Aspirations rabougries

 

Après mon post un peu sec sur la « pseudo-indépendance » du Sénégal, je devrais en principe, écrire quelque chose de positif sur le « sursaut démocratique » de la rue sénégalaise contre le projet – totalement imbécile – de réforme constitutionnelle d’Abdoulaye Wade. Le problème, c’est que rien dans cette « réaction » ne m’inspire la moindre sympathie. C’est comme s’il fallait féliciter le cocu dans le célèbre sketch de Raymond Devos (« j’ai des doutes ») de sa lucidité in extremis : J'ai des doutes !… J'ai des doutes !… Hier soir, en rentrant dans mes foyers plus tôt que d'habitude…il y avait quelqu'un dans mes pantoufles… Mon meilleur copain… Si bien que je me demande si, quand je ne suis pas là… il ne se sert pas de mes affaires ! (….) Alors !… mes pantoufles !… mon pyjama !… ma radio !… mes cigarettes !… et pourquoi pas ma femme pendant qu'il y est !

Le simple fait que ce projet de loi ait existé, qu’Abdoulaye Wade ait eu la folie de le penser, que son gouvernement ait accepté de le présenter au Parlement, qu’il se soit trouvé une majorité de députés pour sérieusement penser à l’adopter (le gros de l’opposition ayant boycotté les dernières législatives, la majorité de Wade à la chambre est absolue) et que de Wade au dernier des parlementaires, tous ces gens aient pensé que les Sénégalais ne feraient rien, qu’il aie fallu attendre le dernier moment pour empêcher le désastre…. Rien, absolument rien dans ce cauchemar n’est à saluer. Ce projet de loi aurait dû, vu l’histoire démocratique de ce pays, être tout bonnement « impensable ». De la même façon qu’un coup d’état militaire en France, la fin de la monarchie britannique ou un Pape Africain sont impensables. Wade l’a pensé. Et ses députés et lui se sont étonnés de la réaction des Sénégalais. Moi aussi, à vrai dire.

J’avais vraiment cru que la stratégie du pot-au-feu avait finalement abouti. La recette est simple : cuisinez un peuple à feu doux, veillez surtout à ne pas le brusquer au départ, mais faites lui avaler à doses de plus en plus fortes, toutes sortes de projets législatifs, économique, architecturaux ou politiques plus abscons les uns que les autres, saupoudrez tout ça d’une fine touche de paternalisme, remuez toujours dans le bon sens, celui de l’exception nationale, Sénégal, lumière du monde et de l’Afrique, pour éviter tout débordement, pensez à corrompre à grandes louchées quiconque a la vélléité de faire usage de sa cervelle et le peuple est enfin prêt à tout accepter. Wade n’a peut-être pas assez corrompu.

Les Sénégalais pensent que le Sénégal, ne concerne qu’eux-seuls. Ils se trompent. Le Sénégal leur est prêté, c’est l’affaire de beaucoup d’Ouest-Africains, pour qui ce pays, le seul de la région n’ayant jamais connu de putsch, est un phare, le métronome. C’est justement pourquoi leur passivité inconcevable au cours des six dernières années, alors qu’il était évident qu’Abdoulaye Wade avait perdu tout sens des réalités et transformait leur pays en une énième satrapie tropicale m’a agacé d’abord, puis bouleversé et enfin anéanti. C’est comme de voir un ami d’enfance devenir opiomane.

Je me demande si les gens se rendent compte du changement : il y a dix ans, le monde se félicitait du sens démocratique des Sénégalais parce qu’ils organisaient une transition politique, pacifique, ordonnée, libérale ; aujourd’hui on devrait applaudir parce qu’il a fallu trois morts et une centaine de blessés pour éviter l’instauration d’une dyarchie héréditaire (de facto) dans leur pays. C’est ça le progrès ?

J’ai longtemps pensé que cette décennie serait celle des aspirations rabougries, le « printemps » sénégalais l’illustre bien, c'est-à-dire sordidement.

Joël Té Léssia

L’efficacité du développement: l’action de la Banque Africaine de Développement

 

La banque africaine de développement (BAD) mesure régulièrement l’efficience de son action dans les pays auxquels elle vient en aide et a récemment publié un rapport sur les tendances du développement à l’échelle continentale.

Ainsi pour mesurer sa performance en tant qu’acteur socio-économique en Afrique, elle utilise une grille de critères relatifs aux axes clés du développement et de l’efficacité organisationnelle. Le niveau 1 mesure l’ensemble des progrès sur le plan du développement en Afrique, particulièrement dans 9 secteurs clés, notamment la croissance, la gouvernance, la prestation de services publics et le développement humain. Le second niveau évalue la contribution de la BAD dans le développement de l’Afrique en se focalisant toujours sur les 9 domaines. Le troisième niveau se veut une critique de la gestion des opérations menées par la BAD et enfin le quatrième niveau permet de juger son efficience en tant qu’organisation précisément à travers la gestion de ses opérations.

La BAD nous apprend ainsi qu’au-delà des discours afro-pessimistes qui font souvent monnaie-courante, l’Afrique a connu un développement économique conséquent durant la dernière décennie, en attestent les taux de croissance dépassant souvent le cap des 6%. La BAD attribue ces résultats à l’émergence des BRICS dont la demande en matières premières a redynamisé les exportations africaines. D’autre part, les gouvernements ont, bon an mal an, su recréer un cadre macroéconomique stable et, par suite, propice aux affaires. En 2005, le PIB cumulatif de l’Afrique s’élevait à 1,6 billions soit le PIB du Brésil ou de la Russie.

Si les OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) n’ont pas toujours été atteints, à cause du coup d’arrêt provisoire porté par la crise de 2007, l’essor économique est encore d’actualité et fait la part belle au secteur privé. Avec le gonflement de la classe moyenne et de son pouvoir d’achat, les secteurs des biens de consommation, des télécommunications et de la banque progressent trois fois plus vite que dans les pays de l’OCDE. On retrouve, à l’échelle microéconomique, le même dynamisme et la même productivité. A titre d’exemple, le temps moyen pour faire démarrer une entreprise est passé de 59 à 29 jours tandis que le coût moyen pour y parvenir a diminué de moitié ! Néanmoins la capacité d’investissement et la croissance du secteur privé sont freinées par les réglementations juridiques excessives et mal conçues, le manque drastique d’infrastructures, les lacunes d’un système éducatif préparant mal aux compétences entrepreneuriales et techniques appropriées. C’est justement à ce propos que surgit la question de l’intégration.

Grâce à l’intégration économique régionale, le continent réalise des économies d’échelle et devient plus compétitif sur les marchés internationaux. Néanmoins elle n’est pas assez développée et ceci est dû à la faiblesse des infrastructures de transport. Lorsqu’il faut 25 jours pour exporter des biens au Brésil, il faut le double pour le faire dans un pays africain et par ailleurs, les coûts de transport sont deux fois plus élevés.

Pourtant il n’empêche que le continent regorge de possibilités notamment dans le secteur agricole. Avec plus d’un quart des terres arables de la planète, le continent est une mine d’or. Malheureusement ses ressources sont sous-exploitées et l’Afrique est la seule région du monde où la production alimentaire par habitant a reculé ces trente dernières années.

En appuyant les réformes engagées par les pays africains afin de faciliter la liberté de circulation des biens et en affectant 28% de ses revenus à des opérations de construction de réseaux d’échanges, la BAD contribue donc activement au développement du continent. Pour résorber la question de l’agriculture, 318 milliards de dollars ont été alloués par la banque.Afin de s’assurer que la conception de son assistance est techniquement juste et appropriée, la banque a mis en place de nouveaux mécanismes de contrôle de la qualité à l’entrée. Dans la foulée de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, la banque a donc accru son efficience auprès des bénéficiaires de ses fonds et solutions d’investissements.

Lire l'étude de la Banque Africaine de Développement.  

Boubacar Diarisso

L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis (2ème partie)

 A priori et sans pour autant être négligée, l’Afrique a toujours semblé une région en marge dans la politique étrangère des Etats-Unis. En conséquence de quoi entre 1945 et 1990, le continent africain ne constituait guère plus, aux yeux des Américains, qu’un terrain d’affrontement avec le bloc soviétique; ce fut une région, parmi d’autres, où s’appliquait la politique du Containment. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de politique africaine de Washington mais d’une simple politique anti Kremlin.


Avec l’effondrement du bloc communiste au début de la décennie 1990, l’enjeu géopolitique va progressivement perdre du terrain au profit de l’enjeu économique, mais avec là encore quelques hésitations. De 1990 à 2001, La politique de Washington semble d’abord en retrait, chancelante et sans principes directeurs. Dans la première moitié de cette période, le gouvernement américain hésite à s’impliquer dans les problèmes du continent. Mais dans la seconde phase de la décennie, les Etats-Unis définissent une nouvelle stratégie axée sur la progression des positions économiques américaines en Afrique. Ainsi, en 1996, B. Clinton réoriente les priorités diplomatiques générales du pays, accordant une primauté de l’économique sur le militaire, conformément à une vision du «Trade, not Aid ». 


B. Clinton va ainsi jeter les bases de ce qui va constituer la ligne directrice d’une véritable politique africaine de Washington. Mais c’est véritablement sous l’ère Bush que l’Afrique prend une nouvelle dimension. A partir de 2001, l’accent fut mis sur la lutte contre le terrorisme islamiste moyen-oriental, la recherche de la stabilité régionale et enfin la garantie des approvisionnements pétroliers afin de réduire la dépendance énergétique des Etats-Unis à l’égard du Moyen Orient notamment.

 

Pourquoi l’Afrique ?

Selon le BP Statical Review of World Energy[1], l’Afrique détenait en fin 2004 112,2 milliards de barils de réserves prouvées. Cela représente 9,4% des réserves mondiales[2].

Cependant, comparativement à des régions comme le Moyen Orient où se concentre 66% des réserves mondiales, ces chiffres peuvent paraître peu significatifs à première vue. Mais ce serait ne pas savoir qu’une large partie de ces réserves sont encore inexploitées. « En 2001 déjà, sur 8 milliards de barils de réserves découvertes dans le monde, 7 l’ont été en Afrique […] »[3]. On comprend dés lors pourquoi la question du pétrole a été inscrite parmi les priorités de la politique africaine outre atlantique. Pour beaucoup d’analystes, les  opportunités d’expansion sont en effet immenses. Pour preuve, le seul golfe de Guinée, qui comptait déjà 24 milliards de barils de réserves en 2003, devrait devenir à terme le premier pôle mondial de production en offshore très profond[4].
Cela fait que le continent occupe désormais une place importante dans la géopolitique énergétique et notamment pétrolière mondiale.

Aujourd’hui, l’Afrique assure 11,4% de la production pétrolière internationale et avec les importantes découvertes de gisements inexploités, ce chiffre est amené à croître dans les années à venir. Par ailleurs, entre 1990 et 2004, la production du continent a augmenté de 40% passant de 7 à 10 millions de barils par jours. Selon les premières estimations pour la période allant de 2004 à 2010, cette production aurait augmenté de 50%[5].

L’Afrique suscite donc les convoitises américaines du fait d’un fort potentiel pétrolier. La répartition de ce potentiel se fait grosso modo autour de deux grandes sous-régions du continent. L’Afrique du Nord, avec principalement l’Algérie et la Libye, concentre 4,8% des ressources pétrolières du continent. C’est en Algérie que se trouve le plus grand gisement africain, à savoir Hassi Messaoud, dans le bassin pétrolier de Berkine. Les réserves pétrolières de ce pays sont estimées à 9,2 milliards de barils. La Libye dispose de son côté de la plus grande  réserve du continent estimée à 41,5 milliards de barils. La majeure partie des gisements découverts se trouve dans le bassin de Syrte et fournit un pétrole de grande qualité. Seulement, les Etats-Unis ont gelé leurs relations avec Tripoli depuis les attentats Lockerbie. Cela fut d’ailleurs formalisé par l’Iran And Libya Sanctions Act en 1996, interdisant aux sociétés américaines d’investir dans ces deux pays. 

Mais la sous-région la plus riche demeure le golf de Guinée, qui attire d’ailleurs particulièrement l’attention de Washington. C’est là que l’on retrouve le plus grand producteur africain qui est le Nigéria avec une production de prés de 2,5 millions de barils par jours, talonné par l’Angola qui est le second producteur en Afrique sub-saharienne.

Ce dernier pays a une large partie de ses réserves qui sont situées en mer ; elles s’élèvent à 5,4 milliards de barils et sa production tourne autour du million de barils par jour. La relative stabilité du gouvernement depuis la fin de la guerre civile et l’absence de menace terroriste (hormis la rébellion de l’enclave de Cabinda) crée un climat de confiance favorable aux investissements étrangers, dont ceux de la firme américaine Exxon Mobil[6].

Le golfe de Guinée constitue justement le cœur de la stratégie américaine, et ce pour raisons 5 raisons:

– Le golfe de Guinée, qui compte 24 milliards de barils, est encore sous exploité.

– Les pays producteurs de cette sous-région, excepté le Nigeria, ne sont pas membres de l’OPEP, organisation « que l’Amérique, engagée dans une stratégie à long terme, cherche à affaiblir[7]».

– Le pétrole de cette région est de très haute qualité et dispose d’un bas taux de soufre ; c’est un pétrole léger, comme le BONNY LIGHT, qui donne de bons rendements en essence, produit dérivé le plus demandé aux Etats-Unis[8].

– Une grande partie de ce pétrole est exploitée en Off-shore, ce qui isole les plateformes des troubles sociaux ou politiques qui pourraient frapper les pays concernés.

– Enfin le transport par voie maritime vers les USA est facilité car la région donne déjà sur les raffineries de la côte Est américaine; les dangers liés au transport du pétrole sont donc amoindris du fait de l’absence de détroit ou de canal à traverser.

La stratégie de Washington

La politique de Washington a davantage pris en considération le pétrole africain grâce aux  pressions  des entreprises pétrolières comme les deux géants Exxon Mobil et Chevron Texaco mais aussi des plus discrètes telles Amerada Hess ou Ocean Energy.

Le plaidoyer de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS) a aussi été prépondérant lors de cette rencontre. Créé en 1984 à Jérusalem, ce think tank proche du parti de la droite israélienne Likoud et des néoconservateurs américains, est un traditionnel partisan d’une stratégie de désengagement à l’égard du pétrole saoudien. Cependant, durant les années Clinton, IASPS a eu peu d’influence sur l’administration en place.

Mais en novembre 2000, la victoire de George W. Bush aux présidentielles va changer la donne. Il convient de rappeler que Bush fils est un proche des compagnies pétrolières texanes : il fut donc particulièrement disposé à répondre favorablement à leurs demandes. Combinée aux attentats du 11 septembre, cette victoire des Républicains sur les Démocrates crée un climat favorable à la prévalence des idées de l’IASPS qui commencent à gagner les conseillers en énergie de la Maison-Blanche. Le 25 janvier 2002, elle a organisé un séminaire en présence de plusieurs membres de l’administration Bush, de membres du Congrès et de responsables de l’industrie pétrolière. De ce séminaire  va naître l’African Oil Policy Initiative Group (AOPIG), qui est l’interface entre la sphère privée et publique, et qui publie dans la foulée un livre blanc intitulé African Oil, A Priority for US National Security and African Development[9].

 Ces différentes péripéties vont progressivement donner un cadre général aux actions qui vont être menées par  Washington dans le domaine pétrolier en Afrique. La traduction en acte ne se fera pas attendre : des efforts seront consentis pour donner une plus grande place au pétrole africain dans les importations américaines. Ainsi, en 2001, alors que les importations américaines en pétrole provenaient à 15% de l’Afrique, le rapport Dick Cheney recommandait de les faire passer à 25%. Aujourd’hui, les exportations combinées du Nigéria et de l’Angola dépassent celles de l’Arabie Saoudite vers les USA qui couvrent 18% de leur consommation. D’ici à l’horizon 2015, un quart de la consommation pétrolière des USA devrait donc être assurée par l’Afrique.

D’autre part, des investissements sont aussi engagés sous la direction combinée du secteur privé américain et de la diplomatie américaine. Ainsi a pu voir le jour l’oléoduc Tchad-Cameroun d’un montant 3,5 milliards de dollars afin d’exploiter les champs pétroliers du sud tchadien, dont les réserves sont estimées à un milliard de barils. Cet oléoduc a été inauguré le 10 octobre 2003. Les Américains encouragent aussi l’entière libéralisation du  secteur pétrolier comme ils le font en Algérie, qui envisage de privatiser le puissant groupe d’Etat SONATRACH. Mais gardons à l’esprit que l’objectif est d’abord d’ordre stratégique et sécuritaire pour les Américains. Ainsi, ont-ils l’intention d’établir une base militaire sur Sao Tomé et Principe afin de protéger de près leurs intérêts. En ce sens, en juillet 2002, le général Carlton Fulford, commandant en chef adjoint de la US Navy, s’est rendu sur l’île et il aurait été question durant sa visite de construire une base navale sur « l’autre golfe ». La décision des autorités politiques ne s’est pas faite attendre…

Alioune Seck


[1] BP Statical Review of World Energy 2004, Juin 2005

[2] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[3] DIANGITUKWA Fweley, Les grandes puissances et le pétrole africain, Etats-Unis-Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire, L’Harmattan, Coll. Etudes Africaine, Paris, juillet 2009

[4] Ibid.

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[6] Ibid.

[7] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[8] LAFARGUE François, « Etats-Unis, Inde, Chine : rivalités pétrolières en Afrique », in Politique Etrangère, 2005/4 (n°216)

[9] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

Éditorial: Pour une alternance générationnelle en Afrique

À Deauvillle lors des sommets du G8 et du G20, Nicolas Sarkozy a convié quelques chefs d’Etats africains, d’aucuns pour saluer leur accession démocratique au pouvoir en dépit de circonstances souvent très difficiles (Alassane Ouattara, Alpha Condé, Mahamadou Issoufou), d’autres pour leur engagement en faveur du NEPAD (Abdoulaye Wade, Abdelaziz Bouteflika notamment). Ces catégories de dirigeants représentent les deux versants d’une Afrique nouvelle : l’alternance démocratique et la vision économique fondée sur des programmes solides. L’ironie veut cependant que ces deux visions soient incarnées par des chefs d’Etat particulièrement âgés et presqu’en fin de vie pour certains : Alassane Ouattara a 69 ans, Alpha Condé 73 ans, Bouteflika 74 ans et Abdoulaye Wade officiellement 86 ans ! Seul Mahamadou Issoufou fait office d’exception avec ses 59 ans.

En face, le G8 enregistre des chiffres aux antipodes de ceux de l’Afrique. La moyenne d’âge des 8 chefs d’Etat et de gouvernement des pays les plus puissants est de 55 ans. Il aurait d’ailleurs pu être plus faible si l’Italie n’était dirigée par un certain Silvio Berlusconi. Du haut de ses 75 ans, le Président du Conseil italien fait office d’exception là où en Afrique il passerait presque pour un petit joueur… Entre la moyenne d’âge des chefs d’Etat africains conviés à Deauville et celle des dirigeants des pays les plus puissants de la planète, il y a presque une génération !

Les présidents africains présents à Deauville ne sont pas des boucs émissaires, pas plus qu’ils ne constituent des éléments superficiels d’une argumentation démagogique. Ils sont tout simplement à l’image de la classe politique africaine et de nos Etats dirigés par des personnes du 3ème, voire du 4ème âge. L’Afrique est indéniablement le continent dans lequel la moyenne d’âge des chefs d’Etat est de loin la plus élevée. Dans sa galerie de portraits des chefs d’Etat à qui il faut dire « Dégage ! » tout comme dans un article intitulé « Mais où sont passées les oppositions ? » Terangaweb a déjà mis en exergue les dangers d’une situation dans laquelle la population la plus jeune de la planète se trouve dirigée par les chefs d’Etats les plus vieux. Peut-on encore incarner les aspirations de la jeunesse algérienne ou sénégalaise lorsqu’on a 73 ans comme Bouteflika ou 86 ans comme Abdoulaye Wade ?

Le mal est même plus profond dans la mesure où il gangrène la quasi-totalité des partis politiques africains, y compris ceux des oppositions. On en vient alors, quand alternance démocratique il y a, à remplacer des chefs d’Etat mourants par de vieux opposants. L’alternance démocratique ne suffit pas ; il faut qu’elle aille de pair avec une alternance générationnelle. Si en effet la démocratie est le pouvoir du peuple, reste à savoir d’où vient le pouvoir et ce qu’est un peuple. Pour désigner le peuple, les Grecs usaient de trois termes[1] : laos ou le peuple en tant que masse d’hommes, ethnos ou le peuple formé de personnes de même origine, demos où le peuple habitant un territoire précis. La démocratie serait dont le pouvoir de ce troisième peuple. Or l’Afrique est aujourd’hui habitée par 450 millions de personnes âgées de moins de 15 ans et environ 850 millions âgés de moins de 60 ans, constituant ainsi près de 85% de sa population. Nos septuagénaires et octogénaires doivent tout simplement laisser la place aux quadra et quinquagénaires. Ou plutôt, ces derniers doivent prendre la place des premiers cités.

A cet égard, le renouvellement des structures politiques constitue un véritable enjeu pour l’Afrique.

Les différents mouvements de protestations qui secouent présentement le continent ont montré une extraordinaire aptitude de la jeunesse africaine à se passer des structures politiques classiques. Est-ce d’ailleurs proprement africain en ces temps où l’Europe commence à être gagnée par le mouvement « Indignados »  impulsé par la jeunesse espagnole? Mais en Europe, au moins, les partis politiques restent encore assis sur des socles idéologiques solides là où en Afrique le lien politique a été jusque là très ténu. Que la jeunesse africaine se mobilise (enfin !) et décide de sortir de sa torpeur est en soi une excellente nouvelle pour la marche de nos peuples. Mais cet état de fait devrait inquiéter les partis politiques qui sont tout simplement en train d’être marginalisés par les profonds bouleversements démographiques et sociaux en cours.

Pour relever le défi qui leur est lancé, les partis politiques doivent s’atteler à promouvoir de jeunes leaders auxquels la population pourra s’identifier plus aisément. Ceux-ci ont d’ailleurs une capacité de mobilisation importante et une plus grande aptitude à descendre dans la rue et à prendre part aux mouvements de protestions aux côtés de leur peuple.

Il sera aussi nécessaire, face à une démystification totale du discours politique, de mener une politique de l’action et non plus seulement du verbe. Cela devrait constituer une préoccupation aussi bien pour les partis d’opposition qu’a fortiori ceux au pouvoir. Il faudrait d’ailleurs que l’on cesse de cantonner la politique au pouvoir national. Ceux qui dirigent les collectivités locales (mairies, communes et communautés rurales notamment) doivent, par des actes concrets, redonner à la jeunesse le goût de la politique. L’enjeu est aussi de faire de la jeunesse une priorité du développement aussi bien local, national que continental.

Les partis politiques africains doivent donc relever le challenge de la (re) conquête de la jeunesse. Mais la jeunesse aurait aussi tort de croire que, pour réaliser ses aspirations économiques et sociales, elle peut faire abstraction des structures politiques.

Nicolas Simel



[1] Cf. Petit lexique des mots essentiels, O. V.

Les dictatures du football

Près d’un an après la première Coupe du Monde tenue sur le continent Africain, le monde du football est en ébullition. Ce n’est pas la première fois que des scandales éclatent pour rappeler les graves irrégularités que connaissent les instances de décision qui encadrent le sport, mais les événements des dernières semaines soulignent l’urgence d’engager de profondes réformes pour mettre fin à l’impunité qui a longtemps régné dans et autour des stades.

Au cœur de la polémique se trouve l’élection du président de la FIFA. Sepp Blatter, 75 ans, a en effet été réélu cette semaine pour un quatrième mandat à la tête de la FIFA, instance suprême du football mondial, à l’issue d’un vote dans lequel il était l’unique candidat. Son seul concurrent déclaré, le Qatari Mohamed Bin Hammam (Président de la Confédération Asiatique de Football), a du se retirer de la course  après l’ouverture d’une enquête pour corruption, alors que lui-même accusait son concurrent de faits similaires.

Après les critiques qui ont été soulevées suite à l’attribution de l’organisation du Mondial 2022 au Qatar, l’élection qui vient de se tenir remet sur le devant de la scène les luttes internes qui déchirent la FIFA et les irrégularités qui entachent son fonctionnement et sa crédibilité.  Un article du Monde sur « le théâtre du scandale permanent » que constitue la FIFA relate en détail la bataille qui s’est tenu à Zurich, détaillant le cadre et les péripéties de ce qu’elle compare à une mauvaise pièce de théâtre.  http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/06/01/la-fifa-theatre-du-scandale-permanent_1530290_3242.html

Les instances du football africain ne sont pas épargnées par les critiques. À l’échelle continentale, le Camerounais Issa Hayatou est à la tête de la Confédération Africaine de Football (CAF) depuis …24 ans. Elu une première fois en 1987, il exerce actuellement son sixième mandat, et est demeuré président de la CAF plus longtemps que Zine el-Abidine n’a été à la tête de la Tunisie ! Régulièrement critiqué pour sa gestion de l’organisation et souvent victime d’accusations de corruption,  sa démission est réclamé parfois au plus haut niveau, comme vient de le faire le Premier Ministre Sénégalais Souleymane Ndéné Ndiaye, l’estimant responsable d’un arbitrage jugé partial lors du dernier match Sénégal-Cameroun.

Outre son président, le siège même de la CAF (au Caire) est également problématique, dans la mesure ou l’Egypte est soupçonnée d’avoir une influence démesurée et de s’ingérer dans le fonctionnement de l’organisation en faveur de sa sélection nationale ou de ses clubs, qui sont perçus comme étant épargnés par le contrôle ou victimes de sanctions exceptionnellement clémentes comparativement à leurs homologues sur le continent, alimentant ainsi les accusations de deux poids, deux mesures. La gestion très controversée par la CAF de l’attaque contre le bus de l’équipe Togolaise à Cabinda en janvier 2010 reste par ailleurs une page noire dans l’histoire du football Africain. Comme en témoigne un article diffusé sur le site allAfrica.com, la CAF est souvent au centre des polémiques. http://fr.allafrica.com/stories/201105230578.html

Alors que le milieu du football se trouve entaché par d’innombrables scandales au niveau national, régional et mondial, il convient plus que jamais de redonner à ce sport les valeurs qui en font sa noblesse, à savoir le fair play et l’esprit d’équipe, le débarrassant des sombres intrigues et des scandales qui l’affectent depuis trop longtemps.

Nacim KAID-SLIMANE

 

4 idées reçues sur la Côte d’Ivoire

1.       La Capitale politique de la Côte d’ivoire est… Yamoussokro

Faux. Abidjan est et reste le cœur économique comme le centre essentiel du pouvoir politique. Il a fallu la prise d’Abidjan pour installer Ouattara au pouvoir. Indice capital : la base militaire française, le 43ème BIMA est installée à Port-Bouët, pas à « Yakro »… Une des lubies d’un déjà sénile Houphouët Boigny a été de transformer sa ville natale en « capitale » du pays. L’hideuse basilique Notre dame de la paix de Yamoussokro – à égalité peut-être avec le soviétisant Hôtel des Députés – est l’une des pires reliques de ce travers mégalomaniaque. Ce projet n’a eu qu’un seul impact réel : enrichir l’architecte Pierre Fakhoury. Des épidémies de fièvre jaune en 1899 et 1904 ont poussé l’administration française à déplacer la « capitale » administrative de Grand-Bassam à Bingerville, la première restant « capitale économique ». L’essor d’Abidjan à la fin des années 1920 a motivé le transfert du cœur politique vers ce qui devenait le centre économique. Abidjan remplaça d’un coup Bassam et Bingerville. Yamoussokro ne « rassemble pas les Ivoiriens ». C’est simplement le symbole du différencialisme ethnique et du complexe de supériorité Baoulé qu’Houphouët et le PDCI-RDA ont imposé à ce pays, des décennies durant. Et un gouffre financier pas possible. Inutile au demeurant.

2.      La crise ivoirienne est née des tensions ethniques et religieuses

Faux. La crise ivoirienne est essentiellement un conflit politique et économique – accessoirement générationnel dans ses derniers développements. Les dimensions ethniques, d’abord, puis religieuses n’ont été rajoutées qu’à la fin, comme potentiels signes de ralliements. Il y a dans l’ordre quatre responsables : Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Simone Gbagbo. Le premier a distillé le mensonge, bénin à l’origine, du groupe Akan et de l’ethnie Baoulé comme peuple fondateur du pays. Les livres d’histoire avaient beau rappelé, en annexe, que ce pays était d’abord une terre d’immigration, les mythes fondateurs baoulés ont servi, depuis toujours, de roman historique national. Le second a trouvé là un terreau fertile qu’il utilisa pour éliminer son adversaire politique le plus important Alassane Ouattara. Il a par la suite procédé à une ethnicisation de l’armée, de la fonction publique et de l’économie. Il a baptisé cette baouléisation du pays, Ivoirité, avec le succès que ce concept a eu par la suite. Pour combler le tout, cette hérésie s’est doublée d’une corruption et d’une brutalisation de la société, sans précédent. Je crois fermement qu’Alassane Ouattara est lié aux coups d’état de 1999 et de 2002, activement d’abord puis de façon plus passive ensuite.

À défaut de démontrer les faiblesses et imbécillités du plan Bédié (« la Côte d’ivoire aux Ivoiriens » ; Alassane Ouattara – ancien premier ministre – n’est pas Ivoirien, etc.), il a repris l’antienne à son compte (« on ne veut pas que je sois Président parce que je suis Nordiste »), avec le succès qu’on connaît. Les époux Gbagbo ont par la suite saupoudré la resucée ethniciste d’une dernière couche religieuse, élus du peuple, mais aussi de Dieu, ils protègent la nation des envahisseurs non-chrétiens, etc. Le conflit générationnel intervient en supplément, il n’est pas étonnant que Soro Guillaume comme Blé Goudé soient tous deux anciens secrétaires généraux de la FESCI (syndicat puis milice étudiante), et que tous deux aient opté pour la voie radicale puis militaire, au détriment d’une approche réformiste du changement politique : les caciques ne cédant pas la place, il fallait bien tuer le père.

Les problèmes réels (conflits terriens, tensions locales liés à ces questions de terre, chômage, corruption, népotisme etc.) n’ont servi qu’à donner un semblant de légitimité à ces conflits politiques et n’ont de fait jamais été pleinement confrontés par aucun des « belligérants ». Les divisions religieuses et ethniques du pays ont été de formidables cache-misère intellectuels et outils de propagande – au pire, de bien utiles adjuvants, mais jamais la cause de la crise ivoirienne.

3- Le défi principal d’Alassane Ouattara sera de « réconcilier les ivoiriens »

Faux. Les Ivoiriens ne se réconcilieront pas. Ils pourront « vivre ensemble », dans un pays apaisé, pacifié, sécurisé. La politique détruit tout ce qu’elle utilise mal. Je crois que l’innocence avec laquelle, l’essentiel des relations entre communautés ethniques (je préfère « régionales », plus précis à mon sens) se déroulait ne sera jamais restaurée. Quelque chose a été brisée durant ces dix années de conflits que rien ne réparera, en tout cas pas durant les cinq ou dix ans qu’Alassane Ouattara passera au pouvoir. Sa tâche primordiale – au-delà de la sécurisation et du désarmement des milices non-intégrables dans les FRCI ou l’ex-rébellion, terme que je préfère – sera de relancer l’économie. Tant qu’il y aura des centaines de milliers de jeunes désœuvrés, sans éducation, sans perspective aucune de trouver un emploi, politiciens et chefs de guerre trouveront le moyen de transformer la moindre étincelle en enfer. Que Gbagbo soit jugé ou non, condamné ou pas, exécuté ou en exil est accessoire. Plus personne ne croit encore à la justice ivoirienne, encore moins à l’ersatz de justice, punitive, à charge, typiquement de vainqueur, que propose le gouvernement Ouattara. Tout le monde sait que les 800 morts de Duékoué resteront sans noms, leurs bourreaux aussi. S’attarder sur ces détails conduirait à perdre un temps et un capital politique précieux. Créez des emplois, des emplois, des emplois, Monsieur le… Président !

4- « Découragement n’est pas ivoirien » !

Vrai.

Joël Té Lessia

L’Afrique et ses quatre anomalies

Terangaweb : Quelles sont, selon vous, les perspectives générales de développement de l’Afrique.

Lionel Zinsou : Il a fallu 50 ans à la Corée du Sud pour passer d’un stade de développement proche de celui des pays africains au niveau de développement des pays de l’OCDE. Il faudra sans doute au moins  encore 50 ans pour que l’Afrique noire atteigne ce niveau de développement.

Les décennies 70 et 80 ont été des années de recul pour l’Afrique. La guerre froide a son importance dans ce phénomène. Par exemple, le Bénin s’est considéré comme République populaire marxiste juste par alignement à l’URSS. Cela nous a fait régresser en termes de développement entre 1974 et le début des années 1990.  Et il y a eu pire comme parcours que le Bénin. Les régimes illégitimes soutenus par les uns et les autres étaient exogènes à l’Afrique. 

Pendant longtemps, on pensait que l’on ne pouvait aller que vers plus de sous-développement. C’est ce que professait par exemple l’école de Dakar de Samir Amin, avec sa théorie des « industries industrialisantes ». Mais les accomplissements algériens se sont effondrés. La pensée de la théorie de l’anti-impérialisme est en ruine.

On est donc tenté de regarder les pays qui sont sortis du sous-développement. Il y a des leçons que l’on peut tirer de ces réussites. La première, c’est que le développement n’est pas possible sans l’enseignement pour tous. Et il n’est pas hors de portée d’investir dans l’éducation. On a des économies très hétérogènes, mais nous partageons des anomalies caractéristiques, qui ont été résolues très tôt par les pays asiatiques.

Terangaweb : Quelles sont ces anomalies communes à l’ensemble des économies africaines ?

Lionel Zinsou : La première de ces anomalies, c’est que nous ne faisons pas de commerce avec nous-mêmes. Il n’y a que 12% des exportations africaines qui va vers d’autres pays africains, ce qui est une anomalie mondiale : le chiffre est de 50% pour l’Asie, 75% pour l’Europe. Il n’y a donc aucune forme d’intégration continentale réelle. C’est en train de changer dans la zone Afrique de l’Est, ainsi que dans la zone d’influence de l’Afrique du Sud. Sans régler ce problème, on ne pourra pas aller de l’avant. Nous franchirons sans doute ce handicap, il n’y a pas d’autres moyens pour se développer.

Si vous remarquez, les secteurs qui sont en pleine expansion en Afrique sont ceux qui ne souffrent pas beaucoup des barrières douanières. Ainsi des Télécom, une technologie intégrée qui se développe facilement. Les solidarités entre les diasporas, les migrations internes, sont autant de questions qui évolueront aussi avec cette intégration, et c’est une anomalie qui disparaîtra. Le simple fait de l’intégration de l’Afrique, même si le monde stagnait, serait en soit un facteur de croissance.

La deuxième anomalie, c’est la propriété de l’Afrique.

Terangaweb : Qu’entendez-vous par le problème de la propriété de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : Qui possède l’Afrique ? Des gens qui ne s’y intéressent pas. Il y a une série de gens qui ne savent pas que l’Afrique leur appartient. Si on identifie le stock de capital productif africain, on s’aperçoit que la propriété est britannique, française, américaine, espagnole, libanaise. Les anciennes puissances coloniales et leurs auxiliaires, ce sont eux les principaux propriétaires. Il y a quelques groupes africains qui appartiennent à des Africains, en Egypte, au Maroc, en Afrique du Sud, mais sur la masse, ils sont en dixième position. L’Afrique appartient à l’Europe surtout, qui ne le sait pas et qui s’en fout, puisque c’est une partie de son capitalisme le plus archaïque. La France ne connait pas Castel, qui est propriétaire de beaucoup d’entreprises de boissons et d’eau en Afrique. De même en ce qui concerne la CFAO. Les vrais grands intérêts de l’Europe en Afrique ne se définissent pas comme tels : Total tire sa première source de brut en Afrique, son premier pays d’extraction est le Nigéria, et l’Afrique génère 40% de ses profits. Mais personne ne s’en vante. Air France ne se raconte pas comme ayant pour principal centre de profit l’Afrique, de même pour Vivendi ou France Télécom. Ces entreprises ne se décrivent pas comme des entreprises africaines. L’Europe possédait l’Afrique. Mais aujourd’hui, les flux de capital sont chinois, indiens, brésiliens : il y a une dépossession par ces pays, mais aussi une dépossession par les Africains. Le taux d’épargne est de 20% et s’oriente vers le logement, donc l’urbanisation va exploser.

Terangaweb : Quelle sera l’impact de cette urbanisation de l’Afrique en termes de développement ?

Lionel Zinsou : Le vrai pays qui va compter, c’est l’agglomération qui va de Lagos (Nigeria) à Accra (Ghana), qui est un pays transversal. Aujourd’hui, le grand Casablanca, c’est une économie plus importante que le Bénin. Les pays qui comptent dans notre région Ouest, c’est la conurbation Ibadan-Lagos, qui prend tout le sud du Bénin, du Togo et du Ghana. C’est là qu’on retrouve les universités, les aéroports, les ports, les bureaux internationaux. C’est là qu’il va y avoir un gazoduc qui ira d’un bout à l’autre de la conurbation et qui, à partir de l’hydroélectricité du Ghana, pourra fournir en énergie l’ensemble de la zone. C’est ce pays urbanisé transversal aux quatre Etats de la sous-région qui sera le moteur de la croissance en Afrique.

Terangaweb : Après la faiblesse du commerce intra-africain et la non propriété de l’Afrique par les Africains, quelle est la troisième anomalie ?

Lionel Zinsou : L’anomalie du commerce et l’anomalie que le continent n’appartienne pas à ceux qui y habitent, d’où le fait que l’épargne ne se transforme pas en investissements productifs, sont aggravées par le fait que les banques restent faibles et qu’il y a peu ou pas de marché financiers. On est le continent qui a le moins d’instruments financiers modernes. L’épargne n’est pas tournée vers l’investissement productif. L’ensemble des actifs financiers mondial  représente 4 fois 60 000 milliards de dollars, qui est le PIB mondial. En Afrique, ces actifs financiers ne représentent que 125% de son PIB, alors que la moyenne mondiale est de 400% du PIB. Et encore, il faut prendre en compte que la bourse de Johannesburg représente à elle seule 2/3 des actifs financiers africains. Donc il y a encore beaucoup à faire dans le reste de l’Afrique, qui est dans le néolithique financier. Si on retire l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Maroc, le Nigeria, le Kenya, on se rend compte qu’on n’a pratiquement aucun instrument financier moderne dans le reste du continent.

Nous avons le moins d’instruments financiers, mais nous sommes le continent qui va le plus vite en bancarisation et qui intègre le plus vite de nouveaux instruments financiers. Pour tirer le parti du fait qu’on a une des épargnes les plus élevées au monde, il faut qu’on développe nos instruments financiers.

Terangaweb : Pensez-vous que les dirigeants actuels sont conscients de ce défi de la financiarisation ?

Lionel Zinsou : Un dirigeant conscient d’un pays d’Afrique francophone constaterait qu’il y a un besoin absolument urgent de modernisation financière.  On risque de voir le Ghana, le Nigeria et le Kenya devenir des grandes puissances, et les pays francophones d’Afrique laissés sur place. L’environnement d’affaire africain est l’un des plus médiocres au monde, sauf pour Maurice ou l’Afrique du Sud.  Partout dans le monde, les banques centrales forcent et incitent à financer les Petites et Moyennes Entreprises, sauf en Afrique de l’Ouest, où cela ne se fait pas. Ces gens là ne font pas leur métier. Qu’ils aillent voir ce qui se fait en Ile Maurice et à Pretoria. Il faut réveiller les banques centrales d’Afrique de l’Ouest, parmi les plus conservatrices au monde.

Terangaweb : Et quelle est la quatrième anomalie qui caractérise les économies africaines ?

Lionel Zinsou : C’est notre secteur primaire, dans lequel on a très peu investi. L’agriculture n’a jamais servi à la mise en valeur du continent ; elle servait à vendre des produits manufacturés à des coûts élevés, en situation de rente. L’agriculture servait à produire du revenu pour les produits manufacturés. D’où le fait qu’il n’y ait pas eu de capital dépensé dans l’agriculture. Les Etats modernes africains indépendants n’ont pas pallié ce défaut, alors que la Thaïlande, le Vietnam, ont commencé par ce chantier comme base de leur développement. Aucun Etat africain indépendant ne s’y est attelé, notamment pour des questions de fiscalité. Nous avons une fiscalité de porte, nous n’avons pas de TVA ni d’impôt sur le revenu, ni d’impôt sur les sociétés. Nous avons donc peu de contribuables,  avec des prélèvements obligatoires parmi les plus faibles du monde. Pour compenser, on pénalise nos exportations par des droits de sortie, ce qui tue la ressource sous-jacente.

C’est l’exemple de la palmeraie à huile au Bénin, qui en était le deuxième pays exportateur au monde. Mais trop de prélèvements fiscaux ont tué ce secteur. Le Sénégal était le deuxième pays producteur d’arachides au monde en 1960, mais les gouvernements successifs ont tué l’arachide par les taxes sur l’exportation, par la fiscalité de porte. La Côte d’Ivoire est le seul régime agrarien de la région qui a su préserver ses exportations agricoles. Ne rien investir dans son agriculture et la tuer par la fiscalité : c’est la meilleure voie pour continuer dans le sous-développement. On peut s’assurer deux siècles de sous-développement comme cela, en créant des émeutes de la faim et des problèmes politiques majeurs. L’exode rural n’est plus un effet de l’augmentation de la productivité agricole, mais de la misère.

Terangaweb : Alors, que faire ?

Lionel Zinsou : Il faut investir dans l’agriculture, et faire la même chose sur l’énergie. Quand on n’investit pas dans la production et le transport d’énergie, et bien on n’a pas d’énergie. C’est notre situation actuelle : on n’a pas d’électricité pour répondre à la demande pendant 15 ans. L’énergie est le deuxième secteur le plus intensif en capital après l’agriculture.

Certaines choses se sont débloquées. Les privatisations ont amélioré la gestion des entreprises, et favorisé la création de valeur. Le passage des PTT publiques à des entreprises de télécom efficaces a ajouté un point de croissance dans plein de pays. Au Bénin, notre organisme de PTT est en faillite, j’avais donné comme conseil au président béninois de ne pas essayé de redresser lui-même l’entreprise. Entre temps, se sont installés des concurrents privés.  Cette gestion privée dynamique a permis de sauver le continent et de créer de la croissance. Dans certains secteurs, télécom et financier, on a fait ce qu’il y avait à faire. Au Kenya, on va avoir un système de paiement par téléphone mobile parmi les plus évolués au monde. 

Il faudrait baisser les prix des aliments de moitié, ce qui est possible en augmentant la productivité agricole. Le litre de lait est à 500 francs CFA au Bénin alors qu’il serait possible avec une hausse de productivité de le vendre à 250 francs. Le programme de développement est très connu, il n’y a pas grand-chose à inventer, il faut voir ce qui a marché chez les uns et les autres, et le faire chez nous.

Terangaweb : Pensez-vous que les diverses économies africaines s’orientent toutes dans la même dynamique de développement ?

Lionel Zinsou : Il y a un vrai risque de dualité entre les pays qui vont choisir ce chemin de développement et les pays francophones qui s’en remettent au secteur informel, à leur diaspora. Il risque d’y avoir un gap au sein de l’Afrique. Il y a une vraie impuissance publique notamment au Sénégal ou au Bénin. L’Afrique francophone a un vrai problème à ce niveau, un vrai risque de décrochage par rapport à l’Afrique anglophone et arabophone. S’il n’y a pas de mode d’emploi du développement, il y a des sujets génériques. On aurait gagné 2 à 3 points de croissance en réglant ces problèmes, ce qui va aider à résoudre des problèmes d’emploi.

Mais certains problèmes anémiques de la croissance perdureront. Le fait d’avoir de la croissance ne suffit pas, notamment concernant le problème de l’emploi des jeunes, ferment révolutionnaire assez fort, qui peu nourrir pas mal de troubles potentiellement. Ce ne sont pas des problématiques simples, car les investissements que j’ai mentionnés sont des secteurs intensifs en capital qui ne créent pas beaucoup d’emploi : investir dans l’agriculture libère de la main d’œuvre. Si on développe l’équipement, on va libérer du travail : ce n’est vraiment pas simple. Il faudra aussi parallèlement investir dans des industries et services de main d’œuvre, il faut que les gens acceptent de payer les services à leur prix.

Terangaweb : Comment ces investissements dans les services de main d’œuvre pourraient-il se traduire concrètement ?

Lionel Zinsou : J’ai personnellement participé à la création au Bénin d’une société de service de nettoyage, manutention, etc. On est dans le secteur formel, on paye impôt et charges sociales, qui accroissent le coût du travail. On est cher, donc on fait du travail spécialisé, pour des sièges sociaux de banque, d’entretien de cliniques, des hôtels, de façon à ce qu’on arrive à faire accepter le concept, avec des gens stables, bien payés, formés, avec formation continue. En 4 – 5 ans, on a équilibré les comptes, créé 200 emplois, donc ce n’est pas désespérant. Ce qui est intéressant, c’est le scepticisme et le cynisme qui nous ont accueillis au début qui commencent à disparaître.

Dans le secteur informel, il y a une exploitation brute des gens avec des conditions d’insécurité exceptionnelles. Il y a un degré de non-respect des standards incroyable par l’économie au noir, qui pose de vrais problèmes macroéconomiques. Le rendement moyen du capital dans le secteur informel est de 15%, donc ils en profitent vraiment, c’est une véritable rente qui explique aussi la perduration de leurs comportements très dangereux. Il faut des organisations capables de faire qualifier les gens, qui peuvent les former, mais c’est beaucoup de changements de comportements. Au Rwanda, il y a une politique d’incitation pour convaincre les entreprises de passer de l’informel au formel. C’est une expérience qui gagnerait à faire école. Dans le secteur informel, il y a des gens qui font de l’exploitation barbare mais aussi des gens qui seraient prêts à rentrer dans le secteur formel pour peu que l’Etat leur garantisse un certain nombre de droits et de prestations. Au Rwanda, il en a résulté une explosion des recettes fiscales grâce à cette politique d’incitation. Tout cela fait partie des politiques à prendre en compte d’urgence. Il faut arriver à inciter.

Il faudra changer des comportements sociaux, parce que la croissance à elle seule ne pourra pas régler les problèmes de développement. Il faut faire sauter les rentes et faire jouer la concurrence pour que les choses marchent.  C’est le b-a.-b-a de l’économie.

Propose recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi

L’Afrique : nouvelle « Arabie » des Etats-Unis (1ère partie)

]Dans les colonnes de The Economist daté du 24 octobre 2002, Walter Kansteiner, ancien courtier en matières première devenu sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines sous le régime de Georges W. Bush déclarait: « Le pétrole Africain est devenu une question d’intérêt national stratégique pour nous et son intérêt ira croissant ». Alors que l’air du temps est plutôt marqué par des efforts pour réaliser la «révolution verte», le pétrole, source d’énergie fossile qui a été tenue pour partiellement responsable du réchauffement climatique, est l’objet de toutes les convoitises en Afrique, continent doté de réserves pétrolières importantes. Elle est à l’origine d’une compétition larvée entre grandes puissances présentes sur le continent, au premier rang desquels les Etats-Unis.

La révolution énergétique en est encore à ces balbutiements et il semble qu’elle le sera tant que des réserves de pétrole seront découvertes. Or ces dernières années, c’est en Afrique que les prospections pétrolières ont été les plus fructueuses, ce qui pousse AL Stinton, analyste en marché pétrolier à la Deutsch Bank à dire : « The opportunities of expansion are trumendous»[1].

Plus que jamais, les Etats-Unis sont présents sur le continent et mènent une politique africaine dans laquelle le pétrole a pu, au fil des années, acquérir une place prépondérante. Il en est ainsi car les Etats-Unis perçoivent bien que les problèmes énergétiques sont une menace à leur propre sécurité et peuvent sensiblement perturber l’équilibre mondial. Washington mène donc la politique africaine la plus susceptible de répondre à ses intérêts en matière de pétrole.

En réalité, tout part du rapport qu’entretiennent les Américains avec l’or noir. C’est en effet dans ce pays que fut exploité au XIXème siècle le premier gisement pétrolier de l’histoire. Ils ont ainsi pu bénéficier de l’abondance de cette matière première tout au long de ce siècle pour assurer leur expansion économique mais aussi durant toute la première moitié du XXème siècle, avant que ne se posent à eux les difficultés liées à la satisfaction de la demande.

Au lendemain de la Grande Guerre, leur production nationale assurait encore plus de 150% de leur demande intérieur[2]. Mais rappelons que durant les deux guerres mondiales, le rang de grand producteur dont le pays jouissait a contribué de manière décisive à la victoire finale. Le pétrole est aux yeux des Américains une préoccupation d’ordre militaire et stratégique mais aussi et surtout un outil essentiel dans leur vie de tous les jours.
En ce sens, retenons que les Etats-Unis sont un pays à taille continentale avec une superficie de 9,6 millions de Km². Cela n’est pas sans conséquence sur leur mode de vie. D’abord, les variations de température sont très marquées d’un bout à l’autre du territoire causant une grande demande en électricité soit pour le chauffage, soit pour la climatisation. Ensuite, dans l’«American way of life », les moyens de transport individuels, et plus précisément l’automobile, ont une place prépondérante non seulement du fait des longues distances à parcourir fréquemment, comme le trajet domicile-lieu de travail, mais aussi parce que la voiture est un des signes de leur liberté. S’ajoute à tout ceci que les Américains ont traditionnellement eu un penchant pour les voitures de grande taille de type véhicules 4X4 et Pick Up –conformément à leur croyance populaire qui soutient que « when it’s big, it’s good ». Ces véhicules consomment davantage de carburant que la moyenne mais avec la conjoncture actuelle, cette préférence tend à disparaître progressivement.

L’association de ces deux éléments, à savoir l’abondance et les caractéristiques de leur mode de consommation, a ainsi conduit les citoyens de ce pays à percevoir quasiment comme un droit le fait d’avoir à leur disposition un carburant à bas prix. La fiscalité sur les produits dérivés du pétrole est ainsi 6 fois moins élevée aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple[3] et pour cause, toute atteinte à cet état de fait est considérée par les citoyens comme une menace à leur qualité de vie voire à leur identité. Les autorités politiques ne peuvent donc utiliser l’outil de la fiscalité pour changer les comportements sans courir le risque d’essuyer de vives protestations et d’être sanctionnés par les urnes.

Or la tendance qui a été observée à partir de l’entre deux guerre fut une évolution inverse entre la production nationale et la demande intérieure américaine. Depuis 1950, la production nationale peine à satisfaire la moitié de la demande et elle ne couvre aujourd’hui que 40% de la consommation. En valeur absolue, on note qu’en 1975 la production nationale était de 550 millions de tonnes ; celle-ci est passée à 375 millions en 2004[4]. A contrario, durant la première moitié de la décennie 2000, la demande en pétrole des Etats-Unis a cru en moyenne de 5% par an mais elle décélèrera avec la crise à partir des années 2006-2007. La consommation journalière du pays est d’environ 25 millions de barils par jour et chaque Américain consomme en moyenne 20 barils par an, la moyenne mondiale se situant autour de 4 barils par personne[5].
De cet état de fait, il est possible de déduire l’équation suivante :
Baisse de la production nationale + Hausse de la consommation nationale = Hausse des importations.
Il revient aux décideurs politiques de la résoudre. L’outil primordial demeure pour eux leur politique étrangère, au service de leur intérêt national qui, en l’occurrence, se définit en termes d’assurance des approvisionnements à moindre coût.

Alioune Seck

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[1] DJOUMESSI Didier, The Political Impacts of the Sino-US Oil Competition in Africa, Adonis & Abbey, London, January 2009

[2] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[3] Ibid.

[4] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

 

 

L’afro-optimisme selon Lionel Zinsou

Si l’afro-optimisme était une école de pensée, Lionel Zinsou en serait sans doute le chef de file. Ce banquier d’affaires franco-béninois, qui dirige le plus grand fond d’investissement français, PAI Partner, et par ailleurs conseiller du Président béninois Yayi Boni, estime que « l’Afrique sera bientôt au centre du monde ». Dans le cadre de la série d’entretiens que Terangaweb a réalisée avec lui, après « Lionel Zinsou, le parcours atypique d’un franco-béninois » et en attendant « L’Afrique et ses 4 anomalies », Lionel Zinsou justifie son afro-optimisme.

Terangaweb : Monsieur Zinsou, vous êtes considéré comme l’un des plus fervents tenants de l’afro-optimisme. Sur quelles bases se fonde votre position ?

Lionel Zinsou : Il me faut tout d’abord expliquer le contexte dans lequel j’ai été amené à défendre l’afro-optimisme. J’ai pendant longtemps eu des réserves de parole du fait de mes fonctions professionnelles. J’ai été un cadre de Danone puis un banquier qui ne parlait pas de ses affaires. La seule liberté de parole que j’avais portait sur des sujets autres que ceux sur lesquels je travaillais et qui me tenaient à coeur. C’est ainsi qu’en tant que citoyen, je préside le cercle Fraternité, cercle d’amitié autour de Laurent Fabius. Je siège aussi au Conseil de surveillance du quotidien Libération. On m’a questionné sur le manque de cohérence de cet engagement avec le « libéralisme » de mon métier de capitaliste ! (Rires)
L’Afrique était un autre domaine citoyen sur lequel j’avais le droit d’exprimer mon avis. En 2003-2004, puis lors du sommet de Gleaneagles en 2005, il y a eu des changements au niveau international concernant le continent. Georges Bush et Tony Blair se sont notamment ralliés à l’idée de désendetter les Pays les moins avancés (PMA) situés principalement en Afrique. Le magazine Le Point a alors publié un entretien avec moi sur la croissance et même la renaissance de l’Afrique du fait de cette actualité, ce qui a donné le ton de ma position ensuite. A partir de ce moment, mon point de vue a commencé à être audible.

Terangaweb
: Et quel est exactement le point de vue que vous défendez sur la situation de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : On me disait : « on sait que l’Afrique va mal, qu'elle est en guerre, que le chômage progresse, que les pandémies progressent, pourquoi nous raconter que tout cela est faux ? ». Moi je disais : « les pandémies régressent dans des proportions qu’on a rarement vues ; la conflictualité est en baisse continue suivant les indices calculés par l'OCDE ; les taux de croissance positifs augmentent depuis les années 2000, il y a consensus sur le fait que ces taux de croissance sont sans doute sous-estimés et ils ne sont surpassés que par l'Asie.»
J’ai donc rappelé une série de banalités. L’Afrique est désendettée : on est passé d’un endettement de 120% du PIB à 20% au cours de la décennie 2000, notamment sur la période 2004-2010. Cette situation s’explique par l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres, et par le remboursement en ce qui concerne certains Etats comme l’Algérie et le Nigéria. L’Afrique enregistre parallèlement le taux d’épargne le plus élevé après l’Asie. Il existe donc de meilleurs indicateurs financiers.

Il en va ainsi de nos réserves de change : on accumule ces réserves parce qu’on a une balance de marchandises excédentaire. L’Afrique est par exemple le seul continent à avoir une balance commerciale excédentaire avec la Chine. La balance de capitaux est aussi très excédentaire parce que les remboursements de crédits sont réduits, parce qu’il y a une croissance des investissements directs étrangers et que le rapatriement de l’épargne des migrants est égal ou supérieur à l’aide publique au développement. On a environ 500 milliards de dollars dans les coffres de nos banques centrales.

Terangaweb : Mais cette situation que vous décrivez concerne-t-elle l’ensemble du continent ?

Lionel Zinsou : On m'oppose souvent qu’il y a une hétérogénéité de l’Afrique. Par exemple : les pays pétroliers et les autres. La croissance du Bénin sur dix ans est cependant supérieure à celle du Nigéria. Les fluctuations des matières premières donnent des écarts à court terme, mais à moyen terme la tendance de croissance est à peu près identique sur l’ensemble du continent. Si on met de côté les pays qui sont en période d’après guerre et qui enregistrent des résultats de croissance élevés à court terme (cas de la Sierre Leone, du Mozambique, de l’Angola, du Libéria et bientôt de la Côte d’Ivoire), il y a une vraie convergence des taux de croissance à moyen terme en Afrique. Cette croissance homogène s’échelonne autour de 5% ; la variance et les écarts types restent faibles ; ce sont les situations de départ qui singularisent quelques pays plus avancés dans leur développement humain.

Terangaweb : Cette croissance homogène à l’échelle du continent n’a-t-elle pas été remise en cause par la dernière crise économique ?

Lionel Zinsou : Une partie de l’Afrique a vécu une crise forte en 2009 – 2010 ; c’est notamment le cas des pays pétroliers, de l’Afrique du Sud et de l’Egypte qui sont plus intégrés dans le commerce international. En réalité, plus on était une économie moderne, plus il existait un risque de croissance négative. Mais globalement l’Afrique n’est pas entrée en récession et le continent a été un de ceux qui ont le mieux résisté à la crise. On peut parler de ces choses là ou ne pas les dire. J’ai choisi de les dire. Bien sûr, il y a du chômage, des émeutes de la faim, et on peut donc en limiter la portée. On peut dire que la croissance n’est pas le développement. Mais cela ne sert à rien de dire qu’il n’y a pas de croissance en Afrique. Il n’y en a pas eu pendant au moins 25 ans, donc maintenant qu’il y en a il faut plutôt s’en réjouir.
Et même si l’on prend des grandeurs de consommation, de production industrielle et agricole, de télécommunications, de rendement de l’impôt, de bancarisation etc …, on peut toujours recouper au niveau micro-économique qu’il se passe quelque chose en Afrique en ce moment. La plupart des indicateurs économiques sont au vert, ce sont des chiffres de croissance globale qui renvoient à des transformations considérables et d’une rapidité presque inconnue dans l’histoire. Je suis maintenant prêt à en discuter la pertinence en termes de qualité du développement mais c'est un autre sujet.

Terangaweb : Ce discours, pas souvent ni suffisamment exprimé en général, fait de vous un vrai afro-optimiste…

Lionel Zinsou : De manière générale, je ne partage pas le fatalisme ni le pessimisme d’analystes comme Stephen Smith (auteur de Négrophobie). L’Afrique possédera le quart de la population d’âge actif du monde dans 30 ans . Historiquement, l’atelier du monde est là où réside le plus grand nombre de gens d’âge actif. Dans 30 ans, cet endroit sera l’Afrique et non plus la Chine. Inexorablement, l’Afrique sera importante ne serait-ce qu’en termes démographiques. Et il faut se rendre compte à quel point, historiquement, l’Afrique est un continent vide : 250 millions d’habitants en 1960 sur 30 millions de km², environ 30 millions 100 ans auparavant, aujourd’hui 850 millions et dans 30 ans environ 1,5 milliard d’habitants. Le continent était vide. Aujourd’hui, c’est le début d’une espèce de plénitude de l’Afrique. C’est une dimension incontournable.
Je souhaite aussi répondre à une question qui revient sans arrêt : la dégradation du service public en Afrique. On oublie qu’auparavant, à la veille de l'Indépendance, ces services publics n’existaient pas ou très peu. Prenez le service public d'éducation. Le fait le plus frappant est la rapidité récente des progrès de l’alphabétisation. Il s’agit de l’un des rares Objectifs du Millénaire qui vont être atteint. On est passé de 20% à 70% d’une classe d’âge scolarisée au Bénin, avec une population passée de 2 millions à 10 millions d’habitants. Donc on ne peut pas se contenter de dénigrer les services publics en Afrique. Tous les débats sont ouverts sur le développement, mais les faits de base vont dans le bon sens.

Propos recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi
 

FMI : Et si c’était lui ?

Alors que Dominique Strauss-Kahn prévoit désormais de consacrer tout son temps et toute son énergie à prouver son innocence, la bataille pour lui succéder a démarré en trombe. Les pays européens auxquels le poste revient traditionnellement révèlent déjà les noms des premiers candidats, au premier rang desquels celui de Christine Lagarde parait déjà faire consensus. C’est dans cette atmosphère de connivence que Pravin Gordhan, ministre sud-africain des Finances, a déclaré que « plusieurs candidats de pays en développement seraient crédibles et tout à fait capables de diriger le FMI. »
 
 
L’HOMME DE LA SITUATION
 
Si le ministre sud-africain ne s’est pas avancé à nommer lesdits candidats, de nombreuses voix évoquent un nom jusqu’alors méconnu, Trévor Manuel. L’actuel président de la Commission sud-africaine du Plan a fait ses débuts politiques dans un pays miné par l’Apartheid. Sa couleur de peau métissée –« noire » selon la classification sud-africaine – et son engagement au sein du Congrès National Africain (ANC) lui valent, dans les années 1980, plusieurs allers-retours en prison. Trévor Manuel appartient à cette espèce rare d’hommes d’Etat africains, tenaces par vocation et conviction plutôt que par ambition purement personnelle.
 
Après des études en ingénierie et en droit, il adhère à l’ANC, seule véritable force d’opposition au Parti National afrikaner. Entré dans la vie publique en 1981, il est d’abord Secrétaire général du Comité d’action d’urbanisme. Mais c’est sur les questions économiques que son intérêt se porte plus volontiers. L’abolition de l’apartheid en juin 1991 marque, à cet égard, un tournant décisif dans sa carrière. Il est successivement directeur de la Planification économique, ministre du Commerce et de l’Industrie, puis devient le premier homme de couleur à occuper le poste de ministre des Finances en 1996.
 
Cette expérience le met aux prises avec les spécificités économiques d’un pays en développement (PED). L’Afrique du Sud rencontre à l’époque toutes les difficultés caractéristiques des pays du Sud. Le chômage y atteint les 40%  malgré une forte croissance. Une situation sociale extrêmement tendue y est accentuée par de grandes inégalités de revenus, tandis que le coût du logement plombe le budget des ménages.
 
C’est certainement cette expérience du terrain qui rend la candidature de Trévor Manuel si « crédible ». Le manque de connaissance –parfois même l’ignorance- des particularités économiques et sociales des PED est très souvent reprochée au FMI. Le cas de la Mauritanie est, en ceci, emblématique. L’abandon de la propriété collective des terres qu’y a imposé le FMI a été à l’origine de l’appropriation de ces dernières par une petite poignée de multinationales agroalimentaires. L’exemple mauritanien n’est pas une exception. C’est en fait une ribambelle d’Etats africains (Sénégal, Guinée, Ghana…) qui se sont vus imposer des contraintes assassines par le FMI.
 
LE FMI, DE PLUS EN PLUS DÉCRIÉ PAR LES PAYS AFRICAINS
 
Lorsqu’en 1976 le monde entre dans l’ère des changes flottants, le FMI perd son rôle de stabilisateur du système de change fixe. La page de Bretton Woods tournée, il devient « la banque centrale des banques centrales ». Devenu prêteur en dernier ressort, sa principale mission est désormais d’aider les Etats menacés d’insolvabilité. C’est ainsi qu’au cours de la décennie 1980, suite au retournement de la conjoncture économique mondiale, le FMI se met à focaliser son action sur les pays du Sud. Leur niveau d’endettement est devenu plus qu’inquiétant. Ces nouvelles interventions du Fonds seront un cuisant échec. Elles plongent définitivement la plupart des pays africains dans la fameuse « crise de la dette ».
 
Les populations portent aujourd’hui encore les stigmates de cet épisode économiquement ravageur. Loin de s’être améliorée, l’image du FMI se dégrade chaque jour un peu plus dans les esprits. Novice perpétuel, oublieux du passé, le FMI répète inlassablement les mêmes méthodes escomptant des résultats nouveaux. L’aide conditionnelle est toujours l’occasion d’imposer ouverture des marchés, privatisation, libéralisation du marché du travail… bref, « le consensus de Washington ». Les peuples reprochent au FMI son approche déterministe et statistique dans une Afrique stochastique où règne l’imprévu.
 
En Europe pourtant, la politique du FMI se fait parcimonieuse et s’adapte toujours au mieux aux réalités locales. Dans la crise grecque, ce n’est qu’après une fine concertation avec l’UE qu’il a pris part au Fonds européen de stabilisation (FES). L’Europe a pu choisir librement les modalités du conditionnement de l’aide. Cette différence de traitement n’étonne pas. Le FMI est conçu –et voulu diront les plus cyniques- comme tel par ceux qui le dirigent. Dans La Grande Désillusion, J. E. Stiglitz dénonce l’iniquité qui le caractérise. Le droit de vote censitaire confère aux grands pays une situation hégémonique : 5% des Etats membres détiennent plus de 50% des droits de vote.
 
Les Etats-Unis et l’Europe ont ainsi pu imposer aux 187 pays membres un accord tacite : un Américain préside la Banque mondiale et un Européen le FMI. Dans ce contexte, une présidence assurée par Trevor Manuel représenterait un grand pas en avant. Cela témoignerait de ce que les grandes puissances ont pris acte du fait que les équilibres d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Les foyers de la croissance mondiale sont désormais en Asie, en Amérique latine, en Afrique.
 
Les nouvelles règles de gouvernance accordant plus de poids aux PED n’entreront en vigueur qu’en 2012, après l’élection du nouveau directeur général. Ceci représentera un incontestable handicap pour la candidature de Trévor Manuel. D’autant plus que l’Europe est bel et bien déterminée à conserver son pré carré. Jusqu’à présent, aucun pays africain ne s’est officiellement prononcé concernant la candidature de l'ex-ministre des Finances. Sans doute sait-on déjà qu’étant donnée la crise de la zone euro, les chances pour que les dirigeants européens soient portés par un élan démocratique sont quasi-nulles.
 
Tidiane Ly

Interview avec Moustapha Sène, Président de l’AESGE

TerangaWeb : Bonjour Moustapha, pouvez-vous présenter à nos lecteurs l’association que vous dirigez ?

Moustapha Sène: L’Association des Étudiants Sénégalais des Grandes Écoles (AESGE) a été créée en novembre 2005. Elle se veut un espace où les étudiants sénégalais de France peuvent s’engager pour le développement de leur pays. Nous œuvrons également pour que nos compatriotes empruntent davantage la voie des Grandes Ecoles, d’où notre volonté de mener une politique d’information pour les sensibiliser sur les modalités d’intégration des Grandes Écoles, ainsi que sur les opportunités sous-jacentes. L’AESGE compte, dans les écoles d’ingénieur, de commerce et les universités, plus de 200 membres et sympathisants, qui aujourd’hui, s’associent à la destinée de l’association à travers ses différents organes d’action et de décision. Notre organisation repose sur une double trame. Autour du Président, du Secrétaire général, du Trésorier, quatre pôles spécialisés assurent des fonctions permanentes de support et d’aide à la décision. Il s’agit des pôles Communication, Informatique, Entreprises et Projets.

TerangaWeb: Quels sont les objectifs de l'AESGE?

Moustapha Sène: L'AESGE souhaite avant tout être un espace dynamique où, tout en bâtissant leur projet professionnel, les étudiants sénégalais des Grandes Ecoles et des Universités françaises s'engagent pour le développement de leur pays. A cet effet, nous cherchons notamment à créer un réseau d’étudiants, mais aussi un cadre propice à la réflexion sur les problématiques du développement et de l’entreprenariat en Afrique. C’est ainsi que nous menons et accompagnons des projets socio-éducatifs et d’entreprenariat.

L’AESGE cherche également à constituer une passerelle entre les étudiants du premier cycle et les formations d’excellence en Grandes Ecoles ou en Université  en répondant à leurs besoins en matière  d’informations sur les procédures d’intégration, les spécialités, les exigences et les débouchés. Un autre volet consiste à offrir à nos partenaires entreprises, Grandes Ecoles et cadres sénégalais, une visibilité auprès de nos membres et des associations partenaires, ce qui facilitera à ces derniers un choix de parcours cohérent et une insertion professionnelle réussie. Dans le cadre de cet important travail d’information, nous menons aussi des campagnes d'information, pour faire connaître l'enseignement supérieur et aussi l’univers des formations supérieures des Grandes Écoles françaises. 

TerangaWeb: Au cours de cette année, quels sont précisément les projets sur lesquels vous avez travaillé?

Moustapha Sène: Nous avons d’abord poursuivi certains projets qui avaient déjà été lancés par les bureaux précédents. Nous avons ainsi participé aux « Journées des filières d’Elites »  organisées par l’Ambassade de France à Dakar via Campus France Sénégal. Nous avons également continué la mise en place d’un projet d'équipement des lycées sénégalais, grâce à la récupération de matériels informatiques et scolaires via « Récup++ ».

Outre ces projets, nous avons mis en place cette année un Portail Pro (http://aesge.fr/pro/) afin de  faciliter l’insertion professionnelle des étudiants et jeunes diplômés par la publication d’offres d’emploi et de stage en France ainsi qu’au Sénégal. Nous avons également initié un système de parrainage volontaire et bilatérale par lequel un étudiant ou un diplômé  prend l’engagement solidaire de répondre aux besoins d’un étudiant filleul : réponses aux interrogations, échanges sur les expériences, mise à disposition de réseaux personnels. Nous avons enfin établi des partenariats avec des banques offrant des avantages exclusifs et privilégiés aux étudiants membres de l’AESGE dont des prêts court terme à taux zéro et une avance sur la bourse.

Nous souhaitons aujourd’hui nouer des partenariats avec des associations d’étudiants dans d’autres villes de France et relever aussi le défi de la communication en faisant adhérer tous les étudiants, notamment ceux des universités, aux projets de l’AESGE.

Terangaweb : Vous préparez également votre Forum annuel qui aura lieu le 21 mai à Paris. De quoi s’agit-il exactement ?

Chaque année, en collaboration avec l’Espace Jappo, réseau des cadres sénégalais de France, nous organisons un forum d’orientation et de coaching cadres-étudiants. La 6ème édition de cette année porte sur le thème : Comment construire sa carrière dans un environnement globalisé ? Tout d’ abord, il y aura des présentations qui porteront sur la construction de parcours mixtes entre l’Occident et l’Afrique dans le contexte actuel d’une économie globalisée. Ensuite, les participants auront l’occasion de découvrir les divers MBA Afrique de l’ESSEC et de HEC Paris avant de participer aux tables-rondes animées par des professionnels de la diaspora. Je rappelle aussi la présence d’un des cabinets leaders du recrutement en Afrique subsaharienne, en l’occurrence Afric’Search, représenté par son Président en personne Monsieur Didier Acouetey ainsi que Ponticelli, une société industrielle ainsi que d’autres invités.

Je tiens surtout à préciser que c’est le forum de l’ensemble des étudiants sénégalais de toute la France sans distinction de formations. A ce titre, nous les invitons tous à venir à cet évènement qui aura lieu au Campus de l’ESSEC Business School à la Défense le samedi 21 mai de 13h à 18H. Tous les détails sont disponibles sur les divers supports de communication de l’ association (notre site www.aesge.fr ainsi que notre page facebook www.facebook.com/aesgeassociation)

Propos recueillis par Abdoulaye NDIAYE

Vers un monde sans PMA

Réduire de moitié le nombre de Pays les Moins Aavancés d’ici 2020. C’est l’objectif ambitieux fixé à la quatrième conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés, qui vient de s’achever à Istanbul. La conférence, qui a réuni des centaines de participants sur les rives du Bosphore (notamment plusieurs chefs d’Etats et le Secrétaire Général de l’ONU), a été l’occasion de dresser un bilan sur la situation des PMA depuis la dernière conférence qui s’est tenu en 2001 à Bruxelles, et d’adopter un programme d’action pour la décennie actuelle.

Le concept de pays les moins avancés (PMA) a été élaboré par l’ONU en 1971, pour désigner vingt cinq pays qui connaissaient de grandes difficultés en termes de développement. Le « club » compte aujourd’hui 48 membres (dont 33 pays Africains) qui remplissent les trois critères retenus par l’ONU : un revenu bas, de faibles ressources humaines, et une forte vulnérabilité économique. Le groupe de pays a été identifié afin de mette en place des mesures de soutien spécifiques.  Une brochure diffusée par le bureau du Haut Représentant de l’ONU pour les PMA identifie ainsi  les sept domaines d’engagements mis en avant pour améliorer la situation de cas pays : http://www.unohrlls.org/UserFiles/File/LDC%20Documents/Advocacy%20brochure%20French%20for%20Web.pdf

En ce qui concerne les pays Africains, qui ont le triste privilège d’être surreprésentés au sein des PMA, un rapport a été publié pour évaluer la mise en œuvre du programme d’action élaboré il y a dix ans à Bruxelles. Si la situation reste alarmante et les mesures adoptées insuffisantes, il faut reconnaitre que certains progrès ont été accomplis (que le rapport juge toutefois « lents et inéquitables »). Néanmoins, de « nouveaux problèmes » ont été soulevés durant la décennie, notamment les crises alimentaires et énergétiques, le changement climatique, ainsi que les crises économiques et financières qui ont accru la vulnérabilité des PMA. Le document, qui comprend également une série de recommandations, est accessible sur : http://www.un.org/wcm/webdav/site/ldc/shared/ARR%20Final%20document%20French.pdf

Face à ce constat, la quatrième conférence a élaboré à Istanbul un programme d’action qui sera appliqué pendant la décennie 2011-2020. Celui-ci a notamment adopté une approche « plus stratégique, globale et soutenue » que le précédent.  Après avoir évoqué les insuffisances des précédentes initiatives et les nouveaux enjeux à prendre en compte, le plan  rappelle l’objectif primordial qui est de créer les conditions nécessaires pour pouvoir quitter la catégorie des PMA (le groupe étant ironiquement un club auquel on adhère en espérant pouvoir le quitter au plus vite, et dont l’objectif suprême est de s’auto-dissoudre…). Le programme regroupe ainsi les mesures à adopter par domaines d’actions prioritaires, afin d’accompagner une dynamique de développement suffisante et durable, promouvoir les partenariats régionaux et internationaux, et avancer vers un monde sans PMA : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/CONF.219/3&referer=/english/&Lang=F

Nacim KAID-SLIMANE

Contribution: Matières dernières

« L’Afrique est riche, on a du diamant, de l’or, du manganèse, du coltan » etc. J’entends souvent ces paroles que j’ai moi-même parfois tenues. Le grand Thomas  Sankara également disait devant les chefs d’Etats de l’OUA à Addis Abeba en 1987 que « notre sol et notre sous-sol sont riches ». Les Jeunes intellectuels africains, dont je crois faire partie, répètent à l’envie les chiffres qui font de tel ou tel pays africain « le premier producteur mondial de ceci » comme la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo et de Alassane Ouattara pour le cacao ou encore « le dixième producteur mondial de cela » comme le géant nigérian de Goodluck Jonathan en ce qui concerne le pétrole. Ces deux exemples, même s’ils n’ont pas été pris au hasard, auraient pu être remplacés par une dizaine d’autres (la Guinée et sa Bauxite, la République Démocratique du Congo et son Colombo Tantalite ou Coltan, le Gabon et son bois, etc.) vu que pour la plupart d’entre eux, nos pays sont richement pourvus en matières premières.

Depuis quelques années que je réfléchis à la situation du continent, j’ai fini par avoir la conviction suivante : si notre sol et notre sous-sol sont riches, nous ne sommes pas riches et si d’aventure nous l’étions, nous serions plutôt des producteurs de matières dernières et non de matières premières. Dernières, car hormis quelques rares exceptions où leur valorisation apporte un véritable plus (Botswana, Ghana), ces matières n’enrichissent qu’une faible minorité de gens (les hauts dirigeants politiques, militaires, et quelques entrepreneurs un peu bizarres). Une question se pose : Alors que nous disposons de matières premières dont le monde entier a besoin, pourquoi n’arrivons nous pas à en tirer de grands bénéfices?

Cette question, comme chaque problématique posée en Afrique, ne peut être traitée avec une seule réponse. Les facteurs sont multiples : corruption, cupidité, faible coût sur les marchés mondiaux etc.  Mais laissons ce type d’analyse auto-flagellante à d’autres. Intéressons-nous plutôt à d’autres éléments qui à mes yeux accentuent ce paradoxe du « dernier de la classe riche en matières premières ».

En effet si l’Afrique ne tire pas de grands bénéfices de ses matières premières, c’est d’abord et avant tout parce que ses intellectuels n’ont pas opéré de révolution conceptuelle depuis que nous sommes sortis de la barbarie qu’était la colonisation. Cette élite, dont certains d’entre nous vont constituer le vivier de renouvellement, a filièrisé les cultures de rentes que le colon avait développées sur nos territoires : typiquement c’est ce que fait la Côte d’Ivoire avec son cacao. Elle fait grandir ses fèves et comme à l’époque coloniale, les exporte dans la Métropole (France, Suisse) qui les transforme (en Y’a bon banania à l’époque et en Lindt de nos jours) avant de les revendre à des prix exorbitants dans l’ex-colonie qui constitue ainsi un marché pour les produits finis de l’ancien maitre. Dans ce petit cercle que l’on vient de décortiquer, qui, d’après vous, empoche réellement une part conséquente de valeur ajoutée ? Sûrement pas le paysan ivoirien… Enfin, si l’on sait que c’est l’élite locale élevée à la sauce occidentale qui va dépenser une partie de son salaire pour acheter ces chocolats de « haut niveau », on sait qui en réalité perpétue le mal… En résumé, l’élite a institutionnalisé la culture de rente (par peur ou ignorance ou autre), s’en gargarise dans les salons et continue à enrichir le concurrent en rachetant au prix fort les produits qu’il fabrique. Cela mène à une autre question : Si l’élite n’est pas consciente des intérêts du groupe, constitue-t-elle réellement une élite ? Formons-nous des intellectuels qui servent réellement leurs pays ou formons-nous plutôt des porteurs de diplômes? 

Outre la perpétuation des cultures de rentes, la faible industrialisation est également à mettre en cause. L’un et l’autre pourraient d’ailleurs être équivalents car l’un, en l’occurrence la faible industrialisation, est la réciproque de l’autre. Cependant, il est préférable de les distinguer pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’au-delà de créer de la richesse, l’industrialisation en aval des filières de matières premières permet de sécuriser l’approvisionnement d’un pays en biens essentiels à son fonctionnement. Qu’est-ce à dire ? Que si le Nigéria avait veillé à ce que ses capacités de raffinage se développent à une vitesse proche de celles de son industrie extractive, on n’assisterait pas aux scènes affligeantes de pénurie d’essence dans Lagos. Oui, le 10ème producteur mondial de pétrole rencontre des problèmes d’approvisionnement en essence…Il vend beaucoup de pétrole, donc fait rentrer beaucoup de devises (65% du budget de l'Etat), mais n’en a pas assez pour aller racheter de l’essence en quantité suffisante pour son approvisionnement. La conclusion que toute personne lucide devrait en tirer est la suivante : il ne sert à rien de se dépêcher de développer ses capacités d’extraction en minerais, en hydrocarbures ou d’étendre la surface de ses terres cultivables si en bout de chaine on ne transforme pas une partie suffisante de ce qui est extrait pour sa propre consommation. Nous devons arrêter d’extraire pour vendre, et commencer à extraire, raffiner, transformer etc. en quantité suffisante pour satisfaire la demande intérieure. En termes de stratégie, les faits prouvent au quotidien que les pays africains, leurs dirigeants et la plupart de leurs intellectuels échouent royalement.

Troisième élément pouvant expliquer le paradoxe des matières dernières, le refus de l’emploi de la technologie dans ces filières. L’emploi du mot refus n’est pas fortuit. En effet, nos pays ont depuis quelque temps adopté la fâcheuse habitude de fournir des cadres de (très) haut niveau aux sociétés étrangères (américaines, françaises, australiennes, hollandaises) pour que l’on nous exploite avec nos cerveaux et du matériel hi-tech qui lui, ne nous appartient pas. L’Etat du Sénégal, par exemple, investit 40 % de son budget dans l’Education nationale (chiffres officiels), même si l’essentiel de ce pactole est mobilisé pour des dépenses de fonctionnement, cela fait tout de même beaucoup pour l’éducation. Des étudiants sont envoyés à l’étranger avec des bourses nationales (en 2007 on recensait 8 992 étudiants sénégalais dans le supérieur en France), ceux qui restent au pays ont une bourse automatique et des conditions financières, certes maigres mais avantageuses pour poursuivre leurs études. Si parmi tout ce beau monde on forme des ingénieurs géologues, des ingénieurs agronomes mais que ceux-ci travaillent pour des sociétés étrangères car seules celles-ci ont un niveau technologique suffisant pour les accueillir dans leurs structures, à quoi cela sert-il de former ces ingénieurs et de dépenser autant d’argent pour eux ? Une partie de cet argent doit être redéployée dans l’acquisition de technologie.

Il faut donc que nous les futurs dirigeants, car les actuels me désespèrent, soyons au fait de la chose suivante : investir dans les ressources humaines sans investir dans la technologie c’est comme aller faire un appel à la prière du vendredi en pleine soirée ladies night au Duplex, c’est du temps perdu… Il faut certes former des cadres, des ingénieurs surtout, mais il faut également que nos pays et nos secteurs privés se sacrifient financièrement pour moderniser la production agricole (cf. PanAAC http://www.panaac.org) et progressivement acquérir la technologie pour leurs compagnies nationales d'extraction minière, gazière, ou pétrolière. Et si ces sociétés n’existent pas, il faut les créer ! L’Aramco, société nationale du pétrole en Arabie Saoudite, n’attends plus l’appui technologique de Total, Shell ou BP pour explorer et exploiter le pétrole saoudien. Au Venezuela, le Président Chavez a également préféré avoir moins de maitrise technologique en nationalisant le secteur pétrolier, plutôt que de continuer à tout le temps demander la technologie étrangère pour extraire le pétrole de son pays. Et quand on sait que celui qui vous prête sa technologie, veut avoir les trois quarts des retombées financières, il devient préférable de gérer avec ce que l’on a.

Pour prendre un exemple africain, sous le magistère du Président Sassou Nguesso, faux marxiste de surcroît,  l’Etat congolais touchait seulement 17% de la manne pétrolière, le reste allant essentiellement dans les caisses d'ELF, l’exploitant qui apporte sa technologie. Alors soit nous faisons ce que tout le monde fait (notamment les chinois) en incluant des clauses de transfert de technologies dans nos permis d’exploitation, soit nous continuons à offrir gratuitement nos matières premières pour permettre à des boites comme Total de faire 13 milliards d’euros de bénéfice en un an. En résumé, tant que le tryptique Ressources Humaines + Sociétés Nationales + Transferts ou achats de technologie ne sera pas atteint, il ne sert à rien d’exploiter nos matières premières. Autant les laisser dans le sous-sol…

Je voudrais enfin terminer en lançant un appel aux jeunes étudiants africains : développez l’esprit entrepreneurial en vous car hormis les grandes sociétés étrangères, il n’existe pas encore de structures suffisamment fortes pour vous accueillir et vous fournir un niveau de salaire conforme aux standards occidentaux de vos diplômes. Il faut certes des réformes politiques et structurelles comme j’ai essayé de le démontrer dans cet article mais il faut également un secteur privé fort et organisé pour soutenir nos Etats. Ils sont bien trop petits et bien trop faibles économiquement pour réaliser ces changements tous seuls. Entreprenez avec obligation de réussite et interdiction de découragement, avec le temps vous pourrez apporter votre pierre à l’édifice et contribuer à faire de nos matières dernières des matières premières. 

Fary NDAO

Membre de l’Association Njaccaar Visionnaire Africain

L’Afrique et ses minorités : (1) Situation des Albinos en Afrique

Parler de « minorités » en Afrique ne va pas de soi. D’abord parce que ce terme a été confiné, dans le discours contemporain, aux situations spécifiques de communautés ethniques, religieuses, culturelles ou sociologiques vivant en Occident. Ensuite, parce que l’histoire politique du continent reste encore profondément marquée par les affres des pouvoirs minoritaires (coloniaux, raciaux, ethniques, religieux, économiques etc.). De fait, la « protection des minorités » apparaît moins urgente que la « défense contre les minorités ». Si l’on entend bien qu’il faille protéger les populations Pygmées d’Afrique Centrale, défendre la « minorité » Afrikaner d’Afrique du Sud paraît moins évident. Enfin, parce que la prise en compte des  minorités apparaît bien souvent comme un luxe. Les droits des minorités seraient des privilèges surnuméraires, des caprices dont la satisfaction paraît moins urgente que, par exemple, l’urgence de lutter contre le VIH ou la pauvreté.

La série d’articles que propose TerangaWeb entend pourtant démontrer que le sort réservé aux minorités en Afrique – comme ailleurs – est un puissant révélateur, un miroir grossissant des travers, faiblesses et impasses, de l’état général d’une société, d’un continent. Nous montrerons que la situation des Albinos dans certains pays africains est intrinsèquement liée aux questions d’éducation, de santé publique et de protection des Droits de l’Homme. Nous explorerons les ramifications économiques, politiques et sociales du statut réservé aux groupes ethniques minoritaires ou indigènes. Nous verrons ce que la persécution des homosexuels peut enseigner sur l’état de la laïcité, le respect des normes constitutionnelles ou même l’influence des États occidentaux, de l’Union Africaine ou de l’ONU en Afrique.

Situation des Albinos en Afrique

La mutation génétique qui cause l’albinisme, étrangement, est l’une de celles qui permirent la colonisation de l’Europe par l’homme moderne, il y a 35.000 ans[1]. Sous le climat glacial de l’époque, faiblement éclairé, la peau noire de l’homo sapiens sapiens l’empêche de produire suffisamment de vitamine D, nécessaire à la minéralisation des os. L’altération de sa capacité à produire de la mélanine (qui pigmente la peau, des cheveux et des yeux, entre autres), « évolution » qui se fera sur 10.000 ans lui permit de s’adapter à cette région – et explique aujourd’hui, une grande partie de la différence phototypique de l’humanité. Dans le même temps, La mélanine aide à protéger des rayons ultraviolets. Son absence expose à des complications médicales graves : photophobie, baisse de l'acuité visuelle, myopie incorrigible par des lunettes, hypopigmentation de la rétine et de l'iris, nystagmus pathologique (mouvements spontanés et involontaires des yeux) et risques accrus de cancers cutanés[2].

L’incapacité à produire de la mélanine (définition simplifiée de l’albinisme) fut une bénédiction pour l’homo sapiens sapiens lors de la conquête de l’Europe. Aujourd’hui encore, dans les pays occidentaux, les personnes souffrant d’albinisme peuvent bénéficier des soins et de l’attention médicale nécessaires et mener des vies relativement ordinaires – l’espérance de vie des Albinos en Occident est sensiblement égale à celle du reste de la population. Tel n’est pas le cas en Afrique où aux ennuis médicaux s’ajoutent préjugés, croyances archaïques et danger de mort.

Entre 2007 et 2009, une soixantaine d’albinos ont été exécutés et démembrés au Burundi et au Kenya. Ces homicides ont poussé plus de 10.000 Tanzaniens, Kenyans et Burundais souffrant d’albinisme à abandonner leurs villages pour se réfugier en zones urbaines ou vivre en cachette[3]. L’origine de ces persécutions est aussi simple que sordide : des croyances traditionnelles attribuent des vertus magiques au sang et aux organes des albinos, intégrés à des décoctions et potions rituelles, ils permettraient de réussir en affaires, de gagner le cœur de l’être aimé, voire… de remporter des élections. On évaluerait ainsi, en Tanzanie, à 1000 dollars, une main d’albinos, un corps entièrement démembré et revendu pouvant rapporter jusqu’à 75.000 dollars[4]

La tentation est forte d’arrêter l’analyse au caractère abject et proprement horrifiant de ces actes. Il est nécessaire pourtant de l’élargir, d’abord à la question de « l’altérité », de sa compréhension et de son acceptation en Afrique, ensuite à la dimension marchande que ces croyances acquièrent dans certains pays, et enfin au problème plus général que pose la persistance de croyances animistes en Afrique contemporaine (« voleurs de sexe », « maris de nuit », sorcellerie, etc.).

Même lorsqu’il n’est pas aussi tragique que dans les cas évoqués plus haut, le sort des Albinos est loin d’être enviable. Le rejet par son père, à sa naissance, du chanteur Malien Salif Kéita est emblématique de la situation de nombre d’albinos Africains, souvent marginalisés, élevés dans la plupart des cas par des mères seules, soupçonnées, comme toujours, d’être à l’origine de cette « anomalie[5] », pauvres, n’ayant pas accès au suivi médical indispensable vu leur vulnérabilité et n’ayant pas pu bénéficier d’une scolarisation même élémentaire. Au fardeau de la maladie s’ajoute celui de la discrimination sociale. L’altérité n’est pas comprise, ni acceptée. Les Albinos ne sont «ni Blancs ni Noirs », ils ne sont pas « reconnus » : ils sont rejetés. À un problème de santé publique – la nécessaire prise en charge médicale des complications dues à l’albinisme – s’ajoute une crise d’éducation « à l’autre » – d’éducation tout court.

Le cas des minorités albinos questionne également la mansuétude teintée de condescendance envers l’inconcevable persistance de croyances, rites et pratiques animistes en Afrique subsaharienne au XXIe siècle. Si les lynchages sporadiques de soi-disant « rétrécisseurs de sexe[6] » n’ont pas suffi à alerter les autorités publiques en Afrique, sur la nécessité de mettre en place des programmes de sensibilisation à grande échelle sur l’inanité et la dangerosité de telle croyance, peut-être que les massacres d’Albinos en Afrique de l’Est les en convaincront. Ceci est d’autant plus urgent que l’animisme s’adapte et évolue. Ainsi, la pandémie du VIH/Sida a fait naître une nouvelle croyance au Zimbabwe : avoir des rapports sexuels avec une femme souffrant d’albinisme guérirait de la maladie[7]

La monétarisation et la marchandisation de ces croyances est certainement l’un des aspects les plus étonnants et effarants des exactions commises contre les Albinos en Afrique de l’Est. La prégnance de superstitions archaïques sur les populations de ces pays, le difficile rapport à l’altérité ont certainement servi de terreau à la transformation de « simples » préjugés animistes en folie meurtrière. L’appât du gain a fait le reste, parfois, aux limites de l’imaginable. Des cas d’enfants Albinos vendus par leurs parents, livrés par ceux-ci à une mort certaine et ignominieuse ont été reportés. La pauvreté n’explique pas tout mais lorsque certaines conditions sont réunies, elle peut mener à tout.

Comme souvent confrontés à des problématiques complexes quoique pressantes, les responsables politiques choisissent la solution la plus sommaire. Ainsi, la réponse trouvée à cette barbarie est une autre barbarie : le gouvernement Tanzanien punit les attaques contre les albinos par… la peine de mort.

Joël Té Léssia



[5] Alors que l’albinisme est dû à des mutations génétiques récessives, c'est-à-dire qu’il faut que les deux parents soient porteurs du gène malade pour qu'il y ait une possibilité -une chance sur quatre en fait- que l'enfant soit albinos.

[6] Ce trouble psychologique caractérisé par la conviction ou la sensation que le pénis est en train de se rétracter dans l’abdomen, connu sous le nom de « Koro » (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21511718 )  n’est pas spécifique aux Africains. Il a été d’abord identifié et étudié en Chine.

Omar El Mokhtar, le Lion du désert

S’il existe une figure majeure dans l’Histoire mouvementée de la Libye, c’est bien Omar El Mokhtar, leader de la résistance anticoloniale. Il constitue dans son pays le héros et le martyr d’une époque fondatrice, alors que son parcours et sa personnalité restent une référence pour l’ensemble du monde arabo-musulman. Si Mouammar Kadhafi y a souvent fait référence, les opposants à son régime  n’hésitent pas aujourd’hui à brandir les portraits d’Omar El Mokhtar comme un symbole de leur liberté à reconquérir.

Les premières batailles

Omar El Mokhtar est né vers 1861 dans le village de Janzour en Cyrénaïque, dans l’Est de la Libye. Ayant grandi dans un milieu tribal, il reçoit une éducation religieuse auprès des maîtres soufis de sa région qui appartiennent à la puissante et influente confrérie Senoussie. Alors que son père disparait lors d’un pèlerinage à la Mecque, il est adopté par un cheikh de la confrérie et en fréquente les mosquées et les écoles.

Omar El Mokhtar progresse rapidement au sein des Senoussis, parmi lesquels il est particulièrement reconnu pour son humilité et ses aptitudes oratoires et dirigeantes. Le chef des Senousis à l’époque, Cheikh El Mahdi El Senoussi aurait même déclaré à son égard que « si nous en avions dix comme Omar El Mokhtar, cela nous aurait suffit ». Il fut alors désigné comme cheikh d’une zawiya (« monastère » soufi), partageant avec les habitants de la région ses connaissances religieuses et s’efforçant de  régler les fréquentes querelles tribales. Parallèlement, il démontre de grandes aptitudes militaires lorsqu’il est envoyé avec un groupe de Senoussis en 1899, pour combattre l’armée Française au Tchad et assister le souverain local Rabih az-Zubayr. Dés cet époque, son courage est légendaire : son surnom de « Lion du désert » lui aurait d’ailleurs été donné quelques années plus tôt lors d’un voyage vers le Soudan durant lequel il réussit à tuer à lui seul un lion qui terrorisait les caravanes passant dans les parages.

La Libye est alors le dernier territoire de la région à ne pas être colonisé par les Européens: l’Algérie et la Tunisie voisines sont passées depuis plusieurs décennies sous la domination de la France alors que l’Égypte est entre les mains des Anglais. La Libye reste le dernier bastion Ottoman en Afrique du Nord, et ce jusqu’en 1911, date à laquelle les Italiens s’engagent dans la conquête d’une terre qui leur parait être une proie facile et  espérant ainsi s’étendre et « rattraper » leur arrivée tardive dans la course coloniale. 

Un corps expéditionnaire de 20 000 hommes est débarqué, faisant face à une garnison turque de quelques milliers d’hommes seulement (dont faisait partie Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne). C’était sans compter sur la détermination de la garnison et la mobilité des bédouins qui s’y rallièrent, infligeant une série de revers qui obligea les Italiens à quintupler leur corps expéditionnaire et à engager des négociations avec l’Empire Ottoman, lui accordant des contreparties territoriales en Méditerranée pour renoncer à sa souveraineté sur la Libye.

La Libye devient officiellement une colonie Italienne, mais ne sera jamais pacifiée pour autant. En effet, les tribus locales poursuivent leur résistance de manière quasi-ininterrompue et adoptent des techniques de guérillas auxquelles les Italiens ont du mal à faire face. Ces derniers contrôlent le littoral, qu’ils occupent et dont ils s’approprient les terres. Mais l’arrière pays désertique et la région montagneuse et boisée du Djebel Akhdar à l’Est servent de refuge à Omar Mukhtar et ses hommes. Ceux-ci utilisent leur excellente connaissance de la géographie locale et leur mobilité pour harceler les troupes italiennes, tendre des embuscades, attaquer des postes isolés et couper les lignes de ravitaillement. Omar Mukhtar, qui n’était qu’un simple enseignant dans une école coranique avant l’invasion Italienne, s’avère un excellent tacticien dans la guérilla du désert et enregistre des succès qui étonnent et exaspèrent les Italiens.

Le combat contre les Fascistes

L’arrivée au pouvoir des Fascistes en Italie complique davantage le conflit en Libye. Mussolini entend éteindre à tout prix cette « rébellion de bédouins » qui tient en échec l’armée Italienne depuis plusieurs années et qui limite ses projets expansionnistes en Afrique. Les Italiens tentent d’abord d’acheter la paix en proposant une pension conséquente et des terres aux principaux meneurs du mouvement de résistance. Alors que le chef de la confrérie Senoussie accepte de signer un accord avec les Italiens, Omar El Mokhtar refuse catégoriquement de déposer les armes en invoquant que la lutte armé est un devoir religieux. Contrairement aux calculs peu scrupuleux des gouverneurs Italiens, le mouvement ne faiblit pas.

Mussolini décide alors d’employer la manière forte et d’envoyer des généraux aux méthodes radicales pour mater la résistance. Les Italiens se concentrèrent sur les ravitaillements pour affaiblir un ennemi insaisissable, en déployant des barbelés aux frontières (notamment avec l’Egypte) et en employant des moyens de terreur pour dissuader la population d’aider les hommes d’Omar el Mokhtar.

En particulier, le Général Graziani s’employa à regrouper la population dans de véritables camps de concentration dans lesquels périrent des Libyens par milliers à cause du manque de vivres ou de maladie. Des exécutions sommaires « pour l’exemple » sont fréquentes, les récoltes et certains villages sont brulés afin d’intimider les tribus qui chercheraient à se rallier à la résistance. L’armée Italienne emploie également des moyens militaires lourds, notamment l’aviation et les blindés (qu’elle sera la première à employer dans le désert). Enfin, la conquête de plusieurs oasis dans le sud (notamment Koufra en janvier 1931) infligea de sérieuses difficultés à Omar el Mokhtar, dont l’armée manque cruellement de vivres et de munitions.

En septembre 1931, après prés de deux décennies de résistance, Graziani parvient enfin à capturer son adversaire Omar el Mokhtar au cours d’une embuscade dont ce dernier est le seul survivant. Le vieux cheikh (il a alors environ 70 ans) est rapidement transféré à Benghazi et jugé dans les jours qui suivirent. Après un procès qui dura à peine une heure, il fut condamné à mort par pendaison, et exécuté dés le lendemain matin devant plusieurs milliers de personnes. Il déclara juste avant sa mort : « Ma vie sera plus longue que celle de ceux qui me pendent ».

Omar el Mokhtar deviendra ainsi la figure centrale de la Libye indépendante, et continue d’être célébré comme un héros de la lutte anticoloniale par les nouvelles générations. Un film intitulé « Le Lion du désert » lui a même été dédié, avec Anthony Queens dans le rôle d’Omar el Mokhtar et Oliver Reed dans celui du Général Graziani, et est devenu un chef d’œuvre du cinéma.

Nacim KAID SLIMANE

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