Carlos Lopes : « L’Afrique est l’avenir du monde »

Je veux me livrer dans les lignes suivantes à une recension du dernier ouvrage de M. Carlos Lopes, L’Afrique est l’avenir du monde, paru le 04/03/2021 aux éditions du Seuil dans la collection Poids et Mesures du Monde et disponible pour achat ICI.

Un mot sur l’auteur. Carlos Lopes est professeur émérite à la Nelson Mandela School of Public Governance, et professeur invité à Sciences Po Paris. Il a occupé des postes importants tels que ceux de sous-secrétaire général des Nations Unies et de directeur politique du secrétaire général Kofi Annan. Carlos Lopes a été secrétaire général adjoint des Nations Unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique de 2012 à 2016. Actuellement, il est le Haut représentant de l’Union africaine pour les partenariats avec l’Europe et membre de l’équipe de réforme dirigée par le président Paul Kagame.

L’ancien directeur de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique se montre assez critique – contrairement à ce que peut laisser penser le titre du livre – à l’endroit des discours d’afro-optimisme naïf, béat et exagéré; lesquels discours, en minimisant les défis réels du continent, finissent par paralyser l’élaboration des politiques publiques. Il ne tombe pas pour autant dans le piège du pessimisme. En somme, il rejette les catégories de pensée que sont l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme; ne les trouvant pas fécondes. Il tente dans le livre de dévoiler l’Afrique au ras des faits et “d’offrir des perspectives politiques innovantes sur des questions et des actions critiques nécessaires pour le changement dans le contexte complexe des économies africaines”.

L’approche holistique adoptée par Carlos Lopes me laisse croire que les travaux d’Emile Durkheim ne lui sont pas étrangers tant la vérité : L’économique est un fait social trouve une application dans l’organisation de l’ouvrage. Inutile de dire que l’auteur a réussi à éviter l’écueil de l’économicisme.

Dans le livre, l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies identifie huits défis que l’Afrique doit relever : réformer le système politique, respecter la diversité, comprendre le contexte des politiques publiques, se transformer structurellement grâce à l’industrialisation, augmenter la productivité agricole, revoir le contrat social, s’adapter au changement climatique et se donner la capacité d’agir dans les relations avec la Chine.

Loin de moi l’idée d’exposer en détails ces huits défis sinon je liquiderais, par là-même, l’incitation à acheter et lire le livre. Toutefois, il me faut donner à voir un de ces défis. Pour Carlos Lopes, le sort du continent africain est déterminé par l’impératif de la transformation structurelle par l’industrialisation. Pour ce faire, il sera nécessaire de combiner trois orientations en matière de gouvernance :

  • L’ambition, sans laquelle la plupart des pays ne pourront pas se préparer aux grands changements démographiques et à la concurrence toujours plus forte. Pour réussir, les pays doivent désormais être en capacité de prévoir les évolutions et d’anticiper les chocs. Il s’agit de cultiver une nouvelle forme de résilience, pour garder le cap des ambitions malgré les difficultés qui risquent de se présenter, qu’il s’agisse d’une sécheresse, de conditions climatiques extrêmes, ou de fluctuations des taux de change ou des prix des matières premières.
  • La cohérence ou la cohésion entre les différents acteurs nationaux, en particulier au sein des gouvernements. L’industrialisation nécessite une politique industrielle globale, ce qui signifie qu’elle doit être une priorité nationale et non pas simplement l’affaire du “ministère de l’Industrie” (…).
  • La sophistication est le troisième élément du triptyque gagnant. Compte tenu des niveaux actuels de mondialisation de la plupart des chaînes de valeur, un pays ne peut se positionner sans tenir compte de l’impact desdites chaînes dans ses choix et ses actions politiques. Par exemple, si un pays souhaite obtenir un niveau élevé pour un produit de base donné, disons le cacao ou le café, il doit être au fait du rôle des négociants internationaux. Si l’objectif est d’être un acteur de l’industrie de l’habillement, les transports et la logistique constituent une part importante de la structure de coûts.

Voilà un bout de la fécondité de la pensée développée par Carlos Lopes dans son livre L’Afrique est l’avenir du monde. Il y présente les ingrédients pour que le continent africain atteigne une véritable prospérité. Je vous invite à le lire. Pour l’anecdote, j’ai placé ce livre dans le coin droit supérieur de ma bibliothèque ; ce qui signifie “Livre à lire plusieurs fois”.

Pour finir, je veux relever une chose curieuse. Le livre a les traits d’un programme politique. De là, supposer que M. Lopes sera bientôt un homme politique compris comme acteur politique, il n’y a qu’un pas ! Ça tombe bien ; l’Afrique des Idées, notre think tank, le reçoit mercredi 29 Septembre 2021 à 19h pour un entretien. Vous pouvez vous y inscrire en cliquant ICI

Rencontr’Afrique sur le Franc CFA avec Nicolas NORMAND

Mercredi 02 octobre 2019. L’Afrique des Idées, bureau de Paris a eu l’immense honneur de recevoir M. Nicolas NORMAND, ancien diplomate français, normalien et énarque et enseignant à Sciences Po et à l’ENA. Il a été ambassadeur de France au Mali, au Congo, au Sénégal et en Gambie. Fort de son expérience et de sa fine connaissance de l’Afrique, il a partagé avec l’assistance sa vision de la monnaie FCFA en renchérissant l’agenda pour une réforme du FCFA proposé par L’Afrique des Idées. La « Rencontr’Afrique » débuta par une présentation des travaux du think tank sur la monnaie du FCFA puis s’ensuivit l’intervention de M. Nicolas NORMAND.

 

Agenda pour une réforme du FCFA

Le débat sur la pertinence du FCFA a eu une résonance très forte ces dernières années. Notre think tank s’est donc permis d’apporter sa contribution au débat à travers une analyse technique de la monnaie FCFA (analyse téléchargeable ici). Les résultats de cette étude ont permis d’élucider les caractéristiques de la zone franc et des économies des pays qui en font partie. En effet:

  • L’inflation est nettement maîtrisée dans les pays de la zone franc comparativement aux autres économies d’Afrique sub-saharienne, une performance non négligeable dans des pays pauvres où la réduction de l’incertitude afin d’attirer les investisseurs, couplée au maintien et à l’amélioration du pouvoir d’achat des populations sont essentiels ;
  • Le niveau des crédits à l’économie reste sous-optimal en dépit d’un taux de couverture de l’émission monétaire largement supérieur au minimum de 20% requis, mais il l’est aussi dans les économies situées en dehors de la zone ;
  • Les balances commerciales sont déficitaires en raison d’un manque de diversification des économies imputable à la faiblesse des structures et à l’absence d’une vision à moyen ou long terme.

Toutefois, le système de la zone franc ne constitue pas une panacée. En effet, les risques d’une radicalisation de la contestation populaire, voire d’une désintégration de la zone monétaire sont très probables pour deux raisons essentielles :

  • Les impacts sociaux de la stabilité monétaire (bonnes performances d’inflation) ne sont pas encore effectifs, un demi-siècle après l’introduction de la monnaie commune compte-tenu de l’insuffisance des performances d ’une croissance économique soutenue ;
  • La remise en cause de la « souveraineté monétaire » des États membres de la zone est réelle et exceptionnelle même si l’architecture institutionnelle du système de la zone franc telle que présentée ne suppose une quelconque domination de la France dans les décisions de politique monétaire.

Pour se prémunir de ces risques politiques, l’étude propose deux scénarios de réformes cumulables en mettant en exergue le rôle central des États et des politiques budgétaires. Le premier vise uniquement à maximiser les avantages du système monétaire actuel et envisage une révision des aspects de la monnaie commune qui ne nécessitent pas une remise en question de la convention de coopération entre la France et les États membres. Le deuxième scénario propose une évolution des dispositions actuelles de la convention de coopération qui remettent en cause la souveraineté monétaire des États membres. Plus spécifiquement, le premier scénario propose de :

  • Accroître le financement de l’intégration régionale en utilisant une partie des recettes générées par les réserves monétaires et les opérations d’open-market pour financer des infrastructures régionales, ou pour servir de garantie à des prêts ;
  • Ne plus faire fabriquer la monnaie par la Banque de France, mais par un prestataire choisi à l’issue d’un appel d’offre. Idéalement, le lieu de fabrication devra être externe à la zone franc pour éviter les risques de conflits politiques ;
  • Renommer la monnaie commune de manière à lui enlever toute connotation coloniale.

Le second scenario consisterait à :

  • Remplacer le compte des opérations par un compte d’avances auprès de la Banque de France ;
  • Mettre en place une commission d’experts incluant des représentants français, en lieu et place de leur présence au sein du conseil d’administration et du comité de politique monétaire des banques centrales.

Au-delà de ces réformes, les États ont un rôle essentiel à jouer afin d’optimiser les effets de la politique monétaire. Ils devront :

  • Accroître le financement du secteur privé à travers le déploiement de solutions innovantes de gestion des risques de crédits et d’assurance ;
  • Faire de la diversification économique une priorité en se focalisant sur la production locale de produits de première nécessité tels que le riz, le blé, le lait et la volaille ;
  • Approfondir l’intégration régionale en accélérant la normalisation des réglementations et en donnant davantage de moyens à la Banque Ouest Africaine de Développement pour financer la convergence des économies de la sous-région.

Intervention de M. Nicolas Normand

L’ancien diplomate français a commencé son discours avec beaucoup de pédagogie sur la question monétaire. En effet, la monnaie, rappelle-t-il, est un instrument qui remplit trois fonctions essentielles :

  • La monnaie comme unité de compte. Elle permet d’exprimer la valeur de tous les biens et services dans une unité commune et de faire des choix en conséquence. Elle rend ainsi possible l’allocation des ressources selon leur usage optimal. 
  • La monnaie comme instrument d’échange. Elle facilite les transactions entre les agents économiques. Elle rend possible des échanges qui seraient beaucoup trop complexes dans une économie de troc.
  • La monnaie comme réserve de valeur. Elle permet de transférer du pouvoir d’achat. Elle rend possible l’accumulation du capital via l’épargne. Il faut pour cela que la monnaie soit stable, c’est à dire qu’il soit possible d’épargner sans craindre que la monnaie perdra en valeur à un degré imprévisible.

En plus de ces 3 fonctions sus-citées, la monnaie présente aussi une dimension politique, insiste-t-il. En effet, la monnaie est outil de souveraineté nationale d’un pays et, d’un point de vue anthropologique, un facteur de lien social, de cohésion, de rapprochement entre membres d’une même communauté. M. Normand aborde ensuite les caractéristiques du FCFA.

Il précise en effet, que le franc FCFA a bien rempli ses fonctions économiques notamment celle de réserve de valeur. L’inflation dans la zone franc est totalement maitrisée (0,8% en 2017) générant ainsi de la confiance en l’avenir et permettant d’attirer les investisseurs. La zone franc connait donc une stabilité monétaire remarquable. Il a pris l’exemple du Zimbabwe, pays hors de la zone franc, qui pour des besoins de financement des coûts de fonctionnement de l’Etat, s’est mis a imprimé des billets. Les prix se sont envolés, l’économie s’est totalement dérégulée. Une autre caractéristique de la zone franc est que les pays s’y trouvant doivent déposer la moitié de leurs réserves de change au Trésor français. Tous les pays, africains ou pas, ont généralement besoin de détenir un peu de réserves de change (un matelas de 3 mois) afin de pouvoir assurer les importations. Donc techniquement, ça ne changerait pas grande chose, si les réserves de change étaient stockées à Bamako ou à Cotonou. Par contre, cela pose un problème politique, un problème de souveraineté. 

L’ancien diplomate donne son point de vue personnel en indiquant qu’il épouse l’idée de la sortie du FCFA par les pays qui l’utilisent. La raison principale pour laquelle il est partisan de la sortie du FCFA est l’aspect politique et symbolique. Il lui paraît essentiel de couper le cordon ombilical avec la France qui alimente tous les fantasmes de la francafrique. La solution peut être soit une européanisation complète du système où la BCE remplace la banque de France ou bien un système purement africain : des monnaies nationales ou bien une nouvelle monnaie commune, ce qui est plus compliqué à realiser. Il ajoute que le système cfa favorise les investissements et échanges avec la zone euro et non spécialement avec la France, sans handicap pour les autres grands partenaires (Chine et usa). Mais il est clair qu’une monnaie stable est nécessaire mais nullement suffisante. 

Par ailleurs, M. Nicolas Normand souligne la faiblesse des échanges intra-zone franc. Il pense même que, si l’idée de la monnaie commune est utile, elle n’est en revanche pas nécessaire car les pays de la zone franc échangent très peu entre eux. Il indique aussi que d’autres problématiques, tout aussi importantes que celle de la monnaie FCFA, sont au cœur des défis à relever par les pays africains. Son livre « Le Grand Livre de l’Afrique » aborde les questions de politique, d’économie, de culture, de terrorisme. Il y dresse un panorama complet de la réalité africaine tout en proposant des approches de solutions qui pourraient remettre l’Afrique en phase avec son ambition d’émergence. 

Rencontr’Afrique Bureau de Dakar : « Jeunesse africaine et entreprenariat : comment peuvent-ils améliorer le climat des affaires ? »

Le Samedi 27 Janvier 2018, Les membres de l’Afrique des Idées du bureau de Dakar ont eu l’honneur d’être accueillis par M. Ibrahim Théo LAM, fondateur de l’Ecole Supérieure de Développement du Leadership. L’homme d’affaires, entrepreneur et écrivain a entretenu les membres du bureau de Dakar sur la contribution de la jeunesse dans le leadership et l’amélioration des affaires en Afrique.

L’Afrique a ce qu’il faut pour relever les défis économiques et sociaux !

Un constat général pour débuter. Dans un langage engagé, M.LAM a commencé par soulever le fait que l’Afrique n’a pas à pâlir de sa situation en matière de ressources pour son développement.

En effet, le continent dispose de la plupart des ressources naturelles de la planète : 97% des réserves mondiales de cuivre, 80% de celles de coltan, 57% de celle d’or, 23% de celles d’uranium et phosphates, 32% de celles de manganèse, 41% de celles de vanadium, 49% de celles de platine, 60% de celles de diamants, 14% de celles de pétrole…En termes d’agriculture, l’Afrique possède de vastes terres fertiles de forêts.

Malgré ce potentiel énorme, la plupart de ces ressources reste sous-exploitées et majoritairement cédées à des entreprises étrangères, ce qui crée une énorme dépendance de l’extérieur. Ce constat est d’autant plus vrai pour ce qui concerne l’alimentation. En Afrique subsaharienne par exemple, 24 % des céréales consommées localement en 2014-16 étaient importées et cette proportion devrait passer à 27 % au cours de la période de projection, de 2017 à 2026.[1]

Ce constat sera toujours le même temps que les autorités ne mettront pas en place de vraies politiques sectorielles, en vue de réduire le gap en matière d’infrastructures (agricoles, énergétiques, transport…) et favoriser la production et la consommation locale.

Une contribution de la jeunesse au développement économique peu valorisée

La jeunesse Africaine se trouve au cœur de toutes les rencontres et sommets sur le développement de l’Afrique. Selon M. LAM, en plus de contribution intellectuelle, le Jeune Africain apporte des solutions concrètes et originales aux problèmes de développement dont il faut tenir compte.

Les jeunes représentent près de 30% de la population mondiale. En Afrique de l’Ouest comme en Afrique centrale, les moins de 25 ans représentent plus de 60% de la population[2]. Cette population peut constituer une opportunité si les politiques actuelles tiennent compte de leurs aspirations et problèmes. Ceci devrait passer par un renforcement du rôle de la jeunesse dans la promotion du développement économique et social de nos Etats.

Il faudrait davantage de cadres visant à promouvoir le dialogue entre la jeunesse et les autorités à tous les niveaux, et des mécanismes leur permettant d’accéder à l’information et d’exprimer leur point de vue sur les décisions de politiques publiques.

Une inadéquation des formations face aux besoins du marché du travail

Concernant le marché du travail et l’insertion professionnelle des jeunes, l’intervenant a relevé l’inadéquation de l’offre de formations actuelle avec les besoins réels du marché de l’emploi. Pour lui, les écoles Africaines ne préparent pas assez les étudiants aux réalités et aux comportements à avoir dans le milieu professionnel. C’est ce constat qui l’a amené à proposer une alternative : l’Ecole Supérieure de Développement du Leadership[3].

Cette école se veut être une plateforme de transformation pour un changement social. Le modèle développé permet aux étudiants d’être acteurs de leurs formations. Avec une pédagogie active et alternative, et une faculté de professionnels, l’ESDL prépare de jeunes leaders aptes à promouvoir une renaissance africaine.

Entreprendre en Afrique : entre contraintes environnementales et pressions sociales

Dans son intervention, M. LAM a aussi partagé la vision qu’il se fait de l’environnement des affaires en Afrique de l’Ouest, région qu’il connait bien.

M. LAM a mis un point d’orgue sur le fait que l’entrepreneur en Afrique fait face à plusieurs contraintes. En plus du cadre des affaires contraignant, le jeune entrepreneur Ouest-Africain fait face à des pressions sociales non négligeables et évolue dans un environnement qui ne favorise pas « l’essayage ». L’intervenant a donc exprimé la nécessité d’encourager les jeunes à entreprendre en les poussant à se découvrir eux même et en valorisant leurs initiatives.

En conclusion, M. LAM exhorte la jeunesse à faire le pari du leadership et prendre le courage de s’engager dans la politique. Les défis sont grands et la jeunesse a toute sa place dans les instances de décisions publiques.

L’Afrique des Idées – Dakar

[1] Rapport de Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Juillet 2017

[2] Banque Mondiale, 2017

[3] http://esdl.sn/

Rencontre avec le Professeur Nicaise Médé

Le Samedi 5 Août 2017, s’est tenue sur le campus d’Abomey Calavi une rencontre d’échanges du Cercle de réflexion l’Afrique des Idées, think tank indépendant sur le thème des compétences nécessaires pour un Bénin Emergent. Sous l’égide du Professeur Nicaise Mede, Agrégé des Facultés de droit, Directeur du Centre d’Étude sur l’Administration et les Finances (CERAF), la rencontre s’est articulée autour des défis démographiques du continent de façon générale, l’insertion professionnelle ainsi que l’empreinte de l’afro responsabilité dans les approches de solutions de façon spécifique.

Des chiffres qui peignent un tableau pessimiste

D’après une étude conjointe conduite par l’Organisation des Migrations Internationales (OMI et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), on estime à 20.000 cadres compétents qui quittent chaque année l’Afrique pour s’installer dans les pays occidentaux, où ils sont susceptibles d’obtenir des situations professionnelles plus avantageuses. Cette forte migration, toutes causes confondues,  prive doublement le continent de ressources valides pour contribuer à son développement de même qu’à la formation des générations futures . Dans “le camp des Saints”, Jean Raspail décrit telle une prémonition, comment les populations du Tiers-Monde envahissent pacifiquement l’Occident pour y retrouver l’espérance; rappelle Léonide Sinsin, chercheur et co-conférencier.

Malgré cette exode massive, le taux d’accroissement naturel de l’Afrique demeure le plus élevé. Au Sénégal, ce sont environ 200 000 jeunes diplômés qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année augmentant de facto le rapport de dépendance entre la population active et la population non active. Comme l’a souligné le Professeur Mede “il y a plus de bouches à nourrir que de personnes actives; ce qui fait que nous nous reproduisons plus que nous ne créons de la richesse ”. Le rapport de dépendance (rapport entre l’effectif de la population d’âges généralement actifs et l’effectif de la population en âge de travailler, il se calcule comme le quotient entre l’effectif des moins de 15 ans et des 65 ans ou plus par celui des 15-64 ans) au plan mondial est de 52%. En Afrique sub-saharienne, il connaît une croissance vertigineuse allant jusqu’à 94% pour le Bénin, et atteignant 120% pour le Niger seul. Avec un taux d’accroissement naturel estimé à 2.5% l’an  et un chômage juvénile moyen de 60%, le rapport de dépendance apparaît donc comme un seuil critique.  Il permet néanmoins de mettre en exergue la problématique du concept de capital humain, qui correspond à l’idée d’une population adéquatement formée et qui occupe des emplois qui leur assurent de bonnes conditions de vie et leur offre la capacité de contribuer au développement économique de leurs pays[5], est donc insuffisamment exploité en Afrique[6]. Le développement du capital humain, c’est-à-dire d’une population active compétente, est donc un enjeu majeur pour les pays africains en ce qu’il constitue « un élément essentiel de la croissance, car les avantages associés sont liés aux modifications de la structure de l’emploi (amélioration de l’employabilité de la population active) »[7].

L’inadéquation du capital humain face aux besoins du marché

La constitution du capital humain pour le développement du Bénin et de l’Afrique en général se pose alors avec acuité lorsque l’on prend conscience de la responsabilité des pays africains dans la création du fossé entre l’emploi des jeunes et les opportunités économiques. Sur la question de l’insertion professionnelle, les intervenants n’ont pas manqué de rappeler l’inadéquation entre la multitude de formations existantes et les besoins du marché. En effet, l’Afrique compte 1 ingénieur pour 10 000 habitants, pendant que la France en compte 36 pour 10 000 habitants. La Chine, formerait chaque année un million d’ingénieurs aussi bien dédié pour les besoins du pays qu’à l’export. En Afrique, pour une population d’un million d’habitants, 169 chercheurs sont formés. Pour la même population en Asie, on obtient 742 chercheurs, 2.728 en Europe et 4.654 en Amérique du Nord.  Dans un contexte local, à l’Université d’Abomey-Calavi, la plus grande université publique du pays, notamment, 566 étudiants étaient inscrits en licence d’Audit et Contrôle de Gestion pour l’année 2015-2016, 223 inscrits en Histoire et Archéologie et 175 en Français et langue étrangère. Dans la même année, seulement 118 étudiants étaient inscrits en Mathématiques, 18 en Génétique et en Hydrologie et 6 en Statistiques et Econométrie. Pour un pays qui a des problèmes fondamentaux à assurer l’accès à l’eau potable et l’assainissement de ces villes, il semble être pour les jeunes étudiants plus intéressants d’être un contrôleur de gestion que d’être un spécialiste de l’eau.

Pour atteindre les Objectifs du Développement Durable, il faudrait que le continent forme environ 2.5 millions d’ingénieurs chaque année pour amorcer une  croissance durable. Ainsi, pour faire face aux urgences de l’heure, les assistances techniques sont légion dans bon nombre de pays africains. D’après le CNUCED, elles représentent un marché de plus de 4 milliard USD des pays d’Afrique vers les pays Occidentaux; et peuvent être perçus à juste titre, soit comme une fuite des capitaux, ou un manque à gagner dans l’investissement dans l’éducation et les ressources opérationnelles.

L’afro responsabilité comme concept ?

En 2050, les estimations convergent sur le fait que la population africaine représenterait le quart de la population mondiale avec 2.5 milliard d’habitants, avec le Nigéria fort de 400 millions d’habitants et le Bénin autour de 22 millions d’habitants. Il revient aux pays africains d’investir massivement dans l’innovation et l’éducation. Le Rwanda, par exemple, a misé sur l’économie du savoir comme plan décennal. Au Bénin, le Président Patrice Talon, à travers son Programme d’Actions Gouvernementales (PAG), veut inscrire le Bénin dans une économie de transformation structurelle profonde. Un des piliers de ce programme est la Cité Internationale de l’Innovation et du Savoir (CIIS), véritable prise de conscience du secteur de l’éducation et de la recherche appliquée.

Un second levier repose sur la consolidation du système éducatif  à travers la refonte de la  carte scolaire et les formations en alternance. Plusieurs réformes sont nécessaires dès la base (introduction de l’anglais dès le bas âge, le développement durable, etc..),  en passant par le secondaire et la formation professionnelle (les conditions d’orientation des élèves vers le second cycle et la formation professionnelle doivent prendre en compte les besoins en matière de filière scientifique et technique pour le marché de l’emploi et l’université), pour arriver à l’enseignement supérieur (avec la redéfinition de la carte universitaire, la création de la CIIS ou celle des Instituts universitaires d’enseignement professionnel (IUEP) pour l’orientation des bacheliers vers des filières de formation de courte durée).La création des IUEP est suffisamment intéressante pour que l’on s’y attarde car elle augure d’une meilleure adéquation entre la formation et les besoins techniques du marché de l’emploi. De plus, elle permet à l’Etat béninois d’orienter ses ressources affectées au secteur de l’éducation vers des filières de formation favorisant à terme le développement des secteurs prioritaires pour l’économie tels que le tourisme, les services et le numérique, ou encore l’agriculture. Cela implique de même une meilleure allocation des ressources à l’endroit des universités publiques et une meilleure définition des profils et priorités afin de lutter contre la massification des effectifs, d’éviter le sous-financement de la recherche et de renforcer la prise en compte par le monde universitaire des réalités du monde économique.

Enfin, le dernier pilier est la promotion de l’excellence à travers l’octroi de bourses et accompagnements dans des processus indépendants, transparents et basés sur la méritocratie. Par un décret n°2017-155 du 10 mars 2017 portant critères d’attribution des allocations d’études universitaires, il a ainsi été défini de nouvelles conditions pour favoriser la lutte contre la fuite des cerveaux. En effet, le constat amer qui se faisait était que les meilleurs bacheliers du Bénin, qui recevaient des bourses gouvernementales pour continuer leurs études dans des universités occidentales ne revenaient pas après l’obtention de leurs diplômes pour servir le pays. Désormais, suivant les dispositions du décret précité, il est fait obligation à tout récipiendaire d’une  bourse d’excellence du gouvernement béninois, de revenir servir l’Etat à la fin de sa formation sous peine de restitution des ressources dépensées pour le boursier. Même si certaines mesures de contraintes gagneraient à être davantage précisés (dans quelles conditions revenir servir l’Etat, servir dans la fonction publique ou privée, clauses libératoires de l’obligation de servir, etc.), ceci constitue déjà une avancée majeure pouvant permettre au pays de constituer un vivier de compétences ayant reçu des formations de pointe à l’étranger et s’engageant à rentrer pour contribuer au développement de la nation.

Somme toute, en citant Nelson Mandela “ l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde”, le Prof. Mede a exhorté les Etats africains à plus d’engagements en faveur de politiques publiques favorables au capital humain.  Ce défi, qui ne peut être national, doit aussi être porté par les institutions internationales et sous régionales, telles que la BAD, la CEDEAO, dans leurs agendas périodiques. Cette question des compétences est lancinante dans le pays, où les efforts de l’Etat ont été vains dans le domaine de la recherche et de l’éducation de masse. Des réformes profondes accompagnées de mesures incitatives doivent être menées pour renforcer la confiance de la jeunesse en l’éducation de qualité, qu’elle soit longue ou de courte durée, professionnelle ou orientée vers la recherche. Cette jeunesse formée, qualifiée et motivée servira inexorablement de tremplin pour l’émergence d’une économie telle que voulue par les dirigeants, orientée vers les services afin de faire du Bénin notamment, le quartier numérique de l’Afrique de l’Ouest.

L’Afrique des Idées – Bénin

[1]

[2] Investisseurs et Partenaires, « Le Poids démographique de l’Afrique en 2050 », 2015 http://bit.ly/2g7NVKY

[3] Henri Leridon, « Afrique subsaharienne : une transition démographique explosive », Futuribles, 2015, http://bit.ly/2v8HX35

[4] Avec une économie essentiellement extractive et d’exportation, les pays africains n’arrivent pas à créer des industries qui permettraient de transformer les matières premières sur leur territoire afin d’employer les jeunes africains. De plus, ces pays comptent beaucoup plus sur les travailleurs étrangers pour conduire les grandes réalisations en raison du défaut d’adéquation entre la formation et l’emploi sur le continent. Voir Le Monde, « Pourquoi la croissance économique africaine ne crée-t-elle pas plus d’emplois ? », 2015, http://lemde.fr/2isU9Wn

[5] Guillard Alexandre, Roussel Josse, « Le capital humain en gestion des ressources humaines : éclairages sur le succès d’un concept », Management & Avenir, 2010/1 (n° 31), p. 160-181. DOI : 10.3917/mav.031.0160. http://bit.ly/2itjT5a

[6] Banque Africaine de Développement, « Le capital humain est crucial pour la transformation structurelle de l’Afrique », 2011, http://bit.ly/2irOikd

[7] Ibid. Propos de Henri Sackey lors de la communication « Développement du capital humain en Afrique: agents, facteurs et incidences sur la croissance et la transformation structurelle ».

[8] Banque africaine de développement, « L’Afrique dans 50 ans, vers une croissance inclusive », 2011, http://bit.ly/2g87iDr

Rencontr’Afrique avec Moussa MARA, ex-premier ministre malien

12799286_1086686241352492_6876720818068507230_nLe jeudi 25 février 2015, L’Afrique des idées a eu l’honneur de recevoir l’ex premier ministre Malien, président du parti politique YELEMA (« Changement ») et expert-comptable, Moussa MARA. Dans les locaux de l’Alliance Française, le premier ministre a éclairé l’assistance sur la situation politique et économique du Mali, dont il a dirigé le gouvernement d’avril 2014 à janvier 2015.

Une profonde refondation de l’organisation de l’Etat comme gage de stabilité

Dans son intervention, il a soulevé ce qui selon lui constitue les causes profondes de la crise politique au Mali. Il a notamment fait référence au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat Malien, hérité de l’époque coloniale. Cette organisation serait en déphasage avec la réalité du terrain. Le Mali est vaste et très divers tant dans sa végétation que dans la composition de sa population.  Cette diversité n’a  cependant pas été prise en compte dans l’organisation mise en place par l’administration coloniale. La partie septentrionale du pays ne devrait pas être gérée de la même manière que le sud du pays. Cette négation de la diversité du pays dans l’organisation du pays a eu de néfastes conséquences, notamment l’absence de contrôle des autorités Etatiques sur le nord du pays.

Le premier ministre est revenu ensuite sur l’accord d’Alger qu’il estime être un accord important pour l’avenir du Mali et qualitativement intéressant dans ses dispositions. L’accord remet profondément en cause le fonctionnement de l’Etat tel qu’il est hérité de la colonisation. Il rompt avec les pratiques antérieures et prône une réelle refondation du fonctionnement de l’Etat Malien. Ce qui explique, selon lui, les fortes résistances rencontrées dans sa mise en œuvre. La société civile a été très intimement liée  à la négociation, donnant encore plus de crédit à cet accord qui dépasse le simple cadre d’un accord politique.

Le terrorisme : d’une potentielle menace à une durable et scabreuse réalité

L’Afrique est aujourd’hui minée par le terrorisme. Jadis une menace loin de nos contrées, ce fléau s’est durablement installé à l’intérieur de nos frontières. D'après les chiffres de Global Terrorism Index, l'Afrique subsaharienne aurait le plus grand nombre de morts causés par une attaque terroriste par rapport aux autres régions du monde en 2014. Le Mali depuis quelques années n’est pas épargné par ces attaques terroristes.

 Le terrorisme est devenu, selon le premier ministre, une menace qui s’est durablement installée dans nos territoires et avec laquelle il faudra apprendre à vivre .L’imminence de la menace doit contraindre les Etats concernés à un changement profond de comportement. Les Etats africains devraient étudier rigoureusement les différents types d’actions terroristes pour déjouer au maximum les tentatives de ces nébuleuses. Un succès de la lutte antiterroriste passe notamment par une formation adaptée des forces armées africaines face à cette atypique menace qui fort malheureusement devient de plus en plus banale sur nos territoires.

La nécessaire maitrise de l’eau pour une agriculture plus productive

Le développement de l’Afrique passe nécessairement par l’agriculture. Cette réalité n’a pas échappé à Mr MARA.

L’intensification de la production agricole est nécessaire pour amorcer un développement  économique durable du Mali selon les propos du président de YELEMA. Aujourd’hui encore, la production agricole du pays est trop dépendante des aléas climatiques. En effet, le niveau de pluviométrie détermine généralement la quantité mais aussi la qualité des récoltes. La maîtrise de l’eau serait primordiale pour résoudre les difficultés de ce secteur et enclencher un réel développement économique au Mali.

La jeunesse Malienne ne doit pas  constituer une menace mais un atout

Dans son propos, le premier ministre a également livré sa vision de la jeunesse malienne. Il a insisté sur le fait que la jeunesse malienne ne doit pas constituer une menace pour les dirigeants politiques mais un réel facteur de développement. En effet, le Mali a une démographie très dynamique avec une natalité très élevée. Cependant la vitalité de la natalité ne constitue pas pour le moment un réel atout pour le pays. Le premier ministre pense qu’il faut revoir le système éducatif malien qui prédestine quasiment tous les futurs étudiants à l’enseignement supérieur. Il faudrait réorienter les formations au Mali en amenant les jeunes vers des formations professionnelles et techniques plutôt que vers des études universitaires qui les mènent à des qualifications dont le Mali n’a pas ou peu besoin, et par voie de conséquence irrémédiablement au chômage. Il a aussi souligné la difficulté budgétaire du système éducatif notamment l’enseignement supérieur. 78% du budget de l’enseignement  est affecté à l’enseignement primaire. Ce qui laisse une marge de manœuvre très limitée pour amorcer de réelles actions de refondation de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle.

Sur la  question de l’éradication de la  corruption en Afrique en général et au Mali en particulier,  l’éducation de la population est incontournable selon les propos du premier ministre. Le premier ministre s’est également exprimé sur la place des femmes au Mali, dont l’amélioration ne se fera pas sans une évolution générale des mentalités. Il a par la suite évoqué la question des impôts et de la difficulté pour l’Etat de générer de véritables recettes fiscales en raison d’un secteur informel très présent.

Enfin, il a exprimé la nécessité selon lui que la diaspora malienne s’implique davantage dans le leadership malien.

Giaini Gnassounou

Rencontr’Afrique avec Ndongo Samba Sylla : l’Afrique est-elle condamnée à la pauvreté ?

10403564_866589696695482_7237605275269175726_nLa Rencontr’Afrique organisée le 13 Décembre 2014 par le bureau ADI basé à Dakar, a connu la participation du Dr Ndongo Samba Sylla, Economiste de Développement et Chargé de programmes au bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des échanges offerts par L’Afrique des Idées pour permettre à des personnalités ayant un profil intéressant pour  l’Afrique de partager leur expertise, et d’échanger sur leurs visions du continent. C’est dans cet ordre d’idées que Dr Ndongo a entretenu son auditoire autour du thème « Pour une autre Afrique : Eléments de réflexion pour sortir de l’impasse ». A en croire le conférencier, l’Afrique est, une nouvelle fois encore, mal partie.

L’émergence économique de l’Afrique : Mythes ou Réalités ?

Il y a plusieurs arguments qui militent aujourd’hui en faveur de la croissance rapide et conséquente des économies africaines. L’Afrique disposerait en effet à l’heure actuelle du potentiel économique le plus important. Sa croissance démographique soutenue et le pouvoir d’achat croissant de sa population en sont des arguments notoires. De plus, dans les chiffres cités par Dr Ndongo, on peut noter que le continent africain concentrerait environ 60 % des terres arables non cultivées du monde. Le même continent aurait aussi une classe moyenne en termes démographiques proche de celle de la Chine et de l’Inde (elle est passée de 115 millions en 1980 à 313 millions en 2010). Sur la décennie 2000-2010, l’analyse révèle que le taux de croissance annuelle moyen du PIB a dépassé les 08 % pour 06 pays africains (dont Guinée Equatoriale 14.8 % ; Tchad 10.7 % ) et les 04 % pour 30 pays (dont Angola 11.3 %, Ethiopie 8.4 %, Rwanda 8 %, Ouganda 7.4 %, Burkina Faso (6%), etc).

Malgré cette bonne performance économique, il faut cependant noter que la dynamique de croissance en Afrique est loin d’être uniforme, ce qui rend justement la progression du PIB très volatile. De plus, les sorties illicites de capitaux ont augmenté durant la dernière décennie, notamment dans les pays exportateurs de pétrole. Sur la période 2005 – 2010, le conférencier souligne qu’au moins 205 milliards de dollars auraient été perdus par le continent. Ce qui représente le quart de la valeur estimée des flux financiers illicites entre 1970 et 2010. Dans la mesure où les secteurs porteurs de la croissance en Afrique sont de plus en plus la propriété d’étrangers ou sous gestion étrangère, le PIB va être beaucoup plus important que le Revenu National Brut (RNB). Ainsi, les nationaux des Pays les Moins Avancés (PMA) vont recevoir en réalité peu des bénéfices générés par le commerce international. Le commerce inter et intra-industriel qui est mis en œuvre peut ressembler à un commerce entre  des nations riches et des nations pauvres. Mais en réalité, Dr Ndongo Sylla fait remarquer que ce commerce est mené entre des nations riches et d’autres nationaux de pays riches qui opèrent en Afrique.

Par ailleurs, il apparait pour le conférencier que les revenus primaires de l’IDE ont représenté la composante la plus importante des paiements de revenus effectués par les économies africaines en direction du reste du monde. En prenant l’année 2010 par exemple, cette part s’est située entre 49% et 98% pour 26 pays sur un total de 37 pays pour lesquels des données existent. C’est le cas notamment des principales puissances économiques africaines telles que l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte, l’Angola, l’Algérie, etc. Le taux de profit des IDE a doublé durant la décennie 2000-2010, passant de 6 % à 12 %. De façon désagrégée et considérant toujours la période 2000-2010, 24 pays africains sur 40 pour lesquels des données existent ont connu  des taux de profits moyens de l’IDE supérieurs à 7 %. Le même taux avoisinait 77 % au Botswana, 51 % au Lesotho comme en Algérie et 36 % au Mali comme en Angola. Autrement dit, un investissement direct étranger de 100$ au Botswana rapporte, toutes choses étant égales par ailleurs, 77$ à son propriétaire. 100$ rentrent donc dans l’économie botswanaise, et 77$ en sortent. C’est dire qu’une partie non négligeable de la richesse créée sort de l’économie botswanaise. Cet exemple montre comment la croissance économique peut être forte en Afrique sans pour autant que les populations ne le ressentent dans leur quotidien. La thèse de l’émergence doit donc être revisitée pour lui donner un contenu nouveau plus adapté aux réalités africaines. Dr Ndongo Sylla s’interroge notamment sur le coût de la croissance économique pour les Africains ainsi que sur ses véritables bénéficiaires.

Le commerce équitable : Véritable scandale ?

Cette Rencontr’Afrique a connu également un partage d’idées sur le concept du commerce équitable. Celui-ci est définit comme étant un système d'échanges dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Sa démarche consiste à assurer une juste rémunération à des producteurs des pays pauvres afin qu’ils puissent développer leur activité à long terme et améliorer ainsi leur niveau de vie. Ayant eu l’opportunité de travailler en 2010 au sein du mouvement du commerce équitable/Max Havelaar dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, Dr Ndongo Sylla s’est tout particulièrement intéressé à ce commerce en se demandant principalement dans quelle mesure le commerce équitable est une réponse satisfaisante à la question de l’échange inégal. Son livre intitulé « Scandale du Commerce Equitable » fait autorité dans ce débat. En étudiant le modèle économique du commerce équitable Max Havelaar, le conférencier a montré, in fine, que ce commerce ne cible pas en réalité les producteurs les plus pauvres, ni les plus dépendants de l’exportation des produits primaires tels que le cacao ou le café. De plus, selon lui, la logique marketing a été poussée un peu trop loin.

Regard sur les Accords de Partenariat Economique (APE)

En juillet 2014, après une décennie de négociations, les chefs de l’Etat des quinze pays membres de la CEDEAO ont 

accepté de « parapher » les APE avec l’Union Européenne (UE). La « signature » aura lieu après leur ratification dans chaque pays membre. Ces accords prévoient une libéralisation progressive sur vingt ans (2015-2035) des importations des pays de la région à hauteur de 75%. Pour compenser les pertes de recettes fiscales qui vont s’ensuivre, l’Union Européenne a prévu pour la période 2015-2020 la mise en place d’un PAPED – programme des APE pour le développement – d’un montant de 6,5 milliards d’euros.

10374434_866589563362162_5231695328429590160_nPour Dr Ndongo Samba SYLLA, les APE sont une perte de temps et d’énergie. En effet, La plupart des études d’impact souligne des conséquences négatives du point de vue des recettes fiscales, de la balance des paiements, de la création d’emplois et de la croissance économique. Dans son argumentaire, le conférencier considère que les APE constituent une forme de confiscation de souveraineté dans la mesure où ils privent les pays africains de recourir aux politiques qui ont permis l’industrialisation des pays occidentaux. En outre, il fait remarquer que négocier des APE avec l’UE, première puissance commerciale mondiale, n’est pas pertinent pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. La raison en est que sur les 16 pays qui composent cette région, 12 sont classés parmi les PMA. Et Comme les PMA ne sont pas obligés de signer les APE, il paraît ainsi disproportionné de la part de l’UE de vouloir traiter ces PMA sur le même registre que les quatre autres pays classés parmi les « pays en développement ». D’un autre coté, la libéralisation des importations de la région risque d’anéantir les efforts déployés jusqu’ici pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, pour transformer localement les matières premières locales, et pour amorcer le développement d’un tissu industriel.

Par ailleurs, en demandant l’application de la clause de la Nation la plus favorisée, l’UE pourrait aller à l’encontre de la stratégie des pays africains de diversifier leurs partenaires commerciaux. Pour le conférencier, les APE sont perçus comme d’autant plus asymétriques et inéquitables qu’ils occultent la question de la libre circulation des personnes.

Carmen Thiburs Agbahoungbata

Rencontr’Afrique avec Gilles Olakounlé Yabi: la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest

JPG_Gilles Yabi 050315L’Afrique des Idées a organisé le samedi 21 mars sa première Rencontr’Afrique de l’année à Dakar avec Dr. Gilles Olakounlé Yabi, ancien directeur Afrique de l'Ouest pour International Crisis Group (ICG) et président-fondateur du WATHI, sur le thème de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest : enjeux et défis sécuritaires. Le modérateur Lagassane Ouattara a  rappelé la formation en économie du développement de Gilles Yabi et son passage à l’International Crisis Group (ICG), avant de créer le WATHI, think tank citoyen et participatif qui propose des idées sur l’Afrique. Il a une expérience de plusieurs années sur les questions de crise en Afrique. Le WATHI est ouvert aux Africains ayant conscience de l’état du continent, de l’immensité des défis, et confiance dans l’avenir. Le WATHI (inspiré de « waati » qui signifie temps en bambara) est donc une boîte à idées qui cherche à produire et diffuser les idées, promouvoir du débat informé et agir pour changer les systèmes (politiques, économiques, sociaux) dans l’objectif de construire des sociétés africaines fortes, solidaires et progressistes.

Gilles Yabi a abordé le thème de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest en rappelant que c’est un phénomène mondial qui a connu plus récemment une progression en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier. 

Eléments de définition

Il n’y a pas de définition universelle du terrorisme, et les perceptions sont très variées

  • Il y a une définition de l’ONU via un groupe de haut niveau mis en place par le Secrétaire Général des Nations Unies et son groupe de contact
  • L’Institut pour l’économie et la paix, qui publie l’Indice Mondial du Terrorisme, le définit comme "l’utilisation illégale de la force, réelle ou sous forme de la menace, à travers la peur, la coercition, ou l’intimidation par des acteurs non étatiques". Son rapport 2014 dénombre 18 000 personnes tuées par terrorisme en 2013. Ils sont concentrés sur 5 pays (Irak, Afghanistan, Nigeria, Pakistan, Syrie) mais le phénomène reste mondial.

La situation en Afrique

Avec 1 500 personnes tuées en 2013 selon l'IMT, et bien plus en 2014, Boko Haram, actif depuis 2009, est un problème continental et pour l’Afrique de l’Ouest dont le Nigeria est un pays essentiel. Le mode d’action de Boko Haram est assez différent de ce qui se passe dans le monde arabe. Boko Haram utilise des modes qui relèvent davantage du crime organisé et des gangs. 12% des attaques l’ont été par attentat-suicide, mais la plupart consistent en des assauts armés. Hormis Boko Haram, il y a six autres groupes terroristes actifs au Nigeria, dont les plus connus sont le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND), qui a un agenda politique de revendication d’une meilleure répartition des ressources pétrolières au profit des régions du Sud-Sud du Nigeria.

Il est important cependant d’inscrire Boko Haram et son émergence dans le contexte des politiques nationales des Etats concernés (corruption, pauvreté, faiblesse de l'Etat, frontières multiples…). La corruption,  la faiblesse ou l’absence de l’Etat dans des régions périphériques créent un contexte favorable à la diffusion et à la pénétration des idées d’un groupe comme Boko Haram. Le comportement des forces de défense et de sécurité est également un facteur important pour réduire la menace ou au contraire l’aggraver. Par exemple, les forces nigérianes avaient attaqué Boko Haram en 2009 à Maiduguri, au moment où le groupe ne se cachait pas. La police avait arrêté Muhammad Yusuf, le leader du groupe, et l’avait exécuté. Les survivants de la répression de 2009 sont entrés dans la clandestinité et ne sont réapparus que plus d’un an plus tard, sous la direction d’Abubakar Shekau. Si une approche différente avait été adoptée en 2009, et qu’il y avait eu un processus judiciaire, peut-être qu’on n’aurait pas créé un contexte favorable à l’émergence de la version très violente de Boko Haram sous Shekau.

Pour le Mali, AQMI existait depuis des années mais en 2012, a profité de la quasi-disparition de l’Etat malien au Nord pour s’installer, dans le sillage de groupes armés ancrés localement. AQMI a eu de nombreuses années pour développer des liens familiaux par mariages dans les régions touareg, pour pénétrer le tissu social à travers des réalisations et échanges économiques. Le gouvernement malien avait de son côté pris la mauvaise habitude de s’appuyer sur des relais locaux au Nord parfois liés eux-mêmes aux réseaux de trafics. Le conflit en Libye a servi de déclencheur à la crise au Mali, mais le contexte avait été largement créé par la mauvaise gouvernance et une certaine démission des autorités politiques et militaires du pays face aux défis, il est vrai, immenses de la sécurité dans le nord.

Il faut aussi mettre en lien le développement du terrorisme avec la mondialisation qui charrie des opportunités mais aussi de graves menaces, difficiles à contenir en particulier par les Etats les plus faibles. La mondialisation permet une plus grande mobilité des idéologies religieuses et politiques radicales, des moyens financiers et logistiques au service des groupes terroristes et permet des moyens de communication efficaces. Il est ainsi devenu possible de mobiliser des jeunes dans des actions armées à des milliers de kilomètres, à travers une communication astucieuse et moderne sur internet, en récupérant l’actualité internationale. 

Est-ce que c’est notre problème ? Sommes-nous concernés ? Est-ce une priorité pour l’Afrique de l’Ouest?

Le terrorisme est bien notre problème à tous en Afrique de l’Ouest. Mais la solution militaire, même si elle est devenue nécessaire par exemple au Nigeria pour faire face à Boko Haram, n’est pas la solution. Le phénomène Boko Haram révèle que nombre d’Etats ont perdu prise sur leurs sociétés. Les Etats ont perdu la capacité à regarder leurs sociétés en face, telles qu’elles sont devenues après des décennies de négligence de régions périphériques et de démission politique. La présence d’AQMI et de groupes connexes dans le Sahel et le Sahara, mouvements qui s’approvisionnent en Libye, elle-même en décomposition, l’interconnexion des pays de la région, tous ces facteurs font qu’aucun pays n’est à l’abri d’une attaque terroriste. Tous les pays sont concernés parce que des groupes ancrés dans un pays peuvent frapper dans un autre, comme on l’a vu par exemple avec al-Shabaab au Kenya.

Enfin, il faut poser la question du renseignement en n’oubliant pas que plus on donne des moyens aux services de renseignement et aux forces de sécurité, plus l’espace de libertés des citoyens a tendance à se réduire.  Il faut également être conscient des risques de récupération politique de la question du terrorisme. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

Rencontr’Afrique avec Mongi Marzoug: Pour une mise en lumière des enjeux du numérique en Afrique

1L’Afrique des Idées a eu l’honneur de recevoir samedi 7 mars 2015 à Paris, Monsieur Mongi Marzoug[1], expert en télécommunications et Ministre tunisien des Technologies de l’Information et des Communications de décembre 2011 à Janvier 2014. Lors de cet échange passionnant, Monsieur Marzoug a partagé avec nous son expertise et son expérience en matière de Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications et présenté les questions fondamentales qu’elles mettent en jeu sur le continent africain.

La transition numérique, une grande question pour l’Afrique

Cette Rencontr’Afrique très enrichissante a mis en lumière les enjeux colossaux que présentent les Technologies de l’Information et des Communications en Afrique ; en effet, les télécommunications, et notamment l’Internet constituent un monde parallèle, un espace virtuel qui reflète les même réalités et opportunités que l’espace physique dans lequel nous évoluons ; existe ainsi dans ce monde virtuel du commerce électronique, de la politique, voire même des guerres du numérique.

Le problème de la réglementation du numérique

Puisque le monde virtuel est aussi complexe que le monde réel, il est nécessaire qu’existe une réglementation exhaustive encadrant tous ses aspects, qu’ils soient juridiques, économiques, sociétaux ou politiques. Monsieur Marzoug pointe la faiblesse, voire l’inexistence de la réglementation dans ce domaine en Afrique ; or il est nécessaire que des questions relatives à la protection et l’hébergement de données, à l’ouverture et à l’accès au réseau, à la confiance dans le numérique, à la transparence ou encore à la gestion des trafics soient encadrées juridiquement.

En outre, il est impératif que les Etats adoptent des réglementations adaptées à l’économie numérique (services numériques et accès, infrastructures du numérique, protection des données, fiscalité, et autres), et instaurent des règles équitables entre les différents acteurs de l’économie numérique, fondées sur les services offerts et non les technologies utilisées (« same services, same rules ») ; à cet égard, les entreprises du Net (ou Over The Top) posent une véritable question ; les géants de l’internet tels que Google ou Amazon offrent des services et récoltent des bénéfices dans les pays d’Afrique, tout en étant basés à l’étranger, échappant ainsi à toute réglementation ou fiscalité, alors qu’ils devraient être soumis aux mêmes règles que les opérateurs qui fournissent des services en étant basés sur le territoire de l’Etat concerné.

Un secteur privé dynamique et des Etats en retrait

Le fait marquant à l’égard des réseaux mobiles en Afrique est leur ouverture à l’investissement privé d’une part, et étranger d’autre part. Il y a donc des enjeux économiques colossaux, et cette ouverture à l’investissement privé pose la question du service public ou du service universel des télécoms. En effet, les opérateurs qui bénéficient de licences ont tendance à déployer leurs services dans les zones urbaines qui sont les plus rentables, tournant ainsi le dos aux zones reculées et moins peuplées. Il est nécessaire donc que les Etats imposent à ces investisseurs privés de participer financièrement au service public des télécoms pour assurer sa continuité, et ce même dans les zones les plus en retrait.

Par ailleurs, il est de la responsabilité des gouvernements africains garantir la qualité des services de télécommunications offerts à leurs citoyens ; à cet égard, on observe, suite à l’octroi de licences à des opérateurs privés, peu de suivi de l’exécution de ces licences.

Beaucoup d’Etats africains travaillent à implémenter une identification numérique de leurs citoyens, qui permettrait à ces derniers d’accéder en ligne aux services de l’Etat et des entreprises publiques, et faciliterait leurs relations avec les administrations publiques ; dans ce cadre il est nécessaire de garantir la sécurité de des flux et stockage des données.

Un modèle à définir pour le développement du numérique

Pour les Etats africains se pose la question du modèle à adopter pour le développement du numérique : faut-il développer une industrie des télécoms, ou focaliser les efforts sur le développement des services numériques ? Selon Monsieur Marzoug, les ressources humaines et financières en Afrique sont insuffisantes pour développer une industrie complète des télécoms ; il serait préférable d’effectuer des choix sur des segments pour lesquels des ressources et compétences existent.

2A propos de l’utilisation de satellites pour garantir l’accès au réseau, à l’image des fameux « Ballons Google », qui visent à permettre l’accès à internet dans les zones reculées, Monsieur Marzoug note, qu’au-delà des questions d’autorisation et de licence qu’ils soulèvent s’agissant de Google, leur efficacité trouve ses limites dès lors que l’on se trouve en présence d’une importante concentration de population. Ainsi, s’ils peuvent être adaptés pour couvrir des zones vastes et peu peuplées, un réseau de type cellulaire est nécessaire pour garantir l’accès au réseau dans les zones à forte concentration de population.

Pour le développement des infrastructures haut débit (mobiles et fixes), la meilleure solution pour les Etats consisterait donc à mettre en place le partage d’infrastructures en particulier dans l’accès avec des processus de planification et de coordination efficaces entre les autorités et les différents opérateurs des services de communication électronique.

Dans la plupart des Etats africains, les infrastructures existantes étaient suffisantes pour le développement de la 2G, mais il faut maintenant les améliorer pour développer le haut débit mobile (3G et 4G) et fixe, notamment grâce à la fibre optique. Des solutions hybrides permettraient d’améliorer la qualité des réseaux en minimisant les coûts; dans ce cadre une coordination entre tous les opérateurs de télécoms pour le partage de l’accès à la fibre optique serait nécessaire.

Rouguyatou Touré


[1] Mongi Marzoug est directeur dans le Groupe Orange en charge de la gouvernance de l'Internet et du développement du Numérique. Il était ministre des Technologies de l'Information et de la Communication de décembre 2011 à janvier 2014 en charge des technologies du numérique et des services postaux. Il a exercé entre 1999 et 2011 dans la direction technique du Groupe Orange. Il a occupé les fonctions de responsable du Département "Architecture & Fonctions",  Directeur Adjoint chargé des études, de l'ingénierie et des produits, responsable du Département "Networks Quality & Cost Modeling", et enfin responsable du Département "Roaming, Networks Modeling & Performance". Auparavant, il était pendant dix ans à Orange Labs en charge des projets et équipes de R&D dans les domaines de télédétection, imagerie radar et planification des réseaux mobiles. Il est auteur d'un brevet sur la modélisation des interférences et l'affectation des fréquences dans un réseau mobile. Il est également auteur de plusieurs articles scientifiques dans des revues internationales  en particulier IEEE et JAOT et de nombreux rapports techniques et communications dans des conférences et forums internationaux. Il est diplômé de l'“Ecole Polytechnique” et de Télécom ParisTech. Il est titulaire d'un doctorat en physique expérimentale et d'une Habilitation à Diriger des Recherches

 

 

Rencontr’Afrique avec Khadidiatou, Fondatrice du réseau médical NEST

rencontrafrique_khadidiatou_1Ceux qui ont participé à la Rencontr’Afrique du dimanche 23 novembre 2014 ont eu l’opportunité de découvrir le parcours d’entrepreneuriat social de Khadidiatou Nakoulima, qui diplômée de l’Ecole des Mines de Paris en 2009, ne s’est pas tournée vers un parcours professionnel classique de jeune diplômée, mais est rentrée dans son pays d’origine, le Sénégal, pour y créer un réseau médical dédié aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge.

Tout est venu d’une idée…

Alors qu’elle termine ses études, son frère lui fait part de l’existence, en Inde, d’un réseau médical destiné aux classes moyennes, spécialisé dans l’accouchement et la pédiatrie. Tous deux sont conscients de la binarité du marché sénégalais dans ce secteur : il y a soit le secteur public, son engorgement et ses insuffisances, soit le secteur privé, très onéreux et destiné aux classes sociales les plus favorisées. Khadidiatou et son frère Ousseynou se lancent alors dans un défi de taille : créer au Sénégal un réseau du même type, assurant un suivi médical de la grossesse, de l’accouchement et du nourrisson, et pas seulement accessible aux élites. Ce projet se veut d’une qualité irréprochable, avec d’excellents services médicaux appuyés par une technologie de pointe, tout en étant abordable pour les classes moyennes. C’est donc un projet d’entreprenariat social, en ce qu’il combine deux objectifs : créer un système profitable d’un point de vue économique, tout en contribuant à l’amélioration des conditions de vie de la population au Sénégal.

A laquelle il a fallu donner vie…

Khadidiatou et son frère établissent un Business Plan, qu’ils font concourir dans des compétitions d’entreprenariat internationales. Ces évènements leur donnent l’occasion de rencontrer des investisseurs et de leur présenter leur projet. Ce dernier gagne en visibilité en arrivant en finale de la Global Social Venture Competition, la plus prestigieuse compétition d’entrepreneuriat réservée à des projets alliant viabilité économique et impact social positif.

L’étape des concours terminée, Khadidiatou décide d’apporter une nouvelle dimension à son projet en allant s’immerger pendant trois mois au sein d’une clinique indienne. Cette immersion lui permet de mieux s’imprégner du modèle avant de se lancer au Sénégal.

rencontrafrique_khadidiatou_2Et à laquelle il a également fallu donner corps…

De retour au Sénégal en 2011, Khadidiatou ouvre un premier plateau médical avec son père pédiatre qui assure les services médicaux. Pour donner plus d’envergure à son projet, il lui faut des autorisations administratives, notamment celle du ministère de la santé, qu’elle n’obtiendra qu’au bout d’un an, grâce à l’appui de l’APIX, l’Agence sénégalaise de promotion des investissements.

Quand on lui demande si elle a vécu des obstacles en tant que femme au Sénégal, Khadidiatou répond que la principale difficulté était plutôt liée à son jeune âge. Ses interlocuteurs la prenaient souvent pour l’incarnation d’une jeunesse utopique… En outre, le fait de vouloir ouvrir un réseau médical tout en étant ingénieur, et non médecin de formation, était une démarche innovante au Sénégal.

Après l’obtention des autorisations nécessaires, Khadidiatou peut véritablement développer son projet. En discussion avec la société d’investissement Investisseurs et Partenaires (IetP) depuis un certain temps, elle obtient un financement qui lui permet de mettre en place les infrastructures qui vont fournir les services médicaux et accueillir la clientèle. Ce financement lui permet également de lancer les premiers recrutements. Ces recrutements portent non seulement sur le personnel support administratif, mais aussi sur le personnel médical : sages-femmes, infirmières, aides-soignants et bien sûr médecins ; ces derniers qui s’associent aux premiers promoteurs pour le développement du projet. Au-delà du financement, IetP lui permet aussi d’avoir accès à de l’assistance technique là où les compétences locales font défaut. Enfin, Khadidiatou peut s’appuyer sur un comité stratégique qui compte parmi ses membres des conseillers dont l’expertise est reconnue et indispensable à NEST.

Nest est désormais un réseau médical, composé d’un plateau médical, qui offre un pôle de consultations et de soins d’urgences pédiatriques ouvert 24h/24 et 7J/7, ainsi qu’une clinique permettant la réalisation d’échographies obstétricales, du monitoring materno-fœtal, des analyses de laboratoire ainsi que des interventions chirurgicales. La clinique dispose également d’un bloc opératoire.

Aujourd’hui, Nest voit sa clientèle croître de jour en jour, et, bien qu’encore fragile en raison de sa jeunesse, le réseau affiche tous les signes positifs pour s’installer durablement sur le marché médical sénégalais.

Espérons que le parcours courageux et exemplaire de Khadidiatou inspire d’autres talents, issus de la diaspora africaine ou non, et nous la remercions vivement d’avoir bien voulu le partager avec l’Afrique des Idées.

Rouguyatou Touré

Rencontr’Afrique avec Stéphane Brabant


brabantPour la quatrième édition des Rencontr’Afrique qui a eu lieu le 13 juin 2014, une quinzaine de personnes a été reçue par l’avocat international Stéphane Brabant. 


Répondant ainsi à l’invitation de L’Afrique des Idées, il nous a accueillis dans son cabinet pour un échange riche d’enseignements dont nous résumerons la substance. La tâche n’est pas aisée, tant la richesse de ses propos témoigne d’une grande curiosité intellectuelle. « Stéphane » – comme il aime qu’on l’appelle – apparaît comme un homme enrichi par ses expériences ponctuées d'anecdotes qu’il a accepté de partager avec nous.


« Je n’avais jamais mis les pieds en Afrique. J’y suis arrivé, j’étais bien, on ne peut pas dire mieux » 


Lillois d’origine, il y étudie le droit avant de s’envoler pour le Vanuatu pour son service national de coopération et d’y devenir procureur de la République, à la faveur d’un concours de circonstances (« le plus difficile à passer »). Il poursuit ensuite des études de 3ème cycle en droit international public en Australie. Ayant toujours voulu être avocat international – vocation rare à l’époque-, mais conscient de la pauvreté, à cette époque-là, de l’enseignement en faculté de droit en finance et en comptabilité, il passe deux années au service d’une banque pour compléter sa formation. 


Il découvre l’Afrique en rejoignant le réseau international juridique et fiscal de PricewaterhouseCoopers. La prégnance de l’oralité et l’importance de la confiance dans les rapports lui rappellent son Nord natal. Là-bas, il découvre le droit pétrolier, champ d'activité en friche dans lequel peu de juristes – occidentaux en majorité – étaient spécialisés. Lui qui en ignorait tout, y est introduit par M. Samuel Dossou-Aworet, à la faveur d'un nouveau concours de circonstances qu’il passe avec hardiesse, et surtout grâce à l'ouverture d'esprit et la générosité de ce dernier. C’est le point de départ d’une longue amitié entre les deux hommes, et de l'engagement de l’avocat sur et envers le Continent. 


Après 7 ans au Gabon, il rentre à Paris chez PwC puis s’engage chez Herbert Smith Freehills en 1998.  Aujourd’hui, il a développé une expertise en matière pétrolière, minière et d’infrastructures. S’il n’est plus étrangement regardé par ses confrères qui, lorsqu’il s’aventurait en Afrique, l’imaginaient déjà condamné à des « fusions tamtam » et un statut d’éternel collaborateur, c’est parce que « le regard sur l’Afrique a changé. Ce n’est pas Stéphane qui a changé ». 


Un engouement pour l’Afrique avant tout économique 


L'engouement actuel pour l’Afrique est une « bonne chose » («  Enfin ! »). Selon Stéphane, il s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs, au premier rang desquels l'augmentation des investissements internationaux vers l'Afrique. Les banques et les fonds ainsi s'intéressent beaucoup plus à l'Afrique qu'auparavant. En outre, il faut noter l'influence positive de la Chine qui a révélé la nécessité de réinventer les relations politiques et commerciales avec les pays africains.


Autre facteur, mais non des moindres, «  le regain d’intérêt des africains pour leur propre continent » et l’émergence de personnes de très haute qualité professionnelle, en raison, notamment, du retour de certains éléments de la diaspora formés dans les meilleures écoles du monde. 


Enfin, le mouvement en faveur de plus de transparence financière et la pénalisation en Occident de certains comportements des entreprises, tels que la corruption active d'agents publics à l'étranger.


rencontrafrique4« Il faut être africain-réaliste » 


Néanmoins, il ne se dit « ni africain-optimiste, ni africain-pessimiste », car même si de nombreux indicateurs deviennent verts, des problèmes de gouvernance demeurent dans certains pays dont la première cause reste la corruption. Il faut reconnaître la part de responsabilité tant des entreprises qui profitent de la corruption que celle de certains responsables africains. « Le droit est bon, aussi perfectible qu’ailleurs. Son respect strict est la condition nécessaire mais souvent pas suffisante pour réussir, il convient aussi, en Afrique, d'être juste ».


Il cible également les difficultés héritées de l'histoire, et plus particulièrement des suites du Traité de Berlin. « Il faut un modèle institutionnel africain », propre aux structures sociales africaines et qui ne soit pas l’imitation des modèles des anciennes métropoles. Il préconise de solliciter des juristes africains pour mieux réfléchir sur les institutions de demain et prend le risque de dire que, selon lui, le mieux pourrait être un système centralisé capable de juguler les velléités séparatistes de certaines communautés ethniques, associé à un pouvoir local « assez fort pour que les identités locales se sentent respectées ». Stéphane a par ailleurs souligné l'importance que les contrats signés avec les investisseurs soient équilibrés entre les intérêts des Etats, des populations et de la société. Il regrette parfois aussi une certaine insécurité juridique et fiscale qui n'est pas toujours justifiée (« certains adaptations peuvent être nécessaires mais les changements brutaux et imprévus sont toujours dangereux »).


Les voies possibles du développement de l’Afrique 


Pour y remédier, il cible quelques priorités:

  • L’éducation.  L'industrialisation requiert une main d’œuvre qualifiée, qui par certains endroits fait défaut. Certains Etats souffrent parfois d'un manque d'experts nationaux dans les négociations et Stéphane rappelle sur ce sujet l'apport du programme de facilité africaine de soutien juridique (ALSF) mis en place sous l'égide de la Banque Africaine de Développement.

  • La prise de conscience des communautés locales. Ces dernières s’imposent peu à peu comme un véritable contre-pouvoir sur lequel il faut compter avant tout projet.  Dans ce processus, l’intégration des femmes, qu’il juge très conscientes de certains enjeux tels que l’éducation et la santé, est essentielle. 

  • Enfin, il évoque l'idée croissante que, au-delà du respect « indispensable » du droit, il faut agir dans un esprit de justice. Et sur ce point, « l’Afrique influence positivement le monde ». Il dénonce ainsi les contrats déséquilibrés, et se réjouit de l’émergence de principes qui, quoique non contraignants juridiquement, s’imposent aux entreprises. Ces principes proviennent de sources telles que les Nations Unies, l'Union Africaine, l'Organisation de coopération et de développement économiques, la Banque Mondiale, la Société Financière Internationale et d'autres institutions internationales ou organisations professionnelles. Ainsi, « les manquements viendront un peu à la fois de moins en moins des entreprises mais risquent encore de rester trop souvent le fait de certains Etats ; les entreprises n’auront plus d’autre choix que de se conformer à ces principes, et les populations ne manqueront pas de les y encourager, dans l'intérêt de tous ».

En bref, cette Rencontr'Afrique, menée sans langue de bois, aura été l'occasion de découvrir un homme humble, chaleureux et disponible. Surtout, elle nous aura permis de rencontrer un véritable amoureux de l’Afrique, et des Idées. 

 

François Adao Cissé

Rencontr’Afrique avec Henri Lopes, Ecrivain et Diplomate

Lopes

La 3ème édition des Rencontr’Afrique a eu lieu le 28 février dans les locaux de l’Ambassade du Congo à Paris, avec Henri Lopes. Premier Ministre de 1973 à 1975 et plusieurs fois Ministre (en charge de l’Education Nationale, des Affaires Etrangères, des Finances), Henri Lopes a aussi été fonctionnaire international de l’UNESCO (entre 1982 et 1998) dont il a été Directeur Général Adjoint, avant de devenir, à partir 1998, Ambassadeur de son pays en France. Il est donc un homme politique et un diplomate aguerri. Parallèlement, Henri Lopes demeure l’un des principaux romanciers de la littérature africaine des 40 dernières années. Ses œuvres, comme Le Pleurer-rire (1982), sont étudiées dans de nombreux lycées d’Afrique francophone ; son dernier roman, Une enfant de Poto-Poto, est paru en 2012 chez Gallimard et a obtenu le Prix de la Porte Dorée (Musée de l’Immigration). Henri Lopes a accepté de recevoir une vingtaine de personnes, à l’invitation de L’Afrique des Idées, pour partager sa riche expérience d’homme politique et d’écrivain, qui est aussi celle de toute une génération (« Quand je dirai je, c’est de toute une génération dont je parle »).             

Le Métis de Maloukou

Né dans un hôpital de Léopoldville (actuel Kinshasa) d’une mère du Congo français (Brazzaville) et d’un père du Congo belge (Kinshasa), Henri Lopes a grandi à Maloukou, petit village de l’actuel République du Congo. Il est alors déjà le fruit d’un métissage biologique en attendant un métissage culturel puisque sa mère épouse en secondes noces un français qui deviendra son père nourricier. De cette époque, il dira que « toutes les colonisations avaient leur apartheid avant la lettre ». La disposition géographique de Pointe-Noire illustre ce propos : il s’agit d’une ville en éventail avec un poste de police au point goulot, et juste derrière, les quartiers réservés aux colons et auxquels les noirs ne peuvent accéder qu’en journée avec une autorisation de travail. Henri Lopes est alors très jeune et la prise de conscience de la colonisation n’arrivera qu’ultérieurement, lorsqu’il arrive en France en 1946. Il est alors âgé de 11 ans.

La prise de conscience de la colonisation

Après un voyage en bateau de 3 semaines qui le mène tour à tour à Abidjan, Dakar et Casablanca (« Je découvre Casablanca et Casablanca est un émerveillement pour moi »), Henri Lopes débarque à Marseille un jour de Pâques 1949. Alors que dans son Congo colonial, les activités manuelles étaient strictement l’apanage des noirs, il découvre, stupéfait, que les dockers du Port de Marseille sont blancs. Ses parents, qui l’ont accompagné pour ce voyage, le laissent alors dans un collège-internat à Nantes où il est très bien traité par ses camarades de classe et par sa famille d’accueil. Il se paie même le luxe, aux heures de récréation de jouer au foot, chaussures au pied, avec ses camarades blancs. De ce « décalage entre l’attitude des français de France en France et celui des français colons en Afrique » naît la prise de conscience de la colonisation et de la nécessité d’y mettre fin. Les rencontres avec d’autres jeunes africains, d’abord au lycée à Nantes et ensuite à l’université à Paris, amènent Henri Lopes à prendre part au mouvement de lutte pour l’indépendance. « A l’époque, on était tous des communistes. Notre conscience politique était ancrée à gauche, sur une ligne communiste » dira-t-il.

Deux événements marquent cette période. En 1958, la Guinée prend son indépendance et de nombreux étudiants africains en France vont s’y installer. La désillusion sera grande pour bon nombre d’entre eux. Certains seront emprisonnés, d’autres exécutés. En 1960, la plupart des pays d’Afrique noire accèdent à l’indépendance. Beaucoup d’étudiants en France décident de rentrer dans les années qui suivent ; c’est aussi le cas d’Henri Lopes car « il faut être utile au pays ».

Le temps des responsabilités politiques

De retour dans une République du Congo indépendante, Henri Lopes devient professeur d’Histoire à l’Ecole Normale Supérieure. Il est alors proche du premier noir Directeur de l’Enseignement, poste qu’il occupera d’ailleurs de 1966 à 1968. A peine 10 ans après son retour au Congo, Henri Lopes devient à son tour Ministre de l’Education Nationale, puis des Affaires Etrangères, Premier Ministre et enfin Ministre des Finances. De cette époque entre 1960 et 1982, qui correspond aussi à une forte période d’instabilité politique pour le Congo, il dira : « Nous avons été propulsés à des postes de responsabilité comme vous ne pourrez jamais l’être. C’était à la fois fascinant et dangereux ». A partir de 1982, Henri Lopes quitte son pays pour devenir fonctionnaire international à l’UNESCO dont il reviendra par la suite Directeur Général Adjoint. 1982, c’est aussi l’année au cours de laquelle Henri Lopes publie son 4ème livre, Le Pleurer-rire, qui deviendra un grand classique de la littérature africaine. C’est qu’Henri Lopes est d’abord et surtout un homme de culture, un grand écrivain.

Lopes, L’écrivain

De son recueil de nouvelles Tribaliques (1972), pour lequel il reçoit le grand prix de littérature d’Afrique noire, à son dernier roman Une enfant de Poto-Poto (2012), en passant par Le Pleurer-Rire (1982) ou Le Chercheur d’Afriques (1992), Henri Lopes, dans un français mêlé de français-congolais, s’est toujours lancé dans une quête identitaire à travers ses différents personnages. Pour lui, nous avons « trois identités, comme les cordes d’une guitare ; il faut utiliser l’une ou l’autre, quelquefois les trois à la fois ».

De son métier d’écrivain, il dira aussi que « c’est un travail quotidien, qui se fait en cachette, comme l’amour », ce qui est du reste difficile pour l’écrivain car l’isolement est mal compris et mal perçu dans les sociétés africaines.

Henri Lopes reste d’ailleurs globalement lucide sur la place de l’écrivain en Afrique puisqu’il estime que c’est la politique qui permet, in fine, de changer les choses, et non la fiction.

 

Nicolas Simel Ndiaye

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

cogneau-denis

Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.