Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme (2)

La principale critique que l’on puisse adresser à l’afro-pessimisme est son fatalisme. L’Afrique serait incapable de valoriser ses ressources humaines à venir. Les taux de croissance élevés des pays émergents s’expliquent avant tout par la réallocation du facteur travail – la main d’œuvre – de l’économie du secteur primaire ou de l’économie informelle d’autosubsistance vers le secteur secondaire et tertiaire, à forte valeur ajoutée. Selon les afro-pessimistes, l’Afrique serait incapable d’une telle réallocation de sa main-d’œuvre.  Alors que l’histoire récente nous offre des exemples d’une telle réussite ailleurs dans le monde, quel est l’argument qui expliquerait que l’Afrique ne puisse y arriver ? Un biais culturel ? Des institutions irrémédiablement faibles et des politiques intrinsèquement corrompus ?

L'afro-pessimisme, un discours du courant des catastrophistes et angoissés du nouveau millénaire

Il est important à cet égard d’analyser les ressorts psychologiques et idéologiques qui animent l’afro-pessimisme et l’afro-optimisme. L’afro-pessimisme s’inscrit bien sûr dans la tendance longue d’une certaine forme de paternalisme occidental, l’équation démographie galopante et non résilience du tissu économique ne servant qu’à envelopper poliment un regard culturaliste dépréciateur sur les Africains qui ne seraient « pas encore entrés dans l’Histoire »[1]  pour certains, qui seraient tout simplement une race inférieure pour d’autre. Mais l’afro-pessimisme, tel qu’il s’énonce notamment en Europe à partir des années 1990, présente aussi une grande nouveauté par rapport à cette tradition, et n’en est parfois pas même issu. Ce discours s’inscrit aussi aujourd'hui dans le courant des catastrophistes et angoissés du nouveau millénaire. La dérive sécuritaire et les politiques anti-immigrés des démocraties du monde développé en sont quelques-uns des symptômes. Le monde court à sa perte : développement des virus transfrontaliers, réchauffement climatique et catastrophes naturelles, choc des cultures et des civilisations, prolifération du terrorisme, menaces contre l’identité et les valeurs de l’Occident. Dans cette vision, l’Afrique serait le chaudron de toutes ces catastrophes : une masse d’affamés du Sud qui cherchent à tout prix un avenir meilleur au Nord qu’ils mettent en danger ; des gens culturellement différents qui attisent les peurs et la violence, bref, une menace directe ou indirecte au modèle Occidental. L’afro-pessimisme découle en partie du sentiment d’assiégé et de déclin qui se propage chez certains groupes d’opinion en Europe et en Amérique du Nord.  Il appelle à un interventionnisme occidental : il faut aider les Africains qui courent à leur perte, incapables qu’ils sont de se prendre en main tout seul, et qui risquent en plus de nous entraîner avec eux dans leur abysse de problèmes. Cet interventionnisme afro-pessimiste peut se parer des mêmes atours de bons sentiments et de réelle bonne volonté qui caractérisait en son temps la mission civilisatrice des puissances coloniales. Il débouche parfois même sur des initiatives louables, sous la forme d’appels à l’aide au développement ou à l’aide humanitaire d’urgence. 

Les Africains désillusionnés rejoignent les rangs des afro-pessimistes

Il serait toutefois extrêmement réducteur d’affirmer que l’afro-pessimisme soit l’apanage des non-Africains, des Occidentaux. En effet, nombre d’Africains sont des afro-pessimistes. Cinquante années de désillusions ont nourri ce sentiment chez beaucoup d’enfants du continent noir. Le bouc-émissaire habituel est trouvé en la personne des élites africaines : corrompues, non patriotiques, asservies à l’Occident, elles seraient les principales fossoyeurs de l’Afrique postcoloniale. Le problème est que ce constat ne s’applique pas seulement au personnel politique au pouvoir, mais affecte également l’opposition, les milieux d’affaires, les intellectuels, et par extension toute personne qui sort du lot et qui pour cette raison est suspecte. Tous corrompus, tous pourris ! Et ceux qui ne le sont pas, c’est juste parce qu’ils n’en auraient pas eu l’occasion… Les afro-pessimistes du continent ne croient pas en eux et aux Africains. Beaucoup se sont également réappropriés des clichés culturels comme celui sur l’indolence supposée des Africains par rapport aux Chinois. Mais la principale source de l’afro-pessimisme reste l’incompréhension de la situation actuelle, des facteurs explicatifs du « sous-développement » africain et des moyens à mettre en œuvre pour restaurer une fierté et une puissance sur la scène internationale que chacun caresse secrètement. Les mécanismes de la Modernité du système socio-économique dans lequel nous vivons échappent à la plupart des habitants du continent qui, faute d’explications et de discours prospectifs clairs, peuvent éventuellement s’enfermer dans le pessimisme et la prostration. 

L'afro-optimisme, discours des marchés

Le discours de l’afro-optimisme, notamment dans sa variante actuelle sur l’ « émergence » de l’Afrique, est quant à lui un discours des marchés financiers et des classes entrepreneuriales, un discours d’auto-persuasion, destiné à susciter la confiance, et notamment celle des investisseurs. Le problème de ce discours est qu’il est aveugle à beaucoup trop d’éléments qui constituent la réalité africaine. Ainsi de la déconnexion croissante entre d’une part une infime partie de la société, connectée au système financier et économique mondialisé, qui bénéficie des facilités d’accès aux financements, de déplacement des biens et des personnes ; et d’autre part l’écrasante majorité de la population qui reste dans une économie d’autosubsistance précapitaliste, ou même de la catégorie basse de la classe moyenne, celle des fonctionnaires d’Etat et des petits employés, qui vivent avec de faibles salaires souvent irréguliers, et dont le quotidien est fait de débrouilles et autres combines pour assurer le mode de vie de leur statut social semi-privilégié.

Aveuglement aussi sur les lacunes d’un agrégat comme la croissance moyenne des pays africains, qui cache d’énormes disparités entre les taux de croissance des pays exportateurs de pétrole et de gaz (Angola, 20% de croissance du PIB en 2007) et des pays en crise comm le Zimbabwe (contraction de -6,9% du PIB en 2007). Aveuglement sur l’impact social extrêmement faible de ces taux de croissance élevés quand ils existent : la situation sociale en Angola, en Guinée-Equatoriale ou en Tunisie est à ce titre très parlante. De plus, la plupart des économies qualifiées d’émergentes en Afrique[2] ne sont pas des économies diversifiées et sont donc à la merci de tout retournement du marché sur lequel s’appuient leurs exportations.

L'aveuglement de l'afro-optimisme face à la dégradation sociale

Le problème de l’afro-optimisme est qu’il s’extasie devant des moyens (l’accès aux capitaux en Afrique, le renforcement relatif des institutions politiques et économiques) qui ne servent pourtant pas encore à répondre aux fins légitimes attendues par les populations africaines : assurer du travail au plus grand nombre, assurer les conditions minimales du bien-être de tous. L’Afrique est encore bien loin d’approcher ces objectifs, et n’en prend pas forcément la direction. Les inégalités se creusent de manière alarmante au sein des populations africaines, le gap générationnel s’exacerbe entre la jeunesse du continent, qui constitue la majorité de sa population, se définit par ses références syncrétiques, ses aspirations au consumérisme et au confort, et est confrontée à une réalité sociale faite de chômage de masse et de sphère publique et politique fermée, avec des autorités sociales, économiques et politiques composées essentiellement par les générations précédentes, qui remontent parfois aux tous premiers temps de l’époque postcolonial, comme c’est le cas dans l’Algérie de Bouteflika ou du Zimbabwe de Mugabe. L’Afrique est traversée par des tensions endogènes aux prolongements et aux effets aujourd’hui inconnus. L’afro-optimisme couvre d’un voile impudique ces enjeux.

Enfin, à la racine même de ce discours, ce qui gêne est son présupposé idéologique sur les effets quasiment linéaires et positifs du développement économique dans la mondialisation libérale, pour peu qu’on en accepte les règles du jeu. Certes, diront certains, malgré de forts taux de croissance, il y a toujours trop de pauvres en Afrique. Mais, tout d’abord, leur part relative par rapport au reste de la population a baissé et, ensuite, nous n’en sommes qu’aux premières heures de l’effet de rattrapage. Car la richesse produite actuellement finira par profiter au plus grand nombre ; cela prendra peut-être cent ans comme en Europe occidentale, mais cela adviendra tôt ou tard. Après l’émergence viendra la convergence.
Ce discours libéral, en plus d’être simpliste à l’extrême, dangereux socialement, est aussi contre-productif économiquement en proposant l’extraversion de l’économie africaine, réduite au statut d’eldorado du retour sur investissement pour capitaux étrangers. Si l’Afrique souhaite réellement se réapproprier les règles du jeu du capitalisme en particulier et de la Modernité en général, il faudra que son développement soit endogène, s’appuie sur la mobilisation de ses propres ressources, résorbe ses propres tensions internes. Cette mobilisation n’a rien d’évident mais n’est pas impossible.

Emmanuel Leroueil

[1] : Discours de Dakar de Nicolas Sarkozy

[2] : le cabinet de conseil BCG a publié une étude qui répertorie comme économies africaines émergentes l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Botswana,  l’Egypte, l’île Maurice, la Lybie, le Maroc et la Tunisie.

Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme (1)

En ce début de XXI° siècle, la situation du continent africain et de sa population suscite des débats passionnés et controversés. Schématiquement, les discours se structurent autour de deux pôles : les « afro-pessimistes » et les « afro-optimistes ». Les premiers posent une équation imparable : la démographie africaine est en plein boom, la population devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre entre 1,8 à 2 milliards d’habitants. Les économies africaines, très faiblement industrialisées, seront incapables d’accueillir cette nouvelle masse d’arrivants sur le marché du travail et les taux de chômage, déjà très fortement élevés, vont exploser.

L’Afrique du XX° siècle a déjà connu une urbanisation sans industrialisation. A la différence de l’Europe, l’exode rural ne s’est pas accompagné de la modernisation de l’agriculture et d’emplois industriels dans les villes à même d’intégrer au tissu économique les nouveaux arrivants. De plus, l’échappatoire de l’émigration vers de « nouvelles frontières » s’est bloqué pour les Africains de la seconde moitié du XX° siècle ; les visas coûtent chers et s’obtiennent difficilement,  l’émigration clandestine se fait souvent au péril de sa vie. L’exode rural débouche donc en Afrique vers les bidonvilles autour des mégapoles et grandes villes, une population qui continue à vivre dans une économie d’autosubsistance par de petites activités de commerce ou de service dans le marché au noir, dans des conditions d’habitat souvent indignes et problématiques au niveau sanitaire, alimentaire, éducatif et tout simplement logistique (manque d’électricité). En 2010, sur les 400 millions de citadins  estimés en Afrique, 60% vivraient dans des logements insalubres.

A cette urbanisation chaotique de l’Afrique s’ajoute une agriculture qui s’est très peu modernisée. A côté d’exploitations tournées vers l’exportation qui se caractérisent par une faible productivité et une spécialisation sur des produits agricoles souvent peu rémunérés et soumis à une concurrence inégale des produits du Nord, une très importante portion de la population continue à vivre d’une agriculture d’autosubsistance. Les afro-pessimistes soulignent également les conséquences du réchauffement climatique en Afrique, qui va considérablement handicaper les plans d’autosuffisance alimentaire. Le manque d’eau se fera beaucoup plus pressant dans la région sahélienne et certains prédisent déjà d’importantes migrations de population dans cette zone où les paysans risquent de ne plus pouvoir vivre de leur terre.

La vision d’avenir des « afro-pessimistes » est donc que ces problèmes se poseront bientôt à la puissance 2. Des mégapoles ingérables où prolifèreront les problèmes de santé publique comme le choléra ou les problèmes de pollution, une masse de jeunes désœuvrés radicalisés qui sera un terreau favorable pour toutes les formes d’extrémisme, une agriculture incapable de répondre aux besoins d’alimentation de sa population, ce qui débouchera sur des famines renouvelées, une balance commerciale déficitaire pour la plupart des économies nationales, des besoins en financement sans fin. Le cercle vicieux de la dette, de l’appauvrissement et du sous-développement ne serait donc pas prêt de se terminer pour le continent africain. A ce tableau noir s’ajoute l’absence criante de leadership en Afrique, la corruption endémique, bref, un environnement institutionnel faible et parasite qui ne serait pas prêt de changer dans les années à venir.

La vision d’avenir des « afro-optimistes » est différente à bien des égards. Ces derniers s’appuient principalement sur le retour de la croissance en Afrique, autour de 3% en moyenne durant la décennie 2000-2010[1], sur la constitution d’une classe moyenne à pouvoir d’achat élevé et au consumérisme affirmé, pour diagnostiquer les signaux « d’émergence » de nombre d’économies africaines. Plusieurs pays, les « lions de l’Afrique », seraient appelés à suivre les glorieuses traces de la Chine, de l’Inde ou du Brésil. L’Afrique serait le futur relais de croissance de l’économie mondiale, un marché potentiel énorme pour les produits des grandes multinationales comme en témoigne le succès inattendu du secteur des télécoms. Alors que les pays développés vont bientôt faire face à une équation démographique très compliquée où la part des inactifs par rapport aux actifs va fortement augmenter, équation qui se posera d’ailleurs également pour des pays émergents comme la Chine, la vitalité démographique africaine serait son meilleur atout pour l’avenir. Les taux de scolarisation y ont fortement augmenté, une classe moyenne supérieure se forme aux meilleures écoles occidentales, le marché du travail africain devrait donc être le principal vivier en ressources humaines des années à venir. D’aucuns prédisent qu’après l’Asie, c’est à l’Afrique que profiteront les délocalisations d’industrie dans notre économie mondialisée, de même que la délocalisation de services. Enfin, ajoutent-ils, l’Afrique part de tellement bas qu’elle ne peut que rattraper ses concurrents dans l’économie-monde. Bien que rassemblant 12% de la population mondiale, le continent africain ne représente actuellement que 1% du PIB mondial et 2% du commerce international. Dans la conception téléologique de la mondialisation libérale, l’Afrique ne peut que rattraper son retard.

Ce discours a connu un certain engouement durant les années 2000. Trois facteurs, à mi-chemin entre le conjoncturel et le structurel, ont apporté de l’eau à ce moulin. Tout d’abord, la croissance phénoménale des investissements étrangers privés en Afrique. Ensuite, la hausse des prix des matières premières, qu’il s’agisse des ressources minières, pétrolières ou gazières du sous-sol africain ou des produits agricoles qui constituent l’essentiel des exportations de nombre de ces pays. Même si les prix de certaines de ces matières premières s’est infléchi ces dernières années, l’analyse structurelle qui part de l’hypothèse de l’augmentation constante de la demande mondiale tirée par les grands pays émergents, et notamment la Chine, induisant une hausse à moyen terme du prix de ces matières premières, reste globalement recevable. Enfin, le dernier argument des années 2000 ayant suscité la vague d’afro-optimisme est celui des progrès de la démocratie en Afrique, de la maturation du processus de « state-building » par rapport aux décennies précédentes. De nombreuses alternances politiques (Sénégal, Ghana, Libéria, Bénin) ont illustré ce mouvement. Les coups d’Etat militaire ne sont plus la voie royale pour renverser un gouvernement. La communauté internationale, et notamment l’Union africaine, a fait peser des contraintes qui ont poussé les militaires putschistes a rendre le pouvoir aux civils aux termes d’élections plus ou moins neutres. L’exemple isolé d’Amadou Toumani Touré au Mali en 1991 s’est répété en Guinée Conakry en 2010 et au Niger en 2011. Les nombreux démêlés électoraux de la fin de la décennie 2000, ceux du Kenya en 2008 ou de la Côte d’Ivoire en 2010, ne seraient que les symptômes de la maturation du champ politique africain, les pratiques de bourrage d’urnes, d’élections trafiquées, ne passant plus comme lettre à la poste.

Bien que chacun de ces deux types de discours comporte une part de vérités, aucun d’eux n’est vraiment satisfaisant. (à suivre)

 

Emmanuel Leroueil

 


[1] : Bien que faible en tant que tel pour une économie en voie de développement, cette moyenne de 3% de croissance est supérieure à la moyenne mondiale sur la décennie 2000-2010, ce qui constitue une nouveauté pour l’Afrique dont la croissance était auparavant inférieure à la croissance mondiale.

Mademba Ndiaye, chargé de communication principal du Bureau de la Banque mondiale (Sénégal, Guinée, Guinée-Bissau, Cap-Vert, Gambie)

Monsieur Ndiaye, pourriez- vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Mademba Ndiaye, nom traditionnel courant au Sénégal. J’ai fait un parcours que ne font plus beaucoup d’enfants aujourd’hui. Je n’ai fréquenté que l’école publique, ce qui témoigne d’une certaine évaluation du niveau de notre système éducatif. Après un bac lettre, j’ai eu des problèmes d’orientation. Nous étions en 1976, je voulais faire de la sociologie, mais, sur instruction du Président Senghor, ce département était fermé suite aux événements de 1968 ; j’ai donc fait de la philosophie. Je ne me voyais cependant pas faire de l’enseignement, ne me sentant pas la vocation pour un métier aussi sérieux, surtout pour une discipline qui ne s’enseigne qu’en Terminales.

Ma réorientation a eu pour origine mon désir de faire un travail sur la communication dans les empires ouest-africains. J’étais assez impressionné par l’empire du Wasulu de Samory Touré. Comment une entité de cette dimension pouvait-elle se déplacer en gardant intacte ses structures ? J’avais le pressentiment que cela n’était possible qu’à travers un système de communication qui maintenait une cohésion dans l’empire, ce qui permettait des déplacements physiques sans déstructuration des institutions. Je voulais faire une thèse de communication sur cela : comment la communication a pu empêcher la déstructuration d’un empire qui bouge géographiquement. Je me suis donc orienté vers la communication. Je me suis inscrit au département d’histoire et au CESTI, école de communication de l’Université de Dakar. Mon ambition initiale était d’avoir les concepts nécessaires en communication pour travailler sur ma thèse sérieusement. Il s’est avéré que le CESTI était (et est toujours) aussi une école de journalisme, et que j’ai mordu à l’appât.

A la sortie, j’ai été employé par Abdoulaye Wade (ndlr : devenu président du Sénégal) qui voulait sortir un journal indépendant. Nous étions en 1982-1983 et ce journal s’appelait « Takussan ». Je suis ensuite allé travailler à l’agence de presse sénégalaise puis à « Walf Fadjiri » (ndlr : quotidien sénégalais de référence) où  je faisais de l’info politique. Je suis également membre fondateur de Sud-communication, même si je n’ai jamais vraiment travaillé dans le groupe. J’ai ensuite été appelé par le président Abdou Diouf pour être membre de l’Observatoire national des élections (ONEL) en 1998. A partir de là, je suis sorti du journalisme pour intégrer USAID, puis le PNUD et enfin la Banque mondiale comme spécialiste de la communication.

Je dois dire que pendant ma carrière de journaliste, j’ai dirigé le syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Senegal (SYNPICS) et l’Union des journalistes de l’Afrique de l’Ouest (UJAO) et j’ai été délégué pour l’Afrique de la Fédération internationale des journalistes. J’ai été très  préoccupé par les questions éthiques et de déontologie, et j’ai participé à l’élaboration des lois sur la presse au Mali, Niger et au Sénégal, ce qui m’a permis de me confronter aux Etats, surtout avec des procureurs, pour défendre à la fois la liberté de la presse et la vie privée des citoyens. Depuis 2004, je suis à la Banque Mondiale comme responsable  de la communication pour le bureau de Dakar qui couvre cinq pays.

La Banque mondiale n’a pas vraiment bonne presse ; comment analysez-vous l’impact de son action, notamment en Afrique ?

Il y a, je dirais, une Banque mondiale in abstracto, et une Banque mondiale in concreto. La Banque mondiale in abstracto, c’est celle qui se trouve dans la tête de certaines personnes, celle qui se serait arrêtée aux ajustements structurels. Cette idée ne reflète plus la réalité de la Banque mondiale aujourd’hui. Durant la période des ajustements structurels, toutes les politiques publiques étaient dictées par la Banque mondiale et le FMI. Aujourd’hui, elle fait sans doute encore des choses critiquables. Mais ce qu’il faut d’abord dire, c’est que la Banque mondiale (BM) n’est pas l’institution qui va développer les pays africains, c’est une responsabilité qui incombe aux gouvernements. Ses financements représentent moins de 1% du budget de ces Etats ; donc ce n’est pas elle le chauffeur aujourd’hui.

La BM travaille beaucoup avec les sociétés civiles aujourd’hui. Par exemple, la principale entité qui organise le Forum Social Mondial à Dakar qui justifie votre présence, Enda-Tiers monde, travaille avec la Banque mondiale, pour qui elle joue son rôle d’ONG pour défendre les populations affectées par le projet d’autoroute à péage que la Banque mondiale finance en partie. Nous avons donc beaucoup développé les relations avec les ONG et la société civile, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Il y a un forum spécifique au sein de la BM pour réunir ces ONG et dialoguer avec elles. Elles sont incontournables pour que les dirigeants rendent compte, et cela nous permet de mieux mesurer les problèmes de gouvernance dans les pays où nous intervenons. 

In concreto, on ne fait plus d’ajustements structurels depuis très longtemps. L’argent que nous mettons au Sénégal va dans la santé, l’éducation, les infrastructures, les restructurations urbaines, pour que les gens vivent dans des conditions meilleures. C’est cela que nous essayons de mettre en œuvre, nous encourageons les Etats à avoir des documents de politiques sociales, et c’est dans ce cadre que nous les aidons dans leur financement. Nous essayons d’appeler d’autres partenaires pour financer ces investissements. Par exemple, sur un projet d’autoroute au Sénégal actuellement, sur une enveloppe de 600 milliards de CFA, la BM vient avec 80 milliards, mais nous avons attiré la Banque Africaine de Développement, l’Agence Française de Développement, et donné confiance à la société Eiffage pour s’engager aussi dans le projet. Ces changements se sont ressentis à l’intérieur même de l’organisation et du personnel de la BM. Nous sommes passés d’une banque d’ingénieurs, à une banque où on retrouve aussi des journalistes, économistes, spécialistes des questions sociales, ce qui lui donne une dimension humaine beaucoup plus importante et beaucoup plus centrée sur le règlement des questions sociales.

Comment s’est passée votre transition entre le métier de journaliste et celui de communicant ?

Cela n’a pas été facile. Le journalisme a ses règles et c’est un travail très valorisant. Dans le domaine de la communication, ces valeurs journalistiques peuvent toujours exister en nous mais on a en perspective la réputation de l’institution que l’on sert. C’est un peu cela la difficulté au départ, parce que l’institution a des règles et des procédures qui vont parfois à l’encontre même du journalisme. Il est heureux que cela nous permette de mettre de l’info aux journalistes pour les appuyer dans leur travail. La mise à disposition libre des bases de données de la Banque mondiale a ainsi beaucoup aidé les journalistes. Même durant le Forum Social Mondial, quand les gens attaquent la banque, ils utilisent les données de la banque !

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes africains ?

Bien faire leurs études. Le capital humain, c’est la principale richesse d’un pays. Un pays ne peut pas réussir sans des jeunes bien formés. C’est la responsabilité individuelle des jeunes d’acquérir les connaissances les plus récentes et les plus pointues dans leur domaine. On n’a pas le droit d’être mauvais, on n’a pas le droit de voir petit. Il faut voir grand en se disant que « mon but n’est pas tant de revenir, mais de participer au progrès du pays, du continent et du monde ». Il ne faut pas accepter de s’enferrer dans un nationalisme étroit qui ne permet pas de se rendre compte que le développement de l’humanité est de la responsabilité de chacun. C’est pour cela qu’il ne faut pas avoir peur de faire des études qui n’auraient pas d’application directe dans son pays d’origine. Il n’y a aucun complexe à faire ce genre d’études. Il faut se dire nous devons être les meilleurs dans ce que nous faisons, au même titre que les américains et asiatiques.

Il y a bien sûr le problème du retour au pays pour ceux qui ont fait leurs études à l’étranger. Cependant, on peut parfaitement être à Dakar et être déconnecté du Sénégal. La présence physique, aujourd’hui dans ce monde avec les nouvelles technologies, n’est pas la chose la plus importante. La chose la plus importante est de contribuer au rayonnement de son pays là où l’on est ; c’est dans ce monde global que l’on doit faire son chemin. Une telle démarche d’esprit va apporter du progrès au monde et au Sénégal. Il faut avoir cette volonté d’être dans le monde et de contribuer à l’avancement du monde.

Il faut dire aussi qu’il y a  un manque d’orientation qui conduit certains jeunes dans des études qui les mènent à des impasses. On ne peut pas faire 1000 étudiants en marketing. Il faut encourager des filières très précises et faire en sorte qu’ils y réussissent. Il faut que les filières scientifiques et techniques soient valorisées, tout en maintenant des études littéraires de qualité, au lieu de faire des Facultés de lettres et de sciences humaines des fourre-tout. Enfin, il y a des problèmes d’infrastructure aussi : dans une université de 70 000 étudiants conçue pour 20 000 étudiants, il est difficile de faire dans la qualité. Il faut donc faire des réformes partagées avec la communauté éducative au sens large, pour que le gosse puisse entrer dans des structures de formation de qualité lui permettant, plus tard de réussir dans un monde très compétitif.

Des jeunes comme vous qui ne sont pas là physiquement, mais qui sont là où se fait le progrès scientifique, et qui participent à ce mouvement de pensée, c’est capital. Cela revivifie la pensée africaine, et cela permet de prendre le leadership dans la pensée. C’est les gens de votre génération qui sont en train de faire faire les avancées les plus importantes. Bill Gates, il y a 20 ans, c’était un gosse. Et pourtant il avait la capacité de changer le monde. Il faut libérer la parole et l’énergie des jeunes pour pouvoir dire le monde comme ils voient le monde. Un site comme le vôtre, Terangaweb, pourrait être un creuset où se fait ce changement, ce qui est capital pour l’Afrique.

Interview réalisée par Emmanuel Leroueil

René NGIRIYE, jeune exploitant agricole au Sénégal

René, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai 33 ans, je suis sénégalais d’origine burundaise. Je suis né et j’ai grandi au Sénégal, que j’ai juste quitté pour entamer des études supérieures en Belgique de Chimie et Bioindustrie. Aujourd’hui, je suis associé dans une PME de production et d’exportation de fruits et légumes.

Est-ce que tu pourrais nous parler de ton expérience de jeune entrepreneur ?

Je me suis lancé dans l’agro afin d’assouvir une vieille passion pour la terre… Il s’agissait de savoir où et comment. J’avais vu une opportunité à l’époque avec deux produits phares, le melon pour l’exportation et la tomate pour le marché domestique. Je me suis jeté dans l’aventure en 2002, un véritable saut dans l’inconnu,  je ne saisissais ni le secteur ni les contraintes du métier. Ma formation me donnait néanmoins une pleine maîtrise des intrants chimiques (produits phytosanitaires et engrais). Avec l’aide de mon partenaire, on s’est procuré 6 hectares dans la vallée du fleuve Sénégal. Aujourd’hui, nous en sommes à presque 100. 

Tes débuts ont-ils été plutôt faciles ou plutôt difficiles ?

Ils ont été plutôt pénibles, pour deux raisons : d’un point de vue agronomique, nos premières terres n’étaient pas du tout favorables à la culture du melon ; et sur un plan commercial, nous  ne connaissions pas du tout le marché des fruits et légumes. Résultat des courses : des rendements médiocres et de grosses difficultés à écouler nos marchandises. Cela nous a pris deux ans pour maîtriser les techniques culturales et les ficelles du marché.

Est-ce que tu  pourrais nous expliquer le modèle d’organisation de ton entreprise de la production à la vente ?

Nous produisons en moyenne une dizaine de tonnes de produits agricoles par jour qui sont récoltées avant 13 heures pour des raisons techniques. Le lendemain, les produits sont acheminés sur les principaux marchés de Dakar, pour une mise en place dès l’aube. Le gros de nos ventes s’effectue dans les premières heures de la matinée.

Dès le début, le principal défi a été de maîtriser toute la chaîne de valeur (production, transport et distribution) pour avoir le plein contrôle sur les prix. Pour ce faire, je vends à une vingtaine d’intermédiaires semi-grossistes, des femmes originaires des zones avoisinant notre exploitation, qui elles-mêmes revendent à une centaine de détaillants. Ces semi-grossistes prennent une marge prédéterminée qui oscille entre 3 et 15% du prix consommateur, sachant qu’une vendeuse douée vend en moyenne 200 kilos/jour. Nous ne traitons qu’avec elles, ce qui permet d’éviter les impayés chez les détaillants ; concrètement, ce sont elles qui supportent ce risque et elles s’engagent à payer la quantité livrée au plus tard 24h après réception, quoi qu’il arrive et même à perte. En tant que producteur, je tiens à dicter mes prix pour éviter tout abus chez les distributeurs.

Est-ce que cela a été difficile pour toi de pénétrer ces marchés ?

Comme la plupart des marchés, celui de la tomate est historiquement tenu par un cartel. Au départ, je n’ai pas réussi à vendre aux grossistes au prix souhaité. J’ai du rentrer dans un rapport de force avec eux qui m’a obligé à casser les prix et vendre à mon prix de revient pendant quelques semaines, le bon vieux dumping. Conséquence immédiate, le marche fut perturbé et les acteurs de la filière sont revenus à de meilleurs sentiments. Ce clash a permis de rebattre les cartes et de me positionner en leader.

Concernant le melon, les enjeux étaient tout autres. Il s’agissait surtout d’avoir un produit de qualité parce que la clientèle est plus exigeante (constituée d’expatriés et de la classe moyenne supérieure). Au début, il fallait se différencier des rares concurrents dont le produit était plutôt médiocre et à très bas prix. En entrant sur le marché, on a dû s’aligner sur les prix en cours mais avec un produit de meilleure qualité. Cependant, voyant que les clients ne distinguaient pas notre produit, on a utilisé un facteur de différenciation, l’étiquetage. Il s’en est suivie une hausse sensible de nos ventes et vu nos coûts de production, il nous a fallu augmenter nos prix qui atteignent aujourd’hui trois fois le prix de départ.

Qu’est ce qui t’a rendu le plus fier dans ton projet entrepreneurial ?

L’idée de recruter et d’embaucher une population rurale et, par effet de levier, de créer un pouvoir d’achat dans une partie de la population absente des statistiques économiques, reste une des mes plus grandes satisfactions. Aujourd’hui, nous embauchons environ 200 personnes en pleine saison, dont la plupart viennent des villages alentours de nos zones de production, auxquelles il faut rajouter la vingtaine d’intermédiaires qui vivent principalement des produits que nous commercialisons. Auparavant, elles achetaient bord champ, payaient comptant, récoltaient elles-mêmes -ou avec l’aide de proches-, transportaient à leurs frais les produits qu’elles commercialisaient le lendemain. D’ou les maigres marges et surtout les soucis de santé… Malheureusement, en contre-saison, et pour la mangue, elles en reviennent à ce système. En livrant au marché, nous leur avons enlevé une sérieuse épine du pied et une relation privilégiée s’est instaurée au fil des années. Une fête est même organisée chaque fin de campagne au cours de laquelle des primes leur sont reversées au prorata de leur chiffre d’affaires. C’est une innovation managériale sans autre pareil dans ce secteur.

Par ailleurs, une vraie économie informelle s’est greffée autour de notre activité ; allant de la manutention à la restauration de nos équipes.

En tant que jeune exploitant agricole, que penses-tu de la situation agricole au Sénégal en particulier et en Afrique de manière générale ?

Une catastrophe ! On n’a toujours pas compris que la priorité devait revenir à l’autosuffisance alimentaire. Toutes nos politiques devraient se concentrer sur les besoins fondamentaux de toute société: l’énergie, l’alimentation, etc. Les autorités n’ont pas encore pris la mesure des ravages des importations au Sénégal, qui je suppose arrangent un microcosme politico-économique. Prenons le riz par exemple, la majeure partie de la population reste habituée au riz asiatique importé; conséquence immédiate : le riz produit localement a du mal à s’écouler. Contrairement à ce que l’on pense, le handicap de notre riz n’est pas le prix, qui reste compétitif, mais le goût auquel les populations ne sont pas encore accoutumées: le Sénégalais moyen préfère consommer vietnamien parce qu’il a toujours été habitué à cela. Là où l’Etat pourrait intervenir, c’est de réduire la part de riz importé et par ce biais imposer le riz local. Il lui faut avant tout mettre en place des politiques incitatrices et surtout protéger les entrepreneurs locaux.

Autre enjeu majeur, la maîtrise de la technique. Les exploitations agricoles doivent se regrouper et se moderniser : achats de matériel, techniques d’irrigation moderne, exploitation raisonnée de l’eau pour une agriculture durable.

Pour le reste, l’intégration africaine en est à ses balbutiements. Si seulement les grands producteurs africains (Zimbabwe) vendaient à prix préférentiels aux autres pays moins gâtes par la nature (Niger), une large part des problèmes alimentaires seraient réglés… Mais là, c’est le doux rêveur en moi qui parle.

Quel conseil ou quel message donnerais-tu à un jeune africain qui serait intéressé par l’agriculture ?

Lance-toi et saisis ton risque.

 

Interview réalisée par Emmanuel Leroueil

« Au Burkina, la pauvreté et le chômage s’accroissent alors que les immeubles poussent et les belles voitures circulent ».

  Interview avec Ismaël Compaoré, étudiant à l’université de Ouagadougou, écrivain en herbe et futur journaliste d’investigation.

Bonjour Ismaël, pourrais-tu te présenter aux lecteurs de Terangaweb ?

Je me nomme Ismaël Compaoré, je suis étudiant en deuxième année d’études  philosophiques à l’université de Ouagadougou .Je suis également écrivain en herbe. J’ai vingt-trois ans et j’habite à Ouagadougou. Je suis par ailleurs militant dans une association de la société civile Burkinabé  dénommée le « Mouvement des Sans Voix – Burkina Faso ».

Pourrais-tu nous parler plus précisément de cette association ?

Le Mouvement des Sans Voix est une association de lutte de base qui mène concrètement des luttes sur le terrain pour l’émancipation des masses et surtout des laissés-pour-compte au Burkina. Avec comme devise «  Rien que les droits des peuples », le MSV-BF repose sur quatre principes fondamentaux :

 Informer et former les citoyens sur leurs droits et devoirs pour une prise de conscience collective et participative ;

 Défendre et faire réaliser les droits légitimes du citoyen ;

 Dénoncer et combattre les pratiques antihumanistes de la mondialisation, de la globalisation, du capital financier international et du néocolonialisme ;

 Contribuer au développement socio-économique national à travers des actions concrètes et visibles.

Concernant nos activités concrètes, on peut citer entre autre les thés-débats, les ciné-débats sur des thèmes engagés et participatifs du genre « jeunesse et militantisme », «  quelles stratégies de luttes contre le capitalisme et l’impérialisme? », etc. Nous organisons également des conférences de presse et publiques, des marches et des meetings, etc. Nous travaillons aussi sur l’œuvre historique des résistants et des  martyrs Africains et de la diaspora tels que Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Samory Touré, Babemba Traoré, Martin Luther King, etc… et leur  héritage que nous essayons de faire connaître. Nous avons en outre organisé un colloque international en  2009 et un forum en 2010 et il ya la participation du MSV-BF à plusieurs forums nationaux, sous-régionaux et internationaux dont le plus récent fut le forum social mondial de Dakar.

Est-ce que tu pourrais nous parler de la vie étudiante à Ouagadougou ?

La vie de l’étudiant burkinabé n’est pas facile et est surtout parsemée d’obstacles. Mais on se débrouille tant bien que mal pour pouvoir joindre les deux bouts et survivre normalement. Nous faisons face à beaucoup de problèmes : il y a l’instabilité et la durée de l’année académique, le manque et/ou la saturation des amphithéâtres… et on caresse le secret espoir de voir l’université de Ouaga2 – actuellement en construction – s’ouvrir et  recevoir ses premiers étudiants et d’autres universités ouvertes dans d’autres régions du pays pour désengorger ceux déjà existant. Concernant les  allocations de l’Etat, les étudiants sont classés par catégories et par âge. Il ya les boursiers et les non-boursiers. Les bacheliers boursiers de moins de 24 ans bénéficient d’une aide de L’Etat de 150 000 mille francs CFA l’année. Les frais d’inscriptions à l’université s’élèvent à 15 000 francs CFA et il est très difficile pour les étudiants qui n’ont pas accès à cette aide de s’en sortir financièrement, et même pour ceux qui en reçoivent mais qui n’ont plus le soutien des parents. Il y a également des prêts de 200.000 FCFA l’année qui sont octroyés aux étudiants de plus de 24 ans.

Qu’est ce que tu aimerais faire plus tard ?

Passionné d’écriture, j’aimerai un jour en faire un métier. J’ai actuellement à mon actif deux manuscrits, un recueil de poèmes et un recueil de nouvelles, toujours en quête d’édition. Après mes études philosophiques, si tout va bien, j’aimerai faire des études en journalisme et plus particulièrement en journalisme d’investigation. Je pense qu’il y a  plein de dessous-de-table à faire apparaître au grand jour, pour que les vérités cachées soient enfin divulguées afin que la justice sociale ne soit plus un rêve. C’est cela qui m’inspire surtout dans le journalisme : tenter de rendre justice à travers les écrits, rendre le coupable coupable afin que chacun réponde à la hauteur de ses actes et apprenne à s’assumer. J’ai de l’estime et surtout beaucoup de considération pour un journaliste d’investigation Burkinabé très connu de part son engagement, sa dignité et son intégrité, assassiné le 13 décembre 1998 pour ce qu’il écrivait. J’ai nommé Norbert Zongo, qui disait dans une de ses phrases restée célèbre : « quand on a le courage de dire : tuer le ! Ayez le courage de dire : c’est moi qui ai dit de le tuer. »

Comment analyses-tu la situation de ton pays aujourd’hui ?

Concernant la situation politique au Burkina Faso, on a un vrai problème d’alternance politique. La pauvreté et le chômage s’accroissent alors que les immeubles poussent et les belles voitures circulent. Et pourtant,  le développement d’une nation doit se mesurer tant  au niveau social  qu’au niveau infrastructurel. S’il y a plus d’infrastructures luxueuses et que la population à la base dispose encore moins du minimum vital, tellement leur pouvoir d’achat est faible, on ne peut pas parler de développement. Le Burkina Faso figure parmi les pays les plus pauvres et les plus endettés de la planète. Mais des alternatives existent pour changer cet ordre des choses s’il ya une volonté politique. J’ai foi en ce que cela puisse changer un jour pour l’épanouissement et le bonheur  de tous. La situation de l’emploi est très compliquée, même si des efforts sont en train d’être faits et on espère que cela va continuer. Actuellement, pour un Burkinabé et surtout pour un jeune Burkinabé, il n’est pas chose facile de décrocher un emploi. La majorité des diplômés se focalise sur les concours de la fonction publique puisque c’est ce secteur qui recrute le plus. Mais avec les fraudes constatées presque chaque année lors du déroulement de ces concours et l’arrestation de quelques malfaiteurs, cela nous amène à nous poser de plus en plus de questions sur l’avenir de la jeunesse et sur l’emploi particulièrement. Le secteur privé comme dans la majorité des pays africains, recrute peu et le plus souvent on a des difficultés d’accès à l’information.  Le favoritisme existe aussi dans ce secteur, ce qui complique encore la tâche aux diplômés méritants.

Est-ce que tu es confiant en l’avenir ; ton avenir personnel et celui de ton pays ?

Ce dont je suis sûr, c’est que je ne peux plus vivre des situations psychologiques pires que les précédentes, car je pense avoir acquis une certaine maturité. Je suis un optimiste convaincu et je suis certain que l’avenir nous réserve plein de surprises agréables, si on sait bien sûr les distinguer et les saisir. Surtout si on fait usage de l’intégrité, du courage et de la détermination dont dispose chaque homme, on pourra déplacer des montagnes pour un développement exemplaire.

Quelles seraient tes solutions ou tes propositions pour le développement de l’Afrique ?

L’Afrique a besoin de gouvernements et de sociétés civiles intègres, dignes et responsables. Elle souffre surtout d’une  ingérence étrangère et de la balkanisation de ses frontières. Un affranchissement mental et une responsabilité collective sont donc nécessaires. L’Afrique doit savoir prendre le développement à sa source en commençant par  la mise en valeur du secteur agricole. On doit apprendre à exploiter nos marchés et pour les exploiter on doit encourager et subventionner les agriculteurs locaux, construire des usines pour favoriser la transformation sur place et enfin consommer ce que nous produisons. Comme le disait si bien Thomas Sankara «  produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons  ». L’exploitation des ressources naturelles africaines doit être assurée par des Africains pour que chacun puissent bénéficier d’une manière ou d’une autre de ces richesses. Il faut aussi favoriser l’émergence d’un marché africain et d’une Union africaine véritable. Cette  union naîtra des cendres de la désunion actuelles. L’Afrique reprendra sa  place tant attendue et pourra bercer à nouveau ses enfants et reprendre véritablement sa place de mère de l’humanité.

 Interview réalisée par Emmanuel Leroueil

La protection sociale n’est pas un luxe en Afrique

Dans une étude en libre accès sur le site de la fondation Jean Jaurès (Protections sociales en Afrique subsaharienne : le cas du Sénégal, juin 2010)[1], l’économiste Eveline Baumann analyse le système de protection sociale au Sénégal. Celui-ci se caractérise par une faible couverture de la population, puisque la protection sociale s’y est historiquement arrimée au salariat, alors que 90% des travailleurs exerceraient une activité informelle. Ces travailleurs du secteur informel sont pourtant les plus exposés aux risques sociaux et économiques. Autrement dit, les protections sociales actuelles ne remplissent pas leur rôle de redistribution des richesses créées et, au contraire, renforce la stratification sociale en protégeant les privilégiés du marché du travail. Il serait d’urgence nécessaire de mettre en place une formule permettant de découpler salariat et protections sociales et de trouver d’autres sources de financement pour remédier à la situation actuelle.

Une publication du Bureau International du Travail[2] démontre que l’effort financier nécessaire à l’extension des prestations sociales à des groupes plus larges est théoriquement compatible avec les ressources nationales disponibles dans plusieurs pays sous-développés, notamment africains. Pour continuer sur l’exemple du Sénégal, le scénario retenu dans l’étude indique qu’il serait possible de faire évoluer ces prestations, entre 2005 et 2034, de 5% à 10% du PIB de manière soutenable. Les études du BIT montrent aussi qu’un investissement de près de 4% du PIB sur les prestations de vieillesse, invalidité et familiales pourrait réduire les taux de pauvreté d’environ 40 % dans des pays comme la Tanzanie ou le Sénégal.

Ces travaux académiques sont à mettre en lumière au regard des politiques publiques innovantes en matière de protections sociales menées depuis plusieurs années par des pays en voie de développement. Les exemples empiriques du Mexique, du Brésil et de l’Afrique du Sud ont démontré que la protection sociale n’est pas un luxe réservé aux pays développés, mais bien au contraire un investissement dans le capital humain de sa population indispensable pour toute stratégie de développement. L’effort de réduction de la pauvreté et des inégalités, en plus de renforcer la cohésion sociale, augmente l’employabilité de la population en âge de travailler et donc participe à la croissance.

Un autre document du BIT[3] recense les politiques publiques innovantes en la matière. On y apprend que le programme brésilien Bolsa Familia est le système de transferts sociaux le plus grand au monde, avec une couverture actuelle de 46 millions de personnes à un coût d’environ 0,4% du PIB. L’Afrique du Sud s’est également illustrée dans le domaine, en étendant la couverture de son système de prestations familiales à plus de 4 millions de bénéficiaires au cours des dix dernières années. L’exemple du programme Bolsa Familia gagnerait à être adapté et appliqué au plus vite aux pays africains bénéficiant d’une rente économique comme l’Angola ou la Guinée Equatoriale. Le Brésil de Lula a prouvé qu’il était possible, à travers l’outil de la protection sociale, de réduire de manière drastique et à relativement faible coût l’extrême pauvreté dans un pays. Les conditions objectives de la réalisation d’une telle politique sont réunies dans ces pays pétroliers à faible population.

Emmanuel Leroueil

 


[1] : http://www.jean-jaures.org/Publications/Les-notes/Protections-sociales-en-Afrique-subsaharienne

[2] : PAL Karuna, BEHRENDT Christina, LEGER Florian, CICHONMichael, HAGEMEJER Krzysztof, Can Low Income Countries Afford Basic Social Protection? First Results of a Modelling Exercise, Geneva, ILO, 2005 (http://www.ilo.org/public/english/protection/secsoc/downloads/1023sp1.pdf )

[3] : www.ilo.org/gimi/gess/RessFileDownload.do?ressourceId=19181

Comprendre l’échec du socialisme en Afrique (2nde partie)

Mengistu, leader du Dergue et de la révolution éthiopienne, en compagnie de Fidel Castro

De la difficulté pour un Etat faible de planifier son économie nationale

Les expériences socialistes en Afrique l’illustrent cruellement : en matière de planification économique, le passage de la théorie à la pratique se révèle particulièrement compliqué. S’il suffit parfois d’un simple décret pour nationaliser des secteurs productifs, toute la difficulté pour un État est de les rendre compétitifs et de les faire fructifier, d’enclencher une dynamique de rétroactions positives favorisant croissance, emploi, hausse du pouvoir d’achat et bien-être de la population. Les jeunes et faibles États indépendants n’étaient pas en mesure de relever le défi des programmes socialistes qu’ils s’étaient fixés. C’est le constat que dresse Albert Gandonou  à propos du Bénin : « Faute de compétence, de professionnalisme et de gestion rigoureuse, l’économie a sombré dans le chaos et la banqueroute. A la fin des années 1980, les banques avaient fait faillite et les salaires n’étaient plus payés ». Constat que reprennent, à peu de chose près, les différents contributeurs de l’ouvrage.

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Comprendre l’échec du socialisme en Afrique (1ère partie)

Titre de l’ouvrage : Expériences socialistes en Afrique : 1960-1990

Editeur : Le Temps des Cerises

Résumé : Cet ouvrage collectif, dirigé par Francis Arzalier, étudie les stratégies politiques menées par les mouvements et leaders se réclamant du socialisme en Afrique. Le livre contextualise chacune de ces expériences, en analyse les ressorts intellectuels et sociologiques, les succès et les échecs.

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Sud-Soudan : la famille s’agrandit

Le grand vent de l’Histoire souffle sur les terres africaines en ce début d’année 2011. Au terme d’une semaine de scrutin référendaire, du 9 au 16 janvier, les électeurs sud-soudanais se sont mobilisés à plus de 90% pour affirmer l’indépendance de leur territoire. Le territoire en question est vaste, d’une superficie supérieure à la France métropolitaine (environ 590 000 km²), mais faiblement peuplé (environ 9 millions d’habitants). Le pays qui ne naîtra officiellement qu’en juillet 2011 et dont on ne connaît pas encore le nouveau nom, sera l’un des plus pauvres du monde : très faiblement doté en infrastructures, un indice de développement humain parmi les plus faibles (85% d’adultes analphabètes), il dispose cependant d’un certain nombre d’atouts parmi lesquels des terres agricoles fertiles et ses ressources pétrolières (80% des réserves pétrolières du Soudan estimées à 6 milliards de barils, pour une production actuelle aux alentours de 450 000 barils/jour).

Sur la situation sociale du Sud-Soudan : la note de l’ONG Oxfam présente sur le terrain : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/apres-referendum-soudan_note-oxfam_110107.pdf

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L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2)

Comment juger du succès d’une politique économique ? Longtemps, la réponse a été simple : la forte croissance du PNB, à savoir l’augmentation du volume total de la production économique nationale. Si l’on s’en tient à ce seul critère, il nous faut nous rendre à l’évidence : la politique économique de l’Afrique du Sud, sur les dix dernières années, a été couronnée d’un relatif succès. En effet, depuis 1999, le taux de croissance moyen du PNB a été de 3%, avec un pic ces derniers temps (moyenne de 5% depuis 2006). Il faut aussi rappeler que l’Afrique du Sud était en récession économique (de 1988 à 1993) quand l’ANC a pris le pouvoir, ce qui porte la comparaison à son avantage. Succès relatif toutefois, parce que l’Afrique du Sud pouvait, structurellement, mieux faire. Comme toute économie émergente en phase de rattrapage économique, ce pays sort d’un état de sous-exploitation de ses ressources économiques (main d’œuvre, ressources naturelles, marché intérieur, opportunités d’investissements, etc.), ce qui lui permet normalement de connaître de forts taux de croissance, comparés aux économies développées matures. Or, des taux de croissance à 3% ou 5% sont dans la fourchette basse des résultats des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), groupe auquel l’Afrique du Sud aspire à faire partie.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des analystes salue le « miracle économique sud-africain », sorte de locomotive d’une Afrique à la traîne. Deux hommes sont crédités du mérite de ce succès : l’ancien président Thabo Mbeki et son ministre des finances Trévor Manuel. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2) »

Qu’a fait l’Afrique de ses cinquante ans d’indépendance ?

Titre de l’ouvrage : L’Afrique, cinquante ans après les indépendances : bilan et perspectives

Editeur : Fondation Jean Jaurès

Résumé : Martin Ziguélé, ancien Premier ministre de la République Centrafricaine (avril 2001 – mars 2003) et actuel président du principal parti politique d’opposition de ce pays, le mouvement de libération du peuple centrafricain, tire le bilan de cinquante années de gouvernements africains indépendants et analyse la situation politico-économique actuelle du continent.

Il n’a échappé à personne que l’année 2010 est celle de la commémoration des cinquante ans d’indépendance de l’Afrique  subsaharienne. L’année aura été l’occasion pour nombre d’analystes de tirer le bilan de l’action des différents gouvernements africains sur le dernier demi-siècle. C’est dans cette veine que s’inscrit Martin Ziguélé, dont le présent ouvrage a pour angle d’analyse le résultat des politiques publiques menées par les gouvernements africains indépendants, et plus particulièrement des politiques économiques qui tentent de répondre au défi du développement. Pour ce faire, il distingue trois grandes périodes.

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Samir Amin et le « développement autocentré » (3ème et dernière partie)

En résumé, la théorie du développement autocentré de Samir Amin tient à ceci : l’espace économique mondial se structure en pôles (les pays développés) dont la suprématie s’appuie sur un modèle d’accumulation et de renouvellement du capital qui se fait au détriment de leurs périphéries (les pays sous-développés) à travers divers mécanismes dont le principal est celui de l’échange inégal. Tant que ces pays sous-développés orientent leur économie dans le sens de la structuration actuelle du système économique, c’est-à-dire par exemple en continuant de miser sur l’exportation de seules matières premières ou des composants industriels dont l’assemblage final et la plus-value resteront accaparés par le Nord, et bien ils se maintiendront dans leur position de périphérie. Les bénéfices économiques de ces périphéries ne profiteront qu’à leur bourgeoisie compradoriale, tandis que  l’écrasante masse de la population sera maintenue dans la pauvreté. Le problème est que l’élite des pays sous-développés appartient elle-même à ce système compradoriale, de naissance ou par cooptation (après de brillantes études supérieures à l’étranger par exemple), et qu’elle n’a pas forcément intérêt à court terme à changer le système. Problème plus important encore, quand bien même les dirigeants de ces pays seraient prêts à « décentrer » leur économie nationale, la pression de la finance internationale et des « partenaires » que sont les pays développés risquent de les en empêcher (cf, l’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme). Continue reading « Samir Amin et le « développement autocentré » (3ème et dernière partie) »

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