivité. Elles ont su saisir les bonnes opportunités et s’adapter à leur environnement, ce qui leur permettront de renforcer leur capacité de développement et d’asseoir leur leadership dans un marché à l’échelle régionale, voire continentale.

L’importante implication des opérateurs marocains et leur forte présence dans le domaine de la finance, des télécommunications et du logement, font que le Royaume est à l’heure actuelle le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest. Il est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais affiche sa volonté d’en devenir le premier. En intégrant la CEDEAO, le Maroc bénéficiera de facilités d’exportations et consolidera sa présence sur le continent. La mise en œuvre des accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition accélérerait cette dynamique. En outre, un certain nombre de recommandations est proposé pour relever le défi du développement industriel africain et inscrire ce partenariat industriel dans la durée.

  • Les opérateurs marocains devraient favoriser un esprit « gagnant-gagnant » avec les pays subsahariens afin de garantir leur développement. La coproduction permettra de soutenir la montée en gamme industrielle des pays subsahariens, à travers le transfert de technologie et le redéploiement des chaînes de valeur et de production. Les entreprises commanditaires devraient également proposer des formations pour la main-d’œuvre locale et travailler en étroite collaboration avec les entreprises locales, en amont et en aval. L’accent devrait être mis sur l’industrie à forte valeur ajoutée. La « montée en gamme » africaine sera alors rendu possible par l’existence d’entreprises de pointe dans chaque secteur clé.
  • Les pays subsahariens devraient élaborer des politiques sectorielles claires, adapter leurs législations et mettre à disposition des zones aménagées afin d’exercer une attraction sur les investisseurs internationaux, marocains inclus. Ces politiques industrielles – agroindustrielles et manufacturières – impulseraient une transformation structurelle et durable des économies locales et favoriser le commerce intra régional.
  • Enfin, il serait pertinent de créer un fonds d’investissement maroco-africain dédié au secteur privé pour financer et accompagner les entreprises marocaines qui souhaitent investir dans les pays de la CEDEAO et les entreprises subsahariennes qui s’intéressent au Maroc. Ce fonds financerait des projets prioritaires dans l’industrie, l’agro-industrie, l’énergie, les télécommunications, le transport, le tourisme et autres services.

Le secteur énergétique, à travers sa chaine de valeur, suscite un grand intérêt des investisseurs internationaux. Selon une étude menée par Havas Horizon, 38% des investisseurs sondés placent le secteur des énergies à la tête des secteurs les plus prometteurs du continent[11]. L’augmentation croissante de la demande énergétique, couplée au potentiel de production de mix énergétique, représente un marché de plusieurs milliards de dollars d’investissements sur les prochaines décennies. De plus, le secteur draine davantage d’emploi et participe à la création d’un véritable écosystème, bien plus qu’un secteur manufacturier « traditionnel ». A ce titre, Nareva et Green of Africa, nouvelle joint-venture créée par les groupes marocains FinanceCom, Akwa et Sonifam ont tout à gagner en étudiant la possibilité de construction et d’exploitation d’unités de production énergétique sur l’ensemble de l’Afrique, aussi bien dans le solaire, l’éolien, l’hydroélectrique, la biomasse que le géothermique.

Hamza Alami

[1] L’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sera officialisée lors du sommet de l’organisation prévu le 16 décembre au Togo, à Lomé.

[2] Rapport économique sur l’Afrique 2017, Commission économique pour l’Afrique (UNECA) | Publié le 04 avril 2017 https://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/ERA/ERA2017_Fr/chap1_03.pdf

[3] Revue annuelle sur l’efficacité du développement (RAED), « Accélérer le rythme du changement », Groupe de la Banque africaine de développement, 2016.

[4] Maxime WEIGERT, Coproduction en Méditerranée : Illustrations et recommandations, IPEMED, Etudes & Analyses, Novembre 2014 | http://www.ipemed.coop/fr/publications-r17/etudes-analyses-c108/coproduction-en-mediterranee-illustrations-et-recommandations-a2399.html

[5] Cosumar est également en train d’étudier une implantation au Soudan à travers une unité de production de sucre à base de canne.

[6] Pharmaceutique : le Maroc prêt à partager son expérience en Afrique | Publié le 12 décembre 2015 http://www.ugppartenariats.com/index.php/news/details/5

[7] L’unité, objet du mémorandum signé par la société Pharma 5 et le Ministère ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique, sera spécialisée dans la fabrication de produits génériques. Elle commercialisera ses produits en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région.

[8] Les trois régions du Sud sont : Guelmin-Oued Noun, Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab.

[9] Ce projet fait suite au protocole d’accord signé en Mai 2014 entre le groupe Unimer et l’Autorité de la Zone Franche de Nouadhibou pour l’implantation d’un complexe industriel de transformation et de valorisation des espèces pélagiques dans la Zone Franche de Nouadhibou en Mauritanie, pour un investissement global de 28 millions de dollars.

[10] Les écosystèmes textiles lancés en février 2015 par le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique – dans le cadre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020 – visent à l’horizon 2020, la création de 100 000 emplois et la réalisation d’un chiffre d’affaires additionnel à l’export de 5 Milliards de Dirhams (500 millions d’euros).

[11] Financer la croissance africaine à l’horizon 2020 : perception des investisseurs internationaux, Havas Horizons | Publié le 03 août 2016 http://choiseul.info/wp-content/uploads/2016/08/HAVAS_HORIZONS_2016_FR.pdf

L’économie camerounaise face aux Accords de Partenariat Économique ACP/UE

Depuis le début des années 2000, l’Union Européenne et les pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) ont entamé un processus visant à permettre la libéralisation de leurs échanges. Ces accords dits « Accords de Partenariat Économique » (APE) soulèvent de nombreuses questions sur leurs effets pervers sur les pays de la zone ACP, et le Cameroun ne fait pas exception.

Cet article, après avoir rappelé les bases des APE, visera à étudier leurs effets sur la compétitivité des entreprises camerounaises.

1. Contexte de ratification des Accords de Partenariat Economique par le Cameroun

Les Accords de Partenariat Économique (APE) sont des accords commerciaux visant à développer le libre échange entre l’Union Européenne (UE) et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Plus spécifiquement, ils visent la création d’une zone de libre échange entre l’Afrique et l’UE avec l’ouverture des marchés, le transfert technologique, les coopérations et partenariats internationaux et les nouveaux débouchés.

Ces accords interviennent après la convention de Lomé initialisée en 1975 et l’accord de Cotonou passé en 2000. Ils comprenaient dans un premier temps la prolongation des « préférences commerciales » non réciproques[1] qui ont pris fin en 2014. Au cours de cette année, le Cameroun a signé un accord intermédiaire de manière isolée et ce dernier est entré en vigueur en Aout 2016 (Tidiane  Dieye, 2014). Une nouvelle étape dans son application a été conclue en Août 2016 lors de la signature de son décret d’application par Son Excellence Paul Biya (Camerpost, 2016). Il prévoit une suppression de 80% des droits de douanes pour les produits européens sur une période de 15 ans[2] (Ramdoo, 2015) ; ce qui aura tendance à densifier l’offre des biens sur le marché camerounais.

Toutefois, la ratification des APE liant les pays africains à l’Union Européenne (UE) intervient dans un contexte paradoxal pour le Cameroun. En effet, depuis plusieurs années, le pays a entamé le processus de diversification de ses partenaires internationaux. On note particulièrement la baisse de la part de l’UE dans le commerce extérieur du Cameroun et l’émergence de la Chine en terre camerounaise depuis plus de 5 ans. Elle représente aujourd’hui environ 17% des échanges extérieurs du Cameroun et est de plus en plus impliquée aussi bien au niveau du commerce des biens et services qu’au niveau des infrastructures routières, de l’hydroélectricité, des télécommunications, des logements sociaux et de l’alimentation en eau.

Si l’on s’en tient à ces aspects, on avancera que les APE vont favoriser et ou renforcer l’industrialisation des pays africains. Pourtant, l’expérience des USA, de la Corée du Sud, de la Chine et de la Suisse montre que pour se développer et s’industrialiser il faut parfois s’enfermer (Pougala, 2013). En effet, pour rester compétitifs face aux produits manufacturés venant de la Grande Bretagne au XIXème siècle, les industriels américains ont convaincu le congrès de voter une loi portant le droit de douane à 47% sur les produits manufacturés en provenance d’Europe. Cette configuration a permis à l’industrie américaine de se développer sans être perturbée par les forces extérieures.

Dès lors, nul doute que la ratification des accords de partenariat économique du 22 Juillet 2014 aura des répercussions négatives fortes sur les pays africains signataires en général. Nous étudierons ici les effets des APE sur l’économie camerounaise en particulier.

2. Conséquences ou perversité des APE au Cameroun

Le Cameroun est aujourd’hui le seul pays d’Afrique Centrale à avoir franchi le cap du démantèlement tarifaire[3]. La simulation de l’impact de ce démantèlement tarifaire, sans la mise en œuvre du volet développement et la mise à niveau des entreprises locales, dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’emploi (DSCE) exposait des pertes cumulées des recettes non pétrolières à 459,6 milliards de F CFA entre 2015 et 2020. En termes de recettes fiscales, ces pertes cumulées jusqu’en 2013 étaient estimées à 1330 milliards.

Les APE favoriseront également l’éviction des contrats réalisables à moindre coût à cause de la corruption permanente (Pougala, 2013). Alors que de nombreux projets étaient jusqu’ici négociés de pays à pays, ils devront désormais être soumis au marché des appels d’offres et à toutes ses dérives, en réponse à la législation européenne désormais appliquée.

Par ailleurs, le cœur de la politique économique de l’UE étant que l’Etat ne doit avoir de contrôle sur aucune entreprise, les APE vont également favoriser la privatisation des entreprises publiques (Pougala, 2013). De la sorte, par ces accords, le Cameroun doit s’attendre à des procès d’entreprises européennes dénonçant le fait que les entreprises camerounaises qui fournissent les services de base soient les propriétés plus ou moins exclusives de l’Etat.

Au-delà de ces aspects, la principale inquiétude réside dans le fait que la mise en œuvre des APE se fera au détriment du commerce intra africain, les entreprises nationales seront confrontées à l’intensification de la concurrence internationale des firmes plus aguerries de l’Union Européenne. Ce qui ne sera pas sans incidence négative sur l’économie camerounaise à cause de la faible productivité et de la faible compétitivité de celle-ci.

En le classant 115ème sur 145 pays en 2013[4], le forum économique mondial (World Economic Forum) réaffirme la capacité limitée des entreprises du Cameroun à créer les richesses et les emplois. Même sans les APE, la mise à niveau des entreprises camerounaises est un impératif pour exister dans un monde en pleine globalisation. Le principal défi pour cette économie est d’assurer la compétitivité de son secteur privé.

3. Les perspectives pour la compétitivité des entreprises camerounaises

Plusieurs « instruments » ont été mis en œuvre pour favoriser la compétitivité des entreprises. L’on peut citer le comité de compétitivité, le projet de compétitivité des filières de croissance, le Cameroon business forum, la banque agricole, l’agence des petites et moyennes entreprises (Eloundou, 2014). Mais les résultats obtenus ne sont pas assez satisfaisants et suscitent de nouvelles recommandations. A côté du plan d’adaptation de l’économie camerounaise, évalué à 2500 milliards de francs CFA, qui vise le renforcement du tissu économique à travers l’amélioration de la compétitivité des entreprises nationales et de l’enveloppe de 6,5 milliards de l’UE pour soutenir cette même  compétitivité, plusieurs actions sont envisageables.

L’élargissement de l’assiette fiscale

Contre la baisse des droits de douane, on peut envisager un élargissement de l’assiette fiscale. En 2011, le secteur informel représentait 90% de la population active et contribue à environ 30% du PIB de l’économie nationale avec 2,5 millions d’unités de production informelles (INS, 2011 ; Mbodiam, 2017). Les intégrer aux moyens de reformes appropriées aidera à collecter de nouvelles ressources pour répondre aux exigences de la compétitivité entre autres. La première exigence est la création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires, la deuxième exigence est la culture de l’innovation.

La création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires

Plus de la moitié des chefs d’entreprises interrogés donnent une opinion défavorable de l’environnement des affaires au Cameroun. Les facteurs les plus dégradants font référence aux infrastructures, à la corruption, à la concurrence déloyale, à l’accès au crédit, aux coûts élevés des facteurs de production, aux formalités administratives, etc. (RGE, 2009). Il en résulte que le gouvernement doit effectivement devenir un partenaire efficace du secteur privé en renforçant la construction des infrastructures, le développement des techniques de l’information et de la communication et les projets structurants dans le domaine de l’énergie. Ceci nécessite d’avoir également des institutions fortes.

La culture de l’innovation

La culture de l’innovation permet d’enrayer l’intensification de la concurrence par les prix en mettant l’accent sur d’autres facteurs de différenciation. Il est démontré qu’elle est un important facteur de production, de compétitivité ainsi qu’un levier de croissance, d’emploi, d’investissement et de consommation (Eloundou, 2014). Ainsi, les entreprises qui utilisent les innovations technologiques par exemple sont les plus productives. Par ce canal donc, les entreprises camerounaises pourront aisément se distinguer et se lancer à la conquête des gains et des nouveaux marchés.

Etant donné que cette innovation est fonction de la taille des entreprises, on peut comprendre pourquoi elle reste encore limitée au Cameroun où la plupart des entreprises sont de petite taille et ne disposent par conséquent pas de moyens pour supporter les coûts très élevés de recherche. En 2009, le pays comptait 75% de très petites entreprises[5] contre 1% de grandes entreprises[6]. La promotion de l’innovation nécessite le financement des activités de recherche-développement d’une part, et l’exploitation des résultats des travaux menés par les chercheurs d’autre part. Selon le recensement général des entreprises de 2009, seuls 11% des chefs d’entreprise en faisaient usage et on peut imaginer que ce chiffre n’ait pas beaucoup évolué.

La limitation de l’impact des mesures non tarifaires

Il s’agit de lever les obstacles non tarifaires que les acheteurs du monde imposent aux PME camerounaises et de limiter l’impact des mesures non tarifaires qui plombent les échanges commerciaux. Au moins 10% des entreprises camerounaises sont confrontées à des mesures non tarifaires contraignantes tant pour les exportations que pour les importations. Elles concernent notamment l’administration de la preuve à l’origine et des obstacles techniques au commerce. Par ailleurs, aucun produit camerounais de la première phase de démantèlement du 4 Août 2016 ne répond aux normes européennes. La limitation de l’impact de ces mesures peut se faire en assurant la cohésion au niveau national desdites règles, en rationalisant les dispositifs et en favorisant la transparence au niveau des mesures.

En somme, le développement des capacités productives du secteur privé camerounais exige que les entreprises camerounaises soient soutenues et remises à niveau pour être capables de répondre aisément aux exigences des marchés.

La signature des accords de partenariats économiques entre l’UE et le Cameroun en 2016, soulève de nombreuses interrogations, notamment sur leurs potentiels effets pervers sur l’économie camerounaise. Certaines mesures visant à améliorer la compétitivité des entreprises et le climat des affaires peuvent néanmoins être envisagées.

Claude Aline Zobo

[1] C’est-à-dire la levée des droits de douane pour les exportations des pays ACP tout en permettant le maintien des barrières tarifaires sur leurs importations en provenance de l’Europe.

[2]Pour plus de précisions sur l’évolution des tarifs, confère Brice R. MBODIAM « Cameroun : le Président Biya déclenche le démantèlement tarifaire progressif suite à l’entrée en vigueur des APE Avec l’UE », investir Au Cameroun, Août 2016.

[3] Abattement des droits de douane.

[4] 119ème sur 138 pays en 2017.

[5] C’est-a-dire les entreprises avec moins de dix salariés.

[6] C’est-à-dire les entreprises dont l’effectif est supérieur à 5000.

Références

Cheick Tidiane DIEYE (2014) : « Accord de partenariat économique : l’interminable saga aura bientôt une fin ? ».

Isabelle RAMDOO (2015) : « APE : quels gains pour l’Afrique et que peut elle perdre ? », ICTSD.

Jean Paul POUGALA (2013) : « APE Cameroun : voici pourquoi le Cameroun ne doit pas signer l’APE final », www.pougala.org.

Jocelyne NDOUMOU-MOULIOM (2016) : « APE : un déséquilibre à réduire », Cameroun Tribune.

Laurice ETEKI ELOUNDOU (2010) : « La compétitivité des entreprises camerounaises par l’innovation ».

Samuel NTOH (2009) : « La compétitivité et l’internationalisation de l’entreprise camerounaise face à l’ouverture des marchés ».

En 2100, plus d’un Terrien sur trois africain ?

Cet article a été écrit par Gilles Pison, spécialiste des questions de démographie et en particulier en Afrique. Il était l’invité de la dernière conférence de l’ADI qui s’est tenue à Paris, le 6 Octobre dernier. Cet article est initialement paru le 19 Septembre 2017 sur The Conversation.

La population du continent africain s’accroît rapidement. Estimée à 140 millions en 1900, elle atteignait un milliard d’habitants en 2010. Elle en comptera 2,5 en 2050 et plus de 4 en 2100, selon le scénario moyen des projections des Nations unies (voir la figure ci-dessous). Un humain sur 6 habite aujourd’hui en Afrique. En 2050, ce sera 1 sur 4, et plus d’1 sur 3 en 2100, selon ces mêmes projections.

À quoi tient cette forte croissance ? Se poursuivra-t-elle ? Le quadruplement d’ici la fin du siècle est-il inévitable ?

Gilles Pison (à partir des données des Nations unies), CC BY

Les raisons de la croissance

Si la population de l’Afrique augmente, c’est en raison de l’excédent des naissances sur les décès (quatre fois plus de naissances que de décès). La mortalité a beau y être la plus élevée du monde, elle y a diminué, comme elle l’avait fait auparavant dans les autres continents.

La fécondité y a également diminué, les femmes y mettant au monde 4,5 enfants en moyenne chacune en 2017, contre plus de 6,5 il y a quarante ans et 5,5 il y a vingt ans. L’Afrique connaît là aussi une évolution ayant déjà eu lieu dans les autres continents, où elle y est plus avancée : 2,1 enfants seulement par femme en Asie en 2017, 2,0 en Amérique latine, 1,9 en Amérique du Nord et 1,6 en Europe.

Cette moindre mortalité qu’autrefois et cette fécondité encore relativement élevée expliquent que la population de l’Afrique s’accroisse rapidement. Même si la fécondité continue de diminuer, comme le suppose le scénario moyen des Nations unies, il ne va pas en résulter tout de suite une diminution sensible du taux de croissance et encore moins un arrêt de celle-ci, en raison de l’inertie démographique.

À supposer que la fécondité africaine tombe dès maintenant à 1,6 enfant par femme comme en Europe ou en Chine – scénario hautement improbable –, la population continuerait pourtant d’augmenter pendant encore quelques décennies pour atteindre près de 1,6 milliard en 2050. La population de l’Afrique comprend en effet beaucoup de jeunes adultes en âge d’avoir des enfants ; même si chacun en avait peu, il en résulterait un nombre élevé de naissances.

L’évolution de la fécondité : plusieurs surprises récentes

Les projections de population publiées par les Nations unies en 1981 annonçaient 10,5 milliards d’êtres humains sur la planète en 2100 dans leur scénario moyen. Les dernières projections publiées en juin 2017 en annoncent 11,2, soit 0,7 de plus.

Le total est donc un peu plus élevé mais le véritable changement se trouve dans la répartition par continent : l’Asie, 5,9 milliards d’habitants en 2100 d’après la projection publiée en 1981, n’en a plus que 4,8 à cet horizon dans celle publiée en 2017. La révision est également à la baisse pour l’Amérique latine : 712 millions en 2100 au lieu de 1 187 (40 % de moins). À l’inverse, l’Afrique, 2,2 milliards d’habitants en 2100 d’après les projections de 1981, en a le double, 4,4 milliards, dans celles publiées en 2017 (voir la figure ci-dessous).

Première surprise : les enquêtes révèlent il y a 30 à 40 ans que la fécondité a commencé à baisser très rapidement dans beaucoup de pays d’Asie et d’Amérique latine. Les Nations unies ont donc revu sensiblement à la baisse leurs projections démographiques pour ces continents.

Autre surprise, plus récente, venue de l’Afrique intertropicale : on s’attendait à ce que sa fécondité baisse plus tardivement qu’en Asie et en Amérique latine, du fait de son retard en matière de développement socio-économique, mais on imaginait un simple décalage dans le temps, avec un rythme de baisse similaire aux autres régions du Sud une fois qu’elle serait engagée. C’est bien ce qui s’est passé en Afrique du Nord et en Afrique australe, mais pas en Afrique intertropicale où la baisse de la fécondité, bien qu’entamée aujourd’hui, s’y effectue plus lentement. D’où un relèvement des projections pour l’Afrique qui pourrait donc rassembler plus d’un habitant de la planète sur trois en 2100.

Gilles Pison (à partir des données des Nations unies), CC BY

Ce qui se passe en Afrique intertropicale

La fécondité diminue bien en Afrique intertropicale mais dans les milieux instruits et en villes plus que dans les campagnes, où vit encore la majorité de la population. Plusieurs facteurs pourraient expliquer que la baisse de la fécondité y soit pour l’instant plus lente que celle observée il y a quelques décennies en Asie et en Amérique latine (voir la figure ci-dessous).

L’Afrique se développe sur le plan économique, mais lentement, et sans encore avoir atteint le niveau des pays asiatiques ou latino-américains à l’époque où leur fécondité a commencé à diminuer fortement.

Or le développement économique et la baisse de la fécondité vont souvent de pair, la seconde étant souvent considérée comme une conséquence du premier. L’instruction des femmes est un facteur-clé dans ce processus : celles ayant été à l’école mettent moins d’enfants au monde que celles qui n’y sont pas allées. Les pays asiatiques et latino-américains ont beaucoup investi dans l’éducation pour tous il y a quelques décennies. Si l’éducation progresse en Afrique intertropicale, notamment chez les femmes, elle n’atteint toujours pas les niveaux observés en Asie et en Amérique latine lorsque la baisse de la fécondité s’est enclenchée dans ces continents.

Un autre facteur évoqué pour expliquer cette moindre baisse de la fécondité en Afrique est le partage des coûts pour élever les enfants. En Afrique, une partie des enfants est élevée par d’autres adultes que les parents – un grand parent, un oncle, une tante – ceux-ci prenant en charge les frais pour les nourrir, les habiller et les envoyer à l’école. Partout dans le monde, les humains font progressivement le choix d’avoir peu d’enfants, investissant sur chacun d’eux pour leur assurer une vie longue et de qualité, ce qui n’est pas possible quand il y en a beaucoup. Mais si avoir un enfant de plus n’entraîne pas de dépenses accrues du fait qu’il sera pris en charge par d’autres, l’incitation à avoir peu d’enfants reste moindre.

Gilles Pison (à partir des données des Nations unies), CC BY

Des élites peu engagées dans la limitation des naissances

La fécondité baisse plus lentement en Afrique qu’en Asie et en Amérique latine il y a quelques décennies ; et cela ne vient pas d’un refus de la contraception chez les Africains.

La plupart des familles rurales ne se sont certes pas encore converties au modèle à deux enfants, mais elles souhaitent avoir moins d’enfants et notamment plus espacés. Elles sont prêtes pour cela à utiliser la contraception mais ne bénéficient pas de services adaptés pour y arriver.

Les programmes nationaux de limitation des naissances existent mais sont peu efficaces, manquent de moyens, et surtout souffrent d’un manque de motivation de leurs responsables et des personnels chargés de les mettre en œuvre sur le terrain. Parmi les rares exceptions, le Rwanda, l’Éthiopie, et le Malawi, pays où les autorités sont très engagées en faveur de la famille de petite taille et ont fait de la diminution de la fécondité une de leurs priorités.

Au Rwanda, celle-ci a connu l’une des plus fortes baisses du continent, y diminuant de plus de 20 % en une décennie (elle est passée de 5,4 enfants par femme au début des années 2000 à 4,2 au début des années 2010). Mais dans la plupart des autres pays d’Afrique intertropicale, les responsables et les élites ne sont pas persuadés de l’intérêt de limiter les naissances y compris au plus haut niveau de l’État, même si ce n’est pas le discours officiel tenus aux organisations internationales. C’est là encore l’une des différences avec l’Asie et l’Amérique latine des années 1960 et 1970.

La question du « dividende démographique »

Pour convaincre les gouvernements africains de faire de la limitation des naissances une de leurs priorités, les organisations internationales leur font miroiter un « dividende démographique ».

En effet, quand la fécondité chute rapidement dans un pays, la part des jeunes diminue fortement sans que la part des personnes âgées n’augmente sensiblement au début. En conséquence, la part de la population d’âge actif augmente beaucoup, offrant une opportunité au pays de se développer économiquement. Cette situation favorable ne dure qu’un moment. Quelques décennies après, les personnes d’âge actif très nombreuses ont vieilli et augmentent alors considérablement le poids de la population âgée.

On estime qu’un certain nombre de pays asiatiques, dont la Chine, ont bénéficié de ce dividende et qu’il a pu représenter jusqu’à 10 à 30 % de leur croissance économique. En revanche, les pays d’Amérique latine n’en auraient pas bénéficié pour la plupart, faute d’emplois créés en quantité suffisante pour occuper le surcroît de personnes d’âge actif.

Mais si l’Asie et l’Amérique latine se sont engagées dans la famille de petite taille, ce n’est pas en espérant bénéficier d’un dividende démographique – on n’en parlait pas à l’époque. Les gouvernements ont développé des politiques de limitation des naissances pour réduire la croissance de la population jugée trop rapide pour un bon développement du pays.

Dans le cas de l’Afrique, les conditions pour qu’un dividende démographique ait lieu ne sont pas réunies : la fécondité baisse à un rythme trop lent ; et à supposer qu’elle se mette à baisser rapidement, les perspectives de croissance des emplois sont modestes et ne permettront sans doute pas d’absorber la main d’œuvre supplémentaire. Au cas peu probable où il y aurait un dividende démographique, celui-ci n’est qu’une perspective lointaine, dans quelques décennies.

L’Afrique n’échappera pas à une multiplication par deux de sa population d’ici 2050 en raison de l’inertie démographique que nul ne peut empêcher. Selon son développement économique dans les prochaines années, la progression de l’instruction chez les femmes et les politiques en faveur de la famille de petite taille, en 2100, elle sera trois, quatre, cinq, ou six fois plus nombreuse qu’aujourd’hui.

 

Gilles Pison

La jeunesse africaine : principale acteur du développement durable ?

L’Afrique constitue le continent le plus jeune au monde, avec environ 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans et une population dont 70 % a moins de 30 ans. Cette « poussée jeunesse » représente un potentiel considérable pour la réalisation de l’Agenda 2030 des Objectifs de développement durable (ODD) adopté par l’Organisation des Nations Unies. Cependant, elle s’accompagne de défis socio-économiques majeurs, notamment en matière d’éducation, d’emploi et d’inclusion. Le chômage des jeunes atteint des niveaux préoccupants, au moins deux fois plus élevés que ceux des adultes, tandis que la majorité des jeunes travailleurs demeurent cantonnés à des emplois informels ou précaires. Chaque année, entre 10 et 12 millions de jeunes Africains accèdent au marché du travail, pour seulement 3 millions d’emplois formels créés, creusant ainsi un écart alarmant entre l’offre et la demande d’emplois. On estime que 30 millions de jeunes Africains rejoignent chaque année le marché de l’emploi d’ici 2030, représentant à eux seuls les trois quarts des nouveaux actifs au niveau mondial.

Dans ce contexte, la manière dont l’Afrique mobilise actuellement son dividende démographique devient déterminante pour la concrétisation des ODD. Les dirigeants africains et les partenaires internationaux considèrent la jeunesse non plus comme une simple catégorie vulnérable, mais comme un acteur clé du développement durable. Cette vision repose sur la conviction que la jeunesse incarne un vecteur de croissance économique, capable de stimuler l’innovation, de renforcer la résilience des communautés et de transformer les structures productives. L’Union africaine adopte ainsi une feuille de route dédiée à l’investissement dans la jeunesse, qui encourage les États membres à prioriser les politiques d’éducation, de formation professionnelle, de santé et de création d’emplois. Les Nations Unies, de leur côté, insistent sur l’importance d’inclure les jeunes dans les processus de décision et de leur offrir des opportunités concrètes de participation, estimant qu’ils constituent des partenaires indispensables de l’Agenda 2030.

La question de l’inclusion économique des jeunes se situe donc au cœur des débats sur la croissance inclusive et le développement durable. Les politiques publiques et les stratégies nationales doivent prendre en compte la jeunesse comme moteur de l’économie, en adaptant les systèmes éducatifs aux réalités du marché du travail, en favorisant l’entrepreneuriat et en soutenant l’émergence de secteurs porteurs (économie numérique, agriculture durable, énergies renouvelables). L’atteinte des 17 ODD ne peut s’envisager sans une stratégie ambitieuse et concertée en faveur de l’emploi décent et de l’autonomisation des jeunes, qui sont à la fois les bâtisseurs et les bénéficiaires du développement durable sur le continent.

La jeunesse, acteur clé de la mise en œuvre des ODD dans les pays émergents

La jeunesse africaine constitue un facteur de production majeur pour l’atteinte des Objectifs de développement durable, en particulier dans les économies émergentes et en développement. Avec près de 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans selon les estimations de l’ONU en 2015, et une population dont 70 % a moins de 30 ans (données de la Banque mondiale), elle représente un levier démographique susceptible d’impulser une dynamique économique soutenue. Cette population en croissance rapide stimule la demande intérieure et produit des effets multiplicateurs sur la consommation, la productivité et la croissance du PIB.

Les contraintes structurelles persistent cependant : le taux de chômage des jeunes demeure deux fois plus élevé que celui des adultes, selon les données de l’OIT en 2016, et près de 80 % des jeunes actifs travaillent dans l’économie informelle, sans accès à la protection sociale ni à des revenus décents. Chaque année, entre 10 et 12 millions de jeunes accèdent au marché du travail en Afrique, pour seulement 3 millions d’emplois formels créés (données OIT, 2016). Cet écart alimente un sous-emploi massif qui freine l’absorption des jeunes dans les chaînes de valeur formelles et limite le potentiel de croissance inclusive.

La jeunesse compense ces déséquilibres par un engagement croissant dans des initiatives locales et régionales qui relèvent directement des ODD. En Afrique du Sud, les 100 000 ONG recensées dès la fin des années 1990 fournissent déjà plus de 1 % du PIB et mobilisent 9 % de la main-d’œuvre non agricole. Ces structures, souvent portées par de jeunes entrepreneurs sociaux, interviennent dans des secteurs essentiels tels que la santé communautaire, l’éducation de base, la transition écologique et la gouvernance participative. Ces contributions témoignent de la montée en puissance d’une économie associative qui complète les filières traditionnelles.

L’intégration des jeunes dans les mécanismes institutionnels de suivi des ODD progresse parallèlement. Dans plusieurs pays africains, les conseils nationaux de jeunesse participent aux consultations sur les politiques publiques et les arbitrages budgétaires. À l’échelle régionale, l’African Youth Initiative on Climate Change, qui fédère 30 000 jeunes dans 44 pays africains (données actualisées en 2016), structure des réseaux économiques autour des solutions climatiques et de la résilience des communautés rurales. Ces initiatives stimulent la création de micro-entreprises locales, l’émergence de filières de reboisement et le développement de pratiques agricoles durables, avec des impacts directs sur l’emploi et sur la valeur ajoutée.

La capacité d’innovation de la jeunesse se matérialise également par l’essor des solutions technologiques et numériques. Selon les rapports de la GSMA publiés entre 2015 et 2017, le taux de pénétration des smartphones dépasse 30 % dans plusieurs zones urbaines africaines. Des start-up dirigées par des jeunes proposent des services financiers mobiles, des plateformes de commerce électronique et des applications pour l’agriculture de précision, contribuant à l’amélioration de la productivité et à l’intégration des acteurs marginaux dans les circuits économiques formels.

La jeunesse se révèle ainsi comme un moteur essentiel de transformation économique. Les stratégies de développement et les politiques nationales doivent reconnaître ce capital humain et favoriser la formation de compétences en adéquation avec les besoins des secteurs productifs. Les investissements en faveur de la jeunesse – dans l’éducation, la santé et l’entrepreneuriat – constituent un multiplicateur économique à moyen et long terme. L’alignement des initiatives locales portées par les jeunes avec les programmes publics offre un levier pour stimuler la croissance endogène et garantir la stabilité macroéconomique et sociale du continent.

Entrepreneuriat des jeunes : un levier économique contre le chômage

L’entrepreneuriat des jeunes s’affirme comme un levier stratégique pour stimuler l’emploi et la croissance inclusive dans les économies africaines. Selon l’étude du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) réalisée en 2015, 60 % des jeunes Africains âgés de 18 à 34 ans estiment avoir les compétences nécessaires pour créer une entreprise et considèrent l’entrepreneuriat comme une voie économique viable. Cette dynamique entrepreneuriale s’appuie sur la généralisation des technologies mobiles et numériques, qui offre des opportunités inédites pour la création d’entreprises locales et l’émergence de modèles économiques innovants.

La montée en puissance des start-up africaines se confirme cette année : 124 start-up technologiques lèvent plus de 366 millions de dollars en 2016, marquant une hausse de 33 % par rapport à l’année précédente (données rapport Disrupt Africa, publié cette année). Cette progression des investissements traduit la confiance croissante des acteurs régionaux et internationaux dans le potentiel économique de la jeunesse. Les principaux pôles de cette dynamique se situent au Nigeria, au Kenya et en Afrique du Sud, qui concentrent plus de 80 % des financements, mais des écosystèmes émergent aussi en Afrique de l’Ouest et dans l’océan Indien.

Les initiatives publiques et privées viennent renforcer cette trajectoire. Au Nigeria, le programme Youth Enterprise With Innovation in Nigeria (YouWiN !) accompagne depuis 2011 de jeunes porteurs de projets par des concours de business plans, un soutien financier pouvant atteindre 50 000 USD par lauréat et un mentorat structuré. Les évaluations disponibles cette année montrent que ces jeunes entrepreneurs créent en moyenne 5 à 10 emplois chacun, contribuant ainsi à la réduction du chômage des jeunes et à la dynamisation des économies locales.

Des initiatives régionales portées par des acteurs privés confirment également leur impact économique. La Fondation Tony Elumelu soutient depuis 2015 des jeunes entrepreneurs issus de 54 pays africains. Cette année, son bilan fait état de 3 010 jeunes entrepreneurs formés et financés, qui créent à leur tour plus de 12 000 emplois. Ce modèle d’accompagnement structuré (formation intensive, capital d’amorçage et mentorat) démontre qu’un investissement ciblé dans l’entrepreneuriat des jeunes produit un effet multiplicateur rapide et mesurable sur l’emploi et sur la croissance.

Par ailleurs, des initiatives individuelles attestent de la capacité des jeunes à créer des entreprises viables malgré les contraintes d’accès au crédit et aux infrastructures. À Madagascar, la société de services Kentia Holding, fondée par un jeune entrepreneur, lance cette année une campagne pour incuber 100 start-up locales, avec l’objectif de renforcer le tissu productif et les chaînes de valeur locales. Aux Comores, l’entreprise Sihuwo La Komor, dirigée par un jeune entrepreneur, développe des services de communication et de design tout en mobilisant de jeunes artisans locaux, participant ainsi à la structuration de filières créatives. Ces exemples concrets illustrent l’impact direct de l’entrepreneuriat des jeunes sur l’emploi et sur la valeur ajoutée au sein des économies locales.

Les perspectives économiques de l’entrepreneuriat des jeunes reposent sur la capacité des États et de leurs partenaires à lever les obstacles persistants : accès limité aux financements, lourdeurs administratives, inadéquation de la formation avec les besoins du marché. Les jeunes entrepreneurs constituent un segment stratégique pour la diversification des économies africaines, l’amélioration de la productivité et la consolidation des bases de la croissance régionale.

L’essor de l’entrepreneuriat des jeunes favorise l’industrialisation légère, la modernisation des services et la création de nouveaux emplois, contribuant ainsi à la transformation structurelle des économies africaines. Cette trajectoire requiert toutefois un environnement macroéconomique et institutionnel favorable : un cadre réglementaire clair, des infrastructures adaptées et des incitations fiscales efficaces pour accompagner les jeunes entreprises. Dans cette perspective, l’entrepreneuriat des jeunes se présente comme un multiplicateur de richesse et un instrument puissant de mise en œuvre des ODD, créant de la valeur économique et sociale à long terme

Engagement citoyen et actions communautaires des jeunes pour les ODD

La jeunesse africaine démontre une capacité d’engagement citoyen et communautaire qui complète ses initiatives entrepreneuriales et s’inscrit directement dans la dynamique des ODD. Cette participation prend la forme d’actions locales structurées au sein d’associations, d’ONG ou de mouvements de jeunesse, visant à résoudre les problèmes sociaux et économiques des communautés. Ces initiatives constituent des relais essentiels pour l’appropriation des ODD au niveau local et pour la création de valeur économique et sociale.

En Afrique du Sud, les 100 000 ONG enregistrées dès la fin des années 1990 représentent déjà plus de 1 % du PIB national et mobilisent environ 9 % de la main-d’œuvre non agricole. Ces structures animent des secteurs essentiels tels que la santé communautaire, l’éducation de base ou l’insertion économique des groupes marginalisés. Cette capacité de mobilisation traduit l’émergence d’une économie associative qui contribue à la diversification des sources de croissance et à la réduction des inégalités.

Des réseaux transnationaux renforcent cette dynamique. L’African Youth Initiative on Climate Change fédère plus de 30 000 jeunes dans 44 pays africains. Ces réseaux agissent comme des plateformes d’échanges de compétences et de bonnes pratiques, favorisant la montée en compétences de jeunes acteurs locaux. Cette année, ils multiplient les campagnes de sensibilisation au climat et les projets de résilience communautaire, tout en stimulant la création de micro-entreprises locales spécialisées dans l’adaptation aux changements climatiques.

La participation des jeunes s’étend également aux processus institutionnels. Dans plusieurs pays, les conseils nationaux de jeunesse interviennent dans l’élaboration des politiques publiques et dans la formulation des priorités budgétaires, en lien avec les ODD. Cette intégration permet d’aligner les stratégies nationales sur les besoins et les aspirations des jeunes populations, créant ainsi un cadre propice à la croissance inclusive.

Au-delà de l’impact social, l’engagement citoyen des jeunes génère des retombées économiques significatives. Selon les estimations disponibles cette année, le secteur associatif africain participe à la structuration de filières d’emploi nouvelles, notamment à travers les services de formation, les campagnes de sensibilisation et les activités de volontariat. Le Programme VNU des Nations unies déploie chaque année des milliers de jeunes Africains comme volontaires, leur offrant une expérience professionnelle valorisée sur le marché du travail et renforçant les capacités locales.

Cet engagement collectif et communautaire offre aux économies africaines un réservoir de compétences et de leadership à faible coût pour l’État. Il réduit les pressions sur les systèmes publics en mobilisant des ressources bénévoles et des financements alternatifs. Cette année encore, de nombreuses initiatives de jeunes contribuent à l’atteinte des ODD en développant des projets de proximité : par exemple, des programmes de reboisement, des réseaux d’éducation communautaire et des actions de santé préventive qui, tous, alimentent des chaînes de valeur locales et dynamisent l’économie sociale.

La jeunesse, en tant qu’acteur de la société civile, s’impose donc comme un catalyseur de solutions endogènes et un partenaire incontournable pour la mise en œuvre des ODD. Son engagement communautaire, lorsqu’il est reconnu et appuyé par des cadres institutionnels adaptés, constitue un levier économique à fort potentiel pour la résilience et la croissance durable des économies africaines.

Focus sur l’ODD 13 : climat et mobilisation de la jeunesse africaine

L’ODD 13, consacré à la lutte contre le changement climatique, s’impose comme un axe central des priorités pour les économies africaines. La jeunesse du continent, consciente des risques pesant sur son avenir et sur les ressources productives, se mobilise de plus en plus pour développer des solutions locales et participer au dialogue international.

Cette année, l’African Youth Initiative on Climate Change regroupe plus de 30 000 jeunes répartis dans 44 pays, constituant ainsi l’un des plus importants réseaux régionaux engagés sur les enjeux climatiques. Cette mobilisation traduit la prise de conscience de la jeunesse face aux impacts du climat sur les performances économiques des secteurs primaires, notamment l’agriculture et la pêche, qui représentent encore 60 % de l’emploi en Afrique subsaharienne (données BAD et OIT).

La Conférence des Nations Unies sur le climat (COP22) tenue à Marrakech en novembre 2016 a marqué une étape décisive pour l’implication des jeunes Africains. La Conférence africaine des jeunes sur le changement climatique, organisée en amont, a permis de formuler une position commune qui insiste sur la nécessité d’autonomiser la jeunesse dans les processus décisionnels. Cette année, les retombées de la COP22 se traduisent par une multiplication de projets locaux dirigés par des jeunes, notamment dans la reforestation, la sensibilisation communautaire et l’adaptation agricole.

Dans le domaine concret, les jeunes Africains développent des modèles économiques intégrant l’adaptation au climat. Par exemple, dans les zones sahéliennes, des initiatives de jeunes contribuent à la mise en œuvre de la Grande Muraille Verte, qui ambitionne de créer une barrière végétale de 7 000 km du Sénégal à Djibouti pour freiner l’avancée du désert et sécuriser les terres agricoles. Ces projets locaux créent des emplois directs et indirects dans la gestion des pépinières, le transport et les services associés.

Des start-up dirigées par de jeunes ingénieurs proposent également des innovations à fort contenu technologique. Cette année, des applications mobiles de suivi climatique sont développées au Kenya et au Nigeria pour alerter les agriculteurs sur les risques météorologiques, améliorer les rendements agricoles et renforcer la résilience des filières productives. Ces initiatives contribuent à la modernisation de l’agriculture, tout en consolidant la place des jeunes dans la chaîne de valeur.

La dimension économique de l’action climatique des jeunes se mesure également par l’émergence d’emplois verts. La transformation des déchets en matériaux de construction, le développement de systèmes d’irrigation économes en eau et les installations solaires sont autant de créneaux dans lesquels les jeunes Africains créent de petites entreprises, participant ainsi à la diversification économique et à la création de valeur ajoutée locale.

La participation des jeunes aux négociations internationales, notamment à travers YOUNGO, le groupe officiel des jeunes à la CCNUCC, contribue aussi à influencer les orientations des financements climatiques. Les revendications portées cette année incluent un soutien accru à l’adaptation, des transferts de technologies et la création de mécanismes financiers permettant de stimuler l’investissement privé dans les projets portés par les jeunes.

Ces dynamiques confirment que l’ODD 13 n’est pas uniquement un impératif environnemental : il représente un levier économique pour les jeunes Africains, qui en font un moteur de croissance verte et inclusive. La reconnaissance institutionnelle et l’appui technique à ces initiatives sont essentiels pour libérer le potentiel d’innovation et d’emploi de la jeunesse, tout en réduisant la vulnérabilité des économies africaines face aux chocs climatiques.

Dispositifs d’accompagnement institutionnel pour l’insertion des jeunes en Afrique

La réussite de l’intégration de la jeunesse africaine dans les économies nationales et régionales repose sur l’existence de dispositifs d’accompagnement structurels et institutionnels. Cette année, plusieurs initiatives coordonnées entre les États, les institutions internationales et le secteur privé visent à maximiser l’impact économique de la jeunesse et à garantir la réalisation des ODD.

Du côté continental, l’Union africaine appuie les États membres avec sa feuille de route sur le dividende démographique, qui identifie quatre axes prioritaires : emploi et entrepreneuriat des jeunes, éducation et développement des compétences, santé et bien-être, et participation civique. Cette année, les chefs d’État réaffirment l’importance d’aligner les plans nationaux sur ces priorités pour renforcer la résilience et l’inclusion économique.

La Banque africaine de développement structure son action autour de l’initiative « Emplois pour les jeunes en Afrique 2016-2025 ». Cette initiative, dotée d’objectifs ambitieux, prévoit de créer 25 millions d’emplois pour les jeunes Africains et de sortir 50 millions d’entre eux du sous-emploi. Elle s’appuie sur trois piliers : l’entrepreneuriat, le développement des compétences techniques et l’accès à des emplois verts et durables. Cette année, le Conseil consultatif présidentiel de la jeunesse est mis en place pour proposer des solutions innovantes et renforcer l’adéquation des programmes avec les réalités locales.

L’Organisation internationale du travail coordonne l’Initiative mondiale pour l’emploi décent des jeunes, qui mobilise les agences des Nations unies, les partenaires techniques et les gouvernements africains. Cette plateforme favorise la mise en commun des expériences et des financements, afin de faciliter la transition des jeunes vers des emplois décents. Les programmes nationaux intégrés, tels que le projet Emplois décents pour les jeunes et les femmes en Côte d’Ivoire, illustrent l’impact économique concret de ces dispositifs : ils permettent la création de filières agroalimentaires locales et renforcent l’industrialisation légère, levier clé de la diversification économique.

Au niveau des partenariats public-privé, des initiatives comme celles de la Fondation Tony Elumelu ou de Mastercard Foundation consolident un modèle de financement de l’entrepreneuriat des jeunes. Ces fonds, combinés à des programmes de formation et de mentorat, réduisent les barrières à l’entrée pour les jeunes entreprises. Ils contribuent à la structuration d’écosystèmes entrepreneuriaux régionaux, un facteur essentiel pour la transformation structurelle des économies africaines.

La jeunesse bénéficie également de réseaux associatifs et de volontariat international, tels que le programme des Volontaires des Nations unies et le Corps des Jeunes Volontaires de l’Union africaine, qui offrent des opportunités concrètes de formation professionnelle et d’insertion économique. Cette année, ces programmes se traduisent par des missions locales qui renforcent les compétences managériales et techniques des jeunes participants, consolidant ainsi leur employabilité.

Ces dispositifs, pour atteindre leur plein potentiel, doivent s’adapter aux spécificités culturelles et sociales de chaque pays et être conçus comme des leviers économiques. Les analyses économiques convergent sur un point : investir dans la jeunesse africaine constitue un multiplicateur de croissance à long terme, capable de générer des retombées positives sur la productivité, la diversification et la compétitivité des économies nationales.

Partenariats intersectoriels pour concrétiser les ODD

La jeunesse africaine incarne un moteur de croissance et un acteur incontournable pour la réalisation des ODD. Ses initiatives entrepreneuriales, son engagement citoyen et ses innovations technologiques constituent des réponses locales aux défis économiques et sociaux qui freinent encore la croissance inclusive sur le continent.

Cette année, les bases d’une approche plus intégrée se renforcent : les États reconnaissent la valeur économique de la jeunesse dans les plans de développement, les bailleurs de fonds structurent des programmes de financement dédiés et les acteurs privés intègrent de plus en plus les jeunes entrepreneurs dans leurs chaînes de valeur. Les ONG et les associations, quant à elles, mobilisent des ressources locales qui complètent les investissements publics et stimulent l’auto-emploi et la productivité des jeunes.

La réussite de ces efforts dépend de la qualité des partenariats intersectoriels. Les gouvernements doivent continuer à instaurer des cadres réglementaires favorables, le secteur privé doit s’engager durablement dans la formation et l’investissement, et la société civile doit être valorisée comme un partenaire stratégique de mise en œuvre des ODD. En conjuguant leurs expertises et leurs ressources, ces acteurs posent les jalons d’une croissance durable et inclusive, créatrice de richesses et de résilience pour les générations futures.

Sources

Par Omar Ibn Abdillah

Les ports, des ressources pour les économies africaines

 Les ports représentent de véritables leviers économiques pour les pays, générant d’importantes recettes fiscales. Les pays africains l’ont bien compris, et cherchent à développer ces infrastructures et les services s’y rattachant de diverses façons. Cet article propose de présenter certains enjeux économiques liés aux ports, avant de présenter les investissement et acteurs qui contribuent à faire des ports des infrastructures de poids.

Le potentiel économique des ports

La tendance actuelle est de transporter le plus de marchandises possible dans des navires plus imposants pouvant transporter jusqu’à 19 000 EVP (Equivalent 20 pieds : unité de mesure mondiale). Cette tendance redessine le paysage maritime. Désormais les grands ports mondiaux tels que les ports de Shanghai ou celui de Singapour remplissent un rôle de hub (c’est à dire une plateforme de correspondance pour la marchandise, qui facilite l’acheminement de la marchandise vers un lieu différent), ce qui va déplacer les ports secondaires vers l’Afrique et Amérique du Sud : désormais l’Afrique du Sud prend en charge des navires de 10 000 EVP.

Sur le plan national, un port est un véritable levier stratégique et économique. En effet, plus le port sera attractif, plus il aura des chances de générer des recettes fiscales importantes pour l’Etat. Pour la plupart des pays africains, plus de 90% des importations et exportations passent par les ports. Ce lieu reste un moyen de contrôle de l’arrivé des marchandises avant de pénétrer le territoire. Divers acteurs contribuent au choix du port : les armateurs (structure proposant le transport de marchandises sur leurs navires), le chargeur (entreprises faisant appel aux armateurs) et enfin les transitaires qui mettent en relation ces deux acteurs.

Les pays enclavés comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, représentent des opportunités supplémentaires pour les pays côtiers : Par exemple, 60% des marchandises à destination du Mali passent par le port du Sénégal. Les pays côtiers sauront se différencier de par leur capacité à livrer les pays enclavés de l’hinterland rapidement et de manière efficace. Le critère de sélection des ports par les pays enclavés portera essentiellement sur les infrastructures environnant le port à savoir l’efficacité des réseaux routier et ferroviaire reliant le port. C’est pour ces raisons que les ports investissent également dans les liaisons multimodales. Deux grands projets vont dans cette direction. Le premier cas est celui de la boucle ferroviaire de 3 000 km reliant Cotonou (Benin) avec Parakou (Benin), Ouagadougou (Burkina Faso), Niamey (Niger) et Abidjan (Côte d’ivoire). Le deuxième cas est la ligne multimodal partant de Pointe Noir (République du Congo) et passant par Brazzaville (République du Congo) pour finir à Kinshasa (RDC).Cet axe est composé d’un réseau routier, ferroviaire et fluvial.

Investissements nécessaires

Pouvant s’étaler sur des surfaces jusqu’à 14 000 m² comme le port Richards Bay en Afrique du Sud, le deuxième plus grand port en conteneurs du continent Africain, les ports nécessitent des investissements lourds et permanents afin de maintenir leur attractivité et leurs performances.

L’investissement qui aura le plus d’impact reste le dragage, une technique qui permet d’enlever du sable, ou du gravier au fond de la mer. Cet investissement permet au port d’accueillir des navires avec des tirants d’eau (profondeur du bateau) plus important, qui peuvent par conséquent transporter plus de conteneurs. Le tirant d’eau conditionne toutes les activités sous-jacentes d’un port, ses équipements et ses infrastructures.

L’investissement le plus important en termes de coût est celui qui cible le matériel de manutention et les équipements. On retrouve dans cet investissement les équipements suivants :

  • Portique de quai : Chargement et déchargement de porte-conteneurs
  • Portique de parc (portique à l’intérieur du parc)
  • Grue mobile
  • Elévateurs (Véhicule qui transporte conteneurs)

Les investissements portés sur les entrepôts comme l’agrandissement des lieux de stockage ou les machines assurant la logistique permettront d’améliorer la gestion et le suivi des stocks.

Le système informatique est aussi un investissement à ne pas négliger. L’on peut citer le port du Benin qui a décidé de consolider son réseau informatique, ce qui a permis de faciliter la collecte de la TVA et réduit la paperasserie et le délai d’attente des navires sur les quais.

Enfin, les investissements dans la desserte de l’hinterland permettront aux marchandises de pénétrer le marché intérieur dans les meilleurs délais et de meilleures conditions.

Ces efforts financiers ont pour principaux objectifs d’augmenter l’efficacité des ports, de réduire le temps d’attentes des navires et rendre disponibles les marchandises le plus rapidement possible.

Privatisations des concessions portuaires

Les investissements abordés peuvent représenter une grande partie du budget de l’Etat si le port est entièrement nationalisé.
Par conséquent, les Etats ont souvent recours à la gestion sous forme de concessions via des partenariats publics – privé. Ces partenariats consistent à céder une partie du port sous forme de concessions à des partenaires privés. Le Port Autonome de Dakar en est un exemple, avec  DP World qui devrait investir plus de 500 millions d’euros sur 25 ans pour la construction et l’équipement du « port du futur ».

Parmi les principaux partenaires privés intervenant sur le continent, outre DP World, peuvent être citer Maersk qui gère le port de Monrovia au Libéria, et bien évidemment Bolloré avec plus de 15 ports à son actif sur le continent Africain.

Ce type de partenariat est à double tranchant pour la plupart des Etats faisant appel à des partenaires privés. Ce type de contrat a pour principal avantage de partager les risques et d’alléger les dépenses de la part des états. En effet, étant donné que les contrats de concessions ont généralement une durée moyenne de 15 ans, les entreprises sont plus enclines à effectuer des investissements de qualité, y compris en maintenance, puisqu’elles en tireront des revenus pendant cette période. Les inconvénients pour l’Etat sont d’une part la perte de contrôle des flux physiques des marchandises pénétrant sur le territoire. D’une autre part, les recettes fiscales liées au port peuvent être à la baisse car des exonérations fiscales sont parfois concédées.

A contrario, prenons par exemple le port de Radés en Tunisie dont la gestion n’est pas privatisée. Malgré le fait que ce port occupe la 9ème place du classement des ports africains, le port a des difficultés à répondre aux besoins d’une économie basée principalement sur l’import-export. Le délai d’attente est long pour charger et décharger les navires à cause des infrastructures qui présentent de problèmes d’efficience et de capacité et demandent à être rénovées.  De plus, le port a initialement été conçu pour fonctionner avec le système Roll Off Roll On (RoRo) qui consiste à charger et décharger les marchandises en les faisant rouler sur une rampe et les transports de remorque. Cependant, face à la recrudescence des conteneurs dans le commerce maritime, le port a eu du mal à s’adapter. Les cris d’alarme sur le port ne sont pas tombés dans les oreilles d’un sourd puisque le gouvernement promet d’investir pour la création de deux nouveaux quais à conteneurs et une zone logistique de 47 hectares.

L’intervention de partenaires privés permet donc d’apporter un véritable soutien financier et technologique. En revanche, comme nous l’avons énoncé précédemment, le port est véritable levier économique et stratégique du pays. Il permet également aux partenaires privés de collecter des devises étrangères. Ces nombreux avantages peuvent inciter les partenaires privés à abuser de leurs positions, comme l’entreprise Bolloré qui a été soupçonnée à de nombreuses reprises de financer plusieurs campagnes présidentielles.

Le futur : quels seront les grands ports de demain ?

Grâce au développement du commerce entre la Chine et le Brésil avec l’Afrique, le commerce maritime s’est développé en parallèle pour supporter le volume échangé qui a été multiplié par 10 durant cette dernière décennie. Ces tendances ont permis de faire naître les futurs grands ports de demain.
En Afrique de l’Est, les ports de Mombassa et de Djibouti entrent en concurrence notamment pour accueillir les nombreux navires naviguant en direction du canal de Suez.
En Afrique de l’ouest, le classement place le port de Lagos en première position grâce à sa population et sa force économique. Ce dernier est suivi de loin par les ports d’Abidjan, Dakar et Douala.
En Afrique du Sud, le port de Richard Bay qui occupe la deuxième place du classement des ports Africains reste le maître incontesté de la zone.
En Afrique centrale, les zones de conflit détériorent les réseaux routiers environnants les ports de la zone, ce qui n’enlève en rien l’énorme potentiel que présente cette zone en matière de gestion maritime et de desserte de l’hinterland.
Enfin l’Afrique du Nord est largement dominée par le port Saïd en Egypte grâce à sa situation géographique avec le canal de Suez et sa proximité géographique avec la péninsule arabique. Le port de Tanger Med occupe la deuxième place et contrairement au port égyptien, il est principalement tourné vers l’Afrique mais aussi vers l’Europe. Il occupe également la troisième place des ports Africains.

La concurrence se joue autant au niveau continentale qu’au niveau mondial. Dans ce dernier, le critère de différentiation portera surtout sur le transbordement, puisque que celui qui aura le meilleur service de transbordement pourra concurrencer les ports de la mer Méditerranée. En Afrique, les ports pouvant apporter cette valeur ajoutée seraient le port de Dakar / Mombasa au Kenya mais aussi celui de Tanger Med au Maroc.
Enfin, le regroupement de plusieurs ports en GIE (exemple Haropa : regroupement des ports du Havre, Rouen et Paris) restera une option supplémentaire pour tirer son épingle du jeu et proposer des services communs et complémentaires comme le dédouanement ou le stationnement des conteneurs.

Issa Kanouté

Sources

Magazine African business (édition de Avril – Mai 2017)

KA, Seydou, Les ambitions contrariés du port de Dakar (African business), 2017  

SAID ADEN, Samatar, La manutention portuaire au sein du terminal de Doraleh, 2010 :
http://www.memoireonline.com/09/11/4815/m_La-manutention-portuaire-au-sein-du-terminal-de-Doraleh9.html
LALEIX, Gaelle, L’empire Bolloré en Afrique: de la logistique aux médias, 2016
http://www.rfi.fr/afrique/20160413-france-empire-bollore-afrique-logistique-medias-ports-lome-conakry
ELION, Christian Brice, Transport : Bolloré opérationnalise le corridor Pointe-Noire/Brazzaville/Kinshasa, 2017a
http://www.adiac-congo.com/content/transport-bollore-operationnalise-le-corridor-pointe-noirebrazzavillekinshasa-63687
LA CONQUÊTE DE L’OUEST (DE L’AFRIQUE), 2016 – Ligne Cotonou – Abidjan
http://www.lemonde.fr/afrique/visuel/2015/09/03/la-conquete-de-l-ouest-de-l-afrique_4729018_3212.html#/
LEPIDI, Pierre, Comment l’Afrique de l’Ouest est devenue une cible pour les narcotrafiquants, 2016
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/26/comment-l-afrique-de-l-ouest-est-devenue-une-cible-pour-les-narcotrafiquants_4927153_3212.html

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