Le capital-investissement, une solution pour financer les entreprises africaines ?

185075466Avec un taux de croissance du PIB qui ferait rêver de nombreux pays et atteignant même 2 chiffres pour les vedettes de la région, l’Afrique subsaharienne a aujourd’hui toutes les cartes en main pour instaurer une croissance économique durable et réduire significativement le taux de pauvreté sur le continent. Le développement du secteur financier sera d’ailleurs un des facteurs déterminants dans l’expansion de son tissu économique.

Dans toute économie, l’établissement d’un secteur privé solide et dynamique est primordial afin de (i) stimuler l’entrepreneuriat et l’innovation et (ii) favoriser la concurrence entre les entreprises, les incitant à être plus productives. Bien que plusieurs pays africains possèdent aujourd’hui un secteur privé actif, leur contribution à l’activité économique demeure très faible. D’après un rapport de la Banque Mondiale sur les PME d’Afrique subsaharienne, les investissements privés en part du PIB ne représentent que 13%, ce qui est significativement plus bas que dans d’autres régions telles que l’Asie du Sud par exemple. Cette faible contribution du secteur privé constitue un terme manquant dans l’équation du développement de cette région. En fait, c’est le secteur public qui génère la plus grande partie de l’activité économique et les investissements directs étrangers, bien qu’importants, ne peuvent se substituer à l’existence d’entreprises locales productives et rentables.       
 

En Afrique subsaharienne, le secteur privé est composé d’un petit nombre d’entreprises formelles. Si les données sur le secteur informel sont difficiles à obtenir, l’on sait néanmoins qu’il représentait 54,7% du PIB de l‘Afrique subsaharienne en 2000 (OCDE, 2008) et l’OCDE estime qu’il pouvait représenter jusqu’à 75% de ce PIB 2008. Ces entreprises informelles constituent un manque considérable à gagner car elles sont, entre autre, une source potentielle d’emploi, de diffusion des connaissances et d’amélioration des compétences. Les entreprises formelles sont principalement de grandes entreprises, souvent étrangères, peu nombreuses en quantité mais pour autant, à l’origine de l’essentiel de la production du secteur privé.

 

 

fig
Source: Banque Mondiale (2011). Industrial Clusters and Micro and Small Enterprises in Africa

La corrélation entre la taille des entreprises et leur performance sur le continent a beaucoup été traitée dans la littérature et il en ressort que les entreprises étrangères ont tendance à employer plus de salariés, à être plus productives et ainsi croitre plus rapidement que les entreprises locales. La taille de l’entreprise est également un facteur déterminant en ce qui concerne l’accès aux marchés. En effet, les grandes entreprises peuvent plus facilement accéder à l’ensemble des marchés nationaux et aux marchés étrangers car elles profitent d’économies d’échelle leur permettant d’étaler les coûts fixes sur des quantités plus importantes. Paul Krugman a d’ailleurs démontré que lors de la pénétration de nouveaux marchés, seules les entreprises les plus grandes et les plus compétitives arrivent à faire face à la concurrence accrue et aux différentes barrières à l’entrée. Par voie de conséquence, les petites et micro entreprises sont spécialisées dans le commerce de proximité (à l’intérieur d’un même quartier où d’une même ville).

Ce sont également les PME et les entreprises locales qui sont les plus affectées par l’insuffisance de capitaux nécessaires au financement de leur activité. Cette difficulté à trouver des financements est d’ailleurs l’une des contraintes les plus citées par les entreprises d’Afrique subsaharienne: plus de 25% des entreprises considèrent l’accès et le coût du financement comme les principaux obstacles à l’expansion de leur activité (Beck et Cull, 2014). De fait, les systèmes financiers dans cette région sont, pour la plupart, peu développés et onéreux d’où les difficultés éprouvées par les entreprises à accéder à des financements adaptés à leurs besoins.

L’accès au crédit bancaire étant significativement limité en Afrique subsaharienne, les entreprises africaines ont moins de chances d’obtenir des emprunts que les entreprises situées dans d’autres régions du monde. Quant aux marchés financiers, ils sont relativement peu développés dans cette région et les places boursières, quand elles existent, sont de petites tailles. La bourse de Johannesburg (Johannesburg Stock Exchange) qui est la plus grande bourse d’Afrique, compte 400 entreprises cotées mais la plupart des bourses africaines possèdent moins de 50 entreprises à leur cote officielle. En réalité, il n’y a qu’environ 2 000 sociétés cotées sur l’ensemble du continent.

Face à des marchés financiers sous-développés ainsi qu’un secteur bancaire peu propice à l’épanouissement des entreprises, les PME africaines se retrouvent confrontées à une pénurie de financement. Au regard de ces difficultés, le capital investissement pourrait offrir une nouvelle alternative propice à l’éclosion d’un secteur privé dynamique.

Le capital investissement désigne la prise de participation dans le capital de PME généralement non cotées en bourse. Les gestionnaires de fonds s’impliquent également dans la gestion des entreprises financées, leur permettant ainsi de bénéficier de leur expertise, réseau et savoir-faire, en plus d’un apport en fonds propres. Ce type de financement est plus « flexible » que la dette et très adapté pour les start-ups et les entreprises les plus risquées car il permet à l’entreprise de se consacrer au développement de l’activité en lui permettant de réinvestir l’intégralité des flux de trésorerie générés par l’exploitation dans l’entreprise, contrairement à la dette qui nécessite qu’une partie de ces flux soient utilisés pour le paiement des intérêts et le remboursement l’emprunt. 

Malgré l’existence de sucess stories mettant en vedette des entreprises africaines qui après avoir bénéficiées d’apports en capital, ont pu développer leur activité, accéder à de nouveaux marchés où encore devenir plus rentables, il demeure beaucoup à faire afin de développer cette classe d’actifs en Afrique subsaharienne. Qu’ils s’agissent de fonds généralistes tels que Investisseurs & Partenaires et Aureos Africa Fund, où de fonds spécialisés tels que Harith General Partners qui finance des projets d’infrastructures où encore Injaro en charge du développement de l’agriculture en Afrique, ils n’étaient que 158 sur l’ensemble du continent en 2012.

En somme, c’est un secteur financier favorable au développement des entreprises qui leur donne les moyens d’investir et d’atteindre plus facilement une taille d’équilibre. Face aux difficultés de financement rencontrées par les PME, l’Afrique aurait tout intérêt à exploiter cette nouvelle piste qu’est le capital investissement en instaurant des cadres réglementaires régissant cette activité et en encourageant les investisseurs institutionnels (fonds de pension, sociétés d’assurance, etc.) à investir leurs ressources à long terme dans cette classe d’actif. Ceci pourrait apporter un certain nombre de solutions (financement, expertise et conseils) à ces entreprises dans le besoin, et ainsi propulser le développement économique de ce continent où tout reste encore à faire.

Quels sont les mécanismes de financement innovant du développement ?

185236742Le financement du développement en Afrique va de pair avec différents instruments aux logiques très variées. L’aide publique au développement (APD) est l’un des principaux outils du financement du développement en Afrique ; elle bénéficie aujourd’hui à plus de 160 pays pour un montant net versé de 125.6 milliards USD. D’autres mécanismes de financement cohabitent avec l’APD, en majorité indépendants des structures multilatérales d’aide au développement. Le recours à la dette et les partenariats public-privé constituent des outils développés par les pays récipiendaires eux-mêmes. Les transferts de fonds envoyés par les migrants représentent une source de financement non négligeable : selon la Banque Mondiale, ils s’élevaient à environ 351 milliards de dollars en 2011, soit plus de deux fois et demi l’aide publique au développement.  

Malgré ces flux financiers, les progrès restent mitigés. L’efficacité de l’aide est ainsi devenue un enjeu primordial alors même que les intervenants se multiplient[1], justifiant l’engagement des bailleurs internationaux pour accroitre la part de l’aide déliée, améliorer l’information et la prévisibilité, réduire le nombre de fonds multilatéraux et de canaux d’aide, réduire le nombre de pays orphelins de l’aide, etc., ainsi que des démarches volontaires (« New deal pour les pays fragiles »).  De plus, depuis les années 1980 – 1990, l’investissement privé a eu tendance à prendre le pas sur l’aide publique via l’augmentation des collaborations publiques-privées et sous d'autres formats (solidarité privée ; fonds d'aides développés par des entreprises[2]). 

Cette problématique a guidé la réflexion vers l’émergence de la notion de financements innovants[3] au sein des organes internationaux. Ces outils, contrairement à l’APD, sont assez prévisibles et réguliers. Ces mécanismes novateurs ont l’avantage de faire intervenir des acteurs divers, via des partenariats nouveaux. Ainsi, le fonds d’investissement Danone Communities, qui rassemble des partenaires publics et privés, finance des entreprises locales dotées d’un modèle économique durable avec un objectif de réduction de la pauvreté[4]. En outre, ces nouveaux financements s’inscrivent dans les enjeux de biens publics mondiaux et de rééquilibrage des inégalités. Leur but est de pallier le déficit de moyens financiers clairement posé par les Objectifs du Millénaire pour le Développement[5]. Ainsi, rechercher de nouveaux moyens est crucial avec des besoins en hausse et une contraction des budgets annuels d’APD.  

Quatre types de financements innovants apparaissent[6]:

  • les contributions volontaires : avec celles mises en place par la Fondation du Millénaire pour les financements innovants pour la Santé ainsi que les mécanismes de canalisation des transferts de migrants vers l’investissement productif ou social dans les pays d’origine ;
  • Les contributions obligatoires sont les taxes sur des activités économiques nationales ou internationales (taxe sur les billets d’avion/UNITAID[7] ; projet de taxe sur les transactions financières) ;
  • Les garanties d’emprunt sont des mécanismes de préfinancement sur les marchés financiers avec une garantie d’État. Leur utilisation est fréquente dans le secteur de la santé (par exemple pour l’organisation de campagnes de vaccination), mais également comme garanties d’achats futurs [8].
  • Les mécanismes de marché sont divers (exemple de la vente aux enchères des droits d’émission de CO2).

Ce sujet ne peut faire l’impasse sur le débat autour de la taxe sur les transactions financières, qui est un moyen efficace mais très critiqué. D’une part, c’est un outil puissant par son assise[9]. D’un taux très faible, environ 0,005%, elle suffirait à lever environ 30 milliards de dollars par an tout en restant assez faible pour ne pas perturber les marchés financiers. En outre, elle apparaît techniquement et juridiquement faisable et semble être le moyen le plus approprié pour le financement des biens publics mondiaux[10]. D’autre part, sa mise en place reste controversée en raison de l’opportunité publique qui la sous-tend.

D’autres mécanismes dignes d’intérêt sont à citer :

  • les contrats de programmes OBA (Output based aid) de la Banque mondiale : les opérateurs sont invités à inclure dans leurs programmes des objectifs sociaux spécifiques et à les subventionner, mais uniquement selon l’atteinte des objectifs fixés par le contrat.  
  • les mécanismes de « coopération décentralisée » et la compensation carbone, issue du Protocole de Kyoto.  La première vise à financer des projets via un prélèvement[11] et s’accompagne souvent d’un transfert de compétences. La compensation carbone permet qu’une entreprise troque la réduction de ses émissions en CO2 contre l’achat d’une quantité équivalente de crédits carbones à un tiers. Ainsi, l’ONG GERES est présente en Afrique et au Cambodge depuis 1997 avec un programme de fabrication et de vente de fours solaires.

Si la notion de financements innovants est pertinente ici, cette vision reste attachée à un prisme occidental de l’APD. C’est pourquoi, sur le constat de la régression de l’APD, d’autres flux apparaissent avec des modalités alternatives. De nouveaux donateurs sont apparus envers les pays africains : la Chine, le Brésil, la Russie en tête[12], en nourrissant le projet d’une banque de développement. Toutefois, ces financements dits « Sud-sud » obéissent à des règles relativement nouvelles : l’obligation d’investir les bénéfices tirés des ressources naturelles dans des infrastructures (« accords ressources contre infrastructures ») ; l’accent mis sur le développement du secteur privé dans l’investissement ; l’importance des projets « clef en main » ; un transfert de compétence facilité par des conditions similaires ; une plus grande flexibilité sur certains principes et avec moins de contreparties à respecter ; la primauté de l’aide au projet, visant directement les entreprises, sur l’aide programme, plus sujette au détournement et à la corruption. Si les échanges de cette nature se multiplient[13], reste à mesurer l’impact de ces investissements sur le développement en Afrique.

Les financements innovants et le recours à d’autres mécanismes que l’APD constituent indéniablement une partie de la solution pour combler le déficit des ressources disponibles pour le développement. Si l’APD garde un rôle central et catalyseur dans la stratégie internationale de financement du développement, les mécanismes de financement innovant permettent de lever des ressources complémentaires, plus stables et pérennes que les flux d’aide traditionnels. Néanmoins, et compte tenu de la diversité de ces mécanismes, la question qui demeure est d’identifier ceux qui seraient les plus appropriés à l’environnement et aux besoins des pays africains.

Pauline Deschryver


[1] Le 4ème forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide tenu à Busan (Corée du Sud) en 2011 a ainsi permis l’adoption pour la première fois d’un « partenariat global » pour l’efficacité de l’aide élargi à l’ensemble des acteurs du développement notamment les donateurs émergents et le secteur privé.

[2] Ainsi, la Fondation Bill et Melinda Gates a octroyé 3,4 milliards de dons, en 2012, en matière d'aide à la santé, soit l'équivalent de ce que dépense le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et la Malaria.

[3] Le concept de financements innovants est né selon les étapes suivantes : l’idée a été évoquée lors de la Conférence internationale sur le financement du développement Monterrey (Mexique,18-22 mars 2002) ; un groupe pilote pour les financements innovants du développement a été créé en février 2006 ; la Conférence de Doha a repris cette problématique en 2008 ; les financements innovants figuraient notamment à l’agenda de la présidence française du G20 en 2011. Certains financements ont depuis été appliqués et connaissent une mise en œuvre fructueuse, tandis que d’autres sont encore à l’étude ou bien font l’objet d’âpres négociations

[4] http://www.danonecommunities.com

[5] Dans le cadre des OMD 2015, les estimations du  rapport du Groupe d’experts (issu de la Task Force sur les financements innovants) pour la période 2012-2017 sont de l’ordre de 324 à 336 milliards d’euros par an (http://www.leadinggroup.org/IMG/pdf_RapportFR.pdf)

[6] La catégorisation des financements innovants a été esquissée lors de la conférence de Paris en 2011

[7] Taxe employée par 13 pays et créée à l’initiative du gouvernement franco-allemand en 2006, elle représente un premier exemple de taxe de solidarité imposée par les Etats en finançant la lutte contre des maladies telles que le Sida, le paludisme ou la tuberculose via le fonds UNITAID.

[8] La Facilité Internationale de financement pour la vaccination (IFF) et GAVI participent de ce type de financement innovant : cette facilité de financement internationale encourage l’emprunt sur les marchés financiers pour doubler d’aide au développement.  Créée en 2006 à l’initiative du Royaume-Universel, elle vise à financer d’ici 2015 les programmes de vaccinations des pays les plus pauvres via le fonds GAVI (Global Alliance for Vaccine and Immunization).

[9] Les transactions financières s’élèvent aujourd’hui à environ 4 000 milliards de dollars et sont très variées – valeurs mobilières, titres de dettes, produits dérivés sur matières premières et transactions de change.

[10] Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, Mondialiser la solidarité : pour des contributions du secteur financier, rapport du groupe d’experts à la Taskforce sur les transactions financières internationales pour le développement, juin 2010

[11] En France, la loi « Oudin-Santini » permet les collectivités territoriales de prélever jusqu’à 1% des recettes hors taxes afin de financer des actions de solidarité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.  

[12] En termes d’évènements institutionnels attestant de ce nouvel engouement des BRICS pour le financement du développement des PED on peut citer le 5ème Forum des BRICS à Durban ainsi que le Forum de coopération Afrique-Chine (FOCAC)

[13] A savoir, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique en 2009 (le commerce entre la Chine et l'Afrique a connu un taux de croissance moyen annuel de 33,5% entre 2000 et 2008). En outre, pendant la même période, la Chine a annulé les dettes de 35 pays africains pour un montant de 2,9 milliards de dollars (1,6 milliard d'euros)

Le partenariat public-privé est-il adapté aux pays en développement ?

arton44Etant donné les technologies qu’elle doit incorporer pour rattraper son retard sur les autres régions du Monde, le financement du développement est devenu un enjeu majeur en Afrique. C’était d’ailleurs le thème de la conférence sur le développement de l’Afrique. L’enjeu est encore plus crucial dans le domaine des infrastructures depuis la publication du rapport de la Banque Mondiale intitulé « Infrastructures Africaines : une transformation impérative ». Pour répondre à ce besoin de financement, davantage de pays africains ont recours aux projets de partenariats public-privé (PPP).[1] Cet engouement n’est pas sans fondement si l’on en croit les estimations de la Banque Mondiale sur le déficit de financement des infrastructures en Afrique.[2] Cependant, si l’on considère les origines de ce type de financement, il s’avère que le contexte spécifique de certains Etats Africains ne se prête pas nécessairement à la mise en œuvre effective des PPP.

Pour financer les infrastructures de développement, les Etats ont traditionnellement recours aux émissions de bons du trésor, aux prêts bilatéraux (entre pays) ou multilatéraux (octroyés par les Banques de Développement).[3] Jusqu’au début des années 2000, ces moyens de financement étaient utilisés pour financer des infrastructures publiques construites et gérées par l’Etat. Dans ce processus, l’Etat fait appel à des entreprises privées pour la construction des infrastructures et prend lui-même en charge la prestation du service. Dans le cas de la construction d’une route par exemple, l’Etat lance un appel d’offre pour sélectionner une entreprise de BTP, chargée de la construction. Ensuite, il s’assure de l’entretien et de l’usage de la route par les usagers à travers le ministère en charge des infrastructures.[4]

Toutefois, cette procédure, dite de marché public, pose deux problèmes. D’une part elle n’incite pas le constructeur à produire une infrastructure de qualité, même si le maître d’œuvre est chargé de garantir la qualité de l’ouvrage. Dès lors, la durée de vie des infrastructures à la fin de leur construction est souvent plus faible que leur durée de vie potentielle, ce qui engendre des coûts de financement plus élevés à l’Etat. D’autre part, le fait que les services publics ne soient pas à but lucratifs n’incitent pas non plus l’Etat à entretenir voire améliorer la qualité des services fournis.

Pour résoudre ces problèmes, les concessions publiques ont été envisagées. Dans ce cas, l’Etat finance et construit l’infrastructure, mais délègue sa gestion à une entreprise privée. C’est notamment le cas aujourd’hui de certaines activités portuaires, des postes de pesage et de péage ou même de l’exportation de certaines matières premières agricoles.[5] Toutefois, les concessions ne sont pas non plus indemnes de tout problème. En particulier, elles transfèrent intégralement le risque lié à la demande ou au coût de l’Etat vers l’opérateur privé.

Sans titre

C’est donc pour mieux partager le risque que les PPP ont été développés. Au cœur de ce partage du risque se trouve les clauses de garantie qui comme leur nom l’indique, prévoient des compensations de l’Etat aux opérateurs privés lorsque les prévisions de cash flow sont affectées par des risques commerciaux imprévisibles. Ces risques peuvent être liés à une demande plus faible que prévue, ou à des coûts de production plus élevés que prévus.[6] Ce sont des facteurs qui peuvent à priori décourager les investisseurs étrangers dans la mesure où ceux-ci ont une maîtrise imparfaite de l’environnement économique des pays.

En même temps, l’Etat non plus ne maîtrise pas les risques commerciaux liés aux investissements dans les infrastructures. Typiquement, la prévision du trafic de passagers dans un aéroport ou sur un chemin de fer est difficile à prévoir surtout dans un contexte où le marché est très peu développé et où des évolutions technologiques peuvent apporter à court termes des choix alternatifs aux consommateurs. Par conséquent, les Etats qui s’engagent actuellement dans la signature de ces contrats de PPP risquent de se retrouver à payer des compensations pour des services qui ne sont mêmes pas rendus. Ce risque est d’autant plus élevé que les contrats sont signés dans des cadres réglementaires internationaux qui échappent au contrôle des Etats et dans un contexte où la corruption et la mauvaise gouvernance peuvent introduire des biais dans l’attribution et l’exécution des marchés.

Si l’on regarde de plus près, les PPP ont été initialement utilisés dans des pays comme la France et la Grande Bretagne qui disposent d’un marché assez développé et d’un cadre réglementaire fiable. Ces deux facteurs minimisent l’occurrence des risques liés à la rentabilité des projets de PPP. Par ailleurs, un autre facteur très important concerne le pouvoir de négociation entre les parties prenantes aux contrats PPP. Dans les pays suscités, ce pouvoir est plus équilibré que dans les pays en développement où le chiffre d’affaire des entreprises impliquées dans la signature des contrats de PPP dépasse souvent la moitié de leur PIB.

Une approche pour remédier à ces problèmes consisterait à mettre en place des organismes techniques régionaux chargés de l’examen et de la signature des contrats de PPP. Cette approche a le mérite de s’appuyer sur un marché plus vaste, ce qui lui confère un pouvoir de négociation plus élevé. En plus, elle permettra d’attirer les experts en analyse et négociation de contrats de PPP au service des Etats.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Deux articles dont celui de Simel et de Foly analysent déjà en quoi les PPP peuvent être une option intéressante pour le financement des infrastructures.

[2] Le rapport “Infrastructures Africaines: Une transformation impérative” estime à 93 milliards de dollars US, le montant annuel des besoins de financement d’infrastructures en Afrique.

[3] On peut mentionner aussi les transferts d’argent des émigrés Africains dont le montant dépasse aujourd’hui l’aide au développement, i.e. les prêts concessionnels octroyés à des taux préférentiels par des pays développés.

[4] L’entretien des routes est de plus en plus confié à des prestataires privé qui se charge de collecter des droits de passage chez les usagers et d’assurer l’entretien des routes.

[5] Cette procédure se distingue bien de la privatisation, dans la mesure où l’opérateur privé n’est pas propriétaire de l’infrastructure.

[6] L’agence MIGA de la Banque Mondiale s’occupe généralement des risqué non commerciaux.

Faut-il un fonds souverain en Côte d’Ivoire ?

3h1e8fovA l’instar de la plupart des économies africaines, la question du difficile accès des PME au financement s’est toujours présentée en Côte d’Ivoire comme un défi auquel les décideurs politiques et économiques peinent à trouver des solutions efficaces et durables. En effet, les conditionnalités actuelles d’accès au crédit restent quasi impossibles à franchir par les PME ivoiriennes, qui occupent pourtant une place primordiale dans le tissu industriel du pays : selon le ministère du commerce, les PME représentent 80% des entreprises et contribuent pour près de 20% au PIB et emploient environ 23% de la population active. C’est à juste titre qu’à l’occasion de la cérémonie d’inauguration du siège du patronat ivoirien baptisé« la Maison des entreprises »  qui s’est tenue à Abidjan le 19 septembre 2014, le Chef de l’Etat AlassaneOuattara a fait cet appel de pieds aux institutions financières implantées dans le pays :«En Côte d’Ivoire le constat est clair: le secteur financier ivoirien ne contribue pas encore suffisamment au financement de l’économie nationale ».

Des raisons complexes à la base du difficile accès des PME au financement…

Une analyse profonde de la question permet de réaliser que la problématique du difficile accès des PME au financement est plus complexe qu’elle ne parait. En effet, s’il est vrai que de nombreuses institutions financières, guidées par leur logique purement capitaliste, ne jouent pas pleinement leur rôle de financement de l’économie, la réalité du terrain nous impose néanmoins, de constater que la plupart des PME présentent un profil de risque élevé en raison du manque de visibilité de leurs activités dû à un environnement politico-économique fragile ; ce qui contribue à les rendre insolvables. Ainsi, le mécanisme traditionnel de financement par prêt bancaire s’avère inefficace puisque le risque de non remboursement est réel.

…qui nécessitent une intervention de l’Etat à travers la mise en place d’un fonds souverain

Dans ce contexte d’impasse, l’Etat de Côte d’Ivoire ne doit pas se contenter de dénoncer l’inaction des banques. Il doit prendre ses responsabilités en se positionnant clairement comme un partenaire financier privilégié des porteurs de projet. Pour parvenir à jouer efficacement ce rôle de partenaire financier,  une solution idoine s’offre à notre pays : la création d’un fonds souverain.  En effet, la Côte d’Ivoire peut capitaliser sur son énorme potentiel en ressources naturelles pour constituer une manne financière importante en vue de mettre en place son fonds souverain. De fait, le secteur primaire qui représente plus de 29% du PIB en 2013 (BAD, African Economic Outlook) est dominé par l’exploitation forestière et les cultures industrielles d’exportation (café, cacao, palmier à huile, hévéa etc.). En plus de cela, le secteur minier qui a contribué en 2013 à hauteur de 4.6% au PIB (BAD, African Economic Outlook) prend progressivement de l’ampleur dans l’économie du pays. En Avril 2014 par exemple, le groupe français TOTAL a fait l’une de ses plus grandes découvertes  de pétrole en Afrique de l’Ouest  au large de San Pedro, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire.

Le gouvernement de Côte d’Ivoire peut réaménager l’utilisation des recettes issues de l’exploitation de ses ressources naturelles pour consacrer une partie au financement d’un fonds souverain dont le but sera de soutenir le développement des PME. En effet, à condition d’être rigoureusement géré, les fonds souverains se présentent comme un puissant levier pour répondre efficacement au défi de financement des PME.

Ainsi, face à la stratégie d’investissement des partenaires financiers privés qui repose essentiellement sur la recherche de rentabilités élevés à court terme, le fonds souverain devra proposer aux PME, un package de solutions de financements moins exigeants qui privilégientleur développement sur le long terme. Il s’agit pour le fonds souverain, d’adopter la posture d’un allié dont le but est d’abord et avant tout d’aider les PME à transformer leurs faiblesses en force pour devenir à moyen ou long terme, des champions nationaux qui porteront l’économie du pays.

Un recours croissant aux fonds souverains à travers le monde.

En plus d’offrir des opportunités de financement pour les entreprises, l’une des raisons qui pousse les pays à créer des fonds souverains est qu’ils favorisent la gestion optimale des revenus issues des ressources naturelles afin d’éviter la fameuse «malédiction des ressources naturelle». Les exemples de réussite de fonds souverains à travers le monde sont légions. Grâce à ses revenus pétroliers, la Norvège a réussi à bâtir le plus gros fonds souverain au monde qui est aujourd’hui une structure clé dans l’architecture économique du pays. La plupart des pays du golf arabe producteurs de pétrole disposent de fonds souverains qui jouent un rôle de premier plan dans le financement de leurs économies.

En Afrique subsaharienne, l’Angola et le Nigeria sont en tête du classement des plus gros fonds d’investissement. D’autres pays tels que le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Ghana ont également mis en place des fonds souverains. Tout récemment, le Sénégal qui dispose pourtant de très peu de ressources naturelles a lancé son fonds souverain pour apporter une réponse appropriée à la question du manque de financement des PME.

Des conditions préalables à respecter pour le succès du fonds souverain

Bien que les fonds souverains soient un levier capable d’apporter une réponse à l’épineux problème du financement des entreprises, il convient de noter que leur existence en soi n’est pas une panacée.Pour éviter de créer un effet de massue, les fonds souverains doivent être utilisés à bon escient. Ainsi, le succès de tout fonds souverain est subordonné entre autres aux préalables suivants :

  • Diversifier les sources de revenus destinées à alimenter le fonds : La Côte d’Ivoire dispose de diverses ressources naturellesqui peuvent servir de base de collecte des revenus (taxes, prime d’exploitation etc.) pour alimenter les fonds souverains.Le fonds se présentera comme une caisse unique qui centralise l’ensemble des revenus de l’Etat non destinés directement au financement du budget.
  • Transparence et rigueur dans la gestion des ressources : Le manque de transparence et de rigueur sont lesprincipales causes de l’échec des fonds souverains. Il est donc crucial de créer les conditions d’une gestionrigoureuse qui s’inscrit dans une vision claire et ambitieuse
  • Mécanisme d’investissement : Le fonds souverain devra apporter des capitaux sous forme de fonds propres pour prendre des parts dans le capital des PME. Ceci permet à la fois de bénéficier des dividendes généréset d’avoir un regard sur la gouvernance afin de contribuer à améliorer la gestion de la société pour l’inscrire sur la voie de la croissance.
  • Définir une stratégie d’investissement efficace : La ligne directrice du fonds doit être clairement établie. Il s’agit de définir entre autres : les secteurs cibles prioritaires, le montant des tickets de financement, la durée moyenne de l’investissement, la nature de la prise de participation (minoritaire vs majoritaire) etc.Pour ce faire, l’équipe dirigeante devra être composée de professionnels confirmés rompus au métier de la finance et de l’investissement

La Côte d’Ivoire devrait s’inspirer de ces success stories pour lancer son fonds souverain avec pour objectif spécifique de contribuer au financement des PME qui seront des champions nationaux capables de porter l’émergence du pays.  Avec son énorme potentiel en ressource naturelles et le dynamisme de son économie, les conditions sont favorables à la réussite d’un fonds souverain en Côte d’Ivoire.

Lagassane Ouattara

Une nouvelle mesure du développement qui prend en compte les dommages à l’environnement

epargneLa prise de conscience sur les impacts environnementaux et sociaux que cause la course effrénée vers l’accumulation du capital physique devient de plus en plus importante. La nécessité de tenir compte de la dimension humaine et environnementale dans la constitution de la richesse d’une nation est maintenant indéniable. Pourtant, ni le PIB et ses mesures de revenu dérivées n’ont  permis de saisir correctement ces enjeux liés à la qualité et à la soutenabilité des modes de vie des personnes et des sociétés. On ne peut, en effet, considérer que le revenu véritable d’un pays s’accroît si ses ressources naturelles s’épuisent dans une proportion que ne peuvent compenser les investissements en capital physique. Il en va de même si les connaissances et les capacités de sa population diminuent[1]. Par conséquent, il importe de trouver un indicateur qui exprime pour un pays donné et à l’issue d’un cycle de production, la variation du capital physique, humain et naturel. C’est en ce sens que l’épargne véritable ou Epargne Nette Ajustée (ENA) trouve toute sa raison d’être. C’est un indicateur synthétique qui ambitionne de mesurer la soutenabilité du développement. Il est publié par la Banque Mondiale depuis l’année 1999 et renseigne sur la création ou la destruction nette de richesse nationale dans une année.

D’après la comptabilité verte et les calculs de la Banque mondiale, l’ENA est égale à l'épargne nationale nette augmentée des dépenses en éducation, diminuée d’une part de l'épuisement en énergie, en minéraux et en ressources forestières, et d’autre part, des dommages causés par le dioxyde de carbone et les émissions de particules. Les difficultés techniques de prise en compte des émissions de particules a amené la Banque mondiale à calculer pour chacun de ses pays membres, une nouvelle série d’ENA qui exclut les dommages causés par les émissions de particules. L’un des avantages certain de l’ENA est de réussir à quantifier dans une unité de compte monétaire commune, toutes les variations de capital physique, humain et naturel. Bien que cette monétisation fasse l’objet d’une critique virulente de la part de certains théoriciens[2], elle demeure une approche pertinente qui facilite le calcul et l’interprétation de l’ENA. Etant donné que l’épargne véritable est un indicateur qui cherche à mesurer la soutenabilité du développement, si elle est négative à un moment donné du temps, alors il existera un intervalle de temps dans le futur au cours duquel le bien-être sera inférieur au bien-être courant. Ce qui implique entre autres une surconsommation et un sous-investissement.

L’ENA d’après les chiffres :

Pour tenir compte de son poids dans le produit national brut, chaque composante de l’ENA est exprimée en pourcentage du revenu national brut (RNB).

Untitled
Evolution conjointe de l epargne nationale nette et de l epargne veritable (a l exclusion des emissions de particules)
Sources : World Bank. WDI, 2014.

Bien que le niveau d’épargne véritable dans le monde soit durablement positif depuis 1986[3], la situation est très contrastée lorsque l’on entame une désagrégation de l’indicateur. En effet, l’épargne véritable est restée négative sur le quinquennat 1986-1990 dans les Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Ce qui montre que les niveaux d’investissement réalisés dans ces régions sont en général insuffisants pour compenser les pertes en capital naturel. L’épargne nationale nette de ces pays pour la même période est en revanche positive et peut ainsi laisser croire à une création nette de richesse nationale. Or l’épargne véritable révèle qu’en réalité ce supplément de richesse créé ne compense pas la dégradation de l’environnement, ni l’épuisement des ressources énergétiques, minières et forestières dont il résulte. Il a donc existé pour les PPTE, un intervalle de temps succédant à la période de « désépargne » où le taux de croissance de la consommation est devenu négatif, conséquences d’une surconsommation à la période 1980-1986 et d’un sous-investissement. Ce fut le cas par en 1993 et 1994[4]. Il en est de même pour l’Afrique subsaharienne qui a connu une épargne véritable négative au début du 21è siècle. Pour parler de soutenabilité du développement dans un pays, le concept de l’ENA voudrait que l’épargne véritable soit durablement positive. Ce qui n’est en générale pas le cas des pays de l’Afrique subsaharienne. Un effort considérable dans ces pays reste donc à faire.

Par ailleurs, le tableau ci-dessus montre que l’ENA demeure toujours inférieure à l’épargne nette nationale toute période confondue, sauf pour les pays à revenu élevé. Ceci pourrait s’expliquer par le poids relativement élevé des dépenses publiques en éducation de ces pays comparés aux autres. L’épargne véritable prenant en compte le capital humain considéré dans ce cas comme une épargne, on pourrait raisonnablement penser que cette épargne suffit à elle seule pour compenser les pertes en capital naturel, du moins de façon monétaire.

Sur le plan conceptuel, l’épargne véritable présente l’avantage de constituer un point de référence naturel permettant d’évaluer la soutenabilité : une ENA durablement négative témoigne d’une réduction persistante de la richesse globale, qui compromettra le maintien ou l’amélioration du bien être. De plus, c’est un indicateur qui peut être facilement amélioré compte tenu de sa flexibilité.

Carmen Thiburs Agbahoungbata


[1] Plus de détails dans «Qu’est-ce que l’épargne véritable ? », Indicateurs pour un développement durable, N°01-1, Janvier-février 2001

 

[2] Pour une revue de ces critiques, on pourra consulter avec intérêt :  Neumayer, E. (2000), Resource accounting in measures of unsustainability : challenging the World Bank's conclusions, Environmental and Resource Economics, P. 257-278. Pillarisetti, J.R. et Bergh, V. D. J. (2008), Sustainable Nations : What do Aggregate Indicators Tell Us?, In Tinbergen Institute Discussion Paper, N° 012/3. Stiglitz, J. E., Sen, A. et Fitoussi, J.-P. (2009),  Rapport de la commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Cassiers, I. et Thiry, G. (2009), Au-delà du PIB: réconcilier ce qui compte et ce que l’on compte, In Regards Economiques, 75, P. 1-15.

 

[3]Selon les données de l’ENA pour le monde, disponibles dans la base World Developpement Indicator (WDI) de la banque mondiale

 

[4] La série « dépense de consommation finale » des PPTE n’est pas disponible avant 1993 dans l’édition 2014 de la base WDI de la banque mondiale. Ce qui ne nous permet pas de vérifier l’hypothèse sur la période 1987-1992.

 

Les zones économiques spéciales : un outil de développement encore mal utilisé

UntitledLes performances économiques actuelles de l’Afrique ne s’accompagnent pas systématiquement d’une mutation de sa structure économique et dans une moindre mesure des conditions sociales, notamment l’accès à l’emploi. De fait, les chiffres de croissance publiés sur l’Afrique sont portés notamment par la consommation privée et par les activités d’exploitation des ressources naturelles. Pour pérenniser ces performances, la création d’emplois et la transformation structurelle constituent un défi considérable pour les stratégies de développement des pays africains. La complexité de ce processus nécessitera l’action de l’Etat. Ces stratégies intègrent donc des politiques visant à générer des emplois et à consolider de façon pérenne les performances économiques du pays. L’une de ses stratégies est la mise en place de zones économiques spéciales (ZES).

Les ZES sont des enclaves territoriales qui fournissent un cadre plus avantageux (infrastructures et fourniture de services publics impossible à réaliser à l’échelle nationale) pour les entreprises et destinées à attirer les investisseurs locaux et étrangers. Si ces zones semblent attractives, rien ne garantit qu’elles puissent effectivement favoriser l’installation d’entreprises et générer des emplois ou avoir des effets d’entrainement sur le reste de l’économie. De toute façon, de nombreux pays africains y ont déjà recours, sans que leur impact ne soit vraiment significatif.

Selon le FIAS (2008), les emplois générés en Afrique subsaharienne par les zones économiques spéciales représenteraient à peine 0.2% des emplois formels alors qu’elles contribueraient à près de 50% du total des exportations, avec un effet de ricochet très limité sur le reste de l’économie. De fait, des travaux du CNUCED (2003) révèlent que les entreprises installées dans ces zones, en Afrique, utilisent des inputs importés et une main d’œuvre locale non qualifiées et produisent des biens destinés à l’exportation. Cette situation n’en appelle pas à supprimer les ZES mais plutôt à repenser leur structure. De fait, elles ont été un succès en Asie et dans certains pays africains (en particulier l’île Maurice et dans une moindre mesure le Kenya). Le défi serait donc d’identifier les composantes essentielles qui puissent permettre d’optimiser l’impact que pourrait avoir cette politique.

Selon la littérature, il existe trois types de ZES qui pourraient permettre d’atteindre les objectifs de développement. Afin de bénéficier des avantages liées à une préférence commerciale (AGOA des Américains ou encore Tout sauf les Armes de l’UE, par exemple), un pays peut mettre en place une ZES. L’objectif serait dans ce cas d’importer des matériaux, assurer leur transformation et exporter des produits finis définis dans le cadre des accords. Il présente cependant l’inconvénient d’être limité dans le temps à la mesure où les termes de l’accord relatif aux préférences commerciales peuvent changer. Un pays ne devrait donc utiliser cette mesure que s’il dispose des capacités lui permettant de tirer le maximum de profit de la période de validité de l’accord mais aussi de s’adapter assez rapidement quand les termes des accords préférentiels changent. C’est donc un risque considérable.

Malheureusement, c’est ce type de ZES que l’on retrouve dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne (avec les zones franches) et les expériences ont prouvé que leurs contributions à l’économie, notamment en matière de transformation structurelle et de création d’emplois, sont très limités. En outre, selon les travaux de Cling et al (2007) la fin du MFA (Multi Fibre Arrangement)[1] a eu des impacts négatifs sur les pays ayant mis en place des clusters spécialisés dans l’assemblage de vêtements, notamment l’île Maurice, le Kenya et le Madagascar où l’industrie textile est composée essentiellement d’entreprises étrangères (françaises ou chinoises). 

Les deux autres formes de ZES se bâtissent en fonction des avantages comparatives : soit en conformité avec celles-ci ou en les considérant comme un défi. Dans le premier cas, il s’agit de créer une zone économique qui permettrait d’exploiter au mieux les dotations en ressources naturelles du pays. Le second cas, plus complexe, consiste à créer les conditions afin de doter le pays d’avantages comparatifs. Ce genre de ZES tend à spécialiser les entreprises dans un domaine leur permettant d’approfondir et d’accélérer le processus d’industrialisation, en partant d'un seul secteur. Les entreprises apprennent l’une de l’autre, profitent des économies d’échelles, renforçant ainsi la concurrence et l’innovation.

Ce type de ZES a produit des résultats encourageants comme le montre les travaux de Nadvi et Barrientos (2004). Elles génèrent des emplois et ont un véritable effet de ricochet sur le reste de l’économie. La littérature identifie certains sucess stories comme le cluster de Tema (Ghana) qui s’est spécialisé dans l’agro-alimentaire, celui de Jurong Park de Singapour spécialisé dans l’industrie pétrochimique ou encore celui de Penang en Malaisie qui a développé tout une industrie sur l’électronique. Le succès de ces zones économiques ne tient pas seulement au fait qu’elles se soient spécialisées sur la base des avantages comparatifs mais surtout parce que les entreprises installées dans cette zone entretiennent d’importantes relations entre elles mais aussi avec l’administration publique, ce qui facilitent les partagent d’expérience, de connaissance et de technologie avec les autres entreprises du pays non installées dans la zone.

Les autorités devraient ainsi créer en marge de la mise en place des ZES un cadre favorable au partage entre les entreprises. Par ailleurs, il faut mettre en place des mécanismes pouvant permettre d’assurer le développement continue et pérenne de ces ZES. Au Singapour et en Malaisie, les autorités ont mis en place en marge du ZES, des mesures visant à renforcer le capital humain et à promouvoir le développement technologique. La mise en place de ces mesures, portées par le  secteur privé local, a permis de garantir le succès de ces zones.

En outre, pour optimiser l’apport des ZES à l’économie, leur mise en place devrait s’inscrire dans une stratégie globale de développement. Les politiques économiques mis en place ne devraient pas s’articuler autour de la zone mais devraient tenir compte de leur particularité tout en demeurant propres à toute l’économie. Ainsi, si la mise en place d’une ZES nécessite la levée de certaines barrières réglementaires, il faudrait pouvoir identifier tout ce qui constituerait des barrières à toute l’économie et y apporter des solutions appropriées. Si la mise en place d’une ZES nécessite la mise en place d’un cadre favorable visant à favoriser l’accès au financement bancaire, par exemple, toute politique visant à atteindre cet objectif, ne devrait pas se limiter aux seules entreprises installées dans la zone mais devrait être élargie à toutes les entreprises de l’économie.

La mise en place de ZES ne renforce donc pas systématiquement l’entreprenariat mais y contribue en favorisant la mise en œuvre de réformes qui rendent l’environnement favorable pour des investissements productifs. La mise en place de ZES devrait donc s’accompagner de mécanismes destinées à renforcer le capital humain, à assurer le développement technologique et à améliorer le climat des affaires entres autres.

Un autre point très important, est la localisation géographique. Une ZES ne devrait pas s’articuler autour du développement d’une localité ou d’une région mais devrait s’inscrire plutôt dans une logique de mis en place d’un poumon économique capable de rythmer et de dynamiser l’activité.

L’utilisation des zones économiques spéciales en Afrique comme outil de développement économique n’est pas problématique mais nécessite au regard des performances qu’elles génèrent d’être revue. Si les ZES en Asie ont été d’un grands succès, c’est surtout parce qu’elles ont été pensées avant tout comme partie intégrante de la stratégie de développement du pays et non comme outil de promotion des exportations, comme c’est le cas de nombreux pays africains aujourd’hui.

Somme toute, afin de profiter effectivement des capacités des ZES à générer de l’emploi et à impulser la transformation structurelle (primordiale pour la pérennisation de la croissance), les autorités devraient en plus d’intégrer cet outil dans leur stratégie de développement, mettre en place des mécanismes permettant de renforcer la résilience de l’économie à la conjecture internationale, s’appuyer sur les acteurs locales (les entrepreneurs) afin d’identifier les réformes à entreprendre pour rendre l’environnement des affaires favorables et pour appuyer le développement technologique et l’innovation.

Ce faisant, la dynamique au sein de la ZES pourrait se diffuser au reste de l’économie. Aujourd’hui, l’intégration de cet outil dans les stratégies de développement semble déjà une réalité : dans le cadre de son plan Sénégal Emergent (PSE), le Sénégal souhaiterait mettre en place une ZES à Diamniado non loin du nouvel aéroport et le Gabon est en train d’en mettre une en place à Nkok, selon les directives de son « Plan Stratégique Gabon Emergent ». La question qui demeure, est de savoir si la mise en place de ces ZES s’accompagnera des réformes nécessaires et autres mesures devant garantir leur rôle en tant qu’outil de développement. Pour l’heure, le FMI s’inquiète de la lenteur des réformes dans les pays d’Afrique subsaharienne et estime que sans elles, les plans de développement produiraient un impact très limité.

Foly Ananou

Références :

AfDB, OECD, UNECA, and UNDP (2011). African Economic Outlook Report 2011.

FiAS (2008). Special Economic Zone : Performance, lessons learned and implication for Zone Development. Washington, World Bank

CNUCED (2003). Export processing zones at risk ?

Farole Thomas (2011). Special Economic Zones in Africa : Comparing Performance and learning from global experience. Washington, World Bank.

J.P.  Cling, Roubaud F. and Razafindrakoto M. (2007). Export processing zones in Madacasgar : the impact of the dismantling of clothing quotas on employment and labour standards. DIAL.

Nadvi K. and S. Barrientos (2004). Industrial clusters and proverty reduction. UNIDO Report

Lall S. (1996). Foreign Direct Investment Policies in the Asian NIEs


[1] Le MFA était un accord dans l’industrie du textile à l’échelle mondiale entre 1974 et 1994, qui définissaient les quotas que les pays sous-développés pourraient exporter vers les pays développés.

 

La mendicité des enfants, un défi pour le développement de l’Afrique

talibe-senegal-avril-2009-225x300Il sont nombreux ces jeunes garçons âgés de 5 à 15 ans errant dans les rues et autres lieux publics, s'exposant à tous les dangers  et passant leur temps à mendier. Appelés « Talibés » au Sénégal, « Garibou » au Burkina Faso, Mali ou Côte d’Ivoire, ils sont présents dans plusieurs pays africains. Ce phénomène de mendicité des enfants prend de plus en plus d’ampleur. Selon le PARRER, près 7 600 enfants trainaient dans les rues de Dakar en février 2010. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, HRW) estime que près 100 000 enfants mendiants circulaient dans les rues du Sénégal en 2009-2010. Ces enfants, vivant loin de leurs parents, sont dans un état de manque absolu, tant sur le plan nutritionnel, vestimentaire qu'hygiénique. En dépit de tout ceci, le phénomène s’amplifie et l’on rencontre de plus en plus d'enfants mendiants dans les villes africaines : situation qui soulève des interrogations quant à ce qui permet à ce phénomène de perdurer en Afrique et son impact sur le développement du continent.

Les causes de la mendicité des enfants 

Il est considéré très généralement que la réligion, notamment l'Islam, entretient et encourage la mendicité en insistant sur les bienfaits de l'aumône. S’il y’a de nombreux mérites à pratiquer l'aumône, il faut préciser cependant que l'Islam interdit de mendier sauf en cas de situation critique, ce qui n'est pas le cas de nombreux mendiants et plus particulièrement les enfants. De fait, l'aumône est un acte de générosité exercé volontairement pour soutenir un nécessiteux alors que la mendicité est le fait de faire appel à cette générosité. Si les deux s'assimilent aussi aisément et créent la confusion c'est bien parce que les uns (les mendiants) ont des besoins et les autres (bienfaiteurs) ressentent le besoin de donner mais la distinction se situe dans le fait que l'aumône ne s'adresse pas qu'aux mendiants. C'est cette confusion qui entretient la mendicité en Afrique ; les uns voulant vivre de l'aumône des autres. C'est le cas de ces enfants qui représentent "l'apat idéal" pour bénéficier de la générosité des autres.

Certains géniteurs croyant donner une éducation religieuse à leurs enfants, les envoient chez des maîtres coraniques, sans y ajouter les moyens pour les prendre en charge. D’autres parents, ne pouvant assurer la charge de leurs descendances les confient à des maîtres coraniques, comme pour les mettre au service de la religion, qui pourra les prendre en charge. Cependant, ces maîtres coraniques n’ont que très peu de moyens, d’autant plus que l’école coranique n’est ni une entité publique, qui pourraient recevoir des subventions de l’administration publique et ne s’assimile pas à une entité d’enseignement privé qui exigerait en contrepartie une contribution financière des parents – qui d’ailleurs n’y inscrivent leurs enfants que parce que manquant de moyens. Ainsi, certains de ces maîtres coraniques envoient dans les rues, les apprenants pour quémander leurs pains quotidiens. Si le principe en soi n’est pas condamnable et peut être considéré comme juste, il a été complètement perverti au point de créer ce système.

Autrefois, ces jeunes apprenants servaient, sous le même principe, dans les champs de leur maître, qui assurait leur prise en charge complète à partir des revenus tirés des récoltes. La mendicité n’était que temporaire, faisant appel à la générosité de la société et constituait une façon d’instruire sur l’humilité. Les enfants se consacraient pleinement à leurs études. Aujourd’hui, le contexte a radicalement changé : ces jeunes enfants consacrent la plupart de leur temps à la rue, moins à leurs études et le fruit de leur risque enrichit leurs enseignants et sert moins à leur prise en charge.

La mendicité des enfants, un problème de société, qui remet en cause le développement de l’Afrique

Le problème des enfants mendiants est au delà d’un simple problème de société, un défi colossal pour le développement socio-économique des pays. Dans le passé, l’insertion sur le marché du travail n’exigeant pas un niveau de scolarité élevé, ces enfants ayant atteint l’âge de travailler pouvaient facilement avoir accès à un emploi, certes pas ceux nécessitant une compétence technique avérée mais ils devenaient des entrepreneurs, notamment dans le commerce. En fait, le passage auprès d’un enseignant islamique leur permet d’acquérir des compétences managériales dès le bas âge étant amené à travailler et d’autres vertus qui leur seront bien utiles pour créer une entreprise, gérer un commerce ou exceller dans les travaux qui leur sont confiés. La perversité du système qui a fait de ces enfants des mendiants que des apprenants, fait qu’ils sont en marge du marché du travail très compétitif et requiert un minimum de qualification professionnelle.  Si même les diplômés ont du mal à s’insérer sur le marché du travail, la situation semble plus difficile pour les non diplômés. Ils sont ainsi orientés systématiquement vers le secteur informel ou dans des secteurs qui ne procurent à l’État qu'un revenu substantiel, avec des emplois précaires et une couverture sociale inexistante. Nombreux deviennent des commerçants ambulant, des ouvriers, des chauffeurs de taxi ou apprentis des transports traditionnels en commun des villes. Les meilleurs d’entre eux deviennent des marabouts, des maîtres d’arabe ou encore des enseignants. Certains exercent dans l'agriculture. D'autres, qui ont à la faveur de l'âge et un peu de ressources financières, apprennent un métier dans l'informel : soit la mécanique, la peinture, la menuiserie, etc. La plupart de ces activités, non seulement ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté, mais contribue à maitenir une bonne partie de l'économie africaine dans l'informel.

La grande partie de ces jeunes mendiants se retrouve sans emploi ou incapable d'entreprendre quelque activité. Certains d'entre eux se convertissent à la délinquance, se targuant d'être des "Robin des bois" urbains et usant de n’importe quels moyens pour avoir du revenu fussent-ils licites ou pas, compremettant ainsi la sécurité dans les zones urbaines.

Il est tout à fait clair que le manque d’éducation d’une tranche importante de la population consitutée de ces jeunes enfants, a des conséquences socio-économiques négatives importantes dans la société. Ces populations non éduquées, en plus de constituer une base électorale vide, ignorant les principales lois du pays, reçoivent mal ou comprennent mal les sensibilisations. En effet, face à des épidémies ou certains problèmes sociaux, les États auront beaucoup plus du mal à les sensibiliser. Dans un contexte où l’Afrique a réellement besoin de toutes ses capacités, notamment en ressources humaines qualifiées, un nombre important d’une population non éduquée serait un coup dur pour le développement.

Des tentatives de solutions encore infructueuses

La situation des enfants mendiants a amené certaines entités à les prendre en compte parmi les enfants en situation particulièrement difficile et à chercher des stratégies en vue d’améliorer leurs conditions de vie et d’apprentissage.
Ainsi, à Dakar, le programme d’aide aux enfants mendiants, dénommé « Talibé Sunshine », compte lancer une campagne de sensibilisation en direction de l’opinion nationale, afin d'attirer l'attention sur la condition insoutenable des enfants de la rue. A Saint Louis, l'Association Jardin d'espoir sensibilise les talibés sur l'hygiène de base.

Au Mali, pour assurer la réinsertion des enfants de rue, l’association Soudoubahaba, piloté par le Haut Conseil islamique du Mali, a commencé la construction d’un complexe scolaire à Bamako dans le but de fournir un cadre propice pour acceillir les enfants se trouvant dans cette situation. Au Burkina Faso, l'Association Gournaam-Survie se donne pour leitmotiv d'apprendre aux talibés « à lier le bois au bois » et à gagner dignement leur vie. Cette Association a pour objectifs de renforcer les acquis antérieurs des jeunes talibés en les alphabétisant et en leur apprenant les règles morales de la vie. En plus des organismes et associations, certains gouvernements ont voulu régler le problème par la force, en prenant des dispositions légales contre la mendicité. Ces efforts demeurent infructueux. Ils se heurtent à une forte résistance des populations. Par exemple, en 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta de rendre illégale la mendicité en ville mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application.

Force est de remarquer que malgré toutes les tentatives pour éradiquer le phénomène, le nombre des enfants mendiants ne diminue point et leurs conditions ne s’améliorent guère. Le problème majeur demeure le fait que les populations ne saisissent par l’enjeu du phénomène et les dommages qu’il cause à la société. Pour régler la question, les gouvernements devraient envisager des campagnes de sensibilisation ciblés à l’endroit des populations portant le potentiel d’impliquer leurs enfants dans cette pratique. Il faudrait pour ce faire entreprendre des enquêtes permettant de cibler les populations concernées. Pour être efficace, les équipes de sensibilisation doivent intégrer des responsables religieux et des autorités locales et/ou coutumier comme le chef du village ou le chef du quartier. Ce dialogue avant l'introduction de quelque législation, permettrait aux populations de s’approprier la loi et d’assurer son application et de lever cet obstacle supplémentaire au développement socio-économique de l’Afrique. L'idée ne serait pas de mettre fin à ce système d'apprentissage traditionnelle, mais de l'encadrer et d'éviter qu'il constitue un point noir dans l'équation du développement des enfants et plus particulièrement celui des enfants.

Ali Yedan

Lire aussi :

Talibés du Sénégal, un problème de société.

Garantir la sécurité alimentaire en Afrique

Securite alimentaire2Le paradoxe africain est saisissant. Quinze des vingt deux économies qui ont connu la croissance la plus rapide dans le monde sont en Afrique. Et le continent lui-même affiche une croissance dépassant 5% en moyenne. Mais l’Afrique reste la région la plus vulnérable et la plus fortement soumise aux risques liés à la faim et à l’insécurité alimentaire. Pourtant les solutions ne manquent pas. Tous les chefs d’Etat africains qui se sont réunis à Malabo, dans la capitale Équato-guinéenne à l’occasion de la 23 ème session ordinaire du sommet de l’Union africaine savent parfaitement ce qu’il faut faire après les grandes déclarations. Et s’ils passaient enfin aux actes ? 

La volonté de faire de l’agriculture le moteur du développement en Afrique est encore réaffirmé. En janvier dernier déjà, lors de la 22ème session ordinaire du sommet de l’UA, une feuille de route a été adoptée par les Chefs d’Etat pour lancer formellement le plan d’action de l’année de la sécurité alimentaire. La transformation de l’agriculture africaine pour créer les conditions de la croissance et du développement durable sur le continent ne doit pas être un simple slogan politique mobilisateur. Les défis alimentaires auxquels les pays africains font face actuellement et ceux auxquels ils pourraient être confrontés dans le futur pourraient compromettre tous les progrès réalisés dans différents domaines du développement si les mesures idoines ne sont pas prises sans délai. En 2050, la population mondiale devrait passer à 9.6 milliards de personnes. Le monde aura alors besoin d’augmenter la production alimentaire de plus de 60% pour nourrir cette population. Sous l’effet d’une croissance démographique parmi les plus rapides au monde, de l’urbanisation rapide et de la croissance économique, le continent africain verra une augmentation exponentielle de ses besoins alimentaires. La demande alimentaire devrait tripler, avec une augmentation de l’ordre de 178%, alors que celle de la Chine et de l’Inde par exemple devrait augmenter respectivement de 31% et 89%. On voit donc bien que ce qui semble se présenter aujourd’hui comme un défi pourrait bien se transformer en opportunité si des politiques agricoles efficaces sont mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie de développement fondée sur la modernisation des systèmes de production, la transformation industrielle et l’organisation des marchés. 

Chaque année, plus de 45 à 50 milliards de dollars US représentant la facture des importations alimentaires africaines sortent du continent pour enrichir d’autres pays et créer de la valeur et des emplois ailleurs. L’investissement de cette manne financière considérable dans les secteurs de production peut changer complètement le visage de l’Afrique et accélérer sa marche vers le développement économique et social durable. Face à une telle situation, on ne peut que se réjouir de l’intérêt que les Chefs d’Etat africains portent à ce dossier impératif. La prise de conscience de l’intensité du problème de l’insécurité alimentaire est la première étape pour appliquer une thérapie appropriée.
 

Pour un continent dont le premier moyen de subsistance est l’agriculture (17% du PIB), investir durablement dans ce secteur est la meilleure option pour lever le défi de l’alimentation, mais aussi celui de l’emploi, de la pauvreté rurale ou urbaine et du développement en générale. La Présidente de la Commission de l’Union Africaine, Dlamini Zuma, a affirmé que des ruptures importantes devront êtes opérées aussi bien au niveau des pays que des communautés économiques régionales pour actualiser le potentiel de l’agriculture africaine. On ne peut cependant manquer de s’interroger sur la capacité réelle des pays africains à aller au-delà des simples déclarations d’intention pour traduire leurs décisions en acte concret. La transformation économique d’un pays requiert des politiques et des actions structurées et durables, un leadership fort et engagé et des ressources souveraines pour mettre en œuvre des politiques adaptées aux besoins et conformes aux intérêts de ce pays. Or de nombreux pays africains, pour ne pas dire la majorité, n’ont ni ce leadership ni les ressources. Alors que leurs maigres ressources publiques nationales sont constamment dilapidées ou investies dans des projets peu productifs, nombre de pays africains se tournent vers l’extérieur pour trouver les moyens nécessaires au développement de l’agriculture. Les discours prononcés à Malabo ont déjà été entendus, même si de nombreux africains se sont accrochés à la lueur d’espoir qu’ils ont laissé transparaitre. A Malabo, au moment même où ils prenaient de nouveaux engagements, les Chefs d’Etat africains ont aussi constatés que très peu d’entre eux ont tenu leur engagement à consacrer au moins 10% leur budget national au secteur agricole. Moins d’une quinzaine de pays ont en effet atteint l’objectif de Maputo déterminé en 2003 dans la capitale Mozambicaine. Et la majorité de ces bons élèves sont des PMA (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Ethiopie, Malawi). L’évaluation de la mise en œuvre du Programme détaillé de développement de l’agriculture Africaine (PDDAA), dont l’ambition était de porter la croissance du secteur agricole à 6% par an, a aussi montré que de nombreux efforts sont encore à faire. Même si certains pays ont fini d’aligner leurs politiques agricoles nationales au PDDAA, il reste que la croissance attendue du secteur agricole est loin d’être atteinte. 

L’insécurité alimentaire et la malnutrition ne sont pas une fatalité. D’autres pays ont eu le courage de lancer une véritable révolution agricole et sont parvenus à des résultats impressionnants. La révolution verte indienne a permis à ce pays d’opérer des transformations radicales dans sa situation alimentaire alors que l’Inde faisait l’objet des projections les plus pessimistes au début des années 60. Même si les défis alimentaires restent encore très préoccupants en Inde, ce pays ne cesse de montrer que son engagement en faveur de la sécurité et la souveraineté alimentaire est plus que jamais résolu. Il suffit de voir comment l’Inde a défendu son droit « inaliénable » de recourir à des achats publics pour constituer des stocks de sécurité alimentaire lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Bali pour se convaincre de sa détermination. 

Plus récemment, le Brésil, grâce à l’initiative Fome Zero (faim zéro), a réussi à tirer près de 28 millions de personnes de la faim. 

Le Brésil comme source d’inspiration pour l’Afrique

Lors de la cérémonie d’investiture qui inaugurait son premier mandat à la tête du Brésil, le Président Lula affirmait son engagement à mener une guerre sans merci à la faim et à la malnutrition : « Nous allons créer les conditions nécessaires pour que chacun dans notre pays puisse manger convenablement trois fois par jour, tous les jours, sans avoir besoin de dons de quiconque. Nous devons vaincre la faim, la misère et l’exclusion sociale. C’est d’une guerre qu’il s’agit – non pas d’une guerre pour tuer, mais une guerre pour sauver des vies ». Une dizaine d’années plus tard, plusieurs dizaines de millions de Brésiliens ont été objectivement tirés des affres de la faim et de la malnutrition. Certes le Brésil ne ressemble en rien à la plupart des Etat africains et les conditions socioéconomiques de ce géant Sud américain n’ont rien à voir avec celles des pays africains. Mais ce qui reste constant, quelque soit le pays, c’est la détermination et la constance des leaders dans la poursuite des objectifs fondamentaux du développement qui peut faire la différence. Au moment du lancement de l’initiative Faim Zéro, près de 44 millions de personnes, soit près de 28% de la population, souffraient de la faim au Brésil. La politique agricole brésilienne a articulé les besoins et l’agrobusiness avec les particularités des exploitations familiales. Ces dernières fournissent 60 à 70% de l’alimentation au Brésil.

L’accès à l’alimentation a fait l’objet d’un encadrement juridique à travers la Loi nationale sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. A partir de 2010, le droit à l’alimentation a été constitutionnalisé. La mobilisation sociale et le caractère ouvert et inclusif des politiques ont permis de réunir les franges les plus représentatives de la société brésiliennes autour des initiatives gouvernementales. La reconnaissance de l’importance des exploitations familiales a permis d’en faire des réservoirs d’expérimentation d’initiatives agricoles endogènes qui ont été par la suite étendues sur de grandes échelles. La dualité du secteur agricole brésilien caractérisé par l’existence concomitante d’exploitations familiales de petite taille et d’entreprises agricoles de grande envergure a amené le gouvernement brésilien à créer un ministère pour chaque catégorie d’exploitation et d’assurer la cohérence de leurs interventions à travers une même politique agricole. Ces ministères sont épaulés par le Ministère du développement social et du combat contre la faim et tous travaillent en synergie avec une quinzaine d’autres ministère sur toutes les questions touchant la sécurité alimentaire. 

Dans de nombreux pays africains, c’est la coordination de l’action gouvernementale dans le domaine agricole et alimentaire qui est le ventre mou des politiques contre la faim. Il n’est pas rare de voir dans un même pays une panoplie de programmes et de projets exécutés par des ministères différents et qui font presque la même chose. Le chevauchement de ces programmes engendre un gaspillage de ressources et des problèmes de coordination, de suivi et d’évaluation qui réduisent la portée des résultats. Un autre défi dans ces pays est le caractère souvent « court-termiste » des politiques qui sont changées au gré des changements de gouvernement ou de Président dans les rares pays où l’alternance politique est une réalité. 

En dépit de l’engagement récurrent des Chefs d’Etat africains, peu d’entre eux ont donné un caractère constitutionnel au droit à la l’alimentation. En Afrique de l’Ouest par exemple, seuls le Niger et la Côte d’Ivoire ont atteint ce niveau. Il ne faut pas pourtant beaucoup d’efforts pour inscrire le droit à l’alimentation dans les constitutions. Certes, cela ne suffit pas pour régler le problème de la faim en Afrique. Mais ce sera déjà beaucoup plus fort que les déclarations creuses faites lors des sommets sans lendemain. 

Article proposé par notre partenaire Enda/Cacid

Régénérer le génie de l’Islam

mosquee_Dakar_SenegalPour faire dans la rapide confession, je ne suis pas un religieux, je ne crois pas en Dieu. Sans même me réfugier ni dans l’athéisme ni dans l’agnostisme, je vis le monde avec d’autres mystiques et d’autres retraites spirituelles assez sympathiques. L’idée de Dieu, pour reprendre un mot de Desproges, « ça me dépasse, je ne comprends pas ». Ça me convient assez bien au final. L’existence sans Dieu n’a pas l’air d’accabler ma vie, d’en amoindrir le sens, ni de faire de moi un vulgaire mécréant.

Mais j’ai une tendresse pour l’Islam. Un amour d’ordre historique, culturel, si indéfectible que les agissements de ceux qui se font les hérauts de l’Islam actuellement dans le monde, m’engagent dans leurs forfaits. Je le vis assez mal. Elevé dans une tradition musulmane, bercé aux mélodies coraniques, conférencier déclamateur de la beauté des sourates à l’âge tendre, j’ai vécu dans la douceur de St-Louis au Sénégal un Islam de fêtes.  En ouvrant un œil sur le monde, à la faveur du temps qui passe, le miel de cette religion s’est vu couvert par le dogme, l’asservissement, et, mouture plus récente et plus actuelle, le crime.

J’écrivais il y a quelques années que le Coran était l’inextricable dénominateur commun entre les familles de musulmans, modérés et extrémistes confondus. On trouve en effet dans le Livre nourriture pour tout : et le crime, et la bienveillance. Large spectre, où viennent se dissimuler les extrémistes. Habiles manœuvres qui sèment le trouble. Et cette relative opacité, tant qu’elle demeurera en l’état, présidera à des horreurs industrielles, et plus grave, condamnera ceux qui vivent leur foi même dans la paix et la communion ; au silence voire à la coresponsabilité.

Il faut désencastrer l’Islam de ce siège qui est en train d’en colorer de sang la grandeur, d’en dévoyer le message, et in fine, de ne faire de cette religion que celle des bourreaux et des égorgeurs. Je ne pense pas être comptable de la macabre exécution de James Folley, mais j’ai conscience que les musulmans, dans leur grande majorité silencieuse, pieds et poings liés par les ignominies de leurs frères, ne pourront éternellement se dérober à la responsabilité de faire le ménage au sein de la grande famille. On ne pourra comme c’est souvent le cas, avec dédain et distance, dire que les tueurs ne sont pas de bons musulmans, qu’ils sont une excroissance bénigne, non, l’Islam actuellement, au regard du monde, est aussi et surtout, incarné par ces gens qui en ont trusté les premières places et en portent l’étendard sanglant.

Il faut les combattre, inlassablement, sur trois terrains. Celui de la clarté et du refus de l’ambiguïté, qui signifie l’appropriation des valeurs de progrès, de droit des femmes, de refus de l’endoctrinement, la claire dénonciation de ces terroristes, sans réserves. Celui, plus dur, philosophique, sur l’interprétation et l’exégèse des textes, pour les arrimer aux réquisits de notre siècle. Enfin, celui de l’universalisme au nom de l’Homme, qui gomme non pas les différences, mais les barrières, pour amortir les chocs communautaires.

Ces trois terrains sont les dernières aires de combat où les musulmans peuvent encore regagner leur religion. Sans cela, la grande fondation de la famille-islam restera toujours poreuse,  sujette aux risques de radicalisation. Il faut bien en arriver là, quelque abrupte que cela puisse être : les musulmans modérés, ce sont très souvent des fanatiques mous, des fanatiques passifs, qui peuvent en un tournemain, passer à l’épée. Par crispation et étroitesse d’esprit, on veut voir dans cette sentence une stigmatisation. Ce simplisme hostile est confondant de bêtise. Partout où les entités terroriste ont régné, il y avait déjà un terreau favorable. Les luttes d’émancipations religieuses chez les musulmans font défaut pour une raison : la critique de l’islam en terre musulmane, de Salman Rusdie à Oumar Sangharé, reste le dernier bastion du tabou et de la mise au ban. Cette omerta, la frustration qu’elle engendre, les libertés qu’elle bâillonne est très encline, à la moindre secousse, de virer dans le fanatisme vengeresse et tueur.

J’ai toujours milité pour que l’Islam soit la famille marocaine ou la famille sénégalaise ou une autre, qui amène son amour au banquet du monde, et non l’Etat Islamique. Je le dois à mon enfance. Je refuse que les mélodies qui m’ont bercé soient les mêmes que celles qui enivrent les tueurs. Que l’incantation des tueurs soit la même que les protocoles bienveillants des vendredi après-midi. Il appartient aux musulmans et à eux seuls de les dissocier. Vaste chantier dont on ne fera l’économie mais dont on tarde à enclencher le processus. Il est à ce prix la régénération du génie de l’Islam.

Pourquoi faut-il s’approprier le discours sur le développement de l’Afrique ?

une_croissance_inclusive_folyAujourd’hui, l’Afrique fait l’objet de prises de position sur son développement. Ces prises de position se font à travers un discours qui peut prendre plusieurs formes comme le témoigne la multitude de rapports, d’ouvrages et d’événements organisés au cours des dernières années d’abord pour décrire un continent sans espoir et ensuite pour la présenter comme un continent d’avenir. L’évolution du titre de la revue The Economist qui passe de « The hopeless continent » en 2000 à « The hopefull continent » en 2011 illustre le changement de paradigme dans le discours sur le développement de l’Afrique. Ce changement de paradigme, fondé sur des observations empiriques, ne met pas toujours en lumière les causes profondes des fortunes de l’Afrique. Pourtant, deux principales raisons militent pour une meilleure connaissance de ces causes afin de mieux accompagner le continent dans son processus de développement.

Il y a une demande de production d’idées pour éclairer les perspectives de développement de l’Afrique

En effet, le niveau de développement actuel de l’Afrique soulève de grandes questions auxquelles très peu de réponses ont été apportées, de sorte qu’il est difficile d’afficher un optimisme béat sans craindre un retournement de la tendance actuelle du progrès économique. Les taux de croissance sont certes élevés depuis plus de dix ans ; mais ils sont encore fortement liés aux termes de l’échange et donc de l’exploitation des ressources naturelles. Des progrès ont été enregistrés en termes de gouvernance économique et politique ; mais nous en savons actuellement très peu sur l’ampleur de ces progrès et la part de leur contribution à la croissance économique observée jusqu’ici.

Le maintien de cette dynamique de la croissance économique nécessite de lourds investissements dans les capitaux physiques tels que les équipements agricoles, les infrastructures énergétiques, hydrauliques et de transports. Dans le même temps, il est aussi nécessaire d’investir dans le capital humain à travers l’amélioration de la santé et de l’éducation des populations. Cette conjonction des besoins d’investissement soulève la question de savoir comment trouver les financements nécessaires à ces projets d’investissements et dans quelle proportion les allouer  aux investissements en capitaux physique et humain pour générer une croissance forte et inclusive. Il en est de même pour les dépenses dans le cadre des programmes sociaux tels que l’assurance maladie ou les transferts sociaux. La prise en compte du cadre de gouvernance politique, des contraintes réglementaires notamment sur le droit de la concurrence, de l’intégration régionale complexifie davantage l’analyse de ces questions. Par ailleurs, les réponses à ces questions requièrent la prise en compte de contraintes extérieures telle que le dérèglement climatique et la préemption de l’industrie manufacturière par la Chine.

Toutes ces questions sont posées dans un contexte particulier caractérisé par un niveau de vie moyen africain qui décroche par rapport au reste du monde et une augmentation du nombre de pauvres. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde ayant connu une baisse de son PIB par habitant relativement à celui des Etats-Unis. Alors que les autres régions en développement tendent globalement à rattraper le niveau de vie des pays développés, l’Afrique sub-saharienne décroche avec un PIB par habitant qui chute de 4% du PIB par habitant américain en 1960 à 2% en 2012.

Untitled1
Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Aussi, en dépit d’une légère baisse de la proportion de pauvres au cours des dix dernières années, le nombre de pauvres, quant à lui, a doublé en 30 ans, passant de 205 à 413 millions de pauvres entre 1981 et 2012. Contrairement aux autres régions en développement, l’Afrique sub-saharienne est là encore la seule région au monde ayant connu une augmentation du nombre de pauvres. En ce qui concerne les inégalités, les dernières estimations fournies par la Banque Africaine de Développement place le continent en deuxième position des pays les plus inégalitaires dans le monde après l’Amérique latine.[1] Il ne s’agit là que des inégalités de revenus. Nous en savons encore très peu des inégalités de patrimoines qui sont généralement plus fortes que les inégalités de revenus.[2]

Untitled2
Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Tous ces éléments placent l’Afrique face à un grand défi : celui d’assurer le bien-être de chaque composante de sa population dans un monde globalisé. Loin de l’afro-pessimisme des années 90 et loin aussi de l’afro-optimisme actuel, le think-tank L’Afrique des Idées (ADI) propose l’afro-responsabilité comme nouveau paradigme. Celui ci consiste à entamer une démarche de réflexion pour comprendre les défis auxquels font face l’Afrique afin d’œuvrer à ce qu’elle puisse les relever.

Contrairement aux décennies précédentes, il existe aujourd’hui des leviers pour satisfaire cette demande d’idées

Certes, il existe déjà des groupes de réflexions qui travaillent sur certaines des questions évoquées plus haut. Cependant, ces groupes restent à l’échelle nationale alors que la plupart des défis qui se posent aux pays africains dépassent les frontières nationales. Par exemple, les questions de développement économiques ne peuvent plus se poser à l’échelle nationale dans la zone CFA dont les pays partagent une monnaie commune depuis plus de 50 ans. L’approche nationale occulte très souvent la perspective régionale dans l’analyse des problématiques identifiées à l’échelle nationale. Typiquement, la gestion de l’environnement ne peut être appréhendée dans un pays, ou même une région, sans prendre en compte ce qu’il se passe dans les autres régions du monde. En outre, la plupart des initiatives nationales courent le risque de se transformer très vite en un mouvement de lutte pour le pouvoir politique, perdant ainsi de vue l’objectif initial qui est de rester une force de propositions de nouvelles idées indépendamment du processus politique en cours. Il s’agit donc d’un engagement strictement intellectuel qui vise une compréhension rationnelle des enjeux de tous ordres qui se posent à chaque pays africain.

Par ailleurs, le contexte actuel se prête bien à la déclinaison opérationnelle de l’afro-responsabilité. Il est caractérisé par un nombre plus important de jeunes africains qui vont étudier dans les meilleures universités. Selon les statistiques de l’UNESCO, le nombre d’étudiants africains en mobilité a augmenté de 40% en dix ans passant de 205 à 288 mille entre 2003 et 2012.[3] Cette accumulation de la connaissance a besoin d’être employée au service de la compréhension des défis de l’Afrique plutôt que de conduire principalement à accentuer la concurrence politique avec les conséquences que l’on observe actuellement dans certains pays africains. Cette dynamique de l’accumulation de la connaissance par les jeunes africains vient s’ajouter au stock de connaissances accumulé par les aînés et complétée par un nombre croissant de personnes originaires des pays développés qui s’intéressent à l’Afrique notamment lors de stage d’études.

C’est fort de ces circonstances que L’Afrique des Idées ambitionne d’opérationnaliser l’afro-responsabilité en s’appropriant le discours sur le développement de l’Afrique. Cette opérationnalisation s’est traduite par la réalisation d’études sur des sujets tels que la croissance inclusive, les choix de carrières des africains de la diaspora en Afrique et l’économie verte. En particulier, l’étude sur la croissance inclusive qui a déjà été présentée à l’Université des Nations Unies à Helsinki, vient d’être retenue pour être présentée lors de la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris. De même, nos publications sur l’économie verte en Afrique ont fait l’objet d’une synthèse distribuée aux participants du Forum International sur le Green Business organisé par la Chambre de Commerce de Pointe-Noire. Parallèlement, L’ADI dispose d’une équipe de rédacteurs qui publient quotidiennement des articles d’analyse et des chroniques dans des domaines aussi variés que l’économie, la politique, la culture, le développement durable et l’histoire.

Georges Vivien Houngbonon, article initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin (23 – 27 juin 2014)


[1] African Development Bank’s Briefing Note N°5: Income Inequality in Africa, 2012.

[2] Le Capital au 21ème Siècle, Thomas Piketty, 2013.

 

[3] Global Flow of tertiary-level students, UNESCO. Page consultée le 7 juin 2014 à 22h de Paris.

Quelle serait l’incidence économique du virus Ebola ?

UntitledL’Afrique de l’ouest est en proie depuis fin 2013 à une épidémie mortelle d’Ebola qui, d’ores et déjà aurait provoqué la mort d’un millier de personnes. Quatre pays de la zone sont sévèrement touchés : la Guinée Conakry – foyer de cette épidémie, la Sierra Léone, le Libéria et le Nigéria. L’Afrique retient son souffle maintenant que la République D. du Congo est également touchée. Les experts estiment que sa propagation devrait  se poursuivre. Les craintes qu’elle suscite et la difficulté qu’éprouvent les pays concernés et leurs voisins (soit la CEDEAO tout entière) à contenir la situation, a obligé nombreux d’entre eux et d’autres pays dans le monde à prendre des dispositions, parfois extrêmes (fermeture de frontières, contrôle systématique des voyageurs, etc.) pour éviter toute contamination. Ces mesures, bien que justifiées pour les raisons préalablement évoquées, soulèvent la question relative à l’impact de ce fléau sur les économies des pays affectés. Loin de stigmatiser les efforts des autorités de la zone pour contenir cette épidémie d’Ebola, cet article se propose d’analyser le coût économique de cette épidémie pour les pays touchés – et plus généralement pour l’Afrique.

Il serait assez utopique de penser à chiffrer les retombées de cette épidémie sur l’économie d’un pays ou d’une zone. De fait, une épidémie est capable d’affecter tous les secteurs de l’économie d’un pays. Ce genre de choc peut provoquer une suite d’évènements qui peuvent à leur tour provoquer d’autres chocs qui vont exacerber la situation économique. Il est toutefois possible d’identifier les différents secteurs qui seront affectés par cette épidémie.

Pour assurer la prise en charge des personnes infectées et lutter contre la propagation de la maladie, les pays affectés ont été amenés à faire des dépenses supplémentaires non prévues au budget. En Sierra Léone, une dizaine de millions de dollars USD ont déjà été dépensés au deuxième trimestre et d’autres sont à prévoir pour le reste de l’année. Ce qui est certainement le cas dans les autres pays touchés mais aussi chez leurs voisins, qui ont mis en place des mesures diverses pour éviter ou prendre en charge assez rapidement tout cas de maladie déclarée. Ces dépenses supplémentaires affecteront, sans nul doute, les équilibres budgétaires quel que soit le moyen de financement adopté. De nombreux programmes d’investissement public ou de développement ont été mis à l’arrêt et certaines entreprises,  notamment celles des secteurs extractif ou minier ou de l’agro-alimentaire ont dû suspendre leurs activités. En Guinée, Arcelor Mittal a suspendu les travaux d’expansion d’un minerai de fer parce qu’une partie de la main d’œuvre travaillant sur ce chantier a été évacuée. En Sierra Léone, aussi, London Mining a fait évacuer une partie de son personnel « non essentiel ».  Par ailleurs, le secteur touristique est aussi affecté de pleins fouets. La destination étant compromise avec l’épidémie, les touristes préfèrent ne pas se rendre dans ces pays.

Pour les voisins, l’impact sur le secteur touristique est aussi éminent. La crainte de la maladie amènera les touristes à ne pas s’intéresser à la destination. Aussi, les mesures comme la fermeture de frontières ou les contrôles médicales systématiques limitent les échanges économiques avec les voisins mais aussi contraignent certains touristes à préférer des destinations moins contraignantes et présentant moins de risques de contamination. Le Sénégal a interdit toutes importations de produits agricoles en provenance de la Guinée ; une mesure qui pourrait concerner tous les pays touchés et adoptée sans doute par de nombreux partenaires commerciaux de ces pays, notamment ceux importants de la viande et des produits agricoles. La croissance se trouve ainsi limitée, tout au moins cette année. Selon des travaux de l’agence Moody’s, du FMI et de la Banque Mondiale, la Guinée-Conakry pourrait perdre un point de croissance en 2014 : 3,5% au lieu de 4,5% initialement estimé. Les autres pays touchés pourraient aussi voir leur croissance atteindre des niveaux plus bas que celle prévue. Les objectifs de recettes, fiscales notamment, de l’Etat ne seront pas atteints, contribuant ainsi à accentuer les déséquilibres budgétaires et à tenir en échec les programmes de développement des autorités. En effet, les dépenses supplémentaires de santé causées par cette épidémie, seront financées en réduisant certaines dépenses d’investissement ou courantes, avec l’aide financière ou à travers des emprunts. Ce faisant, l’Etat augmente ses arriérés auprès de certains de ses fournisseurs et crée ainsi une entorse à ses propres programmes de développement en retardant l’avancement des travaux d’infrastructures qui sont essentiels pour pérenniser les performances économiques.

Les déséquilibres budgétaires provoqués par cette épidémie en cours, affecteront à moyen terme la qualité de la signature du pays touché. De fait, le respect des critères notamment en matière de gestion budgétaire, sous la surveillance du Fmi sont des préalables à l’action des partenaires financiers et garantissent aussi la réussite des interventions sur le marché financier international. Si les incursions des pays africains ces dernières années (surtout en 2014) sur le marché financier international, ont été des réussites, c’est en partie parce que les indicateurs produits par le Fonds en matière de gestion de ressources publiques rassurent les investisseurs. Si ces indicateurs se dégradent, bien qu’indépendant d’une mauvaise gestion des ressources mais en lien avec un choc, les investisseurs seront moins aptes à investir et ce d’autant que les moteurs de la croissance ont été mis à mal. Pour preuve, un simple coup d’état militaire (bien que non assimilable à une épidémie), suffit pour entacher l’image d’un pays auprès de ces partenaires, quel que soient les efforts fournis pour revenir à l’ordre constitutionnel. Au moins dans ce cas, l’activité économique se poursuit, garantissant au moins des recettes budgétaires pour l’Etat. Avec une épidémie, le retour des entreprises n’est pas imminent. Il peut s’avérer lent quand des garanties solides ne sont pas données quant à la capacité du pays à contenir l’épidémie, ce qui se traduirait par une croissance plus molle et donc par une incapacité de l’Etat à honorer ses engagements financiers, retardant ainsi la mise en œuvre des programmes de développement et contribuant à accentuer le poids de la dette sur l’économie à moyen termes.

Dans tous les cas de figure, l’incidence économique d’une épidémie, telle qu’Ebola, sur les pays africains est et sera majeure. S’il est difficile de chiffrer ses conséquences sur l’agriculture, la production industrielle, la sécurité alimentaire et plus encore sur les inévitables conséquences sociales de l’épidémie (destruction des familles et des structures sociales, millions d’orphelins livrés à eux-mêmes, réduction à néant des réseaux communautaires) ; une évidence est qu’elle limitera les performances économiques des pays et des zones qui sont affectées. En effet, si l’on considère que la croissance économique d’un pays est habituellement corrélée à l’espérance de vie (selon les estimations de l’OMS, 0,5 % de croissance économique est gagnée pour chaque 5 ans d’espérance de vie supplémentaire), une épidémie mortelle comme celle d’Ebola constitue une entrave considérable à la croissance économique à court et à moyen terme, surtout si elle n’est pas rapidement maitrisée. Les dépenses en infrastructures, en personnel qualifié et en formation que nécessite ce genre de maladie obèrent sérieusement le développement économique des pays africains qui ont déjà bien de mal à rendre leur croissance inclusive. Une situation qui met à nu une Afrique encore assez fragile dont les performances peuvent être remises en cause par des chocs tels une épidémie, un coup d’état, une catastrophe naturelle, etc. Si l’on ne peut prévoir la survenue de tels évènements, il est tout au moins possible de pouvoir prendre les précautions nécessaires pour limiter leurs impacts, notamment en ce qui concerne la santé et la vie politique.

Comme le rappelle Georges, dans une démocratie (ou du moins quand on veut en construire une), des moyens moins onéreux pour l’économie existent ; de même, quand il s’agit de la santé, il est tout à fait possible d’éviter des situations qui freineront le développement du continent. En effet, si l’Ebola ou toutes maladies mortelles (comme le Sida) se propage aussi rapidement en Afrique, c’est parce que le système de santé est assez obsolète et ne permet pas de prendre en charge ces types de fléau. De plus, le comportement des populations en lien avec certaines pratiques culturelles – toutefois non maîtrisables en lien avec le niveau d’éducation – accentuent les risques de contamination. Les 260  millions de dollar US promis par la Banque Mondiale et la BAD, pour lutter contre l’épidémie actuelle d’Ebola ne suffiront pas à contenir la situation actuellement et à préparer les 54 pays du continent à d’autres situations similaires. Il serait convenable dès lors que les pays africains puissent déterminer des moyens permettant le renforcement du système de santé, avec la mise en place de systèmes d’informations adéquats et un investissement plus conséquent dans ce secteur[1] mais aussi dans l’éducation. Une équation qui peut paraître complexe, dans la mesure où l’Afrique veut accélérer son rattrapage et qui se reflète à travers les divers plans de développement adoptés par les pays ; alors que les financements pour leur exécution ne sont pas généralement mobilisés à l’interne. Ces différentes contraintes appellent les pays africains à penser à un modèle de développement, qui s’adapte à ses capacités et prend en compte les différents défis. Après tout, la Chine ou la Corée du sud ne sont pas devenues émergentes en quelques plans d’émergence exécutés en une dizaine d’années.

Foly Ananou

Références : 

http://www.rfi.fr/afrique/20140828-ebola-epidemie-experts-inquiets-consequences-economiques-accra/ 

http://economie.jeuneafrique.com/index.php?option=com_content&view=article&id=22893 

http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/22853-ebola-les-consequences-economiques-de-lepidemie-sannoncent-severes.html 

OMS, Rapport sur la Santé dans le Monde, 2004 – Chapitre 1 : Conséquences humaines, sociales et économiques 


[1] Un article de Nelly Agbokou propose des pistes de réflexion sur la question.

Perspectives démographiques : la question des deux milliards d’Africains

ECH20683031_1Il y a aujourd’hui deux chiffres encrés dans l’imaginaire collectif de ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’Afrique : 5,2 % et 2 milliards. Le premier concerne le taux de croissance moyen du PIB de l’Afrique de 2003 à 2011 tel que publié dans les perspectives économiques de l’Afrique en 2012. Le second représente la projection de la population africaine à l’horizon 2050 faite par les Nations Unies la même année. Ces deux chiffres sont systématiquement repris dans les rapports, articles de journal et aussi par les économistes experts sur l’Afrique. S’il est vrai que davantage d’analyses remettent actuellement en question la réalité et la pertinence des 5,2% de croissance, on ne peut pas en dire autant sur les perspectives démographiques africaines.[1] Or, ces dernières présentent des défis qu’il faudra relever pour en faire de véritables opportunités économiques pour les consommateurs (populations locales), les investisseurs, et l’Etat.

Selon la plus récente révision de la projection démographique des Nations Unies, la population africaine devrait atteindre environ 2,4 milliards d’individus à l’horizon 2050 ; soit le double de la population africaine observée en 2010. Cette projection place l’Afrique au rang de la région la plus peuplée du monde loin devant la Chine et l’Inde. Cette situation présente d’énormes enjeux géopolitiques, mais nous nous focaliserons dans cet article plutôt sur ses enjeux économiques. Même si l’on gardait le même niveau de productivité économique, il suffira d’équiper chaque africain des mêmes outils de travail qu’aujourd’hui pour garder le même revenu par habitant.[2] Dans ces conditions, un doublement de la population est globalement équivalent au moins à un doublement de la taille du marché potentiel, voire du cash flow pour les investisseurs. Dès lors, il est tout à fait compréhensible que les perspectives démographiques de l’Afrique constituent un argument majeur dans les discours pour attirer les investisseurs.

population
Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees issues du World Population Prospects : The 2012 Revision de la division de la population des Nations Unies.

Toutefois, on peut mieux faire. Et cela passe par une augmentation de la productivité de toutes ces nouvelles cohortes qui viendront doubler la population africaine en 2050. Une approche pour y arriver consisterait à équiper les travailleurs africains d’outils plus productifs. L’adoption des nouvelles technologies de l’information ainsi que la construction des infrastructures de transport et énergétiques constituent des exemples concrets d’une telle approche. Cependant, cette approche omet jusqu’ici l’augmentation de la productivité « humaine » du travailleur ; qui dans certains cas est même nécessaire pour assurer l’utilisation des outils plus sophistiqués (productifs). Par conséquent, une amélioration de la santé des populations accompagnée d’une meilleure éducation s’avère nécessaire pour que les perspectives démographiques africaines soient bénéfiques à tous ; à la fois aux investisseurs, aux populations locales et en définitive à l’Etat.

Or, même si quelques progrès ont été enregistrés au cours des dernières décennies sur ces deux dimensions du développement humain, il n’en demeure pas moins que des défis plus importants restent à relever. Il ne s’agit pas ici de revenir sur des indicateurs classiques du développement humain comme l’espérance de vie à la naissance ou des taux de scolarisation, mais d’identifier plus précisément des leviers qui méritent d’être employés pour relever davantage la productivité des prochaines cohortes d’Africains qui arriveront sur le marché du travail à l’horizon 2050.

2
Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees de l Organisation Mondiale de la Sante.

Sur le plan de la santé, de récentes études ont confirmé l’importance des deux premières années qui suivent la naissance d’un individu. C’est le cas notamment de cette étude menée par le prix Nobel d’Economie James Heckman et ses coauteurs auprès d’enfants Jamaïcains sur l’impact d’un paquet de stimulations psycho-sociales qu’ils ont reçues pendant les deux premières années de leur naissance sur leurs salaires vingt années plus tard. Selon les estimations, il se trouve que cette intervention a permis d’augmenter leur salaire de 42% en moyenne. Cela démontre l’impact significatif que peut avoir une bonne nutrition et un bon environnement social durant les deux premières années suivant la naissance sur le bien-être futur des enfants. Or, aujourd’hui les statistiques sur la nutrition des enfants Africains ne sont pas vraiment reluisantes. Comme le montre le graphique ci-contre, 35% des enfants Africains de moins de 5 cinq ans souffraient d’un retard de croissance en 2010. Même si l’OMS prévoit une réduction de cette prévalence, elle sera toujours supérieur à 25% à l’horizon 2025 ; soit un enfant sur quatre.

Comme le mentionne l’UNICEF dans un récent communiqué de presse, le retard de croissance de l’enfant n’est pas qu’une question de taille. Il est un indicateur de ce que sera son état de santé et sa productivité à l’âge adulte. C’est aussi l’avis des neurologues selon lesquels le retard de croissance est lié à une absence de développement de certaines parties du cerveau dont dépendent les capacités cognitives de l’enfant. Malheureusement, une fois passée l’âge de cinq ans, cette absence de développement est irréversible, condamnant l’adulte à des capacités cognitives limitées. Par conséquent, il est nécessaire de prendre tout de suite des mesures pour éviter que les nouvelles naissances ne soient assujetties à ces carences dans l’avenir. Les enfants nés entre 2015 et 2030 auront entre 20 et 35 ans en 2050. Ils constitueront donc la cohorte des travailleurs les plus actifs sur le marché du travail en 2050.

L’autre défi auquel il faut s’attaquer est l’éducation. Là aussi des progrès ont été enregistrés comme le montre le graphique ci-dessous. La scolarisation au primaire est devenue presque universelle en 2012. La scolarisation au secondaire et au tertiaire ont légèrement progressé même si elle reste à un niveau faible, notamment pour le tertiaire. Les écarts entre les différentes courbes rendent comptent des taux d’achèvement très faible quoiqu’ils ne disent rien sur le parcours individuel des élèves.

3
Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees de l UNESCO

Plus important encore est le problème de la formation professionnelle et de son adéquation par rapport aux besoins du marché. L’exemple emblématique de ce problème est le fait que les jeunes Africains les plus éduqués ont généralement plus de chance d’être au chômage que ceux qui ont été moins ou pas du tout à l’école. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut obliger les étudiants à faire une formation professionnelle et les décourager à poursuivre de longues études. Au contraire, comme le montre cette récente étude du BIT conduite dans huit pays africains, les nouveaux diplômés qui finissent par trouver un travail sont mieux rémunérés lorsqu’ils ont des niveaux d’études plus élevés.

Ainsi, ce n’est pas le niveau d’éducation qui pose problème, mais plutôt le type d’éducation ; puisque c’est elle qui détermine les chances de trouver un emploi. Dès lors, il faut non seulement encourager la poursuite des études adaptées aux besoins du marché du travail ; mais également promouvoir leur qualité. Une manière d’y parvenir serait que l’Etat mette en place des programmes d’orientations professionnelles en partenariat avec le secteur privé pour les lycéens et subventionner les formations professionnelles qui répondent aux besoins du secteur privé. Une telle politique peut être financée par une taxe spécifique prélevée sur les entreprises. Une alternative, plus libérale, consisterait à encourager le financement des formations professionnelles par les entreprises privées en partie subventionné par l’Etat.

Cette analyse considère l’Afrique comme un tout alors que le diagnostic n’est pas nécessairement le même d’une région à une autre et même entre des pays d’une même région. Par ailleurs, l’on a souvent tendance à imaginer l’Afrique à la place de la Chine sur la base de ses perspectives démographiques. Cependant, 2 milliards d’individus sous la direction d’un seul Etat ne produit pas les mêmes résultats que le même nombre d’individus sous la direction de 54 Etats différents. Les conclusions de cet article méritent donc d’être contextualisées mêmes si elles sont suffisamment générales pour s’appliquer à une majorité de pays Africains.

Georges Vivien Houngbonon

Références :

Elder, S., Koné, K. S. 2014. Transition vers le marché du travail des jeunes femmes et hommes en Afrique Sub-Saharienne. Work for Youth N°10. Bureau Intenational du Travail

Gertler, P., Heckman, J., Pinto, R., Zanolini, A., Vermeesch, C., Walker, S., Chang, S., Grantham-McGregor, S. 2013. Labor Market Returns to Early Childhood Stimulation: A 20-Year Follow-up To An Experimental Intervention In Jamaica. NBER Working Paper Series.

Morten Jerven. 2013. Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It. Cornell University Press

Perspectives économiques africaines, 2012. Centre de Développement de l’OCDE.

Progress shows that stunting in children can be defeated, Communiqué de Presse. Avril 2013. UNICEF.


[1] Voir les travaux de Morten Jerven sur la qualité des statistiques macroéconomiques africaines et les publications de la Banque Africaine de Développement, de même que l’étude menée par L’Afrique des Idées sur la croissance inclusive en Afrique.

[2] Nous faisons abstraction des inégalités dont on ne peut prédire à l’avance l’évolution.

 

Autopsie d’un sommet

0108-AfriqueUS
Credit photo: AFP/Jim Watson

Je n’ai pas de réelle réticence à ce qu’il y ait des sommets entre l’Afrique et les grandes puissances. Qu’elles soient chinoises, russes, françaises ou américaines, je n’en ai pas l’urticaire jusqu’à crier au scandale, à la soumission, à l’esclavage nouveau et au larbinisme économique ; sémantique à la mode, portée par la meute des colériques irrigués par l’afro-sectarisme ambiant. Cette candeur est coupable. Pour ce type de réaction fiévreuse et acnéique, dont se font le relais quelques défenseurs autoproclamés de la souveraineté du continent, j’éprouve – je dois dire – assez d’indifférence quand ce n’est pas souvent du mépris.

J’ai toujours appréhendé ces rencontres comme de banals et d’indispensables protocoles économiques comme le veut la dictée du capitalisme. Ses lois de l’offre et de la demande, ses équations entre ressources et forces d’exploitation, ses incontournables noces entre dominants et dominés, pour faire revivre la mouture marxiste de cette binarité. Dans cette jungle, il n’y a de place ni pour l’émotion, ni pour le ressentiment, encore moins pour la naïveté des bons sentiments.

Obama, élevé au rang de père de ce banquet, par la taille de son chéquier, son influence et le charme magnétique qu’il emporte, convoquait de petits présidents enfants africains, élèves irréguliers, comptables tous ou presque, de l’échec de leur pays. Il ne fallait s’attendre à autre chose qu’à un sermon en bonne et due forme, enrobé dans le velours des promesses économiques.

Quand ils restaient insipides, comme ils le sont toujours d’ailleurs, à mâcher dans les formules économiques, à parler chiffres, ces sommets sont chiants. Sans intérêt. Bien souvent, les espoirs qu’ils suscitent, crèvent dans le silence des lendemains de gouvernances locales défectueuses. Ce volet économique par conséquent, quelque central soit-il dans les tables rondes, est secondaire, quand les acteurs daignent parler des sujets qui fâchent. Et Obama a osé, certes timidement, mais il a lancé quelques sondes et titillé quelques barons africains. C’était assez rafraichissant.

Dans sa séduction folle et forcément complaisante, la Chine n’a d’amour que pour la terre d’Afrique, elle a le mérite de la non-duplicité. Lâche et prisonnière de son passé françafricain, la France est inaudible et peu crédible à donner des leçons. Les USA ont plus de ressources dans ce domaine. Quand bien même les desseins de prédation prévalent toujours, j’ai vu chez Obama une volonté de questionner les présidents africains, qui sur leurs rapports au pouvoir, qui sur certaine tares locales contre lesquelles ils ne démontrent aucun empressement.

Premier à la barre, l’ami Blaise Compaoré. Attrait devant l’opinion mondiale sur ces velléités anticonstitutionnelles, il répond avec aplomb qu’il faut « des hommes forts pour des institutions fortes ». Il invoque ensuite la chronologie historique de la ségrégation raciale aux USA pour signifier à son juge qu’il n’est pas non plus vierge de tout soupçon. C’est presque du Sankara dans le texte : Compaoré ressuscite le souverainisme de son pays et le droit à la différence pour s’émanciper de ces propres forfaits politiques, qui l’eût cru ? Le tour opère. Invoquer toujours sa réalité différente, c’est un gage au succès intarissable en Afrique.

Macky Sall ne peut la manquer. Auditionné pour le sort des homosexuels et l’opportunité d’une dépénalisation, le président sénégalais, sans sourciller, tranche la question : « l’homosexualité est derrière nous ». La phrase fait suite à l’échange viril quelques mois plutôt entre Obama et Sall, où Macky expliquait la destination carcérale évidente pour les gays au motif d’une culture « pas prête ».

A Kagamé, autocrate au vent en poupe, on ne dit rien. En complétant sa mutation de tutelle coloniale vers les USA, et en invoquant le traumatisme post-génocide rwandais comme explication de l’inflexibilité quasi-dictatorial de son régime, il apparaît comme le favori. Tapis rouge et au suivant. Le suivant c’est Yaya Jammeh, siège multipathologique, Obama renonce devant cette incompétence brute. Les autres s’inspirent des précédents, peu à peu, le silence étouffe les inclinations de justiciers de Washington.

Et je me suis plu à imaginer ce qu’auraient été les réactions des indésirables, pas invités au sommet, à la manière d’un Mugabé… Pour finir, une photo : on passe devant l’objectif pour immortaliser quelques clichés dans les ors de Washington. A la marge du sommet, Obama femme sermonne gentiment les tares africaines domestiques, à la façon de l’excision.

En se voulant gendarme et pas seulement rapace économique, Obama n’est pas allé au bout de sa volonté, si elle existait. Par impuissance et pour realpolitik, je ne sais. Toujours est-il que ce sommet révèle une chose : la systématique réponse des gouvernants d’Afrique quand on leur rappelle leur palmarès macabre, de tous les héros par extension du continent, dans un mélange et un confusionnisme inédit : la lutte pour la souveraineté, la défense de la tradition, celle de la culture. Ce mensonge abolit les frontières entre les vrais mérites et les usurpateurs, entre Sankara et Compaoré. On tient là le piège de l’identitarisme forcené et le sursis hélas, des bourreaux de cette terre.

Comment financer les infrastructures ?

arton44De nombreuses études suggèrent que les infrastructures jouent un rôle important dans la croissance économique, et par voie de conséquence dans la lutte contre la pauvreté[1]. Les gouvernements investissent dès lors de façon intensive dans les infrastructures. Une stratégie qui suscite assez souvent des critiques de la part de la société civile qui estime que les routes et autres infrastructures « ne se mangent pas » et que ces fonds, qui constituent par ailleurs une pression financière sur les Etats, sont à investir dans des secteurs productifs. Si les investissements en infrastructures contribuent au bien-être social – réduction du coût du transport avec la disponibilité des moyens de transport – et jouent en faveur de la croissance d’après la thèse des grands travaux de Keynes, il convient de déterminer les moyens optimaux pour les financer. En effet, les pays ont des canaux divers pour financer les nouvelles infrastructures : fiscalité, réduction de certaines dépenses courant ou en capital, emprunts – externe ou interne, etc. En se basant sur l’expérience de certains pays à profil différent d’Asie (Philippines, Chine et Pakistan)[2], John Cockburn et ses coauteurs étudient l’impact de ces investissements ainsi que celui de leur mode de financement (la fiscalité et les ressources externes) sur la croissance et la pauvreté.

Cette étude suggère, excepté le cas de la Chine, que des investissements publics en infrastructures financés par emprunt extérieur permettent de booster l’activité économique et de réduire la pauvreté. L’ampleur de l’impact (selon le choix même du mode de financement) dépend toutefois des spécifiés économiques du pays. Une économie émergente, comme celle de la Chine, avec une forte présence de capitaux privés bénéficie davantage de toute politique visant à renforcer le patrimoine en infrastructures et peut se permettre de financer ces nouveaux investissements en infrastructures par le biais de la fiscalité.

Globalement, il ressort de leurs travaux que le secteur privé est le principal canal de transmission de la politique d’investissement public en infrastructure. En effet, en l’absence d’une fiscalité forte, l’amélioration de l’état des infrastructures attire les investisseurs. L’abondance de capitaux privés renforce la productivité et la compétitivité de l’économie, et ce au niveau de tous les secteurs : la production augmente alors significativement et toute l’économie bénéficie d’une augmentation du revenu national. Cette performance de l’économie se traduit par une hausse de la consommation locale qui favorise l’industrie locale (financée par le secteur privé), impliquant de facto des opportunités d’emplois, et autres opportunités d’affaires (notamment dans les activités commerciales), qui résulteraient en une augmentation des revenus des individus de sorte de les faire sortir de leur situation de pauvreté.

De toute évidence, le financement des investissements avec des fonds internes sur base de fiscalité – qui est de loin l’un des moyens les moins risqués et pérenne de financer le développement[3] – est encore contraignant dans les pays sous développés et plus particulièrement en Afrique. Si le recours au financement extérieur serait pour l’instant le meilleur moyen pour financer les investissements en infrastructures ; il devient impérieux aux gouvernements de choisir judicieusement la forme de financement la plus adaptée aux besoins du pays. En effet, dans l'article précédent, il a été montré que le recours systématique aux emprunts sur les marchés financiers internationaux ne seraient pas sans danger pour les économies africaines. Cette situation met à jour le débat concernant l’importance du développement des marchés financiers africains.

Aussi, des moyens de financement alternatifs existent, auxquels peuvent avoir recours les nations africaines. D’une part, l’ouverture du continent à d’autres partenaires constituent une opportunité qu’il convient toutefois de considérer avec précautions. D'autre part, le recours au partenariat public-privé, qui permet aux pays d’obtenir à la fois l’assistance financière mais aussi technique sur les projets d’infrastructures, est aussi une option à considérer. Par ailleurs, les autorités devront aussi s’assurer de mettre en place un cadre réglementaire pour attirer les capitaux privés. Si l’état des infrastructures est essentiel dans l’implantation d’une entreprise, un cadre réglementaire défavorable limitera la présence du secteur privé, qui est le principal facteur valorisant des infrastructures.

Le déficit en infrastructures, qui obère encore les performances économiques de nombreux pays du continent africain, nécessite une réponse adéquate à travers une politique intégrant un mode financement centré sur la mobilisation de ressources financières extérieures et assurant l’implication du secteur privé. A défaut, ces investissements ne serviraient qu’à embellir les villes africaines et à accentuer la paupérisation des populations.

Foly Ananou

Référence : 

John Cockburn et al. (2013). Infrastructure and Economic Growth in Asia. PEP, Springer Open. 


[1] De fait, on considère depuis l’avènement des OMD que la meilleure façon de lutter contre la pauvreté c’est d’être économiquement performant (croissance), supposant que les populations les plus pauvres participent et bénéficient de cette croissance.

[2] Cette approche permettra de distinguer les effets qui sont propres aux pays selon leur profil et d’identifier les effets d’ensemble

[3] consulter l’article de Georges sur le financement du développement

Powered by WordPress