Attaque terroriste de Westgate, le résultat de quarante ans d’échecs en Somalie

Le parallèle a été vite établi entre l'attaque menée par les Shabaab, le 21 septembre, dans un centre commercial de Nairobi au Kenya et les attentats du 11 septembre 2001 à New York. C'est une mauvaise analogie. 


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Cette attaque, menée par une quinzaine de terroristes, a causé une soixantaine de morts et près de 200 blessés, en plein milieu urbain, ramenant la barbarie au coeur le plus moderne de la capitale kényanne, en plein septembre.  

Ce parallèle, s’il frappe l’esprit et apparaît commode en l’absence d’une analyse rigoureuse, n’en demeure toutefois pas moins inopérant. Le massacre de Nairobi surprend tout d’abord en ce qu’il mêle la modernité d’une communication relayée sur Twitter et l’obscurantisme d’individus fanatiques prêts à mourir pour tuer le plus possible. Mais bien loin de signer l’ambition d’un groupuscule terroriste à mener une guerre de l’islam contre l’Occident, ces attentats ne sont que la triste suite d’un conflit intérieur à la Somalie.

Le pays le moins administré au monde

Peuplée de plus de 10 millions d’habitants qui s’étendent sur une superficie de 640 000 km2, la Somalie est en effet classée comme le pays le plus corrompu et le moins administré au monde. Indépendante depuis 1960 et composée de territoires anciennement colonisés par l’Italie au sud et par le Royaume-Uni au nord, la Somalie n’a depuis lors quasiment connu que guerres civiles et régionales. Pendant les neuf années qui suivent son indépendance, les deux premiers présidents de la Somalie tentent d’instaurer un gouvernement démocratique mais ne parviennent pas à s’imposer dans un contexte de luttes claniques qui opposent le nord et le sud du pays. Ces divisions originelles ne seront jamais surmontées.

En 1969, le coup d’Etat du général Mohamed Siyaad Barre remplace le gouvernement élu démocratiquement par le nouveau régime de la République démocratique de Somalie, ersatz de démocratie populaire alliée à l’URSS. Cette alliance, banale dans le contexte de la décolonisation, n’est cependant qu’éphémère et ne résiste pas à l’invasion de l’Ethiopie menée en 1977 pour conquérir de l’Ogaden. L’URSS soutient en effet le gouvernement marxiste éthiopien, qui parvient à repousser l’offensive somalienne avec l’appui de troupes cubaines et sud-yéménites. La guerre de l’Ogaden ruine la Somalie, qui y perd un tiers de son matériel militaire. L’abandon du nationalisme irrédentiste et du projet de Grande Somalie achève de diviser politiquement un pays où sévit désormais une terrible famine. L’effondrement du régime en 1991 plonge la Somalie dans la guerre civile et dans un chaos où prospèrent seigneurs de guerre, pillages et trafics de drogue et d’armes.

Le président américain Bill Clinton obtient en 1992 un mandat de l’ONU pour mener l’opération Restore Hope. Première intervention au nom de l’ingérence humanitaire, elle se solde cependant par un fiasco symbolisé par la bataille de Mogadiscio, à partir de laquelle les télévisions relayeront en boucle les images du massacre de dix-neuf soldats américains. Les Etats-Unis rappellent alors leurs troupes et les casques bleus prennent le relais jusqu’en 1995. Les solutions politiques proposées sous la médiation de l’Ethiopie et du Kenya échouent également, comme en 1997, à démilitariser et à reconstruire le pays. La Somalie reste alors le théâtre d’un affrontement entre clans, le Somaliland et le Puntland ayant proclamé leur indépendance au nord. Une conférence de conciliation prévoit, en 2003, la mise en place d’institutions fédérales de transition mais ne parvient pas à restaurer un gouvernement stable et effectif.

L’Union des tribunaux islamiques, avec une plateforme religieuse très mobilisatrice, parvient à transcender les divisions entre les clans pour prendre le pouvoir en juin 2006 et rétablir un semblant d’ordre dans le sud du pays. Mais tout le monde dans la région ne voit pas d’un bon œil un régime qui repose sur la charia, même si celui-ci recueille un assentiment populaire certain. Après une rébellion manquée, une intervention militaire éthiopienne soutenue par les Etats-Unis renverse l’Union des tribunaux islamiques en décembre 2006, et une intervention de l’Union africaine, l’AMISOM, prend le relais des forces éthiopiennes début 2007 pour sécuriser le nouveau gouvernement fédéral. C’est à la suite de cette défaite qu’émerge le mouvement Al-Shabaab, constitué des jeunes les plus militants des Tribunaux islamiques (Shabaab signifie « jeunesse » en arabe). Al-Shabaab s’étend rapidement jusqu’à contrôler la grande partie du centre et du sud de la Somalie, et mène une guérilla urbaine dans les rues de Mogadiscio.

Devant la menace que le mouvement représente pour sa frontière nord, l’armée kenyane entre à son tour en scène fin 2011 pour sécuriser la zone frontalière et empêcher l’infiltration des insurgés sur son territoire. C’est dans ce contexte de près de quarante années de guerres civiles et d’instabilité régionale que doit se comprendre le massacre de Nairobi. Les Shabaab entendent en effet punir le Kenya pour son intervention en Somalie et son soutien au gouvernement de transition. Ce massacre, qui n’est ni le premier ni le dernier épisode d’une longue et sanglante histoire doit cependant nous interroger : Plusieurs décennies après les indépendances, l’Afrique est-elle condamnée aux guerres civiles et régionales ?

Rayan Nezzar

 

Législatives 2013 en Guinée : attention danger!

La Guinée s’oriente vers des élections législatives non-libres ni transparentes. Prévues pour 2010, elles ont été repoussées à plusieurs reprises en raison des inexactitudes du fichier électoral et du climat socio-politiques. Elles doivent finalement avoir lieu le 28 septembre 2013. Mais le contexte reste aussi tendu et les points de désaccords sont nombreux.


GUINEA-ELECTION-PRESIDENTIALAvec l’accord politique inter-guinéen, négocié le 3 juillet 2013, notamment grâce à la longue médiation de l’envoyé spécial de l’ONU Saïd Djinnit, les acteurs politiques étaient parvenus à trouver des compromis sur les principaux points de désaccord et à fixer les élections législatives au 24 septembre. Malgré les avancées obtenues début juillet, les principales revendications continuent de tourner autour du fichier électoral. Il semblerait que le processus ne soit pas entièrement maîtrisé par la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

Anomalies électorales

Plusieurs anomalies ont été relevées par l’opposition : le « dédoublonnage » des électeurs, la répartition inégale des bureaux de vote, la distribution imparfaite des cartes d’électeurs et l’affichage très incomplet des listes électorales (pourtant prévu selon la la loi 30 jours avant le scrutin). Celle-ci a longtemps menacé de se retirer du processus électoral si ces dysfonctionnements n’étaient pas pris en charge, et il a fallu une nouvelle intervention internationale pour que le 21 septembre, un délai supplémentaire de quatre jours soit octroyé à la CENI. Ce report de la dernière heure, destiné à régler les contentieux techniques, a surtout permis de maintenir l’opposition dans le processus électoral et d’éviter qu’elle n’annonce son retrait, une décision qui aurait pu d’ailleurs lui porter préjudice. Dans l’immédiat, cette décision a contribué à apaiser les tensions entre les dirigeants politiques.

Mais au-delà de ces irrégularités qui pourraient décrédibiliser le processus, il existe de vraies appréhensions autour des élections à venir. Ainsi, la décision du 21 septembre de reporter les élections de quatre jours n’a pas empêché des échauffourées d’éclater dès le lendemain entre activistes de la majorité présidentielle (RPG) et de l’opposition (UFDG) faisant vingt blessés à Conakry. De tels affrontements à la base entre militants ont effectivement fini d’instaurer l’insécurité et continuent de semer le doute dans les esprits. Les affrontements entre la base des deux partis, et la polarisation ethnique qui s’en suit, constituent une épée de Damoclès. Ces nombreux paramètres posent le débat sur les risques de conflits ethniques qui pourraient nuire de façon très sévère à l’avenir de ce pays.

Risques d'ethnicisation des violences

Rien n’est plus dangereux qu’une campagne électorale « ethnicisée » : on sait pertinemment qu’une telle situation ne favorise en aucune manière un climat propice à la tenue de ces élections. Non seulement ces affrontements accentuent la crainte du peuple guinéen mais aussi ils constituent un mauvais couloir arpenté par certains jeunes pour se faire gratuitement du mal. Cette place des jeunes dans ces affrontements pré-électoraux à connotation ethnique n’est d’ailleurs pas une exclusivité guinéenne : on la retrouve dans de nombreux autres pays africains, et cela devrait pousser la jeunesse africaine à se pencher sur le modus operandi de son engagement politique.

La situation en Guinée-Conakry est l’occasion pour les instances régionales de s’interroger une nouvelle fois sur l’instauration et l’application de systèmes incontournables pour résoudre les crises pré- et post-électorales. Il est inadmissible que pour une raison ou pour une autre, des élections législatives ne puissent pas se tenir depuis 2010, qu’une partie des citoyens guinéens soit terrorisée, qu’un système politique bloque et pollue l’atmosphère. Il en va de la santé économique et sociale du pays.

Considérant au total tous les événements auxquels ce pays a dû faire face depuis des années, il est grand temps que les acteurs politiques de la Guinée aillent aux urnes dans la paix et la confiance. 

Blaise Guignane Sene

La crise dans les cités universitaires burkinabè s’accentue : à qui la faute?

Campus BurkinaLa tradition de la violence s’intensifie dans nos universités. Aucune leçon tirée des précédentes crises, même celles récentes de 2008 et de 2011. Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, on ne peut que retomber dans les travers du passé pérennisant ainsi le mal-être dans nos universités. La dégradation des relations entre étudiants et autorités universitaires va crescendo et on est en droit de se demander qui des deux acteurs doit faire preuve de sagesse ?

C’est l’impression générale qui se dégage de cette nouvelle crise universitaire, qui certainement restera gravée à jamais dans les annales et surtout dans les mémoires des étudiants directement concernés. Mais quelles ont pu être les raisons de ce qui est convenu d’appeler la crise des cités universitaires de Ouagadougou?

Origines de la crise

Tout a débuté au soir du 30 juillet par une information verbale signifiant aux étudiants l’arrêt des œuvres universitaires (fermeture des restaurants, cités, infirmerie etc.) au 31 juillet 2013 et ce pendant deux mois (août et septembre). Vraisemblablement cette décision ne respecte pas le droit d’autant plus qu’elle n’a pas été officiellement notifiée par écrit aux intéressés d’une part et d’autre part par ce qu’elle ne prévoit aucun délai raisonnable pour son entrée en vigueur. A l’analyse du contexte sociopolitique, cette incongruité se justifie tout simplement par des motivations d’ordre politique. En effet, la grande mobilisation estudiantine pour les manifestations de l’opposition les 29 juin et 28 juillet et de la société civile le 20 juillet 2013 y ont été pour beaucoup. En rappel, ces différentes manifestations s’inscrivent en droite ligne de la contestation nationale contre le régime de Blaise Compaoré à travers le refus de l’instauration d’un Sénat et d’une éventuelle modification de l’article 37 de la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels.

Pris de cours par les événements

Pris au dépourvu, les étudiants s’organisent spontanément dès le lendemain dans une série de manifestations qui visaient d’une part à contraindre le Centre National des Œuvres Universitaires (CENOU) à revenir sur sa décision et d’autre part informer l’opinion publique de leur situation. C’est ainsi que dans toutes les cités universitaires et sur le campus, des actions de « résistance » seront initiées. A la cité Kossodo où se trouve le siège du CENOU, une quarantaine de véhicules de l’Etat, d’ONG… seront confisqués en guise de pression.

La riposte des autorités ne se fait pas attendre. Les forces de la gendarmerie et de la Brigade Anti-Criminalité (BAC) seront lancées contre les étudiants et une bataille rangée s’en suivra avec son lot de dégâts incalculables. Au cours d’une conférence de presse tenue le 2 août, le DG du CENOU assisté par le commandant de la gendarmerie et celui de la BAC a dressé le bilan des manifestations. Selon les conférenciers, 32 véhicules ainsi que 15 vélomoteurs ont été détruits, deux blessés dans les rangs des forces de l’ordre et 49 étudiants interpellés. Au-delà de ce bilan officiel, il convient de noter de nombreux blessés graves et légers dans les rangs des étudiants.

Une tentative de « clochardisation » de l’étudiant ?  

Après ce coup de force ayant conduit à l’expulsion manu militari des étudiants, s’engage un véritable chemin de croix pour ces milliers d’apprenants désormais sans abri. C’est ainsi que le plus grand groupe issu de la cité Kossodo a tenté de passer sa nuit à la belle étoile au rond-point de l’Union Africaine ne sachant où s’abriter, mais c’était sans compter sur la BAC résolue à en finir avec eux. En effet, ils seront encore déguerpis de ces lieux vers deux heures du matin sous prétexte d’occupation anarchique de l’espace public selon le commandant Patrice Yéyé.

La solidarité en marche

Fort heureusement pour ces « réfugiés » dans leur propre pays, une chaine de solidarité s’est rapidement constituée. Des particuliers, des structures telles que « le Balais citoyen », des partis d’opposition et des groupes religieux sont spontanément venus à leur secours. Les différentes actions de ces bonnes volontés ont consisté pour certains à l’affectation de lieux d’hébergements, de vivres, de soins, et pour d’autres à des levées de fonds etc. Qu’il soit souligné au passage que la diaspora burkinabè n’est pas restée insensible à cet élan de solidarité. Toujours dans cette manifestation de solidarité, un donateur particulier se dévoile ; le gouvernement burkinabè une semaine plus tard soit le 6 août à travers le Ministère de l'Action Sociale et de la Solidarité Nationale a proposé ses « bons offices aux étudiants en situation difficile » en les invitant à venir s’enregistrer. Le boycott des destinataires fut total, fustigeant cette « main tendue » et la qualifiant d’ « insulte à leur conscience ». A y voir de près, cette action est loin d’être fortuite ; elle consistait pour le gouvernement à ne pas laisser le terrain de la solidarité au seul apanage de la société civile et surtout de l’opposition décidée à récolter les dividendes.
 

Enfin la liberté provisoire !

Pendant ce temps, les étudiants interpellés croupissaient dans les geôles de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO). Et jusqu’aujourd’hui ne sont pas encore définitivement fixés sur leur sort judiciaire après moult péripéties. Apres un premier report, le procès du 13 août a débouché sur une exception d’inconstitutionnalité opposée par les avocats de la défense fondée sur l’article 4(2) de la constitution posant le principe de la présomption d’innocence, en contradiction flagrante avec la loi N° 026-2008/AN du 08 mai 2008 portant répression des actes de vandalisme commis lors des manifestations notamment en son article 15. Cette loi dispose que lors d’une manifestation illicite, « tous ceux qui sont arrêtés (sur les lieux de la manifestation) sont coupables ». En attendant que le Conseil constitutionnel statue sur cette exception d’inconstitutionnalité pour que le feuilleton judiciaire puisse reprendre son cours, les étudiants ont bénéficié d’une liberté provisoire le 23 août dernier. Affaire à suivre donc ! 

L’Union africaine et Robert Mugabe : le panafricanisme du rejet

 

MugabeLe 22 août 2013, Robert Mugabe a été officiellement réinvesti à la tête de l’Etat du Zimbabwe. Jour déclaré férié, chomé et payé! A 89 ans, Mugabe débute donc un septième mandat et devrait gouverner le pays jusqu’en 2018 – au moins. Il ne lui restera alors plus que deux ans à tenir pour dépasser Hastings Banda du Malawi et devenir le Président le plus vieux à avoir jamais exercé le pouvoir.

Une nouvelle fois, Mugabe a démontré ses talents de politicien-stratège et son aptitude à déjouer les pronostics quant à sa chute imminente. En 2008, son grand rival Morgan Tsvangirai (du parti MDC-T) le met en ballottage défavorable au premier tour de l’élection présidentielle de 2008 ; il mène alors une campagne d’intimidation massive par les supporters de la ZANU-PF, si tant est que son adversaire boycotte le second tour et le laisse gagner sans opposition. Au printemps 2012, on le dit hospitalisé dans un état critique ; il fait mentir les rumeurs quelques jours plus tard en apparaissant en public, l’air fringant. Dernier acte cette année avec les élections du 30 juillet : malgré une campagne électorale peu suivie, il est réélu et parvient à se débarrasser du gouvernement d’union nationale avec lequel il avait été contraint de composer depuis quatre ans.

Avec 61% des suffrages, Mugabe l’insubmersible a donc gagné le droit de gouverner seul. Dans le même temps, son parti, la ZANU-PF, a raflé plus des trois quarts des sièges à l’Assemblée nationale, un retournement spectaculaire par rapport à la précédente législative, dominée par le MDC-T. Ultime humiliation infligée à Tsvangirai, la conquête de sa province natale du Manicaland : la ZANU-PF y a gagné 22 sièges contre seulement quatre pour le MDC-T.  « Old Bob » a donc signé une victoire éclatante, obtenue à coup de manipulations électorales savamment distillées. Car les élections ont été une nouvelle fois truquées, à la surprise de personne.

Pas besoin de violences ou de chasse aux anti-Mugabe cette année : le « gros du travail » s’est fait en amont, lors de l’établissement du registre électoral. Dans des conditions d’opacité les plus totales, un grand nombre d’opposants connus ou présumés ont tout simplement été rayés des listes, si bien que le jour des élections, de 300 000 (selon les autorités) à un million d’électeurs (d’après le ZESN,  Réseau zimbabwéen de soutien aux élections) ont été refoulés à l’entrée des bureaux de vote. Les listes électorales avaient été publiées la veille du scrutin seulement, rendant toute contestation impossible.

Ce véritable coup de force électoral a bien sûr été dénoncé comme une « énorme farce » par Morgan Tsvangirai : mais que pouvait bien faire l’opposition face à la machine ZANU-PF, experte en matière de tripatouillage électoral ? Après avoir déposé des requêtes auprès de la Cour constitutionnelle, le MDC-T s’est rapidement résigné, convaincu que ses démarches seraient vaines. A l’international, les habituels concernés – Etats-Unis, Union européenne, Royaume-Uni – ont réagi, mais leurs protestations ont été assez molles : beaucoup ont accueilli cette victoire avec fatalité, comme si l’hypothèse d’une défaite de Mugabe et de son départ de la Présidence leur paraissait trop incongrue pour qu’ils prennent la peine de la défendre ardemment.  

« Free and fair » : le satisfecit de l’Union africaine

Si le scénario de la victoire s’est aussi bien déroulé pour Mugabe, c’est aussi parce qu’un acteur de premier plan, l’Union africaine, a joué en sa faveur une partition inespérée. « Honnêtes, crédibles et transparentes » : c’est avec ces mots que, dès le lendemain du scrutin, l’organisation panafricaine a offert au président zimbabwéen un précieux vernis de légitimité. Pourquoi cet empressement à appuyer son soutien à une cause ouvertement douteuse ? La victoire frauduleuse de Mugabe était attendue, et finalement personne ne s’en indigne vraiment. Mais ce satisfecit si précipité de l’Union africaine pose quant à lui un réel problème, au niveau du continent.

Depuis quelques années, l’Union africaine (UA) gagne en confiance, et multiplie les signes d’autonomie vis-à-vis de l’Occident. Le crédo « des solutions africaines aux problèmes africains » n’est pas nouveau; mais en réalité, ce n’est qu’avec les récentes prises de position de l’UA qu’il commence à être mis en application. Au même titre que le président soudanais al-Bashir, au centre d’un affrontement entre la Cour pénale internationale et les dirigeants africains, Robert Mugabe est devenu une des causes symboliques de cette Union africaine qui s’enhardit et n’hésite plus à tenir tête aux nations occidentales. Ainsi, celui que l’Europe et les Etats-Unis s’acharnent à diaboliser continue de bénéficier du soutien de nombreux Etats africains, en tête desquels le puissant voisin sud-africain.  « Cessez de vous ingérer dans nos affaires » : tel est le message en filigrane adressé à l’Occident dans les déclarations de l’UA sur les élections zimbabwéennes.

Que l’Union africaine et ses organisations sous-régionales affiliées souhaitent s’attaquer elles-mêmes aux problèmes politiques du continent plutôt que de les laisser à des influences extérieures est sans aucun doute une source de satisfaction. Avec l’intervention d’AMISOM en Somalie ou la médiation actuelle entre les deux Soudans, par exemple, l’UA a manifesté un esprit d’initiative et une volonté d’agir dont on ne peut que se réjouir. Mais le cas du Zimbabwe est tout autre : en faisant de son anti-impérialisme une doctrine rigide, l’Union africaine en vient à se tromper de combat, et à travestir les idéaux du panafricanisme.

Certes, on ne saurait nier la stature et le prestige de Mugabe sur la scène politique africaine. N’importe quel opposant du MDC-T pèse bien peu à côté du libérateur du Zimbabwe, emblème de la résistance contre l’oppresseur blanc et de la solidarité anticoloniale. Pour beaucoup de chefs d’Etat, « Old Bob » n’est pas seulement le père fondateur d’une nation débarrassée de la ségrégation ; c’est aussi un camarade de lutte, qui leur a rendu d’innombrables services. L’Histoire est élogieuse, héroïque. Oui mais voilà, l’Histoire commence à dater, et depuis les années 1980, bien des choses ont changé. Les résultats économiques du Zimbabwe sous l’ère Mugabe ont été médiocres, voire par certains moments désastreux. Son règne n’aura pas été de tout repos (sic) pour de nombreux opposants, journalistes indépendants ou même civils innocents, des massacres du Gukurahundi dans les années 1980 aux violences post-électorales de 2008. Et surtout, quel que soit son bilan, Mugabe a 89 ans. Il occupe le pouvoir depuis 33 ans, et tout héros qu’il fût par le passé, il est temps pour le Zimbabwe de passer à autre chose.

En soutenant Mugabe contre vents et marées, l’Union africaine maintient à flots un grabataire de 89 ans qui, hormis son statut largement démodé de libérateur national, ne correspond en rien aux valeurs du panafricanisme qu’elle veut diffuser. En poussant le refus de l’ingérence occidentale à un niveau doctrinaire, l’UA s’enferme dans un panafricanisme du rejet, de la réaction, qui n’agit « que parce que l’Occident agit autrement ». Ce faisant, elle renoue avec les tristes pratiques de son ancêtre l’OUA, pour qui l’intégration africaine servait avant tout à un petit club de chefs d’Etat vieillissants. L’UA, à sa création en 2002, voulait justement rompre avec cette vision pervertie de l’unité continentale. Quels qu’en soient les progrès réalisés, beaucoup reste à faire : il est urgent de renouer avec un panafricanisme de l’action, des idées, qui privilégie la jeunesse, la créativité, le renouvellement des élites.

Sans fraudes, Mugabe aurait peut-être quand même gagné l’élection ; on ne le saura jamais, et cela importe finalement assez peu. On n’attendait pas forcément de l’Union africaine qu’elle prenne fait et cause pour Morgan Tsvangirai (ce que fait l’Occident sans se cacher depuis plusieurs années) : à 61 ans et après trois campagnes présidentielles infructueuses, on ne peut pas dire qu’il incarne vraiment le renouveau politique. Mais l’UA aurait pu, aurait dû se montrer ferme face à des manipulations électorales flagrantes : c’est cette attitude qui aurait été une prise de position courageuse, le signe d’une volonté d’agir : en somme, la marque de l’afro-responsabilité. Qui que l’on soit sur ce continent, on ne se maintient pas au pouvoir  pendant trois décennies en truquant des élections ; qu’on ait été un héros de l’indépendance ou un bureaucrate anonyme, il arrive un âge où l’on tire sa révérence et laisse la place aux nouvelles générations : voilà deux règles fondatrices que l’organisation panafricaine aurait pu ancrer dans les consciences. Indiscutablement, elle a échoué.

Que l’Union africaine prenne son indépendance vis-à-vis des intérêts occidentaux, on doit s’en réjouir, tant cette autonomie était attendue depuis longtemps. Mais qu’elle le fasse au prix des idéaux, et au mépris d’un panafricanisme des principes, on ne peut que s’en désoler.

 

Présidentielles 2013 au Mali : une question d’honneur

L’élection présidentielle malienne a vécu. Ces joutes électorales à haut risque, particulièrement surveillées par la communauté internationale, n’ont finalement pas donné lieu aux troubles annoncés. Ibrahim Boubakar Keita a été bien élu. Son adversaire au second tour, Soumaila Cissé, en reconnaissant rapidement sa défaite, a contribué à ouvrir, sans heurts, une nouvelle page de l’histoire de son pays. Actuellement au Mali, notre analyste Racine Demba nous livre les premiers chantiers qui attendent le nouveau président.


Honneur au vaincu

Dans la soirée du 12 aout 2013, Soumaila Cissé est venu gonfler les rangs de ces « grands vaincus » ouest africains, ces leaders qui ont su être grands dans la défaite : Abdou Diouf, John Atta-soumi-rend-visite-à-IBKMills en 2004, Abdoulaye Wade. La liste n’est pas longue.

Soumaila Cissé a parachevé le retour du Mali à la table des jeunes démocraties. Le choix de rompre avec « la tradition du coup de fil » pour se rendre au domicile de son adversaire avec femme et enfants afin de le féliciter est un des moments marquants de cette élection. Il relègue au second plan le score « à la soviétique » du président Keita (77,63% à l’issue du second tour).Il reste désormais à Cissé de se poser en chef de file de cette opposition forte qui a tant fait défaut au Mali ces dernières années. En cela, l’éclatement de l’ADEMA, parti le mieux implanté sur le territoire national pourrait jouer en sa faveur.

Les premières déclarations du leader de l’URD,  une fois sa défaite reconnue, montrent qu’il a déjà commencé à assumer ce nouveau rôle. Les élections législatives et locales prévues pour octobre 2013 seront déterminantes dans la confirmation ou non de sa stature d’opposant pouvant être une alternative crédible au nouveau régime.

IBK, le choix de l’honneur

« Pour l’honneur du Mali », voilà les mots qu’on peut lire sur les affiches du candidat Ibrahim Boubakar Keita encore bien visibles dans les rues de Bamako. En choisissant de faire campagne sur ce thème, le candidat du RPM et ses spin-doctors ont visé juste. La relance économique ou la réduction de la pauvreté ne s’étant  pas révélées être les soucis premiers des électeurs. Ces enjeux économiques devront, bien entendu, malgré leur importance moindre dans l’ordre de priorités de ces derniers, figurer en bonne place dans la liste des principales préoccupations du président élu. Au-delà du slogan, cette question de l’honneur – un honneur considéré comme n’étant certes pas perdu mais malmené par la crise de ces derniers mois-  revêt une importance capitale aux yeux des Maliens. La réputation d’homme à poigne de l’ancien chef du gouvernement et président de l’Assemblée nationale y a probablement contribué.

Personne n’a oublié sa gestion des affaires notamment la crise de l’éducation, dans les années 90. Alors qu’il était tout puissant Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, il refuse de faire la moindre concession aux syndicats d’enseignants et autres associations d’étudiants allant même jusqu’à durement les réprimer. Son intransigeance vaudra à l’école malienne une année blanche et lui coutera plus tard son poste. Venant s’ajouter à une forte opposition à ses méthodes au plan interne, sa tête aurait en effet été réclamée par les bailleurs de fonds. Ainsi le président Konaré aurait-il décidé de s’en séparer.

Cette intransigeance assimilée par certains à de l’arrogance que ses adversaires pointaient comme un défaut devant lui valoir la méfiance des électeurs est devenue, au gré des circonstances, son principal atout. Avec lui peut-être que l’armée disposera enfin d’un vrai commandant en chef et que le « problème » Sanogo pourra être géré ; la rébellion touarègue de même que les partenaires extérieurs auront devant eux un interlocuteur crédible.

IBK a déjà dit ne pas être engagé par l’accord d’Ouagadougou signé par le président de la transition Dioncounda Traoré. Il devra, pour ne pas perdre la confiance de l’essentiel de son électorat, rester constant dans cette fermeté affichée envers la rébellion même en cas d’ouverture de nouvelles négociations. Sa capacité à manœuvrer face à la France, parrain de cet accord, dont l’armée contrôle la ville de Kidal, ce qui selon l’opinion la plus répandue à Bamako fait le jeu du MNLA, sera déterminante. Le nouveau président juge la présence des troupes françaises sur le sol malien encore nécessaire au regard de la menace terroriste toujours d’actualité. Toutefois il est resté plus ambigu à propos du statut de cette ville du nord qui échappe encore, de fait, au contrôle de l’administration malienne.

 Après avoir fêté l’ancienne puissance coloniale pour lui avoir « rendu sa dignité en le sauvant du péril islamiste », le peuple malien semble faire de la « reconquête » de Kidal par ses soldats une question… d’honneur.

Racine Demba

L’UA et la CPI : liaisons délicates

Les dernières années ont vu d’importantes tensions se tisser entre la Cour Pénale Internationale et l’Union Africaine. Le soutien apporté par plusieurs pays membres de l’UA au président soudanais Omar-El-Bachir ainsi que l’opposition qu’a suscité le mandat d’arrêt de Mouammar Gaddafi avaient déjà indiqué une dégradation des relations entre l’Union Africaine et la justice internationale. Aujourd’hui, les accusations portées contre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et les présidents  et vice-président kenyans Uhuru Kenyatta et William Ruto ont ravivé le débat concernant l’intervention de la CPI sur le continent africain.

A-t-on raison de parler d’un acharnement ?

imageLors du dernier sommet de l’UA, Haile Mariem Desalegn a été l’auteur d’un discours violent à l’encontre de la CPI. Cette sortie fut révélatrice une nouvelle fois du degré de désaccord entre la majorité des dirigeants africains et la CPI. Mais ces sorties hostiles du leadership politique africain dans son ensemble ne reflète pas une orientation générale à l’heure où l’exigence de réédition des comptes devient une notion imposée par le droit international. A ce sujet, il est nécessaire de modérer les propos tenus par l’actuel président de l’Union Africaine qui accusent la CPI de n’être qu’une justice aux trousses des dirigeants africains.

Certes, en dix ans d’existence la CPI n’a ouvert des procédures d’enquête qu’en Afrique et mis en accusations seize personnes tous issus du continent. En effet, son premier jugement rendu l’était pour Thomas Lubunga.

Il convient de noter que si l’Afrique est le continent le plus « visé » par les mesures de la CPI, elle est aussi le continent le mieux représenté au sein de l’institution. 

La forte présence africaine au sein de la CPI s’explique par l’adhésion massive de nombreux pays du Continent à l’autorité du Statut de Rome :47 pays africains ont participé à l’élaboration du Statut de Rome et 30 l’ont ratifiés à ce jour:

D’initiative onusienne, l’idée de la création d’une institution supranationale pour prévenir l’impunité et juger les graves crimes de violation de droits de l’homme est une avancée remarquable. C’est une initiative intéressante et utile, et nombreux sont les pays africains qui ont adhéré au Statut de Rome par mesure de protection.

L’Union Africaine avait d’ailleurs pour objectif de faire ratifier le Statut de Rome par tous ses membres.

Au-delà des gesticulations verbales et des manipulations politiciennes, l’Afrique est bien représentée aux organes de la CPI. Ce qui prouve une participation active à ses travaux. Cela est illustré par le fait que certains des plus hauts postes (juges, procureurs notamment) de la CPI soient occupés par des ressortissants de pays africains. D’ailleurs, la gambienne Fatou Bensouda est devenue procureur à la suite de Moreno Ocampo.

Cette importante implication du continent africain conteste déjà l’idée que la CPI est une institution au service de l’hégémonie occidentale. Le rôle qu’a tenu la CPI dans des dossiers auxquels elle a eu à se pencher remet aussi en question les accusations portées  par l’UA.

Il faut expliquer le mécanisme de travail de la CPI pour montrer que dans la plupart des cas elle est un organe exécuteur. La majorité si ce n’est la totalité des affaires instruites à  ce jour sur le continent africain ont été initiées soit par les gouvernements du continent eux-mêmes ou par le Conseil de Sécurité.

Il est rare en effet que l’initiative sur un cas lui appartienne. A ce jour, des huit pays d’Afrique concernés par des procédures de la CPI, la moitié a été réclamée par les gouvernements de ces pays. Deux répondent à une demande du Conseil de Sécurité.

Les crises post électorales en Cote d’Ivoire et au Kenya sont les premières instructions sur initiative propre de la CPI.

 Ainsi,  elle est moins une institution qui répond aux ambitions néo-colonialiste de l’Occident qu’un organe dont la présence sur le continent africain demeure aujourd’hui encore nécessaire. Si certains dirigeants africains tentent encore de s’abriter derrière le statut de victimes d’une quelconque hégémonie dans le domaine juridique, c’est surtout parce qu’ils espèrent encore et toujours la possibilité d’être jugés sur le sol africain.

Les accusations portées à l’encontre de la CPI sont représentatives de l’image menaçante que conserve la justice internationale pour certaines personnalités politiques africaines. Le bruit constant suscité autour du procès Hissène Habré en dit long sur les efforts que la justice panafricaine a encore à accomplir avant de pouvoir ignorer un organe comme la CPI.

Les accusations portées à l’encontre de la CPI bien qu’elles soient mal fondées peuvent avoir un effet indésirable sur l’image de l’institution judiciaire sur le continent africain : elles contredisent aussi une majorité qui soutient le rôle de la CPI. De plus, elles s’ajoutent à une liste déjà longue de critiques à l’encontre de la CPI, ce sui remet encore plus en question l’efficacité de l’institution judiciaire et l’affaiblit en ce qu’elles trouvent de nouveaux dissidents avec de nouveaux arguments contre l’institution judiciaire. Ce n’est donc pas l’exactitude mais plutôt l’impact de ces propos qui pourront et ont déjà porté préjudice à la  CPI. Toutefois en s’attaquant de la sorte à l’institution judiciaire, les dirigeants africains manquent surtout une occasion de traiter les véritables problèmes qui freinent l’efficacité de l’institution internationale. En effet, la CPI aujourd’hui rencontrent de nombreuses critiques concernant ses démarches et ses délais et les cas de Laurent Gbagbo et des chefs d’Etats kenyan auraient pu servir de base pour renforcer de telles critiques voire d’y apporter des solutions : la CPI est connu pour ses procédures qui n’aboutissent pas toujours à de résultats satisfaisants du point de vue des victimes,  les délais, le manque de précisions dans les procédures :  de telles caractéristiques pourraient être revues dans de nouvelles dispositions données au Statut de Rome; cependant il faut pour se faire que la CPI puisse regagner la conscience de certains dirigeants!

Il est important pour l’institution de ne pas se laisser fragiliser par de telles allégations. Les propos tenus lors du cinquantième anniversaire de l’UA ont le potentiel de mettre en cause l’utilité de la CP, elles ont servies à lancer un mouvement séparatiste qui souhaite voir les pays de l’UA quitter la CPI. Ce mouvement; bien que mineur aide à mesurer l’importance que la CPI doit accorder à de telles critiques, bien qu’elles soient mal fondées. Dans un continent ou l’impunité demeure encore aujourd’hui il est important pour la CPI de renforcer la coopération avec les acteurs politiques. Une telle coopération et une plus grande compréhension pourraient alors mener à l’élaboration d’un système de justice panafricain efficace, qui dès lors pourrait voir les dirigeants africains juger sur leur propre continent.

Diplomatie et paix en Afrique : explorer de nouvelles voies

Les cas de la Somalie avec aujourd’hui ses trois entités de fait qui en font un failed state, du Mali qui a implosé sous les assauts de rebelles touarègues et de narcotrafiquants islamistes, de la RDC dans un conflit opposant en sous main Kigali et Kinshasa sur fond de résidus du génocide de 1994 et visées du Rwanda sur l’Est de la RDC montrent à quel point la question frontalière en Afrique est plus qu’actuelle.

La tension pérenne au Maghreb entre l’Algérie et le Maroc relative à la problématique du Sahara est à loger dans cette catégorie également.  

Les nouveaux types de conflits ont aussi des motivations d’ordre ethnique ou confessionnel. Ethnique, comme ce fut le cas de la Cote d’Ivoire où le concept d’ivoirité eut une grande responsabilité dans la descente aux enfers du pays. Le scandale que constituent la Guinée Conakry et la Guinée Bissau du fait de l’échec dans la construction d’une nation à cause de divergences ethniques profondes est insoutenable.  

En ce qui concerne les aspects confessionnels, le Nigéria symbolise jusqu’à la caricature le pays affaibli par des tensions religieuses fragilisant toute velléité d’émergence économique et diplomatique.

Quel rôle pour l’OUA?

 

Déjà en 1963, L’OUA fut consciente de l’importance de la préservation de la sécurité du Continent dans un contexte de pays nouvellement indépendants et d’autres en voie de l’être par la voie soit des armes soit pacifique.

Ainsi, dans la logique de renforcement des nouveaux Etats dans un contexte international difficile, L’Organisation a érigé le règlement pacifique des différends comme un principe majeur.

Voilà la raison de la création de la Commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage qui n’a malheureusement jamais fonctionné eu égard à la préservation jalouse d’une souveraineté que les pays nouvellement indépendants venaient d’acquérir, et qui allait à l’encontre d’une quelconque ouverture à une ingérence de l’organisation continentale.

 

La fin des années 90 a induit une nouvelle réalité géopolitique qu’il fallait absolument prendre en compte. Le changement d’approche était devenu nécessaire en Afrique eu égard au fait que les leaders du Continent étaient dorénavant face à leur destin dans la résolution de leurs problèmes internes. Les deux « belligérants » de la Guerre froide, l’URSS et les Etat Unis ne soutiendraient plus qui que ce soit en Afrique pour des raisons certes différentes. Les Soviétiques n’avaient plus les moyens et les Américains ne voyaient pas l’Afrique comme un pion important dans la déclinaison de leur politique étrangère. L’Afrique ne constituait plus un intérêt majeur pour les deux puissances.

L’OUA devait ainsi reprendre le rôle premier qui lui est dévolu : l’unité du Continent et la préservation de la paix et de sa sécurité.

Pour ce faire, il y eut donc la mise en place de plusieurs commissions pour régler les crises en Afrique.

En 1993, au Caire, le Mécanisme de Prévention et de Gestion et le Règlement des Conflits fut créé. Il avait pour objectif de prévenir le risque d’éclatement de conflits latents ou potentiels et réunir les conditions propices à la gestion et à la résolution des conflits. Son bilan fut très mitigé par manque de moyen, de mandat clair sur les contours de sa mission et par absence de volonté politique des Etats.

Cet échec a débouché à la création du Conseil de Paix et Sécurité de l’Union Africaine en 2002, lors du Sommet de Durban. Composé de 15 pays, le CPS est articulé sur le modèle du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Néanmoins, ces mécanismes mis en place par l’OUA se sont tous retrouvés inefficaces car leur mandat ne concernait que les conflits inter-Etats.  

Il s’y ajoute qu’on a remarqué récemment une résurgence des conflits dans toutes les régions du continent et notamment leur caractère très complexe.

En effet, ces conflits sont quasiment tous d’ordre interne ou impliquant des groupes difficilement identifiables et localisables sur le terrain car procédant par la méthode de la guérilla. Qu’il s’agisse de la RDC en permanente tension, des ruptures institutionnelles violentes en Guinée, du GIA en Algérie, en Ouganda, en Somalie, au Soudan, etc.

Les coups d’Etat au Mali, en Somalie, en Guinée Conakry, en Centrafrique et l’inauguration d’une nouvelle donne avec le terrorisme d’inspiration religieuse symbolisé par AQMI remettent au devant la scène l’exigence de renforcement de la sécurité en se dotant de moyens à la mesure de la menace. Mais ces axes de tension montrent aussi une réalité devenue chronique : la nette inefficacité de l’UA, l’urgence de sa transformation et le nécessaire recours à la diplomatie d’intégration sécuritaire dans le cadre des entités régionales.

Quelles réponses diplomatiques à apporter au niveau des Etats et des organisations régionales ?

Il convient de mettre en œuvre une diplomatie de paix et de sécurité africaine qui réponde notamment à la feuille de route originelle de l’ONU : préserver le monde d’une 3ème Guerre mondiale, au travers de la sécurité des populations.

Elle passera, cette réponse, par une mutation de l’actuel UA qui doit sortir de son carcan bureaucratique pour enfin relever les défis actuels.

En effet, les réformettes qui ont consisté au changement du poste de Secrétaire général en président de la commission et d’autres qui se sont arrêtés dans la nomenclature de l’appareil de direction n’ont jusque là servi à pas grand chose.

La crise malienne qui a vu l’implication au premier plan du Burkina Faso et dans une certaine mesure de la Cedeao a montré que l’UA était totalement absente du jeu géopolitique et sécuritaire en Afrique.

L’opération Serval est venue confirmer l’échec de l’UA dans la gestion du dossier malien car elle est carrément reléguée au second plan au profit d’autres entités.

La proposition de tenir un Sommet sur la sécurité africaine  Paris, au début contestée et finale qui a reçu l’assentiment des leaders africains confirme cet échec souligné supra.

Elaborer une diplomatie économique efficace car le lien est indéniable entre croissance économique et progrès démocratique. Dans toutes les zones où la courbe de la croissance est en hausse permanente, celle des risques de crises tendent inexorablement à la baisse.

Les taux de croissance de certains pays anglophones très acceptables ont un impact réel sur le climat politique apaisé dans ces pays. Car une croissance en hausse est un levier d’indicateurs macroéconomiques reluisants et in fine cela impacte sur la demande sociale.

L’exemple de l’Amérique latine fait jurisprudence car profitant de la rente du pétrole, ses pays ont plus senti un besoin de s’unir pour asseoir un leadership mondial axé sur l’économie plutôt que de s’inscrire dans une dynamique de conflit et de tension.

Une diplomatie d’intégration pour aller vers l’unité effective du Continent

Pris individuellement, la quasi totalité des Etats africains ne peut pas apporter une répondre aux défis de plus en plus énormes et de plus en plus complexes qui se figent devant lui.

L’échelon national est de fait exclu du champ de réalisation des nombreuses attentes des populations. Que pourrait peser un pays africain singulièrement dans un monde régi par des règles politiques, commerciales, diplomatiques…élaborées très souvent dans des conditions peu démocratiques.

Il est acquis dorénavant que les ensembles sous-régionaux caractérisés en Afrique par les communautés économiques régionales (CER) sont la voix la plus indiquée pour grappiller des avancées au plan international. Et se baser sur ces CER a l’avantage de faire revenir à la feuille de route initiale de passage vers l’unité continentale. La CEMAC, la CEDEAO, l’EAC, SADEC et l’UMA devaient constituer la locomotive conduisant la cinquantaine d’Etats vers une unité continentale.

Aujourd’hui, il est aussi pertinent de miser sur la diplomatie culturelle comme vecteur d’union et de résolution des conflits, même s’il n’existe pas d’unité culturelle relative à l’ensemble du Continent ; et cela fut la controverse avec de nombreux intellectuels panafricains qui ont longtemps imaginé reproduire une unité brisée par la colonisation.

Ce qui est cependant avéré c’est qu’il existe une continuité culturelle évidente entre des pays de la même aire géographique qui est quelque peu le prolongement d’une continuité territoriale. Cette proximité peut être valorisée au plan politique et diplomatique par la signature d’accords de coopération culturelle qui seraient dans leur mise en œuvre une véritable forme de valorisation des cultures transfrontalières.

En Afrique de l’Ouest notamment, des ruines de l’empire du Mali découle une inter-culturalité effective qui se décline sous divers formes, objets, produits et figures matériels et immatériels. Entre la Guinée et le Sénégal par exemple existe des similitudes frappantes relatives aux éléments culturels suivants : traditions, coutumes, langues, rites…

Hamidou Anne

 

Sources

 

Ahmedou OULD-ABDALLAH, La diplomatie africaine face aux conflits de la région des Grands Lacs,

 

Jean-Luc STALON, « L'africanisation de la diplomatie de la paix », Revue internationale et stratégique, 2007/2 N°66, p. 47-58. DOI : 10.3917/ris.066.0047

 

Le rôle de l'Union africaine dans les conflits en Libye et en Côte d'Ivoire, Rapport Africa Briefing, Bruxelles – 16 mai 2011

 

Delphine LECOUTRE, LE Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, clef d’une nouvelle architecture de stabilité en Afrique

http://pambazuka.org/fr/category/features/72462

 

http://terangaweb.com/editorial-mettre-fin-au-probleme-institutionnel/

http://terangaweb.com/une-diplomatie-pour-lunion-africaine/http://terangaweb.com/quelle-integration-regionale-pour-le-developpement-et-la-stabilite-en-afrique/

Les Etats modernes africains ont connu des conflits qui se sont manifestés parfois de façon très violente, débouchant sur des drames humains considérables. Dans cet article, H. Anne analyse les causes et les manifestations de ces violences et montre comment la diplomatie peut-elle se poser comme la solution.


African Standby ForceL’Afrique a connu certains des plus dramatiques conflits, ces cinquante dernières années. Cette instabilité chronique a longtemps annihilé toute volonté voire une esquisse de plan de développement. Certes issus parfois de causes exogènes notamment durant la première décennie d’indépendance, ces drames ont mis sur la table la lancinante question de la construction d’une paix durable à l’échelon continental.

La diplomatie africaine est ainsi érigée comme l’instrument d’une paix nécessaire à une croissance économique équilibrée et forte. Le concept de solutions africaines aux problèmes africains, brandi souvent par les experts et les hommes politiques, suppose d'abord que les leviers dont dispose la/les diplomaties africaine (s) soient identifiés. C'est une première étape indispensable pour que les pays africains puissent prendre enfin avec succès le relais de l’ONU et des grandes puissances dans la résolution des conflits intra-africains.

Une autopsie des conflits en Afrique depuis l’indépendance

Longtemps, l’origine des conflits fut en grande part exogène. Dans le contexte de la guerre froide, la lutte entre impérialisme et marxisme au plan international fut transposé en Afrique comme ce fut le cas avec le MPLA et l’UNITA en Angola. En outre, ils ont été aussi du ressort de la lutte pour l’indépendance en Algérie, en Guinée Bissau ou au Mozambique. Le FLN, le PAIGC et le Frelimo furent à l’avant-garde des ces combats contre les pays colonisateurs.

Aujourd’hui, 60 ans après la grande vague des indépendances africaines, les conflits répondent à d’autres paradigmes. Cela du fait aussi de la chute du mur de Berlin et la fin des conflits idéologiques qui en ont résulté.

L’avancée de la construction de l’unité africaine chancelante, a aussi érigé une nouvelle architecture des conflits qui intègrent d’autres nouvelles entités. Il n’y a à proprement plus parler de guerre ouverte entre deux ou plusieurs pays depuis des décennies malgré les tensions politiques, parfois vives, qui peuvent exister.

Ces tensions assises sur la base de différends d’ordre politique, économique ou territorial.

Si le premier Sommet de l’OUA en 1963 a adopté le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, la question territoriale continue d’être un hiatus dans recherche d’une stabilité pérenne sur le Continent.


Conflits fonciers d’hier et d’aujourd’hui au Kenya et en Ethiopie

La question foncière au Kenya tout comme en Ethiopie a été à l’origine de changements de régime souvent brutaux. Elle est aussi au coeur des problématiques de développement aujourd'hui. Loza Seleshie revient sur une problématique importante dans la région orientale du Continent.


Questions foncières et révoltes au Kenya et en Ethiopie

Au commencement était la terre.

Les questions foncières sont l'une des causes les plus décisives et les moins évidentes de la chute de la monarchie ethiopienne. Plus que l'inefficacité croissante de l'administration centrale, la chute de la monarchie en 1974, peut trouver son point de départ dans la prise de conscience générale de l’injustice des directives régissant l'accès à la terre et la répartition des revenus fonciers. Ces dernières étaient mises en place depuis environ un siècle sous le règne de Ménélik II (1889-1913). L’Ethiopie avait connu une expansion considérable de son territoire, s’étendant principalement vers le sud. Le contraste culturel entre les peuples fraîchement incorporés à l’empire et les ethnies dirigeantes (principalement Tigré et Amhara) fut l’une des justifications utilisés pour expliquer l’expropriation de la terre, les confisquant ainsi aux paysans sur place pour les redistribuer entre les membres du gouvernement ayant aidé à la réussite de "la mission d’expansion". Ainsi, la majeure partie du sud du pays était administrée selon un système vassal.

La montée de Haile Selassie Ier au trône du royaume d’Ethiopie en 1930 marqua une accélération de la modernisation du pays, déjà initiée par Ménélik II. Parmi les mesures entreprises pour faire monter l’Ethiopie au rang de « nation civilisée », l’éducation était en tête de liste. Ce que Haile Selassie Ier n’avait pas prévu, c’était que ces jeunes qui avaient progressivement pris conscience des changements du monde qui les entourait (nombreux eurent la possibilité de poursuivre leurs études dans les meilleurs universités au monde) se lèveraient un jour contre la politique foncière injuste et au-delà contre sa personne.

derg_large-630x250La chute de la monarchie en 1974 se préparait depuis au moins une dizaine d’années. Nombreux étaient ceux qui avaient déjà participé à des marches scandant « la terre au laboureur ». Lorsque la junte militaire du Derg monte au pouvoir, l’une des premières mesures prises fut de collectiviser les terres qui appartenaient désormais à l’Etat. Les paysans ne devaient ainsi de taxes qu’au gouvernement. En répondant à la demande populaire, la junte militaire avait ainsi mit fin aux conflits sur la question de possession de la terre.

Au Kenya, même si la redistribution de la terre qui eut lieu à la même époque se fit dans un contexte colonial (en particulier à partir de 1920), il n’en demeure pas moins qu’il y a des similarités intéressantes. Etant donné que le gouvernement britannique comptait faire du Kenya une colonie de peuplement, il se devait de réserver de larges terrains aux colons. Ceci fut à l’origine de l’introduction du concept de « possession individuelle de la terre » qui auparavant appartenait à une communauté toute entière. Les populations locales furent ainsi repoussées vers des régions moins fertiles. Il fallut attendre le XIXème siècle avec une modernisation sans précédent mais surtout, la montée de mouvements contestataires ayant comme point focal la politique foncière pour que les choses avancent enfin.

Dans le cas du Kenya, la rébellion Mau Mau (1952-1960) est un parfait exemple de l’ampleur des mouvements contestataires. Progressivement devenue une campagne militaire opposant les forces coloniales Britanniques au Kenyan Land and Freedom Army (KLFA), elle témoigne de l’injustice de la répartition des terres. L’ethnie Kikuyu était la principale constituante de ce mouvement et avait également été dépossédée de larges terrains étant donné qu’ils étaient parmi les plus fertiles du Kenya.Malgré l’échec cuisant que connut le KLFA en 1960, le droit à la terre fut l’une des principales revendications de mouvements pour l’autodétermination. Les années qui suivirent l’indépendance furent l’occasion rêvée pour le gouvernement Kenyan d’établir une forme juste de répartition des terres dont bénéficierait la population dans son ensemble. Le retour bref aux pratiques ancestrales de mise en commun de la terre ne produisait pas les résultats attendus par les plus grands donateurs comme la Banque Mondiale. Il fut alors recommandé au gouvernement Kenyan d’encourager la possession individuelle, surtout afin d’encourager les citoyens à occuper d’autres terres, espérant surtout réduire la concentration de la population qui était de 2.4% seulement sur l’ensemble des terres arables (32% de la surface totale du Kenya). 

L'accès à la terre aujourd'hui

Le sujet de la propriété terrienne en Ethiopie ne revint à la une de l’actualité que vingt ans après que le Derg fut déposé par le Front Révolutionnaire et Démocratique du Peuple Ethiopien (FRDPE). D'un courant idéologique différant, le FRDPE entreprit une politique de libéralisation du marché afin de rendre le pays plus accessible aux capitaux étrangers. 

L’Ethiopie connait ainsi depuis la fin des années 90, une croissance sans précédent (6.5% en moyenne par an). Afin d’atteindre ses objectifs de développement, le gouvernement entreprend plusieurs mesures visant à favoriser l’investissement étranger. C’est ainsi que des étendues considérables de terre fertile sont accordées à des multinationales ou autres groupes étrangers. L’Ethiopie est un exemple parfait de l’Etat africain contraint de choisir entre le développement à toute vitesse pour répondre aux besoins d’une population croissante (2.2% par an) ou le refus de s’intégrer dans le circuit économique mondial tout en accordant la priorité à ses citoyens souvent mal équipés et surtout, manquant du savoir-faire considérable pour soutenir une économie en pleine expansion. Suite aux nombreuses années de négligence subies par le secteur agricole, le retard à rattraper est considérable.

Il est donc compréhensible que le gouvernement opte pour les compagnies étrangères, produisant ainsi le résultat voulu sans investissement considérable. Ce plan de développement pose cependant un problème dans la mesure où il peut être perçu comme une dépossession de leurs terres par les populations locales mais surtout parce que c’est une issue risquée, la surexploitation des terres étant omniprésente avec des lopins considérables accordés aux exploitations de roses qui nécessitent une quantité importante de pesticides. A supposer que les paysans Ethiopiens reprennent un jour ces exploitations en main, ne serait-il pas trop tard si les terres ne sont plus exploitables ?

L’agriculture n’est pas le seul secteur qui risque d’en souffrir, il ne faut pas non plus oublier les populations qui vivent de l’élevage. Nous pouvons citer le cas de la mise en place d’un barrage sur le fleuve Tana au Kenya qui eut pour résultat d’aggraver les conflits inter-ethniques déjà présents. Autour du delta que forme ce fleuve se sont installés plusieurs groupes ethniques dont les Somalis, éleveurs et les Bantu, agriculteurs. Le conflit résulte donc tout d’abord de conflits d’intérêts liés au mode de vie. Suite à la construction du barrage de Kiambere vers 1989, environ 6000 personnes durent quitter leurs terres qui subissaient une inondation progressive. Les terres disponibles étant réduites, les conflits se firent plus fréquents, mais aussi plus violents.L’inégalité croissante de répartition des terres conduit enfin en 1999 à la formation d’une commission suite à la demande du président afin de réguler l’accès à la terre. En effet, malgré les bonnes intentions du gouvernement, le fait d’encourager une possession individuelle de la terre avait entraîné l’exclusion de certains groupes que ce soit à cause de leur ethnie (les Ogiek) ou encore du simple fait qu’elles soient femmes.

La commission mise en place constata que la principale cause de l’inégale mais surtout de l’injuste répartition des terres était l’abus des deux principales lois mises en place à l’indépendance et surtout à cause d’une corruption importante.

Ces deux cas témoignent des deux problèmes principaux quand il s’agit de la politique foncière : une inégale répartition au sein même du pays et une situation difficile face à une volonté de s’ouvrir aux possibilités de développement économique. La solution réside peut-être dans une plus grande coopération régionale, plus d’échange et éventuellement, la consolidation d’un marché régional.

Sources

Land Tenure in Ethiopia : Continuity and Change, Shifting Rulers and the Quest for State Control (PDF)

Cadre et lignes directrices surles politiques foncières en Afrique (PDF)

Densité, pauvreté et politique. Une approche du surpeuplement rural en Éthiopie (lien)

Kenya – Une nouvelle Politique foncière nationale (lien)

Les attentes des Maliens de France envers leur futur président

Mali-large-avance-du-candidat-Keita-a-la-presidentielle_referenceLe premier tour des élections présidentielles au Mali s'est déroulé le 28 juillet dernier. Lors du second tour, prévu pour le 11 aout prochain, s'affronteront Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK arrivé en tête du premier tour avec 39.2% des voix et l'ancien Président de la Comission de l'UEMOA, Soumaïla Cissé, candidat de l'Union pour la république et la démocratie, qui a recolté 19,44% des suffrages.

Les ralliements des autres candidats du premier tour se succèdent et les tractations sont en cours pour le second tour de ce scrutin tant attendu, et qui devrait mettre un terme aux deux ans d'instabilité qu'a connu le Mali. Mais au-delà du rétablissement de l'ordre constitutionnel, le nouveau Président de la République du Mali devra faire face à une économie durement touchée par la crise, une société civile et un corps politique divisé par l'insurrection touareg et le coup d'état conduit par le capitaine Sanogo, en mars 2012.

Dans l'attente de ce second tour, l’Unité Mixte de Recherche 225 DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation) a realisé une enquête statistique inédite de très grande ampleur avec près de 100 enquêteurs répartis dans trois pays (Mali, Côte d’Ivoire et France). Nous présentons ici les premiers résultats de cette enquête menée auprès de plus de 200 votants maliens en France (Ambassade du Mali à Paris, Consulat du Mali à Bagnolet, villes d’Evry, de Montreuil et de Saint-Denis). Ils permettent de dresser plusieurs constats.

Des espoirs et des attentes pour l’avenir de la République du Mali

Un fort mécontentement quant à l’organisation du scrutin

Alors que la presse ou les réseaux sociaux se sont fait l’écho de nombreuses difficultés techniques posées au bon déroulement du scrutin dans la plupart des pays de résidence des migrants, et dans une moindre mesure au Mali, il ressort qu’en France plus des trois quarts des votants interrogés ne sont pas du tout satisfaits ou moyennement satisfaits de l’organisation des élections. Leur insatisfaction est principalement liée aux problèmes d’inscription sur les listes électorales en raison d’un recensement passé défectueux, à des retards dans la délivrance des cartes biométriques d’électeur NINA, à un manque d’information quant aux lieux de vote et à un non-respect du règlement électoral (urnes non cadenassées, bureaux de vote non ouverts ou avec retard, …). La date des élections qui avait été jugée trop précoce par de nombreux observateurs et certaines organisations non gouvernementales, est donc loin d’être la première raison invoquée.

Un large déficit de confiance dans la démocratie malienne

Alors que plus de 87% des votants maliens ont plutôt ou tout à fait confiance dans la démocratie française, ils portent a contrario un jugement extrêmement sévère sur le fonctionnement de la démocratie de leur pays d’origine. Un tiers d’entre eux considère même qu’avant le coup d’Etat il ne s’agissait pas d’une démocratie, 26% qu’il s’agissait d’une démocratie avec des problèmes majeurs. 31% seulement d’une pleine démocratie ou d’une démocratie avec des problèmes mineurs. Les principales raisons évoquées pour expliquer la crise traversée par leur pays sont : l’incompétence de la classe politique, la corruption généralisée et la faiblesse de l’Etat. La question du terrorisme étranger ne vient qu’après. L’intervention de l’armée militaire française agissant dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies a été jugée tout à fait justifiée par 79% des votants. Des espoirs et des attentes pour l’avenir de la République du Mali Si les trois quarts des votants interrogés affirment n’avoir eu plutôt pas, voire pas du tout confiance dans la classe politique malienne avant le coup d’Etat, ils sont paradoxalement plus de la moitié aujourd’hui à faire confiance à la classe politique malienne quand bien même n’a-t-elle été renouvelée qu’à la marge comme le montre la liste des candidats à l’élection présidentielle. Interrogés sur les plus grands défis qu’aura à relever le nouveau président, les électeurs citent, par ordre d’importance, le maintien de la sécurité du territoire face aux menaces islamistes ou terroristes, le renforcement de l’intégrité du territoire face aux revendications séparatistes et loin derrière ces deux premiers défis, la relance de l’activité économique et la réduction de la pauvreté.

La bonne « intégration » civique des électeurs maliens dans la société française

Contredisant les injonctions à l’intégration et les discours populistes sur les migrants ouest-africains en France, notre enquête montre sans nul doute possible que l’intérêt des personnes interrogées pour la vie politique de leur pays d’origine va de pair avec leur intérêt pour la vie politique de leur pays d’accueil, voire à leur participation réelle à la vie publique française lorsqu’elles sont dotées de la double nationalité. 56% de la population malienne votante déclare être très intéressée par la vie politique malienne, 26% affirmant avoir eu ou avoir la carte d’un politique malien. Vice et versa, 42% des électeurs affirment être très intéressés par la vie politique française. Au sein de cette population, 82% des personnes dotées de la bi-nationalité sont inscrites sur les listes électorales françaises et 77% votent aux scrutins nationaux.

CP – 2013.08. 01 Les Attentes des Maliens de France envers leur futur président, 1ères leçons d'une enquêt…


Retrouvez le communiqué complet en ligne.


Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet POLECOMI, DIAL-IRD, Iris-EHESS.
DIAL-IRD est un partenaire de l'Afrique des Idées

 

Porter un nouveau regard sur le bilan d’Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal

wadeL’inauguration de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio, le 1er Août 2013, offre l’occasion de revenir sur le bilan d’Abdoulaye Wade à la présidence du Sénégal. Qu’il me soit permis ici d’exprimer ma reconnaissance à Maitre Abdoulaye Wade, à Madame Aminata NIANE et à tous les fonctionnaires Sénégalais qui ont contribué à donner corps à ce projet. J’exprime, pour ce qui me concerne, ma fierté d’avoir été témoin de cette œuvre grandiose. 


Je dois préciser, avant d’aller plus loin, que comme beaucoup de Sénégalais, je me suis farouchement opposé au Président Abdoulaye Wade. A la hauteur de mes moyens, je me suis énergiquement battu pour son départ. Les amis avec qui j’étais à Daniel Brottier et à la place de l’indépendance le 22 juin 2011 et devant les grilles de l’Assemblée Nationale le 23 juin 2011 eux ne m’accuseront pas de collusion avec le PDS. 

Seulement, je suis triste de la caricature aujourd’hui faite d’un homme qui a consacré sa vie à l’Afrique et au Sénégal. Abdoulaye Wade, à partir de la fin de son premier mandat en particulier, a progressivement commencé à ensevelir les rêves que tout un peuple avait placé en lui. Il est d’ailleurs curieux de constater que même sur le plan macro-économique, la dégradation des agrégats économiques a commencé avec ses velléités de succession monarchique, à partir de 2005-2006. L’immensité de l’espoir que le peuple Sénégalais avait placé en lui en 2000 et, à l’opposé, la banalisation extrême que le régime, sous le magistère de Wade, avait fait subir à nos institutions, peuvent, par conséquent largement expliquer la colère et la réaction toutes deux légitimes des Sénégalais(e)s le 23 juin 2011 et en février 2012. Abdoulaye Wade a donc mérité la sanction démocratique des Sénégalais(e)s en février 2012. 

Cependant, réduire l’homme Abdoulaye  Wade à un monstre qui n’a apporté que malheurs au Sénégal est une négation de l’histoire. Ma conviction personnelle est que Wade n’a pas été sanctionné à cause de son bilan économique. Toute chose égale par ailleurs, le bilan économique qui a valu à Senghor et à Abdou DIOUF plusieurs réélections est, sans aucun doute possible,  moins glorifiant que la décennie de gouvernance du Président Abdoulaye Wade. 

Sous son règne, entre 2000 et 2012, le budget du Sénégal est passé de 516 milliards à 2200 milliards de FCFA, le niveau d’endettement de 165% du PIB à 37,3% du PIB, les avoirs extérieurs sont passés de 88,7 milliards à 1974 milliards FCFA.

L’audacieuse réforme sur la fiscalité des entreprises en faisant passer l’IS de 35% à 25%, le délai de création d’entreprise de 58 Jours à 2 Jours valant au passage au Sénégal d’être classé en 2009 parmi les meilleurs réformateurs mondiaux dans le Doing Business de la même année. Le volume d’investissement privé, sous l’impulsion de l’APIX, est passé de 467 Milliards FCFA en 2000 à 1394,6 Milliards en 2012 FCFA.

Sur le plan de l’éducation, les performances sont tout aussi  illustratives : sur la même période, les écoles élémentaires sont passées de 94 à 1220,  le nombre de collèges de 220 á 912, les lycées de 4.338 á 7.537 et les cases de tout petit de 0 á 499  sans compter les Centres Universitaires Régionaux créés pour désengorger les Universités de Dakar et Saint Louis….[1]

Il est évident qu’avec moins de gabegie, et davantage de rationalité économique et de sobriété dans sa gestion, Abdoulaye Wade aurait pu faire beaucoup plus sur le plan économique mais fondamentalement Abdoulaye Wade n’a pas été sanctionné pour son bilan économique. 

Par ailleurs, dans l’actif du bilan du Président Wade, il est juste d’inscrire son combat de plusieurs décennies pour l’Afrique. Ce n’est peut-être pas le lieu de discuter du fonds de son livre Un Destin pour l’Afrique, mais en 1959 déjà, avant les indépendances, le Président Wade a publi

Le coup d’Etat du 3 juillet 2013 : rupture ou renouveau?

Cet article présente les positions aussi articulées que tranchées d'analystes de Terangaweb-l'Afrique des Idées sur le coup d'état survenu le 03 Juillet dernier en Egypte. L'ardeur des opinions et des passions soulevées par les évènements actuels en Egypte demande que les arguments en faveur ou contre ce coup d'état soient présentés de la façon la plus forte et intelligible. Voici la contribution de Terangaweb-l'Afrique des Idées à cette conversation.

Rosalie Berthier & Loza Seleshie


Une nouvelle chance pour l'Egypte

Morsi MoubarakCe qui est advenu en Egypte, le 3 juillet, est un coup d'Etat – en tout cas si l'on se tient à une définition assez vague qui voit dans le coup un moyen de prendre le pouvoir par la force. La vraie question était de savoir si ce coup d'Etat était de la catégorie qui marque les pages les moins glorieuses de l'histoire d'une nation ou si l'on en parlerait comme une étape indispensable à la construction de la démocratie en Egypte.

Théoriquement un coup d'Etat est condamnable et à condamner. Surtout s'il est commis par un groupe qui s'autoproclame garant de la démocratie en renversant un Président dont la légitimité vient des urnes; surtout si ce groupe s'empresse de prendre des mesures anti-démocratiques visant à faire taire les partisans de l'ancien régime; encore plus lorsque ce groupe se trouve être l'armée, corps autonome, sans contrôle et ayant à son actif l'exercice du pouvoir dictatorial.

La condamnation aurait donc dû être directe et sans appel. Pourtant, appel et hésitation il y eut. Pourquoi ? La réponse se trouve au début de la description du coup. Mohamed Morsi avait-il toujours la légitimité nécessaire à l'exercice du pouvoir ? Et, au-delà, sa conduite au pouvoir a-t-elle renforcé ou affaibli cette légitimité ?

La légitimité démocratique ne se limite pas aux intrants.

Le 30 juin 2012, Mohammed Morsi a été choisi par plus de 13 millions d'électeurs comme premier Président élu en Egypte. Sa légitimité est démocratique et lui garantit le soutien d'une majorité de la population et la reconnaissance dans le système international. Mais la légitimité démocratique ne se limite pas aux intrants. Elle se travaille au quotidien. De nombreux éléments permettent néanmoins de douter de la légitimité effective de M. Morsi au moment de son renversement. Il faut d'abord rappeler que les élections n'avaient mobilisé qu'une petite moitié de la population. Ensuite, on se souviendra que le second tour opposait au candidat islamiste, Ahmed Chafik ancien Premier Ministre de l'ère Moubarak. Pour de nombreux révolutionnaires de deux maux il s'agissait de choisir le moindre. Or M. Morsi a agi comme s'il ne devait son élection qu'à une majorité approuvant l'orientation islamiste de sa politique. Il n'a même pas feint la diversité pour tenter de représenter le corps électoral – sans parler des maladresses comme la nomination d'Adel Mohamed Al-Khayat, comme gouverneur du Louxor alors que celui-ci appartient au mouvement islamiste Gamaa el -islamya responsable d'attentats dans la même région. Enfin, M. Morsi n'a pas tenu ses 64 promesses – ni dans le délai de 100 jours qu'il s'était fixé, ni dans celui d'un an que les militaires lui ont accordé [voir aussi le « morsimeter », baromètre des promesses rompues de Morsi].

Un coup d'Etat, était-ce vraiment la seule solution? Les problèmes soulevés par les coups d'Etat sont nombreux mais un est ici particulièrement important : ils invalident le processus démocratique. EN approuvant le coup d’état, l'élite libérale agit avec de bonnes intentions puisque désirant sauver le peuple de sa propre ignorance. Mais quelle légitimité pour une démocratie qui enseigne l'égalité des citoyens mais ne l'applique pas dans les faits. Une démocratie sur mesure plus ou moins flexible selon les individus n'existe pas. Cependant dans le cas de l'Egypte il faut comprendre que l'intégration du processus démocratique se fait des deux côtés. Ainsi M. Morsi a-t-il appris, à ses dépens, que se voir confier la responsabilité de gouverner ne signifie en aucun cas être un Moubarak en CDD. Un chef de l'Etat ne fait pas ce que bon lui semble, il est responsable devant les électeurs et cette responsabilité n'est pas seulement mise en jeu au moment des élections mais tout au long du mandat.

L'intervention de l'armée donne une nouvelle chance à l’Egypte

Des tentatives de négociation ont eu lieu tout au long de l'année et M. Morsi semble les avoir toutes méprisées. Utiliser le coup d'Etat pour mettre un Président face à ses responsabilités est certes une solution extrême, le dialogue de sourds entre Morsi et les libéraux avait probablement atteint cette extrémité.

Il ne faut cependant pas que cette option devienne une habitude. Ce coup d'Etat rappelle à ceux qui l'auraient oublié que l'armée contrôle toujours le pouvoir en Egypte. Elle avait décidé que Gamal Moubarak ne serait pas Président, elle a décidé que Morsi ne le serait plus. La priorité actuelle est de mettre en place les bases de la démocratie dont le peuple et lui seul serait dépositaire. L'intervention de l'armée donne une nouvelle chance à l'Egypte de recommencer le processus en apprenant de ses erreurs. La Constitution devrait par exemple prévoir un équilibre plus stable des pouvoirs. Si le Président Adli Mansour et son Premier Ministre Hazem Beblaoui parviennent à former un gouvernement accepté également par les Frères et à sortir le pays de la crise interne qui la divise, ce coup sera vu par l'histoire comme une étape du succès de la Révolution. Cela suppose que toutes les parties impliquées soient d'abord concernées par la victoire de la démocratie et non leur propre victoire pour le contrôle du pouvoir.

Rosalie Berthier


Le paradoxe de Tahrir

Mohamed Morsi est le premier président élu de manière démocratique (52% des voix) en Egypte. A un moment où la plupart des pays touchés par le printemps arabe sombraient dans le marasme, en juin 2011, l’Egypte, par les Egyptiens, a su donner du poids et un sens à la révolution en établissant un gouvernement issu de la légitimité des urnes.

Les contradictions entre Tahrir I et Tahrir II

Feb11_VICTORY_Planting_Democracy_in_Tahrir_Square_2Il y a une importante contradiction entre les valeurs défendues, il y a un peu plus d’un an, sur la place Tahrir, et les revendications actuelles. Si on parle de valeurs démocratiques, il ne faut pas se contenter d’en saisir la moitié. Il est vrai que la démocratie doit permettre d’instaurer un gouvernement élu à la majorité, mais il est aussi vrai qu’une fois ce gouvernement élu, il est légitime jusqu’à la fin de son mandat. Ce point reste essentiel pour qu’une tradition démocratique puisse subsister dans un pays qui n’a connu que des dictatures jusque-là.

Les nouveaux  occupants de la place Tahrir dénoncèrent un non-respect de la démocratie contrairement à une absence de celle-ci, comme c’était le cas il y a un an. Mohammed Morsi est accusé, en autres, d’abus de pouvoir avec les modifications constitutionnelles comme le décret constitutionnel du 22 novembre dernier lui permettant de légiférer par décret. Cette démarche avait aussi été reprochée au conseil militaire qui avait assuré la transition post-Mubarak.

 Il se peut également, comme il a beaucoup été critiqué, que le gouvernement soit incompétent dans certains domaines (surtout l’économie). Bien que la révolution ait permis une ouverture importante des médias et donc une expression plus libre des opinions politiques, elle a aussi paralysé une part non-négligeable de l’économie comme c’est le cas du tourisme. Il est vrai que la relance a été plus lente que prévu, aggravée par la crise alimentaire jamais totalement résolue depuis 2008 et aggravée récemment.                              

Même si les deux problèmes cités plus haut ne sont pas des résultats directs de la prise de pouvoir par Morsi, le fait que l’administration n’ait pas pu y remédier a servi et sert encore de justification valable pour les manifestations de la place Tahrir.  Cela est  compréhensible mais  la dimension supplémentaire de mise en cause du pouvoir en place ne l’est pas. C’est anticonstitutionnel, comme la pétition demandant la démission de Mohammed Morsi  qui aurait obtenu 22 millions de signatures. Il est précisément inscrit dans la constitution qu’une telle mesure est illégale et c’est sans doute pour cela que la cour constitutionnelle l’a refusée étant donné que les articles 151 et 152 de la constitution prévoient une destitution dans le cas où le président présente une lettre de démission ou qu’une mesure d’ « impeachment » est entreprise après un vote de la chambre des députés.

Le "dernier" des derniers coups d'états?

Y aura-t-il un coup d’état à chaque fois que le bilan d’un gouvernement ne sera pas à la hauteur des attentes d’une partie du peuple ?Le fait de destituer du pouvoir non pas uniquement le président, mais son entière administration est encore une fois une atteinte à la démocratie. D’après l’article 153 de la constitution égyptienne, si le poste de président se retrouve vacant de manière permanente, la personne présidant la chambre des députés assurera la transition. Dans le cas où la chambre ne serait pas entrée en session, comme c’est actuellement le cas, la personne présidant le conseil Shura prendra sa place. Or, les militaires ont nommé, en dehors des procédures prévues, le président de la cour constitutionnelle Adly Mansour à la tête du gouvernement de transition.

Pourquoi le dialogue n’a-t-il donc pas été favorisé ? Tour d’abord par ce que le temps fixé par le camp des militaires a été insuffisant : trois jours pour que le gouvernement en place et l’opposition puissent venir à bout de la crise. L’opposition n’est pas unie, il serait donc naïf de croire qu’un dirigeant émergerai sous le poids de la contrainte. Les alliances qui se seraient formées n’aurait-elles été plus par volonté de s’unir face à un ennemi commun que par affinités politiques ?  Plus grave encore : qui est légitime et qui ne l’est pas dans l’opposition ? La désignation au poste de premier ministre de Hazim el-Beblawi  semble confirmer  le fait que la nouvelle administration cherche à calmer les tensions.

La position des anti-Morsi par rapport aux militaires est également ambigüe. Si le fait que Morsi ait écarté du pouvoir le maréchal Tantaoui deux mois après sa prise de pouvoir a été acclamé, (surtout parce qu’il symbolisait la fin du mandat du conseil militaire, longtemps perçu comme un vestige du régime de Moubarak), il semble étrange que les actions de son remplaçant le Général Al-Sissi soient salués comme un acte de sauvegarde de la démocratie. Il est vrai que les militaires ont contribué à la réussite de la révolution en se rangeant finalement du côté des manifestants mais cela ne leur donne pas directement droit au pouvoir. Si la démocratie est la réelle cause pour laquelle on manifeste toujours sur la place Tahrir, pourquoi le coup d’état militaire n’est-il pas dénoncé ?

Le risque de radicalisation renforcé

Plus grave encore, la déposition de Morsi ne fait que ralentir un processus démocratique qui avait déjà eu beaucoup de mal à se mettre en place. Même si le camp anti-Morsi est important en nombre, celui des supporters des Frères musulmans n’est pas à négliger. Il serait très risqué de les exclure du peu de dialogue démocratique qui reste à cause de la dimension religieuse supplémentaire que risque de prendre leur combat, dans tous les sens du terme. Nombreux sont ceux qui ont déclaré vouloir aller « jusqu’au bout ». Cela mènerai-t-il jusqu’à la guerre civile au nom de l’Islam ? Morsi, avec la Tunisie est l’un de rares exemples de prise de pouvoir pacifique et démocratique par un parti Islamiste. La tournure qu’on prit les évènements au Caire lundi 8 juillet ne prédit rien de bon avec déjà 51 morts du côté des pro-Morsi et risquerait de pousser le mouvement des Frères à se tourner vers un rapport de forces avec le gouvernement et l’armée.

Loza Seleshie

Illustrations

Licence CC 3.0 par Gigi Ibrahim et Carlos Latuff

Instauration d’un Sénat au Burkina Faso : de la polémique à la tension populaire

La crise politique et sociale gagne le Burkina suite à la modification constitutionnelle instaurant un Sénat. Au-delà de ce changement institutionnel, les relations deviennent de plus en plus tendues entre la mouvance présidentielle et l’opposition réunie au sein du CFOP-B. Plus que la question du bicaméralisme, le 29 juin, c’est un ras-le-bol général qu’ont exprimé les Burkinabés au pouvoir de Blaise Compaoré. 

Blaise dégageDepuis le 21 mai 2013, date du vote de la loi organique consacrant ainsi le retour du bicaméralisme parlementaire, la polémique et la tension n’ont cessé de monter au sein des acteurs politiques et de la société civile Burkinabé. L’opportunité de l’instauration d’un sénat dans l’univers institutionnel burkinabè est la source de ce désaccord profond.

Une révision constitutionnelle

L’idée remonte au 3ème congrès extraordinaire du parti au pouvoir, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), tenu les 6 et 7 août 2010. Créer un sénat servirait selon les caciques du pouvoir à « permettre la participation et la représentation de tous les Burkinabès aux différentes institutions de la République ».  L’idée a ensuite été reprise par le Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP), créé à la suite de la grave crise sociopolitique qu’a connu le pays en 2011. Parmi les conclusions « consensuelles » de ses assises, figure en bonne place la création d’un Sénat. Consensus relatif, quand l’on sait que les partis représentatifs de l’opposition regroupés autour du CFOP-B (coalition de l’opposition burkinabè) présidé par Me Bénéwendé S.Sankara ont boycotté le CCRP. 

L’instauration du sénat a commencé à se concrétiser le 11 juin 2012, avec l’adoption de la loi constitutionnelle N° 033-2012/AN modifiant l’article 78 de la Constitution qui dispose désormais : « le Parlement comprend deux chambres : l’Assemblée Nationale et le Sénat ».

Cette révision consacre ainsi le retour du bicaméralisme après la courte expérience de la Chambre des Représentants qui a fait office de deuxième Chambre de 1997 à 2002. Parmi les principales raisons alors évoquées pour justifier la suppression de la Chambre des représentants, figurait « son coût financier important ». 

Du vote de la loi organique à la montée de la contestation politique

La loi organique portant organisation et fonctionnement du Parlement a été votée le 21 mai 2013 par l’Assemblée Nationale avec les votes du CDP et ceux des partis de la « mouvance présidentielle », tandis que le CFOP-B, désormais présidé par Zépherin Diabré à l’issue des élections du 02 décembre 2013, tenait un rassemblement de protestation contre l’adoption de cette loi. Cette dernière prévoit que le Sénat sera composé de 89 sénateurs dont 29 nommés par le chef de l’Etat. En outre, une révision de la Constitution requiert désormais l’accord des ¾ des membres du parlement réunis en congrès. 

Depuis la révision constitutionnelle du 11 juin 2012, le fossé ne cesse de se creuser entre partisans et adversaires du Sénat. Si les défenseurs de la deuxième chambre voient en cette institution un renforcement de la démocratie et une large implication de toutes les couches sociales dans les affaires publiques, ses détracteurs, notamment l’opposition et la société civile, balaient d’un revers de main ces arguments tout en avançant d’autres motifs. 

arton54841Ainsi, pour l’opposition, le Sénat serait « budgétivore » et ne serait que prétexte à « la modification de l’article 37 de la constitution relatif à la limitation du mandat présidentiel». Cette suspicion de l’opposition n’est pas sans fondement d’autant plus qu’à l’issue des élections législatives du 02 décembre 2012, le CDP a perdu sa majorité qualifiée à l’Assemblée Nationale pouvant lui permettre de rassembler les ¾ requis pour modifier la constitution. Avec cette nouvelle institution, il pourra sans aucun doute opérer toutes les modifications souhaitées. 

Quant à la société civile, ses arguments sont plutôt d’ordre social et financier.  « Avec le Sénat, on élargit la race des parasites de la république » dixit le Pr Luc M. Ibriga du Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD). Elle juge la nouvelle Chambre « inopportune, inutile et budgétivore » face à la panoplie de revendications sociales non satisfaites. Plus généralement, elle caricature le Sénat comme « la dernière trouvaille d’un régime aux abois pour caser ses vielles machines politiques ». 

Depuis les assises du CCRP, l’opposition burkinabè a amorcé une dynamique d’unité historique pour contrer les velléités du pouvoir à vie imputées à tort ou à raison au régime en place. « L’Appel de Kombissiri » qui a réuni les deux plus grands groupes parlementaires de l’opposition, l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC) et l’Alternance Démocratie et justice (ADJ). 

Le succès de la marche du 29 juin

Le 26 juin, le conseil des ministres adoptait « un décret portant convocation du corps électoral pour l’élection des sénateurs représentant les collectivités territoriales ». «  Au terme de ce décret, le corps électoral est convoqué le dimanche 28 juillet 2013 pour l’élection des trente neuf (39) sénateurs représentant les collectivités territoriales ». En réponse, le 29 juin 2013, à l’initiative de ces deux groupes parlementaires ainsi que d’autres partis extraparlementaires et quelques structures de la société civile, une marche d’envergure nationale pour protester contre la mise en place du Sénat a été initiée. 

C’est dans ce climat de tension qu’à Koudougou, Bobo-Dioulasso, Dédougou ou Ouahigouya, les populations sont sorties pour exprimer leur refus du Sénat et leur ras-le-bol contre la politique générale du gouvernement avec en ligne de mire le président Blaise Compaoré. On pouvait lire sur les pancartes et entendre les slogans scandés par les manifestants : « non au Sénat, oui à une école de beaux-arts », « un WC public vaut mieux que le Sénat », « Compaoré quitte le pouvoir. L’été noir », « Blaise dégage », « non à la modification de l’article 37 »…

marche-13 juinA Ouagadougou, l’itinéraire de cette marche devrait conduire au rond-point des Nations-Unies ou un émissaire du Premier Ministre devrait attendre les marcheurs pour recevoir leur mémorandum. Ne s’étant pas présenté au lieu indiqué  et vu que la mobilisation était celle des grands jours, le cordon sécuritaire visiblement dépassé n’a pu empêcher le débordement. La frustration était grande face à cette attitude « insultante du peuple » et la volonté des manifestants de marcher sur l’Assemblée nationale a déclenché des tirs de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre. Contrairement aux informations communiquées par les médias publics, des dizaines de blessés ont été notés. 

Réunie à son siège dès le lendemain de cette marche historique pour une conférence de presse, l’opposition s’est félicitée de cette manifestation et a appellé la population burkinabè à rester mobilisée pour de mots d’ordres futurs entrant dans le cadre de cette lutte. 

Malgré cela, le parti au pouvoir tient mordicus à son Sénat et multiplie les démarches pour sa mise en place effective. Par ailleurs le CDP sera également dans la rue le 06 juillet prochain pour une marche-meeting sur le thème «Paix sociale, consolidation de la démocratie et développement» a laissé entendre Assimi Kouanda, secrétaire exécutif national du parti lors d'une conférence de presse tenue le mercredi 03 juillet 2013. Cette réforme du gouvernement a divisé le pays et fait éclore des idées auprès de différentes couches sociales. L’indignation a gagné du terrain, des mouvements populaires jaillissent, les burkinabè de l’extérieur se mobilisent et des leaders d’opinions sur la scène nationale et internationale s’affichent publiquement contre ce « bâillonnement du peuple ». 

« Le ballet citoyen » dont les initiateurs ne sont autres que les artistes musiciens engagés Smokey et Sams’k le Jah, deux idoles de la jeunesse burkinabè, est ainsi né le jour de la marche. Il compte « assainir de façon citoyenne et propre le Faso » en constituant « une force citoyenne nouvelle qui résiste et s'organise pour une "vrai démocratie", une "bonne gouvernance" et un "meilleur vivre-ensemble" au Faso ». 

En attendant, une autre marche de protestation est prévue  le 20 juillet 2013. Cette fois à l’appel de la Coalition Contre la Vie Chère et l’impunité (CCVC), une union de structures de la société civile réunissant pratiquement tous les syndicats de travailleurs et certains partis politique de l’opposition. Le refus du Sénat s’y invite également. Ce qui promet une nouvelle journée de tension dans le pays. Tension de laquelle, nous l'espérons, émergera une nouvelle réalité positive pour le Burkina Faso. 

Ismaël Compaoré et Noraogo Paul Nabi 

La politique étrangère de l’Afrique du Sud : entre idéalisme et realpolitik

Plus que tout autre pays, l'Afrique du Sud devrait être un défenseur et un promoteur des droits de l’homme en raison de son passé. Le pays a le potentiel d’être à l’avant-garde du combat pour un ordre international plus démocratique.

 


Dans un article écrit pour Foreign Affairs en 1993, Nelson Mandela, qui était à l’époque chef de l’ANC et futur Président, a articulé la politique étrangère de l'ANC dans une Afrique du Sud post-apartheid. Son message visionnaire disait : «que les questions des droits de l'homme sont au cœur des relations internationales et vont au-delà du fait politique pour englober le domaine économique, social et environnemental ; que des solutions équitables et durables aux problèmes de l'humanité ne peuvent venir que par la promotion de la démocratie dans le monde ; que les considérations de justice et de respect du droit international devraient guider les relations entre les nations; que la paix est l'objectif que tous les pays devraient s'efforcer de suivre et lorsque celle-ci échoue, que ce soient les mécanismes basés sur le consensus international et la non violence …. Que les préoccupations et les intérêts du continent africain devraient être reflétés dans nos choix de politique étrangère ... ».

Depuis 1994, l'Afrique du Sud a joué un rôle croissant sur le continent et dans le monde. Le pays fut par deux fois élu membre non-permanent du Conseil de sécurité ; Il fait parti des pays de l’IBSA et plus récemment des BRICS ; Au sein de l'Union Africaine, son rôle en tant que médiateur et contributeur aux forces chargées du maintien de la paix sur le continent s’est accru de manière exponentielle.

La politique étrangère de l'Afrique du Sud a la difficile tâche de satisfaire les attentes en matière de leadership dans le domaine de droits de l’homme (et son envie de jouer ce rôle sur la scène mondiale) et l’inévitable nécessité de realpolitik dans un paysage géopolitique aux rapports de forces en constante évolution. De plus les ambitions propres à l’Afrique du Sud, comme leader en Afrique et comme leader africain dans le monde, amène ses dirigeants à définir leur politique et leurs alliances de manière prudente et ce sur chaque problématique.

Zuma au Benin

 

Alors que sa puissance et son influence continuent de s’affirmer, les priorités et les objectifs de la politique étrangère de Pretoria font l’objet d’une attention croissante, et parfois de critiques sévères, y compris de l’icône de la lutte contre l’apartheid, l’archevêque Tutu, qui a remis en question le bilan du pays en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, en soulignant notamment les efforts entrepris pour faire en sorte que le Zimbabwe ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil. Ces critiques ont peut-être été plus appuyées en raison des attentes particulières envers l’Afrique du Sud post-1994 ; des attentes liées à son propre passé dans le domaine des droits de l’homme et à l’arrivée au pouvoir d’un parti de libération qui a produit 3 lauréats du prix Nobel et qui a donné naissance au leadership moral de modèles comme Mandela et l’archevêque Tutu. La politique étrangère d’une Afrique du Sud démocratique était censée être à l’avant- garde, particulièrement dans les domaines de la justice sociale et des droits de l’homme. Ce sont des attentes que d’autres pays émergents comme le Brésil, la Turquie ou l’Inde par exemple n’ont pas eu à satisfaire.

Bien que l'Afrique du Sud puisse ne pas être totalement à l’aise au sein de certains groupes de pays émergents comme les BRICS, elle partage un même désir commun de remodeler les dynamiques actuelles du pouvoir mondial, notamment la volonté d’inciter une réforme du Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif et démocratique. Cette volonté de remodeler les dynamiques de pouvoir et de défier le statu quo a inclus la remise en question de la communication sur les droits de l’homme qui met en avant certaines situations au détriment d’autres. Pourquoi, par exemple, l'opinion mondiale ne se mobilise pas autour des violations des droits de l’homme au Sahara Occidental ou à Guantanamo Bay de la même manière qu’elle le fait lorsque des intérêts bien établis sont en cause. Dans le débat annuel du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental qui eu lieu l'année dernière, l’ambassadeur d’Afrique du Sud accusa le Conseil de double standard, en soulignant le contraste entre la réponse apportée au Printemps arabe avec le refus de permettre un mécanisme permanent de surveillance des droits de l’homme dans la région et l’accusant d’une «approche sélective des droits de l'homme». Ceci est en accord avec une critique plus générale émanant de Pretoria envers ceux qui détiennent le pouvoir sur la scène internationale et le fait qu’ils utilisent les droits de l’homme comme prétexte afin de poursuivre des intérêts nationaux, les invoquant dans certains cas tout en les ignorant dans d'autres.

Ce point sert à rappeler qu'il n'y a pas de «politique étrangère des droits de l’homme» et que le fait d’évaluer une telle politique uniquement sur la base d’une problématique est biaisé sur le plan analytique. Il est plus approprié de fournir une analyse contextuelle de l'objectif général d’un Etat en matière de droits de l'homme, en reconnaissant la cohérence là où elle existe, mais en se concentrant sur ​​les tendances qui peuvent être révélatrices des priorités. Cela peut aider à comprendre à quoi le nouvel ordre mondial peut ressembler si les puissances émergentes continuent de voir leur influence croître sur la scène mondiale.

En évaluant la politique étrangère de l'Afrique du Sud, en particulier en ce qui concerne les questions de guerre et de paix, il faut comprendre que ce pays appréhende ses relations internationales à travers le prisme de sa propre histoire consistant à parvenir à une solution négociée dans laquelle la recherche de la paix et de la justice sont des impératifs qui se renforcent mutuellement. Il ne faut donc pas s'étonner que dans les cas où l’Afrique du Sud a été la plus sévèrement jugée, elle a poursuivi une politique de recherche de solution négociée. En Libye, bien que l'Afrique du Sud ait voté en faveur des deux résolutions du Conseil de sécurité 1970 et 1973, la zone d'exclusion aérienne et le renvoi à la CPI, elle a continué à chercher une solution négociée dans le cadre d'un panel de haut niveau de l'UA qu'elle a dirigé. De même en Syrie, alors que sa position au Conseil de sécurité en 2012 a été largement critiquée, l'approche adoptée, à tort ou à raison, est le reflet d’un effort incessant visant à trouver des solutions négociées à des conflits apparemment insolubles.

L'approche de l'Afrique du Sud à la Cour Pénale Internationale montre la manière dont elle tente de concilier les impératifs des différents groupes, ses propres engagements en matière de droits de l'homme et ses objectifs d’ordre plus général tels que la gouvernance mondiale.

Dans ses déclarations devant le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et l'Assemblée des États Parties au Statut de Rome, l'Afrique du Sud a souvent mis en avant l'importance de la lutte contre l'impunité et la contribution importante apportée par la CPI pour renforcer la responsabilisation et encourager d'autres États à devenir signataires du Statut de Rome tout en soulignant les questions telles que le financement et la non-coopération qui entravent le travail de la Cour. Dans le même temps, l'Afrique du Sud a soulevé des préoccupations au sujet de la politique suivie par la CPI et le manque de cohérence comme étant une menace pour la légitimité et l'efficacité de la Cour elle-même en s’interrogeant sur les intentions cachées.

L'Afrique du Sud a toujours soutenu la Cour, mais a également appelé à un processus à deux voies dans des situations telles que le Darfour qui permettrait à la fois une voie de la justice et de la responsabilité ainsi qu’une voie politique pour traiter de questions plus larges dont celles concernant une paix durable. C'est dans ce contexte qu'elle a appelé à un report de l’article 16 au sujet de la situation au Darfour, visant également à respecter les efforts régionaux pour résoudre les conflits.

La gestion des relations avec le président soudanais Béchir montre combien il peut parfois être délicat pour l’Afrique du Sud de trouver un équilibre entre certaines contradictions. Alors que le président Béchir fut invité à l’investiture du président Zuma en 2009, il aurait également été informé via les canaux diplomatiques non officiels ne pas y assister avant qu’il ne soit annoncé qu'un mandat d'arrêt avait été émis et qu’il serait utilisé au cas où il poserait le pied sur le sol sud-africain.

Cette solution permis à l’Afrique du Sud de remplir ses obligations, de relever l'indépendance de son système judiciaire et de maintenir ses relations diplomatiques avec un chef d'Etat et sa capacité à entrer dans un processus de médiation et de résolution de conflit. De même, tout en ne soutenant pas les objections de l'Union Africaine sur le fait que le tribunal visait à «cibler les africains», l'Afrique du Sud a incité le Conseil de sécurité à accepter la demande émise par l’UA de report du mandat d’arrêt contre Béchir.

Il est peut-être trop tôt pour faire le bilan d'un pays qui est encore en train de négocier un rôle croissant sur ​​la scène internationale. Ce que nous savons, c'est que les éléments clés de la politique étrangère prévus par l'ancien président Mandela en 1993 demeurent en place : la promotion d'un ordre du jour africain, de la paix, de solutions négociées et le respect des droits de l'homme en tant que composante essentielle des objectifs visés par la politique étrangère de L’Afrique du Sud. Malgré certaines contradictions et incohérences, le désir fondamental de contester le pouvoir établi pour un ordre international plus démocratique est clairement perceptible. Ceci peut en soi déjà être considéré comme un ordre du jour en faveur des droits de l’homme.

 

Dire Tladi & Nahla Valji

Pour Open Global Rights

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Sur les auteurs

Dire Tladi est Conseiller Juridique Principal (droit international) au ministère des Relations internationales et de la coopération sud-africain.

Nahla Valji est spécialiste des questions d'état de droit et de justice à ONU Femmes, agence de l'ONU oeuvrant  pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes.

 

Pour aller plus loin

 

Reproduction de l'article sous licence Creative Commons

Illustration : Visite officielle du Président Jacob Zuma au Bénin

Licence CC – Flickr @GovernmentZA

Comprendre le marché du travail africain : faiblesses et potentiels

àlaune_introLes remous qu’ont connus bon nombre d’économies au cours de cette dernière décennie ont épargné l’Afrique dans sa globalité, si l’on s’en tient aux performances réalisées en termes de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). En effet, au moment où les pays du Nord enregistrent de faibles performances économiques, l’Afrique affiche une forte résilience face à la crise économique et financière mondiale, avec une croissance estimée à 4,8% en 2013 et des prévisions tournant autour de 5,3% pour 2014.[1]

Ces performances en matière de croissance n’ont apparemment pas permis d’apaiser les tensions sur le marché du travail africain qui reste tributaire, entre autres, d’un chômage endémique et d’une précarité de l’emploi. Pourtant si l’on s’en tient à certaines théories économiques[2], une croissance soutenue devrait, au-delà d’un seuil donné, contribuer à réduire le chômage.

Dès lors il convient de s’interroger sur les facteurs explicatifs de ce “décrochage apparent entre la croissance et l’emploi”. Ce questionnement se justifie d’autant plus que la création d’emploi est le plus souvent perçue comme un préalable à la réalisation d’une croissance inclusive, c’est-à-dire profitable à toutes les composantes de la société et en particulier aux pauvres. Deux questions peuvent dès lors se poser :

  • Peut-on considérer, comme le stipulent certains analystes, que cette croissance est encore insuffisante pour avoir des retombées significatives en termes d’emplois ?
  • Devrait-t-on plutôt chercher la réponse dans l’existence de facteurs structurels bloquants, propres au marché du travail des économies des pays d’Afrique ?

L’objectif de notre analyse n’est pas de théoriser sur ces deux questions. Nous soutenons toutefois qu’une croissance soutenue et durable demeure une condition nécessaire mais pas suffisante pour engendrer des changements conséquents au niveau social. Dans la suite, nous tenterons de faire ressortir, à travers une caractérisation du marché du travail africain, les facteurs structurels qui pourraient expliquer la persistance du chômage et la précarité de l’emploi dans nos économies. Il sera aussi question de mettre en avant les atouts dont disposent nos économies pour inverser cette tendance.

L’Afrique tire-il avantage de son dividende démographique ?

L’Afrique et plus particulièrement la région subsaharienne est la dernière à entamer une transition démographique dans le monde. Cette transition démographique[3] tardive et inachevée accroît les tensions sur le marché du travail, dans la mesure où chaque année une cohorte de près de 17,5 millions de potentiels demandeurs d’emploi (âgé de 15 à 64 ans, qualifiés ou pas) s’ajoute au nombre pléthorique des sans-emplois. D’après le rapport sur les «Tendances mondiales de l’emploi 2012» du Bureau International du Travail (BIT), le taux de croissance de la population en âge de travailler devra tourner autour de 2,8% entre 2010 et 2015. Conjointement à cette poussée démographique, on note une faible capacité de création d’emplois[4] dans nos économies, ce qui transforme le dividende démographique en un facteur contraignant qui vient aggraver la dépendance économique déjà existante. Dès lors, un des défis majeurs pour les pays africains sera d’identifier les secteurs moteurs de la croissance et d’envisager des mécanismes visant à accroitre leur capacité à générer d’emplois décents et productifs. 

Pourquoi les secteurs porteurs de la croissance en Afrique ne génèrent-ils pas suffisamment d’emplois ?

La croissance observée en Afrique reste volatile car reposant essentiellement sur les secteurs à forte intensité capitalistique.[5] En Afrique Subsaharienne par exemple, près de 15% de la production annuelle et 50% des exportations proviennent de ressources naturelles non renouvelables.[6] Or, l’activité dans ces secteurs tourne essentiellement autour de la production et de l’exportation de matières premières à l’état brut, ce qui est un facteur compromettant au regard de la faible valeur ajoutée générée et du faible nombre d’emplois décents créés. 

repartition_emploi_secteursMême si en Afrique du Nord le secteur des services reste le principal pourvoyeur d’emplois, dans une bonne partie de l’Afrique (Afrique Subsaharienne), le secteur primaire et notamment le secteur agricole traditionnel fournit la plus grande part des emplois (graphique ci-dessus). Les estimations préliminaires du BIT ont révélé qu’en 2011, 62% des personnes employées en Afrique Subsaharienne le sont dans le secteur agricole. Mais l’activité dans ce secteur reste toutefois similaire à celle du secteur informel, avec une bonne part des emplois exercés dans des conditions difficiles et généralement sans protection sociale. L’emploi y est parfois exercé de façon occasionnelle ou indépendante. Selon l’OIT, 76% de la population active en Afrique subsaharienne en 2012 exerce un “emploi vulnérable”.

Ainsi, peut-on dire que la prédominance du secteur primaire, et en particulier celui des produits de base agricoles dans nos économies, est un frein à la création d’emplois ? Bien au contraire, d’après le rapport 2013 sur les perspectives économiques en Afrique, un secteur primaire solide peut servir d’appui pour permettre une transformation structurelle, c'est-à-dire « une diversification économique  qui créera des emplois productifs ». En effet, selon le même rapport, « l’analyse de l’avantage comparatif relatif fait apparaître qu’un secteur des ressources naturelles solide va souvent de pair avec un secteur manufacturier solide » [7].

Il apparait ainsi que, pour accroître aussi ses emplois ruraux agricoles que non agricoles, l’Afrique doit exploiter au mieux  ses matières premières en modernisant le secteur agricole traditionnel pour accroitre la quantité et la qualité de la production. De plus des chaines de transformation locale des produits de base devront être mises en place pour permettre l’industrialisation progressive du monde rural.

L’économie informelle ne peut-elle pas être une alternative à la résorption du chômage ?

La faiblesse des emplois salariés, notamment  dans les économies d’Afrique subsaharienne[8], ainsi que les lourdeurs administratives et le niveau d’imposition contraignent une bonne partie des travailleurs non agricoles à œuvrer dans l’informel. Ce secteur mobilise près de trois quart de la population active en Afrique Subsaharienne dans des emplois non agricoles de subsistance, instables, à temps partiel, sans protection sociale et généralement à faible rémunération. Mais il demeure malgré tout un secteur régulateur de l’économie car étant le principal pourvoyeur des revenus des activités non agricoles des ménages. D’où la nécessité de mettre en place des politiques visant à tirer au mieux profit de ce secteur, en le dynamisant davantage et en mettant en place les conditions pouvant  faciliter sa transformation en un secteur privé productif.

Les demandeurs d’emplois ont-ils les qualifications requises pour intégrer le marché de l’emploi ?

Un problème majeur et inhérent aux économies de la plupart des pays africains est celle de la qualification des personnes en âge de travailler (main d’œuvre potentielle). La question de la qualification basée sur l’investissement en capital humain demeure essentielle dans la mise en cohérence et la réussite des politiques d’aide à la création d’emplois productifs. Pour qu’il y ait effectivement une création d’emploi, il faut que l’offre d’emplois des entreprises coïncide avec l’offre de travail, ou mieux avec l’offre de compétences, des actifs demandeurs d’emploi. De plus l’investissement en capital humain constitue un élément essentiel dans le processus de création et de pérennisation des emplois. Une entreprise dotée d’une main d’œuvre hautement qualifiée gagne en productivité et réalise plus de plus-value qu’elle peut réinvestir en capital (humain et physique). Offrir aux demandeurs d’emploi, notamment aux jeunes, une éducation et une formation adéquate leur permettant de saisir les opportunités d’emplois apparaît dès lors comme une exigence dans la lutte contre le chômage.

Cette revue non exhaustive des problèmes propres au marché de l’emploi Africain permet d’alerter sur la nécessité de mener des actions coordonnées, précises et surtout basées sur les réalités existantes en vue de réduire le chômage et d’améliorer les conditions des travailleurs. Pour ce faire, les visions politiques et les promesses électorales en matière d’emploi, ainsi que toute autre politique de promotion de l’emploi doivent être basées sur des systèmes d’information fiables sur le marché du travail et surtout être traduites en actes concrets.

Jean Rodrigue Malou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] «Perspective économique en Afrique 2013 », CEA, BAD.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] Notamment à la loi d’Okun (1962) établissant une relation empirique forte entre la croissance du PIB et le chômage

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[3] De manière simplifiée la transition démographique désigne le « Passage d'un régime démographique traditionnel, où la fécondité et la mortalité sont élevées, à un régime moderne de fécondité et mortalité beaucoup plus faibles »  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[4] 17 millions et 78 millions emplois créés  respectivement  en Afrique du Nord et en Afrique Subsaharienne entre 1999 et 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[5] Produits de base agricoles et énergétiques et sur le secteur des produits de base non renouvelables

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[6] «Perspectives économiques régionales, Afrique Subsaharienne», FMI, Avril 2012,P.74

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[7] AfricanEconomicOutlook.org

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[8] Le choix de focaliser nos analyses sur l’Afrique Subsaharienne tient du fait que la situation y est plus alarmante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Afrique : d’un paternalisme à l’autre ?

ELEONORE378462En 2013 l’OUA aurait eu cinquante ans ; cinquante années marquées par des discours forts, des déclarations d’intention, des reniements et peu d’actes permettant d’aller au-delà du slogan. Il y a eu les blocs de Casablanca et Monrovia, l’UA longtemps après, puis encore plus récemment des initiatives telles que la « théorie des jeux » appliquée, par des chercheurs de l’Université de Dakar, à la problématique de l’Union des Etats africains pour aboutir à un objet artificiel dénommé : « Etat virtuel d’Afrique ». Entretemps, on a vu la mise en place d’organisations régionales, au plus grand bonheur des théoriciens des « cercles concentriques ».  Il y a surtout eu, pendant tout le temps qu’a duré ce processus encore en cours, ce face à face entre les chefs d’Etats d’après indépendance qui, à quelques exceptions près, ont agi sous l’influence de l’ancienne puissance coloniale et des figures, essentiellement des intellectuels ou opposants dans leurs pays, qui ont écrit et agi contre ce paternalisme qui se substituait au colonialisme.

Ce débat est encore très actuel sur le Continent, et il a amené certains à proposer d’autres modèles pour contrer l’influence toujours prégnantes des anciennes « puissances coloniales », France et Angleterre surtout,  mais aussi celles de leurs voisins européens et de leur allié américain.

Dans des pays d’Afrique subsaharienne à fortes populations musulmanes tels le Sénégal, on distingue souvent l’école  du blanc de l’autre, celle où l’on apprend d’abord les préceptes de l’Islam, appelée communément l’école arabe. Parmi ceux qui en sont issus certains sont allés faire des études supérieures dans les pays arabes et il en est qui tendent à substituer au modèle occidental, celui dit oriental. Des voix s’élèvent cependant pour refuser ce qui est appelé : « un autre paternalisme ».

Certaines réactions après une tribune de Tariq Ramadan sur la récente intervention française au Mali  en sont une parfaite illustration. Après avoir pris connaissance des écrits de ce dernier, en effet, Bakary Samb, chercheur au Centre d’Etude des Religions de l’Université de St Louis, a publié un article intitulé « L’autre vrai paternalisme occulté par Tariq Ramadan ». Il y suggérait que Ramadan ne faisait que perpétuer, sous une autre forme, « l’image d’une Afrique sans civilisation, terre de l’irréligion (Ad-dîn ‘indahum mafqûd) rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée par Ibn Khaldoun (Muqaddima) et noircie par l’intellectuel syrien Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu’ûb al-islâmiyya ». Image  restée selon lui « intacte dans certains imaginaires. Mahmoud Shâkir présentant, à titre d’exemple, le Sénégal qu’il n’a peut-être jamais visité comme un pays avec ses ‘’ sauvages et cannibales ‘’ dépourvu de toute pratique ou pensée islamique ‘’respectables ‘’ ».

A peu près les mêmes critiques faites à un Nicolas Sarkozy perpétuant, sans paraître y toucher, les thèses, notamment Hégélienne, présentant le nègre comme un sous homme, dans son « discours de Dakar ».

Il s’agirait ici d’un comportement répandue chez les élites arabes qui ne concevraient, selon Bakary Samb, leurs relations avec les africains que sous un angle paternaliste et de domination. Ce ne serait rien d’autre, à l’en croire, qu’un «paternalisme arabe savamment drapé du prétexte d’islamisation ». 

L’on se gardera bien, faute d’éléments probants, de prendre position sur les desseins inavoués ou supposés de Ramadan. Autant avec Sarkozy la manœuvre était évidente par sa grossièreté et sa maladresse autant un Tariq Ramadan perpétuant Ibn Khaldoun nous parait plus invraisemblable. L’intérêt de cette réaction, qui reflète une position assez partagée dans l’intelligentsia africaine – on peut citer parmi ses autres tenants Tidiane Ndiaye, l’auteur du « Génocide voilé » – réside à notre avis, dans le débat de fond qu’il pose à savoir si en termes d’idéologie et d’utilisation de valeurs culturelles comme forces motrices pour amorcer le développement l’Afrique doit continuer à importer des modèles.  S’il n’est pas temps de sortir de ce rapport « dominant-dominé » avec les « partenaires au développement » qu’ils soient occidentaux, arabes, chinois ou autres.

La réponse n’est pas tranchée. Une grande partie des mouvements panafricanistes qui ont émergé depuis cinquante ans ont été inspirés par des leaders comme Kwamé Nkrumah, Sékou Touré, Thomas Sankara ou Cheikh Anta Diop.

En regardant leurs propositions sur la question du développement et de l’unité africaine on note des divergences dans l’approche. Une chose au moins, cependant, les réunit : le refus de toute vision importée du développement et de toute domination culturelle extérieure. Autant de préoccupations que nombre d’intellectuels africains trouvent aujourd’hui révolues.

Pour eux, de manière générale, il n’est pas question de remettre en cause tout ce système hérité de la colonisation ni de chercher dans notre histoire et dans l’expérience tirée de cinquante ans d’échecs comment changer de cap. Il faut juste quelques autres « ajustements structurels » ou d’autres solutions qui ont en commun le fait de ne jamais sortir de ce modèle ultra libéral pérennisé par les deux « figures paternelles » que sont le FMI et la Banque mondiale.  Cela et puis se tourner vers la Chine au risque – on a rarement cela à l’esprit lorsqu’il s’agit du géant asiatique – de s’exposer à un « autre paternalisme » économique.  

Lamido Samusi, gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, fils d’ancien diplomate en poste à Pékin, le relevait récemment : « La Chine, disait-t-il, prend nos ressources naturelles et nous vend des produits manufacturés. C’était également l’essence du colonialisme. Les Britanniques sont allés en Afrique et en Inde pour s’assurer des matières premières et des marchés. L’Afrique s’ouvre maintenant de son plein gré à une forme d’impérialisme. »

Ces élites africaines d’aujourd’hui, évoquées plus haut, seraient-ils l’incarnation, jusqu’à la caricature, de « l’intellectuel colonisé » tel que décrit par Umar Timol ? « Créature de l’Empire ayant fait de brillantes études dans une de ses grandes universités, il a été un étudiant modèle et il maîtrise parfaitement les savoirs qu’on lui a inculqués. Il a lu tous les grands philosophes, écrivains et historiens de l’Empire. La littérature de l’Empire est sa littérature, l’histoire de l’Empire est son histoire, la philosophie de l’Empire sa philosophie. » Il a aussi lu les grands intellectuels des anciens pays colonisés mais souvent « sur un mode ‘’exotisant’’ » c’est-à-dire pour valider le « savoir dominant ».  Il a « parfaitement assimilé le discours des intellectuels de l’Empire.

On pourrait le comparer à un perroquet qui ressasse le discours dominant. » Lorsqu’il critique, se rebelle contre l’ancien colonisateur, c’est généralement  avec les outils que ce dernier « lui fournit » et d’autre part « dans l’exercice de sa critique, il doit demeurer dans certaines limites car il ne veut surtout pas que les intellectuels de l’Empire le relèguent aux confins. Il est celui qui croit tout savoir, qui croit être le plus cultivé, le plus apte à penser le devenir des autres mais il ignore paradoxalement l’essentiel. »

Dans ce débat idéologique certains, dans les pages même de ce site, sont allés jusqu’à comparer l’idée d’une parenté entre les peuples d’Afrique subsaharienne et l’Egypte pharaonique, donc l’idée d’une unité culturelle de l’Afrique noire – thèse à laquelle s’adossent bon nombre de panafricanistes pour prôner une réappropriation de l’Afrique par les africains allant des programmes enseignés dans nos écoles aux richesses de notre sous sol – à la construction de l’idéologie nazie.

C'est une comparaison pour le moins douteuse mais qui a un intérêt au moins : elle montre qu’en Afrique même (ici on ne parle plus d’idéologues d’Occident ou d’ailleurs : ni Dawson et son « homme de Piltdown », ni Hegel, ni Ibn Khaldoun, ni un autre) la réflexion sur ces questions est une confrontation des extrêmes. Il faut certainement en passer par là pour bâtir un modèle consensuel au sens de faire adhérer le plus d’énergies à un projet panafricain dans lequel on compterait d’abord sur nous-même pour avancer.

Racine Demba 

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