Rencontr’Afrique avec Ndongo Samba Sylla : l’Afrique est-elle condamnée à la pauvreté ?

10403564_866589696695482_7237605275269175726_nLa Rencontr’Afrique organisée le 13 Décembre 2014 par le bureau ADI basé à Dakar, a connu la participation du Dr Ndongo Samba Sylla, Economiste de Développement et Chargé de programmes au bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des échanges offerts par L’Afrique des Idées pour permettre à des personnalités ayant un profil intéressant pour  l’Afrique de partager leur expertise, et d’échanger sur leurs visions du continent. C’est dans cet ordre d’idées que Dr Ndongo a entretenu son auditoire autour du thème « Pour une autre Afrique : Eléments de réflexion pour sortir de l’impasse ». A en croire le conférencier, l’Afrique est, une nouvelle fois encore, mal partie.

L’émergence économique de l’Afrique : Mythes ou Réalités ?

Il y a plusieurs arguments qui militent aujourd’hui en faveur de la croissance rapide et conséquente des économies africaines. L’Afrique disposerait en effet à l’heure actuelle du potentiel économique le plus important. Sa croissance démographique soutenue et le pouvoir d’achat croissant de sa population en sont des arguments notoires. De plus, dans les chiffres cités par Dr Ndongo, on peut noter que le continent africain concentrerait environ 60 % des terres arables non cultivées du monde. Le même continent aurait aussi une classe moyenne en termes démographiques proche de celle de la Chine et de l’Inde (elle est passée de 115 millions en 1980 à 313 millions en 2010). Sur la décennie 2000-2010, l’analyse révèle que le taux de croissance annuelle moyen du PIB a dépassé les 08 % pour 06 pays africains (dont Guinée Equatoriale 14.8 % ; Tchad 10.7 % ) et les 04 % pour 30 pays (dont Angola 11.3 %, Ethiopie 8.4 %, Rwanda 8 %, Ouganda 7.4 %, Burkina Faso (6%), etc).

Malgré cette bonne performance économique, il faut cependant noter que la dynamique de croissance en Afrique est loin d’être uniforme, ce qui rend justement la progression du PIB très volatile. De plus, les sorties illicites de capitaux ont augmenté durant la dernière décennie, notamment dans les pays exportateurs de pétrole. Sur la période 2005 – 2010, le conférencier souligne qu’au moins 205 milliards de dollars auraient été perdus par le continent. Ce qui représente le quart de la valeur estimée des flux financiers illicites entre 1970 et 2010. Dans la mesure où les secteurs porteurs de la croissance en Afrique sont de plus en plus la propriété d’étrangers ou sous gestion étrangère, le PIB va être beaucoup plus important que le Revenu National Brut (RNB). Ainsi, les nationaux des Pays les Moins Avancés (PMA) vont recevoir en réalité peu des bénéfices générés par le commerce international. Le commerce inter et intra-industriel qui est mis en œuvre peut ressembler à un commerce entre  des nations riches et des nations pauvres. Mais en réalité, Dr Ndongo Sylla fait remarquer que ce commerce est mené entre des nations riches et d’autres nationaux de pays riches qui opèrent en Afrique.

Par ailleurs, il apparait pour le conférencier que les revenus primaires de l’IDE ont représenté la composante la plus importante des paiements de revenus effectués par les économies africaines en direction du reste du monde. En prenant l’année 2010 par exemple, cette part s’est située entre 49% et 98% pour 26 pays sur un total de 37 pays pour lesquels des données existent. C’est le cas notamment des principales puissances économiques africaines telles que l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte, l’Angola, l’Algérie, etc. Le taux de profit des IDE a doublé durant la décennie 2000-2010, passant de 6 % à 12 %. De façon désagrégée et considérant toujours la période 2000-2010, 24 pays africains sur 40 pour lesquels des données existent ont connu  des taux de profits moyens de l’IDE supérieurs à 7 %. Le même taux avoisinait 77 % au Botswana, 51 % au Lesotho comme en Algérie et 36 % au Mali comme en Angola. Autrement dit, un investissement direct étranger de 100$ au Botswana rapporte, toutes choses étant égales par ailleurs, 77$ à son propriétaire. 100$ rentrent donc dans l’économie botswanaise, et 77$ en sortent. C’est dire qu’une partie non négligeable de la richesse créée sort de l’économie botswanaise. Cet exemple montre comment la croissance économique peut être forte en Afrique sans pour autant que les populations ne le ressentent dans leur quotidien. La thèse de l’émergence doit donc être revisitée pour lui donner un contenu nouveau plus adapté aux réalités africaines. Dr Ndongo Sylla s’interroge notamment sur le coût de la croissance économique pour les Africains ainsi que sur ses véritables bénéficiaires.

Le commerce équitable : Véritable scandale ?

Cette Rencontr’Afrique a connu également un partage d’idées sur le concept du commerce équitable. Celui-ci est définit comme étant un système d'échanges dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Sa démarche consiste à assurer une juste rémunération à des producteurs des pays pauvres afin qu’ils puissent développer leur activité à long terme et améliorer ainsi leur niveau de vie. Ayant eu l’opportunité de travailler en 2010 au sein du mouvement du commerce équitable/Max Havelaar dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, Dr Ndongo Sylla s’est tout particulièrement intéressé à ce commerce en se demandant principalement dans quelle mesure le commerce équitable est une réponse satisfaisante à la question de l’échange inégal. Son livre intitulé « Scandale du Commerce Equitable » fait autorité dans ce débat. En étudiant le modèle économique du commerce équitable Max Havelaar, le conférencier a montré, in fine, que ce commerce ne cible pas en réalité les producteurs les plus pauvres, ni les plus dépendants de l’exportation des produits primaires tels que le cacao ou le café. De plus, selon lui, la logique marketing a été poussée un peu trop loin.

Regard sur les Accords de Partenariat Economique (APE)

En juillet 2014, après une décennie de négociations, les chefs de l’Etat des quinze pays membres de la CEDEAO ont 

accepté de « parapher » les APE avec l’Union Européenne (UE). La « signature » aura lieu après leur ratification dans chaque pays membre. Ces accords prévoient une libéralisation progressive sur vingt ans (2015-2035) des importations des pays de la région à hauteur de 75%. Pour compenser les pertes de recettes fiscales qui vont s’ensuivre, l’Union Européenne a prévu pour la période 2015-2020 la mise en place d’un PAPED – programme des APE pour le développement – d’un montant de 6,5 milliards d’euros.

10374434_866589563362162_5231695328429590160_nPour Dr Ndongo Samba SYLLA, les APE sont une perte de temps et d’énergie. En effet, La plupart des études d’impact souligne des conséquences négatives du point de vue des recettes fiscales, de la balance des paiements, de la création d’emplois et de la croissance économique. Dans son argumentaire, le conférencier considère que les APE constituent une forme de confiscation de souveraineté dans la mesure où ils privent les pays africains de recourir aux politiques qui ont permis l’industrialisation des pays occidentaux. En outre, il fait remarquer que négocier des APE avec l’UE, première puissance commerciale mondiale, n’est pas pertinent pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. La raison en est que sur les 16 pays qui composent cette région, 12 sont classés parmi les PMA. Et Comme les PMA ne sont pas obligés de signer les APE, il paraît ainsi disproportionné de la part de l’UE de vouloir traiter ces PMA sur le même registre que les quatre autres pays classés parmi les « pays en développement ». D’un autre coté, la libéralisation des importations de la région risque d’anéantir les efforts déployés jusqu’ici pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, pour transformer localement les matières premières locales, et pour amorcer le développement d’un tissu industriel.

Par ailleurs, en demandant l’application de la clause de la Nation la plus favorisée, l’UE pourrait aller à l’encontre de la stratégie des pays africains de diversifier leurs partenaires commerciaux. Pour le conférencier, les APE sont perçus comme d’autant plus asymétriques et inéquitables qu’ils occultent la question de la libre circulation des personnes.

Carmen Thiburs Agbahoungbata

L’illusion de l’entrepreneuriat en Afrique

youth_ict_1Dans une Afrique où 60% des chômeurs ont moins de 25 ans,[1] l’entrepreneuriat est devenu la panacée, la solution miracle privilégiée par les décideurs politiques et par les jeunes eux-mêmes. Cet engouement pour l’entrepreneuriat se manifeste à travers les innombrables programmes gouvernementaux en soutien à l’entrepreneuriat des jeunes (25% des projets y sont consacrés)[2], et aussi à travers le désir des jeunes chômeurs de créer leurs propres entreprises (35% des chômeurs envisagent de créer leur propre entreprise)[3]. Cet engouement correspond-t-il à la réalité de l’entrepreneuriat ? L’Afrique serait-elle une exception à cette réalité ? Existe-t-il des voies alternatives à l’emploi des jeunes en Afrique ? Cet article se propose d’ouvrir le débat sur ces questions.

La réalité de l’entrepreneuriat dans le Monde

Parler des limites de l’entrepreneuriat en Afrique fait tout de suite référence aux problématiques d’accès au financement. Il serait donc plus pertinent de commencer par examiner les performances des entrepreneurs dans d’autres régions du Monde où l’accès au financement et la bureaucratie sont plus favorables. A cet effet, les Etats-Unis d’Amérique seraient le bon cadre d’analyse puisque c’est dans cette fédération que l’on retrouve les startups qui ont eu le plus de succès au cours des 20 dernières années (Google, Amazon, Facebook, Apple). Or c’est justement dans cette région du Monde que les statistiques les plus récentes montrent un taux d’échec allant jusqu’à 50% des nouveaux startups.

Selon le graphique ci-dessous, seuls 50% des nouvelles startups ont pu réaliser un chiffre d’affaire six années après leur création. Celles qui ont réussi ne réalisent pas non plus des chiffres d’affaires importants. Ainsi, elles sont moins de 1% à pouvoir réaliser plus de 5 millions de dollars US de chiffre d’affaires six années après leur création. Cette distribution des chances de succès d’une startup est similaire à celle de la loterie : très peu de gagnants à l’exception de quelques chanceux. Tout se passe comme si seulement 1% des startups auront la chance de devenir de grandes entreprises, et cela dans un environnement où il existe très peu d’obstacles à l’entrepreneuriat.

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Source: Shane (2009). Donnees US Census Bureau

On peut toutefois arguer que des entreprises ayant six ans n’ont pas encore atteint leur maturité et qu’il serait possible qu’elles réussissent plus tard. Cette hypothèse est largement remise en cause par une autre étude portant sur la valeur des capitaux propres de 22 000 startups créées entre 1987 et 2008 aux Etats-Unis (graphique 2 ci-dessous). Il en ressort clairement que ¾ de ces entreprises n’ont aucune valeur boursière de nombreuses années après leur création. Là encore, seulement quelques-unes, moins de 1%, parviennent à avoir une valeur boursière supérieure à 500 millions de dollars US. Il ne s’agit donc pas d’un biais lié au manque de recul : la réalité de l’entrepreneuriat est qu’à peine 1% des startups deviennent des grandes entreprises. La perception générale que l’on a de l’entrepreneuriat est largement biaisée par le fait que seuls les « success stories » sont présentées au grand public, occultant ainsi le plus grand nombre dont font partie les perdants, exactement comme dans le cas d’une loterie.

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Source: Hall and Woodward (2010). Donnees Stand Hills Econometrics

Jouer à la « loterie » de l’entrepreneuriat en soi n’est pas une mauvaise chose. Ce qui est dommageable, c’est l’illusion qu’elle donne à des centaines de milliers de chômeurs en quête d’emplois que leur avenir se trouve dans la création d’une entreprise. D’ailleurs, même du point de vue des revenus, un salarié est en moyenne plus riche qu’un entrepreneur.[4] Il existe certes des entrepreneurs multimillionnaires ; mais ils sont tellement rares que choisir d’être salarié garantit un revenu moyen supérieur à celui d’un entrepreneur moyen. Qu’est-ce qui pourrait donc faire la différence en Afrique pour que l’entrepreneuriat soit la solution contre le chômage des jeunes ?

L’Afrique serait-elle une exception ?

L’une des spécificités de l’Afrique est que la marge extensive de l’entrepreneuriat, celle qui englobe les activités économiques traditionnelles, est encore tout aussi importante que la marge intensive, i.e. celle qui regroupe les innovations. Cette importance de la marge extensive est liée à l’émergence graduelle d’une classe moyenne en Afrique avec des besoins nouveaux biens et services de grande consommation. Or, les technologies nécessaires à la production de ces biens et services ont déjà été développées dans les pays industrialisés et représentent l’activité de grands groupes industriels, que ce soit dans les domaines de l’agroalimentaire, des télécommunications, des transports, des services financiers etc. Dès lors, il y a peu de chance pour un entrepreneur local de réussir dans ces secteurs émergents en dehors de tout protectionnisme étatique.

C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la plupart des économies africaines, où les grandes surfaces ne sont pas l’émanation d’une fusion entre les boutiquiers du quartier, mais plutôt l’affaire des grands enseignes multinationales. Il en est de même dans les secteurs d’activités traditionnelles telles que les transports, l’énergie et le numérique. Certes, les multinationales qui investiront dans les secteurs d’activités traditionnelles vont participer à la création d’emplois. Toutefois, les nouveaux emplois ne suffiront pas pour combler les emplois détruits pour la simple raison que ces multinationales disposent de technologies de production très efficaces qui requièrent moins de main d’œuvre pour les mêmes niveaux de production.

Ce n’est d’ailleurs pas dans les secteurs traditionnels que l’on retrouve les jeunes entrepreneurs. Plutôt, ils s’investissent dans la marge intensive de l’entrepreneuriat. C’est ainsi que la plupart se retrouve avec des projets sur le numérique et les énergies renouvelables. Or, c’est justement à cette marge que s’applique les conclusions issues des études présentées ci-dessus sur les performances de l’entrepreneuriat dans les pays développés. Cette marge fait appel à de l’innovation, qui est par nature incertaine. Les services numériques ou d’accès à l’énergie apportés sur le marché ne vont pas nécessairement trouver de débouchés. C’est ce qui explique les taux d’échecs aussi élevés constatés aux Etats-Unis. Avant que Facebook n’émerge, il y a eu de nombreux réseaux sociaux similaires qui ont tenté en vain la même aventure. Il en est de même pour tous les autres services innovants dont les stars font aujourd’hui l’actualité dans les médias.

En Afrique, nous ne disposons pas encore de recul pour évaluer l’impact des nombreux incubateurs qui hébergent tous ces entrepreneurs qui veulent aussi tenter leur chance à cette loterie. Il n’y a cependant pas de raisons pour que l’Afrique offre des conditions de réussite plus favorables que celles qui existent déjà dans les pays développés ; bien au contraire les difficultés d’accès au financement et la bureaucratie restent encore des obstacles persistants sur le chemin de l’entrepreneur Africain. Face à cette impasse, existe-t-il d’autres voies vers l’emploi des jeunes en Afrique ?

Les voies de l’emploi en Afrique

D’emblée, il n’existe pas de solution miracle. On peut néanmoins s’inspirer des exemples des pays actuellement développés comme la France ou les Etats-Unis pour mieux identifier, s’ils existent, les leviers sur lesquels les Etats Africains peuvent agir pour promouvoir l’emploi des jeunes. D’abord, il faut commencer par imaginer ce que serait les employés des groupes français Renault ou Peugeot si ces entreprises de production automobile n’avaient pas été créées en France. Ensuite, il faut faire le même exercice pour chacun des grands groupes industriels français, que ce soit les chantiers navals, Airbus, la SNCF, etc. Typiquement, un seul contrat de construction d’un navire mobilise des milliers de salariés pendant dix ans, sans compter tous les sous-traitants. Il suffit d’en avoir 4 pour garantir un emploi à vie à ces milliers de salariés. Par conséquent, la solution à l’emploi des jeunes se déduit naturellement : elle s’appelle l’industrialisation.

Il s’agit là d’une solution qui se passe de démonstration. Mais c’est dans la manière dont on s’industrialise que se trouve l’originalité de l’approche que nous proposons. En effet, l’une des propositions phares pour l’industrialisation de l’Afrique est l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales.[5] Si les chaînes de valeurs mondiales peuvent être une solution, encore faudrait-il les identifier et pouvoir s’y insérer. L’imperfection de cette solution se trouve dans les difficultés de coordination entre des agents extérieurs au continent africain et ceux qui y sont présents. Pour cela, l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales ne se décrète pas, mais elle s’accomplit d’elle même lorsqu’une économie nationale présente des avantages comparatifs dans la production de certains biens et services intermédiaires ; ce qui n’est pas encore le cas dans la plupart des économies africaines. Un récent rapport du Center of Global Development montrait d’ailleurs que le coût de la main d’œuvre est plus cher en Afrique que dans des économies comparables.[6]

Les voies de l’emploi en Afrique se trouvent donc dans le développement d’un marché local mettant en concurrence des industries locales. Un exemple concret d’une telle stratégie consiste à attribuer les marchés publics à des entreprises locales mise en concurrence effective, car c’est cette dernière qui garantit que chaque entreprise fasse de son mieux pour s’approprier les dernières technologies afin d’être plus compétitive. C’est ce qui se fait partout ailleurs, notamment aux Etats-Unis, en Chine, et dans une certaine mesure en Europe. Une autre solution consisterait à inciter à la fusion entre des entreprises du secteur informel en contrepartie d’un accès subventionné aux financements privés. Ce qui peut permettre à ce dernier bastion des jeunes chômeurs africains de se mettre à l’abri de la vague de multinationales qui se déferlera sur le continent, attirée par l’émergence des classes moyennes et à la recherche de nouvelles sources de croissance. Ces solutions ne suffiront pas à elles seules à donner de l'emploi aux millions de jeunes chômeurs africains mais elles auront le mérite d'aller dans le bon sens de la lutte contre une situation qui menace la paix sociale dans les nations africaines.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Chiffres 2009 du BIT cité dans les perspectives économiques en Afrique 2012 : http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/thematique/youth_employment/

[2] Résultats d’enquête auprès des experts pays des perspectives économiques en Afrique (2012).

[3] Données issues des sondages Gallup World Poll (2010).

[4] Données du Bureau des Statistiques du Danemark portant sur l’ensemble de la population danoise.

[5] Le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2014 discutait déjà de ce sujet comme le moyen par lequel l’Afrique peut s’industrialiser.

[6] Gelb et al. 2013. « Does poor means cheap ? A comparative look at Africa’s industrial labor costs » Working Paper N° 325, Center of Global Development.

Quelle contribution des femmes africaines au développement du continent ?

cristina1Femme et africaine : un héritage social et économique de mauvais augure au regard des représentations culturelles, des réalités sociologiques et des pratiques discriminatoires en vigueur sur le marché du travail ou du capital ; pourtant les travaux[1] démontrant que l’égalité des sexes est un des piliers du développement économique de l’Afrique se multiplient.

Dans l’étude Women in Africa publiée en 2013, l’OCDE estimait que les femmes constituent 70% de la main d’œuvre agricole du continent et concourraient à la production de 90% des denrées alimentaires.  En outre, se plaçant au-delà de la moyenne recensée dans toutes les autres régions constituant l’OCDE,  les femmes africaines produisent 61,9% des biens économiques. Cette production majoritairement informelle, agricole et non salariée donne lieu à une segmentation du marché du travail africain et à une sous-représentation record des femmes dans le salariat et le secteur non agricole (8,5% à l’échelle du continent). Ce constat est d’autant plus alarmant que la tertiarisation de l’économie africaine – reposant sur l’essor des secteurs du numérique, des télécoms ou des services financiers – pourrait conduire à un phénomène de progrès technologique biaisé[2] en défaveur des femmes peu investies en capital humain.

Les barrières à l’entrée sur le marché du travail dont souffrent les femmes sont de plusieurs natures et ont déjà été analysées au prisme de la morale, de la culture ou des droits fondamentaux. Toutefois, force est de constater que par-delà ces considérations légitimes et incontestables ; l’Afrique n’a également aucun intérêt économique à se passer de la compétence de plus de la moitié de sa population dans les secteurs secondaires et tertiaires. Une défaillance des institutions et du marché peut contribuer à expliquer l’éviction nuisible des femmes dans les secteurs secondaire et tertiaire.

Le présent article proposera d’abord un panorama du cadre institutionnel régissant l’activité économique des femmes en Afrique, en revenant sur les mesures entreprises pour l’améliorer ; puis discutera les limites de ces politiques publiques et les perspectives d’évolution.

Qualifiées ou non, les femmes africaines contribuent à la croissance du continent malgré de nombreux obstacles structurels 

La plupart des études montrent que les échanges internationaux ont un impact négatif mais faible sur l’emploi. Ce solde négatif se concentre principalement sur les emplois les moins qualifiés, majoritairement occupés par les femmes en Afrique. A titre d’exemple, d’après l’INSEE en 2011, les échanges industriels de la France avec les PED ont abouti à un déficit de 330 000 emplois. Sans investissement urgent dans la main d’œuvre féminine peu qualifiée, les Etats africains risquent donc de voir croître le taux de chômage alors même que le volume d’investissement dans les secteurs porteurs de croissance augmente. L’éviction des femmes non qualifiées sur le marché du travail formel ne se traduit pourtant pas par une inactivité totale mais donne lieu à un renforcement du marché informel qui s’accompagne parfois de succès sur le long terme comme le montre l’exemple des « Nana Benz » togolaises ayant fait fortune dans le commerce informel des tissus wax de la période coloniale aux années 2000[3].

Concernant les femmes qualifiées, les barrières sont majoritairement d’ordre institutionnel et juridique. En effet, le code familial en vigueur dans plusieurs Etats africains génère des distorsions économiques nuisibles à l’efficacité des marchés en limitant la répartition équitable des parts d’héritage entre descendants féminins et masculins lors des successions ou en restreignant l’accès des femmes au crédit bancaire. En outre, l’iniquité des droits de propriété foncière constitue une entrave à l’entrepreneuriat des femmes et évince un grand nombre d’entre elles des différents marchés. L’imperfection du marché du travail et le faible accès à l’offre de capital génèrent une asymétrie entre les femmes et les structures demandeuses de main d’œuvre en mesure de fixer des salaires nominaux dérisoires. Pour faire face à cela, les entreprises de micro-crédit se sont développées à destination des populations les plus vulnérables et les plus éloignées du secteur bancaire comme le démontre la chercheuse Annelise Sery dans Le micro-crédit : l’empowerment des femmes ivoiriennes.

Réfondre le cadre institutionnel de l’activité économique des femmes africaines

Conscients du danger que constitue l’éviction des femmes, plusieurs Etats Africains ont initié un débat sur la parité. Ainsi, le 14 mai 2010, l’Assemblée nationale sénégalaise adoptait-elle une loi de parité homme-femme dans les listes électorales dans un pays où les femmes représentent 52% de la population. Cette nouvelle donne électorale devrait permettre une refonte du code familial. Par ailleurs, au Maroc dont la Constitution de 2011 s’engage à lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe, la ville de Marrakech a abrité au mois de novembre 2014 le Global Entrepreneurship Summit visant particulièrement à promouvoir les activités économiques régionales et locales des femmes.  En effet, si ce  pays est actuellement  un moteur de la croissance africaine ; la participation des femmes à l’économie avait pourtant drastiquement chuté de 30% en 1999 à 25% en 2012[4]. L’article 19 de la Constitution marocaine de 2011 n’a certes pas supprimé les inégalités économiques mais a contribué à mettre en lumière le débat sur la parité, qui s’est notamment institutionnalisé avec la création de la Haute Autorité de la Parité.

Enfin, le développement du micro-crédit  doit être  développé et encadré afin de permettre l’essor d’une protoindustrie permettant aux mères de famille de travailler à domicile, tout en entraînant  l’ensemble du système bancaire africain dans un cercle vertueux profitable tant aux actionnaires qu’aux populations vulnérables telles que les femmes. Transnationaux et échappant aux impératifs religieux et culturels limitant le droit des femmes dans les différents Etats africains, les organismes internationaux bancaires et financiers ont un rôle à jouer dans le renforcement de la participation des femmes à l’économie du continent. A ce titre les initiatives telles que celle imaginée par la Banque Africaine de Développement en octobre 2010, consistant à créer un « prix féminin de l’innovation en Afrique » ne doivent pas rester lettre morte mais donner lieu à des réalisations concrètes et volontaristes pour encourager l’entrepreneuriat féminin.

Pour l’heure, les femmes peu qualifiées sont le pilier de la production agricole en Afrique. Toutefois les perspectives de croissance et la tertiarisation des économies nationales rendent urgente la suppression des barrières l’entrée sur les marchés du travail secondaire et tertiaire auxquelles font face ces-dernières. Ainsi, une politique volontariste de refonte des codes familiaux et d’équité de l’accès au crédit bancaire doit être initiée à l’échelle du continent. Enfin, les initiatives émanant de grands organismes internationaux et visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin permettront à l’Afrique de se doter de leader femmes et d’accroître la parité au sein des milieux dirigeants.

Daphnée Sétondji


[1] Cf Women in Africa publié par le Centre du Developpement de l’OCDE.

[2] Etude de Katz et Murphy en 1992 Changes in relative wadges, 1963 -1987 : supply and demand factors

[3] Cf Travaux de Amselle en 2001.

[4]Word Bank Poverty, adjustment and growth, Royaume du Maroc 2013. 

Le mythe du péril Jaune

chine_afrique_info-afrique_com_Souvent nous entendons crier au loup lorsque l’on évoque l’arrivée massive des Chinois sur le continent africain. Voleurs de ressources, aucun transfert de technologies, racisme, xénophobie sont quelques traits de pinceaux de la toile asiatique en Afrique telle que présentée en Occident.  Au quotidien, s’il est vrai que certains de ces maux comme la question épineuse du transfert de technologie s’appuient sur des faits concrets, le reste relève souvent du pur fantasme, ou d’opérations de guerre psychologique destinées à dénigrer l’image de la Chine en Afrique et ceci non pas au profit des Africains mais d’autres partenaires. Le but de cet article est d’illustrer les incohérences de la critique occidentale envers la Chine tout en démontrant que la coopération sino-africaine pourrait être bénéfique au continent.

Les Africains devraient regarder avec ironie les occidentaux parler du pillage des ressources naturelles africaines. Dans les faits, l’Europe et l’Amérique reçoivent plus d’investissements chinois que l’Afrique au  point où la Chine a une réserve de change de 3 400 milliards de dollars, soit plus que les Etats-Unis eux mêmes, alors que l'Afrique a servi depuis les indépendances de fournisseur de matières premières pour les industries de ces continents. Si l'on considère que les africains ne parlent pas chinois et que le français et l’anglais sont les langues les plus répandues, il est évident que les entrepreneurs africains jettent leur dévolu sur les pays anglo-saxons ou la France. Ceci dit, les chinois réussissent en Afrique du fait de leur approche gagnant-gagnant. L'illusion win/win apparaît bien plus crédible avec les chinois. L’or du Congo va en Suisse sans traçabilité, le cacao ivoirien alimente les marchés belge et français avant, pendant et après les crises qu’a traversées le pays. Certains pays qui critiquent aujourd’hui la Chine font donc preuve d’une conscience sélective, qui à défaut de produire une critique pertinente, permet de révéler les dessous des guerres économiques sur le continent africain. Au Cameroun, le palais des sports a été construit par les chinois. Dans un pays où le sport et la culture étaient en crise, cet édifice à tout simplement changé le visage de la capitale et redonné un nouvel élan aux évènements pour promouvoir la culture locale et l'épanouissement de la jeunesse. La coopération sino-africaine est critiquée sur la base de plusieurs problématiques propres à presque tous les projets de coopération. Il convient donc de prendre avec beaucoup de prudence tous ces discours qui tentent de "dramatiser" l'importance de la coopération sino-africaine.

La question du racisme :  Les chinois seraient foncièrement racistes, selon leurs détracteurs. Pour comprendre cette question, il faut s’intéresser à la culture chinoise. La Chine est un pays organisé en provinces ayant chacune leurs propres réalités culturelles. Les langues y diffèrent d’une province à l’autre, au point où deux chinois parlant chacun la langue propre à leur province peuvent avoir beaucoup de difficultés à se comprendre. En outre, l’immense majorité des chinois vit encore dans des zones rurales où l'ouverture sur le reste du monde est nécessairement plus ardue. Le comportement face à l'étranger ne sera par conséquent pas le même selon le lieu de provenance du chinois. Même du point de vue ethnique, les Hang sont d'une classe sociale bien plus élevée que celle du chinois moyen. Les ouvriers et les chefs de chantiers présents en Afrique sont de deux univers différents. Les chinois qui négocient les contrats avec les Etats appartiennent essentiellement au parti au pouvoir et font partie d'une élite de "Laoban”, qui peut sembler hautaine voire raciste, et ce envers leurs compatriotes. Certes les chinois ont un comportement plus que critiquable sur le terrain envers leurs collaborateurs locaux, les insultes et les brimades sont monnaie courante. Ceci dit, le problème n'est pas propre aux chinois mais bien à la plupart des chantiers issus de la coopération et dirigés par des étrangers en Afrique. Beaucoup d'ouvriers chinois en Afrique sont en réalité des prisonniers payés au lance-pierre. La solution n'est donc pas de ne plus travailler avec les chinois, sinon il faudrait aussi cesser de travailler avec presque toute l'Union Européenne mais plutôt de réformer les conditions de travail sur les chantiers de ce type.

Le transfert de technologie : L'une des tares de la coopération entre l'Afrique et la Chine  est le manque de transfert de technologies. Les chinois ont en effet tendance à faire venir des ouvriers chinois et à conserver toute la technicité liée à l’exécution de leurs marchés. L'idée étant de créer une dépendance du pays hôte pour la maintenance du site. Le fait est que transfert de technologie ou pas, du point de vue des africains, les chinois ont une approche bien plus concrète. Des ponts et des routes, des immeubles, des hôpitaux sont rapidement construits. Les africains voient les chinois travailler sur leur terre de jour comme de nuit, dans les mêmes conditions et manger les même repas. Automatiquement des questions qui peuvent paraître centrales comme le transfert de technologie deviennent périphériques pour des raisons sociales. Les Africains passent des marchés en un mois avec les chinois, là où les pays occidentaux peuvent passer des années pour des raisons bureaucratiques. Les prêts sont accordés aux Etats africains par les banques asiatiques sur la seule base d'intérêt économique tandis que les banques occidentales ou des organisations comme la banque mondiale tentent d'imposer leur vision de la société et des droits de l'homme en échange de financement. La question du transfert de technologie pose aussi un problème avec les partenaires occidentaux. Sur les contrats gérés par des partenaires occidentaux, l'essentiel des postes à responsabilité est confié aux expatriés. Les locaux restent donc là aussi dans une position d'exécutants. Comme avec le problème du racisme où le souci  ne vient pas uniquement des partenaires mais aussi de l’incapacité des africains à négocier les termes de la collaboration.

La question des investissements : L’Europe et les USA mettent en garde l’Afrique contre les investissements chinois alors qu’eux mêmes en profitent assez bien. Près de la moitié des investissements chinois – environ 46 % en 2010 – a été réalisé en Asie. En 2012 l'Europe a récupéré 86% des investissements industriels chinois dans le monde. Les projets d’investissements tels que l'USAID censés soutenir des projets de développement se sont transformés en soft power. Le soft power peut être défini comme une forme d'influence indirecte qui permet à des Etats ou des organisations de gagner en puissance sur le terrain apparemment déserté mais pourtant hyperactif de la culture. A l'heure de la mondialisation et d'internet, la puissance ne se mesure plus seulement à la portée des missiles mais aussi à la portée de la culture et de la vision du monde. Les américains par exemple se servent du Young Leader Program pour transformer des jeunes africains, de 25 et 35 ans, à très fort potentiel en futures portes d'entrée de l'Amérique sur l'Afrique sous couvert de formation dans les plus grandes universités américaines. Lorsque Barack Obama parle des jeunes leaders africains rencontrés, il ne s'agit pas de jeunes pris sur la seule base de leur mérite. L'immense majorité sinon tous faisaient partie du Young Leader Program. Autrement dit ce sont des jeunes africains fortement américanisés du point de vue culturel, qui ne gardent somme toute de l'Afrique que leur passeport. La contre-attaque Chinoise ne s'est pas faite attendre avec les instituts Confucius. Aujourd'hui au Cameroun et ailleurs en Afrique, on trouve des jeunes africains qui chantent l'hymne chinois en cours. Pour s'assurer une place de choix en Afrique dans les prochaines décennies, la Chine a misé comme les autres partenaires de l'Afrique, sur  la conquête des esprits. Ainsi CCTV diffuse en français des informations en continu sur la Chine. La chaîne a su trouver un écho favorable en Afrique et présente la Chine sous son meilleur jour. Les concurrents de la Chine ont eux aussi des armes culturelles en Afrique, notamment le Japon avec NHK world et l'Allemagne avec l'Institut Goethe. Enfin selon le cabinet d’avocats d'affaires internationales Linkslaters le Japon investit trois fois plus que la Chine en Afrique. Le rapport précise que « sur les 4,2 milliards de dollars que les pays asiatiques ont investis durant l'année écoulée dans la réhabilitation des routes, l'adduction d'eau, le déploiement de réseaux d'assainissement et la construction d'oléoducs et de gazoducs, les  investisseurs japonais ont apporté 3,5 milliards de dollars ».

Somme toute, la Chine n'est en Afrique qu'un partenaire comme tant d'autres avec une approche, des objectifs et des pratiques différents, qui ont permis à plusieurs pays du continent de se doter d'infrastructures assez rapidement, contrairement à ce qui a longtemps été observé avec les partenaires classiques. Loin de nous constituer en défenseur de certains comportements parfois inacceptables des entrepreneurs chinois en Afrique, il faut préciser ces comportements sont souvent soulignés dansle but de conforter la position de partenaires depuis longtemps installés sur le continent et qui s'inquiètent face à l'importance de la Chine dans l'environnement économique africain. De part son embellie économique et les opportunités qu'elle offre, l'Afrique est aujourd'hui au coeur de toutes les convoitises et devient donc le terrain de guerres économiques. Dans ce contexte et dans le contexte actuel marqué par une forte volonté des peuples africains à se développer, il est impératif que les pays africains développent une réelle capacité en matière de négociations afin de tirer meilleur parti de leurs partenariats.

William Ndja Elong

Objectifs du Millénaire pour le Développement : l’Afrique à l’heure du bilan

omd78I« L'élimination de l'extrême pauvreté demeure l'un des grands défis de notre temps et constitue l'une des principales préoccupations de la communauté internationale.» tels sont les mots prononcés par le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki Moon, en Juillet 2008, à mi-parcours de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Picture1Adoptée en Septembre 2000, lors du Sommet du Millénaire qui s’est tenu au Siège de l’ONU, la Déclaration du Millénaire est une grande première dans les relations Nord-Sud. Vaste programme en faveur du développement, elle vise à favoriser l’éducation, la santé et à réduire la pauvreté dans les pays en développement. En ce sens, la Déclaration du Millénaire énonce huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) (voir image ci-contre). Alors que les Nations Unies ont récemment publié leur rapport 2015 sur les OMD, les pays signataires, aussi bien développés qu’en cours de développement, se lancent déjà dans l’après 2015 avec 17 nouveaux Objectifs de Développement Durable (ODD), prolongeant et complétant les OMD. Ainsi, il semble incontournable de dresser le bilan des OMD, afin de pouvoir en tirer des leçons, notamment en ce qui concerne le développement et l’atteinte de ces objectifs sur le continent africain.

Les OMD sont une initiative des pays développées vers les pays en développement, incluant des zones très hétérogènes économiquement et socialement (Afrique, Asie, Amérique Latine ou encore le Moyen-Orient). Adoptés par 189 États, ils sont définis par des objectifs chiffrés permettant de mesurer le progrès vers l’atteinte des 8 objectifs, sur un horizon de 15 ans.

  1. Éliminer l’extrême pauvreté

L’extrême pauvreté, fléau qui touche près de 47% de la population des pays en développement en 1990, s’est vue réduite de manière conséquente au cours des dernières décennies. En effet, en 2015, le pourcentage atteint 14% dans l’ensemble des pays en développement.

Néanmoins, ces progrès considérables cachent des disparités entre les régions. En effet, cette forte baisse est principalement due à la croissance de certains pays émergents, comme l’Inde ou la Chine. Le continent africain, en particulier, reste très touché par la pauvreté, et ce, malgré des progrès conséquents pour certains pays (Niger, Burkina Faso ou encore Swaziland). Son taux a reculé de 56,5% à 48,4% entre 1990 et  2010 (hors Afrique du Nord).

Sur la même période, la proportion de personnes sous-alimentées est passée de 23% à 13% entre les années 90 et aujourd’hui. Et sur la réduction de la faim, le constat reste le même : ce sont les pays ayant connu une grande croissance qui tirent les taux à la baisse.

Ainsi, afin de réduire durablement la pauvreté, la croissance en Afrique doit se poursuivre dans les prochaines années.

  1. Assurer l’éducation primaire pour tous

L’éducation primaire pour tous, mesurée par le taux de scolarisation à l’école primaire, a également progressé de 83% à 91% entre 1990 et 2015, mais derrière ce taux qui peut paraître élevé, se cachent près de 57 millions d’enfants non scolarisés.

Encore une fois, les résultats positifs globaux ne reflètent qu’en partie la situation sur le continent. En effet, sur les 25 pays pour lesquels des données étaient disponibles en 2012, 17 pays ont atteint un taux de scolarisation au primaire d’au moins 75%, un taux plus faible que le taux de départ de la moyenne des pays en développement.

Cette dernière décennie, les pays africains ont mis l’éducation au centre de leur politique, lui allouant des ressources considérables. Ceci est permis notamment par l’allégement de la dette et l’aide publique au développement (APD) en provenance de pays développés.

Néanmoins, les cibles telles que définies dans l’OMD 2 ont pu pousser certains Etats à favoriser le quantitatif au qualitatif, en augmentant le nombre d’écoles ou d’enseignants, sans assurer au préalable que les programmes soient adaptés et que la continuité soit assurée au-delà des classes primaires. En effet, les taux d'achèvement du cycle primaire ou de scolarisation au collège ou lycée sont nettement plus faibles.

  1. Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes

Outre le taux de scolarisation, l’accès à l’enseignement dans les pays en développement se concentre également sur la réduction de l’inégalité entre les sexes. En effet, en 1990, seulement 84 filles pour 100 sont scolarisées à l’école primaire pour 100 garçons.

Aujourd’hui, les filles sont davantage présentes dans les salles de classe : en Asie du Sud-Est, la parité est atteinte dans les classes primaires (1990: 74 filles pour 100 garçons), et en Afrique (hors Afrique du Nord) des progrès ont été constatés de 83 à 92 filles pour 100 garçons entre 1990 et 2015.

Par ailleurs, la représentation des femmes dans la société a progressé en Afrique, comme en témoigne le taux de représentation parlementaire passé de 14 à 22% entre 2000 et 2014.

  1. Réduire la mortalité infantile et post-infantile

L’OMD 4 visait la réduction de deux tiers du taux de mortalité infantile. En 1990, on dénombre près de 12,6 millions de décès d’enfants de moins de cinq ans. En 2015, ce chiffre est passé à 6 millions, soit une baisse d’environ 50%.

Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans s’est réduit de la même proportion sur le continent africain, mais avec un chiffre de 3,2 millions, l’Afrique représente 50% des décès d’enfants de moins de cinq ans survenus dans le monde en 2015.

Ces chiffres élevés s’expliquent notamment par des taux de mortalité néonatale encore très élevés du fait d’un accès aux soins (personnel médical qualifié et soins de base) encore limités.

  1. Améliorer la santé maternelle

Parallèlement, l’OMD 5 visait la réduction des trois quarts du taux de mortalité maternelle. Le taux de mortalité maternelle a diminué de 45 % dans le monde depuis 1990, grâce notamment à l’augmentation du nombre de femmes enceintes suivies.

L’Afrique reste la région du monde  où le taux de mortalité maternelle est le plus élevé, avec en 2013, une moyenne de 289  décès maternels pour 100 000 naissances vivantes (moyenne mondiale : 210  décès maternels pour 100 000  naissances vivantes).

En 2013, selon les données des Nations Unies datant, seuls quatre pays africains avaient atteint la cible de l’OMD 5 : le Cap Vert, l’Érythrée, la Guinée équatoriale et le Rwanda.

Encore une fois, c’est l’accès aux soins qui est en cause : non seulement, les femmes enceintes n’ont recours que très tardivement aux soins médicaux de base, mais la rapidité et la qualité de la prise en charge n’est pas toujours adaptée.

  1. Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies

Le combat contre le VIH/Sida porte sur deux dimensions : réduire le nombre de nouvelles infections et augmenter l’accès aux soins des personnes atteintes. Sur ces deux dimensions, des avancées considérables ont été faites. En effet, le nombre de nouvelles infections au VIH a baissé d’environ 40 % entre 2000 et 2013. Et, le nombre de personnes recevant un traitement antirétroviral est passé de 800.000 en 2003 à plus de 13,6 millions de personnes en 2014.

Grâce aux nombreux programmes de prévention (l’usage de préservatifs ou d’antiviraux contre le VIH/Sida ou usage de moustiquaires contre le paludisme, par exemple), de détection et de traitements mis en place, les taux d’incidence, de prévalence et de mortalité du VIH/Sida, du paludisme et de la tuberculose ont fortement baissés sur le continent africain.

  1. Préserver l’environnement

L’OMD 7 sur la préservation de l’environnement vise, entre autres, à ce que toutes les populations aient accès à l’eau potable. En effet, en 1990, le taux de personnes dans le monde ayant accès à l’eau potable s’élevait à 76 %. En 2015, le taux s’élève à 91 % dans le monde, mais reste faible en Afrique avec un taux de 64%, concentré dans les zones urbaines.

  1. Mettre en place un partenariat pour le développement

Qui dit programme de développement, dit nécessairement financement. De ce fait, l’aide publique au développement en provenance des pays développés s’est accru de 66 % entre 2000 et 2014, atteignant ainsi 135 milliards de dollars, et ceci malgré une baisse au moment de la crise.

Malgré les dispositifs de réduction de la dette mis en place, celle-ci reste encore très élevée en Afrique : la dette extérieure totale de l’Afrique s’élève à 30% de son PIB en 2010.

Ces données reflètent les progrès majeurs réalisés en Afrique afin de favoriser le développement, mais, force est de constater que les objectifs n’ont pas été atteints. En effet, l’inégalité des progrès, et notamment le retard de certains pays africains, indiquent que les objectifs doivent être poursuivis.
Néanmoins, il est important que ceux-ci soient adaptés afin de répondre aux besoins des différents pays, mais surtout afin que les progrès soient durables et profitables à tous.

Il est important, comme souligné dans le rapport 2015 sur l’Afrique[1], que soient “abordées les causes profondes du sous-développement, pas seulement les symptômes”.

C’est dans ce sens que les Objectifs de Développement Durable, ont été définis. En effet, ce nouvel accord, permettrait de prolonger et de compléter les objectifs du millénaire (OMD) jusqu’en 2030. Il se décline, dans cette nouvelle version, en 17 Objectifs qui visent aussi bien l'éradication complète de la faim et de la pauvreté avant 2030, mais également une croissance inclusive et créatrice d'emplois, des modes de production et de consommation durables, l'accès à la justice et à la démocratie…

Mais l’Afrique est-elle prête à relever ce défi de taille et saura-t-elle atteindre les nouveaux objectifs pour 2030 ?

Avoir une réponse exhaustive et réaliste à cette question est un exercice difficile. En effet, il y a de réponses que d’analyses différentes, selon les actions, les acteurs et les objectifs privilégiés. Mais, comme souligné précédemment, un axe de réponse reste l’importance du rôle des gouvernements des pays concernés dans les processus de développement et de réduction de pauvreté. En effet, il est important que soient mises en place des politiques et alloués des budgets permettant de renforcer l’économie, réduire le chômage, offrir les infrastructures et les moyens nécessaires à l’amélioration de la santé et de l’éducation.

Par exemple, en ce qui concerne la réduction de la pauvreté, comme indiqué précédemment, il est important qu’elle se fasse dans un contexte de croissance constante pour être durable. En effet, qui dit réduction de la pauvreté et développement s’attend à de potentiels changements structurels, aussi bien positifs que négatifs, de l’économie et de la société. Malgré la réduction de la pauvreté, les inégalités persistent dans les sociétés africaines. A cela s’ajoute des taux de chômage élevés notamment chez les jeunes et les femmes. Ainsi la réduction de la pauvreté requiert des politiques la mise en place de mesure permettant de réduire les inégalités de richesse, de réduire le chômage et d’améliorer la productivité, et cela passe par la transformation industrielle et la diversification de l’économie. Ces politiques en faveur de l’emploi doivent notamment favoriser l’accès des femmes aux secteurs non agricoles. En effet, la transformation de l’économie favorise l’industrie et les services au détriment du secteur agricole, mais le transfert de la main d’œuvre vers les secteurs non agricole accroit le chômage des femmes.

Par ailleurs, le constat des analystes aussi bien des Nations Unis qu’externes, est que les économies africaines restent fragiles face à des chocs externes, comme cela a pu être constaté lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’ouest. Et, ceci est sans compter sur les chocs récurrents que connaissent bon nombre de pays africains, comme la sécheresse ou encore les conflits armés.

L’éducation et la santé sont des secteurs qui se sont fortement développés ces dernières années en Afrique, mais il reste encore des progrès à faire notamment en ce qui concerne les infrastructures, l’accès à tous aux services offerts et la formation d’une main d’œuvre qualifiée.

Dans un premier temps, prenons le cas de l’éducation, les OMD 2 et 3 traitent de l’accès à l’école primaire pour tous et de réduction des inégalités de genre. Les objectifs chiffrés qui leur sont associés ont bien souvent favorisés des actions axées sur le quantitatif : des taux de scolarisation élevés, sans se préoccuper du qualitatif : l’adéquation des programmes scolaires, des enseignants qualifiés, des infrastructures suffisantes et adaptées, et l’accès aux systèmes scolaires aux populations les plus démunies ou les plus excentrées. De plus, il est constaté que seul un tiers des enfants scolaires dans en première année de cycle primaire finissent le cycle, et le taux de scolarisation dans les classes supérieurs va en décroissant. Enfin, pour faire le lien avec la question du chômage, n’est-il pas pertinent de se demander si l’offre d’enseignement correspond aux besoins du marché de l’emploi ?

En ce qui concerne le secteur de la santé, malgré de belles avancées, l’accès aux soins tardifs ou le manque de personnels qualifiés dans certaines zones sont décriés. En effet, il existe une inégalité de soins dans les pays africains pour les soins médicaux de base. L’inégalité est géographique : les infrastructures et le personnel qualifié est plus présent dans les villes, que dans les zones rurales, mais également financière : l’accès à des soins de qualité et dans les délais impartis requiert une certaine aisance financière.

Enfin, les progrès avancés fait en matière de planification familiale et d’informations aux femmes sur les questions de santé doivent être, à minima, maintenus.

Education, santé, chômage, croissance, pauvreté, inégalités, corruption… autant de maux que les pays africains doivent combattre de front, tout en faisant face à de nouveaux défis, tels que la croissance démographique forte et ses impacts sur l’urbanisation et l’environnement.

« Les Objectifs de développement durables permettront d’achever la tâche commencée avec les OMD et ne laisseront personne à la traîne[2] » : l’objectif est ambitieux, mais espérons que l’Afrique sera au rendez-vous.

Ndeye Fatou Sene

Sources :

Objectifs du Millénaire pour le développement : Rapport 2015 : http://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/rapport_2015.pdf

Rapports de progrès sur les OMD en Afrique : http://www.undp.org/content/undp/fr/home/librarypage/mdg/mdg-reports/africa-collection.html

Articles faisant le bilan des OMD au niveau global :

http://www.carefrance.org/actualite/communique-presse-news/2014-12-31,OMD-objectifs-millenaire-developpement-bilan.htm

http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-bilan-des-objectifs-du-millenaire-2015-08-04-1341290

http://www.alternatives-economiques.fr/objectifs-du-millenaire–tout-reste-a-faire_fr_art_946_50210.html

http://www.alternatives-economiques.fr/retards-de-developpement_fr_art_1334_70682.html

En savoir plus:

http://www.un.org/fr/millenniumgoals/news.shtml

https://sustainabledevelopment.un.org/post2015

http://www.agencemicroprojets.org/wp-content/uploads/etudes40834/omd-2015-le-mirage.pdf

http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/MDG_Report_2015.pdf


[2] http://www.undp.org/content/undp/fr/home/mdgoverview/post-2015-development-agenda.html

 

 

Migration et transferts financiers, enjeu de développement : cas du Sénégal

okLa migration, conséquence de la répartition inégale des richesses dans le monde. Tout au long de l’histoire de l’humanité, les mouvements migratoires n’ont cessé de se succéder et semblent toucher tous les continents du monde. Ces migrations, lorsqu’elles ne sont pas forcées, résultent directement de la répartition inégale des richesses, qui poussent les personnes à aller là où sont ces richesses. Selon certains auteurs, la volonté et la capacité d’émigrer à l’étranger résultent à la fois de la personnalité et de la situation socio-économique du candidat migrant, des circuits d’informations auxquels il a accès, des réseaux migratoires, des contextes politiques et économiques des pays d’origine et d’accueil et de leurs rapports historiques. En effet il est certain que la distribution des hommes à la surface de la terre résulte pour une large part des grandes migrations qui se sont déroulées le plus souvent sur de longues périodes.

De tout temps, les géographes ont été fascinés par les emplacements des hommes et des civilisations. Toute l’histoire du monde n’est qu’une suite de nomadismes, de conquêtes, de migrations. Les hommes ne sont que mobilité étrange paradoxe que de rêver à la fois aux racines et à la route. Ces flux, objets géographiques ne sont que devenir. Dans leur ampleur, l’audace de leur avancée, dans leurs échecs et leurs reculs, se joue l’éternel équilibre entre le possible héritage du passé et l’anticipation de l’avenir. Ces migrations toujours renouvelées ont marqué l’espace aux cours des siècles et les géographes n’en ont pas toujours retenus la même image  (Bonnamour, in Gonin P et Charef M,  2005).

Comme toute espèce animale, l’homme se déplace continuellement dans l’espace. Ses déplacements ne sont pas aléatoires, ils sont dictés par ses besoins et ses aspirations, et par le jeu des contraires et des potentialités du milieu géographique dans lequel il vit (Noin D, 2001)

Soit les hommes vont là où sont les richesses, soit les richesses sont là où sont les hommes. Les migrations sont donc une expression courageuse de la volonté qu’ont les individus de surmonter l’adversité pour vivre mieux  (Annan K, 2006).

A l’échelle mondiale, les migrations sont devenues partie intégrante des politiques et stratégies de développement, aussi bien dans les pays d’origines que dans les pays d’accueil. D’après les chiffres de l’ONU (2005), le nombre de migrants a presque doublé en 20 ans. En 2005, 191 000 000 de personnes vivaient hors de leurs pays d’origine (OCDE, 2005).

Au Sénégal, les effets des sécheresses vont se combiner à ceux des PAS[1] pour favoriser le développement de l'émigration qui va connaître de forts changements dans ses modalités et dans sa géographie. En effet, l'émigration est une pratique de longue date qui a fortement marqué l’évolution des sociétés sénégalaises. Amorcé par les habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le mouvement migratoire était d'abord et durant longtemps saisonnier ou temporaire (« navétane[2] » ou « noorane ») avant de gagner des destinations lointaines (émigration vers les pays frontaliers ou de la sous-région).

En effet, la migration sous régionale est une conséquence directe de la crise économique qui touchait les territoires ruraux (sécheresses). Les populations du bassin arachidier se déplaçaient  pour chercher du travail. Les jeunes qui avaient la force de cultiver la terre convergent vers les grandes villes et finissent par un abandon massif des activités agricoles. L’idéal est la recherche d’une meilleure condition de vie à travers une migration régionale dans un premier temps, puis vers une migration internationale dans une seconde étape.

Au Sénégal, près de 100 milliards de FCFA sont transférés chaque année et ce chiffre ne concerne que les canaux officiels[3] de transfert. L'utilisation de ces revenus et leurs impacts dans les zones de départ prennent des formes variées induisant des changements plus ou moins notables. Ainsi ces impacts sur le milieu doivent être recherchés et analysés dans leurs dimensions tant économiques et sociales, que géographiques.

En plus, l'​’apport des migrants internationaux est indéniable dans les transformations de l’habitat (Tall 1994) et la reproduction des groupes domestiques (Blion, 1998). Beaucoup de villages de la vallée du fleuve Sénégal par exemple dépendent, en partie, des envois d’argent venus de l’extérieur. Cependant, la variation des points de vue et des lieux d’études incite à relativiser le rôle de premier plan attribué aux migrants internationaux dans leurs villages d’origine. Dia (H), 2008. 

Il est alors légitime de se demander dans quelle mesure les transferts financiers contribuent-ils au développement ? En effet, les émigrés investissent dans leurs localités d’origine mais participent également à l’entretien de leurs familles par le biais des envois financiers. La priorité accordée à l’amélioration des conditions de vie de la famille du migrant montre à quel point les transferts migratoires sont nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires des ménages. Cette destination est, rappelons-le, le dénominateur commun des motifs de départ et d’envoi d’argent de la plupart des émigrés.

L’impact des transferts d’argent des migrants sur leurs pays d’origine a, depuis une dizaine d’années, fait l’objet d’un grand nombre de travaux à la fois théorique et empiriques. Quelle que soit l’approche adoptée, l’un des effets positifs des transferts d’argent des migrants sur lesquels il y a l’unanimité est l’impact sur la pauvreté. Car c’est le lien le plus tangible et le moins controversé des liens entre migration et développement (Ratha, 2007). L’effet le plus senti est l’augmentation des ressources des ménages, le lissage de leurs dépenses de consommation et des effets multiplicateurs de celles-ci sur l’ensemble des revenus (Gupta, Pattillo et Wagh 2007).

Au Sénégal, la seule étude qui montre à notre connaissance les impacts de transferts sur l’économie est celle effectuée par la DPEE[4]. Le tableau suivant récapitule les résultats de l’étude sur les effets des transferts sur les dépenses par tête et sur l’incidence de la pauvreté.

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Le tableau montre en particulier que les transferts accroissent de près de 60% en moyenne les dépenses par tête des ménages qui en sont bénéficiaires, ce qui réduit de près d’un tiers (30,7%) l’incidence de la pauvreté au plan national.

Le soutien apporté au budget familial par les envois d’argent des migrants constitue une forme d’assurance contre la précarité des conditions de vie des bénéficiaires et l’instabilité de l’environnement macroéconomique. Mais, étant donné l’importance et la régularité des transferts de fonds, comparés aux propres capacités de création de richesses et aux revenus personnels d’un grand nombre de ménages bénéficiaires, ce rôle finit par installer ces derniers dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette ressource. Une fois mise en place, la relation de dépendance devient même réciproque, elle place aussi le migrant dans l’obligation de subvenir régulièrement aux besoins de consommation courante des membres de la famille. Si le migrant tient compte de l’urgence des problèmes à résoudre, sa capacité d’épargne et d’investissement personnelle peut s’en trouver largement entamée. En l’absence d’un contrôle par le migrant de l’utilisation finale de ses envois d’argent, même les transferts destinés à financer ses projets personnels ne sont pas à l’abri d’un « détournement » au profit de besoins jugés plus urgents.

La situation s’apparente à celle que les économistes, à la suite de Keynes, appellent la « trappe à liquidité »[5]. On peut la décrire de la manière suivante : en présence d’envois massifs d’argent, tout flux supplémentaires de transferts est, faute d’utilisation productive, rapidement englouti dans le budget familial, avec la certitude de recevoir d’autres envois aux prochaines échéances. En raison des anticipations des destinataires les flux de transferts servent ainsi à entretenir les comportements de dissipation des ressources de la part de ces derniers.

La spirale pauvreté-migration-transferts-pauvreté fonctionne d’autant mieux que le lien de dépendance se double d’un contrat d’assurance entre le migrant et sa famille d’origine. Elle ne s’emballe lorsque les transferts ne se limitent plus seulement à lisser les dépenses de consommation du ménage bénéficiaires, mais transforment et diversifient également ses besoins de consommation.

Ba Cheikh

Références :

Gupta (S), Patillo (C), 2007a, « L’impact bénéfique des envois de fonds sur l’Afrique », Finances et Développements, pp.40-43.

Noin (D), Géographie de la population, Paris, Masson, 3e édition, 281p.

OCDE, 2005 « Migration, transfert de fonds et développement ».

Ratha (D), 2007: www.worldbank.org/prospects/migrationandremittances.

Diop (A), 2008, Développement local, gouvernance territoriale, enjeux et perspectives, éditions Karthala, 85p.

Diop (M.C.), Mars 2012, La Société sénégalaise entre le local et le global, collection hommes et sociétés, éditions Karthala, 728p.


[1] Programmes d’ajustements structurels

[2] Les Navétanes sont des migrants saisonniers d'Afrique de l'Ouest, notamment au Sénégal et en Gambie. Ces vastes déplacements de population, souvent en provenance de Guinée, étaient généralement liés à la culture de l'arachide.

[3] A part la voie formelle pour transférer de l’argent, il existe une autre forme pour envoyer des fonds au Sénégal, cette forme se traduit par une organisation informelle des transferts.

[4] Direction de la Prévision et des Etudes Economiques

[5] Mise en évidence par Keynes et vulgarisée par Hicks, la « trappe à liquidité » désigne une situation où le taux d’intérêt tombe si bas que tous les agents économiques s’attendent à ce qu’il augmente. Leur préférence pour la liquidité devient absolue et toute augmentation de la masse monétaire devient sans effet sur l’activité réelle

OMD1 : Quel bilan pour l’Afrique Sub Saharienne ?

Afrique_rueDans le souci de mettre en place un véritable partenariat pour le développement mondial, 189 pays ont Adopté lors du sommet du millénaire des Nations Unies en Septembre 2000 ce qu’il était convenu d’appeler « Objectifs du Millénaire pour le Développement ». Réduire l’extrême pauvreté et la faim, avec en ligne de fond la logique selon laquelle « Tout être humain où qu’il soit aspire à de meilleures conditions de vie et y a droit », constitue le premier défi de ces temps.

Définie comme « la résultante de processus économique, politique et sociaux qui interagissent entre eux dans un sens qui exacerbe l’état d’indigence des populations pauvres » (BM, 2000, 1), la notion de la pauvreté interpelle d’avantage la responsabilité des sociétés ; tant pour créer les opportunités, réduire les inégalités et les discriminations (dans une approche socialiste) que pour doter les individus des moyens nécessaires à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux (approche libérale). Ainsi, l’action concertée des Nations Unies s’agissant de la réduction de l’extrême pauvreté se déclinait ainsi en trois points essentiels:

  • Réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1$
  • Assurer le plein emploi et la possibilité pour chacun y compris les femmes et les jeunes de trouver un travail décent et productif
  • Réduire de moitié entre 1990 et 2015 la population de pauvre qui souffre de la faim

A ce jour, plusieurs rapports ont été dressés avec plus ou moins des perspectives favorables.  Toutefois, si l’intuition du 2ème bilan sur l’état d’avancement des OMD de Septembre 2010 affirmait sans ambages que tous les objectifs seront réalisés d’ici 2015, l’instabilité socio économique dont est tributaire le monde depuis quelques années peut inquiéter à plus d’un titre. Ce d’autant plus que ces aléas peuvent avoir de graves incidences sur les populations vulnérables, ralentir le rythme de réduction de la pauvreté et accentuer sa persistance notamment en Afrique Sub Saharienne qui en est la région la plus exposée.

La dernière décennie a été marquée par des progrès économiques impressionnants en ASS. Grâce à l’amélioration des perspectives dans un grand nombre de pays de la région, dont la plupart des pays exportateurs de pétrole et plusieurs pays à faible revenu et États fragiles, la  zone connait une croissance rapide et soutenue. L’activité économique de la région continue de s’appuyer sur des investissements de grande ampleur dans les infrastructures et le secteur minier ; ce qui lui vaut, selon les données du FMI, une croissance de 5,26% en moyenne au cours des trois dernières années. Théoriquement, la croissance serait positivement corrélée à la réduction de la pauvreté qu’elle favorise même s’il est reconnu que son effet reste marginal.

Cette croissance économique clairement anti-pauvre a-t-elle favorisée la réalisation de l’OMD1 ?

Cette question sera analysée sous le prisme des trois cibles subsidiaires qui lui sont associées.

1. Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour

Paradoxalement, l’ASS reste l’une des zones les plus pauvres du monde malgré l’étendue de ses ressources. Selon les données du PIB par tête du FMI en 2015, parmi les 25 pays les plus pauvres du monde, 22 se situent en ASS et, elle concentre désormais 49,4% des pauvres du monde.

Néanmoins, comme dans toutes les régions du monde, la part de la population concernée par la pauvreté en ASS a baissé au cours des trois dernières décennies. Si à l’échelle mondiale, le nombre de pauvres a baissé de façon marquée[1], en ASS par contre, il recule plus timidement. Mesuré au seuil de 1,25$/jour, la pauvreté en ASS s’établit à 43% en 2013. Une avancée tout de même par rapport aux 56,8% de 1990 ou aux 57% de pauvres enregistré en 1999. Ainsi, sur la période 1990-2013, elle a été réduite de 13,8% et de 4,5% entre 2008, année de la crise financière et 2013.

Cette évolution a été soutenue par l’amélioration des indicateurs sociaux faisant référence au développement. Bien que les Indices de Développement Humain des pays d’ASS restent les plus faibles du monde (inférieurs à 0,5), en valeur l’IDH de la zone a évolué de 0,115 (0,093) passant de 0,387 à 0,502 entre 1990 (2013 et de 0,405 à 0,502 entre 2000 et 2013). Selon les données de la Banque mondiale et du PNUD, l’espérance de vie aussi s’est améliorée dans la zone au cours des 15 dernières années passant de 50 à 57 ans.

2. Assurer le plein-emploi et la possibilité pour chacun, y compris les femmes et les jeunes, de trouver un travail décent et productif

L’ASS est la région du monde ou le plus d’efforts a été consentis pour améliorer le PIB par habitant. Mais, bien que la croissance de l’Afrique ait été relativement forte, elle a été insuffisamment rapide ou inclusive pour créer des opportunités d’emplois décents par rapport à la taille de  population du continent. Les taux de chômage les plus élevés en 2013 ont été observés en Afrique ; 21,6 % en Afrique australe, 13,2 % en l’Afrique du Nord, 8,5 % en Afrique centrale, l’Afrique de l’Est (7,9 %), et 6 % en Afrique de l’Ouest qui a connu les taux de chômage les plus faibles. Bien plus, les disparités de genre demeurent persistantes. En effet, le chômage des jeunes et des femmes reste supérieur à celui des hommes, toutes régions confondues.

3. Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim

Pressenti comme l’objectif le plus accessible aux pays africains, La proportion de la population exposée à la faim diminue lentement, mais les catastrophes et les conflits persistants freinent la progression vers la sécurité alimentaire.

Depuis 1990 des progrès ont été accomplis au niveau de la réduction de la faim dans le monde, mais 805 millions d’êtres humains souffraient toujours de sous-alimentation chronique à la fin de l’année 2014.

En ASS, La prévalence de la malnutrition aussi a évolué, de 28% en 2000 pour 23% en 2011. Le nombre de personnes exposé à la faim et à la malnutrition est tombé de 33% entre 1990 et 1992 à25% entre 2011 et 2013. Malgré cette amélioration de 8% par rapport aux chiffres de 1990-1992, L’ASS demeure la région du monde affichant le plus fort déficit alimentaire.

Ces évolutions sont complétées par la nouvelle actualité sur la question qui de part les nouvelles estimations et prévisions qu’elle autorise permet d’étendre les analyses jusqu’à l’année 2015, date butoir des OMD.

En effet, à quelques jours du bilan des OMD, la Banque Mondiale relève le seuil de pauvreté[2] de 1,25% à 1,90%. Le nouveau seuil représente le seuil moyen de pauvreté des 10 à 20 pays les plus pauvres du monde. Selon Jim Yong Kim c’est une décision nécessaire compte tenu de l’évolution de l’inflation, des prix des matières premières et des taux de change entre 2005 et 2011.

A ce nouveau seuil, les taux de pauvreté continuent de fléchir. Selon les prévisions de la Banque mondiale  le nombre de personne vivant dans l’extrême pauvreté passerait de 902 millions (12,8%) en 2012 à 702 millions (9,6%) en 2015. Le pourcentage d’africains au Sud du Sahara vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2015 serait de 35,2%. Soit une réduction significative de 17,5% par rapport à l’année 2012.

Toutes ces statistiques et dynamiques traduisent le fait que les populations au cours des deux dernières ont bénéficié de meilleurs soins et d’un suivi meilleur. Les efforts déployés par la communauté internationale et les stratégies nationales de réduction de la pauvreté ont permis à ce jour de réaliser les efforts significatifs en ASS.

Toutefois, en dépit de la baisse de ses taux de pauvreté, l’ASS est la seule région du monde où le nombre de pauvres a augmenté de façon régulière et prononcée. Elle est d’ailleurs passée devant l’Asie qui abritait en 1990 la moitié des pauvres de la planète. Pour ce qu’il en est, la zone est passée de 284 millions de pauvres en 1990 à 388 millions en 2012. Soit 144 millions de pauvres en plus en 22 ans. En 2012, le nombre de personnes extrêmement pauvres représente donc près de 1,4 fois ce qu’il était en 1990.

En réalité, la pauvreté en ASS se perpétue par le biais de l’organisation sociale en lien avec les politiques pro-pauvres, du boom démographique qui a un impact négatif sur le développement économique et contribue durablement à la faire augmenter ; et par les crises sociaux politiques, alimentaire, énergétique le chômage, l’insécurité transfrontalière, les épidémies, les catastrophes naturelles, les migrations clandestines etc. qui continuent de peser sur la région. A cause de cela, plusieurs pays d’ASS (Madagascar, Nigéria, RDC, Zimbabwe, Kenya, Burundi) n’ont pu véritablement améliorer la qualité de vie des populations[3] entretenant ainsi le cercle vicieux[4] de la pauvreté.

Bien plus, les indicateurs agrégés de croissance, les statistiques sur la pauvreté et le développement humain masquent les écarts et les inégalités persistantes entre pays et même entre régions d’un même pays. La pauvreté peut reculer (pauvreté absolue) alors que l’écart entre le niveau de vie des plus pauvres et la classe moyenne s’accroit (pauvreté relative). Selon le rapport « Perspectives Economiques Régionales » du FMI  (2015), l’ASS reste la région où les inégalités de revenu sont les  plus accentuées bien que son indice de Gini[5] ait baissées d’environ 5% depuis 1990. Le Rapport sur le Développement de l’Afrique de la BAD atteste qu’en 2012, sur les 10 pays les plus inégalitaires du monde, 6 se trouvaient en ASS. A titre illustratif, le total du PIB par habitant des 10 pays les plus riches d’ASS représente 25,2 fois celui des 10 pays les plus pauvres. Les écarts de revenu mesurés par l’indice de Gini en 2012 oscillent entre 30% en Ethiopie et 68% aux Seychelles (BAfD,  2012) avec 46% en moyenne régionale.

A coté de ces inégalités de revenu, on note également la prédominance des inégalités en termes d’opportunités (Assiga, 2010) – aussi bien sur les plans foncier et financier ; qu'en ce qui concerne l’accès aux services sociaux essentiels et au marché de l’emploi – qui affectent la réalisation du potentiel humain et la productivité. 

L’Afrique demeure la région du monde la plus touchée par la crise de l’emploi. Sur les 75 millions de jeunes au chômage que comptait le monde en 2013, 38 millions vivait en Afrique. L’inégalité est fondamentalement considérée comme une injustice sociale. Elle engendre les problèmes sociaux et l’instabilité[6]. Elle accentue donc la pauvreté et, il serait incohérent de prétendre réduire la pauvreté sans résoudre parallèlement ou en amont le problème des inégalités. Si la croissance économique en permettant d’améliorer même marginalement la qualité de vie des populations est indispensable pour réduire la pauvreté, elle n’a pas réduit de façon significative les inégalités.

Réduire de moitié l’extrême pauvreté en ASS entre 1990 et 2015 engageait la région à passer de 56,8% de pauvres en 1990 à environ 29% à l’horizon 2015. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, le nombre de pauvres à certes baissé mais l’objectif est loin d’être atteint. La pauvreté en ASS correspond à 35% de la population en 2015 ; soit une baisse effective de 21,8% seulement par rapport à l’année 1990.

En définitive, la dernière décennie a ainsi été marquée par les progrès considérables et par l’amélioration des indicateurs de bien être en ASS. L’engagement historique pris par les dirigeants du monde en 2000 a permis de réduire le taux de pauvreté dans la région même si en termes absolu, le nombre de pauvres augmente. Ainsi, l’Afrique Sub Saharienne compte encore plus du tiers des pauvres du monde. Cette dynamique de la pauvreté traduit donc en réalité une augmentation mais à un rythme moins prononcé que celui de l’évolution de la population.

La croissance économique forte nécessaire pour réduire la pauvreté n’a pas été suffisante pour que l’OMD1 soit réalisé. D’ailleurs, le poids des inégalités socioéconomiques et les discriminations soutenu par celui de la pression démographique continuent de peser lourd sur le développement humain de la région. Somme toutes, le défi de la réduction de pauvreté reste d’actualité. Ce d’autant plus qu’aux réalités sociales que subit la zone, s’ajoutent les risques liés au réchauffement climatique qui peuvent nuire aux récoltes, réduire les revenus des populations rurales, contraindre d’avantage la sécurité alimentaire et donc aggraver la pauvreté. 

On peut donc admettre avec Makhtar Diop, Vice Président du Groupe BM pour l’Afrique, que  « Le coût humain de la pauvreté est bien trop élevé en Afrique ». Les personnes pauvres n’ayant pas les moyens de sortir de la pauvreté, il convient d’accroître leur productivité en investissant d’avantage dans leur éducation et leur santé et en assainissant leurs milieux de vie. Parallèlement, il est tout aussi impératif de promouvoir l’intégration ou l’inclusion sociale et l’équité, base d’une croissance nécessairement pro-pauvre ; de réduire les vulnérabilités, de favoriser une meilleure redistribution des ressources et des richesses selon les critères relevant du contrat social ou de la constitution (Weber, 1997 cite par Assiga, 2010); et enfin, intégrer les aspects climatiques dans les actions menées en faveur du développement. Une autre porte de sortie de la pauvreté est l’emploi ; la création d’emplois décents étant primordiale pour mettre fin à la pauvreté et promouvoir une prospérité partagée de manière durable. Telle sont les responsabilités des autorités dont l’engagement est tout aussi déterminant dans la réduction de la pauvreté. C’est dans cette optique que le nouvel agenda post 2015 invite les dirigeants à redoubler d’effort pour atteindre les nouveaux objectifs de développement durable et éliminer la pauvreté extrême  à l’horizon 2030.

Claude Aline ZOBO et Ivan MEBODO

Référence :

ASSIGA E. Modeste (2010) : « Croissance Économique et Réduction de la Pauvreté au Cameroun » , Édition Harmattan. 

BAD (2012) : « Les principaux facteurs de la performance économique de l’Afrique », Rapport sur le développement en Afrique – Vers une croissance verte en Afrique.

FMI (2015) : « Afrique Sub Saharienne pour une croissance durable et plus solidaire », Etudes Economiques et Financières, Perspectives Economiques Régionales.

PNUD (2014) : « Pérenniser le Développement Humain : Réduire les Vulnérabilités et renforcer la résilience », Rapport sur le Développement Humain. 

Rapport des Nations Unies (2014) : « Objectifs du Millénaire pour le Développement ».


[1]Passant de 2 milliards en 1990 à 902 millions en 2012. Les prévisions de la Banque Mondiale anticipent que le monde ne comptera plus que 702 millions de pauvres en 2015.

[2] Niveau de revenu en deçà duquel un individu est considéré comme pauvre. Ce seuil est fixé depuis les travaux de Benjamin Seebohm Rowntree en 1901 en fonction d’un panier de biens alimentaires et non alimentaires nécessaire à la survie quotidienne.

 

 

[3]A titre illustratif, on note la prévalence des meurtres et des tueries en RDC, l’accroissement de la pauvreté de près de 50% au Zimbabwe, la mortalité infantile qui croit de 105 à 108 pour 1000 au Kenya.

 

 

[4]La faiblesse des revenus oblige à se loger à bas prix dans les quartiers ayant une mauvaise réputation, où il y a peu de travail et une éducation dégradée, une criminalité élevée et une prévention médicale moins active.

[5] Mesure statistique de la dispersion d’une distribution de revenu au sein d’une population.

[6]Selon une enquête de la Banque mondiale, environ 40% de ceux qui rejoignent les mouvements terroristes seraient motivés par le manque d’emploi.

 

 

An interview with Nunu Ntshingila, futur Director for Facebook in Africa

12c509eWhen she begins her career in the advertising industry at the end of the 1980s in South Africa, Nunu Ntshingila discovers a universe she describes as being “very white and very masculine”. Let us take another look at an Africa fully involved in a digital (r)evolution, through the eyes of a woman promoting afro-responsibility on the continent.

An activist in women access to leadership

« After staying in the US for my studies, I came back to South Africa to work at Nike’s in communication. When I came back in the advertising sector, South Africa had democratized itself. I particularly remember debates on the role of women in the development of the post-apartheid country. It was reassuring to know we were involved in these types of discussions”, says Nunu Ntshingila who, at almost 50, is about to leave the world of advertising and to take the lead of Facebook in Africa. In 2011, Nunu Ntshingila joined the Executive Committee of Ogilvy & Mather, becoming the only representative of the African continent to serve on the committee, amongst thirty executives.

« The access of women to executive positions is a determining factor, especially in the creative industry, as they are required to speak up to be represented with respect ». Representation, explains Nunu Ntshingila, also takes into account the race issue, an issue which, according to her, is not about to disappear easily in South Africa. She believes that the distribution of wealth would be a good solution to remedy the racial tensions that still divide the country: “We must ensure that diversity can take root in our environment. All the capital currently belongs to the white minority, we must ensure that this capital belongs to the majority.”

A stronger advertisement market, thanks to the new technologies

In 2015, the advertisement market’s growth in Africa is estimated at 8%, against 5% in the rest of the world. On this topic, Nunu Ntshingila confirms: “It is true that the market evolves a great deal. But I insist on the fact that we should guide this evolution ourselves. When we talk about Africa in motion, it is important that Africans first appropriate this idea. I am sceptical when this message comes from outside the continent. We need to make Africa grow, as Africans. Today, people here want to live in better conditions. This is why the diaspora realises the potential of the continent and goes back to Africa.”

Asked about the impact of digital, she admits that she does not believe in a negative aspect of this revolution for the advertisement market. “The press was a pillar of our strategies, and we really feel in South Africa, a concentration of the advertisement market towards digital. We need to adapt to new technologies”

New technologies, such as the mobile

According to a study published at the beginning of the year by Frost & Sullivan on mobile usage trends in Subsaharan Africa, mobile penetration rate should attain 79% in 2020. “Mobile has allowed a leap forward regarding the way we communicate with consumers. Technology has allowed to reduce the gap between urban and rural areas. It is also a powerful tool to hear the voices of the poorest. It has even transformed the way we communicate between countries. Here, it is time for erasing the boundaries”, affirms the woman who has participated to the development of the international group on advertisement in 14 African countries.

Despite the optimistic perspective she has on the current state of the African advertisement market, Nunu Ntshingila remains lucid on the long road ahead. There are disparities, especially between Maghreb, Egypt and South Africa, and the rest of Sub-saharan Africa. A report from the Alliance For Affordable Internet shows that French-speaking African countries are particularly affected by the high costs of high speed internet. “In Africa, what will determine the evolution of advertisement will be the cost of high speed internet”, she declares. This cost is one among the many obstacles that the future director of Facebook will face when developing the social network on the African network, from the month of September.

Translated by M.C.

La redevabilité des acteurs, une priorité pour une lutte efficace et durable contre la malnutrition.

arton15640En 2000 s’est tenu un rassemblement historique des chefs d’État et de gouvernement au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. A l’issue de cette rencontre cent quatre-vingt-neuf (189) pays ont adopté la déclaration du millénaire, dans laquelle les huit (8) objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont été annoncés. Quinze (15) ans plus tard, le résultat de l’objectif huit (8) concernant « le partenariat mondial pour le développement » indique que « L’aide publique au développement des pays développés a augmenté de 66 % en valeur réelle entre 2000 et 2014 ». En mettant en parallèle celui-là avec le résultat du premier objectif des OMD qui avait pour but de réduire l’extrême pauvreté et la faim montrant que « la proportion des personnes sous-alimentées dans les pays en développement a diminué de près de moitié depuis 1990. »,  il devient pertinent de s’interroger sur ce que ces avancements impliquent dans une dimension plus ciblée à savoir la lutte contre la malnutrition en Afrique Subsaharienne. 

Malgré les a priori sur le sujet, la malnutrition n’est pas liée simplement à des apports d’aliments en excès ou insuffisants ; elle est principalement causée par une absence de nutriments essentiels affaiblissants les défenses du sujet contre les maladies courantes tout en pesant sur sa croissance. En Afrique , même si l’on constate une augmentation de la visibilité des cas d’obésités  et de surpoids -qui sont un autre type de malnutrition- accompagnés par des cas de maladies liées à l’alimentation et à la nutrition comme les maladies cardiovasculaires, les diabètes etc.,  le type de malnutrition le plus connu par l’inconscient collectif, et attribué au continent africain, est celui lié aux carences qui touche généralement les enfants de moins de cinq (5) ans , dont les deux (2) principales formes sont définies ci-dessous :

  • la malnutrition chronique ou retard de croissance est le résultat d’une alimentation et/ou d’une hygiène inadéquate, de l’insuffisance des soins sur une longue période. Le retard de croissance est un indicateur de la pauvreté et de la vulnérabilité. Ses conséquences se mesurent sur le long terme.
  • la malnutrition aigüe résultant d’un apport énergétique insuffisante, des pratiques d’allaitement et d’alimentation inadéquate et des maladies récurrents. Ses conséquences sont immédiates et peuvent conduire à des risques de mortalité.

Le nombre de personnes touchées par la malnutrition est assez conséquent tant au niveau planétaire qu’au niveau du continent africain, d’où l’importance d’élaborer des stratégies de réponses harmonieuses, cohérentes et rationnelles nécessitant d’important flux financiers et de compétences diverses faisant appel aux Etats, aux bailleurs, aux agences onusiennes, à la société civile, au secteur privé et au secteur académique. Cela peut être expliqué par différents facteurs et en particulier par les multiples engagements pris par les acteurs de la nutrition présents en Afrique subsaharienne. En guise d’exemple on peut citer le cas du Burkina Faso qui, bien que les derniers événements socio-politiques aient ralenti l’avancement de sa feuille de route, est en cours d’élaborer son Plan Stratégique Multisectoriel. Ceci explique sans nul doute le fait que le gouvernement burkinabé a érigé au rang de priorité nationale : la lutte contre le retard de croissance, en signant le pacte mondial de nutrition pour la croissance économique et sociale.

Cette note introductive rend compte de l’importance des investissements pour soutenir les pays en voies de développement  dans leur lutte contre la pauvreté et les problématiques de santé publique à l’image de la malnutrition. Pour faire face à cette problématique de santé publique frappant de plein fouet le continent, des investissements sont attribués à l’ensemble des interventions destinées à lutter contre.

Ceux-ci sont généralement attribués à deux grands types d’intervention : d’une part les interventions directes ou spécifiques, autrement dit celles qui s’adressent aux déterminants immédiats de la nutrition et du développement fœtal et infantile (Ruel et al, 2013). D’autre part les interventions indirectes, c’est-à-dire celles qui attaquent les déterminants sous-jacents de la nutrition et du développement fœtal et infantile – sécurité alimentaire, pratiques de soins adéquats au niveau maternel, familial et communautaire, accès à des services de santé et à un environnement sain et hygiénique- en intégrant des objectifs et actions spécifique à la nutrition (Ruel et al, 2013) communément appelés interventions « sensibles ». Si ces deux premiers types d’interventions catalysent une grande partie des investissements de la nutrition, nous pouvons noter tout de même l’existence d’investissements destinés à un troisième type d’intervention pour faire face à la malnutrition: la construction d’un environnement favorable. Ce dernier type d’intervention renvoie à des évaluations rigoureuses, à des stratégies de plaidoyer adaptés et efficaces, à la coordination des actions à tous les niveaux, à un engagement de redevabilité, à la régulation des motivations et de la législation, à un développement des capacités d’investissements et à la mobilisation des ressources intérieures.

Ces faits montrent de part et d’autre l’importance de la lutte contre la malnutrition et des investissements mobilisés par les différents secteurs. Par contre si l’on tient compte du suivi des investissements réalisé dans les financements des activités de santé à travers les Comptes Nationaux de la Santé, des investissements publics pour les infrastructures, des audits auprès des entreprises privées et publiques etc., il devient tout à fait légitime de s’interroger sur le suivi des investissements en nutrition dans les pays en développement. Qui finance la nutrition dans ces pays, principalement en Afrique subsaharienne ? Quelles sont les interventions les plus financées ? Ces interventions ont-elles des impacts positifs ? Peut-on mesurer le coût-efficacité des interventions de la nutrition ? 

Pour répondre à ces différentes questions, une méthodologie ne concernant que les investissements publics  a été proposée par le mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) «fondé sur le principe du droit à l’alimentation et une bonne nutrition à tous » regroupant les six secteurs (évoqués en haut) pour renforcer la nutrition. La méthodologie proposée consiste à :

  • identifier les  allocations budgétaires pertinentes pour la nutrition via une recherche par mot-clé ;
  • évaluer clairement les allocations budgétaires spécifiques et sensibles à la nutrition;
  • attribuer des ratios aux spécifiques (100 %), tel qu’un programme national de nutrition; et une allocation raisonnable pour les programmes contribuant à la nutrition (e.x 25 %), tels que les programmes de protection sociale et les programmes de développement de la petite enfance.

L’atelier SUN tenu dans la capitale ivoirienne du 27 au 29 avril 2015 avec la présence de quatorze (14) pays dont sept (7) pays – Benin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Cote d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Madagascar- ont réalisé et présenté l’analyse des budgets de la nutrition. Les résultats de l’analyse soulignent la quasi-absence d’interventions spécifiques à la nutrition pour le Cameroun ainsi qu’une grande partie des sept (7) pays, comme en témoigne la remarque d’un représentant de la société civile camerounaise : « il n’y a presque pas de budget pour les interventions spécifiques à la nutrition » concluant qu’ils vont se servir des résultats de l’atelier pour attirer l’attention du gouvernement afin qu’il soit pris en compte dans le prochain plan budgétaire.  Cet exercice  a permis également aux pays présents à l’atelier de connaître les secteurs qui contribuent à la nutrition et où trouver les allocations de la nutrition. 

Dans le même sens des ateliers SUN sur les investissements en nutrition on peut citer la rencontre des pays anglophones d’Afrique en Ouganda du 21 au 22 avril 2015 avec la participation de l’Ouganda, du Kenya, du Lesotho, de la Gambie, du Ghana, du Soudan du Sud et de la Zambie. Les faits saillants de l’atelier recommandèrent d’intégrer les allocations de la nutrition dans les différents secteurs du gouvernement zambien et la multisectorialité de la nutrition a refait surface ainsi que la nécessité d’adapter le jargon de la nutrition afin de la rendre accessible.

En sommes ce que l’on peut dire à l’issu des ateliers SUN sur le suivi des investissements en nutrition est que « disposer de données fiables est essentiel pour permettre aux décideurs de procéder à la définition des priorités, à la planification et à la prise de décisions éclairées sur l’allocation des ressources pour la nutrition dans les budgets nationaux. C’est à ce point que les gouvernements opèrent des choix fondamentaux de dépense pour améliorer la nutrition, lesquels choix peuvent jeter les bases pour l’avenir de la nation ». En d’autre terme la redevabilité des acteurs des différents secteurs de la nutrition est primordiale pour la mise en place des Plans Nationaux de Nutrition. L’engagement des acteurs d’être comptable de la nutrition permettrait non seulement aux pays de disposer de données concernant les allocations et les dépenses pour la nutrition, mieux cet engagement serait aussi un baromètre pour mesurer le coût-efficacité des interventions. De plus si les données sont renseignées de manière transparente l’outil peut servir de comparaison entre les pays ayant suivi les investissements en nutrition, ce qui serait un moyen pour mesurer l’efficacité ou non des interventions financées dans différents pays et différents contextes.

Le Guatemala a compris cela en élaborant son propre système de suivi des investissements en nutrition. Il a mis en place un système de surveillance des investissements en faveur de la nutrition, dans l’optique de déterminer l’adéquation des ressources par rapport aux investissements. Depuis la mise en place de ce système le pays a maintenant à sa disposition (Bulux J. et al., 2014) :

  • un budget de sécurité alimentaire et nutritionnelle ventilé par Institution, Programmes et Activités ;
  • des responsabilités claires, avec des fonctionnaires désignés responsables des différentes étapes du système de mise en place ;
  • un outil simple de mise en œuvre, facilitant la compréhension des dépenses publiques à différents niveaux ;
  • une bonne coordination entre les institutions.

En dehors de cet exemple, l’Afrique subsaharienne pourrait disposer de son propre système de suivi des investissements en tenant compte par exemple aux amendements du dernier rapport d’Unicef sur le suivi des investissements en nutrition au Burkina Faso entre 2011 et 2014.  Ces amendements peuvent être améliorés en cherchant du côté des travaux réalisés par le mouvement SUN, même si sa méthodologie mérite d’être affiner, du côté des récents travaux académiques sur le sujet et du côté du SPRING qui envisage de continuer à suivre les investissements de la nutrition pour l’Ouganda et le Népal.

Cette démarche responsable, de qualité et d’engagement à la transparence, base d’un « contrat moral » à la redevabilité serait un premier pas pour « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable » comme souhaité par le deuxième objectif, des Objectifs du Développement Durable (ODD) qui sont une nouvelle série d’objectifs, cibles et indicateurs rentrés en vigueur cette année pour une durée de quinze (15) ans sur lesquels les États membres de l’ONU devraient baser leur programmes et politiques.

Ibrahima-Ndary GUEYE

Références :

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : http://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/MDG%202015%20pressreleasemessage_fr.pdf

Malnutrition MSF : http://www.msf.fr/activites/malnutrition

Malnutrition FAO: http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/eufao-fsi4dm/doc-training/bk_1b.pdf

Mouvement SUN : http://scalingupnutrition.org/fr/ressources/suivi-financier-et-mobilisation-des-ressources/analyse-de-budget

Global SUN Gathering 2015 https://www.youtube.com/watch?v=MHp2B0NmjLs

Atelier SUN Ouganda: http://scalingupnutrition.org/fr/news/les-pays-sun-dafrique-demontrent-le-bien-fonde-de-linvestissement-pour-la-nutrition-a-travers-lanalyse-de-budget#.VkuJBvkve01

Atelier SUN Abidjan: http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-odd-cest-quoi-315654

Les Objectifs du Développement Durable (ODD) : http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-odd-cest-quoi-315654

Picanyol C., Financial Resource Tracking for Nutrition: Current State of the Art and Recommendations for Moving Forward, Global Nutrition Report, disponible sur: http://globalnutritionreport.org/files/2014/11/gnr14_pn4g_11picanyol.pdf

The Lancet, Maternal and child Nutrition, Executif summary of the Lancet Maternel and children nutrition series, 2013. Disponible sur http://thousanddays.org/wp-content/uploads/2013/06/Nutrition_exec_summ_final.pdf

Bulux J. et al ., Suivi des crédits financiers en faveur de la nutrition : l’expérience du Guatemala. Nutrition Mondiale, Rapport 2014 disponible sur : http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/gnr14fr.pdf

L’Afrique connaîtra-t-elle un dividende éducatif ?

4524953_6_724b_il-n-y-a-plus-que-six-pays-a-travers-le_196f2ae5c6333fc36d59219c128b50ffLa transition actuelle de la fécondité dans les pays d’Afrique sera-t-elle profitable à l’économie ? Entre 1990 et 2010, le taux de natalité est passé de 6,2 à 4,9 enfants par femme. Un recul qui, en créant les conditions d’un « dividende démographique » historique, aurait dû améliorer les perspectives de la région sur le plan de l’éducation et du développement. En théorie, un dividende intervient avec la réduction temporaire des taux de dépendance (rapport actifs/inactifs) consécutive au repli du taux de fécondité. Mais, dans la pratique, ce phénomène et les conditions qui favorisent son apparition sont difficiles à cerner.

Tous les chercheurs ne sont pas du même avis. Les optimistes trouvent les arguments positifs convaincants : le recul de la fécondité peut améliorer l’éducation à travers plusieurs mécanismes, dont la réduction de l’incidence des abandons scolaires liés à une grossesse, la diminution de la taille des cohortes et des fratries ou encore la baisse du taux de dépendance (figure 1). Cette vision sera confortée par les résultats d’études montrant des corrélations inverses entre fécondité et scolarité ou par l’expérience de l’Asie et de l’Amérique latine qui ont, semble-t-il, bénéficié d’un dividende éducatif pendant leur transition.

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Pour les plus circonspects, théorie et corrélations ne suffisent pas. Les indispensables liens de cause à effet ne sont guère étayés par des données concluantes, du moins à une échelle et un degré d’agrégation autorisant à affirmer avec certitude certaines généralités sur la région. Faute de données idéales, des méthodes de décomposition permettent d’apprécier de manière pragmatique le dividende éducatif, en s’intéressant aux gains mécaniques des dépenses publiques d’éducation par enfant liés à l’évolution de la structure par âge d’un pays. Cette approche est pratique à deux égards : premièrement, elle repose sur des statistiques largement disponibles ; et, deuxièmement, les calculs sont transparents car fondés sur une relation mathématique simple associant les dépenses publiques d’éducation par enfant, le revenu national,  la part du revenu allouée à l’éducation et la population en âge d’être scolarisée.

Cette approche est au cœur d’un travail récent de la Banque mondiale pour estimer les gains des dépenses publiques d’éducation par enfant observés entre 1990 et 2010 dans plusieurs pays d’Afrique et dont les grandes conclusions sont les suivantes :

  • l’étude a trouvé des éléments attestant de l’émergence d’un dividende éducatif dans la région. Pour l’Afrique subsaharienne, les dépenses moyennes par enfant ont augmenté, de 96 à 198 dollars, les gains étant plus importants dans les pays à l’avant-garde de la transition de la fécondité. L’Afrique australe (hors Zimbabwe) a ainsi enregistré une progression moyenne de 75 % de la valeur des dépenses publiques d’éducation, 26 à 70 % de ces gains découlant d’une baisse du taux de dépendance. Les transitions de la fécondité pouvant par ailleurs influer sur l’éducation par d’autres canaux (figure 1), le dividende éducatif total devrait être encore plus important.
  • Le rapport avance quatre observations :
  • la croissance économique et les engagements budgétaires sont aussi importants que le taux de dépendance. Là où les gains de dépenses par enfant sont les plus marqués, ce résultat s’explique par une relation équilibrée entre baisse du taux de dépendance, croissance économique et engagement de l’État en faveur de l’éducation ;
  • ces gains sont variables (figure 2) et sélectifs dans la manière dont ils renforcent les inégalités éducatives entre pays. De tels écarts peuvent également apparaître au sein d’un pays, sur fond d’inégalités importantes et croissantes des taux de natalité et en fonction de l’évolution du coût de l’enseignement secondaire ;
  • l’approche par la décomposition privilégie les gains sur le plan des intrants scolaires par élève et non en fonction des résultats scolaires effectifs. L’amélioration des intrants ne peut à elle seule garantir l’obtention de meilleurs résultats et l’impact de cette corrélation varie d’un pays à l’autre ;
  • les dividendes attendus n’ont rien d’automatique, surtout là où la transition piétine depuis quelques années. Pour se concrétiser, un tel dividende doit aller de pair avec un recul rapide, durable et général de la fécondité et des incitations constantes à investir dans l’éducation.

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Globalement, les pays africains à l’avant-garde de la transition des taux de fécondité semblent déjà bénéficier d’un début de dividende éducatif qui n’a rien d’universel et qui ne sera en aucun cas systématique. Pour y parvenir, il va falloir opter pour des politiques démographiques et éducatives volontaristes incitant les familles à renoncer aux grandes fratries au profit d’investissements accrus dans l’éducation.

Un article initial de Parfait Eloundou-Enyegue                 

François Hollande, « rattrapé par la Realpolitik en Afrique »

CHRISTOPHE%20BOISBOUVIER_PRW_9871_0Qui pouvait penser que François Hollande ferait des dossiers africains l’une des priorités de sa politique étrangère et militaire ? Avant de devenir président, il se rend le moins possible sur un continent dont il se méfie. Il délaisse les enjeux africains pour cultiver son ancrage local corrézien, et se concentrer sur les questions économiques et sociales qu’il affectionne. C’est donc un homme plutôt neuf qui arrive à l’Elysée en mai 2012, après avoir promis comme d’autres de “rompre avec la Françafrique”. Très vite, face à la montée de la menace djihadiste au Mali, c’est pourtant sur ce terrain africain que François Hollande va prendre parmi les décisions les plus cruciales de son mandat en engageant les troupes françaises. Quelques semaines après l’intervention au Mali, il décrit même son accueil triomphal à Bamako, comme la journée “la plus importante” de sa vie politique. Dans Hollande l’Africain, paru en octobre aux éditions La Découverte, le journaliste de RFI Christophe Boisbouvier raconte avec minutie cette conversion à l’Afrique, et combien, au nom de ses intérêts économiques et sécuritaires, la France peine à échapper à ses traditionnelles alliances avec des régimes contestables. Pour l’Afrique des idées, il revient sur les atermoiements de la politique africaine de François Hollande.

Vous écrivez que François Hollande a longtemps joué à cache cache avec l'Afrique, pour quelles raisons ?

Parce ce qu’il estimait qu’en Afrique “il n’y a que des coups à prendre”. C’est ce qu’il dit en 1998 au “Monsieur Afrique” du Parti socialiste, Guy Labertit, un an après avoir pris les rênes du PS. François Hollande a été marqué par les scandales de la Françafrique, notamment celui des diamants de Bokassa, qui a contribué à la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Pendant longtemps, pour lui, aller en Afrique, c’était prendre le risque d’être accueilli par des potentats, de recevoir des cadeaux compromettants et de se salir les mains. En tant que premier secrétaire du PS, il ne met pratiquement jamais les pieds en Afrique. Il n’accompagne pas le premier ministre Lionel Jospin quand il se rend au Sénégal et au Mali en décembre 1997.

En quoi sa relation avec Laurent Gbagbo marque-t-elle un premier tournant ?

Malgré sa méfiance forte vis-à-vis du continent, François Hollande, en tant que patron du PS, va être obligé de prendre position sur les dossiers africains, où la France est très attendue. D’autant plus, qu’il devient en 1999, le vice-président de l’Internationale socialiste. Il va nouer des relations de camaraderie avec les chefs des partis socialistes africains comme Laurent Gbagbo, qui dirige le Front populaire ivoirien et est un grand ami du député PS Henri Emmanuelli. Il se laisse entraîner dans une relation assez étroite, avec des communiqués de soutien catégorique à Laurent Gbagbo, en 2000, au moment de la présidentielle.

Avant de rompre 4 ans plus tard…

En 2002, il y a une insurrection dans le nord de la Côte d’Ivoire et le pays est coupé en deux. Peu à peu on va découvrir que des assassinats ont lieu contre les rebelles présumés, perpétrés par ce qu’on appelle “les escadrons de la mort” du président Gbagbo. François Hollande est alerté par plusieurs socialistes, et par l’Ambassadeur de France, Renaud Vignal, rappelé à Paris, pour ses relations exécrables avec le régime ivoirien. A son retour, le diplomate fait un compte rendu incendiaire de la situation qui a beaucoup de poids sur François Hollande. C’est le début d’un grand froid. François Hollande décide de rompre définitivement fin 2004 et l’affaire ne fait que renforcer ses préjugés sur l’Afrique.

Vous décrivez avec précision l’entrée en guerre au Mali. Comment expliquez-vous que François Hollande ait revêtu avec une telle célérité le costume du chef de guerre une fois à l’Elysée ?

Il a une phrase forte quand il se rend au Mali trois semaines après le début de l’intervention française: “Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique”. Elle trahit d’abord la blessure d’un homme qui jusqu’à son élection a longtemps été considéré comme un mou, et un “flanby”, un dessert gélatineux… Il veut montrer qu’il n’est pas celui qu’on croit, qu’il est capable de prendre des décisions fortes. Il estime aussi profondément que la France a une responsabilité historique. C’est un gaullo-mitterrandiste qui veut maintenir la France dans le club des grandes puissances qui ont le droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU. Il veut prouver qu’elle est une grande nation qui prend ses responsabilités quand l’Afrique l’appelle.

La France a-t-elle exagéré la menace djihadiste au Mali pour justifier sa guerre ?

Je ne dirais pas qu’elle l’a exagérée, mais elle a dramatisé l’enjeu. François Hollande sait qu’il faut gagner la bataille de la communication et de l’opinion publique à la fois en France et en Afrique. Il insiste donc sur la menace sur Bamako, ses deux millions d’habitants et 6000 ressortissants français. En fait, quand François Hollande prend la décision d’intervenir, personne ne sait ce que les djihadistes veulent vraiment faire. Une seule certitude, ils ont bougé. Mais on ignore si leur objectif est le centre du pays dans la région de Sévaré ou si ils veulent pousser jusqu’à Bamako. C’est dans une situation de doute et d’interrogation tactique que François Hollande décide d’intervenir.

Est-ce parce qu'elle était opposée à l'intervention française au Mali qu'une ancienne ministre malienne de la culture Aminata Traoré s'est vu refuser un visa pour la France ?

Sans doute.

Outre François Hollande, parmi les personnages centraux de votre livre, il y a le président tchadien Idriss Déby. En quoi leur relation est-elle emblématique de l'évolution de la politique africaine du président français ?

Car Idriss Déby est un des chefs d’Etat africains dont François Hollande se méfie le plus, à cause de “l’affaire Ibni”. Du nom de Ibni Mahamat Saleh, un des leaders de l’opposition tchadienne, proche de l’internationale socialiste qui disparaît en février 2008 dans les geôles tchadiennes. A l’époque, le PS français a des positions très dures contre le régime dont il met en cause la légitimité. Deux députés Jean-Pierre Sueur et Gaëtan Gorce organisent un débat à l’Assemblée nationale en mars 2010.

Jusqu’à son arrivée au pouvoir, François Hollande considère que le régime tchadien n’est pas fréquentable. Pendant les six premiers mois, les relations sont très mauvaises. Idriss Déby ne vient pas à Kinshasa au sommet de la francophonie, où se rend le président français. En décembre 2012, il est reçu pour la première fois à l’Elysée mais les relations restent glaciales. Tout change en janvier, Déby propose les services de son armée pour la bataille des Ifoghas au Nord-Mali. Désormais, les deux pays ont une alliance militaire et stratégique contre un ennemi commun…les djihadistes.

La communication des autorités françaises en deux temps sur le référendum au Congo, qui pourrait permettre au président Sassou Nguesso de s’accrocher au pouvoir, est-elle une autre illustration des atermoiements français ?

Un pas en avant, deux pas en arrière. Dans sa politique africaine, François Hollande zigzague comme il l’a fait pendant onze ans à la tête du parti socialiste sur d’autres dossiers. Un coup, il se prononce contre le principe du 3e mandat de Denis Sassou Nguesso et un autre coup il semble donner son feu vert au président congolais quand il prépare son référendum pour en briguer un. Autre exemple, ses tournées en Afrique. Quand il rend visite à un autocrate, il prend le soin d’aller d’abord chez un chef d’Etat élu démocratiquement. Avant d’aller à Kinshasa chez Joseph Kabila, il va voir le Sénégalais Macky Sall, avant de se rendre au Tchad chez Idriss Déby, il va chez Mahamadou Issoufou au Niger. C’est un équilibriste permanent.

François Hollande a-t-il rompu avec la Françafrique comme il le promettait dans un de ses engagements de campagne ?

Il a essayé de rompre avec la Françafrique de l’argent et du clientélisme, et de mettre fin à l’influence des visiteurs du soir sur la politique africaine, des gens comme Robert Bourgi ou Patrick Balkany qui intervenaient encore pendant les présidences de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Jusqu’à preuve du contraire, François Hollande a plutôt réussi sur ce plan là. En revanche il n’a pas rompu avec la Françafrique institutionnelle, celle des bases militaires et du franc CFA. La France est encore le gendarme de l’Afrique, notamment au Sahel. Enfin, malgré les promesses de Dakar en octobre 2012, il reste des réseaux, peut être plus de réseaux clientélistes mais des réseaux personnels. Ceux qui datent de l’Internationale socialiste. François Hollande et Alpha Condé par exemple échangent régulièrement des SMS sur leurs anciens téléphones personnels. Le président guinéen en profite probablement. Il peut obtenir un rendez-vous à l’Elysée en trois jours et contourner le protocole. Dans une tribune au journal Le Monde, un proche de Hollande, l’avocat de gauche Jean-Paul Benoit avait tiré la sonnette d’alarme et réclamé une politique plus équilibrée en Guinée.

Pourquoi ces hésitations entre realpolitik et droits de l’homme vous surprennent-elles ? N’est-ce pas un classique de la politique étrangère ?

On peut être cynique et penser que les responsables politiques sont tous les mêmes, que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais François Hollande a vraiment manifesté un désir de renouveau au départ comme l’illustrent les choix d’Hélène Le Gal et Thomas Melonio pour la petite cellule africaine de l’Elysee, et de Pascal Canfin comme ministre du développement. Hélène Le Gal est une diplomate jeune qui n’a pratiquement pas de passé africain ni de relations personnelles avec les chefs d’Etat, c’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’elle a été choisie. Thomas Melonio, c’est encore mieux, c’est un idéologue, qui a un écrit un petit fascicule quand il travaillait sur les questions africaines pour le PS. Il y posait clairement la question du maintien des bases militaires françaises et du franc CFA. Aujourd’hui un officier d’état-major français relirait ce texte avec effroi. Quant à Pascal Canfin, c’est un écologiste spécialiste de la lutte contre les trafics financiers, notamment entre le Nord et le Sud, et il a obtenu un ministère du développement important. Donc François Hollande n’a pas voulu faire comme tout le monde au début, il avait une vraie volonté de changement. Mais à l’épreuve des faits, la Realpolitik l’a rattrapé.

Helène Le Gal et Thomas Melonio avalent-ils des couleuvres aujourd’hui ?

Il faudra leur demander… Je pense qu’ils vous diront que le présence militaire française n’est plus une présence politique mais relève d’opérations extérieures, des OPEX contre les djihadistes. Que les troupes ne sont plus des forces de présence comme dans les bases de Libreville ou de Djibouti qui voient leurs effectifs diminuer. Ils souligneront aussi sans doute que même si il n’y a pas eu de rupture fondamentale, il y a une forme de normalisation des relations françafricaines.

Votre livre est dédié à Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journaliste et technicien à RFI, assassinés au Nord-Mali en novembre 2013. Où en est l’enquête ?

Elle est au point mort. D’abord parce que l’entraide judiciaire entre Paris et Bamako ne fonctionne pas bien. Il y a eu des commissions rogatoires internationales mais les retours sont décevants. Le président malien nous a expliqué que les recherches demandent une expertise que n’ont pas les juges et les policiers maliens, et qu’il faudrait une entraide technique avec Interpol, l’Union européenne… C’est un argument que nous pouvons entendre. Mais il y a aussi un blocage en France. Le juge Marc Trévidic qui était en charge du dossier a fait une demande de déclassification de documents “secret défense”. Le Ministère de la Défense n’a rien fait et n’a même pas saisi la commission consultative du secret de la défense nationale, qui doit simplement donner son avis. C’est d’autant plus choquant que le 24 juillet, François Hollande a reçu les familles et promis que tous les documents demandés seraient déclassifiés. Nous attendons toujours… Et on se demande si l’armée française n’a pas quelque chose à cacher.

Propos recueillis par Adrien de Calan

L’expérience de la politique de ciblage de l’inflation en Afrique

1000179_blogspot-quels-futurs-pour-la-politique-monetaire-et-la-croissance-economique-94771-1La stabilité des prix constitue pour les autorités une priorité. En effet, dans un contexte de croissance permanente des prix, sachant que les revenus n’évoluent que très peu, la crise économique et sociale est inévitable. Les analyses théoriques sur le sujet ont permis d’identifier la politique monétaire comme instrument pour lutter contre l’évolution des prix. Cette mission est donc confiée aux Banques Centrales Le succès remporté par certains pays développés[1] suite à l’adoption d’une politique de ciblage de l’inflation a amené plusieurs pays dans le monde à adopter une telle politique pour lutter contre l’inflation. Cette politique consiste en un engagement de la Banque Centrale sur un objectif d’inflation pour une période déterminée sous la forme d’un niveau ou d’une fourchette.

En Afrique, les pays de la zone franc et plus récemment l’Afrique du Sud (2000) et le Ghana (2007) ont  adopté une politique de ciblage de l’inflation mais nous intéresserons dans ce cas précis au Ghana et à l’Afrique du Sud – dans la zone franc, l'inflation ayant toujours été sous contrôle. D’après le graphique ci-dessous, on peut dire que le Ghana en adoptant cette politique a réussi dans une large mesure à réduire son taux d’inflation qui est passé de 46% en 1996 à 10,7% en 2007 et 11.6% en 2013. En Afrique du Sud, elle a permis de contenir l’inflation, qui avait atteint en 2008 11.5% suite à l’envolée des prix internationaux des carburants et des produits alimentaires au cours du premier semestre de cette année, sous la barre de 7%.

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Source : donnees locales

Généralement, l’efficacité de la politique de ciblage de l’inflation est associée à l’amélioration de la performance économique. Plusieurs travaux ont montré que les pays qui adoptent cette politique sont caractérisés par une baisse du niveau et de la volatilité de l’inflation ainsi que de la volatilité de l’output. D’après les tableaux suivants on peut confirmer l’efficacité de la politique de ciblage de l’inflation à l’Afrique du Sud et au Ghana dans la mesure où on assiste à une baisse de l'évolution du  niveau des prix ainsi que de la volatilité de l’inflation à la période post-ciblage dans les deux pays. Aussi, une hausse du taux de croissance peut être constatée dans sur la même période et dans les deux pays, avec cependant une volatilité plus importante au Ghana.

En somme on peut dire que la politique de ciblage de l’inflation a contribuer à améliorer la performance économique dans ces deux pays africains tout en conservant pour les deux un taux de change flexible .

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Source : Calcul de l auteur

Le recours à une politique de ciblage de l’inflation signifie nécessairement une annonce publique saine et claire d’un objectif de moyen terme de lutte contre  l’inflation. Cela implique un engagement institutionnel qui fixe comme objectif la stabilité monétaire en faisant recours à une politique monétaire transparente et crédible qui permet de développer les capacités d’anticipations des autorités monétaires. Selon Mishkin (2000), la poursuite d’une politique de ciblage de l’inflation repose, en réalité, sur deux principales conditions:

  • Les autorités monétaires sont amenées à annoncer le niveau ou la fourchette cible de l’inflation lors de la poursuite de l’objectif de stabilité des prix.
  • La politique monétaire est sensée être transparente et mise en œuvre par une Banque Centrale indépendante, autonome et responsable afin d’atteindre ses cibles d’inflation.

A ce niveau deux types d’indépendance se présentent. En premier lieu, l’indépendance politique des autorités monétaires qui repose sur l’absence d’intervention du gouvernement concernant les décisions de politique monétaire. En deuxième lieu, l’indépendance économique qui repose principalement sur les limites posées au financement de l’État par la Banque Centrale. D’après le tableau ci-dessous, la spécification de l’objectif de la politique monétaire en Afrique du Sud et au Ghana est effectuée par la Banque Centrale et le gouvernement. Ce dernier peut emprunter auprès de l’institut d’émission dans les deux pays. En Afrique du Sud, le gouvernement ne participe à la prise des décisions des autorités monétaires tandis qu’au Ghana le gouvernement est considéré comme un membre votant. Néanmoins, dans ces deux pays aucun rapport n’est publié en cas d’échec au niveau de réalisation de la cible de l’inflation.

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La réussite de la politique en Afrique du Sud et au Ghana a été porté par l’indépendance dont jouissait les Banques Centrales de ces pays. Dans ce contexte, les pays africains qui adoptent déjà la politique de ciblage de l’inflation ou qui ambitionne d’adopter une telle politique devraient renforcer, d’un coté l’indépendance et l’autonomie des autorités monétaires et d’un autre coté, la crédibilité et la transparence de leur politique monétaire pour garantir l’efficacité désirée de cette politique.

Ben Hassine Aymen

Références  :

  • Don C., Jack S. et Carolyn W., 2006, « Une nouvelle analyse de l’horizon de la cible d’inflation. » ; Revue de la Banque du Canada.
  • Faber S. M. et Fischer A. M., 2000, « L’inflation sous-jacente en Suisse. » ; Bulletin trimestriel n° 4 de la  Banque Nationale de Suisse.
  • Mishkin F. C., 2000, « Inflation targeting in emerging market countries. »; American Economic Review Papers and Proceedings.
  • Quah D. et  Vahey S. P., 1995, « Measuring core inflation. »; Economic Journal n°105.
  • Symphorien E. M., 2003, « La cible d’inflation en zone CEMAC. » ; Revue d’Economie & Gestion vol. 4 n°1.
  • Roger S., 2009, « Inflation Targeting at 20: Achievements and Challenges»; IMF Working Papers.
  • Roger S. et Stone R., 2005, « On Target? The International Experience with Achieving Inflation Targets»; IMF Working Papers.

[1] La Nouvelle Zélande est le pays pionnier qui s’engageait officiellement dans l’objectif de ciblage de l’inflation à partir du février 1990.

L’Afrique et la Data Revolution 

dataCombien de pauvres existe-il vraiment dans le monde ? Savons-nous avec exactitude le nombre de personnes vivant dans les pays en développement ? Quel est le vrai PIB du Nigeria ou du Ghana ? Ces questions élémentaires restent à ce jour sans réponses claires ou précises aussi bien de la part des pays en développement que des organisations internationales et des agences multilatérales travaillant dans le domaine du développement. Cette imprécision dans l’information concernant les pays en développement, notamment ceux d’Afrique, pose un énorme problème, celui de l’efficacité des politiques publiques d’où la nécessité de répondre au problème de manque de données de bonne qualité.

Des appareils statistiques encore « fragiles »…

L’efficacité des politiques publiques passe par une maitrise du problème à régler ainsi que de toutes les facteurs qui déterminent ce problème. Il deveint donc nécessaire de disposer d’informations précises. Mais tel n’est pas le cas dans les pays en développement où l’appareil statistique, le système statistique national composé entre autres de l’Institut National de la Statistique (INS), des ministères sectoriels, de l’État Civil et du système d’enregistrement des statistiques vitales et des faits d’état civil pour ne citer que ceux-là, sont encore défaillants et ne permettent pas une conception et une mise en œuvre efficace ainsi qu’un suivi en temps réel et une évaluation pertinente des politiques publiques et des projets et programmes de développement.

En effet, moins de 10% des pays Africains[1], Maghreb y compris, ont une couverture de l’état civil  (enregistrement des naissances et des décès) dépassant les 90%. La majorité des pays africains n’arrivent pas à produire à temps pour une année N donnée (soit en N+1), les principaux agrégats macroéconomiques tels que les comptes nationaux, les chiffres du commerce extérieur, etc. Les recensements de la population et de l’habitat ne sont pas toujours organisés tous les 10 ans, et quand c’est le cas, les résultats sont disponibles 2 ou 3 ans après.  Tous ces dysfonctionnements s’expliquent par des problèmes structurels liés à l’organisation et à la gestion des systèmes statistiques nationaux et aussi à des problèmes conjoncturels comme l’instabilité politique et ou sécuritaire, etc.

…malgré les efforts nationaux et le soutien international

Si la période 2000-2015 a été favorable au développement de la statistique officielle grâce notamment aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), elle s’est inscrite comme un des piliers essentiels de la période Post 2015 comme le démontre l’objectif 17 des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prennent le relais des OMD pour les 15 prochaines années.

En effet, le premier rapport de suivi des OMD est survenu 5 ans après le lancement du processus. Pour pallier à ce manque, la communauté internationale a décidé de mettre la statistique au cœur de la période post 2015 en faisant d’elle un des objectifs principaux des ODD à travers son objectif 17.18 en continuant d’appuyer des appareils statistiques des pays en développement à travers la mise en œuvre des Stratégies Nationales de Développement de la Statistique (SNDS,) qui se sont généralisées dans tous les pays en développement. Aujourd’hui, plus de 100 pays en développement ont déjà mis en œuvre une SNDS et certains en sont déjà à leur deuxième.

Toutefois, malgré les efforts accomplis, le travail à accomplir reste encore énorme et le temps et les ressources, eux comme d’habitude, reste limités. Cette situation a incité la communauté internationale à appeler une Data Revolution pour pallier au problème de données de bonne qualité et disponible en temps réel.

La Data Revolution : une Evolution plus qu’une Révolution !

La Data Revolution, une expression de plus en plus évoquée dans la communauté du développement international, dans les médias et considérée comme un moyen, sinon le moyen, pour mettre à disposition des décideurs, les statistiques qu’il faut, quand il faut et dans le format adéquat. Mais de quoi s’agit-il réellement ?

En réalité, la data révolution ou révolution des données a déjà commencé. Pour beaucoup, Data Revolution rime surtout avec utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’utilisation des téléphones portables, des tablettes, des PDA, etc. dans la collecte et la production des statistiques officielles et d’indicateurs socioéconomiques.  Ceci n’est pas une pratique nouvelle en soi : à titre d’exemple, le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) en 2013 du Sénégal a été réalisé à l’aide de PDA. Grace à ce procédé, les résultats ont été publiés quelques mois après la fin de l’opération, contraire à 2002 où les résultats n’ont été finalisés que 3 ou 4 ans plus tard. En Afrique de l’Est, UN Global Pulse,  UN World Food Programme (WFP), l’Université Catholique de Louvain et Real Impact Analytics grâce à des données extraites de l’achat de crédits de communication (ou « top-up ») et de l’activité de téléphonie mobile dans un pays d’Afrique de l’Est, ont estimé l’état de la sécurité alimentaire du pays[2].

Au-delà de l’utilisation des technologies, c’est surtout une évolution dans l’organisation et la gestion des institutions, ainsi que dans la planification de la production statistique qui est visée avec la Data Revolution. En effet, les nouveaux défis auxquels font face les États demandent de penser autrement la production des statistiques et de tenir compte des acteurs notamment le secteur privé qui, autrefois, étaient à l’écart du système. Il s’agit par exemple de mettre en place des Partenariats Public-Privé entre les sociétés privés qui disposent de grandes base de microdonnées actualisées, comme les sociétés de téléphonie mobile, et les INS pour la production d’indicateurs socioéconomiques permettant d’informer les décideurs politiques sur le niveau de bien-être des populations comme c’est le cas avec le Projet D4D au Sénégal. C’est aussi considérer l’utilisation de sources de données non traditionnelles comme celles provenant d’internet, des réseaux sociaux, des emails et aussi l’utilisation des méthodes d’analyse de big data.

Il s’agit aussi de penser à la mise en place de plateforme d’échange pour faciliter la communication et le partage d’information pour coordonner la réponse et l’action humanitaire ainsi que la constitution de réseaux d’experts en prévision de la gestion de crises humanitaires dans les pays à risques comme les petits états insulaires, les états fragiles etc. Également, l’utilisation d’images satellites pour capter l’information disponible dans zones difficilement joignables, ainsi que la mise à disposition des données disponibles auprès des administrations publiques et sans restrictions sont aussi préconisées comme  essentielles à la Data Revolution.

Le projet Informing Data Revolution (IDR) initié par la Fondation Bill et Melinda Gates et réalisé par PARIS21 a permis de répertorier une multitude d’innovations déjà opérationnelles ou en cours de  réalisation dans toutes les régions du monde et qui peuvent être adaptées à d’autres régions du monde comme l’Afrique subsaharienne où la question d’informations fiables se posent avec accuité.

De la nécessité d’assurer les fondamentaux !

La Data Revolution peut apporter beaucoup à la production de statistique officielle dans les pays en développement mais ne réglera pas tous les problèmes de données. Et elle risque d’être encore moins effective si les fondamentaux nécessaires ne sont pas mis en place. En effet, un récent rapport intitulé « Data For Development » produit en 2015 par une large coalition d’experts du développement provenant de SDSN, Open Data Watch, CIESIN, PARIS21, Banque Mondiale, UNESCO a estimé à 1 milliard US$ par an, le montant total nécessaire aux 77 pays à faibles revenus dans le monde pour mettre en place un système statistique capable de leur permettre de suivre et de mesurer les ODD. Aujourd’hui, le soutien à la statistique provenant des bailleurs de fonds s’élève à 300 millions US$ et un effort supplémentaire de 200 millions US$ leur est demandé pour couvrir les besoins supplémentaires des pays en développement dans le cadre des ODD. Le reste de la facture devra être payée par les pays en développement grâce à la mobilisation de ressources internes et des moyens innovants de financement.

Tout partira donc d’un engagement politique fort provenant du plus haut sommet de l’État au service la statistique avec à la clé des moyens importants et surtout financiers. Sans financement adéquat, les INS des pays en développement ne disposeront toujours pas d’un environnement de travail de qualité avec des locaux connectés à internet, d’ordinateurs performants capables d’exécuter des analyses big data, des outils de collectes performants capable d’accélérer la vitesse de la production statistique. Mais surtout, le manque ressources humaines se fera toujours sentir car il faut pouvoir disposer des statisticiens compétents, dont la formation est assez onéreuse, pour accomplir les activités de production de statistiques officielles mais aussi il faudra pouvoir les retenir car la concurrence du secteur privé  et des organisations internationales est de plus en plus rude, ces derniers offrant le plus souvent des rémunérations et des conditions de travail attrayantes sur lesquelles les INS ne peuvent pas toujours s’aligner.

Un autre aspect fondamental est l’amélioration de la coordination entre les membres du système statistique national pour favoriser une meilleure gestion et programmation des activités de production des statistiques officielles ainsi qu’un meilleur partage de l’information. Aussi, une meilleure coordination favorisera une harmonisation des concepts statistiques, des procédures de collecte et un contrôle efficace de la qualité des différentes données produites par les différents acteurs du système statistique national.

C’est seulement quand ces fondamentaux seront mises en place que la Data Revolution aura un véritable impact sur la production des statistiques officielles en Afrique et permettra aux décideurs et utilisateurs de données de disposer des données de qualité, quand il faut et dans le format adéquat.

Enjeux climatiques et environnementaux et COP 21, l’Afrique à la croisée de ses responsabilités

solar energy panels and wind turbineDu  30  novembre  au  11  décembre  2015,  la  France  accueille  à  Paris  le  monde  et  la communauté  internationale  pour  réfléchir,  débattre  et  proposer  des  modes  d’actions durables pour lutter contre les bouleversements climatiques. Cet événement planétaire à vocation  diplomatique  est  la  21ème  Conférence    des  Parties  à  la  Convention-cadre  des Nations unies  sur  les  changements  climatiques, intitulée  « COP  21 ».  Cette  conférence diplomatique  a  pour  objectif  de  conclure  un  accord  international  sur  le  climat, contraignant pour tous les pays afin de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C.

Au moment où plusieurs pays en Europe et en Amérique se mobilisent pour faire de la COP 21  une  manifestation  porteuse  de  solutions  sur  la  réduction  des  gaz  à  effet  de  serre  et proposer des modes d’actions en faveur de l’atténuation et de l’adaptation climatique, le continent africain ne démontre pas encore, à la hauteur des enjeux,  une volonté unifiée de répondre aux urgences climatiques et environnementales. Quelles  sont  les  stratégies  efficaces  susceptibles  de  répondre  aux  attentes  à  la  fois environnementales,  économiques  et  politiques  d’un  continent  réputé  pour  être  moins pollueur mais qui subit plus qu’autre partie du monde les bouleversements climatiques ?

Au  final,  repenser  la  question  environnementale  et  climatique  au-delà  de  la  COP  21, reviendrait à faire de ces enjeux des normes intégrées dans la culture sociale et politique des Africains et les préparer non à subir les bouleversements mais à agir.

Des préoccupations environnementales inégalement traitées en Afrique…

Il serait inéquitable de consacrer définitivement l’inaction ou le manque de voix forte du continent sur la COP 21 et l’urgence climatique comme la marque dominante en Afrique. À cet effet, il importe de relever des initiatives prises par certains pays tels que le Maroc, le Gabon, et l’Éthiopie qui ont choisi de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Ils sont depuis rejoints par quatre autres nations : le Kenya, le Bénin, la République démocratique du Congo et Djibouti.

Pollution  atmosphérique,  éboulements  sismiques,  inondations  et  sécheresses  répétées, désertifications  exponentielles  constituent  tant  de  problèmes  cruciaux  dont  les  conséquences desservent  un  continent  déjà  en  proie  à  des  instabilités  politiques  et  des  régressions  socio- économiques.  La  perspective  qui  résiste  à  toute  tentation  de  retour  en  arrière,  est  d’en analyser froidement  les  causes  et  effets,  de  tirer  les  conclusions  et  de  repenser  l’ordre  environnemental africain comme partie intégrante du renouveau économique et politique. 

Pour  ce  faire,  il  est  impérieux  qu’à  l’échelle  du  continent,  l’Union  africaine  adapte  une  stratégie unifiée basée sur les constats d’échec et le décryptage des solutions. Aujourd’hui, parler d’écologie, c’est  aussi  croiser  les  répercussions  économiques  et  les  conséquences  environnementales  des activités  industrielles  et  humaines.  À  cet  effet,  l’intérêt  (au-delà  de  la  COP  21 !)  réside prioritairement- s’il en est- dans la capacité des organisations régionales africaines à retrouver du champ  et  de  l’utilité  voire  de  la  pertinence  en  s’appropriant  les  enjeux  climatiques  et environnementaux.  C’est  grâce  à  ces  impératifs  que  l’Afrique  pourra  évoluer  vers  un  ordre environnemental.

Ce vœu pieu ne sera justement atteint à condition d’un changement de paradigme : en politisant la question  environnementale,  c’est  en  démocratiser  les  enjeux.  Créer  une  culture  commune  en faveur de la préservation de l’environnement, de la promotion du développement durable et de la protection du climat, c’est faire de chacun un acteur de demain.

Accéder à la transition écologique, c’est aussi changer de changer de culture

L’Afrique  n’est certes  pas le  plus  gros  pollueur  du monde,  contrairement  à  l’Europe,  la  Chine,  les Etats-Unis  mais  paye  le  plus  gros  tribut  en  termes  de  conséquences  sur  la  couche  d’ozone.  Le continent produit à peine 2% de la masse mondiale des CO2. 

Ainsi,  en  2009,  en  prélude  au  précédent  sommet  de  Copenhague  (7-18  décembre)  et  pour  faire pression sur la communauté internationale du Nord, les pays africains à Ouagadougou (Burkina Faso) avaient cru bon de faire payer les pollueurs en exigeant des réparations et des dédommagements. Le « prix à payer » pour compenser la vulnérabilité du continent n’a jamais été clairement défini et les projets  qui  devraient  solliciter  cette  hypothétique  manne  n’ont  pu  faire  l’objet  d’un  consensus éclairé.

Au-delà  de  la  responsabilité  des  pays  industrialisés  et  pollueurs,  il  est  important  que  les  nations africaines,  spécifiquement  et  collectivement,  se  mobilisent  pour  prendre  en  charge  leur  propre destin  et  trouver  des  solutions  pour  le  climat.  La  COP  21  est  certes  un  sommet  international  qui évoquera  la  solidarité  climatique  mais  l’Afrique  a  davantage  besoin  de  justice  climatique.  Celle-ci passe  par  une  reconnaissance  internationale  des  impacts  négatifs  que  subit  le  continent  et  des compensations à hauteur des agressions climatiques.

La régulation climatique africaine est possible

L’organisation  de  sommets  régionaux  ou  nationaux  que  le  « East  Africa  Environment  Risk  and Opportunities » de Djibouti (2-4 mai 2015) ou le « Climate South Initiative du Gabon » (29 août 2015) sont  des  initiatives  intéressantes  qui  pourraient  inspirer  la  communauté  des  54  pays  africains  à définir une position différenciée à la COP 21.

Pour que la COP 21 soit véritablement internationale et rétablisse la justice climatique, elle doit au-delà du Fonds vert permettre que les grandes puissances et les nations émergentes s’en tiennent aux objectifs fixés. Décidé à Copenhague et défendu par le président français François Hollande, le  Fonds  Vert  garantit  100  milliards  d’euros  par  an  pour  des  programmes  de développement pour les pays du Sud. Il ne doit pour autant ne pas apparaître comme un droit à polluer. Les États-Unis, pour rassurer le monde, ont fait des annonces. Ainsi,  le  président  américain  Barack  Obama  a  annoncé  le  3  août  2015  un  plan  à  l’échelle  de  la puissance  économique  du  pays  pour  une  énergie  propre.  L’« America’s  Clean  Power  Plan »  est annoncé  comme  la  révolution  verte  qui  changera  les  règles  et  les  habitudes  des  Américains  en matière de santé et qualité de vie, d’économie et même de sécurité. Ce plan qui vise à limiter les émissions carbones induites par la production d’électricité de 32% en 2030 reste une promesse qui a le  mérite  d’infléchir  la  position  classique  d’un  pays  pollueur,  classiquement  cantonné  au surdéveloppement économique peu regardant sur l’environnement.

Au regard des différentes prises de positions pour permettre que le sommet climatique de décembre 2015 ne soit pas un échec retentissant comme le fut celui de Copenhague, le continent africain dans sa diversité a tout intérêt à puiser dans ses ressources pour accéder à la transition écologique et sociale. Une transition adaptée à sa réalité, à ses spécificités, avec ses limites et ses opportunités ! Quelques engagements sont possibles.

Avant  toute  mise  en  place  de  politiques  publiques,  il  est  urgent  de  repenser  l’éducation  des générations  futures  et  d’intégrer  dans  les  modules  de  formation  des  outils  de  base  sur  la préservation  de  l’environnement.  Les  usages  en  matière  de  salubrité  publique,  le  respect  des patrimoines naturels et de la biodiversité, l’intérêt pour une agriculture saine et les forêts sont des pistes simples à explorer. 

Les pays africains doivent également pouvoir compter sur les territoires, acteurs de proximité avec les  populations,  pour  sensibiliser  aux  pratiques  nuisibles  aux  forêts,  mers,  océans,  aires  marines.

L’urgence climatique marque aussi l’agriculture et donc l’alimentation : des mesures pour assainir les cultures et préserver les terres arables doivent être prises. Il est judicieux, en matière d’intégration africaine,  de  favoriser  la  coopération  sud-sud  entre  pays  africains  pour  valoriser  les  expériences locales  de  référence  qui  peuvent  générer  des  échanges  de  processus  innovants  et  d’outils méthodologiques pour lutter contre les bouleversements du climat.

Le développement de centres de ressources sur  le climat et l’énergie afin d’anticiper et d’analyser les  conséquences  de  la  vulnérabilité  climatique  telles  que  canicules,  inondations,  déforestation, biodiversité  menacée,  sècheresse,  compensation  carbone,  l’urbanisme,  bâtiments  et  construction, etc.…) est impérieux. À l’échelle des grandes régions, il est important que ces centres permettent de mieux cartographier les incidences climatiques et d’y répondre.

Au final, la croissance verte ne serait possible que si les outils comme les technologies vertes et les énergies renouvelables (solaire, éolienne, biomasse, hydraulique, géothermie) ne sont accessibles au plus grand nombre.

Du sursaut et de la responsabilisation dépend l’avenir

Face aux défis du développement économique et de la lutte contre la pauvreté, la préoccupation concernant le climat ne doit pas souffrir de manque de considération. Prioriser celle-ci propose une adaptation  des  mentalités  au  principe  suivant :  nous  sommes  individuellement  et  collectivement responsables de la terre qui nous porte ! Il ne peut avoir de divergence entre stratégie économique et exigence environnementale. 

La  question  climatique  et  environnementale  est  autant  essentielle  que  l’essor  économique,  la promotion  de  la  bonne  gouvernance,  l’avancée  des  droits  de  l’homme  ou  encore  l’ancrage  de  la démocratie.  Elle  est  même  urgente  au  regard  des  bouleversements  climatiques  qui  agressent  la biodiversité et le quotidien des Africains qu’ils soient au nord du continent, à l’est, à l’ouest et au sud. 

Aujourd’hui,  les  conséquences  des  bouleversements  climatiques  engendrent  des  déplacés environnementaux et des réfugiés climatiques. Les conflits frontaliers sur le continent naissent aussi de  l’appropriation  litigieuse  des  ressources  naturelles.  Il  n’est  pas  exagéré  de  penser  que  chaque courant  maritime  ou  bassin  d’eau  est  « crisogène »,  que  chaque  forêt  est  source  d’instabilités  ou qu’un  séisme,  une  inondation  pourraient  provoquer  des  remous  à  l’intérieur  d’un  pays  ou  à  ses frontières. 

Au-delà de la COP 21, l’Afrique doit se projeter vers une nouvelle conscience de son destin, celle qui responsabilise – et non culpabilise et victimise – à agir pour une planète saine, durable et verte. Les défis  du  prochain  siècle  pour  la  génération  d’Africains  qui  lutte  à  la  fois  pour  redonner  espoir  et dignité, mais aussi engouement économique sont à cette échelle : participer pleinement au sort du monde et tenir sa place dans le concert des nations et des puissances mondiales.

Régis HOUNKPE

http://regis.hounkpe.com/igc/

Les Etats africains sont-ils capables de financer le développement de leur pays ?

iLa question de la pérennité de la dynamique économique actuelle des pays africains se pose avec acuité, à la mesure où cette performance s’appuie davantage sur l’exploitation des ressources naturelles que celle des facteurs de production à forte valeur ajoutée (capital et travail). Si Kuznets[1] identifie la croissance économique comme « une hausse de longue période de la capacité d’un pays à offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques; cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels qu'elle requiert » alors le maintien de la dynamique actuelle passera sans nul doute par une transformation en profondeur des économies de la région. Sur cette question, tous les analystes tendent à s’accorder.

La transformation structurelle est une impérative pour les économies africaines, si elles aspirent à l’émergence. Si les mesures de la transformation structurelle sont diverses et variées, elle s’appuie sur le développement du secteur industriel. Ce processus requiert une amélioration des conditions d’exercice d’une activité afin d’attirer les investissements et favoriser le développement d’activités industrielles, ce qui confère un rôle prépondérant à l’Etat. En effet, les conditions d’exercice d’une activité ne se mesurent pas seulement aux lois et aux incitations fiscales. Elles se mesurent surtout dans la qualité des institutions et dans la qualité des infrastructures, de sorte qu’un pays stable politiquement et sans infrastructures (électricité, route, TIC, etc.) pourrait attirer moins d’investissement qu’un pays avec une main d’œuvre de qualité et des infrastructures performantes mais qui connaît quelques remous sur le plan politique. Or seul l’Etat dispose de la prérogative en matière d’installation des infrastructures.

Des articles publiés sur ce site ont déjà discuté les nombreuses sources de financement possibles pour permettre aux Etats de disposer de ressources suffisantes pour financer leur développement. Ceci suppose que les ressources budgétaires financent des projets structurels qui permettront de rendre les pays compétitifs en matière d’attraction des investissements et favoriser leur transformation. Toutefois, la disponibilité des ressources ne garantit pas systématiquement que l’Etat investisse dans des programmes structurants. Les différentes crises de la dette, et celle de la Grèce plus récemment, le montrent assez bien. Elles découlent généralement du fait que les dettes ont financé des dépenses qui n’ont pas généré assez de revenus pour assurer les remboursements. A la lumière de ces situations, il est important de se demander si les Etats africains sont prédisposés à financer leur développement auquel cas ils arrivaient à mobiliser des ressources suffisantes.

Cet article se propose d’analyser la structure des dépenses budgétaires des pays africains et d’identifier dans quelles mesures elles peuvent constituer un instrument de soutien à la dynamique socio-économique du continent sur le long terme.

Les pays d’Afrique subsaharienne ont des besoins considérables en matière d’infrastructures. Selon la Banque Mondiale et les Nations Unis[2], la couverture de ces besoins nécessiterait un investissement de 16 à 18% du PIB avec au moins 11% qui devraient être consacrés à la construction de nouvelles infrastructures. Aujourd’hui en Afrique subsaharienne, l’investissement public se situe en moyenne à 6% du PIB avec à peine 4% du PIB consacrés à la construction de nouvelles structures. Il faut noter que la situation assez hétéroclite dans la région : certains pays ayant déjà atteint des niveaux de développement qui ne nécessiterait pas des investissements lourds pour la construction d’infrastructures mais d’assurer leur maintenance ; d’autres sortent à peine de période de crise, nécessitant de fortes dépenses pour la reconstruction de l’Etat.

Malgré les discours laudateurs sur les transformations en cours sur le continent, notamment en matière d’infrastructures ; ces données tendent à nous rappeler que cette transformation si elle a lieu demeure très lente. Une situation que l’on explique aisément par le manque de ressources financières. Cependant, l’Etat optimise-t-il les ressources disponibles pour financer les investissements ? Le tableau suivant nous fournit quelques éléments de réponses.

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Avant toute chose, il convient de signaler, à la lecture de ce tableau, que les pays de la région ne dépensent que ce qu’ils ont, surement de façon « forcée » compte tenu des engagements en matière de déficit vis-à-vis de leurs partenaires financiers. Ils se situent tous sur la diagonale du cadrant formé par la taille du budget (en % du PIB) et les ressources financières (fiscales et autres ressources non fiscales dont celles issues de l’exploitation des ressources naturelles). Il existe cependant quelques écarts, notamment Centrafrique et Guinée Bissau, qui sont des pays sortant de crises, avec d’énormes besoins et sous perfusion d’aides internationales, et qui peuvent donc se permettre des dépenses excédant leurs capacités internes. D’autres plus extravertis engagent des dépenses qu’ils financent notamment à partir de la dette (Gambie, Ghana, etc.) ou d’aides internationales (Burundi, Malawi, etc.). Mais aussi, paradoxalement, certains pays de la région n’utilisent pas encore pleinement leur potentiel. La République du Congo et le Gabon qui ont plutôt des ressources confortables, ne dépensent que très peu.

La plupart des pays ont des ressources très limitées, se traduisant par un budget faible. Selon les données disponibles, les ressources internes mobilisées par les Etats peinent à atteindre les 35% suggérés par les Nations Unis. Il existe cependant de forte disparité entre les pays. Alors que le Lesotho excède aisément la barre des 50% en matière de ressources internes, des pays comme le Nigéria, pourtant avec un fort potentiel économique, peine à atteindre 15%. Cette situation traduit une certaine « incompétence » des Etats à collecter les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de la politique budgétaire. Dans ce contexte, l’Etat n’a qu’un effet de levier très faible sur l’économie ; la surface financière dont il dispose étant très limitée.

En outre, une bonne partie des ressources financent des dépenses non productives (taille des bulles sur le graphique). En moyenne, ce sont près de 85% des ressources internes collectées qui sont utilisés pour le paiement des salaires, le paiement des factures liées aux commandes publiques (biens et services) et à quelques transferts ou subventions ; laissant ainsi une part incongrue pour les dépenses productives. Si on intègre les dépenses au titre du service de la dette (principal et intérêt), les Etats ne disposent que d’une marge très maigre pour financer  des investissements rentables. La dette et les aides pourraient prendre le relais dans ce sens, mais ces ressources sont limitées d’une part par la disponibilité financière des partenaires mais aussi leurs coûts et par les contraintes liées au déficit budgétaire d’autre part. Même si d’autres formes de financement sont prises en compte, les Etats ne pourraient s’affranchir de ces contraintes. Le recours à ces différentes formes de financement permettrait surtout de diversifier le portefeuille des risques pris par les Etats et d’alléger leur poids sur les finances publiques et l’économie.  

On est surtout ici en présence d’Etats « consommateurs-employeurs » alors que les pays africains auraient davantage besoin d’Etats « investisseurs ». Ainsi, si quelques programmes en matière d’infrastructures sont en cours d’exécution ; le rythme de leur mise en œuvre souffre surtout du fonctionnement budgétivore des Etats africains et ne reflète guère les capacités des pays. Une meilleure clé de répartition des dépenses budgétaires devrait permettre aux Etats de financer davantage des investissements productifs et de limiter le recours à des ressources financières externes, qui peuvent constituer à termes des contraintes à l’économie et ce, même dans les conditions actuelles caractérisées par des ressources internes limitées.

L’Ethiopie, dont les ressources internes représentent 14% du PIB s’inscrit dans cette logique. Son budget est modéré à 18% du PIB et ses dépenses non productives (hors service de la dette) n’absorbent que 24% des ressources internes. Il fait partie aujourd’hui des pays qui ont le plus progressé au classement IDH entre 2000 et 2013 et compte parmi les pays les plus attractifs du continent, pourtant il n’est pas cité parmi les plus grandes « démocraties » africaines. On est tenté de dire que si l’Etat dans ce pays approfondissait le système de collecte des ressources intérieures, il pourrait davantage jouer son rôle de catalyseur en accélérant la mise en œuvre des projets structurants ; contrairement à un pays comme le Nigéria. Ce dernier pays est caractérisé par un Etat dont la capacité financière est très faible, malgré son fort potentiel économique. Les ressources internes ne représentent que 11% du PIB dont près de 91% sont consacrés aux dépenses de fonctionnement et au paiement des salaires. La majorité des pays présente un profil similaire à celui du Nigéria. Certains consacrent toutes leurs ressources intérieurs ainsi qu’une partie des ressources mobilisés à l’extérieure (dons ou aides). Il faut toutefois préciser que la situation selon les pays est assez différente. Pour certains, cette situation tient davantage à la déliquescence de l’administration centrale, en lien avec les crises qu’ils ont eu à traverser et qui nécessite sa reconstruction. C’est le cas de pays comme la Centrafrique, de la Guinée Bissau et dans une moindre mesure, le Soudan ou le Madagascar. D’autres n’ont plus un besoin important en matière de construction d’infrastructures, ce qui leur permet de limiter leur budget d’investissement aux travaux de maintenance, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle. C’est le cas de pays comme le Lesotho, l’Afrique du Sud, Maurice ou encore les Seychelles.

Le propos ici n’est pas d’incriminer les dépenses de fonctionnement au profit des dépenses d’investissement. De fait, investir abondamment n’est pas la garantie pour que l’économie soit plus attractive ou plus performante. Il faut surtout que chaque dollar investi soit efficient. Toutefois, les dépenses de fonctionnement n’ont qu’un impact très faible sur l’économie. En effet, la commande publique (pour le fonctionnement de l’administration) et le paiement des salaires permet de relancer la consommation et constitue un marché pour certaines entreprises mais ces types de dépenses n’induit pas une transformation de l’environnement économique, afin de permettre le développement de nouvelles activités ou d’attirer des capitaux privés plus importants. En gros, elles permettent d’entretenir l’économie dans son état. Leur importance dans les budgets des Etats africains constituent un point d’achoppement pour le rôle que pourrait jouer ces Etats dans le processus de développement du continent.

Si aujourd’hui les Etats des pays d’Afrique subsaharienne prennent la mesure du rôle qu’ils peuvent jouer dans le processus de développement de leurs pays ; ils sont encore fortement contraints par leur capacité financière mais aussi par leur gestion interne qui consomme une bonne partie des ressources dont ils disposent et mises à leur disposition par les populations. Dresser des plans de développement et solliciter davantage d’efforts financiers auprès des partenaires, servirait presque à rien et constituerait une pression supplémentaire sur leurs économies, si une réelle transformation dans le fonctionnement des Etats dans les pays africains ne s’opère pas. Il faudrait surtout que les Etats se démarquent de ce comportement d’ « Etat consommateur-employeur » et prennent des dispositions visant à (i) renforcer les mécanismes de collecte des ressources internes, notamment en matière de fiscalité et à (ii) assainir les dépenses publiques, notamment en ce qui concerne la masse salariale. Plus généralement, il faudrait prendre de mesures pour une meilleure gestion des finances publiques, afin de dégager des marges pour l’investissement public mais aussi afin de rendre la dépense publique plus efficiente. Les marges dont disposent les Etats sont encore grandes et le manque de discipline budgétaire empêchent d’optimiser la collecte des ressources internes et de les dépenser de façon optimale. Si les pays du continent veulent s’engager sur la voie de l’émergence (comme prôner par les différents plans de développement en cours), la rupture dans la gestion des finances publiques et la discipline s’imposent.

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