Le Rwanda, une Nation phénix (2ème partie)

 

Les causes de cette Renaissance

Les facteurs explicatifs de cette réussite sont nombreux et il serait vain de vouloir établir une liste exhaustive de ceux-ci. Toutefois, un certain nombre d'entre eux peuvent être dégagés. Autant par commodité que par souci de clarté du propos, ils pourraient être résumés en 4 axes, sans intention de les hiérarchiser :

Une aide massive de la communauté internationale qui a d'une certaine façon voulu racheter son impuissance, si ce n'est sa lâcheté au moment du Génocide. Ce soutien extérieur étant soit de nature inter-étatique, soit non gouvernemental (via le biais des nombreuses ONG). Aujourd'hui, environ 50 % du budget de l'Etat (410 milliards de francs rwandais sur un montant total de 838 milliards en 2009, soit environ 700 millions $) provient de l'aide internationale, une part qui se réduit progressivement au fil des ans. Non pas tant en raison d'un apport financier externe qui diminuerait dans l'absolu, que parce que les ressources domestiques générées sont de plus en plus importantes. A noter que les principaux donateurs sont aujourd'hui anglo-saxons (Royaume-Uni et Etats-Unis), devant les anciennes puissances tutélaires (France, Belgique) qui perdent irrémédiablement de leur influence, bien que toujours partenaires importants. Dans le jeu subtil des rapports géopolitiques, nul doute que le Rwanda a su jouer habilement sa carte, en diversifiant ses interlocuteurs et en s'affirmant comme une puissance régionale sur laquelle il faudra compter pour l'avancement de certains grands dossiers (conflit au Congo, instauration de la Communauté Est-africaine…). Élément important de la réalité rwandaise post-Génocide, l'aide étrangère ne saurait toutefois à elle seule expliquer les résultats spectaculaires obtenus. Elle apporte tout au plus un premier élément de réponse. Continue reading « Le Rwanda, une Nation phénix (2ème partie) »

Révolution du Jasmin en Tunisie : la révolte de tous les espoirs

La Tunisie vit aujourd’hui un tournant décisif dans son Histoire. Ce pays longtemps réputé comme l’un des plus stables du monde Arabe, n’a été dirigé que par deux présidents de la République en l’espace de 55 ans, avant de voir se succéder deux présidents par intérim en l’espace de 24 heures…

Ce changement est d’autant plus surprenant du fait de la rapidité avec laquelle les événements se sont succédés, conduisant un dictateur solidement établi depuis 23 ans à quitter le pouvoir d’une manière aussi précipité, et contredisant les analyses de bien des observateurs qui ne considéraient les événements que comme une révolte passagère.

Il est vrai que la tentative de suicide de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant à Sidi Bouzid, a suscité un vif émoi dans sa ville, dans sa région, puis à l’échelle national et internationale. Mais ce qui aurait pu être considéré comme un tragique mais somme toute banal « fait-divers » s’est transformé en l’étincelle d’un vaste mouvement de protestations qui a fini par emporter le régime de Ben Ali.

La révolution du Jasmin, comme il convient de l’appeler désormais, soulève deux questions majeures : pourquoi la Tunisie ? Et pourquoi aujourd’hui ?

La Tunisie constitue, à bien des égards, une exception dans la région et dans le monde. En Afrique, il a longtemps été considéré comme l’élève modèle en matière de développement, reconnu et salué en raison de ses excellentes performances en matière d’éducation et de croissance économique. Dans le monde arabe, il fait figure de seul pays véritablement laïque et relativement épargné par l’extrémisme religieux et par le terrorisme.

Il apparait aujourd’hui que cette façade n’a pas réussi à cacher l’autre face du « miracle tunisien » : régime autoritaire particulièrement violent, corruption répandu à tous les niveaux, profondes inégalités sociales et régionales (entre le littoral en plein boom et l’arrière pays rural et exclu), et surtout une violation massive et prolongée des libertés fondamentales, y compris dans la vie privée.

Nature des evennements et ampleur de la répréssion : Le Monde Diplomatique publie un reportage d’un journaliste en pleine immersion dans la Tunisie en révolution (http://blog.mondediplo.net/2011-01-19-La-semaine-qui-a-fait-tomber-Ben-Ali ), soulignant le rôle de la répression qui a discrédité le régime et catalysé un mouvement d’abord spontané mais de plus en plus politisé.

Role des médias : Les médias étrangers ont également été déterminants, en servant de relais et de tribune aux acteurs du mouvement. En particulier, Facebook et Al Jazeera peuvent être considérés comme des éléments révolutionnaires de premier plan, de même que Wikileaks a confirmé les rumeurs de corruption et mainmise du clan Trabelsi  sur l’économie du pays, faisant ainsi de la Tunisie le premier théâtre d’une « Révolution 2.0 » : http://english.aljazeera.net/indepth/opinion/2011/01/2011116142317498666.html

Causes profondes du mouvement : le chômage des jeunes diplômés a indéniablement été le premier motif de mécontentement évoqué par la foule. Ce problème endémique du pays (comme le montre une étude très complète sur le sujet accessible sur http://www.leaders.com.tn/uploads/FCK_files/file/diplomes.pdf), s’est posé avec d’autant plus d’acuité en raison de la crise économique actuelle qui n’a pas épargné le pays et qui a remis en cause le « pacte à la chinoise » libertés contre croissance économique, jusque la garant de la stabilité de la Tunisie.

Principales revendications : L’incapacité de l’Etat Tunisien à répondre à ce défi et la gestion catastrophique de la révolte des « chômeurs-diplômés » a débouché sur une contestation du système dans son ensemble, faisant passer des revendications politiques au premier plan.

Ainsi, la situation alarmante des droits de l’Homme dans le pays, comme en atteste le rapport de Human Rights Watch (http://www.hrw.org/fr/node/87788), ainsi que la liberté d’expression sont passés au premier plan des protestations (la Tunisie étant classé au 154eme rang mondial sur 175 dans ce domaine par Reporters sans Frontière).

Défis de la Revolution : La Révolution du Jasmin a suscité de nombreux espoirs, non seulement en Tunisie et au sein de la diaspora Tunisienne, mais aussi en Afrique et dans le monde arabe ou le renversement d’un régime autoritaire par un mouvement populaire apparait comme une option à portée de main. Le pays est aujourd’hui confronté à d’importants défis, que l’Express analyse dans l’article http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/la-tunisie-a-fait-sa-revolution-et-apres_953980.html.

Même si à l’heure actuelle, personne ne peut prédire l’évolution de la Tunisie dans un avenir proche, l’éclairage de Souhayr Belhassen, militante tunisienne et présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme,  apporte une vision intéressante sur les principales énigmes du changement en Tunisie, en particulier sur le risque de détournement de la Révolution et le devenir de l’ancien parti unique, du rôle de l’armée et des principaux acteurs de la nouvelle Tunisie, ou encore sur le risque de contagion du mouvement à d’autres pays. http://www.lemonde.fr/afrique/chat/2011/01/17/ou-va-la-tunisie_1466411_3212.html

Nacim Kaid Slimane

Mouhamed El Bachir Dia, étudiant en ingénierie financière

Terangaweb a interviewé Mouhammed El Bachir Dia actuellement élève en 3ème année à Supélec. Bachir, comme ses amis l’appellent est invité à revenir sur son parcours. Il évoque ensuite ce qui l’a motivé à faire ses choix et fournit des éclaircissements sur les spécificités des écoles d’ingénieurs. Enfin, il analyse son cursus éducatif sous l’angle de l’étudiant africain en France et propose ses idées pour une Afrique prospère.

 

 

Terangaweb : Bonjour Bachir, peux tu présenter ton parcours aux internautes de Terangaweb ?

Bonjour Abdoulaye, tout d’abord je tenais à remercier Terangaweb d’avoir porté son choix sur mon humble personne pour cette interview.

Pour ce qui est de mon parcours, j’ai eu un baccalauréat S1 au nouveau lycée de Thies (LANS) puis je suis venu en France au Lycée Louis le Grand pour une prépa en MPSI et PSI*. Après deux ans, j’ai intégré Supélec à l’issu des concours. J’ai effectué les deux premières années de tronc commun sur le campus de Gif. Au cours du deuxième semestre de la seconde année, je suis parti à Londres dans le cadre d’un partenariat entre SUPELEC et l’ESCP EUROPE pour suivre des cours de MIM (Master in Management).

De retour à Paris, j’ai effectué une année de césure chez KPMG Audit Continue reading « Mouhamed El Bachir Dia, étudiant en ingénierie financière »

Sud-Soudan : la famille s’agrandit

Le grand vent de l’Histoire souffle sur les terres africaines en ce début d’année 2011. Au terme d’une semaine de scrutin référendaire, du 9 au 16 janvier, les électeurs sud-soudanais se sont mobilisés à plus de 90% pour affirmer l’indépendance de leur territoire. Le territoire en question est vaste, d’une superficie supérieure à la France métropolitaine (environ 590 000 km²), mais faiblement peuplé (environ 9 millions d’habitants). Le pays qui ne naîtra officiellement qu’en juillet 2011 et dont on ne connaît pas encore le nouveau nom, sera l’un des plus pauvres du monde : très faiblement doté en infrastructures, un indice de développement humain parmi les plus faibles (85% d’adultes analphabètes), il dispose cependant d’un certain nombre d’atouts parmi lesquels des terres agricoles fertiles et ses ressources pétrolières (80% des réserves pétrolières du Soudan estimées à 6 milliards de barils, pour une production actuelle aux alentours de 450 000 barils/jour).

Sur la situation sociale du Sud-Soudan : la note de l’ONG Oxfam présente sur le terrain : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/apres-referendum-soudan_note-oxfam_110107.pdf

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Le Rwanda, une Nation phénix (1ère partie)

La polémique qui a entouré l'inauguration de la statue de la Renaissance africaine à Dakar, pour les festivités du cinquantenaire de l'indépendance, aura presque réussi à faire oublier le message que le monument veut transmettre: Le réveil du continent noir, faisant fi de ses complexes d'hier, dissipant ses doutes présents, et regardant résolument vers l'avenir. Mais pour que ledit message porte, encore faut-il qu'il repose sur un début de réalité tangible, un précédent. Une voie qui, aussi ténue et perfectible soit-elle, indiquerait une possible piste, un chemin éventuel vers des lendemains meilleurs. C'est ce qu'apporte le Rwanda, dont l'étude du spectaculaire renouveau des dernières années constitue un matériau de choix dans le cadre d'une réflexion plus large sur ce que pourrait être une Renaissance africaine.

Les limites propres à cet exercice sont bien entendu connues. Les spécificités nationales et le contexte d'ensemble rendent difficilement transposables un modèle unique de réussite qui n'aurait plus alors qu'à être dupliqué par chaque pays ; a fortiori plus encore à l'échelle entière du continent africain. Au reste, le Rwanda ne doit nullement être vu comme un modèle (susceptible d'être copié) mais préférablement comme un exemple (susceptible d'être analysé, à la lumière de ses succès et échecs, réussites et insuffisances). Celui d'une nation ayant su insufflé une dynamique nouvelle forte, faite d'une croissance économique élevée profitant au plus grand nombre et d'une stabilité politique enviable, mais qui n'est pas dénué de zones d'ombre. Cette précaution une fois prise, un examen attentif de la Renaissance rwandaise peut à présent être envisagé.

S'agissant de ce pays, le terme de Résurrection paraît même plus approprié que celui de Renaissance, tant il revient de loin et qu'il aura vécu dans sa propre chair la symbolique liée à ce terme : Mort et retour à la Vie. Dans l'imaginaire collectif de notre temps, il restera pour longtemps associé à l'indicible horreur du Génocide contre les Tutsis en 1994. Drame effroyable qui vit un million d'hommes, femmes et enfants (un huitième de la population totale du pays à cette époque) périr sous les coups de machette de leurs propres compatriotes en l'espace d'à peine trois mois. Ce fut finalement le Front Patrotique Rwandais, dirigé par Paul Kagamé, qui parvint à reprendre le contrôle définitif du pays mais sans avoir pu empêcher l'hécatombe.

Depuis, 17 ans ont passé. C'est progressivement une nouvelle nation qui se fait jour, se libérant peu à peu de sa gangue traumatique et de ses cicatrices, et tournant résolument son regard vers l'avenir. A l'image de la mythologie du Phénix, oiseau légendaire qui renaîtrait perpétuellement de ses cendres après s'être consumé sous l'effet de sa propre incandescence et symbole par excellence des cycles de Vie et de Mort, le pays des Mille Collines semble avoir fait sienne cette surprenante faculté de régénération.

Une success story africaine Petit pays d'Afrique Centrale (26.000 km²) dépourvu de ressources naturelles significatives et devant nourrir une population jeune et nombreuse (environ 11 millions d'habitants), le Rwanda a réussi le tour de force d'absorber avec une remarquable résilience les conséquences du choc consécutif au Génocide et de progresser depuis à marche forcée vers le développement. Un bref rappel des faits s'impose. En 1994, l'année du Génocide, en raison des pertes humaines terribles subies et du chaos qui en avait résulté, l'économie rwandaise avait entamé une véritable descente aux enfers, chutant de plus de moitié. Au cours des années qui ont suivi, et sous le strict contrôle de l'actuel pouvoir en place, le pays s'est alors lancé dans une reconstruction nationale considérable, ramenant dès 1999 son PIB (Produit Intérieur Brut) au niveau d'avant le Génocide. En une décennie et demi, la tâche prométhéenne de panser les plaies du passé, redémarrer de zéro, insuffler un sentiment nationaliste dénué de tout ethnicisme, et relancer à toute vapeur la croissance (en moyenne 7 % par an au cours des dernières années, avec un pic à 11,2% en 2008, supérieur à celui de la Chine) tout en renforçant les bases économiques a été accomplie. Toute proportion gardée, ce gigantesque mouvement collectif d'efforts concertés, tendu comme un seul corps vers cette Renaissance est comparable à la dynamique du Japon de l'ère Meiji, au miracle allemand de l'après guerre, à la vague montante de la Chine de Deng Xiaoping.

Pays agricole et rural, où près de 90 % de la population vit encore d'une agriculture de subsistance, le Rwanda n'en a pas moins une conscience aiguë des enjeux et défis de demain. Les autorités du pays ont ainsi proposé au début des années 2000 la mise en place d'un projet national transformationnel, à l'échelle de deux décennies, et fort ambitieusement dénommé "Vision 2020". Vaste plan qui vise à faire du Rwanda à l'horizon 2020 un pays émergent à revenu intermédiaire, et pariant pour ce faire dès aujourd'hui sur le "triptyque gagnant" : Un développement massif d'infrastructures modernes, un cadre politique stable et libéral (le Rwanda est classé depuis plusieurs années par la Banque Mondiale dans son rapport "Doing Business" comme l'un des pays les plus réformateurs au monde en matière d'environnement économique), enfin la primauté accordée à l'économie du Savoir et aux nouvelles technologies. Devenu un véritable leitmotiv national, Vision 2020 se veut l'étalon de mesure ultime, à l'aune duquel toutes les forces vives doivent converger pour réaliser cette grande entreprise.

 

Image de synthèse du futur Convention Complex de Kigali Les résultats sont déjà visibles : Le pays, à commencer par sa capitale Kigali, est un chantier à ciel ouvert permanent où les entreprises chinoises, aidées de leurs sous-traitants nationaux et de leur main d'oeuvre locale, s'affairent pour achever dans les temps les ouvrages qui seront plus tard livrés à leur commanditaire. Les gens, petites comme grandes, se lèvent tôt, travaillent dur et trouvent souvent encore le temps de suivre des cours du soir dans l'un des nombreux établissements d'enseignement technique et supérieur qui ont éclos dans le pays au cours des dernières années. Les uns pour apprendre l'anglais (devenu de facto principale langue d'enseignement du pays depuis 2008, en remplacement du français), les autres pour obtenir une spécialisation financière ou informatique, tous pour saisir les opportunités de ces temps nouveaux et ne pas rester à quai. Une classe moyenne de fonctionnaires et de commerçants apparaît progressivement, tandis qu'une bourgeoisie naissante goûte aux joies de la grande consommation dans les nouveaux temples commerciaux du centre-ville, ouverts non-stop.

Certes, tout n'est pas rose. Au pays de Kagamé, il est recommandé de rester dans le rang et de ne pas faire de vague. Certains observateurs soulignent la mainmise absolue du FPR (actuel parti au pouvoir) sur les destinées de la Nation, le bâillonnement de l'opposition et parfois la disparition pure et simple de certains de ses membres. La majorité s'accordera en tous les cas à reconnaître, et avec raison, le dirigisme assumé des autorités et le nationalisme sourcilleux qui peut à l'occasion être affiché, au gré de l'actualité (relations avec la France, rapport de l'ONU sur les supposées exactions passées des forces armées rwandaises au Congo…). Néanmoins, le pouvoir en place dispose d'une légitimité populaire incontestable. Celle d'hier, acquise de haute lutte sur les champs de bataille et qui permirent in fine d'arrêter les dernières exactions du Génocide et de ramener à la normale la trajectoire tragique du pays. Celle d'aujourd'hui, liée au miracle économique et à la prospérité pour tous.

Plus prosaïquement, la vie est chère, pénible condition d'un modeste pays sans accès à la mer, qui dépend intégralement de ses grands voisins limitrophes (Tanzanie, Kenya, Ouganda) pour son approvisionnement. Les salaires demeurent faibles également, même si ils sont en progression constante car tirés par la croissance et le besoin de plus en plus pressant de collaborateurs qualifiés et compétents. Parents et étudiants se plaindront du coût de la scolarité, prohibitif au regard du revenu d'un ménage moyen, surtout s'agissant des études supérieures (600.000 francs rwandais par an, soit 1.000 $ environ). Mais cela ne les empêchera nullement de s'acquitter du montant exigé, car cette charge immédiate est considérée ici encore plus qu'ailleurs comme un investissement indispensable pour le futur.

 

Cérémonie de remise de diplômes au Rwanda Les chiffres parlent d'eux mêmes : 1 Université Nationale en 1994 pour environ 5.000 étudiants ; aujourd'hui 13 établissements d'enseignement supérieur (6 publics et 7 privés, sans compter les actuelles demandes d'accréditation) pour plus de 45.000 étudiants. Quant au taux d'alphabétisation à l'échelle du pays, il est passé durant ce laps de temps de 48 % à plus de 70 %. Certes, il est bon de rappeler que cette tendance à la massification de l'éducation touche aujourd'hui toutes les zones en développement du monde, à commencer par l'Afrique. Mais rares sont les exemples d'un tel saut quantique.

Dans le domaine de la santé aussi, le pays montre la voie. En instaurant le dispositif de la Mutuelle, le Rwanda peut se targuer d'avoir l'une des meilleures couvertures de soins médicaux du continent. Couverture maladie universelle, la Mutuelle permet à tout un chacun de bénéficier des équipements et services médicaux de base, et ce moyennant le paiement d'une annuité de 1000 francs rwandais par personne(1.6 $ environ), auxquels seront rajoutés les coûts liés au ticket modérateur, principe selon lequel le patient prend à sa charge 15 % (Le reste étant subventionné par l'Etat) des frais de son ordonnance. Et pour les personnes désireuses d'une offre de services de santé plus sophistiquée et complète, des mécanismes d'assurances privées sont bien entendu proposés en parallèle, au prix du marché dans ce cas de figure. Seul point noir majeur : un taux de prévalence du Sida élevé, fort heureusement en diminution régulière depuis plusieurs années grâce à une effective politique de prévention et à la généralisation de nouveaux traitements (trithérapie).

Dans ce contexte, on ne sera guère étonné d'apprendre que nombre de rapports et études des principales institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement…) soulignent avec un confondant unanimisme, les remarquables progrès accomplis par le pays depuis le début de l'ère post-Génocide. Dans tous les domaines socio-économiques de quelque importance (croissance économique stable et conséquente, dépenses publiques importantes en matière de santé et d'éducation, haut niveau de bonne gouvernance, faible niveau de corruption, niveau de sécurité élevé, environnement des affaires qualifié de "stable et attractif"…), les félicitations succèdent aux dithyrambes. A une époque où calamités et autres mauvaises nouvelles semblent frapper avec une perverse régularité l'Afrique, générant par ricochet et pas toujours à tort des représentations souvent sombres du continent Noir, l'exception rwandaise constitue un salutaire exemple d'indéniable réussite.

Interrogé en Juillet 2009, le journaliste vedette Fareed Zakaria de la chaîne américaine CNN n'hésitait pas à qualifier le pays de "plus belle success story d'Afrique" (Africa's biggest success story), opinion éminemment subjective que l'on pourra toujours discuter mais aucunement infondée et traduisant au fond assez bien le nouveau regard positif de la communauté internationale à l'égard du pays.

Jacques Leroueil

Bibliographie sur le sujet "A Thousand Hills: Rwanda's Rebirth and the Man Who Dreamed It" (anglais), de Stephen Kinzer "Paul Kagame And Rwanda: Power, Genocide and the Rwandan Patriotic Front" (anglais), de Colin Waugh "Rwanda : histoire d'un génocide" (français), de Colette Braeckman

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2)

Comment juger du succès d’une politique économique ? Longtemps, la réponse a été simple : la forte croissance du PNB, à savoir l’augmentation du volume total de la production économique nationale. Si l’on s’en tient à ce seul critère, il nous faut nous rendre à l’évidence : la politique économique de l’Afrique du Sud, sur les dix dernières années, a été couronnée d’un relatif succès. En effet, depuis 1999, le taux de croissance moyen du PNB a été de 3%, avec un pic ces derniers temps (moyenne de 5% depuis 2006). Il faut aussi rappeler que l’Afrique du Sud était en récession économique (de 1988 à 1993) quand l’ANC a pris le pouvoir, ce qui porte la comparaison à son avantage. Succès relatif toutefois, parce que l’Afrique du Sud pouvait, structurellement, mieux faire. Comme toute économie émergente en phase de rattrapage économique, ce pays sort d’un état de sous-exploitation de ses ressources économiques (main d’œuvre, ressources naturelles, marché intérieur, opportunités d’investissements, etc.), ce qui lui permet normalement de connaître de forts taux de croissance, comparés aux économies développées matures. Or, des taux de croissance à 3% ou 5% sont dans la fourchette basse des résultats des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), groupe auquel l’Afrique du Sud aspire à faire partie.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des analystes salue le « miracle économique sud-africain », sorte de locomotive d’une Afrique à la traîne. Deux hommes sont crédités du mérite de ce succès : l’ancien président Thabo Mbeki et son ministre des finances Trévor Manuel. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2) »

« Alors, tu ne m’embrasses plus Léopold ? » Mamadou Dia et Léopold Sedar Senghor, Interview de Roland Colin

Terangaweb vous propose une interview de Roland Colin réalisée par Thomas Perrot et Etienne Smith pour le compte de la revue Afrique contemporaine, n°233 et éditée par Cairn.Info . L’épisode historique qu’éclaire l’interview de R. Colin sur les différents politiques entre Senghor et Dia reste encore assez méconnu au Sénégal, et Terangaweb a souhaité lui donner plus d’écho. L’éditeur Cairn.Info a bien voulu désactiver l’accès payant à cette interview pour les lecteurs de Terangaweb. Nous le remercions chaleureusement pour cette collaboration. Vous pouvez donc lire l’intégralité de l’entretien en cliquant sur le lien ci-dessous.

“Collaborateur de Dia de 1957 à 1962 et ami de Senghor, devenu ensuite responsable associatif et spécialiste des questions de développement (Iram, Irfed), Roland Colin est un acteur-témoin inclassable de la fin de la période coloniale et du passage à l’Afrique d’aujourd’hui. Grâce à une connaissance intime des hommes et des rapports de force, il livre ici une lecture inédite de la transition historique au Sénégal et rend un hommage appuyé à Mamadou Dia pour sa vision politique et ses options en matière économique. Entretien.” Cairn.Info

http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2010-1-page-111.htm

Lettre ouverte à l’intelligentsia africaine

Monsieur,

Les maux, l’Afrique les accumule, les entasse, ne sait plus où les mettre tant ils abondent. Comment ? Me demanderait-on d’en citer quelques-uns ? Je n’en prendrai guère la peine car il suffit de prêter l’oreille à l’allocution du premier conférencier africain venu pour en entendre la liste plus qu’exhaustive. C’est vrai que pour vous plaindre de la situation de notre continent, vous êtes doué, cher maître. Et l’éloquence dont vous faîtes preuve pour en énumérer les responsables, ces impardonnables fautifs, est des plus grandes. Mais asseyez-vous donc sur ce banc, je vous prie, que je vous dise ce que je pense de vous. Non, vous ne vous trompez pas, il s’agit non d’une estrade mais bien du banc des accusés.

Pensez-bien que ce n’est pas vous particulièrement que je vise mais toute cette catégorie d’Africains que vous représentez. Tous ces savants et spécialistes, issus des branches les plus diverses, qui se complaisent dans une posture d’observateurs intransigeants vis-à-vis de l’Afrique, pour peu qu’ils s’en préoccupent. Comment pourriez-vous être le seul en accusation lorsque l’on sait la quantité d’experts africains disséminés ça et là, à travers le monde ? Continue reading « Lettre ouverte à l’intelligentsia africaine »

Samir Amin et le « développement autocentré » (3ème et dernière partie)

En résumé, la théorie du développement autocentré de Samir Amin tient à ceci : l’espace économique mondial se structure en pôles (les pays développés) dont la suprématie s’appuie sur un modèle d’accumulation et de renouvellement du capital qui se fait au détriment de leurs périphéries (les pays sous-développés) à travers divers mécanismes dont le principal est celui de l’échange inégal. Tant que ces pays sous-développés orientent leur économie dans le sens de la structuration actuelle du système économique, c’est-à-dire par exemple en continuant de miser sur l’exportation de seules matières premières ou des composants industriels dont l’assemblage final et la plus-value resteront accaparés par le Nord, et bien ils se maintiendront dans leur position de périphérie. Les bénéfices économiques de ces périphéries ne profiteront qu’à leur bourgeoisie compradoriale, tandis que  l’écrasante masse de la population sera maintenue dans la pauvreté. Le problème est que l’élite des pays sous-développés appartient elle-même à ce système compradoriale, de naissance ou par cooptation (après de brillantes études supérieures à l’étranger par exemple), et qu’elle n’a pas forcément intérêt à court terme à changer le système. Problème plus important encore, quand bien même les dirigeants de ces pays seraient prêts à « décentrer » leur économie nationale, la pression de la finance internationale et des « partenaires » que sont les pays développés risquent de les en empêcher (cf, l’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme). Continue reading « Samir Amin et le « développement autocentré » (3ème et dernière partie) »

Samir Amin et le “développement autocentré” (2ème partie)

La théorie économique de Samir Amin s’inscrit dans une vision globale de l’histoire moderne. Selon lui, « développement et sous-développement constituent l’endroit et l’envers de la même médaille : l’expansion capitaliste ». S. Amin part du concept popularisé par Karl Marx d’accumulation primitive : l’accumulation de capital nécessaire à l’investissement des premiers temps du capitalisme ne serait pas le résultat d’une « épargne vertueuse » de capital comme tend à le proclamer les discours légitimant la position des « riches » ; cette accumulation primitive se serait plutôt faite sur le mode violent de la spoliation des faibles par les forts, au niveau national (le célèbre exemple des enclosures en Angleterre, voir Karl Polanyi, La grande transformation) et international.

Cette expansion historique du capitalisme se caractériserait par une longue maturation de ce cycle spoliation/accumulation/investissement/hausse de la productivité/bénéfices/supériorité accrue, s’inscrivant dans divers registres, dont le premier est le mercantilisme qui se développe au XVI° siècle et qui serait une systématisation du cycle précédemment décrit au profit des grandes puissances navigatrices européennes. Le mercantilisme esclavagiste, le colonialisme, l’impérialisme, n’en seraient que divers avatars. Continue reading « Samir Amin et le “développement autocentré” (2ème partie) »

Une candidature unique de l’opposition en 2012 : la seule voie de salut au Sénégal

A entendre les Sénégalais, Abdoulaye Wade, ni son fils biologique Karim, ni son fils spirituel Idrissa Seck (qu’il vaut mieux ne pas encore enterrer) ni même tout autre candidat du pouvoir en place ne saurait remporter leurs suffrages dans un scrutin transparent. Ce serait une erreur de le croire car le pouvoir en place a encore des chances sérieuses de ne pas perdre les prochaines élections présidentielles. La seule voie de salut réside aujourd’hui dans une candidature unique de l’opposition réunissant aussi bien celle traditionnelle que celle qui a quitté le navire libéral.

Mettre au plus vite les Sénégalais devant un choix extrême

Dans cet enjeu de la candidature unique, le timing constitue un paramètre particulièrement important alors même que l’homo senegalensis n’est guère réputé pour avoir un rapport très efficace au temps. A deux ans des élections, plus tôt le candidat unique de l’opposition sera désigné, plus les chances de victoires seront réelles.

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Samir Amin et le “développement autocentré” (1ère partie)

Il faut  du temps à certaines grandes idées, à certains cadres de pensée majeurs pour s’imposer dans le champ intellectuel et politique, se faire réapproprier par d’autres et s’incarner dans des mouvements de revendication sociale ou des politiques publiques concrètes. Il en va ainsi de l’œuvre intellectuelle de l’un des plus brillants et prolifiques penseurs socialistes de la seconde moitié du XX° siècle, l’économiste franco-égyptien Samir Amin. Nous nous proposons dans une série de trois articles de faire découvrir le personnage Samir Amin et d’expliquer le contexte intellectuel dans lequel il se situe (I), de présenter et d’expliciter ses principales théories (II), et d’en tirer nos conclusions personnelles sur le programme d’action qui pourrait découler de ses idées (III).

Samir Amin est né au Caire en 1931, d’un père égyptien et d’une mère française. Après une scolarité passée dans le système éducatif français (lycée français du Caire), il poursuit ses études supérieures à Sciences Po  Paris, dont il sortira diplômé en 1952, et se spécialise ensuite en économie, obtenant son Doctorat es Sciences Economiques en 1957. Parallèlement à ses études supérieures, il milite activement au sein du Parti communiste français (bien qu’en désaccord progressif puis définitif avec le marxisme-léninisme) et participe à de nombreuses revues critiques réunissant de jeunes et talentueux étudiants issus de différents pays du Tiers-monde. Après avoir brièvement travaillé comme haut-fonctionnaire en Egypte de 1957 à 1960, il est obligé de s’exiler suite aux répressions que subissent les communistes égyptiens par le régime nassérien. Il travaille ensuite comme conseiller économique auprès du gouvernement malien nouvellement indépendant de 1960 à 1963. Ayant obtenu son agrégation de professeur de Sciences Economiques en 1966, il fait le choix de l’enseignement, et officiera à Poitiers, Paris-Vincennes et Dakar. Il est particulièrement attaché à la capitale sénégalaise, où il réside depuis plus de quarante ans, en tant que directeur de l’institut africain de développement économique et de planification qui s’y trouve puis, désormais, directeur du forum du Tiers-monde. Continue reading « Samir Amin et le “développement autocentré” (1ère partie) »

Le défi des villes

L’Afrique aurait franchi le cap du milliard d’habitants en 2009. Si certains esprits chagrins, notamment dans les pays développés, conçoivent avant tout cette statistique comme l’annonce de malheurs futurs, il est permis et recommandé d’y voir un formidable atout pour l’avenir : avec une population subsaharienne composée à 43% de personnes de moins de 15 ans, l’Afrique sera dans les décennies à venir le foyer le plus riche en ressources humaines du monde. Ce formidable avantage n’en pose pas moins des défis réels qui, s’ils ne sont pas relevés, risquent bien de confirmer la vision pessimiste précédemment évoquée. Le premier de ces défis tient sans doute à la résilience socio-économique du tissu urbain. En clair : les villes seront-elles à même d’accueillir et d’offrir un cadre émancipateur aux centaines de millions de jeunes africains actuels et à venir ?

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Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés au sous-développement? (3ème et dernière partie)

Les clés pour relever le défi du développement

Si, dans le débat sur l’origine des inégalités de développement, vous avez choisis l’hypothèse optimiste (et en tant qu’Africains, peut on réellement opter pour l’alternative et abattre définitivement notre espoir dans l’avenir ? ), il reste une dernière interrogation importante à considérer : comment peut on tirer les leçons de nos échecs passés afin de mieux relever le défi du développement à l’avenir ?

Premièrement, il est nécessaire de poursuivre les politiques d’ouverture économique de manière raisonnable, en favorisant les échanges intra-africains et les partenariats régionaux. Jusqu’à présent, 60% du commerce sur le contient se fait avec des pays non Africains, alors que partout ailleurs, l’intégration régionale semble être une priorité (UE en Europe, Alena et Mercosur en Amérique, CCG au Moyen Orient, etc.). Malgré ses retards et ses déceptions, le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) doit être soutenu et animé d’un nouveau souffle au delà des divergences politiques que peuvent afficher ses membres. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés au sous-développement? (3ème et dernière partie) »

Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés sous-développement? (2ème partie)

Les causes des inégalités de développement : l’hypothèse optimiste et l’hypothèse fataliste

Dans le débat sur l’origine des retards de développement observées, deux écoles s’affrontent, chacune faisant prévaloir ses arguments et aboutissant à des prédictions diamétralement opposés pour le futur. Pour les tenants de l’hypothèse dite « pessimiste », l’Afrique a été, dés le départ, handicapée par des conditions peu favorables à une croissance durable et forte. Climat, géographie, histoire, tous les facteurs serraient réunies pour nuire à une bonne performance économique et sociale. Le fondateur de l’économie moderne, Adam Smith, soutenait déjà au XVIIIéme siècle, que l’Afrique n’était pas réellement adapté à l’implantation d’un processus de croissance, principalement en raison des maladies qui y sévissent (en particulier la malaria), et de « l’enclavement » de beaucoup de ses régions (les rares fleuves qui la traversent n’étant pas reliés entre eux, et le terrain étant très souvent difficile aux transports, ce qui nuit au commerce). Encore aujourd’hui, l’hypothèse déterministe, qui condamne l’Afrique à un destin de misère, reste souvent mise en avant, avec pour maitre à penser actuel le célèbre économiste Américain Jeffrey Sachs. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés sous-développement? (2ème partie) »

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