L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (1ère partie)

 

Après avoir voté « oui » au référendum de 1958 portant sur la Constitution française de la Vème République, le Sénégal est par la suite devenu membre de la communauté franco-africaine. Cette forme juridique d’Etat n’obéit nullement aux modèles classiques de la Fédération ou de la confédération, c’est un modèle « sui-generis » qui semblerait vouloir cultiver « le lien de solidarité liant la France » à ses anciennes colonies. En 1959, l’Assemblée territoriale donne au gouvernement la possibilité de rédiger un projet de constitution, quand bien même la souveraineté internationale n’était pas acquise. C’est ainsi que l’Assemblée territoriale, érigée en Assemblée Constituante, adopte à la majorité de ses membres la Constitution du 24 Janvier 1959. Socle idéologique et juridique de l’Etat du Sénégal, il pose les principes fondamentaux autour desquels veut se réunir le peuple du Sénégal. C’est notamment la forme républicaine de l’Etat, l’entérinement de la laïcité ou encore la protection des droits et libertés fondamentaux.

Le choix du modèle de la démocratie représentative, teintée d’une onction de la démocratie populaire est évident en ce  que la Constitution parle d’elle-même : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exprime par ses représentants ou par référendum. » Se pose ainsi la question de savoir qui sont ces représentants du peuple ? Quelles sont leurs prérogatives ? Dans quelles mesures leurs actions peuvent-elles compromettre la nature du régime politique ?

Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le régime parlementaire sous-entend une collaboration des pouvoirs, conception souple de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke puis reprise par Montesquieu dans De l’Esprit des lois, paru en 1748. Ce type de régime favorise, dans l’idéal, l’échange constant entre les différents pouvoirs, notamment l’exécutif et le législatif, l’autorité judiciaire n’étant pas reconnue comme un pouvoir du fait qu’elle n’émane pas d’une élection.

Au Sénégal, l’exécutif est sous la Constitution de 1959, monocéphale et incarné par le Président du Conseil, chef de l’Etat et Chef du Gouvernement. Loin du modèle classique du régime parlementaire reconnu pour son exécutif bicéphale, on comprendra que le poste de président de la république n’est pas créé car le président de la France demeure président de toute la communauté. Le Sénégal, lors de la mise en place du régime parlementaire avec la Constitution de 1959, connait un président du Conseil qui est le poumon de l’Etat. Investi du pouvoir de nommer et de démettre les ministres, il préside le Conseil des Ministres. Il détermine et conduit la politique de la nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée, contrairement à la France où ces prérogatives sont dévolues au gouvernement aux termes de l’article 20 de la Constitution française du 4 Octobre 1958. Fort de ses compétences, il exerce le pouvoir réglementaire et veille à l’exécution des lois et des règlements entre autres. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la légitimité d’une personne en qui se fondent tous ces pouvoirs mais surtout, quels garde-fous sont prévus pour éviter ses dérives ?                                                            

D’où le rôle du Parlement comme outil de contrôle et de légitimation du Président du Conseil. Installé sous une forme monocamérale[1] notamment avec l’Assemblée Législative, le pouvoir législatif a, constitutionnellement, des moyens de contrôler et de sanctionner le Président du Conseil qu’il a élu à la majorité de ses membres. Ce contrôle se fait soit par le vote de confiance soit en usant de la motion de censure. On parle de vote de confiance lorsque le chef du gouvernement (ici le Président du Conseil) engage solidairement sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le vote d’un texte ou sur une question particulière. Si l’Assemblée refuse de voter le texte ou décide d’ajourner les débats, le gouvernement est désavoué et doit se retirer. Cependant, limiter les outils de contrôle au vote de confiance serait une initiative avortée en ce qu’elle ne permettrait un contrôle du gouvernement que dans le cas où le Président du Conseil soumettrait volontairement son équipe au contrôle des députés. D’où l’importance de la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Président du Conseil et son gouvernement lorsqu’ils estiment que la politique menée par ces derniers doit être sanctionnée.

Sur ce point, le parlement sénégalais avait des prérogatives similaires à celles d’autres parlements, notamment celui de la France. En contrepartie, le Président du Conseil détient lui aussi une arme contre l’Assemblée. C’est notamment son droit de la dissoudre. Ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais son droit de dissolution reste très encadré car ne pouvant être utilisé qu’après délibération du Conseil des ministres, sur consultation du Président de l’Assemblée, et à la stricte condition que deux crises ministérielles soient survenues durant une période de 36 mois[2]. Ce qui est bien loin du droit de dissolution tel qu’il a été connu en France avec François Mitterrand qui, à deux reprises, notamment en 1981 et en 1988, a prononcé la dissolution de l’Assemblée pour se constituer une majorité parlementaire à l’issue de nouvelles élections législatives. 

Le Président du Conseil semble alors étouffé mais dans les faits, quelle est la probabilité qu’il ait à faire face à des oppositions farouches des parlementaires étant donné qu’ils viennent du même « hyper-parti », compte tenu du système à parti unique au Sénégal  ? Mieux, cet exécutif à une tête ne peut connaître de crise en son sein car le Président du Conseil étant à la fois chef de l’état et chef du gouvernement, incarne à lui seul l’exécutif. Ce type de régime parlementaire avec un exécutif « monocéphale » durera un peu plus d’une année avant de se muer en un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, dicté par la conjoncture politique de l’époque. La Constitution de 1960 montrera les limites manifestes du régime parlementaire dans le Sénégal des indépendances. (A suivre)

Par Maleine Niang


[1] Parlement à une chambre, d’autres parlements ont deux chambres (ex : Assemblée et Sénat). C’est le cas du Sénégal aujourd’hui. On parle dans ce cas de Parlement bicamérale.

[2] Article 24 de la Constitution

Les nouveaux partenaires de l’Afrique

 

Le continent africain a toujours été un terrain d’expression privilégiée pour le développement d’une politique étrangère, si bien que cela constitue un baromètre de la puissance d’un pays et un indicateur de classement mondial des puissances du moment. Après la domination coloniale hispano-portugaise, puis franco-britannique, et enfin une compétition américano-soviétique pendant la Guerre Froide, l’Afrique est entrée depuis une dizaine d’années dans une nouvelle ère dans laquelle les pays émergents jouent un rôle majeur.  Même si les puissances anciennement présentes ne se sont pas retirées du continent (les Etats-Unis et la France continuant, dans l’absolu, d’y promouvoir leur vision et leurs intérêts), la montée de nouveaux acteurs en Afrique constitue une donnée majeure de l’évolution géopolitique contemporaine.

Le role actif de la Chine est sans doute le plus médiatisé, tant ses relations avec les pays africains sont en plein boom. Ceci est amplifié par le fait que la croissance exceptionnellement forte de la deuxième puissance économique mondiale suscite des appréhensions chez les acteurs déjà implantés et qui voient leurs intérêts être directement concurrencés. Valérie Niquet, Directrice du Centre Asie de l’IFRI, a publié un article qui reste une référence sur la stratégie chinoise en Afrique et les enjeux politiques et économiques qui y sont liés. http://www.ifri.org/files/politique_etrangere/pe_2_2006_niquet.pdf

L’autre puissance montante en Asie, l’Inde, est également un acteur majeur sur le continent africain, même si sa présence est moins visible. Joël Ruet, chercheur CNRS au Centre d'Etudes Français sur la Chine Contemporaine présente les principaux secteurs de coopération (télécoms, transport, informatique, etc.)  et la croissance très soutenue du volume des affaires.  Il affirme ainsi que « sans que le monde ne s'en aperçoive trop, le commerce entre l'Inde et l'Afrique est passé de 7 milliards de dollars en 1997 à 51 milliards en 2007 », signe le plus visible de  la mise en place d’une « Indafrique » : http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/l-indafrique-aussi_232025.html

Le Brésil est également devenu, sous l’impulsion du président Lula, un partenaire majeur pour les pays africains. L’aspect politique de la relation est sans doute plus fort encore que pour la Chine et l’Inde, puisque les liens historiques et culturels sont établis et que d’après l’expression même de Lula,  le Brésil a une « dette » envers une Afrique qui a contribué à son peuplement et à son développement.  Comme l’illustre bien un article de l’alliance géostratégique, le Brésil présente des atouts et a un intérêt particulier à s’engager dans un partenariat à long terme avec le continent Africain, qui s’étendrait au delà des échanges de ressources naturelles : http://alliancegeostrategique.org/2010/05/16/afrique-et-bresil/

Enfin, on peut citer un pays qui apparaît de plus en plus comme un outsider prometteur tant au niveau africain que mondial : la Turquie. Enregistrant l’un des taux de croissance les plus élevés du monde, et d’une stabilité politique intérieure sans précédent, la politique étrangère Turque a connu un bouleversement ces dernières années, notamment à travers la vision et l’action de son actuel ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Si l’on évoque parfois son influence politique croissante au Moyen Orient (et aujourd’hui en Afrique du Nord, comme le montre son action pour la résolution de la crise Libyenne), la diplomatie Turque s’active également en Afrique  ou elle a été intégrée en 2003 en tant que membre observateur au sein de l’Union Africaine. La revue Turskish Policy a publié dans sa dernière édition un article particulièrement instructif sur ce point, accessible sur http://www.turkishpolicy.com/dosyalar/files/Mehmet%20%C3%96zkan-%20Turkey%27s%20Rising%20Role%20in%20Africa.pdf

L’émergence de nouveaux partenaires pour l’Afrique, tant au niveau politique qu’économique, est aujourd’hui une réalité, et ces relations sont appelées à se renforcer et à s’étendre au cours des prochaines années. Bénéficiant de nombreux atouts et sans doute d’une meilleure image auprès des populations, il faut néanmoins s’assurer que ce partenariat joue dans les deux sens et qu’il puisse rapidement permettre aux pays africains d’enregistrer à leur tour, des résultats comparables en termes de croissance, de puissance et de développement.

           Nacim Kaid Slimane            

Faut-il utiliser les langues nationales à l’école?

S’il est une question lancinante dans le milieu de la recherche universitaire en Afrique c’est bien l’introduction, plutôt l’utilisation des langues nationales à l’école. Un colloque s’était récemment tenu à Dakar (Sénégal) sur le thème « Multilinguisme et Politique des langues en Afrique de l’Ouest Francophone et Anglophone ». Le but avéré était de mettre à profit ce multilinguisme comme défi pour la politique d’éducation. Le postulat de départ était que l’utilisation des langues nationales à l’école serait non seulement un vecteur de la valorisation des langues nationales, mais aussi un moyen de promouvoir la culture africaine. S’il convient de louer et d’encourager une telle finalité, force est de remarquer que cela peut poser des problèmes en pratique.

Les différents pays africains ont pour principale caractéristique ou richesse, serais-je même tenté de dire, d’être dotés d’un vivier linguistique non négligeable. A ce titre, toutes les langues ne peuvent pas être utilisées comme moyen d’enseignement et se posera en conséquence un problème de sélection. Cette sélection n’est toutefois pas souhaitable en ce qu’elle est d’une part source de conflit et d’autre part fait prévaloir une culture sur une autre. Une telle situation serait donc de nature à compromettre les finalités recherchées.

En outre, introduire les langues nationales dans le système éducatif revient à remettre en cause l’utilisation du français, du portugais ou de l’anglais, c’est selon, comme langue officielle. Pourtant ces langues, même si on peut y voir un impérialisme culturel, ont permis d’éliminer toutes les particularités linguistiques. Et en tant que vecteur d’unité, leur maintien s’avère nécessaire.

De plus, le contexte présent de la mondialisation n’est pas propice à l’utilisation des langues nationales, à titre principale, dans le système éducatif. En effet, l’introduction des langues nationales comme vecteur de l’enseignement, reviendrait à en faire les langues officielles. Le temps que nécessiterait une telle introduction n’est pas négligeable.  Et dans un contexte de compétition accrue, cela peut paraitre contre productif d’encourager une voie nationale dans le seul but de promouvoir  la culture africaine, les inconvénients qui en découlent paralysant l’objectif principal recherché.

Outre cette contrainte liée au temps, il y a aussi la question des avantages d’une telle promotion au niveau international. Les risques qui pèsent sur une telle opération justifient d’y renoncer.  Certains esprits  citeront l’exemple de la Chine pour justifier de la possibilité d’utiliser les langues nationales comme moyen de promotion des valeurs et de l’histoire africaine. Mais il faut souligner que la Chine n’est pas dans la même situation que l’Afrique. Elle a toujours promu le chinois ; sa résurrection économique présente facilite naturellement le développement de sa langue. L’Afrique ne se trouve pas dans la même situation. Les langues coloniales sont aujourd’hui rentrées dans son histoire mais aussi dans son patrimoine. Troquer la langue du colon pour les langues nationales aurait des conséquences difficiles à déterminer.

Pour autant il est louable et même nécessaire de promouvoir la culture africaine. Je partage amplement le postulat de départ. Ce sont les moyens que je réfute. La promotion de la culture africaine peut passer par d’autres procédés. La promotion du cinéma et des valeurs africains, le développement des programmes d’histoire sont, entre autres, d’autres moyens de promotion de notre riche culture.

 Thierry Lucas DIOUF

 

 

 

« Il faut passer du paradigme de l’étudiant assisté à celui de l’étudiant engagé : c’est cela l’avenir de l’Afrique. » Interview avec le Professeur Bonaventure MVE ONDO

Le Professeur Bonaventure MVE-ONDO est  né en 1951 au Gabon. Philosophe, il est actuellement l'un des Vice-recteurs de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Depuis 2009, cet ancien Recteur de l’université de Libreville, particulièrement engagé pour le développement de l’enseignement supérieur en Afrique, dirige l’Institut Panafricain de la Gouvernance Universitaire (IPAGU). Le Professeur Bonaventure MVE-ONDO a reçu les rédacteurs de Terangaweb, Nicolas Simel Ndiaye et Lamia Bazir, dans son bureau parisien pour cette interview.

Vous êtes Vice-recteur de l’Agence Universitaire de la Francophonie, pouvez-vous nous présenter le long parcours qui vous a mené jusqu’à ce poste ?

Cela a été un parcours long et difficile car il s'agit au fond du parcours de toute une vie d'études, de recherche, d'enseignement et de gestion d'institutions d'enseignement supérieur. Après avoir fait mes études en Afrique, notamment à Oyem et à Libreville au Gabon, j’ai ensuite poursuivi ma formation à l’université de Bordeaux 3 où j’ai passé tous mes diplômes universitaires, dont une thèse pour le doctorat de 3ème cycle en philosophie et une thèse pour le doctorat ès Lettres. Parallèlement, j’ai été assistant en philosophie à la faculté de Bordeaux avant d'enseigner pendant 15 ans à la faculté des lettres et sciences humaines de Libreville la logique mathématique, l’histoire de la philosophie et la métaphysique.

Tout en assumant cette mission, j’ai été appelé à diriger l’Institut de recherche en sciences humaines du Gabon. J’ai ensuite été nommé doyen de la faculté des Lettres de l’université de Libreville, puis vice-recteur de l’université, avant de diriger l’université en tant que recteur au début des années 1990. Cette période était du reste particulièrement difficile pour l’enseignement supérieur en Afrique pour trois raisons principales. D'abord, nous vivions les années de la démocratisation politique, marquées par le passage d’une logique de parti unique à celle de multipartisme avec une culture de la démocratie qui n’était pas encore vraiment implantée chez les différents acteurs de la vie universitaire. Ensuite, l’enseignement supérieur subissait le choc des plans d’ajustement structurel imposés alors par les bailleurs de fonds. Enfin, les universités traversaient une crise de croissance et d'identité. Elles commençaient à s'interroger sur leurs missions et leur rôle dans la société.

A la fin de mon mandat de recteur qui a duré quatre ans, j’ai été nommé conseiller de Président de la république du Gabon avant d’aller diriger à Dakar, à partir d’octobre 1994, le bureau régional d’Afrique de l’Ouest de l’Agence Universitaire de la Francophonie.

Quelles ont été vos principales lignes d’action en tant que Directeur du bureau régional d’Afrique de l’Ouest ?

Arrivé à Dakar, le constat était simple: plus on s’éloignait de Dakar, siège du Bureau régional pour toute l'Afrique, moins la présence de l'AUF était perceptible. Nous avons donc appuyé la création d’autres bureaux régionaux et c’est ainsi que, dès 1995, l'Agence a ouvert le bureau de Yaoundé. Le but était notamment de se rapprocher davantage de l'ensemble des universités membres d’autant que cette période constituait une phase majeure durant laquelle les Etats ont commencé à créer de plus en plus d’universités. En 1993 par exemple, au Cameroun l’Etat a créé cinq nouvelles universités pour faire face à l'explosion de la démographie étudiante. Tout cela sans compter le début de création des établissements d'enseignement supérieur privés.

Nous avons ensuite déployé les programmes de l’Agence dont notamment celui des campus numériques francophones qui sont des plateaux techniques localisés au sein des universités et équipés d’une centaine d’ordinateurs. Ces centres constituent des bibliothèques virtuelles avec l'accès à des bases de données scientifiques constamment réactualisées qui permettent de faire face aux difficultés d’accès aux informations scientifiques et techniques auxquels sont souvent confrontés étudiants et enseignants. Ces plateformes permettent également de mettre en place des e-formations à distance entre des universités partenaires du réseau alors même que les universités en Afrique n’offraient pour l’essentiel que des formations classiques et pas toujours innovantes. Les campus numériques constituent aussi des lieux dans lesquels les enseignants peuvent produire du savoir scientifique et des connaissances (revues virtuelles) accessibles à des étudiants du monde entier. On peut également y effectuer des soutenances de mémoire ou de thèse à distance. Ces campus numériques sont donc de véritables outils de décloisonnement de l’enseignement supérieur.

L'Agence a mis en place des pôles d’excellence en Afrique de l’ouest pour réduire l’isolement des étudiants et enseignants d’une part et d’autre part pour consolider les équipes de recherche, leur donner une dimension régionale en leur apportant des moyens complémentaires. Il existe ainsi à Dakar un pôle d’excellence sur l’esclavage où convergent  toutes les études et qui est devenu une référence internationale dans  ce domaine. A Bamako se trouve également un pole d’excellence sur le paludisme réunissant près de 130 chercheurs dont la moitié issus de pays d’Afrique et l’autre moitié des meilleures universités du monde comme Harvard. Les chercheurs de ce pôle d’excellence publient chaque année une trentaine d’articles de qualité dans les revues scientifiques de tout premier plan tels que Science et Nature. L'Agence a aussi déployé des projets de coopération scientifique interuniversitaire qui ont permis d'aider des générations de chercheurs, de valoriser leurs compétences dans une dynamique régionale et internationale.

Il est évident que ces partenariats du savoir ont changé le regard des bailleurs de fonds sur l’enseignement supérieur en Afrique, ce qui a permis à l’AUF de renforcer sa notoriété et sa légitimité à être un acteur majeur dans le développement de l'enseignement supérieur en Afrique.

Après 10 ans à Dakar, vous avez été promu à votre poste actuel de Vice-recteur de l’AUF. Quels sont les missions de l’AUF et les principaux axes sur lesquels l’Agence travaille aujourd’hui?

L’AUF est à la fois une association et un opérateur de la Francophonie. Dans sa nature associative, elle a été fondée à Montréal le 13 septembre 1961. Elle fête cette année ses 50 ans. A l'époque de sa création, le contexte de décolonisation organisait la coopération autour des relations nord sud. L'AUF, dans sa construction, n'est jamais apparue comme une association néocoloniale ou une association d'universités riches contre les universités pauvres. Elle a été créée et organisée, aussi bien dans sa gouvernance que dans sa logique d’actions, autour des principes de solidarité et d'excellence. Elle s'est engagée à créer des liens entre ses universités membres, à les structurer et à les aider en prenant en compte leurs complémentarités.

La plupart des universités africaines ont été créées dans les années 1970 avec des corps enseignants en nombre insuffisant. L’AUF a donc encouragé une logique de mutualisation dans laquelle les universités dont le corps enseignant était suffisamment étoffé partageaient des enseignants avec celles qui en étaient moins pourvues. Cette mutualisation n’était pas une relation d’assistance mais plutôt une relation de coopération tripartite dans laquelle aussi bien l’AUF, l’université demandeuse que celle qui fournissait le professeur participaient financièrement au projet. Cela donne un autre état de coopération qui ne s’inscrit pas dans une logique d’assistance ou de subordination et dont l’intérêt est d’amener tous les acteurs à s’engager dans un processus commun.

L’AUF travaille aussi à l’amélioration de la gouvernance dans les universités ?

Oui, et dans ce domaine, on comprendra que les enjeux sont là aussi très importants pour les universités africaines. Aujourd’hui gouverner une université est devenu un métier complexe auquel aucun enseignant n'est préparé. On s'aperçoit de plus en plus aujourd'hui que le métier ne prépare pas à celui de dirigeant d'un établissement d'enseignement supérieur. Il s’agit de métiers complètement différents et le fait d’être un bon professeur ne signifie pas qu’on sera un bon recteur. Le travail qu’on demande aujourd’hui à un Président d’université consiste à diriger une communauté, à engager son université dans le développement local, à discuter avec des organismes internationaux, des bailleurs de fond et enfin à conseiller les responsables politiques sur les politiques à adopter pour l’enseignement supérieur. A cela s’ajoute aussi la prise en compte des changements inhérents à tout établissement d'enseignement supérieur. On se rend donc bien compte que les attentes des autorités universitaires sont complètement différentes de celles qu’on pouvait avoir dans le passé. Depuis 2001, les acteurs de la gouvernance universitaire ont demandé à l’AUF et à ses autres instances, des actions de formations spécifiques adaptées pour des jeunes recteurs.

A ce propos, depuis juillet 2009, vous dirigez pour l’AUF l’Institut Panafricain de la Gouvernance Universitaire basée à Yaoundé? De quoi s’agit-il exactement ?

En 2003, l’AUF a monté un programme qui permet d’amener les acteurs de la gouvernance universitaire en Afrique à réfléchir sur les grandes questions liées à l’évolution de leur métier. Ces questions devenant de plus en plus techniques et stratégiques, nous avons ensuite jugé opportun de créer l’Institut Panafricain de la Gouvernance Universitaire (IPAGU), officiellement inauguré le 15 juin 2010. Il a été créé en 2009 en partenariat avec l'ACU. Cet institut est panafricain dans la mesure où il ne réunit pas seulement les universités francophones mais inclut aussi des universités anglophones. Il est localisé au Cameroun – pays qui a la particularité d’être bilingue – au sein de l’université de Yaoundé 2, dans les locaux de l’Atrium Senghor.

Dès sa création, l’Institut a commencé par lancer une large enquête auprès des 260 établissements d’enseignement supérieur d’Afrique afin de mieux comprendre les schémas et pratiques de gouvernance dans l’ensemble de leurs institutions universitaires. Les résultats sont à la fois pertinents et pratiques. Cette enquête a montré que globalement la gouvernance universitaire en Afrique a une histoire qu’il était facile d’appréhender en fonction du système des anciens pays colonisateurs. Aujourd’hui en revanche, la pratique de gouvernance s’est localisée géographiquement, c'est-à-dire que les universités d’Afrique de l’ouest ont quasiment les mêmes modes qui sont différents de ceux d’Afrique centrale, eux mêmes différents de ceux d’Afrique australe. Il est donc particulièrement important de comprendre et de définir la gouvernance de l’enseignement supérieur qui touche le cadre juridique, les formations, l’organisation, les acteurs, les missions de l’université, son rôle par rapport au développement de la société avant d'apporter des moyens et des appuis.

Et sur quoi repose essentiellement cette nouvelle gouvernance que vous cherchez à promouvoir ?

L'IPAGU n'a pas de posture idéologique. Il s’agit maintenant de donner à l’université un autre souffle en s’appuyant sur deux concepts : la responsabilité et l’imputabilité. Il faut que l’université et l’ensemble de ces acteurs soient plus responsables, que les enseignants et les étudiants changent de posture. Tout est possible même si en même temps les choses évoluent et que les établissements souhaitent bénéficier de plus d'autonomie, de plus de responsabilité et soient capables de rendre des comptes à la société. Il faut qu'elles acceptent d'évoluer de la formation pour la formation à des formations professionnelles et tournées sur le développement concret.

Il s’agit aussi d’inscrire la culture d’évaluation au cœur de l’université. Notre Institut va mettre en place deux produits particulièrement utiles : le guide de présidents, recteurs et doyens d’université ainsi que le manuel d’évaluation qui constitue une sorte de check up. Pour nous, le plus implorant est d’amener les universités à s’inscrire dans ce processus.

Par ailleurs l’Institut réalise, à la demande des Etats et des universités, des études d’évaluation de la gouvernance universitaire et d’accompagnement pour une amélioration des pratiques de gouvernance. C’est ainsi que nous en avons réalisé une étude d’évaluation de la gouvernance universitaire au  Mali.

Dans le cadre de ce projet, un de vos principaux défis consiste à faire des universités africaines de vrais acteurs de développement. Comment vous y prenez vous concrètement ?

Au sortir des indépendances, les pays africains avaient besoin de former des agents administratifs et des cadres techniciens scientifiques. Aujourd’hui, on demande aux universités de se moderniser et de devenir des lieux d’innovation et de création qui constituent des leviers majeurs. Il faut donc créer des logiques qui permettent d’aller dans ce sens alors même que de telles réformes ne sont ni populaires ni affichables au maximum. C’est cela qui explique que les universités soient écartelées entre deux tendances : donner aux étudiants l’ensemble des outils pour s’adapter à l’innovation et donner à ceux qui le souhaitent des structures qui les aident à concrétiser leurs projets. Il faut convaincre les acteurs à faire confiance aux jeunes qui présentent des projets innovants et adaptés aux besoins locaux. C’est aussi pour cela que le nouveau talent demandé aux recteurs inclut aussi l’aptitude à convaincre les autres acteurs car l’université n’est pas seulement un client mais un partenaire.

Et en matière de perspectives, comment appréhendez-vous l’avenir de l’éducation supérieure en Afrique ?

Nous sommes aujourd’hui dans une phase dans laquelle les universités africaines ont parfaitement compris tous ces enjeux. On constate de plus en plus que les états d’esprit ont changé et pas seulement au niveau des responsables des universités mais aussi au niveau des étudiants qui s’engagent dans leur rôle social et il faut que cet engagement soit valorisé par les responsables universitaires. En guise de viatique pour l'avenir, je souhaite que l'on passe du paradigme de l’étudiant assisté à celui de l’étudiant engagé : c’est cela l’avenir de l’Afrique. Nos étudiants doivent être responsables, engagés et fiers d’être au service du développement de leurs pays. C'est cela que je souhaite ardemment pour notre système d'enseignement supérieur. L'université doit plus que jamais devenir un lieu où l'intelligence attire l'intelligence.

Interview réalisée par Nicolas Simel Ndiaye et Lamia Bazir

Les étudiants africains, champions de la mobilité

Devançant même leurs homologues asiatiques, les étudiants africains se révèlent être particulièrement disposés à poursuivre leurs études supérieures hors de leurs frontières nationales. Selon l’Unesco, 1 Africain sur 16 poursuit son cursus hors de son pays de résidence, soit trois fois plus que la moyenne mondiale environ. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le choix n’est pas systématiquement porté sur les pays occidentaux ou asiatiques, mais de plus en plus sur d’autres pays du continent.

A l’origine de cette décision de partir, il y a plusieurs raisons. Les étudiants y sont parfois contraints par l’absence dans leur pays d'origine de la spécialité souhaitée. Ceci explique par exemple que, dans un pays comme le Cap-Vert où l’enseignement supérieur offre très peu de choix, 92% des étudiants sont à l’étranger. Autres motivations au départ : la volonté des étudiants africains d’accéder à de meilleures formations, compte tenu du (trop) peu de choix dans les filières techniques notamment, d’avoir une meilleure reconnaissance internationale de leurs diplômes ou encore de trouver, à terme, un emploi qui corresponde mieux à leurs attentes.

Ces départs sont d’autant moins mal perçus par les pays d’origine qu’ils constituent un allégement de leurs charges. Ils sont par ailleurs bien accueillis par les universités hôtes puisque, dans certains pays, l’accueil d’étudiants étrangers constitue pour elles une manne financière non négligeable, ces derniers devant s’acquitter de droits d’inscription et frais de scolarité largement supérieurs à ceux des nationaux.

Si Paris reste la destination la plus prisée, avec pas moins de 100 000 étudiants africains -francophones pour la plupart – accueillis chaque année dans l’enseignement supérieur, les universités  américaines, anglaises ou canadiennes rencontrent un succès certain et ce, malgré leur coût souvent prohibitif. Cependant, certains pays africains s’imposent comme de véritables destinations alternatives étant donné la qualité de l’enseignement qui y est dispensé et le coût des formations beaucoup moins élevé. Parmi eux : l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Sénégal, le Ghana et surtout le Maroc, particulièrement attrayant pour nombre de Subsahariens.

Jeuneafrique.com a publié un dossier faisant largement état des raisons profondes de cette mobilité estudiantine et du choix des destinations :

http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2598p163-165.xml0/canada-migration-puissance-coloniale-scolarisationles-africains-premiers-de-la-classe-pour-la-mobilite.html

Boubacar DIAO

René NGIRIYE, jeune exploitant agricole au Sénégal

René, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai 33 ans, je suis sénégalais d’origine burundaise. Je suis né et j’ai grandi au Sénégal, que j’ai juste quitté pour entamer des études supérieures en Belgique de Chimie et Bioindustrie. Aujourd’hui, je suis associé dans une PME de production et d’exportation de fruits et légumes.

Est-ce que tu pourrais nous parler de ton expérience de jeune entrepreneur ?

Je me suis lancé dans l’agro afin d’assouvir une vieille passion pour la terre… Il s’agissait de savoir où et comment. J’avais vu une opportunité à l’époque avec deux produits phares, le melon pour l’exportation et la tomate pour le marché domestique. Je me suis jeté dans l’aventure en 2002, un véritable saut dans l’inconnu,  je ne saisissais ni le secteur ni les contraintes du métier. Ma formation me donnait néanmoins une pleine maîtrise des intrants chimiques (produits phytosanitaires et engrais). Avec l’aide de mon partenaire, on s’est procuré 6 hectares dans la vallée du fleuve Sénégal. Aujourd’hui, nous en sommes à presque 100. 

Tes débuts ont-ils été plutôt faciles ou plutôt difficiles ?

Ils ont été plutôt pénibles, pour deux raisons : d’un point de vue agronomique, nos premières terres n’étaient pas du tout favorables à la culture du melon ; et sur un plan commercial, nous  ne connaissions pas du tout le marché des fruits et légumes. Résultat des courses : des rendements médiocres et de grosses difficultés à écouler nos marchandises. Cela nous a pris deux ans pour maîtriser les techniques culturales et les ficelles du marché.

Est-ce que tu  pourrais nous expliquer le modèle d’organisation de ton entreprise de la production à la vente ?

Nous produisons en moyenne une dizaine de tonnes de produits agricoles par jour qui sont récoltées avant 13 heures pour des raisons techniques. Le lendemain, les produits sont acheminés sur les principaux marchés de Dakar, pour une mise en place dès l’aube. Le gros de nos ventes s’effectue dans les premières heures de la matinée.

Dès le début, le principal défi a été de maîtriser toute la chaîne de valeur (production, transport et distribution) pour avoir le plein contrôle sur les prix. Pour ce faire, je vends à une vingtaine d’intermédiaires semi-grossistes, des femmes originaires des zones avoisinant notre exploitation, qui elles-mêmes revendent à une centaine de détaillants. Ces semi-grossistes prennent une marge prédéterminée qui oscille entre 3 et 15% du prix consommateur, sachant qu’une vendeuse douée vend en moyenne 200 kilos/jour. Nous ne traitons qu’avec elles, ce qui permet d’éviter les impayés chez les détaillants ; concrètement, ce sont elles qui supportent ce risque et elles s’engagent à payer la quantité livrée au plus tard 24h après réception, quoi qu’il arrive et même à perte. En tant que producteur, je tiens à dicter mes prix pour éviter tout abus chez les distributeurs.

Est-ce que cela a été difficile pour toi de pénétrer ces marchés ?

Comme la plupart des marchés, celui de la tomate est historiquement tenu par un cartel. Au départ, je n’ai pas réussi à vendre aux grossistes au prix souhaité. J’ai du rentrer dans un rapport de force avec eux qui m’a obligé à casser les prix et vendre à mon prix de revient pendant quelques semaines, le bon vieux dumping. Conséquence immédiate, le marche fut perturbé et les acteurs de la filière sont revenus à de meilleurs sentiments. Ce clash a permis de rebattre les cartes et de me positionner en leader.

Concernant le melon, les enjeux étaient tout autres. Il s’agissait surtout d’avoir un produit de qualité parce que la clientèle est plus exigeante (constituée d’expatriés et de la classe moyenne supérieure). Au début, il fallait se différencier des rares concurrents dont le produit était plutôt médiocre et à très bas prix. En entrant sur le marché, on a dû s’aligner sur les prix en cours mais avec un produit de meilleure qualité. Cependant, voyant que les clients ne distinguaient pas notre produit, on a utilisé un facteur de différenciation, l’étiquetage. Il s’en est suivie une hausse sensible de nos ventes et vu nos coûts de production, il nous a fallu augmenter nos prix qui atteignent aujourd’hui trois fois le prix de départ.

Qu’est ce qui t’a rendu le plus fier dans ton projet entrepreneurial ?

L’idée de recruter et d’embaucher une population rurale et, par effet de levier, de créer un pouvoir d’achat dans une partie de la population absente des statistiques économiques, reste une des mes plus grandes satisfactions. Aujourd’hui, nous embauchons environ 200 personnes en pleine saison, dont la plupart viennent des villages alentours de nos zones de production, auxquelles il faut rajouter la vingtaine d’intermédiaires qui vivent principalement des produits que nous commercialisons. Auparavant, elles achetaient bord champ, payaient comptant, récoltaient elles-mêmes -ou avec l’aide de proches-, transportaient à leurs frais les produits qu’elles commercialisaient le lendemain. D’ou les maigres marges et surtout les soucis de santé… Malheureusement, en contre-saison, et pour la mangue, elles en reviennent à ce système. En livrant au marché, nous leur avons enlevé une sérieuse épine du pied et une relation privilégiée s’est instaurée au fil des années. Une fête est même organisée chaque fin de campagne au cours de laquelle des primes leur sont reversées au prorata de leur chiffre d’affaires. C’est une innovation managériale sans autre pareil dans ce secteur.

Par ailleurs, une vraie économie informelle s’est greffée autour de notre activité ; allant de la manutention à la restauration de nos équipes.

En tant que jeune exploitant agricole, que penses-tu de la situation agricole au Sénégal en particulier et en Afrique de manière générale ?

Une catastrophe ! On n’a toujours pas compris que la priorité devait revenir à l’autosuffisance alimentaire. Toutes nos politiques devraient se concentrer sur les besoins fondamentaux de toute société: l’énergie, l’alimentation, etc. Les autorités n’ont pas encore pris la mesure des ravages des importations au Sénégal, qui je suppose arrangent un microcosme politico-économique. Prenons le riz par exemple, la majeure partie de la population reste habituée au riz asiatique importé; conséquence immédiate : le riz produit localement a du mal à s’écouler. Contrairement à ce que l’on pense, le handicap de notre riz n’est pas le prix, qui reste compétitif, mais le goût auquel les populations ne sont pas encore accoutumées: le Sénégalais moyen préfère consommer vietnamien parce qu’il a toujours été habitué à cela. Là où l’Etat pourrait intervenir, c’est de réduire la part de riz importé et par ce biais imposer le riz local. Il lui faut avant tout mettre en place des politiques incitatrices et surtout protéger les entrepreneurs locaux.

Autre enjeu majeur, la maîtrise de la technique. Les exploitations agricoles doivent se regrouper et se moderniser : achats de matériel, techniques d’irrigation moderne, exploitation raisonnée de l’eau pour une agriculture durable.

Pour le reste, l’intégration africaine en est à ses balbutiements. Si seulement les grands producteurs africains (Zimbabwe) vendaient à prix préférentiels aux autres pays moins gâtes par la nature (Niger), une large part des problèmes alimentaires seraient réglés… Mais là, c’est le doux rêveur en moi qui parle.

Quel conseil ou quel message donnerais-tu à un jeune africain qui serait intéressé par l’agriculture ?

Lance-toi et saisis ton risque.

 

Interview réalisée par Emmanuel Leroueil

Éditorial : Un destin commun de part et d’autre du Sahara ?

L’année 2011 est décidément partie pour marquer l’histoire : révolution du Jasmin en Tunisie, révolution du Nil en Egypte et surtout cette question aussi poignante qu’enthousiaste : à qui le tour ? Ce vent révolutionnaire est salutaire ; il met cependant en exergue une approche particulièrement biaisée de l’Afrique. Aussi bien les populations et les gouvernants que les journalistes, politologues et autres observateurs de tous horizons, n’ont cessé de parler d’une révolution dans le monde arabe à tel point qu’on en oublierait que la Tunisie et l’Egypte se trouvent sur un continent qui s’appelle…l’Afrique. Le traitement fait à ces événements est en effet particulièrement révélateur de la fracture qui existe, tout au moins dans les esprits, entre ces entités qu’on appelle si communément Afrique du nord et Afrique subsaharienne.

Tout le problème tiendrait au Sahara car il s’agit d’abord de l’histoire du plus vaste désert chaud du monde, qui, en ayant de cesse de s’étendre, crée de fait une fracture physique. Il reste qu’il convient d’avoir à l’esprit que l’homme, quand il l’a voulu, a su dompter les affres de la nature, comme le prouve le très dynamique commerce transsaharien entre le 6ème et le 16ème siècle et dont les trois derniers siècles de cette période ont marqué l’apogée.

Il s’agit ensuite, au-delà de complexes et clichés entre des populations qui n’entendent surtout pas s’identifier les unes aux autres, de l’histoire des races (n’ayons pas peur des mots), l’Afrique subsaharienne correspondant à l’Afrique noire et l’Afrique du nord à la terre des arabes. On en oublierait là encore que l’épicentre du monde arabe reste plus proche de la péninsule arabique et du Machrek que du Maghreb et surtout que l’essentiel de la population de l’Afrique du nord n’est pas arabe mais plutôt berbère.

Il convient de combattre ces barrières physiques, raciales et psychologiques si nous souhaitons construire un destin commun pour l’émergence de l’Afrique. Ce destin commun constitue d’ailleurs un impératif aussi bien au regard d’un passé souvent méconnu que nous partageons – les travaux de Cheikh Anta Diop sont à cet égard édifiants – que de l’avenir qui soulève, à l’échelle du continent, des défis aussi prégnants qu’identiques.

D’un point de vue politique, il aurait ainsi été judicieux, à la suite de la Tunisie et de l’Egypte, de poser nos yeux sur l’Algérie et la Lybie comme des pays africains plutôt que des pays arabes. Allons plus loin, il serait judicieux, plutôt que vers le Yémen et le Bahreïn – pays dans lesquels un changement est sans doute tout aussi nécessaire –, de tourner notre regard vers la Guinée Equatoriale et l’Angola, dirigés respectivement par Theodore Obiang Nguema et José Eduardo Dos Santos depuis 1979, le Cameroun sur lequel règne Paul Biya depuis 29 ans ou encore, dans un autre registre, le Sénégal où Abdoulaye Wade n’a visiblement pas renoncé à une dévolution monarchique du pouvoir. Quand bien même d’un Etat à l’autre les réalités ne sont jamais tout à fait identiques, les révolutions du Jasmin et du Nil devraient inspirer d’autres pays sur le continent car, et on ne l’a pas assez dit, ces révolutions sont africaines.

D’un point de vue économique aussi, il existe de véritables opportunités de synergies entre ce qu’on appelle l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne. Les pays d’Afrique de l’Ouest et le Maroc gagneraient par exemple à dynamiser davantage leur coopération. Certes le Royaume chérifien entretient déjà des rapports économiques poussés avec ces pays, mais les efforts consentis de part et d’autre restent largement insuffisants face à l’ampleur du challenge. Il importe d’aller plus loin. Le projet d’extension de la zone de libre échange UEMOA au Maroc qui en est le premier partenaire économique africain est intéressant. Il l’est encore davantage dans la perspective, qui peut paraitre utopique pour l’heure, d’un élargissement à l’Algérie et à la Tunisie, créant ainsi une véritable intégration économique dont le schéma pourrait être reproduit dans d’autres régions du continent. L’Union africaine, à défaut d’être une réalité politique, pourrait de façon crédible devenir une réalité économique capable de peser dans les négociations internationales face à l’Europe, aux Etats-Unis et à la Chine.

Par ailleurs, le projet de route transsaharienne, qui tarde à se concrétiser entièrement, gagnerait à être remis à l’ordre du jour. Amorcée il y a plus d’une quarantaine d’années, ce projet réunit l’Algérie, la Tunisie, le Tchad, le Niger, le Mali et le Nigéria. Au-delà des intérêts économiques certains qui pointent à l’horizon, ce type de projets d’infrastructures devrait plus profondément contribuer à rapprocher les peuples de part et d’autre du Sahara.

Aujourd’hui encore, les frontières restent beaucoup trop cloisonnées entre l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne ; surtout, les paramètres d’analyse utilisés jusque là sont pour l’essentiel obsolètes et inadaptés à notre désir d’avenir. Il appartient à notre génération de faire tomber ces barrières et de renouveler ces paramètres.

Nicolas Simel

OHADA ou l’unité de l’Afrique par le droit

Nul n’ignore que la colonisation a eu pour conséquence la balkanisation du continent. Pour autant, cette division n’est pas irréversible. Et à l’heure où la régionalisation s’impose dans une économie de plus en plus mondialisée, le continent africain ne pouvait être en reste. La balkanisation politique née de l’époque coloniale et la tendance naturelle des différents Etats à refuser tout transfert de souveraineté, tout au plus pour ce qui est des secteurs sensibles, pouvaient laisser augurer d’un retard de l’Afrique à la mise en place d’organisations régionalisées. Pourtant aujourd’hui, la mise en place de l’Union africaine montre la capacité des Etats africains à œuvrer ensemble pour la fin de la balkanisation, même si l’on peut s’interroger sur son efficacité. Cette tendance a gagné bien d’autres terrains notamment le secteur juridique où L’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) participe de cet esprit en harmonisant les différents droits des affaires du continent.

L’idée, née de la volonté de créer un droit commun des pays francophones, a d’abord donné lieu à la création d’une institution qui avait pour nom l’Union africaine et mauricienne d’études et de recherches législatives (Bamrel). Faute de moyens, le Bamrel, comme bien d’autres institutions éphémères sur le contient, devait être abandonné. Pour autant, l’entreprise fut poursuivie et sous l’impulsion de Paul Bayzelon, l’OHADA a été instituée.

Créée par le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice), l’OHADA regroupe aujourd’hui 16 pays (les 14 pays de la zone franc CFA, ainsi que les Comores et la Guinée Conakry). Comme son nom suffit à l’indiquer, l’OHADA entend jouer un rôle dans l’uniformisation du droit en Afrique. Elle entend participer à la politique d’encouragement de l’intégration de l’Afrique dirigée vers une union économique et un grand marché par la réalisation d’un « droit unifié des affaires » dans le but de rationnaliser et d’améliorer l’environnement juridique des entreprises. La poursuite d’un tel but a nécessité des efforts de transferts de souveraineté en matière législative et judiciaire. Il est vrai que la crainte de l’isolationnisme conjuguée à la diminution des investissements au cours des années 1980-1990 ont largement concouru à l’effectivité du transfert de souveraineté, mais il est plus enthousiaste d’y voir la volonté des Etats de dépasser la balkanisation juridique.

Il a fallu dés l’abord choisir entre deux techniques, l’unification ou l’harmonisation. La seconde option fut retenue, mais l’analyse du système en vigueur aujourd’hui (l’adoption par le Conseil des ministres d’actes uniformes qui sont immédiatement applicables sur le territoire de chaque Etat partie) tend à montrer une forte volonté pour la technique de l’unification. La question de l’organisation a aussi été discutée avec une volonté de créer un organe pour créer le droit, un autre pour l’appliquer et un troisième pour coordonner l’action de l’organisation. Dés lors, un Conseil des ministres de l’OHADA, une Cour commune de justice et d’arbitrage, un secrétariat permanent et une école régionale supérieure de la magistrature en charge de la formation approfondie et de la spécialisation des magistrats se chargent de mener à bien la politique d’intégration.

A l’heure du bilan, prés de quinze années après sa mise en place, force est de reconnaitre que l’intégration juridique est en passe d’être réussie. Le droit des sociétés, le droit de la concurrence, le droit du travail et le droit de l’arbitrage entre autres des 16 pays relèvent  de l’organisation. Même s’il faut relativiser la place du droit dans la société africaine, force est de reconnaitre qu’il s’agit là d’un développement appréciable tant il est porteur d’espoir. Gageons que cette intégration au travers d’un véritable transfert de souveraineté gagne les autres organisations régionales, pour que l’Afrique pèse de tout son poids dans un monde où le fédéralisme prend goût.

                                                                                              Thierry Lucas DIOUF

Gamal Abdel Nasser: l’expérience du socialisme arabe et l’émergence du Tiers Monde

L’expérience du socialisme arabe

Dés son arrivée au pouvoir, Nasser donne un immense coup de barre à gauche qui tranche avec  la monarchie aristocratique de Farouk. Le premier chantier vise l’agriculture, domaine d’autant plus symbolique dans un pays qui a toujours vécu au rythme du Nil et de ses crues. La réforme agraire commence par une loi qui limite drastiquement la taille des propriétés agricoles. Une politique de redistribution des terres entend briser le féodalisme : les grands propriétaires terriens qui avaient longtemps dominé le pays sont contraints de céder une partie de leurs domaines à ceux qui la travaillent, d’autres seront expropriés en totalité, et des centaines de milliers d’hectares passent sous le contrôle direct des paysans qui deviennent ainsi les plus grands partisans du régime.

Après les féodaux à la campagne, Nasser s’attaque à la bourgeoisie liée à l’ancien régime dans les grandes villes. La démocratisation de l’éducation à travers l’établissement de la gratuité de l’enseignement ouvre les portes des écoles et des universités à toute une génération. De plus, l’accès à l’administration et à l’armée est facilité pour les fils des classes moyennes et populaires qui s’identifient au  parcours exemplaire de Nasser et de ce que l’Académie Militaire lui a ouvert comme horizon.  Les banques et les grandes entreprises du service public seront également nationalisées. Les discours du président, dans lesquels il se présente comme un fils du peuple et où il condamne les « féodaux » et les « capitalistes » sont suivis avec ferveur par des foules immenses qui veulent partager le rêve socialiste de Nasser. Tout cet espoir d’un pays moderne et plus égalitaire est cristallisé dans le projet du Haut Barrage d’Assouan, qui doit bénéficier aussi bien à l’agriculture (en contrôlant les eaux du Nil)  qu’à l’industrie et à l’électrification de l’ensemble du pays.

Mais rapidement, l’Etat socialiste manque cruellement de moyens et se trouve limité dans ses ambitions. Les Etats Unis, auxquels s’adresse Nasser en priorité et qu’il respecte pour leur hostilité historique au colonialisme, finissent par lui tourner le dos. Ils refuseront de vendre des armes à l’Egypte, et feront même pression sur le FMI pour qu’il lui refuse les crédits nécessaires à la construction du barrage d’Assouan. Une seule issue s’offre à lui, mais elle est risquée : nationaliser le Canal de Suez, générateur de rente pour une compagnie anglo-française (et qui devait de toute façon passer sous contrôle Egyptien quelques années plus tard conformément à un traité signé auparavant).  Le 26 juillet 1956, il annonce triomphalement à Alexandrie que « le canal est une propriété de l’Egypte » et qu’au moment même où il parle, ses hommes  prennent le contrôle de la compagnie qui le gère. Cette action, au départ fixée par un agenda et des facteurs purement propres à l’Egypte, va provoquer une crise internationale et projeter Nasser au cœur de l’affrontement mondial entre Est et Ouest…

L’action internationale de Nasser

L’acte audacieux de nationaliser le canal est pour Paris et Londres la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ceux-ci étaient déjà exaspérés par le refus de Nasser de joindre le camp Occidental dans la Guerre froide et par son engagement anticolonialiste, qu’il avait manifesté notamment par sa participation à la Conférence de Bandung en 1955 et par son soutien indéfectible à l’indépendance de l’Algérie. Un accord secret est établi entre les Français, les Britanniques et les Israéliens pour récupérer le Canal et chasser Nasser du pouvoir. La coalition passe à l’action en octobre 1956, soit trois mois après la nationalisation. Malgré la défaite militaire et les bombardements qui accompagnent l’invasion de l’Egypte, la crise de Suez se transforme finalement en victoire politique grâce à la convergence inédite des Etats Unis et de l’Union Soviétique et des pressions que les Deux Grands exercent sur Paris et Londres.

L’aura de Nasser dans le monde arabe et dans le Tiers-Monde est immense, et sa stature lui donnera l’opportunité de développer le mouvement des non alignés, avec Tito, Nehru, Zhou Enlai, et tous ceux qui se reconnaissent dans des valeurs anti-impérialistes et refusent d’être instrumentalisés dans des luttes idéologiques de domination.

La politique étrangère de Nasser intervient sur trois niveaux : arabe, tout d’abord, où l’idéologie nassérienne connait de plus en plus de succès et qui vise à unifier l’ensemble des pays de culture arabe dans un ensemble dans lequel l’Egypte jouerait un rôle central. La cause palestinienne constitue le combat symbolique duquel dépendrait l’issue de ce projet, puisque qu’Israël est la principale menace régionale et l’obstacle géographique entre l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Africain ensuite, terrain de prédilection du colonialisme, où l’Egypte s’engage aux cotés des peuples luttant pour leur indépendance, l’opposition à l’impérialisme et au racisme ainsi que le projet de modernisation devant être les piliers de l’intégration afro-arabe. Et mondial enfin, dans un contexte de Guerre Froide, où Nasser est un l’un des fondateurs du mouvement des Non-alignés et une figure de premier plan du Tiers monde.

Néanmoins, cette politique étrangère audacieuse finira par se retourner contre Nasser puisqu’elle suscitera contre son régime de plus en plus d’hostilité. L’armée Egyptienne s’enlise au Yémen, où elle s’était impliquée dans les affaires du pays de manière trop forte. De même, la Syrie refuse l’action hégémonique du Caire sur ses affaires, et un projet d’unification des deux pays finira par échouer. Il semble que les idéaux panarabes de fraternité et d’union séduisent moins les foules. La Cause Palestinienne finira par avoir raison du rêve Nassérien, et l’humiliante défaite de juin 1967 durant laquelle l’armée  Egyptienne s’écroule face aux Israéliens sonne le glas des grandes réformes modernisatrices de la Révolution.

L’héritage de Nasser

Au lendemain de la défaite, Nasser annonce sa démission à la radio et dit assumer la responsabilité du désastre. Mais des millions d’Egyptiens envahissent immédiatement et spontanément les rues et refusent que leur président soit une victime supplémentaire de cette guerre. Profondément touché par ce geste,  Nasser finira par revenir sur sa décision, et promet de mettre les bouchées doubles pour laver l’affront. L’Egypte s’engage alors dans une longue guerre d’usure autour du Canal, et continue malgré tout de militer pour les principes anti-impérialistes.

Sur le plan intérieur, les échecs paraissent de plus en plus au grand jour, d’autant plus que le Canal est fermé et ne génère plus de revenus. La nouvelle génération connait des difficultés à s’intégrer au marché du travail, la pression démographique accentuant ses problèmes. Certains commencent à dénoncer l’autoritarisme de Nasser, et l’émergence d’une nouvelle classe autour de lui (officiers, hauts fonctionnaires, etc.) qui aurait remplacé la cour de Farouk.  Parallèlement, La répression qui s’était abattue sur les Frères Musulmans dés les années 1950, après qu’un de leurs membres ait tenté d’assassiner le président s’accentue, la torture et les condamnations à mort étant souvent pratiquées.

Sur le plan idéologique, l’expansion du Nassérisme s’essouffle : le socialisme arabe et le panarabisme étant directement liés au prestige personnel de Nasser, sa défaite en 1967 détourne les masses des idées qu’il promeut. Même si le personnage de Nasser continue de fasciner,  tout le monde est conscient que plus rien ne sera plus comme avant. Il y aura indéniablement eu un avant et un après juin 1967.

Les problèmes de santé du président, liés à son rythme de vie insoutenable (il lui arrivait de travailler plus de 18 heures par jour et il fumait cinq paquets de cigarettes quotidiennement), auront finalement raison de son volontarisme. Il s’effondre le 28 septembre 1970 à la suite d’une crise cardiaque, quelques heures après une conférence épuisante dans laquelle il s’était efforcé d’établir un accord de paix entre les combattants palestiniens et le roi de Jordanie. Les funérailles du président attireront plus de cinq millions de personnes venus manifester leur dernier adieu au « père de la Révolution ».

Reste à répondre à notre question introductive : qu’aurait pensé Nasser des événements qui secouent aujourd’hui l’Egypte ? En tant que révolutionnaire soucieux des intérêts du peuple, il se serait sans aucun doute reconnu dans les grands idéaux animant le mouvement : liberté, justice sociale, indépendance, autant de principes qu’il avait défendus dès sa jeunesse. Il se serait élevé contre l’alignement de la politique étrangère de l’Egypte sur celle des Etats Unis et de son rapprochement indélicat avec Israël. Il aurait rejeté la libéralisation de l’économie qui a enrichi un petit nombre et laissé des millions de personnes en proie au chômage, à la misère et à l’inflation. Il aurait également rejeté le faste et la corruption du régime, lui qui a toujours vécu dans la même maison modeste en banlieue du Caire avec ses cinq enfants. Il aurait manifestement été fier de cette nouvelle génération soucieuse de changer les choses et de ne pas se résigner à l’injustice. Et il aurait espéré que le peuple et l’armée, les deux choses qu’il avait toujours servies, puissent engager le pays dans un nouveau départ, et donner un second souffle à « sa » révolution.

Nacim Kaid Slimane

Cheikh Anta Diop : leçon non sue

Un quart de siècle après sa mort, celui que d’aucuns ont surnommé le dernier pharaon continue à être méconnu par une bonne partie des jeunes Africains. Son œuvre immense n’est toujours pas enseignée dans les programmes scolaires du continent noir. Cheikh Anta Diop nous a par exemple démontré, par des preuves irréfutables, bien qu’il y ait encore quelques résistances, que les anciens Egyptiens auteurs de la première des civilisations qui par la suite engendra toutes les autres, étaient noirs et Africains. Qu’en avons-nous fait ?

Ce qui aurait dû être une évidence pour au moins toute personne qui est allée à l’école continue à ne l’être que pour une élite extrêmement minoritaire du fait que l’accent n’est pas suffisamment mis dessus dans l’éducation et la formation des jeunes. En effet, dans les livres d’histoire les plus disponibles chez nous, il est fréquent de voir des illustrations d’anciens Egyptiens sous des traits d’hommes et de femmes blancs. Il en est de même au cinéma, dans les dessins animés ainsi que les livres pour enfant. La seule fois où mes camarades et moi avons vu la représentation d’un pharaon noir, dans notre enfance, beaucoup de jeunes de notre génération sont sans doute dans le même cas, a été le clip de la chanson «Remember the Time» de Michael Jackson avec Eddy Murphy dans ce rôle. Cet état de fait qui consiste à présenter l’Egypte antique comme blanche est tout bonnement une falsification de l’Histoire dont l’Afrique est, n’ayons pas peur des mots, complice car la subissant sans réagir. On imagine d’ici la réaction des Occidentaux si l’on se hasardait à représenter Jules César ou Byzas sous des traits négroïdes.

Lorsqu’on nous demande où est née la Philosophie, on cite automatiquement la Grèce parce que c’est cela que l’on nous a enseigné. Lorsqu’il est question de l’origine de l’algèbre ou de la géométrie, on pense tout de suite à Pythagore ou à Thalès parce que c’est cela que l’on nous a enseigné. Or à un moment donné une relecture de l’Histoire par nos Etats s’imposait puisqu’il a été établi par Cheikh Anta notamment qu’Hérodote lui-même traitait Pythagore de simple plagiaire des Egyptiens. Que Jamblique son biographe écrit que tous les théorèmes des lignes, c'est-à-dire la géométrie, viennent d’Egypte. Que Prochus affirme que Thalès est le premier élève grec des Egyptiens et que c’est lui qui avait introduit la science en Grèce à son retour, en particulier la géométrie. Que Diodiore de Sicile rapporte qu’un prêtre égyptien lui a dit que les savants grecs réputés pour leurs prétendues découvertes, les avaient bien apprises en Egypte, même s’ils se sont attribué la paternité, une fois rentrés chez eux. L’Egypte qui, est-il besoin de le rappeler, était nègre. De plus en plus d’intellectuels tiennent des thèses allant dans le sens d’affirmer que la question de l’apport du nègre et donc de l’Africain à la civilisation est dépassée, que le temps serait venu de «déracialiser» l’Afrique.

Cheikh Anta Diop avait en son temps répondu en disant que tant que le Noir était censé n’avoir rien fait, il restait noir. Mais dès qu’il s’est agi de soutenir que la première civilisation était noire, on nous a dit qu’il n’est pas important d’être noir. Dans la même lancée, nous ferons humblement remarquer à ces intellectuels qu’une question ne peut être dépassée si elle n’est pas au préalable réglée. En effet, chez nous, force est de constater que dans l’imaginaire populaire, souvent inconsciemment d’ailleurs et faute d’une meilleure connaissance de l’histoire, la civilisation est encore associée à l’occidental, au blanc. «Dafa silwiisé» rime avec «Dafa tubaabe» (1). Chez les jeunes, même instruits, il est fréquent d’entendre des discours qui soutiennent que de toute façon, cela tiendrait de la fatalité, l’Africain n’a jamais rien créé, que l’inventivité à toujours été l’apanage du blanc et que le seul choix qui s’offre à nous est de continuer à subir cet état de fait. Ce discours est, il est vrai, souvent tenu sous forme de plaisanterie ou d’autodérision, mais qui cache un profond complexe d’infériorité. Cela semble relever de la psychologie. Les idées reçues, une fois sournoisement ancrées, sont difficiles à combattre. Pour s’en convaincre, prenons deux anecdotes racontées par Nelson Mandela et Desmond Tutu.

Le premier révèle dans son autobiographie (2) qu’après avoir quitté clandestinement l’Afrique du Sud afin de parcourir les autres pays africains à la recherche de moyens financiers et d’armes pour pouvoir faire face au pouvoir de l’apartheid, il a dû, à un moment de son périple, voyager sur un vol où à sa grande surprise le pilote était noir. N’ayant jamais vu de noir occuper un tel poste de responsabilité dans son pays, il s’est surpris à se demander si un pilote noir pouvait être compétent. Le second a déclaré que lors d’un voyage durant lequel son avion est entré dans une zone de turbulences, il s’est lui aussi surpris à prier pour que le pilote soit un blanc.  Si ces deux icônes de la lutte pour la dignité de l’homme noir admettent avoir été psychologiquement atteints par des idées reçues au point de développer ce type de réflexes, qu’en est-il de ces millions d’enfants, de jeunes Africains dont l’essentiel de l’éducation consiste à leur laisser entendre, voire à leur affirmer tout bonnement que le blanc est à l’origine de toute science, de toute invention, alors même que le contraire a été démontré depuis un bon bout de temps ?

Aujourd’hui, il ne serait donc pas superflu de s’atteler à gommer chez le jeune Africain, ce qui ne sera pas chose aisée, toutes ces idées reçues, en commençant par revoir les programmes enseignés. Car comme l’a dit Cheikh Anta : «Le nègre ignore que ses ancêtres qui se sont adaptés aux conditions matérielles de la vallée du Nil sont les plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation, que ce sont eux qui ont créé les arts, la religion (en particulier le monothéisme), la littérature, les premiers systèmes philosophiques, l’écriture, les sciences exactes (physique, mathématiques, mécanique, astronomie, calendrier…), la médecine, l’architecture, l’agriculture, etc. à une époque où le reste de la terre (Europe, Asie, Grèce, Rome) était plongé dans la barbarie». il est temps de remédier à cette ignorance non pas pour se complaire dans ce riche passé mais pour retrouver des bases historiques qui nous permettent d’avoir plus confiance en nous, en nos capacités, donc en notre avenir.

(1) «Dafa silwiisé… Dafa tubaabe» pourrait se traduire par «Il est civilisé… il se comporte comme un blanc» ; (2) Nelson Mandela : [Un long chemin vers la liberté].

 

Racine Assane DEMBA Etudiant en droit professionnel à l’université Cheikh Anta DIOP

Gamal Abdel Nasser et le mouvement des Officiers Libres

A l’aube d’une révolution : un parallèle entre 1952 et 2011

A l’heure à laquelle un vent de contestation sans précédent souffle sur l’Afrique du Nord, suscitant partout dans le monde une réaction de stupeur, d’espoir, mais aussi de crainte pour l’avenir, il convient plus que jamais de se remémorer de l’adage « lorsque tu ne sais pas ou tu vas, n’oublie pas d’où tu viens ». En Egypte, la révolte qui secoue aujourd’hui le pays est paradoxale. Elle se pose en rupture du régime militaire en vigueur depuis presque 60 ans en Egypte, tout en se réclamant des idéaux de la Révolution de 1952, qui avait renversé la monarchie et fait entrer le pays dans une nouvelle ère. Le contexte est d’ailleurs étrangement similaire à celui qui prévalait alors. Un souverain impopulaire, se laissait alors dicter sa politique par des Etrangers, et en profitait pour s’enrichir au passage avec les membres de sa cour, tout en menant un train de vie insoutenable dans une société inégalitaire, corrompue, et qui semble inconsciente des dangers qui pèsent sur son avenir. De violentes émeutes avaient secoué le pays en janvier. Comme en 1952, l’Egypte semble aujourd’hui être une étape en retard sur les dynamiques qui ont secoué le monde, perpétuant un régime issu d’un autre âge tout en générant les mêmes aspirations que dans d’autres parties du monde. Elle s’est laissée enfermer dans une sorte de coma politique, bouchant toutes les soupapes de sécurité qui auraient permis d’éviter l’explosion sociale actuelle.

Il serait intéressant d’imaginer ce qu’aurait été la réaction de Gamal Abdel Nasser, père de l’Egypte contemporaine, face aux événements qui secouent aujourd’hui son  pays. Adulé comme une icône de son vivant, Nasser n’est pas seulement le fondateur de la République Egyptienne, qui a renversé la monarchie, libéré le pays de la domination étrangère et redonné sa dignité à tout un peuple. Il est aussi une figure de référence pour tous les mouvements révolutionnaires des continents africain et asiatique,  un leader du mouvement des non alignés, ainsi qu’un personnage de premier plan dans les relations internationales au XXème siècle.

L’irrésistible ascension « d’un fils du peuple »

Gamal Abdel Nasser est né à Alexandrie en 1918, où son père est fonctionnaire des postes. Il est scolarisé au Caire, ville en pleine ébullition politique. En effet, l’indépendance accordée à l’Egypte en 1922, apparait de plus en plus comme purement formelle. La fragile monarchie qui a été établie après des siècles de domination ottomane et un protectorat de 40 ans, reste la victime de l’ingérence constante des Britanniques. Nasser s’engage très tôt en tant que militant nationaliste et est même blessé au cours d’une manifestation à l’âge de 16 ans. Il consacre une grande partie de son temps à la lecture, sa pensée étant influencée autant par la culture arabo-islamique que par des références européennes. Il admire en particulier les grands stratèges politico-militaires, comme Alexandre le Grand, Napoléon ou Garibaldi, et se renseigne sur les grandes personnalités de son époque comme Churchill, Hitler ou Gandhi.

Refoulé à l’académie de police et à l’académie militaire en raison de ses origines modestes, Nasser sera l’un des premiers à bénéficier d’une réforme politique qui va changer sa vie. Un nouveau gouvernement issu du parti nationaliste Wafd décide d’autoriser l’accès à la carrière d’officier aux fils de la classe moyenne, jusque la réservée à de grandes familles qui dominaient également l’administration et les professions libérales. Nasser renouvelle sa candidature à l’Académie Royale Militaire, et y est finalement admis en mars 1937. Il en sortira avec le grade de sous lieutenant, et est affectée dans le sud du pays, prés d’Assiout.

C’est  à cette période qu’il rencontre ceux qui seront ses compagnons de route, notamment Anouar el-Sadate, officier issu comme lui d’un milieu modeste. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, l’Afrique du Nord devient l’un de ses principaux fronts. Arguant de la menace d’une avancée de l’Axe, l’Armée britannique se redéploie en Egypte et n’hésite pas à s’ingérer ouvertement dans les affaires du pays. Un incident en particulier choque Nasser, tout comme l’opinion publique Egyptienne : en 1942, l’Ambassadeur britannique au Caire marche sur le palais royal à la tête d’un bataillon et « ordonne » au Roi Farouk de destituer son Premier Ministre (en l’accusant de sympathies pronazies), pour exiger son remplacement par un homme davantage pro-anglais.

Alors que son ami Sadate œuvre au coté de l’Axe et fini par être emprisonné par les Anglais, Nasser attendra une autre guerre pour s’engager. Le premier conflit israélo-arabe éclate en 1948, et l’intervention de l’Armée égyptienne en Palestine connait de grandes difficultés. Le 6éme bataillon d’infanterie, dans lequel est mobilisé le jeune officier, se retrouve encerclé par les Israéliens dans la zone de Falluja, à une trentaine de kilomètres de Gaza.  Blessé, il résistera  courageusement avec quelques 4000 hommes pendant plusieurs mois, et n’évacuera la zone qu’a la fin du conflit, une fois l’armistice signé. Mais si cette action lui donne un statut de héros, elle ne suffit pas à éviter la déroute de l’armée Egyptienne, mal équipée, mal préparée et mal coordonnée.  L’armistice est perçu comme une humiliation, d’autant plus insupportable que le Roi et son entourage  auraient profité du conflit pour s’enrichir en trafiquant sur les provisions destinées à l’armée. A l’instar de la France en 1870, la Russie en 1917 ou de l’Allemagne en 1918, les échecs militaires catalysent le changement politique en discréditant complètement le régime en place et en mettant en avant la nécessité d’une réforme radicale.  C’est dans ce contexte que se constitue le mouvement des Officiers Libres, dont Nasser est le fondateur et principal animateur.

Les Officiers Libres et la Révolution du 23 juillet 1952

 

Le réseau des officiers libres, clandestin, regroupe quelques dizaines de jeunes officiers autour de Nasser, qui est le seul à en connaitre tous les membres et leur place dans l’organisation. Cette dernière est pourtant rigoureusement structurée en cinq comités spécialisés qui regroupent des officiers issus de différentes milieux et de diverses tendances, tous désireux de restaurer le prestige de l’armée et d’enclencher une profonde dynamique de réforme politique, sociale et économique. Nasser réussit même à convaincre un haut-gradé respecté et populaire, le Général Neguib, qui apporte une légitimité et une expérience décisive à un mouvement dans lequel la moyenne d’âge ne dépasse pas 35 ans.

Alors que le réseau était resté très discret pendant plusieurs années, il décide de passer à l’action prématurément dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, estimant par ailleurs que le contexte est favorable à un changement politique. L’opération est lancée à dix heures du soir, aboutissant à l’arrestation du chef d’Etat major, au contrôle de l’essentiel de l’appareil militaire et des principaux points stratégiques de la capitale, en particulier de la radio. Le lendemain, la prise de pouvoir des officiers libres est saluée, aussi bien en Egypte qu’à l’étranger, même si leur identité reste très floue et leurs intentions largement méconnues. Néanmoins, le seul  fait d’avoir renversé le Roi Farouk, corrompu et impopulaire, apparait comme un succès en soi.

Dans la foulée, une réforme agraire est annoncée, suscitant d’immenses espoirs parmi la classe paysanne. Les Officiers Libres placent le général Neguib au poste de président et Nasser à celui de  ministre de l’intérieur. Néanmoins, on observe un certain flottement, car ils ne semblent pas savoir exactement quoi faire du pouvoir, ni de leur alliance encombrante avec les Frères Musulmans. Et que faire de l’ancien Roi ? Sa vie sera finalement épargnée, et il sera conduit en exil sur son yacht vers l’Europe.

Après deux ans de « transition » entre l’ancien régime et la nouvelle république, Nasser finit par écarter le président et mettre en place un système de parti unique. En novembre 1954, Gamal Abdel Nasser est le seul maitre de l’Etat et engage des réformes politiques qui marqueront en profondeur l’Egypte et  la scène internationale. La Révolution Nassérienne est en marche… (à suivre)

Nacim Kaid-Slimane

Le Caire: ville en fusion, ville en révolution

Il en est des villes comme des caractères ; il y a toujours un trait saillant qui définit la personnalité. Pour le Caire, c’est le poids de la Masse. Cette Masse qui donne à toute action, à tout regard, à toute parole une dimension tout à fait différente : lourde, conséquente, Qâhira[1]. Une masse qu’il vaut mieux avoir en notre faveur plutôt que de se la mettre à dos.

Avec 20 millions d’habitants, c’est la plus grande mégapole du continent africain, capitale administrative et économique de l’Egypte. A lui seul, le Grand Caire regroupe 22% de la population nationale et 43% de la population urbaine du pays. Continue reading « Le Caire: ville en fusion, ville en révolution »

Transferts d’argent vers l’Afrique : quel impact sur la réduction de la pauvreté et le développement économique ?

Si l’Afrique, avec environ 8 % des envois d’argent, reste encore la région du monde qui reçoit le moins de transferts d’argent, ceux-ci constituent pour le continent la 2ème source de financement externe après les IDE (Investissements Directs Etrangers). 18 des 53 pays reçoivent chacun plus de 500 millions de dollars, flux largement sous estimés dès lors que de nombreux transferts s’effectuent par des canaux informels. Ces transferts d’argent représentent en moyenne 5 % du PIB du continent et atteignent 11 % dans certains pays.  En plus de maintenir un lien social fort entre les émigrés africains et leurs familles restées sur le continent,  les transferts d’argent présentent un réel enjeu économique. Leur développement profitera sans doute des synergies qu’offre l’essor de la téléphonie mobile par le biais de services tels que Mobile Money. Il reste qu’il faut optimiser le potentiel existant afin d’accroitre l’impact des transferts d’argent sur la réduction de la pauvreté et le développement économique de l’Afrique.

Le cabinet Performances Management Consulting a publié une étude sectorielle intitulée Les transferts d’argent en Afrique : problématiques, enjeux, défis et perspectives http://www.performancesconsulting.com/bibliotheque/publication/PDF/doc%20sectoriel/ES_Transfert_argent.pdf

La Banque Mondiale a quant à elle publié l’édition 2011 de son rapport ‘‘Migration and Remittances Factbook’ http://siteresources.worldbank.org/INTLAC/Resources/Factbook2011-Ebook.pdf dont une partie est consacrée aux transferts d’argent vers l’Afrique, avec des données détaillées sur les pays les plus concernés.

Nicolas Simel

Éditorial : Pour nous autres Africains, l’heure est à l’afro-responsabilité.

Au-delà du spectacle puéril et de l’entêtement affligeant qu’offre le camp Gbagbo, la crise ivoirienne a ceci de paradoxal qu’elle symbolise aussi une certaine avancée dans la conquête démocratique en Afrique, tout au moins à deux niveaux.

Tout d’abord l’idée qu’il est inadmissible qu’un chef d’Etat en exercice perde des élections présidentielles et reste au pouvoir vient de faire une avancée considérable. A cet égard, le refus d’Alassane Ouatara d’un scénario zimbabwéen (après les élections présidentielles de Mars et Juin 2008, Morgan Tsvangirai avait dû se contenter de ne devenir que le Premier Ministre de Robert Mugabe) où malgré sa victoire il ne serait que Premier Ministre du Président perdant confirme cette avancée. Celle-ci est loin d’être négligeable : en Afrique, dans le schéma classique auquel nous avons été jusque là habitués, le Président élu Alassane Ouatara et ses partisans auraient été bâillonnés, emprisonnés ou contraints à l’exil.

L’autre aspect de cette avancée qu’offre paradoxalement la crise ivoirienne est la vigoureuse médiation actuellement déployée par l’Union Africaine (UA) et la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ainsi que l’idée d’un éventuel recours à la force militaire pour contraindre un président défait lors d’élections démocratiques à quitter le pouvoir. Au-delà des risques d’équilibre social sous-régional qui sont réels en cas d’usage de la force militaire par la CDEAO d’une part et d’autre part des possibles manipulations par les puissances occidentales, il convient de saluer l’idée d’une Afrique qui entend régler elle-même ses problèmes, ce qui relève d’une maturité politique qui a souvent fait défaut dans ce continent.

De ce point de vue, l’Afrique avance et sur le continent, il existe de véritables forces positives en mouvement. Celles-ci transparaissent notamment dans la réussite économique de pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana, le Botswana, l’heureux dénouement de la crise guinéenne et surtout aujourd'hui la grande leçon que nous offre l'admirable peuple Tunisien!

Hélas, Il existe aussi des inerties considérables lorsque les fils continuent de succéder à leurs pères comme au Gabon et peut être bientôt au Sénégal, quand la corruption continue de plomber tout effort de développement ou encore lorsque la Françafrique continue de gangréner les relations avec l’ancienne métropole.

Il s’agit bien d’une réalité duale et « schizophrène » que la crise ivoirienne laisse parfaitement transparaitre et qui continue de nourrir aussi bien l’afro-optimisme que l’afro-pessimisme. Or le véritable débat ne se pose plus en ces termes. Pour nous autres africains, l’heure est à l’afro-responsabilité.

L’afro-responsabilité, c’est la redécouverte de notre culture et de notre histoire souvent méconnue ; c’est un discours sur l’Afrique porté par les africains eux-mêmes et qui ne sera pertinent que s’il est sous-tendu par une solide éducation à tous les niveaux.

L’afro-responsabilité, c’est aussi une plus grande responsabilité démocratique des dirigeants et des populations. A cet égard, 2011 pourra déjà servir de baromètre à travers les nombreuses échéances électorales prévues cette année d’un bout à l’autre du continent, de l’Egypte à Madagascar en passant par le Bénin, le Niger, le Tchad, la Centrafrique, le Nigéria, la République Démocratique du Congo pour ne citer que ces pays.

L’afro-responsabilité c’est aussi la prise en main sérieuse et crédible de notre développement économique et social. L’enjeu consiste à sortir de la minorité et à entrer dans la majorité pour reprendre des catégories kantiennes. Peut-on continuer de fonder nos espoirs d’émergence économique sur l’aide au développement ? Les Etats africains sont-ils prêts à relever le défi de la fiscalité, condition sine qua non d’une gestion efficace des finances publiques ? Peut-on encore se priver en Afrique francophone, un demi-siècle après les indépendances, du levier de la gestion de notre propre monnaie aujourd’hui entre les mains de la Banque de France, et par ricochet de la Banque Centrale Européenne ? Aujourd’hui la jeunesse africaine doit non seulement répondre à ces questions – et en cela constituer une véritable force de proposition –, mais aussi contribuer à la mise en place effective des solutions idoines. Pour l’Afrique, nous devons être des acteurs de changement.

A Terangaweb – L’Afrique des idées, nous prônons donc l’afro-responsabilité. Ni afro-optimisme, ni afro-pessimisme, l’afro-responsabilité répond d’une logique différente : mieux comprendre les énormes défis auxquels fait face le continent africain afin d’œuvrer à ce qu’il puisse les relever. A cet effet, nous comptons mobiliser différentes approches analytiques, différents cadres de pensée, différents talents.

Nicolas Simel, Rédacteur en Chef

Elections sous tensions en Centrafrique

Ce dimanche 23 janvier 2011 au matin ont débuté les élections présidentielles et législatives en Centrafrique. Reportées déjà deux fois, ces élections se déroulent dans un climat de fortes tensions. Suite à un exil de six années au Togo, l’ancien président Ange-Félix Patassé est de retour spécialement pour l’occasion. Il souhaite reprendre les rênes du pays à celui-là même qui les lui a ravies en 2003 suite à un coup d’état, François Bozizé.

Réélu en 2005 au suffrage universel, F. Bozizé est de nouveau annoncé comme étant celui des cinq candidats ayant le plus de chances de l’emporter. L’une des principales réussites de son mandat est l’assainissement des finances publiques. Continue reading « Elections sous tensions en Centrafrique »

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