Quel est le potentiel de croissance du secteur des télécoms en Afrique ?

En dépit d’un taux de pénétration avoisinant les 100%, nous appelions dans un récent article à une révolution numérique en Afrique. En général, cette révolution n’est possible que si les trois conditions suivantes sont simultanément remplies : La valorisation des nouveaux services de télécommunications, le déploiement des réseaux de nouvelles générations capables de supporter des flux de données et enfin l’existence d’un cadre réglementaire qui garantisse la rentabilité des investissements et la qualité des services aux consommateurs finaux.[1] Aujourd’hui rien n’indique si ces conditions sont remplies sur le marché africain. Dans cette première série d’articles sur le développement des services de télécommunications en Afrique, il sera question de déterminer si la première des conditions est effective.

Il y a essentiellement trois sources de croissance du marché des télécommunications en Afrique. A moyen terme, le potentiel de croissance du marché est fort et stable. Cette caractéristique du marché africain vient de la structure de sa population dont environ 40% a moins de 15 ans. Cette tranche de la population fournit environ 30 millions de nouveaux clients potentiels chaque année sur le marché africain de la téléphonie mobile.[2] Sur les quinze prochaines années, les opérateurs de téléphonie mobile devraient étendre leur marché à plus de 400 millions de nouveaux clients. De plus, ce nombre est censé croître dans les prochaines années comme le montre le graphique ci-dessous. Il s’en suit donc que la dynamique et la structure de la population africaine constitue un atout favorable à la croissance du marché des télécommunications en Afrique.[3]

Source des données : Base de données en ligne de la Banque Mondiale. (*)Le taux de pénétration représente le pourcentage de la population de plus de 15 ans  disposant d’un téléphone  mobile.

En dehors de la contribution des moins de 15 ans, il existe une seconde source de croissance provenant de la population de plus de 15 ans ne disposant pas encore d’un téléphone mobile. En effet, même si le taux de pénétration a atteint 100% en 2011, le marché de l’accès à la téléphonie mobile n’est pas encore saturé. Ce contraste est notamment lié à la multiplicité des clients ayant plusieurs cartes SIM (souvent autant qu’il y a d’opérateurs) à cause de la discrimination du prix de la communication en fonction de la terminaison. Sous l’hypothèse raisonnable de 3 cartes SIM pour deux personnes, ce taux de pénétration chute à 67%. Cela signifie qu’il existe environ 30% de la population de plus de 15 ans, soit environ 200 millions de personnes, qui peuvent être de nouveaux souscripteurs aux services de téléphonie mobile.

Par ailleurs, la gamme des usages de la téléphonie mobile en Afrique est très large et inexploité. Ce potentiel des usages vient surtout du déficit en infrastructures de base que ce soit dans les domaines de la santé, de l’éducation ou du transport. Pour combler ce déficit, des services de consultations à distance (e-health) ou d’enseignement à distance (e-learning) sont de plus en plus développés. Cette tendance est plus importante dans des pays comme le Nigéria et le Kenya où le taux de pénétration du mobile est très élevé. Il en est de même pour les moyens de paiement qui se font de plus en plus à travers le téléphone mobile. L’accroissement de cette demande constitue la troisième source de croissance du marché. Elle permettra aux opérateurs de proposer de nouveaux services à valeur ajoutée comme cela n’est possible ailleurs. Cependant, il n’existe aujourd’hui de chiffres officiels sur la valeur de ce marché.

En somme, la forme pyramidale de la structure de la population africaine, la non saturation du marché et le déficit en infrastructures de base garantissent l’existence d’un potentiel de croissance du secteur des télécommunications en Afrique. Toutefois, compte tenu de la diversité des marchés nationaux, un prochain article devrait examiner la contribution de chacune de ses sources de croissance au développement des marchés nationaux. De plus, l’analyse des déterminants de l’adoption de la téléphonie mobile permettrait d’élucider les raisons qui expliquent que des personnes en âges de travailler ne disposent pas d’un téléphone portable. Par ailleurs, le potentiel de croissance du marché africain devrait susciter d’importants investissements dans les réseaux de nouvelles générations (3G ou LTE) capables de supporter des débits plus importants et de transporter davantage de trafics de données. Cela n’est pas actuellement le cas. Un autre article étudiera les raisons économiques qui justifient ce retard dans le déploiement des réseaux de nouvelles générations en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon


[1] L’accès à l’énergie électrique ou l’aménagement du territoire constituent aussi des pré-requis pour le développement des réseaux de communications électroniques. Mais ces questions ne sont pas abordées ici, car des alternatives existent à ces obstacles. Un prochain article sera dédié à cette question.

[2] Cela correspond au nombre de jeunes qui ont 15 ans chaque année sur le continent. Ce nombre est obtenu à partir d’une estimation qui consiste à diviser le nombre total de jeunes de moins de 15 ans par 15. La question de la contrainte budgétaire ne se pose pas en tant que telle puisque le terminal mobile est à la bourse de tous.

[3] L’industrie des télécoms n’est pas la seule bénéficiaire de cette structure de la population africaine.

Pourquoi il faut poser un nouveau regard sur les performances économiques de l’Afrique

africaAu cours des dix dernières années, la situation économique de l’Afrique s’est caractérisée par un paradoxe : la croissance a été forte ; mais la pauvreté et les inégalités n’ont pas baissé. Entre 2003 et 2011, le taux de croissance économique a été en moyenne de 5%, avec une dizaine de pays au-dessus de 7% ; alors que la part de la population vivant avec moins de $2 US par jours est passée de 68,7% en 1990 à 60,8% en 2010, soit une réduction de 8 points en 20 ans. De même, l’indice de Gini reste élevé et la santé et l’éducation des enfants demeurent intimement liées au niveau de vie de leurs parents.

La situation n’est bien sûr pas similaire d’un pays à un autre. Même si elle est meilleure dans certains pays, d’autres affichent un décalage encore plus prononcé entre la croissance et la réduction de la pauvreté et des inégalités. La Guinée-Equatoriale exemplifie bien cette situation. Suite à la découverte puis l’exploitation de ressources pétrolières, le Produit Intérieur Brut de ce pays est passé de 455 millions de dollars en 1998 à 19,7 milliards en 2011 (à taux constant), soit une croissance de 4230%… Dotée d’une population d’environ 650 000 habitants en 2011, la Guinée-Equatoriale présente une PIB/habitant en PPA de 35 792 $ en 2011, ce qui représente un montant supérieur à la moyenne de l’Union européenne. Toutefois, les dernières enquêtes sur le niveau de vie réel des habitants révèlent que 2/3 de la population vivent dans les faits avec moins de 2$ par jour, soit en dessous du seuil de pauvreté.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la situation paradoxale dans laquelle se trouve ce pays ainsi que nombre d’autres pays africains :

  • L’exclusion d’une large partie de la population des pôles de création de richesse. Les secteurs qui contribuent le plus à la croissance (industries extractives, télécoms) sont fortement intensifs en capital et peu en main d’oeuvre. En Guinée-Equatoriale, le secteur pétrolier, qui représente 78% du PIB, n’embauche que 4% de la main d’oeuvre locale.
  • L’absence de politiques de redistribution par des allocations (revenus minimaux, allocations familiales, bourses d’études) ou des avantages sociaux (éducation gratuite, couverturemaladie, accès au foncier et à l’habitat facilités).
  • Cette situation peut s’expliquer pour des raisons politiques (nature des régimes gouvernementaux et degré de corruption des élites) ou techniques (difficulté à intégrer à un système de protection sociale des travailleurs informels, faiblesse de la capacité de taxation de l’Etat).

Le constat qui se dresse au regard de ces différents éléments est celui d’une croissance non-inclusive dans la plupart des pays africains. Cette croissance non-inclusive n’est pas soutenable. En effet, les flux de créations de richesses actuels se font au détriment du stock de ressources naturelles, sans pour autant augmenter les revenus des consommateurs locaux. Ces derniers ne pourront soutenir le dynamisme de leur marché intérieur, condition nécessaire au développement endogène et pérenne de ces économies et de ces sociétés.

Il convient donc de pointer le curseur de l’analyse sur les conditions de l’inclusion économique des ménages dans la dynamique actuelle de croissance du continent africain. L'objectif étant d’appréhender le développement économique à travers une mesure qui fasse la synthèse entre la croissance économique, la réduction de la pauvreté et des inégalités. Si la croissance économique est indispensable à l’augmentation du niveau de vie des populations, il n’en demeure pas moins que son incidence sur la pauvreté et les inégalités est déterminante pour sa soutenabilité à long terme. Autrement dit, combien de temps un pays pourra t-il faire de la croissance économique alors que la majeure partie de sa population continue de manquer du minimum pour vivre ?

C’est pour participer à la réponse à ce défi que Terangaweb – l'Afrique des idées se propose de suivre l’incidence de la croissance sur la réduction de la pauvreté et des inégalités dans chaque pays Africains. L’objectif final étant de dire si la croissance économique mesurée au cours d’une année a été « inclusive ». Notre démarche consistera à suivre l’évolution des revenus d’un panel représentatif de la population dans différents pays africains. Chaque population nationale sera subdivisée en tranches de revenus selon les lieux d’habitat (campagne/ville, différentes régions d’un pays). L’analyse de l’évolution des revenus dans chacune de ces catégories permettra de dire si les résultats de l’activité économique ont permis de réduire la pauvreté et les inégalités, et d’augmenter le pouvoir d’achat réel des populations. Elle permettra également d’identifier les leviers sur lesquels les gouvernements pourront agir directement sur le niveau de revenu et le niveau de vie des populations.

En plus de ces informations, ce projet permettra aussi de répondre à des questions intéressantes, mais qui manquent actuellement de réponses faute de données adéquates et d’analyses. Quelques unes de ces questions sont par exemple :
· L’impact de la croissance sur le pouvoir d’achat des différentes catégories de population
· Le nombre de ménages appartenant à la « classe moyenne » et le nombre de ménages destinés à rejoindre cette catégorie,
· Comment évoluent les inégalités sociales : est-ce que les revenus des plus riches augmentent beaucoup plus vite que ceux des plus pauvres ?
· La différence entre la part de la croissance du PIB d’un pays qui alimente l’augmentation des revenus des populations et celle qui est exfiltrée à l’extérieur du pays ?

Si vous êtes économistes et/ou statisticiens et que vous souhaitez prendre part à ce projet de recherche, n'hésitez pas à nous contacter !

 

Georges-Vivien Houngbonon, Emmanuel Leroueil

Les arguments contre la cession des terres en Afrique aux grands groupes internationaux

Considérée comme la première des richesses naturelles, la terre a souvent été l’objet de convoitises conduisant parfois à des révoltes populaires[1]. Ainsi, la cession de terres, surtout lorsqu’elle est jugée injuste, déchaîne souvent des passions dont ce débat s’efforce de s’éloigner. C’est le cas actuellement dans le monde en général et en Afrique en particulier où des millions d’hectares sont vendues à des investisseurs étrangers.[2]

Selon le rapport 2012 de Land Matrix, environ 80 millions d’hectares de terres agricoles ont été vendues dans le monde dont 62% en Afrique, plus particulièrement en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Les transactions sont plus importantes dans les pays où la productivité agricole est faible et où les terres agricoles sont sous-exploitées[3]. On estime à 75% la part des superficies vendues consacrées à la culture des biocarburants. Le quart restant est essentiellement destiné à la culture de céréales exportées vers les pays investisseurs. La plupart des articles traitant du sujet dénonce « l’accaparement » des terres agricoles en Afrique[4]. Dans cet article, nous considérons que si des transactions ont eu lieu, c’est qu’il y a nécessairement un intérêt mutuel pour les deux parties impliquées. Dès lors, une appréciation de cette transaction passe par l’évaluation des conditions dans lesquelles elle est faite, de ses incidences économiques et enfin des systèmes de compensation des parties tierces perdantes de cette transaction.

Abstraction faite des conditions de vente, la cession des terres en Afrique ne peut avoir une incidence sur la productivité agricole locale. En effet, dans la mesure où les terres vendues sont cultivées par des investisseurs étrangers qui emploient leurs techniques de production exclusivement sur la superficie achetée, les autres agriculteurs possédant encore des terres ne bénéficient pas d’une amélioration de leurs outils de travail ou de leur technique de production. De plus, même si indirectement, les techniques de culture des terres vendues peuvent être imitées par les autres agriculteurs, l’effectivité de cette imitation dépend de la disponibilité des outils de production adéquats. Par conséquent, l’un des problèmes à l’origine de la sous-exploitation des terres arables ne pourra pas être résolu par la vente des terres agricoles. Au contraire, il est possible que les terres vendues soient les meilleures en termes de productivité ; ce qui peut entraîner de facto une baisse de la productivité agricole.

Même si un système de transferts de la production agricole peut être organisé entre les terres exploitées par les investisseurs étrangers et les agriculteurs locaux, il est très peu probable que cela améliore la sécurité alimentaire. Cela est dû au fait que les types de cultures qui sont rentables pour les investisseurs ne sont pas nécessairement celles dont la population locale a besoin pour assurer sa sécurité alimentaire. L’utilisation d’environ trois quart des terres vendues pour la production de biocarburants illustre bien cette disparité entre les besoins de l’investisseur et ceux des populations locales.

Il est possible d’envisager que même si la vente des terres n’a d'incidence directe ni sur la productivité, ni sur la sécurité alimentaire, elle peut être source de bien-être pour les paysans initialement propriétaire des terres ; ceci grâce au système de compensation qui rémunère les agriculteurs en contrepartie de l’installation de l’investisseurs étrangers. Ainsi, ce revenu peut servir aux paysans à se reconvertir dans d’autres activités. L’ampleur d’un tel effet, s’il existe, ne saurait être suffisante pour compenser la perte de la terre compte tenu de la spécialisation que requiert l’activité agricole. De plus, la tendance des investisseurs étrangers à acheter les terres les plus productives contraint la productivité d’un agriculteur qui pourrait migrer vers d’autres terres. Dès lors, l’effet global de ces compensations ne peut être positif. 

De plus, on pourrait être tenté de considérer cette transaction comme l’équivalent de celle qu’aurait faite un investisseur local. Toutefois, cette conception est erronée du simple fait que la production est quasi-entièrement renvoyée à l’extérieur du pays[5]. Cela correspond donc à une amputation d’une partie des terres arables d’un pays en contrepartie du revenu de la vente. Ainsi, la possibilité que cette vente soit neutre sur les conditions économiques dépend des conditions de ventes et de l’utilisation qui est faite de ce revenu.[6]

Aujourd’hui, les conditions de ventes souffrent du manque total de transparence. Ainsi, il n’est pas possible d’apprécier l’efficacité de cette vente, puisque les effets observés peuvent être tout simplement liés aux conditions de vente. En plus, cette absence de transparence entrave la substitution entre le financement des infrastructures et le revenu de la vente des terres. Elle n’assure pas la bonne gouvernance de cette activité aux risques innombrables sur la population dont l’exode rural avec ses incidences sur l’accroissement du secteur informel et la paupérisation des bidonvilles. En outre, nous n’exposons ici que les aspects purement économiques de cette transaction[7]. Toutefois, il existe bien entendu des effets sur l’environnement, la famine, et l’organisation sociale des communautés villageoises. Par exemple, certaines transactions, lorsqu’elles ne sont pas basées sur un consentement mutuel entre les membres d’un village, peuvent générer des conflits et de l’instabilité politique.

Il en résulte donc que la vente des terres à des groupes internationaux comporte des graves inconvénients potentiels. Certains comme la baisse de la productivité et l’affaiblissement de la sécurité alimentaire sont irrémédiables. Toutefois, ces effets peuvent être atténués si les conditions de ventes des terres et l’utilisation des revenus générés étaient plus transparentes. 

Georges-Vivien Houngbonon

A suivre sur Terangaweb – l'Afrique des idées : les arguments pour la vente des terres en Afrique aux grands groupes internationaux, par Ted Boulou


 


[1] Cf. la révolution française de 1789, la révolution chinoise de 1911, la réforme agraire du Zimbabwe en 2000, etc.. Ainsi, la cession de terres, surtout lorsqu’elle est jugée injuste, déchaîne souvent des passions dont ce débat s’efforce de s’éloigner. C’est le cas actuellement dans le monde en général et en Afrique en particulier où des millions d’hectares sont vendues à des investisseurs étrangers.

[2] La différence avec les transactions foncières courantes est dû au fait que la production est entièrement renvoyée à l’extérieur du pays. Les principaux investisseurs sont les pays étrangers comme la Chine, l’Arabie Saoudite, le Brésil, etc.

 [3] Figure 5, Land Matrix Report, 2012.

[4] C’est le cas notamment des articles publiés sur SlateAfrique, le Ockland Institute, etc. Un article de Terangaweb intitulé « A qui les terres en Afrique ? » a déjà introduit le sujet.

[5] Nous ne savons pas si la production exportée est soumises aux taxes à l’exportation. Dans le cas échéant, cela pourrait être assimilée à l’exploitation de terres agricoles par des investisseurs locaux.

[6] L’argument qui consiste à dire que la vente des terres est une alternative au financement des infrastructures pourrait être renforcé si la gouvernance était meilleure. 

[7] Ces effets ont été notamment identifiés par le Ockland Institute.

Comment améliorer les politiques sociales en Afrique ?

Jusqu’en 2012, la protection sociale en Afrique a été très faible ; quoiqu’elle se soit légèrement améliorée au cours des deux dernières années. En effet, la sécurité sociale est principalement réservée aux travailleurs du secteur formel (public ou privé) et l’assistance sociale est très peu développée. Par exemple, l’assurance chômage est disponible uniquement dans six pays dont l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Ile Maurice, le Nigéria et la Tunisie. L’assurance maladie est rendue universelle dans certains pays comme la Côte d’Ivoire et le Bénin, récemment. Quant à la pension retraite, elle est disponible dans tous les pays et dépend en général du salaire de l’allocataire. Toutefois, son taux de couverture est très faible dans la mesure où elle couvre seulement 8,8% de la population active d’Afrique sub-saharienne en 2010.[1]

Compte tenu de la faiblesse du revenu des ménages, les programmes de sécurité sociale ne peuvent pas être financés surtout lorsqu’ils nécessitent une couverture universelle. Dès lors, les programmes d’assistance sociale destinée en majorité aux personnes âgées et aux orphelins sont les plus répandus. Ces programmes remplacent l’assurance maladie ou la pension retraite pour les plus pauvres. C’est le cas notamment du « National Health Insurance Scheme » du Ghana qui couvre 67% de la population et de la « Old Age Pension » du Lesotho, etc.[2] Alors que l’admission à ces programmes n’est pas soumise à des critères de participation à d’autres programmes, il existe de plus en plus de programmes d’assistance sociale connus sous le nom de « Conditional Cash Transfer » (CCT) qui sont mis en œuvre sur le continent. En contrepartie de la protection sociale, le CCT assure la promotion des dimensions sociales du développement en exigeant la scolarisation des enfants des ménages bénéficiaires de même que leur participation à certains programmes de santé. [3]

Des défis liés à la conception et au financement des politiques sociales en Afrique

Contrairement aux politiques de protection sociale, les politiques d’accès à l’éducation et à la santé ne posent pas de problèmes particuliers de conception. Des exemples de politiques mises en œuvre avec succès et évaluées par le JPal et le IPA sont disponibles et peuvent servir de base à de nouveaux programmes.

S’agissant de la sécurité sociale, la prépondérance de l’économie informelle constitue l’un des freins à son extension à toute la population. En effet, les modalités de sa mise en œuvre dépendent du potentiel de couverture et de la possibilité d’observer les différents types de personnes et leurs comportements.[4] Etant donné le potentiel de couverture, s’il était possible d’identifier les personnes susceptibles d’être au chômage, d’être malades ou de vivre plus longtemps, alors la souscription aux différentes composantes de la sécurité sociale pourrait être laissée à l’initiative de chaque individu. En général, ces conditions ne sont pas vérifiées et requièrent l’universalité des programmes avec une intervention de l’Etat. Plus particulièrement dans le contexte Africain, le potentiel de couverture est très faible compte tenu de la prépondérance de l’économie informelle avec des revenus faibles et instables.

Quant à la conception des programmes d’assistance sociale, le principal défi est celui de la disponibilité d’un système d’information nationale fiable.[5] En effet, leur mise en œuvre nécessite d’identifier et de dénombrer les potentiels bénéficiaires. En l’absence d’un système d’information fiable, les transferts de revenu sont susceptibles d’être moins ciblés à cause de la corruption et des ciblages à connotation politique. Toutefois ce problème se pose avec moins d’acuité pour les programmes d’assistance aux personnes âgées et aux orphelins. Par ailleurs, du fait de l’absence d’une contribution de la part des bénéficiaires, ces programmes sont devenus davantage conditionnels.

En ce qui concerne la soutenabilité du financement des politiques sociales, elle dépend de l’efficacité des politiques mises en œuvre. Si la construction des infrastructures, la gratuité de l’école ou de certains soins de santé, le transfert de fonds à des ménages pauvres permettent de relever la productivité des travailleurs, alors la mise en œuvre des politiques sociales ne dépendra pas du niveau de vie actuelle d’un pays. Dans le cas des pays Africains qui sont en majorité pauvres, le financement de ces politiques ne peut se faire que par le biais de la dette à long terme. Or, la soutenabilité de cette dette dépend évidemment de l’efficacité des politiques mises en œuvre. Il en résulte que l’évaluation des politiques sociales est une composante indispensable de la conception des politiques sociales.

Des suggestions de politiques sociales à envisager

Au regard de l’état des politiques sociales en Afrique et de leurs contraintes, il n’est pas évident de proposer une solution qui conviendrait à tous les pays. Toutefois, pour rendre les suggestions de politiques sociales plus spécifiques, l’ensemble des pays Africains a été divisé en trois groupes selon l’efficacité actuelle de leurs politiques sociales. L’appréciation de l’efficacité des politiques sociales s’est faite sur la base des moyens employés et des résultats obtenus. En termes de moyens, ce sont les parts du revenu national dédiées aux dépenses de santé et d’éducation qui ont été prises en compte. Quant aux résultats obtenus, ils regroupent le taux brut de scolarisation au primaire et au secondaire, l’espérance de vie à la naissance, la part des personnes de plus de 65 ans couvertes par la sécurité sociale et le revenu brut par habitant. Ces informations proviennent des bases de données de la Banque Mondiale et de l’Organisation Mondiale pour la Santé et de l’Administration de la Sécurité Sociale des Etats-Unis. Les moyens ont été mesurés en 2009 alors que les résultats correspondent à au mesures faites en 2010 et 2011.

Classification des pays selon l’efficacité de leur politique sociale

Source : Mes propres calculs à partir des variables décrites ci-dessous.

Sur l’axe horizontal, les pays qui sont plus à droite ont obtenus les meilleurs résultats ; contrairement à ceux qui sont à gauche. Sur l’axe vertical, les pays qui sont plus en bas emploient des moyens plus élevés que la moyenne; par opposition à ceux qui sont plus en haut.

Il ressort de ce graphique qu’on peut distinguer trois groupes de pays. D’abord, ceux qui ont obtenus des résultats significatifs avec de faibles moyens ; c’est le cas de l’Algérie, de la Tunisie et des Seychelles entre autres. Par rapport au pays moyen en Afrique, ces pays ont des politiques sociales satisfaisantes quoique des progrès restent à réaliser sur l’assurance chômage et la qualité de l’éducation.

Ensuite, on distingue un deuxième groupe de pays dans lesquels des efforts sont consentis sur le financement des politiques sociales ; mais les résultats restent limités. C’est le cas notamment de l’Afrique du Sud, du Sénégal et du Kenya entre autres. Ainsi, il faudra identifier pour ces pays les raisons de ce décalage entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus.

Enfin, le dernier groupe est constitué des pays où les moyens sont faibles et les résultats limités. C’est le cas du Bénin, de l’Angola et de Madagascar entre autres. On constate également que l’économie informelle est plus importante dans les pays de ce dernier groupe. La promotion de l’emploi formel et des structures de micro-assurance maladie peut être adaptée à ces pays en attendant une diminution significative du secteur informel avant de lancer des programmes de sécurité sociale. Autrement, l’extension de la sécurité sociale aux travailleurs de l’économie informelle n’encourage pas le passage à l’économie formelle.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 



[1] Nos calculs à partir des données contenus dans le document de discussion de la Banque Mondiale intitulé « International Patterns of Pensions Provision II » Annex III, tableau 51.

[2] Rapport Européen sur le développement, 2010.

 

[3] Rapport de la Banque Mondiale sur les programmes CCT : « The Cash Dividend », 2012

[4] Ce sont des paramètres  liés aux risques de « sélection adverse » et d’ « aléa moral ».

[5] De plus en plus de pays utilisent maintenant les transferts par le téléphone mobile. C’est le cas du programme Livelihood Empowerment Against Poverty au Ghana.

Protection sociale et développement humain

 

En dehors de ses fonctions régaliennes, le champ de l’intervention publique regroupe principalement les politiques économiques (sectorielles, fiscales ou monétaires) et les politiques sociales. Alors que les politiques économiques émanent directement de la nécessité d’une intervention extérieure au marché pour assurer l’efficacité de l’allocation des ressources, les politiques sociales résultent quant à elles des objectifs de redistribution et sont donc sujettes à des controverses sur leur périmètre et leur financement. Cependant, il existe des justifications économique et juridique à leur mise en œuvre.

Sur le plan économique, la mise en œuvre des politiques sociales permet d’assurer la participation et la productivité des agents économiques, gage d’une expansion du marché et d’une croissance économique forte et stable. Dès lors, les politiques sociales sont particulièrement déterminantes pour les pays en développement.[1] D’un point de vue juridique, l’accès à la sécurité sociale, la protection contre le chômage, l’assistance sociale et l’accès à la santé et à l’éducation sont garantis à tous par les articles 22, 23, 25 et 26 respectivement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

De l’importance des politiques sociales en Afrique

Même si un consensus semble avoir été trouvé sur l’importance relative des politiques sociales, leur mise en œuvre reste limitée sur le continent Africain. Dès lors, il importe d’apprécier leur ampleur et leurs spécificités, d’identifier les défis liés à leur conception et à leur financement et de suggérer des stratégies de politiques sociales à envisager compte tenu des défis identifiés.

Dans cet article, les politiques sociales regroupent à la fois les dimensions sociales du développement et la protection sociale. Essentiellement, les dimensions sociales du développement, ou encore les dimensions du développement humain, concernent l’accès à l’éducation et à la santé ; alors que la protection sociale désigne à la fois les programmes contributifs comme la sécurité sociale et les programmes non contributifs comme l’assistance sociale.[2] L’accès à l’éducation et à la santé inclus la construction des infrastructures, la gratuité de l’école primaire et/ou secondaire et la gratuité de certains soins de santé pour tout ou partie de la population. En ce qui concerne la sécurité sociale, il s’agit notamment de l’assurance chômage, la pension de retraite et l’assurance maladie. Enfin, l’assistance sociale inclut tout programme non-contributif qui assure un minimum de revenu aux bénéficiaires.

Du lien entre les dimensions sociales du développement et la protection sociale

L’accès à l’éducation et à la santé constitue deux piliers essentiels du développement dans la mesure où il assurent la disponibilité d’entrepreneurs innovants et de travailleurs productifs susceptibles de créer de la valeur ajoutée. Bien que cette assertion soit partagée par tous, il n’en demeure pas moins que le taux brut de scolarisation en Afrique est l’une des plus faibles au Monde, avec 105% en moyenne au primaire et seulement 45% en moyenne au secondaire en 2009.

A moyen égal, la scolarisation au primaire en Afrique n’est pas liée au niveau de vie d’un pays. Cela est notamment dû au fait que le taux brut de scolarisation est proche de la moyenne  dans la plupart des pays. Il semble donc que des progrès aient été réalisés sur l’accès au primaire dans la plupart des pays Africains. Cependant, la réalisation de « l’éducation primaire pour tous » reste liée au niveau de vie.[3] Il en est de même pour la scolarisation au secondaire qui demeure faible avec une moyenne de 45% des enfants en âge d’être scolarisés qui sont effectivement inscrits.

Dès lors, des programmes d’incitation à la scolarisation ont été mis en œuvre dans la plupart des pays avec succès. Comme en témoigne le cas de la Tanzanie et du Burkina-Faso où la construction massive de salles de classes et la gratuité des frais de scolarité a induit une forte augmentation de la participation au cours primaire.[4] Par ailleurs, d’autres programmes ont été mis en œuvre à l’échelle communautaire et ont contribué à augmenter la participation à l’école primaire. Il s’agit par exemple de la distribution gratuite d’uniformes, de livres ou de repas aux élèves Kenyans.

En dépit de ces succès, d’importants défis restent à relever notamment sur la qualité de l’éducation primaire et sur l’accès au secondaire. En effet, les évaluations précédemment citées montrent que ces différents programmes n’ont pas contribué à baisser les taux d’abandons avant la cinquième année et les redoublements. De plus, les efforts sont jusqu’ici limités au niveau primaire, quoique certains pays comme le Burkina-Faso ont récemment étendu le principe de la gratuité au niveau secondaire. Par ailleurs, de précédents articles sur Terangaweb ont également évoqués la problématique de la qualité de l’éducation en Afrique du Sud, au Maroc et en Algérie, et au Bénin.

En ce qui concerne l’accès à la santé, la part du revenu consacrée aux dépenses de santé est élevée dans les pays où l’espérance de vie est faible. Dans ce contexte, les dépenses publiques liées à la santé ne sont pas liées au niveau de vie, ce qui expose davantage les ménages pauvres aux risques de maladies et d’érosion de leurs revenus dans les dépenses de santé. Ce résultat traduit la faible couverture des systèmes d’assurance maladie ; autrement, les dépenses de santé des ménages ne devraient pas dépendre de leur revenu.

En définitive, les performances des dimensions sociales du développement sont étroitement liées à l’ampleur de la protection sociale. En effet, en l’absence d’un système de protection sociale, l’occurrence d’une maladie peut entamer le revenu des ménages et par conséquent leur capacité à scolariser les enfants. Cela conduit globalement à une faible productivité et donc un faible niveau de revenu, qui à son tour entretien la fréquence des maladies et la capacité d’entreprendre. Ce cercle vicieux qui s’installe en l’absence de la protection sociale est confirmé dans le contexte Africain où les données montrent qu’un faible niveau de protection sociale est généralement associé à un faible niveau de revenu, de santé et d’éducation.[5]




 

Georges Vivien Houngbonon

 

Crédit photo : World Bank.


[1] On entend par marché restreint, une économie où la valeur et la fréquence des transactions économiques sont faibles.

[2] Un programme est contributif lorsque le montant de l’allocation dépend de la contribution de l’allocataire.

[3] L’éducation primaire pour tous est un concept défini par l’UNESCO et qui regroupe les composantes accès, qualité, alphabétisation et égalité des genres. Il est mesuré à parti de l’indice de l’éducation pour tous (IDE) qui attribue un poids uniforme à chacune de ces composantes. Le niveau de vie est mesuré par le revenu national brut par habitant à prix constant.

[4] Deininger, Klauss. 2003. “Does cost of schooling affect enrollment by the poor? Universal primary education in Uganda,” Economics of Education Review, 22, 291305.

[5] L’ampleur de la protection sociale est mesurée à partir de la part des personnes de plus de 65 ans couvertes par la sécurité sociale.

Que faut-il faire pour réduire le secteur informel ?

L’accroissement de la taille du secteur informel en Afrique pose le problème de la capacité des Etats à disposer des recettes fiscales nécessaires pour répondre aux énormes défis de développement. En dépit des stratégies de politiques publiques mises en œuvre jusqu’aujourd’hui, la taille du secteur informel continue d’augmenter. Il est donc grand temps d’adopter de nouvelles stratégies qui s’attaquent aux causes plutôt qu’aux conséquences de ce phénomène.

De façon générale, le secteur informel regroupe l’ensemble des activités économiques qui échappent à l’administration fiscale. Elles sont différentes des activités de contrebande qui s’exercent en dehors du cadre légal comme le trafic de stupéfiants. Avec plus 50% du PIB selon les estimations[1], le principal enjeu du secteur informel en Afrique réside dans le manque à gagner qu’il crée pour les recettes fiscales de l’Etat. Ce manque à gagner entrave la capacité de l’Etat à mettre en place des politiques publiques destinées à organiser la migration vers le secteur formel. Ainsi le secteur informel semble entretenir ses conditions d’existence. Face à ce cercle vicieux, la question qui se pose est de savoir s’il faut l’éradiquer ; et si oui, comment ?

Quoique la question est souvent éclipsée par la multitude d’urgences sociales et économiques de divers ordres, il n’en demeure pas moins qu’elle resurgit chaque qu’il est question de la soutenabilité des recettes fiscales, de l’organisation économique du marché, ou de la promotion des politiques de protection sociale dans les pays en développement. Ainsi, la plupart des pays Africains, notamment en Afrique de l’Ouest envisagent sérieusement des politiques appropriées pour réduire le poids du secteur informel dans l’économie nationale. Principalement, deux solutions sont envisagées.
D’une part, certains pays, comme le Bénin qui dispose d’un important secteur informel de la distribution des produits pétroliers, choisissent la chasse aux acteurs du secteur informel. Ainsi, des opérations de déguerpissement sont organisées pour détruire les boutiques de fortunes installées au bord des artères ou pour chasser les vendeurs à la sauvette. En dépit de ces opérations ponctuelles, les capitales économiques sont toujours occupées par un nombre de plus en plus important de travailleurs du secteur informel.
D’autre part, partant du fait que les travailleurs du secteur informel font preuve d’esprit d’entreprenariat face aux défaillances du secteur formel, certains pays privilégient la mise en place de politiques d'accompagnement comme par exemple le microcrédit, la micro-assurance, …, pour promouvoir la productivité du secteur et assurer des conditions de travail décentes aux travailleurs. Ces politiques sont notamment soutenues par la plupart des institutions internationales œuvrant dans le domaine du développement[2]. Cependant, il n’existe pas d’évidences suffisantes sur leur efficacité. La plupart des études empiriques qui évaluent ces politiques n’ont pas trouvé d’impact sur les flux vers le secteur formel[3].

Face à ces défaillances, une nouvelle approche de gestion du secteur informel s’impose. Elle se fonde sur l’idée qu’il est important d’éradiquer le secteur informel en s’attaquant aux causes plutôt qu’aux conséquences. La plupart des politiques citées plus haut s’attaquent aux conséquences du secteur informel plutôt qu’à ses causes. Dès lors, elles risquent de renforcer la croissance du secteur. En effet, l’existence du secteur informel caractérise le niveau de développement économique d’un pays et son évolution dépend de facteurs qui entravent une croissance économique endogène. Dès lors, les stratégies de mise en œuvre des politiques qui visent le secteur informel devraient chercher à lever les obstacles au développement des secteurs primaires et secondaires des économies nationales. A cette fin, l’importation massive de biens et services doit être remplacée par la production et la transformation au niveau local. Une récente étude de la Commission Economique des Nations Unions pour l’Afrique fait le parallèle entre l’accroissement du secteur informel et la libéralisation grandissante des échanges internationaux.

Il ne s’agit pas de pratiquer du protectionnisme, mais plutôt de s’atteler à développer les secteurs agricole et manufacturier. Le potentiel de développement de ces secteurs pourvoyeurs d’emplois formels est bien établi par le volume des importations qui vont sans cesse croissantes. La formation professionnelle et l’emploi des jeunes devraient être la priorité et non la promotion de politiques sociales destinées à entretenir le secteur informel sans aucune contrepartie, ni perspective dès lors que ces politiques ont tendance à encourager l’informalité comme le souligne l’article de Aterido et ali. cité précédemment. La seule enquête harmonisée sur le secteur informel conduite en Afrique de l’Ouest et dont un rapport a été publié par l’UEMOA[4] montre que le temps moyen de travail hebdomadaire est d’environ 47 heures avec un salaire horaire de 337 francs CFA. Ainsi, le temps de travail est plus important dans le secteur informel que dans le formel. De même, le salaire horaire est 5 à 10 fois plus faible que dans le secteur formel. Même en cas d’ajustement des salaires à la baisse suite à un passage au formel, les salaires dans le secteur formel restent attractifs et peuvent inciter des travailleurs du secteur informel à migrer vers le formel si des politiques macroéconomiques de création d’emplois et de formation professionnelle sont effectivement mises en œuvre.

En définitive, le secteur informel constitue un enjeu de développement majeur pour les pays en voie de développement, particulièrement en Afrique. Face à l’accroissement de sa taille, il est grand temps qu’une nouvelle approche soit adoptée. Celle-ci doit se départir à la fois de la répression des travailleurs du secteur et de l’assistance qui leur ait accordée pour se focaliser sur les stratégies de création d’emplois et de formation professionnelle. La mise en œuvre de telles stratégies conduira au rétrécissement du secteur sans qu’aucune politique ciblée ne soit nécessaire. Il y va de la capacité de l’Etat à disposer des ressources fiscales suffisantes pour répondre aux énormes défis de développement qui se posent.
 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] Voir l’article de Friedrich Schneider sur le poids de l’économie informelle.

 

[2] Voir l’article suivant du site dédié au partenariat entre l’Afrique et l’Europe.

[3] Voir : Aterido, Reyes & Hallward-Driemeier, Mary & Pagés, Carmen, 2011. "Does Expanding Health Insurance Beyond Formal-Sector Workers Encourage Informality? Measuring the Impact of Mexico's Seguro Popular," IZA Discussion Papers 5996, Institute for the Study of Labor (IZA).

 

 

[4] L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) regroupe les huit pays francophones de l’Afrique de l’Ouest qui partagent une monnaie commune, le franc CFA.

 

 

 

 

 

African School of Economics : Privée ou Publique ?

L’Afrique a besoin de ressources humaines qualifiées dans tous les domaines et en particulier en économie. La création prochaine d’une école d’économie Africaine « African School of Economics » arrive à point nommé. Cependant, celle-ci reste une initiative privée qui ne comblera pas le déficit de cadres de haut niveau en Afrique.

 

 

 

La question de la nécessité pour l’Afrique de disposer de ressources humaines qualifiées ne se pose plus dès lors que la demande n’est pas toujours satisfaite ; comme en témoigne le recrutement de conseillers et de consultants internationaux par les États Africains. Dans le cas particulier de la gestion économique, la plupart des économistes africains de renommée internationale[1] ont tous été formés dans des écoles d’économie en Europe ou aux États-Unis d’Amérique. C’est pour combler ce déficit de cadres de haut niveau en économie et en management que le projet de création d’une grande école d’économie et de management est en cours en Afrique.

A l’image des grandes écoles d’économie aux États-Unis d’Amérique ou en Europe[2], la plupart des pays Africains disposent d’une école supérieure d’économie appliquée et de management, en plus des facultés d’économie. Cependant, leur capacité d’accueil reste limitée compte tenu des ressources financières des États. De même, la qualité des formations dispensées n’est toujours pas au diapason des meilleures formations internationales. Il suffit pour cela de constater l’obsolescence de certains programmes de formation de même que le manque de visibilité internationale de ces écoles.

Ces insuffisances sont principalement dues au manque de ressources financières des États. Pour preuve, les trois grandes écoles de Statistique et d’Economie Appliquée en Afrique francophone bénéficient principalement du soutien de bailleurs de fonds internationaux, soucieux de la disponibilité de statistiques de qualité. Dès lors, la mutualisation des formations entre les États pourrait être envisagée. Par exemple, la création d’une école commune aux pays d’une zone géographique pourrait amoindrir les coûts de fonctionnement et assurer la qualité de la formation via une mutualisation des compétences et une plus grande visibilité internationale.

Toutefois, le projet de création de l’African School of Economics (ASE) est plutôt une initiative privée portée par un Professeur Africain de l’université de Princeton[3] en collaboration avec d’autres universitaires africains. L’ASE, dont le site internet donne une description assez exhaustive des formations et de leurs contenus, ouvrira ses portes à partir de la rentrée 2014 sur son site installé au Bénin.

En dépit de  son caractère innovant, il se pose la question de son accessibilité pour tous et de sa représentativité sur le continent africain. En effet, l’école étant privée, les frais d’inscription ne pourront pas être payés par tous les étudiants méritants et désireux de poursuivre des études en économie ou en management sans se déplacer en Europe. Même si l’école pouvait attribuer des bourses d’études aux meilleurs candidats, il n’est pas dit qu’une telle initiative soit soutenable à long terme. De plus, les États ne peuvent pas financer les études dans une école supérieure privée. Ainsi, seulement ceux qui possèdent les ressources financières pourront y accéder ; ce qui entraîne une sélection sur la base du statut socio-économique. Bien entendu, cela ne constitue pas un défaut de l’école, mais plutôt une contrainte liée à l’absence d’initiative publique.

Par ailleurs, les étudiants en provenance des pays en dehors de l’Afrique de l’Ouest pourraient ne pas être attirés par la localisation géographique de l’école. Le cas des écoles sous régionales qui n’attirent que principalement les étudiants des pays limitrophes en est un exemple. La possibilité de mettre en place une subvention aux coûts de transport pour les étudiants en provenance des autres pays d’Afrique demeure limitée par les moyens financiers et le caractère privé de l’école.

En somme, il s’agit d’une brillante initiative dans le domaine de la formation en économie et en management. Toutefois, elle ne pourrait pas répondre aux besoins en ressources humaines qualifiées de l’Afrique compte tenu de son caractère privé. En conséquence, la mise en place d’une école similaire par l’ensemble des États Africains serait la bienvenue.

Georges Vivien Houngbonon


[1] L’économiste en Chef de la BAD, l’actuelle Ministre des Finances du Nigéria

[2] London School Economics, Paris School of Economics, l’École d’Économie de Barcelone en Espagne, …

[3] Leonard Wantchekon.

Emploi des jeunes : Que faire ?

La jeunesse de la population africaine constitue un atout pour sa croissance économique. Toutefois, les jeunes sont confrontés à un chômage deux à trois fois plus élevé que celui des adultes. Plusieurs politiques publiques sont envisageables. Laquelle choisir ?

La jeunesse de la population africaine est l’un des atouts majeurs pour son développement. Aujourd’hui, la frange de la population âgée de 15 à 24 ans représente 20% de la population totale, soit près de 200 millions de personnes. De plus, les projections démographiques prévoient son doublement en 2045[1]. Alors que ces données suscitent l’espoir d’une main d’œuvre abondante pour la croissance économique de l’Afrique, plusieurs obstacles subsistent et rendent plus difficile le choix des politiques économiques appropriées.

En effet, quoique la situation soit hétérogène d’un pays à l’autre, les pays Africains partagent certaines caractéristiques qui constituent des obstacles à l’emploi des jeunes. D’abord, l’offre de travail est limitée par une faiblesse du niveau et de la qualité de l’éducation. Il convient de noter toutefois que selon le récent rapport sur les perspectives économiques en Afrique, « la qualité est surtout insuffisante dans les pays pauvres ; alors que la quantité fait défaut dans les pays à revenus intermédiaires ». Ensuite, en ce qui concerne la demande de travail, elle reste inférieure à l’offre en partie du fait de la qualité de la croissance économique. Cette dernière est principalement tirée par le secteur des services, notamment les télécommunications. Or, ces secteurs ne sont pas abondants en main d’œuvre, surtout non qualifiée. Enfin, la troisième caractéristique commune aux pays africains est l’inadéquation entre l’offre et la demande. Cela se traduit par un taux de chômage plus élevé chez les jeunes les plus instruits et un taux de chômage deux à trois fois plus élevé chez les jeunes que chez les adultes.

Face à ces obstacles, on peut envisager plusieurs politiques publiques. Elles peuvent être des politiques de croissance, de l’éducation ou du marché du travail. Dans certains pays comme le Sénégal, le gouvernement privilégie les grands travaux pour réduire le taux de chômage des jeunes. Cependant, les emplois issus des politiques de grands travaux ne sont pas en général durables. Ainsi, certains pays privilégient le développement du secteur privé à travers la mise en place d’un environnement plus favorable aux affaires. Les emplois créés dans ce cadre prennent plus de temps pour être concrétisés mais sont plus durables.

En complément aux politiques de croissance, une amélioration de l’offre de travail des jeunes peut être envisagée via une augmentation de l’accès à l’éducation et un renforcement de la qualité de celle-ci. Une faiblesse de la qualité de l’éducation interagit avec la croissance économique pour créer un cercle vicieux du chômage des jeunes. Concrètement, la faiblesse de la productivité due à la qualité de l’éducation entrave la croissance économique, toute chose égale par ailleurs ; ce qui affaiblit la demande de travail. Il faut trouver un équilibre entre le cursus académique et le cursus professionnel. A ce niveau un diagnostic plus approfondi des perspectives économiques de chaque pays est nécessaire pour identifier le cursus auquel il faudra accorder plus de priorité.

Ces politiques d’amélioration de l’offre de travail sont surtout destinées aux jeunes – de plus de 15 ans – qui entreront plus tard sur le marché du travail. Quant à ceux qui y sont déjà et qui ne disposent pas des qualifications demandées, ils doivent être ciblés par des politiques du marché du travail appropriées. Les programmes de formation sont les plus répandus. Ils peuvent être intégralement financés par l’Etat ou pris en charge en partie par le secteur privé comme c’est le cas au Maroc. Sachant que le secteur privé est plus à même d’identifier les formations les plus appropriées, cette dernière option a permis de réduire le chômage des jeunes au Maroc selon les conclusions d’une évaluation menée par l’Agence Française de Développement. La seconde option serait un recrutement direct dans le secteur public, quoique les capacités d’embauche y soient limitées par le budget de l’Etat. D’autres options consistent à mettre en place des structures d’orientation et d’assistance à la recherche d’emploi pour favoriser l’insertion des jeunes, des subventions pour le recrutement des jeunes ou des incitations à l’entrepreneuriat des jeunes.

Face à cette pluralité des options de politiques publiques, les choix s’avèrent complexes surtout avec des ressources financières très limitées et l’existence de plusieurs autres priorités de développement. Par ailleurs, le manque d’évaluation rigoureuse des politiques déjà adoptées dans certains pays ne permet pas de dégager des « Bonnes Pratiques » pour les autres pays. Dès lors, à défaut d’une analyse spécifique à chaque pays en vue d’identifier les politiques les plus adéquates, il revient au lecteur de formuler des choix sur la base des connaissances qu’il ou elle possède sur un pays en particulier. A vos méninges !!!

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques de l’Afrique, Banque Africaine de Développement, 2012.

Réduire les inégalités pour booster le développement

En 2008, environ la moitié de la population d’Afrique subsaharienne vivait avec moins de 1,25 dollar par jour[1].  Ces données ont suscité de nouvelles stratégies de développement de la part des institutions de développement en Afrique, en vue d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. C’est le cas notamment de la Banque Africaine de Développement qui a accru la mise en œuvre de programmes d’intervention dans les domaines de l’éducation, la santé et les infrastructures. Dans un récent rapport sur les perspectives de croissance économique de l’Afrique, la Banque relève que l’émergence d’une classe moyenne, l’urbanisation et la jeunesse de la population constituent trois atouts majeurs pour la croissance économique dans les 50 prochaines années. En dépit de l’intérêt que présente ce rapport, il ne mentionne pas l’importance de la réduction des inégalités comme conditions nécessaires à la réalisation des projections effectuées.

En effet, l’on se demande comment l’émergence d’une classe moyenne peut stimuler la croissance ou favoriser le processus de démocratisation si les inégalités de revenu sont élevées et persistantes ? Comment l’urbanisation peut-elle être source de transformation structurelle de l’économie si l’accès au foncier continue d’être inégal? En quoi la jeunesse d’une plus grande part de la population constitue-t-elle une opportunité de croissance si en plus de la qualité de l’éducation, l’accès à l’éducation reste faible pour la majorité ? Voilà des questions qui mériteraient d’être approfondies pour donner un aspect plus exhaustif au rapport sus-mentionné. Sans y répondre directement, cet article fait l’état des lieux des inégalités en Afrique sous une approche comparative.

Comme le montre le tableau ci-dessous, la répartition des revenus est très inégale en Afrique et plus particulièrement au sud du Sahara. Le niveau des inégalités en Afrique subsaharienne est le second le plus élevé au Monde après l’Amérique latine[2]. Ce niveau d’inégalité met en doute d’abord l’émergence d’une classe moyenne et ensuite sa capacité à influencer le processus démocratique le cas échéant. En effet, l’émergence d’une classe moyenne qui triplerait d’ici 40 ans suppose une réduction significative de la pauvreté. Or, le taux de réduction de la pauvreté est lié quadratiquement au niveau des inégalités et linéairement au taux de croissance du PIB. Ainsi, un niveau élevé d’inégalité requiert plus de croissance du PIB pour une même réduction de la pauvreté. Par conséquent, avec le niveau actuel des inégalités de revenus de même que du taux de croissance, ces projections sont très peu probables. Par ailleurs, les modèles d’économie politique prédisent le choix de la répression lorsque le niveau des inégalités est élevé, comme c’est le cas en Afrique. Ainsi, à moins que le niveau des inégalités diminue, l’influence d’une éventuelle classe moyenne qui émergerait serait limitée.

Contrairement aux revenus, l’accès à la terre en Afrique subsaharienne demeure parmi les plus égalitaires au Monde après l’Asie de l’Est et le Pacifique. Ce niveau contraste avec celui de l’Afrique du Nord qui reste parmi les plus élevés. Dans la mesure où l’accès à la terre est une composante majeure du développement – il favorise le niveau de productivité agricole nécessaire à un développement industriel urbain – l’Afrique aurait dû connaitre une urbanisation génératrice de croissance économique. Cependant, le constat est plutôt l’inverse. Il est possible que cet état des choses soit en partie dû à l’accès à l’éducation.

En effet, le niveau d’éducation en Afrique est le plus inégal au Monde. Autrement dit, seulement une faible part de la population parvient à atteindre un niveau d’éducation donné. Par exemple en 2011, seulement 6% de la cohorte en âge d’aller dans l’enseignement supérieur y ont eu accès. De plus, le nombre moyen d’années d’étude en Afrique subsaharienne est de 4,3 années contre une moyenne de 6,2 années en Asie de l’Est en 2005[3]. Par conséquent, il est difficile de voir à travers l’augmentation de la part de la population jeune une opportunité de délocalisations des entreprises actuellement installées en Chine sans une réduction significative des inégalités dans l’accès à l’éducation et une meilleure orientation vers la formation professionnelle.

Notons toutefois que l’état des inégalités est assez hétérogène en Afrique. Dès lors, il est possible que certains pays notamment ceux d’Afrique anglophone bénéficient davantage de ces atouts que leurs voisins francophones. Par ailleurs, la Banque Africaine de Développement a publié très récemment un article sur la nécessité de prendre en compte les inégalités dans l’appréciation de la capacité du continent à réduire la pauvreté. Toutefois, cet article reste focalisé sur l’inégalité des revenus. Or comme le montre le tableau ci-dessus, l’inégalité du niveau d’éducation est plus importante et constitue par ailleurs un déterminant important de l’inégalité des revenus.

En conséquence, il est important de prendre en compte principalement les inégalités d’accès à l’éducation dans les programmes de développement en Afrique. Cela passe par des politiques et stratégies davantage orientées vers une meilleure offre en quantité et en qualité de l’éducation et de la formation professionnelle. Il en va de la capacité de l’Afrique à transformer ses atouts en opportunités réelles de développement.

Georges Vivien Houngbonon


[1] En Dollar des USA. Précisément 48,2% selon les données croisées à partir des sources de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement

[2] En dépit du fait que les mesures utilisées conduisent à surestimer l’écart entre les deux zones géographiques.

[3] Même source que celle du tableau.

Crédit photo : Encyclopédie du Développement Durable

 

 

Repenser l’Afrique

Alors que l’élection présidentielle française suscite beaucoup d’engouement à travers le monde, il serait intéressant de se questionner sur l’incidence d’un nouveau président français sur la gouvernance en Afrique et plus particulièrement en Afrique francophone. Sachant les relations peu reluisantes qui ont existé entre les pays d’Afrique francophone et la France sous les régimes précédents, cette analyse s’avérerait utile pour anticiper les perspectives de développement de l’Afrique à l’issue des grands changements politiques qui s’annoncent en Europe. Toutefois, au lieu d’attendre un quelconque changement en France pour espérer un progrès en Afrique, il semble plus raisonnable de saisir cette occasion pour relancer le débat sur les perspectives de développement de l’Afrique, notamment sur la vision et l’approche à adopter.

Concernant les perspectives de développement de l’Afrique, deux visions s’opposent mais se complètent. La première, à laquelle est attribuée l’appellation d’afro-pessimisme, se base sur les maux de l’Afrique pour anticiper une issue catastrophique ; alors que la seconde souvent dénommée l’afro-optimisme, s’appuie davantage sur les progrès économiques de l’Afrique[1] pour prévoir une issue favorable au continent. D’un point de vue économique, les arguments avancés par les « afro-pessimistes » correspondent bien aux réalités que traversent les pays Africains. Qu’il s’agisse de la croissance démographique combinée avec le manque d’infrastructures, ou de la faiblesse du poids de l’industrie dans la production en Afrique, tous ces faits sont bien corroborés par les chiffres actuellement disponibles. Cependant, cette vision, ou plutôt ce discours, ne donne aucune incitation à entreprendre des actions pour le développement.

Quant aux « afro-optimistes », leur discours consiste essentiellement à mettre en avant l’importance du dividende démographique[2] qui résultera de la forte croissance démographique, l’existence d’une classe moyenne qui en réalité n’est pas significative et la transition démocratique en cours sur le continent. Toutefois, au regard des récents développements politiques particulièrement en Afrique de l’Ouest et au Soudan et du fait de leurs conséquences économiques, l’argument de la transition démocratique se retrouve affaibli et n’est valable que dans des pays particuliers (Sénégal). Quant à l’importance du dividende économique dans le renforcement de l’offre de travail, il omet la complémentarité entre la quantité et la qualité de la main d’œuvre, notamment dans les secteurs secondaires et tertiaires. En effet, les taux de scolarisation ont principalement augmenté dans le primaire avec des défaillances sur la qualité de l’éducation compte tenu des effectifs pléthoriques dans les salles de classe. Dès lors, il n’est pas garanti que les jeunes issus d’un tel système éducatif soient à même d’être employés dans des industries qui préfèrent délocaliser en Chine. Il en résulte donc que la vision « afro-optimiste » semble être trop optimiste et ne pas prendre assez en compte la mesure des défis qui demeurent énormes et durables.

Même si l’on accepte volontiers cette présentation de l’Afrique, ne serait-ce que pour lui donner une image positive, il serait très préjudiciable d’oublier les problèmes et surtout d’ignorer les résultats – en termes de pauvreté – qui accompagnent ces performances. Comme le montre le graphique ci-dessous, la part de la population vivant en dessous de 2 dollars[3] par jour dans les pays en développement d’Afrique Sub-saharienne n’a pas significativement changé au cours des trois dernières décennies ; contrairement aux autres régions du Monde et notamment à la Chine.

Source : Données de la Banque Mondiale (En dehors de la Chine, les données présentées concernent les pays en développement dans les régions mentionnées)

Cela montre qu’en dépit des progrès réalisés, une masse importante de la population, environ 70%, demeure démunie des ressources financières nécessaires à une vie décente. Cette situation appelle à la formulation d’une nouvelle vision du développement qui permettrait d’apporter les solutions appropriées aux défis actuels de l’Afrique. Puisque chacune des deux visions évoquées ci-dessus semblent se positionner sur un aspect de la réalité et en occultent d'autres, il serait envisageable de les fusionner pour en faire une seule vision intégrale qui s’appuie sur les progrès réalisés pour se projeter dans l’avenir en tenant compte des défis actuels.

Cependant, la matérialisation de cette nouvelle vision de l’Afrique dans le développement économique et social devra s’appuyer sur une approche plus cohérente et rigoureuse. En effet, il est très rare de trouver un ouvrage publié qui fait le diagnostic de l’Etat de l’Afrique et qui identifie la véritable cause de ses problèmes. En général, les causes identifiées varient selon les auteurs. A l’instar de l’identification de ces multiples causes, d’aucuns diront qu’il s’agit de la mauvaise gouvernance ou de la corruption. Or, la démarche logique voudrait qu’avant la proposition d’une approche pour résoudre un problème, il faut d’abord l’identifier. Il se peut d’ailleurs que la cause soit le fait qu’aucune cause n’ait été trouvée. Pour éviter de se référer au discours de M. Sarkozy à Dakar ou  d’attendre qu’un « nouveau Président » vienne nous donner la réponse, il est temps que nous nous y mettions.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Pour une description des deux visions, se référer à Emmanuel Leroueil. 2011. «  Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme ». Terangaweb.

[2] Une importance relative de la part des jeunes actifs dans la population.

[3] Dollars des Etats-Unis en parité du pouvoir d’achat

Le Cancer du Développement

Pendant que les débats sur le développement se focalisent sur la croissance économique, l’Afrique héberge plus des deux-tiers des personnes vivant avec le VIH-SIDA dans le monde. De plus, certains pays voient le nombre de leurs citoyens atteints par la maladie augmenter. Quelles sont les implications sociales de cette pandémie ?

Alors que des efforts substantiels sont consentis chaque année pour relever le niveau de vie des populations d’Afrique sub-saharienne, il est une pandémie qui annihile tous les progrès obtenus en termes de développement humain. Le VIH-SIDA, qui affecte 33 millions de personnes dans le Monde dont plus des 2/3 en Afrique, décime une bonne partie de la population Africaine en dépit des mesures prises pour réduire sa prévalence. Comme le montre le graphique ci-contre, le nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA continue d’augmenter dans certains pays. Paradoxalement, cette dynamique n’est pas toujours en concordance avec l’évolution du PIB. C’est ainsi que des pays comme le Botswana ayant un fort taux de croissance du PIB connaît également une augmentation du nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA.

Cette situation présente deux implications majeures. D’une part, en moyenne, les populations à risque bénéficieront moins des fruits d’une croissance éventuelle puisqu’elles vivront moins longtemps. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’espérance de vie à la naissance à fortement chuté dans les pays ayant connu un fort taux de prévalence du VIH-SIDA. En moyenne, l’espérance de vie à la naissance est passée de 60 à 45 ans entre 1985 et 2005 ; soit une baisse de 15 ans sur une période de 20 ans. Ces pays ont ainsi perdu en 20 ans, des années de vie qu’il a fallu 30 ans pour gagner. Cette perte devrait être plus importante dans la population à risque. Ainsi, une personne n’ayant pas choisi de naître dans l’un de ces pays a très peu de chances de vivre au-delà de 45 ans. Il s’agit là d’une injustice sociale liée à la faible performance des politiques publiques mises en place pour endiguer la propagation de la pandémie.Par ailleurs, cette injustice ne se limite pas uniquement aux seules personnes infectées puisque tout leur entourage court aussi le risque d’être infecté, notamment les enfants et par-dessus tout, les générations à venir. En effet, comme l’indique le graphique ci-dessous, il a fallu environ 30 ans pour gagner 15 années de vie supplémentaires. Ce qui implique que dans les mêmes conditions économiques et sociales, il faudra attendre 2045 pour que les nouvelles générations aient la même espérance de vie que celle de leurs parents nés avant 1990. Pour ceux qui devront avoir un parent né entre 1990 et 2000, il y a des chances qu’ils ne voient pas le jour ou qu’ils soient orphelin(e)s.

 

D’autre part, l’absence de lien entre la performance économique et la prévalence du VIH-SIDA appelle à accorder une attention particulière à cette pandémie. En effet, il est d’usage de se réjouir lorsqu’un pays fait des taux de croissance élevés. Même s’il existe aujourd’hui un consensus sur l’importance de la dimension sociale dans le développement, très peu de regards critiques sont portés sur ces dimensions lorsqu’on se retrouve face à des taux de croissance records comme dans le cas du Botswana. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’il y ait une divergence entre l’évolution de la croissance et la prévalence de certaines pandémies comme le VIH-SIDA. Toutefois, avec l’érosion de l’espérance de vie, la productivité de la main d’œuvre est susceptible d’être moindre, ce qui constitue un frein à la croissance économique.

En définitive, très peu d’attention est accordée à la pandémie du VIH-SIDA. Même si les moyens de prévention sont largement vulgarisés, les données montrent une progression continue du nombre de personnes vivant avec la maladie. Cela présage d’une défaillance des politiques mises en œuvre jusqu’ici. Serait-il intéressant d’étudier les politiques et stratégies mises en œuvre par le Zimbabwe qui est parvenu à réduire significativement le nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA de 1,7 millions en 2001 à 1,2 millions en 2009. L’enjeu est de taille, car les politiques de développement sont moins avantageuses si les personnes qui doivent en bénéficier ne vivent pas longtemps ; il est alors temps d’agir plus efficacement.

Georges Vivien Houngbonon

De l’eau pour tous

Le nombre d’Africains n’ayant pas accès à l’eau potable continue de croître. Quelles en sont les causes ?  Quelles sont les mesures en cours pour que chacun ait accès à l'eau? Existe-t-il d’autres alternatives ?

Alors que les débats se focalisent sur la réduction de la pauvreté, l’accès à l’éducation et aux soins de santé, les Etats Africains se sont peu engagés dans la fourniture de l’eau potable pour tous. En dépit des engagements internationaux pour plus d’investissements dans le secteur, comme le témoigne la cible 7.C des OMD, le nombre d’Africains n’ayant pas accès à l’eau potable continue de croître. Selon les statistiques disponibles[1], de 300 millions en 2002, le nombre d’Africains n’ayant pas accès à l’eau potable est passé à environ 350 millions en 2008. Ces chiffres suscitent des questions à la fois sur les causes de l’insuffisance d’accès à l’eau potable ainsi que sur l’efficacité des politiques menées en Afrique dans le secteur de l’eau.

Année

Pas d'accès à l'eau potable (%)

Population en Millions

2002

36

309

2004

37,9

341

2006

36,1

340

2008

35,1

346

Source : Données Banque Africaine de Développement et Propres calculs.

Concentrons nous sur les causes de ce phénomène aux graves conséquences en termes de dégradation de la santé. Abstraction faite de la distance, l’eau en tant que telle existe partout. Le seul problème qui lui est associé concerne son accessibilité et sa qualité. Qu’il s’agisse de la construction d’un puits, d’une fontaine ou d’un robinet, il est nécessaire de faire des investissements. Compte tenu de la pluralité des priorités et de la faiblesse des ressources financières des Etats, une très faible part des ressources budgétaires est consacrée à l’accès à l’eau potable. Dès lors, la plupart des projets d’adduction d’eau en milieu rural sont financés par des prêts extérieurs.

En plus de ce manque d’investissement public, le secteur privé est quasiment absent sur toute la chaîne de fourniture de l’eau. Cette absence est vraisemblablement due à la faiblesse de la rentabilité des investissements dans la fourniture de l’eau notamment en milieu rural où est concentré la plus grande partie de la population concernée. Dans un contexte de pauvreté, les ménages ne disposent pas de revenus suffisants our payer le prix nécessaire pour couvrir les coûts d’investissement. Même s’il est envisageable d’appliquer une politique de redistribution en faisant payer plus cher les ménages urbains pour financer le déficit en milieu rural, le ratio de la population dans les deux milieux ne permet pas d’assurer l’équilibre. Cette difficulté est plus importante dans les pays où l’on compte au moins 3 ruraux pour 2 urbains.

Même l’augmentation des revenus agricoles ne peut permettre aux ruraux de payer le « juste prix », la faiblesse de la densité de la population en milieu rural requiert des investissements substantiels face à une demande très faible pour couvrir les coûts à moyen terme. Avec une population éparpillée sur l’étendue du territoire national, il est nécessaire de mettre en œuvre des investissements de long-terme ; ce qui n’est pas toujours compatible avec les objectifs des investisseurs privés. Face à la faiblesse de la capacité financière des Etats et en l’absence d’investisseurs privés, seul des bailleurs de fonds internationaux semblent en mesure intervenir dans le secteur à travers des prêts bilatéraux.

C’est dans cette perspective que la Banque Africaine de Développement a initiée deux programmes dont l’Initiative pour l’Alimentation en Eau et l’Assainissement en milieu rural et la Facilité Africaine de l’Eau. Ces deux projets visent à associer les Etats Africains, la Banque et les investisseurs internationaux pour un accès plus accru des populations africaines à l’eau potable. Leurs objectifs est d’une part d’intervenir directement dans le financement des projets de fourniture d’eau potable aux populations en Afrique et d’autre part d’aider les acteurs du secteur privé local dans la conception de projets de fourniture d’eau bancables.

Si ces initiatives apportent un peu d’espoir à ces centaines de millions de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable en Afrique, il n’en demeure pas moins que leurs réalisations effectives nécessitent la pleine participation des bailleurs de fonds internationaux qui doivent apporter 50% des fonds. Dans le même temps, les initiatives locales en faveur de la conservation et du traitement des eaux pluviales peuvent contribuer à assurer la disponibilité simultanée de l’eau potable et de l’eau pour l’agriculture.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Source : Base de données de la BAD et nos propres calculs.

Pour une réforme de la Statistique en Afrique

Malgré son importance pour le développement économique et social, la statistique est relativement peu développée en Afrique subsaharienne. Un constat qui s'explique par la faiblesse de la diffusion des données et des effectifs de statisticiens. Une réforme profonde est nécessaire pour donner à la statistique son rôle de premier plan dans la prise de décisions.

Historiquement, l’ambition de connaître le nombre de citoyens et leurs caractéristiques a conduit les Etats à collecter des informations démographiques. Bien qu’étant les prémisses de la statistique publique, ces recensements révélaient déjà l’importance des statistiques pour la taxation, l’aménagement du territoire et la mobilisation militaire. De nos jours, le rôle de la statistique dans la gestion économique et sociale des Etats n’est plus à démontrer. Qu’il s’agisse de la maîtrise du chômage ou de l’inflation ou encore de l’orientation des politiques de lutte contre la pauvreté, les statistiques sont au cœur des enjeux de développement des nations et plus particulièrement des pays en développement.

Cette importance contraste avec le constat de la faiblesse de cette branche dans les pays d’Afrique subsaharienne. En effet, le système statistique dans les pays d’Afrique subsaharienne est confronté à plusieurs difficultés qui entravent sa contribution au développement économique et social. C’est en substance ce que révèle le dernier rapport de l’ Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Sub-Saharienne (Afristat) sur les systèmes statistiques nationaux. Ces difficultés concernent notamment les ressources humaines et la publication des données statistiques.

D’une part, le problème des ressources humaines se pose avec acuité dans la mesure où chaque institut de statistique (INS) dispose en moyenne de 30  statisticiens et démographes en charge de la production de toutes les statistiques de la nation. Cette moyenne masque une large disparité entre les pays puisque les effectifs varient de 9 en Guinée à 93 au Congo avec le cas particulier de la Guinée équatoriale qui ne possédait aucun statisticien en 2006. Ce constat vient corroborer l’état d’insuffisance de la formation des statisticiens en Afrique. En dehors des quelques écoles nationales dédiées principalement à la formation d’enquêteurs, les trois écoles sous-régionales que sont l’ENSAE-Sénégal, l’ENSEA-Abidjan et l’ISSEA-Yaoundé ne recrutent qu’en moyenne 150  étudiants par an en provenance de 20 pays Africains, soit moins de 8 étudiants par pays.

Par ailleurs, la structure de la formation dans les trois écoles a engendré des clivages très marqués entre les différents niveaux – entre les Ingénieurs Statisticiens Economistes et les Ingénieurs des Travaux Statistiques notamment – de sorte que très peu intègrent les Instituts de Statistiques à la fin de leur formation. Cependant, ils ne sont pas entièrement à l’origine de la faiblesse des effectifs dans les INS. Les institutions internationales et le secteur privé livrent une concurrence très rude pour embaucher le peu de statisticiens formés et plus particulièrement les meilleurs. Dès lors, les INS se retrouvent avec peu de statisticiens, en général ceux qui n’ont pas trouvé de débouchés chez les concurrents. Conséquence : une production insuffisante d’informations statistiques de qualité pour les décideurs.

D’autre part, même quand ces chiffres sont disponibles, leur exploitation en termes d’études socio-économiques susceptibles d’orienter les politiques publiques fait énormément défaut. Un rapide tour sur les sites Internet des différents INS suffit pour constater que nombre de données ne sont pas disponibles. En dehors des quelques rapports descriptifs, il n’existe aucun lien d’accès aux données d’enquête ou de comptabilité nationale. Même si certains ont une interface identique à celle de l’INSEE, la différence en termes de contenu est très significative.

La raison régulièrement évoquée pour justifier l’impossibilité d’accès aux données est leur sensibilité.  Alors que leur utilisation par des chercheurs devrait justifier leur diffusion, il n’existe pas à notre connaissance de loi régissant l’accès aux données en Afrique subsaharienne. L’obtention des données se négocié donc souvent au gré de l’humeur du statisticien en charge. Cette situation absurde – des données sont collectées mais pas utilisées –  n’encourage pas la recherche et constitue non seulement un frein au développement.

Une réforme profonde de la formation et de la recherche en statistique sont urgentes et nécessaires pour orienter les politiques de développement. Cette réforme devra notamment mettre l’accent sur une restructuration de la formation des statisticiens de même que sur l’accès aux données d’enquêtes dans un cadre règlementaire bien précis. Ce second axe de réforme est d’ailleurs promu par la Banque Mondiale qui conditionne maintenant le financement des enquêtes par la publication intégrale des données. Sans attendre d’être contraints de le faire, les Etats Africains gagneraient à favoriser l’accès gratuit aux données d’enquêtes et de comptabilité nationale. Il y va de la crédibilité des chiffres communiqués par les INS et du développement.

Georges Vivien Houngbonon, Statisticien diplômé de l’ENSAE-Sénégal
 

Faut-il privatiser ?

La privatisation des entreprises publiques constitue une part importante de la politique économique des pays en développement. Elle est même requise pour bénéficier des prêts étrangers pour la mise en œuvre des investissements publics. Face aux résultats mitigés obtenus durant ces deux dernières décennies, faut-il continuer à privatiser ?

Au cours des deux dernières décennies, la privatisation a été au cœur de la politique économique aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Dans ces derniers, plus particulièrement, la cession des actifs de l’Etat à des entreprises privées a été une condition nécessaire pour bénéficier du soutien financier des institutions internationales telles que le FMI et la Banque Mondiale. Après les vagues de privatisations à la fois dans les pays en développement et dans les pays en transition, le constat révèle que les résultats obtenus ne sont pas conformes à ceux attendus. D'où la nécessité de s’interroger sur la pertinence de la privatisation notamment dans les pays en développement où la provision des services publics demeure vitale pour une large partie de la population.

C’est pour répondre à cette question qu’un article intitulé « Vendre ou Ne Pas Vendre » de John Quigguin  à été publié sur le sujet dans le dernier magazine Finance et Développement du FMI. Cet article ne tranche pas définitivement le débat sur la pertinence de la privatisation mais permet de mieux en comprendre le pour et le contre. Il conclut principalement sur la recherche d’un juste équilibre entre secteur public et secteur privé dans la gestion des actifs d’une nation. Alors que ces conclusions s’inscrivent dans un contexte géographique global, le présent article se focalise plutôt sur le cas des pays en développement notamment ceux d’Afrique Sub-saharienne où le nombre de ménages pauvres continuent d’augmenter en dépits des politiques de développement mises en œuvre jusqu’à présent.

A l’origine, la nature du propriétaire d’un actif relève des débats de philosophie politique. Ceux-ci déterminent sur la base du consensus général le domaine d’intervention de l’Etat. Ainsi, dans les pays communément appelés « communistes » l’Etat intervient au delà de ses fonctions régaliennes en détenant une large partie des entreprises nationales. C’est le cas notamment en Chine jusqu’à présent et, il y a pas si longtemps que ça, dans l’ex-Union Soviétique. Au contraire, dans les pays d’obédience libérale, il est proscrit que l’Etat intervienne soit en qualité de détenteur d’actifs sur le marché, soit en qualité de régulateur. Cette dernière philosophie politique reste dominante dans la plupart du monde et continue de s’étendre à d’autres pays jadis communistes. Les pays d’Afrique sub-saharienne étant fondamentalement libéraux, intéressons nous à la question de la mise en œuvre de la privatisation dans un contexte d’économie libérale.

Dans ce contexte, la théorie économique postule que seuls les échanges mutuels libres de toute intervention extérieure sont susceptibles d’allouer de manière efficace les biens et services dans une économie. Sur la base de ce postulat, la production de biens ou de services par l’Etat ne peut être économiquement efficace puisque l’Etat ne peut vendre au prix du marché. Il en résulte donc que la cession des actifs détenus par l’Etat engendre une baisse des prix avec une augmentation des profits induisant un gain mutuel à la fois pour le producteur privé et pour le consommateur. Toutefois, ces résultats sont obtenus dans le cas de secteurs hautement concurrentiels où la fixation du prix ne dépend pas d’un producteur isolé. Dans le cas où cette condition n’est pas vérifiée, la théorie économique justifie l’intervention de l’Etat pour rétablir une situation approximativement similaire à la précédente par le biais de la régulation et non de l’acquisition. Ainsi, d’un point de vue économique, la privatisation est toujours bénéfique.

En vertu de cette conclusion, la privatisation est fortement encouragée en pratique dans trois cas. D’abord, lorsque l’entreprise publique produit à des coûts exorbitants ou ne fournit pas des services de qualité à cause du manque d’incitation à adopter de nouvelles technologies. C’est le cas notamment des entreprises de télécommunications. Ensuite, s’il existe un risque élevé de corruption des agents de l’Etat. Celle-ci se traduit par des coûts de production élevés avec des services de moindre qualité avec pour résultat un déficit budgétaire permanent. Les entreprises publiques de fournitures d’eau et d’électricité illustrent ce cas. Enfin, la privatisation est recommandée lorsque l’Etat se retrouve dans l’incapacité d’honorer ses dettes. Ce dernier cas est le plus souvent avancé comme justification car il résulte des deux premiers.

En dépit des prévisions positives de la théorie économique et des raisons bien fondées qui justifient la privatisation, elle ne produit pas toujours les résultats escomptés. Cette situation est souvent la conséquence directe de deux raisons. D’une part, même si le secteur est en concurrence, la décision de privatiser est très souvent entachée d’erreur. En général, il s’agit d’évaluer si le produit de la vente permet de couvrir à la fois le principal et le service  de la dette. Cela revient à évaluer la valeur future des profits qu’aurait générée l’entreprise publique. Cette évaluation est soumise aux incertitudes concernant l’évolution de la rentabilité future de l’entreprise. Dès lors, la décision de privatiser tout le secteur public n’est pas fondée sur une règle exacte. Par ailleurs, même si la vente des actifs publics sert à rembourser la dette, elle ne règle pas pour autant le problème structurel à l’origine de la dette. Il est vraisemblable que l’Etat retrouve son précédent niveau de dette si les conditions antérieures d’endettement persistent.

D’autre part, la faiblesse des institutions couplée avec l’existence de la corruption ne garantit pas l’efficacité de la privatisation principalement dans le cas des secteurs en situation de monopole. En effet, initialement, la corruption consistait à surévaluer les coûts de production afin de détourner le surplus à des fins personnels. Dans le cas d’un monopole, cette situation engendre un sauvetage permanent de l’entreprise par les fonds publics bien que les services produits soient de prix élevés et de qualité inférieure. La privatisation peut contribuer à assainir les finances publiques dans ce cas. Toutefois, le détournement des fonds publics se transforme en une extorsion des consommateurs par le biais d’un prix élevé et avec la complicité de l’autorité de régulation .

Hormis, l’exclusion des conséquences sociales de la privatisation que sont notamment les licenciements, il apparaît clairement que la privatisation ne produit pas les résultats attendus. Que ces résultats soient meilleurs ou pire que ceux obtenus par l’Etat dépend de circonstances spécifiques. L’urgence est qu’il faut trouver un mécanisme qui assure à la fois l’efficacité économique des entreprises, l’assainissement des finances publiques et la préservation du bien-être des consommateurs. D’aucuns ont proposé les Partenariats Public-Privé pour prendre en compte ces trois exigences. Cependant, ces dispositifs ont aussi montré leurs insuffisances. Ainsi, ne faudrait-il pas penser plutôt à un mécanisme qui arbitre dans le temps sur l’opportunité de privatiser des entreprises publiques et qui instaure, durant cette période d’arbitrage, les conditions de concurrence et de bonne gouvernance?

Georges Vivien Houngbonon

 

La monnaie crée-t-elle de la richesse?

La causalité entre la création monétaire et la création de richesses économiques a longtemps été débattue sans qu’une issue consensuelle ne soit trouvée. Cependant, l’existence d’un lien et le choix du sens de celui-ci est essentielle pour la mise en œuvre des politiques publiques. Cette analyse défend que la création de la richesse économique résulte principalement de la possibilité d’une création monétaire et que cette causalité est plus forte dans les pays en développement.

L’un des paradigmes des dernières décennies considère que la monnaie est neutre dans le processus de création de la richesse économique. Pour cela, le principal, et souvent unique, objectif assigné aux banques centrales est la stabilité des prix. Néanmoins, à l’issue des négociations sur la crise de la dette au sein de l’Union Européenne, davantage de pouvoir a été accordé à la Banque Centrale Européenne (BCE) pour agir au-delà de son objectif de stabilité des prix. De même aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale est tenue constitutionnellement de maintenir la stabilité des prix et d’assurer le plein emploi. Ces deux exemples illustrent l’importance de la politique monétaire dans la production de la richesse dans une économie.

Dans les pays africains de la zone franc, cependant, la politique monétaire consiste exclusivement à contrôler l’inflation. Sans juger de la pertinence d’un tel choix, il importe de questionner le sens de la relation entre la politique monétaire et les performances économiques d’un pays. Autrement dit, la monnaie crée-t-elle de la richesse ? Ou est-ce plutôt la richesse qui crée la monnaie, ou les deux à la fois ? La question de la causalité entre la création monétaire et la création de la richesse économique a été longtemps discutée par les économistes sans qu’une réponse tranchée ne soit trouvée.

Par exemple, les classiques considèrent que la monnaie est neutre. Ainsi, la création de la monnaie n’a aucun impact sur la production de biens et de services dans l’économie. Contrairement aux classiques, les keynésiens considèrent que la monnaie joue un rôle prépondérant dans la création de la richesse à travers la relation qui existe entre son prix, c'est-à-dire le taux d’intérêt, et le niveau des investissements. Entre ces deux écoles de pensées se situent les monétaristes qui considèrent l’importance de la création monétaire dans la création de la richesse mais insistent sur ses conséquences inflationnistes dans l’économie. Cette dernière théorie a été appliquée dans la plupart des Etats avec des pondérations relatives à l’inflation et à la production différentes.

Cette discussion théorique qui assimile la création de la richesse à une combinaison entre la stabilité des prix et le plein emploi semble être plus appropriée aux économies développées. C'est tout le contraire dans les pays en développement où la création de la richesse est dans ses phases initiales et est plus dépendante de la création d’entreprises que de la création d’emplois. Il s’agit en effet de la mise en œuvre d’activités génératrices d’emplois. Dans ces économies, la création de nouvelles activités précèdent la création d’emplois. Et cette dimension devrait être prise en compte dans tout examen du lien de causalité entre création monétaire et richesse économique.

En abordant la question sous cet angle et en considérant la création monétaire comme une allocation de crédits, il s’agira alors de déterminer pourquoi les crédits sont alloués dans une économie. Il importe à ce stade de distinguer entre les crédits alloués à l’Etat et aux ménages pour des fins de consommation et ceux alloués aux entrepreneurs. Bien que ces deux types de crédits soient complémentaires, le dernier type de crédit est celui qui mérite le plus d’attention, compte tenu de son incidence significative sur l’activité économique.

En effet, sous l’hypothèse que les banques commerciales octroient des crédits aux projets les plus rentables, les crédits aux entrepreneurs constituent le véritable moteur de la croissance économique. Chaque centime est prêté pour générer des biens et/ou services équivalent à deux, trois voire quatre centimes. Une fois que le principal est remboursé, la différence constitue une richesse économique réelle créée à partir de la décision du banquier d’accorder un crédit à l’entrepreneur. Ainsi, le crédit est alloué parce que le banquier s'attend à ce que de la richesse soit effectivement créée. On pourrait dès lors conclure que c’est la richesse qui crée la monnaie. Toutefois, la décision du banquier n’intervient qu'en second lieu.

En réalité, la possibilité pour le banquier d’envisager une création future de richesses est soumise à trois conditions. D’abord, il faut qu’il existe des débouchés sur le marché, c’est-à-dire une demande potentielle de biens et de services. Ensuite, il faut que l’environnement des affaires soit bien assaini. Cela suppose que les institutions étatiques fonctionnent de manière à assurer le droit de propriété et le règlement des différents. Enfin, il faut que l’entrepreneur s'attende à obtenir un crédit s'il soumet un projet rentable.

Sous l’hypothèse d’un bon fonctionnement des institutions étatiques, la première et la dernière conditions sont déterminées par la création monétaire qui est seulement limitée par le coût de la création. Ainsi, d’une part en allouant du crédit aux entreprises, la création monétaire soutient l’offre de biens et de services. En même temps, elle crée les conditions favorables à une allocation de crédit à l’Etat grâce aux taxes sur l’activité économique et aux ménages en vertu des revenus de leur travail. D’autre part, l’allocation de crédit à l’Etat et aux ménages permet d’assurer l’existence d’une demande capable de s’ajuster à l’offre; et ainsi se réalise l’équilibre.

Par conséquent, la création monétaire et plus précisément la politique monétaire semble être le principal créateur de richesse dans une économie. C'est encore plus vrai dans les pays en développement qui présentent des projets plus rentables et qui ont besoin de croissance économique pour se développer. Faut-il rappeler ici la célèbre phrase de Mayer Amschel Rothschild : « Donnez-moi le droit de contrôler et d’émettre la monnaie d’une nation, et alors peu m’importe qui fait ses lois ».

Il en ressort que la politique monétaire est une composante indispensable de la politique économique que tout pays aspire à maîtriser. Il appartient aux pays en développement notamment ceux de la zone franc d’identifier les voies et moyens nécessaires pour mettre leur politique monétaire au service de leur développement.

Georges Vivien Houngbonon

Sources et liens recommandés :

Copyright photos : Christian Bernard blog

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