Union Monétaire : Vers des critères de convergence économique et sociale

beacAujourd’hui, le fonctionnement des zones d’intégration monétaire dépend de critères de convergence qui ne prennent pas en compte la situation économique des populations. Dans cet article, nous proposons que les critères de convergence économique soient complétés par des critères de convergence sociale, pour garantir le développement harmonieux de l’ensemble des pays membres de l’union.

Une tendance générale vers plus d’intégration monétaire

Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies davantage de zones d’intégration économique sont créées partout dans le monde. A l’image de l’Union Européenne, de l’UEMOA ou de l’ASEAN, elles visent pour la plupart d’atteindre le stade le plus avancé de l’intégration avec la mise en circulation d’une monnaie commune. Cette tendance générale vers plus d’intégration monétaire est beaucoup plus visible en Afrique sub-saharienne. C’est ainsi que la CEDEAO envisage de mettre en circulation l’Eco comme monnaie unique dans la zone dès 2015. Plus récemment, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) s’est donnée dix ans pour mettre en circulation sa monnaie commune.

Cette tendance est tout à fait bénéfique pour les pays africains compte tenu des gains de productivité qu’elle engendre. Ces gains proviennent surtout des économies d’échelles que peuvent exploiter les entreprises qui opèrent dans la zone d’intégration, mais aussi des complémentarités économiques qui existent entre certains pays. Par exemple, il sera moins coûteux pour un opérateur de télécommunications de fournir des services de communications aux 135 millions de clients potentiels de l’EAC plutôt qu’aux seul consommateurs d’un seul pays. En situation de concurrence, cela devrait conduire à des services de communications de qualité et à moindres prix pour le consommateur. De même, les échanges commerciaux, par exemple de matières premières qui rentrent dans la fabrication de produits manufacturées, sont limités à cause des coûts de transaction liés à la multiplicité des monnaies locales.

L’utilité des critères de convergence

Pour bénéficier pleinement de ses avantages, les unions monétaires ont besoin de mettre en place des critères de convergence. Ceux-ci permettent de garantir que des pays initialement différents tendent à se ressembler pour mieux amortir les chocs économiques idiosyncratiques suite à la perte de l’outil monétaire.[1] Les réflexions académiques sur les critères de convergence ont surtout menés par des économistes comme Robert Mundell dans le cadre de la mise en circulation de l’euro. Ces critères portent notamment sur le taux d’inflation, le déficit public et la dette publique.

La limitation du taux d’inflation, du déficit et de la dette publique sous un certain seuil permet de maintenir la structure économique des différents Etats membres dans une fourchette qui favorise l’intervention de la banque centrale. De plus, le maintien de l’inflation en dessous d’un seuil fixe permet de limiter la baisse du pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres et de préserver l’épargne des plus fortunés. Quant aux critères portant sur le déficit public et la dette publique, ils garantissent la stabilité macroéconomique des économies.

La nécessité d’ajouter des critères de convergence sociale

On s’aperçoit que les critères de convergence initialement définis pour la zone euro sont purement d’ordre (macro)économique. Ils ne prennent pas directement en compte le rapprochement des conditions de vie des populations. Même si on pourrait arguer que la stabilité macroéconomique ou la réduction de l’inflation est source d’amélioration du bien-être, plusieurs faits empiriques montrent aujourd’hui que la baisse des déficits publics, de la dette publique ou de l’inflation ne conduit pas systématiquement à une réduction de la pauvreté et des inégalités. Nous n’en voudrons pour preuve que les pays de l’UEMOA. En effet, ni la pauvreté, encore moins les inégalités n’ont été réduites de façon significative dans ces pays ; bien au contraire. Il en est de même pour les pays Européens qui mettent en place aujourd’hui les politiques d’austérité budgétaire pour en partie respecter les critères de convergence.

En réalité, si les critères de convergence proposés pour la zone euro ne comportaient pas de volet social, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de différence significative entre les Etats partis à l’union monétaire en termes de pauvreté et des inégalités.[2] Aujourd’hui, ce débat resurgit dans l’opinion publique des pays d’Europe de l’Ouest face à l’entrée des pays d’Europe de l’Est ayant des incidences de pauvreté et d’inégalité beaucoup plus élevées. Or, nous assistons aujourd’hui à une transposition des critères de convergence de la zone euro par les unions monétaires africaines. L’UEMOA, en est un exemple.[3] Cette transposition omet d’office les différences de conditions de vie des populations africaines qui sont pourtant autant importantes que la stabilité du cadre macroéconomique.

Comme le montre les résultats d’un article de Franck publié sur l’Afrique des Idées, il n’est pas possible de dire que les pays de l’UEMOA convergent. On note d’ailleurs une divergence en faveur de la Côte d’Ivoire, voire une convergence vers une détérioration des agrégats économiques comme le PIB. L’origine de cette absence de convergence est à rechercher dans les différences de conditions de vie des populations entre les pays membres ; comme le montre d’ailleurs les travaux sur les clubs de convergence. En omettant la dimension sociale dans les critères de convergence, les banques centrales de la zone franc mettent en œuvre une politique monétaire qui n’arrange que les Etats les plus développés au détriment des plus pauvres. Cela engendre davantage de divergence dans les conditions de vie et réduit l’efficacité de la politique monétaire commune.

Par conséquent, la vague prochaine de zones d’intégration monétaire en Afrique doit prendre en compte des critères de convergence sociale en plus des critères de convergence économique. Nous pensons par exemple à ce qu’il soit requis de la part des pays membres une baisse annuelle de x% de son incidence de la pauvreté, des inégalités de revenus et du taux de chômage. Car, c’est seulement en ancrant les critères de convergence aux conditions de vie des populations qu’on sera en mesure de susciter leur adhésion politique aux multiples projets d’intégration régionale en cours sur le continent.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

 


[1] Les chocs idiosyncratiques désignent les chocs qui affectent en particulier un Etat membre de l’union monétaire. Par exemple, si un pays est le seul producteur de coton dans une union monétaire, il peut arriver qu’il subisse une baisse de la demande de coton à cause d’une hausse du cours. Si le pays disposait de sa propre monnaie, il pourrait la dévaluer pour rester compétitif sur le marché international. Mais dans une union monétaire, cet instrument n’est plus disponible à l’échelle du pays. Il revient alors à la banque centrale commune de mettre en place une politique monétaire permettant d’atténuer les effets de ce choc. Vous comprendrez donc que les effets d’une telle politique commune seront d’autant plus pervers que les pays sont très différents.

 

 

 

 

[2] Notons toutefois que la question de la prise en compte des critères sociaux a été à l’origine des débats politiques qui ont conduit au rejet de la constitution européenne par les Français.

 

 

 

 

[3] La zone UEMOA ajoute même des critères portant sur les arriérés de paiement, la masse salariale, les investissements publics et la fiscalité. (voir page 12 du rapport de la BCEAO) 

 

 

 

 

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

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Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.

Quel est l’impact des médias sur le développement ?

171998902-2Nous avons coutume de dire que la presse est le quatrième pouvoir dans une démocratie. Au-delà de ce rôle, somme toute symbolique, intéressons-nous précisément à l’impact des médias sur la vie politique et économique des nations. C’est à cette question que répondent des chercheurs dans deux études académiques récentes. L’une analyse l’impact à long terme des médias sur la lecture des journaux et l’implication citoyenne en Afrique sub-saharienne, et l’autre examine l’impact des médias sur la croissance économique en Europe.

La première étude, menée par Cagé et Rueda en 2013, nous apprend que le développement des médias permet d’augmenter l’implication citoyenne des populations dans la vie politique de leur pays. En effet, pour garantir l’exactitude de cet effet, les deux auteures ont croisés les données issues de l’enquête Afrobaromètre sur l’implication citoyenne avec des données géo-localisées sur les régions où ce sont implantées les premières industries d’imprimerie en Afrique sub-saharienne.[1] Elles constatent que ces régions ont connu un développement plus rapide et durable de la presse privée. En plus, les populations qui vivent aujourd’hui dans ces régions lisent davantage les journaux et participent plus aux discussions et actions politiques comme les débats publics et les marches de protestation. Il s’agit de régions situées dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie.

Quant à la deuxième étude, publiée par Dittmar en 2011, elle montre que le développement des médias a un impact positif sur la croissance économique. Plus spécifiquement, cette étude utilise la même méthodologie que celle de Cagé et Rueda ; mais adopte plutôt une approche globale en regardant l’impact des médias sur la croissance économique. Elle démontre que les villes européennes dans lesquelles se sont implantées les premières industries d’imprimerie dans les années 1400 ont connu au cours du siècle suivant une croissance économique 1,6 fois supérieure à celle de villes similaires.

Même si ces études ne donnent pas les détails précis sur les mécanismes qui expliquent ces effets, elles apportent néanmoins la preuve formelle que le développement des médias a un impact significatif sur la vie économique et politique d’une nation.[2] Une implication générale qui résulte de leurs résultats est que tout ce qui entrave l’expansion des médias est mauvais pour le développement. Cependant les ramifications de ces résultats vont au-delà de cette conclusion. Ils montrent aussi que le retard dans l’adoption et l’expansion des médias à des impacts qui persistent dans le long terme. Comme la montre l’étude de Cagé et Rueda sur l’Afrique, l’introduction tardive de la presse écrite au début du 20ème siècle dans certaines régions d’Afrique sub-saharienne a entraîné aujourd’hui une faible lecture de la presse et une faible implication dans les activités politiques de la part des populations. C’est notamment le cas des pays francophones. Par exemple, selon cette même étude, le premier journal africain édité par des africains a été publié en janvier 1876 en Afrique du Sud, soixante ans plus tôt que le premier journal publié dans l’espace francophone à Abidjan en 1935.

Pour éviter ces implications à long terme, il importe donc d’éviter toute entrave à l’expansion des médias et surtout en Afrique. Comme le montre les résultats du dernier round de l’Afrobaromètre ci-dessous, très peu d’Africains ont accès aux médias en dehors de la radio. Par exemple, ces résultats nous indiquent qu’environ 20% de la population n’écoute jamais la radio, plus de 40% ne regardent jamais la télé, plus de 55% ne lisent jamais les journaux et plus de 7 personnes sur 10 n’a jamais été informé grâce à l’internet. Quant à la radio, elle est écoutée quotidiennement par environ 40% de la population entre 2011 et 2013. Au regard des précédents résultats, on peut craindre que l’implication citoyenne des populations de même que les effets des médias sur la croissance économique soient très limités. Cette situation n’est pas de nature à favoriser les transformations institutionnelles tant souhaitées pour un véritable décollage de l’Afrique.

Dans ces conditions, l’émergence des nouveaux médias grâce aux NTIC peut être une occasion exceptionnelle pour révolutionner l’accès aux médias et à l’information pour tous et en particulier en Afrique. Par exemple, avec le fort taux de pénétration du téléphone mobile en Afrique, les opérateurs de réseau mobile peuvent fournir des services d’information par SMS. Le développement de l’internet par mobile ne serait que salutaire dans ce sens.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Annexe: Pourcentage de la population ayant accès aux différents types de médias en Afrique (Source: Afrobaromètre)

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Afrobarometer survey. Selected samples: Algeria 2013, Benin 2012, Botswana 2012, Burkina Faso 2012, Burundi 2012, Cameroon-2013, Cape Verde 2011, Côte d’Ivoire, Ghana 2012, Guinea, Kenya 2011, Lesotho 2012, Liberia 2012, Madagascar-2013, Malawi 2012, Mali 2012, Mauritius 2012, Morocco 2013, Mozambique 2012, Namibia 2012, Niger 2013, Nigeria 2012, Senegal 2013, Sierra Leone 2012, South-Africa 2011, Swazilandia 2013, Tanzania 2012, Togo 2012, Uganda 2012, Zambia 2012, Zimbabwe 2012 (Base=48004; Weighted results)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le fait que ce soit les premiers colons protestants qui aient apporté l’imprimerie en Afrique constitue une variation exogène de l’ampleur des médias. Cependant, on peut évoquer la sélection endogène des colons dans les colonies qui étaient déjà prédisposées à lire et à s’impliquer dans la vie politique. Les résultats résistent à cette éventualité.

 

 

 

[2] Il est vrai que les résultats portent sur le développement de la presse écrite, qui n’est qu’un type particulier de média. Il est vrai aussi que l’impact peut dépendre du type de média, mais nous estimons que l’impact de la presse écrite est que minimal compte tenu de l’étendue de leur public cible.

 

 

 

L’espionnage électronique : Une menace pour l’Afrique ?

« Le génie ne peut respirer librement que dans une atmosphère de liberté »

De la liberté (1859), John Stuart Mill (trad. Laurence Lenglet),

éd. Gallimard, coll. Folio, 1990 (ISBN 2-07-032536-9), p. 160

 

une_espionnageNous vivons aujourd’hui dans une société dont le principe de base est la liberté. C’est elle qui garantit le développement économique et social des nations.[1] Cependant, les récentes révélations sur l’espionnage électronique de l’Agence Nationale de Sécurité américaine  (NSA) indique que ce principe est sérieusement menacé. S’il est vrai que tous les Etats se livrent à l’espionnage, la particularité de la NSA est de dépasser la limite des affaires étatiques pour rentrer dans la vie privée des dirigeants politiques voire même de simples citoyens.[2]

Depuis la première révélation de l’ex-consultant du renseignement américain, Edward Snowden, il ne se passe plus un jour sans que nous apprenions de nouvelles techniques d’espionnage électronique pratiquées par la NSA. En plus de la simple interception de communications téléphoniques, l’agence recueillent secrètement des données dans les serveurs des fournisseurs de contenus internet comme Google, Yahoo ! et Facebook. Tous les messages sont donc passés aux cribles par les agents de la NSA dans le but de « prévenir les attaques terroristes ». Au-delà de cette justification, et compte tenu de l’ampleur de l’espionnage, ce que l’on craint c’est surtout les répercussions de ces pratiques sur les relations économiques, les négociations internationales voire sur la stabilité des pays les moins avancés.

L’Afrique étant globalement moins avancée dans les nouvelles technologies de la communication, elle est particulièrement vulnérable à ces effets de l’espionnage électronique à grande échelle. Combien de négociations économiques ont été biaisées en défaveur de l’Afrique à cause de l’asymétrie d’information ? Combien d’Etats sont menacés de chantage sur la base des informations dont disposent les services de renseignements électroniques sur les affaires personnelles des dirigeants. La liste devrait être longue.

En réaction aux révélations, les Etats européens envisagent actuellement la création d’un Cloud Européen pour se prémunir des intrusions de la NSA dans les affaires publiques et privées des dirigeants européens. Il s’agit d’un réseau interne de serveurs hébergés en Europe dans des zones sécurisées et qui stockent toutes les données issues des communications électroniques. Il est temps que les Etats Africains travaillent aussi à la mise en place d’un Cloud Africain sécurisé. L’enjeu est de taille car il n’y a pas que les Etats-Unis d’Amérique qui surveillent la toile ; tous les pays développés s’y livrent également.

Par ailleurs, il s’agit aussi d’un impératif pour l’émergence de la société de l’information ; c'est-à-dire une société où les TIC modifient profondément les relations sociales, le fonctionnement de l’Etat et l’organisation des entreprises. L’avènement d’une telle société dépend de la confiance qu’ont les acteurs qui doivent y prendre part dont les citoyens, les entreprises et les gouvernements. Avec l’expansion de l’espionnage électronique il y a des risques d’une perte de confiance dans les réseaux de communications. Cela conduirait au mieux à un ralentissement du développement de la société de l’information. Or compte tenu de sa capacité à se substituer aux infrastructures classiques de développement, l’Afrique sera le grand perdant d’un tel ralentissement. Ainsi, l’espionnage électronique, en diminuant la confiance dans les réseaux de communications électroniques, est une menace sérieuse pour le développement de l’Afrique.

En évoquant la lutte contre le terrorisme pour justifier l’espionnage électronique, les pays qui disposent d’un avantage technologique nous offre le choix entre la liberté et la sécurité. Au vu de la problématique sécuritaire en Afrique, les pays Africains risquent de choisir la sécurité tout en sacrifiant les vertus de la protection des libertés individuelles sur développement économique. Dès lors, il y a lieu que les discussions sur les coopérations en matière de sécurité prennent en compte la question de la protection des données personnelles.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 


[1] Armatya Sen, Development As Freedom, 1999.

 

 

[2] Le Sécretaire d’Etat John Kerry lui-même reconnaît que les agents de la NSA sont allés « trop loin ».

 

 

Développer l’industrie du cinéma en Afrique

une_cinemaLorsqu’on observe les budgets colossaux des films américains, on arrive vite à la conclusion que l’industrie cinématographique peut contribuer à créer beaucoup d’activités économiques, voire d’emplois. De même, quand on considère le contenu des films américains et leur influence sur le rayonnement international des Etats-Unis, on ne peut que conclure à l’importance stratégique du cinéma dans la visibilité internationale d’une nation. C’est aussi à la même conclusion qu’on arrive lorsqu’on prend en compte « l’exception culturelle » Française. Dès lors, il convient d’accorder une place plus importante à l’industrie cinématographique dans les réflexions sur le développement de l’Afrique.

La bonne nouvelle, c’est que l’Afrique n’a plus besoin d’aller chercher loin les recettes pour développer son industrie cinématographique. Aujourd’hui, le Nigéria offre un exemple à suivre à travers son industrie cinématographique communément appelé « Nollywood ». Cependant, à l’heure actuelle, nous savons très peu de la conjonction de facteurs qui a conduit à l’émergence et au succès grandissant de cette industrie au Nigéria. Pourquoi n’avons-nous pas observé le même succès dans d’autres pays ? Qu’est ce qui a fait la différence ? Le succès Nigérian est-il transposable dans d’autres pays africains ?

Les quelques rares publications sur l’émergence de Nollywood nous fournissent quelques réponses à ces questions. Cependant, celles-ci ne nous semblent pas satisfaisantes. L’un des ouvrages qui examine cette question avec beaucoup d’adresse est celui de Pierre Barrot intitulé « Nollywood : Le phénomène de la vidéo au Nigéria ». A partir de l’article dont il a fait l’objet sur ce site web on y apprend que la présence d’investisseurs locaux, l’acquisition des nouvelles technologies et l’utilisation optimale des ressources sont les trois principaux facteurs qui expliqueraient le succès nigérian. A y voir de près, on constate que toutes ces conditions sont également réunies dans plusieurs autres pays comme le Ghana, le Kenya ou l’Afrique du Sud. Cependant, en dépit des multiples tentatives qui sont faites dans ces pays pour développer l’industrie du cinéma, le succès n’est pas encore au rendez-vous.

L’une des conditions que nous avons identifiée et qui semble expliquer le succès nigérian est l’économie d’échelle. Ce paramètre économique qui baisse significativement les coûts unitaires de production à mesure que le marché potentiel s’élargit permet d'expliquer l’émergence de l’industrie cinématographique au Nigéria. C’est elle qui a permis de rentabiliser les productions coûteuses du cinéma et d’inciter les investisseurs locaux à placer leurs actifs dans ce secteur. C’est aussi elle qui a incité les entrepreneurs à adopter les nouvelles technologies pour profiter davantage les économies d’échelles. Enfin, c’est elle qui a induit l’utilisation optimale des ressources pour satisfaire aux exigences de rentabilité des investisseurs.

Etant le pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 168 millions de personnes en 2012, loin devant l’Egypte et l’Ethiopie (87 millions), le Nigéria présente cette particularité démographique nécessaire à l’activation des économies d’échelle qui sont très importantes dans l’industrie cinématographique. Il en est de même pour le succès croissant de Hollywood qui peut se permettre de financer des films très coûteux, mais de très bonne qualité, vendus dans le monde entier.[1] A elles seules, les économies d’échelles induites par la démographie exceptionnelle du Nigéria peuvent expliquer les trois facteurs identifiés dans les publications actuelles comme sources de l’émergence du cinéma au Nigéria.

Compte tenu du caractère exogène de cette cause, il en résulte que le succès nigérian sera difficile à répliquer dans d’autres pays africains. Même en tenant compte des perspectives démographiques, très peu de pays africains seraient en mesure de faire émerger une industrie de production cinématographique comme celle du Nigéria. Par conséquent, il serait intéressant de voir une convergence des politiques de la culture entre les pays africains de manière à soutenir la montée en puissance de Nollywood comme le hub du cinéma africain à l’échelle mondiale. Cela passera par davantage de collaborations entre les cinéastes nigérians et ceux des autres pays africains. Cette tendance est actuellement en cours entre le Ghana et le Nigéria où l’on observe que des acteurs nigérians et ghanéens jouent dans le même film. En plus, la contribution des Etats africains à la formation des ressources humaines et à la mise en place des infrastructures nécessaires à la production ne serait plus que souhaitable.

Nonobstant la conclusion à laquelle nous sommes parvenus, il n’en demeure pas moins que le mystère persiste sur les mécanismes microéconomique, politique et social qui ont assuré le succès de  Nollywood non seulement au Nigéria mais de plus en plus dans toute l’Afrique. Des réflexions plus poussées méritent d’être menées sur la question afin d’accompagner le développement de cette industrie si capitale dans le processus du développement. Me permettant de compléter cette citation attribuée à Edouard Herriot, je dirai que la culture n’est pas seulement ce qui reste quand on a tout oublié ; mais c’est aussi ce qu’il y a d’original à partager avec les autres ; le cinéma en est une.

 

Aller plus loin :

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 

 


[1] La production du film Avatar a coûté 387 millions de dollars US. (cf. Wikipédia)

 

 

 

 

 

Lampedusa : Situer les responsabilités

Lmigrant_route_624e 3 octobre dernier, un bateau transportant environ 500 migrants originaires de la corne de l’Afrique a fait naufrage au large de Lampedusa faisant environ 300 morts dont des femmes et des enfants. Loin d’être le dernier épisode du sinistre feuilleton qui se déroule en méditerranée, une nouvelle embarcation de migrants Syriens et Palestiniens a chaviré à quelques kilomètres de Malte causant la mort d’une trentaine de personnes. Ces deux drames illustrent les conséquences des immigrations clandestines d’origine économique et politique respectivement.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour condamner ce qu’il se passe en méditerranée, d’autres appellent à une surveillance accrue des frontières de l’Europe. C’est ce que fait déjà Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières. La mission de cette agence vient d’être renforcée par l’adoption d’un système de surveillance pan-européen (Eurosur). L’approche utilisée par Frontex consiste à signer des accords de partenariats avec les pays de départs, dont la Lybie, la Tunisie et le Maroc, pour renforcer les patrouilles des Gardes côtes.

Ainsi, la répression est davantage privilégiée par les deux parties impliquées dans la gestion de l’immigration clandestine que sont l’Europe et les Etats africains.[1] Malheureusement, elle se fait au détriment de la recherche de solutions aux causes de l’immigration clandestine. A y voir de près, les migrations de façon générale et en particulier l’immigration clandestine ne sont que la conséquence de l’accroissement des inégalités entre les pays. C’est aussi le point de vue de l’économiste Branko Milanovic de la Banque Mondiale.[2] Cet accroissement des inégalités provient de trois principales sources dont la mauvaise gouvernance économique dans les pays de départ, la mondialisation des échanges et les guerres menées dans les pays d’origine par les pays de destination.

D’abord, l’absence de croissance inclusive génératrice d’emplois pour tous est à la base des migrations clandestines en provenance de l’Afrique. Cela contraste avec les performances économiques de la plupart des pays du continent au cours de la dernière décennie. Même si aujourd’hui les victimes sont principalement des Erythréens et Somaliens, on ne peut occulter tous ces migrants Maliens et Sénégalais qui n’ont pas pu voir les îles Canaris ou l’Espagne ; certains ayant péris en mer alors que d’autres ont succombé dans le désert du Sahara. Ces vagues de migrations sont principalement liées à l’absence d’opportunités économiques dans les pays de départs ; car en dépit de la croissance économique, peu d’emplois sont créés pour les jeunes. Les drames successifs qui se produisent en méditerranée sont en réalité des appels aux Etats africains pour la mise en place d’institutions politique et économique plus inclusives.

Ensuite, la mondialisation des échanges, même si elle est globalement bénéfique ne profite pas nécessairement à tous. En général, ce sont surtout les catégories les plus défavorisées qui  sont les principales perdantes. Ainsi, les contrats d’exploitation de ressources naturelles défavorables aux Etats africains, l’éviction sans contrepartie des petits commerçants par de grandes chaînes de distribution et la destruction des écosystèmes naturels à travers l’exploitation des ressources minières qui s’y trouvent sont autant d’actes qui finissent par rendre l’émigration clandestine la dernière option de survie pour ces milliers d’Africains. De ce point de vue, les récents événements viennent rappeler aux institutions internationales impliquées dans la mondialisation l’ampleur de la tâche qu’il reste à faire pour qu’elle soit bénéfique pour tous ; notamment dans les pays en voie de développement.

Enfin, l’omission de l’impact humain dans les décisions de guerres prises par certains pays Européens ou Américains au cours des dernières années est également à la base de ce flux de migrations clandestines. En bombardant la Lybie ou en entretenant la guerre civile en Syrie, ces Etats ne laissent aucune alternative aux populations en dehors de l’émigration. En témoignent l’afflux massif de Libyens et de Syriens qui arrivent chaque jour sur l’île de Lampedusa. Il revient donc à l’Europe et aux Etats-Unis d’Amérique de prendre désormais en compte l’incidence des guerres sur les conditions de vie de populations avant toute action sur le terrain.

En définitive, le drame qui se déroule dans la méditerranée n’est que le prolongement de ce triste feuilleton qui met en scène les populations, frappées par le creusement des inégalités, face aux dangers de la navigation maritime. Face à ce drame, les Etats Africains, les Institutions internationales et les pays Européens ont chacune leur part de responsabilité. Quelles que soit les causes, seule la mise en place d’institutions politiques et économiques inclusives dans les pays d’origine peut endiguer l’expansion de ce phénomène qui n’honore personne.

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 


[1] Il existe toutefois des accords de coopération économique qui visent à promouvoir le développement dans les pays d’origine. Cependant, ces accords restent très marginaux par rapport à l’ampleur des défis de développement dans les pays d’origine.

 

 

 

[2] Le rapport sur le développement de la Banque Mondiale en 2006 pointe aussi du doigt l’impact des inégalités sur les migrations.

 

 

 

Peut-on réduire la pauvreté ?

une_pauvretéPourquoi est-il légitime d’envisager des politiques de réduction de la pauvreté ? Cette question ne se pose plus aujourd’hui. Cependant, de sa réponse dépend l’efficacité des politiques publiques de réduction de la pauvreté. C’est à cet exercice que s’est livré le Professeur Martin Ravallion dans un article intitulé « The idea of antipoverty policy » et présenté à la dernière conférence de l’Université des Nations Unies à Helsinki (UNU-WIDER).

Pour commencer, il a fait remarquer le grand revirement dans la conception de la pauvreté qui s’est opéré il y a environ deux siècles en Europe ; d’abord en tant que bien social puis en tant que mal social. Alors que Philippe Hecquet en 1740 considérait la pauvreté comme un intrant nécessaire au bien être de la société au même titre que le rôle l’ombre sur un tableau, Alfred Marshall s’interrogeait un siècle plus tard sur la contribution positive de la pauvreté au bien-être de la société.[1] Aujourd’hui, la Banque Mondiale évoque son rêve de voir un monde sans pauvres.[2]

La trappe à la pauvreté

Une fois qu’on s’aperçoit de ce grand revirement, la question qui se pose est de comprendre les motivations qui ont été à son origine. L’auteur propose un petit modèle d’évolution des richesses pour traduire ces motivations. Les conclusions de cette analyse sont illustrées sur le graphique ci-dessous.

graph_pauvretéCe graphique présente l’évolution de la richesse actuelle d’un individu (sur l’axe vertical) en fonction sa richesse à une date précédente (sur l’axe horizontal). Les points A, B et C garantissent le même niveau de richesse aujourd’hui qu’hier. Cependant, seuls les points A et C sont stables. Autrement dit, les personnes qui disposent des niveaux de richesse matérialisés par les points A et C sont en mesure de maintenir leur position économique de façon durable. Ceux qui se trouvent en B ne peuvent y être maintenus que par l’apport permanent d’un revenu couvrant leur besoin minimum de capital kmin. C’est une fois qu’ils disposent d’un capital supérieur à ce montant qu’ils sont en mesure de produire et d’augmenter leur richesse. Toutefois, tant qu’ils partent d’un niveau initial de capital inférieur à k*/(λ+1), leur gain supplémentaire à produire est toujours supérieur à ce qu’ils gagneraient s’ils épargnaient leur capital.[3] Ainsi, la force dynamique entretenue par la consommation les ramène toujours au point A où ils ne disposent plus de capital. Il en résulte donc que les personnes ayant une richesse initiale inférieure à k*/(λ+1) reste dans une « trappe à la pauvreté ». Il s’agit d’un cercle vicieux entretenu par le manque d’accès au marché financier qui, en les maintenant dans la pauvreté, les rend de moins en moins productifs.

Des politiques de Protection ou de Promotion ?

Dès lors, ce graphique illustre le fait qu’il existe deux façons de réduire la pauvreté : soit par des politiques de protection ou par des politiques dites de promotion. Les politiques de protection vont s’assurer que l’individu ait un minimum de revenu pour satisfaire ses besoins de base. Cela revient à transférer de façon permanente à une personne pauvre un montant correspondant au minimum à partir duquel elle devient productive (kmin sur le graphique).[4] Au contraire, les politiques de promotion visent à transférer en une seule fois ou durant une période transitoire un capital pour inciter l’individu à sortir définitivement de la pauvreté. Par rapport au graphique ci-dessus, cela consiste à transférer le montant k*/(λ+1) aux personnes pauvres pour s’assurer qu’ils deviennent suffisamment productives pour s’auto-entretenir et passer au point C du graphique.

En termes de décision politique, la principale différence qu’il y a entre ces deux types de politiques de réduction de la pauvreté réside dans le rapport entre les transferts minimum kmin et k*/(λ+1) qu’il faut faire à chaque personnes pauvres. Ce rapport peut être très important et varier d’une personne pauvre à une autre ; ne serait-ce qu’à cause des différences de capacité cognitive qui existe naturellement entre les personnes. Selon le Professeur Ravallion, ce rapport peut expliquer le fait que certains penseurs comme Bernard de Mandeville en 1732 soutenaient que la pauvreté était nécessaire à la balance commerciale d’un pays. Puisque plus de travailleurs pauvres garantissait une compétitivité à l’exportation, source d’entrée d’or (devises) pour les nations.

L’émergence des politiques de promotion de pauvreté

Dans le contexte mercantiliste où les pauvres étaient vus comme des inputs nécessaires à la production nationale, seuls les politiques de protection étaient mises en place. Elles permettaient de garantir la productivité minimale du travailleur pauvre. Cependant, dès le début du 19ème siècle, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer des politiques d’éradication de la pauvreté. Cela fait suite à l’émergence des statistiques qui mettent à l’ordre du jour l’ampleur de la pauvreté dans certaines capitales. C’est le cas des travaux de Booth et Rowntree à la fin du 19ème siècle qui ont révélés l’existence de près d’un million de travailleurs pauvres à Londres. Il était donc devenu évident que la mise en place de politiques de promotion et non seulement de protection était nécessaire pour endiguer l’expansion de la pauvreté.

Aujourd’hui, de plus en plus de gouvernements mettent en place de politiques de promotion en plus des politiques de protection sociale. C’est le cas des programmes de scolarisation obligatoire, d’éradication du travail des enfants, et des transferts d’argent conditionnels vers les ménages. Ces politiques sont toutefois difficiles à mettre en œuvre car elles émergent dans un contexte particulier caractérisé par un niveau modéré de pauvreté, une croissance économique forte et une forte capacité de redistribution de l’Etat. Aujourd’hui la question qui se pose est de savoir si des Etats africains se trouvent déjà dans ce contexte et évaluer l’efficacité les politiques de réduction de la pauvreté à la lumière de leur capacité à protéger les pauvres et à promouvoir leur sortie définitive de la pauvreté.

 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] Les citations originales sont les suivantes telles que rapportées dans l’article de Ravallion:

“The poor … are like the shadows in a painting: they provide the necessary contrast.” (Philippe Hecquet, 1740).

“May we not outgrow the belief that poverty is necessary?” (Alfred Marshall, 1890).

 

 

 

[2] Se référer au slogan de la Banque Mondiale depuis 1990: “Our dream is a world free of poverty.”

 

 

 

[3] On suppose ici que le marché financier n’est suffisamment parfait pour permettre aux individus plus efficaces d’emprunter pour financer des projets rentables. Autrement dit, ils sont contraints par le crédit « credit constrained ».

 

 

 

[4] Cela peut être aussi un programme de protection sociale destiné à fournir une assistance financière à la consommation en cas de chocs sur le revenu.

 

 

 

 

 

 

Comment mesurer la croissance inclusive en Afrique ?

On veut de leau potable, Sinzinzin. Sculpture de Kifouli Dossou, Peinture de Kifouli Dossou, 2010 - 2011
On veut de leau potable, Sinzinzin. Sculpture de Kifouli Dossou, Peinture de Kifouli Dossou, 2010 – 2011

Au cours de la dernière décennie, l’Afrique a connu une croissance économique forte et stable.[1] Cette performance économique a suscité beaucoup d’espoir sur la réduction de la pauvreté comme ce fût le cas dans d’autres régions du monde comme la Chine et l’Inde.[2] Cependant, la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté n’a baissé que très légèrement durant la période.[3] La plupart des études académiques à ce jour se sont intéressées à comprendre les causes du décalage entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté en Afrique. L’approche consistant à mesurer l’impact de la croissance sur l’ensemble des groupes sociaux (en fonction des niveaux de revenu) et non plus seulement sur les catégories les plus pauvres est toutefois moins courante.

La mesure de l’inclusivité de la croissance est devenue progressivement un sujet majeur de préoccupation. Toutefois, nous en savons encore très peu sur l’évolution réelle des revenus et des dépenses des différentes catégories de ménage en fonction du taux de croissance global de l’économie dans laquelle ils s’inscrivent. De ce fait, il n’est pas possible encore à ce jour d’identifier les politiques publiques appropriées susceptibles de rendre la croissance économique plus inclusive. Cela est dû à l’absence d’observations empiriques sur les liens réguliers qui existent entre certaines politiques publiques et « l’inclusivité de la croissance ».

Le think-tank Terangaweb-l’Afrique des Idées s’est donc proposé de mener une observation empirique de l’évolution des revenus des ménages dans trois pays africains (Tanzanie, Cameroun, Sénégal) au regard des taux de croissance économique respectifs de ces pays.  Cette étude a permis d’identifier des relations stables entre l’évolution des revenus/dépenses des ménages et le niveau, la stabilité et la structure de la croissance économique. L’identification de ces relations a permis d’apporter des éléments de réponses aux questions suivantes :

  • La croissance économique a-t-elle besoin d’être forte pour être inclusive ?
  • Faut-il promouvoir une croissance stable pour la rendre inclusive ?
  • Existe-t-il un lien entre la structure de l’économie et « l’inclusivité de la croissance »

Sur la base de l’étude de cas de trois pays africains aux performances économiques différentes que sont le Cameroun, le Sénégal et la Tanzanie, nous avons pu obtenir des résultats préliminaires qui sont présentés à Helsinki dans le cadre de la conférence de l’Institut Mondial de recherches sur le développement de l’Université des Nations Unies (UNU-WIDER), les 20 et 21 septembre 2013.


[1] Selon les Perspectives Economiques pour l’Afrique de 2012, le taux de croissance réel du PIB a été de 5,2% sur la période allant de 2003 à 2011.

[2] Avec un taux de croissance d’environ 8% en 25 ans, la part de la population Chinoise vivant avec moins de 1,25 dollars EU par jour est passée de 73% en 1980 à environ 12% en 2005. (Voir Ravallion, 2009)

En Inde, la plus forte baisse de l’incidence de la pauvreté a été enregistrée durant la période de forte croissance (voir Aghion & Aghion, 2004, p.4). En effet l’incidence de la pauvreté a chuté de 10 points en Inde à la fois en milieu urbain et en milieu rural durant la période où le taux de croissance a été d’environ 5%.

[3] Selon la Banque Mondiale, la proportion des pauvres en Afrique est passée de 47% à 40% entre 2002 et 2008.

Le commerce intra-africain : un levier pour l’emploi des jeunes ?

uneAujourd’hui l’emploi des jeunes est au cœur de tous les débats économiques en Afrique. Alors que les recommandations se focalisent sur les politiques classiques de formation, d’entreprenariat et de création de « pôles emploi », le rôle du commerce intra-africain reste occulté. Dans cet article, nous examinons le lien qu’il peut exister entre l’accroissement du commerce entre les pays africains et l’emploi des jeunes. Cet exercice est en prélude au colloque du Club Diallo Telli sur le commerce intra-africain.

A l’échelle d’un pays, nous mesurons l’intensité du commerce intra-africain en utilisant la part des exportations de ce pays en direction de l’Afrique dans le total de ses exportations. Autrement dit, plus un pays Africain exporte vers une destination africaine, plus il est impliqué dans le commerce intra-africain. Quant à l’emploi des jeunes (15 à 24 ans), il est mesuré à travers deux indicateurs. D’une part, le taux de chômage des personnes ayant entre 15 et 24 ans ; et d’autre part le taux de participation de cette même catégorie de la population au marché du travail. La note technique ci-dessous donne plus de détails sur le calcul de ces indicateurs tout en précisant la source des données de même que les références temporelles.

Commerce intra-africain et chômage des jeunes

graph1Les résultats de cette analyse montrent qu’il existe un lien négatif entre le commerce intra-africain et le chômage des jeunes. En effet, comme le montre le graphique ci-contre, les pays qui exportent plus vers l’Afrique ont un plus bas taux de chômage des jeunes.

Ce résultat est davantage conforté lorsqu’on considère la variation de l’intensité du commerce intra-africain entre deux périodes, notamment 1996-2000 et 2007-2011. C’est ce que montre le graphique ci-contre qui présente la relation entre le taux de chômage des jeunes sur la verticale et la variation de la part des exportations vers l’Afrique entre les deux périodes. On y voit en effet que les pays ayant le plus augmenté la part de leurs exportations vers l’Afrique ont les plus bas taux de chômage chez les jeunes.

graph2Cependant, le taux de chômage peut être faible dans des pays où très peu de jeunes participent au marché du travail. Pour cela, nous regardons aussi le lien entre le commerce intra-africain et la participation des jeunes sur le marché du travail.

Commerce intra-africain et participation des jeunes sur le marché du travail

graph3Le graphique ci-contre montre que globalement les pays qui exportent davantage vers l’Afrique ont des taux plus faible de participation des jeunes au marché du travail. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près on constante que la relation n’est pas linéaire ; mais plutôt en U-inversé. Cela signifie qu’il existe un niveau de participation au commerce intra-africain qui maximise la participation des jeunes au marché du travail. D’après nos résultats, ce niveau est de 20%. Autrement dit, les pays dont moins de 20% des exportations sont à destination de l’Afrique peuvent encore augmenter le taux de participation des jeunes sur le marché du travail en s’impliquant davantage dans le commerce intra-africain. Toutefois, lorsque ce niveau est dépassé, une implication plus forte du pays est associée à une plus faible participation des jeunes sur le marché du travail.

graph4En réalité, la partie descendante de la courbe est tirée par quelques pays dont plus de 40% des exportations sont à destination de l’Afrique. Ainsi, nous examinons plutôt ce qui se passe lorsqu’un pays augmente ou diminue la part de ses exportations vers l’Afrique entre 1996-2000 et 2007-2011. Le graphique ci-contre montre que les pays ayant le plus augmenter leur participation au commerce intra-africain enregistrent les plus fort taux de participation des jeunes au marché du travail.

S’agit-il de liens causals ?

Alors que les graphiques ci-dessus décrivent à priori des relations de corrélation entre le commerce intra-africain et l’emploi des jeunes, la question qui survient est de savoir si ces relations peuvent être interprétées comme des liens de cause à effet. Peut-on dire que le commerce intra-africain réduit le chômage des jeunes tout en augmentant leur participation au marché du travail ?

Pour répondre à cette question, nous avions pris quelques précautions dans le choix des indicateurs et des références temporelles. Comme on peut le constater, les données sur l’implication des pays dans le commerce intra-africain datent de la période 1996-2000 pour le premier et le troisième graphe ; alors que les mesures du taux de chômage et de participation des jeunes ont été faites après les années 2000. On ne peut donc pas raisonnablement soutenir que c’est parce qu’un pays a un faible taux de chômage ou une forte participation des jeunes au marché du travail qu’il s’implique davantage dans le commerce intra-africain.

Par ailleurs, le choix de la variation de la part des exportations en direction de l’Afrique entre deux périodes permet de se débarrasser d’éventuels facteurs tiers qui pourraient être à l’origine des relations observées. Il peut s’agir par exemple de l’importance des activités manufacturières, de la position géographique (enclavement), ou de la part du secteur informel qui déterminent à la fois le niveau d’emploi des jeunes et l’implication d’un pays dans le commerce intra-africain.

Il en résulte donc que ces relations sont très probablement causales. Dans le cas échéant, le commerce intra-africain est effectivement un levier de réduction du chômage des jeunes et d’augmentation de leur participation au marché du travail. Concrètement, les résultats indiquent qu’une augmentation de 1 point (en%) de la part des exportations en direction de l’Afrique permet de réduire le taux de chômage des jeunes de 0.1 point et leur taux de participation au marché du travail de 0.3 point.  Ceci étant, ces résultats peuvent être limités par la qualité des données quoique nous ayons restreint l’échantillon sur les pays ayant les meilleures données. De plus, il reste à mettre en lumière les mécanismes qui sont à la base de l’impact du commerce intra-africain sur l’emploi des jeunes en Afrique.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Note technique :

Les données sur la part des exportations en directions des pays Africains sont tirées du rapport 2013 de l’UNCTAD sur l’état du commerce intra-africain. Ces données fournissent en pourcentage la part des exportations de chaque pays africain en direction de l’Afrique d’une part entre 1996 et 2000 et d’autre part entre 2007 et 2011.

Quant aux données sur l’emploi des jeunes, elles proviennent de la sixième édition de la base de données du BIT sur les indicateurs clés du marché du travail. Nous avons choisi les données les plus récentes pour chaque pays, puisque la date de disponibilité diffère suivant les pays. Cependant, la plupart des données datent de la période post-2000.

Pour le calcul des taux de chômage et de participation, se référer au document explicatif du BIT.

La régulation bancaire est-elle une entrave au développement du mobile banking ?

Les services de mobile-banking sont plus développés en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Et cette inclusion financière contribue très fortement à la croissance économique. Pourtant, la régulation des activités bancaires, de télécommunications et le droit de la concurrence risque d’entraver le développement du mobile-banking. Cet article revient plus en détail sur les relations entre régulation bancaire et mobile banking, en Afrique Subsaharienne.


Alors que sept africains sur dix ont accès au réseau de communications mobile, la perspective d’une convergence entre les services bancaires et les services de communications leur offre la possibilité d’accéder aux services financiers. Cette nouvelle tendance soutenue par les services de transactions bancaires sur le téléphone mobile (mobile-banking) devrait favoriser l’inclusion financière de plus de trois quart des Africains. Comme le démontre plusieurs études, l’inclusion financière contribue très fortement à la croissance économique.[1] Cependant, la régulation des activités bancaires, de télécommunications et le droit de la concurrence risque d’entraver le développement du mobile-banking et par conséquent ralentir la croissance économique. Dans cet article, nous nous proposons d’examiner le cas particulier de la régulation bancaire. Il s’agira de voir dans quelle mesure la régulation de l’accès au marché du mobile-banking est susceptible d’entraver son adoption par les consommateurs africains.

imageuneSelon un document de l’UIT, il existe deux modèles de mobile-banking selon que les transactions soient directement contrôlées (Bank-based noté BB) ou pas (Non-Bank-based noté NBB) par les banques commerciales. Dans le premier cas, les banques commerciales contractent un accord avec les opérateurs télécoms pour fournir les services bancaires sur le téléphone mobile à leurs clients. Ce modèle semble être plus adapté aux pays où le taux de bancarisation est déjà élevé. Dans le second cas, une entreprise quelconque, en général un opérateur télécom, fournit directement des services bancaires à ses clients mobiles. Ce modèle est plus adapté aux pays à faible taux de bancarisation. En définitive, la différence entre les deux modèles tient au fait que dans le modèle BB, tout fournisseur de services de mobile-banking doit détenir une licence bancaire, contrairement au modèle NBB dans lequel la détention d’une licence bancaire n’est pas nécessaire.

En dépit des variantes qui existent pour chacun des deux modèles, c’est le contexte règlementaire qui détermine finalement le modèle qui s’impose aux acteurs du mobile-banking dans un pays. Par exemple, au Nigéria où la règlementation requiert que tout fournisseur de services de mobile-banking détienne une licence bancaire, c’est le modèle BB qui est adopté de sorte que les opérateurs de téléphonie mobile ne peuvent pas entrer directement sur le marché. Contrairement au Nigéria, le Kenya autorise tout opérateur à entrer sur le marché sous réserve de respecter certains critères prudentiels. Ces critères peuvent être par exemple l’obligation d’avoir une contrepartie monétaire des transactions électroniques auprès d’une banque commerciale ou sous forme d’obligations de l’Etat. Ainsi, c’est plutôt le modèle NBB qui est en vogue dans ce pays de sorte que des opérateurs tels que Safaricom ont pu entrer sur le marché.

Il apparait donc clairement que le modèle BB favorise moins l’entrée sur le marché du mobile-banking que le modèle NBB. La raison généralement évoqué par les autorités bancaires est qu’elles n’ont pas de contrôle direct sur les autres opérateurs qui ne détiennent pas de licence bancaire. La barrière à l'entrée inhérente au modèle BB est susceptible d'engendre des perte d'éfiicacité car des entreprises plus efficaces dans la fourniture des services de mobile-banking peuvent être maintenues en dehors du marché avec ce modèle. Ainsi, les prix seront plus élevés rendant les services moins accessibles. Selon un rapport du Groupe Consultatif d’Assistance aux plus Pauvres (CGAP), les services de mobile-banking coûtent 19% moins chers que des services comparables offerts par les banques traditionnelles. En même temps, la sécurité qu’offre le modèle BB peut le rendre plus attractif et favoriser son adoption par les clients. Pour savoir exactement ce qu’il en est, cet article repose sur une étude empirique qui compare les taux d’adoption du mobile banking en fonction du modèle.

Cette étude est basée sur un échantillon de 72 pays dont 37 africains provenant des données de l’enquête réalisée par la Banque Mondiale en 2011 sur l’utilisation du mobile-banking dans la plupart des pays en développement. Ces données fournissent des informations sur le pourcentage de la population de plus de 15 ans d’un pays ayant utilisé des services de mobile-banking pour envoyer ou recevoir de l’argent, ou pour payer des factures. Ces informations sont complétées par une variable que nous avons construite à partir des informations fournies par des rapports de la GSMA, l’EBRD, l’UNCTAD et les textes règlementaires de certains pays africains. Cette variable permet d’identifier le modèle utilisé par un pays donné avant 2011. Ainsi, selon le type de transactions (envoi, paiement ou réception), nous avons calculé le taux d’adoption comme le pourcentage moyen de la population de plus de 15 ans ayant utilisé les services de mobile-banking.

graph_mobbEn général, on note d’abord que conformément aux résultats existants, les services de mobile-banking sont plus développés en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Ensuite, le mobile-banking est beaucoup plus utilisé pour recevoir que pour envoyer de l’argent particulièrement en Afrique, reflétant ainsi l’impact des transferts d’argent international en direction de l’Afrique. Enfin, contrairement, aux autres types de transactions, l’utilisation du mobile-banking pour les paiements de facture est encore très peu développée.

Plus particulièrement, lorsqu’on s’intéresse aux performances des deux modèles de mobile-banking, il ressort que le modèle NBB est plus performant que le modèle BB pour les transferts d’argent. En effet, les pays africains ayant adopté le modèle ouvert à tous les acteurs du marché ont en moyenne 3 personnes sur 100 en plus qui utilisent les services de mobile-banking pour envoyer de l’argent. Ce gain d’inclusion financière est similaire à l’échelle mondiale. La même performance s’observe au niveau des réceptions d’argent notamment à l’échelle mondiale. Il est possible que l’importance des transferts de fonds ne permette pas d’établir le même résultat pour les réceptions d’argent en Afrique. La différence est toujours en faveur du modèle NBB, mais elle est moins prononcée. A la lecture de ces résultats, il s’en suit que les pays africains qui adoptent le modèle centré sur les banquent risquent d’exclure une partie de la population des activités bancaires. Si l’on se réfère à l’étude sur les coûts conduit par le CGAP, il est possible que cette performance du modèle NBB soit liée à son prix plus bas. D’un point de vue économique, ce résultat n’est pas surprenant dans la mesure où le modèle NBB introduit plus de concurrence sur le marché du mobile-banking.

Cependant, les mêmes données indiquent que lorsqu’on considère les paiements de facture, c’est plutôt le modèle centré sur les banques qui est plus performant. En effet, les pays ayant adopté le modèle centré sur les banques ont en général au moins une personne sur 100 de plus qui utilisent le mobile-banking pour les paiements de factures. Cette différence est légèrement plus importante pour l’Afrique avec un gain de +1,4% pour le modèle centré sur les banques. Il est possible que cette inversion des performances soit due à la confiance placée aux banques par les commerçants. Toutefois, les informations dont nous disposons ne permettent pas d’établir clairement l’origine de cette contre performance do modèle NBB pour le paiement des factures.

En somme, ces résultats semblent indiquer que les divergences qui existent entre le choix des modèles de mobile-banking résident dans le type de transactions que l’on veut privilégier. Le modèle qui requiert que seuls les opérateurs détenant une licence bancaire peuvent offrir ces services favorise l’adoption des services de paiement par mobile ; alors que le modèle qui donne accès à tous les opérateurs favorise surtout les services de transferts d’argent par mobile. D’un point de vue social, il semble que ce dernier modèle soit plus favorable à l’inclusion financière des pauvres que le modèle centré sur les banques. Après tout, il faut avoir accès à certaines infrastructures de base comme l’eau et l’électricité pour envisager de payer des factures par le téléphone mobile.

En outre, les résultats de cette étude méritent d’être affinés sur plusieurs points. D’abord, sur la significativité statistique des différences observées. Ensuite sur l’interprétation causale des résultats. Précisément sur ce point, il est possible de mettre en avant le fait que les pays utilisés ne soient pas similaires, même si à la base nous partons sur des pays tous en voie de développement. Enfin, nous ne savons pas si ce sont les mêmes personnes qui envoient, reçoivent ou font des paiements par leur téléphone mobile. La connaissance de cette information permettrait de mieux identifier les performances des deux modèles selon le type de transactions. Toutefois, cela nécessite d’avoir des informations au niveau individuel. Ces différents points pourront être examinés dans un futur document consacré à l’impact de la régulation sur le mobile-banking. Enfin, nous savons encore très peu sur l’incidence des nouvelles dispositions fiscales qui sont prises par certains pays africains pour taxer les transactions bancaires sur le réseau mobile.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir l’étude de Andrianaivo et Kpodar, 2011 sur le sujet.

 

 

 

 

 

Dominique Kerouedan : un regard sur les défis sanitaires de l’Afrique

une_kerouedanAlors que les perspectives économiques et démographiques suscitent beaucoup d’espoirs en Afrique, les problématiques de santé semblent recevoir de moins en moins d’attention.[1] Or, la croissance démographique et la poussée d’urbanisation susceptibles d’accompagner cette croissance économique ne sont pas exemptes de problèmes sanitaires qu’il faudra prendre en compte dans les choix de politiques publiques. C’est pour cela que nous avons rencontré une experte dans le domaine de la santé, fin connaisseur de l’Afrique pour avoir vécu sur le continent, travaillé avec la société civile et plusieurs gouvernements Africains, le Professeur Dominique Kerouedan. Dans une démarche prospective, elle nous apporte son regard sur les défis sanitaires de l’Afrique à anticiper au cours des prochaines décennies.

Comment voyez-vous l’évolution des questions sanitaires en Afrique ?

Au cours des prochaines années, on devrait s’attendre à une augmentation des défis sanitaires de l’Afrique sous l’impulsion de la croissance démographique et de l’urbanisation. D’abord, le doublement de la population à l’horizon 2050 implique un risque d’augmentation de l’incidence des maladies infectieuses dont le SIDA et la tuberculose, de même que les maladies tropicales comme le paludisme ou les maladies parasitaires. Ensuite, l’urbanisation rapide qui doit accompagner la croissance économique devrait être à l’origine de crises alimentaires, d’une recrudescence de maladies infectieuses de la pauvreté et de la promiscuité, comme la tuberculose, des maladies transmises par voies sexuelle et sanguine (dont sida et hépatites virales), sans omettre une transition épidémiologique dont se dégage déjà l’émergence de maladies chroniques telles que le cancer, le diabète, les maladies cardio-vasculaires cérébraux, les affections respiratoires chroniques, les maladies mentales ou les accidents de la voie publique[2]. Ces pathologies de longue durée sont d’autant plus redoutées, que même si les jeunes composent une grande partie de la population africaine, le vieillissement sera rapide sur le continent. Compte tenu de l’afflux attendu des malades, nous devons anticiper la capacité des systèmes de santé à répondre à tous ces fléaux à la fois, et à organiser la prévention des maladies contractées dans les hôpitaux, dites iatrogènes. Enfin, la prépondérance des conflits armés dans certains pays poserait aussi des problèmes sanitaires dus aux violences sexuelles faites aux filles et aux femmes et aux attaques de plus en plus fréquentes à l’encontre du personnel médical et des blessés de guerre, en violation du droit international et des Conventions de Genève. Par ailleurs, il y aurait également l’émergence de maladies liées au changement climatique, à la dégradation de l’environnement et aux pollutions.

Qu’en est-il de la santé maternelle, c’est à dire des femmes enceintes et parturientes?

sante1Justement, il s’agit d’un des problèmes de santé publique sur lequel très peu de progrès ont été enregistrés au cours des dernières années en Afrique, notamment francophone. Je souhaite mettre l’accent sur la grossesse adolescente. Selon une récente étude de l’Overseas Development Institute, les grossesses précoces, observées chez les filles de moins de 18 ans, voire même de moins de 15 ans, sont un problème grave de santé publique, particulièrement sur le continent africain, qui regroupe à lui seul plus de 50% des cas mondiaux. Très souvent, on perd deux enfants lorsque cela se termine mal : l’adolescente et son bébé. Or, cette situation est surtout liée à la déscolarisation précoce des filles. Ce rapport souligne que l’intervention la plus efficace à réduire le nombre de grossesses adolescentes, plus efficace encore que l’offre de services de santé, est de maintenir les filles à l’école. Ainsi, on augmente le taux de scolarisation et on contribue en même temps à la baisse de la mortalité maternelle et infantile.

Existe-t-il des spécificités régionales à ces problèmes sanitaires ?

En effet, le rapport entre l’ampleur des différents types de maladies va dépendre de l’évolution de la situation actuelle des maladies infectieuses dans certaines régions de l’Afrique et de l’évolution de la démographie et de l’urbanisation. Puisque nous n’avons pas encore mesuré l’ampleur des maladies chroniques, on ne peut se situer aujourd’hui que par rapport aux données existantes sur les maladies infectieuses.

D’après ces données, on constate que les maladies infectieuses comme le SIDA et la tuberculose sont prépondérantes en Afrique australe, notamment en Afrique du Sud qui concentre 50% des décès liés au SIDA dans le monde. Ainsi, compte tenu de la prévalence du SIDA dans cette région et de la manifestation de la tuberculose chez plus de 60% des malades du SIDA, ces deux pandémies devraient continuer à sévir dans cette région de l’Afrique. L’Afrique de l’Ouest et du Centre présente des pays à risque notamment à cause de la pauvreté, des conflits armés, des violences sexuelles, et des contaminations par le sang, qui sont des facteurs de propagation du SIDA, et de la tuberculose comme corolaire. Notons que les conflits armés ont des retentissements sur toutes les questions de santé, tant les populations et les soignants sont mobiles, les services de soins détruits ou les systèmes déstructurés. Le paludisme a ainsi flambé en Côte d’Ivoire. En Afrique de l’Est, beaucoup d’efforts ont été faits dans la lutte contre le paludisme. La sécheresse a certainement contribué à réduire la mortalité liée au paludisme, et donc la mortalité infantile, dans plusieurs pays de la région. Cependant, cette maladie nécessite des efforts constants de sensibilisation, de distribution des moustiquaires et de destruction des sources de reproduction du vecteur de la maladie. Ainsi, il existe effectivement des différences entre les régions africaines quant à l’ampleur des problèmes sanitaires soulevés plus haut. Le plus important à relever a trait aux inégalités sociales et de santé considérables entre les régions du continent, certainement (l’hypothèse reste à explorer, doit être explorée) en partie liées à l’iniquité de l’accès des pays (Etats et société civile) à l’appui technique, institutionnel et aux financements mondiaux, rapportés à la population, à la pauvreté, à la situation de conflits armés, à la charge de maladie, aux risques de transmission, à la vulnérabilité en somme, à propos de laquelle il s’agit d’élaborer un index composite précis.

Quels sont les obstacles aggravant l’ampleur de ces défis ?

sante2Ils sont principalement de trois ordres. D’abord, le déficit de personnel médical est très important en Afrique. Selon les données de l’OMS, le continent concentre le quart des pénuries mondiales de personnel de santé alors que trois quarts des nouvelles infections par le VIH par exemple, et trois quarts des décès liés au sida, y sont dénombrés. Cette importante charge de maladies est gérée par seulement 3% du personnel médical pour 15% de la population mondiale. Plus globalement, relevons que 90% de la charge de maladie se situe dans les pays en développement, en faveur desquels 10% des travaux de recherche, réalisés à l’échelle mondiale, s’intéressent à explorer leurs enjeux et tentatives de réponse. Ensuite vient l’absence d’étude épidémiologique, quantitative, ou qualitative, de l’ampleur de maladies existantes (hépatites virales), des nouvelles maladies infectieuses ou chroniques, et de leurs impacts sociaux, économiques, etc. Par exemple, dans la plupart des pays Africains, on ne connaît pas le nombre de personnes souffrant d’hypertension artérielle, du cancer du sein ou du diabète. Il n’y a pas assez de médicaments pour traiter tous les patients diabétiques. Quinze ans après les avoir abordées pour le sida, nous nous posons les mêmes questions quant à la disponibilité et à l’accessibilité financière des traitements des cancers par exemple. Cette fois, je ne vois pas d’activistes à l’horizon, ni de portage politique fort à l’échelle mondiale… Dans la situation de crise actuelle, ces maladies menacent pourtant la stabilité économique mondiale.

Enfin, l’autre obstacle et pas des moindres est le financement des politiques et stratégies de santé. Ce dernier souffre de deux problèmes majeurs. D’une part, la santé ne fait pas encore partie des priorités nationales dans beaucoup de pays Africains. Pour preuve, la plupart des Etats consacre entre 4 et 10% de leur budget à la santé, peu soucieux de respecter les engagements que les Chefs d’Etats ont pris à Abuja en 2001, renouvelés depuis au sein de l’Union africaine, de consacrer au moins 15% de leur budget à la santé. D’autre part, il y a une inadéquation entre les priorités des partenariats et financements innovants mondiaux, et les priorités nationales et locales. Ces dernières années, la plus grande proportion de financements de l’aide mondiale, publique et privée, à la santé, a été allouée à prise en charge (plutôt qu’à la prévention) du sida en Afrique ou ailleurs, indépendamment des problèmes de santé les plus récurrents dans un pays donné. En examinant l’aide du Fonds européen de développement aux systèmes de santé en Afrique[3], la Cour européenne des Comptes est à peu près la seule institution d’autorité à avoir eu le courage et l’indépendance de relever ces déséquilibres fortement induits par les partenaires américains privilégiant leurs intérêts[4]. Cela pose des problèmes d’égalité d’accès à la santé, d’équité et d’éthique, dans la mesure où on est amené à choisir qui pourra être sauvé et qui laisser mourir, qui sera exposé au risque d’infection et qui le serait moins.

S’agissant de financement, le secteur privé industriel et commercial a-t-il un rôle à jouer ?

dv1961024En effet, le secteur privé a un rôle très important à jouer dans la prévention, le dépistage et la prise en charge précoces des infections et des maladies. Plusieurs études ont montré qu’il est plus rentable pour une entreprise de prévenir et de dépister les maladies. Ainsi, elle évite les défections et les absences de son personnel : plus tôt elle intervient, moins ça coûte cher et mieux le personnel va se porter dans le long terme. Je parlerais volontiers de santé durable. Il y a des exemples d’implication du secteur privé, depuis une quinzaine d’années dans la lutte contre le SIDA, plus récemment en appui à la santé plus globalement. Il s’agit notamment de l’initiative Global Business Coalition Health, portée par des entreprises de tous les continents. De grandes entreprises françaises y sont actives. La coopération française, allemande ou le programme américain PEPFAR[5] par exemple, ont soutenu ces initiatives à l’échelle locale.

Mon intuition est qu’il existe une place importante que doivent occuper les entreprises privées dans la médecine du travail. Dans l’Afrique en pleine croissance de demain, les maladies chroniques risquent d’être prépondérantes. Pour éviter qu’elles ne soient une contrainte, voire un véritable frein, à la productivité des entreprises, il est encore temps, mais urgent, que celles-ci mettent en place des programmes de prévention axés sur la consommation du tabac, de l’alcool, l’obésité et la sédentarité, qui sont les principaux facteurs de risques des maladies chroniques, ainsi que des programmes de dépistage volontaire précoces de ces pathologies, dont le pronostic est d’autant plus favorable, qu’elles sont diagnostiquées tôt dans leurs évolutions. Nous proposons une médecine du travail au service des employés et de leurs familles, en même temps qu’au bénéfice des politiques sociales, de la rentabilité, de l’efficience des entreprises, ce qui est plus que nécessaire en temps de crise économique et financière. Il s’agit plus que jamais de préserver le capital humain dans toutes ses dimensions. Chaque entreprise devrait, et pourrait facilement, développer une médecine du travail qui s’adapte aux évolutions démographiques et épidémiologiques des pays dans lesquels elle opère. Il y a donc un équilibre stratégique et financier à trouver entre les secteurs public et privé dans la protection et le financement de la santé.

Quelques mots pour conclure ?

sante4Nous ne pouvons pas parler de tout. Je n’ai pas assez évoqué la production de médicaments par exemple sur le continent. Je voudrais souligner deux sujets qui me semblent importants : l’un sur le rôle des individus en tant que premiers concernés, et l’autre sur les orientations de la communauté internationale en préparation du cadre global pour le développement après 2015.

A l’échelle locale, les individus ont deux rôles à jouer. D’une part, la santé est aussi une affaire personnelle, c’est même une dimension philosophique de la personne. Dès lors, la perception du risque de la part de l’individu détermine beaucoup son comportement vis-à-vis des facteurs de détérioration de sa santé. Il s’avère donc qu’il faut une prise de conscience chez les personnes elles-mêmes des risques encourus lorsqu’elles consomment le tabac, l’alcool, les produits alimentaires trop gras ou trop sucrés, ou lorsqu’elles ne font pas de sport. Ce qui est difficile car l’être humain n’est pas de nature à se projeter dans le long terme. D’autre part, comme l’a souligné le Prix Nobel d’Economie Amartya Sen dans son allocution d’orientation présentée à l’Assemblée mondiale de la santé en mai 1999[6], l’investissement politique du citoyen dans la détermination des priorités nationales est crucial pour faire de la santé une priorité dans les choix de politiques publiques et agir sur le montant des allocations financières. La couverture sanitaire universelle n’a de sens pour répondre aux enjeux, que si ses mécanismes sont pensés au service d’une politique sanitaire et sociale efficiente décidée de concert, au moins entre les citoyens, les élus et l’Etat, politique dont l’objectif n’est pas exclusivement de financer les soins, mais de bâtir ensemble des sociétés avec moins de malades. N’est-ce pas un beau projet de société, de cohésion sociale ?

A l’échelle internationale, les négociations en cours, s’inscrivant aux décours de la Conférence de Rio+20, tendent à souhaiter la convergence, voire la fusion, entre les objectifs du développement et les objectifs de développement durable. Le risque de ce rapprochement est de ne plus se soucier en pratique que des enjeux communs mondiaux, et de voir s’estomper de l’ordre du jour, les priorités sanitaires, sociales, institutionnelles et de développement des pays les moins avancés ou des Etats fragiles (ce sont pour beaucoup les mêmes qui souffrent de ces deux statuts à la fois), ceux-là mêmes qui accusent déjà les retards les plus importants et les résultats les moins bons à réaliser les objectifs du millénaire pour le développement avant 2015.

Le risque est aussi de voir les questions environnementales prendre le dessus sur le développement économique et la justice sociale, en dépit des préconisations du rapport fondateur de Madame Brundtland en 1987, d’accorder une attention équilibrée aux trois piliers du développement durable. Reconnaissons que pendant les 26 années écoulées, soit plus d’un quart de siècle, le paradigme du développement durable n’a pas été convainquant à savoir répondre aux enjeux spécifiques des populations et pays les plus pauvres, sanitaires en particulier, dont les maux dont souffrent les femmes et les enfants ou les populations en guerre. Il faudra donc s’assurer cette fois, que les questions de santé spécifiques aux populations des pays pauvres ou des pays en guerre occupent une place privilégiée à l’issue des arbitrages et engagements internationaux en délibéré à l’Assemblée générale des Nations Unies à partir de septembre 2013.

Interview réalisée par Georges Vivien Houngbonon

Note biographique:

Pr Dominique Kerouedan

Titulaire de la Chaire Savoirs contre pauvreté (2012-2013), dont le thème est la « Géopolitique de la santé mondiale »

Auteur de l’ouvrage « Géopolitique de la santé mondiale ». Fayard, juin 2013. 86p., accessible dans son intégralité ici : http://books.openedition.org/cdf/2291

Directeur de l’ouvrage « Santé internationale : les enjeux de santé au Sud ». Les Presses de Sciences Po. Janvier 2011. 592p. en partie disponible sur www.cairn.info

L’ensemble des enseignements et la vidéo du colloque international des 17 et 18 juin, sur le thème de la « Politique étrangère et diplomatie de la santé mondiale », seront très prochainement mis en ligne sur le site internet de la Chaire Savoirs contre pauvreté, ici :

http://www.college-de-france.fr/site/dominique-kerouedan/index.htm

 

 

 

 

 

 


[1] Cf. le discours de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine et le plan stratégique décennal de la BAD qui ne mentionnent pas du tout la santé comme priorité.

 

 

 

 

 

[2] Selon l’INED, on entend par transition épidémiologique la « période de baisse de la mortalité qui accompagne la transition démographique. Elle s’accompagne d’une amélioration de l’hygiène, de l’alimentation et de l’organisation des services de santé et d’une transformation des causes de décès, les maladies infectieuses disparaissent progressivement au profit des maladies chroniques et dégénératives et des accidents. »

 

 

 

 

 

[3] The European Court of Auditors. Special Report N° 10/2008 on European Commission Development Assistance to Health Services in Sub Saharan Africa together with the Commission’s replies. Luxembourg, 2008, published online on January 14, 2009.

 

 

 

 

 

[4] D. Kerouedan. Géopolitique de la santé mondiale. Leçon inaugurale au Collège de France. 14 février 2013. Editions Fayard, Paris juin 2013. 87p.

 

 

 

 

 

[5] United States President Emergency Programme for AIDS Relief, www.pepfar.gov

 

 

 

 

 

[6] A. Sen. Santé et développement. Bulletin de l’Organisation mondiale de la santé. Recueil d’articles N°2, 2000.

 

 

 

 

 

« Une si longue lettre » à l’Afrique

letter_africaL’Union Africaine (précédemment OUA) vient de célébrer le premier cinquantenaire de sa création. A la lecture du discours de la Présidente de la Commission, force est de constater que l’intégration africaine vivement souhaité par les fondateurs n’est pas encore une réalité. Cependant, elle est encore la principale aspiration exprimée par tous les dirigeants africains lors de cette célébration. Pourquoi donc un objectif si cher à chacun ne l’est pas pour tous ? D’aucuns diront que c’est de l’égoïsme. Pourtant ils l’affirment, et le manifestent à travers les ministères en charge de l’intégration africaine qui existent dans la plupart des pays africains. Dans cet article, nous considérons que l’échec de la coordination entre les dirigeants Africains pour aller vers davantage d’intégration africaine résulte de l’absence d’un objectif fédérateur. Ainsi, nous défendons l’idée que le développement humain devrait être l’un des vecteurs de l’intégration africaine. Sa prise en compte devrait conduire à relever le défi d’une gestion commune des ressources naturelles (matières premières et énergétiques) du continent, et par-delà contribuer à l’intégration totale du continent.

L’urgence du développement humain en Afrique…

pib_habD’abord, commençons par examiner la situation de l’Afrique dans une démarche prospective. Selon une récente projection économique à l’horizon 2050 effectuée par des chercheurs de PSE-Ecole d’Economie de Paris, la productivité de la main d’œuvre sera le principal handicap de l’économie africaine au cours de prochaines décennies. En effet,  malgré un taux de croissance annuel de 5,2%, l’Afrique sub-saharienne continuerait d’être le continent « le plus pauvre » au monde avec un PIB par habitant encore huit fois inférieur à celui des Etats-Unis et sept fois inférieur à celui de la Chine en 2050.[1]

TFP_africaAlors qu’il est difficile d’inverser le cours des projections démographiques (2 milliards d’Africains en 2050), il est par contre possible de changer la tendance de ces projections économiques si la principale cause est bien identifiée. Lorsqu’on regarde de plus près ces projections, on s’aperçoit que le gap de productivité entre l’Afrique et les autres régions du monde sera la principale source de la faiblesse du niveau de vie en Afrique. Comme le montre le graphique suivant, la productivité totale des facteurs sera encore six fois inférieure à celle des Etats-Unis et trois fois inférieure à celle de la Chine en 2050.[2]

educ-africaEn réalité, cette faiblesse de la productivité totale des facteurs résulte essentiellement du faible niveau d’éducation.[3] Comme l’indique le graphique suivant, la part de la population en âge de travailler ayant un niveau d’éducation supérieur (université) sera toujours dérisoire à l’horizon 2050. Elle sera en 2050 égale au niveau enregistré par la Chine en 2010.

L’objectif n’est pas de dire que l’éducation est la panacée. Mais ce qu’il ressort de ces constats statistiques est qu’elle jouera un rôle déterminant dans le niveau de vie des africains et dans la capacité des Etats Africains à participer effectivement au futur ordre mondial qui sera dominé par la Chine, les Etats-Unis et l’Union Européenne. Ainsi, le développement humain à travers l’éducation et la santé devient une urgence pour toute l’Afrique. La mise en œuvre de ces politiques mérite des réflexions plus approfondies qui devront faire l’objet d’articles à venir. Si l’on s’intéresse pour le moment aux conditions financières requises pour relever ce défi, il en ressort que l’utilisation des ressources naturelles de l’Afrique sera la principale source de financement.

Transformer les ressources naturelles en capital humain…

De façon générale, si le capital humain a été très peu développé en Afrique, ce n’est pas nécessairement par manque de volonté politique, mais plutôt par manque de moyens financiers. Pour preuve, la construction d’un centre de santé ou d’une école requiert l’élaboration d’un projet qui doit être soumis aux bailleurs de fonds internationaux pour l’obtention du financement. Ces procédures ne permettent pas forcément de se focaliser sur les priorités nationales et ne prennent pas non plus en compte l’urgence de la situation dans laquelle se trouve l’Afrique. Ainsi, seule l’utilisation des revenus issus de l’exploitation des richesses naturelles constitue une alternative crédible pour le financement du développement humain en Afrique.[4]

Cependant, plusieurs faits attestent que très peu de pays ont pu jusqu’à présent gérer leurs ressources naturelles sans susciter des conflits. Comme le montre une étude récente de Arthur Silve sur la gestion des rentes issues des ressources naturelles, seuls le Botswana et l’île Maurice ont pu tirer profit de leurs immenses ressources naturelles (évaluées à US $ 1200 milliards). Ainsi, la plupart des pays Africains pris individuellement sont en conflits ou sous la menace d’un conflit à cause de la gestion des ressources naturelles. En général, il s’agit soit d’un président qui s’accroche au pouvoir afin de pérenniser sa mainmise sur les ressources naturelles, d’un coup d’état ou du développement de groupe rebelles pour contrôler les rentes issues de l’exploitation des ressources naturelles. Quel que soit le motif évoqué pour faire les coups d’états ou pour une insurrection rebelle, le principal motif peut toujours être retracé dans la capture de la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles, comme le montre un récent article de Félix Duterte sur le Kivu.

richesse_gouvCette instabilité politique liée à la gestion des ressources naturelles est-elle dans l’intérêt des leaders politiques ? C’est une question à examiner. Ce qui est sûr, c’est que la mauvaise gouvernance, caractérisée par l’absence d’obligation de résultat, la dégradation des libertés civiles, l’absence de l’état de droit et la persistance de la corruption, est négativement corrélée à la valeur nette des ressources naturelles. Autrement dit, plus un pays est riche en ressources naturelles, plus il a de chance d’être mal gouverné et par conséquent politiquement instable. Comme le montre le graphique ci-dessous, la valeur de l’indicateur de bonne gouvernance est faible dans les pays riches en ressources naturelles.[5]

Par ailleurs, la croissance économique dans les pays émergents est susceptible d’augmenter davantage les risques d’instabilité politique liée à la gestion des ressources naturelles. Ainsi, avec l’augmentation des cours des matières premières à cause de la forte demande en provenance des pays émergents, la rentabilité économique d’un coup d’état ou de la mise en place d’un mouvement rebelle va sans cesse être très importante. De plus la détermination du prix des matières premières (agricoles notamment) n’est pas que le fruit des mécanismes de marché, mais dépend également du pouvoir de négociation des parties à l’échange. Or, chaque pays isolé n’étant pas en mesure d’assurer actuellement ni son intégrité territoriale, ni son pouvoir de négociations dans les transactions économiques internationales, il s’en suit que seule la mise en commun des ressources naturelles pour une gestion à l’échelle continentale serait à même de garantir la sécurité et la valeur des ressources naturelles de chaque pays pris individuellement.

La nécessité d’un système institutionnel fédéral…

USAfricaEn effet, avec une richesse nette estimée à environ 40.000 milliards de dollars US, une institution fédérale africaine dont les moyens financiers proviendraient de l’exploitation des ressources naturelles pourrait, sans avoir recours à une aide extérieure, assurer la prospérité et la sécurité de chacun des Etats Africains. Cela est d’autant plus vrai que le continent détient environ 30% des minéraux de la terre, parmi lesquels 40% de l’or, 60% du cobalt et 90% du platine.[6] Les modalités pratiques d’investissement de ces ressources pourront faire l’objet de négociations entre les différents Etats.

D’ailleurs, de plus en plus de constats confirment cette nécessité de passer à une institution fédérale. D’abord, sur le plan politique, les différentes interventions armées internationales à l’image des casques bleus actuellement présents dans huit pays africains, l’implication active de la Cour Pénale Internationale dans les affaires judiciaires du continent, sont autant de preuves qu’il existe un vide sécuritaire et juridique en Afrique. Ensuite, l’influence significative des recommandations des experts des institutions économiques internationales dans l’identification et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales sur le continent illustre le besoin d’une expertise économique ayant les moyens de ses objectifs. Enfin, la dégradation des termes de l’échange et l’imposition d’une ouverture économique totale à des pays dépourvus d’un tissu industriel montre l’urgence d’avoir une seule voix à la table des négociations commerciales sur l’Afrique.

Si actuellement les activités de l’Union Africaine (UA) et de la Banque Africaine de Développement coïncident en partie avec ces besoins, elles ne peuvent produire aucun effet significatif tant que les moyens financiers mis à la disposition de ces institutions seront limités. En guise d’exemple, le budget de l’UA est financé à hauteur de 77% par des ressources extérieures ! Or, au vu de la valeur totale des ressources naturelles de l’Afrique et des risques encourus dans une gestion à l’échelle nationale, il apparaît que la mise en place d’un système institutionnel à l’échelle continentale est possible et sera bénéfique pour l’ensemble des Etats. Nous ne discutons pas ici de la forme de ce système ; mais plutôt de sa nécessité. Il est possible qu’une réforme des institutions panafricaines existantes puisse être suffisante pour combler ce vide. La solution proposée ici n’est pas nouvelle en soit dans la mesure où elle a déjà été répétée à maintes reprises et particulièrement exprimée au sein de notre Think Tank.

Une condition nécessaire à sa réalisation est l’existence d’Etats leaders capables de porter ce projet de mutualisation des ressources naturelles et de la délégation de leur gestion à une instance continentale. Conscient de la difficulté de voir émerger de tels leaders, nous esquissons ici quelques pas pour commencer.

Quelques pas pour commencer…

Pour aller plus loin dans l’idée développée par Joël Té-Léssia dans l’une de ses chroniques dominicales, ces quelques pas devront être faits pour garantir la réalisation future de « l’intégration africaine par le bas ». Cela passe par la levée de tous les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens et des services. Elle a déjà commencée (dans la CEDEAO par exemple), ou se trouve à des degrés divers dans les différentes communautés économiques africaines, mais son extension à l’ensemble du continent n’est pas encore une réalité. Une première étape simple, mais symbolique, serait de négocier la libre circulation et d’installation de tous les étudiants Africains sur l’ensemble du continent à l’image du programme Erasmus en Europe.

Par ailleurs, un aspect important de l’intégration qui, quoique promu, a été négligé au cours de ces dernières années est la promotion effective de l’histoire et de la culture. Combien de villes africaines disposent d’un théâtre digne de ce nom ? Et quelle est la fréquence des activités culturelles qui s’y déroulent ? Nous n’en savons que peu ou prou. Or, à notre avis, l’histoire et la culture devraient former le ciment d’une nouvelle Afrique intégrée.

Dans cette optique, les Think-Tanks comme Terangaweb-l’Afrique des Idées ont un rôle primordial à jouer pour persuader les potentiels leaders Africains de la nécessité de faire ces quelques premiers pas. Beaucoup de questions suscitées dans cette longue lettre méritent des réflexions plus approfondies : ce n’est qu’un nouvel agenda de recherches sur l’Afrique.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

PS: Les graphiques statistiques ont été établis par l'auteur à partir des rapports cités.


[1] La référence à l’Afrique sub-saharienne n’exclut pas le Maghreb. Il s’agit d’une contrainte imposée par la structure des statistiques existantes.

[2] La productivité totale des facteurs donne une idée de l’efficacité des inputs utilisés dans la production.

[3] La productivité totale des facteurs résulte de l’efficacité de la main d’œuvre et des machines utilisées dans le processus de production. Sachant que les meilleures technologies sont à la disposition des entreprises africaines, la faiblesse de la productivité globale ne viendrait donc qu’essentiellement de la qualité de la main d’œuvre, et par conséquent du niveau d’éducation.

[4] Cela suppose une bonne gouvernance. Mais nous verrons que la solution finale proposée règle en même temps ce problème.

[5] L’indice de bonne gouvernance provient du Freedom House Index de 2010 disponible uniquement pour onze pays Africains. Quant à la valeur des ressources naturelles, elle provient d’une estimation pays par pays réalisé par David Beylard, et publié sur le site internet de Les Afriques.

[6] Selon le Rapport « Afrique, Atlas d’un monde en mutation » du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP), 2008.

Comment lutter contre la cybercriminalité en Afrique ?

image uneAlors que les cybercafés fournissent l’accès à l’internet à une bonne partie de la population africaine, le taux de pénétration du mobile et les perspectives de déploiement des réseaux 3G ou 4G laisse présager qu’un nombre plus important d’africains seront connecté au monde dans les prochaines années.[1] Cette situation est de nature à favoriser l’émergence des paiements électroniques de même que l’accès aux crédits et à l’assurance par des moyens électroniques. Par ailleurs, davantage d’opportunités s’ouvrent à des entrepreneurs africains pour établir des partenariats avec leurs homologues sur les autres continents grâce à la connexion à internet. Cependant, ces opportunités risques d’être compromises par l’incidence de la cybercriminalité en Afrique. Alors que les Etats s’activent à mettre en place à l’échelle nationale des lois punissant les délits commis sur internet, cet article propose des solutions complémentaires basées sur une analyse économique des incitations à frauder en ligne.[2]

Quelques faits sur la cybercriminalité

internetMême si la dégradation de la situation économique peut être un facteur incitatif à la cybercriminalité, l’augmentation du nombre d’utilisateurs d’internet constitue la principale tendance qui favorise l’accroissement de la cybercriminalité. Les données existantes à l’échelle mondiale montrent une forte corrélation entre l’évolution du nombre d’utilisateurs et le nombre de délits révélés dans les médias.[3] Quoique la cybercriminalité soit un phénomène mondial, les types de délits diffèrent selon les continents. Selon un récent rapport de l’UNDOC (figure 2.1.), ce sont surtout les fraudes en lignes qui prédominent en Afrique, principalement au Nigéria qui concentrent 7,5% des cybercriminels à l’échelle mondiale. Ce pays a gagné la réputation d’être le principal hub cybercimedes cybercriminels les plus actifs avec yahooboys et scams 419 comme leurs marques reconnues à l’échelle internationale. Ainsi, chaque jour les boîtes électroniques sont inondées de lettres dites « nigérianes » proposant un partenariat en affaires, le transfert ou le retrait d’un fonds. Ces pratiques existent également sur les sites de ventes et d’achat en ligne entre particuliers comme « leboncoin.fr ». Elles sont peu à peu étendues aux transferts d’argent sur mobile. Le Ghana avec ses sakawaboys, la Côte d’Ivoire, le Bénin et bien d’autre pays Africains n’échappent pas à ce phénomène. Un paramètre qui reste inconnu est le profil des cybercriminels.

La réponse juridique et policière…

Dans ce contexte, les gouvernements Africains envisagent la mise en place de cadres juridiques permettant de garantir la sécurité sur internet. Par ailleurs, une initiative de l’Union Africaine vise également à faire adopter une convention de lutte contre la cybercriminalité par les Etats Africains. A l’échelle internationale, le Conseil de l’Europe a élaboré une convention qui fait office de référence en matière de lutte contre la cybercriminalité. En Afrique, seul l’Afrique du Sud a signé cette convention sans pour autant la ratifier. Dans les autres pays, notamment au Nigéria, des voix s’élèvent pour réclamer une mise en place rapide du cadre juridique de lutte contre la cybercriminalité. De façon générale, ce cadre devrait créer une loi qui punit les délits commis sur internet et former la police à l’identification et à l’arrestation des cybercriminels. Si la répression peut être un moyen de dissuader de potentiels cybercriminels, elle ne change pas les causes qui les incitent à commettre le délit. Par ailleurs, l’anonymat que confère internet combiné aux moyens d’investigation limitée de la police jette des doutes sur l’efficacité de la solution juridique.

La nécessité d’une solution économique

La problématique de lutte contre la cybercriminalité peut être vue comme le problème d’une autorité de gestion d’un marché de vendeurs ambulants (une foire par exemple) composé de deux types de vendeurs : les « vrais » et les « faux ». Les acheteurs n’ayant pas les moyens d’identifier le type de vendeur, l’autorité doit s’assurer que seuls les « vrais vendeurs » sont présents sur le marché. En effet, les acheteurs sont intéressés à venir sur le marché uniquement si le risque de rencontrer de « faux vendeurs » est très faible.[4] La foire est équivalent à la plateforme internet limitée à un pays, les vendeurs sont des opérateurs économiques du pays en question. Parmi ces derniers, on distingue les « faux vendeurs » (les cybercriminels) des « vrais vendeurs ». Les acheteurs représentent les potentielles victimes de cybercriminalité dans le monde entier. L’autorité en charge de la gestion de la foire peut être vue comme un Etat qui bénéficie des échanges sur internet soit à travers les taxes ou soit à travers les emplois que ces échanges créent dans l’économie nationale.

En suivant les résultats de la théorie économique des contrats, le problème de l’autorité revient à proposer un menu de contrats aux vendeurs pour leur accès au marché de nature à révéler leur type.[5] Dans le cas de la cybercriminalité, deux solutions peuvent être envisagées. D’une part, un menu de prix d’accès à internet et d’autre part un menu d’investissements dans l’authentification des personnes naviguant sur internet (abonnées).

Le menu de prix d’accès à l’internet ferait varier le prix de la connexion en fonction d’un certain nombre d’informations qui déterminent la nature de l’abonné. Par exemple, la fréquence de la connexion, le temps passé en ligne, les sites web visités et les mots clés utilisés dans les messages envoyés sur internet peuvent être des informations pertinentes à la révélation de la nature de l’abonné. Ainsi, le prix d’accès à l’internet serait une fonction de ces informations. Elles peuvent être collectés automatiquement au cours de la navigation sur internet comme c’est le cas actuellement avec les entreprises de publicité. Toutefois, l’efficacité de cette mesure dépend de la part de cybercriminels dans le nombre total des abonnés. Si celle-ci est trop importante, la procédure d’identification risque de commettre beaucoup d’erreur en associant les « bons abonnés » aux cybercriminels ; ce qui décourageraient la présence de ceux-ci et conduirait donc à une situation où seuls les cybercriminels seront sur la plateforme internet. C’est pourquoi, les mesures de répression sont nécessaires pour dissuader l’arrivé de nouveaux cybercriminels. D’où la complémentarité entre les mesures juridiques et celles que nous proposons ici.

Si la tarification forfaitaire de l’abonnement à internet ne pourrait pas être politiquement mise en œuvre, une autre solution serait la mise en place d’un menu d’investissements dans l’authentification des abonnés en ligne. Il s’agit pour les Etats d’investir dans les moyens de sécurité informatique permettant d’identifier systématiquement la nature des messages envoyés sur internet et les estampille d’un sceau de qualité. Cela se fait déjà chez les fournisseurs de boîtes électroniques qui parviennent à identifier systématiquement les spams. En vertu de la taille du segment des acheteurs (mondiale) les bénéfices générés par les transactions devraient être suffisants pour justifier de tels investissements.

En outre, il est établit que la plupart des cybercriminels évoquent l’absence d’opportunités d’emplois comme l’une des raisons de leurs actions.[6] Ainsi, derrière la cybercriminalité se cache le problème de l’emploi de jeunes. Pour cela, il faudra repenser la formation professionnelle, l’organisation des universités et l’industrialisation ou la « tertiarisation » des économies africaines.

Somme toute, la lutte contre la cybercriminalité requiert une réponse globale qui inclut aussi bien des mesures juridiques qu’économiques. Alors, que les Etats africains s’apprêtent à mettre en place un cadre juridique de répression de la cybercriminalité, nous proposons que celui-ci soit complétés par des incitations économiques comme une tarification différenciée de l’accès à l’internet ou le choix d’investissements dans l’authentification des abonnés en ligne. Cependant, la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures nécessite une connaissance précise du profil des cybercriminels et de la typologie de leurs communications sur internet.

 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L’importance des cybercafés est souvent omise dans l’évaluation de l’accès à internet en Afrique.

 

 

 

 

[2] Nous excluons ici du champ de la cybercriminalité les actes comme le piratage, le phishing, le hacking qui sont moins prépondérants en Afrique.

 

 

 

 

[3] Notons que les statistiques sur la cybercriminalité sont quasi-inexistantes. Ainsi, quoique les chiffres présentés ci-dessus peuvent entachés de bais de déclaration, il n’en demeure pas moins que c’est le mieux que l’on puisse donner comme information actuellement.

 

 

 

 

[4] Nous supposons qu’il y a plusieurs autres marchés proposant les mêmes produits et services à la disposition des acheteurs. Ainsi, le principe de concurrence est la principale motivation de l’autorité à contrôler la qualité des vendeurs sur son marché. Dans le cas où il y aurait un seul marché pour certains produits, la présence de « faux vendeurs » va restreindre la demande ou la valeur des biens et services et donc le profit de l’autorité.

 

 

 

 

[5] La théorie des contrats développés par Laffont et Tirole (1986) permet de résoudre le problème d’un principal doit rémunérer des agents dont il ne connaît pas les types.

 

 

 

 

[6] Voir la page 8 du rapport de l’UNDOC cité dans le texte.

 

 

 

 

Quels sont les pays africains qui ont le plus fort potentiel de croissance des télécoms ?


Dans un récent article sur le potentiel de croissance du secteur des télécoms en Afrique, nous expliquions que celui-ci était encore élevé, du fait principalement de la structure de la population : 40% des africains ont moins de 15 ans et cette tranche de population fournit chaque année environ 30 millions de nouveaux clients potentiels. De plus, le taux de pénétration réel des télécoms en Afrique (pourcentage d'utilisateurs de téléphonie mobile) est de 67%, laissant encore des perspectives d'évolution. Enfin, du fait du déficit d'infrastructures de base, la gamme des usages de la téléphonie mobile est encore largement inexploitée.

Toutefois, la diversité des pays africains implique que non seulement l’ampleur de la demande potentielle, mais également ses déterminants ne devraient pas être les mêmes d’un pays à un autre. Cet article se propose donc de mettre en évidence ces différences à partir d’une typologie des pays africains en fonction de l’importance de chacun des trois leviers (structures de la population, taux de pénétration et déficit d'infrastructures). Il en résulte que le potentiel de croissance de la téléphonie mobile est plus élevé dans les pays d’Afrique tropicale et que les usages substituables aux infrastructures routières tels que les transferts d’argent sont d’importants leviers de croissance dans les pays à faible densité de la population.

Un point sur la méthodologie

Ces résultats proviennent de la position des pays sur le graphique ci-dessous. Celui-ci présente les pays en fonctions de l’importance de chacun des trois leviers de croissance, notamment le taux de pénétration du mobile, la structure de la population et le déficit en infrastructures. Le taux de pénétration est mesuré par la part des personnes de plus de 15 ans ayant souscrit à un abonnement mobile et la structure de la population est mesurée par la part de la population de moins de 15 ans. En ce qui concerne le déficit en infrastructure, il est abordé sous l’angle des infrastructures sanitaires, bancaires et routières. Il est donc mesuré à la fois par le taux de mortalité infantile, la part de la population disposant d’un compte bancaire (dépôt et crédit), et le nombre de kilomètres de route par superficie de 100 km².[2] En général, plus un pays se trouve à droite et/ou en haut sur le graphique, plus son potentiel de croissance est élevé. Ainsi, ce graphique montre qu’on peut distinguer deux catégories de pays selon l’ampleur et le levier de la croissance.[3]

Figure: Position des pays selon le potentiel de croissance de leur marché des télécoms

Sources : Propres calculs utilisant les données provenant de la Banque Mondiale.

Tableau: Quelques indicateurs sur les deux groupes de pays

L’Afrique tropicale : une zone où le potentiel de croissance est le plus élevé[4]

L’Afrique tropicale constitue une zone singulière où le développement de la téléphonie mobile devrait connaître une croissance significative dans les prochaines années. Comme le montre le graphique ci-dessous, les pays à droite de l’axe vertical sont principalement situés dans la bande tropicale de l’Afrique. Il s’agit principalement de tous les pays africains à l’exception de ceux du Maghreb et de l’Afrique australe. Dans ces pays, la croissance du marché du mobile viendra surtout du segment de la population en âge de travailler qui ne dispose pas encore d’une souscription à la téléphonie mobile, de la vague de nouveaux clients jeunes qui arrivera chaque année sur le marché, et du développement de nouveaux usages notamment dans le mobile-finance et le e-health. Typiquement, dans ces pays d’Afrique tropicale, seulement 50 personnes sur mille ont accès aux crédits contre une moyenne de 125 pour mille pour l’ensemble de l’Afrique. Cette différence subsiste pour l’ensemble des autres indicateurs à l’exception du déficit en infrastructures routières (voir tableau).

Dans les autres pays : les usages substituables aux infrastructures routières 

Par ailleurs, il existe un groupe constitué de pays comme la Guinée Equatoriale, le Gabon ou la Lybie, où les nouveaux usages sur les transferts d’argent ou d’informations financières entre les différentes régions du pays vont constituer un levier important de la croissance de l’industrie. Dans ces pays situés dans la partie supérieure du graphique (au dessus de l’axe horizontale), il y a plus de deux fois moins de routes par unité de surface que dans l’ensemble de l’Afrique (voir tableau). Ce manque d’infrastructures de transport est un frein aux transactions économiques et financières. Par exemple, un paysan de Mongomo en Guinée-Equatoriale qui aurait du mal à écouler ses récoltes sur les marchés de Bata pourra davantage le faire sans se déplacer s’il existait un système d’informations et de paiement par réseau mobile. Il en est de même pour les transferts d’argent à l’intérieur d’un même pays.

Un rôle pour l’Etat ?

Il ressort de cette description que le potentiel de croissance des communications sur le réseau mobile, même s’il est globalement fort en Afrique, diffère significativement d’un pays à un autre. Cependant, la faiblesse des revenus et la règlementation bancaire sont les deux principaux obstacles susceptibles de limiter la traduction de cette demande potentielle en une demande effective adressée aux opérateurs. Dans le premier cas, l’Etat n’a pas un moyen d’action direct en dehors des politiques de croissance et de réduction de la pauvreté. Celles-ci devraient à moyen terme augmenter le niveau de vie des populations et par conséquent accroître leur propension à consommer les services de télécommunications mobiles. C’est plutôt dans le second cas que le rôle de l’Etat sera le plus déterminant. En effet, les règlementations en matière de transferts d’argents et de paiements monétaires ne permettent pas nécessairement aux opérateurs de téléphonie mobile de proposer des gammes de services variés aux clients. Un prochain article devrait déterminer en quoi ces règlementations peuvent être des freins au développement des activités monétaires et financières sur les réseaux de communications.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 


[1] L’article précédent n’avait pas mentionné les perspectives de croissance économique en Afrique qui sont aussi un indicateur important du potentiel de croissance. Toutefois, la croissance dépend en elle-même du potentiel de croissance de la téléphonie mobile. Il serait donc fallacieux de faire de cette association une causalité.

 

 

[2] Il s’agit là d’indicateurs mis en place par les chercheurs de la Banque Mondiale pour mesurer ces différentes variables.

 

 

[3] Ces deux groupes ne pas nécessairement distincts comme on peut le constater sur le graphique.

 

 

[4] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de potentiel de croissance dans les autres pays. Il s’agit d’une appréciation relative basée sur la comparaison entre les pays de cette zone et les autres.

 

 

Quel est le coût économique d’Un coup d’Etat ?

Le 22 mars dernier, l’Afrique s’est réveillée sur un nouveau coup d’Etat. Il ne s’agit plus cette fois-ci de la Guinée, ni du Niger, mais plutôt du Mali ; un pays admiré pour sa démocratie avec la perspective d’un Président qui s’apprêtait à quitter le pouvoir dans moins d’un mois. Les raisons évoquées par la junte semblent ne convaincre personne à l’exception d’une partie de la population Malienne ; ce qui suscite davantage de questionnements quant à l’opportunité et la justification de ce coup d’Etat particulièrement lorsqu’on ne dispose pas de toute l’information sur les événements en cours au Mali.

A cet effet, beaucoup de débats ont été menés jusqu’à présent sans qu’un consensus clair ne se dégage sur l’appréciation de ce coup d’Etat. Qu’il s’agisse des genèses de la rébellion touareg, ou de  l’insuffisance des réactions du gouvernement, ou même des discussions informelles à l’issue du coup d’Etat, la question qui demeure est de savoir ce qu’il apporte comme bénéfice à la population Malienne. Loin d’apporter davantage de confusion au débat en suggérant ce qui aurait été meilleur, il serait plus utile d’évaluer de manière générale le coût d’un coup d’Etat ; non pas pour les organisateurs, mais pour la nation entière en termes de développement économique. Sachant que le but avoué des organisateurs est souvent l’amélioration substantielle du bien-être des populations, il en résulte qu’une évaluation du gain net est à même de justifier de manière objective l’opportunité d’un coup d’Etat.
A priori, il serait quasiment impossible d’évaluer avec exactitude et exhaustivité le coût d’un coup d’Etat à cause des multiples dimensions qui le composent. En effet, un coup d’Etat peut affecter plusieurs dimensions de la vie d’une nation ; notamment la politique, l’économie, la culture et de façon générale le développement humain. Puisque les chocs économiques qui résultent d’un coup d’Etat sont susceptibles d’affecter l’ensemble de ces dimensions, il est possible d’avoir une meilleure approximation du coût sur la base de l’ampleur, de la structure et de l’évolution de ces chocs. Par ailleurs, pour éviter la prise en compte de chocs circulaires  qui ont eux-mêmes induit l’avènement du coup d’Etat, cette évaluation se restreint aux seuls coups d’Etat qui n’ont pas une origine économique ; bien qu’il soit toujours possible d’établir un lien entre la situation économique et les autres raisons ayant conduit au coup d’Etat. Comme le montre le graphique suivant, les exemples portent sur le Mali, la Mauritanie et le Niger durant les 20 dernières années.
 
 

Source : Données Banque Mondiale. Calculs de l’auteur. Les carrés rouges indiquent l’avènement d’un coup d’Etat post-1990.

Deux constats ressortent du graphique ci-dessus. D’une part, les pays ayant eu des coups d’Etat sont plus pauvres que la moyenne d’Afrique Sub-saharienne (ASS). Cela peut être dû à une faiblesse des institutions, à la fréquence des coups d’Etat antérieurs aux années 90 ou à des conditions initiales liée à l’histoire ou à la position géographique de ces pays. Toutefois, il existe peu de différence entre la qualité des institutions des pays d’Afrique sub-saharienne à l’exception des pays anglophones où elle est meilleure. Par ailleurs, les conditions initiales, qu’elles relèvent de l’économie ou du développement social, étaient similaires. L’ensemble de ces pays étaient des colonies avec une majorité ayant obtenu son indépendance durant la même période. On pourrait donc envisager la fréquence des coups d’Etats comme une possible explication au faible niveau du PIB par habitant.

D’autre part, les pays ayant connu un coup d’Etat n’enregistrent pas une chute de leur PIB par habitant mais décrochent par rapport au reste à l’ASS. En effet, comme le montre le graphique ci-dessus, l’ASS enregistre globalement une croissance de son PIB par habitant depuis 1990. Cependant, le Mali qui a connu un coup d’Etat en 1991 n’a pas suivi cette tendance avant 1996. En l’absence de coup d’Etat depuis cette année, le Mali a suivi la même tendance croissante que l’Afrique sub-saharienne. Ce qui implique qu’en absence de coup d’Etat, le PIB par habitant d’un pays comme le Mali évoluerait de la même manière que celui de l’ASS. Cette même conclusion est applicable à la Mauritanie  où le PIB par habitant a également suivi la même tendance que celui de l’ASS avant l’avènement du premier coup d’Etat de la période en 2005. A partir de cette année, on ne note pas une régression mais plutôt un décrochage par rapport à la croissance enregistrée par l’ASS. Quant au Niger, qui a enregistré cinq coups d’Etats depuis son accession à l’indépendance dont trois après 1990, son PIB par habitant est resté constant contrairement à celui de l’ASS.

De façon quantitative , l’occurrence d’un coup d’Etat conduit en moyenne à un décrochage du PIB par habitant de 1 à 18% par rapport à celui de l’ASS. Plus précisément, les coups d’Etat répétitifs au Niger ont contribué à faire décrocher son PIB par habitant de 15%, alors que celui de la Mauritanie en 2008 a engendré un décrochage de 43% par rapport au PIB par habitant de l’ASS. On note par contre que pour les trois pays objet de cette analyse, l’occurrence des coups d’Etat n’a pas eu d’impact sur l’inflation, ni sur les investissements directs étrangers (IDE). Ces résultats expliquent bien la stagnation du PIB par tête. Toutefois, le résultat obtenu sur les IDE, dont dépendent fortement l’ensemble des pays d’ASS, reste à nuancer. En effet, dans les conditions économiques de ces pays, les IDE devraient connaitre une tendance croissante. Dès lors, leur stagnation peut être le résultat d’un retrait des nouveaux investisseurs à cause du risque élevé.

En définitive, il ressort que les coups d’Etat constituent un frein au développement économique. Ils n’ont pas un impact significatif sur le bien-être des populations dans le court-terme, ce qui pourrait expliquer le soutien d’une certaine partie de la population aux mutineries. En réalité, le coût d’un coup d’Etat se retrouve dans le long terme à travers une stagnation du niveau de vie et une paupérisation relativement aux autres pays. Il faut donc qu’à l’avènement d’un coup d’Etat, la résistance citoyenne devienne le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs. Plusieurs autres alternatives existent dans une démocratie pour régler les contentieux, le Sénégal en est un bel exemple.

Georges Vivien Houngbonon

Article initialement publié le 3 avril 2012

Crédit photo : Source: Belga