Qui pour sauver l’économie du Nigéria ?

628x-1Le Nigéria – première économie africaine avec un PIB de 522 milliards de dollars en 2014 et une population s’élevant à 167 millions d’habitants –  subit actuellement une crise monétaire couplée à un déficit budgétaire croissant. Une crise que les autorités tentent de juguler et qui met le pays sous la rampe des projecteurs. A l'occassion de sa revue article VI, le FMI a proposé une série de mesures pour aider le pays à surmonter cette situation. L’article IV des statuts du FMI dispose que le Fonds doit exercer une surveillance sur les politiques de changes des Etats membres et adopter des principes spécifiques pour guider leur politique monétaire. Les travaux du FMI pour l’année 2014 ont été cruciaux pour le pays et les observateurs et investisseurs internationaux y ont été particulièrement attentifs. 

Les travaux de l’organisation internationale ont permis de traiter différentes questions économiques telles que la stabilité des finances publiques, les réformes structurelles entreprises, l’état du système bancaire et financier et les grandes tendances macroéconomiques. En décembre 2014, Lagos et Abudja ont ainsi reçu la visite de la délégation du FMI, qui a dessiné les contours d’une politique d’austérité en fixant les priorités suivantes[1] :

  • Politiques conjoncturelles pour faire face aux déséquilibres de court-terme,
  • Mise en place d’objectifs relatifs à la stabilité macroéconomique,
  • Soutien à la croissance inclusive,
  • Baisse de la pauvreté et des inégalités.

Le présent article (très technique) reviendra dans un premier temps sur les recommandations préconisées par le FMI pour aider la première économie africaine à surmonter le contre-choc pétrolier ; puis les limites de ces solutions seront analysées dans un second temps, à la lumière des spécificités institutionnelles et des précédentes crises monétaires et financières traversées par le Nigeria. 

Le plan du FMI pour sortir le Nigéria de l’impasse : rigueur budgétaire et diversification des activités économiques.

Les concertations se sont tenues dans un climat économique et politique incertain. En effet, comme d’autres Etats africains, majoritairement exportateurs de pétrole, le Nigéria fait actuellement face à un choc exogène. La chute du court du baril conduit à une dégradation de la balance commerciale et à une diminution des recettes publiques. L’incertitude liée à la l’évolution future des prix du pétrole accroît l’aversion au risque des investisseurs étrangers et menace les prévisions de croissance pour l’année 2015, révisées de 6,4 à 5,5% par la Ministre de l’Economie et des finances, Ngozi Okonjo-Iwealan lors de la présentation du budget au Parlement. De plus, la pression sur le Naira[2] s’est accrue avec la baisse des recettes pétrolières et l’augmentation des sorties de capitaux. Le gouverneur de la banque centrale, Godwin Emefiele, a ainsi annoncé une dévaluation du Naira pour faire face à la diminution des réserves nigérianes en devises étrangères.

Pour contrer ces effets les autorités nigérianes étaient représentées lors des discussions par des membres du secteur privé, le gouverneur de la Central Bank of Nigeria, et la Ministre de l’Economie et des finances. Cette dernière, ancienne vice-présidente de la Banque Mondiale, perçoit la chute du court du baril de pétrole comme une opportunité garantissant la diversification de l’économie nigérienne, pour l’heure, trop dépendante du pétrole dont la vente représente près de 70% des recettes de l’Etat.  La ministre estime également qu’une baisse des dépenses publiques sur le long terme est nécessaire.

Ce sont donc les jalons d’un plan de rigueur que les experts internationaux et le gouvernement nigérian ont posé.

L’enjeu pour le Nigéria : tirer parti de ces recommandations en les adaptant à ses spécificités institutionnelles et économiques.

Le Nigéria dispose d’une faible marge de manœuvre en matière de réduction de la dépense publique et de tampons budgétaires. Ces leviers avaient été deux des principaux piliers de l’économie nigériane lors de la crise de 2009. A cette époque, l’Excess Crude Acount (ECA)[3] du pays qui s’élevait, à 21 milliards de dollars contre 3 milliards aujourd’hui, avait permis à l’Etat d’éviter une crise de liquidité. De plus, lors de la crise financière précédente, le gouvernement avait pu mener une politique budgétaire expansionniste reposant sur le Fiscal Responsability Act (FRA) dont l’objectif était d’assainir les finances publiques et de ramener le déficit public sous la barre des 3% sans nuire à l’investissement public. Parallèlement, la politique monétaire se concentrait sur une cible d’inflation inférieure à 10% en menant une politique de contraction de la masse monétaire qui ne portait pas atteinte à l’accès au crédit grâce à l’afflux de capitaux. Aujourd’hui, au contraire, du fait de la nouvelle donne macroéconomique, la politique de hausse des taux menée par la Central Bank of Nigeria conduit à une hausse du coût du crédit nuisible à l’investissement.

Par ailleurs, le fédéralisme budgétaire du Nigéria nécessite d’adopter une vision consolidée de la situation macroéconomique du pays. Le système institutionnel nigérian repose sur trois paliers que sont le gouvernement fédéral, le gouvernement des Etats et les gouvernements locaux. La répartition des recettes pétrolières entre ces trois strates est définie par un organe constitutionnel, la Commission de répartition et d’allocation des dépenses et des recettes. Ce système qui veille à la répartition des recettes entre régions pétrolières et régions non pétrolières, tend à accroître la dépendance des régions non dotés en hydrocarbure qui, préfèrent souvent se contenter de cette manne financière au lieu de développer leur avantage comparatif dans des secteurs divers. Face à ce constat, une modernisation du système financier public est requise pour assurer la soutenabilité des finances publiques tant au niveau fédéral qu’au niveau local. Le FMI a rappelé que l’ensemble des mesures prises au niveau de la fédération en 2009 doivent être étendues aux Etats fédéraux de 2015 à 2017 afin de mieux encadrer les risques.

Enfin, le plan de rigueur comporte un volet fiscal contesté dans la mesure où la hausse programmée de la Taxe sur la Valeur Ajoutée constituerait une double peine pour les entreprises faisant déjà face à d’importants problèmes de ravitaillement énergétique. La remise en cause des crédits d’impôts achève de fragiliser le secteur pétrolier en faisant perdre aux sociétés pétrolières pionnières les avantages dont elles bénéficiaient[4].

Le FMI accompagne actuellement le Nigéria pour l’aider à surmonter la crise monétaire et budgétaire déclenchée par l’effondrement des prix du pétrole. Parmi les mesures figurent des recommandations traditionnelles visant à assainir les finances publiques et à stabiliser le taux de change et l’inflation. Si ces réformes ont permis à l’économie nigériane de traverser la crise financière internationale de 2009, elles montrent aujourd’hui leurs limites et mettent en lumière la nécessité pour le Nigéria – pays fédéral largement dépendant de ses exportations pétrolières – d’adopter une vision plus consolidée de ses finances publiques tout en développant les avantages comparatifs dont il dispose (dans l'industrie, dans le cinéma, dans l'agriculture; etc.).

Daphnée Sétondji


[1] Cf IMF Staff Concludes 2014 Article IV – Mission to Nigeria

 

[2] Monnaie nigériane.

 

[3] Compte crée en 2004, alimenté grâce au surplus de recettes pétrolières. Il équivaut à la différence entre le prix de référence du baril fixé par le Parlement et son  prix effectif sur les marchés internationaux

 

[4] Cf Article publié par l’agence Ecofin le 18 décembre 2014.

 

Pour une baisse du coût du crédit au sein de l’UEMOA

fonds-souverainsDe nombreux observateurs soutiennent que les banques de la sous-région ouest-africaine affichent une situation de surliquidité structurelle. Pourtant, l’offre de crédits au sein de l’espace UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine)  reste l’une des plus chères au monde. Au deuxième trimestre de l’année 2014, le taux débiteur moyen, hors taxes et charges, pratiqué par les banques de l’UEMOA était de 7,16%. Même si ce taux a connu une légère baisse par rapport aux deux dernières années, il reste encore au-dessus des taux pratiqués dans certaines zones monétaires des pays émergents et développés. Dans le rapport annuel sur la zone franc produit par la Banque de France en 2012, le taux d’intérêt débiteur moyen hors taxes et charges de l’UEMOA était de 8%, contre 6,3% et 3,8% respectivement au Maroc et en France; soit des différentiels  de taux de 1,7  et 4,2  points.

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Evolution des taux debiteurs moyens (hors taxes et charges) des banques de l UEMOA. Source : BCEAO – Rapport annuel de la Commussion Bancaire

En prenant en compte les taxes et charges rattachées à l’obtention d’un prêt, le coût total du crédit supporté par un emprunteur de l’espace UEMOA varie en moyenne entre 10% et 15% selon les pays. Face à ces taux exorbitants qui défient toute rationalité, de nombreux demandeurs potentiels de crédits renoncent à recourir aux banques ; ce qui contribue à baisser la consommation et l’investissement, pénalisant ainsi la relance de l’économie. Pour comprendre le rationnel qui pousse les banques à proposer des taux élevés, il convient d’en rappeler les déterminants. Le taux d’intérêt représente le prix du temps (durée du prêt) et du risque (de non remboursement) que la banque prend en octroyant un crédit. La valeur du temps étant théoriquement la même dans toutes les régions du monde, la seule variable explicative des différentiels de taux reste le « risque », qui est une notion renfermant plusieurs facteurs  (politique, économique, psychologique etc.). Ainsi, le coût exorbitant du crédit dans l’UEMOA peut s’expliquer par différents facteurs dont nous présentons ci-dessous ceux qui nous semblent les plus significatifs :

  • l’instabilité socio-politique et économique : Toutes les institutions financières du monde intègrent systématiquement le risque pays dans la valorisation des coûts des crédits qu’elles octroient à leurs clients. Ainsi, le marché du crédit de l’UEMOA subit depuis plusieurs années, le double effet de l’instabilité socio-politique et la fragilité de l’économie de la région. Le retour relatif de la stabilité politique (avec la fin de la crise en Côte d’Ivoire et la défaite des terroristes au nord du Mali) ainsi que le regain de vitalité économique dans la région ne sont pas suffisants pour rassurer les institutions financières. Il faudra plusieurs décennies consécutives de stabilité politique et de croissance économique pour changer la perception du risque.
  • le taux directeur de la BanqueCentrale: Le taux directeur est le taux auquel les banques empruntent auprès de la BCEAO. Plus ce taux est élevé, plus les taux accordés aux clients finaux à l’autre bout de la chaine l’est. Pendant longtemps, les taux directeurs étaient restés élevés au sein de l’UEMOA. Mais au cours des dernières années, la BCEAO a envoyé des signaux forts au marché. Entre 2009 et 2015, le taux de guichet de prêt marginal de la BCEAO est passé de 4,75% à 3,50%. Toutefois, les canaux de transmission entre taux directeurs et taux débiteurs dans la zone étant faibles, la baisse des coûts financiers pour les emprunteurs reste très limitée suite à un changement de politique de la BCEAO.
  • un déficit  d’informations fiables entrainant une mauvaise appréciation du risque : Dans les pays de l’espace UEMOA, les banques disposent de très peu de leviers pour évaluer le profil de risque de leurs clients (localisation géographique, solvabilité financière, situation sociale etc.). La centrale de bilan de la BCEAO, qui est sensé fournir une banque de données significatives aux institutions financières leur permettant d’apprécier de manière objective la situation des clients, connait des disfonctionnements structurels. Ainsi, l’absence de visibilité sur le profil de risque des emprunteurs potentiels conduit d’une part à une réticence des banques à prêter et d’autre part à une hausse des coûts des prêts octroyés. Pour remédier à cette situation, la BCEAO a entrepris de déployer des Bureaux d’Information sur le Crédit, qui sont des structures qui collectent et compilent des informations sur les antécédents de crédit ou de paiement d'un emprunteur. Ceci devrait permettre d’atténuer l’asymétrie d’information et rassurer ainsi les banques qui pourraient revoir leurs taux à la baisse.
  • une défaillance juridique et institutionnelle : le niveau élevé du coût du crédit peut également s’expliquer par la difficulté qu’ont les régulateurs du secteur bancaire à imposer leur autorité aux banques de la région. Le Conseil des Ministres de l’UEMOA a vaguement fixé le taux d’usure (niveau maximum de taux praticable) à 15%  sans qu’il n’y ait de mécanisme précis de contrôle des conditions de fixation des taux appliqués par les banques. Ainsi, les banques disposent d’une large marge de manœuvre pour maximiser leur gain. L’important écart de 6,5% à 11,5% entre les taux auxquels les banques empruntent auprès de la BCEAO (3,5%)  et les taux qu’elles appliquent à leurs clients ( entre 10% et 15%) , est ainsi déterminé dans des conditions opaques. D’ailleurs, la difficulté qu’a la BCEAO à  faire respecter la mesure de gratuité de 19 services bancaires listés dans un communiqué publié en juillet 2014 (http://www.bceao.int/Communique-de-presse-2985.html) démontre l’urgente nécessité de renforcer le cadre institutionnel pour un meilleur contrôle des pratiques des banques.

Le coût élevé des taux au sein de l’UEMOA n’est pas une fatalité. Les autorités de régulation disposent de leviers pratiques qu’ils devraient actionner de manière efficace pour réduire à court terme, le coût du crédit :

  • Renforcer le cadre règlementaire: Le mécanisme de calcul des taxes et charges liées à l’octroi d’un prêt doit être encadré par une législation précise. Il s’agit de fixer des barèmes formels (de taxes et charges) de sorte à réduire la marge de manœuvre des banques dans la détermination des taux. Dans cette même logique, à l’instar de la récente loi sur la gratuité des services bancaires, les autorités devraient commanditer une étude sur la structure des charges liées à l’octroi des crédits, afin d’envisager la suppression de certaines d’entre elles qui ne se justifieraient pas.
  • Le contrôle des activités des banques : Le véritable défi des autorités bancaires est moins la définition d’un cadre réglementaire que le suivi de sa mise en œuvre effective. La non répercutions des baisses des taux directeurs sur les taux débiteurs des banques en est une parfaite illustration. Ainsi, la BCEAO devrait moderniser et renforcer ses missions de contrôle. En l’occurrence, en plus des missions périodiques de contrôle sur pièces basées sur le reporting des banques, il faudrait conduire des audits inopinés afin de mieux évaluer les pratiques des banques au quotidien. Au regard de l’opacité qui entoure les activités de certaines banques, il est important que la BCEAO renforce son personnel par des professionnels aguerris spécialisés dans la conduite de missions de cette nature. Il peut également être envisagé de recourir de manière ponctuelle aux services d’un cabinet spécialisé afin de traiter certaines problématiques qui peuvent s’avérer complexes.
  • Développer la concurrence dans le secteur : promouvoir des solutions alternatives de financement (finance islamique -prêt à taux zéro-, marchés boursiers, fonds d’investissements etc.) afin d’intensifier la concurrence pour faire baisser les taux. Par ailleurs, Il convient également d’améliorer le climat des affaires et de développer des solutions de garanties institutionnelles au bénéfice des emprunteurs  pour réduire le «  risque perçu » par les banques.
  • Réduire l’asymétrie d’information en rendant disponibles des informations détaillées et fiables sur la situation financière des agents économiques, notamment les ménages et les PME. A cet égard, la BCEAO doit accélérer le déploiement du projet des bureaux d’information sur le crédit.

Il apparaît aujourd’hui que le coût considérable du financement bancaire au sein de l’UEMOA, tient davantage à la faiblesse institutionnelle de la BCEAO à faire appliquer les règles qui régissent la pratique de l’activité bancaire, qu’aux arguments classiques comme l’inexistence d’informations sur les demandeurs de crédits ou l’instabilité économique et socio-politique. Une situation qui se traduit par une quasi-inefficacité de la politique de la BCEAO, même pour des mesures visant directement le marché financier. S’il convient d’améliorer l’environnement des affaires et de fournir un accompagnement aux demandeurs de crédit (ce que les Etats tentent de faire, avec des outils variés, selon les pays) ; il est impératif que la BCEAO renforce son mécanisme de supervision afin que les canaux de transmission de sa politique, notamment ceux visant le secteur bancaire, puissent entrainer à la baisse le coût du crédit dans la région afin de faciliter l’accès aux financements, nécessaires à la relance de la consommation et de l’investissement qui sont les moteurs de l’économie.

Lagassane Ouattara

Quel est l’apport du numérique au processus de développement de l’Afrique ?

carte-afrique-insdustrie-nouvelle-technologie-developpementAujourd'hui, l'économie numérique occupe une place importante dans le marché mondial, d'une part, grâce à l'omniprésence des TIC (technologies d'informations et de communication) dans tous les secteurs d'activité et d'autre part, grâce au dynamisme qui lui est spécifique. Ainsi, pour tout pays cherchant à gagner en compétitivité, il est important d’être en phase avec ces technologies, voire d'y investir.

Depuis l'introduction des TIC en Afrique à la fin des années 1990, le marché numérique n'a cessé de s'accroître. Ayant dépassé le statut de niche de marché, il est aujourd'hui l'un des marchés le plus convoités par les grandes entreprises internationales du secteur tel que Google (avec sa branche Google Afrique), Facebook, etc. En plus de permettre l’arrivée de ces géants de l’internet sur le continent, les TIC offrent aux jeunes Africains une opportunité nouvelle dans le domaine de entrepreneuriat. Ceux-ci en ont conscience et ont flairés le potentiel de ces technologies. Ils n'hésitent plus à se lancer dans l'aventure du numérique, que ce soit dans l'e-commerce, l'e-banque, le mobile-banking ou dans tous ses services dérivés.

Malgré des problèmes d'infrastructures et des systèmes dont la performance reste précaire, et la répartition au sein du territoire, inégale, on assiste à l'éclosion de plusieurs start-up Made in Africa depuis les années 2000. Des start-up qui, pour la plupart, ont pour objectif de faciliter le quotidien des Africains en favorisant l'accès à l'information ainsi qu’aux divertissements, mais aussi de montrer un autre visage de l’Afrique, allant à l’encontre du discours pessimiste habituel de certains médias internationaux.

En ce qui concerne l'e-commerce, l'entreprise Nigériane Jumia, créée en 2012, est considérée depuis trois ans comme le premier détaillant du Nigeria. Un marché qu'elle partage avec konga.com et DealDey.com, deux entreprises créées par Sim Shagaya . Néanmoins, Jumia connaît plus de succès que ces deux dernières et dispose des entrepôts dans huit autres pays, à savoir l'Égypte, le Maroc, le Kenya, la Côte-d'Ivoire, l'Ouganda, le Ghana, le Cameroun et le Royaume-Uni. Ceci fait d'elle, aujourd'hui, un géant d'e-commerce en Afrique.

En outre, on ne peut parler d'e-commerce sans aborder les innovations dans le mode de paiement, notamment le mobile-banking (appelé aussi m-banque). Bien que le mobile-banking soit spécifique à l’Afrique, le succès qu’il remporte attire la convoitise des grands opérateurs de téléphonie tels qu’Orange et MTN. Ceux-ci se heurtent cependant à quelques problèmes d’ordre sociétal : "Il y a eu beaucoup de difficultés voire d'échecs dans ce secteur, à l'exception de M-Pesa. Pour que ça marche, il faut un pays qui ait la réglementation propice ainsi qu'un renversement culturel car il y a des cultures dans lesquelles l'argent c'est le cash", souligne Georges Ferré, consultant chez Roland Berger.

M-Pesa est un système de micro financement et de transfert d'argent par téléphone mobile, lancé en 2007 par Vodafone pour Safaricom et Vodacom. Depuis, il est aussi présent au Kenya, en Tanzanie et en Afrique du sud pour ce qui est de l'Afrique. A ce jour, fort de son succès, l'entreprise est parvenue à varier ses services en permettant à tous ses clients de payer leurs factures d'électricité ou de téléphonie sans plus avoir à se déplacer dans les services prévus à cet effet, leur évitant ainsi des queues interminables. M-Pesa leur permet aussi de payer leurs courses ou de déposer ou de retirer de l'argent grâce à un compte ou porte-monnaie électronique qui est associé à leur numéro de mobile. Ces opérations peuvent être effectuées dans une des 60 000 agences que compte le Kenya, qu’il s’agisse d’épiceries, des pharmacies, des tabacs des petits commerces etc. Ces agences travaillent avec M-pesa et sont payées par ce dernier pour chaque opération effectuée. Ce système pallie l'absence d’organismes financiers dans les zones les plus reculées ou rurales ayant une couverture de téléphonie. Il apporte aussi une certaine sécurité à ses utilisateurs et un gain de temps en ce qui concerne le payement de leurs factures. Enfin, il permet surtout d'entamer un processus de formalisation d'une économie jadis informelle.

Bien installé depuis quelques années dans une partie de l'Afrique de l'Est, le groupe de vient signer un accord avec le groupe MTN leur permettant de couvrir d'autres pays comme la République démocratique du Congo, l'Ouganda, le Rwanda, la Zambie et le Mozambique.

En Afrique de l'Ouest, l'Orange-money, installé au Sénégal et en Côte d'Ivoire, a été conçu dans la même optique que le système de M-pesa. Néanmoins, cette entreprise n’est pas aussi développé que son homologue, freinée à cause de son mode de fonctionnement spécifique. Contrairement à M-Pesa, Orange money s'appuie sur des banques, comme par exemple Bicis, une condition imposée par la BCEAO pour garantir la liquidité des fonds. Concrètement, cela oblige tout client à posséder, en plus d'un compte de mobile chez son opérateur, un compte bancaire. Et sachant que le taux de bancarisation dans cette région est de 5 à 10% de la population selon les pays, le champ d'action d'orange money ne peut être que limité.

A l'image de l’important développement du mobile banking, les médias d’information et de divertissement font eux aussi l’objet d’une prolifération partout sur le continent. Ces médias opèrent surtout sur Internet, à l’instar d'iRoko TV, une plateforme qui propose un service d’abonnement en ligne aux nouveaux films nigérians et ghanéens pour un abonnement mensuel de 5 dollars. Elle compte aujourd’hui de plus 500 000 abonnés.

Travaillant avec des producteurs de Nollywood, la scène cinématographique nigériane, le site propose un catalogue impressionnant de films : Nollywood est en effet la troisième plus grosse production cinématographique au monde, en termes de quantité, derrière Bollywood et Hollywood. IRoko TV est donc l'entreprise qui a rendu l’industrie du film nigérian accessible à la diaspora africaine. Ayant fixé un prix d'abonnement à la fois abordable et rentable en terme de qualité et de quantité de films pour ses clients, assurant une bonne distribution de films africains (nigérians et ghanéens) à travers le continent et le monde, elle réduit le problème de piratage qui secoue Nollywood, incarnation du cinéma africain. Alors que le piratage pousse cette industrie à une mort lente et douloureuse au détriment des comédiens et réalisateurs africains, l’entreprise paie ses producteurs chaque fois qu’un film est distribué. Elle leur permet ainsi de gagner un salaire sur leur travail pouvant servir d'investissement pour la réalisation d'autres films.

Parler des TIC, c'est parler aussi des réseaux sociaux. Facebook, twitter pour ne pas citer les plus connus, ont joué un rôle politique important au sein du continent ces dernières années : tous les mouvements civils récents sont nés sur la toile avant de grandir dans la rue. Aujourd’hui, les réseaux sociaux occupent une place importante dans les relations familiales, amicales et professionnelles. L’Afrique a, elle aussi, son propre réseau social. L'exemple de Saya, surnommé « le whatsApp Africain de 2G», est la preuve que les jeunes Africains peuvent aussi exceller dans ce domaine, en développant un produit jusqu'à l'exporter ou, par la suite, le vendre à une multinationale. Robert Lamptey et Badu Boahen, tous deux formés en Afrique, créent Saya en 2011, et développent ainsi un système de chat s’appuyant sur les réseaux 2G, où les données sont transférées par SMS. D'abord active au Ghana, dont les deux fondateurs sont originaires, Saya a vite étendu ses activités au Nigeria, au Kenya et dans une trentaine d’autres pays en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient, dépassant les 80 millions d’utilisateurs actifs. L'entreprise a finalement été rachetée en août 2014 par Kirusa, une entreprise américaine de services télécoms, qui laisse néanmoins les rênes aux deux fondateurs africains.

Aujourd’hui, la révolution numérique permet également d’établir un diagnostic via une application. Cette application révolutionnaire nous vient d'Ouganda et porte le nom de Matibabu, qui signifie centre médical en swahili. Elle a été développée en 2013 par quatre amis étudiants en informatique de l’Université de Makerere à Kampala, dont Brian Gitta. L’application permet de diagnostiquer le paludisme sans prise de sang grâce un procédé scientifique: le doigt de l’utilisateur est inséré dans le matiscope – un appareil portable fait sur commande qui doit être relié à un smartphone. L’application utilise une lumière rouge pour pénétrer dans la peau et détecter les globules rouges .Ce matériel informatique dispose d’une diode émettrice de lumière et d’un capteur de lumière. Il transmet ainsi les résultats de test sur le téléphone de l’utilisateur pour un traitement mais ceux-ci peuvent être aussi directement partagés avec le médecin du malade. Les résultats sont immédiats. Cette application constitue donc une avancée salutaire quand on connaît le nombre de décès causés par cette maladie en Afrique.

Malheureusement, l'Afrique ne souffre pas que de maladies tropicales, mais aussi de l'image qu'on diffuse d’elle à longueur de journées à l'étranger. C'est donc dans l'objectif de montrer une autre image ou autre une réalité de l'Afrique que Yeelenpix, la première banque d'images mondiale à destination de l'Afrique, a vu le jour. Yeelenpix est créée par l’Ivoirien Moussa Fofana et avec deux de ses amis, Alex Yaovi POBLAH et Maguette MBOW. Aujourd'hui, l'entreprise collabore avec des photographes africains de talent. A travers les services qu'elle propose à ses clients (des agences de promotion, la presse…), l'entreprise vise à accompagner le réveil du continent en mettant en lumière l'Afrique d'aujourd'hui: sa variété de paysages, sa population multiple, sa diversité économique à l'échelle de l'actualité internationale.

Avec les TIC, on assiste à la création de diverses entreprises ainsi que de Technoparks pour les héberger, tels que celui de Casablanca, de Rabat et bientôt celui de Tanger, à l'image de celles ou ceux des pays développés. Ces petites entreprises constituent des moteurs essentiels pour la croissance économique, la création d'emplois et la réduction de la pauvreté en Afrique. La gestion des talents est, quant à elle, un élément essentiel pour la réussite de ces PME.

En parlant de talents, on remarque aussi un important reflux migratoire définitif de la part de ceux qui s’étaient établis en dehors du continent, vers leur pays d’origine. Ils reviennent ainsi pour créer leurs entreprises et n'hésitent pas à partager les expériences et les connaissances qu'ils ont acquises à l’étranger, notamment dans le secteur des TIC.

Pour cela, Il existe des entreprises qui leur facilitent la tâche, telle que Jokkolabs, qui met à disposition un espace de travail partagé dans une atmosphère communautaire. Elle accueille tout entrepreneur qui cherche à développer son réseau, rencontrer de nouveaux collaborateurs, échanger sur ses pratiques et développer ses projets professionnels, personnels ou associatifs. Son créateur est Karim Sy, un franco-libano-malien, lui-même rentré du Canada après ses études. Aujourd'hui, Jokkolabs dispose de locaux dans presque les toutes capitales des États d’Afrique de l'Ouest.

Pour ce qui est la création des projets de ces jeunes entrepreneurs fraîchement débarqués sur un marché africain, encore promoteur, des sociétés comme Africanbib jouent un rôle d'incubateur. Africa 2.0, une organisation de la société civile panafricaine, évolue aussi dans ce sens-là.

En somme, Africanbib, tout comme Africa 2.0, sont des entreprises qui accompagnent les jeunes entrepreneurs Africains dans leur création de projet. Elles les aident dans leur financement, dans leur installations et surtout les informent de la réalité du marché africain, afin qu'ils puissent mener à bien la création de leurs entreprises. Mais ces jeunes entrepreneurs se retrouvent néanmoins diminués par la lenteur et la lourdeur des démarches administratives.

En offrant de nouveaux marchés permettant la création de multiples niches d'emplois, les TIC constituent donc aujourd'hui l'une des voies les plus incontournables du développement de l'Afrique: le développement local. Cependant, tout n'est pas encore gagné pour les entreprises du numérique. Leur développent dépend en effet de la prise d'initiative des gouvernements africains: ce n'est qu'à travers la mise en place de réformes permettant d'attirer la diaspora et de faciliter la vie des entrepreneurs que le marché numérique africain pourra connaître un réel essor.

Hamidou CISSE

Sources :

Dr Cheikh Saad Boub Kamara, Afrique:Espérance « Essai ».Harmattan,2011.ISBN: 978-2-296-5586964

M-pesa, Jumia,Wikipédia, Jokkolabs, Africa24, AfricaTopSuccess 

Quand le retour de la diaspora est un atout socio-économique !

giving-back-urban-playgirlDepuis quelques années, on assiste à un retour définitif, parfois forcé, des africains établis à l’extérieur, notamment au sein de la jeune diaspora. Si la migration des africains a toujours constitué un défi et une « perte » pour l’Afrique ; il faudrait peut-être voir dans ce phénomène une opportunité pour l’Afrique et créer des conditions incitatives pour que davantage d’africains de la diaspora se décident à revenir sur le continent, encore en proie à quelques maux qui tempèrent la dynamique de son développement.

Longtemps décriées parce que « vidant » l’Afrique de ces cerveaux et de sa main d’œuvre, les politiques migratoires des pays occidentaux ont souvent constitué une opportunité « financière » pour de nombreuses familles dans les pays africains. Ces africains installés à l’extérieur, transfèrent des fonds importants vers leur pays d’origine pour soutenir la consommation. Selon la Banque Mondiale, les transferts de fonds vers l'Afrique Subsaharienne, sont évalués à 401 milliards de dollars en 2012[i][ii][iii]. Des travaux de la BCEAO pour l’UEMOA indiquent que ces fonds servent essentiellement à satisfaire les besoins de consommation et à l’amélioration des conditions de vie de ménage, à financer la construction des écoles et des districts de santé.[iv][v] Dans ce contexte, l’aspect « connaissance » a été longtemps occulté, n’incitant donc pas à une mise en place de programmes ou outres mesures incitatives pour favoriser le retour des migrants. Cependant, tout porte à croire que le retour physique des africains de la diaspora a beaucoup plus d’impacts sur l’économie du continent que les fonds qu’ils transfèrent.

Beaucoup de formations politiques et syndicales ont été créées grâce aux anciens émigrés une fois de retour dans leur pays d’origine. Ces formations ont été à l’origine d’une amélioration de la bonne gouvernance, d’une amélioration des conditions de vie du travail et des ménages dans beaucoup de pays. Selon Joëlle Paquet (2010)[vi], les migrants de retour, ayant été au contact avec des pratiques démocratiques, stimulent indirectement l’évolution des pratiques politiques dans leur pays d’origine, participant ainsi à la progression des réformes démocratiques. En effet, en Afrique, ce sont des migrants de retour qui ont favorisé l’indépendance de plusieurs pays. En Italie, par exemple, ce sont les ex-italiens de la diapora qui ont facilié la lutte contre le fascisme. Les migrants de retour ont été très actifs dans la démocratisation au Maroc. En effet, la lutte pour la citoyenneté, la démocratie, la liberté, la répartition des richesses et la justice sociale, la dignité, le travail pour tous au Maroc a été l’œuvre du mouvement du 20 février. Ce mouvement a bénéficé du soutien financier, moral et physique des organisations associatives de marocains de la diaspora et certains des jeunes issus de l’émigration ont rejoint les manifestants au niveau national ou provincial.[vii]

Le gain le plus significatif que produit le retour des migrants est le transfert de compétences. En fait, pour avoir passé du temps à l’étranger et ayant été exposés au fonctionnement des entreprises dans d’autres contextes, les migrants acquièrent des expériences significatives et peuvent contribuer à la diffusion des connaissances qu’ils ont pu accumuler. Selon Joëlle Paquet (2010)[viii], les retours, temporaires ou durables des migrants dans leur pays d’origine, de même que les contacts entretenus avec les membres de la famille demeurés au pays, permettent la diffusion de nouvelles idées, compétences et expériences. Ces transferts de connaissances peuvent contribuer à améliorer la productivité des activités traditionnelles, de même que les pratiques sanitaires et la nutrition. Même si grâce aux nouvelles technologies, le transfert des connaissances se fait rapidement, les pays africains ont davantage de bénéfices si les jeunes rentraient dans leur pays d'origine après avoir acquis des compétences à l'étranger. Selon un rapport de l’OCDE (2008), « Ces ressources des migrations de retour peuvent être de trois types. Premièrement, les migrants rapportent avec eux l’éducation et l’expérience professionnelle acquises à l’étranger. Deuxièmement, ils peuvent revenir avec du capital financier, constitué par l’épargne accumulée lors du séjour à l’étranger, et qui peut être rapatriée sous une forme plus ou moins liquide. Enfin, ils disposent d’un capital social spécifique lié à leur expérience migratoire. »

De toute évidence, la migration ne doit plus paraitre comme un obstacle au développement des pays africains mais plutôt comme une opportunité à la mesure où il favorise le transfert de connaissances et des compétences, mais aussi donne accès à des ressources financières externes et influence l’environnement socio-politique. A titre d’exemple, les Pays-Bas s'efforcent de promouvoir l'« afflux des cerveaux » en encourageant les migrants à retourner temporairement dans leurs pays d'origine afin d'y contribuer au développement.[ix] D’autres pays en Afrique comme le Cap Vert ont bénéficié de ces retours. En effet, selon un rapport de l’OCDE (2008), « au Cap-Vert, où jusqu’à récemment il n’y avait pas d’établissement d’éducation supérieure, l’accès à l’éducation est un des motifs de la migration, notamment vers le Portugal. Dans ce cadre, on observe que 16 % des migrants de retour ont un diplôme du supérieur, alors que ce chiffre est de l’ordre de 1 % parmi ceux qui n’ont pas émigré (De La Barre, 2007). Dans ces conditions les migrations de retour génèrent des gains en capital humain pour l’ensemble de l’économie, qui peuvent, dans certains cas, plus que compenser la perte de capital humain initialement imputable à l’émigration (Batista et al., 2007). Pour autant, cette situation est conditionnée à l’existence d’opportunités d’emploi motivant le retour des travailleurs qualifiés. »[x] Dans ce contexte, il conviendrait de mettre en place des mesures incitatives visant à tirer davantage profit de cet externalité, qui semble positive, pour les pays africains.

Pour faciliter le retour des migrants et leur insertion dans leur société d’origine, les États doivent toujours garantir un emploi aux migrants diplômés après leur retour à l’instar de certains pays asiatiques et latino-américains. En effet, « depuis ces dernières années, plusieurs pays d'Asie font concurrence au reste du monde pour attirer le talent et les travailleurs qualifiés. L'Inde et la Chine ont consacré des ressources financières importantes pour inciter le retour de certains de leurs plus grands talents à l'étranger en offrant des incitatifs, des emplois bien rémunérés, un statut socio-économique élevé et des possibilités de développement personnel. La Chine a établi une politique nationale de développement des ressources humaines, qui comprend des initiatives comme le Programme des 1000 talents. Lancé en 2008 pour attirer 2000 professeurs d'universités et d'instituts de recherche étrangers sur une période de dix ans, le programme a jusqu'à présent réussi à en recruter 4000. D'autres pays tels que le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et le Vietnam, commencent eux aussi à investir de manière significative dans de nouvelles politiques visant à attirer les expatriés et les travailleurs qualifiés. Le Vietnam, par exemple, aurait dépensé plus de 7 millions de dollars à cette fin. Les différents changements politiques comprennent des incitatifs fiscaux, des compensations financières, l'augmentation du nombre d'écoles internationales, ainsi que la réforme des critères d'obtention de visa et de résidence permanente. La tendance migratoire en sens inverse sera sans doute complémentaire aux efforts de l'Asie pour recruter et conserver le talent. »[xi] « Au Chili, au Costa Rica et au Brésil, les migrants de retour sont clairement surreprésentés dans les professions les plus qualifiées et sous-représentés dans les métiers les moins qualifiés. »[xii] Ainsi, les États doivent commencer à faire la "cours"  à leurs "enfants", vivant à l'extérieur. La course pour trouver les talents porteurs de développement est déjà lancé et l'Afrique semble encore à la traine, alors qu'elle dispose d'avantages comparatifs en la matière. 

Ali Yedan


[vi] Joëlle Paquet (2010), Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée, L’impact de la mondialisation sur l’économie au Québec – Rapport 8, Août 2010

 

[viii] Joëlle Paquet (2010), Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée, L’impact de la mondialisation sur l’économie au Québec – Rapport 8, Août 2010

 

[xi] De la fuite à l'afflux des cerveaux : la migration en sens inverse en Asie

 

Renforcer la sécurité fiscale pour contribuer au développement des PME africaines

fiscaliteLa mondialisation des économies rend les entrepreneurs toujours plus demandeurs de sécurité juridique. La capacité à maîtriser le risque et l’incertitude liés au traitement fiscal applicable aux affaires projetées  est un déterminant essentiel dans la décision d’investir dans un Etat et ce, surtout pour les petits et moyens entrepreneurs dont les coûts d’entrée sur un marché et les coûts irrécupérables sont plus élevés. Primordiale, la sécurité fiscale agit donc comme un gage de prévisibilité et ravive la confiance des investisseurs dans des Etats où l’instabilité politique est l’une des causes majeurs de sous-développement.

Or les Etats africains, qui auraient précisément besoin d’un cadre fiscal stable sont depuis peu caractérisés par une véritable inflation des normes fiscales qui conduit à un manque d’efficacité de l’administration fiscale et à une fuite des capitaux.  La Banque Mondiale a publié, en novembre 2013, en partenariat avec le cabinet PwC (Paying Taxes 2014 : The global picture),  un rapport révélant le phénomène de « surfiscalité » dont souffre de nombreux opérateurs économiques en Afrique. Les petites et moyennes entreprises africaines présentaient, en effet, un record en matière de normes et du taux d’imposition global qui s’élève à 52,9% contre 43,1% pour la moyenne mondiale en 2013. En février 2013, c’est le rapport Sweet Nothings de l’ONG ActionAid qui dénonçait la concurrence fiscale déloyale à laquelle se livrerait l’île Maurice depuis le milieu des années 2000. Paradis fiscal insulaire, l’île priverait ainsi l’Afrique continentale d’une partie de ses recettes fiscales en attirant les placements des grandes firmes capables de contourner les administrations fiscales trop complexes du continent en ayant recours à des montages fiscaux agressifs et optimisateurs. Pour faire face à ces multiples menaces, les Etats africains pris dans un cercle vicieux, accélèrent considérablement depuis deux ans leur train de réformes fiscales, au risque de négliger parfois le principe de sécurité fiscale et de nuire au développement des PME qui se trouvent dépassées par l’inflation législative en matière d’impôt des sociétés.

La situation de ces PME rappelle le fait que l’attractivité d’un territoire ne dépend pas uniquement de la mise en place d’une « fiscalité minimale ou zéro » mais également de la stabilité des lois qui l’encadrent.  Le présent article vise à s’interroger sur les moyens dont disposent les économies africaines pour concilier une politique fiscale efficace et attractive avec la nécessaire stabilisation de l’environnement juridique des PME.

Un train de réformes fiscales soutenu : opportunité ou danger ?

Le rapport annuel Doing Business[1] publié par la Banque Mondiale en 2015 a salué l’Afrique pour son volontarisme et ses efforts en matière de réformes en faveur du développement des affaires et notamment via le levier fiscal. « Nos données montrent que l'Afrique subsaharienne a enregistré le plus grand nombre de réformes sur 2013/14 ayant facilité le climat des affaires, avec 75 réformes sur les 230 recensées à travers le monde » souligne Melissa Johns, spécialiste des indicateurs mondiaux à la Banque mondiale, dans un communiqué de l’organisation.

Le Bénin, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Sénégal et le Togo font partie des pays ayant les plus progressé dans le monde l’an passé en matière de facilitation des affaires. Force est de constater que ces pays se sont engagés dans une frénésie de réformes fiscales depuis 2014 et que la tendance devrait se confirmer en 2015. La Côte d’Ivoire avait ainsi mis en place une Commission de la réforme fiscale en septembre 2014, qui vient de remettre au premier ministre un rapport intitulé « Réformer le système fiscal et douanier pour soutenir le développement de la Côte d’Ivoire ». Dans le même temps, en marge du dévoilement de l’édition 2015 du rapport Doing Business, le sénégalais Mamadou Lamine Bâ, ex-directeur de l’environnement des affaires et de l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux  (APIX) se félicitait  du fait qu’une quarantaine de mesures fiscales destinées à améliorer l’environnement des affaires au Sénégal soit devenue effective sur la période 2013-2015. Si ces avancées sont louables, bien souvent ces mesures sont prises par décret et hors du cadre de la loi de finance annuelle ce qui conduit à un enchevêtrement des normes fiscales et à un problème de stabilité du cadre juridique qui varie au gré des intérêts économiques des champions nationaux.

Une réforme de la fiscalité des entreprises à deux vitesses : le cas récent du Cameroun

Les Etats africains, désireux de voir se développer leurs grandes entreprises redessinent parfois la fiscalité des sociétés dans la précipitation,sans tenir compte des intérêts des PME. Le cas du Cameroun est à ce titre éloquent. Dans ce pays, la loi de finances pour l’année 2015 a été marquée par une réduction de cinq points du taux de l’impôt sur les sociétés, le faisant ainsi passer de 35 à 30%. Lors des débats parlementaires, les partisans de cette réforme – principalement la grande chambre syndicale Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) –  estimaient que la baisse de ce taux d’imposition se traduirait par une hausse des investissements et une libération de la croissance nationale. Pourtant, force est de constater que la mesure a obtenu un accueil mitigé de la part des directeurs de petites et moyennes entreprises. Ces derniers craignaient, à raison que cette mesure coûteuse ait pour corollaire la hausse inopinée du taux d’acompte qui permet aux entreprises en difficulté voire déficitaires d’alléger leur charge fiscale en s’acquittant de l’impôt sur les sociétés par acomptes de 1% du chiffre d’affaires mensuel. Ce dispositif qui concernait jusqu’ici  70% des entreprises camerounaises est désormais considéré comme une « source d’évasion fiscale » selon le ministère des Finances.

 La loi de finances pour l’année 2015 prévoit donc d’instaurer un taux flottant variant entre 2 et  3% par décret pendant une période transitoire. Cette décision – en plus d’instaurer un cadre juridique fragile – a d’ores et déjà pesé sur les PME camerounaises concernées qui voient pour certaines leur charge fiscale doubler voire tripler tandis que d’autres, ne pouvant faire face à ces coûts sont désormais en litige avec l’administration fiscale, comme le rapporte le Président du syndicat patronal Entreprise du Cameroun, Protais Ayangma Amang[2].

Le rescrit fiscal[3] : un outil de contractualisation nécessitant confiance et contrôle.

Pour faire face à ces défis, plusieurs Etats africains se sont dotés du précieux outil que constitue le rescrit fiscal depuis le début des années 2000. Ce dispositif permet à tout investisseur de solliciter préalablement auprès de l’administration, un avis au sujet du régime fiscal applicable aux opérations qu’il prévoit de réaliser. L’investisseur peut donc opposer en cas de contrôle fiscal ou de litige, la réponse, fournie en amont par l’administration fiscale. Le Cameroun a ainsi institué le rescrit dans le cadre de la loi de finances pour l’exercice 2008. En Algérie, le rescrit fiscal est introduit en loi fiscale, plus précisément au sein d’un nouveau titre, inséré au code des procédures fiscales par la loi de finances 2012. De même les trois grands pays de l’Afrique anglophone que sont le Nigeria, le Ghana et le Kenya s’en sont également emparés.

Pourtant, la généralisation du rescrit fiscal en Afrique ne saurait se passer d’un contrôle strict des procédures. En effet s’il est un levier puissant de sécurité juridique importé du droit fiscal européen, le rescrit fiscal peut également être un outil de fraude active lorsque l’administration fiscale ne se contente pas de donner un avis sur une opération mais conclut un accord fiscal secret avec une entreprise, comme l’affaire LuxLeaks l’a révélé en Europe à la fin de l’année 2014. A ce titre, le rescrit s’il n’est pas encadré, pourrait avoir des effets dévastateurs en Afrique et tendre à accentuer encore plus l’écart existant entre les firmes multinationales capables de conclure des accords avantageux avec les administrations fiscales locales et les PME moins informées et lésées.

Le rescrit fiscal demeure – à la condition sine qua non d’être étroitement contrôlé  une chance pour les PME africaines qui contrairement aux grandes entreprises n’ont pas les moyens de consulter un cabinet de conseil ou un avocat fiscaliste : il leur permettra d’évoluer dans un environnement fiscal plus transparent et de communiquer de façon apaisée avec l’administration fiscale.

Les Etats africains ne peuvent pas faire l’économie de l’instauration d’un régime fiscal stable et relativement prévisible. L’enjeu pour le continent est de concilier l’objectif de facilitation du climat des affaires encouragé par les organisations internationales et le respect du principe de sécurité fiscale, notamment pour les PME. Ces-dernières sont actuellement parmi les plus imposées du monde et leur environnement instable a tendance à s’aggraver avec l’essor actuelle des réformes dans les pays africains. Des règles de bonne conduite des réformes fiscales pourraient permettre d’assurer la stabilité nécessaire au développement équitable de l’activité économique : monopole de la loi de finances annuelle en matière de législation fiscale, généralisation et encadrement du rescrit fiscal, mise en place d’un observatoire national de la réforme fiscale associant représentant des grandes entreprises et des PME, etc.

Daphnée Sétondji


[1]Doing Business Report, World Bank 2015

[2]  Interview accordée au magazine Jeune Afrique le 5 décembre 2014.

[3] Demande d’avis à l’administration fiscal avant la réalisation d’une opération

Pour un cadre réglementaire favorable à l’economie verte

evLe constat est simple : la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne disposent d’importantes ressources naturelles sans réussir à avoir une économie solide. Leur faiblesse les rend particulièrement vulnérables aux phénomènes naturels (sécheresses, inondations…) considérablement accentués par le dérèglement climatique. Actuellement sur les starting-blocks de l’émergence économique, ils peuvent se servir de l’expérience de certains pays développés afin de définir leurs trajectoires. L’échec des modèles économiques basés sur l’exploitation non rationnelle des ressources devrait les inciter à s’orienter vers l’économie verte, plus durable. Ils devront pour cela créer les conditions nécessaires à la promotion de cette économie. Cet article se penche sur la nécessité de définir un cadre réglementaire clair et cohérent pour promouvoir l’économie verte.

La nécessité de faire face aux défis environnementaux et socio-économiques, dans le contexte actuel de changement climatique, a conduit de nombreux Etats d'Afrique subsaharienne à s’engager dans la voie du développement durable. Ils ont ainsi paraphés les grandes conventions et protocoles en la matière. Il leur reste à opérer les réformes nécessaires pour que  la transition de leur économie vers une économie durable, soit effective. Cela pourrait se faire en adoptant à l’échelle nationale comme à l’échelle régionale ; des réglementations incitatrices aux investissements dans les secteurs "verts". Définissant l’économie verte comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) appui ses Etats dans cette démarche.

Compte tenu du caractère, parfois pionnier, des activités liées à l’économie verte, leur encadrement juridique ne devrait pas se limiter au cadre définit par le droit commun. Des initiatives sectorielles ont vu le jour mais les Etats d’Afrique subsaharieenne n’ont pas encore définit de façon claire et cohérente de cadre réglementaire harmonisé qui serait favorable au développement de  à l’économie verte. Chaque pays adopte des mécanismes selon ses objectifs. Ainsi, au Tchad, du matériel solaire importé peut être taxé à 50%, considéré comme du matériel électrique quelconque. Ce qui ne favorise pas le développement des énergies renouvelables alors qu’au Burkina Faso où il y a eu une évolution favorable de la réglementation, l’énergie solaire s’est développée. L’analyse des activités menées par des entrepreneurs dits « verts » a montré qu’il existe de réelles opportunités pour l’émergence d’une économie verte en Afrique. Les Etats qui ont résolument mis en place des incitations commencent à en recueillir le fruit, à l’exemple du Rwanda et de l’Ouganda, qui sont les pays les plus avancés dans l’agriculture biologique.

D’après une enquête[i] de la Chambre de Commerce de Pointe Noire et de la CEEAC menée en 2012 auprès des chambres consulaires et des opérateurs économiques d’Afrique centrale, près de la moitié des répondants (45.6%) estiment  que la réglementation est l’un des principaux facteurs pouvant favoriser le développement de l’économie verte. Elle apparait en tête des considérations déterminant une meilleure prise en compte de l’environnement dans les modes de production. Opérateurs économiques et acteurs publics s’accordent donc sur la nécessité de définir un cadre règlementaire propre aux activités « vertes ». Le dispositif d’encadrement de l’économie verte doit être un ensemble de règles cohérentes destinées à favoriser un investissement massif. L’objectif général est d’améliorer la gestion des ressources, à accroitre la productivité verte et susciter de nouveaux moyens de les atteindre en favorisant l’innovation afin d’avoir « une croissance verte ».

Même si les pays de la région ont individuellement des situations politiques et économiques différentes, il existe des considérations universelles les incitant à s’engager communément dans la voie de l’économie verte. Il ne s’agit pas de suivre un effet de mode ou d’essayer juste de satisfaire les exigences des bailleurs de fond afin de capter des nouvelles rentes. Il faudrait plutôt créer un cadre suffisamment stable et durable qui suscite la confiance de tous les acteurs.

Un cadre réglementaire favorable aux activités "vertes" constitue un signal fort aux investisseurs et aux différents opérateurs économiques. Il engage, par ailleurs, la responsabilité des populations en faveur d’une bonne gestion de leurs ressources. Il doit être appuyé d’un effort de sensibilisation, d’information, de communication et de formation. C’est ainsi que l’économie verte pourra se développer ; permettant aux Etats de fournir aux populations des infrastructures plus efficientes en matière d'eau, d’énergie et de transports et à atténuer les conséquences du changement climatique.

Djamal Halawa

Perte de compétitivité dans l’UEMOA : faut-il continuer de remettre en cause le franc CFA ?

Deux zones monétaires très différentes, mais toujours liées par la même la monnaie  

L’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine), la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) et l’Union des Comores sont trois zones franc issues de la colonisation qui ont la même devise en commun (quoiqu’elle n’est pas interchangeable), le franc CFA. Cette monnaie a évolué dans un régime de parité  fixe avec le Franc français de 1959 (1981 pour les Comores) à 1999 avant d’être ancrée à l’Euro.

Cette parité fixe visait à assurer la stabilité macroéconomique, réduire les risques de crise du taux de change, importer la crédibilité de la politique et promouvoir le commerce intra-zone. Elle a été jugée adéquate étant donné que la zone euro est le principal partenaire commercial. Néanmoins, les deux zones monétaires ne sont pas seulement sous-optimales au regard des critères de Mundell mais elles sont aussi très différentes les unes des autres, vu que la zone euro est composée de pays industrialisés et le Franc CFA est utilisé dans les économies à faible revenu. Ceci induit potentiellement une incompatibilité des politiques monétaires et donc une politique inadéquate dans la zone franc. Le taux d'inflation cible dans la zone euro est de 2 %, ce qui est acceptable pour un groupe de pays industrialisés mais moins souhaitable pour la zone franc dont le taux d'inflation cible de 3 %. Cela est coûteux en termes de croissance. Des études ont clairement montré que le taux d’inflation dans les pays en développement, entre 7% et 11%, stimule la production. Les pays développés ont, quant à eux, ont un taux d’inflation de 2% à 3%. Toutefois, le principal objectif des banques centrales des trois zones Franc est de lutter contre l'inflation avec des outils adaptés dans une zone où les facteurs réels dominants sont: les aléas climatiques impactant les pays encore très tributaires de l'agriculture, l’augmentation de prix de l'énergie (notamment le pétrole) et l'inflation importée de la zone euro. Malgré ces facteurs, ils maintiennent l'objectif de 3% tout en essayant de soutenir l'activité économique locale.

L'explication immédiate de la surévaluation de la monnaie

Un défi commun à toutes les zones monétaires est la convergence de ses économies. Dans la zone euro, cette convergence est encore un processus lent et continu marqué par la compétitivité divergente, les tendances du marché du travail et les balances commerciales extérieurs [i]. Dans la zone franc, quelques groupes de pays émergent. Les économies de la CEMAC connaissent des excédents commerciaux grâce aux exportations de pétrole. Cette similitude des structures de production permet une convergence du commerce extérieur de membres de la CEMAC, mesurée par l'écart-type de leurs comptes courants pondérés par leur PIB réel. [ii]Dans l'UEMOA, la Côte d'Ivoire (la plus grande économie) affiche un important excédent commercial tandis que d'autres pays connaissent des déficits, comme le Sénégal qui est souvent considéré comme une autre puissance économique de l'UEMOA.

Les critiques faites estiment que le niveau élevé de l'euro par rapport au dollar américain est responsable de la surévaluation du franc CFA, ce qui pénalise la compétitivité en matière d’exportations de la zone. La question est de savoir si cette perte de compétitivité est tout simplement due à la valeur du Franc CFA ou si d'autres facteurs responsables peuvent être identifiés.

Des économies peu diversifiées et très exposées à la concurrence internationale

La compétitivité globale de l'UEMOA, mesurée par le taux de change effectif réel, s’est détériorée de 2002 à 2011 d'environ 5 % selon la BCEAO. En 2012, elle s’est améliorée avec une baisse de 3% du taux de change effectif réel et une inflation plus faible que ses partenaires. Les pays de l'UEMOA sont principalement exportateurs de matières premières. Entre 2000 et 2004, le pétrole, le coton, le cacao, l'or et les métaux précieux ont représenté 50% des exportations et 60% de 2005 à 2011. En 2012, ces pays ont enregistré une augmentation du taux d'exportation grâce au dynamisme des industries extractives, à l'exception du Sénégal et de la Guinée-Bissau qui ont  perdu respectivement 0,2% et 1,4% en 2012 par rapport à 2011. La zone dans son ensemble a atteint 2,1% de croissance sur la de 2002 à 2011 et une croissance supplémentaire de 1,1% en 2012. D'autre part, le taux de pénétration des entreprises étrangères a progressé de 1,2% entre 2001 et 2011 et de 3,8% de 2011 à 2012 ; ce qui s’est traduit par une diminution de la part de marché des entreprises nationales et donc une perte nette de compétitivité. A l’échelle des pays, les taux de pénétration étrangère ont augmenté de 11,3% au Burkina Faso entre 2001 à 2011, de 14,7% au Niger et de 8,7% au Togo [iii]. En outre, les importations concernent généralement les produits finis et de consommation à forte valeur ajoutée. Les déficits des pays, considérés individuellement, suggèrent que les importations sont supérieures aux gains de compétitivité.

Des coûts de production élevés et un climat d’affaires défavorable

De 2001 à 2011, l'augmentation constante des prix du pétrole à l’échelle mondiale a fortement défavorisé les producteurs locaux. Cela a provoqué une augmentation généralisée des prix des produits pétroliers au sein de l'UEMOA et donc une croissance cumulée du prix de l'énergie de 33,4% en Côte d'Ivoire et de 91,5% au Sénégal sur la même période. Les prix les plus faibles ont été relevés au Bénin. La différence de prix entre les pays est  principalement due  aux niveaux d'imposition différents. L'électricité et les coûts de transport ont également augmenté. Le mazout, utilisé comme produit intermédiaire dans la production d'électricité thermique, a conduit à une augmentation moyenne approximative du coût de l'électricité de 100 FCFA.

Les coûts de main d’œuvre et de financement ont aussi beaucoup augmenté, sauf en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les salaires interprofessionnels minimum ont atteint 26,5% au Bénin, 50% au Niger et même 103,5 % au Niger. Les coûts de production élevés ont fortement dégradé la compétitivité des entreprises locales.

Le climat des affaires devient défavorable à ces coûts plus élevés. Le classement « Doing Business »  de la Banque mondiale sur l’année 2014, qui se fonde sur la facilité de la pratique d’affaires dans un pays, a émis un jugement sévère à l’égard de l'UEMOA et la zone franc en général. Parmi ces pays, le Burkina Faso est classé à la 154è place, juste avant Mali (155è) et le Togo (157è). La Côte d'Ivoire, le champion régional d'exportation, n’occupe que la 167è place et le Sénégal la 178è. La République Centrafricaine et le Tchad viennent en dernier, respectivement 188è et 189è.

Quelles politiques pour l'avenir? La rigueur budgétaire, la diversification économique et … le fédéralisme?

La compétitivité pourrait être rétablie par des mesures de restriction budgétaire visant à minimiser les situations de double déficit dans le long terme. Cela peut être difficile à  concilier avec les impératifs de développement économique et peut générer un coût pour le transport ainsi que l'investissement privé dans les pays qui ont financé les ajustements structurels dans le passé. Plus de réformes au niveau régional seront nécessaires pour assurer la convergence des économies. Comme mentionné précédemment, à l’image de la zone euro, l'UEMOA est loin d'être une zone monétaire optimale en raison de son exposition aux chocs idiosyncrasiques et la faible mobilité du capital et du travail. La BCEAO a certes décidé de réduire les coûts de transaction bancaire dans toute la zone mais le fédéralisme n’est certainement pas entamé. L'UEMOA a entrepris un certain nombre d'initiatives en faveur d'une plus grande intégration du marché du travail, des produits agricoles et manufacturés, de l'énergie et des produits pétroliers, mais au final, les décisions sont toujours prises au niveau national perpétuant ainsi une segmentation intra-zone qui limite la compétitivité des entreprises locales et retarde la convergence des pays. Toutefois, le démantèlement des barrières commerciales, en particulier non-tarifaires, permettrait d'améliorer l'efficacité des investissements ainsi que la circulation des talents, des connaissances et des biens. Cette intégration, associée à des efforts pour l’élargissement de  la base d'imposition (la recommandation du FMI pour l'UE s’applique également à l'UEMOA), pourrait fournir aux institutions politiques et économiques locales davantage de moyens pour, enfin, stimuler l'émergence d'un milieu industriel commun réel et diversifier leurs économies afin d'améliorer la résistance aux chocs idiosyncrasiques. Cela semble d'autant plus souhaitable que l'ouverture des économies locales affaiblit les entreprises locales très exposées à la concurrence internationale. Mais il manque encore les capacités nécessaires pour produire des biens d'équipement. Enfin, même si l'ancrage fixe à l'euro reste un facteur important de la stabilité et de la crédibilité étant donné les faiblesses des économies africaines et leurs liens étroits avec  la zone euro, la question de l'abandon de ce régime monétaire peut être soulevée plus sérieusement  dans l'avenir proche, en particulier dans l’optique d'accroître les relations commerciales avec l'Asie et la Chine en particulier.

Traduit par Koriangbè Camara

[i] (OCDE, estimations Coe-Rexecode, D. Ordonez, 2013)

[ii] Lessoua, Albert & Sokic, Alexandre, “Union monétaire et compétitivité comparée : les cas de la zone euro et de la zone CFA”, Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, 2012

[iii] Rapport sur la compétitivité des économies de l’UEMOA en 2001-2011 et 2012

Quel rôle pour l’Etat dans le financement de l’économie verte ?

evL’économie verte suscite un engouement indéniable partout dans le monde. De fait, elle est perçue comme une réponse globale aux nombreux défis des sociétés modernes (pauvreté, chômage, etc.) mais aussi aux nombreux maux de l’environnement créés par l’exploitation « irrationnelle » des ressources naturelles (changements climatiques, rareté de l’eau, etc.). Somme toute, il s’agit de l’extension des différents modèles économiques envisagés pour atteindre une croissance « saine » qui n’affecte pas l’environnement et dont l’impact est le plus fort sur la société, comme l’explique Kempf (2014). Cette transition nécessite un financement colossal. Selon les estimations du PNUE (2011), il faudrait près de 1 300 Mds USD (soit 2% du PIB mondial) par an pour assurer une croissance verte d’ici 2050. Il est espéré que ces ressources proviennent essentiellement du secteur privé ; les contraintes budgétaires ne pouvant pas permettre aux gouvernements d’asseoir ce modèle. Néanmoins, ils ont un rôle très important à jouer : celui de créer les conditions pour orienter les capitaux vers les secteurs verts de l’économie, selon Jacobs (2011).

L’économie verte requiert de nouvelles approches et des technologies novatrices dans tous les secteurs. A ce titre, l’Etat doit se positionner en initiateur mais aussi en facilitateur. Au-delà du cadre réglementaire qui pourrait imposer des obligations et des normes, les finances publiques pourront jouer un rôle dans le soutient à l’économie verte. D’une part, à travers les dépenses gouvernementales et d’autre part, à travers l’instrument fiscal. 

Les dépenses gouvernementales constituent l’outil direct dont disposent les autorités. Les investissements publics devraient financer des infrastructures durables, comme les énergies renouvelables, la gestion des déchets, les transports en commun ou la restauration du capital naturel et le renforcement du capital humain, etc. A travers une telle stratégie, l’Etat oriente le secteur privé dans des secteurs verts, qui peuvent être porteurs de croissance et créateurs d’emplois. A titre d’exemple, l’investissement de 468 Mds USD prévu par les autorités chinoises dans des secteurs verts, notamment le recyclage des déchets, les technologies propres et les énergies renouvelables, à partir de 2011 et pour une période de 5 ans, devrait engendrer une croissance de 15 à 20% de l’industrie de la protection de l’environnement avec un effet multiplicateur de 8 à 10 fois supérieur à celui d’autres secteurs industriels, selon les estimation de la China Development Bank Corporation (2010). Aussi, à travers le mécanisme de subvention, l’Etat peut stimuler la croissance verte. De fait, les subventions sont mises en place pour encourager les bonnes pratiques entrepreneuriales ou pour soutenir certains secteurs d’activité. Il s’agira donc d’une part de supprimer les subventions aux secteurs qui sont dommageables pour l’environnement et d’autre part d’en fournir aux entrepreneurs des secteurs verts. Ce faisant, l’Etat crée des mesures incitatives qui attireront très certainement les entreprises dans ces secteurs et influenceront le marché. Ce procédé peut être étendu aux dépenses de fonctionnement, à la mesure où l’Etat peut se permettre de ne se faire fournir que par des entreprises étiquetées « vertes ».

En ce qui concerne l’outil fiscal, il peut être utilisé comme mesure dissuasive ou incitative. Dans l’un ou l’autre cas, l’objectif est de promouvoir la pratique des activités vertes et de réduire celles qui portent atteinte à l’environnement. Plus généralement, il pourrait s’agir de ce que l’ONU appelle une réforme « écologique » de la fiscalité : moins taxer certains facteurs de production comme la main d’œuvre et augmenter les taxes sur d’autres (revenu des entreprises, pollution ou émission de CO2, etc.). Cette mesure peut s’accompagner d’autres mesures comme les permis ou les consignes. Le premier (permis) permettra de fixer des limites quant à l’utilisation ou à l’exploitation d’une ressource donnée et d’envisager des sanctions financières significatives en cas de dérogation au renouvellement du permis. Le second (les consignes) met en place des conditions préalables à l’exercice d’une activité. Avec ces mesures, l’Etat crée un environnement favorable, mais non exclusif, pour le développement des secteurs verts. L’émergence de nouvelles activités avec un fort potentiel, attirera les fonds détenus par des institutions financières, à la recherche de nouveaux débouchés.

Plusieurs pays sous-développés, et africains en particulier, craignent que ces mesures ne ralentissent leur développement, parce que risquant de réduire les investissements, notamment dans les secteurs d’exploitation des ressources naturelles, principales sources d’exportation et de la croissance affichée aujourd’hui par ces pays. En réalité, elles constituent une véritable opportunité pour les pays africains qui cherchent à se développer et ce d’autant plus que l’économie verte tend à s’installer sur le continent, comme le constate Georges (2014). De fait, elles permettraient d’asseoir les fondements d’une croissance harmonieuse, durable et respectueuse de l’environnement. Toutefois, la réussite de cette transition dépendra des politiques mises en place par les autorités. La Corée du Sud, par exemple, consacre près de 95% de son plan de relance à des investissements verts alors que les pays de l’UE ou les Etats Unis s’appuient davantage sur des mesures fiscales (système d’échange de quota d’émission de gaz à effet de serre, taxe sur les carburants,  taxes écologiques sur certains produits, etc.). Ainsi, les pays africains devraient accorder une place de choix à cette composante dans leur plan de développement tout en mettant en place des mesures incitatives pour attirer les capitaux privés, notamment dans les secteurs verts. Par exemple, les aides financières apportées aux entreprises exerçant dans les domaines de l’énergie (basée sur les ressources fossiles), de l’eau, de la pêche  et de l’agriculture, réduisent certes les prix mais encouragent une utilisation excessive du capital naturel concerné. En même temps, elles font peser une charge répétée sur les finances publiques. L’élimination progressive des aides à ces secteurs ou la réallocation de ces aides vers les secteurs des énergies renouvelables, de l’industrie de la protection de l’environnement (recyclage des déchets, etc.) et l’introduction de taxes sur l’exploitation des ressources naturelles peuvent améliorer l’efficacité tout en consolidant les finances publiques et en libérant des ressources pour l’investissement vert. Ceci ne suppose pas l’abandon de l’exploitation des ressources. Il suggère plutôt une exploitation rationnelle, avec des conditionnalités économiques favorables et respectueuses de l’environnement et où les ressources financières issues de cette activité permettent de financer le capital économique intangible.

Finalement, la réussite de la transition vers une croissance verte dépend fortement de la détermination des autorités. L’administration centrale dispose des outils pour instaurer les conditions favorables pour l’implémentation et le développement de ce modèle. La stratégie devra s’appuyer sur un cadre réglementaire cohérent et une réorientation des investissements publics dans les secteurs verts, tout en mettant en place des stimuli verts pour inciter l’implication du secteur privé.

Foly Ananou

Références

Barbier Edward (2010). A Global Green New Deal: Rethinking the Economic Recovery. Cambridge, UK: Cambridge University Press.

Georges Vivien Houngbonon (2014). Que savons-nous de l’économie verte en Afrique ? L’Afrique des Idées

Michael Jacobs (2011). Leveraging private investment: the role of public sector finance. Overseas Development Institute, Background Note.

UNEP (2011). Towards a Green Economy: Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication

Vera Kempf (2014). “Economie Verte, de quoi parle-t-on ? L’Afrique Des Idées. 

Marché de l’emploi en Afrique : les facteurs modernes de blocage

cover_mainL’emploi est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain, car c'est un facteur d’intégration et d’autonomisation. L’Afrique est l’un des continents où on compte le plus de chômeurs, constituant de facto un enjeu social, politique et économique pour les gouvernants. De fait, la persistance du chômage peut se traduire par le développement de la criminalité (cas du Nigéria avec les « scams 419 » ou du Ghana et de la Côte d’Ivoire avec le phénomène de « broutage », qui pousse même certains à commettre des crimes dits rituels). Pour résoudre le problème, plusieurs structures tant nationales qu’internationales ont été instituées. C’est le cas d’ADEI au Cap-Vert, d’ADPME au Congo Brazzaville, d’ADEPME et du SYNAPSE CENTER au Sénégal, de l’AGRO-PME Fondation au Cameroun, d’ANPGF et du PASYD au Togo, du CIPMEN au Niger, du FORSCOT et de l’INIE en Côte d’Ivoire, du ME au Bénin et au Burkina Faso ou encore du PROMOGABON au Gabon, etc.

Le marché de l’emploi reçoit chaque année des milliers de diplômés sortis des écoles et établissements de formation professionnelle. A ceux-là, il faut ajouter la multitude de jeunes filles et garçons en fin d’apprentissage dans les structures artisanales. En 2013, l'Afrique du Nord[1] comptait 30% de jeunes chômeurs. En Afrique subsaharienne, près de 60% de jeunes sont sans travail et chaque année près de 10 à 12 millions arrivent sur le marché de l’emploi. En 2010, le taux de chômage[2] en Afrique Centrale était de 23,12%. En Juillet 2014, le taux de chômage[3] en Afrique australe a atteint 25,40%. Bien que les jeunes constituent le plus grand atout pour l’Afrique, ils rencontrent aujourd’hui de sérieux problèmes pour s’insérer sur le marché du travail, obérant leur éventuelle contribution au développement du continent. Si le chômage s’accentue en Afrique, c’est parce que  les obstacles à l’accès à l’emploi se multiplient et tiennent à plusieurs paramètres.

Le manque d’expérience professionnelle a toujours constitué le principal obstacle pour accéder à un emploi, du fait que les entreprises recherchent davantage des séniors que des juniors qu’elles auraient à former. Dans ce contexte, les contrats à courte durée (comme les stages) sont rares. Il est estimé que dans 89% des pays africains, l'offre[4] d’emplois est insuffisante pour absorber la demande. Les seuls stages existants sont offerts par l’Etat à travers les institutions nationales, dans les ministères ou par certaines sociétés privées qui disposent des ressources financières suffisantes pour rémunérer les stagiaires. Seulement ces stages ne sont pas la garantie d’une embauche et le stage peut être, parfois, reconduit, pour permettre à l’entreprise de ne pas perdre les compétences mais aussi d’avoir une main d’œuvre peu onéreuse sans être inquiétée. Ainsi les entreprises peuvent garder un candidat en situation de stagiaire pour une longue durée et en disposer à leur guise.

L’inadéquation entre les formations et les profils recherchés par les entreprises est aujourd’hui l’une des principales causes du chômage en Afrique. D’autres n’ont simplement pas l’information concernant les offres disponibles. L’absence d’informations sur le marché du travail, l’inadéquation entre formation et profils recherchés et l’attitude des employeurs sont des obstacles majeurs dans près de 49% des pays africains. Si les diplômés n’arrivent pas à s’accommoder aux compétences exigées devant les tâches à exécuter c’est surtout parce que le système éducatif n'est pas actualisé en fonction des nouvelles méthodes. En effet, la majorité des formateurs n’actualise pas leur niveau de connaissances. Les centres de formation pousse comme des champignons dans les pays africains, notamment dans le domaine des télécoms ou dans la gestion, mais très peu d’entre eux proposent des formations, avec un syllabus propre au 21ème siècle et en adéquation avec les besoins du marché. Pour celles qui proposent des formations de qualité, elles s’inspirent de modèles occidentaux, occultant le plus souvent les réalités locales. Ainsi les diplômés de ces écoles ont des profils et des prétentions salariales tels que les futurs employeurs ne peuvent se permettre de les embaucher.

Si le secteur agricole constitue une solution à la question de l’emploi en Afrique, étant donné qu'il dispose d’un potentiel énorme encore sous exploité, le profil des demandeurs d’emplois n’est pas compatible et la stratégie adoptée par les gouvernants n’est pas incitative. D’ailleurs, les différentes stratégies mises en place, invitant les jeunes dans le domaine, n’a eu que des impacts limités.  Les autorités s’appuient sur des discours laudateurs sur le secteur agricole et son potentiel, sur fonds d’études et d’avis d’experts, qui ne travaillent pas dans le secteur.  Il faudrait un discours plus pragmatique, fondé sur les témoignages d’entrepreneurs agricoles, des gestionnaires des projets mis en place et financés par les gouvernants avec l’appui des partenaires techniques et financiers (des success stories de l’agriculture). Les jeunes se sentiraient plus concernés et trouveraient un réel intérêt dans cette activité et pourraient envisager des projets pour mettre en valeur les connaissances acquises durant leurs formations et assurer le développement du secteur. 

Aujourd’hui, des verrous supplémentaires existent et empêchent sérieusement les jeunes d’accéder à l’emploi. Les gouvernements africains ne privilégient pas la cession des unités de production prioritairement aux nationaux qui disposent d’assises financières conséquentes. Ils préfèrent les concéder aux multinationales appartenant aux non africains. Ces gouvernants africains développent ainsi une propension à livrer des combats aux unités de production appartenant aux nationaux qui ne partagent pas la même opinion politique qu’eux. Dès que ces responsables nationaux résistent à les accompagner dans leurs différentes actions politiques, ils sont systématiquement pris pour cibles. Alors, ils voient leurs activités menacées (des redressements fiscaux qui n’en finissent pas) et sont obligés soit de fermer leurs entreprises, soit de s’expatrier dans un autre pays africain (éventuellement) pour mener leurs affaires. Parfois l’Etat prend possession des sociétés appartenant à des personnes privées au nom d’un soi-disant « intérêt général ». Ces unités de productions nationales ne pouvant plus continuer leurs activités, mettent en chômage les milliers d’employés qui viennent grossir le nombre des demandeurs d’emploi sur le marché du travail.

Aussi, la propension des gouvernants africains à maintenir les retraités en fonction parce que ces derniers constituent des soutiens importants dans leurs localités pour des intérêts personnels politiques, constitue un trou noir dans l’équation africaine sur le chômage. Il est courant de voir des dirigeants ou responsables à divers niveaux des sociétés ou institutions à la fin de leur carrière, continuer à travailler avec ou sans contrat. Même si à certaines occasions de recrutements, les gouvernants décident de pourvoir à des postes dans la fonction publique, dans les institutions ou dans les sociétés d’Etat, les recrutés sont pour la plupart de la même obédience politique, ethnique ou religieuse que ces gouvernants. Près de 72% des jeunes africains demandeurs d'emplois estiment que « les emplois ne sont confiés qu’à ceux qui ont des relations », ceci pour signifier leur déception vis-à-vis d’un système de gouvernance jugé injuste, parce que les relations dépendent essentiellement du milieu d’où l’on vient et d’un accès à des cercles privilégiés que la plupart des jeunes n’ont pas et qu’ils ne peuvent obtenir.

Pire, les pratiques de certains gouvernants africains consistent à distribuer des postes à des connaissances. Le favoritisme et le népotisme règnent en maître dans tous les processus de recrutement dans les structures administratives de l’Etat. Les listes sont établies avant les jours prévus pour les tests de recrutement. Les tests sont donc organisés pour la forme. S’il s’agit des chômeurs qui montent leurs propres projets pour s’auto-employer, ils sont confrontés au phénomène de chapelle politique. Ainsi leurs projets ne reçoivent pas de financements de la part de l’Administration Centrale. Il en est de même des cabinets ou organismes privés de recrutements. Les tests organisés par ces derniers souffrent souvent de transparence.

De toute évidence, des facteurs politiques, ethniques et religieux viennent pertuber le marché de l’emploi en Afrique. Dans ce contexte, l’accroissement rapide de la population africaine, qui devrait se traduire par une croissance de plus de 50 % des arrivées de jeunes sur le marché du travail d'ici 2030, constitue un défi plutôt qu’une opportunité. S’il est vrai que le marché du travail en Afrique a des problèmes structurels (éducation, asymétrie d’informations, etc.), les considérations politiques, ethniques et religieuses exacerbent la situation. Paradoxalement, ce sont ces mêmes politiques qui mettent en place des programmes de promotion de l’emploi, alors qu’ils prennent des dispositions qui inhibent l’émergence d’une industrie locale, principale source de création d’emplois, en dépossédant certains privés de leur entreprise ou en contraignant d’autres à mettre fin à leurs activités, notamment ceux ne partageant pas leurs aspirations politiques.

Les pouvoirs publics africains doivent en priorité remédier aux obstacles subjectifs que rencontrent les entreprises et les sociétés (moins nombreuses) et surtout les PME/PMI qui dominent plus le secteur privé. L’exécution des marchés publics est pour la plupart faite par des entreprises étrangères, réduisant celles nationales en sous-traitantes. L’égalité des chances doit être le maître mot des gouvernants africains. Si ces facteurs subjectifs persistent, la pression démographique s’accentuant, les demandeurs d’emplois s’augmentant, les espoirs que continuent de susciter le renouveau démocratique dans les pays africains cèderont la place aux bouleversements politiques que ne contiendront pas les autorités politiques. En effet, si l’environnement économique ne permet pas aux PME de se développer pour créer plus de la richesse (le taux de survivance des PME/PMI sur le marché étant de plus en plus faible), elles ne peuvent pas absorber la main d’œuvre importante, constituée en majorité de jeunes dont la frustration peut engendrer d’importants remous sociaux (on se rappellera de la Tunisie en 2011).

Le secteur formel subit des perturbations dans son épanouissement avec sa faible capacité de création d’emplois. Il est caractérisé encore par de graves insuffisances liées à la qualité des emplois mis sur le marché (qualifications requises, la sécurité et la couverture sociale). Le secteur informel, même s’il constitue un handicap pour corriger ces difficultés, reste encore un recours pour les actifs en quête d’une occupation quelconque. Si le secteur informel est combattu dans presque tous les pays africains, son intégration dans le tissu économique et la bonne application des textes réglementaires sur le travail pourraient permettre de bloquer le phénomène d’inflation galopante de la main d’œuvre qu’on observe chaque année sur le continent africain.

Nicolas Olihide


[1] OIT, 2013, Etudes réalisées sur le marché du travail en Afrique.

[2] COMMISSION ECONOMIQUE POUR L’AFRIQUE, 2013, Rapport sur les ODD pour l’Afrique Centrale, appuis du PNUD, UA et BAD.

[3] http://fr.tradingeconomics.com/south-africa/unemployment-rate consulté le 18 Mars 2015.

[4] Enquêtes réalisées auprès des experts-pays des PEA 2012,  37 pays africains au total.

[7] BAfD, OCDE, Pnud, CEA (2012), « Perspectives économiques en Afrique 2012 » ; et Beaujeu R., Kolie M., Sempere J-F. et Uhder C. (2011), « Transition démographique et emploi en Afrique subsaharienne : comment remettre lemploi au coeur des politiques de développement », À savoir no 5, AFD, MAE, 217 p., Paris.

Libéraliser l’industrie de l’énergie pour favoriser les investissements dans les énergies renouvelables

1024px-Inga04Près de six africains sur dix n’avaient pas accès à l’électricité en 2010 (IRENA, 2014). Parmi ces six africains, cinq vivent en milieu rural. Les énergies renouvelables, compte tenu de leurs coûts de distribution plus faibles, sont des sources alternatives capables de réduire à la fois cette pauvreté et cette fracture énergétique. Cependant, leur développement nécessite des investissements significatifs que seules des politiques publiques sur la fiscalité, le rachat de l’énergie et l’accès aux crédits peuvent soutenir.

Or, outre la formulation des politiques publiques, leur mise en œuvre concrète se heurte souvent à des intérêts particuliers, notamment lorsqu'elles sont susceptibles de réduire la rentabilité d'investissements déjà consentis. Cette question se pose encore avec acuité en cas de "conflit technologique", c’est-à-dire lorsqu'une innovation est susceptible de remplacer, du moins partiellement, une ancienne technologie, comme c'est le cas entre les énergies renouvelables et fossiles.

Cet article montre que ce conflit technologique permet d’expliquer une bonne partie du retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. Il propose ensuite de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique et plus largement de libéraliser l’industrie de l’énergie afin de réduire la pesanteur de ce conflit technologique dans la mise en œuvre des mesures favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables.

Le retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique 

Les investissements dans les énergies renouvelables ont certes progressé en Afrique au cours des dix dernières années ; mais leur rythme de progression reste faible par rapport à d’autres régions du Monde comme la Chine. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, en 2004, l’Afrique et la Chine avait le même niveau d’investissement. Depuis les investissements chinois ont fortement progréssé par rapport à ceux de l'Afrique, représentant en 2014, près double de ceux de l’Afrique et du Moyen Orient réunis.[1]

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees issues du Rapport UNEP

L’un des facteurs couramment mis en avant pour expliquer ce retard est le coût fixe d’installation et d’entretien particulièrement élevé des énergies renouvelables, que ce soit pour les panneaux solaires, l’éolien ou la biomasse. Cependant, le coût des équipements d’énergies renouvelables est en baisse graduelle sous l’effet du progrès technologique (Voir Rapport UNEP page 19). A titre d'exemple, les panneaux solaires se vendaient, en moyenne, à 3.5 euros le Watt crête (€/Wc) en 1999 contre à 50 €/Wc en 1960. Selon une étude récente du cabinet IHS, ce prix, même pour le meilleur panneau solaire, a atteint 2,8 €/Wc en 2014. Ainsi, le coût des équipements d’énergies renouvelables devient de moins en moins un facteur contraingnant pour le développement des énergies renouvelables.

Même si la propension moyenne à payer de nombreux Africains peut être inférieure aux coûts compte tenu du faible niveau de revenu, il n’en demeure pas moins que les politiques publiques en matière d’investissement dans les énergies renouvelables ne sont pas encore suffisamment effectives. En réalité, ce ne sont pas les politiques publiques qui manquent, mais plutôt leur mise en œuvre qui reste limitée à cause du conflit technologique entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Le Document de Politique en matière d’énergie renouvelable de la CEDEAO[2] ou le Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEAC[3], par exemple, mettent tous en avant, chiffres à l’appui, des actions concrètes à mener pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables. Cependant, leur mise en œuvre tarde à se matérialiser.

Le conflit technologique exacerbé par l’intervention de l'Etat

Ce retard se trouve exacerbé par l'intervention de l'Etat. Dans certains pays développés où les entreprises impliquées dans la production et la distribution des énergies sont sous contrôle d’intérêts privés, ce sont des groupes de lobbies qui incitent les gouvernements à ne pas prendre les mesures susceptibles de rendre plus compétitives les énergies renouvelables. Par contre, lorsque la compagnie de fourniture d’énergie est sous contrôle de l'Etat, comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, la tentation est plus forte pour l’Etat de restreindre les mesures favorables à la compétitivité des énergies renouvelables. Cette intervention de l'Etat peut être encore plus dommageable lorsque les institutions économiques sont faibles ou lorsque la gouvernance économique est exempte de transparence. A titre d'exemple, en 2013 au Cameroun, l’importation d’un kit solaire était soumise à un droit de douane de 10% en plus d’une TVA de 19.25% et d’une taxe de transport égale à 5% du prix d’achat.[4] Parallèlement, le même kit solaire est exonéré de droit de douane au Burkina-Faso, en Egypte et en Tunisie entre autres (UNECA, 2014). Cette différence de traitement fiscal peut s’expliquer par la volonté de protéger l’industrie domestique utilisant des ressources fossiles pour la production de l’énergie ; cette industrie étant souvent monopolisée par une compagnie nationale, contrôlée par l'Etat.

Selon le rapport de l’UNECA sur l’Afrique du Nord, il existe un ensemble de mesures publiques favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables. Typiquement, l’Etat peut mettre en place un système d’obligation d’achat par les distributeurs de l’énergie photovoltaïque à un prix régulé et transparent. Il peut aussi garantir des parts de marché aux investisseurs dans les énergies renouvelables à travers des concessions ou des certificats d’énergie verte. D’autres mesures, moins coûteuses, consistent à mettre en place des systèmes d’incitations fiscales directes (crédit impôt investissement, réduction d’impôt, paiement de la production d’énergie) ou indirectes (réduction de la TVA sur les équipements verts ou économes en énergie) ou de facilitation de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises ayant un projet d’investissement dans les énergies renouvelables.

Privatiser et libéraliser l’industrie de l’énergie pour inciter à investir dans les énergies renouvelables

La mise en œuvre effective de ces mesures requiert la limitation de l’interventionnisme de l'Etat dans la promotion des investissements dans l’énergie renouvelable.  Pour cela, nous recommandons de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique. Cette privatisation supprime le conflit d’intérêt de l’Etat dans la mise en œuvre de ses politiques publiques en faveurs des énergies renouvelables. Pour être plus efficace, cette privatisation devrait s’accompagner d’une libéralisation de l'industrie de l'énergie afin de permettre à tout opérateur économique d’entrer sur le marché avec tous les avantages proposés par l’Etat. Enfin, la mise en place d'un régulateur indépendant et autonome devrait servir à cette fin.

Cette recommandation n’est pas nouvelle car le problème de conflit technologique auquel est confronté l’industrie de l’énergie s’était déjà posé dans le secteur des télécommunications au début des années 90, lors du passage de l’analogique au numérique. Dans ce contexte, la privatisation, la libéralisation et la mise en place de régulateurs indépendants et autonomes ont permis de booster les investissements dans les réseaux mobiles et leur adoption par une proportion de plus en plus importante de personnes en Afrique.

Georges Vivien HOUNGBONON

Sources :

IRENA – International Renewable Energy Agency. 2014. « L’Afrique et les Energies Renouvelables : La voie vers la croissance durable »

UNECA – United Nations Economic Commission for Africa. 2014. « Les mécanismes innovants de financement des projets d’énergies renouvelables en Afrique du Nord »

CEDEAO – Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. 2012. « Politique en matière d'énergie renouvelable de la CEDEAO »

UNEP – United Nations Environment Program. 2015. « Global Trends in Renewable Energy Investment »

IHS Consulting. 2015. “Top Solar Power industry Trends for 2015”.


[1] Les données ne sont pas directement disponibles pour l'Afrique. Dans tous les cas, les investissements réels dans le périmètre Africain seraient plus faibles.

 

[2] CEDEAO, 2012.

 

[3] Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEA: Politique régionale pour un accès universel aux services énergétiques modernes et le développement économique et social, version finale provisoire du 8 avril 2014.

 

[4] Agence EcoFin, consulté le 1 avril 2015.

 

Consequences of falling oil prices in Sub-Saharan Africa

Picture1The globalization resulting in the growing interdependence of countries from increasing integration of trade has had an enormous impact on developing countries’ growth process. This intertwined relationship between the globalization phenomenon and growth become even more apparent as developing nations rely extensively on commodity exports as sources of income. The effect of increasing wealth of exports from natural resources, which results in the decline of the tradable good sector of an open economy was termed “Dutch Disease” by the Economist magazine to describe the decline of the manufacturing sector in the Netherlands after the discovery of a large gas field in 1959. Several studies have expressed their weariness on how often countries with oil or well-endowed with other natural resources have failed to deliver growth more rapidly than those without. This concern remains even more relevant today as the world experiences a bust in the oil industry that is manifested through the sharp decrease of the oil prices in the international market. While many Sub-Saharan African countries have been praised for their extraordinary growth during the past two decades, it is now crucial, more than ever, to reassess growth in the region within the midst of this commodity market turmoil as Africa is still the most dependent continent on commodity exports. The way Sub-Saharan African countries weather this storm will determine the effectiveness of new regulatory frameworks on fiscal policies recently introduced by many governments, and show whether lessons have been learnt from other commodity crises.

Before diving into the negative spillovers of the plunge in oil prices in Sub-Saharan African economies, it is important to revisit with a brushstroke the economic mechanism leading to a “Resource Curse” or “Dutch Disease”. In fact, the question of what drives economic growth has been one of the most venerable topics of discussion in economics that simply refuses to fade away. It has been noticed for several decades that oil or other natural resource dependent countries have failed to deliver growth. To illustrate this, Jeffrey Frankel, Economics Professor from Harvard University makes an interesting observation that many African countries such as Angola, Nigeria, Sudan, and the Congo, which are rich in oil, diamonds, or minerals, continue to experience low per capita income, and low quality of life. Meanwhile, by contrast, as he puts it, the East Asian economies Japan, Korea, Taiwan, Singapore, and Hong Kong have achieved western-level standards of living despite being rocky islands with virtually no exportable natural resources. What is it that impedes growth for many African countries well-endowed with natural resources and makes them so vulnerable to external shocks?

In fact, the answer to this question resides in a rather simple theoretical explanation of commodity boom-bust cycles. A sharp decrease in the price of exports commodities (i.e. oil price) drives down the price of non-traded goods in the domestic economy and thereby the real exchange rate, which is defined as the relative price of a basket of traded and non-traded goods between the domestic and the foreign economy. We see this trend in Nigeria, which relies on oil for 70% of its budget and over 90% of its exports. The country has been bashed by a constant decline in Brent crude oil prices, which has been swinging widely on either side of $50 per barrel in the past couple of weeks. The downfall in the price of oil has led to the devaluation of the Nigerian currency. To combat this, the Nigerian central bank raised interest rate to a record of 13% and devalued its target exchange rate for the naira to 5%, and other measures related to budget cuts are expected according to Bloomberg news. On a macro level, the inevitable consequences of relying too much on commodity exports in countries like Nigeria will be noticed in lower profits in tradable activities such as manufactured goods, which inarguably tend to create higher growth rates. And of course one can imagine that the decline in tradable goods will have severe consequences on any potential growth prospects.

Another example of this wistful reality is Angola, Sub-Saharan Africa second-largest oil producer behind Nigeria. The country’s economy is largely dependent on oil production. According to the International Monetary Fund (IMF), Oil export revenue accounted for close to 97% of total export revenue in 2012. The country’s excessive dependence on oil export has certainly a direct impact on the macroeconomic indicators. According to BloombergBusiness news, Angola’s President Jose dos Santos projected that the oil revenue will decline to cover 37 percent of spending needs, down from 70 percent last year. Consequently, as it has been sadly observed, the national currency, the Kwanza has plunged 7% against the dollar in the past six months as foreign exchanges has become limited due to restrictions from the government. Moreover, when we look at East Africa; significant oil discoveries have been made notably in Uganda and Kenya in recent years, which raised the countries’ economic prospects. However, with the recent oil collapse, exploration in the region will most likely slow-down.

In the fight against the resource curse, it is important to note that many sub-Saharan African countries have made significant economic and political developments that have ignited growth in the region during the past two decades. In addition to these changes, other western-style institutional mechanisms namely—commodity funds or sovereign wealth funds—have been adopted in countries like Angola and Nigeria to prevent the resource curse. Whether these institutions for saving during booms would allow them to continue the financing of major infrastructure projects remains to be seen. To avoid the negative impact of a commodity crisis, commodity exports countries in Sub-Saharan Africa need first and foremost to diversify their economies and progressively decrease their dependence on the commodity export. In addition to that, these countries ought to emulate Chile’s countercyclical fiscal policy initiated in 2000 under President Michele Bachelet’s first term. This rule simply consists of limiting government spending induced by receipts from copper exports during commodity booms, and increase spending when there is a bust or when the export commodity prices start falling. Therefore, the government at that time insisted on saving most of the proceeds for rainy days, and was able to maintain a sustainable growth when copper prices started tumbling.

While it has been widely observed that many resource-rich countries perform poorly, it is crucial to note that countries with natural resources are not primarily set for failure. The most important factor to consider for many sub-Saharan commodity-export countries is the implementation of various institutional mechanisms as cited above, which would help navigate through any potential commodity crisis.

Harold Agblonon

References

McClelland, Colin. "Angola Plans 25% Cut in Budget as Oil Revenue Set to Plunge." BloombergBusiness(2015): n. pag. Web.

“Country Analysis Brief: Angila.” Country Analysis Brief (2015):n.pag. U.S Energy Information Administration. 19 Mar.2015. Web.30. 2015.

Frankel, Jeffrey, “The Natural Resource Curse: A Survey,” The Natural Resource Curse: A Survey Faculty Research Working Paper Series (2010):n. pag. Print.

Traditions et religions : facteurs de réussite de l’économie verte en Afrique ?

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Définie par la CEEAC comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», l’économie verte se positionne incontestablement aujourd’hui comme la nouvelle économie du développement durable. Sachant que partout en Afrique les valeurs,  attitudes et pratiques  sont « partiellement traditionnelles, partiellement modernes » l’importance de l’inclusion de la notion de tradition dans cette définition est de taille.

Actuellement au cœur d’une crise environnementale sans précédent, le monde entier voit les concepts de développement durable et donc d’économie verte comme porteurs des germes du changement. Cependant, lorsque l’on se penche sur la notion même de développement, il apparaît clairement que la vision la plus répandue de ce concept est aux antipodes de celle des sociétés traditionnelles africaines, pour qui il est plus synonyme de bien être et de vie que de progrès infini et d’accumulation des biens. Si le développement est bien « une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur », il semble normal que l’économie verte réponde à une logique similaire. Et l’adaptation du continent africain aux problèmes environnementaux étant au cœur des préoccupations, il est primordial de ne négliger aucun aspect surtout à l’heure  où la thèse selon laquelle cette crise environnementale est avant tout une crise morale voire spirituelle, gagne du terrain. D’où l’intérêt de voir en quoi les traditions et la religion, encore très influentes dans une Afrique moderne et mondialisée, constituent des éléments pertinents pour l’élaboration de politiques efficaces en matière d’économie verte.

Traditionnellement, la relation qui lie l’homme africain à son environnement n’est pas fondée sur la domination, bien au contraire. Se concevant alors comme l’un des éléments de la nature, dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’homme vit en harmonie avec elle. La protection de la nature et la préservation de l’équilibre du milieu font donc partie des priorités. Ceci s’explique notamment par le fait que la terre et la végétation permettent, dans les sociétés africaines, de conserver des liens durables avec ceux qui les ont travaillées ou façonnées dans le passé. Bon nombre de dispositions ou pratiques traditionnelles illustrent d’ailleurs ce souci d’équilibre et cette relation socio-environnementale qu’entretiennent les hommes avec leurs ancêtres. En Cote d’Ivoire par exemple, chez les Aouans, la terre, personnifiée, porte le nom d’une « déesse » qui leur prescrit des comportements à avoir à l’égard de l’environnement. Au Burkina, 300 bois sacrés ont été recensés. Ces intermédiaires incontournables entre les habitants et leurs ancêtres sont aujourd’hui des zones refuges pour de nombreuses espèces. L’impact positif d’un certain nombre de pratiques traditionnelles sur la qualité de l’environnement est aujourd’hui indiscutable et prouve que les traditions et coutumes africaines peuvent contribuer à sa gestion. 

Au niveau international, ce n’est que récemment qu’une approche de la nature sous une perspective que l’on peut qualifier « d’indigène » a été adoptée. L’Agenda 21 élaboré à l’occasion du Sommet de Rio reconnaît par exemple la valeur et la nécessité d’impliquer, de prendre en compte et de protéger les peuples indigènes.  Il existe aussi au niveau du PNUD, de l’Union africaine et de l’UNESCO, un certain nombre d’instruments permettant aux communautés de mettre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être à profit pour protéger l’environnement. Malheureusement, l’affirmation selon laquelle  « nous pouvons apprendre des populations indigènes et locales »  ne bénéficie pas d’une mise en œuvre à la hauteur de sa véracité. Mais ce n’est pas parce que les législateurs n’en tiennent encore que très peu compte que les acteurs économiques, véritables moteurs  de l’économie verte sur le continent ne doivent pas s’en inspirer. Des initiatives telles que celle d’Helico (producteur de briques en argile pure grâce à la valorisation énergétique des graines de coton) montrent que la rencontre des traditions et de l’ingénierie économique du 21ème siècle regorge de potentialités considérables en matière d’économie verte.

Il en va de même pour les religions. Si le potentiel environnemental de ces dernières est loin d’être évident à première vue, il ne doit pas être sous estimé. 

Tout d’abord, il est important de rappeler que la plupart des Etats d’Afrique noire connaissent une situation de pluralisme religieux. On retrouve cependant l’Islam, le Christianisme et les religions traditionnelles de manière assez constante. Très proche des idéaux traditionnels évoqués plus haut, la religion africaine est « fondée sur l’alliance éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres et de Dieu ».  Cependant, l’avènement de l’Islam et du Chritianisme combiné à la modernité technologique a relégué les religions africaines au rang de pratiques animistes.  Provoquant alors leur érosion et, par là même, la disparition de véritables berceaux de protection environnementale. Mais malgré le déclin des religions africaines sur les 100 dernières années, il semble encore possible de reconsidérer les stratégies environnementales dont le cadre normatif et institutionnel qu'est la religion traditionnelle, afin d’apporter des réponses adéquates aux actuels problèmes de la relation de l’individu avec son environnement naturel.

En parallèle, les religions dites monothéistes ont  aussi un rôle bien particulier à jouer.  Prenons le cas d’une religion judéo chrétienne. D’abord accusé d’avoir une idée anthropocentrique fondamentalement théocentrique de la relation avec la terre et de ne voir le progrès environnemental que comme une conséquence naturelle d’une relation saine entre Dieu et tout un chacun, l’Eglise catholique adopte aujourd’hui une toute autre approche. Bien qu’il ait été mandaté par le créateur pour régner sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers, cette domination de l’homme sur son environnement ne le soustrait en rien à ses obligations morales, dont celles envers les générations à venir fait partie. Longtemps silencieuse à ce sujet, le changement d’attitude de l’Eglise catholique face aux problèmes environnementaux illustre parfaitement le changement de paradigme que nous vivons aujourd’hui.

L’environnement devient  donc l’une des rares aires dans lesquelles les représentants des différentes religions sont prêt à collaborer.  En effet, la présence d’éléments forts en matière d’environnement dans la Déclaration sur une éthique mondiale formulée lors du Parlement des religions du monde à Chicago en 1993 vient  appuyer cette thèse.  De plus, comme l’affirme Magda Lovei, manager au pôle environnement et ressources naturelles de la Banque Mondiale, les organisations confessionnelles « offrent un accès sans équivalent aux communautés locales », ce qui fait d’elles des partenaires majeures en matière environnementale.

Il est donc indispensable  qu’un changement de mentalité s’opère parmi les acteurs clés de l’économie verte. Certaines pratiques liées à la religion ou à la tradition ne doivent plus être considérées comme des archaïsmes dénués de sens. Paradoxalement, l’Afrique est à la fois le continent produisant le moins de gaz à effet de serre, et celui qui en paye le plus les conséquences sur son environnement. Traditions et religion pourraient clairement participer à l’élaboration de stratégies économiques vertes adaptées. En plus d’être identifiées par les états et gouvernements, les opportunités pour une amélioration des pratiques en la matière doivent aussi l’être par l’ensemble des acteurs de la société civile, entreprises en tête. En effet,  sur le long terme, le progrès environnemental requiert une protection impulsée par les citoyens individuels privés, les fermiers mais aussi les entreprises. Reconnue comme condition sine qua none de la réalisation du développement durable, une bonne approche économique se doit de prendre en compte les dimensions culturelles et d’encourager la coopération et la solidarité plutôt que la compétition. Les religions et traditions sont encore bien souvent vues comme des obstacles à la mise en œuvre des politiques économiques alors qu’une meilleure prise en compte permettrait tout simplement de participer à l’augmentation de l’attractivité de l’Afrique grâce à l’économie verte, tout en incluant les spécificités locales dans la logique de changement.

Olivia Gandzion

Références :

ASOANYA Anthony, The ecological crisis in Africa as a challenge to lasting cultural and sustainable development : a theological approach, Publications universitaires européennes, P. Lang, Allemagne, 2011.

ANDRADE Célio et TARAVELLA Romain, « Les oubliés de la réforme de la Gouvernance internationale de l'environnement », Critique internationale, 2009/4 n° 45, p. 119-139.

Banque Mondiale, S’associer aux organisations confessionnelles pour restaurer les terres en Afrique, consultable en ligne : http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2015/01/12/engaging-with-faith-groups-to-restore-land-in-africa

BARTHOLOMÉE 1ER, Religion et environnement : quels défis spirituels pour aujourd’hui ?, 31/01/2014, Consultable en ligne : http://www.lavie.fr/actualite/documents/religion-et-environnement-quels-defis-spirituels-pour-aujourd-hui-31-01-2014-49334_496.php

DAKOURI M. Gadou, La préservation de la biodiversité: les réponses de la tradition religieuse africaine, journal of the pan african anthropological association Number 2 Volume VIII October 2001, pp. 178-199

DORIER-APPRILL  Elisabeth, BARBIER Jean-Claude. Les forces religieuses en Afrique noire : un état des lieux, Annales de Géographie, 1996, vol. 105, n° 588, pp. 200-210. Consultable en ligne : /web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1996_num_105

IZENZAMA Mafouta Noel, Le paradigme écologique du développement durable en Afrique subsaharienne à l’ère de la mondialisation : une lecture éthico-anthropologique de l’écodéveloppement,  Publications universitaires européennes, P. Lang, Suisse, 2008.

Jeune Afrique, Afrique centrale : création d'un fonds pour une économie verte. Consultable en ligne : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/23427-afrique-centrale-creation-dun-fonds-pour-une-economie-verte.html

LUNEAU René. Du monde religieux de l'homme africain aujourd'hui / The Religious World of Contemporary African Man. In: Archives de sciences sociales des religions. N. 41, 1976. pp. 37-45, Consultable en ligne : /web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1976_num_41_1_2085

MédiaTerre, Bois sacrés : quand la tradition sauve l'environnement. Consultable en ligne : http://www.mediaterre.org/actu,20140415111001,5.html

SANOU Wurotèda Ibrahima, Dr Doti Bruno Sanou décrypte l’apport des coutumes africaines dans la gestion de l’environnement, Ouaga.com, consultable en ligne : http://www.aib.bf/m-2669-dr-doti-bruno-sanou-decrypte-l-apport-des-coutumes-africaines-dans-la-gestion-de-l-environnement.html

SITACK YOMBATINA Béni, Droit de l'environnement à l'épreuve des représentations culturelles africaines : une gestion à réinventer ?, Académie Européenne de Théorie du Droit, Bruxelles, 2000.

TABUNA Honoré, L’économie verte : réduction des émissions ou vision et modèle de Développement adaptes a l’Afrique centrale ?

ZAMMIT Nasser, L’Afrique et la question environnementale, Connaissances et Savoirs, Paris, 2012.

La question de la terre en Afrique du Sud

« Quand les missionnaires sont arrivés en Afrique du Sud, ils avaient la Bible et nous avions la terre. Ils ont dit : « Allons prier ». Nous avons fermé les yeux et quand nous les avons ouverts, nous avions la Bible et ils avaient la terre ». Desmond Tutu

La terre est un sujet controversé et très important en Afrique du Sud. La controverse vient d’une loi sur les terres autochtones de 1913. Cette loi a empêché une grande majorité des autochtones du pays de posséder leurs propres terres tout en accordant plus d’avantages aux Afrikaners (colons blancs). En conséquence, seulement 7% des terres cultivables ont été gardées pour la population noire qui représente 70% de la population globale à l’époque[i]. Cette question est très importante car le taux de chômage en Afrique du Sud est très élevé, surtout dans les zones rurales. De ce fait, la restructuration des terres pourrait potentiellement faire évoluer la situation sociale et économique.

A la fin de l’apartheid, un nouveau gouvernement a été élu dans l’espoir d’un changement pour la majorité des Sud-Africains. Ainsi, y a-t-il eu un changement significatif dans la distribution des terres depuis cette époque en Afrique du Sud ?

L’initiative du Gouvernement

En 1994, à la fin de l’apartheid, les blancs, qui représentaient moins de 10% de la populations, possédaient presque 90% des terres du pays[ii. Le nouveau gouvernement élu avait promis de redistribuer un tiers des terres à la population noire. Pour ce faire, le gouvernement a mis en place deux actions fondamentales: la redistribution et la restitution des terres.

D’abord, le gouvernement s’est attelé à la redistribution des terres. Il s’agissait d’acheter les terres des propriétaires bénéficiant de la loi sur les terres autochtones et de les restituer aux populations évincées. Cette action était aussi connue sous le nom de la méthode «willing buyer, willing seller » (vente de gré à gré).  Le gouvernement pouvait obtenir la terre une fois qu’elle avait été vendue par les propriétaires et mise sur le marché. Les propriétaires n’étaient, en aucun cas, obligés de vendre leur terre.

La restitution est aussi une action importante du gouvernement sud-africain. Cette action complète la distribution des terres. En effet, cette pratique consiste à donner à la population lésée par la loi une somme d’argent plutôt que la terre elle-même. Cette offre a du succès parmi les habitants pauvres des zones urbaines qui n’ont pas envie de retourner dans les zones rurales. Cependant, comme toutes les politiques, des limitations se sont mises en place.

Des actions limitées

Le gouvernement avait promis de redistribuer un tiers des terres. Cependant, vingt ans après, moins de 10% des terres ont été restitués[ii. Comment expliquer cet échec ?

Au début, la redistribution des terres ne suffisait pas. L’éducation pendant l’apartheid s’est révélée insuffisante. Les nouveaux propriétaires manquaient des connaissances et compétences nécessaires pour gérer la terre acquise. En plus de cela, la gestion d’une ferme implique des coûts élevés. Les nouveaux propriétaires qui souffrent de difficultés financières n’ont pas les moyens suffisants pour réaliser leur travail. Il faut régler ces problèmes afin de garantir le progrès en Afrique du Sud.

Evolution et perspectives

Il est très important pour le gouvernement sud-africain de soutenir les nouveaux fermiers, en leur accordant des subventions (soutien financier) afin de faciliter la vente des produits agricoles et d’augmenter la productivité par l’acquisition de nouveaux équipements et machines. A plus grande échelle, le gouvernement sud-africain pourrait proposer des projets plus ambitieux en encourageant l'éducation et finançant les projets pour réduire le fossé crée pendant l’apartheid. L’Afrique du Sud pourrait suivre l’exemple de ses voisins qui souffrent du même problème.

D’un côté, le Zimbabwe a mis en place des mesures radicales pour s’approprier des terres et les redistribuer arbitrairement. Cette méthode de redistribution a plusieurs conséquences. D’emblée, il faut savoir que même si l’Afrique du Sud et le Zimbabwe partagent le même problème, ils ne le gèrent pas de la même manière. Le parti ANC (Congrès National Africain) de Mandela a lutté contre les inégalités raciales. La question de la redistribution des terres est considérée comme un sujet de haine et de récupération potentielle pour les Sud-Africains autochtones. Elle n’est pas traitée comment un objectif des plus urgents dans l’agenda ministériel. Par exemple, en examinant le budget de la réforme agraire (représentant 1% du budget du pays en 2013)[ii, on peut constater que ce sujet est délicat. La confiscation des terres (sans compensation du propriétaire) est interdite par la constitution nationale. Dans le cas bien qu’improbable d’une réforme constitutionnelle, de telles confiscations de terres pourraient nuire à la stabilité nationale et impliquer de conséquences néfastes à long-terme.

D’un autre côté, la Namibie a une approche un peu plus subtile. Dans ce pays, les terres sont acquises individuellement par l’argent propre de chaque acheteur ou par un prêt facilité par le gouvernement namibien. Cette méthode a été beaucoup plus efficace car depuis l’indépendance du pays en 1990, un quart des terres a été redistribué. L’Afrique du Sud pourrait prendre exemple sur son voisin namibien, étant donné que seulement 8% de ses terres ont été redistribuées[v].      

En somme, il est indéniable que le gouvernement sud-africain a des intentions louables à l'égard de sa réforme agraires. Cependant, ces méthodes sont assez limitées en pratique. Des solutions existent. Le marché agricole devrait être régulé et le gouvernement devrait continuer à soutenir les fermiers. Il est très improbable que les solutions plus extrêmes telles que la confiscation des terres soient proposées car elles contreviennent à la loi et sont une menace pour la « nation arc-en-ciel ». Un changement de méthode pourrait être attendu, ainsi que l’a laissé entendre le Président Jacob Zuma : « il sera bientôt interdit pour les étrangers d’acquérir des terres en Afrique du Sud ».

Traduit par Bushra Kadir  

 

 

[i] http://www.economist.com/blogs/baobab/2013/06/land-reform-south-africa

[ii] http://www.pbs.org/pov/promisedland/land_reform.php

[iii] http://www.bbc.com/news/world-africa-22967906

[iv] http://www.lalr.org.za/news/land-reform-in-post-apartheid-south-africa-2013-a-disappointing-harvest-by-ben-scousins

[v] http://www.moneyweb.co.za/moneyweb-south-africa/land-reform-namibia-27-south-africa-8


 

Un regard sur la stratégie commerciale des Etats-Unis en Afrique subsaharienne

obama-ouattaraA l’occasion du sommet Etats-Unis – Afrique qui s’est tenu le 5 août 2014 à Washington en compagnie de plus de 50 chefs d’Etat et de gouvernement africains, le président américain Barack Obama a annoncé un plan d’investissement de 33 milliards de dollars réalisé conjointement par des sociétés privées américaines et par l’aide publique au développement, d’ici la fin de son mandat prévue pour janvier 2017.  Ce plan de grande envergure vise principalement l’extension de la zone d’influence économique américaine dans des secteurs en plein essor en Afrique tels que la construction, les énergies propres, la banque et les technologies de l'information. Cet article se propose de dresser le bilan et les perspectives de la stratégie économique commerciale mise en place par l’adminsitration Obama en Afrique subsaharienne.

La réforme de l’AGOA au cœur de l’accroissement des échanges commerciaux bilatéraux dès 2015.

Lors de la conférence, le président Obama a assuré vouloir réformer au cours de l’année 2015 l’un des principaux vecteurs de commerce entre l’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis : l’AGOA (African Growth and Opportunity Act). Cette loi adoptée par le Congrès américain et par l’administration Clinton le 18 mai 2000, et non révisée depuis lors, a permis de favoriser les échanges en accordant des avantages commerciaux à plus de 6 500 produits africains. Ainsi, « en dix ans, les importations américaines en provenance des pays d'Afrique admis à bénéficier de l'AGOA se sont accrues de 300 %, passant de 21 milliards de dollars en 2000 à 86 milliards », rappelait Rasa Whitaker, représentante adjointe au commerce extérieur, chargée de l'Afrique subsaharienne dans les administrations Clinton puis Bush ; lors d’un entretien accordé le 16 juin 2010 à America.gov. Toutefois, l’AGOA arrivant à échéance le 30 septembre 2015, une refonte de l’accord s’avère nécessaire et a été promise par le président Obama.

Dans sa mouture originale, l’accord présente plusieurs caractéristiques qui selon l’avis du représentant du Commerce américain Micheal Froman ne sont plus adaptés à l’Afrique de 2014. En effet, l’administration Obama devrait présenter cet été un accord non plus unilatéral et global mais des avantages personnalisés conclus entre les partenaires commerciaux africains et américains au sein d’une même branche à l’instar des accords développés depuis le 1er octobre 2014 entre les Etats membres de l’Union Européene et l’Afrique subsaharienne : les Economic Partenership Agreements (EPAs).

La concomitance des accords EPAs et du partenariat AGOA pose problème tant les stratégies des acteurs en présence sont divergentes. Tandis que les Etats-Unis cherchent avec AGOA à instaurer depuis 2000 un programme commercial préférentiel unilatéral pour favoriser le développement économique et accéder plus facilement au marché africain, l’Union Européenne quant à elle, cherche à dominer le marché en s’appuyant sur des accords préférentiels bilatéraux et sur la clause de la nation la plus favorisée. L’administration Obama et la commission du Commerce du Congrès ont donc jusqu’au 30 septembre 2015 pour revoir les modalités d’un accord qui n’a que péniblement fait ses preuves depuis l’an 2000. En effet, si, pour les 10 ans de l’AGOA, les rapports de l’OMC présentés à l’occasion du forum African Growth and Opportunity Act en juin 2011 à Lusaka faisaient état d’un triplement des échanges commerciaux en valeur; les flux semblaient pourtant prendre un sens unique. Ainsi, tandis que les importations américaines d’hydrocarbure en provenance d’Agola et du Nigéria (ses deux principaux partenaires africains) bondissaient de 40% entre 2009 et 2010,  on observait une chute de 48% des exportations du secteur textile africain vers les Etats-Unis en 2009, puis de 20% pour l’année 2010.   Plus récemment, le rapport annuel de U.S. Dept. of Commerce publié en janvier 2014 montrait que les importations américaines en provenance d’Afrique subsaharienne en 2014 avaient diminué de 32% par rapport à l’année précédente mais également que la part des hydrocarbures africains dans les importations énergétiques américaines  a diminué de 51% sur la même période. La situation est d’autant plus déséquilibrée que dans le même temps les exportations américaines en faveur de l’Ethiopie et du Kenya ont respectivement augmenté de 151 et 152% sous l’impulsion des exportations enregistrées dans le domaine aéronautique.   

Réformé et étendu à un plus grand nombre de produits,  l’accord pourrait à ce titre aider les Etats-Unis à contrer l’offensive commerciale menée depuis le milieu des années 1990 par la Chine en Afrique subsaharienne. En effet, dans un l’article « L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, la chercheuse Assiatou Diallo rappelait que le géant asiatique était en 2013 le premier partenaire commercial du continent africain avec des échanges en valeur s’élevant à 210 milliards de dollars contre seulement 85 milliards pour les Etats-Unis.

L’électrification de l’Afrique : le programme « Power Africa ».

L’objectif du programme Power Africa, lancé dès juillet 2013 par l’agence fédérale pour le développement USaid, est de doubler l’accès à l’électricité de la population africaine. A moyen terme, c’est plus de 60 millions de foyers et de petits commerces qui devraient bénéficier des 30 000 mégawatts supplémentaires à produire d’ici 2018. Au cours du sommet d’août 2014, le président Obama a précisé les contours de ce programme qu’il a complété par de nouvelles annonces.

Le montant total de ce programme qui doit s’élever à 26 milliards de dollars sera supporté par la Banque Mondiale, le gouvernement suédois et le secteur privé américain mené par trois de ses fleurons : General Electric, Coca-Cola et Mariott. Ces trois géants de l’industrie américaine ont déjà annoncé un concours financier en faveur de l’électrification de l’Afrique à hauteur de 14 milliards de dollars d’ici 2017. Pourtant les observateurs locaux sont pessimistes. Stephen Hayes président du Corporate Council on Africa, l’organisme fédérant les entreprises américaines présentes en Afrique, déplore la faible réactivité entre l’étape de l’identification des sites et celle de la finalisation des contrats. Il regrette également la méfiance structurel du mécanisme bancaire Ex-Im Bank of America qui demeure extrêmement dépendant de l’avis des agences de notations avant l’octroi de lignes crédits en faveur d’Etats africains.

En outre, si au cours du sommet bilatéral d’août 2014, le président Obama s’est réjoui de constater que le programme Power Africa avait déjà rempli 25% de ses objectifs en permettant de raccorder au réseau électrique près de vingt millions de foyers ; une enquête publiée par le site internet Reuter le 28 novembre 2014 a révélé que les chiffres et les méthodes de calcul contenus dans le rapport annuel du programme sont contestables dans la mesure où ils prennent en compte des résultats de projets non finalisés ou lancés avant le début du programme.

Les investissements directs des Etats-Unis vers l’Afrique : un enjeu géopolitique.

Depuis 2009, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique et les investissements directs de la Chine en Afrique ont augmenté de 44% rien que pour l’année 2013, comme s’en félicitait le président chinois Xi Jinping le 20 février 2014 au cours d’une cérémonie au Grand Palais du Peuple à Pékin à laquelle était convié son homologue sénégalais Macky Sall. Ce positionnement permet à la Chine de maîtriser et de garantir ses approvisionnements en matières premières et génère la convoitise du concurrent américain. Ainsi, le président Obama a tenu à rappeler que « sur l’ensemble des produits que les Etats-Unis exportent à travers le monde, seul 1% va vers l’Afrique sub-saharienne ». L’administration américaine est consciente que la faiblesse des liens commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique – dont les prévisions de croissance du FMI pour 2015 s’élèvent à 5,8% – pourraient à moyen terme, détériorer la balance commerciale et l’influence économique des Américains.

La faible part des IDE américains en faveur de l’Afrique subsaharienne a fait l’objet de travaux du Congrès dès 2008 avec le rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond », de Danielle Langton commandé par le Congrès. Il ressort de cette étude que les Etats-Unis ont pour l’heure des relations commerciales très ciblées avec l’Afrique dans la mesure ils constituent le premier importateur de pétrole Africain (soit 30% des exportations du continent). Le secteur des hydrocarbures est le principal gisement d’investissement avec des consortiums tels que Anadarko au Liberia. 

Si le président Obama n’a pas clairement affiché son intention de concurrencer le phénomène de Chinafrique, son volontarisme témoigne d’une véritable stratégie de positionnement des Etats-Unis en Afrique subsaharienne. Le plan d’investissement annoncé ainsi que la prochaine réforme de l’AGOA pourraient permettre aux Américains de gagner de nouveaux marchés en Afrique et de concurrencer les partenariats commerciaux établis par l’Europe.

L’Afrique subsaharienne, quant à elle, gagnerait à négocier des accords préférentiels dans les branches où son avantage comparatif est pour l’instant peu compétitif et menacé, à l’instar du textile qui subit la concurrence asiatique et peine à s’exporter. En demeurant dépendant des seules exportations pétrolières vers les Etats-Unis, le continent prend le risque de voir sa balance commerciale se dégrader au gré des variations du baril de pétrole tout au long de l’année 2015. L’exemple de Madagascar qui a mis l’accent sur les exportations de l’industrie textile depuis sa réintégration dans l’AGOA depuis décembre 2014, est éloquent. Ainsi, selon Robert Yamate, l’ambassadeur américain, qui s’est exprimé le 3 mars 2015 lors d’une rencontre avec le ministre de l’Industrie et du développement du secteur privé, Narson Rafidimanana ; les exportations en textile de Mada­gascar vers les États-Unis s’élèvent depuis décembre 2014 à un million de dollars et elles ne devraient cesser de croître.

Daphnée Sétondji

Références 

U.S. Trade with sub-Saharan Africa, January-December 2014

« L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, par Assiatou Diallo

Danielle Langton. Rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond ».

6ème Forum International sur le Green Business. Pointe-Noire, 19-21 mai 2015.

L’Afrique des idées continue son engagement responsable et s’associe une nouvelle fois à la Chambre de Commerce de Pointe-Noire pour promouvoir l’économie verte !

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En 2014 l’Afrique des idées a noué un partenariat avec les organisateurs du Forum International Green Business. Nous avions publié en amont du forum plusieurs articles ainsi qu’une note de synthèse relatifs au thème de l’édition contribuant significativement aux débats.

Ce partenariat fructueux se poursuit. Les thèmes des tables rondes et ateliers de cette 6e édition du forum feront également l’objet de plusieurs publications d’ici à la mi-mai 2015.

Autour de la question de l’investissement dans l’économie verte, plusieurs sujets seront traités: rôle de l’Etat dans le financement de cette économie, cadres règlementaires incitatifs, financements innovants, économie politique, tourisme durable, initiatives responsables et même relation entre tradition, religion et économie verte… Les articles seront étiquetés sur le site du mot clé "forum green business". Ils feront l’objet d’une note de synthèse qui sera distribuée aux participants du forum.

Le Forum International sur le Green Business est un évènement pionnier sur le continent, organisé par la chambre de commerce, d'industrie, d'agriculture et des métiers de Pointe-Noire, le gouvernement congolais ainsi que la CEEAC (Communauté économique des États d'Afrique centrale).

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Investir dans l'économie verte en Afrique centrale pour inventer demain: le cas de l'économie du reboisement au Congo", le thème de cette 6e édition s’inscrit dans la dynamique enclenchée lors des années précédentes avec plus de 500 participants attendus. Des partenaires techniques, financiers, des décideurs politiques ainsi que des porteurs de projets échangeront et décrypteront les enjeux de cette économie, relais de croissance d'avenir en examinant les mécanismes les plus innovants et les mieux adaptés aux besoins des projets verts.

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