La difficile réforme foncière en Afrique : Cas du Lesotho

La difficile réforme foncière au Lesotho est un article écrit en 1986 par I.-V. Mashinini dans le magazine Politique africaine. Il est frappant par le fait qu’il reste d’actualité, par son à-propos et sa précision dans l’analyse de la situation agricole africaine et dans la position des problèmes.

L’article commence par le constat de la baisse de la production agricole africaine au cours des années 70 et la pénurie alimentaire aigüe qui en a résulté malgré l’importation de denrées alimentaires. Après avoir décrit les méfaits de cette politique d’importation sur l’agriculture locale, I.-V. Mashinini traite de l’ampleur prise dans les années 70 – 80 par la crise agricole africaine sur les plans social, économique et politique.

Afin de juguler cette crise, les chefs d’Etat africains ont adopté en 1980 le Plan de Lagos. Ce plan admet que le système de propriété foncière « communautaire » existant est une entrave à la croissance agricole. Ce plan a conduit à quelques projets de réforme foncière (Kenya, Botswana, Lesotho) dont la tendance principale est la privatisation. L’article analyse le cas du Lesotho.

En effet, afin d’augmenter sa trop faible production agricole, le Lesotho lance une réforme foncière en 1979. Trois formes de régime sont alors prévues :

        La concession : des droits sur la terre sont attribués d’après les procédures coutumières et sont cédés par héritage. Aucun fermage n’est demandé pour les biens concédés mais la concession peut être révoquée en cas de mauvaise gestion de la terre.

        Le bail : le bailleur dispose de droits personnels complets sur la terre qu’il peut donc vendre, sous-louer ou hypothéquer.

        La licence : qui ne s’applique que dans le cas de terres à usage agricole enclavées dans des zones urbaines.

La mise en œuvre de cette réforme foncière dans les zones rurales a été bloquée pour plusieurs raisons parmi lesquelles, on peut citer :

        une opposition entre les intérêts des leaders politico-administratifs traditionnels et ceux des politiciens et bureaucrates modernes

        le fait que cette réforme ait été imposée au pays par le haut (communauté internationale, groupe réduit d’entrepreneurs modernistes)

        l’absence de ressources financières et techniques nécessaires à la mise en œuvre.

Enfin, l’auteur expose les risques de la mise en œuvre d’une telle réforme foncière au Lesotho, avec au premier chef, une aggravation de la pénurie des terres du fait de la concentration de celle-ci dans quelques mains avec peu de possibilités de reconversion pour les 20 000 familles qui se retrouveraient sans terre.  D’autre part, les incitations à produire des surplus pour ceux qui accèdent à la terre seraient négligeables sans une réforme agraire qui toucherait à d’autres stimulants indispensables : les prix et la commercialisation. Cependant, la protection de la production locale au Lesotho semble difficile du fait de l’intégration de l’Afrique australe.

Retrouvez l’intégralité de cet article très intéressant et très instructif en suivant le lien : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/021054.pdf

Tite YOKOSSI

L’Afrique possède-t-elle une véritable classe moyenne?

Au cours des 10 dernières années, l’Afrique a enregistré un taux de croissance économique de 5% en moyenne. Le continent a ainsi tourné le dos à des taux de croissance négatifs au cours des années 1980, presque nuls dans la décennie 1990, pour afficher un niveau de progrès économique honorable d’autant plus que les prévisions de croissance demeurent optimistes.

Au delà des revenus tirés des ressources minières et agricoles du continent, cette croissance a été sous tendue par le développement sans précédent des classes moyennes africaines. C’est ce que révèle une étude http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/The%20Middle%20of%20the%20Pyramid_The%20Middle%20of%20the%20Pyramid.pdf qui vient d’être publiée par la Banque Africaine de Développement (BAD) et intitulée The Middle of the Pyramid : Dynamics of the Middle Class in Africa. D’après les experts de la BAD, le nombre d’africains figurant dans cette classe moyenne a plus que doublé en passant de 151 millions en 1990 à 313 millions en 2010, soit 34,3% de la population aujourd’hui contre 27% il y a 20 ans. La BAD insiste aussi sur le fait que les classes moyennes constituent un levier fort et un indicateur particulièrement pertinent du développement économique de l’Afrique. Surtout, le renforcement de cette classe de la population africaine, mieux que le taux de croissance du PIB, permet d’apprécier les avancées enregistrées dans la réduction de la pauvreté en Afrique. Il permet aussi au continent d’assurer un progrès économique plus endogène du fait de la consommation des ménages et moins dépendante des exportations.

Il reste que, comme toujours dans ce genre d’études, la pertinence des chiffes est tributaire des critères retenus dans la définition des classes moyennes. Les personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour étant considérés comme pauvres, la BAD a notamment retenu dans son acception des classes moyennes les personnes dépensant entre 2 et 20 dollars par jours. Il en ressort que 60% des 313 millions que compte aujourd’hui la classe moyenne africaine se situe juste au dessus de ce seuil de 2%, ce qui amène à relativiser l’importance de cette partie de la classe moyenne.

Au delà de ces éléments quantitatifs, il semble plus intéressant de noter la corrélation entre l’émergence des classes moyennes et les exigences de démocratie, de bonne gouvernance et de qualité des services publics. Il y aurait d’ailleurs un lien entre développement des classes moyennes et nature clientéliste ou pas des Etats africains. C’est ce que suggère un document http://conte.u-bordeaux4.fr/DocsPdf/CMA.pdf de septembre 2010 publié par des chercheurs de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux. Dans cette hypothèse, l’évolution des classes moyennes africaines ne serait pas linéaire ; elle suivrait plutôt « un cycle d’expansion-recession de type U inversé ». 

Nicolas Simel NDIAYE

« Pars mon fils, va au loin et grandis »

Terangaweb soutient la création littéraire d'auteurs africains. Nous portons à votre connaissance le deuxième roman d'un jeune auteur franco-congolais, Joss Doszen. Bonne découverte !

Joss Doszen par lui-même: " Franco-congolais (Congo Brazza et RDC) mais citoyen du large monde avant tout, j'ai toujours été passionné de lecture et d'écriture. Gribouilleur sur Internet de différents textes depuis plusieurs années, à mes heures perdues, des billets d'humeur, aux textes de slam, des récits de vie aux nouvelles totalement de fiction ; tout est pour moi sujet d'inspiration.

Totalement ancré dans mon temps et dans ma culture multiforme, mon inspiration vient directement de mon univers riche en personnalités et en histoires extraordinaires. J'aime à me définir, modestement, comme un griot qui aime la langue française dans toute la richesse qu'elle tire des apports culturels différents."

Pars mon fils, va au loin et grandis, Joss Doszen, Loumeto autoédition, septembre 2008

Synopsis : Le carnet de route d’un immigré perpétuel pur produit du 21e siècle mondialisé. Emouvant, plein d’humour et de passion, ce parcours se veut être un reflet de la vie d’étudiants africains d’aujourd’hui pris en permanence par plusieurs cultures entre lesquelles ils doivent naviguer.

Extrait de Pars mon fils, va au loin et grandis :
"Hormis la découverte du sens du mot « accueil », une autre de mes idées reçues tomba dès la seconde semaine de présence au Sénégal. Le 31 décembre, jour des feux d’artifices géants sur la place de l’Indépendance, fut pour mois comme une révélation. Une révélation de beauté. 

J’arrivais d’Afrique centrale avec de gros préjugés sur la femme Sénégalaise musulmane, donc voilée et dénuée de tout charme. Quelle connerie ! 

Quand pour la première fois j’ai vu ce rassemblement de beautés fardées avec un vrai sens artistique, même si parfois outrancier, habillées des plus belles tenues traditionnelles ou des dernières robes à la mode sur Fashion TV, tellement sexy que les belles de Brazzaville auraient pu passer pour des nièces d’ayatollah iraniens en plein ramadan, j’ai compris que s’ouvrait à moi un potentiel futur de délicieuses jouissances. Pour la première fois de ma vie je voyais de visu des filles tout droit sorties des clips américains les plus sélectifs. C’était magnifique. Et quelle diversité ! Des boubous traditionnels les plus riches en dorures, aux jeans Diesel super stretch en passant par les robes moulantes, façon tapis rouge de Cannes ; tous les looks se mélangeaient pour faire un arc-en-ciel de styles. Les yeux m’en sortaient de la tête de même que tous mes amis congolais, gabonais, camerounais ou ivoiriens qui constituaient déjà mon entourage pour les trois années qui allaient suivre.

Cependant tous les mâles d’Afrique centrale qui arrivaient au Sénégal avaient un souci commun. Une fois réglées les préoccupations nutritionnelles et résidentielles, se posent les questions d’ordre hormonal. Il ne faut pas oublier que dans un groupe de jeunes étudiants, dont le moins âgé a environ dix neuf ans, il y a une vraie guerre d’indépendance des hormones reproductrices.

Je l’ai dit, le Sénégal est un pays à quatre vingt pour cent musulman ; bien que les jeunes y vivent comme dans le monde entier, ils vont en boîte, font des boums, draguent, couchent, etc. Les mœurs officielles y sont plutôt à l’abstinence et à la jachère avant le mariage. Il y a donc des codes de discrétion qu’il faut posséder pour espérer un « relationnel » harmonieux. De plus, traditionnellement les filles ne « sortent » pas avec les garçons ; elles se marient. Ce qui implique de sérieux projets d’avenir ou de sérieuses promesses ; et des arguments très solides pour un éventuel flirt.

Comme vous le savez, en Afrique centrale, les pays sont à forte majorité chrétienne et animiste. Bien que, comme toutes cultures africaines les mœurs y soient officiellement assez pudiques, une certaine liberté régnait tout de même dans les relations entre jeunes. Officiellement, les parents n’étaient jamais au courant de rien avant le mariage de leurs fils et filles, mais dans les faits les amours foisonnaient ainsi que la « baisaille ». La drague y était une seconde nature, un challenge.

Mis ensembles, les us et coutumes très antagonistes entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale pouvaient causer des dégâts lorsque les différents protagonistes n’était pas préparés à gérer la rencontre. Et ce fut mon cas associé à mes acolytes de la          « génération corsaire »."

La page personnelle de Joss Doszen, où vous pourrez en apprendre plus sur son oeuvre et acheter son livre: http://www.doszen.net/Doszen%20site_lundi02_files/page0004.htm

Stephen Smith et la négrophobie

Stephen Smith: je vous donne ce nom pour que vous le gardiez en mémoire car cet homme est dangereux. Vous faites tous partie d'une élite instruite alors à défaut d'agir tous les jours, soyez au moins informés. Cet homme, " connaisseur de l’Afrique " qui y a bourlingué de long en large a écrit plusieurs bouquins sur notre continent mère. Universitaire et journaliste, notamment au  " Monde ", journal français de premier plan, il fait dans son essai Négrologie: pourquoi l'Afrique meurt (paru en 2003) une analyse des maux africains avec son regard de blanc occidental.
Il part de constats réels et que nous même faisons tous les jours dans nos palabres dans les ngandas, les maquis, dans les timokos, ou simplement devant un match de foot chez le cousin célibataire : l’Afrique se meurt de ses guerres incessantes, de la corruption de ses politiques. Le souci c’est qu’il part de faits exacts, en parle avec franchise (ce qui lui donne l’image d’un homme sans concession) pour attribuer à ces faits des raisons totalement farfelues, voire racistes. Les prémices sont justes, les conclusions insultantes et fausses.

D’après ce monsieur, si l’Afrique souffre c’est par sa faute propre et les Occidentaux maintes fois montrés du doigt n’y sont pour rien ! Si les Mobutus, les Sassou, les Bongo affament leurs peuples, les blancs n’ont aucune responsabilité là dedans. Et nous Africains sommes dans une éternelle attitude de victimisation. Nous croupissons dans la fange de la misère de bon gré, et nous mettons à tort sur le dos du néocolonialisme libéral, du colonialisme chrétien, de l’esclavage (dont nous serions seuls responsables puisque nos aïeux auraient choisi sciemment de "bazarder" les meilleurs d’entre eux contre du sel et des miroirs… !) et nous nous en délectons car cela nous donne l’occasion de nous plaindre et de mendier des regards auprès de ces "gentils" occidentaux qui se ruinent à nous tendre la main.

On oublie simplement qui a placé ces hommes, qui les maintien en place, qui fomente coups d’état et insurrections civiles depuis des années à la moindre renégociation des contrats pétroliers …
Mais je ne vais pas refaire ce qui a été fait sinon que je vous conseille vivement de lire " Négrologie " de S. Smith (Négro !! rappelez vous qu’il ne s’agit pas ici du mot "negro" en espagnol mais du même "négro" que j’entendais à chaque fois qu’un noir devait se faire fouetter dans "Racine " de A. Haley) afin de vous faire votre propre opinion et surtout lisez "Négrophobie" de Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et Fraçois-Xavier Verschave qui démontent une à une les idées de malade de cet homme. Un simple exemple tiré du livre de S. Smith et qui vous révoltera comme il m’a révolté :
«Si l’on " remplaçait " la population – à peu près équivalente – du Nigeria pétrolier par celle du Japon pauvre, ou celle de la république démocratique du Congo par celle de la France, il n’y aurait guère de soucis à se faire pour l’avenir ni du " géant de l’Afrique noire " ni de l’ex-Zaïre. De même, si six millions d’Israéliens pouvaient, par un échange standard démographique, prendre la place des Tchadiens à peine plus nombreux, le Tibesti fleurirait et une Mésopotamie africaine naîtrait sur les terres fertiles entre le Logone et le Chari. »

Et je vous épargne tous les chapitres sur la " fainéantise congénitale des Africains ", sur ces "Africains qui se plaignent toujours de l’esclavage " ; sur la " décolonisation qui a fait du mal aux pays d’Afrique que les Africains sont incapables de gérer " ; sur " ces Africains qui sont culturellement violents, agressifs " ; … Et je ne vous parle pas de l’insistance avec laquelle il développe la thèse du "ce sont les Africains qui ont vendu leurs frères par appât du gain" oubliant que ces faits là ne constituent qu’une infime partie des déportations dues à l’esclavage.

Lisez " Négrophobie " et prenez conscience que pour que l’Afrique devienne grand, il faut que les Africains de par le monde entier s’affirment. Israël est riche, n’est-ce pas par la volonté de sa diaspora de par le monde ? On n’est pas forcé de vivre en Afrique pour montrer la force du continent.

Joss Doszen

Fiscalité, la nouvelle frontière du développement

Le retour à reculons de la croissance dans les pays africains inquiète. Croissance fragile, faibles recettes fiscales ; jamais l’un sans l’autre. Favorable, en théorie, aux entreprises et aux investissements, la situation actuelle de la fiscalité pose un problème de poids quant au financement des investissements publics. Au-delà des contraintes que cela impose en matière de politiques budgétaires conjoncturelles, ce sont les Objectifs du millénaire pour le développement qui risquent d’être mis entre parenthèses. Inquiétantes perspectives.
 
       A l’initiative du NEPAD et de l’OCDE, une table ronde a été organisée autour des enjeux de politique fiscale en Afrique. Cette réunion a débuté par un rappel du contexte dans lequel nous nous trouvons, celui d’un accroissement tendanciel des recettes fiscales dans la plupart des pays africains. Alors que depuis les années 1990, elles semblaient vouées à la stagnation, les recettes sont entrées dans une phase de hausse prononcée à partir de 2002 pour aller se jucher au dessus des 25% du PIB de l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne. Cette hausse, reposant essentiellement sur les impôts liés aux ressources naturelles, présente toutefois une volatilité préoccupante à court terme. Les fortes fluctuations du cours des matières premières, en effet, conduit l’OCDE à proposer un élargissement des assiettes fiscales (taxation des industries de téléphonie mobile…).
Contributions des opérateurs de téléphonie mobile aux recettes fiscales nationales (en%)
 

Cet élargissement devrait s’accompagner de politiques visant à amener une part plus importante de la population dans l’économie formelle1. La lutte contre les pertes de recettes au profit des paradis fiscaux, estimées à près de 7,6% du PIB annuel de la région –soit plusieurs centaines de milliards d’euros- devra constituer un autre cheval de bataille. Le rapport affirme que l’ensemble de ces mesures améliorant l’efficacité de la fiscalité permettront de résoudre une grande partie des problèmes de gouvernance du continent.

L’intégralité du rapport : http://www.oecd.org/dataoecd/40/31/44007402.pdf
 
       En complément de ce rapport, nous vous proposons un article des Perspectives économiques en Afrique traitant plus particulièrement de la structure de la fiscalité en Afrique. Plusieurs graphiques y sont illustrés et commentés. On y découvre la grande diversité des structures fiscales du continent. Ainsi, pendant que l’impôt direct constitue le centre névralgique du système sud africain, le Sénégal et l’Ouganda puisent l’essentiel de leurs recettes via des prélèvements indirects. De même, les structures fiscales équilibrées sur lesquelles s’appuient le Kenya et la Mauritanie contrastent nettement avec les systèmes angolais, algérien ou libyen qui reposent sur un seul type de taxe.
 
Composition des recettes fiscales en Afrique: montant perçu pour chaque type d'impôt
 
L’article revient également sur le poids considérable et croissant que représentent les recettes liées aux ressources naturelles. Si ces impôts, politiquement peu coûteux, ont connu une évolution remarquable, ils sont néanmoins d’une bien moindre qualité que les autres formes d’imposition. Rien ne vaut une solide taxe sur la valeur ajoutée judicieusement pensée et appliquée.
 
Vous pourrez lire l’article à cette adresse : http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/about-us/
 
Tidiane Ly
 
1 50% des emplois non agricoles en Afrique appartiennent au secteur informel

Itinéraire d’un mécréant

Je me suis toujours demandé d’où m’était venue l’incroyance, à partir de quel moment, pour quels motifs, dans quelles circonstances, avais-je cessé de croire ?

Il aurait pu s’agir d’un moment de tragique lucidité ; un dimanche matin, « Le Jour du Seigneur » passe à la RTI, on voit la procession et on se dit « non, c’est vraiment trop con ! » et c’est fait, adieu Pierrot, Prêtres et Chanoines ?

Une soudaine indignation morale : dans la vie ordinaire, peut-on vraiment guider sa vie selon les indications d’un homme qui a enceinté une vierge, dans son sommeil, et abandonné son fils unique à deux inconnus ? Ce que je n’acceptais pas de la part du fils du boulanger, comment en excuser le Seigneur du Monde ? Et hop, je suis agnostique ?

Un jugement littéraire ? « Et voici, un homme s'approcha, et dit à Jésus: Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle? » (Mattieu 19 : 16) « Que dois-je faire de bon »… ça sonne tellement faux… C’est à ce genre de détails qu’on reconnaît un mauvais romancier. Et d’avoir eu une idée trop haute du style pour m’imaginer un Dieu Marc-Levy, je serais devenu mécréant ?

La mort ? L’idée de la mort ? Une douleur inconsolable, la perte, la peur de la perte d’un être cher ? En général, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Jack Bauer sur ce qu’il croit être son lit de mort se laissera « confesser » par un imam. « L’éternel est mon berger » ! Ainsi soit-il ! À moins que ce fait brut, inintelligible, injuste m’ait fait douter. Il se serait agi « de tout croire ou de tout nier », et j’aurais osé tout nier ?

Un mélange de tout cela a été le déclencheur d’une plus lente conversion qu’ont achevé : La foule braillarde et intolérante d’évangélistes qui voyaient le diable partout et hurlait dans un charabia insupportable qu’ils présentaient comme don de glossolalie ; l’exploitation sans vergogne de la détresse de pauvres gens, malades du Sida, veuves, handicapés qui abandonnaient tout au « pasteur » ; les inconséquences de certaines confréries religieuses au Sénégal ; le 11 Septembre et Bush et Aznar, nouveaux croisés en Afghanistan ; les conflits ethnico-religieux au Nigeria ; Sarah Palin, son fils, son sein et sa carabine. Et Simone Gbagbo…

Déchu, le couple présidentiel ivoirien était convaincu jusque dans les derniers moments qu’une armée d’anges viendrait les sauver. L’époux fait, aujourd’hui, des rondes dans un salon vide à Korhogo, gardé par des criminels de guerre, l’épouse, confinée dans une résidence à Odienné, reste prostrée nuit et jour dans la prière et le jeûne. Elle attend toujours l’arrivée des Chérubins. Tous ces fous de Dieu à la tête de ce pays. Tous ces gens convaincus que « Dieu a un plan pour la Côte d’Ivoire » et qu’ils ne sont que les instruments de la main du Père.  Tous ces généraux conduisant, en plein XXIème siècle, leurs troupes à une mort certaine, stupide et inutile, parce que Dieu est de leur côté. Tous ces Seigneurs de Guerre, fétichistes forcenés mais « bons musulmans », couverts de talismans et de grenades, qui égorgeaient, recueillaient le sang et enterraient vivant pour s’attirer les faveurs du destin….

Je suis devenu un incrédule vigilant, un chrétien découragé, comme on le dit d’un travailleur quand il abandonne toute recherche d’emploi.

Je ne crois pas en un autre monde où la vie serait plus que la vie, mais au néant après la mort. Je ne crois pas en la rémission des péchés, mais à la justice. Je ne crois pas en la résurrection des morts mais au pardon. Je crois en la passion, non celle du Christ, celle qui précède la résurrection ou celle commémorant la sortie d’Égypte. Mais celle que mettent les hommes à devenir un brin meilleurs aujourd’hui, demain, encore et toujours. Indifférents à l’attention du Ciel. J’essaie d’être un humaniste laïc. J’ai choisi le bonheur sur terre.

Joyeuses fêtes de Pâques.

Joël Té Léssia

Hausse des investissements dans les pays émergents d’Afrique

Ayant plutôt bien résisté à la dernière crise économique, certains pays émergents d’Afrique subsaharienne semblent en bonne posture  pour 2011. En effet, grâce notamment à la régulière croissance affichée  au cours des quinze dernières années, ces pays sont devenus des cibles de choix pour nombre d’investisseurs étrangers.

Le fonds monétaire international, dans un bulletin paru en février 2011 http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/survey/so/2011/car011211af.pdfprévoit un afflux de capitaux en provenance de l’étranger. Pour causes : une chute des rendements dans les pays industrialisés mais surtout une vigoureuse croissance en perspective dans de nombreux pays émergents. Parmi eux, les Etats composant l’ «Afrique émergente» selon l’expression de Steven Radelet, spécialiste de la mondialisation et qui regroupe 17 pays ayant affiché un taux de croissance par habitant supérieur à 2% au cours de la période allant de 1996 à 2008 et au rang desquels on compte entre autres le Mali, le Burkina Faso, l’Ethiopie, le Lesotho ou le Rwanda.

Les nouveaux  partenaires commerciaux de l’Afrique l’Inde et la Chine notamment, en quête constante de possibilités d’investissement direct dans le continent, saisiront certainement cette opportunité d’élargir leurs horizons. Par ailleurs, la manne financière engendrée pourrait à la fois améliorer les perspectives de croissance de ces pays et leur permettre de rattraper leur retard sur le plan des infrastructures.

Ces perspectives de financement  si elles sont bienvenues, s’accompagnent néanmoins de deux impératifs : une gestion prudente de leur nouvel endettement par ces pays, qui devront privilégier les projets à haut rendement, et la mise en place d’une politique macroéconomique cohérente leur permettant de faire face à ces importants flux de capitaux.

Boubacar DIAO

Jomo Kenyatta à l’épreuve du pouvoir : Harambee !*

 

Nous sommes le 12 décembre 1963. Il est  minuit au stade d’Uhuru, et  un nouvel Etat vient de naitre. En présence d’une foule nombreuse et de personnalités de haut rang, parmi lesquels Jomo Kenyatta et le duc d’Edimbourg (époux de la Reine Elisabeth II), le drapeau Kenyan est hissé ren remplacement des couleurs Britanniques. Au même moment, ce drapeau est planté sur les hauteurs du mont Kenya, pour qu’il puisse symboliquement flotter sur l’un des plus hauts points sur Terre. Le Kenya devient ainsi le 34éme Etat Africain à obtenir son indépendance. Pourtant, les défis restent colossaux pour la toute jeune nation.

Le temps des choix

Face à une société diverse et divisée par les violences qui ont marqués la fin de la période coloniale, la priorité absolue est de structurer la scène politique. En tant que Premier Ministre et leader du parti arrivé en tête des élections de mai 1963 (la KANU), Kenyatta a les coudées franches pour procéder aux choix qui impliqueront l’avenir de la nation. Dans le débat sur le degré de centralisation du système, Kenyatta impose ainsi sa vision d’un gouvernement central fort, et réussit même à convaincre son rival Ronald Ngala  (partisan d’un d’une certaine autonomie régionale), à dissoudre son propre parti pour l’intégrer à la KANU afin d’aboutir à une Assemblée Nationale unifiée et à un système de parti unique. Le 12 décembre 1964, après une période de transition qui aura duré exactement un an, la république est proclamée et Kenyatta en devient le président.

Le deuxième choix majeur, qui est crucial dans un contexte de Guerre Froide, est de déterminer l’orientation du système économique. Sur ce point, Kenyatta adopte clairement une approche capitaliste plutôt pro-occidentale, ce qui le rend vulnérable aux critiques des partisans d’une option socialiste. En particulier, il se heurte à l’opposition de l’autre poids lourd de la scène politique, le vice-président Oginga Odinga, qui finira par quitter la KANU en 1966 pour former un parti résolument orienté à gauche, la Kenya People’s Union (KPU). On accusera d’ailleurs celui-ci de recevoir de l’argent des communistes Chinois pour accroitre son influence, ainsi qu’un appui des pays du bloc de l’Est.

Enfin, il reste la question des terres, qui avait servi de catalyseur à la lutte pour l’indépendance. Malgré des appels à la nationalisation des propriétés des colons blancs pour procéder à une redistribution, Kenyatta tente de lancer un programme de « Kenyanisation »  progressive tout en rassurant les fermiers européens sur leur avenir au sein de la nouvelle nation. Le problème se réglera essentiellement de lui-même, puisqu’une grande partie des colons finiront par quitter le pays. Le Kenya reste néanmoins confronté à des problèmes de développement très graves. Le magazine Time estimait ainsi à l’époque que le pays ne comptait que 750 médecins, alors qu’il lui en fallait au moins 9000, et que le problème se posait avec d’autant plus d’acuité du fait d’une croissance démographique de prés de 3,5% par an.

L’équilibre ethnique

Appartenant à l’ethnie la plus nombreuse (mais qui est loin d’être majoritaire dans le pays, puisqu’elle représente environ un quart de la population totale), Kenyatta doit sans cesse manœuvrer pour maintenir l’équilibre ethnique. Bien qu’il essaye de nommer des membres d’autres ethnies aux postes officiels, il apparait que l’essentiel du pouvoir est entre les mains des Kikuyus, l’ethnie du président. Les clivages politiques avec Odinga sont compliqués par le fait que celui-ci soit un Luo, de même que  Tom Mboya, ministre très populaire qui était même pressenti pour succéder à Kenyatta. Alors que Mboya se démarque d’Odinga et de nombreux Luos par ses opinions nationalistes et pro-occidentales, il reste fondamentalement identifié sur la scène politique comme Luo, ce qui montre que ce ne sont pas tant les opinions qui comptent mais l’origine ethnique. Par ailleurs, Kenyatta est accusé de sombrer vers une dérive autoritaire et de marginaliser les autres ethnies. Il n’hésite pas à menacer publiquement ses rivaux, et plusieurs opposants disparaissent ainsi dans des conditions mystérieuses.

L’assassinat de Tom Mboya, le 5 juillet 1969, par un Kikuyu (qui sera rapidement jugé et exécuté), provoque ainsi de violentes émeutes  et fait planer la menace d’une guerre civile entre Luos et Kikuyus. Le procès bâclé de l’assassin nourrit des spéculations sur les véritables commanditaires de l’assassinat, et  Kenyatta provoque la colère des Luos en adoptant une attitude intransigeante par l’imposition d’un couvre feu et l’arrestation de plusieurs leaders Luos (parmi lesquels Odinga, dont le parti est interdit).

Une autre victime de ces dérives sera un certain Barack Hussein Obama (1936-1982), père de celui qui sera le premier président afro-américain à la tête des Etats Unis, dont la carrière sera brisée en raison de son opposition au gouvernement de Kenyatta et à son origine Luo. Dans Dreams from my father, Barack Obama (junior) raconte la descente aux enfers de son père, qui à la suite d’un article critiquant la politique économique du gouvernement, sera limogé de son poste par Kenyatta et marginalisé jusqu’à la fin de sa vie. Il sombra alors dans la pauvreté, l’isolement et l’alcool et sera victime de plusieurs accidents de la route, qui le conduiront à de longues hospitalisations (dont une qui  conduira à l’amputation de ses deux jambes), et finalement à sa mort le 24 novembre 1982. 

L’héritage de Kenyatta

Malgré ces graves troubles, Kenyatta gagne les élections présidentielles en 1969 et 1974, et effectuera ainsi trois mandats jusqu’à sa mort en 1978. Il se présente avec un  bilan économique plutôt positif, bénéficiant d’une croissance soutenue et d’une hausse des exportations, ainsi que d’une aide étrangère conséquente. Kenyatta aura d’ailleurs l’habilité de rester ouvert à la fois aux aides financières et techniques occidentales qu’à celles du bloc de l’Est, en prônant une politique étrangère non alignée (même si dans les faits, elle est plutôt pro-occidentale). Il s’impose comme le grand leader dans la région et enregistre des succès diplomatiques significatifs, comme le fait d’avoir résolu un différend territorial entre la Tanzanie et l’Ouganda.

Si le Kenya devient un modèle de développement en Afrique, étant à la fois stable, prospère et avançant constamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, les inégalités demeurent nombreuses. En particulier, il apparait que la famille de Kenyatta et ses alliés politiques se sont considérablement enrichis au détriment du reste de la population, alors que les Kikuyus sont accusés de devenir une élite privilégié par le régime (notamment dans la redistribution des terres).

Malgré la corruption et la dérive autoritaire, Kenyatta aura laissé un bilan globalement positif et sera salué comme un leader sage et pragmatique. Il aura réussi à  fonder des bases stables pour le Kenya, à mettre en place des instituions qui fonctionnent, et à faire avancer l’économie du pays et son développement. Sa mort survient durant son sommeil le 22 aout 1978 à Mombassa.

Néanmoins, les failles du système établi par Kenyatta, à savoir essentiellement le déséquilibre ethnique et la dérive autoritaire, continuent de se faire ressentir sur l’avenir du Kenya, comme l’ont montré les violences consécutives aux élections de décembre 2007, sur fond de rivalités ethniques entre Luos et Kikuyus. Comme à l’époque de Kenyatta, les leaders politiques (Mwai Kibaki et Raila Odinga) restent avant tout identifiés par rapport à leur origine ethnique, et tout conflit politique risque rapidement de dégénérer en violences interethniques. Les résultats montrent clairement un clivage ethnique et régional qui menace gravement l’unité du pays. Après plus de 1000 morts et des centaines de milliers de déplacés, un compromis fut finalement trouvé et fonctionne bon gré, mal gré. Mais les élections prévues en 2012 risquent à nouveau de réveiller les démons du passé et faire plonger le pays dans un nouveau cycle de violences. La devise Harambee ! reste  donc plus que jamais d’actualité.

Nacim KAID SLIMANE

*devise officielle du Kenya, lancée par Kenyatta, qui signifie approximativement en Swahili « agissons  tous ensemble »

Une affaire d’indépendances

 

Durant mes années au Sénégal, tous les 7 décembre, au matin, le drapeau ivoirien était hissé aux côtés des couleurs sénégalaises. L’armée sénégalaise célébrait l’indépendance d’un « pays frère » – à ceci près que la Côte d’Ivoire acquit son indépendance le 7… août 1960. C’est un des secrets les mieux gardés de l’histoire du Prytanée Militaire de Saint-Louis. La raison en est que la fête nationale signifiait pour les nationaux du pays célébré, dîner organisé par la princesse avec tout le gratin militaire, professoral et étudiant de l’école, jus de fruit à volonté et double ration de poulet-frites. L’amour que nous portions à notre pays était beaucoup moins chatouilleux qu’aujourd’hui – il supportait ce genre de coups de butoir. C’est seulement vers la fin qu’on comprit l’origine de la méprise : le 7 décembre était la date anniversaire de la mort d’Houphouët-Boigny. Un troufion à l’État Major avait dû intervertir les fiches. Personne n’avait vérifié les dates depuis 1993 …

Le souvenir de ce running-gag tellement militaire m’est revenu lundi dernier tandis que le Sénégal célébrait les cinquante-et-un ans de son indépendance. L’indépendance du Sénégal, un autre running gag. Les Sénégalais eux-mêmes font semblant d’y croire ; comme ils font semblant en tout d’ailleurs : de croire que le « modèle démocratique » sénégalais existe encore ; d’adhérer à la pantalonnade de « l’excellence éducative » sénégalaise, etc.

Il existe un Sénégal fantasmé dans l’imaginaire collectif sénégalais – on me dira qu’il existe également une France fantasmée, un Nigeria Fantasmé, un Burkina Faso fant… Non, soyons honnêtes, les hommes intègres sont assez lucides pour ne rien fantasmer de la réalité de leur pays – dans ce Sénégal, la philosophie et la culture sénégalaises font l’envie du MONDE ENTIER – littéralement – ; il n’y a que l’Egypte et l’Afrique du Sud qui en Afrique rivalisent, à peine, avec ce Sénégal ; dans ce Sénégal, Wade a tout fait avant tout le monde et tout compris ; il n’y a plus de poésie possible après Senghor, il n’y a pas de guerre en Casamance ; Gorée est le seul port négrier d’Afrique, les Sénégalais descendent des pharaons, la gastronomie sénégalaise est grasse juste ce qu’il faut, il n’y a pas de risques de crise alimentaire et… tout le monde jalouse le Sénégal.

Les Sénégalais se paient de mots. Ils les adorent (« les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants » LSS) et en assomment tout le monde. Ils les aiment grands et plein de sens. Peut-être parce que la réalité du pays est rabougrie et monotone ? Lundi 4 Avril, le Sénégal célébrait ses cinquante-et-un ans d’autonomie territoriale. Comme dans l’histoire du 7 décembre, j’ai l’impression que personne n’ose lui dire qu’il lui manque encore l’autonomie administrative, politique, culturelle, militaire et financière. J’ai adoré vivre au Sénégal et j’aime ce pays, alors, si je peux être la voix amie qui rend les mauvaises nouvelles supportables

(Quand on est malheureux, on doit être méchant.) 

Joël Té Léssia

Jomo Kenyatta, « la lumière du Kenya »

 

Our children may learn about the heroes of the past. Our task is to make ourselves the architects of the future”- Jomo Kenyatta, president du Kenya (1964-1978) et père de la nation Kenyanne

Le déchainement de violences postélectorales en Cote d’Ivoire nous incite à réfléchir sur la répétition de tels scénarios sur le continent. Même si l’on ne dira jamais assez que chaque pays a ses spécificités et qu’il faut se garder d’effectuer des parallèles trop sommaires pour appliquer des solutions types, l’Histoire singulière du Kenya est à méditer. L’évolution  du Kenya revêt bien des contradictions : ce pays est décrit comme un modèle à l’échelle continentale, alors que le bidonville de Kibera abrite prés d’un million d’habitants et est l’un des plus grands d’Afrique. Sa stabilité attire de nombreux touristes et investisseurs, mais la diversité ethnique continue de planer comme une épée de Damoclès sur sa cohésion et son avenir.

Celui qui est unanimement considéré comme le père de la nation Kenyane a lui-même eu un parcours atypique. Jomo Kenyatta a joué un rôle majeur sur la scène politique du pays, dont il est devenu Premier Ministre au moment de l’indépendance, puis président durant 14 ans. Il a posé les fondements de l’Etat Kenyan indépendant et a durablement marqué ses institutions.

De Kamau à Jomo Kenyatta

Jomo Kenyatta est né au début des années 1890 (la date exacte est inconnue) dans la région de Gatundu, au nord de Nairobi. Durant son enfance, il portait le prénom de Kamau, sa famille appartenant à l’ethnie des Kikuyus. Après la mort de ses parents, il rejoint une mission de l’Eglise d’Ecosse ou il apprend à lire et à écrire en anglais et ou il reçoit une formation de charpentier. Il devint par la suite apprenti-charpentier, puis interprète, et enfin commerçant, avant d’intégrer le département des travaux publics du Conseil Municipal de Nairobi.

En 1922, il adoptera le nom de Kenyatta, signifiant « lumière du Kenya » en Swahili. Ce nom faisait référence à une ceinture traditionnelle qu’il avait pris l’habitude de porter lorsqu’il était parti vivre avec les Massais, afin d’éviter d’être mobilisés durant la Première Guerre Mondiale par les autorités Britanniques. C’est durant cette période que débute sa carrière politique au sein de l’East African Association, une organisation qui milite pour le retour des terres prises aux Kikuyus par les colons européens. Il rejoint par la suite la Kikuyu Central Association(KCA) et en devient le secrétaire général en 1928.

La question agraire est cruciale pour les Kikuyus. Les plateaux centraux du Kenya sont en effet une région fertile sur lesquels se sont installées des dizaines de milliers de colons blancs cultivant le thé et le café. De nombreux Kikuyus, auxquels on reprochait de ne pas avoir de titre de propriété « au sens européen » sur une terre qu’ils considéraient comme celle de leurs ancêtres, se sont vu expropriés et contraints à l’exode vers les villes. Consciente des enjeux liées à cette question, la KCA envoie Kenyatta plaider la cause de l’ethnie directement auprès des autorités britanniques à Londres. C’est ainsi que celui-ci se retrouve en 1929 en Europe, inaugurant un séjour de plus de quinze ans qui le marquera profondément.

Out of Africa

Kenyatta s’évertue à sensibiliser l’opinion publique Britannique à la situation des colonisés. Il publie plusieurs articles, notamment dans le Times, réclamant le retour des terres confisqués, de meilleures opportunités d’éducation, le respect des traditions et un droit de représentation, et mettant en garde contre l’inéluctabilité d’une « dangereuse explosion » si les demandes ne sont pas satisfaites.

Malgré ses efforts, il n’obtiendra que peu de promesses de la part des autorités, et le Secrétaire d’Etat aux Colonies refusera de le recevoir. Tout en continuant à militer pour la cause des Kikuyus et à faire du « lobbysme » auprès des autorités britanniques, Jomo Kenyatta décide de reprendre ses études, d’abord à Birmingham, puis à Moscou et enfin à Londres. Ceci lui permet d’élargir ses perspectives, et de faire la connaissance de nationalistes originaires d’autres pays d’Afrique, ainsi que des militants panafricanistes.

Il soutiendra en 1938 une thèse en anthropologie sociale sur les coutumes des Kikuyus, à la London School of Economics, qui sera ensuite publiée sous le titre « Facing Mount Kenya », un ouvrage de référence sur la société traditionnelle Kikuyu dans lequel il critique les bouleversements intervenus suite à l’arrivée des Européens.  Lorsque la KCA est interdite au Kenya et que la Seconde Guerre Mondiale éclate, il se trouve coupé de son organisation mère Kikuyu. Cela lui donne l’occasion de se consacrer à des causes plus globales, et il mènera désormais son combat dans le cadre panafricain, notamment autour de Kwane Nkrumah, George Padmore et Hastings Banda. Il assistera à ce titre au Cinquième Congrès Panafricain à Manchester en octobre 1945, dans lequel est réclamée l’indépendance des colonies, la fin de la discrimination raciale, ainsi que l’unité africaine.

Fort de l’expérience acquise pendant ce long séjour à l’étranger, Kenyatta revient en Afrique en 1946, et devient président de la Kenya African Union (KAU). Pendant plusieurs années, il parcourt le Kenya pour tenir des conférences et promouvoir l’indépendance, tenant un discours nationaliste qui dépasse les clivages ethniques. Néanmoins, le fond du problème reste toujours le même, et le nombre de colons a continué d’augmenter. La « dangereuse explosion » qu’avait évoqué Kenyatta avec prés de 20 ans d’avance finira par éclater en 1951.

La révolte des Mau Mau et l’indépendance

Le mouvement Mau Mau s’étend tout au long des années 1950, mené par des Kikuyus réclamant le retour de leurs terres. Alors qu’une campagne de sabotages et d’assassinats est menée, les autorités Britanniques réagissent par une répression extrêmement sévère, aboutissant à la proclamation de l’Etat d’urgence en 1952, à des arrestations massives et à des opérations militaires qui feront des milliers de morts.

La KAU n’échappe pas à la réaction des autorités coloniales. Lorsque celle-ci est interdite, Kenyatta est arrêté en octobre 1952 et accusé d’être un meneur des Mau Mau. Il est condamné à sept ans de travaux forcés, avant d’être transféré en « rétention permanente » dans un poste militaire particulièrement isolé.

Même si la rébellion des Mau Mau finit par s’éteindre sous les effets de la répression, ses idées se seront propagées auprès de la population. Les Kikuyus avaient été aux avants postes de la lutte nationaliste, mais le flambeau fut repris par les Luos, sous la tutelle de Tom Mboya et d’Oginga Odinga (père de l’actuel Premier ministre Kenyan). Ces derniers formeront la Kenya African National Union (KANU) dont Kenyatta (toujours emprisonné) est élu président in absentia.

Son engagement nationaliste établi, ses habilités politiques, et son long séjour à l’étranger (qui donnent l’impression de le mettre au dessus des tensions ethniques) font de Jomo Kenyatta une sorte de « Mandela Kenyan », et des manifestations sont organisées pour réclamer sa libération.

Il est finalement relâché le 21 aout 1961, et mène la délégation de la KANU lors des négociations pour avec les autorités Britanniques à Londres. Le Kenya accède à l’indépendance le 12 décembre 1963, avec Kenyatta comme Premier Ministre (la Reine d’Angleterre restant symboliquement le Chef de l’Etat).

Une nouvelle époque s’ouvre dans l’Histoire du Kenya, dont le père fondateur, Jomo Kenyatta, sera à la tête pendant plus de 15 ans et forgera ses institutions, ses références, et l’équilibre interethnique qui reste encore de nos jours un élément majeur dans l’équation Kenyane. (A suivre)

Nacim Kaid Slimane

 

UA : les limites du rejet des « changements anticonstitutionnels de gouvernements »

 

Les récents bouleversements socio-politiques ayant occasionné le départ des Présidents Tunisien et Egyptien remettent-ils en question le rejet des « changements anticonstitutionnels de gouvernements », principe fondateur de l’Union Africaine datant de la Déclaration de Lomé (Juillet 2000) ? Telle est la question auquel le rapport Unconstitutional Changes of Government: The Democrat’s Dilemma in Africa(anglais – PDF) du South African Institute of International Affairs essaie de répondre.

Huit Etats africains ont été suspendus des instances de l’Union Africaine suite à un « changement inconstitutionnel de gouvernement » : Madagascar, le Togo, La Centrafrique, la Mauritanie, la Guinée-Bissau, le Niger, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie.  La Tunisie et l’Egypte n’ont pourtant pas connu le même traitement. Pourtant, s’il est difficile de qualifier le pouvoir personnel de Mouammar Kadhafi comme étant celui d’un gouvernement élu démocratiquement – quelle que soit la définition donnée à ces termes – la destitution d’un gouvernement par la rue est clairement un changement non-constitutionnel du pouvoir, étant donné que dans une démocratie constitutionnelle, les changements de gouvernements passent par des élections.

Le fait est que la « démocratie constitutionnelle » est rarement en place avant le « changement anticonstitutionnel » et qu’il est extrêmement difficile d’établir une « démocratie réelle » par des voies pacifiques et démocratiques face à un pouvoir autoritaire. Le « constitutionnalisme démocratique » qui sous-tend l’architecture de paix et de sécurité de l’UA atteint ici ses limites : il ne permet pas de réponse adéquate aux mouvements populaires démocratiques.

La voie de contournement utilisée jusqu’ici par le Conseil de Paix et de Sécurité dans les cas tunisien et égyptien a consisté à s’en tenir à la lettre de la déclaration de Lomé qui définit les « changements anticonstitutionnels de gouvernement » de la façon suivante :

  • coup d’état militaire contre un gouvernement issu d’élections démocratiques ;
  • intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement issu d’élections démocratiques ;
  • intervention de groupes dissidents armés et de mouvements rebelles pour renverser un gouvernement issu d’élections démocratiques ;
  • refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ;

Il est vrai qu’en Tunisie comme en Egypte l’armée s’est astreinte, dans les premiers temps, à une rare réserve, fournissant ainsi, au Conseil l’astuce juridique indispensable. Cet artifice ne peut être que temporaire. La crise libyenne devrait permettre de clarifier la jurisprudence de l’UA en matière de défense de la démocratie. Les premières déclarations du Conseil de Paix et de Sécurité  sur la Lybie[1] sont encourageantes – d’autant plus que la Guinée-Bissau, le Zimbabwe et le Tchad y siégeaient!

L’UA est, peut-être, en voie de passer son test d’adhésion à la démocratie et aux Droits de l’Homme, même s’il lui reste encore à construire un cadre juridique plus solide et durable que la condamnation indiscriminée de tous les changements non-constitutionnels de gouvernement. Règle qui l’empêche d’établir un dosage de sa réponse selon le contexte, de la simple et très formelle condamnation, à la suspension puis aux sanctions économiques.


[1] « Le Conseil … condamne fermement l’utilisation indiscriminée et excessive de la force et des armes contre les manifestants pacifiques en violation aux Droits de l’Homme et au Droit international humanitaire… et… Souligne que les aspirations du peuple libyen a la démocratie, a la reforme politique, a la justice et au développement socio-économique sont légitimes et exige a ce qu'elles soient respectées. Declaration du CSP le 23/02/2011

 

Éditorial: Pour une modernisation de l’État en Afrique au-delà des changements de régime

 

Les différentes crises politiques qui se jouent sur la scène africaine depuis quatre mois ne sauraient trouver de solutions idoines dans les réponses ponctuelles qui leur sont aujourd’hui apportées. On aurait ainsi tort de croire que la panacée résiderait dans le seul changement des régimes en place. Cette logique court-termiste est dangereuse en ce qu’elle élude le vrai problème, non pas celui des hommes mais celui des structures. En effet, les revendications politiques et sociales actuellement portées d’un bout à l’autre du continent appellent plutôt des solutions structurelles majeures. La plus importante est sans doute la modernisation de l’Etat. En Afrique, l’Etat mis en place aux lendemains des indépendances n’a pas su s’adapter aux évolutions majeures de notre époque ni répondre aux attentes des populations. La question de sa modernisation n’a d’ailleurs jamais fait l’objet de débat sérieux. Aujourd’hui, il faut de toute urgence réfléchir à la manière d’améliorer l’action des Etats pour qu’ils répondent enfin aux préoccupations des populations.

Les défis actuels peuvent être appréhendés à la lumière des quatre dimensions classiques sous lesquelles se décline l’Etat : l’Etat nation, l’Etat régalien, l’Etat de droit et enfin l’Etat fiscal-redistributeur.

On peut considérer effective en Afrique l’existence d’Etat-nations avec une identité collective ancrée. Si l’hypothèse souvent évoquée d’une scission de la Côte d’Ivoire ou de la Lybie au regard de l’actualité amène à nuancer ce propos, cette éventualité pour ces pays semble davantage s’expliquer par un rapport de force politico-militaire que par un réel déni de désir de vivre-ensemble de ces populations. On peut également considérer comme effective l’existence d’Etats régaliens exerçant une réelle souveraineté à l’intérieur de leurs frontières, quand bien même il se trouve toujours des personnes pour soutenir que le destin de bon nombre de pays du continent se trouve scellé à la Maison Blanche ou au Palais de l’Elysée. Sans perdre de vue la nécessité d’améliorer l’Etat en Afrique sous ces deux dimensions, une modernisation ambitieuse et courageuse gagnerait à mettre l’accent sur l’Etat de droit et l’Etat fiscal-redistributeur.

L’Etat de droit suppose une autonomisation de la politique, celle-ci étant entendue comme l’art de gouverner la cité, la cité-Etat étant le prototype des collectivités publiques modernes. Or, depuis 50 ans et à quelques exceptions près, le continent n’a pas réalisé d’avancées significatives dans l’autonomisation de la politique. Cette dernière y est encore trop fortement liée au régionalisme, à l’ethnicisation, à la religion ou encore au corporatisme. Aujourd’hui en Egypte, en dépit du départ de Moubarack, l’autonomisation de la gestion du pays vis à vis de l’armée est encore loin d’être gagnée ; en Côte d’Ivoire, certains acteurs posent le problème politique en des termes qui annihilent la frontière qui devrait exister entre sensibilité politique et appartenance ethnique, régionale, voire religieuse. Plus généralement, la démocratie n’est-elle pas une vue de l’esprit lorsqu’elle ne se résume qu’à une majorité mécanique en fonction de l’appartenance ethnique de tel ou de tel autre candidat ?

Dans l’essentiel des pays du continent, cette absence d’autonomie de la politique contribue à maintenir un clientélisme qui n’est pas favorable à une prise en charge par l’Etat des préoccupations communes à l’ensemble des citoyens, pas plus qu’elle ne favorise d’ailleurs l’accès à l’égalité devant la justice. Il faut en effet bénéficier pleinement de ses droits pour ester en justice, c’est à dire comparaître debout devant un tribunal. Or « l’homme debout est un défi, une menace pour les puissances installées sur leur trône, voire étalées sur leurs banquettes comme les empereurs romains »[1].

Quant à l’Etat-fiscal-redistributeur, il est quasi inexistant dans bien des contrées du continent. On en oublierait même que « les plus vieux vestiges fiscaux sont les nilomètres, ces pieux enfoncés dans le Nil qui mesuraient la hauteur de la crue et en déduisaient le volume des récoltes comme l’assiette de l’impôt »[2]. L’Etat doit en effet s’appuyer sur des recettes fiscales pour financer ses dépenses publiques, notamment en matière d’infrastructures, d’éducation, de santé et d’emploi, secteurs dans lesquels les besoins des Etats africains demeurent encore aujourd’hui considérables comme le prouvent les mouvements de protestations en cours. Il doit aussi jouer un rôle de redistribution d’autant plus que la croissance générale du PIB de l’ordre de 5% en moyenne sur le continent – et atteignant 11% dans certains pays –, loin de générer un progrès social homogène pour tous les citoyens, creuse davantage les inégalités. Dans tous ces domaines, répondre aujourd’hui aux préoccupations des populations nécessite pour chaque Etat de s’appuyer sur des politiques fiscales génératrices de ressources en mesure de se substituer à l’aide internationale au développement.

Cette impérieuse nécessité de moderniser l’Etat en Afrique peut prendre différentes voies. Doit-on encourager une modernisation technocratique avec une présence plus forte mais aussi plus compétente de l’Etat ? Devrait-on plutôt préférer une modernisation libérale dans le sillage de l’Ecole de Chicago en réduisant le périmètre de l’Etat ? Faudrait-il exclure d’office une modernisation antidémocratique dans son exercice, un « despotisme éclairé » ? Existerait-il une quatrième voie qui pourrait être plus proche des valeurs et des cultures africaines ?

Il va sans dire qu’il est nécessaire de choisir une méthode et de se doter d’un agenda sérieux car, comme bien souvent, la méthode et le timing sont déterminants. Pour l’heure, l’un des principaux ennemis des Etats africains demeure hélas l’absence de leadership, qui se traduit par le règne sans partage du court-termisme et l’incapacité à se projeter vers l’avenir.

Nicolas Simel NDIAYE



[1] Odon Vallet, Petit Lexique des mots essentiels, Albin Michel, 2001

[2] Idem

Un espace vide

Hier sur Twitter : huit cent Ivoiriens morts (entendez « tués ») en une journée. Puis non, trois cent cinquante. Enfin… huit cent mais sur quatre mois. Trois cent, oui trois cent en deux jours. Mais on a encore trouvé pas mal de corps dans un puits, donc pour le moment personne ne sait. Et qui sont les coupables ? Les forces proches du Président… Quel Président ? La femme du président est au Ghana ! Non, je te dis que c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui est au Ghana. Mais la sœur du directeur de cabinet… Etc. Pendant deux jours.

Et tout ce temps, je ne pense qu’à une chose : quelles sont leurs sources ? Voilà ce qu’on a fait de moi. J’ai donné tort à Senghor, encore une fois : je suis un homme qui pense, mais ne sent plus. La source a tari et nous n’y retournerons plus jamais. Les lamantins sont morts. Et mort est le murmure des lamentations. Ma génération ne fécondera plus d’ « Orphée Noir ». Le « saisissement d’être vu » est mien – celui du Roi nu, de la secrétaire surprise en pleine irrumation. Et s’il ne doit rester qu’une chose, que ce soit cette devise : rester économe de ses illusions. J’ai congédié demain – trop prétentieux, menteur et surfait.

C’est si étrange d’avoir un passeport, qui fixe une date, un lieu de naissance, une nationalité, une identité, une « reconnaissance » que l’on n’a pas demandés. Ce pays n’est plus tout à fait le mien. À peine un point sur une carte, un espace vide.  Je n’y connais qu’une famille d’anciens riches et de vrais pauvres, ma famille, et quelques anciens ou futurs soldats. Ce pays est mort, en train de mourir, je n’y pense plus. Je ne pense qu’aux miens qui y vivent.

Et s’il faut parler, encore, d’amour et d’espoir ; retenir qu’il faut toujours vivre en spéléologue, sans se soucier du retour, s’enfoncer toujours plus loin dans ces profondeurs pour trouver le réconfort paisible d’une solitude animée. Parce qu’au jour, là bas, plus haut, à la lumière, il y a huit cent, ou peut-être trois cent, trois cent cinquante regards qui ne « saisissent » plus grand-chose. Rien. Le noir.

Joël Té Léssia

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (2ème partie)

 

Souvent présentée comme une simple querelle de leadership, l’accusation de tentative de coup d’Etat, qui conduit à la séparation entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia en 1962, semble plutôt tirer ses germes dans la constitution sénégalaise du 26 aout 1960. La nature du régime parlementaire et la dualité que celle-ci instaurait de fait à la tête de l’Etat laissaient déjà entrevoir une crise institutionnelle inévitable consacrant ainsi l’échec du régime parlementaire en Afrique. Cet article qu'on pourrait intituler "Constitution de 1960 : la consolidation du régime parlementaire ou l’annonce d’une crise institutionnelle inévitable?" est la deuxième partie de "L'éxécutif sénégalais à l'épreuve du régime parlementaire".

« Des grecs, jadis, demandaient au sage Solon, quelle est la meilleure constitution ? Il répondait, dites-moi d’abord, pour quel peuple et pour quelle période. »[1]

Eut égard à la décolonisation d’une part, et à son retrait de la Fédération du Mali d’autre part[2], le Sénégal avait besoin d’une Constitution qui intégrait les exigences de l’indépendance, mais surtout, qui allait s’évertuer à réaménager l’environnement institutionnel, notamment l’exécutif, où allaient se frotter deux fortes personnalités : Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. C’est par la loi constitutionnelle du 26 Août 1960 que le Sénégal se dotera d’une nouvelle Constitution. Sur le plan idéologique, elle emboîte le pas à la Constitution de 1959. Mais sur le plan institutionnel, une nouveauté sera l’instauration de la fonction du Président de la République. D’où un chamboulement de l’organisation des pouvoirs au sein de l’exécutif autrefois monocéphale et devenu bicéphale. Ce qui d’emblée devait poser la question d’une dyarchie au sommet, c'est-à-dire d’une compétition entre les deux têtes de l’exécutif ; tel sera le cas lors de la crise de Décembre 1962.

Mise à part la guerre de leadership qui opposait Léopold Sédar Senghor, Président de  la République, et Mamadou Dia, Président du Conseil, l’aménagement assez ambigu des pouvoirs pouvait laisser présager cette dyarchie au sommet.                                                       

En effet, le Conseil des Ministres autrefois présidé par le Président du Conseil, sera, sous la Constitution du 26 Août 1960, présidé par le Président de la République qui devient aussi le gardien incontestable de la Constitution et le chef suprême des armées. Face à l’ensemble de ces prérogatives, non exhaustive du reste, se pose alors la question de savoir si le Président du Conseil n’est pas un « exécutant subalterne, un soliveau ? »[3] Une telle idée sera hâtivement  battue en brèche à la lecture de l’article 26 de la Constitution de 1960 qui prévoyait que le Président du Conseil détermine et conduit la politique de la nation. Dirigeant l’action du gouvernement, il dispose de l’administration et de la force armée. Des zones potentielles de conflit apparaissent dès lors qu’il est considéré d’une part, que le Président de la République est le Chef Suprême de armées, et qu’il est soutenu d’autre part, que le Président du Conseil est responsable de la défense nationale et qu’il dispose à cet effet de la force armée.

Mieux, le président, en dehors de sa chasse gardée (arbitre, gardien de la Constitution, défense de l’intégrité du territoire et de l’indépendance nationale…), devait soumettre tous ses actes, sous peine d’invalidité, au contreseing du Président du Conseil et le cas échéant, des ministres chargées de leur application. Bien que là règle du contreseing vise à engager la responsabilité du Président du Conseil et de son gouvernement, elle soulève le problème de la soumission du pouvoir de décision du Président de la République à la volonté du Président du Conseil. Nous n’avons plus ici deux pouvoirs qui se soutiennent mais plutôt qui s’étouffent sur le plan institutionnel en plus d’être asphyxiés par une guerre de leadership.

Il convient aussi de souligner que l’absence d’une opposition, c'est-à-dire le fait que tous les deux tenants de l’exécutif soient issus d’un même parti ultra majoritaire à l’assemblée, rendait difficile la résolution des crises au sein de l’exécutif car seule la motion de censure était en mesure d’être utilisée pour renverser le gouvernement. Ce qui n’était pas gagné d’avance vue la popularité de Mamadou Dia et de ses partisans à l’Assemblée. 

La motion de censure fut tout de même votée contre le gouvernement Dia dans des conditions que celui-ci et ses partisans ont toujours déploré. Accusé d'avoir voulu commettre un coup d’Etat qui lui vaudra la prison pendant 12 ans de sa vie, il répondra plus tard qu’il ne pouvait chercher à commettre un coup d’Etat alors que c’est lui-même qui avait tous les pouvoirs. D’où l’ambiguïté manifeste des rapports entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement.

En Décembre 1962, le Sénégal connait la crise institutionnelle la plus importante de son histoire. Mamadou Dia à qui on a prêté des intentions de coup d’état est arrêté. Il est hâtivement voté le jour de son arrestation, la loi Constitutionnelle 62-62 du 18 Décembre 1962 portant révision de la Constitution.[4] Donnant par dérogation au Président Senghor l’initiative de la Constitution, ce dernier fera rédiger par un Comité Consultatif Constitutionnel, la nouvelle Constitution approuvée par référendum et connue sous le nom de la Constitution du 7 Mars 1963. « La cause est entendu : plus jamais de régime parlementaire. »[5] Une nouvelle ère s’ouvre, celle du régime présidentiel, devenu par la suite, comme dans les autres anciennes colonies africaines, présidentialiste.  Le Sénégal n’a pas réussi ce qu’aucun autre pays n’a réussi non plus : un régime parlementaire sans multipartisme, c’est-a-dire dans un régime parlementaire avec un seul parti.

Maleine Amadou Niang


[1] Charles De Gaulle,Discours de Bayeux, 1946

[2] Ismaïla Madior. Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.28

[3] Georges Pompidou s’exprimant sur le rôle prêté au Président français sous la Vème République durant l’ère DE Gaulle.

[4] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.49

[5] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.52 

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (1ère partie)

 

Après avoir voté « oui » au référendum de 1958 portant sur la Constitution française de la Vème République, le Sénégal est par la suite devenu membre de la communauté franco-africaine. Cette forme juridique d’Etat n’obéit nullement aux modèles classiques de la Fédération ou de la confédération, c’est un modèle « sui-generis » qui semblerait vouloir cultiver « le lien de solidarité liant la France » à ses anciennes colonies. En 1959, l’Assemblée territoriale donne au gouvernement la possibilité de rédiger un projet de constitution, quand bien même la souveraineté internationale n’était pas acquise. C’est ainsi que l’Assemblée territoriale, érigée en Assemblée Constituante, adopte à la majorité de ses membres la Constitution du 24 Janvier 1959. Socle idéologique et juridique de l’Etat du Sénégal, il pose les principes fondamentaux autour desquels veut se réunir le peuple du Sénégal. C’est notamment la forme républicaine de l’Etat, l’entérinement de la laïcité ou encore la protection des droits et libertés fondamentaux.

Le choix du modèle de la démocratie représentative, teintée d’une onction de la démocratie populaire est évident en ce  que la Constitution parle d’elle-même : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exprime par ses représentants ou par référendum. » Se pose ainsi la question de savoir qui sont ces représentants du peuple ? Quelles sont leurs prérogatives ? Dans quelles mesures leurs actions peuvent-elles compromettre la nature du régime politique ?

Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le régime parlementaire sous-entend une collaboration des pouvoirs, conception souple de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke puis reprise par Montesquieu dans De l’Esprit des lois, paru en 1748. Ce type de régime favorise, dans l’idéal, l’échange constant entre les différents pouvoirs, notamment l’exécutif et le législatif, l’autorité judiciaire n’étant pas reconnue comme un pouvoir du fait qu’elle n’émane pas d’une élection.

Au Sénégal, l’exécutif est sous la Constitution de 1959, monocéphale et incarné par le Président du Conseil, chef de l’Etat et Chef du Gouvernement. Loin du modèle classique du régime parlementaire reconnu pour son exécutif bicéphale, on comprendra que le poste de président de la république n’est pas créé car le président de la France demeure président de toute la communauté. Le Sénégal, lors de la mise en place du régime parlementaire avec la Constitution de 1959, connait un président du Conseil qui est le poumon de l’Etat. Investi du pouvoir de nommer et de démettre les ministres, il préside le Conseil des Ministres. Il détermine et conduit la politique de la nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée, contrairement à la France où ces prérogatives sont dévolues au gouvernement aux termes de l’article 20 de la Constitution française du 4 Octobre 1958. Fort de ses compétences, il exerce le pouvoir réglementaire et veille à l’exécution des lois et des règlements entre autres. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la légitimité d’une personne en qui se fondent tous ces pouvoirs mais surtout, quels garde-fous sont prévus pour éviter ses dérives ?                                                            

D’où le rôle du Parlement comme outil de contrôle et de légitimation du Président du Conseil. Installé sous une forme monocamérale[1] notamment avec l’Assemblée Législative, le pouvoir législatif a, constitutionnellement, des moyens de contrôler et de sanctionner le Président du Conseil qu’il a élu à la majorité de ses membres. Ce contrôle se fait soit par le vote de confiance soit en usant de la motion de censure. On parle de vote de confiance lorsque le chef du gouvernement (ici le Président du Conseil) engage solidairement sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le vote d’un texte ou sur une question particulière. Si l’Assemblée refuse de voter le texte ou décide d’ajourner les débats, le gouvernement est désavoué et doit se retirer. Cependant, limiter les outils de contrôle au vote de confiance serait une initiative avortée en ce qu’elle ne permettrait un contrôle du gouvernement que dans le cas où le Président du Conseil soumettrait volontairement son équipe au contrôle des députés. D’où l’importance de la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Président du Conseil et son gouvernement lorsqu’ils estiment que la politique menée par ces derniers doit être sanctionnée.

Sur ce point, le parlement sénégalais avait des prérogatives similaires à celles d’autres parlements, notamment celui de la France. En contrepartie, le Président du Conseil détient lui aussi une arme contre l’Assemblée. C’est notamment son droit de la dissoudre. Ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais son droit de dissolution reste très encadré car ne pouvant être utilisé qu’après délibération du Conseil des ministres, sur consultation du Président de l’Assemblée, et à la stricte condition que deux crises ministérielles soient survenues durant une période de 36 mois[2]. Ce qui est bien loin du droit de dissolution tel qu’il a été connu en France avec François Mitterrand qui, à deux reprises, notamment en 1981 et en 1988, a prononcé la dissolution de l’Assemblée pour se constituer une majorité parlementaire à l’issue de nouvelles élections législatives. 

Le Président du Conseil semble alors étouffé mais dans les faits, quelle est la probabilité qu’il ait à faire face à des oppositions farouches des parlementaires étant donné qu’ils viennent du même « hyper-parti », compte tenu du système à parti unique au Sénégal  ? Mieux, cet exécutif à une tête ne peut connaître de crise en son sein car le Président du Conseil étant à la fois chef de l’état et chef du gouvernement, incarne à lui seul l’exécutif. Ce type de régime parlementaire avec un exécutif « monocéphale » durera un peu plus d’une année avant de se muer en un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, dicté par la conjoncture politique de l’époque. La Constitution de 1960 montrera les limites manifestes du régime parlementaire dans le Sénégal des indépendances. (A suivre)

Par Maleine Niang


[1] Parlement à une chambre, d’autres parlements ont deux chambres (ex : Assemblée et Sénat). C’est le cas du Sénégal aujourd’hui. On parle dans ce cas de Parlement bicamérale.

[2] Article 24 de la Constitution

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