L’année 2013 de A à Z à l’Afrique des Idées

logoL'année 2013 a été très riche à l'Afrique Des Idées. Nous vous proposons dans cet article une revue des idées qui ont été discutées par les rédacteurs de l'ADI durant cette année qui vient de s'écouler.

A: comme Afro-responsabilité. Cet éditorial de Emmanuel rappelle l’impérieuse nécessité de s’organiser pour proposer de nouvelles idées capables de répondre aux défis immenses de l’Afrique.

B : comme Béninois. Dans une série d’articles, Tite revient sur les résultats d’un sondage réalisé auprès des populations béninoises sur leurs principales préoccupations. Chacune de ces préoccupations est illustrée par un masque « guêlèdè », l’un des chefs-d’œuvre de l’art Africain.

C : comme Centrafrique. Une fois de plus, l’Afrique a tardé à réagir face aux violences en Centrafrique. Ousmane analyse les origines et les implications de ces violences tout en déplorant la faible réaction des Etats Africains.

D : comme Design.  Dans son article, Claudia relate ses conversations avec son guide au musée Dapper. Elles permettent de comprendre les obstacles à la diffusion du design africain auprès du grand public de même que les disparités qui existent entre espaces francophones et anglophones.

E : comme Education. Dans cet article, Félix énumère les raisons qui militent pour un investissement accru dans l’éducation en Afrique. Il propose ensuite des pistes de solutions pour organiser et financer une éducation de qualité en Afrique.

F : comme François Hollande. L’intervention française en Afrique a suscité des réactions contrastées. Hamidou insiste dans cet article sur l’utilité de cette intervention militaire et ses implications sur la capacité des Etats africains à protéger leurs populations contre le terrorisme.

G : comme Guinée Conakry. Dans cet article, Blaise nous interpelle sur l’instabilité politique qui continue de sévir en Guinée Conakry. A l’origine des tensions, l’organisation des élections législatives.

H : comme Hissène. Cette affaire qui remet à l’ordre du jour la nécessité d’une cour pénale africaine est analysée par Ndeye. Elle présente dans cet article les conditions qui ont favorisé le lancement de ce procès tant attendu.

I : comme Inde. Dans cet article, Foly constate un développement de plus en plus important des relations entre l’Inde et l’Afrique. Il se questionne ensuite sur les intérêts mutuels d’un tel partenariat.

J : comme Jeune. Y-a-t-il un lien entre le commerce intra-africain et l’emploi des jeunes ? C’est à cet exercice que s’est livré Georges-Vivien dans son article sur le sujet. Il montre en effet que l commerce intra-africain peut être un levier de réduction du chômage des jeunes.

K : comme Kenya. La question foncière au Kenya tout comme en Ethiopie a été à l’origine de changements de régime souvent brutaux. Elle est aussi au cœur des problématiques de développement aujourd'hui. Loza Seleshie revient sur une problématique importante dans la région orientale du Continent.

L : comme le Lac Tchad. Faire de la sauvegarde du lac Tchad un exemple de coopération africaine. Voilà en substance ce qu’il ressort de l’interview réalisée par Djamal auprès de M. Emile H. Malet, directeur du Forum Mondial du Développement Durable.

M : comme Mandela. Le père de la nation Arc-en-ciel nous a quitté en ce début du mois de décembre. Nacim revient sur son périple à travers l’Afrique, notamment en Algérie où il a dû s’entrainer à la lutte armée.

N : comme Numérique. Après avoir rappelé les principaux progrès dans l’adoption des NTIC en Afrique, Georges-Vivien en appelle à une amplification de leur diffusion.

O : comme Obama. En visite sur le continent Africain, et plus particulièrement au Sénégal, le président américain a eu un échange très controversé sur l’homosexualité et la peine de mort avec son homologue sénégalais Macky Sall. Joël revient sur cet échange qui a fait couler beaucoup d’encre.

P: comme Pétro-CFA. Dans cet article, Leonide analyse comment la réorganisation du secteur énergétique mondiale pourra générer des ressources financières importantes pour l’Afrique, susceptibles de financer son développement.

Q : comme Quatar. Ce pays est devenu l’un des plus importants investisseurs étrangers dans le Monde. Qu’en est-il de sa position en Afrique. Foly montre que les investissements du Quatar sont principalement localisés en Afrique du Nord.

R : comme Rubrique. L’année qui vient de s’achever a vu le lancement de la nouvelle rubrique dédiée aux questions d’énergie et d’environnement en Afrique. Sa mise en place vient du constat que l’Afrique devra faire face à l’accroissement de sa consommation énergétique en tenant compte des contraintes environnementales.

S : comme Sénégal. Partant du cas du Sénégal, Fary constate que les modes de représentation actuels ne permettent pas aux députés de relayer effectivement les doléances des populations à la base. Il appelle donc à une territorialisation du vote.

T : comme Tombouctou. Dans cet article, Joël soutient qu’il n’y a pas de choc de civilisations. Pour cela, il s’appuie sur la résistance passive des populations maliennes à l’occupation du Nord Mali par les islamistes d’Ansar Dine et d’AQMI.

U : comme Uhuru Kenyatta. Celui qui est soupçonné d’être impliqué dans les violences post-électorales de 2007 au Kenya a été élu président de la république. Notre partenaire Think-Africa Press analyse comment cela a été possible.

V : comme Venture Capital. Le financement des activités économiques en Afrique est un enjeu majeur pour son développement. Emmanuel nous présente dans cet article l’activité d’une nouvelle société de venture capital spécialisée dans le financement des projets en phase de démarrage dans les secteurs pétroliers et miniers.

W : comme Westgate. L’attaque terroriste survenue dans le grand centre commercial de Nairobi au Kenya vient nous rappeler le risque sécuritaire que représentent les Shebabs de la Somalie. Dans une analyse des événements, Rayan en conclut qu’il faut rechercher les causes de cette attaque dans la situation politique en Somalie.

X : comme Xamissa. Dans son article, Gaylord nous fait découvrir les performances du musicien Kyle Shepherd ; un voyage culturel au pays de Mandela.

Y : comme Youth. Ou plutôt jeunes afro-responsables. Tity nous propose un portrait de quelques jeunes afro-responsables qui chacun dans leur domaine œuvrent pou le rayonnement de l’Afrique.

Z : comme Zimbabwe. A qui profite la nouvelle constitution du Zimbabwe ? Notre partenaire Think-Africa Press pense qu’il s’agit d’une constitution par les politiciens et pour les politiciens. Espérons que les prochaines révisions de constitution soient vraiment l’émanation de l’aspiration des populations.

 

Georges Vivien Houngbonon

Union Monétaire : Vers des critères de convergence économique et sociale

beacAujourd’hui, le fonctionnement des zones d’intégration monétaire dépend de critères de convergence qui ne prennent pas en compte la situation économique des populations. Dans cet article, nous proposons que les critères de convergence économique soient complétés par des critères de convergence sociale, pour garantir le développement harmonieux de l’ensemble des pays membres de l’union.

Une tendance générale vers plus d’intégration monétaire

Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies davantage de zones d’intégration économique sont créées partout dans le monde. A l’image de l’Union Européenne, de l’UEMOA ou de l’ASEAN, elles visent pour la plupart d’atteindre le stade le plus avancé de l’intégration avec la mise en circulation d’une monnaie commune. Cette tendance générale vers plus d’intégration monétaire est beaucoup plus visible en Afrique sub-saharienne. C’est ainsi que la CEDEAO envisage de mettre en circulation l’Eco comme monnaie unique dans la zone dès 2015. Plus récemment, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) s’est donnée dix ans pour mettre en circulation sa monnaie commune.

Cette tendance est tout à fait bénéfique pour les pays africains compte tenu des gains de productivité qu’elle engendre. Ces gains proviennent surtout des économies d’échelles que peuvent exploiter les entreprises qui opèrent dans la zone d’intégration, mais aussi des complémentarités économiques qui existent entre certains pays. Par exemple, il sera moins coûteux pour un opérateur de télécommunications de fournir des services de communications aux 135 millions de clients potentiels de l’EAC plutôt qu’aux seul consommateurs d’un seul pays. En situation de concurrence, cela devrait conduire à des services de communications de qualité et à moindres prix pour le consommateur. De même, les échanges commerciaux, par exemple de matières premières qui rentrent dans la fabrication de produits manufacturées, sont limités à cause des coûts de transaction liés à la multiplicité des monnaies locales.

L’utilité des critères de convergence

Pour bénéficier pleinement de ses avantages, les unions monétaires ont besoin de mettre en place des critères de convergence. Ceux-ci permettent de garantir que des pays initialement différents tendent à se ressembler pour mieux amortir les chocs économiques idiosyncratiques suite à la perte de l’outil monétaire.[1] Les réflexions académiques sur les critères de convergence ont surtout menés par des économistes comme Robert Mundell dans le cadre de la mise en circulation de l’euro. Ces critères portent notamment sur le taux d’inflation, le déficit public et la dette publique.

La limitation du taux d’inflation, du déficit et de la dette publique sous un certain seuil permet de maintenir la structure économique des différents Etats membres dans une fourchette qui favorise l’intervention de la banque centrale. De plus, le maintien de l’inflation en dessous d’un seuil fixe permet de limiter la baisse du pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres et de préserver l’épargne des plus fortunés. Quant aux critères portant sur le déficit public et la dette publique, ils garantissent la stabilité macroéconomique des économies.

La nécessité d’ajouter des critères de convergence sociale

On s’aperçoit que les critères de convergence initialement définis pour la zone euro sont purement d’ordre (macro)économique. Ils ne prennent pas directement en compte le rapprochement des conditions de vie des populations. Même si on pourrait arguer que la stabilité macroéconomique ou la réduction de l’inflation est source d’amélioration du bien-être, plusieurs faits empiriques montrent aujourd’hui que la baisse des déficits publics, de la dette publique ou de l’inflation ne conduit pas systématiquement à une réduction de la pauvreté et des inégalités. Nous n’en voudrons pour preuve que les pays de l’UEMOA. En effet, ni la pauvreté, encore moins les inégalités n’ont été réduites de façon significative dans ces pays ; bien au contraire. Il en est de même pour les pays Européens qui mettent en place aujourd’hui les politiques d’austérité budgétaire pour en partie respecter les critères de convergence.

En réalité, si les critères de convergence proposés pour la zone euro ne comportaient pas de volet social, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de différence significative entre les Etats partis à l’union monétaire en termes de pauvreté et des inégalités.[2] Aujourd’hui, ce débat resurgit dans l’opinion publique des pays d’Europe de l’Ouest face à l’entrée des pays d’Europe de l’Est ayant des incidences de pauvreté et d’inégalité beaucoup plus élevées. Or, nous assistons aujourd’hui à une transposition des critères de convergence de la zone euro par les unions monétaires africaines. L’UEMOA, en est un exemple.[3] Cette transposition omet d’office les différences de conditions de vie des populations africaines qui sont pourtant autant importantes que la stabilité du cadre macroéconomique.

Comme le montre les résultats d’un article de Franck publié sur l’Afrique des Idées, il n’est pas possible de dire que les pays de l’UEMOA convergent. On note d’ailleurs une divergence en faveur de la Côte d’Ivoire, voire une convergence vers une détérioration des agrégats économiques comme le PIB. L’origine de cette absence de convergence est à rechercher dans les différences de conditions de vie des populations entre les pays membres ; comme le montre d’ailleurs les travaux sur les clubs de convergence. En omettant la dimension sociale dans les critères de convergence, les banques centrales de la zone franc mettent en œuvre une politique monétaire qui n’arrange que les Etats les plus développés au détriment des plus pauvres. Cela engendre davantage de divergence dans les conditions de vie et réduit l’efficacité de la politique monétaire commune.

Par conséquent, la vague prochaine de zones d’intégration monétaire en Afrique doit prendre en compte des critères de convergence sociale en plus des critères de convergence économique. Nous pensons par exemple à ce qu’il soit requis de la part des pays membres une baisse annuelle de x% de son incidence de la pauvreté, des inégalités de revenus et du taux de chômage. Car, c’est seulement en ancrant les critères de convergence aux conditions de vie des populations qu’on sera en mesure de susciter leur adhésion politique aux multiples projets d’intégration régionale en cours sur le continent.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

 


[1] Les chocs idiosyncratiques désignent les chocs qui affectent en particulier un Etat membre de l’union monétaire. Par exemple, si un pays est le seul producteur de coton dans une union monétaire, il peut arriver qu’il subisse une baisse de la demande de coton à cause d’une hausse du cours. Si le pays disposait de sa propre monnaie, il pourrait la dévaluer pour rester compétitif sur le marché international. Mais dans une union monétaire, cet instrument n’est plus disponible à l’échelle du pays. Il revient alors à la banque centrale commune de mettre en place une politique monétaire permettant d’atténuer les effets de ce choc. Vous comprendrez donc que les effets d’une telle politique commune seront d’autant plus pervers que les pays sont très différents.

 

 

 

 

[2] Notons toutefois que la question de la prise en compte des critères sociaux a été à l’origine des débats politiques qui ont conduit au rejet de la constitution européenne par les Français.

 

 

 

 

[3] La zone UEMOA ajoute même des critères portant sur les arriérés de paiement, la masse salariale, les investissements publics et la fiscalité. (voir page 12 du rapport de la BCEAO) 

 

 

 

 

Desmond Tutu rend hommage à Nelson Mandela

prison_roben_islandNelson Mandela est pleuré par les Sud-Africains, les Africains et la communauté internationale aujourd'hui comme le leader de notre génération qui se tenait la tête et les épaules au-dessus de ses contemporains – un colosse de moralité irréprochable et l'intégrité, figure publique la plus admirée et vénérée dans le monde.

Pour l’Afrique, il est plus que Kenyatta, Nkrumah, Nyerere et Senghor. Vous recherchez des comparaisons au-delà de l'Afrique, il restera dans l'histoire comme le George Washington de l’Afrique du Sud, une personne qui, au sein d'une présidence unique de cinq ans est devenu l'icône principale de la libération et la réconciliation, aimé par ceux de tous les bords politiques comme le fondateur d’une Afrique du Sud moderne et démocratique.

Il n’a pas bien sûr été toujours considéré comme tel. Quand il est né en 1918 dans le village rural de Mvezo, il a été nommé Rolihlahla, ou «fauteur de troubles». (Nelson était le nom donné à lui par un enseignant quand il a commencé l'école.) Après la fuite à Johannesburg pour échapper à un mariage arrangé, il a vécu sur les traces de son nom. Introduit à la politique par son mentor, Walter Sisulu, il rejoint un groupe de jeunes militants qui ont défié les dirigeants de l'African National Congress, fondé par les leaders noirs en 1912 pour s'opposer à la politique raciste du syndicat nouvellement formé de blanc statué Colombie colonies et républiques afrikaners.

Après l’arrivée au pouvoir des nationalistes afrikaners en 1948, avec leur intention de déposséder les Noirs, la confrontation devient inévitable. Comme le nouveau gouvernement a mis en œuvre sans relâche des lois répressives racistes, l'ANC a intensifié sa résistance jusqu'à son interdiction en 1960, quand il a décidé que, après avoir épuisé tous les moyens pacifiques de réalisation de la démocratie, il n'avait d'autre choix que de recourir à l'utilisation de la force.

Madiba, le nom de clan par lequel les Sud-Africains désignent Nelson Mandela, entre dans la clandestinité, puis a quitté le pays pour chercher du soutien pour la lutte. Il l’a reçu dans de nombreuses parties de l'Afrique – en formation militaire en Ethiopie – mais il n'a pas réussi à obtenir un soutien significatif à l'Ouest.

À son retour en Afrique du Sud, il a été capturé par la police et d’abord emprisonné pour incitation à la grève et voyage illégal. Deux ans plus tard, il a été amené de la prison pour faire face à des accusations, avec d'autres dirigeants, de guérilla. À la fin du procès, ils ont tous été condamnés à la prison à vie.

En 1964, Madiba a été envoyé à la prison de Robben Island au large de la côte de Cape Town en tant que leader de la guérilla militant, le commandant en chef de l'aile militaire de l'ANC, Umkhonto Wesizwe, engagé à renverser l'apartheid par la force. Quand il est sorti de prison en 1990, ses yeux sont endommagés par les carrières de calcaire aveuglantes et vives dans lesquelles les prisonniers avaient été forcés d'écraser la roche, et ayant contracté la tuberculose en raison des conditions de détention, il aurait pu s'attendre à sortir mordicus sur la vengeance et la rétribution. Les Sud-Africains blancs craignaient certainement cela. De l'autre côté de l'échiquier politique, certains de ses partisans ont craint que ayant été adulé auprès des militants pour son rôle crucial dans la lutte, il pourrait se révéler avoir des pieds d'argile et être incapable de vivre avec sa réputation.

Rien de tout cela ne se produisit. La souffrance peut empoisonner ses victimes, mais aussi elle peut les ennoblir. Dans le cas de Madiba, ces 27 années de prison n'ont pas été gaspillées. Tout d'abord, il lui a donné une autorité et une crédibilité difficile à atteindre par d'autres moyens. Personne ne peut contester ses lettres de créance. Il avait prouvé son engagement, son abnégation par ce qu'il avait subi. Deuxièmement, le creuset de la souffrance atroce qu'il avait enduré a purgé la crasse, la colère, la tentation de tout désir de vengeance, aiguisant son esprit et le transformant en une icône de la magnanimité. Il a utilisé son énorme stature morale à bon escient à convaincre son parti et beaucoup dans la communauté noire, en particulier les jeunes, que la compréhension et le compromis sont les moyens d'atteindre notre objectif de démocratie et de justice pour tous.

Aux pourparlers que le chef de l'Église méthodiste, le Dr Stanley Mogoba, et moi avions convoqué, pour tenter de régler les différences entre l'ANC et l'Inkatha Freedom Party de Mangosuthu Buthelezi, Madiba va au-delà de son mandat d'offrir au Docteur Buthelezi un poste supérieur dans le gouvernement post-apartheid ; il lui offrit même le poste de ministre des Affaires étrangères. Pourtant, Madiba n’était pas mou dans les négociations: quand les Sud-Africains noirs ont été massacrés au cours de la transition par les forces de l’ordre qui essayait de conserver le pouvoir que l'apartheid leur avait conféré, il pourrait s’indigner de l’échec du gouvernement à empêcher les massacres – tant et si bien que, une fois un dirigeant syndical est venu me voir, disant qu'il avait peur que l'intransigeance de Madiba anéantirait les pourparlers.

Quand il devint président en 1994, au lieu de réclamer vengeance pour le sang de ceux qui avaient opprimé et maltraité lui et de notre peuple, il a prêché un évangile du pardon et de la réconciliation. Il a invité son ancien geôlier blanc à son inauguration. Il s’est envolé pour une enclave rurale afrikaner éloignée, mise de côté comme un refuge pour ceux qui ne pouvaient pas supporter qu’un noir Sud-Africain dirige un pays uni, pour répondre à la veuve du premier ministre qui a été reconnue comme l'architecte et grand prêtre de l'apartheid. Il a invité à déjeuner le procureur qui l'avait envoyé en prison. Et qui, en Afrique du Sud pourra oublier la journée à la Coupe du monde de rugby en 1995, mémorablement célébrée dans le film, œInvictus, durant laquelle il a enfilé le maillot de rugby des Springboks – autrefois méprisé dans la communauté noire comme un symbole de l'apartheid dans le sport – et inspiré l'équipe à la victoire, avec des dizaines de milliers de Blancs qui à peine cinq ans plus tôt l'avait considéré comme un terroriste, en chantant dans le stade de rugby, « Nelson, Nelson ».

Après avoir appris en prison à connaître son ennemi dans ses rapports avec ses gardiens, et acquis une compréhension très fine de la psychologie humaine, il s'est rendu compte que les Afrikaners se sentaient menacés et mal, ayant perdu le pouvoir politique et pensant qu'ils perdraient même leurs symboles chers. En un coup de maître, il les avait à ses côtés en désamorçant les risques d'instabilité. En tant que président, et par la suite, il a travaillé sans relâche, en levant des fonds pour les écoles et les dispensaires dans les zones rurales. Les chefs d'entreprises recevaient une invitation à se joindre à lui pour la journée, et il les amenait par hélicoptère dans un village reculé et leur demandait de donner de l'argent pour une école. Il a aussi utilisé une partie de son salaire de président pour mettre en place le Fonds Nelson Mandela pour les enfants et plus tard a créé sa fondation pour les œuvres caritatives.

A la fin de son premier mandat, Madiba a fait une autre contribution d'une importance énorme pour l'Afrique du Sud et le continent: il a refusé le second mandat auquel la Constitution lui donnait droit, et a pris sa retraite, pour se démarquer de ces dirigeants africains qui semblent ne pas savoir quand il faut quitter ses fonctions.

Madiba avait des défauts. Sa principale faiblesse était sa loyauté envers ses camarades et du parti pour lequel il a passé près de trois décennies en prison. Il a permis à des ministres peu performants de rester à leur poste pendant trop longtemps. Il n'a pas réussi à comprendre l'ampleur de la crise du VIH/sida – bien que plus tard, après avoir quitté ses fonctions, il a vu qu'il avait eu tort. Réalisant son erreur, il s’est présenté devant la direction de l'ANC pour tenter de convaincre le parti de prendre la crise au sérieux, et a été attaqué par ses collègues pour sa position.

Je n'étais pas toujours d'accord avec lui, d'abord sur la décision de son gouvernement de continuer à fabriquer et à commercialiser des armes et sur la décision du Parlement de s'octroyer des augmentations de salaires peu de temps après son arrivée au pouvoir. Il m'a publiquement attaqué comme un populiste, mais il n'a jamais essayé de me faire taire, et nous avons pu rire de nos prises de bec et rester amis. À une occasion, au cours des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation, l'un de nos commissaires a été accusé d'être impliqué dans une affaire devant une commission. Madiba a instruit une enquête judiciaire pour examiner les allégations et lorsque le rapport était prêt, j'ai reçu un coup de téléphone de son secrétaire demandant des détails de contact pour le commissaire. Je lui ai dit que j'étais en colère contre le président: en tant que président de la commission, je dois connaître les résultats de l'enquête en premier. Quelques minutes après, Madiba m’a personnellement appelé pour s'excuser et reconnaître qu'il a eu tort. Les gens qui sont précaires et incertains d'eux-mêmes trouvent qu'il est difficile de présenter des excuses; Madiba a montré sa grandeur par sa volonté de le faire rapidement et sans aucune réserve.

Il était surprenant dans son altruisme désintéressé pour les autres, tout en reconnaissant – comme l'a fait un Mahatma Gandhi ou un Dalaï Lama – qu’un vrai leader n’existe pas pour l'auto-glorification, mais pour le bien de ceux qu'il dirige. Malheureusement, sa vie personnelle a été marquée par la tragédie. Sacrifier le bonheur personnel pour son peuple, la prison l'a séparé de son épouse bien-aimée, Winnie et ses enfants. Il était profondément affligé qu’alors que Winnie est harcelée et persécutée par la police, et était plus tard prise dans les manigances de personnes qui l'entouraient, il a été forcé de rester impuissant dans sa cellule, incapable d'intervenir. Alors qu’il s’inquiétait pour Winnie, et était chagriné par le deuil de sa mère, il a perdu son fils aîné, Thembi, dans un accident de la route.

Peu de temps après sa libération, ma femme, Leah, et moi avions invités Nelson et Winnie dans notre maison de Soweto pour un repas traditionnel Xhosa. Comment il l'adorait: tout le temps qu'ils étaient avec nous, il suivait tous ses mouvements comme un chiot radoteur. Plus tard, quand il était clair que leur mariage était en difficulté, j'ai passé du temps avec lui. Il a été dévastée par la rupture de leur relation – il n'est pas exagéré de dire qu'il était un homme brisé après leur divorce, et il entra dans la présidence comme un personnage solitaire.

C’était d'autant plus merveilleux quand lui et Graça Machel, la veuve éponyme du président fondateur du Mozambique, Samora Machel, sont tombés amoureux. Madiba a été transformé, excité comme un adolescent dans l'amour, puisqu’elle a restauré son bonheur. Elle était une aubaine. Il a montré une remarquable humilité quand je l'ai critiqué publiquement pour vivre avec elle sans bénéfice de mariage. Certains chefs d'État m'auraient écorché. Pas celui-ci. Peu de temps après, j'ai reçu une invitation à son mariage.

Le monde est un meilleur endroit pour Nelson Mandela. Il a montré dans son propre caractère, et inspiré dans d'autres, un grand nombre des attributs de Dieu: la bonté, la compassion, un désir de justice, la paix, le pardon et la réconciliation. Il était non seulement un incroyable cadeau à l'humanité, il a fait que les Sud-Africains et Africains se sentent bien d'être qui nous sommes. Il nous a fait marcher la tête haute. Dieu soit loué.

Desmond Tutu est l'archevêque anglican émérite de Cape Town, en 1984 le prix Nobel de la paix et, plus récemment, le bénéficiaire d'une Ibrahim Prix spécial de la Fondation Mo et le Prix Templeton 2013.

Un article initialement paru sur allafrica, et traduit de l'anglais. Les idées traduites peuvent ne pas réfléter la version originale. Nous vous invitons à la consulter autant que possible.

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

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Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.

Quel est l’impact des médias sur le développement ?

171998902-2Nous avons coutume de dire que la presse est le quatrième pouvoir dans une démocratie. Au-delà de ce rôle, somme toute symbolique, intéressons-nous précisément à l’impact des médias sur la vie politique et économique des nations. C’est à cette question que répondent des chercheurs dans deux études académiques récentes. L’une analyse l’impact à long terme des médias sur la lecture des journaux et l’implication citoyenne en Afrique sub-saharienne, et l’autre examine l’impact des médias sur la croissance économique en Europe.

La première étude, menée par Cagé et Rueda en 2013, nous apprend que le développement des médias permet d’augmenter l’implication citoyenne des populations dans la vie politique de leur pays. En effet, pour garantir l’exactitude de cet effet, les deux auteures ont croisés les données issues de l’enquête Afrobaromètre sur l’implication citoyenne avec des données géo-localisées sur les régions où ce sont implantées les premières industries d’imprimerie en Afrique sub-saharienne.[1] Elles constatent que ces régions ont connu un développement plus rapide et durable de la presse privée. En plus, les populations qui vivent aujourd’hui dans ces régions lisent davantage les journaux et participent plus aux discussions et actions politiques comme les débats publics et les marches de protestation. Il s’agit de régions situées dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie.

Quant à la deuxième étude, publiée par Dittmar en 2011, elle montre que le développement des médias a un impact positif sur la croissance économique. Plus spécifiquement, cette étude utilise la même méthodologie que celle de Cagé et Rueda ; mais adopte plutôt une approche globale en regardant l’impact des médias sur la croissance économique. Elle démontre que les villes européennes dans lesquelles se sont implantées les premières industries d’imprimerie dans les années 1400 ont connu au cours du siècle suivant une croissance économique 1,6 fois supérieure à celle de villes similaires.

Même si ces études ne donnent pas les détails précis sur les mécanismes qui expliquent ces effets, elles apportent néanmoins la preuve formelle que le développement des médias a un impact significatif sur la vie économique et politique d’une nation.[2] Une implication générale qui résulte de leurs résultats est que tout ce qui entrave l’expansion des médias est mauvais pour le développement. Cependant les ramifications de ces résultats vont au-delà de cette conclusion. Ils montrent aussi que le retard dans l’adoption et l’expansion des médias à des impacts qui persistent dans le long terme. Comme la montre l’étude de Cagé et Rueda sur l’Afrique, l’introduction tardive de la presse écrite au début du 20ème siècle dans certaines régions d’Afrique sub-saharienne a entraîné aujourd’hui une faible lecture de la presse et une faible implication dans les activités politiques de la part des populations. C’est notamment le cas des pays francophones. Par exemple, selon cette même étude, le premier journal africain édité par des africains a été publié en janvier 1876 en Afrique du Sud, soixante ans plus tôt que le premier journal publié dans l’espace francophone à Abidjan en 1935.

Pour éviter ces implications à long terme, il importe donc d’éviter toute entrave à l’expansion des médias et surtout en Afrique. Comme le montre les résultats du dernier round de l’Afrobaromètre ci-dessous, très peu d’Africains ont accès aux médias en dehors de la radio. Par exemple, ces résultats nous indiquent qu’environ 20% de la population n’écoute jamais la radio, plus de 40% ne regardent jamais la télé, plus de 55% ne lisent jamais les journaux et plus de 7 personnes sur 10 n’a jamais été informé grâce à l’internet. Quant à la radio, elle est écoutée quotidiennement par environ 40% de la population entre 2011 et 2013. Au regard des précédents résultats, on peut craindre que l’implication citoyenne des populations de même que les effets des médias sur la croissance économique soient très limités. Cette situation n’est pas de nature à favoriser les transformations institutionnelles tant souhaitées pour un véritable décollage de l’Afrique.

Dans ces conditions, l’émergence des nouveaux médias grâce aux NTIC peut être une occasion exceptionnelle pour révolutionner l’accès aux médias et à l’information pour tous et en particulier en Afrique. Par exemple, avec le fort taux de pénétration du téléphone mobile en Afrique, les opérateurs de réseau mobile peuvent fournir des services d’information par SMS. Le développement de l’internet par mobile ne serait que salutaire dans ce sens.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Annexe: Pourcentage de la population ayant accès aux différents types de médias en Afrique (Source: Afrobaromètre)

graph_media
Afrobarometer survey. Selected samples: Algeria 2013, Benin 2012, Botswana 2012, Burkina Faso 2012, Burundi 2012, Cameroon-2013, Cape Verde 2011, Côte d’Ivoire, Ghana 2012, Guinea, Kenya 2011, Lesotho 2012, Liberia 2012, Madagascar-2013, Malawi 2012, Mali 2012, Mauritius 2012, Morocco 2013, Mozambique 2012, Namibia 2012, Niger 2013, Nigeria 2012, Senegal 2013, Sierra Leone 2012, South-Africa 2011, Swazilandia 2013, Tanzania 2012, Togo 2012, Uganda 2012, Zambia 2012, Zimbabwe 2012 (Base=48004; Weighted results)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le fait que ce soit les premiers colons protestants qui aient apporté l’imprimerie en Afrique constitue une variation exogène de l’ampleur des médias. Cependant, on peut évoquer la sélection endogène des colons dans les colonies qui étaient déjà prédisposées à lire et à s’impliquer dans la vie politique. Les résultats résistent à cette éventualité.

 

 

 

[2] Il est vrai que les résultats portent sur le développement de la presse écrite, qui n’est qu’un type particulier de média. Il est vrai aussi que l’impact peut dépendre du type de média, mais nous estimons que l’impact de la presse écrite est que minimal compte tenu de l’étendue de leur public cible.

 

 

 

L’espionnage électronique : Une menace pour l’Afrique ?

« Le génie ne peut respirer librement que dans une atmosphère de liberté »

De la liberté (1859), John Stuart Mill (trad. Laurence Lenglet),

éd. Gallimard, coll. Folio, 1990 (ISBN 2-07-032536-9), p. 160

 

une_espionnageNous vivons aujourd’hui dans une société dont le principe de base est la liberté. C’est elle qui garantit le développement économique et social des nations.[1] Cependant, les récentes révélations sur l’espionnage électronique de l’Agence Nationale de Sécurité américaine  (NSA) indique que ce principe est sérieusement menacé. S’il est vrai que tous les Etats se livrent à l’espionnage, la particularité de la NSA est de dépasser la limite des affaires étatiques pour rentrer dans la vie privée des dirigeants politiques voire même de simples citoyens.[2]

Depuis la première révélation de l’ex-consultant du renseignement américain, Edward Snowden, il ne se passe plus un jour sans que nous apprenions de nouvelles techniques d’espionnage électronique pratiquées par la NSA. En plus de la simple interception de communications téléphoniques, l’agence recueillent secrètement des données dans les serveurs des fournisseurs de contenus internet comme Google, Yahoo ! et Facebook. Tous les messages sont donc passés aux cribles par les agents de la NSA dans le but de « prévenir les attaques terroristes ». Au-delà de cette justification, et compte tenu de l’ampleur de l’espionnage, ce que l’on craint c’est surtout les répercussions de ces pratiques sur les relations économiques, les négociations internationales voire sur la stabilité des pays les moins avancés.

L’Afrique étant globalement moins avancée dans les nouvelles technologies de la communication, elle est particulièrement vulnérable à ces effets de l’espionnage électronique à grande échelle. Combien de négociations économiques ont été biaisées en défaveur de l’Afrique à cause de l’asymétrie d’information ? Combien d’Etats sont menacés de chantage sur la base des informations dont disposent les services de renseignements électroniques sur les affaires personnelles des dirigeants. La liste devrait être longue.

En réaction aux révélations, les Etats européens envisagent actuellement la création d’un Cloud Européen pour se prémunir des intrusions de la NSA dans les affaires publiques et privées des dirigeants européens. Il s’agit d’un réseau interne de serveurs hébergés en Europe dans des zones sécurisées et qui stockent toutes les données issues des communications électroniques. Il est temps que les Etats Africains travaillent aussi à la mise en place d’un Cloud Africain sécurisé. L’enjeu est de taille car il n’y a pas que les Etats-Unis d’Amérique qui surveillent la toile ; tous les pays développés s’y livrent également.

Par ailleurs, il s’agit aussi d’un impératif pour l’émergence de la société de l’information ; c'est-à-dire une société où les TIC modifient profondément les relations sociales, le fonctionnement de l’Etat et l’organisation des entreprises. L’avènement d’une telle société dépend de la confiance qu’ont les acteurs qui doivent y prendre part dont les citoyens, les entreprises et les gouvernements. Avec l’expansion de l’espionnage électronique il y a des risques d’une perte de confiance dans les réseaux de communications. Cela conduirait au mieux à un ralentissement du développement de la société de l’information. Or compte tenu de sa capacité à se substituer aux infrastructures classiques de développement, l’Afrique sera le grand perdant d’un tel ralentissement. Ainsi, l’espionnage électronique, en diminuant la confiance dans les réseaux de communications électroniques, est une menace sérieuse pour le développement de l’Afrique.

En évoquant la lutte contre le terrorisme pour justifier l’espionnage électronique, les pays qui disposent d’un avantage technologique nous offre le choix entre la liberté et la sécurité. Au vu de la problématique sécuritaire en Afrique, les pays Africains risquent de choisir la sécurité tout en sacrifiant les vertus de la protection des libertés individuelles sur développement économique. Dès lors, il y a lieu que les discussions sur les coopérations en matière de sécurité prennent en compte la question de la protection des données personnelles.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 


[1] Armatya Sen, Development As Freedom, 1999.

 

 

[2] Le Sécretaire d’Etat John Kerry lui-même reconnaît que les agents de la NSA sont allés « trop loin ».

 

 

Développer l’industrie du cinéma en Afrique

une_cinemaLorsqu’on observe les budgets colossaux des films américains, on arrive vite à la conclusion que l’industrie cinématographique peut contribuer à créer beaucoup d’activités économiques, voire d’emplois. De même, quand on considère le contenu des films américains et leur influence sur le rayonnement international des Etats-Unis, on ne peut que conclure à l’importance stratégique du cinéma dans la visibilité internationale d’une nation. C’est aussi à la même conclusion qu’on arrive lorsqu’on prend en compte « l’exception culturelle » Française. Dès lors, il convient d’accorder une place plus importante à l’industrie cinématographique dans les réflexions sur le développement de l’Afrique.

La bonne nouvelle, c’est que l’Afrique n’a plus besoin d’aller chercher loin les recettes pour développer son industrie cinématographique. Aujourd’hui, le Nigéria offre un exemple à suivre à travers son industrie cinématographique communément appelé « Nollywood ». Cependant, à l’heure actuelle, nous savons très peu de la conjonction de facteurs qui a conduit à l’émergence et au succès grandissant de cette industrie au Nigéria. Pourquoi n’avons-nous pas observé le même succès dans d’autres pays ? Qu’est ce qui a fait la différence ? Le succès Nigérian est-il transposable dans d’autres pays africains ?

Les quelques rares publications sur l’émergence de Nollywood nous fournissent quelques réponses à ces questions. Cependant, celles-ci ne nous semblent pas satisfaisantes. L’un des ouvrages qui examine cette question avec beaucoup d’adresse est celui de Pierre Barrot intitulé « Nollywood : Le phénomène de la vidéo au Nigéria ». A partir de l’article dont il a fait l’objet sur ce site web on y apprend que la présence d’investisseurs locaux, l’acquisition des nouvelles technologies et l’utilisation optimale des ressources sont les trois principaux facteurs qui expliqueraient le succès nigérian. A y voir de près, on constate que toutes ces conditions sont également réunies dans plusieurs autres pays comme le Ghana, le Kenya ou l’Afrique du Sud. Cependant, en dépit des multiples tentatives qui sont faites dans ces pays pour développer l’industrie du cinéma, le succès n’est pas encore au rendez-vous.

L’une des conditions que nous avons identifiée et qui semble expliquer le succès nigérian est l’économie d’échelle. Ce paramètre économique qui baisse significativement les coûts unitaires de production à mesure que le marché potentiel s’élargit permet d'expliquer l’émergence de l’industrie cinématographique au Nigéria. C’est elle qui a permis de rentabiliser les productions coûteuses du cinéma et d’inciter les investisseurs locaux à placer leurs actifs dans ce secteur. C’est aussi elle qui a incité les entrepreneurs à adopter les nouvelles technologies pour profiter davantage les économies d’échelles. Enfin, c’est elle qui a induit l’utilisation optimale des ressources pour satisfaire aux exigences de rentabilité des investisseurs.

Etant le pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 168 millions de personnes en 2012, loin devant l’Egypte et l’Ethiopie (87 millions), le Nigéria présente cette particularité démographique nécessaire à l’activation des économies d’échelle qui sont très importantes dans l’industrie cinématographique. Il en est de même pour le succès croissant de Hollywood qui peut se permettre de financer des films très coûteux, mais de très bonne qualité, vendus dans le monde entier.[1] A elles seules, les économies d’échelles induites par la démographie exceptionnelle du Nigéria peuvent expliquer les trois facteurs identifiés dans les publications actuelles comme sources de l’émergence du cinéma au Nigéria.

Compte tenu du caractère exogène de cette cause, il en résulte que le succès nigérian sera difficile à répliquer dans d’autres pays africains. Même en tenant compte des perspectives démographiques, très peu de pays africains seraient en mesure de faire émerger une industrie de production cinématographique comme celle du Nigéria. Par conséquent, il serait intéressant de voir une convergence des politiques de la culture entre les pays africains de manière à soutenir la montée en puissance de Nollywood comme le hub du cinéma africain à l’échelle mondiale. Cela passera par davantage de collaborations entre les cinéastes nigérians et ceux des autres pays africains. Cette tendance est actuellement en cours entre le Ghana et le Nigéria où l’on observe que des acteurs nigérians et ghanéens jouent dans le même film. En plus, la contribution des Etats africains à la formation des ressources humaines et à la mise en place des infrastructures nécessaires à la production ne serait plus que souhaitable.

Nonobstant la conclusion à laquelle nous sommes parvenus, il n’en demeure pas moins que le mystère persiste sur les mécanismes microéconomique, politique et social qui ont assuré le succès de  Nollywood non seulement au Nigéria mais de plus en plus dans toute l’Afrique. Des réflexions plus poussées méritent d’être menées sur la question afin d’accompagner le développement de cette industrie si capitale dans le processus du développement. Me permettant de compléter cette citation attribuée à Edouard Herriot, je dirai que la culture n’est pas seulement ce qui reste quand on a tout oublié ; mais c’est aussi ce qu’il y a d’original à partager avec les autres ; le cinéma en est une.

 

Aller plus loin :

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 

 


[1] La production du film Avatar a coûté 387 millions de dollars US. (cf. Wikipédia)

 

 

 

 

 

Lampedusa : Situer les responsabilités

Lmigrant_route_624e 3 octobre dernier, un bateau transportant environ 500 migrants originaires de la corne de l’Afrique a fait naufrage au large de Lampedusa faisant environ 300 morts dont des femmes et des enfants. Loin d’être le dernier épisode du sinistre feuilleton qui se déroule en méditerranée, une nouvelle embarcation de migrants Syriens et Palestiniens a chaviré à quelques kilomètres de Malte causant la mort d’une trentaine de personnes. Ces deux drames illustrent les conséquences des immigrations clandestines d’origine économique et politique respectivement.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour condamner ce qu’il se passe en méditerranée, d’autres appellent à une surveillance accrue des frontières de l’Europe. C’est ce que fait déjà Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières. La mission de cette agence vient d’être renforcée par l’adoption d’un système de surveillance pan-européen (Eurosur). L’approche utilisée par Frontex consiste à signer des accords de partenariats avec les pays de départs, dont la Lybie, la Tunisie et le Maroc, pour renforcer les patrouilles des Gardes côtes.

Ainsi, la répression est davantage privilégiée par les deux parties impliquées dans la gestion de l’immigration clandestine que sont l’Europe et les Etats africains.[1] Malheureusement, elle se fait au détriment de la recherche de solutions aux causes de l’immigration clandestine. A y voir de près, les migrations de façon générale et en particulier l’immigration clandestine ne sont que la conséquence de l’accroissement des inégalités entre les pays. C’est aussi le point de vue de l’économiste Branko Milanovic de la Banque Mondiale.[2] Cet accroissement des inégalités provient de trois principales sources dont la mauvaise gouvernance économique dans les pays de départ, la mondialisation des échanges et les guerres menées dans les pays d’origine par les pays de destination.

D’abord, l’absence de croissance inclusive génératrice d’emplois pour tous est à la base des migrations clandestines en provenance de l’Afrique. Cela contraste avec les performances économiques de la plupart des pays du continent au cours de la dernière décennie. Même si aujourd’hui les victimes sont principalement des Erythréens et Somaliens, on ne peut occulter tous ces migrants Maliens et Sénégalais qui n’ont pas pu voir les îles Canaris ou l’Espagne ; certains ayant péris en mer alors que d’autres ont succombé dans le désert du Sahara. Ces vagues de migrations sont principalement liées à l’absence d’opportunités économiques dans les pays de départs ; car en dépit de la croissance économique, peu d’emplois sont créés pour les jeunes. Les drames successifs qui se produisent en méditerranée sont en réalité des appels aux Etats africains pour la mise en place d’institutions politique et économique plus inclusives.

Ensuite, la mondialisation des échanges, même si elle est globalement bénéfique ne profite pas nécessairement à tous. En général, ce sont surtout les catégories les plus défavorisées qui  sont les principales perdantes. Ainsi, les contrats d’exploitation de ressources naturelles défavorables aux Etats africains, l’éviction sans contrepartie des petits commerçants par de grandes chaînes de distribution et la destruction des écosystèmes naturels à travers l’exploitation des ressources minières qui s’y trouvent sont autant d’actes qui finissent par rendre l’émigration clandestine la dernière option de survie pour ces milliers d’Africains. De ce point de vue, les récents événements viennent rappeler aux institutions internationales impliquées dans la mondialisation l’ampleur de la tâche qu’il reste à faire pour qu’elle soit bénéfique pour tous ; notamment dans les pays en voie de développement.

Enfin, l’omission de l’impact humain dans les décisions de guerres prises par certains pays Européens ou Américains au cours des dernières années est également à la base de ce flux de migrations clandestines. En bombardant la Lybie ou en entretenant la guerre civile en Syrie, ces Etats ne laissent aucune alternative aux populations en dehors de l’émigration. En témoignent l’afflux massif de Libyens et de Syriens qui arrivent chaque jour sur l’île de Lampedusa. Il revient donc à l’Europe et aux Etats-Unis d’Amérique de prendre désormais en compte l’incidence des guerres sur les conditions de vie de populations avant toute action sur le terrain.

En définitive, le drame qui se déroule dans la méditerranée n’est que le prolongement de ce triste feuilleton qui met en scène les populations, frappées par le creusement des inégalités, face aux dangers de la navigation maritime. Face à ce drame, les Etats Africains, les Institutions internationales et les pays Européens ont chacune leur part de responsabilité. Quelles que soit les causes, seule la mise en place d’institutions politiques et économiques inclusives dans les pays d’origine peut endiguer l’expansion de ce phénomène qui n’honore personne.

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 


[1] Il existe toutefois des accords de coopération économique qui visent à promouvoir le développement dans les pays d’origine. Cependant, ces accords restent très marginaux par rapport à l’ampleur des défis de développement dans les pays d’origine.

 

 

 

[2] Le rapport sur le développement de la Banque Mondiale en 2006 pointe aussi du doigt l’impact des inégalités sur les migrations.

 

 

 

Peut-on réduire la pauvreté ?

une_pauvretéPourquoi est-il légitime d’envisager des politiques de réduction de la pauvreté ? Cette question ne se pose plus aujourd’hui. Cependant, de sa réponse dépend l’efficacité des politiques publiques de réduction de la pauvreté. C’est à cet exercice que s’est livré le Professeur Martin Ravallion dans un article intitulé « The idea of antipoverty policy » et présenté à la dernière conférence de l’Université des Nations Unies à Helsinki (UNU-WIDER).

Pour commencer, il a fait remarquer le grand revirement dans la conception de la pauvreté qui s’est opéré il y a environ deux siècles en Europe ; d’abord en tant que bien social puis en tant que mal social. Alors que Philippe Hecquet en 1740 considérait la pauvreté comme un intrant nécessaire au bien être de la société au même titre que le rôle l’ombre sur un tableau, Alfred Marshall s’interrogeait un siècle plus tard sur la contribution positive de la pauvreté au bien-être de la société.[1] Aujourd’hui, la Banque Mondiale évoque son rêve de voir un monde sans pauvres.[2]

La trappe à la pauvreté

Une fois qu’on s’aperçoit de ce grand revirement, la question qui se pose est de comprendre les motivations qui ont été à son origine. L’auteur propose un petit modèle d’évolution des richesses pour traduire ces motivations. Les conclusions de cette analyse sont illustrées sur le graphique ci-dessous.

graph_pauvretéCe graphique présente l’évolution de la richesse actuelle d’un individu (sur l’axe vertical) en fonction sa richesse à une date précédente (sur l’axe horizontal). Les points A, B et C garantissent le même niveau de richesse aujourd’hui qu’hier. Cependant, seuls les points A et C sont stables. Autrement dit, les personnes qui disposent des niveaux de richesse matérialisés par les points A et C sont en mesure de maintenir leur position économique de façon durable. Ceux qui se trouvent en B ne peuvent y être maintenus que par l’apport permanent d’un revenu couvrant leur besoin minimum de capital kmin. C’est une fois qu’ils disposent d’un capital supérieur à ce montant qu’ils sont en mesure de produire et d’augmenter leur richesse. Toutefois, tant qu’ils partent d’un niveau initial de capital inférieur à k*/(λ+1), leur gain supplémentaire à produire est toujours supérieur à ce qu’ils gagneraient s’ils épargnaient leur capital.[3] Ainsi, la force dynamique entretenue par la consommation les ramène toujours au point A où ils ne disposent plus de capital. Il en résulte donc que les personnes ayant une richesse initiale inférieure à k*/(λ+1) reste dans une « trappe à la pauvreté ». Il s’agit d’un cercle vicieux entretenu par le manque d’accès au marché financier qui, en les maintenant dans la pauvreté, les rend de moins en moins productifs.

Des politiques de Protection ou de Promotion ?

Dès lors, ce graphique illustre le fait qu’il existe deux façons de réduire la pauvreté : soit par des politiques de protection ou par des politiques dites de promotion. Les politiques de protection vont s’assurer que l’individu ait un minimum de revenu pour satisfaire ses besoins de base. Cela revient à transférer de façon permanente à une personne pauvre un montant correspondant au minimum à partir duquel elle devient productive (kmin sur le graphique).[4] Au contraire, les politiques de promotion visent à transférer en une seule fois ou durant une période transitoire un capital pour inciter l’individu à sortir définitivement de la pauvreté. Par rapport au graphique ci-dessus, cela consiste à transférer le montant k*/(λ+1) aux personnes pauvres pour s’assurer qu’ils deviennent suffisamment productives pour s’auto-entretenir et passer au point C du graphique.

En termes de décision politique, la principale différence qu’il y a entre ces deux types de politiques de réduction de la pauvreté réside dans le rapport entre les transferts minimum kmin et k*/(λ+1) qu’il faut faire à chaque personnes pauvres. Ce rapport peut être très important et varier d’une personne pauvre à une autre ; ne serait-ce qu’à cause des différences de capacité cognitive qui existe naturellement entre les personnes. Selon le Professeur Ravallion, ce rapport peut expliquer le fait que certains penseurs comme Bernard de Mandeville en 1732 soutenaient que la pauvreté était nécessaire à la balance commerciale d’un pays. Puisque plus de travailleurs pauvres garantissait une compétitivité à l’exportation, source d’entrée d’or (devises) pour les nations.

L’émergence des politiques de promotion de pauvreté

Dans le contexte mercantiliste où les pauvres étaient vus comme des inputs nécessaires à la production nationale, seuls les politiques de protection étaient mises en place. Elles permettaient de garantir la productivité minimale du travailleur pauvre. Cependant, dès le début du 19ème siècle, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer des politiques d’éradication de la pauvreté. Cela fait suite à l’émergence des statistiques qui mettent à l’ordre du jour l’ampleur de la pauvreté dans certaines capitales. C’est le cas des travaux de Booth et Rowntree à la fin du 19ème siècle qui ont révélés l’existence de près d’un million de travailleurs pauvres à Londres. Il était donc devenu évident que la mise en place de politiques de promotion et non seulement de protection était nécessaire pour endiguer l’expansion de la pauvreté.

Aujourd’hui, de plus en plus de gouvernements mettent en place de politiques de promotion en plus des politiques de protection sociale. C’est le cas des programmes de scolarisation obligatoire, d’éradication du travail des enfants, et des transferts d’argent conditionnels vers les ménages. Ces politiques sont toutefois difficiles à mettre en œuvre car elles émergent dans un contexte particulier caractérisé par un niveau modéré de pauvreté, une croissance économique forte et une forte capacité de redistribution de l’Etat. Aujourd’hui la question qui se pose est de savoir si des Etats africains se trouvent déjà dans ce contexte et évaluer l’efficacité les politiques de réduction de la pauvreté à la lumière de leur capacité à protéger les pauvres et à promouvoir leur sortie définitive de la pauvreté.

 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] Les citations originales sont les suivantes telles que rapportées dans l’article de Ravallion:

“The poor … are like the shadows in a painting: they provide the necessary contrast.” (Philippe Hecquet, 1740).

“May we not outgrow the belief that poverty is necessary?” (Alfred Marshall, 1890).

 

 

 

[2] Se référer au slogan de la Banque Mondiale depuis 1990: “Our dream is a world free of poverty.”

 

 

 

[3] On suppose ici que le marché financier n’est suffisamment parfait pour permettre aux individus plus efficaces d’emprunter pour financer des projets rentables. Autrement dit, ils sont contraints par le crédit « credit constrained ».

 

 

 

[4] Cela peut être aussi un programme de protection sociale destiné à fournir une assistance financière à la consommation en cas de chocs sur le revenu.

 

 

 

 

 

 

Comment mesurer la croissance inclusive en Afrique ?

On veut de leau potable, Sinzinzin. Sculpture de Kifouli Dossou, Peinture de Kifouli Dossou, 2010 - 2011
On veut de leau potable, Sinzinzin. Sculpture de Kifouli Dossou, Peinture de Kifouli Dossou, 2010 – 2011

Au cours de la dernière décennie, l’Afrique a connu une croissance économique forte et stable.[1] Cette performance économique a suscité beaucoup d’espoir sur la réduction de la pauvreté comme ce fût le cas dans d’autres régions du monde comme la Chine et l’Inde.[2] Cependant, la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté n’a baissé que très légèrement durant la période.[3] La plupart des études académiques à ce jour se sont intéressées à comprendre les causes du décalage entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté en Afrique. L’approche consistant à mesurer l’impact de la croissance sur l’ensemble des groupes sociaux (en fonction des niveaux de revenu) et non plus seulement sur les catégories les plus pauvres est toutefois moins courante.

La mesure de l’inclusivité de la croissance est devenue progressivement un sujet majeur de préoccupation. Toutefois, nous en savons encore très peu sur l’évolution réelle des revenus et des dépenses des différentes catégories de ménage en fonction du taux de croissance global de l’économie dans laquelle ils s’inscrivent. De ce fait, il n’est pas possible encore à ce jour d’identifier les politiques publiques appropriées susceptibles de rendre la croissance économique plus inclusive. Cela est dû à l’absence d’observations empiriques sur les liens réguliers qui existent entre certaines politiques publiques et « l’inclusivité de la croissance ».

Le think-tank Terangaweb-l’Afrique des Idées s’est donc proposé de mener une observation empirique de l’évolution des revenus des ménages dans trois pays africains (Tanzanie, Cameroun, Sénégal) au regard des taux de croissance économique respectifs de ces pays.  Cette étude a permis d’identifier des relations stables entre l’évolution des revenus/dépenses des ménages et le niveau, la stabilité et la structure de la croissance économique. L’identification de ces relations a permis d’apporter des éléments de réponses aux questions suivantes :

  • La croissance économique a-t-elle besoin d’être forte pour être inclusive ?
  • Faut-il promouvoir une croissance stable pour la rendre inclusive ?
  • Existe-t-il un lien entre la structure de l’économie et « l’inclusivité de la croissance »

Sur la base de l’étude de cas de trois pays africains aux performances économiques différentes que sont le Cameroun, le Sénégal et la Tanzanie, nous avons pu obtenir des résultats préliminaires qui sont présentés à Helsinki dans le cadre de la conférence de l’Institut Mondial de recherches sur le développement de l’Université des Nations Unies (UNU-WIDER), les 20 et 21 septembre 2013.


[1] Selon les Perspectives Economiques pour l’Afrique de 2012, le taux de croissance réel du PIB a été de 5,2% sur la période allant de 2003 à 2011.

[2] Avec un taux de croissance d’environ 8% en 25 ans, la part de la population Chinoise vivant avec moins de 1,25 dollars EU par jour est passée de 73% en 1980 à environ 12% en 2005. (Voir Ravallion, 2009)

En Inde, la plus forte baisse de l’incidence de la pauvreté a été enregistrée durant la période de forte croissance (voir Aghion & Aghion, 2004, p.4). En effet l’incidence de la pauvreté a chuté de 10 points en Inde à la fois en milieu urbain et en milieu rural durant la période où le taux de croissance a été d’environ 5%.

[3] Selon la Banque Mondiale, la proportion des pauvres en Afrique est passée de 47% à 40% entre 2002 et 2008.

Le commerce intra-africain : un levier pour l’emploi des jeunes ?

uneAujourd’hui l’emploi des jeunes est au cœur de tous les débats économiques en Afrique. Alors que les recommandations se focalisent sur les politiques classiques de formation, d’entreprenariat et de création de « pôles emploi », le rôle du commerce intra-africain reste occulté. Dans cet article, nous examinons le lien qu’il peut exister entre l’accroissement du commerce entre les pays africains et l’emploi des jeunes. Cet exercice est en prélude au colloque du Club Diallo Telli sur le commerce intra-africain.

A l’échelle d’un pays, nous mesurons l’intensité du commerce intra-africain en utilisant la part des exportations de ce pays en direction de l’Afrique dans le total de ses exportations. Autrement dit, plus un pays Africain exporte vers une destination africaine, plus il est impliqué dans le commerce intra-africain. Quant à l’emploi des jeunes (15 à 24 ans), il est mesuré à travers deux indicateurs. D’une part, le taux de chômage des personnes ayant entre 15 et 24 ans ; et d’autre part le taux de participation de cette même catégorie de la population au marché du travail. La note technique ci-dessous donne plus de détails sur le calcul de ces indicateurs tout en précisant la source des données de même que les références temporelles.

Commerce intra-africain et chômage des jeunes

graph1Les résultats de cette analyse montrent qu’il existe un lien négatif entre le commerce intra-africain et le chômage des jeunes. En effet, comme le montre le graphique ci-contre, les pays qui exportent plus vers l’Afrique ont un plus bas taux de chômage des jeunes.

Ce résultat est davantage conforté lorsqu’on considère la variation de l’intensité du commerce intra-africain entre deux périodes, notamment 1996-2000 et 2007-2011. C’est ce que montre le graphique ci-contre qui présente la relation entre le taux de chômage des jeunes sur la verticale et la variation de la part des exportations vers l’Afrique entre les deux périodes. On y voit en effet que les pays ayant le plus augmenté la part de leurs exportations vers l’Afrique ont les plus bas taux de chômage chez les jeunes.

graph2Cependant, le taux de chômage peut être faible dans des pays où très peu de jeunes participent au marché du travail. Pour cela, nous regardons aussi le lien entre le commerce intra-africain et la participation des jeunes sur le marché du travail.

Commerce intra-africain et participation des jeunes sur le marché du travail

graph3Le graphique ci-contre montre que globalement les pays qui exportent davantage vers l’Afrique ont des taux plus faible de participation des jeunes au marché du travail. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près on constante que la relation n’est pas linéaire ; mais plutôt en U-inversé. Cela signifie qu’il existe un niveau de participation au commerce intra-africain qui maximise la participation des jeunes au marché du travail. D’après nos résultats, ce niveau est de 20%. Autrement dit, les pays dont moins de 20% des exportations sont à destination de l’Afrique peuvent encore augmenter le taux de participation des jeunes sur le marché du travail en s’impliquant davantage dans le commerce intra-africain. Toutefois, lorsque ce niveau est dépassé, une implication plus forte du pays est associée à une plus faible participation des jeunes sur le marché du travail.

graph4En réalité, la partie descendante de la courbe est tirée par quelques pays dont plus de 40% des exportations sont à destination de l’Afrique. Ainsi, nous examinons plutôt ce qui se passe lorsqu’un pays augmente ou diminue la part de ses exportations vers l’Afrique entre 1996-2000 et 2007-2011. Le graphique ci-contre montre que les pays ayant le plus augmenter leur participation au commerce intra-africain enregistrent les plus fort taux de participation des jeunes au marché du travail.

S’agit-il de liens causals ?

Alors que les graphiques ci-dessus décrivent à priori des relations de corrélation entre le commerce intra-africain et l’emploi des jeunes, la question qui survient est de savoir si ces relations peuvent être interprétées comme des liens de cause à effet. Peut-on dire que le commerce intra-africain réduit le chômage des jeunes tout en augmentant leur participation au marché du travail ?

Pour répondre à cette question, nous avions pris quelques précautions dans le choix des indicateurs et des références temporelles. Comme on peut le constater, les données sur l’implication des pays dans le commerce intra-africain datent de la période 1996-2000 pour le premier et le troisième graphe ; alors que les mesures du taux de chômage et de participation des jeunes ont été faites après les années 2000. On ne peut donc pas raisonnablement soutenir que c’est parce qu’un pays a un faible taux de chômage ou une forte participation des jeunes au marché du travail qu’il s’implique davantage dans le commerce intra-africain.

Par ailleurs, le choix de la variation de la part des exportations en direction de l’Afrique entre deux périodes permet de se débarrasser d’éventuels facteurs tiers qui pourraient être à l’origine des relations observées. Il peut s’agir par exemple de l’importance des activités manufacturières, de la position géographique (enclavement), ou de la part du secteur informel qui déterminent à la fois le niveau d’emploi des jeunes et l’implication d’un pays dans le commerce intra-africain.

Il en résulte donc que ces relations sont très probablement causales. Dans le cas échéant, le commerce intra-africain est effectivement un levier de réduction du chômage des jeunes et d’augmentation de leur participation au marché du travail. Concrètement, les résultats indiquent qu’une augmentation de 1 point (en%) de la part des exportations en direction de l’Afrique permet de réduire le taux de chômage des jeunes de 0.1 point et leur taux de participation au marché du travail de 0.3 point.  Ceci étant, ces résultats peuvent être limités par la qualité des données quoique nous ayons restreint l’échantillon sur les pays ayant les meilleures données. De plus, il reste à mettre en lumière les mécanismes qui sont à la base de l’impact du commerce intra-africain sur l’emploi des jeunes en Afrique.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Note technique :

Les données sur la part des exportations en directions des pays Africains sont tirées du rapport 2013 de l’UNCTAD sur l’état du commerce intra-africain. Ces données fournissent en pourcentage la part des exportations de chaque pays africain en direction de l’Afrique d’une part entre 1996 et 2000 et d’autre part entre 2007 et 2011.

Quant aux données sur l’emploi des jeunes, elles proviennent de la sixième édition de la base de données du BIT sur les indicateurs clés du marché du travail. Nous avons choisi les données les plus récentes pour chaque pays, puisque la date de disponibilité diffère suivant les pays. Cependant, la plupart des données datent de la période post-2000.

Pour le calcul des taux de chômage et de participation, se référer au document explicatif du BIT.

Le tarif extérieur commun de la CEDEAO : un nouveau pas vers l’intégration ?

La prochaine adoption par la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) d’un règlement visant à mettre en place un tarif extérieur commun (TEC) à partir du 1er janvier 2014 sera sans doute une avancée majeure vers l’intégration économique et politique de l’espace Cedeao.
 


CEDEAO

Cependant, l’adoption d’un TEC peut avoir des conséquences sur le pouvoir d’achat des consommateurs et sur la productivité des entreprises locales qu’il convient d’examiner au regard de ses avantages.

Qu'est-ce que le TEC-Cedeao ?

Initialement en vigueur au sein de l’Uemoa depuis le 1er janvier 2000, le TEC sera étendu à l’espace Cedeao qui, en plus des huit pays membres de l’Uemoa, regroupe les sept pays d’Afrique de l’Ouest ne partageant pas la monnaie commune, le franc CFA.

Le TEC consiste à appliquer le mêmes droits et taxes aux marchandises entrant dans l’espace Cedeao indépendamment de leurs points d’entrée et de leur destination.

Par exemple, l’importation de volailles surgelées sera taxée de 20% qu’elle soit à destination du Bénin ou du Nigéria alors que ce taux est actuellement de 20% pour le Bénin et 10% pour le Nigéria. La construction du TEC répond au double objectif de favoriser la transformation des produits agricoles et l’importation de produits « sociaux » dits essentiels comme les médicaments, livres, etc. 

Ainsi, les produits ont été regroupés en quatre catégories suivant leur niveau de transformation industrielle et leur importance dans la consommation des ménages pauvres. A priori, la structure du nouveau TEC devrait être similaire à celle de l’Uemoa présentée dans le tableau ci-après. 

tec_cedeao1
Source : Présentation LARES

Cette structure est complétée par des mesures de sauvegarde dont la Taxe Dégressive de Protection destinée à protéger les productions locales d’une concurrence déloyale et la Taxe de Sauvegarde destinée à protéger la production locale contre les fluctuations des prix internationaux. En dépit de ces mesures, l’uniformisation des droits et taxes est un changement significatif dans la fiscalité en Afrique de l’Ouest qui engendrera des gains et des pertes aux niveaux national et régional.

Qu’est ce qui va changer ?

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

L’une des spécificités du TEC actuellement en vigueur dans l’Uemoa est que les droits de douanes sont très bas par rapport aux tarifs en cours dans d’autres pays ou communautés économiques. Typiquement, le taux moyen dans l’Uemoa est de 8,8% avec un maximum de 20% alors qu’il atteint jusqu’à 50% au Nigéria voisin. L’objectif est d’étendre cette spécificité à l’ensemble des pays de la Cedeao à travers l’instauration du TEC-Cedeao.

Toutefois, compte tenu des objectifs de politique sectorielle spécifiques à chaque pays, le TEC-Cedeao a subi une légère augmentation par rapport au TEC-Uemoa. Comme le montre le graphique ci-contre, cette augmentation est plus prononcée pour la viande et le cacao (chapitres 2 et 18 respectivement). Par ailleurs, on note également une baisse importante des tarifs pour les produits des chapitres 1 et 9 constitués respectivement des animaux vivants d’une part et du café, thé et épices d’autre part. Les effets de ces changements vont se refléter dans les économies nationales de même qu’à l’échelle de la Cedeao

Quels sont les effets à l’échelle nationale ?

A court terme, on devrait s’attendre à une baisse des recettes douanières pour les pays importateurs des produits dont les tarifs ont été réduits. Cependant, cette baisse est susceptible d’être compensée par une hausse du volume des importations de ces produits si la baisse du droit de douane se traduit dans les prix de détail. Cet effet de neutralisation dépend aussi de l’ampleur de la réaction des consommateurs face à une baisse éventuelle des prix de détail. Dans le cas d’espèce, ces effets sont à craindre par les pays importateurs d’animaux vivants, de café, de thé ou d’épices. Dans le cas où la baisse des droits de douane entraînerait une baisse nette des recettes douanières, certains pays peuvent envisager de la compenser par une augmentation de la TVA ou des droits d’accises (ex. taxes sur l’alcool et le tabac). Cela conduirait donc à une augmentation des prix de détail, surtout sur les produits de grande consommation. A revenu constant, cela correspond à une baisse du pouvoir d’achat des populations. A long terme, l’uniformité des droits de douane devrait entraîner un gain de productivité à cause d’une meilleure réallocation des facteurs de production, i.e. dans les pays où ils sont les plus compétitifs. Par exemple, avec le TEC-Cedeao, une entreprise de fabrication de meubles préférerait s’installer dans un pays où la main d’œuvre est le moins cher puisqu’il n’a plus d’arbitrage à faire sur l’importation du bois. Cependant, cet effet de long terme est conditionné par l’existence d’infrastructure de transports et de communication permettant de vendre n’importe où dans l’espace Cedeao indépendamment du pays de production.

Quels sont les effets à l’échelle régionale ?

Le bilan de cette réforme à l’échelle régionale est mitigé parce qu’elle comporte des effets bénéfiques sur le court terme ; mais potentiellement néfastes sur le long terme. L’ampleur de ces effets dépend surtout du degré d’ouverture de l’espace Cedeao par rapport au reste du monde. Comme le montre le tableau ci-dessus, en s’alignant sur la structure tarifaire du TEC-Uemoa, la Cedeao sera l’espace économique le plus ouvert au monde avec des taux compris entre 0 et 20%.

 

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Une telle ouverture économique dans un marché d’environ 300 millions de consommateurs (presque la taille du marché USA) et dans un contexte d’adoption des accords de partenariat économique avec l’Union Européenne est à la fois source d’opportunités et de pauvreté. En effet, la mise en œuvre du TEC-Cedeao constitue un élargissement du marché pour les importateurs étrangers. Ceux-ci seront donc inciter à entrer sur le marché Cedeao compte tenu des économies d’échelle induites par cet élargissement du marché. Ils seront plus compétitifs que les producteurs locaux. Il devrait s’en suivre une baisse des prix et une diversité des produits pour le consommateur.

Cependant, cette concurrence est de nature à évincer les producteurs locaux des marchés nationaux et même à décourager le développement agricole et industriel. Cette conséquence se traduira par une augmentation du chômage dans une population majoritairement jeune et une persistance du secteur informel. Dès lors, il en résulte que la mise en place d’un TEC-Cedeao aussi décalé par rapport à la moyenne mondiale est potentiellement source de pauvreté.

Par ailleurs, l’absence de développement industriel est susceptible de freiner la mobilité des travailleurs et des capitaux à travers l’espace, gage d’une intégration économique effective. Au regard de ces effets potentiels du TEC-Cedeao, il s’avère nécessaire d’évaluer précisément à travers une étude empirique l’impact de cette mesure sur l’économie de la Cedeao. A notre connaissance, une telle étude n’avait pas été faite pour l’Uemoa. Il importe de ne pas l’occulter dans le cadre de la Cedeao compte tenu des enjeux de développement que la mise en place d’un tarif extérieur commun représente.

Pour plus d’autorités de la concurrence en Afrique

Le pouvoir de certains grands groupes industriels sur les décisions politiques et sur la marche de l'Afrique a été depuis longtemps reconnu et combattu. Pourtant, alors que la promotion du secteur privé et de l'intégration régionale devient un leitmotiv accepté par tous, qui protègent les consommateurs africains? Face aux risques de collusion, de constitution de cartel et de fusion anticoncurrentiel, les pays africains ont besoin d'autorités de la concurrence. 


Alors que la promotion du secteur privé et de l’intégration régionale est considérée comme instrumentale dans le développement des Etats Africains, très peu d’accent est mis sur l’importance d’un cadre règlementaire africaine de la concurrence. Même si certains pays envisage d'instaurer un droit de la concurrence, très peu de pays Africain dont l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, le Zimbabwe et le Malawi dispose aujourd'hui d’une autorité de la concurrence.[1] On en sait alors très peu sur les éventuelles cas de collusion, de cartel ou de fusion anticoncurrentielle qui imposent des prix élevés aux consommateurs et génèrent des pertes de bien-être à la société. De même, les cas d’abus de position dominante qui excluent l’entrée de nouvelles entreprises sur les marchés sont méconnus. Or, tout en garantissant la création de bien-être maximal à la société, la politique de la concurrence est bénéfique à la société à telle enseigne que la mise en place d’autorité en charge de sa conduite est primordiale.

autorite_concurrenceLa nécessité de mettre en place des autorités de la concurrence en Afrique

Sur la base des observations empiriques du cas des Etats-Unis et de l’Union Européenne (UE), les effets d’une mise en œuvre effective de la politique de la concurrence se situent à la fois à l’échelle nationale et régionale. A l’échelle nationale, ils se caractérisent par la baisse des prix, l’innovation et la croissance. Ces résultats, à priori théoriques, sont confirmés par les performances des Etats-Unis où le Département de la Justice joue le rôle d’une autorité de la concurrence et où l’innovation et la croissance sont plus importantes que dans des régions comparables comme l’Europe.[2]

A l’échelle régionale, la mise en place d’une autorité de la concurrence au sein de chaque communauté économique régionale servira de base à la consolidation de l’intégration économique en Afrique. A titre d’exemple, la construction de l’UE montre que le droit de la concurrence peut être source d’intégration économique régionale. En effet, cette construction a commencé depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) dont le fonctionnement reposait sur l’application du droit de la concurrence afin de prévenir les abus de position dominante surtout de la part des industries allemandes. C’est l’application effective de ce cadre règlementaire qui a conduit à l’union des Etats européens pour aboutir aujourd’hui à l’Union Européenne. Actuellement, le droit communautaire de la concurrence constitue l’épine dorsale de la construction d’un marché commun et unique de biens et services dans l’UE.

En suivant l’exemple de l’UE, il faut d’abord commencer par mettre en place des autorités nationales de la concurrence qui seront ensuite placées sous la tutelle d’une autorité régionale de la concurrence. Cette approche, similaire à celle qui est déjà en œuvre au sein de la COMESA, permettra d’harmoniser les textes règlementaires de la concurrence ; gage d’un environnement plus favorable aux investissements.[3] Cependant, il faudra d’abord lever les obstacles qui ont jusqu’ici entraver la mise en œuvre effective du droit de la concurrence dans les pays Africains.

Quelques obstacles à la mise en place des autorités de la concurrence en Afrique

Compte tenu de son incidence sur le bien-être des consommateurs, le profit des entreprises et les recettes de l’Etat, la mise en place d’un cadre règlementaire de la concurrence pilotée par une autorité administrative indépendante (autorité de la concurrence) nécessite qu’au moins l’un d’entre eux dispose d’un pouvoir de lobbying important. Toutefois, l’exercice de ce pouvoir dépend de l’incidence de la concurrence sur les intérêts de l’agent économique (consommateurs, entreprises, Etat). Elle est en général positive pour le consommateur et l’Etat, mais peut être soit positive ou négative pour l’entreprise en fonction de sa taille et de la nature des pratiques anticoncurrentielles en vigueur sur son marché.[4]

Ainsi, l’échec de coordination entre les consommateurs constituent un facteur clé à l’origine de l’absence des autorités de la concurrence. Dans ces conditions, l’intérêt des consommateurs dans les échanges de biens et de services n’est pas prise en compte par les entreprises ni par l’Etat. Or, même si cette situation n’engendre pas des pertes de profits pour l’entreprise, elle entraîne un manque à gagner très significatif pour la société entière du fait de la restriction de quantités qu’imposent des prix élevés.

Ces effets sont en général plus importants dans les secteurs à forte intensité en capital comme les télécommunications, les transports (aériens, ferroviaires, maritimes et routières), la banque, l’énergie, etc. La mise en place des autorités de régulations des télécommunications participent à la mise en œuvre sectorielle du droit de la concurrence. Cependant, ce sont surtout les intérêts de l’Etat (taxes et recettes d’attribution de fréquences) qui ont motivé leur installation. Par ailleurs, la corruption représente également un frein à la mise en œuvre effective du droit de la concurrence en Afrique. Typiquement, elle est à l’origine du manque de ressources humaines qualifiées dans les commissions de la concurrence existantes. Le passage à une échelle régionale permettra de se passer des réseaux de corruption, plus efficaces à l’échelle nationale.

Au niveau des entreprises, c’est surtout la faible représentation des entreprises locales dans le tissu industriel national qui constitue un obstacle à l’effectivité du droit de la concurrence en Afrique.[5] Elle ne leur confère pas suffisamment de pouvoir de lobbying pour inciter les Etats à renforcer l’indépendance et la capacité de fonctionnement des organismes en charge de la régulation de la concurrence. L’adoption de la loi « Sherman » aux Etats-Unis suite aux pratiques anticoncurrentielles de l’ex Standard Oil Company constitue un exemple emblématique de l’influence des entreprises locales sur l’effectivité du droit de la concurrence. C’est probablement l’émergence de nouvelles entreprises en Afrique suite à la croissance économique élevée de ces dernières années qui explique l’adoption d’un cadre réglementaire de la concurrence par la COMESA et la mise en place d’une autorité de la concurrence dans ce marché commun.

Il ressort donc qu’il existe deux solutions qui peuvent concourir à la mise en place des autorités de la concurrence en Afrique. Soit, la croissance économique reste élevée et permet l’entrée de nouvelles entreprises locales qui vont renforcer le pouvoir de lobbying des entreprises. Autrement, l’Etat rend effective l’application du droit de la concurrence à travers la lutte contre les réseaux de corruption qui profitent de la rente générée par son absence.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

 


[1] Voir la liste des autorités de concurrence dans le monde. Les commissions de la concurrence présentes dans les ministères du commerce ne sont pas considérées comme des autorités de la concurrence en raison de leur lien étroit avec l’exécutif. Ce lien est de nature à biaiser l’analyse des cas de pratiques anti-concurrentielles en raison de sa nature juridique et économique. Voir aussi le blog suivant sur l'actualité du droit de la concurrence en Afrique.

 

[2] Les travaux théoriques et empiriques de Aghion et al. montrent que la concurrence engendre l’innovation et la croissance sur le long terme jusqu’à un certain seuil.

 

[3] COMESA : Common Market for East and Southern Africa

 

[4] Notons que l’absence de concurrence peut être source de rentes pour des fonctionnaires de l’Etat en présence de corruption.

 

[5] Les multinationales se fondent sur les règlent de l’OMC pour entrer sur les marchés nationaux, dépourvus de cadre de concurrence.

 

Financer la recherche pour l’innovation en Afrique

L'Afrique est en retard dans le domaine de la recherche et de l'innovation. Pourtant, les théories modernes de la croissance économique et les efforts actuellement entrepris sur le continent plaident en faveur de plus d'investissements dans ce secteur. Les partenariats publics-privés pourraient participer au financement de ces investissements.


Le cadre de la recherche en Afrique est très peu propice à l’innovation. Deux raisons à cela : les laboratoires de recherche sont sous-équipés et la plupart des projets de recherche sont financés laboratoire recherchepar des institutions internationales ou des pays développés.

Cette situation est en partie expliquée par les théories de la croissance qui privilégient le financement de l’enseignement primaire (au plus secondaire) au détriment de l’enseignement supérieur. Si cette recommandation peut être justifiée sur la base des contraintes financières des pays en développement, elle ne concourt pas une croissance économique forte et stable, comme le suggèrent les récents travaux de Aghion et al. Dans cet article, nous mettrons en exergue les raisons sous jacentes  à l’importance de l’innovation pour un pays en développement avant de présenter un exemple qui illustre le potentiel d’innovation des laboratoires de recherche dans les pays en développement. Enfin, nous soutenons qu’un partenariat avec le secteur privé fait partie des pistes de solutions pour un financement effectif de la recherche en Afrique.

En effet, les travaux de Aghion et al. démontrent que la capacité d’un pays à dépasser le stade de sous-développement réside dans la distance qui le sépare de la frontière technologique. Autrement dit, les pays qui disposent de peu de technologies sont susceptibles de croître beaucoup plus vite dans un processus de rattrapage des pays développés. Ceci à condition que ces pays disposent des ressources humaines capables d’imiter les nouvelles technologies disponibles dans les pays développés. Cela implique déjà un développement de l’enseignement supérieur notamment les formations d’ingénieurs. Ce fût le cas de l’Europe après la seconde guerre mondiale ; et c’est aussi le cas actuellement de la Chine et plus généralement de tous les pays dits émergents. Cependant, ces mêmes travaux montrent qu’une fois le rattrapage achevé, le pays doit s’engager dans un financement accru de la recherche pour inciter les chercheurs à l’innovation. C’est précisément cette phase que l’Europe tarde à entamer et que la Chine a très tôt compris en confiant la gestion de ces universités et écoles phares à d’éminents chercheurs américains.[1]

Alors que les résultats de cette approche ne sont pas encore certains, nous observons que les innovations majeures (machine à vapeur, électricité, télécommunications, etc)  sont très rares et que les pays qui s’attèlent à rattraper la frontière technologique subisse une dominance perpétuelle contrairement à ceux qui s’engagent dans l’innovation. Les Etats-Unis sont dans ce dernier cas après la révolution industrielle au Royaume-Uni. Or, le potentiel d’innovation est plus fort dans les milieux où la recherche n’est pas encore avancée.

 

Malgré l'absence de moyens, d'importantes innovations sont déjà découvertes sur le continent

Ainsi, l’Afrique est en bonne position pour trouver des innovations radicales. Selon toute vraisemblance, elle dispose des chercheurs motivés par l’innovation. A titre d’exemple, des chercheurs de l’université du Bénin (UAC) ont entrepris des recherches sur les propriétés de l’argile. Selon les observations empiriques, les jarres en argile utilisées dans les milieux ruraux ont un effet positif sur la qualité de l’eau. Plus particulièrement, l’eau conservée dans les jarres devient plus potable par le biais des particules qui se déposent dans leur fond. Cette observation se confirme lorsqu’on compare l’eau des puits des milieux argileux à celle des milieux sablonneux.

Toutefois, les propriétés de l’argile à l’origine de ce processus d’épuration sont aujourd’hui méconnues. Or, le Bénin dispose d’énormes réserves d’argile inexploitées, alors que des millions de dollars sont dépensés chaque année pour assurer l’accès à l’eau potable aux populations. Une telle recherche, si elle s’avérait concluante pourrait servir à pallier aux difficultés de fourniture de l’eau potable surtout en milieu rural. Les résultats de cette recherche peuvent servir également dans le traitement des eaux usées industrielles. Cependant, les infrastructures de laboratoires ne sont pas en général suffisantes pour que la recherche soit conduite dans les meilleures conditions, gage de résultats concluants. C’est ainsi que plusieurs recherches ambitieuses entreprises dans les laboratoires de recherche africaines n’arrivent pas à terme. Cette situation n’est pas de nature à inciter de potentiels chercheurs à innover.

Compte tenu des moyens financiers colossaux que requiert la recherche et des incertitudes qui la caractérisent, la plupart des Etats africains n’est pas en mesure de prendre en charge le financement de la recherche. Les projets de recherche financés par des pays tiers ou des institutions internationales n’entrent pas dans le cadre de l’innovation, mais essentiellement de la recherche empirique. Il nous semble donc que seuls des partenariats d’intérêts avec le secteur privé sont à même d’assurer le financement de l’innovation. Par exemple, le projet de recherche sur les propriétés de l’argile peut être économiquement rentable pour un investisseur privé. En effet, des dérivés de l’argile peuvent être de bons substituts pour les produits chimiques qui sont actuellement utilisés pour l’épuration de l’eau. En plus, ces produits présentent peu de risques pour la santé et l’environnement du fait du caractère naturel de l’argile.

Somme toute, le potentiel d’innovation est très élevé en Afrique. Cependant, sa transformation est contrainte par les capacités de financement. La mise en place de partenariat avec de grands groupes industriels peut être une solution à envisager pour lever cette contrainte.


[1] Voir l’article du Financial Times au sujet des écoles de commerce.

 

 

 

 

 

La régulation bancaire est-elle une entrave au développement du mobile banking ?

Les services de mobile-banking sont plus développés en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Et cette inclusion financière contribue très fortement à la croissance économique. Pourtant, la régulation des activités bancaires, de télécommunications et le droit de la concurrence risque d’entraver le développement du mobile-banking. Cet article revient plus en détail sur les relations entre régulation bancaire et mobile banking, en Afrique Subsaharienne.


Alors que sept africains sur dix ont accès au réseau de communications mobile, la perspective d’une convergence entre les services bancaires et les services de communications leur offre la possibilité d’accéder aux services financiers. Cette nouvelle tendance soutenue par les services de transactions bancaires sur le téléphone mobile (mobile-banking) devrait favoriser l’inclusion financière de plus de trois quart des Africains. Comme le démontre plusieurs études, l’inclusion financière contribue très fortement à la croissance économique.[1] Cependant, la régulation des activités bancaires, de télécommunications et le droit de la concurrence risque d’entraver le développement du mobile-banking et par conséquent ralentir la croissance économique. Dans cet article, nous nous proposons d’examiner le cas particulier de la régulation bancaire. Il s’agira de voir dans quelle mesure la régulation de l’accès au marché du mobile-banking est susceptible d’entraver son adoption par les consommateurs africains.

imageuneSelon un document de l’UIT, il existe deux modèles de mobile-banking selon que les transactions soient directement contrôlées (Bank-based noté BB) ou pas (Non-Bank-based noté NBB) par les banques commerciales. Dans le premier cas, les banques commerciales contractent un accord avec les opérateurs télécoms pour fournir les services bancaires sur le téléphone mobile à leurs clients. Ce modèle semble être plus adapté aux pays où le taux de bancarisation est déjà élevé. Dans le second cas, une entreprise quelconque, en général un opérateur télécom, fournit directement des services bancaires à ses clients mobiles. Ce modèle est plus adapté aux pays à faible taux de bancarisation. En définitive, la différence entre les deux modèles tient au fait que dans le modèle BB, tout fournisseur de services de mobile-banking doit détenir une licence bancaire, contrairement au modèle NBB dans lequel la détention d’une licence bancaire n’est pas nécessaire.

En dépit des variantes qui existent pour chacun des deux modèles, c’est le contexte règlementaire qui détermine finalement le modèle qui s’impose aux acteurs du mobile-banking dans un pays. Par exemple, au Nigéria où la règlementation requiert que tout fournisseur de services de mobile-banking détienne une licence bancaire, c’est le modèle BB qui est adopté de sorte que les opérateurs de téléphonie mobile ne peuvent pas entrer directement sur le marché. Contrairement au Nigéria, le Kenya autorise tout opérateur à entrer sur le marché sous réserve de respecter certains critères prudentiels. Ces critères peuvent être par exemple l’obligation d’avoir une contrepartie monétaire des transactions électroniques auprès d’une banque commerciale ou sous forme d’obligations de l’Etat. Ainsi, c’est plutôt le modèle NBB qui est en vogue dans ce pays de sorte que des opérateurs tels que Safaricom ont pu entrer sur le marché.

Il apparait donc clairement que le modèle BB favorise moins l’entrée sur le marché du mobile-banking que le modèle NBB. La raison généralement évoqué par les autorités bancaires est qu’elles n’ont pas de contrôle direct sur les autres opérateurs qui ne détiennent pas de licence bancaire. La barrière à l'entrée inhérente au modèle BB est susceptible d'engendre des perte d'éfiicacité car des entreprises plus efficaces dans la fourniture des services de mobile-banking peuvent être maintenues en dehors du marché avec ce modèle. Ainsi, les prix seront plus élevés rendant les services moins accessibles. Selon un rapport du Groupe Consultatif d’Assistance aux plus Pauvres (CGAP), les services de mobile-banking coûtent 19% moins chers que des services comparables offerts par les banques traditionnelles. En même temps, la sécurité qu’offre le modèle BB peut le rendre plus attractif et favoriser son adoption par les clients. Pour savoir exactement ce qu’il en est, cet article repose sur une étude empirique qui compare les taux d’adoption du mobile banking en fonction du modèle.

Cette étude est basée sur un échantillon de 72 pays dont 37 africains provenant des données de l’enquête réalisée par la Banque Mondiale en 2011 sur l’utilisation du mobile-banking dans la plupart des pays en développement. Ces données fournissent des informations sur le pourcentage de la population de plus de 15 ans d’un pays ayant utilisé des services de mobile-banking pour envoyer ou recevoir de l’argent, ou pour payer des factures. Ces informations sont complétées par une variable que nous avons construite à partir des informations fournies par des rapports de la GSMA, l’EBRD, l’UNCTAD et les textes règlementaires de certains pays africains. Cette variable permet d’identifier le modèle utilisé par un pays donné avant 2011. Ainsi, selon le type de transactions (envoi, paiement ou réception), nous avons calculé le taux d’adoption comme le pourcentage moyen de la population de plus de 15 ans ayant utilisé les services de mobile-banking.

graph_mobbEn général, on note d’abord que conformément aux résultats existants, les services de mobile-banking sont plus développés en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Ensuite, le mobile-banking est beaucoup plus utilisé pour recevoir que pour envoyer de l’argent particulièrement en Afrique, reflétant ainsi l’impact des transferts d’argent international en direction de l’Afrique. Enfin, contrairement, aux autres types de transactions, l’utilisation du mobile-banking pour les paiements de facture est encore très peu développée.

Plus particulièrement, lorsqu’on s’intéresse aux performances des deux modèles de mobile-banking, il ressort que le modèle NBB est plus performant que le modèle BB pour les transferts d’argent. En effet, les pays africains ayant adopté le modèle ouvert à tous les acteurs du marché ont en moyenne 3 personnes sur 100 en plus qui utilisent les services de mobile-banking pour envoyer de l’argent. Ce gain d’inclusion financière est similaire à l’échelle mondiale. La même performance s’observe au niveau des réceptions d’argent notamment à l’échelle mondiale. Il est possible que l’importance des transferts de fonds ne permette pas d’établir le même résultat pour les réceptions d’argent en Afrique. La différence est toujours en faveur du modèle NBB, mais elle est moins prononcée. A la lecture de ces résultats, il s’en suit que les pays africains qui adoptent le modèle centré sur les banquent risquent d’exclure une partie de la population des activités bancaires. Si l’on se réfère à l’étude sur les coûts conduit par le CGAP, il est possible que cette performance du modèle NBB soit liée à son prix plus bas. D’un point de vue économique, ce résultat n’est pas surprenant dans la mesure où le modèle NBB introduit plus de concurrence sur le marché du mobile-banking.

Cependant, les mêmes données indiquent que lorsqu’on considère les paiements de facture, c’est plutôt le modèle centré sur les banques qui est plus performant. En effet, les pays ayant adopté le modèle centré sur les banques ont en général au moins une personne sur 100 de plus qui utilisent le mobile-banking pour les paiements de factures. Cette différence est légèrement plus importante pour l’Afrique avec un gain de +1,4% pour le modèle centré sur les banques. Il est possible que cette inversion des performances soit due à la confiance placée aux banques par les commerçants. Toutefois, les informations dont nous disposons ne permettent pas d’établir clairement l’origine de cette contre performance do modèle NBB pour le paiement des factures.

En somme, ces résultats semblent indiquer que les divergences qui existent entre le choix des modèles de mobile-banking résident dans le type de transactions que l’on veut privilégier. Le modèle qui requiert que seuls les opérateurs détenant une licence bancaire peuvent offrir ces services favorise l’adoption des services de paiement par mobile ; alors que le modèle qui donne accès à tous les opérateurs favorise surtout les services de transferts d’argent par mobile. D’un point de vue social, il semble que ce dernier modèle soit plus favorable à l’inclusion financière des pauvres que le modèle centré sur les banques. Après tout, il faut avoir accès à certaines infrastructures de base comme l’eau et l’électricité pour envisager de payer des factures par le téléphone mobile.

En outre, les résultats de cette étude méritent d’être affinés sur plusieurs points. D’abord, sur la significativité statistique des différences observées. Ensuite sur l’interprétation causale des résultats. Précisément sur ce point, il est possible de mettre en avant le fait que les pays utilisés ne soient pas similaires, même si à la base nous partons sur des pays tous en voie de développement. Enfin, nous ne savons pas si ce sont les mêmes personnes qui envoient, reçoivent ou font des paiements par leur téléphone mobile. La connaissance de cette information permettrait de mieux identifier les performances des deux modèles selon le type de transactions. Toutefois, cela nécessite d’avoir des informations au niveau individuel. Ces différents points pourront être examinés dans un futur document consacré à l’impact de la régulation sur le mobile-banking. Enfin, nous savons encore très peu sur l’incidence des nouvelles dispositions fiscales qui sont prises par certains pays africains pour taxer les transactions bancaires sur le réseau mobile.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir l’étude de Andrianaivo et Kpodar, 2011 sur le sujet.

 

 

 

 

 

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