Le Brésil en Afrique : coopération et affaires

Durant les célébrations du 50ème anniversaire de l'Organisation de 'lUnité Africaine, la présidente brésilienne Dilma Rousseff a annoncé l'annulation par de la dette de douze pays africains, pour un total de 900 millions de dollars. Sans sous-estimer la solidarité "Sud-Sud" et les motifs humanitaires, cette décision est également motivée par des intérêts économiques, environnementaux et politiques communs.


dilma-af490Au Brésil, il est très mal vu d’arriver à une fête les mains vides. Et en tant qu’unique chef d’État non africain présent à la célébration du 50ème anniversaire de l’organisation de l’unité africaine, Dilma Rousseff n’a pas seulement amené à Addis Abeba des paroles amicales mais également un cadeau : l’annulation de la dette de douze pays africains, d’une valeur totale de presque neuf cent millions de dollars.

Cette somme dépasse le total perçu en aide publique au développement par le Brésil, qui devient ainsi donateur tout en restant, officiellement, un pays en développement. Le geste n’est pas seulement philanthropique, car comme l’a expliqué Roussef en conférence de presse, « sans cette annulation je n’arrive pas à entretenir de relations avec eux, tant du point de vue des investissements, du financement des entreprises brésiliennes dans les pays africains que du commerce avec une plus grande valeur ajoutée ». 

Lorsque Lula da Silva a commencé à consacrer une bonne partie de ses efforts diplomatiques et de son temps personnel à entretenir des relations avec les pays du Sud, cette politique a été perçue comme idéologique et peu pragmatique par les milieux d’affaires brésiliens. Mais en dix ans, le commerce entre le Brésil et l’Afrique a quintuplé, passant de 5 milliards de dollars en 2002 à 26 milliards en 2012. Presque la moitié de ces exportations sont des produits manufacturés, une proportion beaucoup plus élevée que pour l’ensemble des exportations brésiliennes, où les produits industriels, d’une plus grande valeur ajoutée que les matières premières agricoles ou minérales, représentent seulement un tiers du total.

Durant ces dix ans, le Brésil a augmenté de dix-sept à trente six le nombre de ses ambassades en Afrique et la banque brésilienne de développement BNDES a commencé à accorder des lignes de crédits, que ce soit pour la construction d’un aéroport au Mozambique ou l’installation de systèmes de paiements électroniques dans les autobus sud-africains. La plus grande partie des crédits se concentre en Angola, où le constructeur brésilien Oderbrecht est devenu le principal employeur du pays. Enfin, lors de la visite de Rousseff, des crédits brésiliens d’un milliard de dollars pour les chemins de fer en Ethiopie, le pays d’accueil de l’Unité Africaine, ont été annoncés.

L’entreprise publique Petrobas et la compagnie minière Vale sont les deux autres grands investisseurs en Afrique, souvent en concurrence avec les entreprises chinoises pour l’exploration et l’exploitation du sous-sol. Derrière ces deux géants, des dizaines d’entreprises brésiliennes de moyenne et petite taille s’établissent sur le continent comme fournisseurs et sous-traitants. La compagnie aérienne brésilienne à bas coûts Gol a annoncé le lancement prochain d’un vol direct entre Sao Paulo et Lagos, la plus grande ville du Nigeria. Ce vol durera environ 2 heures de moins que le trajet direct jusqu’à Miami.

En plus de la proximité géographique, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique Sud, le Brésil et l’Afrique ont une histoire commune qui a récemment commencé à s’écrire, et un sol et un climat semblables. La médecine tropicale développée par l’Institut Osvaldo Cruz donne lieu à des dizaines d’accords de coopération, dont un avec le Mozambique pour produire localement des médicaments génériques contre le VIH. Pour sa part, l’agence brésilienne de recherche agricole Embrapa, travaille sur l’adaptation au Sahel de son expérience dans l’aridité du cerrado (ici préciser en notes « région de savane au Brésil »). Le Brésil coopère plus particulièrement avec le Bénin, le Burkina Faso, le Tchad et le Mali sur l’amélioration du coton et à l’Organisation Mondiale du Commerce, ils font front commun contre les subventions des Etats-Unis à leurs propres producteurs de coton, qui nuisent directement à ces pays ainsi qu’au Brésil.

Dans le domaine de l’énergie renouvelable, que Roussef connaît de près, ayant été ministre de ce secteur durant la présidence de Lula, le Brésil promeut activement ses technologies pour obtenir de l’éthanol à partir de la biomasse, en particulier de canne à sucre. A plusieurs occasions, la présidente brésilienne a comparé l’éthanol à l’énergie solaire, promue par les européens, qu’elle considère comme un « crime contre l’Afrique » parce qu’elle engendrerait une dépendance technologique.

Alors que Roussef trinquait avec ses pairs africains à « nos vastes intérêts communs » et à une coopération Sud-Sud qui « profite aux deux parties », l’ex-président de la Tanzanie Benjamin Mkapa critiquait durement les accords commerciaux que l’Union Européenne est en train de négocier avec l’Afrique. Selon lui, les propositions actuellement sur la table « empêcheront le développement des pays africains, conduiront à la désindustrialisation et empêcheront les tentatives d’ajouter une valeur aux biens exportés, en leur refusant l’accès aux marchés », alors que les produits européens bénéficieront de baisses de prix et d’impôts.

L’Union Européenne demeure la principale source d’aide en Afrique, mais c’est le Brésil et la Chine que les gouvernements africains perçoivent comme des « associés ». A l’inverse, l’image de l’Afrique Subsaharienne dans les pays développés continue d’être celle d’une région misérable, plongée dans la pauvreté absolue. Les diplomates et entrepreneurs brésiliens y voient, eux, des économies qui croissent à un rythme de sept pour cent par an et un continent sur lequel onze pays ont un revenu par habitant supérieur à celui de la Bolivie.

BISSIO Roberto


Cet article a été traduit de l’espagnol vers le français par Aurélie Gasc, traductrice bénévole pour Ritimo. L’article original est en ligne sur le site Red del Tercer Mundo : Brasil en África : cooperación y negocios. Publié initialement sur Ritimo.org et repris ici sous licence Creative Commons.

Revue du « Global Corruption Barometer 2013 »

money_2L’ONG Transparency International vient de publier son « Baromètre Mondial de la Corruption » 2013. Démarré en 2003 et publié de façon bisannuelle depuis 2009, ce baromètre est le résultat de sondages menés à travers le monde. Il documente les expériences individuelles des sondés vis-à-vis de la corruption dans leur pays et recense leurs évaluations du niveau de corruption de différentes institutions nationales. Pour l’édition 2013 du baromètre, 114.000 personnes ont été interrogées à travers 107 pays différents. Les pays Africains profilés dans ce baromètre sont les suivants: Algeria, Burundi, Cameroun, RDC, Egypte, Ethiopie, Ghana, Kenya, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Maroc, Mozambique, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Afrique du Sud, Sud-Soudan, Soudan, Tanzanie, Tunisie, Ouganda, Zambie et Zimbabwe.

Les perceptions individuelles de la corruption et l’évaluation subjective du niveau de corruption dans un pays sont d’assez délicates approximations du vrai niveau – objectif – de la corruption dans un pays. De nombreuses critiques ont été adressées au baromètre de Transparency International. Elles concernent entre autres :

  • Le risque d’auto-renforcement des « perceptions » de la corruption : l’idée ici étant simplement que la reprise médiatique des résultats du baromètre pourrait influencer la perception subjective de la corruption, renforçant le décallage éventuel entre corruption réelle et corruption perçue.
  •  L’incomplète prise en compte de l’influence des caractéristiques individuelles (âge, emploi, sexe, situation familiale, etc.) dans la perception de la pauvreté, alors même qu’elles peuvent avoir un impact décisif.
  • L’insuffisante différenciation entre les influences variables des Institutions : la corruption au sein des plus hautes sphères de la fonction publique a-t-elle la même importance que celle au sein des agents subalternes ou intermédiaires ? Est-elle « perçue » de la même façon ? Est-elle « percevable » de la même façon.
  • Enfin, l’influence excessive de ces comparaisons internationales, malgré leurs limites, sur les décisions des bailleurs de fonds et l’impact négatif que de tels classements pourraient avoir sur les allocations des ressources de la part des organisations internationales et au sein des différentes administrations publiques. La création d’organismes ou de ministères en charge de la « lutte contre la corruption » n’est nullement une garantie de la réelle volonté de mettre fin aux pratiques de corruption.

Une autre source de critiques concerne l’influence réelle de la corruption sur le développement. Une partie non-négligeable de la littérature économique – suivant l’article séminal de Nathaniel Leff en 1964, replaçant la corruption bureaucratique comme un « ingrédient » du développement économique, permettant d’éviter des règles trop encombrantes ou inefficientes – a cherché à mesurer l’influence réelle et le rôle de la corruption dans la croissance économique. Les synthèses les plus récentes pointent vers un rôle globalement négatif de la corruption sur, entre autres :

  • Le niveau d’investissement public et sa productivité [Mauro 1995 ; 1996 ; Tanzi & Davoodi, 1997]
  • Et sur le niveau global de la croissance économique, via l’investissement comme supposé plus haut ou plus directement.

Enfin, une autre lignée de critiques insiste sur la différence entre « corruption » et « capture de rente », et leurs influences sur la croissance et le niveau des institutions.

Il convient donc d’avoir ces réserves en tête à la lecture du rapport de Transparency International. Cela n’empêche pas, néanmoins de noter quelques chiffres marquants :

  • 45% des personnes interrogées en Afrique jugent les Organisations Non-gouvernementales corrompues ou extrêmement corrompues. Les extrême étant le Soudan et le Sud-Soudan (79% et 62% des personnes interrogées) et le Rwanda et le Burundi (8% et 1% respectivement)
  • 94% des Nigérians interrogés jugent les partis politiques du pays corrompus ou extrêmement corrompus.
  • Pour 85% des Congolais
  • 2% des Africains interrogés jugent les agents de l’Etat corrompus ou très corrompus. En RDC ce chiffre atteint 85%
  • 27% des Africains jugent leurs institutions religieuses corrompues.

Corruption

Quelques soient les limites éventuelles du rapport de Transparency international, ces chiffres restent inquiétants.

Raphaël Set-Salei

L’Ingratitude du Caïman, d’Isaac Djoumali Sengha

J’ai déjà dit à plusieurs occasions combien il est impensable pour un auteur natif du Congo, contemporain des événements des années 1990, de rester bouche cousue sur ces événements, en particulier sur la guerre civile de 1997. « Peut-on avoir vécu une page sombre de l’histoire de son pays et ne pas en témoigner, surtout lorsqu’on est un forgeron des mots ? »,  demandai-je en 2010, dans mon article sur Fragments d’une douleur au cœur de Brazzaville, recueil de poésie de Noël Kodia Ramata. Il y a à peine quelques mois, j’exprimais la même pensée dans ma critique sur Le Tombeau transparent, de Léopold Congo Mbemba : « Romanciers, nouvellistes, poètes, dramaturges, essayistes, tous ont ressenti le besoin de s’exprimer sur cet événement qui marque un tournant dans l’histoire du pays ».

l-ingratitude-du-caiman-les-racines-du-malIsaac Djoumali Sengha, dont L’Ingratude du Caïman est le premier roman, s’inscrit dans cette volonté de  dire quelque chose sur cette guerre, même si son projet n’est pas de s’appesantir sur ce sujet. La guerre civile de 1997 n’est que la toile de fond, l’arrière plan d’un tableau qui met en avant l’histoire d’un jeune Congolais, André Mambou, qui part se former en Union Soviétique pendant cinq années. Nous sommes dans les années 1970. Il rencontre là-bas une belle Russe, Lara, avec laquelle il se marie. Ils ont deux enfants : Dimitri et Anouchka. A son retour dans son Congo natal, André est promu Lieutenant. Il va être rejoint plus tard par sa femme et ses enfants. Cependant, avant de quitter le Congo, André avait une petite amie, qui tombera enceinte de lui. Et lorsqu’il rentre au pays, en attendant de retrouver son épouse blanche dont il n’est pas question pour lui de se séparer, il ne s’interdit pas de passer du bon temps avec les Congolaises qui le tentent. Il croit que ces choses s’effaceront facilement avec la gomme de l’oubli, lorsque sa Lara sera là. Mais peut-on gommer une histoire lorsque celle-ci laisse des traces vivantes ? La gomme de l’oubli ne peut rien contre l’existence d’un enfant.

 

Djoumali_et_Liss(Liss et Djoumali Sengha au salon du livre de Paris 2013)

 Henriette, qu’André a séduite, considère leur relation avec beaucoup plus de sérieux que celui-ci. Elle se rendra à l’évidence, il aime sa Blanche, néanmoins elle refusera d’avorter, élèvera seule l’enfant né de leur liaison. Ces histoires cachées causeront des frayeurs à Mambou qui ne souhaite pas que tout ceci arrive aux oreilles de sa femme. Mais parfois, la confession est inéluctable.  En dehors de Lara, deux autres femmes, Marguerite et Henriette, font donc définitivement partie de la vie d’André Mambou, puisqu’elles lui donneront chacune un garçon. 

Ces intrigues donnent lieu à de belles scènes de jalousie, avec l’envie pour la femme délaissée de crêper le chignon à celle qui a été préférée, de se venger contre celui qui l’a délaissée. Ces règlements de compte s’invitent aussi sur le plan professionnel. André Mambou et son ami de toujours, Jean-François Kabongo, cadre militaire comme lui, feront l’amère expérience des rétrogradations que l’on peut vivre du jour au lendemain, pour des raisons fallacieuses, simplement parce qu’ils se sont attirés la colère d’un rival. Et l’ennemi n’est pas toujours celui qu’on pense. Il peut être un ancien ami. C’est ainsi que, petit à petit, les haines s’accumulant les unes aux autres, les désirs de vengeance prenant appui sur des faits anciens, on en arrive à l’explosion de 1997, dont les gaz continuent à empoisonner les générations futures.

Au milieu de tous ces changements, de ces alliances d’un jour transformées en conflits de toujours, une constante demeure : l’amitié de Mambou et de Kabongo, en dépit de tous les événements qui secoueront leurs vies privée et professionnelle. Ainsi, L’Ingratitude du Caïman est une manière pour l’auteur de dire qu’en dépit de ce que peuvent faire croire les différentes guerres civiles et leur stigmatisation des ethnies, les Congolais ont toujours su créer entre eux de fortes relations d’amitié qui n’ont rien à voir avec l’ethnie ou la politique. Mambou et Kabongo, qui appartiennent à des groupes ethniques différents, ont étudié ensemble, ont fait la fête ensemble, ont rencontré des amies l’un sous le regard de l’autre, sont rentrés presque en même temps au Congo, ont continué leur vie en ne se perdant jamais de vue, au contraire ils se soutiennent l’un l’autre dans les moments difficiles, l’un enlevant plus d’une fois une épine dans le pied de l’autre.

Si les alliances politiques sont souvent sujettes à trahison, comme l’illustre le conte reproduit en tout début du livre où l’on voit Bama le caïman se saisir du chasseur qui vient pourtant de lui sauver la vie, ce n’est pas pour autant que, dans la vie de tous les jours, deux personnes parfois de caractère différent ne se lient d’amitié, sans que jamais l’ingratitude ne vienne ternir cette belle union.

Un mot aussi sur ces épouses blanches qui font tout ce qu’elles peuvent pour s’intégrer dans le pays de leur époux africain, qui en font leur deuxième patrie, malgré les revers qu’elle y subissent parfois.

 L’ingratitude du Caïman est une invitation à aimer le Congo, à découvrir ses différentes régions, à célébrer l’amitié, à protéger ceux qui nous sont chers. Pour un premier roman, je le trouve admirablement bien orchestré. La lecturé est facilitée par la subdivision en chapitres, agrémentés de citations en début de chapitres qui donnent le ton du chapitre. La guerre civile est la parenthèse qui ouvre et ferme le récit, lequel s’étend sur une vingtaine d’années, durant lesquelles on revit les principaux événements qui ont marqué le Congo. Mais le récit ne se termine pas sans un prolongement jusqu’en 2007, c’est-à-dire dix ans après 1997, avec les enfants des protagonistes. 

En un mot, la guerre de 1997 est le point d’ancrage. Qu’est-ce qui s’est passé dans les vingt ans qui ont précédé cette tragédie, et où on est-on dix ans plus tard ?

Isaac Djoumali Sengha, L’ingratitude du Caïman, sous titré Les racines du mal, L’Harmattan, Collection Ecrire L’Afrique, 2012, 293 pages, 24 euros. 

Les inégalités sanitaires dans les villes d’Afrique subsaharienne

L'urbanisation de l'Afrique est présentée, de plus en plus souvent, comme une exceptionnelle source d'opportunités et de croissance pour l'Afrique. Cet article propose d'aller au delà du concert de louanges et met en évidence certains aspects de cette urbanisation, insuffisamment pris en compte : son impact sur la santé et les inégalités sanitaires.


Taux-d-urbanisation-par-pays-et-villes-de-plus-de-100-000-habitants-en-1995_large_carteL’Afrique subsaharienne a connu, au cours des cinquante dernières années, une croissance exponentielle de sa population urbaine. Passée de 19 millions d’urbains en 1950, elle atteint 300 millions en 2010 et devrait être de 600 millions en 2030. Si les projections actuelles se réalisent, en 2050, un africain sur deux (soit un milliard deux-cent millions d’Africains) vivra en zone urbaine. En termes relatifs, la part de la population vivant en zone urbaine, en Afrique subsaharienne est passée de près de 10% en 1950 à 37% en 2010 (UN-Habitat, 2010). Un aspect important de cette croissance urbaine tient à ses déterminants et à leur évolution au cours du temps . Jusque dans les années 70, les deux tiers de cette croissance urbaine provenaient de déplacements de population des villes vers les campagnes. Durant les dernières décennies en revanche, son principal ressort a été endogène, lié à la croissance démographique des populations urbaines. Ainsi, il est difficile de séparer dynamiques urbaines et dynamiques démographiques,  de façon générale et dans le cadre particulier de l’Afrique subsaharienne. Aussi, l’évolution démographique est liée aux tendances de mortalité et de natalité, et reflète l’amélioration des conditions sanitaires et épidémiologiques d’une société donnée.

Plus encore, le lien entre urbanisation et santé peut être plus direct, et lié à la complexité des dynamiques urbaines. L’urbanisation peut impliquer autant la concentration des populations que la densification des milieux de vie. Elle entraine une modification des rythmes et des styles de vie, des structures familiales et des régimes alimentaires. Elle induit une transformation de l’habitat, une différenciation des occupations professionnelles et des risques qui y sont liés, des altérations de l’environnement et un accès différencié aux infrastructures publiques, notamment sanitaires. Une multitude d’influences qui une à une autant que collectivement, peuvent avoir une influence sur les profils sanitaires et épidémiologiques des sociétés subissant ces transformations. Pourtant, comme le rappelle l'expert Gérard Salem: « parmi les multiples aspects déconcertants de la croissance urbaine des pays du tiers-monde, les aspects sanitaires sont parmi les plus originaux et les moins connus. »

Une simple analyse descriptive permet de noter les évolutions similaires des taux d’urbanisation et de certains indicateurs de santé, en Afrique subsaharienne. Qu’il s’agisse du taux de mortalité infantile ou de l’espérance de vie, on constate une corrélation assez forte de ces indicateurs avec celui du taux d’urbanisation dans les principales régions d’Afrique subsaharienne.

Figure 1 : Urbanisation et Mortalité infantile en Afrique subsaharienne 1950-2010 (Données de la Banque Mondiale)

Urbanisation et mortalité infantile

Figure 2 : Urbanisation et Espérance de vie à la naissance 1950-2010 (Données de la Banque Mondiale)

urbanisation et mrotalité infantile

 

Pourtant, derrière la notion relativement simple « d’urbanisation de l’Afrique » se cachent de profondes disparités, dans le temps et dans l’espace. La définition de l’urbanisation en Afrique (fondée sur la densité de population) reste variable selon les pays : l’organisation onusienne UN-Habitat situe la limite inférieure à 2000 habitants, tandis qu’une « ville » au Nigéria compte au moins 20.000 habitants, 5000 au Ghana, etc. Elle ne prend pas en compte le type d’urbanisation ayant eu lieu : densification des zones urbaines, agglomération des zones péri-urbaines, transformation des zones rurales en villes par conglomération administrative. Mais surtout, elle occulte les disparités existant au sein même des villes, et l’existence de « villes dans la ville ». Or ces disparités en termes d’habitat, de statut professionnel, de revenus et d’accès aux infrastructures ont d’importants effets sur le profil de santé des urbains.

Ainsi, l'un des aspects les plus importants de l’évolution des profils sanitaires dans les villes africaines est la coexistence de pathologies supposément « réservées aux pays riches » telles que l’hypertension et le diabète, et de « pathologies classiques de pauvreté ». Cela renvoie à l’aspect « prolongé » de la transition épidémiologique formulée par Smallman-Raynor et Phillips (1999). Dans une étude sur l’évolution dans le temps des principales causes de décès dans la ville d’Accra (capitale du Ghana), depuis les années 1950, Agyei-Mensah et Atkins (2010) montrent la persistance des maladies infectieuses et parasitaires.

Causes de décès en Afrique

Premières des causes de décès en 1953, elles représentaient encore 15,7% de celles-ci en 2001. Sur la même période, les maladies cardiovasculaires, responsables de moins de décès que les troubles nutritionnels en 1966 étaient la cause d’à peu près un décès sur trois au début de la dernière décennie. Aussi, les troubles respiratoires, l’une des trois principales causes de mortalité avant l’indépendance du Ghana (1957), sont toujours, cinquante après, la troisième cause de mortalité dans la principale ville de ce pays.

hopital_principal_lgDe fait, l’urbanisation de l’Afrique a occasionné une « épidémiologie nouvelle », liée à certaines caractéristiques intrinsèques du milieu urbain : hétérogène, dense et ouvert par définition. Si les citadins se trouvent en meilleur santé que les habitants des zones rurales, il existe des écarts significatifs de santé au sein des villes, et certains citadins se retrouvent, paradoxalement, dans une plus mauvaise santé que les ruraux. Les épisodes palustres sont par exemple moins fréquents en zone urbaine, mais la concentration des populations, et l’écosystème dans lequel certains des habitats urbains sont construits peuvent intensifier l’exposition de certaines populations urbaines aux vecteurs de cette maladie.

Dans leur étude sur les enjeux sanitaires des villes en Afrique, Salem et Fournet (2003) confirment l’impact des disparités interurbaines. Ils remarquent l’impact des différences d’habitat au sein même des zones urbaines, directement liées à l’ancienneté de l’urbanisation, donc aux flux migratoires entre les campagnes et la ville (les populations récemment arrivées, s’installant souvent en zone péri-urbaine).

Il est indéniable que l’offre de soins de santé « modernes » est plus fournie en ville qu’à la campagne. Ce phénomène n’est nullement circonscrit à l’Afrique subsaharienne (cf. « déserts médicaux » en France). Pourtant, cette offre de soins, dans cette zone, est souvent « virtuelle » : tous les citadins, ne bénéficient pas du même accès aux soins. Les raisons de ces inégalités sont multiples : pécuniaires, liées  la faiblesse de la couverture sociale, conséquences de l’absence de « relations » au sein des services publics en charge de la fourniture de soin de santé ou simplement par inconscience de la gravité des troubles et maladies.

Tout ceci contribue à faire de l'urbanisation de l'Afrique subsaharienne, un peu plus qu'un sujet de réjouissance et une source de prospérité future. Elle est aussi grosse d'un renforcement des inégalités et de troubles sanitaires d'une nature fluctuante et indéterminée : l'urbanisation de l'Afrique est aussi un problème de développement.

 

Raphaël Set-Salei

Raphaël est étudiant en économie à l'Université Paris IX-Dauphine. Cet article est adapté de l'introduction à une plus longue étude sur les dynamiques urbaines et sanitaires en Afrique.


Bibliographie

Aikins, A. D. G. (2010). Epidemiological transition and the double burden of disease in Accra, Ghana. Journal of Urban Health87(5), 879-897.

ONU-Habitat (2012) « État des villes dans le monde 2010-2011 : réduire la fracture urbaine »   http://www.unhabitat.org/documents/SOWC10/FR/R7.pdf

Oucho, J. & L. Oucho, (2010), « Migration, Urbanisation and Health Challenges in sub-Saharan Africa”, Working Paper, Academia.edu, November http://academia.edu/1495926/Migration_Urbanisation_and_Health_Challenges_in_sub-Saharan_Africa

Salem, G., & Fournet, F. (2003). Villes africaines et santé: repères et enjeux.Bulletin de la Société de pathologie exotique96(3), 145-148.

Smallman-Raynor, M., & Phillips, D. (1999). Late stages of epidemiological transition: health status in the developed world. Health & Place5(3), 209-222.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’aventure ambigue des langues africaines

Souleymane Bachir DiagneLe philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a été récemment chargé par Macky Sall de conduire une réflexion sur la réforme de l’enseignement supérieur avec la mise sur pied d’un Comité de pilotage de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES). Une de ses conclusions est que la difficulté de maitrise de la langue française  constitue une sérieuse anomalie pour l’école sénégalaise. Cela repose la question de l’introduction des langues locales dans l’enseignement au pays de Senghor. 


Invité, sur un plateau de télévision, à s’exprimer sur les conclusions de cette réflexion Souleymane Bachir Diagne a expliqué que la baisse du niveau d’enseignement au Sénégal était liée à la non maitrise par les élèves et étudiants de la langue de travail qu’est le français.

Dans l’établissement des causes de cet état de fait, il a avancé que le français n’étant parlé qu’à l’école – les jeunes sénégalais préférant parler les langues locales (le wolof notamment) en dehors- il se posait même, du fait de cette utilisation partielle, un problème d’identification et de maîtrise des connecteurs logiques et donc d’argumentation tant à l’écrit qu’à l’oral.

Deux parmi ses disciples de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Khadim Ndiaye et Thierno Gueye ont tenu à lui « répondre », dans un texte très démonstratif que « logique pour logique » si « l’élève ne performe pas en français. » et que « Le fait que l’élève ne parle que wolof (hors de la classe) » implique que« l’élève ne  performe  pas dans sa langue de travail (au point que les connecteurs logiques dans cette langue ne peuvent se mettre en place). » donc « Il faudrait que l’élève parle wolof au sein de la classe. »Autrement dit, il faudrait arrêter de n’insister que sur le français au sein de la classe ou l’élève ne réussira jamais assez bien ni dans sa langue maternelle, ni dans sa langue de travail.

Ils en arrivèrent à la conclusion que : « c’est peut-être en procédant au renversement que nous rechignons à opérer que nous réglerons la question du problème des connecteurs logiques de l’argumentation ainsi que celle de la baisse de niveau, tant en français que dans les autres langues étrangères éventuellement (à moins, bien entendu, de considérer que ces connecteurs n’existent pas dans les langues locales sénégalaises)

Ndiaye et Gueye pouvaient d’autant plus apporter de l’eau à leur moulin qu’au mois de mars dernier, à liberté 6, un quartier de Dakar, une expérience pilote mêlant apprentissage en wolof et français, dans une classe de Cours d’Initiation a vu les enfants de cette classe avoir les meilleurs notes en français dans toute la circonscription, dépassant les autres élèves qui ne prenaient leurs cours qu'en français.

Au début des années 80 déjà, au Sénégal, une expérience similaire, à plus grande échelle, avait donné les mêmes résultats. Cependant les autorités de l’époque avaient préféré ne pas donner suite.

Contribuant à ce débat, la linguiste Arame Fall Diop est d’avis qu’on ne pourra parler de renaissance africaine que lorsque les langues indigènes seront promues. « A son accession à l’indépendance le Sénégal était au même niveau  de développement que la Corée du Sud. L’un des facteurs explicatifs, bien entendu pas le seul, de l’écart que nous constatons entre les deux pays aujourd’hui, affirme-t-elle, est que la Corée, contrairement au Sénégal, a réalisé un travail de promotion de la langue coréenne pour en faire le moteur de son développement ».

L’économiste et philosophe El Hadj Ibrahima Sall préfère quant à  lui mettre en garde contre ce qu’il appelle un « populisme à rebours ». Oui à l’introduction des langues nationales à l’école, dit-il, ne serait-ce que pour mieux communiquer entre Africains d’un même pays ou à l’échelle continentale mais non à l’idée d’aller, à l’état actuel des choses, jusqu’à enseigner des disciplines telles que les mathématiques dans les langues africaines. Pour lui, il y a tout un travail à faire dans la codification,   la recherche, avant de nourrir de telles prétentions. Il évoque l'exemple de la Mauritanie, pays qui, du jour au lendemain, a abandonné l’enseignement du français à l’école pour lui substituer l’arabe contribuant ainsi à faire s’affaisser des pans entiers de son système éducatif.

Cette position de Sall caractérise ainsi une voix de la prudence donc contrairement à Arame Fall Diop qui souhaite voir les décideurs politiques tenter l’aventure car pensant que l’on a que trop attendu. Elle rappelle qu’en son temps, Cheikh Anta Diop avait déjà fait un travail de codification et sorti plusieurs publications (dans les revues de l’IFAN notamment) dans le sens de l’utilisation des langues africaines dans le domaine de la science ; travail qui, selon elle, n’a pas été exploité.

Elle assure que d’autres études réalisées par des structures comme l’Académie Africaine des Langues (ACALAN), sont aussi disponibles et prône leur application quitte à rectifier et améliorer certains aspects au fur et à mesure qu’avancerait l’expérience.

L’ACALAN, créé en 2001 et placé sous l’autorité de l’Union Africaine, a des objectifs qui vont du « renforcement de la coopération entre les États africains en matière de langues africaines » à « la promotion d’une culture scientifique et démocratique fondée sur l’usage des langues africaines » en passant par « le développement économique, social et culturel harmonieux des États membres basé sur les langues africaines et en relation avec les langues partenaires».

DOOMI-GOLODes intellectuels africains ont déjà commencé, à leur niveau, à prendre des initiatives recoupant certaines de ces préoccupations. Le projet de l’écrivain Boubacar Boris Diop consistant en la publication d’ouvrages (tels son Doomi golo*) en langues nationales en est une illustration.

Terangaweb a été déjà montré l’engagement de certaines élites africaines à porter ce combat présenté de plus en plus comme un impératif de développement du continent. Il existe tout de même un vrai courant de scepticisme de la part de ceux qui craignent que l’écriture en langue locale devienne une méthode de repli identitaire notamment ethnique au détriment de l’usage des langues communes africaines comme le Swahili pour construire des ponts entre différents individus.

C’est peut-être pour tenter de pallier ce risque de communautarisme et d’enfermement relevé que l’homme politique et ancien diplomate sénégalais Ibrahima Fall propose de faire de l’enseignement des langues africaines, un outil d’intégration avec des sortes des cercles concentriques linguistiques. Avec cette méthode, le pulaar serait, par exemple, la langue enseignée dans toute l’Afrique de l’Ouest et le Swahili en Afrique de l’Est car étant les langues les plus parlées dans ces aires géographiques.

A défaut d’entamer une « révolution linguistique » par le bas, certains établissements d’enseignement supérieur proposent des programmes en langues nationales à leurs étudiants. C’est le cas de l’université Gaston Berger de Saint Louis où vient de s’ouvrir un département de « Langues et Cultures africaines ».

*Les petits de la guenon

Racine Demba

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Les préoccupations des Béninois: L’accès à l’éducation et à une électricité de qualité (Actes 7 & 8)

expozinsouQuelles sont les principales préoccupations des béninois ? C’est pour apporter des éléments de réponse à ces questions que la fondation Zinsou, présente au Bénin et dédiée à l’art africain, a commandé un sondage réalisé auprès des populations béninoises. Les dix grands thèmes qui ressortent du sondage sont dans le désordre: l’accès à l’éducation, la régularisation de la circulation, l’augmentation des salaires des fonctionnaires, l’aide aux cultivateurs, l’accès à l’eau potable, le renforcement de la sécurité, la réparation des routes, l’accès à l’électricité, l’aide aux éleveurs et l’accès aux soins.

La Fondation Zinsou a rencontré Kifouli Dossou, artiste sculpteur béninois, et lui a demandé de réaliser une représentation artistique de ces grandes questions pour en porter le message. L’artiste  a choisi, pour ce faire, de sculpter des masques Guèlèdè, représentant chacun l’une de ces dix préoccupations majeures. Ces masques ont fait l’objet d’une exposition gratuite  dans les locaux de la fondation Zinsou basée à Cotonou.

 

Nous abordons tour à tour ces 10 thèmes dans une série d’articles illustrée par les photographies des masques sculptés par l’artiste – qui ont été gracieusement mises à notre disposition par ladite fondation. Après avoir abordé successivement la revalorisation du salaire des fonctionnaires, la modernisation de l’agriculture, les questions de sécurité (sécurité sur les routes et sécurité des biens), l’accès à l’eau potable et l’amélioration des infrastructures routières, nous nous penchons sur l’éducation et l’électrification.  

Les eleves (Azomevile) Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Kifouli Dossou 2010 – 2011
Les eleves (Azomevile) Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Kifouli Dossou 2010/2011
7. L’accès à une éducation de qualité

Le taux brut de scolarisation au Bénin est passé de 68.2% en 1996 à 104.3% en 2008 (le pourcentage est supérieur à 100% parce qu’il est rapporté à la population âgée de 6 ans, ce qui n’inclut pas nécessairement tous les nouveaux entrants ; source : UNESCO). Si l’on peut se féliciter de cette évolution remarquable aussi bien chez les garçons que chez les filles, l’accès à l’éducation reste une préoccupation importante pour les populations. A raison.

Dans un article écrit il y a déjà plusieurs mois, je dressais l’état des lieux du système éducatif béninois dans chacun des six ordres d’enseignement qu’il compte : l’enseignement maternel, primaire, secondaire, technique et professionnel, supérieur et enfin l’alphabétisation et l’éducation des adultes. Derrière les beaux chiffres de la scolarisation se cache une réalité peu reluisante : des disparités géographiques importantes quant à l’accès à l’éducation, la mauvaise qualité de l’éducation dans de nombreux établissements, des taux de rétention à l’école assez faibles surtout pour les filles et en particulier dans les milieux ruraux, une mauvaise orientation des apprenants vers les filières adaptées à leurs compétences, un enseignement supérieur dont les composantes et la recherche s’adaptent peu aux réalités du pays et aux priorités du développement.

Face à ces difficultés, j’ai proposé, dans la suite de l’article sus-mentionné,  un ensemble de solutions qui se déclinent en quatre grands axes : rapprocher l’éducation des réalités et des besoins du pays, améliorer la qualité des enseignements et du matériel pédagogique, réduire les inégalités d’accès à l’éducation et enfin mieux organiser l’administration du secteur.  

L’electricite ou Manque d’electricite (Zogbin) Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Wabi Dossou 2010 – 2011
Electricite ou Manque d electricite (Zogbin) Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Wabi Dossou 2010/2011
8. L’électrification

Il n’est pas de développement envisageable sans électricité. La conservation des aliments, les outils de communication via la téléphonie mobile et Internet, les machines fonctionnant à l’énergie électrique qui sont la base de l’écrasante majorité des activités de production, la conservation des médicaments et des vaccins ou tout simplement l’éclairage sont autant d’éléments qui mettent en exergue l’importance capitale de l’énergie électrique et l’urgence de la situation au Bénin, car l’état des lieux en matière d’électricité n’est pas reluisant.

Le taux de couverture en électricité est d’environ 30% au Bénin. Il enregistre une évolution lente mais régulière et est par exemple passé de 25,7% en 2006 à 27,9% en 2008. De plus, ces chiffres ne traduisent pas les inégalités en matière d’accès à l’électricité. En milieu rural, le taux de couverture est seulement de 3% même s’il a doublé en 5 ans.

L’ambition avouée du gouvernement béninois est de porter le taux d’électrification rurale à 50% à l’horizon 2025 et d’utiliser également les énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire. Pour y arriver, des projets sont en cours de réalisation. L’un d’eux vise à électrifier 67 localités rurales en les raccordant au réseau conventionnel de la Société Béninoise d’Energie Electrique (SBEE).

Dans les grandes villes, les délestages d’électricité se multiplient. Après plus de 50 ans d’indépendance, le Bénin est encore énergétiquement dépendant de ses voisins notamment du Nigéria, du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Et pourtant, les solutions ne manquent pas.  Le Bénin n’a toujours pas mis en service une turbine à gaz d’une capacité potentielle de 110 mégawatts construite à environ 20 km de Cotonou alors que les travaux de réalisation du projet gazoduc étaient initialement prévus pour être terminés en 2005 ! Les avantages d’un tel projet sont pourtant considérables. Il permettrait une production d’électricité en quantité et à bas coût pour les consommateurs finaux – le coût pourrait passer à moins de 30 FCFA par kWh alors qu’il est aujourd’hui supérieur à 100 FCFA ! Le gazoduc faciliterait l’électrification du pays et surtout le développement industriel qui piétine du fait de l’insécurité énergétique qui freine les investissements. C’est pourquoi le retard des travaux et la mauvaise conduite du projet qui ne sont pas dus à un manque de financement mais à des conflits d’intérêts entre les différents acteurs, constituent un désastre et un manque à gagner abyssal.

Outre cette centrale, le projet d’aménagement hydro-électrique d’Adjarrala d’une puissance totale de 147 mégawatts, l’ouverture du secteur de la production d’énergie électrique aux investissements privés, la construction à Kandi d’une première centrale solaire de 5 mégawatts concédée à une entreprise privée et l’interconnexion Nord Togo – Nord Bénin, d’un coût de plus de 22 milliards FCFA sont autant de remèdes aux problèmes d’énergie que rencontrent les béninois.

 

Tite Yokossi

 

Algérie : l’impasse d’un système verrouillé

L'incertitude politique créée par l'hospitalisation du président algérien Abdelaziz Bouteflika, plus que la maladie d'un homme est un symptôme de la dérive entière du système politique : absence d'institutions fortes et indépendantes, guerre de clans et d'intérêts, personnalisation du pouvoir. Il n'est pas certain que cela soit amené à changer.


Depuis quelques jours, les commentateurs de la politique algérienne ont pu observer le remarquable changement dans la stratégie de bouteflika-malade-930_scalewidth_630communication du gouvernement. Pendant la longue absence d’Abdelaziz Bouteflika (hospitalisé à Paris depuis le 27 avril), la rétention de l’information a été totale, contrastant avec la transparence des autorités sud-africaines sur l’hospitalisation de Nelson Mandela. Ce changement a sans doute été motivé par les rumeurs les plus alarmantes, autant dans la rue que dans la presse, annonçant « la fin de Bouteflika »[1].

A travers la maladie du président, l’état d’incertitude politique qui règne à Alger témoigne de la dérive permanente de tout un système, incapable de faire émerger de véritables institutions et toujours empêtré dans des guerres de clans, de groupes d’intérêt et de personnes.

Le président Bouteflika est malade, c’est un fait. Au-delà du constat, la stratégie de communication officielle révèle à nouveau le mépris permanent du gouvernement pour son peuple. Si l’on omet le caractère baroque d’un président qui se fait soigner à Paris alors que des malades essayent, à Alger, d’attirer l’attention des autorités sur le manque d’infrastructures hospitalières, les modifications intervenues dans  les déclarations des officiels sont tout aussi évocatrices. Ce qui était au départ un « mini-AVC » est devenu un AVC à proprement parler, et la « convalescence » s’est transformée en « rééducation fonctionnelle ». Le premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’étonnait, dans un récent séminaire sur la communication institutionnelle, que l’on s’intéresse autant à l’état de santé du président. Fausse bêtise ou vraie mauvaise foi, peut-être faudrait-il rappeler à M. Sellal que dans un régime politique hyper-présidentiel où les actions sont directement impulsées par le chef de l’Etat, la capacité du président de la République à gouverner est un sujet d’intérêt pour l’ensemble de la population.

Ainsi, des figures de la société civile, des responsables politiques et des personnalités historiques ont appelé à l’application de l’article 88 de la Constitution qui dispose : « lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ». Le quotidien El Watan rapporte que le Conseil constitutionnel a envisagé de se saisir du dossier, une initiative légale et responsable qui s’est malheureusement heurtée au refus de Tayeb Bélaïz, président du Conseil, ex-ministre de la Justice et proche du clan présidentiel. Ce blocage, absolument scandaleux, mais dont personne ne semble s’émouvoir outre mesure, n’a rien d’anormal dans un pays qui vit sous le joug de l’autoritarisme depuis son indépendance.

La dictature, telle que l’a toujours connue l’Algérie, n’est cependant pas la seule responsable de la forfaiture. Cette dernière est aussi le résultat d’une pratique politique mise en œuvre par le président Bouteflika, qui a méprisé la loi, humilié les institutions, et marginalisé le peuple. Les exemples ne manquent pas, des multiples viols constitutionnels à la gestion de la crise du Printemps noir[2]. Cette paralysie est l’aboutissement d’une excessive personnalisation des rapports de pouvoir à tous les niveaux, et des allégeances claniques qui ont vidé les institutions de toute moelle politique, et piétiné les principes fondamentaux qui régissent l’Etat de droit.

Le mélange des genres n’est pas nouveau à Alger. Le déplacement à Paris du général Gaïd Salah, chef d’Etat major de l’armée, et du premier ministre Abdelmalek Sellal pour recevoir les directives du président, illustre bien les rapports de force entre les différents centres de décision. Dans la ligne droite du changement de stratégie dans la communication sur la maladie du Président, la télévision nationale, suivie par d’autres chaînes privées, a retransmis les images d’un président âgé, fatigué et malade, pour tenter d’apaiser les tensions. Loin d’obtenir les effets escomptés, ces images n’ont fait que renforcer le sentiment que l’heure de tourner la page des années Bouteflika a sonné. Seule question en suspens : qui se fera adouber par l’armée pour être « calife à la place du calife » ?

Déjà, les candidatures, ouvertement annoncées ou suggérées par les « milieux autorisés », se multiplient. Parmi les candidats potentiels, les favoris sont d’anciens premiers ministres. Certains y pensent depuis longtemps, comme Mouloud Hamrouche, initiateur des réformes avortées de la fin des années 80. D’autres, comme Ahmed Benbitour, se découvrent des humeurs d’opposant après avoir été éjectés du sérail. D’autres enfin, à l’instar d’Ali Benflis, en hibernation depuis son échec à la présidentielle de 2004, commencent à s’agiter dans les coulisses et préparent leur retour sur le devant de la scène politique.

Mohamed-Chafik Mesbah, ancien colonel des services de renseignement et politologue, est le premier à avoir suggéré, dans la presse algérienne, le possible retour du général Liamine Zéroual, ancien Président de la République de 1995 à 1999, qui serait « le seul candidat consensuel ». Point commun à tous ces candidats potentiels, ils sont tous issus de la nomenklatura et ont occupé de hautes positions dans le gouvernement ou dans l’armée.

Hommes du sérail, hommes du passé, ces candidats témoignent que le changement du système politique n’est pas à l’ordre du jour. Le verrouillage de Bouteflika, qui a favorisé la promotion des courtisans par l’allégeance clanique, a annihilé toute émergence d’élites politiques et intellectuelles autonomes, issues des nouvelles générations. Malgré d’incontestables potentialités humaines, l’Algérie risque de subir cet héritage pour encore longtemps.

Par Aghilès Aït-Larbi 

Article publié initialement par notre partenaire ArabsThink

 


[1] Notamment l’hebdomadaire français  Valeurs actuelles et le quotidien algérien Mon Journal.

[2] Manifestations de Kabylie en 2001, au cours desquelles les gendarmes ont tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant 126 morts et des dizaines de blessés.

 

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Tanzanie : un « lion » de la croissance en Afrique de l’Est

CarteTanzanie-ZanzibarLa croissance de l’économie tanzanienne a progressé pour atteindre 6.4 % en 2012 contre 6.4 % en 2011. Les perspectives de croissance à moyen terme ont été considérablement améliorées par les découvertes de gaz naturel. Avec environ 930 milliards de mètres cubes de réserves prouvées exploitables, la Tanzanie peut espérer encaisser quelques 10 à 15 milliards USD au cours des dix prochaines années. Ces découvertes pourraient conduire à la création d’une usine de gaz liquéfié (GNL). Elles ouvrent des perspectives d’augmentation des investissements directs étrangers (IDE), stimulés par les relations de la Tanzanie avec les économies asiatiques en forte croissance (notamment l’Inde) appelées à devenir des destinations intéressantes pour des exportations de GNL. En 2012, le groupe British Gas, un investisseur important, a ainsi fait part de son intention d’intensifier sa présence en investissant 500 millions USD dans l’exploration du gaz naturel tanzanien.

Selon les prévisions, le PIB réel augmentera de 6.9 % en 2013 et de 7 % en 2014, tiré principalement par les investissements dans le secteur gazier et par la poursuite de l’expansion des services et de l’industrie. La construction en cours d’un gazoduc de 532 kilomètres entre Mtwara et Dar es-Salaam dopera également à moyen terme la croissance. Le secteur des services, qui compte pour environ la moitié du PIB, devrait progresser de 8.5 % en 2013 et de 8.9 % en 2014, sous l’effet de la croissance rapide du commerce et de la réparation (10.4 % en 2013, 11.2 % en 2014), des communications (19.2 % en 2013 et 2014) et de l’intermédiation financière (10 % en 2013, 10.5 % en 2014). Les secteurs de l’industrie et de la construction, toujours selon les prévisions, connaîtraient une croissance de 9.8 % en 2013 et de 10.2 % en 2014.

Au cours des vingt dernières années, l’économie de la Tanzanie a connu d’importants changements structurels. La part de l’agriculture dans le PIB a chuté de plus de 22.5 %, passant de 30.6 % en 2001 à 23 % en 2011. Durant la même période, la part de l’industrie dans le PIB a progressé de 10.7 %, passant de 8.4 à 9.3 %, mais ne compte toujours que pour un dixième de la production totale. Le secteur des services a progressé de 41.7 à 48 % du PIB. Les nouvelles composantes de la croissance, comme les communications, la construction, l’électricité et l’extraction minière, dont le gaz, accentueront probablement encore cette mutation.

La création généralisée de richesses et la réduction de la pauvreté attendues de ces changements structurels ont été  modérées. L’agriculture qui, avec 74 % de la population active, reste le premier secteur d’emplois pèse encore fortement dans la croissance. Le secteur manufacturier reste modeste alors que les nouveaux secteurs de croissance, comme l’activité minière, fonctionnent en circuit économique fermé peu créateur d’emplois. Avec les ménages ruraux, dont la majorité dépend de l’agriculture pour vivre, représentant 80 % des pauvres, la Tanzanie demeure un pays à prédominance agraire. Les autres phénomènes relèvent principalement d’une transformation en surface.

Energie : un goulot d'étranglement à la croissance

À moyen terme, les perspectives de croissance pour la Tanzanie dépendent fortement d’une amélioration de la situation de l’énergie. L’hydroélectricité assure 55 % des sources d’énergie et l’entreprise publique Tanesco fournit l’électricité à un prix élevé, non seulement parce qu’elle doit acheter l’électricité coûteuse fournie par les producteurs indépendants pour remédier à la pénurie, mais aussi parce qu’elle est minée par son inefficacité dans la distribution du courant et dans la perception des recettes. Alors que la production d’énergie s’était à peu près stabilisée en 2012, la situation s’est aggravée début de 2013 et le secteur est aujourd’hui considéré comme étant sur le point de s’effondrer. Avec des arriérés financiers de l’ordre de 1.3 % du PIB, Tanesco aurait besoin d’importants investissements pour moderniser ses infrastructures obsolètes de production, de transmission et de distribution. Pour la seule capitale Dar es-Salaam, principal centre industriel et commercial du pays, Tanesco devrait remplacer la plupart des transformateurs – en service depuis plus de 35 ans – desservant le centre-ville. Selon les pouvoirs publics, la réalisation du gazoduc de Mtwara à Dar es-Salaam apportera une solution aux problèmes actuels grâce à l’augmentation de l’indispensable production d’électricité par du gaz.

Le taux national d’accès à l’électricité est de 16 % seulement, et est encore plus bas dans les campagnes (3.6 %). La forte dépendance à l’hydroélectricité de la Tanzanie, qui subit de fréquentes périodes de sécheresse, la rend vulnérable aux conditions climatiques et les coupures de courant à répétition représentent un handicap majeur pour les entreprises. L’accroissement de la capacité de production électrique grâce à des sources alternatives d’énergie est par conséquent vital. À cet effet, la société nationale d’électricité Tanesco s’efforce de trouver des solutions pratiques pour accroître son efficacité et alléger son budget.

Coopération économique, intégration régionale et commerce

La Tanzanie est partie prenante dans plusieurs accords commerciaux régionaux et organisations économiques régionales, en particulier la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (Southern African Development Community – SADC). Conformément aux protocoles signés, le pays a fait des efforts considérables pour accélérer l’intégration régionale en s’appuyant sur la réduction tarifaire. Il met en oeuvre le protocole du marché commun de la CAE, opérationnel depuis juillet 2010, qui a fait l’objet d’une stratégie nationale spécifique, la National Strategy for Implementing the Common Market Protocol. La Tanzanie joue un rôle important dans le processus des États membres de la SADC pour instaurer un marché commun.

flagsElle participe aussi activement, dans le cadre des accords régionaux, et notamment au sein de la CAE, aux travaux visant à simplifier les procédures douanières et à mettre en oeuvre des mesures facilitant le commerce. Les barrières tarifaires ont déjà été éliminées grâce à la mise sur pied d’une union douanière régionale. Avec les autres membres de la Communauté, la Tanzanie travaille à la levée des barrières non tarifaires et à faciliter le commerce transfrontalier régional. L’implantation d’un poste frontière unique à Namanga, à la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, est en cours pour simplifier les mouvements de marchandises entre les deux pays. Parallèlement à ses efforts pour mettre en oeuvre une union douanière pleinement opérationnelle de la CAE, la Tanzanie a conclu en 2012 avec le Kenya un accord prévoyant des échanges en continu (24 heures sur 24) à travers leur frontière.

Les exportations de biens et services se sont élevées à 8.7 milliards USD en 2012, une hausse de 17.4 % sur les 7.4 milliards USD enregistrés en 2011. Les importations de biens n’ont augmenté que de 5.3 %, passant de 12 milliards USD en 2011 à 12.7 milliards USD en 2012. Un fait marquant des exportations tanzaniennes a été la diversification des marchés en dehors de l’Union européenne (UE). De 2000 à 2011, les exportations vers l’UE ont chuté de 50 à 30 % du total des exportations, alors que, vers l’Asie, elles ont grimpé de 23 à presque 30 %. Plus important encore : les exportations vers les pays africains ont bondi de 10 à 30 %.

Malgré ces développements positifs, la Tanzanie reste vulnérable aux chocs extérieurs. D’abord, les exportations sont très concentrées : en valeur, l’or compte pour 40 % du total des marchandises exportées ; une chute des cours mondiaux aurait pour effet de réduire fortement les recettes totales tirées des exportations. Ensuite, la rapide croissance annuelle de la période 2000-12 partait d’une base très faible, la part des biens et services exportés dans le PIB n’étant initialement que de 13 %. En troisième lieu, la grande majorité des marchandises exportées, comme les minerais et les produits agricoles non transformés, ont peu de valeur ajoutée et peu d’effet direct sur les emplois et le développement technologique dans l’économie nationale. Par conséquent, un ralentissement de l’activité économique au plan mondial et régional pourrait affecter négativement la croissance des exportations, les IDE et le financement des marchés.

Une éducation en souffrance

L’insuffisance des ressources humaines contrarie sérieusement les efforts de la Tanzanie pour libérer son potentiel de croissance. Le niveau élevé de malnutrition infantile (39 % des moins de 5 ans ont des retards de croissance et 16.8 % souffrent de carences alimentaires) affecte le développement du capital humain. Le taux de scolarisation dans le primaire est retombé à 94 % (contre 95 % en 2010 et un pic de 97 % atteint en 2006), comme le taux d’achèvement de la scolarité, tombé de 69.3 à 64.4 %. Le rapport 2012 sur la pauvreté et le développement humain attribue ces reculs à « l’absentéisme » et à la violence. Bien qu’en amélioration, de 1.51 en 2010 à 1.48 en 2011, le ratio enseignant/élève souligne l’existence de classes surpeuplées. Favoriser et améliorer l’environnement scolaire, remédier à la pénurie d’enseignants et d’équipements et prendre des mesures incitatives en faveur des enseignants, en particulier dans les régions reculées disposant d’un accès limité aux routes, figurent parmi les principales réformes à promouvoir.

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Le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire est passé de 29.9 % en 2010 à 32.1 % en 2011. Dans l’enseignement supérieur, il s’est accru de 17 % en 2010/11 ; dans l’enseignement professionnel, il a progressé de 26 % du fait du doublement des admissions par des institutions non gouvernementales, et de 69 % en 2011 dans l’enseignement technique. L’effondrement récent (de 90 % en 2007 à 50.4 % en 2010) de la proportion des élèves réussissant les examens de quatrième année et les faibles niveaux scolaires dans les écoles primaires sont particulièrement préoccupants. Autre sujet d’inquiétude : le nombre croissant de diplômés du supérieur mal préparés à l’entrée sur le marché du travail.

Une croissance qui ne réduit pas la pauvreté

Les plans et stratégies pour le développement national de la Tanzanie proposent un programme de réduction de la pauvreté, considérée comme un enjeu politique prioritaire. L’Enquête sur le budget des ménages (Household Budget Survey 2007) fait état d’un haut niveau de pauvreté (33 % au plan national, 37.6 % dans les zones rurales), en dépit de la forte croissance économique que continue de connaître le pays. Selon une enquête par sondage (National Panel Survey- NPS) la situation s’est encore dégradée sur la période 2009-11. Une croissance économique dépourvue de base large, des taux élevés d’inflation et une forte croissance démographique peuvent expliquer la détérioration du taux de pauvreté. Les données du sondage révèlent aussi un léger tassement au regard de l’inégalité, le coefficient Gini passant de 0.36 en 2009 à 0.37 en 2011.

De nombreuses initiatives destinées à réduire la pauvreté sont suivies de peu d’effet, faute de moyens, d’engagement et de volonté politiques et d’un environnement institutionnel adéquat. L’initiative baptisée « Kilimo Kwanza » ou « Agriculture d’abord » n’a pas encore produit les fruits escomptés pour les revenus et l’emploi dans le secteur agricole. Une autre initiative (Agricultural Growth Corridor of Tanzania) destinée à encourager le partenariat public/privé dans la transformation agricole progresse lentement en raison d’une politique incohérente et de sa faible transparence, en particulier sur les questions des impôts et de la terre.

L’absence de tout système efficace de protection sociale aggrave encore le fléau de la grande pauvreté. Les mécanismes actuels sont limités et, pour l’essentiel, réservés aux entreprises du secteur formel. Ils excluent l’économie informelle qui emploie la majorité des travailleurs. Conséquence : seulement 3 % de la population active tanzanienne sont couverts par un système de sécurité sociale. En outre, les institutions en place ne sont pas financièrement solides en raison de leur très mauvaise gestion. Faute d’une réforme énergique, le risque de banqueroute imminente pèse sur les trois caisses de retraite couvrant les travailleurs du secteur public, un problème aggravé par des réformes qui tardent à venir, en raison du manque d’intérêt politique qu’elle suscite. Parallèlement à ces réformes, la Tanzanie devra achever l’élaboration du Cadre de protection sociale ( National Social Protection Framework) en panne depuis 2011.

Article réalisé par African Economic Outlook

Qu’est ce qui se cache derrière les crimes rituels au Gabon ?

stopL’affaire a pris une telle ampleur qu’on ne saurait la reléguer au rayon de vulgaires « faits divers ». De 2005 à 2013, une vingtaine de corps sévèrement mutilés ont été retrouvés dans diverses localités du Gabon, un pays d’1,6 millions d’habitants. Ces crimes ont été désignés, dans un consensus quasi général, comme des « crimes rituels ». Derrière ce terme, l’opinion publique désigne la pratique, d’inspiration animiste et pseudo maçonnique, qui voudrait que certains hommes de pouvoir, dans leur désir d’en amasser encore, se livreraient à des pratiques mystiques à base de sacrifices humains. Cette version des faits est largement acceptée par la population gabonaise, alimentant un climat de défiance constant vis-à-vis d’une élite jugée au-dessus des lois – la plupart des crimes sont restés non élucidés. Ce climat de psychose est bien entendu entretenu par les médias locaux, et s’alimente de préjugés fortement ancrés. 

Cet article n’a aucune vocation d’élucidation criminelle. L’auteur, bien que résident au Gabon, n’a mené aucune investigation qui lui permettrait d’apporter des pistes nouvelles par rapport aux enquêtes en cours. Le sujet étant dramatique, puisqu’il concerne directement des dizaines de familles en deuil et des milliers d’autres apeurées, l’objet de l’article n’a aucune vocation polémique. Il est plutôt d’apporter une hypothèse constructive à un drame sans aucun doute complexe, qui semble pourtant faire l’objet d’un traitement outrancièrement simpliste. 

L’hypothèse des crimes rituels

Samedi 11 mai 2013, une grande marche a été organisée à Libreville, à l’appel de l’Association de Lutte contre les Crimes Rituels (ALCR). Les médias s’en sont fait largement les relais, plusieurs personnalités de premier plan y ont participé, et l’affluence était au rendez-vous. Cette marche cristallise l’exaspération de la population face à un phénomène tout désigné. Pas un jour sans qu’un média local ne s’en fasse l’écho. La plupart des conversations finissent par aborder le sujet. Les autorités ont été obligées de se saisir de la question, de promettre le vote d’une loi spécialement dédiée au phénomène, de mobiliser ostensiblement les forces de police (accusées de laxisme, de « deux poids deux mesures » vis-à-vis de commanditaires des crimes que l’on imagine au-dessus des lois) pour des contrôles massifs des véhicules après chaque disparition d’enfant signalée… Le crime rituel est sur toutes les lèvres au Gabon. 

D’une certaine manière, l’élite politico-affairiste gabonaise est en train de payer le prix du prestige dont elle a voulu se draper. Le problème remonte aux premières heures de l’indépendance. L’élite autochtone occidentalisée qui accéda aux manettes de l’Etat après 1960 s’est créé une légitimité aux yeux d’une population rurale traditionnelle en se parant de nouveaux attributs de puissance et de mystère (les deux étant liés), alliant des éléments issus de la Modernité occidentale (les rites maçonniques) et des éléments autochtones de mysticisme animiste. Omar Bongo Ondimba, président du Gabon pendant près de 40 ans, a surjoué de ces éléments. La mayonnaise a très bien pris dans une société historiquement imprégnée de croyances fortes sur les mystères de la nature et sur le « surnaturel ». 

Rappelons la caractéristique particulière du peuplement de la forêt équatoriale d’Afrique centrale. Cette forêt est difficile à pénétrer et offre relativement peu à chasser et à manger. Les cultivateurs bantouophones qui se sont installés sur ses terres aux alentours du X° siècle se sont donc concentrés sur des microenvironnements plus favorables (plaines non boisées, marais, rivières riches en poissons…). Ces pionniers défrichaient des parcelles où ils cultivaient du yam, du plantain et des palmiers à huile, dans un cercle concentrique autour des habitations humaines, lui-même entouré par les bois extérieurs, qui représentaient l’au-delà de la civilisation humaine, le domaine de l’inconnu, des esprits de la nature et des ancêtres. Jusqu’à ce jour, la forêt gabonaise recouvre 80% du territoire national, et les Gabonais continuent d’une certaine manière à être environné d’un univers qui leur échappe. Ce contexte favorise une appétence au surnaturel qui étonne bon nombre de ressortissants d’autres pays africains… Cela a été d’autant plus renforcé par le « cannibalisme » de ces éléments traditionnels par la Modernité sociale et politique gabonaise. 

DROGBALe fait que les plus hautes autorités du pays affichent ostensiblement leur adhésion à des loges maçonniques – dont la conception locale n’est que le pâle reflet des cercles de réflexion du siècle des Lumières, et s’apparentent plutôt à des clubs d’une caste élitiste qui se complait dans des rituels pseudo-mystiques désuets – crédibilise la thèse de la réalité sociale des pratiques mystiques, et de leur association aux cercles du pouvoir. La compétition aux faveurs au sein d’un système clientéliste qui nourrit quasiment l’ensemble de la population à des degrés divers, alimente la suspicion vis-à-vis des « réussites », forcément suspectes (« tel a commis tel crime ou s’est compromis de telle manière pour avoir sa promotion »). Dans cette économie rentière à élite prédatrice, la richesse acquise est présumée coupable, de même que la réussite tout court. De plus, héritage de l’époque où l’esclavagisme faisait rage, la croyance reste ancrée dans nombre de pays africains de la côte atlantique que la richesse s’acquière aux dépens des autres, par la sorcellerie et/ou le sacrifice de la vie d’un de ses proches.  

Ce contexte historique et culturel fait du Gabon un terreau particulièrement favorable à ce que la population prête une oreille disposée à l’hypothèse des crimes rituels. De fait, l’histoire n’est pas nouvelle. Les personnes âgées ne se souviennent pas d’une époque où l’on n’ait pas brandi cet épouvantail de l’insécurité. Toutes s’accordent toutefois à reconnaître que la psychose sociale autour des crimes rituels ait pris récemment une ampleur sans précédent. 

Une enquête menée au niveau mondial par l’institut de sondage Gallup révèle que la population gabonaise est la cinquième au monde à se considérer vivre dans la plus grande insécurité. Or, dans les faits, si l’on retient le critère matériel du taux d’homicides pour 100 000 habitants, le Gabon se classe au 56e rang mondial du pays le plus criminogène.  Il y a donc un gap important entre la réalité et la perception de la réalité. 

Comprendre la psychose sociale

La thèse défendue ici est que cette psychose relève plus de déterminants socio-politiques que d’une insécurité réelle. La psychose actuelle sur les crimes rituels est le résultat de la défiance totale entre la grande majorité de la population et les élites politico-économiques du pays d’une part, et le délitement plus général du pacte social gabonais. Le nouveau régime a changé de discours politique (forte orientation modernisatrice et économiste, autour du concept de l’Emergence), sans que la réalité concrète du pays, à savoir une plus forte inclusion politique, sociale et économique ne suive. Le système clientéliste traditionnel (recrutement des jeunes dans la fonction publique, diverses subventions sociales) revêt désormais un coût exorbitant que l’Etat ne peut plus se permettre. L’ancien système se meurt sans que le nouveau n’ait réellement pris le relais. 

C’est dans ce contexte que la moindre rumeur prend des tournures d’évènement national. Un sac rempli d’abats d’animaux est exposé comme une preuve supplémentaire de l’ampleur des crimes rituels. Les démentis officiels prouvant l’origine animale desdits abats sont tout de suite interprétés comme une volonté du pouvoir en place de cacher la vérité au bon peuple. Les personnes de bien ne veulent plus laisser leurs enfants se promener même le jour. Tout le monde se méfie de tout le monde, tandis que des prédicateurs charismatiques promettent, bible à la main, d’expurger le Mal du pays. 

Peut-être y a-t-il vraiment quelques crimes dont la motivation répond à la définition des crimes rituels. Un personnage de l’establishment a récemment été arrêté sous l'acte d'accusation de commanditaire d’un tel méfait. Sans doute y a-t-il des homicides « normaux » d’hommes et de femmes envieux, jaloux, sadiques, sanguinaires, qui déguisent leur acte en « crime rituel », histoire de détourner l’attention. Peut-être que ces mutilations criminelles nourrissent un trafic international d’organes ? Il peut y avoir mille et une raisons derrière un crime avec mutilation. N’en privilégier aveuglément qu’une seule n’est pas rendre devoir de justice aux victimes.  

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La vingtaine de crimes avec mutilation qui ont eu lieu ces dernières années au Gabon sont des horreurs auxquelles il faut mettre un terme. Pour cela, comprendre la motivation, les ressorts psychologiques, mais également l’inscription sociale et culturelle de ces actes criminels est une première étape indispensable. Ces crimes prennent une ampleur d’autant plus grande qu’ils ont lieu dans une société dont la torpeur s’est longtemps justifiée par la « paix sociale » qu’elle imposait, symbole de sa réussite. 

Pour mettre un terme à la psychose sur les crimes rituels, le gouvernement et la société gabonaise doivent accepter de se regarder sans peur dans le miroir. Accepter le fait que la société navigue aujourd’hui dans le flou, entre perte de repères et émergence de valeurs nouvelles qui peinent encore à s’imposer. Et trouver en elle-même les forces de créer les conditions radicales d’un climat de confiance pour rebâtir son pacte social. 

 

André LIRASHE

L’Afrique du Sud veut écrire un nouveau chapitre de son histoire : (1) un bilan accablant

Mandela_and_deKlerk_0Près de vingt ans après son arrivée démocratique au pouvoir et la planification de ses objectifs à travers le Reconstruction & Development Programme (RDP), le gouvernement de l’ANC tire un bilan de son action et fixe les grandes lignes de sa volonté politique et économique d’ici à 2030, pour la prochaine génération de Sud-Africains. 

L’Afrique du Sud de 1994 n’était pas en forme. Le pays sortait péniblement de plusieurs décennies de divisions internes, de haines raciales cristallisées par un régime de l’apartheid qui discriminait systématiquement la grande majorité de la population. L’Afrique du Sud de l’apartheid avait été mise au ban de la communauté internationale. La situation économique s’en ressentait fortement puisque, depuis 1974, le PIB per capita déclinait en moyenne de 0,6% par an. C’est donc de cette situation difficile qu’héritait le nouveau pouvoir de l’African National Congress (ANC) de Mandela lorsqu’il remporta les premières élections démocratiques du pays le 27 avril 1994.   

Le Reconstruction & Development Programme (RDP) synthétisa à la fois les ambitions et la lecture politique et économique du nouveau pouvoir en place. Le but du RDP était double : d’une part, construire un Etat Sud-africain uni, non-racial et non sexiste ; d’autre part, réduire drastiquement la pauvreté qui concernait prioritairement la population noire du pays et atténuer les fortes inégalités sociales bâties sur les fondations de l’apartheid et de l’époque coloniale. Pour ce faire, le RDP prévoyait notamment de nationaliser les grands secteurs de l’économie, de redistribuer 30% des terres agricoles et de bâtir un million de logements neufs. 

La mise en œuvre de ce plan rencontra de très sérieux obstacles, parmi lesquels les délocalisations de sièges sociaux de multinationales sud-africaines (au premier rang desquelles De Beers qui s’installa en Suisse) ;  une augmentation du chômage suite à une restructuration de la Fonction Publique ; une baisse de la productivité agricole liée aux incertitudes des détenteurs de capitaux du secteur ainsi qu’au fait qu’une part importante de la main d’œuvre longtemps sous-payée décida de quitter ce secteur d’activité ; de manière générale, le ralentissement des investissements des détenteurs de capitaux, souvent liés à l’ancien régime, eut un effet de contraction sur l’économie. De 1994 à 1996, le PIB croissait tout juste au même rythme que la démographie. 

Face à cette situation, et sous l’impulsion de Thabo Mbeki, l’ANC décida en 1996 de réorienter sa politique pour rassurer les investisseurs nationaux et internationaux, ce qui se traduisit par un nouveau plan stratégique Croissance, Emploi et Reconstruction (CER). Le gouvernement sud-africain abandonna les nationalisations et privilégia les privatisations, baissa ses droits de douane dans l’optique de stimuler la compétitivité, encouragea la flexibilité du marché du travail. A juste titre, cette réorientation fut jugée comme le tournant libéral d’un ancien parti marxiste. 

En 1999, l’ANC fait voter la loi sur l’équité, complétée en 2003 par l’adoption du Broad-Based Black Economic Empowerment Act,  deux mesures ayant rendu obligatoire la participation des populations noires en tant qu’employés et actionnaires dans les entreprises sud-africaines, ce qui a favorisé l’émergence d’une classe moyenne aisée noire, les buppies (black urban professionnals), regroupant selon les estimations 3,5 millions de personnes, soit environ 10% de la population noire sud-africaine. Le CER eu un impact plus douloureux sur la population non adaptée aux besoins du marché du travail. Les privatisations d’entreprises publiques ont conduit à des plans de restructuration pour gagner en compétitivité qui ont détruit près de 500 000 emplois peu qualifiés en l’espace de trois ans. Actuellement, le taux de chômage officiel est de 23,9% (chiffres début d’année 2012) pour l’ensemble de la population et de 50,5% pour les jeunes. 

NPCDiagnosticL’arrivée au pouvoir en 2009 du président Jacob Zuma a coïncidé avec la volonté pour l’ANC de porter un regard critique sur son propre bilan afin de construire, sur cette base, les lignes de son projet d’avenir pour l’Afrique du Sud. Une démarche rigoureuse et honnête qui mérite d’être saluée. Cette tâche difficile a été confiée à Trévor Manuel, ancien ministre des Finances sous les deux mandats de Thabo Mbeki.  En juin 2011, un premier Rapport de Diagnostic sur le bilan de l’ANC est rendu public. Ce diagnostic est sans concession, qui reconnaît d’emblée que « les conditions socio-économiques qui ont caractérisé le système de l’apartheid et du colonialisme définissent encore largement notre réalité sociale ». Tout en se félicitant des réelles avancées connues depuis 1994 – l’adoption d’une nouvelle Constitution pour l’égalité des droits et l’établissement de la démocratie ; le rétablissement de l’équilibre des finances publiques ; la fin des persécutions politiques de l’apartheid ; l’accès aux services publiques de première nécessité (éducation, santé, eau, électricité) pour des populations qui en étaient privées – le rapport de diagnostic reconnait que la situation présente de l’Afrique du Sud pose problème. La pauvreté reste endémique et les inégalités socio-économiques ont continué à se creuser, faisant de la Nation arc-en-ciel le deuxième pays le plus inégalitaire au monde après le Lesotho[1].

Le Rapport de Diagnostic constate que le RDP n’a pas atteint son objectif de réduction de la pauvreté et des inégalités. Selon les auteurs du rapport, deux raisons principales expliqueraient cet échec du RDP : tout d’abord une confiance démesurée dans les capacités de l’Etat à transformer seul la réalité socio-économique du pays, qui a conduit à un manque de coordination entre l’Etat, le secteur privé et la société civile ;  ensuite, une mauvaise anticipation des chocs externes et du changement de l’environnement international. « Les effets de la crise asiatique en 1998, de la chute du rand en 2001, de la crise financière internationale en 2008 et la réorientation des tendances du commerce et des investissements internationaux ont été significatifs sur l’Afrique du Sud », reconnait le document. 

Le Rapport de Diagnostic identifie 9 principaux challenges à relever pour l’Afrique du Sud :

1.      Trop peu de personnes travaillent

2.      Les standards d’éducation pour la plupart des élèves et étudiants noirs sont de mauvaise qualité

3.      Les infrastructures du pays sont mal situées, sous-entretenues et insuffisantes pour soutenir la croissance économique

4.      L’aménagement spatial du pays exclut les pauvres des fruits du développement

5.      L’économie est trop dépendante de l’exploitation des ressources, et de manière non soutenable

6.      Les pandémies sanitaires sont aggravées par un système de santé publique défaillant

7.      Les services publics ne sont pas équitablement distribués et souvent de mauvaise qualité

8.      La corruption est très répandue

9.      L’Afrique du Sud reste une société divisée

Le National Development Plan : vision 2030 South Africa (NDP) se conçoit comme une réponse à ces défis. Ce document fixe les grandes ambitions de l’Afrique du Sud à horizon 2030 et identifie certains moyens d’y parvenir. 

A suivre : L'Afrique du Sud veut écrire un nouveau chapitre de son histoire : (2) une stratégie 2030 à la hauteur des défis ?

Emmanuel Leroueil

[1] : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/rankorder/2172rank.html

Véronique Tadjo : Loin de mon père

Veronique Tadjo Loin de mon pèreNina est une jeune femme vivant en Occident qui rentre en Côte d’Ivoire à l’occasion du décès de son père, le docteur Kouadio Yao, un des premiers cadres de ce pays. Elle semble avoir quittée ce pays depuis longtemps. Nina nous conte ce retour contraint pour les funérailles du père. Un élément intéressant à savoir est que chez les populations du sud de la Côte d’Ivoire, ces funérailles peuvent être extrêmement longues et durer plusieurs semaines voir plusieurs mois.

Nina est assistée par la famille de son père qui prend en charge l’organisation de la veillée funéraire, laissant à la jeune femme le temps de mettre de l’ordre dans les affaires de son père, de mieux se remémorer divers souvenirs sur cette figure emblématique que fut son père, son enfance, sa mère européenne qui a suivi son homme en Afrique, sa sœur aînée, rebelle et en rupture avec la famille. Le souvenir d’une enfance et d’une adolescence dans un pays apaisé. Mais la Côte d’Ivoire a changé depuis la rébellion de 2002.

Les comportements ont évolué. La corruption s’est installée, les armes sont beaucoup plus visibles. Nina poursuit ses investigations dans la paperasse du père et découvre ses créances, ses ambitions brisées pour son pays, les errements d’un intellectuel africain éternellement écartelé entre son savoir scientifique et les exigences d’une société ancrée dans ses traditions, les raccourcis irrationnels… Nina mesure la pression sociale exercée sur cet homme généreux. Mais ce n’est que la face cachée de l’iceberg, quand elle découvre les frères et sœurs que le docteur Kouadio a toujours caché à ses filles aînées, Nina tombe de très haut

Je suis avec beaucoup d’intérêt la production littéraire de Véronique Tadjo. J’aime son originalité, la pertinence de son discours, sa manière de dénoncer l’air de rien de nombreuses tares de ces sociétés africaines. Ici, encore, elle met le doigt sur tout le faste qui entoure ces funérailles, mais elle montre surtout la posture complexe de l’intellectuel africain. Certes, ici il s’agit d’une figure de la génération des indépendances, polygame dans l’âme malgré un progressisme de façade. Mais c’est aussi une plongée dans l’hypocrisie familiale qui entoure souvent les couples mixtes en Afrique, où les enfants sont élevés dans des cercles de mensonges.

Le personnage principal exprime sa rage face à cette figure si aimée mais si méconnue que fut son père. L’écriture de Véronique Tadjo est simple, sans emphase particulière, l’émotion et l’intérêt naissant des maux narrés plus que mots usités. C’est que j’aime, chez cette auteure, la richesse et la justesse de son propos.

 


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Véronique Tadjo, Loin de mon père

Editions Actes Sud, 177 pages,

1ère parution 2010

Revue parue initialement "Chez Gangoueus"

 

Interview de Sylvestre Ouedraogo, président de l’association Yam Pukri au Burkina Faso

sylvestre ouedraogoM. Sylvestre Ouedraogo, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Je suis enseignant chercheur en économie et Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) à l’université Ouaga 2. Je suis également le président de l’association Yam Pukri, spécialisé dans les TIC pour le développement depuis 1997. Nous sommes une structure pionnière en la matière en Afrique de l’Ouest. Je coordonne plusieurs projets et initiatives en matière de TIC pour le développement.

Pourvez-vous nous parler plus précisément de votre association Yam Pukri (éveil d’intelligence) ?

J’ai constaté qu’en Afrique, nous avons les capacités, mais il nous manque le courage, les initiatives pour éveiller notre potentiel. C’est pour cette raison que j’ai créé Yam Pukri pour accompagner les Africains surtout les jeunes à mettre en valeur leur capacité. J’ai choisi les TIC pour le développement comme tribune d’expression.

Nous travaillons avec le CTA (Centre Technique de Coopération  Agricole et Rurale) depuis une dizaine d’année. Ils apprécient ce que nous faisons et utilisent Yam Pukri parfois comme prestataire pour exécuter certains travaux sur le terrain. Le siège se trouve aux Pays-Bas. Nous sommes impliqués également dans certaines initiatives du CTA comme le projet ARDYS, qui vise à faire des TIC un instrument pour les jeunes agriculteurs dans les pays ACP. A ce propos, nous avons déjà mené pas mal d’action comme des formations, des concours d’écritures, de création de blogs sur le thème de « TIC et agriculture pour les jeunes en milieu agricole en dans les pays ACP ». Pour résumer, il faut dire que le CTA est spécialisé dans l’information agricole.

Vous avez la particularité d’utiliser les Technologies de l’Information et de la Communication, notamment le Web 2.0 au service du développement agricole et rural. Qu’en  est-il exactement ?

C’est vrai que Yam Pukri est devenue une organisation de référence en Afrique de l’Ouest en matière de formation en TIC pour le monde rural et en recherches de solutions de TIC simplifié pour le monde rural.

Dans tous les domaines de compétences, les TIC offre des opportunités, et nous sommes convaincus que le monde rural peut en profiter en utilisant les médias sociaux. On peut en effet réduire les couts de suivi-évaluation des projets agricoles en utilisant les blogs, les formulaires en ligne. On peut accroitre l’efficacité de la communication interne et externes des organisations coopératives par l’usage de la téléphonie sur IP (skype, google drive et autres) on peut également faire du plaidoyer en matière agricole en utilisant les blogs, les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. Sans oublier que la formation et l’information agricoles peuvent être améliorées avec les outils de publications en ligne.

On a également vu que l’usage de certaines plateformes peut permettre de diffuser les prix agricoles et de synthétiser des offres et des demandes de produits avec par exemple  frontlineSMS.

Au regard du faible niveau d’instruction du monde rural dans les pays ACP, comment ces technologies sont-elles accueillies et comment procédez-vous ?

On regrette toujours cet aspect et on continuera à faire en sorte de le remédier ainsi que globalement nos autres faiblesses. Mais il faut que nous développions des stratégies propres pour les suppléer. Nous pensons qu’il faut travailler avec des organisations bien organisées. Ainsi elles vont avancer et aspirer les autres dans le sillage. Il faut également dire que nous travaillons de manière incitative en montrant le potentiel des outils à améliorer les choses sur le terrain. Quand le paysan y voit son intérêt, il développe ses propres capacités

Le CTA vient de remporter à Genève le premier prix SMSI 2013 dans la catégorie C7 (Applications e-agriculture) avec vos formations ‘’Opportunités d’apprentissage du web 2.0 et des medias sociaux’’. Quelles sont vos impressions ?

Le CTA le mérite bien parce qu’il a appuyé pleins d’initiatives de formations et d’informations sur le sujet. C’est la seule organisation à ma connaissance qui a su utiliser une expertise locale de façon intelligente pour faire ses formations, ce qui garantit un meilleur succès et une bonne continuité dans le transfert de connaissances.

Quel est votre regard sur l’état actuel des politiques agricoles africaines ?

Les politiques agricoles africaines, je parle de l’Afrique Subsaharienne que je connais le plus, n’ont pas trop changé dans les faits depuis les indépendances. On a continué malgré toutes les tentatives à accroitre notre dépendance sur le plan alimentaire en important de plus en plus des produits alimentaires. Il faudrait que l’on prenne les politiques agricoles comme un tout en intégrant plusieurs aspects et en travaillant à l’échelle régionale pour créer des interdépendances entre pays, à l’intérieur d’un pays et entre régions. On a trop tué des énergies en voulant trop faire. Par exemple, si une zone est adaptée pour l’élevage, il faut investir sur ça au lieu de vouloir forcément y faire du riz. Un autre aspect qui est important est le faible degré de transformations des produits alimentaires locaux ainsi que la problématique des transports qui jouent sur le prix des produits sur les marchés. Il commence à se dessiner néanmoins des traces sérieuses d’orientations et actions basées sur les approches chaînes de valeur en prenant en compte les outils TIC qui, si c’est bien soutenues pourront aider grandement à infléchir les tendances inquiétantes de pertes de revenus des producteurs agricoles.

Quel sera votre mot de la fin ?

Il faut qu’en Afrique et surtout au Burkina, nous revenions à la pensée que des choses positives se font tous les jours en dehors des grands projets ronflants. Nous devons encourager les petites initiatives et les documenter et ensuite, les diffuser via de supports multiples. Des solutions à notre portée existent dans les différents aspects du développement et nous devons les chercher et les diffuser. Actuellement, nous utilisons des ordinateurs un milliard de fois plus puissant que le calculateur que les Américains ont utilisé pour aller sur la lune, mais on ne fait presque rien avec, sauf consulter nos mails.

Interview réalisée pour Terangaweb-L'Afrique des Idées par Ismaël Compaoré

Portraits d’Afro-responsables

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre (1961)

A la rentrée 2012-2013 l’Education nationale française a intégré au programme de géographie des classes de Terminale un nouveau chapitre intitulé « L’Afrique : les défis du développement » ! C’est dire si l’heure est à la prise de conscience que désormais il faudra compter avec l’Afrique. L’indéniable émergence du continent africain se fait par le bas…ou le haut, selon l’échelle que l’on retient. Convaincus qu’ « il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action »[1], de jeunes africains, la véritable manne du continent, agissent tous les jours, à leur niveau pour donner un sens à l’afro-responsabilité.

Ils sont quatre jeunes africains, pas trentenaires ou à peine, à qui j’ai demandé de me parler de leurs activités et du sens qu’ils donnent à l’expression « afro-responsabilité ».


385917_2895783839254_845707110_nElom Kossi 20ce est un rappeur et activiste togolais, il se définit comme « un griot contemporain, qui essaye de cicatriser à travers l’art oratoire et l’écriture, les profondes plaies de l’Afrique ». Il est à l’origine du concept d’ « arctivisme », contraction des mots art et activisme désignant le militantisme sociopolitique porté par l’art ; le dernier chapitre d’Arctivism a vu Elom 20ce et son équipe se déplacer à Cotonou au Bénin pour faire découvrir l’histoire de Toussaint Louverture. On doit aussi à l’infatigable Elom le « Cinéreflex » contraction des mots Cinéma et Réflexion, un rendez-vous mensuel pour réfléchir sur les problèmes contemporains de l’Afrique et du monde en relation avec notre histoire. Elom 20ce a réussi à faire de sa musique un vecteur de transmission et d’éveil des consciences. Il a sorti un maxi, Légitime Défense, en janvier 2010 suivi en 2012 par l’album Analgézik, disponible « dans toutes les bonnes pharmacies ». L’afro-responsabilité pour Elom c’est la prise en main de la destinée de l’Afrique par les Africains. Elom 20ce sera en concert-live à Lomé le 10 août prochain.

 


976990_10200741548274601_340972181_oEn octobre 2012 j’assiste au chapitre parisien d’Arctivism consacré à Thomas Sankara. Dans la salle, beaucoup de visages connus. Un débat suit la projection d’un documentaire sur la vie de Sankara, une main se lève, puis une voix, étonnamment douce. Je me retourne, visage connu encore. Enorme contraste entre cette voix et la force des propos de celle qui la possède. Lena a 25 ans, elle est togolaise et vit à Paris. Sous son apparence frêle se cache une redoutable femme d’affaires qui vient de lancer la Nana'secrets, une beautybox qui révèle chaque mois aux femmes, les produits de beauté inspirés du terroir Africain. Ce projet réunit les trois grandes passions de Lena : l’Afrique, les affaires et la beauté. Pluridisciplinaire, Lena tient aussi un blog Nana Benz et est un membre actif de l’association AfreecaTIC qui se donne pour objectif la vulgarisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Afrique ainsi que l’accès à l’énergie et la protection de l’environnement. Pour Lena, être afro-responsable c’est « apporter une pierre au chantier du développement africain ». Victime de son succès, la toute première box Nana Secrets est déjà en rupture de stock, celle de Juin arrive très bientôt…

 


383521_609792782373486_67387218_nLe 28 mai 2013 un dîner de gala donné en présence d’ambassadeurs de pays africains et des Etats-Unis a marqué à Accra le lancement officiel du livre « From Nowhere to Somewhere ». L’auteur, I.K Adusei, n’est pas vraiment un inconnu pour la centaine d’invités. Diplômé de Sciences politiques de l’Université du Ghana, Isaac a à peine 24 ans. Fort de la conviction qu’une jeunesse responsable et instruite doit être l’épine dorsale d’une Afrique qui se relève, il a créé en 2009 –à 20 ans !- le Youth Rights Watch Initiative International, une ONG qui mène des projets et des programmes orientés vers la responsabilisation de jeunes ghanéens et africains. Isaac s’est fait le porte-parole d’une jeunesse forte et est régulièrement invité à participer à des conférences. En 2012 son poème « The choice at the cross road » a été parmi l’un des rares écrits africains retenus par l’ONU dans le cadre du UN Poetry for Peace Contest. Pour Isaac l’afro-responsabilité c’est le destin de l’Afrique entre les mains des Africains. Il n’est pas aisé de faire une synthèse des activités de ce jeune qui se définit sans détour comme un panafricaniste, nourri de la mémoire et des œuvres de son illustre compatriote Kwame Nkrumah, tant le jeune homme est insaisissable, foisonnant de projets et d’initiatives toujours orientés vers l’émergence du continent africain à travers ses jeunes. Isaac K. Adusei. Retenez ce nom : il pourrait bien être, dans quelques années, celui de l’autre ghanéen qui occupe le poste qui a longtemps été celui de Koffi Annan.


319139_10150420171962674_527661021_n(Re)construire l’Afrique par ce qui est sa première richesse : les enfants. Cela pourrait être la devise d’Ablavi Gokou. Cela fait bientôt dix ans que j’ai la chance de côtoyer Ablavi et dix ans donc que je la vois faire échec à l’acception –masculine – selon laquelle la femme est le sexe faible. Née à Lomé, Ablavi a vécu un peu partout en Afrique avant d’arriver en France en 2002. Titulaire d’un Master de Droit international, elle avait hâte de quitter la France pour exercer ses compétences là où on en a réellement besoin : en Afrique. Ablavi ne voulait pas figurer dans cette galerie de portraits, « je n’ai encore rien fait » me dit-elle. Certes. Si l’on considère qu’une vie dévolue à l’humanitaire entre Nairobi, Conakry, Lille, Paris, Bruxelles, Le Caire, Bobo Dioulasso, Lomé, n’est « rien ». Lorsque ses études l’emmènent au Caire pour des recherches sur les minorités et le droit à l’éducation, le stage seul ne suffit pas à cette battante, elle veut se sentir utile, et comme souvent c’est auprès des enfants qu’elle nourrit ce besoin. Six mois à s’occuper de jeunes réfugiés soudanais déplacés par la guerre.

A travers le continent, des jeunes dévoués, sérieux et déterminés, travaillent en silence et avec acharnement au développement du continent africain. Compagnons de barricade, éclaireurs et bâtisseurs d’une nouvelle Afrique, ils nourrissent et réaffirment notre foi dans la jeunesse africaine.

Liens :

http://www.elom20ce.com/

http://nanasecrets.com/ 

http://www.un.org/disarmament/special/poetryforpeace/poems/adusei/

http://worldwriteafrica.wordpress.com/ 


[1] Victor Hugo

 

 

 

 

 

 

 

L’Enseignement supérieur en Afrique (1) : Etats des lieux et défis

diplômés africainsL’éducation est l’un des moteurs de la croissance économique et du développement humain. Cette assertion est depuis longtemps reconnue par les experts et  organisations internationales. Si les niveaux primaire et secondaire font l’objet d’investissements pour le développement de l’Afrique, l’apport  du niveau supérieur à la croissance africaine a longtemps été négligé. Avec la nécessité d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) pour réduire la pauvreté, l’intérêt pour l’enseignement supérieur devient aujourd’hui incontournable pour assurer une croissance inclusive. Ne serait-ce que pour le rattrapage des pays avancés, les pays africains ont besoin d’ingénieurs, de cadres et de chercheurs capables de comprendre et de mettre en œuvre les nouvelles technologies inventées dans les pays développés. En présentant l’état des lieux et les défis de l’enseignement supérieur en Afrique, cet article introduit une série de publications sur l’analyse et la compréhension des différents modèles universitaires africains.

Etat des lieux : Un secteur en crise

Le système universitaire africain traverse une crise: deux constats amènent à cette conclusion. D’abord, le rayonnement international des établissements africains est à construire. D’après le classement mondial de Shanghai, une seule université africaine se positionne dans le top 300 alors qu’on y décompte 130 universités américaines, 123 universités européennes et 35 universités asiatiques. A l’échelle internationale, les universités africaines ont donc une place à conquérir.

Ensuite, les étudiants africains ont une mobilité importante. Pour beaucoup de pays africains, le taux de mobilité vers l’étranger  (rapport entre le nombre d’étudiants africains à l’étranger et celui des étudiants restés dans les établissements nationaux) était supérieur à 25% en 2008.  Celle-ci s’effectue à la fois au sein du continent et à l’extérieur de celui-ci. Le graphique ci-dessous montre les principales destinations prisées par les étudiants mobiles d’Afrique.

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Cette mobilité pourrait être envisagée de façon positive. En effet, elle est vectrice de gain de productivité pour le continent car les étudiants partis étudier à l’étranger gagnent en expertise. Cependant, pour que ces gains de productivité soient effectifs, il faudrait que les étudiants mobiles reviennent dans leur pays d’origine. Or, bien souvent l’effet inverse se produit, l’Afrique est victime d’une « fuite de cerveaux ». Cette mobilité est souvent le reflet d’un mal-être de l’enseignement supérieur africain. Les étudiants immigrent car ils trouvent des opportunités meilleures hors de leur pays.

Les défis : gérer les effectifs et accroître les ressources

Comment expliquer un tel retard de l’enseignement supérieur africain? Quelles sont les défis à relever ?

Les rapports de la Banque mondiale (*) et de l’Unesco (**) nous permettent de distinguer les problèmes majeurs qui entravent le rayonnement de l’enseignement supérieur en Afrique.

L’enjeu clé pour le continent africain est  de faire face à la croissance explosive des effectifs dans l’enseignement supérieur. Ainsi, les effectifs scolarisés en Afrique subsaharienne sont passés de 200 000 à 4,5 millions entre 1970 et 2008 selon le rapport de la Banque Mondiale. Cette augmentation fulgurante des effectifs a été soudaine et peut en partie s’expliquer par le développement de la scolarisation au niveau secondaire. Les universités, peu préparées aux répercussions d'un tel accroissement ont tenté d’accorder des places à cette nouvelle masse d’étudiants au détriment de la qualité de l’enseignement. Ce manque de places au sein des universités  est d’autant plus alarmant qu’on constate que la participation à l’enseignement supérieur des populations d’Afrique subsaharienne est très en dessous de la moyenne mondiale. En effet, leur taux brut de scolarisation (TBS) est de 6% en 2007 contre un taux brut mondial de 28%, selon les données statistiques de l’Unesco. Qu’arrivera-t-il alors lorsque la participation scolaire africaine aura rattrapé la moyenne mondiale ?

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Source: Institut Statistique de l’Unesco

On sait que la demande de scolarisation n’ira pas  en diminuant étant donné les perspectives démographiques des années à venir. Il est donc urgent pour les universités africaines d’apprendre à gérer la croissance des effectifs scolarisés tout en maintenant la qualité de leurs formations.

Pour résoudre ce premier problème, il faut en solutionner un second : l’insuffisance des ressources des universités africaines. Bien que la situation reste très contrastée à l’échelle continentale, on constate que de nombreux pays au bas taux de scolarisation brut souffrent d’un coût unitaire par étudiant très élevé. Selon le bulletin d’informations de l’Unesco,  Le Burkina Faso, le Burundi, l’Éthiopie, le Madagascar, le Niger, le Rwanda, l’Ouganda, la République Centrafricaine et le Tchad présentent des niveaux de dépenses publiques concernant l’éducation qui dépassent 100 % du PIB par tête, alors que leur TBS pour l’enseignement supérieur est inférieur à 5 %. Si à long-terme la réduction des coûts unitaires par étudiant est inévitable ;  à court-terme il est important pour les universités africaines  de réorganiser la répartition de leurs ressources, afin d’encourager la recherche et le renouvellement des outils pédagogiques. Ces deux défis passent par l’autonomisation financière de l’enseignement supérieur vis-à-vis de l’Etat.

Par ailleurs, pour contribuer à la croissance de demain, l’enseignement supérieur africain doit réussir à adapter son offre de formation à l’offre du marché de l’emploi. Il faut que les étudiants puissent être orientés vers les filières porteuses d’emplois et encouragés à se tourner vers des métiers créateurs d’emplois tels que l’entreprenariat, l’agriculture, les NTIC et les énergies renouvelables.

Le dernier enjeu n’est pas des moindres, l’enseignement supérieur africain devra réduire les inégalités entre les sexes. Malgré une évolution notable, les femmes sont toujours sous-représentées  en matière de scolarisation supérieure dans le continent africain. Le TBS dans l’enseignement supérieur des femmes en Afrique subsaharienne s’élève à 4,8 %, contre 7,3 % pour les hommes selon les données statistiques de l’Unesco.

C’est en gardant en mémoire ces différents enjeux que l’on s’intéressera aux universités d’Afrique. Comment s’adaptent-elles à ces différentes contraintes ? Quelles sont leurs atouts et leurs défauts ? Quel avenir réservent-t-elles à l’Afrique ? Comment peuvent-elles contribuer à une croissance inclusive en Afrique ?

Débora Lésel


(*)Document de travail de la Banque Mondiale n°103 : « Enseignement supérieur en Afrique francophone. Quels leviers pour des politiques financièrement soutenables »

(**) Bulletin d’informations de l’ISU. Décembre 2010.N°110 « Tendance dans l’enseignement supérieur : l’Afrique subsaharienne »

Analyzing the Incidence of Growth on Inequalities in Africa: Evidence from Cameroon, Tanzania and Senegal

Présentation (après clic)

Au cours de la dernière décennie, l'Afrique a connu une croissance économique forte et stable ; cependant le nombre de pauvres reste encore élevé et les inégalités persistent. Entre 2003 et 2011, le taux de croissance moyen avoisine 5,2% ; tandis que la part de la population vivant avec moins de 1,25 dollars par jour a seulement diminué de 7 points en pourcentage, passant de 47 à 40% entre 2002 et 2008. Ce fait paradoxal a soulevé un débat sur l'incidence de la croissance sur la pauvreté et l'inégalité des revenus en Afrique (Chen et Ravallion, 2010; Sala-i-Martin & Pinkovskiy, 2010).

En effet, pendant longtemps, il y a eu un débat sur la relation entre croissance économique et réduction de la pauvreté et des inégalités. Certains chercheurs comme (Aghion et al., 2004) soutiennent que la croissance économique réduit nécessairement la pauvreté et les inégalités alors que d’autres comme (Bernajee et Duflo, 2000) pensent que c’est plutôt la réduction de la pauvreté et des inégalités qui est source de croissance. Aujourd’hui plusieurs études empiriques comme celle de (Fosu, 2008) montrent que la croissance est source de réduction de la pauvreté et des inégalités à condition que les inégalités et la pauvreté ne soient pas trop élevées et persistantes. Autrement dit, il faut que la croissance soit inclusive (Ali et Son, 2007).

Dans le contexte africain, où il y a une divergence entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté et des inégalités, nous avons besoin de comprendre comment rendre la croissance inclusive. C’est pour cela que cette étude examine le caractère inclusif de la croissance dans trois pays africains ayant eu au cours de la dernière décennie une croissance économique inférieure (Cameroun), supérieure (Tanzanie) et juste égale (Sénégal) à la moyenne africaine. Typiquement, nous regardons comment la distribution des revenus et des dépenses des ménages a évolué au cours des vingt dernières années. Une attention particulière est accordée à l’évolution entre les classes de revenus/dépenses, les générations de naissances et les milieux de résidence.

Les résultats de cette étude vont compléter ceux d’une étude similaire actuellement menée par l’Université des Nations-Unies sur d’autres pays africains. Cet ensemble de résultat servira de base pour identifier les structures économiques qui favorisent la croissance économique. Par ailleurs, nos résultats peuvent être utiles aux investisseurs privés dans la mesure où ils mettront en évidence l’étendue et l’évolution des différentes classes de revenus (notamment la classe moyenne) au Cameroun, en Tanzanie et au Sénégal.

Equipe :

Georges Vivien Houngbonon, Doctorant en Economie à PSE

Nathalie Pons, Doctorante en Economie à PSE

Hédi Brahimi, Assistant de recherche à PSE

Arthur Bauer, ENSAE

Clara Champagne, ENSAE

Jeanne Avril, ENSAE

Tite Yokossi, Doctorant au MIT

Abdoulaye NDIAYE, Polytechnique

Projets à venir : à compléter par les autres rubriques

  • Comment transformer les ressources naturelles en capital humain : Mise en place d’un modèle de micro-simulation de l’impact des politiques de transferts conditionnels sur le développement humain
  • Comment devrait évoluer le poids accordé aux différents niveaux d’éducation ?
  • Comment adapter la régulation (bancaire, télécommunications et autres industries de réseaux) à la transition vers le « tout numérique »

Projets terminés :

Vide pour le moment. Devrait contenir les rapports des différents projets achevés.


Georges Vivien Houngbonon*

Nathalie Pons*

Hédi Brahimi*

Arthur Bauer**

Clara Champagne**

Jeanne Avril**

Tite Yokossi***

 

Abstract:

Over the past decade, Africa has witnessed stable and high economic growth; yet the decline in poverty is weak. Between 2003 and 2011, the average growth rate was about 5.2 percent while the headcount poverty index has only declined by 7 percentage points, from 47 to 40 percent between 2002 and 2008.[1] This paradoxical fact has raised a debate about the incidence of growth on poverty and inequality in Africa (Chen & Ravallion, 2010; Sala-i-Martin & Pinkovskiy, 2010). However, the way in which the labor force participates and benefits from growth is not the same across the African countries, as they do not have similar economic performance or structure. In that respect, it is insightful to study the incidence of growth in several countries to learn about the potential causes of the mismatch between economic growth and inequality reduction in Africa.

In order to provide a representative view of the incidence of growth in Africa, we focus on three countries which have performed under (Cameroon), above (Tanzania) or similar to (Senegal) the African average level.[2] In this study, we describe how economic growth has changed the distributions of income and expenditures across individuals, generations, and regions.

We rely on households surveys conducted in Cameroon (1996, 2001, 2006), Tanzania (1994, 2008, 2010) and in Senegal (1994, 2001, 2005) to answer this question. While previous studies have focused on the bottom of the income distribution, we take a step forward by analyzing the evolution of the whole distribution of individual’s income, in line with the growth incidence curve (GIC) approach developed by Chen and Ravallion (2003). One of the limitations of the growth incidence curve usually found in the literature is the possibility that individuals might have moved from one quantile to another between two waves of survey. By using birth cohorts, we are able to follow the same individuals over several years.

Furthermore, by focusing on the evolution of the whole income distribution across individuals, generations and regions, this study is closely related to the emerging literature on inclusive growth (Ali and Son, 2007). Therefore, the results of each country will be correlated with the macroeconomic and demographic variables in order to identify potential public policies that could generate more inclusive growth in Africa.

 

References:

 

Ali, Ifzal & Son Hyun Hwa, 2007. « Measuring Inclusive Growth » Asian Development Review, vol. 24, no. 1, pp.11-31

Ravallion, Martin & Chen, Shaohua, 2003. "Measuring pro-poor growth," Economics Letters, Elsevier, vol. 78(1), pages 93-99, January.

Chen, Shaohua & Martin Ravallion, 2010. "The Developing World Is Poorer Than We Thought, but No Less Successful in the Fight Against Poverty," The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, vol. 125(4), pages 1577-1625, November.

Xavier Sala-i-Martin & Maxim Pinkovskiy, 2010. "African Poverty is Falling…Much Faster than You Think!," NBER Working Papers 15775, National Bureau of Economic Research, Inc.

 

 

 

 

 

 


[1] According to the growth rate reported in the African Economic Outlook, 2012. Figures on the poverty headcount are obtained from the PovcalNet website. Seven African countries are missing in the calculations.

 

 

 

 

[2] According to the African Economic Outlook Report, between 2003 and 2011, the average growth rate was about 3.1% in Cameroun, 7% in Tanzania, and 4.2% in Senegal.

¤ This study is conducted as part of the research undertaken by the Think-Tank “L’Afrique des Idées”. (www.terangaweb.com)

* Paris School of Economics. ** ENSAE-Paristech. *** MIT. Corresponding author: h.gvivien@yahoo.com