Interview de Laurent Liautaud, social-entrepreneur au Sénégal

laurent-liautaud-et-marc-rennardLaurent Liautaud, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai 36 ans, je suis au Sénégal depuis 2 ans. J’ai travaillé auparavant dans des marchés émergents et des marchés matures principalement dans l’industrie de la grande consommation et du conseil. Et donc je voulais entreprendre depuis longtemps en Afrique subsaharienne parce que je pense que c’est là que vont se dérouler les plus grandes innovations notamment dans le domaine de l’entreprenariat social qui m’intéresse beaucoup.

Qu’est ce que la plateforme Niokobok ?

Niokobok est un site internet sur lequel des gens, partout dans le monde, peuvent commander des produits qui sont disponibles au Sénégal pour leurs familles qui elles ont la possibilité de les retirer dans notre magasin partenaire aux Parcelles Assainies (banlieue de Dakar) ou bien de se faire livrer ; mais on fait majoritairement de la livraison. On fournit aussi des équipements solaires avec deux partenaires : Total et Station Energie Sénégal, une startup qui s’est lancée ici il n’y a pas longtemps.

Niokobok est vraiment une organisation à but lucratif mais qui a une ambition sociale de transformer la manière dont on peut prendre soin de ses proches à distance. Cet engagement social c’est ce qui fait, par exemple, qu’on a choisi comme premier élargissement de gamme le solaire. Parce que les énergies renouvelables, c’est intéressant au Sénégal et c’est important. On essaie aussi de faire des choses pour l’agroalimentaire local, tout ce qu’on vend vient du Sénégal car malheureusement dans ce pays, il y a beaucoup de choses importées. On aimerait être un canal qui aide à pousser des produits fabriqués ici.

Quels sont les modes de paiement que tu as développé?

On a la carte bleue Paypal et le virement bancaire qu’on a proposé mais qui est rarement utilisé. C’est intéressant de parler du mode de paiement car on a abordé la manière de faire adhérer les gens et justement ce fait est une barrière.

Pourquoi avoir choisi le Sénégal ?

Je crois que le Sénégal est à la fois un pays stable, un pays où il y a beaucoup de problèmes et de défis sociaux à relever mais un pays où il y a des infrastructures. C’est cela qui est intéressant. Le fait qu’il y existe beaucoup de difficultés structurelles et en même temps un cadre incitatif pour lancer des choses nouvelles.

On note que le Doing Business 2013 classe le Sénégal 166e sur 183 pays. Par rapport à ton expérience personnelle comment qualifierais-tu l’environnement des affaires dans ce pays ? Je pense honnêtement que la bonne surprise c’est qu’on n’ait pas beaucoup de difficultés dans le « doing business » pour l’instant. Créer une entreprise par exemple est une chose qui va très vite quand on a tous les papiers nécessaires.

N’as-tu pas noté une certaine lourdeur administrative ?

Non je crois qu’on ne peut vraiment pas se plaindre du processus de création d’entreprise. Après la complexité vient plus pour les plus gros. Nous, en tant que startup liée à internet, sommes tout de suite dans le secteur formel. Tout ce qui concerne le montage juridique et fiscal ainsi que la réglementation est compliqué certes, mais c’aurait été compliqué partout. En plus, ce n’est pas un handicap insurmontable. En fait pour l’instant moi je ne ressens pas du tout la 166e place dont on faisait référence.

Revenons sur l’agroalimentaire local, Niokobok a-t-il une stratégie visant à mettre en avant les produits faits ici ?

On va le faire. On a commencé par le solaire d’abord. Pour les produits locaux, on a commencé à lister du riz local d’abord, on l’a ajouté à notre gamme alors qu’il n’y était pas au début parce que des clients nous l’ont demandé. Mais le lancement de nouveaux produits nécessite de communiquer avant, avoir une stratégie plus ambitieuse et surtout un temps de réalisation.

Y a-t-il d’autres entreprises ici, dans la sous-région ou en Afrique qui font la même chose que Niokobok ?

Oui, il y a effectivement des initiatives similaires dans d’autres pays d’Afrique. Je pense que le e-commerce est un domaine en pleine ébullition sur le Continent.

As-tu l’ambition d’implanter Niokobok ailleurs qu’au Sénégal ?

Ultimement oui mais pour l’instant on est très occupé avec le Sénégal. Rien que pour la partie agroalimentaire, on ne fait que la région de Dakar. Donc l’objectif est de s’étendre partout au Sénégal. C’est un modèle qui peut être dupliqué dans d’autres pays mais pour l’instant on n’en est pas là.

N’as-tu pas l’impression qu’il faut une communication plus large pour mieux faire connaitre ce que tu fais au public ?

Si, le marketing est un enjeu important pas seulement pour faire connaitre mais pour que les gens aient confiance et essaient. C’est-à-dire que même des gens qui nous connaissent ne commandent pas, n’essaient pas tant que certains de leurs amis ne l’ont pas déjà fait. Donc oui le marketing est un aspect important pour ce genre de business mais je pense qu’on est dans le changement des comportements. C’est une alternative au transfert d’argent. Peut-être que ce n’est pas fait pour le remplacer totalement. Il faut que les gens prennent l’habitude de faire autrement, et c’est un grand défi marketing qui consiste non seulement à se faire connaitre mais en plus à ce que les gens utilisent nos services. Donc un double défi.

Niokobok a déjà obtenu deux récompenses internationales. Lesquelles ?

Il s’agit du troisième prix Orange de l’entreprenariat social en Afrique. Orange nous a ainsi apporté un appui financier et un accompagnement technique. On a aussi reçu une distinction dans un programme du Département d’Etat américain qui est le GISTECH HI. Ce sont là des choses qui nous ont fait gagner de la crédibilité auprès de nos premiers clients.

Y a-t-il eu un avant et un après prix Orange?

Oui parce que ça nous a permis de gagner en notoriété et de régler quelques problèmes d’ordre juridique notamment. Et puis on reçoit des conseils de pas mal de gens du groupe sur plein de sujets. Donc oui  il y a eu un avant et un après. D’ailleurs, la campagne du prix Orange 2012-2013 va démarrer et j’encourage tous le monde à y participer.

Enfin, peux-tu nous parler de Jokkolabs ?

C’est un endroit intéressant. C’est un espace de co-working où des entreprises et des freelances viennent pour partager un espace de travail et puis aussi pour adhérer à une communauté. A l’origine Niokobok était un projet de magasin comme les boutiques de référence, une chaine de magasins périurbaine et rurale.

En fait, je me suis installé à Jokkolabs et j’étais en contact avec d’autres entrepreneurs des TIC et j’ai vu qu’aujourd’hui dans le commerce, comme dans tous les secteurs, ne pas tenir compte des TIC est une folie. Et le projet a donc évolué ici grâce aux contacts avec d’autres gens. Mon premier voisin de bureau – parce que ça change tout le temps- , c’était Ludovic Lima qui a créé l’agence 3W, la première agence au Sénégal à avoir obtenu l’accréditation Facebook. Quand je travaillais sur mon projet de boutique, initialement dans la région de Kaolack (Centre), je faisais des allers retours, je le voyais lui s’occuper de ses campagnes Facebook et je me disais : « il faut en tenir compte ». Je pense que c’est des endroits très intéressants pour permettre des rencontres entre des gens qui travaillent sur des choses différentes et entre des entrepreneurs. Il y a des choses très modernes comme le co-working que moi personnellement j’ai découvert au Sénégal même si c’est une tendance mondiale.

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afrique des Idées par Nima Daff et Racine Demba

Les préoccupations des Béninois : La sécurité (Actes 3 & 4)

expozinsou

Quelles sont les principales préoccupations des béninois ? C’est pour apporter des éléments de réponse à ces questions que la fondation Zinsou, présente au Bénin et dédiée à l’art africain, a commandé un sondage réalisé auprès des populations béninoises. Les dix grands thèmes qui ressortent du sondage sont dans le désordre: l’accès à l’éducation, la régularisation de la circulation, l’augmentation des salaires des fonctionnaires, l’aide aux cultivateurs, l’accès à l’eau potable, le renforcement de la sécurité, la réparation des routes, l’accès à l’électricité, l’aide aux éleveurs et l’accès aux soins.

La Fondation Zinsou a rencontré Kifouli Dossou, artiste sculpteur béninois, et lui a demandé de réaliser une représentation artistique de ces grandes questions pour en porter le message. L’artiste  a choisi, pour ce faire, de sculpter des masques Guèlèdè, représentant chacun l’une de ces dix préoccupations majeures. Ces masques ont fait l’objet d’une exposition gratuite  dans les locaux de la fondation Zinsou basée à Cotonou.

Nous abordons tour à tour ces 10 thèmes dans une série d’articles illustrée par les photographies des masques sculptés par l’artiste – qui ont été gracieusement mises à notre disposition par ladite fondation. Après avoir abordé successivement la revalorisation du salaire des fonctionnaires et la modernisation de l’agriculture,  nous nous penchons sur les questions de sécurité (sécurité sur les routes et sécurité des biens). 

04.Réparer les routes

"Carrefour" / Alikpéléhonkantin – Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Kifouli Dossou- 2010 – 2011

3. La sécurité routière

Chaque jour, au moins 2 personnes meurent sur les routes béninoises et 11 autres sont blessées. Il n’est donc pas étonnant que l’insécurité routière soit un des premiers soucis des béninois. Grâce aux actions mises en place par le Centre National de Sécurité Routière (CNSR) créé en 1987, les accidents de la route ont baissé de plus de 50% entre 2000 (6 528 accidents) et 2004 (2 964 accidents recensés). Mais depuis 2008 (3 867 accidents recensés), la tendance est malheureusement à la hausse.

D’après les données collectées par le CNSR, les causes les plus fréquentes des accidents de la route et des morts qu’ils engendrent sont : le mauvais état des routes, la conduite en état d’ébriété et le non port du casque et/ou de la ceinture de sécurité. Le mauvais état des routes est aggravé par le manque patent de signalisation, en particulier de feux de route. La formation au code de la route laisse également à désirer puisque nombreux sont les béninois qui obtiennent leur permis de conduire sans connaître les règles de la circulation. Les conducteurs de motocyclettes, très nombreux dans les grandes villes, ne reçoivent aucune formation au code de la route.

Au-delà des problèmes d’insécurité routière et des drames qui en découlent, le mauvais état des routes et l’impraticabilité de certains tronçons ralentit l’activité économique. La libre circulation des personnes et des biens s’en trouve  entravée et cette situation pèse sur la croissance du pays. L’importance des transports – dont la route est l’élément de base – pour la croissance et surtout pour une croissance inclusive n’est plus à démontrer. Quand l’on doit juger de l’urgence de l’amélioration de la sécurité routière, l’on ne peut ignorer tous les coûts directs et indirects que l’insécurité routière impose aux citoyens et à l’économie du pays.

 

De timides efforts ont été faits pour lutter contre l’insécurité sur nos routes. La loi contre l’utilisation du téléphone portable au volant qui a été votée par le Parlement et la campagne de sensibilisation qui a suivi – avec des panneaux publicitaires du CNSR sur lesquels on peut lire par exemple : «Lorsque l'oreille est au téléphone, l'œil n'est plus à la route» – en sont des exemples palpables. Des ONG locales militent également pour le port du casque et pour la formation des conducteurs de taxi-moto au code de la route.

Il faut aller beaucoup plus loin ! L’amélioration des infrastructures routières (voies et signalisation), la formation des conducteurs d’engins à deux et à quatre roues et un contrôle plus courant et plus systématique des comportements des conducteurs et de la conformité de leur matériel roulant sont autant de chantiers auxquels l’Etat béninois doit s’atteler.

15.La sécurité pour le peuple

"La sécurité pour le peuple" / Aïnidjaï – Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Kifouli Dossou-  2010 – 2011

4. La lutte contre l’insécurité

Lutter contre l’insécurité, c’est garantir aux citoyens la jouissance de leurs biens et c’est leur éviter les violences liées aux braquages et autres délits du genre. L’insécurité préoccupe beaucoup les béninois qui la voit, un peu impuissants, grandir dans le pays. Des braquages de magasins aux coupeurs de route en passant par les vols, rackets et agressions de tout genre, tout porte à troubler de plus en plus la quiétude des populations. La proximité du grand voisin nigérian n’arrange pas les choses car elle entraîne une circulation plus importante d’armes et de drogues.

Cependant, la lutte contre l’insécurité au Bénin enregistre de plus en plus de succès. Les coups de filets des unités spécialisées des forces de sécurité sont désormais légion. Des mesures récentes ont été prises pour améliorer l’efficacité des forces de l’ordre. Parmi celles-ci, on peut citer un vaste recrutement de policiers, la mise en place de lignes téléphoniques gratuites pour permettre aux citoyens de dénoncer les hors-la-loi et la dotation de nouveaux équipements et de matériels roulants pour améliorer la capacité d’intervention des forces de sécurité.

Le renforcement des capacités opérationnelles et techniques de la police nationale, la mise en place d’une meilleure stratégie d’emploi et d’intervention des forces, la formation des agents pour faire face aux menaces nouvelles et l’amélioration de la coopération sous-régionale en matière de sécurité sont autant de défis que l’Etat béninois doit relever afin d’assurer une bien meilleure sécurité des personnes et des biens.

La lutte contre l’insécurité s’inscrit dans une problématique plus générale d’emploi des jeunes et d’amélioration de leur pouvoir d’achat. Les mesures qui vont dans ce sens entraînent indirectement une réduction de l’insécurité. Une nouvelle observation que les problématiques que nous abordons dans cette série d’articles sont éminemment interconnectées et que l’on ne peut les résorber qu’à travers une action conjointe sur elles toutes.

Visite d’un camp de réfugiés en Ethiopie

Dollo AdoDollo Ado concentre cinq camps de réfugiés situé dans la région somalienne de l’Ethiopie à seulement 200 kilomètres de la frontière avec la Somalie. L'endroit est inhospitalier, au milieu de routes poussiéreuses et de températures qui atteignent des pics considérables. La population des cinq camps s'élève à près de 200 000 personnes. Plus de 4 000 ont été enregistrés entre janvier et février 2013. Environ 150 à 200 nouvelles arrivées sont enregistrées tous les jours, avec notamment beaucoup  de femmes et d'enfants.

Dollo Ado est littéralement devenu une ville avec quelques 200 000 réfugiés qui y accèdent après plusieurs jours de marche, dont une traversée périlleuse de la frontière entre la Somalie et l’Ethiopie.

Chaque jour, le flux de réfugiés reste constant à tel point qu’un sixième camp est déjà prévu et sa construction devrait être imminente. L'insécurité alimentaire causée par les déplacements dus aux conflits et la sécheresse sont les principaux facteurs conduisant les Somaliens vers l’Ethiopie. Le caractère strict et exigeant d'entrée imposé par le Kenya, fait de l'Ethiopie un pays plus attrayant pour ces réfugiés.

En outre, la liberté de mouvement dans les camps et de traversée de l’autre coté de la frontière vers la Somalie sont permises. Ainsi, les réfugiés retournent souvent dans leur pays pour vérifier leurs avoirs et l’état de certains membres de la famille restés sur place.

Sous la coordination des agents du Haut Commissariat au Refugiés (HCR) et des fonctionnaires éthiopiens, des places sont accordées aux nouveaux arrivants dans l’un des camps.  Suivent les opérations d’enregistrement d’identité, de dépistage et d’accès aux services de base (logement, assainissement et accès à l’eau).

Les conduites d'eau et des canaux d'assainissement sont mis en place dans les camps, les distributions de vivres organisées et les abris construits.

L’eau est pompée à partir de la rivière Genale, traitée et distribuée dans les camps. Les latrines sont construites et chacune affectées à un certain nombre de familles. Les abris des réfugiés varient  d'une moitié de toit avec des brindilles et des morceaux de tissu aux tentes, aux abris de tôle ondulée ou de terre. A l’arrivée, la plupart des réfugiés sont logés dans des abris provisoires (tentes), avant d'être relogés vers un  abri de bambou plus permanent (une pièce pour chaque famille). Les murs de terre et de bambou offrant une meilleure protection contre la chaleur et la poussière.

Les distributions de nourriture ont lieu au début de chaque mois. Un panier alimentaire comprenant sept produits alimentaires y compris des denrées de base comme les légumes et le blé est distribué à chaque famille.

La livraison de produits alimentaires se déroule globalement sans encombre, mais les réfugiés sont moins préoccupés par la quantité que par la qualité et le choix des aliments. Souvent, ils vendent une partie de leur allocation pour acheter des articles de choix comme les spaghettis en provenance des marchés qui ont surgi en peu de temps près du camp.

En outre, beaucoup de gens travaillent au quotidien pour offrir des opportunités à travers des projets axés sur la nutrition, la santé, l’accès à l'eau, l’assainissement et la création d’activités génératrices de revenu.

Les programmes éducatifs à Dollo Ado sont globalement un succès, mais des défis demeurent avec moins de 100 enfants inscrits dans des camps laissant sans éducation des milliers d'enfants en âgé d’aller à l’école primaire. La formation professionnelle est garantie à travers la couture, le fraisage, la menuiserie, la tuyauterie, l’électricité et le développement des compétences propres afin d’inspirer un sentiment d'espoir et d'optimisme. Les activités génératrices de revenus  sont aussi promues avec la mise en place de plusieurs magasins où les articles allant des biens électroménagers aux vêtements sont vendus.

En termes de facilités sanitaires, les infrastructures restent inégalement réparties. Un des camps dispose d'un poste de santé tandis que qu’un autre est doté d’une maternité qui permet des accouchements sous surveillance médicale. Cependant, beaucoup de femmes choisissent encore d'accoucher à la maison. Le nombre de nouveau-nés ne cesse d'augmenter, compte tenu de ce que la planification familiale, malgré les conditions précaires de vie à Dollo reste encore un tabou. Sans oublier que les MGF constituent une grande préoccupation pour les autorités avec un taux de prévalence de 100%.

Enfin, la sécurité est un autre sujet de préoccupation à Dollo, malgré un semblant de calme dans les camps. En effet, les incidents du mois de Mars de cette année, où des militants d'Al Shabaab ont été arrêtés dans apparemment ce qui fut une tentative d’enlèvement de travailleurs étrangers, reste  un exemple frappant des réels dangers qui guettent les réfugiés.

Quoi qu’il en soit, le flux continu, significatif et régulier de réfugiés à Dollo rend sceptique sur toute éventualité de retour à la normale de la situation en Somalie. A défaut d’un retournement brusque et inattendu dans la tragédie somalienne, ces chiffres continueront de croître.

Loza Seleshie

http://data.unhcr.org/horn-of-africa/region.php?country=65&id=7

http://www.actioncontrelafaim.org/fr/content/dollo-ado-camps-de-refugies-somaliens

« Togo Chéri », retour sur les 53 ans du Togo indépendant

– Sentinelle, que dis-tu de la nuit?

– La nuit est longue mais le jour vient

Extrait du discours prononcé par Sylvanus Olympio, premier président du Togo, le 27 avril 1960.

Le Togo indépendant a 53 ans, il est jeune et a encore toute l'énergie pour (ré)-écrire son histoire, déjà bien mouvementée.

Une histoire politique mouvementée

drapeau-togo-4a2ce3bad18de-pLe 27 avril 1960, le Togo obtient son indépendance de la France et Sylvanus Olympio est élu président de la république. Trois ans plus tard, le 13 janvier 1963, il est assassiné à l’issue d’un coup d’état. L’histoire commence mal. En 1967, après avoir renversé Nicolas Grunitzky, le successeur d’Olympio, le lieutenant-colonel Etienne Eyadema Gnassingbé prend le pouvoir. Par  l'ordonnance n°01 du 15 avril 1967, Gnassingbé Eyadema assume les fonctions présidentielles. Le régime d’exception qu’il instaure restera en vigueur pendant plus de 10 ans. Un parti unique est créé dont il prend la présidence : le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT).

Le 24 septembre 1986, des « mercenaires », lancent une attaque contre le régime qui sera réprimée avec l’aide militaire de la France ; dans les jours qui suivent un groupe de togolais en France se réunit et crée un parti politique clandestin la Convention Démocratique des Peuples Africains.

Ce parti se pourvoit d’un manifeste « L’alternative » qui commence à circuler sous le manteau. Des jeunes togolais en obtiennent des exemplaires qu’ils acheminent vers le Togo. Arrêtés, Logo Dossouvi et Doglo Agbelenko  sont détenus par les sbires du régime eyadémien, brutalement « questionnés » et convoqués devant les juges pour répondre de l’accusation de distribution de tracts hostiles au régime.

Le togo en quelques dates

Ainsi, le 5 octobre 1990, c’est une foule en colère qui pénètre le Palais de Justice de Lomé pour assister au procès des deux jeunes gens. La vague de colère sera sauvagement réprimée… Mais le processus entamé par la révolte de ces jeunes semble inéluctable. Désormais le peuple togolais ne se laissera plus conduire par le « Grand Timonier », désormais il y aura des partis d’opposition, des journaux, des associations et symbole suprême, « La Terre de nos aïeux » l’hymne de l’indépendance interdit depuis 1979 au profit de celui du RPT est rétabli en 1992. Pourtant, sur fond d’assassinats, de disparitions forcées, simulacre de procès, détentions arbitraires,  de coups d’état manqués, de manifestations, de révoltes réprimées dans le sang le régime se maintient jusqu’en 2005 où Eyadema Gnassingbe décède après près de 40 ans à la tête de l’Etat togolais.

L’un des épisodes les plus marquants (pour ma génération, du moins) reste sans doute les années 92-93 pendant lesquelles une grève généralisée paralyse le pays et pousse des milliers de togolais à trouver refuge dans les pays voisins du Ghana et du Bénin. En 1999 l’ONG Amnesty International tirait même la sonnette d’alarme en publiant un rapport intitulé « Togo, le règne de la terreur ».

Quand, en 2005, le « Grand Timonier » tire sa révérence, son fils lui succède. De nouvelles manifestations, de nouvelles répressions. Services publics inexistants, règlements de compte au sommet de l’Etat, infrastructures en quasi-ruine, fuite massive d’une précieuse matière grise, économie défaillante… Le Togo paraît alors comme une sorte de pays-fantôme, sans institutions, livré à lui-même, donc à la loi du plus fort. La situation est telle que les soupirs se font mélancoliques « au moins du temps du père… ».

L’évènement qui a mis le feu aux poudres (littéralement !) est sans doute l’incendie qui a ravagé une partie du grand marché de Lomé dans la nuit du 12 au 13 janvier 2013. Les pompiers arrivent plus de 3 heures après le premier appel. Pas de carburant. Et lorsqu’enfin ils sont là, ils ne restent que quelques minutes sur place. Plus d’eau.

Douti_SinandareQuand on sait la place de l’économie informelle au Togo, celle des femmes commerçantes dans la structure familiale et les millions qui se brassent au cœur de ce marché…chaque citoyen togolais, où qu’il soit, a, même indirectement, subi des pertes au cours de cet incident. Ras-le-bol général. Des manifestants descendent dans la rue, leur tribune, cette fois, ils risquent tout, de toute façon ils n’ont plus rien à perdre. Le 10 avril dernier, la Synergie des Travailleurs du Togo entame une énième grève pour exiger l’amélioration des conditions de travail des employés de l’administration publique. Repris par le secteur éducatif, le mouvement entraîne la fermeture des écoles. Ainsi, à leur tour, les élèves descendent dans la rue pour soutenir leurs professeurs et réclamer la reprise des cours. A Dapaong (dans le nord du pays) les forces armées tirent à balles réelles sur les manifestants. Deux morts. Anselme Sinandare et Douti Sinanlengue, deux adolescents de 12 et 22 ans. Au Togo, le ridicule tue.

Ce que le sacrifice de ces jeunes hommes vient rappeler c’est que loin d’être apathiques ou « complices » de leur propre sort, les Togolais n’ont cessé durant les cinquante années écoulées depuis le « coup d’état fondateur » de 1963, avec les moyens à leur disposition, de s’émanciper  Ces mots sonnent mal à mes oreilles qui sifflent encore des bruits de balles de toute la période 92-93, ces mots heurtent ma mémoire qui se souvient de Marc Atidepe, Tavio Amorin, Atsutse Agbobli…et ces mots heurtent le souvenir d’un Anselme, 12 ans. Mais l’histoire est jeune, la plupart de ses témoins sont toujours vivants, ils transmettront. Je transmettrai.

Alors, quand le jeune togolais d’aujourd’hui se lève pour faire entendre sa voix, ne lui demandez pas s’il n’a pas peur. De quoi ? De mourir ? N’est-ce-pas déjà mourir à petit feu que de vivre dans des conditions indécentes ?

A ma petite sœur qui n’a pas 20 ans : tu es togolaise, et à ce titre, tributaire de grands hommes et de grands combats, « seul artisan de ton bonheur ainsi que de ton avenir »[1] mène ton propre combat pour reprendre ce qui te revient de droit : la liberté.

La nuit est longue mais le jour vient. Toujours.

 


[1] 2ème couplet de l’hymne national, la Terre de nos aïeux

Crédits photo : http://www.togo-online.co.uk/opinions/togo-encore-deux-martyrs-au-pantheon-de-la-democratie

Yannick Ebibié, ONE Gabon et les enjeux du crowdfunding en Afrique

yannick ebibiéYannick Ebibié est le président de l’association One Gabon, qui promeut la culture de l’entreprenariat et soutient des entrepreneurs dans leur montage de projet et leur recherche de financement au Gabon. Il se confie aux lecteurs de Terangaweb – l’Afrique des idées sur l’action de son association et sa lecture des potentialités qu’offre le financement participatif – crowdfunding en anglais – pour les entrepreneurs africains. 

Bonjour Yannick, peux-tu présenter ton parcours à nos lecteurs ?

Bonjour, je suis Yannick Ebibié, de nationalité gabonaise,  j’ai 32 ans et je suis marié. J’ai fait toute ma scolarité jusqu’au bac au Gabon, après quoi je suis parti en France, à Lyon, pendant deux ans au CEFAM (centre franco-américain de management), qui est une école préparatoire pour aller ensuite dans les universités américaines. Suite à cela, je suis parti aux Etats-Unis, à Philadelphie, rejoindre la Temple University, où j’ai obtenu un bachelor en business administration, spécialité entreprenariat. En parallèle, j’ai poursuivi un master en marketing international. Après une expérience professionnelle de quelques années, j’ai repris mes études en 2011 pour passer un master en ingénierie des processus, à Centrale Paris. Voilà pour mon profil académique. 

Au niveau professionnel, après mes études aux USA j’ai travaillé pour des institutions faisant de l’accompagnement au financement des PME.  J’ai travaillé pour Madame Jannie Blackwell, élue du 3ème district de Philadelphie (l’équivalent d’un maire d’arrondissement), notamment sur la question des immigrés et de l’entreprenariat : comment les aider à monter des business. Ensuite, j’ai rejoint l’agence de développement économique de la ville de Philadelphie, où j’ai travaillé pendant deux ans. J’ai travaillé à la restructuration de l’agence et à structurer le service d’accompagnement des PME. En 2009, j’ai intégré le cabinet du maire de Philadelphie, avec qui j’ai travaillé pendant trois ans. C’est après cette expérience que je suis retournée en France à Centrale Paris parfaire mes études. Ces expériences américaines ont été pour moi très enrichissantes. 

Après Centrale Paris, j’ai intégré GFI informatique, comme consultant SI, en France. Je suis surtout intervenu dans des missions pour le secteur public et sur des projets européens. En avril 2013, j’ai décidé de rentrer au Gabon, où je travaille comme consultant en management à Performances Group. 

Tu es le président de l’association One Gabon. Peux-tu nous en parler plus précisément ?

One Gabon a été créé en 2010. C’était le fruit d’une réflexion commune avec trois amis : Yann Pambou, Terrence Lindzonzo et Mikael Rogombe. Nous avons un profil assez similaire : nous sommes tous gabonais, nous commencions tous notre carrière aux Etats-Unis. Et nous nous interrogions tous sur comment nous pouvions contribuer au développement du Gabon, avec les ressources que nous avions à l’époque. Notre lecture de la situation c’était, et cela reste, que le secteur privé est sous-développé au Gabon, et qu’il ne peut pas y avoir une dynamique pérenne de croissance et de prospérité sans un secteur privé dynamique et entreprenant. Nous avons donc décidé de nous intéresser au développement du secteur privé et au soutien qu’on pouvait apporter aux PME et aux entrepreneurs. 

Nous souhaitions un projet concret, applicable dès maintenant. C’est ainsi que nous avons créé One Gabon, qui est une plateforme qui donne de l’information, prodigue des conseils et amène à des opportunités de micro-crédits. Du concret ! Comme nous étions à l’étranger, nous avons adopté un modèle de plateforme qui nous permet de travailler à distance avec peu de moyens. One Gabon s’appuie sur les nouvelles technologies pour permettre à n’importe qui, où qu’il soit dans le monde, de diffuser de l’information, de faire du micro-crédit, ou du mécénat professionnel, à partir de chez lui, en direction du Gabon. La mission que nous nous sommes fixée, c’est de participer à renforcer le secteur privé, à promouvoir l’entrepreneuriat, en commençant par le Gabon, mais avec l’objectif de faire de même dans l’ensemble des pays en voie de développement. Parce que le développement du Gabon est lié à celui de l’ensemble de ces pays. 

ONE-GabonAujourd’hui, One Gabon, c’est une communauté d’un peu plus de 600 personnes qui échangent leurs best practice, qui partagent de l’info sur l’actualité des affaires. Le contenu de notre page facebook peut atteindre une audiance de 150 000 personnes par semaine. A côté de ça, sur la plateforme de financement participatif kiva.org, nous avons soutenu le financement de 20 entrepreneurs en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Ces financements ont concerné des coopératives agricoles au Sénégal et au Congo, ou un garagiste au Cameroun par exemple. Enfin, ponctuellement, nous faisons du conseil pour des organisations intéressées à s’implanter au Gabon. Cela a été le cas avec Mezzo crédit par exemple. 

Que dire d’autre ? L’association est enregistrée dans l’Etat de New York. L’équipe de gestion est répartie un peu partout dans le monde : Sean Massenburg, chargé du micro-crédit, se trouve en Corée du Sud ; Mikael Rogombé, en charge des questions administratives, se trouve à New York ; Marysianne Greffeuille qui anime la communauté en ligne se trouve à Paris ; Terrence qui gère l’infographie est à Philadelphie et moi-même je me trouve actuellement à Libreville. Yann Pambou est à New-York et fait le suivi de projets. 

Notre premier objectif était d’avoir une bonne communauté en ligne, c’est chose faite maintenant. La prochaine étape pour nous, c’est d’être de plus en plus présent dans les forums internationaux pour parler du Gabon et de l’entrepreneuriat. Au mois de juin, nous allons d’ailleurs participer au New York Forum – Africa à Libreville du 14 au 16 Juin 2013 pour présenter le rôle que peut avoir le financement participatif pour les PME au Gabon. 

Au sujet du financement participatif, quels sont les enjeux économiques et sociaux qu’il y a derrière ?

Le financement participatif, crowdfunding en anglais, donne le pouvoir à la masse pour réaliser des choses. C’est la transcription au niveau de la finance de l’idéal participatif que l’on retrouve en politique, et dont on a pu voir une concrétisation récente avec la procédure ayant créé une nouvelle constitution en Islande. Au niveau de la finance, il existe désormais des plateformes sur internet qui permettent à n’importe qui de financer les projets qu’il souhaite (kiva.org ; kickstarter ; babyloan). Le modèle a déjà prouvé son efficacité dans beaucoup de pays. 

Le principe, c’est qu’un entrepreneur qui a besoin d’un prêt va voir une institution de micro-crédit, laquelle, après avoir qualifié l’entrepreneur, va lui créer son profil sur une plateforme, et n’importe qui dans le monde peut décider d’aider cet entrepreneur à réunir l’apport personnel du financement, la contribution pouvant être aussi petite que 25 dollars. En bref, il s’agit d’utiliser des plateformes de réseaux sociaux pour soutenir un projet ou une idée. Au titre des succes stories, on peut citer la chanteuse Irma qui a financé l’enregistrement de son album grâce au crowdfunding et aux centaines d’individus qui ont cru en son talent !

Yes you canIl y a des modèles de financement différents suivant les plateformes. Sur certaines, ce sont des prêts avec intérêts. Pour Kiva  et ONE Gabon, tu donnes de l’argent, qui te sera remboursé progressivement, sans intérêt. Kickstarter est plus dans le don. De manière générale, je pense que ce nouveau procédé, rendu possible grâce à la technologie et aux nouveaux réseaux virtuels, représente une opportunité très important dont beaucoup d’Africains pourraient profiter. Au sein de notre association, nous souhaitons étudier la question pour comprendre quels sont les freins au développement du financement participatif au Gabon. Une première observation, c’est que souvent les institutions de micro-finance ne parviennent pas à atteindre les standards exigés par les plateformes tels que Kiva. Il y a donc sans doute un travail à mener pour mieux accompagner les différentes acteurs engagés dans le microfinancement, et sans doute faire évoluer le cadre réglementaire qui entoure ce secteur. 

Pour conclure, quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Collectivement, à ONE Gabon,  notre stratégie c’est de participer de plus en plus à des forums internationaux pour gagner en visibilité. Notre deuxième objectif, c’est d’installer le crowdfunding dans la sphère de financement des entreprises au Gabon. Enfin, troisième objectif, on aimerait renforcer nos partenariats avec d’autres organisations travaillant sur des missions similaires en Afrique. 

A titre personnel, je souhaite continuer à travailler sur le sujet de l’entrepreneuriat et voir un jour notre vision se réaliser : que le secteur privé soit le fournisseur d’emploi N°1 au Gabon !  C’est important parce que tous les pays où il y a de l’emploi, c’est parce que le secteur privé est dynamique. Cela permettrait de diversifier l’économie, de faire reculer la pauvreté et responsabiliser les gens. 

Enfin, avant de terminer, je souhaite remercier Terangaweb – l’Afrique des idées, je trouve bien qu’il y ait des médias en ligne qui analyse l’actualité sous le prisme de la jeunesse africaine, et j’espère que nous serons amenés à travailler ensemble pour montrer une nouvelle image de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. 

Entretien réalisé par Emmanuel Leroueil

Les enfants-soldats : entre mémoire et réinsertion

« Je pleurais pour leurs mères. Je pleurais pour tout ce qu’ils n’ont pas vécu » Allah n’est pas obligé,[1] Ahmadou Kourouma

 

20 novembre 1989. Le mur de Berlin est tombé depuis quelques jours, la guerre froide vit ses dernières heures et l’UNICEF –le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance- réussit l’exploit de réunir les Etats-membres de l’ONU autour d’un texte qui sera adopté à l’unanimité : la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). A ce jour, seuls trois pays ne l’ont pas ratifiée : le sud-Soudan, la Somalie et les Etats-Unis.

Enfant DémobiliséEn 1994, alors que le continent africain connait déjà plusieurs conflits, une commission présidée par Mme Graça Machel est chargée de mener une étude sur l’impact des conflits armés sur les enfants. Le rapport rendu en 1996 porte sur, entre autres, les enfants réfugiés, les enfants victimes d’exploitation sexuelle et les enfants-soldats. C’est sur les recommandations de cette commission que nait le Bureau du représentant spécial du sécrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés, dirigé depuis juillet 2012 par l’Algérienne Leïla Zerrougui.

Pour une définition juridique du terme d’enfant-soldat il faut attendre l’année 2007 et les Principes de Paris: un enfant-soldat est une personne âgée de moins de 18 ans associée aux groupes et forces armés. Ils sont entre 250 et 300.000 enfants (filles et garçons) à être associés aux groupes et forces armés à travers le monde : en Afrique, en Asie et en Amérique Latine et sont recrutés pour certains dès l’âge de cinq ans…

Les enfants-soldats en Afrique

S'il n'en a pas l'exclusivité, le seul continent africain compte 1/3 des enfants-soldats de la planète, la majorité en République Démocratique du Congo. Rien que pour l’année 2011, le Bureau des Nations Unies pour le sort des enfants en période de conflit a relevé 272 nouveaux cas de recrutements dans ce pays, 12 de ces enfants avaient moins de 10 ans… Plus récemment, et dès le début des conflits, l’UNICEF et toutes les organisations de protection de l’enfance ont alerté l’opinion sur la présence d’enfants parmi les combattants en République centrafricaine et au Mali. Aujourd'hui les forces de la coalition franco-africaine intervenant au Mali font face, parfois aussi… à des enfants – problème bien plus important que les éventuelles retombées politiques en France de l'intervention.

Les causes du phénomène sont nombreuses, la première étant… la guerre elle-même et tout ce qui peut la motiver : les richesses, les matières premières, les relents nationalistes, les revendications ethniques, le pouvoir… et aussi la mentalité même d’un enfant, vulnérable et par là, hautement influençable. Drogués, manipulés, les enfants deviennent très vite de redoutables machines à tuer qui font la guerre à l’âge où d’autres se contentent d’y jouer.

En 1996, le rapport Machel alertait sur une cause peu évoquée généralement : la libre circulation des armes légères. Un AK-47 (Kalachnikov) ne coûtait, à l’époque, pas plus cher qu’une chèvre en Ouganda ou qu’un poulet au Kenya. Les enfants participent donc activement aux conflits aussi parce qu’il y a des armes à leur portée.

Très peu d’enfants s’engagent « volontairement ». Quel sens donner, de toute façon, à la « volonté » d’un enfant qui rejoint un groupe armé, en remplacement de la cellule familiale qu’il n’a plus ou encore au geste du petit garçon nourri aux films américains où le héros ne meurt jamais ? Le recrutement forcé est le mode le plus courant, l’armée de Joseph Kony, la Lord Resistance Army (LRA) s’en est fait une spécialité. Repoussée-officiellement- depuis 2006 hors des frontières ougandaises, la LRA continue de sévir dans la sous-région : en RDC, en République centrafricaine et au sud-Soudan. Son mode d’action : les enlèvements dans les lieux de rassemblement de la population : écoles, églises, marchés…tous les soirs des centaines de familles se déplacent pour dormir en lieu sûr et préserver leurs enfants des rafles de la LRA.

L’enrôlement d’enfants n’est pas le fait de seuls groupes rebelles, en Somalie, c’est l’armée nationale elle-même qui recrute des enfants. Les plus jeunes ont cinq ans, « s’ils peuvent tenir debout, ils peuvent tenir une arme ».

Le programme DDR

En réponse au phénomène des enfants-soldats, L’UNICEF a mis en place dans les années 90 le programme DDR : Démobilisation, Désarmement, Réhabilitation.

Enfant soldat réinséréDémobiliser les enfants : les sortir du groupe armé. C’est la première phase du programme, qui consiste à se rendre auprès des chefs de guerre pour sortir les mineurs de leurs rangs. Recruter des enfants pour faire la guerre est un crime de guerre selon le statut de la Cour Pénale Internationale ; il est donc évident que les chefs de guerre ne se vantent pas de compter des enfants dans leurs rangs. Dans des régions reculées d’Afrique où les naissances ne sont pas répertoriées, il n’y a souvent aucun moyen officiel d’identifier des mineurs, sauf à pratiquer une politique au faciès…les travailleurs de l’UNICEF agissent donc en collaboration avec les communautés et en République centrafricaine, par exemple, recueillent les témoignages de familles dont les enfants ont été enlevés par la LRA.

Désarmer : On pourra ici avec profit se reporter au témoignage de Lucien Badjoko, ancien enfant-soldat de la RDC, auteur du livre « J’étais enfant-soldat » et président de l’Ambassade des Jeunes Victimes de Guerre. Il raconte dans son livre ce moment primordial où il a enfin consenti à se défaire de l’arme qu’il avait gardée. Ce moment qui, plus que celui de la démobilisation, a marqué son véritable retour dans la vie civile. Lorsque les adultes échouent dans leur rôle de protection des enfants et que ceux-ci se retrouvent à, non plus jouer à la guerre mais à la faire, l’arme devient leurs père et mère. Les désarmer est un processus important dans le travail de réinsertion, on leur prend leurs armes pour leur réapprendre à avoir de nouveau foi dans les normes de la société.

Réhabilitation ou réinsertion : c’est la phase la plus longue et la plus difficile du programme. Après les deux premières phases, les enfants sont conduits dans un centre de réinsertion où ils sont encadrés par des médecins, des éducateurs, des psychologues et autres professionnels de l’enfance. Là ils reprennent les études pour les plus jeunes et/ou apprennent un métier avant de regagner leur communauté d’origine. Ça c’est la théorie.

En pratique, comment réinsère-t-on en quelques mois un adolescent de 15 ans qui fait la guerre depuis qu’il a 5 ans ? Comment réhabilite- t-on une jeune fille de 16 ans, enlevée à l’âge de 12 et enceinte de son ravisseur ? Comment redevient-on humain ?

Quiconque a côtoyé des militaires démobilisés sait la difficulté qui est la leur de comprendre, d’accepter et d’obéir aux règles de la vie civile, la difficulté n’est pas moindre lorsqu’il s’agit d’enfants. « Relâchés » dans une communauté qui en a peur (ils ont tué, ils peuvent recommencer), les enfants associés aux groupes et forces armés se heurtent au double défi de se reconstruire et de reconstruire le lien social brisé, se prouver et prouver aux autres, tout le temps, qu’on est digne de faire de nouveau partie du groupe.

Pourtant, au-delà des acteurs institutionnels, le travail de réinsertion d’un ancien enfant-soldat revient à la communauté elle-même. A l’instar de cette grand-mère libérienne qui, au sortir de la guerre, a récupéré des dizaines d’enfants dans sa maison pour les mettre au travail, réhabiliter un enfant, l’inclure de nouveau dans le groupe social doit être l’œuvre de tous les autres membres de ce groupe. La reconstruction des enfants passe aussi par la phase –indispensable- du procès. Le procès fait à ceux qui les ont recrutés. Les victimes d’un crime disent volontiers qu’elles attendent impatiemment le procès de l’auteur du crime, cela ne va rien changer aux faits. Certes. Mais le procès officialise les rôles, le procès dit à un enfant torturé par ce qu’il a vu et ce qu’il a fait, qu’en réalité c’est lui la victime.

Avancées récentes

En juillet 2012 la CPI a rendu son tout premier verdict qui a vu la condamnation du congolais Thomas Lubanga pour, entre autres crimes de guerre, l’enrôlement d’enfants. Mr Lubanga ayant fait appel de la décision, l’affaire est pendante devant la Cour et le procureur, Mme Fatou Bensouda, a requis non seulement une nouvelle condamnation mais aussi l’augmentation de la peine. Peu importe le verdict – de condamnation, de toute façon- ce procès remplit la première fonction de la peine : l’exemplarité. Il dit surtout aux enfants encore mobilisés, que le monde est au courant de ce qui se passe et qu'il ne les oublie pas.

Le 2 avril dernier a vu l’aboutissement d’une campagne de 20 ans mené par Amnesty International pour un traité régulant le commerce des armes. Un projet de traité a été adopté à l’ONU et le texte devrait être voté en juin. Selon l’UNICEF, plus de 100.000 enfants auraient bénéficié du programme DDR depuis sa création.

Il y a entre 250 et 300.000 enfants associés aux groupes et forces armés dans le monde et je ne veux pas croire qu’il n’est pas possible de mettre fin au phénomène. Il continue aussi –surtout- à cause du sentiment d’impunité qu’ont les seigneurs de guerre. Les autorités américaines ont ainsi annoncé le 4 avril dernier avoir suspendu la recherche de Joseph Kony, cette fameuse chasse à l’homme que la campagne « Stop Kony 2012 » avait lancé.

Si les Etats-Unis n'ont pas ratifié la CIDE, des progrès en dents de scie ont été réalisés. En 2008 l’administration Bush a adopté l’exceptionnel « Child Soldier Prevention Act ». Le CSPA est un texte de consensus, proposé par deux sénateurs, l’un démocrate, l’autre républicain par lequel les Etats-Unis s’engagent à suspendre leur soutien financier à destination de pays qui enrôlent des enfants, le texte élève en crime fédéral le recrutement d’enfants de moins de 15 ans et donne même compétence universelle aux juridictions américaines pour juger quiconque se rendrait coupable de tels faits. En octobre 2012, au Clinton Global Initiative le Président Obama alla beaucoup plus loin : «lorsqu’un petit garçon est kidnappé, transformé en enfant-soldat et forcé de tuer, cela s’apparente à de l’esclavage. C’est barbare, c’est mal et de telles pratiques n’ont pas leur place dans un monde civilisé ». Quelques temps après, la même administration Obama introduisait une dérogation au CSPA, exemptant certains pays comme le Yemen, le Tchad… et la RDC des rigueurs de la loi. La route est encore longue. Pendant ce temps des enfants continuent de devoir affronter, subir ou participer aux affres de la guerre.

En 1990, le journaliste français Gilles de Maistre, a réalisé un documentaire édifiant : « j’ai 12 ans et je fais la guerre ». A la question « que voudrais-tu faire quand tu seras grand ? », le petit Lazare, « ancien combattant » ( !) du Mozambique, prisonnier de guerre à 12 ans, détourne les yeux, hausse les épaules et répond : « je voudrais être un enfant »…

 


J’ai 12 ans et je fais la guerre (reportage… par stranglerman

 


[1] Allah n’est pas obligé est un roman contant les aventures de Birahima, enfant-soldat au Liberia

Crédits photo : (1) Enfant dans un camp rebelle, dans le nord-est de la République Centrafricaine  Credits: Pierre Holtz | UNICEF CAR | www.hdptcar.net; (2) Photo prise en octobre 2007 dans le Nord-Kivu, d'un ex-enfant soldat dans un atelier de réinsertion. @http://www.flickr.com/photos/endrevestvik/

 

 

Interview de Robert Sebbag, Vice-président de Sanofi-Aventis

SEBBAG-Robert-M. Sebbag, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs et revenir sur votre parcours, ainsi que votre rôle actuel au sein de Sanofi/Aventis ?

Je suis Docteur en médecine, spécialisé sur les maladies infectieuses comme le paludisme et attaché aux hôpitaux de Paris. Actuellement, je suis Vice-président chargé de problématiques liées à l’accès aux médicaments dans les pays du Sud. Je travaille avec le continent africain, notamment compte-tenu de l’importance des problèmes dont la zone est victime dans ce domaine.

Comment se définissent les actions de Sanofi/Aventis dans la région ?

L’Afrique, comme on le sait tous, fait toujours face à des difficultés quant à l’accès aux médicaments. C’est pourquoi Sanofi, disposant d’une expérience de près de quarante ans, a pris la décision de développer un département dédié intégralement à ce problème afin de participer à la prévention face aux maladies les plus récurrentes tels que le paludisme, la maladie du sommeil ou l’ulcère de buruli.

En dehors des géants de l’industrie pharmaceutique, quels sont les autres acteurs internationaux présents en Afrique ? Leur rôle demeure-t-il majeur par rapport à celui des acteurs locaux ?

La clé vers le sixième objectif du millénaire pour le développement (qui a pour principe de faire reculer des fléaux tels que le VIH/SIDA ou le paludisme ndlr) demeure le partenariat autour duquel différents acteurs du public et du privé se regroupent. Le partenariat fonctionne notamment sur une base de la complémentarité. Nous apportons les ressources nécessaires aux acteurs locaux et eux, en échange, nous apportent le savoir et les connaissances du terrain dont nous avons besoin pour nos diverses actions. C’est un partenariat d’équilibre.

Selon vous, quels facteurs expliquent que l’accès aux médicaments sur le continent africain demeure aujourd’hui un enjeu non encore résolu ?

Le problème de l’accès aux soins sur le continent africain est multifocal. Il existe de nombreux problèmes tels que ceux du prix, des infrastructures, de la formation et des ressources humaines.

Pensez-vous qu’il serait possible de concilier certains aspects de votre intervention avec la médecine traditionnelle ?

Dans un continent tel que l’Afrique il est impossible de faire l’impasse sur la médecine traditionnelle. Elle fait en quelque sorte parti du code génétique des populations africaines, et c’est pour cela qu’il est nécessaire d’établir le contact avec les acteurs de ce type de soins, afin de voir dans quelle mesure on peut concilier la médecine traditionnelle à la médecine occidentale plus sophistiquée.

Au-delà des maladies que l’on connait mieux comme le VIH ou la malaria qui agrègent les taux les plus élevés au monde, il semblerait que l’on assiste à une recrudescence de maladies non-transmissibles. Pourriez-vous nous en dire plus sur le nouvel enjeuque représentent « les maladies invisibles » pour la transition sanitaire en Afrique ?

Pendant longtemps, le travail effectué sur le continent africain a mis en priorité les maladies transmissibles, qui comme on le sait représente le taux le plus important du continent. Néanmoins il s’avère qu’aujourd’hui on tend à se concentrer également sur d’autres maladies chroniques, non transmissibles telles que le diabète, le cancer, les maladies cardiovasculaires ou neurologiques. On essaie d’aborder la santé d’une manière plus globale et d’apporter une réponse plus générale.

Même la santé mentale n’est pas laissée en rade. Vis-à-vis d’elle, il y a une certaine stigmatisation, une réaction d’exclusion face à ce phénomène qui fait peur, paraît irrationnel, voir surnaturel en ce qu’il est lié à l’esprit. Le problème est qu’il existe très peu de spécialistes. Dans certains pays on ne trouve simplement pas de psychiatre, ni de neurologue capable d’apporter des solutions rationnelles. Il faut former des gens afin d’expliquer et de créer une prise de conscience face à ce qui n’est en rien surnaturel mais réellement une maladie.

Lors de votre intervention aux journées du Havre organisées par le Nouvel Observateur, vous avez évoqué un problème de formation des médecins sur l’ensemble du continent…

Il ne s’agit pas simplement d’une crise des médecins mais une crise du corps médical et des agents sanitaires en général. Il faut former des médecins en fonction des besoins du pays, assurer qu’il y ait des débouchés…Tout cela dépend plus largement du budget qui existe au niveau des ministères en charge de la santé. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de plaquer des systèmes telles que les systèmes français ou américains, au contraire une prise en compte de la réalité du pays est nécessaire.

L’Afrique, dans certains domaines, se présente comme un continent à deux vitesses. Ce commentaire s’applique-t-il aussi au domaine de la santé et du médical ? Existe-t-il un ou plusieurs pays qui se distinguent par leurs prouesses dans le domaine ?

Il est vrai que dans le domaine de la santé et du médical l’on a l’intention première de considérer l’ensemble comme un tout qui va mal. Cependant globalement, l’Afrique présente aujourd’hui un très fort potentiel, avec, je dois dire, une certaine avancée de l’Afrique anglophone par rapport à l’Afrique francophone. Je suis notamment optimiste face à des cas tels que le Ghana, l’Angola et le Sénégal. Souvent il s’agit d’une question de ressources et de la situation politique du pays. La Côte d’Ivoire, par exemple, semblait bien lancée avant d’être déchirée par un conflit interne.

Pensez vous que le progrès dans le domaine médical en Afrique puisse s’accomplir à une échelle continentale, c'est-à-dire au travers d’une coopération entre les Etats Africains ? Faudrait-il créer une institution supranationale qui se consacre au domaine de la santé ?

Je ne pense pas qu’on ait besoin d’une organisation supranationale de plus, compte-tenu du bon nombre qui sont déjà présentes. Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle machine avec de nouveaux fonctionnaires, cela mettra trop de temps à se mettre en place. Ce qu’il faut, c’est un regard pays par pays afin de se rendre compte de ce qui existe déjà et s’en servir pour faire avancer les choses.

Ndeye Diarra

« Dans le ventre d’une hyène » de Nega Mezlekia

Dans le ventre d'une hyèneC’est un vieil homme qui vous parle. Mais peut être mes cinquante-cinq ans ne sont pas la raison première de ma vieillesse. Un homme vieillit à la vitesse des évènements structurants qu’il subit et qui le transforment. En ce sens, peut-être qu’en 1983, à 25 ans, quand je quittai l’Ethiopie, j’étais déjà un vieillard.

Depuis, mon vieillissement s’est décéléré. Certains me rappelleront sûrement que l’obtention du prix du gouverneur général (le plus prestigieux des prix littéraires du Canada) pour mon livre Dans le ventre d’une hyène en 2000 a été structurant, et peut être plus encore les allégations de mon éditrice, qui se proclama la véritable auteure de l’ouvrage.

 

Oui, probablement, ces épisodes m’ont réconforté et blessé profondément. Mais comparés aux temps bénis et maudits de mon enfance, peu de choses peuvent prétendre m’avoir autant formé et déformé. En un sens, c’est peut-être l’écriture qui m’a sauvé. Une enfance à revivre et à me raconter à moi-même après que les plaies ont (en partie) cicatrisé. Une enfance à vous raconter aussi. Comme si l’acide de l’oubli était le pire qui puisse arriver aux témoins de temps troublés.

Je veux poser, et reposer enfin ceux qui ont été. Je veux dire ma mère, cette femme qui s’est battue jusqu’au bout pour protéger ses enfants, qui nous a chéri et qui s’est fait descendre par une salve de mitraillette, une nuit bien sombre sur la route de Jijiga. Je veux dire mon père, ce fonctionnaire austère et droit qui a été assassiné avec l’Empire. Je veux parler d’Henok, d’Almaz et de Meselu. Vous conter Hussain, le djiboutien à la dent d’or, Yetaferu, la sotte dévote, ou encore Yeneta, le prêtre intransigeant. Je veux faire revivre les ombres de mes amis et de mes tortionnaires, de mes maitres et de mes compagnons. Repeindre la fresque déchirée de la tragicomédie humaine.

Je veux vous emmener sur les chemins de mon enfance, du côté de Jijiga, la ville de poussière et d’encens qui m’a vu grandir. Harar la millénaire et les chemins ensablés de l’Ogaden vous attendent aussi. Avec bien sûr le capharnaüm d’Addis Abeba, les ruelles de Dire Dawa et la rude douceur du village de Kuni. Ces lieux sont des vases pleins de souvenirs. Je me rappelle avoir injecté de l’acide dans les fesses de la vache de l’instituteur, je me souviens de ma course effrénée, poursuivi par les hyènes. Je me rappelle les manifestations étudiantes et les groupes de réflexion marxistes.

Je me souviens de l’odeur qu’a la prison quand on y entre pour la première fois à quatorze ans. Cela réapparait, et tout le reste : les journées de commandos avec les maquisards somalis, les séances chez le sorcier pour me faire rentrer dans le droit chemin, la torture dans les geôles de Mengitsu, et les rafales d’obus qui rythmaient la fuite de notre colonne de civils vers Harar.

Par je ne sais quel miracle je suis toujours là, comme si les forces du hasard avaient décidé que je serai l’exception à leur règle
aveugle ou plutôt la confirmation qu’elles n’en ont pas. Il y a des jours où « je m’éveillais avec la triste certitude d’être de retour dans un lieu où les humains régnaient sur les chèvres ». Si j’ai bien appris quelque chose durant toutes ces années, c’est bien que « l’animal humain est la seule bête à craindre dans la nature ». Avec l’hyène de la politique peut être. Il ne faut pas croire qu’elle est loin. Ce n’est souvent qu’un mirage. En réalité elle reste toujours proche, même si parfois bien cachée.

C’est la politique qui décide de faire vivre ou mourir les hommes. Ma jeunesse ayant été celle d’un désenchantement viscéral vis-à-vis du pouvoir, je me sens la responsabilité de comprendre et d’expliquer les entrelacements complexes des politiques dans la corne de l’Afrique. Je ne reviendrais ni sur le rôle de la guerre froide, ni sur les effets des famines, ni sur les concurrences des révolutionnaires ou les irrédentismes voisins puisque je parle de tout cela dans mon livre. Mais que dire d’un régime ou les familles «devaient verser 25 birrs pour les balles avancées par la junte pour l’exécution de leurs proche, après quoi on les autorisait à récupérer les restes » ? Si j’ai vu la masse des injustices et des inégalités de l’Empire, si j’ai compris l’étendue de la superstition et l’ampleur de l’intransigeance des Eglises, si j’ai senti à quel point un Etat archaïque reposait pour subsister sur l’oppression et la violence, rien ne me préparait à l’arbitraire absolu et au déchainement paranoïaque de la faucheuse qui caractérisa le régime du Derg (junte militaire qui gouverna l’Ethiopie de 1974 à 1991).


Et pourtant, il ne faut pas assimiler un pays tout entier au régime qui le domine
. Si je ne peux m’empêcher d’être un chroniqueur amer de l’histoire de l’Ethiopie dans les années 70 et 80, j’en profite aussi pour vous en apprendre un peu plus sur les peuples et les coutumes de ce grand pays qui n’a eu de cesse d’émerveiller les hommes. Ne m’en voulez pas si je glisse au fil des pages quelques contes Amhariques ou légendes Oromos : c’est dans les entrailles de la fiction que les hommes sages ont déposé les plus grands trésors de l’esprit. Et puis il faut bien quelques histoires amusantes ou anecdotes croustillantes pour faire oublier l’aridité du désert et la folie des hommes, non ?

Nega Mezlekia

Mes amis, je suis Nega Mezlekia, celui dont le nom veut dire « celui qui va jusqu’au bout ». J’ai vécu la junte militaire, la guerre, l’exil et même l’empire. Pire, j’ai vécu la terreur rouge, la terreur blanche et la terre battue. J’ai été battu, torturé sans relâche et relâché sans zèle. J’ai vu les ailes des vautours qui tournoyaient autour des carcasses de mes amis et j’ai mis des jours à pleurer la multitude de mes ennuis. Mes amis, je suis Nega Mezlekia, celui dont le nom veut dire « celui qui va jusqu’au bout », et j’ai aussi écrit un livre. J’y raconte mon enfance, ma famille, et l’Ethiopie. J’y explique les germes de la dictature dans l’empire finissant et les germes de la famine dans l’absence de germes. J’y aie planté mes souvenirs, mes connaissances, et mon âme. A vous de lire et de juger. Voilà ce que je vous aurai sûrement dit si j’avais été celui que je prétends être. Mais je ne le suis pas. Ce qui ne m’empêche pas de vous inviter à essayer de comprendre, et, à vous aussi plonger, avec la confortable distance du lecteur, dans le ventre d’une hyène.

 

Dans le ventre d'une hyène

Nega Mezlekia

346 pages, octobre 2001, éditions Léméac-Actes Sud

Disponible à la vente ici et

Les 20 plus jeunes femmes de pouvoir en Afrique en 2012

20_femmes_de_pouvoir_les_plus_jeunes_2012Alors que l’Afrique continue de se développer économiquement, socialement et politiquement, une nouvelle lignée de femmes africaines émerge. Tant et si bien, que l'Union africaine a baptisé les années 2010 à 2020, la « Décennie des femmes africaines ».

Au mois d’août dernier, le magazine Forbes publiait l’édition 2012 de sa liste annuelle des 100 femmes les plus influentes au monde qui comptait déjà 11 femmes noires, et 3 femmes africaines. Dans la chronique africaine de Forbes animée par Mfonohong Nsehe, Farai Gundan, productrice TV et cofondatrice d’AfricaTripDeals et de FaraiMedia, a établi une liste des 20 femmes de pouvoir les plus jeunes en Afrique pour l'année 2012. Elles ont toutes moins de 45 ans et façonnent le récit de l’émergence du continent africain.

Pour Farai Gundan, « ces femmes africaines sont à l'aise dans n'importe quel contexte, des professionnel ou traditionnel ».

« Elles sont capables de tirer leur épingle du chic parisien, des cercles de Dubaï ou de Wall Street, mais aussi chez elles, dans certaines grandes villes d'Afrique comme Yaoundé au Cameroun, Addis-Abeba en Éthiopie, Cap Town en Afrique du Sud ou Harare au Zimbabwe. C'est la façon dont elles embrassent cette dualité de perspectives qui définit cette nouvelle race de femmes africaines. »

Leymah Gbowee, Libéria, militante pour la paix et les droits des femmes

leymah gwoweeLeymah Gbowee | Photo : ted.comCette militante pour la paix a été l'une des trois femmes lauréates du Prix Nobel de la Paix 2011 « dans la lutte non violente pour la sécurité des femmes et des droits des femmes à participer pleinement à la construction de la paix ». Grâce à son organisation Women Peace and Security Network Africa, Leymah Gbowee forme et donne les moyens aux femmes africaines de ramener la paix dans leur propre pays. Elle est récipiendaire de plusieurs prix dont le Prix de la Paix Blue Ribbon de l'Université Harvard John F. Kennedy et le Prix Gruber des Droits de la femme.

Cina Lawson, Togo, Ministre des Postes et des Télécommunications du Togo

Cina LawsonCina Lawson | Photo : togotoday.netActulellement ministre des Postes et des Télécommunications du Togo, Cina Lawson était auparavant directeur de la stratégie et du développement commercial chez France Télécom / Groupe Orange à New York et chez Alcatel-Lucent à Paris. Elle a commencé sa carrière dans les télécommunications à la Banque mondiale à Washington DC, où elle était en charge des réformes réglementaires pour les pays en développement. Elle est diplômée de l'Université Harvard Kennedy et de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Cina Lawson a été nommée Jeune leader mondial 2012 lors du Forum économique mondial.

Juliana Rotich, Kenya, co-fondatrice d'Ushahidi

Juliana Rotich Juliana Rotich | Photo : ushahidi.comTechnologue et chercheuse, Juliana Rotich est co-fondatrice et directeur exécutif d’Ushahidi, une société technologique basée à Nairobi qui se spécialise dans le développement de logiciels libres et open source qui regroupent et structure les données de crise en temps réel avec des cartes interactives. Elle figure dans le Top 100 des femmes édité par le quotidien britannique The Guardian, dans le Top 2 des Femmes de la technologie. Juliana Rotich a aussi été élue « Entrepreneur social de l'année » en 2011 par le Forum économique mondial.

Dr. Patience Mthunzi, Afrique du Sud, Scientifique principal au CSIR

Dr. Patience MthunziDr. Patience Mthunzi | Photo : ntww.csir.co.zaLe Dr Mthunzi est actuellement la seule scientifique principal d’Afrique du Sud pour le Groupe de recherche sur la biophotonique au sein du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) du Centre National Laser en biophotonique ; un domaine d'étude qui permet l'étude microscopique des molécules biologiques, des cellules et des tissus en utilisant le laser. Lui étant impossible d'étudier la biophotonique en Afrique du Sud, elle est devenue la première étudiante sud- africaine en doctorat à l'École de physique et d'astronomie de l'Université de St Andrews en Ecosse. Patience Mthunzi a récemment reçu l’une des plus hautes distinctions honorifiques du pays, l'Ordre de Mapungubwe, pour sa contribution dans le domaine de la biophotonique.

Maud Chifamba, Zimbabwe, étudiante de 14 ans en comptabilité à l’Université

AMaud ChifambaMaud Chifamba | Photo : zimbabwenewsonline 14-ans, Maud Chifamba a fait son entrée dans l'histoire cette année quand elle est devenue la plus jeune élève du Zimbabwe et peut-être de l'ensemble de l'Afrique australe à s'inscrire à l'université. Le jeune génie a été admis à l'Université du Zimbabwe où elle va étudier la comptabilité dans le cadre d’un cursur de Maîtrise. Orpheline depuis le mois décembre dernier suite au décès de sa mère, elle a s’est présentée quelques jours après pour ses examens finaux. Malgré ces tristes événements et le manque de moyens, Maud Chifamba s’est scolarisé elle-même à la maison et a battu de façon autodidacte des records universitaires. Elle a ainsi gagné une bourse d'études de quatre ans de près de 10.000 $ USD.

Florence Iwegbue, Nigeria, Avocate et co-fondatrice de LiveWello

Florence IwegbueFlorence IwegbueUn événement qui change la vie, le diagnostic de son fils autiste a donné naissance à LiveWello ™, le réseau social destiné à la santé. Avocate de formation britannique, Florence Iwegbue et son mari médecin, un développeur de logiciels autodidacte, ont fondé LiveWello pour soutenir la santé de leur fils autiste, tout en tirant partie des meilleurs éléments de leur culture africaine : la vie du village. En développant une application de santé à nature sociale, ils ont pu collaborer avec les prestataires de santé de leur fils, leurs coachs médicaux et le reste de leur famille restée en Afrique, afin de gérer collectivement son état de santé. Désormais, Florence Iwegbue aide les autres à gérer leur propre santé grâce à l'application de réseau social qu'elle a mis en place.

Lisa Opoku Busumbru, Ghana, directrice de l'exploitation à Goldman Sachs

Lisa Opoku BusumbruLisa Opoku Busumbru | Photo : blackenterprise.comLe magazine Black Enterprise basé aux États-Unis a nommé ce jeune cadre de Wall Street parmi ses « 40 étoiles montantes de moins de 40 ans en 2012 ». Lisa Opoku Busumbru figure également dans la liste des « 75 femmes d'affaires les plus influentes en 2010 ». Elle est le chef de l'exploitation de la division Titres de Goldman Sachs pour la région Asie-Pacifique. Lisa Opoku Busumbru a obtenu un Bachelor en sociologie avec mention très bien de l'Université du Minnesota en 1993 et un doctorat en droit de la Harvard Law School en 1996.

Leila Lopes, Angola, Miss Univers 2012

Leila LopesLeila Lopes | Photo : starpulse.comLe 12 Septembre 2011, Lopes a été couronnée Miss Univers, en devenant la première Angolaise à acquérir cette distinction, la quatrième Africaine à remporter le titre (après Miss Afrique du Sud en 1978, Miss Namibie en 1992 et Miss Botswana en 1999 ) et la deuxième femme noire africaine à être couronnée après la botswanaise Kwelagobe Mpule en 1999.

En tant que Miss Univers, Leila Lopes a utilisé son titre comme une plateforme pour le plaidoyer des malades du SIDA et du VIH à travers le monde entier.

Isha Sesay, Sierra Leone, présentatrice du journal télévisé et journaliste à CNN

Isha SesayIsha Sesay | Photo : CNN ObservationsIsha Sesay chronique pour « African Voices » et « Inside Africa », un programme hebdomadaire primé de CNN International qui traite des tendances politiques, économiques, culturelles et sociales en Afrique.

Elle est aussi un point d'ancrage sur CNN International et contributeur dans « Anderson Cooper 360 » de CNN et dans « Evening Express », un journal télévisé de HLN.

Rainatou Sow, Guinée, militante des droits des femmes, fondatrice et directrice de

Rainatou SowRainatou Sow | Photo : -women4africa.comOriginaire de la Guinée, Rainatou Sow est avocat des droits de l’homme et de la justice sociale et activiste des droits des femmes. Elle a fondée « Make Every Woman Count » en décembre 2010, soit deux mois après la déclaration de la « Décennie des femmes africaines » par l'Union africaine. Make Every Woman Count est une société britannique à but non lucratif qui surveille les droits des femmes dans tous les pays africains. L'organisation publie un rapport annuel à titre de vérification du statut et des conditions des femmes dans chaque pays africain. Rainatou Sow a été distingué « femme la plus inspirée de l'Année 2012 » par Women4Africa.

Biola Alabi, Nigeria, Directeur Général de MNET Africa

Biola AlabiBiola Alabi | Photo : The Guardian Life MagazineDirectrice de MNET Africa, multinationale de câbles et satellites, Biola Alabi est l'une des femmes les plus puissantes dans les médias africains.

Nommée Jeune leader mondial 2012 par le Forum économique mondial, elle a été à l'avant-garde de l'expansion de la marque AfricaMagic à travers le continent. En 2010, elle a été membre du Conseil l'avenir du divertissement lors du Forum économique mondial.

Lorna Rutto, Kenya, entrepreneur en développement durable et technologie verte, Ecopost

Lorna RuttoLorna Rutto| Photo : blackenterprise.comLorna Rutto est la fondatrice d’Ecopost dont la vision est de « transformer les déchets de l'Afrique pour en faire de la richesse ». Basée à Nairobi, son entreprise, Ecopost, convertit du plastique usagé en bois synthétique, résistant, facile à utiliser et respectueux de l'environnement, une alternative écologique au bois véritable. Lorna Rutto est la lauréat 2011 de Cartier en Afrique subsaharienne. Elle a également remporté le Prix BiD Network 2010 pour la Nature, le Prix SEED 2010 et le Prix Enablis Business 2009.

Yolanda Sangweni, Afrique du Sud, Rédactrice en chef / productrice, ESSENCE.com

Yolanda SangweniYolanda Sangweni | Photo : thefabnetwork.comNé d'une mère sud- africaine qui, combattant pour sa liberté, avait fui le régime d'apartheid pour se réfugier aux Etats-Unis, Yolanda Sangweni a passé sa petite enfance à Harlem où elle a vécu pendant des années. Elle est désormais rédactrice en chef chez ESSENCE.com, l'une des principales publications pour femmes noires aux États-Unis. Yolanda Sangweni est également co-fondatrice d’AfriPOP!, un magazine en ligne en se concentrant sur la culture des jeunes africains contemporains. Yolanda Sangweni a travaillé comme rédacteur en chef pour le magazine TRACE et a été contributeur « O: The Oprah Magazine » (Afrique du Sud), Glamour, Harper 's Bazaar, Arise et Time Out New York abordant les thèmes de la musique, de la mode et de la culture.

Danai Gurira, Zimbabwe, Actrice et écrivain

Danai GuriraDanai Gurira | Photo : coolspotters.comDanai Gurira joue Michonne, une femme guerrière intrépide qui est l'un des personnages principaux de la populaire émission de HBO, « The Walking Dead », basé sur le livre de bande dessinée populaire américaine du même nom. Diplômée de l'Université de New York Tisch School prestigieux des arts, Danai Gurira est la guest star de « New York, section criminelle », « Life on Mars », « Lie to Me » et a eu un rôle récurrent dans « Treme » sur HBO. Au cinéma, elle a notamment joué dans « The Visitor », « Restless City » and « MaGeorge ». Elle a reçu l’Obie Award, le Prix Outer Critics Circle, et le Prix Helen Hayes de la meilleure actrice principale dans une pièce off de Broadway. Danai Gurira a également récemment remporté le Prix Whiting 2012 d’un montant de 50.000 dollars, décerné chaque année à 10 stars montantes.

Eunice Cofie, Ghana, fondatrice et chef chimiste en cosmétique chez Nuekie

Eunice CofieEunice Cofie| Photo : missblackfloridaAncienne Miss Black Florida USA, Eunice Cofie est présidente et chef chimiste en cosmétique de Nuekie, une société de dermatologie ethnique. Elle a également été en vedette dans la revue Scientific American dans la rubrique « A quoi ressemble un scientifique ? ». Eunice Cofie a été reconnue par le gouverneur de la Floride et la Commission de Floride sur le statut de la femme avec le prestigieux Prix des réalisations en Floride pour son engagement à améliorer la vie des femmes et des familles dans sa communauté. Eunice Cofie a été classée par le journal Tallahassee Democrat parmi les « 25 femmes que vous devez connaître à Tallahassee ». Elle a auss été distinguée Jeune Leader Mondial 2012 par le Forum économique mondial.

Marieme Jamme, Sénégal, entrepreneur social, technologue et directrice générale de SpotOne Global Solutions

Marieme JammeMarieme Jamme | Photo : Spot OneD’origine Sénégalais, Marieme Jamme est PDG de SpotOne Global Solutions, une société britannique qui aide les organisations à établir une présence internationale en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. CNN a fait figurer Marieme Jamme dans le Top 10 des Voix Tech africaines à suivre sur Twitter.

Marieme Jamme est également co-fondatrice d’Africa Gathering, la première plateforme mondiale où les entrepreneurs et les experts rencontrent et partagent des idées sur le développement en Afrique. Orateur prolifique, en particulier sur l'Afrique, Marieme Jamme est aussi l'organisatrice de TEDx Accra et Dakar.

Jepchumba, Kenya, créatrice de contenu numérique, conservateur culturel, African Digital Art

JepchumbaJepchumba | Photo : myweku.comJepchumba est la fondatrice et directrice créative d’African Digital Art, une plateforme pour l'innovation et l'inspiration qui se consacre aux médias numériques d'Afrique.

Originaire du Kenya, mais installée à Cape Town en Afrique du Sud, Jepchumba parcourt le monde pour partager ses points de vue sur l'art africain et la technologie à des conférences populaires, y compris South by Southwest (SXSW) à Austin, au Texas, et plus récemment à TEDx Euston en Angleterre.

Redi Tlhabi, Afrique du Sud, journaliste, animatrice et auteure

Redi TlhabiRedi Tlhabi | Photo : timeslive.co.zaElle présente le « Redi Tlhabi Show » sur Talk Radio 702 et 567 Cape Talk. Elle a interviewé des vedettes de l'actualité de premier plan, dont Nelson Mandela, le président sud-africain Jacob Zuma, l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, l'archevêque Desmond Tutu. Redi Tlhabi est également productrice d'un documentaire largement débattu sur l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki. Elle est également chroniqueuse pour le journal Sunday Times et auteure de « Endings and Beginnings: A Story of Healing », un livre basé sur ses expériences de l'enfance. Redi Tlhabi propose un nouveau talk-show populaire sur la de télévision anglaise Al Jazeera qui mettra l'accent sur la politique, la culture, la musique, la santé et la science.

Swaady Martin-Leke, Côte d'Ivoire, entrepreneur et fondatrice, Yswara

Swaady Martin-LekeL'ancienne directrice de General Electric au sud du Sahara a quitté son poste en 2011 pour lancer Yswara, une marque de luxe qui s'engage à offrir les meilleurs thés africains et expériences culturelles.

Yswara a ouvert son magasin phare à Johannesburg et deux autres sont prévus à Cape Town et au Nigeria.

Swaady Martin-Leke est membre du réseau très sélectif African Leadership Network qui est l'une des principales organisations de jeunes leaders, dynamiques et influentes en Afrique.Swaady Martin-Leke | Photo : marieclairvoyant.com

Dr. Jacqueline Chimhanzi, Zimbabwe, Cadre dirigeant d’entreprise

Dr. Jacqueline ChimhanziDr Jacqueline Chimhanzi est stratège principale chez Industrial Development Corporation (IDC), un important institut de financement du développement sur le continent africain. Auparavant, elle était responsable du bureau Afrique de Deloitte en Afrique du Sud.

En 2010, elle est apparue sur la liste « The Power of 40 » du magazine sud-africain Destiny, et en 2012, elle faisait partie d'un groupe de « veilleurs estimés d’Afrique » invités à soumettre leurs points de vue sur l'Afrique pour le développement des principales revues pour une édition spéciale Afrique axée sur les stratégies pour la transformation de l'Afrique.

 

Dr. Jacqueline Chimhanzi | Photo : afdb.com

Pour aller plus loin, consulter l’intégralité de la liste (en anglais) de Farai Gundan, sur le blog de Mfonohong Nsehe hébergé par Forbes.

Traduction en français réalisée par notre partenaire Next-Afrique

Les nouveaux visages du féminisme Nord-africain

Marwa_photoEntretien avec Marwa Belghazi, activiste féministe au Maroc.

Bonjour Marwa. Peux-tu nous décrire les principaux enjeux qui se posent aujourd'hui dans les sociétés nord-africaines pour l'épanouissement social des femmes ?

Il reste encore beaucoup de choses à faire dans le domaine des droits des femmes en Afrique du Nord, en termes d'accès égal au marché de l'emploi, à l'éducation et à la santé, d'amélioration des conditions de vie et notamment dans le milieu rural, ainsi que de leur protection contre tous types de violences. Mais quand l'on en vient à parler de l'épanouissement des femmes en Afrique du Nord, il y a un sujet qu'on évoque très peu ou pas suffisamment à mon sens: Il concerne l'épanouissement de la femme dans son sens le plus simple, le ressenti d'un bien être au niveau de son corps et de son esprit.

Or, incontestablement, il y a dans nos sociétés nord-africaines une pression sociale sur le corps masculin et féminin, la pression sur le corps féminin étant toutefois plus visible et plus violente. Concrètement, cette pression s'exerce lorsqu'on en vient à aborder le droit de disposer librement de son corps. La virginité continue à symboliser l'honneur non seulement de la fille mais de toute sa famille, qui se sent donc investie d'un droit de regard et de contrôle sur le corps féminin. Au Maroc, il existe encore un article du code pénal qui punit les rapports sexuels entre deux personnes non mariées d'un mois à un an d'emprisonnement, contraignant de ce fait tout citoyen non marié à la clandestinité.

Par ailleurs, on reste dans une conception phallocentrique de la loi, des lois écrites du point de vue masculin. Par exemple, l'article 486 du code pénal marocain définit le viol comme "l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci". Cette définition de relations sexuelles non consenties se limite à la pénétration phallique du vagin de la femme. On ne conçoit donc pas que l'homme puisse être victime de viol ou que cela se fasse par une autre partie du corps ou objet autre que le pénis.

Enfin, on n'insiste pas assez sur la force destructrice et traumatisante du harcèlement sexuel au quotidien dans l'espace public, dans les lieux de travail, mais aussi à l'intérieur des familles. Cet harcèlement sexuel peut se transformer très vite en violence physique. On n'en parle pas suffisamment, et c'est peut être aussi une erreur des femmes de ne pas en parler, de « normaliser » la chose. Le corps féminin est constamment scruté et jugé, cela va du soi-disant compliment à l'insulte ou à l'attouchement. La pression sur le corps de la femme, je pense qu'elle est universelle. Mais les visages qu'elle prend sont différents suivant les sociétés. Par exemple, si les sociétés occidentales ont libéré le corps de la femme du joug de la tradition, c'est pour mieux retomber sous le contrôle d'une image marketing, d'un objectification qui impose pareillement un certain nombre de diktats.

A mon avis, on en est toujours à un conflit de définition de ce qu'est et ce que "doit" être la femme, la féminité, sa place dans la société, dans l'espace public, la liberté qu'elle peut avoir vis à vis de son corps. Et dans nos sociétés nord-africaines, nous essayons tant bien que mal d'avoir ces débats sans pour autant être traitées de traîtres à la nation, de mécréantes, voire très souvent de traînées.

Face à cette situation, comment s'organise la mobilisation des femmes sur ces questions ? Y a t'il un mouvement féministe organisé ? Si oui, en quoi se distingue t'il, à ton sens, d'autres mouvements qui se sont réclamés de ce terme par le passé ou dans d'autres régions du monde ?

Le début du mouvement féministe coïncide avec l'indépendance des pays d'Afrique du Nord. Ces mouvements d'indépendance se sont accompagnés de discours progressistes dont les porte-voix ont été ces personnes éduquées, occidentalisées, dont certaines se sont fait les étendards du féminisme. Mais de ce fait, les porte-voix de ce féminisme sont resté(e)s assimilé(e)s à une élite francophone issue des classes aisées. Leur discours arrive à être porté au niveau politique, avec une sorte de féminisme étatique, qui réussit à faire entendre ses doléances et à faire réformer la loi ; mais est-ce que ce discours arrive à pénétrer le reste de la société, et à changer les mentalités ? Est-ce que la réforme du code de la famille a changé les mentalités au Maroc ? Je n'en suis pas sûre.

Autre trait commun aux mouvements féministes en Afrique du Nord, la majorité de la population étant musulmane, les mouvements féministes ont généralement essayé de coopérer ou de ménager le religieux, en reconnaissant l'importance de l'islam. Les revendications sont restées dans un cadre musulman. Le discours, c'est de dire que les relations homme-femme sont plus dictées par la tradition que par la religion, cela afin de dédouaner la religion dans leurs attaques contre les pesanteurs de la société.

Je peux paraître critique vis-à-vis des ces premières générations de féministes, mais en même temps on ne peut pas nier l'importance de leur travail. Je suis le produit de leur héritage : si j'ai pu m'instruire, si j'ai la liberté d'expression, c'est grâce au travail de toutes ces militantes qui ont préparé le chemin. On a tendance, nous les jeunes générations, à oublier à quel point ce travail de militantisme qui nous a précédé a forgé le cadre dans lequel on vit. Par exemple, au Maroc, on leur doit la réforme du code de la famille, travail que poursuit le Collectif du printemps de la dignité, qui propose une révision globale des codes et des lois en vigueur au Maroc pour offrir aux femmes des garanties juridiques de leurs libertés individuelles et de l’égalité entre les sexes.

On sent aussi qu'il y a un renouveau de la mobilisation des femmes, qui a resurgit lors du Printemps arabe. Cette mobilisation n'a d'ailleurs pas été spécifiquement féministe au début, la femme s'engageant à l'égal de l'homme dans un militantisme pour l'émancipation politique de leur pays. Les revendications politiques étaient les mêmes, on ne sentaient pas le besoin de se distinguer, c'était une belle illusion de se dire qu'on se battait tous pour la même chose, pour des lois, pour une constitution instaurant un Etat de droit, en faisant abstraction de l'inégalité de fait qui subsiste entre hommes et femmes. Dans les plus forts moments de la révolte, il n'y avait pas de séparation entre les sexes dans les revendications. Je me rappelle du slogan : « les femmes et les hommes dans les droits sont les mêmes » qui a été souvent répété lors des manifestions. Certains slogans étaient accordés au masculin et au féminin : « écoute les fils du peuple, écoute les filles du peuple !».

Dans ce contexte de réveil politique et d'engagement des jeunes, nous assistons aussi à l'émergence d'un nouveau type de figures militantes. Aujourd'hui, la militante féministe est plutôt une jeune femme, pas forcément arrivée à un statut professionnel, social et civil considéré comme "stable" (ni mariée ni divorcée). Elle n'est pas forcément engagée au sein d'une association officiellement reconnue et peut utiliser des outils de revendication non conventionnels voire provocateurs pour certains. Et c'est ce qui explique sans doute que cette figure peine à trouver sa place au sein de la société. Aujourd'hui aussi, une militante ne cherche pas forcément à être dans la défense de victimes, elle se défend elle-même avant tout. Le terrain même de la lutte a changé: La femme militante réclame le droit d'être un individu, elle défend son existence libre au sein de la société.

Toutefois, ce contexte de printemps arabe n'est pas forcément synonyme d'avancées en matière d'épanouissement des femmes. En effet, ce qui se passe en Tunisie et en Egypte pendant ces deux dernières années nous a enseigné qu'aucun droit n'est définitivement acquis, et que les lois et les mentalités peuvent changer en notre défaveur. Cela a d'ailleurs remobilisé les militantes de tous fronts qui ont compris que rien n'était encore gagné : C'est un combat perpétuel de défendre ses droits et d'en gagner de nouveaux !

Peux-tu nous parler plus spécifiquement des actions que tu as toi même mené sur ces questions, des raisons de ton engagement, des modalités de ton action, des difficultés rencontrées et de tes objectifs ?

Le point de départ de mon engagement est lié à mon expérience personnelle, à mon vécu dans mon pays, le Maroc. Je tiens à le préciser clairement : mon engagement et mes actions, avant d'être présentés ou idéalisés comme une sorte de mission altruiste, c'est avant tout un combat personnel, bien sûr dans lequel peuvent se retrouver d'autres individus. Ce qui me dérange le plus, c'est la difficulté d'exister en tant qu'individu dans ma société. Et il n'y a pas de cloisonnement à faire à ce sujet entre femmes et hommes, ni de guerre entre les sexes, parce que le plus dur dans cet engagement, c'est de ne pas haïr l'autre, ce qui demande un effort immense quand on est attaqué verbalement, physiquement, parce qu'il faut comprendre l'autre, pour ne pas lui répondre par la même violence. Pour moi l'enjeu essentiel, c'est ce travail de compréhension, qui demande plus d'efforts que l'action concrète ou l'indignation systématique, mais qui est sans doute plus constructif dans le long terme. Il est essentiel qu'on travaille sur nos conceptions de la masculinité, de la féminité, et de notre rapport au corps.

Mon engagement sur ces questions se traduit essentiellement par un travail sur le terrain, travail difficile pour une femme, parce que c'est dans l'espace public qu'elle est le plus vulnérable. La question la plus pressante, celle du harcèlement sexuel dans la rue, est celle qui occupe la part la plus importante de mon temps, parce que c'est un combat quotidien. La première chose, c'est d'en terminer avec l'indifférence et l'impunité. L'impunité de l'homme amené à dire et faire ce qu'il veut. Les petites actions que je mène au quotidien, c'est de sortir avec suffisamment de temps pour pouvoir m'arrêter à chaque fois que je suis agressée verbalement pour interpeller les auteurs des attaques, pour leur interroger sur le pourquoi de leur comportement, leur demander de réfléchir à ce qu'ils viennent de dire. Cela peut prendre les tournures les plus agréables jusqu'à la confrontation public avec un attroupement de personnes qui viennent une fois que l'altercation a eu lieu, pour me calmer et non pas pour réprimander l'agresseur… Ce qui me permet aussi de demander aux gens pourquoi ils interviennent à ce moment et pas avant.

Je ne suis pas seule à faire ce travail, il y a d'autres personnes qui partagent ces mêmes préoccupations. Il y a des documentaires marocains en cours de réalisation sur la question, qui cherchent à donner de la visibilité au sujet, , le film égyptien "les femmes du bus 678" en traite aussi de manière poignante. Le mois dernier, nous avons réalisé une campagne avec le mouvement né sur Facebook "Le Soulèvement des Femmes dans le Monde Arabe" (Women Uprising in the Arab World) : nous avons affiché pendant une semaine dans 8 villes arabes d'immenses pancartes avec le visage de chacune d'entre nous portant un message pour interpeller les gens. A Tanger, on avait une affiche sur la façade de la cinémathèque de la ville, en 10×10 mètres. L'affiche avait pour message « je suis avec le soulèvement de la femme dans le monde arabe, parce que je ne me tairai pas devant le harcèlement sexuel auquel je fais face quotidiennement dans la rue ». L'idée était de pouvoir toucher ou interpeller chaque passant, et de mettre le doigt sur ce sujet en insistant sur le fait que c'est bien un problème sérieux et pas une mauvaise manière de draguer ou de faire connaissance !

Affiche_Tanger

Autre élément qui me tient à cœur, c'est le travail de réflexion commun entre hommes et femmes, avec l'organisation de petits ateliers de discussion réunissant des étudiants de tous les âges (collèges, lycées, universités), et de réfléchir ensemble sur la conception de nos corps et de nos relations. Ce qui est intéressant c'est de commencer ce travail depuis le début, avant que les consciences deviennent imperméables et fermées au débat.

Tout cela ne signifie pas non plus qu'il faille nier l'existence de réalités violentes et des personnes qui en sont victimes, parce qu'elles existent et ont besoin de soutien. A ce sujet, ce qui m'intéresse le plus c'est peut être ce qui se passe quand les caméras s'éteignent. Que se passe t-il quand la « victime » gagne son procès ? Est-ce que le plus important a été fait, ou est-ce que le plus important ce n'est pas d'avoir une alternative de vie ? Ce qui devrait nous occuper, c'est la possibilité de futur et de développement personnel offerte à ces personnes. Elles ont certes fait face à des réalités dures, mais cela devrait être juste un épisode à dépasser pour ouvrir de nouveaux chapitres de leur vie, meilleurs. Concrètement, cela veut dire qu'on doit travailler sur le suivi des victimes pour pouvoir leur assurer des possibilités de se reconstruire. Cela peut passer par une re-scolarisation, par une insertion dans le monde professionnel, un suivi psychologique, et la possibilité de rencontrer d'autres personnes ayant fait face à des situations similaires afin de créer un réseau de soutien entre elles. A ma connaissance, il y a encore beaucoup de travail à faire dans cette direction, et cela exige de se défaire de l'approche de victimisation qui suit la personne toute sa vie.

N'as-tu pas peur que ce travail de pédagogie ne soit pas suffisant pour changer les mentalités, pour bousculer les pesanteurs de ces sociétés, en tout cas à court et moyen terme ?

Ce travail sur les mentalités doit se faire accompagner par un renforcement du dispositif légal. On n'a pas encore de lois qui nous protègent du harcèlement sexuel dans la rue. Il y a un travail à faire pour réfléchir au type de loi dont nous aurions besoin pour lutter contre ce problème. Il faut en terminer avec l'impunité, mais sans tomber non plus dans une répression tout azimut. Je n'ai pas forcément envie qu'un harceleur se retrouve systématiquement en prison, ce que je veux c'est qu'il ne recommence plus. C'est la difficulté et le travail que l'on doit faire, et j'invite tous ceux qui sont intéressés par ce sujet à nous aider à élaborer une loi qui n'instaure par une guerre entre les sexes, mais qui protège en responsabilisant ceux qui enfreindraient les limites posées par la loi. Pour ceux-là, la peine pourrait se traduire en travaux d'intérêt général, en obligations de suivre des sessions de sensibilisation à ces thématiques, on n'a pas besoin forcément d'envoyer les gens en prison.

Et pour répondre à ta question, j'ai en effet parfois l'impression de vider la mer avec une petite cuillère. Il y a des jours où je me dis qu'en restant à une si petite échelle, même si j'y consacrais toute ma vie, je ne réussirai pas à toucher 1% de la société marocaine. Je profite donc de l'occasion pour inviter toute personne qui voudrait se joindre à moi pour travailler sur les questions soulevées, soit en participant aux ateliers de sensibilisation ou pour travailler sur une proposition de projet de loi concernant le harcèlement sexuel. Toutes autres idées sont aussi les bienvenues ! Si nous arrivons à constituer un groupe suffisamment solide, nous pourrions avoir plus d'impact et plus de visibilité et notre réseau pourrait s'étendre à travers tout le Maroc et toute l'Afrique du Nord.

 

Interview réalisée par Emmanuel Leroueil

Marwa Belghazi est joignable à l'adresse : gendermorocco@outlook.com

William Reno et le « warlordisme » en Afrique

-miche-djotodiaLe coup d'Etat de Michel Djotodia et son auto-proclamation comme nouveau président de la République Centrafricaine remet sur le devant de la scène le rôle des seigneurs de guerre comme élément déstabilisateur des Etats modernes africains. Les seigneurs de guerre sont une figure centrale du politique tel qu'il s'est développé en Afrique ces dernières décennie, jouant un rôle prépondérant dans la dynamique de faillite des Etats modernes africains. La science politique a tenté d’appréhender cette dynamique historique, ouvrant un champ d’étude très important et intéressant. William Reno, avec "Warlord Politics and African States", s'inscrit dans ce champ.

L'essai de William Reno arrive avec une analyse renouvelée et bien documentée, à montrer les dynamiques politiques internes des Etats en effondrement. Selon lui, l’effondrement de certains Etats en Afrique n'est pas le fruit d'une sorte d’anarchie spontanée et indéchiffrable, mais plutôt le résultat évident et rationnel des obstacles rencontrés par certaines bureaucraties dirigeantes. En retour, pour surmonter ces obstacles, les stratégies et tactiques adoptées par les pouvoirs en place afin de préserver leurs intérêts particuliers ou leur agenda politique consistent essentiellement à une accumulation de capital, une corruption du bien public au profit du privé. Ces pratiques plongent les Etats dans un cercle vicieux d'appropriation privée de biens publics, entretenue par des réseaux clientélistes. Tout ce qui caractérise la politique du ventre dont parlait Jean François Bayart.

William Reno fonde son étude des Etats effondrés à partir de quatre exemples : le Liberia, la Sierra Léone, la République Démocratique du Congo et le Nigéria. Il élabore ses conclusions sur la base d’études de terrain et de sources officielles d'informations, ainsi qu'une lecture approfondie de la bibliographie sur le sujet. Le travail de William Reno est intéressant à plusieurs égards. Il nous livre une explication claire et intelligible des dynamiques politiques internes des Etats faillis africains, alors même que la situation en elle-même paraît avant tout confuse et prête à des simplifications faciles. Du Libéria de Charles Taylor en passant par Samuel Doe, de l’Etat fortement militarisé de la Sierra Léone qui balance entre autorités militaires et civiles, du Zaïre de Mobutu au Congo de Laurent Kabila en passant par le Nigéria de Sani Abacha, l’auteur met en évidence, sous plusieurs aspects, que la vie politique dans ces pays n’est pas aussi exotique qu’elle peut en avoir l’air. La Sierra Leone, un pays sur lequel Reno avait déjà publié un travail remarquable – Corruption and State Politics in Sierra Leone (1995), la République Démocratique du Congo et le Liberia sont les cas qui semblent, le plus, justifier les thèses du chercheur.

Ces pays permettent de mettre en évidence le rôle des Warlords -seigneurs de la guerre- dans la politique des Etats africains. L’ascension de ses acteurs dans l’organisation institutionnelle des Etats témoigne d’une remise en question de l’autorité et du rôle traditionnellement connu de l’Etat. Toutefois, le Zaïre et le Nigéria semblent plutôt être des extensions de la thèse de Reno, voire une inversion dans la mesure où Mobutu et Abacha étaient des chefs militaires avant d’être à la tête de l’appareil d’Etat mais qui se sont néanmoins conduits comme des Warlords. 

L’auteur montre d’abord les liens extérieurs d’ordre politique et/ou financier qu’entretiennent ces seigneurs de la guerre avec des acteurs de la communauté internationale, privés ou publics, ou avec des entités locales privatisées, comme les agences de sécurités privées. Ensuite, il souligne les différentes implications de ces réseaux, en particulier dans la nature et le processus d'effondrement de l'État en question et de sa réintégration. Reno avance que les caractéristiques de l'Etat failli vont au-delà d’un Etat institutionnellement faible mais où la sécurité, le développement et d'autres biens collectifs sont encore sous le coup de la bureaucratie dirigeante. 

On constate, en effet, un système politique singulier et entièrement différent de la conception traditionnelle, qui limite l’activité du gouvernement à la conclusion de contrat entre gouvernants et agences de sécurité privées. On assiste donc à une délégation de service public aux sociétés privées, prélude à une disparition de l’institution étatique. Certaines des fonctions gouvernementales sont en outre déléguées aux collectivités locales qui n’ont pas, en général, les moyens de mener leurs politiques. W. Reno montre que même les réseaux clientélistes qui caractérisent les politiques de développement suivant une logique distributive particulièrement sélective voire ségrégationniste deviennent inutiles dans ce contexte. Face à cette situation, on assiste à l’émergence du « Warlordisme » dans certaines collectivités – les local Warlords – parmi lesquels certains ne vont pas manquer de défier le seigneur de la guerre qui est à la tête de l’Etat- le national Warlord. Une description qui n'est pas sans rappeler la situation qui a récemment prévalu en Centrafrique et qui s'est conclue par le coup d'Etat du 24 mars 2013 chassant François Bozizé. 

chef de guerreWilliam Reno décrit brillamment les logiques internes qui permettent la continuité de la politique même lorsque l’Etat entre dans une phase de désintégration institutionnelle. Toutefois, il faut noter que cette œuvre présente aussi quelques faiblesses. En effet le concept de « Warlord » n’a pas été suffisamment développé par l’auteur. Tout au long de la lecture, les seigneurs de la guerre qui arrivent à se hisser à la tête de l’Etat sont bien analysés alors que les autres qui sont au plus bas niveau de la société notamment les « local Warlords », n’ont pas été bien identifiés et discutés.

Par ailleurs, on constate une faiblesse méthodologique dans l’étude des cas fournis et analysés par Reno. Le choix de la variable dépendante reste très arbitraire et témoigne d’une faiblesse méthodologique évidente. En effet, on pourrait souligner le fait que l’auteur n’ait choisi, pour analyser ses thèses, que des pays dont la situation socio-politique témoignait déjà de leur effondrement. De plus, on peut faire part des multiples variations entre les cas étudiés, variations suffisamment importantes pour empêcher des conclusions générales. On peut regretter aussi que n'aient pas été abordé les Etats qui ont été à un moment donné au bord du gouffre mais qui semble en être sorti (Ghana, Ouganda). Dans cette seconde catégorie d’Etats qui sont revenus de l’effondrement, on peut citer aussi le Mozambique des années 1990, qui, comme le souligne Leonard Wantchekon dans un papier intitulé "The Paradox of "Warlord" Democracy: A Theoretical Investigation" a réussi à enclencher son processus démocratique à partir de l’anarchie, du chaos. Cela, sans manquer de remettre en question toutes les théories politiques classiques sur la démocratie et ses conditions d’émergence.

En outre, sans aller jusqu'à dire Reno que la question a été complètement ignorée dans l'essai de William Reno, le fait est que les quatre pays choisis ont des ressources qui peuvent être facilement exploitées sans avoir besoin d’un ensemble d’infrastructures techniquement très développées. Le fait que des acteurs locaux puissent en partie se passer d’aide publique de la part de l'État pourrait, dans une certaine mesure, expliquer la désintégration de la structure étatique dans ces pays. Au Ghana, au Mozambique et en Ouganda, par exemple, la principale activité productrice de richesse, la culture du cacao, du thé ou du café, dépend fortement des investissements et de l'encadrement de l'Etat et nécessite une infrastructure développée. Le Mozambique est sans doute plus riche que la Sierra Leone ou le Liberia, mais cette richesse en potentiel ne peut être exploitée de façon détournée lorsque l’Etat fournit certains biens publics, y compris les routes et autres voies de transit ainsi que les divers services permettant un bon fonctionnement des ports. Il semble légitime d’affirmer qu’aucune de ces différentes mesures incitatives pouvant favoriser la paix et la stabilité pérenne des institutions publiques n’est présente au Libéria par exemple.

Enfin, d’autres critiques n’ont pas manqué de contester l'inclusion du Nigeria dans cette étude, comme le remarque l’auteur lui-même. Malgré tous ses problèmes, le Nigeria n'a pas été à ce jour une terre où des seigneurs de guerre contestent le monopole du pouvoir à l'Etat. Toutefois, l'inclusion du Nigeria contribue sans doute à l'étude, car elle peut démontrer un autre type particulier de politique dans le contexte de désintégration des institutions étatiques.

En somme, il convient de souligner, malgré quelques faiblesses, que William Reno livre un ouvrage intéressant qui devrait être un outil privilégié pour quiconque travaille sur l’effondrement des Etats et les déterminants de cet effondrement. En tant que citoyen et amoureux de l'Afrique, on peut regretter que ce livre ne soit pas rangé aux rayons Histoire et qu'il continue d'avoir une pertinence actuelle. 

Papa Modou Diouf

Beta Israel : entre Israël et l’Ethiopie

« ቤተ እስራኤል » ou « Beta Israel », ceux de la maison d’Israël, ainsi se désignent les Juifs d’Ethiopie, se répartissant aujourd’hui en grande partie entre l’Ethiopie (surtout la région au nord de Gondar) et Israël. L'ouverture de leur droit à l'émigration vers la terre sainte dans les années 1970-90 a eu pour effet d'accroître leur nombre en Israël croître.

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Origine

Mais d’où viennent-ils ? Trois théories sont retenues.  Il pourrait s'agir des descendants des compagnons du roi d’Axum, Ménélik I° lorsque ce dernier revint d’Israël. Il serait selon la légende, le fils du roi Salomon et de la reine de Saba qui régnait à l’époque sur Axum et rapporta la tablette des 10 commandements de Moise vers Axum – où elle se trouverait encore. Les dynasties royales se sont par la suite approprié cette légende, se faisant appeler entre autres «ሞአ አንበሳ ዘምነገደ ይሁዳ » – « moa anbessa zemnegede yihuda » traduisible par « conquérant du lion de Juda ».   

La seconde théorie se détache légèrement de l’histoire de ce que devint par la suite, l’empire d’Ethiopie. Ils seraient des descendants de juifs venus d’Egypte, fuyant la persécution par l’Empire Romain suite à la défaite de Cléopâtre qu’ils soutenaient. Ils se seraient ensuite installés vers Kwara, petite ville près de la frontière Soudanaise. 

D’après la troisième théorie, cette fois s’inscrivant plus dans la tradition Juive, ils feraient partie d’une des douze tribus perdues d’Israël : celle de Dan. Fuyant l’instabilité suite à la guerre civile en Israël au X°siècle av. JC. Ils se seraient par la suite installés en Egypte et seraient progressivement descendus le long du Nil ce qui expliquerait leur concentration importante autour de la ville de Gondar.  

Traitement et Intégration

Il y a eu deux tendances au cours des siècles, allant parfois de manière simultanée. Il y a eu un brassage avec les populations locales dont les Beta Israel adoptèrent certains modes de vie.  Nous constatons cependant qu’ils ont également subi une marginalisation à la fois culturelle et politique. En effet, leurs pratiques religieuses (dont le sacrifice) s’opposant radicalement aux populations chrétiennes sur place, ainsi que par les métiers qu’ils occupaient (potier…) souvent associés à la sorcellerie, ils ont longtemps étés stigmatisés d’où l’appellation péjorative « ፈላሻ » – « Falasha », «  les exilés ». Malgré cette stigmatisation et dans une certaine mesure ce rejet, les juifs Ethiopiens ont adopté certaines pratiques chrétiennes tel que le fait de se faire tatouer une croix sur le front pour les femmes.

Le politique, surtout récemment n’a pas été favorable à leur intégration.  Durant les campagnes de repeuplement de certaines régions, et donc de déplacements forcés lors des années 1980 par le régime communiste en place. Les juifs vivant en communauté se voyaient obligés de partager leurs terres et des lopins de terre leurs étaient attribués dans des communautés non-juives. Il y eut donc des tensions pour un partage de ressources équitable et un certain antisémitisme par la suite. 

La dégradation progressive de la condition des Ethiopiens sous le joug brutal  du régime communiste (1974-1991) et donc de celle des juifs,  commença à susciter un intérêt de la part d’Israël pour les faire émigrer  vers Tel Aviv.

Missions Moise, Joshua, Solomon

airliftLes liens entre l’Ethiopie et Israël étaient devenus de plus en plus soutenus lors du règne de l’empereur Haile Selassie I° malgré l’abstention de ce dernier lors du vote à l’ONU pour le plan de partage de la Palestine. Il y eut plus tard un rompt des relations diplomatiques face à la menace d’un embargo pétrolier de la part des pays Arabes lors de la guerre du Yom Kippour (1973). Liens qui se sont refroidis encore plus lors de la mise en place du régime communiste et par la même occasion de la dictature de Colonel Menguistu Hailemariam jusqu’en 1991. Malgré les tensions, le gouvernement Israélien commença à porter un intérêt tout particulier à la cause des juifs Ethiopiens. La situation se fit encore plus alarmante d 1983-1985 suite à la grande famine qui toucha le nord du pays (région du Gojjam) et fit environ 400 000 morts. 

Les communautés juives étaient parmi les victimes. L’Etat Israélien réussit donc, en vendant des armes en contrepartie, à obtenir la permission du régime en place afin de pouvoir transporter en transporter un certain nombre vers Tel Aviv et éventuellement en faire des citoyens d’Israël comme il est le droit de chaque juif. Ainsi furent conduites deux missions « mission Moïse » en 1984 et « mission Joshua » l’année suivante avec l’aide de la CIA  et réussirent à transporter 15 500 juifs hors d’Ethiopie. La première mission fut possible avec un avion utilisé pour la livraison d’armes qui retournait vers Israël. La deuxième mission en particulier se fit également par voie aérienne suite à un rassemblement sur la frontière Soudanaise.  Le Soudan fut dénoncé par les pays arabes dont il essayait de se rapprocher pour avoir aidé Israël. Suite à cet évènement et les pressions aussi bien externes que l’indignation interne que suscitât cette action vue comme une « vente » de citoyens par un Etait incapable de répondre de manière efficace à la famine, Menguistu se fit lui aussi plus réticent. 

Malgré l’argument humanitaire avancé par Israël, et qui reste légitime, il y a également l’argument économique qui est à prendre en compte. Israël avait besoin de main d’œuvre et de d’une population dynamique. L’abus récent des immigrés et leur mauvais traitement croissant tend à appuyer ce propos puisqu’Israël a actuellement une population jeune.

Suite à l’instabilité du régime communiste et l’instauration d’un nouveau gouvernement en 1991 avec la montée au pouvoir des rebelles du FDRPE (Front Démocratique et Révolutionnaire du Peuple Ethiopien) que combattait Menguistu pendant 17 ans, Israël complétât sa mission avec la mission « Solomon ». 14,324 juifs furent « sauvés » en un jour.

Ces missions ne furent pas sans problèmes avec beaucoup de morts au cours du séjour périlleux vers la frontière Soudanaise, de nombreux enfants se retrouvèrent seuls face à un encadrement parfois défaillant. Les immigrés furent placés en centre d’éducation parfois pour plusieurs années afin d’assurer une intégration souple  dans la société Israélienne. Ceci reste une mesure valable avec une part importante de ces juifs qui venaient de villages où l’électricité et l’eau potable n’étaient pas toujours présentes. 

Aujourd'hui il est estimé qu'un peu de moins de 80.000 Beta Israel ont été transportés en Israël [PDF].

La maison d'Israël : le porche et la cour

De plus, les juifs Ethiopiens étant constitués de plusieurs communautés, les classifications de certaines comme non-juives ne leur ont pas permis d’émigrer comme les Falasha Mura. Ces derniers, sont des communautés juives qui se sont installés dans la capitale Addis Abeba, croyant accroître leurs chances d’émigrer lors de la mission Solomon. Il y a également eu une grève de la faim au sein de cette communauté à Addis en 2011 avec peu d’effets. En effet, le sujet de leur appartenance à la religion juive a été longtemps mise en question par Israël parce que leurs ancêtres s’étaient convertis au christianisme au XIXème siècle afin de ne pas être persécutés et parce qu’ils avaient adopté un mode devoe semblable à celui de leurs voisins chrétiens. La tendance inverse, de non-juifs accédant au droit d’émigration de manière frauduleuse  peut également être observée avec des non-juifs se faisant passer pour tel afin d’avoir une vie meilleure en Israël. Nous remarquons donc un plus grand scrupule quant à la quantité de preuves qui doivent être avancées pour démontrer l’appartenance à la religion juive.

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La réelle intégration des juifs au sein de la société Israélienne reste ambigüe face à un certain racisme croissant pouvant être expliqué de manière plus récente, par l’arrivée de réfugiés Soudanais et Erythréens et la précarité de leur situation. Le gouvernement israélien alla même jusqu'à imposer la contraception aux Juis d'Ethiopie

Les juifs d’Ethiopie, malgré leur spécificité religieuse, restent imprégnés de la culture Ethiopienne. Il est vrai qu’il n y a rien de plus normal que de vouloir quitter un pays où il y a moins de chances d’utiliser son potentiel, il est vrai qu’il n y a aucun sens à vouloir rester dans un lieu où l’on a subi des persécutions. Mais il ne faut pas oublier que cette souffrance est commune aux Ethiopiens et à bien d’autres pays sous-développés et plus récemment, en voie de développement. L’émigration des juifs d’autres pays ne s’est pas faite dans des avions cargo. Il faut pouvoir garantir, dans le cas où certains souhaiteraient émigrer, un minimum de dignité. Si elle n’a pas été possible dans leur pays, alors au moins faire l’effort d’en faire le dernier souvenir qu’ils gardent de l’Ethiopie.

Zoom sur un pays : la Namibie, un des plus jeunes Etats d’Afrique

namibie-mapSLa Namibie a émergé en tant qu’Etat en 1990 après une longue lutte contre l’occupation Sud-Africaine et le système de l’Apartheid. Situé sur la côte sud-ouest de l’Afrique, ce vaste pays peu peuplé (avec 2 millions d’habitants, il est l’un des pays les moins densément peuplé au monde) se trouve entre les deux puissances économiques d’Afrique Australe, à savoir l’Afrique du Sud et l’Angola. Depuis son indépendance, la Namibie a joué un rôle stabilisateur dans la sous-région. La stabilité politique du pays sous l’autorité du parti historique SWAPO (qui a guidé la lutte pour l’indépendance) reste un atout considérable dans l’attraction des investissements et l’efficacité de l’aide au développement dans ce pays, qui a réalisé des progrès constants en termes de développement humain mais reste confronté à des défis majeurs.

L'Indice de Développement Humain de la Namibie est de 0.625 (soit plus que l’Afrique du Sud) et le pays est considérée comme un pays à revenu intermédiaire, se situant au 11ème rang africain pour l'IDH, et au 5ème rang en termes de revenus par habitant (avec un revenu quatre fois supérieur à celui de la moyenne d’Afrique Subsaharienne, et équivalent à celui de certains pays d’Europe Centrale et Orientale). 

Richesse et inégalités, le paradoxe namibien

L’écart entre le revenu et le niveau de développement qui est constaté peut être attribué à deux facteurs majeurs. La pandémie du Sida en premier lieu, qui touche sévèrement le pays et affecte plus d’un quart de la population adulte, réduisant l’espérance de vie et menaçant le processus de développement. La réduction des inégalités ensuite. La répartition des revenus en Namibie reste en effet l’une des cinq plus inégalitaires au monde, malgré une amélioration de la situation au cours des dernières années (le coefficient de Gini a ainsi baissé de 0.7 à 0.6 mais reste deux fois plus élevé que dans un pays comme la France). 

Un pour cent de la population concentre près de la moitié des richesses, ce qui accroit les tensions sociales, d’autant plus que ces inégalités se superposent au clivage racial hérité de l’époque de l’Apartheid. Comme en Afrique du Sud ou au Zimbabwe voisins, les inégalités alimentent l’insécurité et sont sources de tensions politiques autour du statut de la minorité blanche (environ 7% de la population Namibienne), d’autant plus qu’une proportion alarmante de la population noire est au chômage (globalement, plus de 50% de la population active n’avait pas accès à l’emploi en 2008).

NamibieUne économie ouverte

L’économie namibienne est soumise à une dépendance importante vis-à-vis de l’extérieur, à la fois du côté des importations (la consommation reste très liée à l’Afrique du Sud, y compris pour les produits de base) et des exportations. L’industrie minière (uranium et diamant, pour lesquels la Namibie est parmi les premiers exportateurs mondiaux) représente près de la moitié des revenus en devises, et entraîne de nombreux secteurs en aval (contractants en construction, approvisionnements…). L’uranium fait par ailleurs de la Namibie, en tant que quatrième exportateur mondial, un pays aux ressources stratégiques, ce qui a un impact sur ses relations avec l’étranger. 

La pêche est également un secteur exportateur, essentiellement à partir de la ville de Walvis-Bay, dont le port constitue véritablement une porte d’entrée, non seulement pour la Namibie, mais aussi pour la Zambie et le Botswana. La qualité des infrastructures de transport (notamment avec un très bon réseau routier, mais aussi des lignes ferroviaires et des infrastructures portuaires aux normes internationales) a ainsi des retombées positives sur toute la région.

Deux axes de développement durable

L’intégration régionale dans le cadre de la SADC, est un facteur d’opportunités pour la Namibie, lui offrant débouchés et facilités d’approvisionnement. De plus, près de 40% du budget de l’Etat provient des droits de douane reversés par la SACU, la plus ancienne union douanière du monde, réunissant l’Afrique du Sud et ses voisins. Cette double appartenance n’empêche pas la Namibie de nouer des relations commerciales importantes au-delà de la sous-région, en particulier avec l’Union Européenne et la Chine.

Le tourisme quant à lui est un secteur particulièrement dynamique et prometteur pour l’avenir, attirant chaque année plus d’un million de visiteurs et faisant du pays une des premières destinations en Afrique et un des leaders mondiaux de l’écotourisme. L’étendue du pays et ses paysages uniques, en particulier dans le désert du Namib (qui est depuis 80 millions d’années, le plus ancien désert au monde), la richesse de la faune, la diversité des cultures et la qualité des infrastructures font de la Namibie un pays véritablement exceptionnel et qui vaut le détour.

Nacim KAID Slimane

La bataille des beaux-fils en pays Kabyè

 

Beau-filsCurieuse manière que de transformer des funérailles en compétition. Ça vous étonne ? Moi aussi j’ai été surprise de découvrir qu’en pays Kabyè, les funérailles de la belle-mère sont une occasion de compétitions entre les beaux-fils.Le manège semble anodin. Regroupé autour de joueurs d’instruments locaux, un groupe de personnes courent vers la maison mortuaire, chantent, dansent et surtout arborent fièrement des présents. A la tête un homme, ou plutôt un beau-fils saupoudré de talc. Il vient ainsi, accompagné des membres de son clan, rendre un dernier hommage à sa belle-mère. Quoi de plus normal, diriez-vous. Mais le spectacle devient intéressant quand la défunte a plusieurs beaux-fils. Alors la maison mortuaire se transforme en un champ de bataille où a lieu une compétition de So, une danse traditionnelle Kabyè.  

 

Les funérailles en pays Kabyè sont une occasion idéale pour rendre hommage à la belle-mère. Pendant ces festivités, qui ont souvent lieu en février, les beaux-fils et belles filles viennent rendre un dernier témoignage à leur belle-mère. Ce, à travers chants et danses. Si les hommes viennent danser dans la belle famille accompagnés de présents, les belles filles quand à elles se livrent à un jeu bien curieux : Imiter la défunte à travers des mimiques. Et c’est souvent la belle-fille préférée (souvent proche de la défunte) qui gagne ce pari.  

 

 

Une fierté populaire 

Ces jeux, quoique insignifiants (pourquoi  insignifiants ?) et relevant du folklore, sont devenus une tradition dans la culture kabyè. Pour les beaux-fils et belles-filles, qui se prêtent au jeu avec fierté, c’est un véritable honneur de se retrouver associés aux funérailles de leur belle-mère. Ainsi, à chaque fois que l’occasion leur est donnée, ils s’y adonnent à cœur joie, chacun mettant du sien pour épater la garnison. Une institution au point où une fille dont le mari n’honore pas la belle-mère est implicitement déshonorée et n’est plus respectée par sa famille.  

 

Rappelons que février est le mois de funérailles en pays Kabyè. C’est la période où activités champêtres et moissons sont finies. Alors, si vous avez épousé ou si vous envisagez épouser une fille Kabyè, préparez-vous. La belle-mère est sera au centre de votre univers…   

* Peuple situé dans la région de la Kara à près de 400 km de la capitale togolaise   –   

La maison de la faim, Dambudzo Marechera

Dambudzo MachereraQu’est-ce que la maison de la faim ? Voilà une question qu’il est légitime de se poser à lecture du livre éponyme de l’auteur et icône Zimbabwéen Dambudzo Marechera (1955-1987). Il est plus difficile de savoir quelle serait la réponse légitime. On doit admettre d’emblée que c’est plusieurs choses à la fois, et simultanément aucune de ces choses. C’est un peu cette construction instable et pourrie qui fait office de maison au narrateur. C’est aussi le Township tout entier qui s’étend jusqu’aux confins de la misère. Ou même le régime rhodésien qui repose sur la terre suppliciée de la ségrégation et de la violence. La maison de la faim, c’est l’univers de Marechera. Son monde. Son œuvre. Son obsession, et la nôtre. Elle est là, sous vos yeux, cette construction fragile. 

Eclairée par la lumière blafarde du crépuscule, on distingue son architecture tourmentée. Il n’y a pas de cohérence de construction. Pas de porte d’entrée ni de sortie. Des pseudo-couloirs qui ne mènent nulle part et des salles indéterminées. Pas vraiment comme un labyrinthe. Juste un splendide amas de matériaux de récupération à vous en brûler les yeux. On passe brusquement de la cuisine aux latrines sans transition. De la tôle à la soie. Mais tout est soit déchiqueté soit brûlé. L’on ne peut voir qu’une multitude de briques fendues, reliées par la glaise d’une société malade. Ce sont les vestiges encore chauds de la violence et de la souffrance sans nom qui l’érige et la saccage d’un même coup de pelle. Ce qui laisse apercevoir une bâtisse inachevée : ici une poignée nue posée sur le sol ; là une esquisse de fenêtre brisée comme autant de provocation d’un architecte nihiliste qui trébuche sur ses propres outils.

La décoration intérieure et son ambiance génèrent elles aussi leurs troubles propres. Les peintures murales d’une couleur ocre sont recouvertes de graffitis et de leitmotivs entêtants. Des démons de toutes les couleurs y sont représentés. Des mouches écrasées jalonnent la tapisserie. On aperçoit à plusieurs reprises des trains menaçants, comme celui qui écrase le père de Dambudzo, comme le train de l’histoire qui broie les os de la Rhodésie. Et surtout, les murs sont couverts de tâches, tâches de sang de héros noirs imaginés qui se confondent avec leurs antithèses, et tâches réminiscences de la pourriture intestinale comme seule symbolique unificatrice d’une existence. Quelques tableaux sont accrochés çà et là, au petit malheur la chance : ici une scène de combat entre le peuple Ndebele et les colons anglais, là des guérilléros africains modernes fusillés par des forces de sécurité. Entre une scène de viol au milieu d’une foule surexcitée et la vision d’un corps reposant dans une geôle faiblement éclairée, les peintures suantes ont tendance à dégouliner sur les citations de Swift et de Yeats tracées à l’encre fine, au milieu d’un chant Shona.

Si l’on jette subrepticement un coup d’œil à travers la fenêtre, on peut y voir « Dieu essorer ses sous-vêtements sales ». Entre les bruits d’éructations, les rires heurtés et les cris des enfants battus par leurs mères, on peut y entendre « un nuage de mouches venu des toilettes voisines fredonner l’Alléluia de Haendel ». Et puis la maison de la faim sent le cannabis et l’alcool, le vomi et la rose. On distingue une odeur d’encens mêlée à celle du sperme dans une coexistence aigue et blasphématoire.

C’est dans cette demeure qu’évoluent les habitants de la maison de la faim. Peut-être devrions-nous commencer par les maîtres de maison. Ils sont deux. La faim et la soif. La faim, ce n’est pas seulement la sensation déchirante de vide stomacale et l’envie irrépressible de se sustenter. C’est aussi un besoin de tendresse humaine et de considération. La soif, ce n’est pas seulement la recherche hébétée d’eau pour humidifier sa gorge sèche, c’est aussi la quête d’un absolu artistique et intellectuel. Celui de s’envoler au-delà « de la merde infecte qu’avait été la vie et qu’elle continuait à être à ce moment précis » : « toute la jeunesse noire était assoiffée, nous asséchions toutes les oasis de la pensée ».

Esclaves de ces deux maitres, hantant la maison d’un pas de somnambule, on aperçoit le fantôme mutilé de l’architecte, Dambudzo, nom que l’on devine et qui n’est jamais donné. Celui du génie et celui de l’épave. Celui de l’autobiographe et celui du créateur. Le schizophrène nécessaire qui nous assène son mal-être avec le marteau de la honte et l’enclume de la fierté. On assiste, entre quelques hallucinations grandioses ou démoniaques à quelques passages de lucidité sociopolitique intense. Ce poète vénérien subit des sensations extrêmes qui l’amènent aux limites de la conscience et de la folie, jusqu’au point où l’on ne sait plus vraiment si les phénomènes extérieurs ne sont que des projections de son esprit ou si ses états intérieurs ne sont que des éléments organiques du décor.

Décor qu’il partage avec les autres habitants de la maison de la faim. Peter, son frère, qui l’injurie quand il voit qu’il achète des livres. Immaculée, nom bien ironique de la fille de prêtre enceinte de Peter qui la bat, et pour laquelle le narrateur dévoue un amour platonique. Harry, son frère, l’ami ou l’ennemi de Dambudzo, on ne sait pas. Patricia, l’amante blanche avec laquelle Marechera est roué de coup par les manifestants pro-apartheid. Ou encore Julia, cette fille qui le drague dans un bar miteux d’Harare (alors Salisbury), avec Zimbabwe écrit en gros sur ses gros seins. Il y a aussi ces hallucinations effrayantes qui parlent et harcèlent et rient, comme dans un cauchemar. Puis ce clochard accueillit dans la maison de la faim, lançant des bribes de fables à la face réjouie de l’auteur. « Ce qu’il préférait, c’était me voir écouter attentivement des histoires racontées de travers, délirantes et fragmentaires » raconte ce dernier. C’est peut-être ce que nous préférons aussi : se perdre avec un malaise certain dans ces règlements de compte divers et circulaires qui ne s’arrêtent jamais.

Car il n’y a pas de fin à la maison de la faim. C’est l’éternelle tâche dans la mémoire des hommes. La plaie jamais refermée de l’horreur. La suture du ciel laissant couler la pisse amère du divin. Je ne peux en dire plus. Je vous ai décrit la maison. A vous de décider d’y entrer ou pas. La seule chose que je peux vous promettre, c’est que vous n’en sortirez pas immaculé.

 

Maxime Chaury