Y-a-t-il une malédiction des terres fertiles en Afrique ?

Congo20112-058-lower-res.forest.river.568Il a été observé que les pays dotés de ressources naturelles sont les plus pauvres, les moins industrialisés et les plus politiquement instables. Les résultats de recherches pointent du doigt l’absence de bonne gouvernance comme la principale cause de cette « malédiction des ressources naturelles ».[1] Alors que ce phénomène a été largement examiné à l’échelle des pays, il semble qu’un phénomène similaire, peut être plus significatif, se déroule à l’échelle des localités de plusieurs pays et peut contribuer à un niveau élevé de pauvreté à l’échelle nationale. Il s’agit d’un paradoxe sur le lien entre la fertilité du sol d’une localité et la proportion de pauvres qui y vivent. C’est ce paradoxe que met en évidence et explique une récente étude du professeur Léonard Wantchékon.[2]

En effet, à partir de données collectées à l’échelle infranationale dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Ghana, Mali, Burkina-Faso et Sénégal), cette étude montre qu’il existe une corrélation positive entre incidence de la pauvreté et qualité du sol. Autrement dit, ce sont dans les localités où la qualité du sol est très bonne que l’on retrouve les plus fortes proportions de pauvres.[3] Cette relation n’est pas spécifique à un pays dans la mesure où elle est confirmée pour l’ensemble des cinq pays étudiés. Pourtant, l’on s’attendrait plutôt à observer une plus faible proportion de pauvres dans les localités où la qualité du sol est meilleure, toute chose égale par ailleurs.

Pour expliquer ce paradoxe, le professeur montre que ce sont aussi les localités où la qualité du sol est meilleure qui sont moins desservies par les infrastructures de transport dont les pistes rurales. Ce manque d’infrastructures de transport ne favorise pas la mise en valeur de leurs potentialités agricoles. En dépit d’une meilleure qualité de sol, l’absence de pistes rurales empêche les populations d’écouler leurs productions agricoles vers les marchés. A termes, cela décourage l’intensification de la production laissant place à une agriculture de subsistance. En l’absence des machines agricoles nécessaires à l’intensification agricole, l’exode des jeunes vers la ville vient entraîner la chute du rendement des terres agricoles.

Cette relation négative entre infrastructures rurales et qualité du sol trouve son explication dans la marginalisation politique des populations rurales de façon générale et en particulier de celles qui vivent dans des localités où la qualité du sol est très bonne. C’est ce que montre l’étude de Blimpo et al. (2013) selon laquelle, les localités où vivent les populations les plus marginalisées politiquement bénéficient de peu d’infrastructures routières.

La raison en est que face à des ressources financières limitées, le politicien cherche à maximiser le gain électoral de ses décisions en construisant des infrastructures routières dans les zones où la population est plus consciente de ses droits politiques. Ainsi, le faible niveau d’éducation des populations dans les localités où la qualité du sol est très bonne est à l’origine de leur marginalisation politique. Ce qui conduit donc le politicien à privilégier la construction d’infrastructures dans les localités où les populations sont plus conscientes de leurs droits politiques. Or ce sont justement dans les localités ayant une bonne qualité de sol que les niveaux d’éducation sont les plus bas.

Par conséquent, un moyen efficace de réduire la pauvreté en milieu rural consisterait à accroître l’offre d’éducation de qualité dans les localités où la qualité du sol est meilleure. Cela leur permettrait de réclamer davantage de biens publics, dont les infrastructures de transport, nécessaire à l’amélioration de leurs conditions de vie. Une telle appropriation des droits politiques par les populations de ces localités imposerait davantage de contraintes aux politiciens dans leur décision d’allocation des infrastructures routières dans les zones rurales. La construction des pistes de desserte rurales augmentera les débouchés aux produits agricoles issus de ces localités et par ricochet le niveau de vie des populations qui y vivent. Dans la mesure où ce sont les zones rurales qui abritent le plus grand nombre de pauvres dans la plupart des pays Africains, de telles mesures de politiques publiques pourraient avoir un impact significatif sur la réduction de la pauvreté à l’échelle nationale.[4]

Ainsi, il ne s’agit pas simplement d’augmenter l’offre d’infrastructures pour réduire la pauvreté ; mais le ciblage des zones bénéficiaires de ces infrastructures importe beaucoup. Dans le cas des pays étudiés, ce sont notamment les localités où la qualité du sol est très bonne qu’il faut cibler. Mais sachant que le politicien n’a aucun intérêt à investir dans ces zones, il faut veiller à accroître l’offre d’éducation de qualité précisément dans les localités ayant des sols de bonne qualité. Cela devrait à termes contraindre le politicien à construire des infrastructures routières dans ces localités, leur permettant ainsi de mettre en valeur leurs potentialités agricoles.

Les résultats utilisés dans cet article ont permis d’identifier l’éducation comme source du paradoxe entre qualité du sol et pauvreté en Afrique. Cette « malédiction des terres fertiles » n’est pas une fatalité dans la mesure où elle s’explique par la marginalisation politique et le manque d’infrastructures de transport dans les localités ayant des sols de bonne qualité. Cependant, la validité du lien entre marginalisation politique et pauvreté reste à confirmer par davantage d’études similaires, car le sens de la causalité allant de la qualité du sol à la pauvreté, en dépit de sa logique, n’est pas rigoureusement établie. Si cette chaîne de causalité était vraie, il serait intéressant de savoir si la même problématique se pose aux autres types d’infrastructures telles que l’énergie, l’eau et l’assainissement.

Georges Vivien Houngbonon

 

Références :

Wantchékon L., Soil quality, infrastructures and poverty in Africa, presentation à la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique, Paris, 23 juin 2014.

Frankel J. 2010. The Natural Ressource Curse : A Survey. NBER Working Paper No. 15836

Moussa P. Blimpo & Robin Harding & Leonard Wantchekon, 2013. "Public Investment in Rural Infrastructure: Some Political Economy Considerations," Journal of African Economies, Centre for the Study of African Economies (CSAE), vol. 22(suppl_2), pages -ii83, August.


[1] Voir la revue de la littérature proposée par Jeffrey Frankel.

[2] Les résultats de cette étude ont été présentés par le professeur à la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris, le 23 juin 2014. L’auteur parle plus précisément de la qualité du sol.

[3] La qualité du sol est mesurée par l’indice proposé par la FAO.

 

 

[4] Voir perspectives économiques africaines.

Comment évaluer le caractère inclusif de la croissance en Afrique ?

illustration_inclusive_growthAu cours des dernières années, la croissance économique s’est accélérée en Afrique. Elle suscite cependant des interrogations quant à sa capacité à profiter à tous, c’est-à-dire d’être inclusive. Comment évaluer le caractère inclusif de la croissance ? Quels sont les déterminants de cette inclusivité ? C’est à ces questions que tente de répondre l’étude menée par le Think-Tank L’Afrique des Idées sur la croissance inclusive en Afrique. Les premiers résultats ont été présentés à la Conférence de l'Université des Nations Unies à Helsinki en Septembre 2013 et à la Conférence Annuelle de la Banque Mondiale sur l'Afrique à Paris en juin 2014. Télécharger le résumé analytique en cliquant sur le lien suivant: Etude Croissance Inclusive_Résumé Analytique_ADI. Une version Working Paper a été publiée par le World Institute of Delevelopment Economics Research de l'Université des Nations Unies (UNU-WIDER).

Conseiller Scientifique:

Denis Cogneau, Chercheur Associé à PSE-Ecole d'Economie de Paris

Equipe de recherche:

Georges Vivien HOUNGBONON, PhD Candidate, Paris School of Economics

Arthur Bauer, Graduate Student, Harvard Kennedy School of Government

Tite Yokossi, PhD Candidate, Massachussets Institute of Technology

Nathalie Ferrière, PhD Candidate, Paris School of Economics

Abdoulaye Ndiaye, PhD Candidate, Northwestern University

Clara Champagne, ENSAE-Paristech

Hedi Brahimi, Paris School of Economics

Jeanne Avril, ENSAE-Paristech 

Allô Allô ! Congo : Changer de Référence Sociale

atlantic_palace« Allô Allô » non pas en signe d’interjection ; mais parce que c’est l’appellation du téléphone portable au Congo ; comme pour rappeler qu’il n’a pas été inventé dans ce pays. Mais c’est aussi révélateur de la créativité actuelle dans ce pays de 4,5 millions d’habitants avec un PIB par habitant de 4500 dollars en PPA, plus que la moyenne africaine, et un taux de croissance moyen de 5% entre 2005 et 2013.[1] Pourtant, la moitié de la population vivait dans l’extrême pauvreté en 2011 selon les standards nationaux. Comment réconcilier les performances économiques de ce pays avec ses performances sociales ? De ce que j’ai pu observer, écouter et examiner durant les cinq jours de mon séjour à Pointe-Noire, j’en déduis que l’origine du « Paradoxe Congolais » trouve en partie son explication dans le sujet auquel se réfère chaque composante de la société.[2] Pour chacune de ces composantes, la référence, c’est l’autre, pour faire écho à la célèbre expression tirée de Jean-Paul Sartre.[3]

La référence, c’est l’autre pour l’Etat qui a maintenu le plan d’urbanisme colonial sous forme d’éventail dont la manche représente la ville, côtière très chère où vivent les quelques riches congolais avec les expatriés, et dont la feuille représente la cité, accessible par une autoroute principale, où vivent les plus pauvres. Il est vrai que la séparation entre les deux espaces imposée par l’administration coloniale n’est plus en vigueur ni d’actualité. Cependant, elle a été relayée par les forces économiques dans la mesure où le différentiel de prix des biens et services entre la ville et la cité sélectionne systématiquement la catégorie sociale des personnes pouvant vivre en ville. A titre d’exemple, le prix moyen d’un déjeuner en ville est de l’ordre de 8000 francs CFA, soit l’équivalent de 20 déjeuners à la Cité. Il en est de même pour le loyer. Pour couronner le tout, les pièces de monnaies sont rares en ville ; il faut donc tout payer en billets. A Pointe-Noire, l’Etat n’a pas encore modifié la structure sociale imposée par la colonisation. Ici, la référence, c’est l’institution laissée par l’ex-colonisateur.

La référence, c’est l’autre pour les quelques milliers de très riches congolais. Ils vivent dans la manche de l’éventail, en ville, dans de luxueuses et vastes villas, se déplacent dans les derniers modèles de voitures et font animer les boîtes de nuits où s’alignent les pauvres diables à la recherche de leurs loyers mensuels et de leur pain quotidien. Ces filles qui remplissent les boîtes de nuit de la ville viennent pour l’essentiel de la cité, prêtes à agrémenter les nuits de riches pétroliers et miniers en échange de quelques billets pour survivre le lendemain. C’est à eux, pour la plupart des expatriés, que se réfèrent les quelques riches congolais qui ont le privilège de vivre dans la ville à l’abri de la misère de la cité. Une cité dépourvue des infrastructures sanitaires de base dont l’odeur nauséabonde vous accueille au-delà du rond-point Lumumba. Il existe bien entendu des routes, des écoles, des hôpitaux ; mais tous sont dans un état de dégradation avancée. L’électricité est une denrée rare dans cette partie de Pointe-Noire. Tout cela en fait une cité oubliée dans l’obscurité, à la fois physique et spirituelle, offrant ainsi un terreau à la prolifération des sectes de toutes sortes.

La référence, c’est l’autre pour tous ces pauvres que compte le pays. C’est pour cela qu’ils ne disent mot en voyant des dizaines de milliers de congolais de Kinshasa expulsés vers leur pays d’origine. Pour eux, ce sont ces misérables qui sont à l’origine de leur malheur, parce que, disent-ils, ils viennent prendre leur travail. Pour eux, la référence en matière de réussite est bien la catégorie des riches de la ville, comme l’illustre toute la peine qu’ils se donnent pour s’habiller comme eux. Cependant, en matière d’échec, c’est plutôt l’étranger, qui pourtant ne vient pas de si loin, juste de « l’autre côté ».

mairie_brazzaEnfin, La référence, c’est l’autre pour l’ensemble de la population dans la mesure où l’essentiel, voire presque la totalité des produits consommés sont importés. Les chaînes de télévision nationales ne sont pas accessibles, en tout cas pas en ville et en particulier dans les hôtels et restaurants. Tout se passe comme si chacun vivait dans son référentiel sans être soumis au reflet de ce que sont les autres. L’Etat ne se préoccupe pas en premier lieu des plus pauvres ;  il se réfère d’abord aux plus fortunés. Cela se comprend parfaitement dans un pays où 65% du PIB est généré par l’exploitation du pétrole.[4] Il faut d’abord construire des ports, des aéroports et des routes pour mieux accueillir les investisseurs dans le pétrole et les mines. Dans une certaine mesure, ces investissements peuvent aussi bénéficier aux plus pauvres, mais ce n’est généralement pas le cas tout simplement parce qu’ils n’ont pas été faits à ce dessein. En ce qui concerne les plus fortunés, ils ne se réfèrent qu’à la vie à l’européenne ou à l’américaine. Leur localisation géographique et ce qui se projettent sur leur écran de télévision ne leur renvoie pas toujours l’image de leurs concitoyens qui vivent dans le dénuement total. Ces derniers, quant à eux, nourrissent l’envie de ressembler à ceux qui les oublient et d’avoir du ressentiment envers ceux qui viennent de « l’autre côté » pour prendre leurs emplois.

Ce tableau décrit étrangement la pièce de théâtre Huis clos de Sartre, sauf qu’ici les personnages ne ressentent, ni ne perçoivent leur vie au travers les autres qui font partie du tout, en l’absence du bourreau. Au contraire, chacun choisit une référence extérieure qui ne reflète pas toujours l’image de l’autre qui fait partie du tout. C’est pour cela que le Congo a besoin de changer de référence. Il faudra donner à chacun l’occasion de percevoir sa vie au travers de l’autre pour garantir la paix sociale ; autrement la répression non pas que policière mais aussi à travers l’image qui est actuellement en vigueur n’est pas soutenable. Il faudra que l’Etat voie son existence à travers la vie de toutes les composantes de la société, des plus fortunés aux plus pauvres. Il faudra que les plus riches aient l’occasion de considérer la vie de leurs concitoyens, ne serait-ce qu’à travers la télévision. Enfin, il faudra que les plus pauvres regardent en face et perçoivent leur vie à travers l’Etat et leurs plus riches concitoyens afin de les inciter à accorder plus d’attention à leurs conditions de vie.

En dépit de ce tableau peu reluisant, tout n’est pas noir à Pointe-Noire, et plus généralement au Congo. Après tout, c’est bien de Pointe-Noire que vient Vérone Mankou, concepteur de la première tablette tactile africaine. C’est du Congo que viennent ces innombrables inventeurs et entrepreneurs dynamiques de tous âges que j’ai rencontrés lors du Forum International sur le Green Business. C’est aussi bien au Congo qu’est née l’initiative de promouvoir l’économie verte ; conduite par la Chambre de Commerce locale et soutenue par le Gouvernement Congolais.

A mon avis, le Congo est l’exemple type de ces pays qui disposent des moyens pour se développer mais qui ne le font pas à cause de leur structure sociale, de la distribution du pouvoir et des sujets auxquels se réfère chaque composante de la société. Depuis Pointe-Noire, on aperçoit l’acuité de la question de la référence sociale qui se pose à l’ensemble du pays. Nonobstant, Pointe-Noire est une ville où il fait bon vivre tant qu’on en a les moyens. Faites-y un tour, il se peut qu’elle vous retienne au moins pour la plus sublime de toutes les raisons.

Georges Vivien Houngbonon

 

 


[1] Chiffres fournis par le African Economic Outlook, 2013.

 

[2] Ainsi, mes conclusions ne s’appliquent pas nécessairement à l’ensemble du pays. Cependant, en tant que capitale économique, Pointe-Noire rassemble l’essentiel des sensibilités du pays, vu à travers la vie quotidienne de personnes dont la motivation première est mue par la nécessité d’échanger des biens et services.

 

[3] Jean-Paul Sartre, Huis Clos, 1947, Gallimard.

 

[4] Chiffres fournis par le African Economic Outlook, 2013.

 

Que savons-nous sur l’économie verte en Afrique ?

Synthèse de nos publications sur le thème du forum green business

couverture 8A partir de la définition donnée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’économie verte se caractérise par des activités de production et de consommation impliquant un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Pour adapter cette définition très générale au contexte africain, (Kempf 2014) a réalisé une quinzaine d’entretiens auprès d’entrepreneurs locaux au Congo Brazzaville. Ces entrepreneurs sont actifs dans les domaines de la transformation agro-alimentaire, de la gestion des déchets, de l’eau et de la santé.

De ces entretiens, il ressort que les entreprises « vertes » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation (CCC) et des modes de production plus intégrés. Comme le montre l’analyse de (Libog, Lemogo, and Halawa 2013), l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement et le développement des économies régionales et sous-régionales.

Lorsqu’on considère les activités menées par les entrepreneurs « verts », nos analyses montrent qu’il existe de réelles opportunités à saisir dans l’émergence de l’économie verte en Afrique ; en particulier dans l’agriculture biologique et la gestion des déchets.

En effet, selon l’analyse de (Houngbonon 2014), l’Afrique dispose d’énormes atouts dans la production des produits d’agriculture biologique compte tenu de la qualité de ses terres agricoles et de leur disponibilité. Plus spécifiquement, le faible développement de l’agriculture intensive en Afrique implique une faible utilisation des pesticides, ce qui rend les terres agricoles africaines plus appropriées à l’agriculture biologique. De plus, le continent dispose encore d’énormes superficies de terres agricoles non encore exploitées. Par exemple, en 2010, seulement 40% des terres agricoles en Afrique sont cultivées ; cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale. Se basant sur ces atouts, il recommande de former les paysans africains à l’agro-écologie et de mettre en place des normes de certification équivalentes aux standards européens et américains.

Dans ces conditions, l’agriculture biologique pourra nourrir l’Afrique à sa faim selon (Morghad 2012). A partir d’une expérience menée en Ethiopie et citée dans une étude de l’Institut du Développement Durable, l’auteure explique comment l’agriculture biologique a permis d’améliorer les rendements agricoles dans une région souffrant de sécheresse et de la désertification. Toutefois, ce rôle clé de l’agriculture biologique risque d’être compromis par les accords de partenariats économiques en cours de signature par la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne comme l’a souligné (Halawa 2014)  dans un article sur le sujet. En effet, à partir des résultats de plusieurs études, il relève l’impact négatif que peuvent avoir ces accords sur la diversification des économies africaines et en particulier sur l’agriculture biologique.

Ainsi, la promotion de l’agriculture biologique requiert une réponse globale alliant à la fois l’accès au financement, la formation des agriculteurs, la mise en place des normes de certification et la négociation d’accord commerciaux qui placent l’agriculture biologique au cœur de ses préoccupations.

Quant à la gestion des déchets, (Kempf 2012) se base sur un rapport de la Banque Mondiale qui montre qu’en 2005, l’Afrique ne représentait que 5% de la production mondiale de déchets. Plus de la moitié (57%) de sa production est constituée de déchets organiques, donc valorisables sans trop de difficultés. Bien entendu, la part de l’Afrique dans la production mondiale de déchets est amenée à augmenter avec la croissance économique et démographique ; il en va de même pour la composition des déchets qui deviendra plus complexe. Cette évolution transforme les déchets en  formidable opportunité d’affaires pour les entrepreneurs souhaitant s’engager dans l’économie verte. Cependant, à partir d’entretiens réalisés auprès d’entrepreneurs du secteur, (Kempf 2013) rapporte que la faible structuration de la filière des déchets, et en particulier le peu d’opportunités de valorisation, demeurent l’une des principales difficultés pour relever le défi des déchets africains.

De même, (Madou 2014) montre qu’à Abidjan, la gestion des déchets souffre d’un manque d’efficacité dans l’organisation du secteur. Typiquement, la persistance du secteur informel, le manque de matériel adapté et de formation du personnel, la gestion des décharges publiques sont à l’origine de cette absence d’efficacité. Un développement de l’activité de gestion des déchets passera donc par la revalorisation du service auprès des ménages, le recyclage des déchets, la formation du personnel et une plus forte implication de l’Etat dans l’organisation du secteur, en particulier dans la gestion des décharges publiques. Les PME restent cependant des acteurs clés pour le développement du secteur et son efficacité.

L’émergence d’une économie verte ne saurait enfin se faire sans un accès à l’énergie pour tous, en particulier en milieu rural. Cela est d’autant plus crucial lorsqu’on sait que plus 95% de la population rurale n’a pas accès à l’énergie dans plusieurs pays africains, comme le Bénin, Madagascar, le Niger et la Zambie,  alors même que le développement d’activités nécessitant de l’énergie telles que l’agriculture biologique auraient un très fort impact en milieu rural. La principale raison identifiée par le Club des agences et structures en charge de l’électrification rurale est la difficulté d’accès au financement. Comme l’a souligné (Sinsin 2014), celle-ci est liée à la faible densité de la population dans les zones rurales qui ne favorise pas la rentabilité d’une extension du réseau électrique dans ces zones. A partir de projets tels que l’Expérience EDF, le GERES au Bénin et UpEnergy en Ouganda, Africa Express recommande une formation professionnelle adaptée et une sensibilisation des populations à l’échelle locale, une promotion des énergies locales décentralisées sur toute la filière à l’échelle régionale et enfin une mise en place de législation appropriée à l’échelle nationale pour inciter le secteur privé à investir dans les énergies renouvelables.

En définitive, l’économie verte peut être considérée comme une application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle présente d’énormes atouts pour l’Afrique et en particulier pour l’Afrique Centrale,  que ce soit dans le domaine de l’agriculture biologique ou de la gestion des déchets. Elle a besoin d’être soutenue par un accès accru aux énergies renouvelables.

Nous en savons actuellement trop peu sur les politiques les plus efficaces à mettre en place pour soutenir l’émergence d’une économie verte en Afrique. Sur ce sujet, L’Afrique des Idées souhaite engager des études plus approfondies pour accompagner les décideurs publics à identifier les réponses les plus appropriées à l’émergence d’une économie verte en Afrique, et en particulier en Afrique Centrale.

 

Georges-Vivien HOUNGBONON

Références :

Halawa, Djamal. 2014. “Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?” L’Afrique Des Idées.

Houngbonon, Georges Vivien. 2014. “L’Afrique peut-elle bénéficier de L’agriculture biologique ?” L’Afrique Des Idées.

Kempf, Véra. 2012. “Comment l’Afrique gère-t-elle ses déchets?” L’Afrique Des Idées.

———. 2013. “Comment mettre en valeur les déchets au Congo?” L’Afrique Des Idées.

———. 2014. “Economie Verte, de quoi parle-t-on ?” L’Afrique Des Idées.

Libog, Charlotte, Jerry Lemogo, and Djamal Halawa. 2013. “Les Circuits Courts de Commercialisation.” L’Afrique Des Idées.

Madou, Stéphane. 2014. “Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?” L’Afrique Des Idées.

Morghad, Leïla. 2012. “L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim?” L’Afrique Des Idées.

Sinsin, Leonide Michael. 2014. “Quels financements pour l’accès à l’énergie en milieu rural?” L’Afrique Des Idées.

Vers des institutions plus inclusives en Afrique

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Dans cette partie, nous examinons le cas particulier de l’Afrique. Quel bilan peut-on faire de l’évolution des institutions Africaines ? Comment l’Afrique peut-elle utiliser cette nouvelle grille de lecture proposée par Acemoglu et Robinson ?

Les institutions n’ont pas toujours été extractives en Afrique

Historiquement, Acemoglu et Robinson nous apprennent que l’esclavage a été un choc négatif sur les institutions Africaines dans la mesure où la capture et la vente généralisée des sujets ou des prisonniers de guerre a considérablement affaiblie la confiance entre les sujets et détruit la qualité des institutions. Suite à l’abolition de l’esclavage dans les pays plus développés, la colonisation a pris le relais cette fois-ci sur place à travers les travaux forcés auxquels collaboraient les chefs locaux en contrepartie du maintien de leur statut. Ainsi, les institutions ont été perverties là où elles étaient inclusives et aggravées dans les cas où elles étaient déjà extractives. Après les indépendances, ces mêmes institutions extractives ont été perpétuées dans la plupart des nouveaux Etats indépendants.[1]

Le cas des sociétés nationales de promotion agricole illustre bien la persistance d’institutions économiques extractives en Afrique.[2] Ces sociétés (anciennement bureau agricole) servaient à l’administration coloniale de jouer l’intermédiaire entre les agriculteurs et les acheteurs de produits agricoles sur les marchés internationaux. En tant que seul acheteur de la production, le Bureau agricole pouvait fixer le prix d’achat indépendamment de la demande et généralement à un niveau largement plus bas que le prix de revente sur les marchés internationaux. Selon Acemoglu et Robinson, cette extorsion s’est même amplifiée après les indépendances dans certains pays Africains comme la Sierra-Leone. Dans ces conditions, les agriculteurs n’ont aucun intérêt à augmenter la productivité agricole, dans la mesure où les profits additionnels générés sont systématiquement extorqués par les sociétés de promotion agricole.

Aujourd’hui, quelle est la qualité des institutions en Afrique ?

Lorsqu’on observe le tableau synthétique du modèle de Acemoglu et Robinson, ce qui nous intéresse est de savoir la case dans laquelle se trouve(ra) l’Afrique.

Sans titre
Source : Extrait de la presentation de Acemoglu et Robinson

Cela dépend évidemment des pays. De façon générale, la réponse à cette question nécessite d’évaluer l’ampleur des potentielles barrières économiques et politiques qui entravent l’effectivité des institutions inclusives sur le continent.

Sur le plan économique, il s’agit notamment de suivre l’évolution de la concurrence, des barrières à l’entrée dans les secteurs régulés, des licences requises pour l’exercice de certaines activités économiques. En complément à ces différents facteurs, il serait intéressant de mesurer l’inclusivité de la croissance économique ; c’est-à-dire la part de population qui bénéficie de la croissance économique, soit en y participant directement ou en bénéficiant des politiques de redistribution.

Sur le plan politique, il y a lieu de savoir dans quelle mesure les différents groupes d’intérêts de la société africaine participent effectivement à la prise des décisions politiques. En particulier la prise en compte des différents intérêts lors des changements de constitution importe beaucoup dans l’évaluation de l’inclusivité des institutions politiques africaines.

Actuellement nous disposons de très peu d’informations pour faire une telle évaluation. D’un point de vue quantitatif, l’idéal serait d’avoir un indicateur de développement inclusif à deux composantes : un indice de croissance inclusive et un indice de démocratie inclusive.

D’un point de vue qualitatif, les vagues de démocratisation du pouvoir politique observée à travers la tenue régulière d’élections, quoique souvent contestées, la baisse de la violence et des conflits armés suggèrent une légère amélioration des institutions politiques. De plus, les vagues de manifestations, voire de révolutions qui secouent de temps à autre les régimes politiques africains sont aussi des signes de vitalité des institutions politiques. A cela s’ajoute l’émergence et l’adoption des nouvelles technologies de communication et d’énergie sur le continent. Tous ces facteurs semblent indiquer un dynamisme de l’Afrique vers des institutions économiques et politiques plus inclusives.

Une question reste posée : l’émergence des institutions inclusives est-elle indépendante de la constitution des hommes qui composent la société ? Le modèle d’Acemoglu et Robinson ne nous dit rien sur la façon dont émerge des institutions inclusives. Dans la mesure où les institutions émanent des hommes, il nous semble que leur constitution dans la cellule sociologique la plus réduite qu’est la famille et dans la cellule sociologique la plus vaste qu’est la société détermine leur contribution à l’édification d’une société stable qui promet l’épanouissement de tous, sans aucune exception, ni discrimination. Cela sous-entend que la structure de la famille, de même que l’organisation de l’éducation peuvent être des facteurs déterminants pour l’émergence d’institutions inclusives. Ce sont là des pistes de réflexions à mener dans de prochains articles.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Nous reconnaissons le besoin de faire un travail fouillé sur les sociétés africaines qui avait des institutions inclusives avant l’esclavage et la colonisation.

 

 

[2] L’argument classique en faveur de ces sociétés est celui de l’assurance qu’elles procurent aux agriculteurs contre la volatilité du cours mondial des matières premières.

 

 

Sortir du sous-développement: le rôle des institutions

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Grâce à leur modèle de réflexion, il est possible d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement.

Les forces qui permettent de briser le cercle vicieux du sous-développement

Historiquement, seuls les phénomènes naturels, les révolutions politiques et les ruptures économiques (innovation exogène) ont été en mesure de briser le cercle vicieux du sous-développement résultant de l’absence ou de la faiblesse des institutions.

Curieusement, les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre, les inondations ou les pandémies sont de puissantes forces redistributives des pouvoirs politiques et économiques. Cependant, en tant que phénomènes naturels, elles ne conduisent pas toujours à une meilleure redistribution des pouvoirs. Par exemple, les personnes qui sont initialement plus pauvres (économiquement et politiquement) peuvent aussi habiter les régions sismiques, inondables, comme dans des environnements plus favorables aux épidémies. Le tremblement de terre en Haïti ou le Tsunami de 2004 en Indonésie sont des exemples de catastrophes naturelles susceptibles de modifier durablement la distribution des pouvoirs dans la société et de repartir sur des bases nouvelles. Toutefois, elles ne sont pas souhaitables pour « redistribuer les cartes » au sein d’une société, compte tenu de leur neutralité par rapport aux conditions initiales.

Aujourd’hui, les révolutions politiques constituent les moyens les plus courants de renversement de l’ordre existant. Le « printemps arabe » illustre bien ce moyen d’action. D’un point de vue historique, la Révolution Glorieuse en Angleterre (1688-1689), dans la forme pacifique, et la Révolution Française (1789), dans la forme violente, sont des exemples de révolutions qui ont durablement changé la distribution du pouvoir politique et économique dans ces pays. A l’issue de ces révolutions, généralement conduites par la multitude défavorisée, les institutions politiques sont devenues plus inclusives du fait de son implication le processus de décision. De même, elles ont été à l’origine d’une révision des rapports sur le marché du travail (abolition de l’esclavage, revalorisation des salaires, mise en place de cadre de négociations appropriés des salaires, amélioration de l’accès à la santé et à l’éducation pour tous, etc.).

En plus de la révolution politique, les ruptures dans les échanges économiques comme la révolution industrielle, la découverte des Amériques et l’explosion du commerce international qui en a découlé, sont aussi de puissantes forces susceptibles de déclencher le cercle vertueux du développement à travers la modification des institutions économiques. Plus spécifiquement, ces ruptures redistribuent le pouvoir économique grâce à l’enrichissement de nouveaux entrepreneurs. Ces derniers profitent des nouvelles idées, des nouvelles technologies pour fructifier des opportunités d’affaires et s’engager dans le processus de création de la richesse.

Pourquoi les révolutions politiques et économiques échouent ?

Si chacune de ces trois forces peuvent ouvrir des fenêtres d’opportunités sur le développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ont besoin d’être déployées dans des conditions minimales afin de garantir un développement durable.[1] Idéalement, les résultats sont plus significatifs et durables lorsque les révolutions politiques se produisent dans un contexte de révolution industrielle ou plus généralement d’innovation. Par exemple, selon Acemoglu et Robinson, la prospérité durable de l’Angleterre et de la France est liée à l’occurrence presque simultanée de révolutions politiques et économiques. La Révolution Glorieuse a permis de limiter les pouvoirs de la monarchie britannique alors que l’essor du commerce international grâce à l’esclavage et à la découverte des Amériques a créé de nouveaux riches réclamant davantage de libertés.

La présence d’institutions extractives, est à la base de l’échec des révolutions politiques et économiques, dans la mesure où leurs retombés ne sont pas utilisés pour préparer une prochaine vague d’innovation (révolutions politique et économique). Tel que documenté par Acemoglu et Robinson, le déclin des empires Aztec et Inca en Amérique du Sud, de l’Egypte Antique, de l’empire Kongo, et même de l’ex-Union Soviétique est en partie expliqué par l’occurrence d’une innovation économique dans un contexte d’institutions extractives. Malgré que ces empires fussent initialement prospères, la propriété privée n’y était pas garantie, encore moins les libertés politiques. Ainsi, les incitations à innover étaient plus faibles, créant ainsi un retard technologique sur les autres pays du monde.

Le cas de l’ex-Union Soviétique illustre bien comment l’introduction des nouvelles technologies dans une économie extractive peut générer de la croissance en présence d’un pouvoir politique centralisé. Il illustre aussi pourquoi cette croissance ne peut être durable. En effet, dans un Etat centralisé comme l’ex-Union Soviétique, la capacité de l’Etat à réallouer les ressources économiques dans les secteurs productifs de même que l’introduction du train et des NTICs a engendré une croissance forte, faisant d’elle la deuxième économie mondiale. Cependant, cette croissance était capturée par une élite profitant des institutions politiques extractives. Il s’en est suivi très peu d’innovations, conduisant à un essoufflement de la croissance à partir des années 60.

Le cas le plus frappant est celui de l’esclavage et de la colonisation en Afrique qui font suite à la révolution industrielle en Angleterre. Il montre bien comment les innovations majeures comme la machine à vapeur et l’imprimerie ont eu des impacts différents selon la qualité initiale des institutions. Alors que ces innovations ont été largement adoptées dans les pays Européens ayant subis aussi des révolutions politiques, cela n’a pas été le cas dans les royaumes et empires Africains qui étaient pourtant en contact avec les européens et connaissaient donc bien l’utilité de ces technologies. L’une des explications à la base de cette faible adoption est bien l’absence d’un droit de propriété privée. Le roi pouvait exproprier et redistribuer les terrains agricoles à sa guise, ce qui n’incitait pas les agriculteurs à augmenter leur productivité.

Toutefois, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette série d’articles, les institutions n’ont pas toujours et partout été extractives en Afrique. Nous nous interrogerons aussi dans cette troisième partie sur la position actuelle et les perspectives des institutions en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon

Les conséquences des institutions extractives : Expropriation de la force de travail

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[1] Ici la durabilité ne fait pas allusion à l’épuisement des ressources naturelles.

 

 

 

Pourquoi les institutions sont-elles primordiales pour le développement ?

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions.

Un aperçu sur le concept d’institution

Lorsqu’on aborde la question des institutions, la première interrogation qui vient à l’esprit est celle de sa définition précise. Qu’entend-t-on par institution ? Quelle est sa nature et d’où provient-elle ? Emane-t-elle de la société, d’un ordre préétabli, ou les deux à la fois ? Lorsqu’on parcourt les auteurs qui ont travaillé sur la question, on s’aperçoit qu’ils ne donnent pas une définition précise au concept. Il s’agit donc d’un concept flou mais qui peut être appréhendé de façon générale comme l’ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de la société. Formellement, l’institution se caractérise par la loi. On pourrait donc recourir à Montesquieu (Charles-Louis de Secondat) pour définir les institutions comme les « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ».[1] Ainsi, son champ recouvre notamment la famille, la politique et l’économie.

Partant du fait que la distribution du pouvoir de décision et l’organisation des échanges occupent une place très importante dans toute société, nous nous focaliserons sur les institutions politiques et économiques. Selon les termes de Acemoglu et Robinson, les institutions politiques et économiques, peuvent être inclusives ou extractives.

Les institutions politiques inclusives favorisent la participation et la représentation de tous les groupes d’intérêts de la société (e.g. la démocratie) ; contrairement aux institutions politiques extractives qui excluent une partie de la population (e.g. la ségrégation ou l’apartheid). Quant aux institutions économiques, elles sont inclusives dès lors qu’elles permettent la libre participation de toutes les personnes au processus d’échanges et garantissent le droit de propriété privée. Au contraire ; les institutions économiques extractives excluent une partie de la population du processus d’échanges économiques (notamment en interdisant sa participation aux activités économiques pour lesquelles elle est la plus productive), ou favorisent l’accaparement de la propriété privée de la majorité par la minorité. Cet accaparement peut porter sur des capitaux physiques (terres, biens immobiliers, etc.), des capitaux financiers et même sur la force de travail (esclavage, travaux forcés, etc.). Les lois qui promeuvent la libre entreprise et la concurrence illustrent les cas d’institutions économiques inclusives, alors que l’esclavage est l’exemple extrême d’une institution économique extractive.

Pourquoi les institutions sont-elles primordiales pour le développement ?

Dans l’hypothèse où les institutions peuvent être à la base du développement, on passe de la nécessité des moyens de financement aux conditions suffisantes pour assurer la pérennité des acquis du développement économique. A ce propos, le modèle de réflexion proposé par Acemoglu et Robinson présente le développement comme le résultat d’une interaction entre des institutions politiques et économiques inclusives.  La primauté des institutions vient du fait que l’interaction entre des institutions politiques et économiques inclusives génère des « forces » capables d’engendrer et d’entretenir le bien-être matériel, la paix et la sécurité de toute la société. Le tableau suivant résume les conséquences de cette interaction selon la qualité des institutions.

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Source : Extrait de la Presentation de Acemoglu et Robinson

D’après la théorie de Acemoglu et Robinson, il faut des institutions politiques et économiques inclusives pour garantir l’émergence et le maintien du développement. Les institutions politiques inclusives se caractérisent par une large distribution du pouvoir politique et une centralisation des décisions politiques. Quant aux institutions économiques inclusives, elles se caractérisent par la liberté d’entreprendre et la garantie de la propriété privée. Comment donc la conjonction d’institutions inclusives est un gage de développement ?

En effet, une large distribution du pouvoir politique entre divers groupes d’intérêt permet d’éviter les modifications des lois au profit d’une minorité. Même au sein de la minorité susceptible d’avaliser un changement biaisé des lois, chacun envisage ce qu’il adviendra lorsqu’une autre minorité aussi puissante voudra modifier les lois à sa convenance. Il s’en suit alors un cercle vertueux de maintien des lois tant qu’elles sont bénéfiques pour la majorité. De même, la centralisation des décisions politiques atténue les conflits entre territoires indépendants et assure la coordination de l’action publique. Cette centralisation surtout nécessaire dans des Etats embryonnaires. Selon les chercheurs, la Somalie illustre bien les conséquences d’une absence de centralisation du pouvoir politique.

La liberté d’entreprendre laisse l’opportunité à tout entrepreneur de s’engager dans des projets tant qu’ils sont rentables.[2] La promotion de la concurrence en est une parfaite illustration.[3] Au contraire, les licences nécessaires pour entamer certaines activités économiques sont typiquement contraires à ce principe. Le cas des licences de taxis dans certaines villes ou celui des habilitations à exercer certains métiers (avocats, médecins, etc.…) illustre bien les barrières à l’entrée érigées pour protéger la rente des de ceux qui exercent déjà ces métiers.

Le respect et la garantie de la propriété privée par l’Etat, qu’elle soit physique (mobilière ou immobilière), financière ou humaine, encourage la création destructive, i.e. de l’innovation qui remplace des anciennes technologies. Ce principe génère un afflux continu de nouvelles idées qui permettent aux sociétés de se renouveler. L’expropriation des terres par les rois tous puissants, selon toute vraisemblance très fréquente dans un passé récent au Congo, explique en partie pourquoi les agriculteurs étaient réticents à adopter les nouvelles technologies pour augmenter leur rendement agricole.

Malgré leurs incidences positives sur le bien-être des sociétés, ces forces rencontrent d’importantes résistances partout dans le monde. En règle générale, les institutions extractives bénéficient toujours à quelques minorités et tend à se perpétuer à coups de répression et de pauvreté. Ainsi, rares sont les pays dans lesquels l’ensemble de ces principes sont respectés. En particulier, l’importance de l’innovation dans l’augmentation permanente des niveaux de vie et le rôle de la concurrence dans sa promotion sont des paradigmes relativement récents. Ces résistances à la mise en place d’institutions inclusives est en grande partie responsables de la pauvreté un peu partout dans le monde et en particulier en Afrique. L’un des intérêts du modèle de réflexion proposé par Acemoglu et Robinson est qu’il permet d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement. La deuxième partie de cette série d’articles sera consacrée à l’exposé de ces forces.

Georges Vivien Houngbonon

Les institutions inclusives en action  : L’innovation de Thomas Edison

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[1] A mon avis, c’est probablement pour se démarquer des juristes que les économistes désignent les lois sous le vocable d’institutions.

 

[2] L’intervention de l’Etat est souhaitable dans les cas où le projet privé a une incidence positive ou négative sur toute la communauté (externalités).

 

[3] Quand bien même, il existe des limites à la concurrence.

 

L’Afrique peut-elle bénéficier de l’agriculture biologique ?

L’agriculture biologique est encore peu pratiquée en Afrique et en particulier en Afrique Centrale. Pourtant l’Afrique a d’énormes atouts pour profiter de la demande mondiale en produits biologiques. Il suffit d’encourager la formation des agriculteurs aux techniques agro-écologiques et de mettre en place des normes de certifications équivalentes à celles des pays développés.

L’agriculture biologique combine imageà la fois les techniques agricoles modernes et les enjeux écologiques en s’inspirant de l’agriculture traditionnelle[i]. Ainsi, elle se caractérise par une faible utilisation de produits synthétiques tels que les pesticides et les engrais ; contrairement à l’agriculture conventionnelle ou intensive[ii]. Compte tenu de la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et sanitaires de l’agriculture intensive de la part des producteurs et des consommateurs, l’offre et la demande de produits d’agriculture biologique explosent depuis le début des années 2000[iii]. Quelle est la position de l’Afrique dans cette embellie? Existe-t-il des opportunités de développement de l’agriculture biologique en Afrique ? Quels sont les principaux obstacles à lever pour une émergence effective de cette agriculture? Cet article tente d’apporter quelques réponses à ces questions en mettant l’accent sur la situation de l’Afrique Centrale.

L’agriculture biologique est encore peu pratiquée en Afrique et en particulier en Afrique Centrale

fig1Comme le montre le graphique ci-contre, davantage de terres agricoles sont consacrées à l’agriculture biologique dans le monde et en particulier en Afrique. Ainsi, la superficie des terres d’agriculture biologique en Afrique a été multipliée par plus de 20 entre 2000 et 2011, passant de 50000 à 1,2 million d’hectares. Cependant, en 2011, elle ne représente que 3% de la superficie mondiale dédiée à l’agriculture biologique. Cette faible proportion ne doit pas néanmoins masquer des exemples de réussite tels que l’Ouganda, la Tunisie et l’Ethiopie qui sont les leaders de cette pratique en Afrique. Le cas de l’Ouganda est frappant. En 2010, ce pays représentait à lui seul 21% des terres d’agriculture biologique du continent, avec le plus grand nombre de producteurs et le système institutionnel le mieux organisé. En 2011, l’agriculture biologique en Afrique est davantage consacrée aux cultures de rente telles que le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.

FIG2En ce qui concerne l’Afrique Centrale, les informations disponibles dans quatre des dix pays de la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale), montrent une stabilité des superficies dédiées à l’agriculture biologique entre 2008 et 2011, à l’exception de la RDC et de Sao-Tomé et Principe.

L’Afrique a d’énormes atouts pour profiter de la demande mondiale en produits biologiques

La faible contribution de l’Afrique dans la production biologique contraste avec ses potentiels. Contrairement à l’intuition, le sous-développement de l’agriculture intensive sur le continent est un atout pour le développement de l’agriculture biologique. En effet, selon les conclusions de la conférence de la FAO (2007) sur l’agriculture biologique, les rendements de cette dernière sont plus élevés dans les régions qui utilisent initialement peu de produits synthétiques (notamment les pesticides). Cela est dû probablement à l’effet nocif des pesticides sur la fertilité des terres agricoles. Compte tenu de la structure actuelle du système agricole africain, caractérisé dans beaucoup de pays par une agriculture vivrière peu de produits synthétiques sont utilisés dans les terres. Par conséquent, l’état actuel du système agricole africain est très favorable à l’adoption de l’agriculture biologique.

FIG3Cet avantage se trouve renforcé par la disponibilité des terres agricoles sur le continent. Selon les statistiques de la FAO (voir graphique ci-contre), seulement 40% des terres agricoles ont été utilisées en Afrique en 2011. Cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale, démontrant ainsi une plus grande marge de manœuvre disponible pour l’adoption de l’agriculture biologique dans cette région.

Par ailleurs, le scénario souvent évoqué dans la littérature est celui d’une agriculture biologique qui prendrait le pas sur l’agriculture conventionnelle, mettant ainsi en péril la sécurité alimentaire. Compte tenu de la disponibilité des terres, ce scénario semble très peu probable. En particulier, lorsqu’on considère la tendance de la production de céréales en Afrique, on s’aperçoit qu’elle n’a pas été affectée par l’augmentation fulgurante de la superficie des terres agricoles consacrée à l’agriculture biologique. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.

Au-delà des enjeux environnementaux, l’agriculture biologique peut s’avérer être un choix économique stratégique pour le continent FIG4africain dans un contexte mondial caractérisé par une concurrence accrue de la part des pays développés, exacerbée par des barrières non tarifaires et encouragée par les subventions agricoles. En effet, les atouts et potentiels de l’Afrique dans l’agriculture biologique peuvent être utilisés pour diversifier et différencier l’offre de produits agricoles du continent sur les marchés internationaux. Si seulement ces potentiels étaient transformés en performances, à l’instar de l’Ouganda, l’agriculture biologique pourrait être d’une part une source d’entrée de devises grâce aux exportations et d’autre part un moyen de réduction de la pauvreté grâce à l’augmentation des revenus des paysans. Cependant, sa percée est encore entravée par la certification des produits biologiques, gage de débouchés sur les marchés internationaux.

Former les paysans et mettre en place des normes de certification

fig6Aujourd’hui, la production et les exportations des produits agricoles dépendent encore significativement de l’utilisation des pesticides. Comme le montre le tableau ci-dessous, la production et l’exportation de produits agricoles sont plus élevés dans les pays qui utilisent plus de pesticides. L’ordre de grandeur de cette corrélation est similaire qu’il s’agisse des exportations ou de la production de cultures vivrières ou de rente. Cette importance de l’utilisation des pesticides dans la production et l’exportation agricole est liée aux problèmes de certification des produits biologiques qui existent à l’échelle des grands pays/régions importateurs de produits biologiques tels que les Etats-Unis et l’Europe. A titre d’exemple, ce n’est qu’à partir de 2012 que l’Union Européenne et les Etats-Unis d’Amérique ont reconnu mutuellement leurs normes de certification. Cela permet donc aux importateurs de produits biologiques de chaque pays d’acheter des produits biologiques de l’autre pays sans demander une certification nationale.

En Afrique, le problème est encore plus alarmant, car très peu de pays disposent de normes et de réglementations régissant la production agricole biologique. Selon le rapport Organic World (2013) seuls le Maroc et la Tunisie disposaient d’une réglementation en 2012. L’Egypte, le Kenya, le Sénégal, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe élaboreraient des réglementations. Là encore on note une absence totale des pays d’Afrique Centrale dans la normalisation et la règlementation de l’agriculture biologique. En ce qui concerne la certification des produits, seuls UgoCert (Ouganda) et Certysis (Belgique) sont accrédités depuis 2012 par l’Union Européenne pour certifier les produits d’agriculture biologique en provenance de l’Ouganda et de l’Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Ghana, Mali, Sénégal) respectivement.

Ainsi, l’Afrique est en retard sur l’adoption de cette innovation agricole. Et pourtant, l’exemple de l’Ouganda, premier producteur africain de produits agricoles biologiques démontre bien que la clé du succès dans la production biologique réside dans la mise en place d’un système de normalisation et de certification, qui lui-même requiert une production de qualité. Cela passera nécessairement par une formation plus rigoureuse des paysans à l’agro-écologie et par la négociation d’accords bilatéraux d’équivalence des normes de certification. Il est d’ailleurs souhaitable que les programmes de normalisation et de réglementation soient mis en place à l’échelle régionale comme c’est le cas actuellement en Afrique de l’Est sur la normalisation de l’agriculture biologique. Pour le moment, l’Afrique est encore loin de cet idéal, l’Afrique centrale l’est encore davantage.

Georges Vivien HOUNGBONON

Pour aller plus loin, voir l’article de Leila Morghad sur le sujet.


[i] Le dernier colloque de l’INRA sur l’agriculture biologique montre l’intérêt économique et environnemental de l’agriculture biologique. Selon un article qui résume les conclusions de ce colloque, il ressort que le premier tri efficace des lignées est tout à fait possible, la rotation des cultures de céréales limite la propagation des maladies, l’association de céréales et de légumineuses est bénéfique en dépit de son coût élevé, et qu’enfin l’utilisation de la biodiversité pour lutter contre les prédateurs naturels des cultures est efficace.

 

 

 

 

 

[ii] La particularité des produits synthétiques est qu’ils sont absents du milieu naturel. Leur production en laboratoire nécessite donc des réactions de synthèses de plusieurs molécules dont les incidences sur la santé sont encore très peu connues.

 

 

 

 

 

[iii] Selon un article de l’UNEP, la demande mondiale de produits biologiques a cru de 10 à 20% entre 2000 et 2007.

 

 

 

 

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : les limites

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendante en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les limites de la concurrence.

Pour reprendre l’adage populaire, « l’excès nuit en toute chose ». L’article précédent a décrit en quoi peu de concurrence pouvait être néfaste pour la société. De la même façon, trop de concurrence « peut » également nuire à la société. Il s’agit là d’un débat qui oppose d’une part les partisans d’une concurrence parfaite à ceux qui défendent l’utilité du monopole.[1] Au-delà des considérations académiques, la question fondamentale qui est posée est de savoir entre l’entrepreneur et le consommateur, celui qui est à même d’utiliser le plus efficacement possible le gain généré par les échanges au service de la société. Autrement dit, quelle est l’utilité des profits engrangés par l’entrepreneur pour la société ? Un monopoleur qui fait d’énorme profit ne va-t-il pas l’utiliser pour créer davantage de monopoles dans l’économie ? Et si le gain était entièrement capté par le consommateur, ne va-t-il pas l’utiliser pour faire de nouveaux achats et par la même occasion augmenter l’activité économique, inciter de nouveaux entrepreneurs à entreprendre, voire générer de nouveaux emplois ? Si l’un ou l’autre des scénarios n’est pas satisfaisant, alors où placer le curseur ?[2]

La réflexion sur cette question est bien semblable à la curiosité de savoir qui est le géniteur entre la poule et l’œuf. Par exemple, les implications d’une concurrence parfaite, donnant tout le surplus généré au consommateur paraissent séduisantes. Cependant, quand on y pense bien, elle soulève quelques contradictions. En l’absence de rente, qui apportera l’innovation nécessaire à chaque nouvel entrepreneur pour produire les biens et services que le consommateur désire acheter ? Imaginons une économie exclusivement faite de moyens de communications électroniques. Si le prix d’utilisation de la 2G était fixé à son coût de production, il n’y aurait aucune rente pour un inventeur qui s’engagerait dans une recherche incertaine d’une technologie supérieure. Dans ce cas, l’économie resterait de façon permanente dans son état initial : il n’y a pas d’innovation et tout le monde reste sur l’ancienne technologie (2G).

Dès lors, le financement des investissements dans les nouvelles technologies requiert que la rente issue de la production ne soit pas nulle. Cela exclut donc l’efficacité d’une concurrence parfaite entre les producteurs, sauf dans des secteurs où les opportunités d’innovation et d’investissement dans les nouvelles technologies sont faibles. Il s’en suit donc de façon générale, qu’il existe une solution intermédiaire de partage du surplus des échanges entre producteurs et consommateurs. Cette conclusion a d’ailleurs été confirmé par les travaux de l’économiste Phillipe Aghion et ses coauteurs. La détermination exacte de cette règle de partage est une question empirique en cours d’examen.

Aujourd’hui, cette limite de la concurrence parfaite n’est pas encore entièrement reconnue et appliquée dans les institutions en charge de la politique de la concurrence. Cette reconnaissance est pourtant nécessaire pour garantir l’innovation et la croissance économique. Puisque selon les travaux des mêmes économistes cités précédemment, c’est seulement l’innovation perpétuelle soutenue par l’investissement dans les nouvelles technologies qui garantit la croissance économique à long terme.

Toutefois, une question reste posée : la rente dédiée à l’innovation va-t-elle générer de la croissance inclusive ? Autrement dit, l’augmentation de la valeur ajoutée engendrée par la concurrence et l’innovation est-elle créatrice d’emplois à la fois pour les personnes qualifiées et moins qualifiées ? Cette question trouve sa légitimité dans l’observation factuelle des conséquences du progrès technique au sein de nos sociétés. Ce progrès est souvent associé à une baisse de la demande pour les emplois moins qualifiés laissant de côté une partie importante de la population active. Ces interrogations sont encore plus inquiétantes dans les régions en développement comme l’Afrique où plus de 80% de la population active ne dispose pas d’un diplôme de l’enseignement supérieur.[3]

A cette question, Dutz et ses coauteurs répondent par l’affirmative. En effet, à partir des données sur l’emploi et l’innovation dans les entreprises manufacturières, les auteurs montrent que la croissance de l’emploi est plus forte dans les entreprises les plus innovantes, en particulier celles qui ont la plus grande part de travailleurs moins qualifiés. L’ampleur de l’effet de l’innovation sur l’emploi est plus grande lorsque l’environnement des affaires (concurrence) favorise l’accès à l’information, au financement, les exportations et l’entrée des plus petites entreprises. Par conséquent, l’innovation engendrée par une politique de la concurrence « intelligente » est source d’emplois pour l’économie.

Au regard de ce qui précède, il en résulte que la promotion de la concurrence est source de bien-être pour l’ensemble de la société. Cependant, il est nécessaire de trouver le juste milieu entre concurrence parfaite et monopole afin de garantir l’innovation, source de croissance inclusive et durable. Cette série d’articles est un appel à la mise en place et au renforcement du droit de la concurrence et de la régulation sectorielle en Afrique. Dans un contexte de forte croissance, il est plus qu’urgent de s’assurer que tous les entrepreneurs y prennent part, que les consommateurs y trouvent leur compte et que l’Etat soit davantage le garant de cet aspect vertueux de la croissance en faisant de la promotion de la concurrence une priorité.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Pour des références théoriques, Arrow, 1962 et Schumpeter, 1942 sont très indiqués.

 

[2] Voir l’article de A. Lerner, 1934 qui présente une excellente discussion sur le sujet.

 

[3] Estimation de l’auteur à partir des données du African Developement Indicators (World Bank)

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Les conséquences d’une faible concurrence

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les conséquences d’une faible concurrence.

Il ne suffit pas de voter une loi pour instaurer la concurrence ; mais il faut y allouer les ressources financières et humaines nécessaires aux investigations des pratiques anticoncurrentielles. Autrement, il en résulte une faible concurrence dont les conséquences directes se manifestent sur le pouvoir d’achat des consommateurs, sur la qualité des biens et services, sur l’innovation voire le fonctionnement des institutions démocratiques.

D’abord, commençons par examiner ce qu’on entend par « concurrence faible ». Le cas le plus trivial concerne le monopole qui fixe son prix de manière à extraire tout le surplus généré par la transaction. Dans les autres cas où plusieurs entreprises sont présentes sur un même marché, elles ont intérêts à s’entendre pour fixer le prix du monopole et à se partager les profits colossaux générés. Lorsque la coordination n’est pas possible, une ou plusieurs entreprises ayant suffisamment de pouvoir de marché (une part importante des clients, une liquidité financière abondante) peut s’engager dans des pratiques déloyales visant à exclure les autres  pour instaurer plus tard des prix de monopole. Elles peuvent aussi envisager des fusions et acquisitions pour ne devenir qu’une seule entité potentiellement capable de fixer le prix du monopole. Ainsi, la concurrence est faible tant que la structure du marché tend vers une situation de monopole. Cette éventualité est permise par l’absence d’une veille active de la part des autorités publiques sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles.

Dans le cas des pays Africains, très peu d’informations existent sur l’ampleur de ces pratiques, dans la mesure où la plupart ne dispose pas d’un droit de la concurrence. Cependant, Evenett et al. (2006) ont compilé les cas de pratiques anticoncurrentielles révélés dans les médias en Afrique sub-saharienne de 1995 à 2004. On y a apprend que les secteurs de l’agro-alimentaire et de la brasserie entre autres sont les plus concernés par les pratiques anticoncurrentielles. Ces pratiques sont très courantes dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun par ordre d’importance. Comme l’on bien précisé les auteurs, ces chiffres sont à prendre en absolus car, il est possible que les cas de pratiques anticoncurrentielles soient plus détectés et médiatisés dans des pays où la pratique du droit de la concurrence est plus effective. Ainsi, des pays comme le Nigéria qui n’apparaissent pas en tête de peloton peuvent bien receler des pratiques anticoncurrentielles plus importantes que les autres.

L’une des conséquences immédiates de ces pratiques consiste à limiter le pouvoir d’achat des consommateurs : pour le même revenu, vous payez plus cher. Il s’en suit donc que l’effectivité du droit de la concurrence n’est pas un luxe pour des pays pauvres. Au contraire, elle est instrumentale dans la réduction de la pauvreté via le pouvoir d’achat supplémentaire qu’elle donne aux plus pauvres. On peut cependant objecter qu’il est possible de contrôler le prix des biens de premières nécessités comme cela se fait pour le riz, l’huile et le sucre au Sénégal. Même si cet argument est recevable, il omet la distorsion que cette régulation du prix induit sur les coûts de production. En général, elle n’incite pas les producteurs à baisser les coûts de production, ce qui conduit à une situation d’inefficacité économique car on aurait pu produire les mêmes biens à des coûts plus faibles et les revendre à des prix plus bas que ceux qui ont été fixés par l’Etat.[1]

Cette situation introduit une autre conséquence de la faiblesse de la concurrence qui est l’absence d’innovation. Ce sont les innovations dans l’organisation de la production et dans les intrants qui permettent de réduire les coûts de production et à terme les prix. Lorsqu’elles ne sont pas encouragées faute d’un niveau de concurrence « suffisante », la qualité des produits en pâtit ; avec pour corollaire la dégradation de l’état de santé des populations. C’est souvent le cas des filières de la viande dont la production (et non la distribution) est contrôlée en aval par si peu de producteurs.

Une autre conséquence moins soulevée dans la littérature et qui pourtant semble être aussi grave que les deux premiers est le risque de collusion entre les monopoles et les partis politiques. Que vaudrait une démocratie dont les institutions sont contrôlées par des patrons à la tête de monopoles ? Aujourd’hui, nous savons que la vague de libéralisation des sociétés d’Etat a été à l’origine d’un transfert du patrimoine des anciennes sociétés d’Etat vers des particuliers. A l’exception du secteur des télécommunications, ce transfert se traduit finalement en un monopole privé. Les exemples sont légions : les ex-sociétés nationales de production agricole, de l’eau et  de l’énergie, les sociétés de produits pétroliers, voire même les banques continuent d’être gérées par des monopoles privées sans une régulation effective. Dès lors, la promotion de la concurrence est également un moyen de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques telles que le parlement et la justice et de s’assurer que la démocratie soit un bien pour tous.

Il s’en suit alors que la promotion de la concurrence est au cœur du développement de toutes les nations ayant opté pour le libéralisme économique. L’excuse financière n’est plus valable, il est grand temps de mettre en place ou de renforcer l’application du droit de la concurrence en Afrique !

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir les travaux de Martimort sur le sujet des incitations.

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Les obstacles

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Les prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les obstacles à leur mise en place après avoir fait un état des lieux.

La promotion de la concurrence passe par le vote d’une loi, qui instaure le droit de la concurrence ou d’un code de régulation sectorielle. Le droit de la concurrence s’applique à toutes les activités économiques une fois qu’un comportement anticoncurrentiel est suspecté. Par contre, le code de régulation sectorielle s’applique à un secteur particulier présentant des barrières à l’entrée. Typiquement, c’est le cas du secteur des télécommunications où l’entrée d’un opérateur nécessite soit l’accès à un réseau fixe où l’achat d’une licence donnant accès à une bande de fréquences hertziennes.

Dans les deux cas, la promotion de la concurrence se traduit par la mise en place d’une autorité administrative indépendante dotée des moyens financiers, législatifs et humains pour conduire les analyses et investigations nécessaires à la sauvegarde de la concurrence sur les marchés.[1] Ici, la notion d’indépendance de l’autorité vis-à-vis du gouvernement est centrale, dans la mesure où il peut y avoir des conflits d’intérêts entre les entreprises mises en cause et l’Etat. C’est souvent le cas dans la régulation sectorielle lorsque le régulateur est en charge d’un monopole d’Etat (la production de l’énergie par exemple). Du moins indépendant au plus indépendant, on distingue généralement trois cas selon que les investigations et analyses soient conduites par : i) une direction du ministère du commerce ; ii) une commission sous la tutelle d’un ministre (typiquement celui en charge du commerce) ou iii) une autorité indépendante dont les décisions sont validées exclusivement par les tribunaux.

Lorsqu’on fait un tour de l’Afrique, on n’y rencontre pas seulement ces trois cas ; mais aussi des pays qui ne disposent même pas d’un droit de la concurrence. La Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso et le Sénégal font partie des premiers pays Africains à avoir mis en place un droit de la concurrence ; même s’il n’est pas clair si ces lois ont été effectives depuis leur vote. Dans le même temps, le plus grand marché africain, en l’occurrence le Nigéria, n’en dispose pas encore même si les débats parlementaires sont en cours en vue de sa prochaine adoption. Beaucoup de pays africains sont encore à la traîne. Certains sont couverts par la règlementation des institutions régionales telle que la COMESA. C’est le cas de pays comme le Soudan, la Lybie ou Madagascar.

Les raisons qui expliquent cette grande hétérogénéité dépendent certainement de la situation de chaque pays. De façon générale, on peut évoquer la faible industrialisation avec comme corollaire la dominance et la persistance du secteur informel, de même que la présence de plusieurs monopoles d’Etat – en particulier dans les secteurs de l’énergie et des transports -, comme les premiers obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Pour ces raisons, il y a peu de demande pour l’intervention de l’Etat à travers les autorités de la concurrence et de la régulation sectorielle. Cette faible demande s’explique aussi par la méconnaissance des consommateurs et des PME des inconvénients qui découlent des pratiques anticoncurrentielles ; comme le souligne si bien le Dr. Coulibaly dans son article sur l’effectivité de la concurrence dans l’UEMOA.

Cependant, la faible industrialisation ou la présence des monopoles ne suffissent pas pour expliquer l’Etat du droit de la concurrence en Afrique, surtout lorsqu’on considère le cas du Nigéria. En s’appuyant sur les théories d’économie politique de fourniture des services publics, on parvient à comprendre pourquoi certains pays ne mettent pas en place un droit de la concurrence en dépit d’une activité économique formelle en forte croissance.[2] La fourniture de services publics comme la régulation de la concurrence sur les marchés dépend du poids des intérêts contradictoires qui se présentent au politicien. Ce dernier devra choisir de satisfaire les intérêts d’un groupe particulier en fonction de son pouvoir de lobbying. Ainsi, lorsqu’on se retrouve dans un pays où les PME sont de tailles très petites, où les consommateurs ne comprennent pas le rôle d’une autorité de la concurrence dans la sauvegarde de leur pouvoir d’achat et de la qualité des biens et services, alors les secteurs monopolistiques qui n’ont pas intérêt à subir plus de concurrence vont militer en faveur d’un retard dans l’adoption du droit de la concurrence ou du code de la régulation sectorielle. Dans certains cas, c’est l’Etat qui s’inquiète des conséquences de la concurrence sur ses recettes fiscales à la suite d’une libéralisation ou de la mise en place d’un monopole privé régulé.

Enfin, il faut reconnaître aussi le caractère onéreux que revêt la mise en place d’une autorité de la concurrence ou de la régulation. Son fonctionnement effectif nécessite d’importants moyens financiers, ainsi que des ressources humaines fortement qualifiées. En général, ce sont des docteurs en droit et en économie qui sont recrutés dans ces agences et la charge le travail requiert d’avoir un grand nombre de personnels ayant ce profil. A titre d’exemple, l’autorité de la concurrence américaine (FTC) dispose d’environ 500 juristes de la concurrence et de 70 docteurs en économie. Comme le montre l’article de Tchapga (2013), les autorités de la concurrence africaines disposent de très peu de moyens financiers par rapport à leurs besoins.

L’une des critiques formulées à l’encontre du droit de la concurrence est que son application coûte chère sans des résultats concrets. Très souvent les investigations d’un cas d’abus de position dominante peuvent prendre plusieurs mois voire des années. Cependant, il arrive qu’on s’aperçoive après ces mois d’investigations que les suspicions initiales n’étaient pas fondées. Dans les cas où elles sont fondées, il arrive aussi très souvent que les décisions d’amendes soient invalidées par le tribunal ou cassées par la cour de cassation. Dès lors, le gain à mettre en place des autorités de la concurrence n’est pas toujours positif a priori ; mais c’est sans compter les conséquences d’une faible promotion de la concurrence.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir par exemple les travaux de Esther Duflo qui suggèrent que les leaders politiques ont tendance à fournir des services publics biaisés en faveur des groupes auxquels ils doivent leur maintient au pouvoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] Dans le droit français, une autorité administrative indépendante (AAI) est une entité qui agit au nom de l’Etat sans être sous le contrôle du gouvernement. Cependant, le cadre législatif de l’AAI est définit par le parlement alors que ses décisions sont contrôlées par le pouvoir judiciaire.

 

 

 

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Pourquoi et comment ?

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions en exergue comment la mise en place des autorités de la concurrence peut favoriser l’intégration régionale. Pour être plus spécifique, cet article introduit une série d’articles sur la concurrence en Afrique.

De façon générale, la promotion de la concurrence vise à garantir que le bénéfice net des échanges économiques soit maximal pour la société. Cette garantie se manifeste à travers le vote d’une loi qui institue le droit de la concurrence. Cette série d’articles vise à examiner, non pas la dimension juridique de la concurrence, mais plutôt les enjeux économiques dont elle revêt. Nous commençons donc par nous interroger sur les raisons et les conditions dans lesquelles le bénéfice des échanges économiques peut être restreint.

Les transactions économiques existent sur le marché parce que les producteurs peuvent apporter les biens et services à un coût moins cher que ce que le consommateur est prêt à payer (disposition à payer). En payant moins que sa disposition à payer, le consommateur gagne donc toujours lorsqu’il achète un produit. Mais ce gain peut être plus ou moins faible en fonction de la concurrence. Il est à son maximum lorsque le prix est fixé au coût unitaire de production. Selon la théorie économique, l’intérêt d’avoir un prix de transaction très proche du coût unitaire de production vient du fait que la différence profite, en général, plus à l’économie lorsque c’est vous qui la détenez plutôt que le producteur.

Cette différence est plus importante dans le cas d’un monopole ; c’est-à-dire lorsqu’il n’y a qu’une seule entreprise qui vend le bien que vous désirez, et qu’il n’existe pas d’autres substituts. Imaginons par exemple qu’une seule entreprise détenait la propriété d’une source d’eau naturelle dont les vertus sont reconnues par tous.[1] Pour obtenir un profit maximal, il fixera le prix du litre d’eau égal à votre disposition à payer.[2] Par contre, si la source d’eau était multiple, chaque producteur fixerait son prix au coût de production. Autrement, celui qui fixe un prix au dessus du coût de production se fera évincer du marché car tous les consommateurs préfèrent acheter là où le prix est le plus bas : c’est l’effet de la concurrence. La différence de prix entre ses deux états du marché est à l’avantage du monopoleur dans le premier cas (rente). Par contre, elle profite au consommateur dans le second cas (surplus).

Tout le débat normatif sur l’importance de la concurrence dans une économie libérale repose sur le fait qu’on veuille savoir si le surplus allant au consommateur engendre plus de transactions économiques, et donc plus de croissance économique, que la rente du producteur ; ou inversement. Pour le moment, l’acceptation générale est que le surplus du consommateur a une valeur économique supérieure à la rente. Cela vient du fait que le surplus confère un pouvoir d’achat plus élevé au consommateur ; ce qui engendre plus d’échanges dans l’économie. Au contraire, la rente conduirait à reproduire de la rente et donc limiter l’ampleur des transactions économiques. Par conséquent, un consensus général s’est dégagé en faveur de la concurrence : Plus de concurrence engendre plus de surplus pour le consommateur, ce qui à son tour augmente les transactions économiques et entretien le surplus du consommateur. Il s’agit donc d’un cercle vertueux que produit la concurrence ; l’idéal étant d’avoir sur le marché des prix alignés sur les coûts de production.

Pour autant, le marché laissé à lui-même ne produit pas cet idéal. Par analogie au trafic routier, lorsqu’il n’y a pas de régulation (feux de circulation, agents de police) il y a beaucoup plus d’accidents ; malgré que chaque conducteur (ici les entreprises) conduise dans son intérêt. Les intérêts personnels (e.g. rentrer tôt à la maison) ne conduisent pas toujours à l’intérêt général (ne pas avoir d’accidents) sans aucune supervision. De la même façon, sur le marché, chaque entreprise désire se placer dans la situation du monopole. Cela peut donc les conduire à adopter des pratiques anticoncurrentielles telles que la collusion (entente sur les prix), le cartel (entente sur les quantités), les abus de position dominante (exclusion de concurrents) et les fusions anticoncurrentielles (stratégie d’augmentation des prix).

Pour cette raison, l’Etat a besoin d’intervenir pour s’assurer que sur chaque marché, des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas avérées. Dans les pays industrialisés, cette intervention se fait par le biais d’une autorité indépendante «  autorité de la concurrence » pour éviter tous biais politique dans les investigations. Cette autorité est investie, selon les pays, d’un pouvoir d’investigation qui lui permet de conduire des analyses économiques rigoureuses permettant de déterminer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle. Dans le cas échéant, il revient à la justice de condamner en dernier lieu les entreprises impliquées dans ces faits. En général, ces interventions se font sur les soupçons de collusions, de cartels ou avant la fusion entre deux ou plusieurs entreprises.

Les cas d’abus de position dominante sont plus probables dans les industries qui présentent des barrières à l’entrée. Il peut s’agir de barrières économiques comme les coûts d’investissement très élevés nécessaires à l’entrée sur le marché de la production, du stockage et du transport de l’énergie électrique et de l’eau. Les secteurs du transport ferroviaire et aérien, de même que les télécommunications font aussi partie de cette catégorie. Il peut être aussi question de barrières réglementaires comme l’attribution de licences d’exploitation dans les secteurs des mines, des télécommunications mobiles, de la banque, de la pharmacie et des transports urbains.

Dans ces industries, il est préférable que l’intervention de l’Etat se fasse ex ante compte tenu des lourdes conséquences que font peser les abus de positions dominantes sur l’économie. Typiquement, le temps d’analyse et de recours à la justice ne permet pas à un concurrent victime d’abus de position dominante de survivre sur le marché. Ainsi, le droit de la concurrence qui régit l’intervention d’une autorité de la concurrence ne permet pas de résoudre les problèmes de pratiques anticoncurrentielles posés dans ces industries. Par conséquent, la mise en place d’un régulateur, là aussi indépendant, est nécessaire. Cela est déjà le cas dans le secteur des télécommunications dans la plupart des pays Africains.

Cependant, le constat aujourd’hui est qu’il y a très peu d’autorités de la concurrence dans les pays africains. L’adoption d’un droit de la concurrence est en cours de discussion dans certains pays, mais tarde à être effective.[3] De même, très peu de régulateurs existent dans les secteurs présentant des barrières à l’entrée. Dans un prochain article nous aborderons les obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Un autre présentera les conséquences d’une faible concurrence et un dernier évoquera la possibilité d’une limite à la concurrence.

Georges Vivien HOUNGBONON

 


[1] Pour emprunter l’exemple à A. Cournot 1838.

 

 

 

[2] C’est pour cela que l’Etat contrôle, dans la plupart des pays, la production et la distribution de l’eau, compte tenu de sa fonction vitale.

 

 

 

[3] Voir le blog suivant sur le droit de la concurrence en Afrique.

 

 

 

Le développement ne serait-il qu’une question de financement ?

une_croissance_inclusive_folyVoilà un concept qui a été ressassé pendant des décennies sans qu’on ne sache aujourd’hui s’il existe une panacée au développement. Le chercheur Denis Cogneau a bien fait de rappeler qu’il s’agit d’un concept qui s’est substitué à la notion de « mise en valeur » des colonies. Ainsi, le développement, comme concept définissant le bien-être matériel d’une société, n’avait existé nulle part dans le monde avant les indépendances. Pourtant, il est aujourd’hui largement associé aux pays moins industrialisés et en particulier aux pays Africains. Dans la perspective de la prochaine révision des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), plusieurs voix s’élèvent pour réclamer la formulation d’un modèle de développement africain.[1] Quoique ce vœu soit légitime, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence et la signification même du développement.

Pour répondre à cette question, je ne m’attarderai pas sur l’approche philosophique développée par le prix Nobel d’Economie Armatya Sen qui voit le développement comme synonyme de davantage de libertés.[2] Au contraire, je vais remonter un peu plus loin dans le temps pour faire appel à un autre prix Nobel d’Economie en la personne du Sir Arthur Lewis. Son approche n’exclut pas la définition du Pr. Armatya Sen, mais elle a l’avantage d’être plus pragmatique.

Dans un article qu’il a publié en 1960 sur la problématique du développement, Lewis démontre que le développement n’est qu’une question de financement. Sa démonstration se décline en deux étapes. D’abord, il définit le développement comme l’élévation des conditions de vie au dessus de ce qu’il appelle la pauvreté inutile. Par pauvreté inutile, il entend la faim, la mort d’un bébé qu’on aurait pu éviter, le décès d’une personne suite à une maladie qu’on peut soigner ou d’un accident  dont on peut se prémunir, l’usure précoce de la santé physique à cause de travaux pénibles surtout chez les femmes, et enfin l’ignorance et toutes les superstitions qu’elle engendre. Se développer revient donc à donner à chacun les moyens de s’élever au dessus de ces conditions.

Pour y parvenir, la seconde étape de sa démonstration recommande d’investir dans la recherche scientifique, l’accumulation du capital physique (infrastructures) et dans les qualifications professionnelles. Selon son analogie, si un pays n’était fait que d’or, il suffirait de les échanger contre des machines agricoles, des routes, des hôpitaux et des écoles pour constituer les capitaux nécessaires au développement. Il suffirait aussi de les utiliser pour financer la recherche scientifique et la formation professionnelle afin de disposer des nouvelles technologies et de la main d’œuvre qualifiée nécessaires à la production de tous les biens et services qui permettent à chaque citoyen d’échapper à la pauvreté inutile.[3] Cependant, que faire lorsqu’un pays ne dispose pas suffisamment de ressources naturelles, ayant valeur d’or, pour se développer de façon aussi mécanique ? C’est ainsi que Lewis, en conclut que la problématique du développement revient à se poser deux questions : Comment trouver le financement et comment l’allouer efficacement aux innombrables besoins ?

On s’aperçoit alors qu’il est peu pertinent de parler d’un modèle de développement pour l’Afrique lorsqu’on se base sur l’approche de Lewis, à moins que la recherche du modèle revienne à réfléchir sur l’identification et la création des sources de financement du développement. Il s’agira alors de s’interroger sur la place et le rôle des crédits et dons octroyés par les institutions multilatérales et bilatérales de financement du développement. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur l’utilisation des ressources financières générées par l’exploitation des ressources naturelles en Afrique. Plus important encore, cette approche du développement nous invite à explorer les moyens pour collecter des recettes fiscales dans des pays où le secteur informel représente entre 50 et 75% du PIB.[4]

La première question renvoie au vieux débat sur l’efficacité de l’aide publique au développement. Elle a déjà fait l’objet de plusieurs articles sur l’Afrique des Idées.[5] La conclusion générale qui s’y dégage est que l’aide peut ne pas être efficace lorsqu’elle est octroyée sans conditions ou lorsqu’elle n’est pas utilisée pour financer les projets ayant démontré leur efficacité. Sur ce dernier point, les méthodes d’évaluation des politiques de développement qui sont systématiquement conduites par la Banque Mondiale, en dépit de leurs limites, constituent une façon de rendre plus efficace l’aide au développement. Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette approche soit généralisée à tous les projets de développement.

Quant à la deuxième question, le centre du développement de l’OCDE y a apporté une contribution à travers l’organisation en octobre 2013 d’une conférence sur l’utilisation des ressources naturelles pour investir dans les infrastructures et les ressources humaines en Afrique. A ce sujet,   l’article du directeur du PNUD pour l’Afrique, M. Abdoulaye Dieye, apporte un éclairage intéressant. Il met en évidence deux contraintes majeures. D’abord, le fait que les recettes générées par les ressources naturelles soient en majorité capturées par les multinationales en tant que pourvoyeurs des capitaux nécessaires à leur exploitation. Ainsi, la capacité des Etats Africains à tirer partie de leurs ressources naturelles dépend des impôts et redevances qu’ils peuvent percevoir. A cet effet, l’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) est un cadre assez convenable. La seconde contrainte est le manque d’experts en négociations des contrats entre un Etat et une entreprise multinationale. Il s’agit là d’un problème de manque de ressources humaines qualifiées à laquelle peu de réponses ont été apportées ; même si le PNUD travaille avec les Etats sur cette question.

Enfin, la troisième question concerne la fiscalité ; la capacité des Etats Africains à collecter les recettes fiscales nécessaires au financement du développement. Elle est très peu abordée aujourd’hui alors qu’elle est la plus pérenne de toutes les sources de financement. Cependant, l’autre question qu’elle soulève est de savoir s’il est utile de mettre à la disposition de gouvernements « corrompus » une partie des revenus d’une population majoritairement pauvre. Le bénéfice escompté dans cette situation ne vaudrait pas le sacrifice. Toutefois, la question pourrait être posée autrement : n’est-ce pas parce que les populations ne contribuent pas directement au financement du développement qu’elles ne demandent pas de compte à des gouvernements « corrompus » ? La question reste donc posée.

En définitive, il semble que la problématique du développement de l’Afrique ne se trouve plus nécessairement dans des modèles théoriques.[6] Les recettes du développement sont connues : science, capital et personnel qualifié. Pour les avoir il suffit de rechercher les moyens de financement et de les utiliser correctement. Les solutions de financement telles que l’aide au développement et les ressources naturelles ne suffisent pas pour garantir un développement harmonieux ; il est grand temps d’explorer la solution fiscale.

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 


[1] Ecouter l’intervention du président du Centre de développement de l’OCDE lors du Forum Economique sur l’Afrique d’octobre 2013. Il y a aussi la CEDEAO qui a organisé un symposium pour réfléchir sur la question.      

 

 

 

 

[2] Voir son ouvrage de référence sur le sujet: Development as freedom. On pourrait évoquer aussi les théories de la géographie, de la culture, de l’ignorance des dirigeants politiques et des institutions. Voir le livre de Acemoglu « Why Nations Fails » sur ces différentes théories. Quoiqu’elles permettent de comprendre pourquoi certaines nations sont plus riches que d’autres, elles ne permettent pas de formuler des politiques de développement opérationnelles.

 

 

 

 

[3] Le Quatar pourrait être une belle illustration de ce cas.

 

 

 

 

[4] Voir le rapport de l’OCDE sur le sujet. On peut aussi ajouter à la liste le rôle de la philanthropie, c’est-à-dire le financement désintéressé de projets de développement par le secteur privé. Une réflexion sur le sujet a été menée par Tony Elumelu.

 

 

 

 

[5] Voir à cet effet les articles de M. Blade, et de Emmanuel Leroueil.

 

 

 

 

[6] Il ne s’agit pas ici de la problématique de la croissance à long terme qui est un tout autre sujet.

 

 

 

 

Un intrus dans le couvent : Le vaudou au Bénin

vaudouCe 10 janvier 2014, le Bénin a célébré pour la 12ème année consécutive la fête nationale du vaudou.[1] Qu’il me soit permis d’aborder dans ce billet une matière à laquelle je ne suis pas initié. Voici donc un apprenti de Descartes qui s’aventure sur un sujet qui n’est pas du domaine de la raison. Que va-t-il donc prouver ? Rien, sans aucun doute. Ma tâche est d’autant plus difficile qu’il n’existe pas un document de référence qui présente les principes de cette religion sans aucune ambiguïté. Cependant, le vaudou suscite tellement d’opinions contradictoires, de sentiment d’infamie, qu’il me semble nécessaire de repréciser les contours de cet aspect de la culture africaine. Je vais donc m’appuyer sur des ouvrages, non moins biaisés, des récits d’initiés et sur des faits empiriques ; en espérant que des initiés viennent éclairer davantage notre lanterne. Après avoir situé le Vaudou comme une religion animiste, j’insisterai sur ses deux caractéristiques fondamentales avant de présenter quelques faits historiques qui ont façonné la représentation qui est faite du vaudou aujourd’hui.

Le vaudou, comme une religion animiste

Historiquement, l’animisme, comme la croyance en une âme qui anime toute chose, a été la religion pratiquée partout dans le monde avant l’avènement des religions dites « révélées ». Il suffit pour s’en convaincre d’arpenter la collection permanente du Musée du Quai Branly à Paris. Partout, ont été trouvés des poteaux funéraires qui servaient de moyens d’intercession avec les ancêtres. Quoique le Christianisme et l’Islam aient converti une part importante de la population mondiale à l’exception de l’Asie, l’animisme demeure aujourd’hui prépondérante en Afrique et plus particulièrement au sud du Sahara. Comme partout ailleurs dans le monde, sa pratique varie d’un espace à un autre.

Elle prend une forme particulière dans le golfe du Bénin, communément appelé le Vaudou ou Orisha en Fon et en Yoruba, respectivement. En effet, selon l’ouvrage de Claude Planson, le vaudou est une religion née de la conjonction entre les pratiques ancestrales des royaumes du Dahomey (Sud de l’actuel Bénin) et d’Ilé Ifè au Nigéria. En dépit de ses spécificités, il se confond parfois avec le culte des autres religions traditionnelles qu’on retrouve un peu partout dans le golfe du Bénin de sorte qu’aujourd’hui toutes les religions traditionnelles de cette région sont assimilées au vaudou. Il s’agit d’une religion qui a résisté à la colonisation et aux régimes marxistes-léninistes qui ont autrefois envisagé sa suppression. Aujourd’hui, il est même décrit comme « l’expression de l’instinct religieux très profond d’un peuple foncièrement croyant ».[2]

La structure de cette religion repose sur un regroupement de plusieurs divinités dont le Gu (dieu de la guerre), Sakpata (dieu de la maladie), Heviosso (dieu de la foudre), Dambada (dieu de la connaissance). Cependant, elle reconnaît l’existence d’un Dieu suprême « Mawu » (en Fon) qui signifie littéralement « l’Inaccessible ». Chacune de ces divinités remplit un rôle spécifique dans la quête de l’harmonie vis-à-vis du Dieu Suprême. A la lecture de la littérature, il ressort que le vaudou repose sur deux éléments fondamentaux dont Mawu, l’Inaccessible, et le Fâ, moyen de communication entre l’Homme et Mawu.

faCommuniquer avec Mawu, l’Inaccessible

Selon les récits de la volontaire Elisabeth suite à sa rencontre avec un prêtre Vaudou, on apprend que le vaudou repose sur l’adoration d’un Dieu suprême représenté par le couple de jumeaux légendaires Mawu-Lissa. « Mawu, la lune, incarne le principe féminin. Elle est la déesse de la nuit, de la sagesse et de la connaissance. Lissa, le soleil, représente quant à lui le principe masculin. Il contrôle le déroulement des jours, et détient la force et le pouvoir qui soutient le monde. »

Pour vivre en harmonie avec l’univers, les adeptes du vaudou communiquent avec l’au-delà en utilisant le Fâ. Comme le souligne l’anthropologue Jules Affodji, cet art divinatoire est né de la jonction entre les arts divinatoires antérieurs des peuples Yoruba et Fon. L’anthropologue situe ses origines dans l’ancienne Egypte. Initialement, le Fâ était maîtrisé par les prêtres vaudou, le « Bokonon »,  au service des rois. Un peu comme à l’image d’un voyant, le Bokonon peut identifier les causes d’un malaise, décrire les éléments constitutifs d’un individu, ses interdits, voire son avenir, en consultant le Fâ. Selon les révélations qu’il interprète à travers la configuration de son chapelet, il peut recourir à des sacrifices à Mawu par l’intermédiaire du Lêgba.

Ainsi, selon toute vraisemblance, il s’agissait d’une religion au service de la paix individuelle et sociale. Cependant, il ressort de mes lectures que deux événements majeurs ont contribué aux représentations que nous nous faisons aujourd’hui de cette religion.

Le phénomène de la Poupée Vaudou

D’une part l’esclavage a entraîné quelques différences dans la pratique du culte vaudou entre le golfe du Bénin et les Caraïbes. Ainsi, en dehors de l’Afrique, la pratique du culte vaudou est souvent présentée comme l’utilisation de poupées émaillées d’aiguilles, donnant une image très effrayante de la religion. A travers cette image, le vaudou semble être exclusivement destiné à faire du mal.

Malheureusement, ces images ont été rendues populaires à travers le cinéma et la musique, et assimilées au culte vaudou de façon générale. Typiquement, la littérature sur le sujet repose essentiellement sur une description du vaudou tel qu’il est pratiqué en dehors de l’Afrique, probablement à cause de l’omerta qui l’entoure dans le golfe du Bénin.[3] Lorsqu’on sort la prépondérance de cette image de son contexte, on est amené à se faire une image dégradante de la religion.

La colonisation et l’essor des charlatans

D’autre part, l’autre facteur qui a contribué à écorner l’image du vaudou est la colonisation. Celle-ci a engendré une dislocation des royaumes et des institutions sociales qui garantissaient le caractère sacré de la religion vaudou. Le démantèlement des royaumes impliquait l’affaiblissement du rôle du Bokonon et l’ambigüité de sa place dans la société. Il s’en suit alors la divulgation des secrets religieux à des profanes qui deviennent ensuite des charlatans.

Les uns, n’ayant pas été initiés aux principes de la religion, la pratique à des fins lucratives. Ils sont nombreux à Cotonou, ces jeunes gens qui passent du statut de chômeur à celui du « riche Bokonon ». Il s’agit là d’un amalgame, d’un mélange des genres, car ce « riche Bokonon » n’est rien d’autre qu’un charlatan. Cette situation engendre l’émiettement de la relation de confiance qui existait entre le Bokonon et les adeptes du culte. Les autres utilisent le pouvoir qu’ils détiennent pour répandre le mal ; d’où l’émergence de la sorcellerie, directement associés au vaudou.

Par ailleurs, le pillage systématique de tous les symboles religieux lors des conquêtes coloniales (voir Musée du Quai Branly, le musée royal pour l’Afrique centrale en Belgique) a certainement entraîné la désacralisation de la religion vaudou, à son dénigrement et à la rupture de la confiance. Comment peut-on croire en une religion qui n’a pas protégé contre l’envahisseur, dont on a emporté les symboles sans qu’aucune rétribution ne s’en suive ?

Pour que le vaudou ne soit plus synonyme du mal

A la lumière de ces faits, que peut-on dire du vaudou ? A chacun son opinion. Il faut le dire d’emblée : il ne s’agit pas d’une invitation à se convertir au vaudou, ni d’une incitation à rejeter les religions dites « révélées ». Il s’agit plutôt d’une porte ouverte vers le débat pour déconstruire des représentations que nous nous faisons habituellement d’une religion qui mérite pourtant d’être connue, au même titre que toutes les autres. Ces représentations nous poussent même à avoir honte de parler du Vaudou. Mes interlocuteurs ont très souvent été saisis de frayeur lorsque j’évoque le Vaudou comme une richesse culturelle du Bénin. Cette situation n’est pas de nature à favoriser un échange culturel tant souhaité. Si la nature profonde de cette religion était restaurée, elle pourrait même être source de l’émergence d’un Homme plus stable, intègre et éventuellement en phase avec des valeurs de construction et de partage.

A mes amis qui ne sont pas Béninois, je ne vous inviterai pas au Bénin pour vous faire visiter des Cathédrales ou des Mosquées. Bien au contraire,  je vous amènerai assister aux prestations gratuites des « Zangbétos » et des « Revenants », voire visiter un couvent. Enfin le dimanche, nous irons à l’Eglise. Ou alors, mon ami Moussa vous accompagnera à la Mosquée.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 


[1] Suivre ce lien pour un extrait de la célébration de 2013.

 

 

 

 

[2] Cité dans le livre « Libération du Vaudou dans la dynamique d’inculturation en Haïti ».

 

 

 

 

[3] Cet omerta peut être aussi expliqué par l’interdiction de culte imposée par le régime marxiste au Bénin dans les années 70 et 80. Voir l’article de Libération à ce sujet.

 

 

 

 

Du Franc CFA à l’Eco ?

Cet article soutient que la lutte pour l’indépendance monétaire des pays de la zone franc devrait encourager la création de nouvelles zones monétaires plus larges et qui par construction ne peuvent plus être liées à une ex-puissance coloniale.

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© Pius Utomi Ekpei/AFP
Beaucoup d’encres ont coulé pour critiquer ou pour louer le fonctionnement de la zone franc. Pour les uns, la gestion du franc CFA doit être intégralement confiée aux Etats africains et le compte des opérations à la Banque de France doit être fermé. Pour les autres, tout cela est neutre par rapport à l’impact de la politique monétaire sur la performance économique de la zone franc. Dans tous les cas, le constat partagé par tous est que les pays membres de la zone franc n’ont pas une indépendance monétaire vis-à-vis de la France. En tant que l’un des piliers centraux de la souveraineté nationale, l’indépendance monétaire suffit à justifier le point de vue de ceux qui demande la fin du régime du Franc CFA.

Cependant, la stratégie de dénonciation utilisée par ces derniers depuis des décennies ne donne aucun résultat tangible. Pour preuve, la question n’a jamais été officiellement débattue dans les banques centrales de la zone franc. De plus, nous n’apercevons aucune indication de la fin du régime du Franc CFA. Tant de conférences ont été organisées, tant de livres ont été écrits ; mais rien ne bouge. On se demande bien à quoi devrait penser le Professeur Agbohou, fin défenseur de l’indépendance monétaire des pays de la zone franc.

Il serait illusoire de penser que des preuves scientifiques suffiraient à fléchir les positions des banques centrales sur la question. Les évaluations d’impact de l’appréciation du taux de change sur la productivité et la compétitivité des entreprises de la zone ne suffisent pas pour convaincre. De plus, on ne saurait pas dire exactement comment l’inflation qui accompagnerait la fin du régime actuel du franc CFA affectera l’épargne des plus riches et la consommation des plus pauvres.

Si les gouvernants ne réagissent ni aux dénonciations ni aux preuves scientifiques, c’est peut-être parce qu’ils ont été convaincu par les preuves théoriques et empiriques qui indiquent que le franc CFA aurait permis la stabilité des prix. C’est aussi parce qu’ils en savent très peu sur les coûts que cela impliquent. A cet égard, les seuls travaux des économistes ne permettront pas de faire le bilan global des coûts engendrés par le maintien d’un système qui fixe le taux de change sur une longue période et qui confie la gestion des devises issues des exportations des pays de la zone à une banque étrangère. Il faut aussi évaluer les implications d’un tel système sur le fonctionnement des institutions politiques. Pour toutes ces raisons, la fin du régime actuel du franc CFA intéressera très peu de dirigeants politiques. Et pourtant cette fin est nécessaire.

Faudrait-il attendre un soulèvement populaire contre le CFA ? Les connaissances techniques requises pour comprendre ses implications et susciter un tel soulèvement sont hors de la portée de la majorité des populations. Par conséquent, l’une des options, la plus prometteuse à notre avis, est la promotion de nouvelles zones d’intégration monétaire plus larges recouvrant à la fois les pays de la zone franc et d’autres pays non-francophones. Cette option a le double avantage d’augmenter les bénéfices liés à l’intégration et de garantir l’indépendance monétaire de la zone compte tenu de l’hétérogénéité de l’histoire coloniale des pays membres. En plus, en terme de stratégie, il n’est point besoin de dénoncer le système actuel du franc CFA puisque dans tous les cas, il sera voué à disparaître.

Par ailleurs, cette option est plus favorable aux preuves scientifiques. Il suffira tout simplement de prouver que les facteurs qui ont conduit à la stabilité des prix dans la zone franc sont ou peuvent être présents dans la nouvelle zone monétaire. Actuellement, la mise en circulation de l’Eco, monnaie unique de la CEDEAO, est l’exemple type d’une telle stratégie. Cependant, elle a déjà été repoussée à plusieurs reprises pour des raisons moins claires les unes que les autres. Ici, les défenseurs de l’indépendance monétaire ont un rôle à jouer en apportant les preuves qu’il faut y aller maintenant ou jamais. Vivement que l’exemple de la CEDEAO soit suivi par les pays de la CEMAC en partenariat avec la RDC et l’Angola !!

 

Georges Vivien HOUNGBONON