Impact de l’épidémie Ebola sur le quotidien des Abidjanais

 

HISTORIQUE

La maladie à virus Ebola (autrefois appelée fièvre hémorragique à virus Ebola) est une maladie grave, pouvant entrainer la mort certaine chez l’homme. Le virus Ebola, responsable de la maladie, est apparu pour la première fois en 1976 à Yambuku, dans l'actuelle République Démocratique du Congo. Cette localité étant située près de la rivière Ebola, celle-ci a donné son nom à la maladie.

Le virus se transmet à partir d’animaux sauvages et se propage ensuite dans les populations par transmissions interhumaines. Les premiers cas d’Ebola ont été notifiés dans la zone d’Afrique de l’ouest en mars 2014, d’abord en Guinée, puis s’est propagé rapidement en Sierra Leone et au Liberia.

Aucun traitement homologué n’a pour l’instant démontré sa capacité à neutraliser le virus. Vu la propagation très rapide du virus, nous pouvons affirmer que la menace Ebola a quelque peu changé les habitudes quotidiennes des Ivoiriens. La Côte d’Ivoire, pays frontalier de la Guinée et du Liberia, se devait de mettre en place un dispositif cohérent de veille afin d’empêcher l’entrée de la maladie sur son territoire.

QUELQUES MESURES PRISES PAR LES AUTORITES

Afin de lutter efficacement contre la menace Ebola, le gouvernement ivoirien a pris des mesures préventives et répressives, et ce, dans l’intérêt des populations.

La sensibilisation

Sensibilisation des populations sur la maladie à virus Ebola par le Ministère de la Santé

Des émissions de sensibilisation sur Ebola en langues locales sont diffusées  dans toutes les radios de proximité à travers le pays. Il s’agit d’émissions de santé qui vont être produites et diffusées au profit des populations sur la thématique de la lutte contre Ebola. Ces programmes sur le lavage des mains et les pratiques culturelles et religieuses ont été produits et diffusés aux populations de l’intérieur du pays, au terme de formations initiées par CFI (Canal France International) et RFI (Radio France Internationale).

D’autres modules de formation sont également dispensés sur les symptomes  de la maladie, les modes de transmissions et de contamination, etc.

 

Des ateliers sont également proposés aux populations rurales, et visent à contribuer à atténuer les résistances culturelles et favoriser une meilleure compréhension et une acceptation des mesures de prévention. Depuis l’apparition de la maladie dans notre zone ouest-africaine, les spots publicitaires, communiqués réguliers, messages radiophoniques, caravanes et campagnes de sensibilisation ne manquent pas. Les artistes musiciens ont même produit un clip vidéo intitulé « Stop Ebola ». Les revenus de la vente de cette œuvre musicale seront reversés à des fondations pour la lutte contre la maladie. Le footballeur International Didier Drogba s’est lui aussi engagé à associer son image à la lutte contre Ebola. Plusieurs autres ont suivi, notamment Yaya Toure, Gervinho, etc.

Mesures sanitaires

Surveillance renforcée dans les aéroports: des équipes médicales ont été déployées sur le site de l’aéroport afin de contrôler tous les voyageurs à destination d’Abidjan. Ces équipes sont dotées d’équipements modernes pouvant identifier et diagnostiquer toute personne à forte température et présentant les signes de la maladie.

Le Ministère de la santé recommande aux populations de se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon, d’éviter de faire des accolades, car la maladie se propage  à partir des fluides corporels (sueur, sang, salive). Toute chasse, tout transport de viande de brousse sont strictement interdits jusqu’à nouvel ordre (Chimpanzés, singes, chauve-souris, agouti, porc-épic). Sont également proscrits les faits de ramasser et de  manipuler les animaux morts. Un numéro vert gratuit (143) a été créé par le Ministère de la Santé afin de signaler très rapidement tout cas suspect.

 

Mesures répressives

 

Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, deux chasseurs ont été mis aux arrêts. Ces individus ont outrepassé la mesure gouvernementale d’interdiction de la chasse. Ils ont été arrêtés et la gazelle, en leur possession, a été incinérée. A la frontière ivoiro-libérienne, plusieurs embarcations ont été bloquées. Le Préfet a indiqué que malgré les mesures d’interdiction, des personnes continuent de rallier illégalement les deux pays en passant clandestinement par le fleuve Cavally au moyen d’embarcations de fortune.

 

LES  COMPORTEMENTS NATURELS DES ABIDJANAIS

 

Au début de l’apparition de la fièvre Ebola dans les pays limitrophes de la Côte d’Ivoire que sont la Guinée et le Liberia, une véritable psychose s’est emparée de tous les Abidjanais, chacun voulant éviter d’être contaminé.

 

Les mesures préventives prises par le Gouvernement, à savoir l’interdiction de se serrer les mains, de faire des accolades, de manger dans les lieux publics a augmenté les craintes des populations face à une maladie qui jusque-là n’a pas de remède. Au départ, la situation fut effrayante, mais depuis quelques temps, elle s’est nettement améliorée, et les populations ont recommencé à se serrer les mains et se faire des accolades, car selon elles, c’est Dieu seul qui protège contre la maladie.

 

LES RAPPORTS AVEC LES LIBERIENS VIVANT A ABIDJAN

 

Bien que le Liberia soit un des pays les plus affectés par la fièvre Ebola, cela n’a pas véritablement eu d’incidences négatives sur la cohabitation entre Ivoiriens et Libériens à Abidjan. Le problème qui se pose est celui des Libériens vivant au Liberia et désireux de se rendre en Côte d’Ivoire. Sur cette question, le gouvernement a été formel. Aucune personne vivant au Liberia ne doit franchir la frontière ivoirienne. Cette mesure est purement d’ordre sanitaire et vise à circonscrire l’épidémie afin de mieux la combattre. Elle a été très bien comprise par les populations et n’est pas de nature à perturber les relations diplomatiques entre les deux Etats.

BILAN

L’épidémie de fièvre Ebola sévit actuellement dans quelques pays de notre sous-région ouest-africaine, dont deux de ces pays partagent des frontières communes avec la Cote d’Ivoire. La maladie a déjà fait environ 8459 morts, sur plus de 21329 cas enregistrés, selon le dernier bilan de l’OMS. Même si jusque-là aucun cas n’a été déclaré en Côte d’Ivoire, le pays se doit d’être en veille en maintenant les mésures preventives deja mises en place.

PERSPECTIVES

Selon l’OMS, les nouveaux cas de la maladie à virus Ebola dans les trois pays d’Afrique de l’ouest sont en réelle baisse. Cela est un signe d’optimisme et une lueur d’espoir pour l’avenir. L’Envoyé spécial des Nations Unies sur Ebola, Dr David Nabarro s’est déclaré confiant sur la lutte contre l’épidémie en Afrique de l’Ouest. Les Nations Unies sont heureuses et fières de la maníère dont la Côte d’Ivoire gère la menace Ebola. Ceci est très encourageant pour tous les acteurs qui ont décidé de faire barrage à la propagation de cette maladie.

Moussa Koné

SOURCES

www.sante.gouv.ci

www.prevention-ebola.gouv

www.aip.ci (Agence Ivoirienne de Presse)

www.who.int (site de l’OMS)

Xinhua

NB : les images sont tirées du site www.abidjan.net

Jamal Mahjoub ou une quête identitaire dans le désert

 

Jamal-MahjoubD’emblée Jamal Mahjoub pose le décor: aucun compromis, aucune nuance, le Soudan est et sera toujours un pays de violence. Nulle commisération à espérer de ces terres burinées pétries dans la douleur d’un soleil implacable. Seulement survivre pour les hommes et les femmes qui ont le courage ou le malheur résigné de s’y débattre et à de rares moments à s’y exalter. Ici, se sont déroulées des guerres séculaires qui se poursuivent et n’auront de cesse de continuer entre un Nord, lieu de pouvoir, abandonné au désert, et un Sud guère plus charitable mais riche en minerais de valeur – un commerce qui a remplacé celui, séculaire, du bois d’ébène. Khartoum, capitale d’une nation soi-disant unifiée est le lieu d’oubli d’une élite prédatrice. Peu importe à celle-ci les files ininterrompues des nomades du désert qui fuient la sécheresse et la famine et s’entassent aux abords de la ville avec leurs dromadaires efflanqués, ultimes richesses. Peu leur importe les légions de pauvres hères qui par dizaines de milliers peuplent les ruines d’une cité à l’abandon. 

Dans ce décor de fin de règne, Tanner, un Anglais de vingt-cinq ans d’origine soudanaise, erre dans les rues et s’abandonne dans la lecture de vieux romans de gare, des jours et des nuits durant, dans une chambre exiguë à la touffeur infernale. Episodiquement, il se rend au bureau de son entreprise qui organise des missions dans le désert pour y trouver des richesses minérales enfouies. Venir se perdre dans ce pays de violences, oublié de tous, n’est pas l’aboutissement d’une quelconque ambition professionnelle mais la volonté de satisfaire ce besoin qui le hante depuis si longtemps, connaître ses racines, mettre des mots sur son métissage et pouvoir espérer enfin s’intégrer et renaître. Possédé par la langueur de Khartoum et sa pusillanimité, Tanneur hésite, se perd, recule, s’abandonne. Mais la venue de Gilmour, un noir américain quinquagénaire bien énigmatique, va mettre en branle ce désir d’identité et bien plus loin qu’il ne l’aurait jamais souhaité. Car Gilmour qui désire rejoindre une équipe de chercheurs explorant un sous-sol dans une partie perdue du sud du pays, va le mener aux confins de la raison, à l’endroit et au moment où le désir de violence et son acte naissent. Là où la vie, selon Gilmour, prend un sens. Dans le dénuement désertique, s’aventurant au plus près du centre sismique apocalyptique, les deux hommes vont faire l’expérience ultime sur le pourquoi de la vie, la raison de leur existence. Difficile à la lecture du cheminement de Tanner le conduisant à un paroxysme vital paradoxalement mortifère de ne pas penser au chef-d’œuvre cinématographique de Coppola, Apocalypse Now. Tant dans la forme que dans le suspens et dans la folie exacerbée qui page après page dans la deuxième partie du roman s’installe, le lecteur est emmené à un point de rupture qu’il pressent inéluctable.

     « Vois-tu, recommença t-il, toi et moi sommes semblables en ce sens que nous sommes issus d’origines opposées, de la fusion de la diversité. Nous sommes tous nés de l’intégration. C’est la seule solution. L’autre voie n’aboutit qu’à la destruction. J’étais là (…) lorsqu’au nom de la liberté ils décapitèrent Gordon. Cela a conduit aux pires famines qu’on puissent imaginer. Mais pis encore, j’ai vu à Verdun des hommes si saouls qu’il fallait les porter à leurs postes de combat. J’ai vu les enfants brûlés jusqu’à devenir des ombres à Hiroshima. Seul l’homme est assez cruel pour employer de telles méthodes. Dieu n’a rien à voir avec cela, il y a longtemps qu’Il a perdu le contrôle de la situation. » 239-240 p.

 

La navigation du faiseur de pluie est un roman magnifique et d’une fantastique intensité servi qui plus est par une prose d’une grande beauté. C’est un livre à s’y abandonner, peu importe les blessures inéluctables à la plongée abyssale dans l’âme humaine.                 

Hervé Ferrand

Jamal Mahjoub, La navigation du faiseur de pluie, Actes Sud, Collection Babel, 2006.

 

Nafissatou Dia Diouf ou la délicieuse utopie d’un nouvel accompagnement du patient

Posons le décor, évitons les introductions rébarbatives, décrivons les vibrations en nous générées par ce roman étonnant forgé par la très belle plume de la sénégalaise Nafissatou Dia Diouf. Posons le décor. La Maison des épices est un fort, un ancien comptoir bâti sur une haute falaise en pays sérère. Nous sommes au Sénégal. Dans un lieu chargé par l’Histoire, où par vagues successives des aventuriers, des militaires, des commerçants hollandais, anglais, français ou portugais y ont entreposés pacotilles, épices, esclaves en partance pour les Amériques, une équipe de médecins sénégalis décident, sous la férule d’une jeune femme déterminée, de reconstruire ce site à l’abandon pour y soigner des malades. Le docteur Aïssa N’Daw a pris le parti de réunir des philosophies de restauration physique et psychique différentes : la médecine traditionnelle sénégalaise et la médecine moderne. Ce cadre expérimental est un lieu où le malade, le sujet ne se résume pas à un lit, à un chiffre, à une donnée rentable.

C’est dans ce contexte qu’un chirurgien de renom, ayant fait ses classes en Loire-Atlantique, débarque avec un patient amnésique. Le docteur Yerim Tall. Quand commence le roman de Nafissatou Dia Diouf, ce médecin découvre l’équipe et l’esprit de la Maison des épices. Il est préoccupé par l’état de son patient. Ce chirurgien est dans une phase de rupture. Pourquoi est-il là, dans ce coin certes exotique, mais loin des grandes salles de chirurgie où, à coups de scalpel, il pourrait développer une carrière prometteuse. Le lecteur sent qu’il revient de loin et qu’il est lui même en reconstruction. Toute l’intelligence de la romancière sénégalaise va être de dévoiler progressivement, subrepticement les zones d'ombre et l'entêtement de cet intellectuel dont des éléments de vie lui échappent.

Vol au dessus d'une falaise

Etrangement, ou par un formidable concours de circonstance, j’ai revu hier le remarquable film du

cinéaste tchèque Milos Forman, Vol au-dessus d’un nid de coucou. Et il est difficile de ne pas faire le lien entre les deux oeuvres artistiques. Certes, la maison des épices n’est pas, à proprement parlé, un asile psychiatrique. Mais, on retrouve dans ce roman la thématique de l’enfermement, les thérapies innovantes pour traiter les patients. Là s’arrête la comparaison. Nafissatou Dia Diouf propose une réflexion portée par un idéalisme prenant où médecins et guérisseurs travaillent dans une harmonie relative pour le bien être des patients. Harmonie relative, car, et c’est là toute la force du roman de la sénégalaise, elle arrive à brider ses personnages pour ne pas trop parfaire leurs rapports et rendre envisageable cette utopie. Ce roman pose des questions sur l’implication du médecin et, par de là l’individu, celle de l’institution dans le traitement du malade et la possibilité de créer un cadre cathartique pour la libération de l’individu. Et cette question passe au-delà de l’absence de finance qui est brandi par nombre de pouvoirs publics africains pour expliquer la déliquescence des hôpitaux hérités de la période coloniale.

Thérapie et mémoire

Au centre de notre roman, il y a ce personnage amnésique. Sans prénom. Sans nom. Sans histoire. Enfin, si. Une histoire dermique puisqu’il est métis. Qui est-il? Lui. Lui… Louis. Il vous appartient de découvrir la reconstruction délicate de ce jeune homme ayant perdu la mémoire en lisant l'ouvrage. Il est difficile de ne pas avoir une seconde grille de lecture. L’amnésie de Louis dans un lieu chargé d’histoire tue, ignorée, passée sous silence a quelque chose de délicieux. En lisant l’enfermement puis la possible renaissance du personnage, il est difficile de ne pas s'interroger sur le rapport qu’a le Sénégal aujourd’hui, mieux le Sénégalais, avec le passé. La Traite négrière et ses comptoirs. L’Ile de Gorée. Quels rapports ont les Sénégalais avec ce lieu d’histoire? Quel rapport ont-il avec le passé colonial? Avec Saint-Louis? Avec la soldatesque sénégalaise au service de la conquête coloniale du continent et de Madagascar? Louis est possédé. L’amnésie finit par être un refuge. Affronter les monstres, les crimes est trop douloureux. L’intervention d’un personnage inattendu, improbable, un peu comme Jack Nicholson dans le film cité plus haut, va permettre des possibilités nouvelles pour le jeune homme.

C’est quoi le bonheur?

Nafissatou Dia Diouf conduit le lecteur dans une quête existentielle. Pour ranimer la mémoire de Louis, l'entourage tente de donner un sens à la vie. Les développements qu’elle propose sont intéressants et sans aucune prétention. Elle déploie de très beaux échanges entre Louis et un personnage « joker » sur la spiritualité et le bonheur. Des questions extraites de l'adolescence qui font terriblement sens quand on réalise comment certains, aujourd'hui, profanent la vie, d’autres ont perdu tout goût à la vie. C’est un formidable roman écrit dans un style certes classique mais également parfaitement léger. La profondeur donnée à certains personnages est vraiment un plus. Je retiendrai particulièrement de cette lecture, le bonheur et la passion du Dr Aïssa N'Daw acquis dans son acharnement à remettre le patient au coeur d'un système de santé alternatif.  Belle découverte, je vous souhaite en pays sérère, la terre de Senghor. 

LaReus Gangoueus

La maison des épices, Nafissatou Dia Diouf  – Editions Mémoire d'encrier – Première parution en 2014

« Nafi Photo » par Pascal Boissiere — Travail personnel. Sous licence GFDL via Wikimedia Commons – 

Les films de Stanley Nelson: Souvenirs de l’histoire oubliée des Afro-américains

Freedom Summer était le premier film présenté à la 4ème édition du Festival International des Films de la Diaspora Africaine. Le réalisateur américain Stanley Nelson a assisté à la sortie de ce film et il a pris part à un débat après la projection du film. Il a accordé à l'Afrique des idées une interview où il nous parle de son parcours et de son expérience à réaliser ce documentaire.

ADI: Parlez-nous un peu de vous et de votre parcours en tant que réalisateur.

SN: Je m'appelle Stanley Nelson. Je suis réalisateur et producteur de documentaires à New York. Je produis des films depuis près d’une quarantaine d’années maintenant. Pour moi, il est très important que les Afro-américains partagent leur expérience et parlent de leur histoire. Il m’est arrivé très souvent de penser qu’on n’enseigne pas aux noirs américains leur histoire à l’école. C'est une grande opportunité pour moi de le faire.

Quand j’y pense, j'ai eu l'idée de faire Freedom Summer trois ans après avoir réalisé Freedom Riders. Pour moi, il allait de soi de faire un film sur la lutte pour le droit de vote des Afro-américains pendant l'été 1964 dans le Mississippi. Freedom Riders est un film que nous avons réalisé pour célébrer le cinquantenaire des Freedom Riders de 1961 et cette année marque les cinquante ans de l'Eté de la Liberté.

Je produis des films depuis près de quarante ans et tous mes films sont, d’une manière ou d’un autre, liés directement ou indirectement à l'histoire du peuple afro-américain. J’ai décidé de devenir réalisateur depuis que je suis entré à l'université. J’ai suivi un cursus en 1974 qui me plaisait vraiment, ensuite j’ai suivi d'autres formations et je me suis impliqué dans des projets cinématographiques. C'est ainsi que je me suis formé au métier.

Mon premier film Two Dollars and a Dream sorti en 1987 raconte l’histoire d’une femme appelée Madam C.J. Walker. Elle a fait fortune en vendant des produits cosmétiques aux femmes noires. C'est la première femme dans le monde à être millionnaire alors qu'elle partait de rien.

ADI: En regardant le film, on constate qu'il y a beaucoup d'archives de bonne qualité datant de cette période. En France et en Afrique, nous connaissons très mal cette période de l'histoire. Est–ce le cas aussi aux Etats-Unis? Comment les gens réagissent-ils à cette partie de l’histoire américaine ?

SN: Aujourd’hui, l’histoire de Freedom Summer n’est pas bien connue aux USA, ni celle de Freedom Riders. Nous en avons entendu parler mais nous ne connaissons pas toute l'histoire. Je crois que les gens ne connaissent tout simplement pas ces histoires. J’espère qu’ils les ont découvertes au travers mes films.

ADI: Dans Freedom Summer, on constate que beaucoup de blancs se sont impliqués dans le mouvement pour les droits civiques. Ils ont soutenu les Afro-américains dans leur lutte pour l’obtention du droit de vote. Ils ont même vécu avec eux en dépit des conditions de vie précaires. Comment se développe la relation entre blancs et Afro-américains aujourd’hui ?

SN: C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Je pense que les relations diffèrent d’un lieu à un autre et d’une personne à une autre. En général, on peut dire que les Afro-américains s'en sortent mieux depuis qu'ils ont le droit de voter. Par contre, il y en a toujours qui ne s'en sortent pas. D’une certaine manière, la ségrégation que vous voyez dans Freedom Summer, il y a 50 ans, est toujours d'actualité pour beaucoup d’Afro-américains aujourd'hui.

ADI: Le personnage de Bob Moses est très intéressant. Les gens se rappellent principalement de Fannie Lou Hamer. Pourtant Moses devrait être reconnu comme un héros aussi, vu la description que vous en avez faite au début du film, qui semble un peu mystérieuse d’ailleurs. Pouvez-vous nous parler davantage de cet homme et nous dire pourquoi vous le mettez en avant ?

SN: Bob Moses est l’un des vrais héros du mouvement pour les droits civiques mais personne ne le connaît. Il est parti au Mississipi en 1961 et a lutté pour le droit de vote des noirs. C'était une personne très intelligente et très calme, à la différence de Martin Luther King qui était un prédicateur plein de fougue.

ADI: La non-violence du CNCC était admirable mais à la fin du film, on a l'impression que le mouvement a échoué en quelque sorte et qu'il deviendra plus violent. Pourtant, l’usage de la non-violence comme une arme semblait être un bon moyen pour obtenir le soutien des Américains. Pourquoi n’ont–ils pas continué dans cette voie ?

SN: Je ne pense pas que le mouvement soit devenu violent. Je tourne actuellement un film sur le Black Panthers party. Je pense que dans ce parti beaucoup de gens étaient partisans du mouvement non-violent. Mais, ils avaient l'impression que ce n'était pas suffisant et qu'il devait y avoir une confrontation directe. Je ne pense pas que quelqu’un ait pensé que la violence était la seule solution ni que le parti des Black Panthers ou d'autres personnes aient prêché la violence. Les noirs aux Etats-Unis représentent un douzième de la population. Nous n’avons pas d’arme, ni de flotte, ni d’avion. Donc il n'y avait aucun moyen pour se confronter à la police ou à l’armée nationale. Mais les gens avaient l'impression que le mouvement pour les droits civiques n'était pas efficace. Il fallait essayer d'arriver au but par d'autres moyens qui conduirait à la confrontation et à la la légitime défense et non à la violence.

Aujourd’hui, nous continuons à nous battre chaque jour, nous nous battons pour le changement mais c’est beaucoup plus compliqué parce que nous avons tous les droits (droit de vote, etc). Maintenant nous luttons contre le racisme. La discrimination positive n'existe plus car elle est devenue illégale aux Etats-Unis. Les Noirs peuvent réussir et certains ont effectivement réussi comme Denzel Washington, Beyonce, entre autres. Cependant le système américain n'est pas très favorable à la plupart des noirs pour qui les choses n’ont pas substantiellement changé.

ADI: Vous prévoyez de réaliser un film sur le Black Panthers Party (qui sortira l’année prochaine). Ce mouvement était-il une conséquence du Freedom Summer ?

SN: Le mouvement des Black Panthers n'était pas une conséquence du Freedom Summer, mais plutôt de son échec. L’échec de la convention nationale démocratique a conduit des gens dans le mouvement des droits civils à dire que «nous avons tout fait correctement comme il se doit, mais nous n'atteindrons pas notre but comme cela». Je pense aussi que le parti des Black Panthers a fait évolué le mouvement au niveau national. Le mouvement pour les droits civils était un mouvement sudiste et religieux avec des leaders provenant d'églises. Les gens du Nord se disaient «Et nous alors?». Ils avaient l'impression que leurs problèmes n’étaient pas les mêmes. Ce sont pour ces raisons qu'autant de personnes se sont ralliées au mouvement des Black Panthers.

Propos recueillis par Awa Sacko

Traduit par Koriangbè Camara

 

« Their spirit gone before them »

L’histoire de la traite négrière et l’esclavage soulèvent aujourd’hui une condamnation éthique largement partagée; la Déclaration contre le racisme de Durban (2001) qui a permis de reconnaitre ce chapitre sombre de l’histoire comme un crime contre l’humanité, aura été, sur le plan international, le couronnement normatif de cet élan.

Paradoxalement, malgré cette indignation unanime, la traite négrière et de l’esclavage, s’ils ne sont plus un sujet tabou dans nombre de régions du monde, demeurent cependant une question sensible, dérangeante et délibérément marginalisée dans l’espace publique.

Dans le même temps, un grand nombre d’artistes contemporains se saisissent de cette histoire-mémoire comme d’une matière sensible et sensorielle afin de traiter (au-delà de problématiques postcoloniales) de la relation protéiforme que cette tragédie continue d’entretenir avec notre contemporanéité, qu’il s’agisse du racisme et de la discrimination, de la réduction des hommes et des femmes à une marchandise, de la question de l’intériorisation, par les cultures « noires », de leur infériorisation, de l’enjeux du dépassement du ressentiment, pour ne pas être esclave de l’esclavage, comme l’aurait dit F. Fanon, etc.

La puissante installation-sculpture THEIR SPIRIT GONE BEFORE THEM de l’artiste jamaïcaine Laura Facey est à l’image de ces nouveaux récits visuels et sensoriels produits par une nouvelle génération d’artistiques qui réinvestissent « ce passé qui ne passe pas » en l’enserrant dans de nouvelles problématiques tant esthétiques qu’éthiques.

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THEIR SPIRITS GONE BEFORE THEM, 2006, cottonwood canoe, 1,375 resin miniature figures of the Redemption Song Monument, sugar cane, 72 x 240 x 33 inches. Photo by Donnette Zacca

Cette œuvre organique, aux dernières limites d’une représentativité stricte, évoque tout à la fois l’expérience traumatique du Middle Passage (celle de corps violentés, détruits, violés mais toujours résistants) et ce que Paul Gilroy avait appelé de façon fort à propos « the Black Atlantic »[1]. Cette traversée des Africains déportés d’une rive à l’autre de l’Atlantique se confond, aux dires de nombreux spécialistes, avec l’horreur absolue ; les cales des bateaux négriers renferment un spectacle apocalyptique : des corps empêtrés les uns dans les autres, des cris hurlant, des râles, l’oxygène rare, des vomissements sonores et partout, l’odeur forte de la mort.

Plus d’un tiers de ces hommes et ces femmes mourraient de ces conditions inhumaines avant de rejoindre l’autre bord de leur enfer. Their spirit gone before them.

Les Autres verront leur corps plié dans les champs de canne jusqu’à l’épuisement suprême, leur force vitale consommée en sept ans à peine. Their spirit gone before them.

Le canoë de Laura Farcey qui traverse avec allure cette mer de cannes à sucre nous invite à faire une plongée effrayante dans l’horreur de l’horreur mais, ce faisant il nous engage nécessairement à méditer sur la manière dont ces hommes et femmes ont su faire face par des actes de résistance ordinaires, modestes, héroïques, singuliers ou collectifs : maronner, se souvenir de son Afrique, en conserver l’empreinte par la spiritualité, les chants, les danses, créer un nouveau corpus culturel, etc. C’est par ses formes de résistance, diffuses et plurielles, qu’il leur a été possible de conserver ce que la cupidité et la barbarie de quelques-uns avaient voulu leur arracher : leur ubuntu.

Biographie de Laura Facey :

Né en 1954 en Jamaïque, l'artiste et sculpteur de renommée internationale Laura Facey a étudié à l'Ecole d'Art de la Jamaïque puis au Surrey College West of Art & Design. Née d'un père africain-anglais et d'une mère britannique-américaine, Facey dit volontiers d'elle-même: «Je suis une Jamaïcaine d'origine mixte. Dès mon jeune âge, j'ai été passionné par la guérison de la terre et ceux qui l'habitent ".

Kgebetli Moele : Chambre 207

Au moment où commence la rédaction de cette chronique, force est de constater que ce livre initie plusieurs ravissements et questionnements à mon niveau. Pour de multiples raisons qu’il serait trop long d’expliciter, l’observation de cette couveuse installée sur la rue Van der Merwe, quelque part à Hillbrow, le fameux quartier de Johannesburg où sévit une violence unique sur le continent africain, cette obsevation disais-je, fut passionnante. Quartier dortoir, mal famé que ses habitants nomment pourtant la cité des rêves.  

Chambre 207, une couveuse 

Six jeunes sud-africains noirs, produits de la période post-apartheid, cohabitent dans une petite chambre miteuse, quelque part dans un immeuble d’Hillbrow. Ils occupent la chambre 207. Pour la plupart, ce sont des éléments rejetés de la grande université Witwatersrand de Johannesburg. Une sortie de route qui, pour nombre d'entre eux, est le résultat des contraintes pécuniaires lourdes imposées pour terminer un cycle d'études. Les ressources intellectuelles ne suffisent pas pour vous venir à bout du mastodonte universitaire censé vous faire toucher les étoiles et exploser le plafond de verre de cette société sud-africaine. Le personnage narrateur raconte en début de texte les profils de ces différents pensionnaires. Tous ne sont pas, cependant, des étudiants désabusés. Ils sont aussi, ethniquement parlant, une vision de cette Afrique du Sud plurielle. Même s’ils sont tous noirs. Sotho. Pedi. Zoulou. Tswana. Il n’y a pas de xhosa, élément intéressant puisque ceux-ci sont l’incarnation du pouvoir politique, valet de la puissance économique blanche. Pour rappel, le livre est paru en 2007 sous le mandat de Thabo  Mbeki.  Cette cohabitation est heureuse. Le dieu Isando règne sur les beuveries consolatrices. Comme toute jeunesse instruite, les pensionnaires de la chambre 207 refont l’Afrique du sud sans misérabilisme, sans désignation d’un coupable à leur sort.

Introspection d’une jeunesse sud-africaine qui se cherche

C’est en effet assez surprenant. Je réalise, en écrivant cette chronique, qu’à aucun moment, Kgebetli Moele ne fait porter au poids lourd du passé, la responsabilité de la situation de ces colocataires fantasques et épicuriens. Chose d’autant plus étonnante, car quand on lit John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de Littérature, dans son désormais célèbre roman Disgrâce, les lourdeurs de l’apartheid sont particulièrement marquantes et la peur du lendemain est certaine. Nos anciens étudiants se questionnent sur la condition du Noir (débat singulier sur le continent africain), sa violence, son autodestruction. Aucune histoire ne justifie que des hommes violent un bébé de trois mois, laissent pourrir leur quartier, tirent sans raison sur une foule en liesse lors d’une soirée dansante. Du moins, c'est ce qu'ils se disent sans trop d'illusions. C’est en cela que Kgebetli Moele fait de la bonne littérature et fait des joyeux lurons de cette chambre, des personnages auxquels on peut s’identifier.

Précarité et confort

Il ne sera pas question ici de vous décrire ces personnages que sont Modishi, Molamo, Matome, D’Nice, Zulu-Boy et le narrateur Noko. Chacun cherche des opportunités avec les valeurs qui les guident. Le narrateur tente avec une certaine subjectivité de retranscrire ces figures incarnant une lutte pour la survie. Un combat féroce. Il décrit aussi les contraintes auxquelles ils sont tous soumis. Comme celle, très simple, de faire face aux échéances mensuelles d’un bailleur qu’on ne voit jamais mais qui possède à sa solde une armée d’esclaves pour récupérer son dû. C’est à peine métaphorique. La précarité sied. Le narrateur nous prend par la main pour nous faire marcher dans Hillbrow. Une ville que je me représente comme celle que m’avait décrite mon meilleur ami, likwérékwéré* de son état, comprenez étranger d’origine africaine, qui a failli y laisser sa  vie sur un trottoir. Kgebetli Moele aborde la xénophobie sans état d’âme de cette jeunesse par la bouche de Zulu-Boy.

Je pense que l’élément fort de ce roman, en dehors du style détaché, adapté au discours de ces jeunes, est finalement la sortie de la chambre 207, d’une zone de confort, et finalement d’Hillbrow que certains d'entre eux abhorrent. Et Kgebetli Moele réussit le tour de force de faire passer le lecteur dans une forme de réalité terrifiante. Un même espace. Une incubation commune. Les uns trouvent une voie. D’autres périssent. C’est poignant. C’est touchant. C’est une Afrique du Sud d’aujourd’hui. C’est la vie. C'est de la très bonne littérature.

A propos de cette relation charnelle qui lie JoBurg, Hillbrow à ses habitants :

Bienvenue à Johannesburg. Cette fois tu l'as vraiment sentie, ton sang a été versé et s'est mélangé à son sol. Toi et la ville êtes maintenant en parfaite connexion l'un avec l'autre. Ton sang coule dans ses veines et elle coule dans ton sang. 

Lareus Gangoueus

Chambre 207, Kgebetli Moele – Titre original Room 207 paru en 2006 chez Kwela Books -Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par David Koënig, en 2010, 269 pages

Mascottes : les professionnels des tribunes d’Afrique

L’ambiance des tribunes de foot africaines peut prendre une dimension incroyable, lorsque les événements concourent dans ce sens. Un rugissement qui donne des ailes aux joueurs sur le terrain et permet des matchs incroyables, une sorte de turbo qui augmente l’intensité de la fête. Le fameux rôle du « douzième homme » qui permet de réaliser les plus grands exploits. Ici, les spectateurs sont rares, on ne retrouve que des supporteurs. Aux joueurs de provoquer la pulsion nécessaire à leurs réveils.

Supporteur n°1, au service de l’exploit sportif

La musique et la danse sont présentes en tribune, elles se sont naturellement imposées comme un excellent moyen d’encourager les joueurs sur le terrain, et mobiliser le public. Les sélections nationales d’Afrique de l’ouest et centrale peuvent compter sur des groupes de supporteurs, composés d’hommes, de femmes, dévoués pour encourager l’équipe chérie pendant 90 minutes, Parmi eux, ils s’en distinguent toujours quelques-uns qui revêtissent des couvre-chefs ou qui ont leurs corps recouverts de peinture. Ils ravissent les photographes et les caméras des journalistes qui s’en servent souvent pour illustrer le public. Pas étonnant, ils sont uniques dans la planète football. Ce sont des mascottes indépendantes, qui remplissent ce rôle de manière quasi professionnelle, et sont de véritables supporteurs « numéro un ». Ils ont la reconnaissance de tous pour ce rôle.

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Ces fameux supporteurs, des hommes en grande majorité, possèdent un attachement particulier à leurs équipes et un don pour pouvoir continuer à encourager sans fin, quelque soit la tournure du match. Ils accompagnent les joueurs ou qu’ils aillent, et sont capables de voyager plusieurs jours dans des conditions difficiles pour leur donner le soutien qu’ils méritent. Ils peuvent percevoir une rémunération, mais celle-ci est dépendante du bon vouloir des autorités compétentes, quelle que soit du football ou du gouvernement. Mais il n’est pas rare de les voir sollicités pour des événements sportifs, et pas uniquement autour des stades de foot, même s'ils sont leurs terrains de jeu favori. Ces quelques supporteurs à plein temps vivent ainsi au rythme des compétitions sportives et des grands matchs de foot. Ils accompagnent les délégations lors des Coupe d’Afrique des Nations ou des compétitions régionales.  Une forme d’emploi modeste mais qui permet de voyager, un luxe pour beaucoup de monde en Afrique. Ils sont devenus des artistes des tribunes, jamais en manque d’inspiration pour transmettre au public l’énergie du terrain, et permettre d’atteindre ce fameux rugissement du stade, qui fait voler les dribbleurs et décomplexe les attaquants. Une transe footballistique que seule l’Afrique peut créer. 

Pas de motivations Marketing

Présentes en Europe autour de quelques équipes, les mascottes sont arrivées via les sports US que ce soit à l’université, ou dans les ligues majeures (NBA, NFL, MLB). Des personnes déguisées en animaux ou personnages représentatifs du surnom de l’équipe. Elles sont devenues rapidement un argument marketing pour cibler les plus jeunes, et une partie prenante de ces shows du sport business. Certains sont bénévoles, d’autres perçoivent une rémunération directe ou indirecte. En Afrique, la considération économique n’est pas à prendre en compte, les mascottes se sont imposées d’elles-mêmes dans la vie de ces gens, qui n’ont pas hésité à se jeter dans l’arène et adosser cette fonction de troubadour des temps modernes.

Le Bénin a perdu ses deux mascottes ces dernières années. Papa Boyayé puis Bernard Tapie ont quitté ce monde dans un émoi national. Ils ont été Illustration 4nombreux à les accompagner pour leurs derniers voyages. Car ils ont laissé les écureuils de la sélection Béninoise orphelins de leurs ambianceurs. Car, depuis leur départ, ces messieurs qui font « le spectacle dans le spectacle », selon Anselme Houenoukpo, journaliste Béninois à l’événement précis, n’ont pas encore eu des successeurs avérés. «Papa Boyayé faisait des tours de magie et quelques mouvements gymnastiques pour donner du sourire aux spectateurs. Il en profitait pour se faire un peu de sous aussi», il nous dit aussi que pour la relève, « ce sont deux jeunes, un qui supporte l'AS Police et l'autre Energie FC. Ils tentent à leurs manières de soutenir les équipes. Eux, ils n'ont pas les accoutrements de Bernard Tapie, mais ils feront de bons supporteurs ». En effet, il est difficile de succéder à ces mascottes qui étaient devenus des membres à part entière de la grande famille du mouvement sportif. Il est difficile de revêtir un costume de supporteur n°1 et de s’imposer aux yeux de tous. À l’image d’un super-héros.


Afrique des idees Supporters5Le Bénin peut compter sur la détermination et le talent de sa jeunesse, sur les rêves que provoque le football dans le Royaume du Dahomey. Seulement, il faut que les résultats des sportifs nationaux progressent, car si à l’image du football, en perpétuelle reconstruction, les participations à la CAN sont de plus en plus rares, des affluences faibles seraient un vrai préjudice dans cette période de transition de ces chefs de file du supporterisme local. Car cette vie n’a pas beaucoup d’avantages, outre le fait de pouvoir vivre sa passion à outrance, et de participer aux compétitions internationales en voyageant avec les délégations officielles. Il est difficile d’obtenir une rémunération décente, l’on devient cependant un personnage public, de grande notoriété. Ce qui n’est pas anodin dans une vie, mais suffisant pour éveiller de nouvelles vocations qui demeurent précaires? L’avenir nous le dira, le développement de la fédération aussi.

 

Pierre-Marie Gosselin

Source Photos –  hommage à Bernard Tapie, le supporter / Perez Lekotan, journaliste béninois

Papa Boyayé et son vélo. Source BJfoot. Découvrir aussi l'interview de ce supporter mascotte aujourd'hui disparu

Couverture : Supporter des Etalons du Burkina Faso, équipe nationale de ce pays – Reuters

Armelle Mabon sur les vraies raisons du massacre de Thiaroye

Alors que l’on s’apprête à commémorer le soixante-dixième anniversaire du massacre de Thiaroye, Armelle Mabon, historienne française qui a travaillé durant près de 15 ans sur le sujet, conteste aujourd’hui la version officielle des faits qu’elle qualifie de « mensonge d’Etat ».

source photo Diawara.org

Le massacre de Thiaroye s‘est déroulé le 1er décembre 1944 dans un camp militaire à Dakar au Sénégal. Selon la version officielle, 1300 tirailleurs sénégalais qui venaient d’être libérés des Fronstalag (camps de prisonniers de l’armée allemande situés en France) transitèrent à Thiaroye avant de rentrer dans leurs pays respectifs. Ils venaient du Sénégal, Mali, Bénin, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Tchad, Gabon et Togo. À la suite d’une mutinerie dans le but d’obtenir le paiement total de leur solde de captivité, ils prirent en otage un membre de l’armée française, le général Dagnan, jusqu’à obtenir satisfaction. Se sentant humiliés, les soldats français ont décidé de faire une démonstration de force en bombardant le camp à l’aide d’automitrailleuses.

Le bilan officiel retenu à ce jour de cette mutinerie est de 35 morts, 35 blessés et 34 condamnations.

Le 12 octobre 2012, alors en déplacement à Dakar, François Hollande déclarait :

« La part d'ombre de notre histoire, c'est aussi la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s'étaient pourtant battus pour la France. J'ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu'elles puissent être exposées au musée du mémorial »

La déclaration du Président français n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde.

Toutefois, c’est en 2000, qu’Armelle Mabon, a commencé à fouiller les archives sur Thiaroye. Et la disparition de documents militaires n’a fait qu’augmenter ses doutes 

« J’ai commencé par m’interroger sur ces pièces disparues puis je me suis poser la question que je n’aurais jamais du me poser : Et si les rapports étaient mensongers ? Et si il n’y a pas eu du début jusqu’à la fin une machination ? » explique-t-elle.

Près de sept décennies plus tard, il ne fait plus aucun doute 

Je peux désormais certifier que c’est un mensonge d’Etat.

En 2003, elle est l’auteur du documentaire Oubliés et trahis. Les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains (Grenade productions)Mais c’est en 2010, dans son ouvrage Les prisonniers de guerre "indigènes", Visages oubliés de la France occupée (Ed. La Découverte) qu’elle expose clairement ses doutes sur la version officielle du massacre de Thiaroye.

À la suite de ses recherches, elle constate que le mensonge se porte sur trois aspects : la falsification des rapports militaires, la spoliation dont les tirailleurs furent victimes et enfin le caractère prémédité du massacre. Toutes ses révélations se basent sur des pièces d’archives et des rapports militaires qui proviennent des Archives Nationales d’Outre Mer (ANOM) et du Service Historique de la Défense (SHD).

Malgré tout, Thiaroye conserve toutefois de nombreuses zones d’ombre, à commencer par le nombre de tirailleurs présents sur le camp. Là, déjà, pour Armelle Mabon un premier doute s’installe 

« Nous ne pouvons pas déterminer aujourd’hui combien ils étaient. D'après les archives, 1200 ou 1280 ou 1300 ex-prisonniers de guerre sont arrivés à Dakar. Alors qu'il existe un document officiel de la Marine en AOF avec ce chiffre de 1300 » explique-t-elle.

Au départ de Morlaix en Bretagne, 2000 tirailleurs étaient présents. Parmi eux, 300 ont refusé d’embarquer car ils n’ont pas perçu le quart des soldes de captivité, ce qui amène le chiffre à 1700. Si le chiffre officiel fait état de 1300 hommes présents à Thiaroye, où sont passés les 400 tirailleurs restants ? Pour y répondre, Armelle Mabon a une explication 

« J’ai trouvé une archive, datant 21 novembre 1944, au Sénégal, où il est écrit que 400 hommes avaient refusé de monter sur le Circassia (nom du bateau) à Casablanca, je ne sais pour quelle raison, donc cela fait 1300. ». Sauf qu’un document vient démentir cette version « Un rapport nommé Lemasson, Chef d'escadron qui était sur le Circassia avec les ex-prisonniers de guerre (ci-joint), dit que sur les 24 heures où le bateau a fait escale à Casablanca, il n’y a eu aucun problème. J’imagine bien que si 400 hommes avaient refusé de monter à Casablanca un rapport l’aurait signalé comme pour les 300 de Morlaix. Là, non ! » 

De là à dire que ces 400 hommes ont été exécutés à Thiaroye, Armelle Mabon ne va pas jusque là mais reste convaincue que des documents ont été falsifiés voire détruits.

L’historienne s’aperçoit également que les différents rapports (il y en a une vingtaine) sont incohérents sur la nature de la mutinerie 

« Une circulaire officielle (ci-jointe) émanant du Ministère de la guerre, avait indiqué que les soldes devaient être payés pour ¼ à l’embarquement et les ¾ restants au moment du débarquement. Il se trouve que si des personnes ont refusé d’embarquer à Morlaix c’est parce qu’ils n’avaient strictement rien reçu » elle poursuit, « Arrivés à Dakar, tous ces hommes connaissaient leur droit, à savoir récupérer les ¾ restants et pour certains d’entre eux, la totalité. Les officiers sur place, pour une raison que j’ignore, ont décrété qu’ils ne percevraient pas ces rappels de soldes. Ce qui a provoqué un mouvement de protestation. Le général Dagnan a parlé avec eux. On dit qu’il a été pris en otage, c’est absolument faux ! ». 

Surpris que les tirailleurs, qui véhiculaient une image de combattants obéissants et dévoués pour la patrie se révoltent, les officiers français décident d’entreprendre une démonstration de force et de maintien d’ordre prévue le 1er décembre au matin. Et c’est à la suite du massacre que se met en place la supposée falsification d’archives 

« Comme ils n’ont pas voulu les payer et ensuite il y a eu ce massacre, ils ont organisé une falsification afin de montrer que ces hommes avaient des réclamations illégitimes. »

Rendre les revendications des tirailleurs illégitimes et par la même occasion l’utilisation de la force légitime serait le but de la machination pour Armelle Mabon  

« Cette incroyable circulaire n° 6350 du 4 décembre 1944 émanant du ministère de la Guerre (direction des Troupes coloniales) indique qu’il y a eu un changement au moment du paiement des soldes de captivité. Auparavant c’était ¼ à l’embarquement puis ¾ au débarquement mais  bizarrement au 4 décembre c’est la totalité à l’embarquement. Donc officiellement ils ont pu rendre illégitime les revendications de ces ex prisonniers de guerre en faisant croire qu’ils avaient perçu la totalité des soldes avant l’embarquement ». Ce qui est plus grave à ses yeux c’est que le massacre a été prémédité, preuve à l’appui « Le rapport Lemasson du 1er décembre 1944 mentionne qu'à 6h45 il a été informé que les forces armées doivent réduire les rebelles. Cependant les forces de l'ordre n'ayant pas eu leur vie menacée avant 6h45, c’est donc la veille qu’a été décidé cette démonstration de force visant à faire taire les mutins. De plus, le rapport Leberre, qui est disponible au SHD, parle d’une réunion la veille au soir avec un ordre oral au commandant des automitrailleuses, ce qui vient corroborer mon hypothèse. Evidemment, ni ce commandant ni Lemasson n'ont été entendus durant l'instruction » déplore-t-elle.

Une ultime interrogation subsiste concernant le nombre de victimes de ce massacre. Elle se veut plus prudente mais ne se fait pas d’illusions 

« Je crois qu’on n’arrivera jamais à quantifier le nombre de morts. Je ne vais pas dire qu’il y a eu 400 morts à Thiaroye. Je dis juste que vraisemblablement, il y a eu beaucoup plus que 35 morts où même 70. Nous avons la certitude que le chiffre officiel de 35 morts n'est pas exact car j’ai retrouvé grâce au Ministère de la Défense, 5 dossiers de victimes. Parmi elles, un dossier concerne un mort à l'hôpital de Dakar des suites de ses blessures mais il n'est pas recensé sur la liste des 11 décédés à l'hôpital. Donc 35 plus un ca fait 36. Mais on est loin du compte, c’est évident. A l’époque, ils ont voulu camoufler une hécatombe ».

Si elle parle de 400 morts, ce n’est pas anodin : c’est le nombre exact de soldats qui auraient refuser d’embarquer à Casablanca.

Malgré tout, si on ne peut pas refaire l’histoire, et ça Armelle Mabon en est bien consciente, on peut la réparer. C’est pour cette raison qu’elle réclame un procès en révision, 70 ans après ! 

« Il faut voir les choses en face. Il y a eu un procès avec des condamnations lourdes donc il faut faire œuvre de justice, reconnaître les faits. C’est la première chose à faire ». 

Elle ose même une comparaison avec une affaire qui a secoué la France au début du 19e siècle 

« Thiaroye n’est pas sans rappeler l’affaire Dreyfus. Ce n’est pas une histoire de bordereau, c’est encore pire. On a inventé des pièces à conviction pour le procès afin de faire croire que ces hommes travaillaient pour les allemands alors que la plupart étaient résistants !» concède-t-elle avec émotion.

Armelle Mabon est tout de même optimiste pour une issue favorable de sa demande de procès en révision et, malgré les critiques d’historiens dont elle est l’objet, elle attend un signe fort de la Garde des Sceaux Christiane Taubira.

Propos d'Armelle Mabon recueillis Kalidou SY

STANLEY NELSON’S MOVIES: Reminder on the forgotten characters of the African American history

The first movie to be shown at the FIFDA Festival (Festival for African movies) was Freedom Summer on which L’Afrique des Idées already published some articles. The director, Stanley Nelson, was there for the premiere of the movie from the USA and he participated to a debate after the film. I got the chance to get his business card and organize the following interview for you ☺

 

ADI: Could you please introduce yourself and explain us your curriculum as a movie maker?

SN: I’m Stanley Nelson, I’m a director and producer of documentary films based in New-York. I’ve been making films for about forty years now and I think it’s really important as an African-American to tell about the African American experience and African American History. I think so many times African Americans are not taught their history at school and it’s a great opportunity for me to do it. I think I became very interested in the story of Freedom Summer after we did a film, three years ago, on the Freedom Riders. It seemed natural to go forward with this story and make a film about the summer of 1964 in Mississippi which was called “Freedom Summer” and a struggle for the right of African Americans to vote. Freedom Riders is a movie we made to celebrate the 50th anniversary of the Freedom Riders in 1961 and this year was the 50th anniversary of Freedom Summer.

I’ve been making movies for about forty years and all my movies are, somehow, related to African-American people, directly or indirectly. I decided to become a movie maker when I was in college. I took a course in 1974 – which I really enjoyed – then I took other courses and got involved in some projects. Through this process I became a professional. My first movie was Two Dollars and a Dream, in 1987, telling the story of a woman named Madam C.J. Walker. She made a fortune selling cosmetics devoted to Black women and she was recorded as the first woman ever in the world to become a millionaire starting from scratch.

 

ADI: While watching Freedom Summer, we can see that the historical records from that period are very rich and of very good quality. Beyond the USA, in France and Africa we don't really know this history, not so much as it is described in your film. Is it in the USA well known? How do people deal with this part of the American History?

SN: Actually, this history of Freedom Summer is not well known in the United States, nor is the story of the Freedom Riders. We’ve heard of them but people don’t know the whole history. I believe people just don’t know these histories. I hope they’ve discovered them with my movies.

 

ADI: During Freedom Summer, lots of White People got involved in the civil rights movement and integrated Black populations to help them get their right to vote. They even went to live with them in spite of very poor living conditions. How is the relationship between White Americans and African Americans today?

SN: This is a question I cannot answer. I think the relationships are different from one place to another and from one person to another. In general, African Americans have done better thanks to the civil rights movement but there are still African Americans who have not done well and someway, the segregation that you see in Freedom Summer, fifty years ago, is still the same today for too many African Americans people.

 

ADI: The character of Bob Moses is very interesting. People mainly remember about Fannie Lou Hamer, but Moses should also be regarded as a hero. We can feel it through the description you made of him at the beginning of the movie, which sounds like a little mysterious. Could you please tell us a little more about this man and why you put him into the light?

SN: Bob Moses is one of the true heroes of the civil rights movement but people don’t know his name. He went to Mississippi in 1961 and pushed for voting rights for black people. He was very brilliant person, he was very quiet, not a fiery preacher like Martin Luther King for example

 

ADI: The nonviolent action of the CNCC was admirable but at the end of the movie a feeling of failure is spread and we have the impression that it is going to turn into a more violent movement. However, the use of nonviolence as a weapon seemed to be a good way to get Americans on their side. Why did they not go on that way?

SN:  I don’t think there was a turn into violence. I’m finishing a film now on the Black Panthers party so I think that for many people who were part of the nonviolent movement, there was the feeling that there was a need for something else, and there might be a more direct confrontation. I don’t think that anybody ever thought that violence was the way, I don’t think that Black Panthers Party as a whole preached violence, and I don’t know many people who did. Black people in the USA represent 1/12th of the population, we don’t have guns, we don’t have tanks, we don’t have airplanes. So no way we could go into a direct confrontation with the police and the army of the country. But there was a feeling that the traditional civil rights movement was not working and that other ways, other things had to be tried, which to some extent would lead to confrontation, not to violence but to self-defense.

Today we are still fighting every day, we are actually fighting for change but it’s much more complicated because we already have all the rights (right to vote, etc.). Now the question is more about how to break racism. Affirmative action was made illegal in the USA and does not exist anymore. It’s possible for some Black people to be successful and you could take as an example people like Denzel Washington, Beyonce, and so on. But because of the way the system works in the USA, for most Black people things have not changed substantially.

 

ADI: You're planning a movie on Black Panther Party (to be released next year). Is the creation of the Black Panther Movement a consequence of the Freedom Summer?

SN: I think that the Black Panther movement was not a consequence of the Freedom Summer, but in many ways, the failure of Freedom Summer. The failure of the Democratic National Convention led many people in the civil rights movement to say “we’ve done everything right, it doesn’t matter what we do, we’re not going to succeed that way”. I also think that the Black Panther Party was a national progression of the movement. The civil rights movement was a southern movement and also a religious-based movement with leaders coming from the church. People from the north were thinking “what about us?” as their problems were not the same. These reasons made the Black Panther movement attractive.

Awa Sacko

Songe à Lampedusa du poète ivoirien Josué Guébo

10451710_768057176549158_5873184964668294010_nJosué Guébo, lauréat du prix Tchicaya U Tam’si (2014), est un poète ivoirien dont la plume a élu domicile dans une île pour enfanter la parole. Parole poétique adressée aux lecteurs sous le titre Songe à Lampedusa.  Lampedusa justement, cette île, théâtre de l’immigration clandestine, devient dans les vers de Guébo une métaphore de notre monde. Un monde qui souffre, qui tangue sur les vagues de ses préoccupations existentielles. Un monde en rupture d’équilibre en quelque sorte !

Au-delà donc de la question de l’immigration, ce qui est sujet à réflexion dans cette poésie de Guébo, ce sont les rapports humains dans tous leurs états. Le poète questionne ici des réalités hautement complexes : qu’est-ce que l’Homme aujourd’hui  quand on sait que ni l’espace(le pays d’origine ou le pays d’accueil), ni la nationalité, ni la race ne réussissent  à nous définir tant nos rêves, nos aspirations, nos fantasmes les explosent en bien comme en mal. Sa définition toujours en friche, l’homme se voit donc en transit, en  mouvement vers l’ailleurs, vers l’autre. Cet autre aussi en mouvement, donc inévitable collision  d’humanités en rupture d’équilibre! Qui (re)connait qui ? Personne ! On attribue juste  à la va-vite et selon les mœurs et les humeurs du moment des parures à tel ou à un autre. Voilà pourquoi Josué Guébo réécrit, à loisir et avec ironie, le mythe d’Ulysse, le héros grec connu pour ses dix années d’aventures à la recherche de son équilibre, son foyer. Et le poète ivoirien de s’exclamer :

La guerre de Troie aurait bien lieu

Ulysse serait attendu l’arme aux poings par les garde-côtes

Il aurait l’air surpris

Qui part à la chasse perdrait sa race

De trop avoir erré sous les soleils Ulysse aurait la mine

D’un Soumangourou Kanté

Certains le prendraient pour Dieudonné  Mbala Mbala

p. 46 – Editions Panafrika / Silex – Nouvelles Sud

Songe à Lampedusa est une poésie qui interroge notre identité avec des éléments de mythes et des éléments historiques. L’homme trouve en face de lui son semblable mais aussi ses rêves et ses fantasmes. Et tous dans un mouvement de quête illusoire  de tranquillité, de bonheur. Mais alors comment gérer cette quête du bonheur sans piétiner, sans importuner l’autre ? Comment sauvegarder sa  tranquillité, sa sécurité sociale sans refouler outre mesure l’autre ? Josué Guébo nous pousse à ces interrogations essentielles. Son recueil fait de Lampedusa un raccourci de notre monde. Par-delà les immigrants et les garde-côtes, célébrant une bamboula dont ils ne sont pas forcément fiers; par-delà donc cette île,  il faut voir notre monde, ses leurres, ses lueurs, ses plaies et ses aises. Ce monde regardant ses tragédies (guerres, famine, naufrages…) comme si cela allait de soi :

Il y a pire qu’un radeau

A l’agonie

La terre oublieuse

D’être maternelle

p.7 – Editions Panafrika / Silex – Nouvelles Sud

Qu’il a raison le poète !  L’humanité s’oublie consciemment. Oubli programmé par les géopoliticiens et les capitalistes éhontés. Les solidarités se fabriquent sur mesure et sont dépourvues de tout sens humain. Le poète en est conscient, ses vers témoignent :

Nous ne voudrions

Du faux requiem

Des sympathies tardives

Ne voudrions des sourires de plâtre

A la rescousse

Des seules causes perdues

Ne voudrions des caresses langoureuses

Aux présences désertées

Ne voudrions de la poigne chaleureuse

Au matin consciemment

Refroidi.  

p. 14 – Editions Panafrika / Silex – Nouvelles Sud

La plume de Guébo étonne par son sens de la litote, sa force de suggestion et son style alerte.  Une écriture posée qui vientfaire écran (p.8) à cette île agitée que l’auteur met en scène dans une démarche artistique qui tient à la fois de la poésie et de la narration.

En effet, Songe à Lampedusa peut se lire comme un tout, un seul texte. Ses vers ne sont pas dits mais contés par un JE  poète-narrateur. Ce dernier livre son récit par touches poétiques, par bribes de souvenirs et de nostalgies, par  tranches d’exigences familiales qui l’ont jeté  dans les vagues de l’errance. Il connaitra la mer, le rêve, le radeau, l’angoisse et le naufrage. Une poétisation de tous les récits d’immigrants clandestins, qui emprunte à Césaire son usage agréable de l’anaphore :

Et nous monterait

L’écho du mal-de-mer

L’écho

Où cuveraient leur saoul

Toutes les colères séculaires

La tempête

Dans l’ovaire d’un naufrage

[…]

Et nous monterait l’antique nausée

Des cales

Le chancre blasphématoire

Des chansonnettes salaces

Et nous monterait

L’écho du mal-de-mer p. 14-15

A l’anaphore, il faut ajouter les belles allégories (surtout les pp. 16, 17) qui permettent des pauses-réflexions au fil des pages où le poète attire notre attention sur l’état honteux de notre siècle :

Rien n’exaspère

Rien ne révolte

Pas même les putes suçant des crucifix

Pas même les aveugles gourmands de strip-tease

Rien n’exaspère

Pas même des moustiques attachés-administratifs

Pas même des fesses galeuses sur un trône, p. 25

Le JE qui sert à l’énonciation poétique de Guébo ne joue pas seulement avec nos méninges, mais aussi avec notre cœur. Plus le texte tend vers la fin, plus la charge émotive devient grande : tragédies, amertumes et dérisions se côtoient dans des vers qui deviennent de plus en plus  directs, abandonnant même par endroits les enjoliveurs poétiques pour porter nue la réalité qui égrène des chiffres, des faits et des dates funestes :

3 octobre

Les radeaux lents des violeurs

De l’automne

Blessent les quais

[…]

3 octobre

Trois et dix

Trente

Trente et dix

Trois cents

Trois cents soixante-six

[…]

Ce 3 octobre

Entre l’eau et les flammes

Flottaient aussi des femmes, pp. 48-49

Si on peut lire Songe à Lampedusa comme une mise en vers d’un récit, il n’en demeure pas moins que cette œuvre reste un recueil de poèmes. Chaque page décline son poème dans une logique qui lui est propre. Une manière pour l’auteur de créer encore du charme : le lecteur se surprend, en effet, à mettre en rapport les différentes logiques des poèmes et à imaginer au fil du texte ce qui aurait pu être le titre de tel ou tel autre poème. Au final, ce texte de Josué Guébo est une poésie totale  ou plutôt comme le dirait A. Waberi c’est un voyage de mots qui se nourrit de multiples étreintes.

Josué Guébo, Songe à Lampedusa, Dakar, Panafrika/Silex, Mai 2014, 70 pages

Anas Atakora

YOUNG AFRICANS – SIMBA SC : le derby qui met en pause Dar-Es-Salaam

Les grandes rivalités tissées au cours de l’histoire sont à l’origine de la passion planétaire que draine le football aujourd’hui. Comme le prouve les audiences record réalisées lors des matchs entre le FC Barcelone et le Real Madrid. Qu’elles soient géographiques, culturelles ou sociales, toutes les raisons sont bonnes pour avoir un meilleur-ennemi.

En Afrique, tous les pays peuvent revendiquer au moins un match qui est plus attendu que les autres. Animés par les Ultras, les derbys nord africains déchaînent toutes les passions dans des ambiances électriques. Mais c’est pourtant en Tanzanie qu’une rivalité toute particulière donne lieu à des moments sulfureux et d’effervescence quelque soit l’enjeu sportif. L’opposition entre les deux équipes historiques de Dar-Es-Salaam : les Young Africans SC et le Simba SC.

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Football 100% local. Imaginé par les swahilis, pour les swahilis

Au milieu des années 30, le club de YANGA (surnom du Young Africans) est né de la fusion de plusieurs équipes dans le quartier de Kariakoo, au centre de Dar-Es-Salaam. Quelques années plus tard, toujours dans le centre-ville, des étudiants se sont associées à une équipe de rue pour former le Simba SC. Rapidement, les  deux clubs ont surpassé leurs rôles d’équipe de foot et sont devenus de véritables communautés ou les supporteurs viennent tisser des liens sociaux. Yanga regroupait majoritairement des Zamaro, alors que Simba rassemblait davantage les tanzaniens aux origines Arabiques ou Indiennes. La rivalité va naitre naturellement. Elle prendra la forme de la satire, dans cet antique comptoir cosmopolite Swahili. Les « ignorants » contre les « étrangers ». Au fil du temps, les deux clubs se dotent d’administration et d’infrastructures solides. Ils réussissent à maintenir l’enthousiasme de leurs supporteurs. Et ceux, malgré l’absence de résultats probant sur la scène continentale. Dès les années 60, les dirigeants n’hésitent pas à recruter des joueurs et des entraineurs étrangers, sud américain et européen. Avec un bilan de 24 titres de champion pour les « Jeunes africains » contre 19 pour les lions (Simba en Swahili). Leurs couleurs, respectivement jaune et verte et rouge et blanche, sont visibles dans toute la ville. La popularité des équipes gagnera ensuite les villes de l’intérieur du pays.


Aujourd’hui, les deux équipes partagent le grand stade national Benjamin Mkapa. Une enceinte sportive de 60 000 places, moderne, répondant aux nouvelles normes de la FIFA, dans une architecture singulière en Afrique. Preuve d’un engouement sans faille, on retrouve sur les épaules de tous les supporteurs les maillots de leurs équipes. Un fait rare sur un continent envahit par les maillots des équipes Européennes. Le stade s’est naturellement divisé en deux, un côté jaune et l’autre rouge. En fonction de l’endroit où l’on se positionne dans le stade, on affirme son soutien à l’une ou l’autre des équipes.

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Un stade constamment partagé

Il est facile de savoir quand c’est un jour de match à Dar-Es-Salam, les dala dala remplis de fans traversent la ville en direction du stade dans une ambiance de carnaval. Banderoles, drapeaux, vuvuzela, trompette et djembés sont de la partie. Arrivés aux stades, ces groupes de supporteurs organisés par quartiers font une entrée remarquée, dans un défilé qui fait le tour de leur tribune. L’ambiance est donnée. Le virage en face n’est pas en reste. Si c’est Simba SC qui joue, les supporters de Young Africans viendront encourager en nombre son adversaire du jour, quel qu’il soit. Une spécificité Tanzanienne qui place le degré de fanatisme de ses supporters qui sont plus de 20 000 à faire la queue aux billetteries à chaque match. Les équipes étrangères, qui viennent pour les compétitions de la CAF, sont surprises de recevoir un accueil favorable, et un soutien d’une partie du public.  Les jours de derby, Dar-Es-Salaam devient une ville fantôme. Le stade se transforme en cocotte minute prête à siffler pendant plus d’une heure et demi. Dans les tribunes, une frontière imaginaire se trace spontanément au niveau de la ligne médiane. Du jaune dans le virage à droite et du rouge dans celui de gauche. Pas de cordon de sécurité ou de présence militaire exacerbée, bien sûr quelques bagarres éclatent de temps à autre lorsque la frustration ou les railleries deviennent un peu trop véhémentes. Mais les matchs se déroulent dans une très bonne ambiance, et la légende se battit autour des scénarios incroyables qu’elle génère. À la fin du match, ceux qui ne sont pas au stade descendent dans les rues. Le vainqueur amplifie sa joie, il doit profiter au maximum de la suprématie que lui a offerte son équipe… Jusqu’au prochain derby.

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Le spectre du Marketing


Avec un tel enthousiasme, les brasseries nationales se sont précipitées sur une telle opportunité pour promouvoir la bière nationale. La Kilimandjaro, dont le logo est positionné au centre du maillot des deux équipes. Des jeux et opérations marketing sont organisés autour des très nombreux supporters. C’est une première étape vers la professionnalisation de la ligue, dont profite l’ensemble des clubs du pays. Mais qu’importe, supporter Yanga ou Simba est généralement transmis par ses parents, et rien ne pourra mettre un terme à cette passion héréditaire. Si l’on considère le football comme une religion en Afrique, en Tanzanie, les prophètes ne sont pas Messi ou Ronaldo, mais bien Yanga et Simba. Un particularisme qui correspond bien à ce pays qui se développe dans l’anonymat, sans faire de vague. Et tant pis pour les milliers de touristes qui se ruent d’un safari dans le Serengeti à Zanzibar, sans même profiter de cette rivalité sportive unique, sans aucun risque de débordements. Le Superclassio Boca Junior – River Plate est recommandé par les guides de voyage, la rivalité entre Simba SC – Yanga mériterait également d’être reconnue.

 

Pierre-Marie Gosselin

 

Historique des clubs : Tadasu Tsuruta, Simba or Yanga ? Football and urbanization in Dar-Es-Salaam. Dar-Es-Salam History from an emmerging metropolis, Mkukina Nyota 2007
Source illustrations : Page facebook officielle kilimandjaro premium lager et Simba SC Fans vs Yanga SC Fans

 

Alice Miller et le questionnement des valeurs familiales

father-304309_640 (1)L’ouvrage d’Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, est le genre d’ouvrage dont la lecture ne nous laisse pas indifférente. Exerçant comme thérapeute, psychanalyste, Alice Miller s’intéresse aux traumatismes de l’enfant, et leurs répercussions sur l’homme, la femme adulte. Elle affirme dans son ouvrage des thèses qui, à tout le moins, peuvent paraître osées, parfois réductrices. Ces théories sont les siennes, et si elles m’ont aidé personnellement dans ma quête pour comprendre mes propres relations avec les miens, elles se sont cependant parfois heurtées à mon background d’africaine ayant grandi en Afrique. Cependant ma culture actuelle, et mon contexte de vie actuel m’amènent à m’interroger sur certains faits culturels africains, et ce qui fait notre soi-disante fierté de la famille ‘africaine’ et ses ‘valeurs’. Dans cette lecture fort intéressante sont nées des débats entre l’auteure et moi et je livre ici son interprétation de certaines de ses notions et expressions-clé.

 

Nous allons analyser ici quelques notions qui traversent le livre entier, et qui en orientent la vision de l’auteur, notions, expressions, ou « valeurs » qui peuvent dans ce livre devenir fortement discutables, bien que se portant à la discussion. 

 

Les parents et la rupture :

Dans les sociétés africaines subsistent fort heureusement de nos jours, un respect des aïeuls, des ancêtres. Birago Diop pouvait dire que « les morts ne sont pas morts », tant même après eux, continuent de perdurer le respect de leur mémoire que l’on honore en donnant à un nouveau-né, le nom du défunt…Pour ceux qui restent, les pères, mères, oncles, tantes, grands-parents…il y a de la part des plus jeunes, une révérence qui passe par les têtes basses et regards baissés, les mains derrière le dos devant un aîné, et j’en passe. Tout un langage du corps qui fait comprendre à l’aîné, qu’il est plus que respecté, mais craint. Les silences pendant la prise de parole d’un aîné, le silence face à des réprimandes, tout ceci amène un monologue où l’adulte peut se glorifier d’avoir enfin réussi à former un jeune ou « petit », qui sera tout à fait comme l’attendent les convenances et la société. Les parents frappent, encouragés par le commandement divin, insultent, récriminent l’enfant en public, sans qu’il ne soit même envisagé que cet enfant peut aussi avoir un amour-propre, et que pour lui aussi ‘le linge sale se lave en famille’. Non, il est exposé devant oncles, tantes, cousins, neveux, étrangers, et l’on sait que le respect qu’il doit à ses parents aura raison de son mutisme. Des codes sociétaux existent, l’enfant comprend très vite que son acceptation au sein du clan dépend aussi de ce que disent ses parents de lui. On aura du mal à aider scolairement, financièrement, un enfant dont les parents ont fait savoir que c’est un ‘vaurien’ ou ‘une fille qui n’aime pas l’effort’ ou une ‘paresseuse’.

C’est dans ce climat où le respect des aînés est survalorisé, et en contrepoint, l’enfant méprisé et rabaissé, que l’on peut parfois comprendre le besoin d’éloignement de certains jeunes, notamment de la diaspora. Ces derniers s’exilent, excusent un désir d’étudier, puis de trouver du travail, qui n’est en fait qu’une échappatoire à une pression familiale (élargie) qu’ils ne supportent plus. La rupture si elle n’est pas verbalisée, est dans les faits. Des westerns union alimentent un cordon déjà fébrile, et les conversations ne se font que durant les périodes clé de Noël, du Nouvel An ou des anniversaires. Le courage d’Alice Miller dans son livre est de demander à ce que cet éloignement ne soit plus une culpabilité mais qu’il soit pleinement assumé. Elle demande à l’enfant de ne plus se forcer à ‘aimer’ ses parents, mais de réaliser que si lui continue à nier ses émotions, il en subira les conséquences. Selon elle, « adultes, nous ne sommes pas obligés d'aimer nos parents », Ce 'courage' est difficile à comprendre dans le contexte africain où on aide les parents quoi qu’il arrive ; d’ailleurs on ne les met pas dans les maisons de retraite, ils meurent entourés dans la chaleur de nos cases…Mais qu’en est-il dans les faits ? 

 

« Un amour imposé n'est pas de l'amour : cela conduit tout au plus à faire « comme si », à des rapports sans vraie communication, à un simulacre d'affection chargé de camoufler la rancune, voire la haine, Un tel amour n'aboutira pas à une vraie rencontre. » Les relations d’apparat, sont ici fortement décriées. Alice Miller demande à l'adulte ayant subit de la maltraitance, d'assumer son refus d'aimer ses parents, de ne plus être le 'gentil garçon' ou la 'gentille fille'. Pour elle la maltraitance est la « méthode 'd'éducation' qui s'appuie sur la violence. Car non seulement on refuse à l'enfant son droit d'être humain au respect et à la dignité, mais on le fait vivre dans une sorte de régime totalitaire où il lui devient impossible de percevoir les humiliations, l'avilissement et le mépris dont il est victime, sans même parler de s'en défendre ». Partant parfois de sa propre expérience, Alice Miller revendique une liberté que jadis, l'enfant n'aurait même pas osé réclamer et se questionne sur l'amour filial. Cet amour qui ne doit pas être attendu de facto, surtout si en amont l'enfant a connu des sévices de tous genres. 

Le livre d’Alice Miller dans cette partie analyse la rupture comme indispensable à la survie et à l’épanouissement de soi. Ceci est certes abusif, mais il reconnaît au moins que des distances nécessaires doivent exister entre parents et enfants devenus adultes, et que ces limites doivent permettre aux premiers de ne pas user de leur droit d’aînesse comme une manipulation subtile. Alice Miller parle d’éviter le chantage affectif. 

Le Quatrième Commandement :

La bête noire d’Alice Miller oserait-on dire pourrait bien être le Quatrième Commandement de Deutéronome 5:16 : « Honore ton père et ta mère, comme l'Eternel ton Dieu te l'a commandé, afin que tes jours soient prolongés, et afin que tu sois heureux sur la terre que l'Eternel ton Dieu te donne. » Ce commandement que la plupart connaissons faisait suite à une liste reçue par Moïse, afin de régler les relations entre les hommes. Il y avait aussi le « tu ne commettras pas d’adultère », ici le Dieu de la Bible donnait des indications afin que chaque individu puisse se bien tenir en société. Parmi ces règles de vie, il était demandé à chaque individu grand ou pas d’’honorer’ ses parents. Le sens d’honorer ses parents est entendu dans le sens ‘Honoraire’ aussi bien financièrement (assister de ses biens, même quand ces derniers sont vieux), que dans le respect, l’attitude que l’on a vis-à-vis de ses parents. Cela est plus qu’une succession d’ordres et de règles à respecter que d’une véritable attitude de respect intérieur. Le sens commun a donné à ce verset une loi universelle, donnant aux parents tous les droits sur les enfants, même celui de mort : « Je peux te tuer, puisque je t’ai mis au monde » entend-on parfois de la bouche de certains parents, trop conscients de leur pouvoir et autorité ; « tu ne réussiras jamais, moi ton père je te le dis ! » entend-on encore à l’occasion. Dans le film, Le Majordome, de Lee Daniels, l'acteur principal Forest Whitaker, campant le rôle de Cecil Gaines, déclare à son fils incarné par David Oyelowo : « A qui crois-tu parler ? Je t'ai fait entrer dans ce monde, je peux t'en faire sortir !» Tirade qui en dit long sur la perception que les afro-américains et les africains tiennent de l'autorité parentale. Les parents semblent avoir reçu ici caution de détruire ou de fleurir la vie de leurs enfants. Ceci a amené chez les enfants un respect abusif, qui les contraint à faire les choses non pas par amour mais par crainte de « mourir jeune et d’être malheureux ». Les parents ayant eux-mêmes respectés voire sur-respectés leurs parents il s’ensuit un passage de témoin de traumatisés à traumatisés, ou presque, car il y aussi d’excellents parents, qui savent où est la limite.

Mais disons que cela a engendré dans les sociétés africaines surtout cette peur de la malédiction du père et de la mère. Dans le livre Alice Miller affirme que le respect de ce commandement a conduit à une forme de « pédagogie noire1 ». Le quatrième commandement est donc le mur à abattre car il maintient une forme de dépendance, liée à la crainte du châtiment. « …j’ai saisi qu’une foule de gens se détruisent en s’efforçant, comme je l’ai fait jadis, d’observer le Quatrième Commandement, sans se rendre compte du prix qu’ils font payer  à leur corps ou à leurs enfants », déclare l’auteure. Autrement dit, les hommes et les femmes sont tous sous l’emprise de la loi de ce commandement. Ce qui, d’une manière ou d’une autre, embrigade notre vrai ‘moi’.

Le témoin lucide :

Le témoin lucide est défini par Alice Miller comme quelqu’un qui peut aider l’adulte à faire face à ses souffrances, et qui, par sa connaissance de ces faits et son partie pris peut aider l’adulte à se sortir du silence et du déni. 

Ici encore se pose la question de savoir si des témoins lucides existent vraiment dans notre contexte africain. Une amie me racontait que travaillant ou étant allée dans un internat de manière ponctuelle, elle avait eu vent des déclarations que l’on faisait d’une jeune fille. Celle-ci pour des raisons ou pour d’autres, s’avérait fortement grivoise. M’ayant détaillé l’affaire elle me dit pensant que cela allait animer la conversation : ‘On dit que chez elle ses frères, cousins et oncles la violent’. Je ne sus que dire sur le moment mais je ne manquais pas d’y réagir vivement. Une chose est sûre, dans le contexte africain, certains tabous persistent. Pour Alice Miller, le témoin lucide est celui qui va pouvoir accompagner l’enfant en lui disant les choses clairement, sans être passif face à la détresse de l’enfant. Trop souvent, à cause du ‘on ne parle pas de ces choses…’ ou ‘les parents n’ont jamais tort’, on laisse passer trop de raisons de s’indigner, des faits qui sont de véritables crimes. 

Exemples de personnes de renom :

Dans l’ouvrage, nombres d’auteurs et d’hommes connus sont invoqués afin de créditer les thèses selon lesquelles les blessures de l’enfance font l’homme, la femme de demain. Parcourant les vies de Marcel Proust, de Arthur Rimbaud, de Virginia Woolf, de James Joyce, Schiller, Mishima, de Kafka… Alice Miller nous fait analyser certains extraits de lettres issues de la correspondance de ces auteurs (principalement) ou d'écrits de biographes. Certaines de ses analyses paraissent quelquefois abruptes, et personnelles, car n'étant pas confirmées par des sources sûres. En analysant le cas du Japonais Mishima, elle va jusqu’à dire qu’elle pense que ce dernier aurait été violé par sa grand-mère. Ceci peut parfois n’engager qu’elle, même si il est vrai que l’analyse qu’elle fait de certains textes ou correspondances (notamment de James Joyce et de Marcel Proust), s’avèrent assez concluantes. On ne peut cependant s’empêcher de penser à une forme de réductionnisme, qui tente d’expliquer tous les ratages de la vie au seul fait d’une enfance difficile ou supposée, mais surtout la thèse qui accuse systématiquement les parents au lieu parfois de responsabiliser ces personnes connues. Elles sont toutes excusées, et la raison de leurs maladies ou mort expliquent leur enfance de maltraités. Alice Miller montre que presque tous sont morts à l’issue de maladies, bien qu’ayant soigneusement ‘honorés’ leurs parents. 

Critique de Freud :

Alice Miller montre clairement qu’elle ne s’identifie pas à une école freudienne. Elle critique ouvertement ses pairs en disant notamment que leur neutralité empêche la victime de se sentir écoutée. Il faut de l’indignation. Le thérapeute devrait pouvoir juger des faits et non pas rester passif, juste à l’écoute. La psychanalyse a tendance à justifier les parents, et à amener la victime à aller vers le ‘pardon’, car le sentiment négatif (haine) est un blâme, il est autodestructeur. Pour Alice Miller les émotions ne sont pas à bannir. En l’occurrence, dans le cas d’enfants ayant subi des maltraitances, il faut simplement s’avouer sa haine, et s’éloigner de la source de la souffrance.

Evidemment, cette lecture peut nous paraître radicale, mais c’est là aussi le style de l’auteure, qui perçoit les choses du côté exclusif de la protection de l’enfant. L’enfant est priorisé avant tout. 

Le corps (maladies) :

Si le Quatrième Commandement était la bête noire de l’auteure, le corps est son allié. Tout, dans la compréhension de la personne passe par le corps. Le corps retient tout, il a une mémoire, et cela vous ne pouvez y échapper, c’est scientifique, il n’a pas de moral, clame Alice Miller. Il est ‘le gardien de notre vérité », affirme-t-elle. Ceci elle le vérifie avec des témoignages non seulement de personnes connues mais aussi par un témoignage final sur l’anorexie qui explique comment le corps devient le juge à des émotions trop souvent niées, et comment par ses signaux il demande à être écouté. D’autres témoignages parsèment l’ouvrage. Il faut accepter nos émotions et ne pas les refouler. Il faut couper le cordon lorsqu’une relation consanguine (parentale) nous y pousse, surtout quand des maladies surgissent.

Alice Miller justifie cette écoute du corps en analysant les maladies qui, de manière systématique gangrènent ou ont gangrené la vie de certaines personnes célèbres. La maladie serait due au refoulement, et une fois la cause de ce trouble identifié (irrémédiablement père et mère), la maladie s’en va. Ceci n’est pas tout à fait contestable, tant il est vrai que faire face à la réalité peut aider l’individu sujet à des troubles intérieurs. Mais il y a par cette seule explication du corps comme un leitmotiv qui commence à lasser, et peut être encore une fois réductrice.

Notre conclusion du livre est qu’il est intéressant de voir à la lumière des thèses d’Alice Miller, (que nous nuançons), comment les rapports parents-enfants gagneraient à plus de communication, et non pas simplement régis par un rapport semble-t-il souvent de dominant-dominé. L’amour et le respect dus aux parents sont évidents et naturels lorsque les parents ne manquent pas d’être des modèles, et non pas user de leur autorité afin de manipuler leur progéniture. Toutefois, le respect, le soin dus aux parents doivent perdurer et c’est ce qui fait la force et la dignité de l’Afrique et même des peuples. Mais il ne faudrait pas que ce respect affiché et clamé ne soit que la chape qui cache des abus de toutes sortes. Haïr les parents ? Nous n’en sommes pas encore là en Afrique mais pour combien de temps ?

Réception d’Alice Miller :

Alice Miller est un auteur fort contesté (…) mais dont les thèses gagnent en ampleur. Elle a beaucoup écrit sur l’enfance maltraitée, et ses ouvrages ont connu une réception assez bonne chez ses lecteurs mais contestée chez ses pairs qui en critiquaient le réductionnisme ou les raccourcis faciles. 

Pénélope Zang Mba

Notes complémentaires:

Notre corps ne ment jamais, d’Alice Miller – Editions Flammarion, 2004

Lexique 2:

Pédagogie noire :

Education qui vise à briser la volonté de l’enfant, et, par un exercice ouvert ou caché du pouvoir, de la manipulation et du chantage, à en faire un sujet docile. 

Témoin secourable :

Personne qui prête assistance (fût-ce très épisodiquement) à un enfant maltraité, lui offre un appui, un contrepoids à la cruauté qui imprègne sa vie quotidienne. Ce rôle peut être assumé par n’importe quelle personne de son entourage : il s’agit très souvent d’un frère ou d’une sœur, mais ce peut être aussi un enseignant, une voisine, une employée de maison ou encore une grand-mère. Ce témoin est une personne qui apporte à l’enfant délaissé un peu de sympathie, voire d’amour, ne cherche pas à le manipuler sous prétexte de l’éduquer, lui fait confiance et lui communique le sentiment qu’il n’est pas « méchant » et mérite qu’on soit gentil avec lui. Grâce à ce témoin, qui ne sera même pas forcément conscient de son rôle crucial et salvateur, l’enfant apprend qu’il existe en ce monde quelque chose comme de l’amour. Si les circonstances se montrent favorables, il arrivera à faire confiance à autrui, à préserver sa capacité d’aimer et de faire preuve de bonté, à sauvegarder en lui d’autres valeurs de la vie humaine. En l’absence totale de témoin secourable, l’enfant glorifie la violence et, plus tard, l’exercera souvent à son tour, de façon plus ou moins brutale, et sous le même prétexte hypocrite.

Témoin lucide :

Le témoin lucide peut jouer dans la vie de l’adulte un rôle analogue à celui du témoin secourable auprès de l’enfant. J’entends par là une personne qui connaît les répercussions du manque de soins et de la maltraitance dans les premières années. De ce fait, elle pourra prêter assistance à ces êtres blessés, leur témoigner de l’empathie et les aider à mieux comprendre les sentiments –incompréhensibles pour les intéressés –  de peur et d’impuissance issus de leur histoire. Et de leur permettre ainsi de percevoir plus librement les options dont, aujourd’hui adultes, ils peuvent disposer. 

1 Voire lexique.

Tiré du Livre.

Ousmane Diarra, l’interview d’un romancier déterminé

#Rentréelittéraire2004 A l’occasion de la parution de son nouveau roman La route des clameurs aux éditions Gallimard, l'écrivain Malien Ousmane Diarra a bien voulu répondre à nos questions. Découvrez cet auteur étonnant et passionnant basé à Bamako qui nous avait, pendant la crise Malienne, gratifié de son regard sur la situation.
 
 
#Afriquedesidées :
Monsieur Ousmane Diarra, bonjour !
Vous êtes l’auteur de plusieurs romans parus aux éditions Gallimard. Pouvez-vous vous présenter aux internautes fréquentant le blog littéraire Chez Gangoueus ?
 
Ousmane Diarra : Je suis Malien, né à Bassala, un village Bambara du Mali. J’ai perdu mes parents à l’âge de deux ans. Ceci explique en grande partie mon amour de l’écriture, laquelle est devenue ma confidente aussitôt que j’ai appris à écrire et à lire. Imaginez si je devais, oralement confier à ma mère tout ce que j’avais à lui confier quand j’étais petit, mes joies comme mes peines ! On m’aurait sans doute pris pour un fou. Alors, je les écrivais et me les relisais.
 
 Je ne veux pas dire par là que personne ne s’est occupé de moi. Mes oncles et mes tantes et bien d’autres personnes, de mon village à Bamako, m’ont pris en charge et sont bien occupés de moi. Vous connaissez la solidarité africaine. Ce n’est pas un vain mot pour moi. Je lui dois tout.
Cependant, il y a, dans la tête d’un orphelin qui n’a pas connu ses parents, même pas en photo, un grand point d’interrogation tellement intime qu’il ne peut le confier qu’à l’écriture. Oui, l’écriture et la lecture sont devenues mes parents adoptifs et spirituels. Sans aucune exagération.
J’ai publié des romans aux Editions Gallimard, mais aussi des nouvelles, de la poésie et des livres pour enfants au Mali et en France, dont certains sont traduits en anglais et en suédois.  Je continue de raconter des histoires aux enfants, à l’Institut français du Mali comme à la maison. J’adore les contes. Avant l’écriture, ils ont nourri mon imagination et ma sensibilité.
Je vis donc au Mali, travaille au Mali. Je suis professeur de Lettres de Formation, bibliothécaire de métier. Je voyage souvent pour parler de ma littérature.
 
#Afriquedesidées :
Quand on observe la collection Continents noirs de Gallimard où paraissent vos romans, force est de constater que peu d’auteurs basés en Afrique y sont publiés. Quelle est l’histoire de votre rencontre avec ce prestigieux éditeur?
 
Ousmane Diarra :
Le Directeur de la collection, Jean-Noël SCHIFANO, est un homme formidable, expérimenté, fin connaisseur de la psychologie des auteurs. Je veux dire fin pédagogue.  Dès qu’il a reçu et lu le manuscrit de « Vieux lézard », mon premier roman, il a commencé par me féliciter et m’a promis de le publier. Il l’a fait. Et il ne s’est pas trompé car à sa sortie, le roman a été très remarqué. Ce fut la même chose pour ceux qui ont suivi. Il sait encourager, guider, conseiller ses auteurs. Il les aime. On est des frères, des confrères, des copains. C’est le bon éditeur qui forme le bon auteur. Jean-Noël Schifano est un professionnel.
 
#Afriquedesidées
Nous allons naturellement aborder le contenu de votre nouveau roman dont le titre est singulier :  La route des clameurs. Pouvez-vous nous parler du choix de ce titre?
 
Ousmane Diarra
Dans un chapitre du roman, le jeune narrateur fait un cauchemar. Avec son père, au milieu d’une immense foule d’hommes, de femmes, d’enfants de toute la planète terre, ils font face aux juges suprêmes du Jugement dernier. Il y a deux routes, l’une, celle du Jardin des délices éternelles, conduit au paradis, tandis que l’autre, La Route des Clameurs, conduit à l’enfer. C’est là donc que vient le titre du roman. 
 
#Afriquedesidées :
Vous avez choisi de traiter dans ce roman un sujet particulièrement sensible, dans le feu d’une actualité que vous abordez avec beaucoup de recul. Pouvez-vous revenir sur ce qui a déclenché l’acte d’écriture sur la question du djihadisme et de l’épisode de la rébellion islamiste au Mali?
 
Ousmane Diarra :
Ousmane Diarra – Photo Catherine Hélie / Gallimard
Dans mes nouvelles comme des mes romans précédents, je n’ai pas arrêté d’attirer l’attention sur la montée de l’islamisme intolérant au Mali comme dans la sous-région. Tout commence par la violence verbale dans les prêches, à la radio, à la télévision et ensuite les places publiques ont été prises d’assaut par les prêcheurs incultes, qui insultent tout le monde, enseigne la haine dans la société, la haine contre les non-musulmans qu’ils appellent les cafres, la haine contre ceux qu’ils appellent les « mauvais musulmans », lesquels ne sont autres que les musulmans modérés, qui respectent les autres confessions. Cet islam soudanais que nous connaissons jusque-là, où les imams et les « tontiguis » (adeptes des religions traditionnelles) coexistaient pacifiquement. J’ai donc vu tout cela changé, jusqu’au déclenchement du nouveau jihadisme.  Je savais que cela allait arriver. J’en ai parlé dans « Pagne de femme » où j’ai décrit jusqu’au coup d’état qui allait créer le chaos et précipiter la chute des trois régions entre les mains de islamistes dont la majorité est composée d’étrangers.
 
Ce qui a donc déclenché l’écriture de « La route des clameurs », c’est la douleur de cette invasion du Mali, la destruction de notre patrimoine humain, culturel, historique, celle des liens séculaires qui nous unissaient, liens humains… C’était comme si, encore vivant, je sentais tout mon être, tout mon corps partir en lambeaux. J’avoue que je ne dormais presque plus, de douleur et de colère. Car voilà que malgré notre islam presque millénaire, d’autres venaient nous dire que nous n’étions pas assez musulmans et prenaient cela pour prétexte pour détruire notre pays, le démembrer, le dépecer. Il ne s’agit pas d’islam mais d’une nouvelle entreprise coloniale qui ne dit pas son nom, d’une invasion impérialiste sous le couvert de l’islam, doublé d’un mépris souverain pour tous nos oulémas, pour tous nos cadis, pour tous nos imams, ceux présents comme ceux du passé. Une négation de tous ceux que nos ancêtres ont faits pour que soyons aujourd’hui là, avec des pays, avec des civilisations. Nous sommes redevenus ces « sauvages » à civiliser au sabre !
 
#Afriquedesidées :
Votre écriture porte à la fois une distance au travers du ton à la fois ironique et plein d’humour de votre personnage narrateur et en même temps une sourde colère que l’on peut également ressentir au fil des pages. Est-ce là le résultat d’une tension entre l’actualité brulante et la tentative de prise de distance du romancier?
 
Ousmane Diarra :
Exactement. Mais cela vient aussi de ma culture. Même dans le malheur, nous savons tellement nous moquer, tant de nos sicaires que de nos propres défaillances. Cela permet d’éviter de sombrer dans le désespoir, lequel est improductif.  
 
#Afriquedesidées :
L’Islam est au coeur de ce roman, du moins sa prise en otage par une frange de fondamentalistes et d’intégristes portant un projet politique. Une prise de parole qu’on imagine complexe quand on est Malien et qu’on habite à Bamako?
 
Ousmane Diarra :
Je pense que tout homme a un devoir envers son pays et envers l’humanité tout entière : savoir dire non à l’imposture, quel que soit ce que cela peut lui coûter. Je parle surtout aux jeunes. Car c’est eux qui servent de chair à canon et le seront dans le futur si l’on ne les aide à ouvrir les yeux. On leur prendra leur terre, on fera d’eux des esclaves soumis. Beaucoup le sont d’ailleurs déjà, des enfants talibés devenus esclaves au nom d’Allah. C’est terrifiant. Déjà, les jihadistes recrutaient parmi eux. Tout le monde le sait. Il faut aider la jeunesse à avoir de l’esprit critique pour échapper aux marchands d’illusions de tout bord. 
Quant aux conséquences pour ma modeste personne, franchement, ça ne m’intéresse pas. Ma petite vie ne vaut pas mieux que celle des milliers de femmes, d’enfants, d’hommes, civils comme militaires, qui ont payer et continuent de payer de leur vie en combattant ces envahisseurs immondes.
 
#Afriquedesidées :
Pouvez-vous revenir sur le concept des gamins imams qui est traité dans la première partie de votre roman et que vous semblez avoir observé au Mali. Que traduit-il?
 
Ousmane Diarra :
Je vous réponds par la voix d’un de ces gamins imams de Bamako, qui, il n’y a pas si longtemps que cela, se vantait de posséder une voiture de marque V8, se comparant  à vieil imam aujourd’hui décédé qui, malgré sa notoriété et la vénération par tout le Mali, n’a jamais possédé une voiture. Pourtant, cet homme que j’ai connu à la radio, à la télé et que j’ai rencontré personnellement, a réussi, pacifiquement et par ses grandes qualités humaines, à faire adhérer à l’islam des milliers de maliens animistes. Je ne l’ai jamais entendu traiter les non-musulmans de « cafres ». C’était un homme pieux, dont les portes étaient ouvertes à tout le monde. C’était un saint, celui-là, qui ne prêchait que la paix et la fraternité entre tous les hommes.
Les Gamins imams dont je parle sont ces jeunes incultes qui sont partis glaner quelques sourates dans les pays du Golfe, qui ont en même temps amassé beaucoup d’agent et sont revenus au pays avec la mission de ré islamiser leurs compatriotes à coup de sabre s’il le faut. Ils sont totalement incultes, tant de l’islam qu’ils prétendent défendre que de leur propre culture. Ils sont incultes et immatures. Ils sont tout sauf des hommes religieux. 
 
#Afriquedesidées :
Nous avons le sentiment qu’il s’agit d’un roman à la fois sur les désillusions autour de l’exercice du pouvoir temporel qui corrompt quelque soit l’idéologie « vertueuse » qui sous-tend ceux qui prétendent l’appliquer?
 
Ousmane Diarra : 
C’est ce que je viens de dire. Ceux-là dont je parle dans mon roman sont à la conquête du pouvoir temporel. Ils veulent y arriver par tous les moyens, surtout en se servant de l’islam. Ils sont violents, arrogants et veules. Ils terrorisent les populations par leurs prêches, les abêtissent par des faibles et les détournent de leurs préoccupations terre à terre : travailler dur pour se libérer de la faim et de la maladie, travailler dur et étudier pour que l’Afrique sorte de l’ornière. 
 
#Afriquedesidées :
Votre personnage narrateur est un pré-ado qui porte à la fois son regard sur deux figures de l’autorité : celle de son père, un artiste-plasticien qui n’entend ne point céder aux allégeances du pouvoir en place et la bien-pensante du milieu, celle du Mabu Maba, le calife, autorité de l’état. Que représentent ces deux figures pour vous?
 
Ousmane Diarra : 
Pour parler court, la figure de l’artiste-plasticien est celle d’une Afrique débout, lucide, courageuse qui se bat pour sa place au monde. Et ne désespère jamais.  Une Afrique s’affirme, qui, malgré les vicissitudes de l’histoire, malgré les douleurs présentes, refuse de se prosterner, de se prostituer. Parce qu’elle croit en sa victoire sur l’adversité. 
C’est aussi celle, partout au monde, de l’artiste, de l’intellectuel intègre et intransigeant sur les principes d’humanité.Partout où sévit la violence aveugle et la barbarie, où sévit le mensonge, il faut qu’il y ait des femmes et des hommes qui osent dire non. Même si c’est au péril de leur vie. C’était le cas pour le Mali, cela reste le cas au Mali et bien d’autres pays d’Afrique et du reste du monde. 
Quant au faux Calife Mabu Maba et ses mille épithètes, c’est celle de tous ces larrons de toutes engeances, leaders religieux, politiques, d’opinion,  qui profitent de la crédulité, voire de la naïveté des peuples africains pour brader l’Afrique à vil prix et se forger un destin. Sans parler des profits bassement matériels qu’ils tirent de ce commerce immonde. Il y en a eu dans le passé, il y en a de nos jours encore.
 
#Afriquedesidées :
Dans ce livre, il est également question de la transmission. La figure de père instruit empêche sûrement le jeune Bassy d’être un enfant soldat comme les autres. Comment l’éducation peut-elle être un moyen de lutter contre l’obscurantisme et le fanatisme religieux?
 
Ousmane Diarra :
Vous avez, j’impute moins les malheurs de l’Afrique à sa pauvreté matérielle qu’au déficit de l’éducation, surtout celle qui a suivi l’imposition de certaines mesures par le FMI et La Banque mondiale à partir des années 1980. Lesquelles mesures ont sauvagement frappé l’éducation publique, républicaine, laïque et obligatoire dont ma modeste personne est le fruit. Une jeunesse bien éduquée, bien instruite, c’est la plus grande source de richesse du monde, mais quand elle reste dans l’ignorance et l’obscurantisme, c’est une redoutable bombe que n’importe quel marchand d’illusions peut utiliser. Quand s’y ajoutent la misère matérielle et le désespoir, gare au chaos généralisé !
 
#Afriquedesidées :
Quels sont vos auteurs référents en littérature? Il y a un parti pris remarquable au niveau du style et de l'écriture dans ce roman La route des clameurs. Au delà votre propre voix, l'écriture d'un autre auteur vous a-t-elle influencée ?
 
Ousmane Diarra
Vous savez, j’ai beaucoup lu dans ma jeunesse.  Je continue d’adorer lire, et de toutes les littératures du monde. J’ai aimé le style de « Le bruit et la fureur » de William Faulkner. J’ai  aimé le style et le personnage  d’Albert Camus dans « L’étranger » ; « L’anté-peuple »  de Sony Labou Tansi, « Le devoir de violence » de Yambo Ouologem ;  la beauté et la simplicité du style d’Alain Mabanckou  dans « Mémoires de porc-épic », Massa Makan Diabaté dans sa trilogie de Kuta, Ahmadou Kourouma dans « Le soleil des indépendances », Thierno Monenembo… Sans oublier les contes et les fables que je raconte aux enfants depuis 1994. La liste est donc longue. Je ne sais pas qui m’a influencé.
 
#Afriquedesidées :
Pouvez-vous nous recommander trois lectures pour terminer cette interview?
 
Ousmane Diarra :
Pour ne pas faire de jaloux, passons outre les grands classiques et les écrivains contemporains de langue française ! 
Je citerai donc :
« Le tigre blanc » de l’Indien Aravind Adiga
« L’immeuble Yacoubian » de l’Egyptien Alaa El Aswany
« Syngué Sabour : la pierre de patience » de l’Afghan Atiq Rahimi.
 
#Afriquedesidées :
Monsieur Ousmane Diarra, merci !
 
Ousmane Diarra
C’est à moi de vous remercier.
 
Propos recueillis par Laréus Gangoueus
 
 

Ultras, Les sentinelles des manifestations Nord-Africaines (2)

Un mouvement qui fait des adeptes

L’Afrique du Nord occupe une place stratégique dans le bassin méditerranéen, c’est un carrefour de civilisations frontalier de l’Europe et de l’Asie où la religion musulmane s’est culturellement installée. Dans l’agitation des grandes villes, l’étalement des richesses et l’occidentalisation des mœurs désorientent une partie de la jeunesse qui ne sait plus où se situer entre mondialisation et traditions. Les études scolaires voire universitaires ne conduisent que très peu souvent à des emplois ou des rémunérations espérées. Beaucoup doivent se résoudre à rejoindre un travail avec peu de perspectives ou apprendre à se débrouiller par soi-même. 

Encadrées par les codes du mouvement ultra, les tribunes sont devenues un endroit privilégié par des milliers de jeunes de cette génération pour s’exprimer. L’effet de masse désinhibe et l’esprit de famille véhiculé rassure.

En traversant la Méditerranée, le mouvement Ultra a subi une évolution qui symbolise bien son adaptation dans la région. Chaque nouvelle saison de football est marquée par la sortie des albums regroupant les nouveaux chants des différents groupes de supporters. Comme si les jeunes, ici, avaient beaucoup de choses à dire… Ils chantent à la gloire de leurs clubs et de leurs couleurs et moquent leurs rivaux, bien sûr. Mais ils font aussi l’éloge de leur style de vie et dénoncent les agissements répressifs des forces de l’ordre. Des chants qui rassemblent et dans lesquels peuvent s’identifier les jeunes. Disponible en libre écoute sur Internet, le phénomène viral accroît la propagation de « l’esprit » Ultra. Bien au-delà des stades. Bien au-delà des traditionnels magazine « fanzines » de la culture ultras européenne.

illustration image d'album

Illustration 1

Un mouvement qui dérange… et dérape

En encourageant son équipe avec fanatisme au sein d’un groupe associatif organisé, que ce soit pour les matches à domicile, ou lors des déplacements, les ultras se placent souvent aux frontières de la loi. Dans des affrontements avec les groupes adverses, les forces de l’ordre, ou les deux. Les agissements ont lieu au sein du stade parfois et dans la rue souvent. Les policiers sont obligés de réagir par anticipation et amplifient le phénomène d’opposition et de rébellion. 

Quand les médias locaux parlent des ultras, c’est pour aborder des faits divers de débordements. C’était le cas lors du match de championnat marocain de botola pro, entre les l’AS FAR et le DHJ, le 19 octobre dernier au stade du centre de Rabat. L’arbitre a dû interrompre le match suite à une altercation en tribune entre Ultras de l’AS FAR. En direct à la télévision, les forces de l’ordre n’ont pas su tenir leurs positions. Pire, en voulant intervenir, cela dégénère et un policier finit par se fait tabasser sur le terrain. Les interpellations et les condamnations interviendront rapidement après le match, mais la démonstration de force est faite, sous les chants de la tribune. Ces actualités  font la « une » et sont à chaque fois abordées avec beaucoup de véhémence. Elles peuvent pourtant trouver un écho favorable pour toute une génération de jeunes qui ne trouvent pas leurs places dans le système. Dans des pays aux régimes autoritaires où la classe moyenne tarde à émerger, le mouvement ultra se marque comme un courant contestataire qui rassemble. Il devient même omniprésent dans certains quartiers où les Fresques et Tags marquent les territoires. Les jeunes viennent chercher leurs doses de liberté hebdomadaire au stade, et alimentent leurs combats dans une ambiance de fête. Des joints de haschich circulent lors des différents rassemblements tout comme l’alcool et des pilules de drogue. Ajouté aux frissons des matchs et aux déplacements en camionnette à travers le pays, cette vie de rebelle fait beaucoup d’adeptes. 

AS FAR DHJ vol de bache - Version 2

Illustration 2

En Égypte, autour d’un championnat de football historique avec des clubs datant de l’époque coloniale, certaines équipes ont des identités fortes et des rivalités prononcées. Une aubaine pour les Ultras du Al Ahly SC, dont la popularité et l’image de « club du peuple » de leur équipe a permis l’ouverture de section de supporteur dans de nombreuses villes du pays. Partout où joue le club, les Ultras Ahlawy sont présents. Ils dérangent et sont confrontés aux forces de sécurité dans toutes les villes du pays, car où qu’ils aillent, on redoute leurs présences. Après la révolution du printemps arabe, les généraux militaires du SCAF ont rapidement mis à profit le temps qu’ils passent au pouvoir pour faire payer aux UA 07 leurs investissements dans les manifestations de la place Tahrir. Ils savaient très bien que la révolution n’était pas une finalité pour eux, et que la menace se représentera lors des prochaines grandes manifestations civiles. Les ultras n’ont jamais cessé de pousser des chants contestataires et de se frotter à la loi. En plus des 74 victimes, la tragédie de Port-Saïd a provoqué l’arrêt du championnat pour 2 années. En guise d’avertissement et d’ultimatum. Mais dès que cela a été possible, notamment lors des compétitions continentales de la CAF, les Ultras cairotes ont montré qu’ils sont toujours là, plus solidaires et soudés que jamais. Pourtant, les matchs étaient organisés loin de l’agitation du Caire, à El Gouna, station balnéaire plus connue pour son spot de kitesurf que son stade de football. La volonté de ne pas voir de supporter était affichée. Manqué ! Plus de 5000 personnes se sont déplacées à plusieurs reprises, en reprenant leurs chants et leurs nombreuses animations derrière leur bâche et leurs drapeaux. À la vie, à la mort. 

Même contre sa propre équipe

Banderole JSK EBossé 2 - Version 2

Illustration 3

Les Ultras ont besoin de leurs clubs pour exister. Lorsque l’intérêt sportif est faible, il est toujours plus difficile de rassembler du monde et de s’enthousiasmer. L’effet de masse est important pour affirmer la force du groupe. La frustration grandissante, les supporteurs n’hésitent pas à reprendre avec ardeur leurs équipes s’ils estiment qu’elles ne donnent pas leurs maximums. Ils ne tolèrent pas que des joueurs, qui ne sont que de passage dans leurs clubs, puissent mettre en péril la raison de leurs combats. Parfois cela dégénère. Vient alors la fâcheuse habitude, prise sur tout le continent, de jeter sur le terrain ce qu’il est possible de lancer. Dans les stades généralement vétustes, on trouve toutes sortes de débris. Ce qui a conduit au fait-divers tragique de Tizi Ouzou où le jeune joueur camerounais Albert Ébossé est victime d’un jet de pierre fratricide. Un geste qu’il faut condamner sévèrement, mais pas au détriment du mouvement Ultra. Lui, il n’est pas le coupable. Au contraire, il est le fruit de la négligence du système, dans la faillite de son éducation, la faillite de sa répression, la faillite de son entretien des lieux publics… Le stade est un reflet de la société.

Pierre-Marie Gosselin

 

Illustration 1 : Plaquette de présentation de l’album 2013 des ultras Helala Boys HB07 du KAC de Kenitra au Nord du Maroc.  Lien 

Illustration 2 : Photo illustrant les affrontements du 20/10/2014 entre les Ultras et la police. Lien vidéo

Illustration 3 et 4 : Photos  publiée sur la page facebook officiel des Ultras Samba Boys , groupe de la zone amazigh de la JSK Kabylie après la mort d’Albert Ebossé :  lien 

Education, Instruction et Punitions Corporelles

Chatiments corporelles

 « Ma fille a été très choquée du fait que son maître a giflé un élève qui s’était  assoupi en classe. Dès le lendemain elle ne souhaitait plus retourner à l’école. » confie Amélie  une jeune mère Congolaise qui après un long séjour en Europe est rentrée s’installer à Brazzaville. Et c’est dans une école privée qu’elle a fait le choix d’inscrire sa gamine de cinq ans,  au CP1.  

« La méthode chicotte continue et c'est intolérable, poursuit-elle, très remontée. J'ai pu rapidement assister à la manière dont sont dispensés les cours. Le maître est plus que sévère. Il a une façon intolérable de s'adresser aux élèves, son ton est froid et haut. Il veut faire appliquer la discipline par la peur. »

Amélie qui a pourtant grandi et fait ses classes au Congo, porte aujourd’hui un regard assez critique sur les méthodes d’apprentissage qui y sont appliquées. Avoir séjourné quelques années dans une société occidentale où les punitions corporelles sont depuis longtemps proscrites à l’école, semble avoir modifié sa conception de ce que devrait être l’éducation. 

Il ne s’agit pas pour nous d’établir ici une comparaison entre le modèle éducatif Européen et les procédés en vigueur dans nos pays d’Afrique noire. Conscients que chaque société doit relever ses propres défis, évoluer à son rythme et en fonction de ses réalités, notre démarche s’inscrit plutôt dans une volonté d’analyse de la violence physique et psychologique dans les milieux familial et scolaire en Afrique. L’emploi de la chicotte est-il justifiable ? N’est-ce pas là un héritage colonial comme l’allèguent quelques-uns ? Peut-on efficacement éduquer sans recourir aux punitions corporelles ?  

Enfant aimé, enfant châtié 

Qui n’a pas un jour été « corrigé » par les adultes en charge de son éducation (père, mère, etc.) ? Gifle, taloche, fessée, oreille tirée, flagellation au moyen d’une lanière ou d’un bâton, etc.  Autant de punitions corporelles répandues et ancrées dans nos mœurs qui s’inscrivent dans une démarche dite « éducative ». 

La répression permet au parent qui l’exerce de sanctionner une faute, d’inculquer des valeurs, mais également d’affirmer son autorité. Les règles énoncées par les adultes dans le cercle familial, le respect de celles-ci,  préparent l’enfant à la vie en société, à ses exigences de morale et de probité. Les punitions qu’on lui inflige font écho aux condamnations ou sentences prévues par le législateur en cas d’infraction ou délit.  C’est donc pour son bien d’abord qu’on lui impose une discipline. 

Sur dix parents africains interrogés, huit estiment que l’usage des punitions corporelles est efficace en matière d’éducation – la menace de la chicotte aurait un effet dissuasif ou persuasif, selon le résultat visé. Deux, ont confié ne pas juger utile de frapper un enfant pour se faire obéir de celui-ci et mettent en garde contre le recours systématique aux « représailles physiques ».

« Il y a des parents qui exagèrent, dit Célestin qui a bien voulu nous donner son avis sur la question. On tape souvent les enfants pour tout et n’importe quoi. Certaines punitions sont injustes et carrément disproportionnées, elles dépendent de l’humeur de la personne qui les inflige. Et puis il y a le mythe du père « méchant » que l’on entretient encore beaucoup dans nos sociétés Africaines, certains parents préférant visiblement être craints que d’être aimés par leurs enfants. Ils font preuve d’une sévérité excessive et instaurent la distance pensant à tort qu’une relation de proximité pourrait nuire au respect qui leur est du ».

Aux punitions corporelles s’ajoutent très souvent les abus verbaux, ces insultes et autres propos dégradants qu’essuient certains enfants dans leur milieu de vie : « Tu es bête ! », « Idiot ! », « Tu ne fais jamais rien de bien ! ». Propos lâchés sous le coup de la colère ou de l’agacement… des mots qu’on ne pense pas toujours mais qui répétés s’inscrivent dans le subconscient du petit être à qui on les adresse. Les enfants ayant la tendance naturelle à se définir en fonction du regard et du jugement que portent sur eux leurs parents, finissent par accepter ces injures, à les intégrer comme des  « vérités ». Plusieurs études menées en ce sens ont démontré qu’un enfant rabaissé et humilié en permanence développe un sentiment de mésestime de soi . Pourtant certaines croyances maintiennent que les traitements durs infligés à l’enfant aussi bien sur le plan physique que moral, façonnent son caractère et le préparent aux dures épreuves que lui réserve la vie en société.

« Il sera toujours difficile de persuader des hommes mûrs, que les enfants gagneraient à être élevés autrement qu’eux-mêmes ne l’ont été.»

Les parents reproduisent  l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçue. Remettre en cause la manière dont on a été élevé peut pour certains constituer une sorte d’offense faite aux géniteurs, à ce père cette mère que l’on sacralise et vénère. Coups, insultes, humiliations… cela se transmet aussi d’une génération à l’autre. 

La chicotte, indispensable en milieu scolaire ?

illustration 2 livre seule face au destin

C’est par un ouvrage que nous souhaitons aborder cette question qui fait débat, un livre paru en 2012 aux éditions Edilivre ‘’Seule, face au destin’’ de Laura Guliamo Luyeye. Inspiré de faits réels, c’est le récit d’une enfance marquée par la violence physique et psychologique exercée dans le milieu familial et scolaire, un témoignage poignant écrit avec des mots simples mais qui n’en restent pas moins dérangeants. L’histoire qui se déroule à Kinshasa est celle de Dita, une gamine de 10 ans, témoin des coups réguliers portés par son père à une mère sans défense. La détresse de l’enfant est telle que ses résultats scolaires s’en trouvent affectés. Pourtant à l’école c’est à une autre forme de violence qu’elle doit faire face également, celle infligée par le maître au moyen de son « Ngondo » – un morceau de tuyau dur en caoutchouc qui lui sert de fouet.  La moindre inattention des petits écoliers, une réponse fausse à un exercice proposé, un assoupissement, sera pour l’instituteur l’occasion de les rabaisser, de les rudoyer violemment: « Tu as toujours des mauvaises notes, tu ne sers à rien » et PAN ! 

C’est la « pédagogie par les corps », l’apprentissage par la menace du fouet. Châtiment toujours équitable ?  Frapper un élève sur la base d’un devoir mal compris, d’une leçon non apprise ou même au motif qu’il s’est endormi en classe, n’est-ce pas parfois occulter les facteurs liés à son environnement immédiat, facteurs qui fragilisent son apprentissage ? Un enfant qui ne mange pas à sa faim, qui vit dans un climat familial délétère aura beaucoup de mal à se concentrer en classe. Le cas de Dita, petite héroïne de « Seule, face au destin » en est l’éloquente illustration. 

Certains professionnels de l’enseignement à l’instar de Myriam, jeune institutrice en cours élémentaire en Côte-D’ivoire, jugent la chicotte nécessaire et très efficace. 

 «  C’est le seul moyen pour un enseignant de maintenir l’ordre, soutient-elle. Nous sommes souvent désemparés face à des élèves turbulents et irrespectueux ; des élèves que l’on ne parvient pas toujours à faire obéir avec des simples paroles. »  

La chicotte, seule arme disciplinaire ? Les fervents opposants de son usage la qualifient pourtant d’ « héritage colonial », argument de taille qui devrait – estiment-ils – suffire à la bannir définitivement de nos milieux scolaires. Héritage colonial, allusion faite à son utilisation pour la répression des indigènes qui enfreignaient le règlement en vigueur.

Chicotte et colonisation 

illustration 3 livre  Emmanuel amougou

Si le châtiment de la chicotte a été « institutionnalisé » sous la colonisation Belge par exemple au Congo, il est important de souligner que la flagellation comme punition corporelle était vraisemblablement déjà pratiquée dans l’Afrique traditionnelle par les adultes sur les jeunes qui transgressaient les lois de la communauté. C’est du moins ce que laisse supposer le sociologue Emmanuel Amougou,  dans son livre ‘’Symboles et châtiments, regard sociologique sur l’inconscient scolaire colonial en Afrique Noire francophone’’  :

« Dans ces univers sociaux de « tradition », nul doute qu’il existait des châtiments physiques (…) punitions et sanctions dont la fonction sociale essentielle consiste à assurer la cohésion, la solidarité et l’honneur du groupe tout en responsabilisant ses membres (…) Mais au delà de cette grille de sanctions et avec les transformations qu’ont connues ces sociétés, toutes les fautes commises par le petit africain l’exposent à des punitions et sanctions de ses géniteurs. Ici, le corps constitue le lieu privilégié des sanctions qui relèvent d’une pédagogie extrêmement rigoureuse. Ainsi par exemple révèle Pierre Elny : ‘’Dans le Laba Tchadien, chez les Massa et les Toupouri, le jeune est couché dans les épines (…) De dures sanctions marquent chaque transgression. La brimade et l’injure sont systématiques. Certains moments de la journée sont réservés aux fustigations et flagellations.’’» 

La chicotte et les punitions corporelles en général, ont été en vigueur dans les écoles métropolitaines Françaises jusqu’à leur interdiction en 1833 par la loi Guizot. Ces traitements punitifs seront ensuite transposés dans les colonies francophones mais « avec beaucoup de nuance, écrit Emmanuel Amougou, compte tenu de la conception que la métropole se faisait de la démarche coloniale. »

Vers la fin des punitions corporelles à l’école ? 

Les organismes des droits de l’Enfant militent activement pour que cesse la violence physique en milieu scolaire. De nombreux pays Africains à l’instar du Cameroun, du Tchad, du Sénégal ou de la Guinée  ont adopté des textes pour interdire le recours aux châtiments corporels à l’école. Grandes avancées qui peinent cependant à être effectives sur le terrain avec un personnel enseignant confronté à une surcharge des effectifs et ne bénéficiant d’aucune formation aux méthodes disciplinaires alternatives qui ne nécessitent pas un emploi de la force ou de la violence.

Chicotte nécessité ou abus d’autorité ? Le débat n’a pas fini de diviser. Une chose est certaine cependant : entre le laxisme d’une éducation sans punition et l’outrancière sévérité qui frise la maltraitance, il nous faudra trouver un juste équilibre.  

Ralphanie Mwana Kongo

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