Quels sont les enjeux du droit à l’eau et à l’assainissement?

eauAlors que l’eau potable et l’assainissement sont  indispensables à la vie, à la santé et à la dignité de tous, selon le Rapport 2013[i] de l’OMS et l’UNICEF sur les progrès en matière d’assainissement et d’alimentation en eau, "2,4 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale n’auront toujours pas accès à des services d’assainissement amélioré en 2015". La réalité peut être bien pire, puisque des millions de personnes échappent aux statistiques. Si l’Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) pour la cible eau potable est déjà atteint, 800 millions de personnes n’y ont pas encore accès. Celui relatif à l’assainissement et qui consiste à diviser par deux le pourcentage de la population qui n’avait pas accès à ce service en 1990 sera manqué de 8% en 2015.

La crise de l’eau et de l’assainissement trouve son origine selon l’ONU dans la pauvreté et l’inégalité, et elle est aggravée par des problèmes sociaux et environnementaux, comme l’accélération de l’urbanisation, les changements climatiques, la pollution et l’appauvrissement des ressources en eau.[ii] De plus en plus consciente de cette crise, la communauté internationale a inscrit l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans un cadre intégrant les droits de l’homme. C’est ainsi qu’en juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies avait reconnu le droit de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement. Plusieurs Etats développés qui s’étaient abstenus lors du vote initial craignant ce que cela implique ont fini par y être favorables. En novembre 2013, un consensus est trouvé sur une nouvelle résolution non contraignante qui prouve tout de même selon les observateurs que ce droit est unanimement reconnu par tous les Etats au niveau international[iii]. De fait, les Etats qui ne l’avaient pas inscrit dans leur ordre juridique doivent le faire.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU le présente comme ceci : "Le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant et qu’il est inextricablement lié au droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi qu’au droit à la vie et à la dignité"[iv] Au-delà d’un simple accès à une source d’eau, il exige une prise en compte globale, responsable et transparente. Ce droit n’est réalisable que "si l’eau potable et l’assainissement sont disponibles, accessibles, sûrs, acceptables et abordables pour tous, sans discrimination".

Les aspects liés au droit à l’eau sont les suivants :

  • L’eau disponible pour chaque personne doit être suffisante et constante pour les usages personnels et domestiques, à savoir la boisson, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène personnelle et domestique.
  • L’eau destinée à des usages personnels et domestiques doit être salubre et de qualité acceptable.
  • L’eau et les installations d’assainissement doivent être accessibles physiquement et sans danger pour toutes les couches de la popula­tion, compte tenu des besoins des groupes particuliers, notamment les personnes handicapées, les femmes, les enfants et les personnes âgées.
  • Les services d’alimentation en eau doivent être financièrement accessibles pour tous. Personne ni aucun groupe de population ne devrait être privé de l’accès à l’eau potable au motif qu’il ne peut se le permettre financièrement.

S’ils peuvent être garantis en théorie, la réalité est tout autre notamment lorsque l’accès est trop onéreux. C’est dans l’application qu’apparaissent clairement les enjeux liés à ce domaine. Deux approches différentes sont identifiées autour de l’eau : celle qui consiste à faire des bénéfices avec la distribution d’eau et celle qui s’emploie à dire que l’eau n’est pas une marchandise[v]. Le modèle économique et financier dominant privilégie la privatisation et la marchandisation de l’eau et des services d’assainissement contrôlés en grande partie par des puissantes multinationales. Il est décrié par ceux qui voient en l’eau un véritable service public qui doit être mis à la disposition de la population. C’est ainsi qu’ils conçoivent la garantie pour tous de disposer de ce droit. Sur ces terrains, il n y a donc pas de consensus. Tout comme sur celui du financement effectif de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Si cet accès doit être réalisé dans le sens d’un droit humain fondamental, alors les actes juridiques doivent être contraignants afin d’en faire bénéficier rapidement toutes les couches de la population. Les pays développés craignent qu’un effort supplémentaire leur sera exigé en plus des mécanismes déjà existants. C’est aussi ce que réclament les pays en développement notamment les Etats d’Afrique Subsaharienne. En attendant, ces Etats réaffirment leur volonté de faire démentir les prévisions en atteignant les OMD en 2015.

 

Djamal HALAWA

 

 

 

 


[v] Le forum mondial de l’eau, quelle solution pour les pays africains ? Objectif Terre : Bulletin de liaison du développement durable de l’espace francophone Volume 15 numéro 2 – Décembre 2013, Pages 24-27

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La pollution de l’air en milieu urbain: une ménace sous-estimée?

pha030000067Dans un récent rapport, l'OMS a indiqué que la pollution de l’air extérieur est une des premières causes environnementales de décès liés au cancer. Dans le contexte d’urbanisation galopante en Afrique et du changement climatique global, comment faudrait-il gérer un problème environnemental et sanitaire d'une si grande ampleur ?


L’une de principales sources de pollution atmosphérique urbaine en Afrique est l’émission des particules liées au trafic automobile : camions, voitures, moto, il suffit observer les tuyaux d’échappement de ces engins parfois cabossés dans les artères poussiéreuses de nos villes. Les fumées de cuisines mais surtout celles des usines dans les villes industrielles ont aussi un impact local très fort. Enfin le soulèvement de poussières par le vent est aussi une source de pollution de l’air.


L'impact de cette pollution sur la santé est très néfaste comme l’a noté l’OMS d’autant plus qu’en Afrique, la rue demeure un principal lieu de vie. Les effets sur la santé peuvent aller de simples problèmes pulmonaires à des maladies plus graves comme le cancer. On peut noter aussi les allergies ou d’autres maladies de peau. Le centre international de la recherche sur le cancer estime qu’en 2010 jusqu’à 223.000 décès liés au cancer du poumon sont attribuables à la pollution de l'air. Toutefois dans plusieurs pays du continent,  la mesure et l’analyse des donnés restent très problématiques.


Le problème de la pollution atmosphérique en milieu urbain etait connu depuis longtemps. Face à l’ampleur d’une urbanisation rapide et non maitrisée, les autorités municipales ont vite été dépassées, reléguant ces questions environnementales qui touchent quand même à la santé au banc des priorités. Elles règlementent tout de même et multiplient les mesures malgré l'insuffisance de moyens éfficaces. Au niveau des Etats, des avancés ont été constatées ces dernières années notamment par la mise en place de cadres règlementaires plus stricts en matière d’importation des véhicules d'occasion. Reste à évaluer l’impact réel de ces mesures. Les populations qui n'ont pas un grand pouvoir d'achats sont tentées de les contourner d'autant plus qu'elles ont été prises sans réelle compensation. Ainsi des véhicules de plus de cinq ans continuent d'etre importé et des vieux engins circulent encore.


Un des thèmes du sommet France-Afrique de l’Elysée portait sur le changement climatique. Les recommandations d’ordre global doivent se suivre d’un déploiement à tous les niveaux. Plus d’un milliard d’africains seront citadins en 2050 contre 20 millions en 1950. Penser la ville et sa gestion environnementale sont une nécessité. Associé au contexte actuel dominé par le débat sur le changement climatique, il serait utile de mettre au premier plan les enjeux liés aux problèmes environnementaux urbains. La dégradation de la qualité de l’air urbain, même s'il s'agit d'un phénomène local, touche plus de la moitié de la population mondiale et doit se retrouver au cœur des enjeux d’atténuation des effets du changement climatique. 

Djamal Halawa

 

Sujets similaires :

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Le génie végétal : un espoir pour des espaces miniers plus durables

L’Afrique, terre de ressources naturelles inexploitées

L’Afrique regorge de matériaux précieux pour confectionner puces électroniques et téléphones portables ou encore pour faire rouler automobiles et avions. De nouveaux gisements sont régulièrement découverts sur le continent ou au large de ses côtes. La fameuse « malédiction des ressources » exprime bien que celles-ci peuvent se transformer en véritables moteurs économiques tout comme elles peuvent devenir des éléments aliénants et de paupérisation. Au-delà des aspects social et sociétal des économies basées sur l’exportation de matières premières non renouvelables, leur extraction est génératrice de multiples bouleversements environnementaux. Comment atténuer ces effets et valoriser les espaces miniers ?

Une pratique inspirante

Il n’y a pas de recette miracle, mettons-nous d’accord là-dessus. Une carrière restera un gros trou dans le paysage, et l’écosystème après une extraction, a peu de chance de recouvrer sa diversité initiale. Il est cependant possible de limiter un tant soit peu les dégâts, notamment l’érosion des sols, la pollution des nappes souterraines et la disparition de la végétation.

Le génie végétal recoupe un ensemble de pratiques peu connues du grand public. Vous ignorez peut-être leur fonction mais vous les connaissez, ces buissons plantés au bord des autoroutes ou sur les pentes accidentées. Dans le domaine des mines, les technologies du génie végétal sont encore peu utilisées sur le continent africain. De « vieux » pays miniers tels que la Nouvelle-Calédonie ou le Canada en font usage depuis longtemps, et travaillent déjà à stabiliser leurs sols et limiter la diffusion des polluants. Un couvert végétal draine en effet plus efficacement l’eau des pluies et diminue ainsi les risques de mouvements de terrain, d’inondations et de poussières dans l’air.

Prévenir et réparer : deux techniques différentes

Les techniques utilisées dépendent bien évidemment du climat et de la topographie du terrain, mais aussi du moment d’intervention dans l’exploitation minière.

La phyto-remédiation

Il est possible de limiter une pollution, liée à l’accumulation de matériaux toxiques sur un terrain, ou du rejet d’un polluant à un moment donné de l’extraction. Cette situation pourrait être qualifiée « d’urgente », car bien souvent elle fait suite à une mauvaise prise en compte des impacts environnementaux. La technique employée, la phyto-remédiation, consiste alors à planter dans la zone dégradée des végétaux, choisis pour leurs propriétés, afin d'absorber les polluants. Soit les substances polluantes sont dans l’air et elles sont absorbées par les feuilles, soit elles ont pénétré les sols et sont alors extraites par les racines. Selon le type de végétaux, les polluants peuvent être atténués, détruits ou stockés. A la fin du chantier, les plants sont brûlés dans un cadre industriel avec un filtre, pour éviter le rejet des substances toxiques à l'incinération.

Pour comprendre en image

La revégétalisation

Dans une optique de long-terme, la revégétalisation offre une plus grande amplitude pour agir sur les externalités négatives de l’extraction minière sur l’environnement. Comme son nom le fait penser, la revégétalisation consiste en la plantation de végétaux, technique qui vise principalement à lutter contre l’érosion des sols, conséquence majeure d’une extraction.

L’instabilité des sols constitue non seulement un danger pour l’environnement, mais également pour les installations de l’entreprise et les populations environnantes. La revégétalisation est une intervention globale, qui se décline sur toutes les infrastructures du chantier d’extraction (bases-vie, pistes, chantiers…), et qui intervient à toutes les phases du projet : en amont lors des études d’impacts, lors des phases d’exploration (forages), pendant la construction, durant l’exploitation et à la fin de l’exploitation pour réhabiliter le site. Plus l’exploitant démarre ces activités de réhabilitation tôt, plus les résultats seront bons, et plus les coûts pourront être amortis dans la durée.

En matière de revégétalisation minière, différentes techniques sont possibles. Pour les petites surfaces ou techniques, les plantations d’herbacées sur un mode traditionnel sont largement à privilégier. C’est d’ailleurs la solution la plus répandue en Afrique, comme au Congo Brazzaville par Planetic pour le compte du pétrolier italien Eni. Lorsque les surfaces à planter tendent à s’étaler sur plusieurs hectares, le recours à des techniques plus complexes s’impose. L’hydroseeding, principalement utilisé pour les grandes surfaces faciles d’accès, consiste à projeter, à l’aide d’un camion hydroseeder, un mélange d’eau, de graines et fixateurs, pour permettre le développement rapide d’un couvert végétal.  L’hydromulching, destiné à de zones plus vulnérables à l’érosion, procède également par projection mais est suivi d’une protection de ces sols sensibles et des semences par la projection de géotextiles à très petites mailles pour renforcer les chances de pousse.

L’avenir du génie végétal

Les coûts d’une telle opération sont relativement bien amortis dans la durée, et permettent surtout une plus grande stabilité pendant l’extraction. L’image de marque de l’entreprise est bien sûr en jeu : laisser un site pollué et mettre en danger la vie des populations après la période d’extraction ne fait pas bonne presse.

Ces techniques de génie végétal, et notamment la revégétalisation, sont des sources d’emploi et de savoir-faire très intéressantes pour le développement. En Nouvelle-Calédonie, un site minier peut disposer d’un service entier dédié à la revégétalisation, employant huit personnes et faisant travailler trois à quatre sous-traitants (pépinières, récolte de semences, ouvriers et techniciens agricoles, ingénieur agronome, etc.). Un opérateur comme Planetic engage ses ouvriers dans les villages avoisinant le site, sans qualification pré-requise, et les forme à cette technologie toute nouvelle pour eux. L’impact est ainsi local et direct.

Le génie végétal s’impose comme une technologie d’avenir, en adéquation avec les principes du développement durable. D’innovation, il doit devenir pratique courante. Pour ce faire, les pays miniers doivent s’intéresser plus assidûment à l’inscription de la revégétalisation et de la dépollution des sols dans les cahiers des charges des exploitations minières. Aller vers une gestion durable des espaces miniers, nécessite par ailleurs d’instaurer des mesures complémentaires telles que la transparence des comptes (voir l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives), la redistribution des ressources issues de ces industries extractives ou encore la sécurité des sites et les garanties sociales accessibles aux ouvriers. Tous ces critères me semblent la base d’une responsabilité sociétale des entreprises minières. Aujourd’hui, la démarche de fabriquer un téléphone portable équitable, qui garantisse les conditions d’extraction et de production des composants par exemple, reste marginale. Imaginez les retombées si les choix des consommateurs commencent à peser sur le marché du mobile ! C’est aux dirigeants des pays miniers, aux jeunes d’Afrique et d’ailleurs, aux amateurs de haute-technologie et autres, tels que nous, de prendre des décisions pour la planète et le développement.

Véra Kempf

 

Pour en savoir plus (en anglais) :

en image : Dessin

http://www.youtube.com/watch?v=WDGkBpsVjtc

http://www.youtube.com/watch?v=w99mGLfb4_g

 

Un autre article de l’Afrique des idées sur la valorisation de l’écosystème  :

 http://terangaweb.com/quelle-valeur-du-patrimoine-ecologique-africain-cas-virunga/

Quelle évolution des habitudes de consommation en Afrique ?

                                               "Le moteur principal de l'empreinte écologique de l'Afrique est l’augmentation de la consommation, soutenue par la croissance démographique et la forte expansion de l'économie régionale".

Avant-propos, Rapport de l'empreinte écologique de l’Afrique (2012, p.4)

une_bad2Récemment, le Programme des Nations Unies pour l'environnement a organisé un banquet avec des produits que des chaînes internationales de supermarchés avaient rejetés parce qu’ils ne répondaient pas aux critères réglementaires en termes de calibre, de forme et autres caractéristiques. En bref, le produit n'avait pas l'air bon, il était « laid ». Mais, du point de vue du goût, était-il savoureux ?

Avec l'augmentation des revenus, la tendance est au changement des modes de vie et des habitudes alimentaires. Désormais, il y a plus de choix, qu’il s’agisse de l’alimentaire ou de biens plus chers, tels que des véhicules, des logements et d'autres biens. Et quand on a plus d'argent à dépenser, on a tendance à intégrer plus de variétés et plus d'aliments coûteux à son régime alimentaire. Toutefois, les réponses diffèrent selon qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays développés. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), on a tendance, dans les pays en développement, à délaisser les denrées de base comme les céréales, les racines, tubercules et légumineuses, pour adopter plus de produits issus de l'élevage (viande et produits laitiers), d’huiles végétales et de fruits et légumes. Alors que dans les pays développés, la majorité des consommateurs peuvent déjà s’offrir ce qu'ils préfèrent, et quand leurs revenus augmentent, les changements dans leurs habitudes et leurs achats alimentaires sont relativement modestes. Mais leurs attentes, quant à ce qui est mis à leur disposition, changent-elles ?

Alors que nous sommes de plus en plus nombreux à pouvoir se permettre de n’acheter à manger que ce que l’on aime, va-t-on se montrer plus difficile ? Va-t-on exiger que notre alimentation apparaisse plus attrayante ? Et dans quelle mesure cette tendance s'étendra-t-elle à d’autres domaines de notre vie?

Imaginez l'ampleur du gaspillage en termes de terres, d’eau, de ressources minérales et d’énergie, qui entre en ligne de compte dans la production, la transformation et la distribution des marchandises qui, aujourd’hui, font partie de nos modes de vie, et la facilité avec laquelle nous les rejetons, les éliminons et les remplaçons.

Le Rapport de l'empreinte écologique de l’Afrique estime ainsi que nous avons utilisé l'équivalent de 1,5 planète Terre en 2008 pour satisfaire nos modes de consommation. En d'autres termes, un an et demi environ serait nécessaire à notre Terre pour régénérer les ressources que l'humanité a englouties cette année-là. La spirale de la consommation non viable est lancée.

A l’occasion d'un séminaire sur ce que signifiait la croissance verte pour l’Afrique pour le personnel de la BAD, en janvier 2013, l’Institute for Global Environmental Strategies (IGES) a avancé une proposition intéressante pour intégrer la consommation durable : le cadre de l’Attitude Facilitator Infrastructure (AFI) (Akenji, 2012). Ce dispositif, qui a été présenté lors du sommet Rio+20, suggère que, pour engager une consommation durable à grande échelle, trois volets sont nécessaires et doivent fonctionner de concert : la bonne volonté des parties prenantes (par exemple une prédisposition à être un consommateur “durable”, une volonté politique) ; des initiateurs qui fassent en sorte que les actes reflètent bien les attitudes (par exemple, des incitations encourageant les comportements vertueux, et des contraintes dissuadant les effets indésirables – telles que des variables juridiques, administratives, culturelles ou liées aux marchés) ; et des infrastructures adaptées, grâce auxquelles les modes de vie durables deviendraient la solution de facilité (aménagement urbain “intelligent”, notamment).

Autrement dit, ce dispositif offre une approche qui ouvre, à long terme et à un niveau systémique, sur un environnement où les alternatives durables deviennent un choix par défaut.

Nous sommes conscients du danger imminent que représente le consumérisme effréné, tandis que la classe moyenne urbaine en Afrique ne cesse de croître – il s’agit là d’aspirations “légitimes”. Quel type de modèle ou d’approche pourrait être appliqué au contexte africain afin de maintenir une consommation durable ?

Un bon point de départ serait d’inclure les denrées de formes irrégulières, qui sont de plus en plus absent des étals de nos supermarchés locaux (voire de nos échoppes traditionnelles) en Afrique, qui eux aussi font en sorte, de plus en plus, de nous fournir des fruits et légumes « parfaits ».

 

Un article de Musole M. Musumali initialement paru sur le blog de la Banque Africaine de Développement.

Les déchets : Une spécialisation pas comme les autres

Véra Kempf poursuit ses analyses sur la gestion des déchets. Cet article est le resultat d'échanges avec un acteur du domaine.

Urbain Anselme Nkounkou a plusieurs casquettes. Vous le croiserez peut-être dans les rues de Clichy où il est adjoint au Directeur des Services de la Ville, dans les couloirs de l'Université du Mans où il enseigne depuis 1998, ou même encore à Pointe-Noire où ce brazzavillois passe quelques semaines par an auprès des étudiants de l'Ecole Supérieure Technique du littoral. Au cœur de toutes ses activités : les déchets, sous toutes leurs formes et tout au long de leur cycle de vie. Voici quelques éléments de discussion avec un homme qui se dit « tombé dans les poubelles très jeune » !

Un parcours terre-à-terre en France

Urbain Nkounkou est chimiste de formation. Commençant par étudier les comportements des sols, il finit par s'intéresser aux déchets comme l'un des composants qui, comme les organismes vivants, modifient l'écosystème. Au-delà des externalités négatives qu'ils génèrent en s'accumulant (pollution des sols, dépôts chimiques, etc), les déchets ont aussi souvent été utilisés en France pour réhabiliter des espaces, par exemple transformer des anciennes carrières en décharges municipales.

Pour sa thèse, Urbain Nkounkou planche sur la « Gestion des déchets en Ile de France : corrélations entre les lieux, l'espace habité et la composition des ordures ménagères ». Sujet dont on pourrait penser qu'il a facilement été traité à partir de statistiques, bien confortablement derrière un bureau. Bien au contraire, et parce qu'il a appris que pour appréhender un problème, il faut le côtoyer, le jeune Urbain s'est livré à une analyse de terrain microscopique des déchets générés par des communes de 5 000, 8 000, 15 000, 22 000, 50 000 et enfin 90 000 habitants. Type d'habitat, catégorie socio-professionnelle, structure du foyer : tout s'explique dans une poubelle. A contrario, « donnez-moi votre poubelle, je vous dirai qui vous êtes » dit-il en souriant !

Une compétence déployée en Afrique

Dans le cadre d'une coopération décentralisée entre la ville de Clichy et la commune de Ouakam au Sénégal, Urbain Nkounkou a eu l’occasion de transposer son savoir-faire au continent africain.

CIMG1003L'objet de sa mission était alors de planifier un système de pré-collecte des déchets, qui soit performant et adapté au terrain. Il a ainsi arpenté toutes les rues et ruelles de la ville afin d’établir une base de données sur le type d'habitat, les voies accessibles en camion ou avec une brouette, la présence de caniveaux ou de décharges sauvages, etc. Pour envisager le type et la quantité de déchets générés, ce sont les élus municipaux qui ont servi de cobayes. Avec son expérience au Sénégal, Urbain Nkounkou confirme l'enquête de la Banque Mondiale[1] : pour des raisons culturelles et d'habitudes alimentaires, la majorité des déchets générés par les ménages africains sont organiques, et par là biodégradables.

Les recommandations tirées de son enquête n'ont malheureusement pu aller bien plus loin. La collecte des déchets ménagers de Ouakam incombe en réalité à l'agglomération de Dakar. Si celle-ci s’est révélée défaillante, Ouakam ne peut changer seule la situation des déchets sur son territoire sans moyens supplémentaires. Des initiatives privées se sont alors organisées pour pallier ce manquement et assurer la salubrité du quartier. Lors de précédents articles, j'ai pu souligner à quel point je suis persuadée que le secteur privé a un rôle essentiel à jouer dans le secteur des déchets en Afrique, et qu'il peut y trouver son compte. Urbain Nkounkou pense pour sa part que sans Etat fort, rien ne sera possible à long-terme. Un cadre règlementaire pour la collecte des déchets existe bien souvent dans les pays africains, mais le principe de « celui qui a l'argent dans la rue décide si le camion poubelle passe» empêche son application.

En attendant, Urbain Nkounkou finit par reconnaître qu’il est possible de faire avancer la cause des déchets à court-terme, par des actions de sensibilisation et d’appui… au secteur privé !

Deux clés pour une gestion efficace des déchets

Conscientiser les populations. Pour ce faire, la ville de Clichy poursuit son action à Ouakam avec un budget de 630 000€ sur trois ans. Au programme, sensibiliser les habitants aux conséquences sanitaires de l'accumulation des déchets (maladies hydriques, moustiques, etc). Urbain Nkounkou a identifié les personnes ressources, les sages et les « écoutés », ceux qui pourront se faire les relais de cette information. Les femmes et les écoles occupent un rôle tout particulièrement important dans cette stratégie.

Valoriser. Un déchet ne pourra être valorisé localement en Afrique que s'il connaît déjà un débouché. Urbain Nkounkou est convaincu que la marche à suivre consiste à professionnaliser et à structurer les filières existantes, autrement dit valoriser le savoir-faire local et s’adapter aux réalités du terrain. En Afrique centrale par exemple, la ferraille, le bois, la sciure sont bien valorisés à petite échelle. Ils pourraient donc être à l’origine de projets de plus grande envergure. Suivant cette logique, il ne nous reste qu'à imaginer un système d'avantages comparatifs dans la revalorisation !

Les déchets ne sont pas seulement un gisement d'opportunités, une source de richesse incroyable, ils sont pour Urbain Nkounkou une véritable mine d'or ! A exploiter au plus vite, avant que  cet or ne  vienne plomber le développement.

 

Véra Kempf

 

 

 

 

 

 


[1]    Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series, commenté dans l'article Poubelles d'Afrique, http://terangaweb.com/poubelles-dafrique/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les inconvénients de l’énergie électrique photovoltaïque en Afrique

 

Nouvelle image (4)Compte tenu du milliard et demie d’habitants n’ayant pas accès à l’énergie électrique, nombreux sont les programmes nationaux et  internationaux qui militent en faveur de l’énergie pour tous. Ainsi, de l’extension du réseau électrique, au recours aux énergies nouvelles, l’énergie de demain doit répondre d’un gage de non intermittence,  d’accessibilité pour tous, et enfin de qualité.

Dans le précédent billet, nous avions évoqué les atouts de l’énergie photovoltaïque, qui constitue la ressource  énergétique la plus abondante au monde. Malgré qu’elle soit considérée comme l’enfant prodige des énergies nouvelles, son développement se heurte à des difficultés de tout genre que nous tâcherons d’évoquer dans ce dernier article.

En économie, l’une des principales variables d’ajustement est le prix. Au centre de la majorité des théories économiques, le prix  et les variations de prix symbolisent tout consentement à payer ou à recevoir, le changement de comportement par rapport à nos habitudes, et enfin notre capacité à adopter ou non une nouvelle technologie. De ce fait, quand bien même le coût de l’énergie photovoltaïque a chuté sur le plan mondial, les prix d’acquisition demeurent élevés pour la moyenne des ménages africains. L’installation solaire, qui est un investissement de long terme n’est pas souvent compatible avec les besoins financiers de court terme des populations. A titre d’exemple, un système de 400Wc qui permet d’alimenter la TV, 6 ampoules, la radio coûte environ 800 000FCFA HT[i], quand le SMIC est de l’ordre de 372 000FCFA/an/personne[ii], soit 744 000FCFA au moins pour un ménage où les deux parents sont actifs. La situation est d’autant plus grave qu’il n’existe pas de mécanisme de subventions, d’exonération fiscale, de prêts bancaires ou de soutien aux besoins de consommation des ménages.

Ensuite, l’énergie électrique pose le problème du stockage. L’énergie électrique ne se stocke guère, mis à part le recours à des barrages pour pomper l’eau en journée et la rétribuer  en soirée. Les énergies renouvelables sont pour la plupart intermittentes. Dans le cas du photovoltaïque, à la tombée de la nuit, le système devient totalement passif dans la mesure où il n’y a plus d’irradiation solaire, malgré que notre demande en énergie soit constante. La solution actuelle réside dans le recours au stockage sous forme de batteries, des piles géantes qui accumulent l’énergie non consommée durant la journée afin de la redistribuer le soir et les jours de faible ensoleillement. Malheureusement, la technologie des batteries n’est pas encore très avancée, dans la mesure où dans les pays développés, elle n’est pas souvent sollicitée (en Europe par exemple, on parle de raccordement au réseau or bien souvent dans les zones rurales africaines, on est en réseau isolé dit « Off Grid »).  Ainsi, le coût du stockage peut représenter jusqu’à 40%[iii] du montant initial de l’investissement, sachant que les batteries ont une durée de vie beaucoup plus réduite que les autres composants, avec un facteur risque en cas de court circuit ou d’erreur d’installation.

D’autre part, en l’absence d’organismes de conformité, de normes définies et appliquées, et d’un marché de consommation bien identifié, le secteur énergétique électrique en amont[iv] est peu identifié des grands  industriels mondiaux. La plupart des matériels utilisés sont  importés et utilisés sur la base de réglementations des pays exportateurs. Etant donné également que les réseaux présentent souvent des déviances (le cas des multiples baisses de tension, des surtensions, et des coupures non programmées), l’utilisation qui en découle devient impropre aux données d’utilisation du constructeur. Cette question va de paire avec le manque de compétence locale pour assurer le fonctionnement des installations, ce qui explique pourquoi la plupart des principaux projets solaires furent des échecs. Le rôle de la recherche et du développement, précédemment évoquée dans un article de TerangaWeb,  ainsi que de l’innovation pour un marché africain de consommation, compte tenu des ses particularités et de ses attentes devient alors un pilier phare du déploiement énergétique.

Enfin, un des principaux obstacles, ou du moins une ouverture de réflexion représente le duopole public-privé. L’énergie est un bien stratégique où la géopolitique  témoigne de l’importance des enjeux qui en découlent. Les investissements énergétiques sont très onéreux, et l’état actuel des réseaux et infrastructures dans les pays africains est synonyme des problèmes auxquels font et feront face les pays africains. L’implication du secteur privé s’avère donc nécessaire, pour dynamiser et pérenniser la filière, bien qu’à l’origine le secteur de l’énergie soit réputé pour être des plus monopolistiques. L’Etat, à mon avis se devra donc d’être un intermédiaire d’échange, régulateur et maitre d’œuvre des feuilles de route énergétique, en ayant toujours à l’esprit qu’économiquement non viable, l’énergie devra toujours être socialement disponible pour tous.

 

                                                                                                        Leomick SINSIN

 

 


[i] Il s’agit d’une moyenne recensée sur les installations au Bénin, et de mon retour d’expérience

 

 

 

 

 

[ii] 31000 FCFA (environ 48€) par mois

 

 

 

 

 

[iii] Revoir le précédent billet sur la décomposition du CAPEX d’une installation solaire

 

 

 

 

 

[iv] L’amont, tel que définit ici, concerne principalement les composants tels que les onduleurs, les régulateurs et les données de fréquence pour le réseau.

 

 

 

 

 

Quelle est la valeur du patrimoine écologique ? Le cas de Virunga (RDC)

La valorisation des écosystèmes est un sujet central du développement durable. En Afrique où plusieurs pays disposent d’un patrimoine écologique exceptionnel, cette question est essentielle dans leur planification stratégique. Cet article posera cette problématique à travers le cas de Virunga : un site classé mais qui attise la convoitise des pétroliers.

Nouvelle image (2)En décembre 2007, le gouvernement congolais (RDC) avait accordé des concessions pétrolières sur des blocs situés à l’est du pays. Le parc national de Virunga, un des plus anciens sites classé patrimoine mondial de l’UNESCO à cause de son exceptionnel biodiversité, en fait partie. SOCO International PLC, une des compagnies bénéficiaires de la concession, souhaite explorer dans et aux abords du site. En réponse à cela, l'ONG de protection de la nature WWF saisit par quelques organisations locales, a lancé plusieurs campagnes de sensibilisation et publié un rapport sur la valeur économique de ce parc ainsi que les conséquences des activités pétrolières sur l’environnement et l’économie locale. Le 7 octobre dernier, elle a déposé une plainte auprès de l’OCDE afin d’empêcher la  compagnie de poursuivre ses activités sur le site.

Les pouvoirs publics congolais ont accordé un permis de prospection pétrolière dans une zone que l’Etat lui-même avait demandé la classification afin de préserver son écosystème particulier et protéger les espèces qui y vivent, pour la plupart menacés. Faisant fi des dispositions réglementaires prohibant les activités nuisibles à l’environnement dans ces zones, le permis accordé se base en fait sur une exception permettant de pratiquer des « activités scientifiques » dans de tels milieux. SOCO évoque cette exception et le gouvernement avance l’argument des retombées économiques tout en estimant que le parc ne sera pas menacé. Face aux mannes pétrolières bien plus palpables, les arguments de protection de l’environnement ne semblent pas convaincants. Pour ces raisons, le WWF avait commandé une étude sur le potentiel économique de ce parc de Virunga. Le rapport publié en juillet dernier tente en effet de quantifier la valeur économique actuelle et potentielle de parc naturel. Elle a identifie également les risques sur l'environnement, liés aux différentes phases d'exploration et d'exploitation, et les risques sur le développement économique et social de la région.

 DES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX ET SOCIO-ECONOMQUES

Selon l’étude du WWF, les activités sismiques réalisées lors de la phase d’exploration du pétrole ont un impact sur l’environnement local. Les défrichages massifs effectués pour permettre l’acheminement des équipements et l’ouverture des nouvelles routes, entrainent la fragmentation de l’habitat naturel des espèces et l’introduction des plantes invasives dans ces milieux. La phase d’exploitation quant à elle engendrerait de pollution liée aux fuites sur les oléoducs ou aux déversements des hydrocarbures. La faiblesse institutionnelle et la corruption rendent le contrôle des activités des compagnies et l’application de la loi extrêmement difficile. Les conflits armés dans ces régions, souvent liés au contrôle des ressources, exposent aux risques de sabotage des infrastructures. Avec la recrudescence du braconnage, les conséquences peuvent être irréversibles sur les espèces menacés.

En plus des effets environnementaux relativement désastreux, le développement économique et social peut être impacté par les fluctuations du cours du pétrole. La compétition qui se fera de facto entre le secteur pétrolier et les autres secteurs économiques notamment le tourisme sera au détriment de ces derniers et compromettra à terme le développement de la région en déstabilisant l’économie locale. Pourtant les espaces naturels sont d’une richesse aussi importante que la manne pétrolière.

UN FORT POTENTIEL ECONOMIQUE

Nouvelle image (3)Selon l’étude du WWF, du tourisme à la pêche en passant par la pharmacologie, l’énergie, l'éducation et la recherche, la mise en valeur directe de ce milieu naturel contribuerait largement au développement socio-économique de la région. L’exploitation indirecte quant à elle engendrerait des revenues à travers la séquestration du carbone, l'approvisionnement en eau, la lutte contre l'érosion ainsi que le contrôle de la pollution. Le parc de Virunga générerait actuellement environ 49 millions $US par an. Dans une situation stable, en l’absence des conflits armés, avec la sécurisation d’accès au parc et suffisamment des ressources pour protéger l’écosystème, sa valeur peut dépasser le milliard de dollar par an (1,1 milliards $US/an). Comme l’illustre le tableau suivant, la pêche mais surtout le tourisme ont un potentiel énorme de développement (235 millions $US/an) issu de l’exploitation directe de cet écosystème. L’exploitation indirecte des ressources du parc telles que la vente des crédits carbone  génèrerait environ 64 millions de $US. L’ONG évalue jusqu’à 700 million $US par an la valeur de l’exploitation future du parc. Les activités économiques liées à ce milieu pourraient fournir du travail à plus de 45000 personnes.

POUR UNE GESTION DURABLE DES RESSOURCES NATURELLES

L’étude menée par le WWF a le mérite de chiffrer le potentiel économique d’un milieu naturel qui reste aux yeux de certains inutiles. Ces types d’arguments peuvent servir d’outils d’aide à la prise de décision. Toutefois, au delà de la valeur économique d’un site écologique, ce sont les couts liés à son éventuelle pollution ou disparition qui restent difficile à évaluer. Ces externalités sont au centre de la planification stratégique d’un développement durable.

Ce cas de Virunga illustre bien la complexité de la question de valorisation des écosystèmes en Afrique. Le patrimoine naturel, en dehors des considérations écologiques possède également une forte valeur économique lorsque des modes de gestion responsables et durables sont appliqués. L’incohérence des décisions telles que la concession pétrolière accordé sur cet espace protégé résulte-t-il d’un manque de stratégie claire ou d’une mauvaise gouvernance liée notamment à la corruption ? Par ailleurs au niveau régional, la gestion de ces espaces peut engendrer des tensions compte tenu de la souveraineté des Etats sur leurs territoires nationaux et les interconnexions entre les milieux naturels qui n'ont pas de frontières. La plainte déposée par l’ONG auprès de l’OCDE montre bien les difficultés des institutions africaines à défendre correctement leurs propres intérêts.

Qu'en est il des patrimoines écologiques des autres pays africains et quelles sont les stratégies nationales où régionales en la matière ? Ces questions feront l’objet de la suite de cet article.

  Djamal Halawa

 

Source des illustrations: The economic value of virunga national park, WWF 2013

Poubelles d’Afrique

Parler des poubelles est d’une banalité sans nom et sans intérêt en Europe, en tout cas en France. Le bruit du camion à poubelles est pour beaucoup de citadins l’unique dérangement causé par nos ordures. En Afrique, les déchets vous sautent aux yeux dès la première ruelle. Avec le temps, ils finissent par faire partie du décor. Les villes africaines doivent se doter dans les prochaines années d’une véritable stratégie de gestion des déchets, pour amorcer un pas de géant vers l’amélioration des conditions de vie de leurs populations.

Les déchets en Afrique

Je me souviens d’une citation glissée dans les papillotes de Noël qui m’amusait beaucoup: « tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut descendre la poubelle ». Sortir la poubelle. Ce geste, ancré dans le quotidien en Europe, est le préalable d’une longue chaîne de collecte, tri et recyclage. Un maillon primordial pour que nos rues soient propres et nos enfants en bonne santé. Dans des villes comme Paris, le réseau des égouts et le ramassage des ordures ont été mis en place après des épidémies meurtrières de choléra au XIXème siècle. L’Afrique a une croissance prospère, et la possibilité de bénéficier d’expertises du monde entier dans la gestion des déchets. Pour l’Afrique aussi, le développement durable et équitable commence par se pencher sur les poubelles.

A Pointe-Noire, au Congo, accepter de sortir la poubelle est une chose. Trouver l’endroit où la jeter en est une autre. Les tas d’immondices jonchant les rues indiquent où les gens déversent leurs ordures : partout, en dehors de leur parcelle, au gré des opportunités. Des bacs à ordures collectifs, il y en a. Mais cachés, éloignés, et vite saturés. En matière de déchets, le Congo et beaucoup d’autres pays d’Afrique jouent à la politique de l’autruche. Ils se voilent la face et déplacent le problème de la parcelle à la décharge municipale. Après, rien. Les entreprises reprennent le flambeau de ce service public délaissé par les pouvoirs locaux. Elles triment à organiser la récolte et ne sont pas assez structurées pour organiser la valorisation. Un portrait de ces nouveaux business, dans un article à venir.

Dans ce premier article sur les déchets, commençons par le commencement. Parlons concrètement de la composition des poubelles africaines et de la participation de l’Afrique sub-saharienne à la quantité mondiale de production de déchets. Les données en la matière sont bien entendu difficiles à obtenir. Le rapport de la Banque Mondiale, WHAT A WASTE – A Global Review of Solid Waste Management[1], offre une comparaison des situations et des pratiques sur les différents continents. Les chiffres des pays africains datent de plusieurs années, mais les grandes tendances sont présentées. Un maître mot : anticiper. Anticiper la croissance économique, démographique et urbaine, en particulier ses conséquences sur la production de déchets (industriels, ménagers, etc).

La part de l’Afrique dans la production totale de déchets

Cela est dit et répété, le continent africain est celui qui pollue le moins. Il existe une très forte corrélation entre le niveau d’émission de gaz à effet de serre et la quantité de déchets produite. L’Afrique émet encore peu de déchets, en comparaison avec les autres parties du monde.

Le graphique ci-dessous détaille la contribution des différentes parties du monde à la production mondiale de déchets. Avec ses 5%, l’Afrique sub-saharienne a de quoi se réjouir.

waste by region

Source : Banque Mondiale

Les villes contribuant significativement plus à la production nationale de déchets, l’urbanisation croissante des métropoles africaines sera un facteur déterminant dans la génération future de déchets par le continent africain.

Au lieu d’imaginer avec horreur un monticule d’ordures grandissant, voyons les agglomérations africaines comme de fabuleux laboratoires pour expérimenter et innover dans la gestion des déchets.

Qu’y a-t-il dans les poubelles africaines ?

Ce deuxième graphe permet d’identifier rapidement les plus grandes composantes des déchets en Afrique. Les déchets organiques constituent la part la plus importante des déchets émis dans les villes africaines, et dans les pays à faible revenu en général.

type of waste

Source : Banque Mondiale

A courte vue, cela laisse espérer une amélioration aisée et rapide de la chaîne de gestion des ordures. Mieux organisée, la filière pourrait se concentrer rapidement sur ces déchets biodégradables, valorisables sans trop de difficulté. Il s’agit sans conteste d’une nécessité.

N’oublions cependant pas les tendances qui lient la croissance économique et démographique à la production de déchets solides. Comme l’expliquent très bien les auteurs de la publication Banque Mondiale, plus les ménages s’enrichissent, plus les biens consommés sont complexes et utilisent de papier, de métal et de plastique. La part des déchets organiques dans la production totale de déchets des pays de l’OCDE tombe relativement à 27% et celle des déchets papiers augmente à 32%. Les pays africains, compte tenue de la croissance économique en cours ou à venir, doivent donc avoir une approche globale de la gestion des déchets. Réfléchir à la gestion des déchets non-organiques s’impose dans une perspective de pays émergents en devenir.

Investir dans la gestion des déchets = investir dans le développement

Sans conteste, la question des déchets s’inscrit parmi les plus grands défis à relever par les pays africains. Comme dans de nombreux domaines, les technologies actuellement disponibles permettent de déployer rapidement des initiatives innovantes en la matière. Valorisation, recyclage, transformation, les débouchés économiques sont certains. La création de nouveaux emplois et l’amélioration des conditions sanitaires dans les villes permettent d’envisager les déchets comme une nouvelle source de richesse, et un axe central du développement de l’économie verte dans les pays africains.

[1] Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series

 

 

Énergie en Afrique : Lumière sur les défis du secteur et les opportunités

Cet article est la synthèse de la conférence sur l'énergie en Afrique organisée par Terangaweb-l’Afrique des idées en partenariat avec Global Career Company lors du forum Careers in Africa à Paris le 13 Avril 2013. Il s’agit des points-clés des interventions de messieurs Bernard Duhamel et Thierry Téné sur les défis et les opportunités du secteur énergétique en Afrique.

Un défi de taille aux réponses multiples

Prévisions de l'évolution de la demande énergétique dans le mondeAvec une croissance annuelle de la population de 2,5%, une croissance économique de l’ordre de 6%,  un taux d’urbanisation d’un point tous les deux ans (41% d'urbanisation actuellement, 60% en 2060), l’Afrique est dynamique sur tous les plans. Cela est associé à une industrialisation et à une augmentation du niveau de vie, et se traduit nécessairement par une demande énergétique de plus en plus forte.

Il se trouve heureusement que l’Afrique dispose des sources d’énergie nécessaires pour y répondre : pétrole, charbon, gaz, nucléaire, géothermie, hydraulique, solaire, éolien et biomasse.

Actuellement le charbon et  le nucléaire sont surtout exploités en Afrique du Sud. L’essentiel de la production énergétique, sur le continent est d’origine fossile.

Les autres sources, à part l’hydroélectricité ne sont que très faiblement exploitées. Elles sont considérées comme chères et encore en phase de maturation technologique. Cela est vrai pour la technologie du solaire thermique à concentration (CSP) notamment, même si le coût du photovoltaïque est en baisse et que le continent dispose d’un gisement solaire très important.

La biomasse est elle aussi une bonne alternative lorsqu’on ne cible pas les cultures vivrières. Elle peut être utilisé dans des plateformes multifonctionnelles à l’échelle d’un village par exemple ou pour l’éclairage urbain.

Avec les cotes Atlantiques et de la Mer rouge, les couloirs du vent au Sahara sont une source importante d'énergie éolienne. Son industrie est mature et elle a atteint la parité avec les sources classiques en termes de coût d’exploitation. Toutefois le problème principal avec ces énergies alternatives est leur intermittence. Il faut un mix énergétique d'importants aménagements de façon à obtenir des réseaux performants et/ou interconnectés de façon à en moduler la production en fonction des fluctuations de la demande. La Géothermie quant à elle a un potentiel de 14GW notamment dans la vallée de rift.

Energy Demand Africa

Evolution de la demande énergétique en afrique d'ici 2040 (Exxon Mobile). Le Btu (British thermal unit) est une unité de mesure. La consommation énergétique d'un ménage nord-américainmoyen s'élève à 400.000 BTU par jour. Un quadrillion correspond à 1000 milliards.

Une crise de production ?

Le grand constat est le faible taux d’exploitation du potentiel hydroélectrique alors qu’il y a d’énormes gisements pour tout type de structure (grands barrages, moyens, mini…). La crise n’est pas uniquement celle de la production. Même lorsque les installations existent, elles sont inefficacement exploitées. L’exemple des grands barrages d’INGA (RDC) – potentiel de 40GW capable d’alimenter toute la sous-région mais dont la moitié des turbines est en panne, résume l’ampleur du problème. L’absence de maintenance des infrastructures existantes est un facteur important. Une crise en amont donc.

Se pose également la question des ressources humaines et du manque de compétences spécifiques à ce secteur. Et cela se vérifie à tous les niveaux: ingénieurs, techniciens, cadres, juristes…

Si la consommation électrique actuelle par tête d’habitant est très basse (à peine 150 KWh/ pers/an dans les pays sahéliens et moins de 1000 KWh/ pers/an), on peut s’interroger sur la capacité d’absorption : Est-elle liée au faible développement économique, ou à une production défaillante (pour des équivalences en termes de consommation électrique "ordinaire" de termes tels que kilowatt, gigawatt, etc. se reporter à cette fiche)

Il se trouve aussi que la demande en énergie est importante dans les régions densément peuplées (Afrique de l’est, Egypte). Ainsi, le développement énergétique en Afrique doit être pensé dans le cadre de programme de développement "intégrés". On ne peut pas uniquement se focaliser sur la production. L’expérience du Rwanda dans l’extension du réseau, en s’assurant de l’implication effective de l’ensemble des acteurs (gouvernement, des agences de développement, acteurs locaux, citoyens…) est une réussite.

Cesser les subventions…développer des alternatives

L’énergie coûte très cher et l’électricité particulièrement est inaccessible à une grande partie de la population pauvre. Elle est aussi curieusement trop subventionnée. Les subventions de l’énergie fossile coûte plus de 400 milliards de $ par an. En 2008 lorsque le baril du pétrole à atteint 147 $, elles étaient de 600 milliards $. Ces subventions faussent les calculs économiques et la rentabilité des investissements. Elles sont un facteur freinant le développement de l’énergie contrairement à la croyance populaire qui voudrait qu'une baisse des prix soit indispensable à l'amélioration de l'accès à l'énergie en Afrique. L’expérience montre que les consommateurs sont plus sensibles à un approvisionnement régulier qu’à un tarif bas. Cela relativise-t-il la cherté des énergies alternatives ?

Electricity generation

On ne pourra pas construire rapidement les infrastructures nécessaires à l’interconnexion des réseaux avec un prix de baril de pétrole très élevé pour pouvoir répondre à l’exigence de la demande énergétique. L’augmentation du prix du baril de pétrole entraine la compétitivité des énergies alternatives. Il faut agir pour les exploiter au maximum et localement si possible. 1 MW d’hydroélectricité coûte 1 à 3 millions de $ selon les régions du continent. Ces alternatives sont in fine plus rentables que les énergies fossiles maintenues sous la perfusion des subventions.

Quels plans ?

Les subventions annuelles de l’énergie fossile représentent le coût global pour assurer l’indépendance énergétique en Afrique dans les 20 prochaines années. La mobilisation des ressources passe d’abord par un assainissement du cadre réglementaire et un renforcement des capacités. Certains pays ont des plans de développement énergétique. Ces stratégies ne sont pas encore approfondies pour être efficace. C’est au niveau sous régionale qu’il ya un manque de coordination. Pourtant à cause des ressources souvent communes notamment pour l’hydroélectricité il est nécessaire de s’entendre sur des réglementations communes. C’est la garantie pour mobiliser les investissements privés ou développer des partenariats publics privés PPP. La mise en place des portefeuilles-projets à l’exemple du Maroc pour les énergies renouvelables offre une visibilité et une attractivité aux investisseurs.

Il faut avoir une vision globale et mettre le point sur la formation. Former toutes les compétences nécessaires à la réalisation mais aussi au suivi des projets structurants que  de lancer des grands projets entièrement réalisés de l’extérieur et qui échouent fatalement faute de cette prise en compte.

Et pour finir….RSE, fraude et efficacité énergétique

Pour lutter contre la fraude et répondre à la demande, une entreprise énergétique au Brésil échange des bons de consommation électrique contre des déchets ramenés par les ménages qu’elle valorise par la suite. C’est un exemple de la RSE d’une entreprise énergétique.

Pourquoi regarder seulement la production ? Il ya d’énormes efforts à faire en efficacité énergétique. En agissant sur les matériaux de construction, en regardant la consommation des bâtiments publics par exemple on aperçoit le potentiel énorme dans l’amélioration de la consommation énergétique en Afrique.

 

 


Bernard Duhamel: Consultant Sécurité Energétique – Energies Renouvelables (UA, ACP) et Vice President de l’ADEA (Association pour le Développement de l’Energie en Afrique).  Thierry Téné: Co-fondateur de l'Institut Afrique RSE et Directeur de A2D Conseil

 

 

 

 

 

Sources (illustrations) : Exxon Mobil The Outlook for Energy: A View to 2040

IEA Energy Africa Statistics on the Web: http://www.iea.org/stats/index.asp

 

 

 

 

 

Lancement de la nouvelle rubrique « Energie & Environnement »

L’Afrique n’est plus à un paradoxe près. Le cas de la Guinée Equatoriale[1] est l’un des plus connus : le revenu par tête y est parmi les plus élevés d’Afrique et – selon les critères pris en compte – du monde, alors même que 3/4 de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que le taux de malnutrition atteint 40%. La manne pétrolière qui alimente cette richesse (78% du PIB) n’a permis ni réduction de la pauvreté, ni véritable création d’emplois (à peine 4% de la main d’œuvre est employée dans le secteur pétrolier).
 
 Energie Eolienne AfriqueSi la situation dans ce pays est certainement un cas extrême de corruption et de mauvaise gouvernance, la Guinée Equatoriale illustre assez bien, néanmoins, deux énigmes et défis du continent à l’heure actuelle : les carences du secteur énergétique en Afrique et l’insuffisante prise en compte des questions environnementales.
 
Il est habituel de traiter ces deux aspects comme étant séparés, sinon antagoniques. L’excuse toute trouvée est généralement une variante de « si l’humanité entière consommait autant d’énergie qu’un américain moyen, il faudrait ‘7 planètes Terre’, etc. » Il faudrait en quelque sorte choisir : ou la croissance de la consommation énergétique ou la protection de l’environnement.
 
Cette dichotomie est fausse, évidemment. La « terre entière » ne peut, ni ne veut être Las Vegas. Il n’est inscrit nulle part qu’il n’est de développement possible que sous la forme énergivore et parfois destructrice, adoptée dans bien des pays développés.
 
Mais ramenée au  cadre de l’Afrique contemporaine, ce choix imposé a de vagues intonations de chantage et de coercition.
 
Bon gré, mal gré l’Afrique devra accroître sa consommation énergétique pour répondre aux défis de la croissance économique et du développement. Tout comme elle en devra gérer les aspects environnementaux. Que des réponses soient apportées ou non à ces défis, l’Afrique devra répondre aux besoins énergétiques liés à sa croissance démographique et à son urbanisation. Elle aura, de la même façon, à développer des réponses innovantes quant à la gestion des déchets (urbains, industriels, médicaux, etc.) engendrés par celles-ci. Que les énergies renouvelables soient considérées ou non comme une priorité en Afrique, que l’idée d’une ceinture verte dans le Sahel soit concrétisée ou non, le fait est que le Sahara n’est pas près de disparaître.
 
On peut être asphyxié de plusieurs façons, par manque d’énergie ou parce que l’air est pollué. Opposer ainsi ces deux urgences (l’énergie et l’environnement) reviendrait à asphyxier l’Afrique : par manque d’imagination et de lucidité.
 
Depuis maintenant plus de deux ans, les analystes Terangaweb-l’Afrique des Idées contribuent à alimenter la réflexion sur les questions énergétiques et environnementales en Afrique, sous tous les angles. Qu’il s’agisse des besoins énergétiques du continent, de l’efficacité de la production[2] et de la consommation énergétique[3] ou  de l’état des infrastructures. Qu’il s’agisse des aspects économiques, politiques[4] ou même géopolitiques[5] de la question. Et cela en tachant de présenter la réalité et la complexité de la situation aussi clairement que possible. Nous avons également œuvré à présenter les réformes[6] en cours et proposé des solutions innovantes[7] et applicables[8] à cette problématique.
 
Ce faisant, nous avons aussi souvent que possible montré à quel point il serait vain de détacher le thème de l’énergie des autres problématiques du continent, et surtout de la question de l’environnement. Même si la déforestation, la pollution, la mise en danger de la faune et de la flore africaines et le changement climatique étaient reléguées au second rang des urgences en Afrique – ce n’est certainement pas la position de Terangaweb-l’Afrique des Idées[9] – le bon sens économique voudrait qu’au moins la question des énergies renouvelables soit abordée avec sérieux[10].
 
Energie et Environnement en AfriqueAujourd’hui, 13 Avril 2013 se tient à Paris un atelier-débat co-organisée par Terangaweb-l’Afrique des Idées et l’agence Global Careers sur le thème : "Energies en Afrique : lumières sur les défis du secteur et les opportunités de carrières" Ce sera l’occasion de présenter les réalités du secteur énergétique en Afrique, les défis qu’il pose et les opportunités qu'il ouvre. Cet évènement marque aussi la reconnaissance grandissante de l’intérêt que nous avons toujours porté à cette question et de l’expertise que nous avons sur ce thème.
 
C’est aussi avec beaucoup de plaisir que nous annonçons le lancement de la nouvelle rubrique « Energie & Environnement » de Terangaweb-l’Afrique des Idées.
 
Nous espérons ainsi consolider le travail réalisé jusqu’ici sur cette thématique et ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour un développement durable et inclusif en Afrique.
 
C’est une nouvelle aventure qui commence ! Nous espérons compter sur votre soutien !
 
 
Djamal Halawa, Véra Kempf, Stéphane Madou & Joël Té-Léssia
 
 
 
* Remerciements à Nacim K. Slimane et Amara Touré pour leurs contributions à la rédaction de ce document.
 


[1] Pour une présentation plus complète de la situation de ce pays, on pourra se reporter à cette étude détaillée de Jacques Leroueil http://terangaweb.com/zoom-sur-un-pays-guinee-equatoriale/
[3] Foly Anounou « La facture énergétique, un frein pour une bonne performance économique de l’Afrique ? » (À venir sur Terangaweb.com)
[5] Alioune Seck, L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis http://terangaweb.com/lafrique-nouvelle-arabie-des-etats-unis-2eme-partie/
[10] Nacim Kaid Slimane, L’avenir des énergies renouvelables se joue en Afrique http://terangaweb.com/lavenir-des-energies-renouvelables-se-joue-en-afrique/

La grande muraille verte du Sahel

muraille verteLe constat alarmant est bien connu : 43% des terres africaines se trouvent dans des zones arides ou semi-arides favorables à la désertification qui touche particulièrement la zone sahélienne. 11 Etats de cette région semi-désertique (Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Éthiopie, Érythrée et Djibouti) se sont associés en 2007 pour lancer l’Initiative Africaine – Grande Muraille Verte (IAGMV). S’agit-il seulement, comme peut le laisser supposer son appellation, d’une bande de verdure de 15 km de large sur les 7000 km reliant Dakar à Djibouti ? Bien que le projet vise au reboisement de plus de 15 millions d'hectares, l’approche est beaucoup plus subtile et ambitieuse, comme l’expliquait le professeur Abdoulaye Dia, secrétaire exécutif de l’Agence Panafricaine de la Muraille Verte basée à N’Djaména : « ce n’est pas un rideau d’arbre que nous devons sans cesse replanter […] l'objectif est plutôt d'atténuer les effets de la désertification par une approche de développement intégré. Ce qui signifie qu'en plus des plantes nous allons créer un ensemble d'activités agro-sylvo-pastorales génératrices de revenus. » L'approche devrait différer suivant les particularités géographiques : certaines terres totalement dénudées doivent être reboisées et des zones à protéger pour que le couvert végétal se conserve ou soit enrichi.

Pour mettre en oeuvre cette ambition, l’IAGMV adopte une approche globale et multisectorielle qui associe le savoir–faire local, les techniques développées par les populations pour faire face aux sécheresses récurrentes, avec les connaissances scientifiques les plus novatrices. Son action repose principalement sur l’identification et la promotion de pratiques de gestion durable des terres, le renforcement des services socio-économiques de base et l’autonomisation durable des populations rurales. Les espèces plantées dans une région doivent présenter un intérêt pour sa population et avoir les caractéristiques de résistance à la sécheresse. Plus de 200 espèces de plantes pouvant pousser dans des zones de 100 à 400 millimètres de pluviométrie ont été identifiées. L’IAGMV encourage l’agriculture familiale en opposition à l’agriculture intensive pour permettre aux populations leur autosuffisance alimentaire et des jardins polyvalents seront développés pour générer des revenus complémentaires et limiter ainsi l’exode rural.

Ce projet se veut l’exemple de l’émergence d’un leadership africain dans la prise en charge de ses défis environnementaux. Bien que la problématique de financement ne soit pas entièrement réglée et le coût exact difficile à estimer, timidement mais sûrement le projet de muraille verte au Sahel se matérialise. Une partie des financements doit être assurée par les Etats parties prenantes de l'initiative et le reste par leurs partenaires classiques. Deux ans seulement après la mise en place de l’Agence Panafricaine de la Muraille Verte (juin 2010), censée mettre en œuvre la GMV et coordonner l’ensemble des actions, aucun bilan d'étape n’a été rendu public. Néanmoins certains Etats sont plus avancés avec des grands chantiers déjà lancés. Au Sénégal plus de 20 000 hectares de terres sahéliennes ont été reboisées et au Tchad la ceinture verte autour de la capitale s’est considérablement élargie avec plusieurs milliers de pépinières mises en place pour alimenter des campagnes régulières de reboisement. 

A l'horizon 2025, la jeune pousse devrait avoir donné un arbre fleuri. L’IAGMV devrait avoir freiné l’avancée de la désertification et restauré les zones arides et semi-aride sahélo-sahariennes. A terme, elle ne devrait ni plus ni moins que transformer les étendues arides du Sahel en véritables ‘pôles ruraux de production et de développement durable’, où l’insécurité alimentaire et la pauvreté endémique ne seront que des lointains souvenirs. Les enjeux sont considérables et les exemples de projets ambitieux lancés dans ce cadre abondent. L'important est de persévérer dans cet effort et de maintenir haut les ambitions de ce projet panafricain. 

 

Djamal Halawa

Pour en savoir plus :

La Grande Muraille Verte. Capitalisation des recherches et valorisation des savoirs locaux, ed. IRD 2012            

Le projet majeur africain de la Grande Muraille Verte. Concepts et mise en œuvre, ed. IRD 2010

http://www.grandemurailleverte.org/

Taxi ? Taxi ! Retour sur une success story au Caire

Au Caire, impossible de les éviter. Khaled Khamissi en a même fait un livre intitulé « Taxi » paru en 2009, où il relate les conversations qu’il a eues avec les chauffeurs de taxi lors de ses déplacements quotidiens. Seulement voilà, à cause (entre autres) des quelques 50 000 taxis qui circulent dans le Grand Caire, l’atmosphère  était devenue irrespirable. L’Etat a alors lancé un ambitieux programme de remplacement de taxis, appuyé par les bailleurs de fonds. Retour sur les différentes phases du projet et premières conclusions.

En 2008, est lancé le Plan national de remplacement de Taxis en Egypte. La ville qui sera désignée pour le projet pilote est l’agglomération du Caire, où les véhicules de transport urbain sont responsables de près de 90% des émissions au monoxyde de carbone. Plusieurs bailleurs de fonds soutiennent alors le projet : la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, l’agence de développement japonaise JAICA , l’Union européenne, ainsi que des fonds du Golfe. Il était urgent d’agir : la pollution au Caire devenait maximale, le nombre de véhicules étant en constante augmentation et plus prosaïquement, la productivité des travailleurs était impactée négativement , avec des temps de transport atteignant souvent deux heures par jour.

La première phase du projet  a consisté à remplacer les taxis du Caire datant de plus de 20 ans par des véhicules neufs. Le parc de taxis est en effet ancien en Egypte, avec une ancienneté moyenne de 32 ans, et plus de 60% des véhicules qui ont plus de 22 ans. Les chauffeurs de taxi, sur la base du volontariat, ont pu acquérir un nouveau véhicule avec une réduction de 25% sur le prix habituel et bénéficier d’une subvention publique et d’exonération de taxes. Un microcrédit de 7000 € à un taux raisonnable (7%) était proposé pour convaincre les plus réticents. L’objectif affiché était de remplacer près de 45 000 taxis  sur une période de 28 ans.  L’opération a été un succès : en 2009, près de 16 000 nouveaux véhicules avaient été livrés, et les données parlent d’elles-mêmes : réduction de 57 000 tonnes de CO2 et 30% d’économies d’essence. Lors de la deuxième phase du projet, 30 000 véhicules vont être remplacés, pour répondre à une forte demande, stimulée par des conditions d’accès au crédit très incitatives.

Au-delà des impacts directs et visibles de tous comme la réduction de la pollution et l’amélioration du trafic,  le projet comporte également des impacts indirects significatifs sur le long terme. La population ciblée est non seulement les chauffeurs de taxi eux-mêmes, mais aussi et surtout leurs familles, et les propriétaires des taxis possédant des véhicules de plus de 20 ans d’âge, dont au moins la moitié sont des femmes.  Les estimations de la BAD faisaient état d’une hausse du revenu moyen de 40% à l’issue du projet  grâce aux économies d’essence réalisées , à l’usage de gaz naturel au lieu d’essence, et à la baisse des frais d’entretien du véhicule. Le projet visait également à créer des emplois grâce au recyclage des anciens véhicules par des filières locales, mais également grâce à la construction des nouveaux véhicules : embauche d’ouvriers sur les sites de montage automobile, chez les fournisseurs de pièces détachées et chez les garagistes .

Au niveau des financements, le coût total du projet se chiffre à 270 millions de dollars. La BAD a contribué à hauteur de 90 millions de dollars via un prêt, le reste étant financé par le gouvernement Egyptien. Les prêts aux propriétaires de taxi sont octroyés par la Banque Sociale Nasser, une banque publique égyptienne. La subvention versée par l’Etat (660 €) à chaque propriétaire participant au programme doit être impérativement utilisée comme acompte du prêt, et afin de dissuader emprunteurs de ne pas honorer leur dette, la banque reste propriétaire du véhicule jusqu’au remboursement complet du prêt.

S’il est encore tôt pour dresser un bilan définitif du projet, force est de constater que ce méga projet  a tenu ses promesses en termes de véhicules remplacés  et de réduction de la pollution urbaine. Il suffit de se promener dans les rues du Caire pour constater que la plupart des anciens taxis, noir et blanc, omniprésents il y 5 ans, sont désormais en minorité. Les passagers des taxis ont également gagné en tranquillité : les nouveaux taxis blancs sont tous équipés d’un compteur , qui s’il n’est pas trafiqué et que le chauffeur accepte de l’enclencher, évite de négocier le prix de la course à l’infini.

Evidemment, la pollution du Caire n’a pas disparu, alimentée par les millions de véhicules qui parcourent la ville quotidiennement. Mais un projet d’une telle ampleur montre qu’il est possible d’agir à grande échelle et durablement : le projet sera d’ailleurs dupliqué à Alexandrie, deuxième ville du pays, et d’autres pays arabes (Maroc, Yemen) ont fait part de leur intérêt vis-à-vis d’une initiative de ce genre. D’autres projets de ce type sont actuellement en cours en Egypte, comme le remplacement de la flotte des bus publics. Le président élu cette semaine, qui avait fait des embouteillages au Caire un de ces axes de campagne, devra honorer ses promesses.

 Leïla Morghad

L’environnement dans les relations Chine-Afrique

Alors que s’approche la date du 5ème Forum de Cooperation Chine Afrique, certaines questions essentielles des relations Chine-Afrique méritent d’être abordées, c’est le cas de l’environnement.

Développement et            environnement en Chine

Le développement fulgurant de la Chine depuis la fin des années 1970 est probablement le plus impressionnnant phénomène de rattrapage économique de l’histoire. De par beaucoup de caractéristiques, la Chine d’avant les années 1980 ressemble beaucoup à l’Afrique : une population très importante, et largement rurale, des économies locales très peu reliées entre elles et des climats allant de l’aride au tropical. Toutefois, tous ces éléments que beaucoup considéraient comme des contraintes n’ont pas empêché le pays de multiplier la taille de son économie par 10 en 25 ans et ainsi de tirer plusieurs centaines de millions de Chinois hors de la pauvreté. Il semblerait donc intuitif que les dirigeants africains puissent s’inspirer du modèle de développement chinois afin de sortir leurs propres populations de la pauvreté. D’ailleurs, la Chine invite diplomates et économistes de tout le continent pour des formations courtes et longues sur sa propre histoire.

Aujourd’hui, les investissements Chinois en Afrique tendent à reproduire et à inciter les mêmes trajectoires de développement que celles de la Chine. Ils accordent une place importante au développement des infrastructures et à l’industrie. Toutefois, cette méthode de développement, si elle possède des atouts indéniables, s’est aussi montrée très peu encline à prendre en compte les enjeux environnementaux qui surgissent à tout moment lors des projets. De fait, la Chine est aujourd’hui en proie à une tentative de rééquilibrage de ses politiques économiques et tente de ratttraper les erreurs du passé. La route sera longue : l’eau courante en Chine n’est pas potable, la plupart des rivières sont polluées aux métaux lourds et l’air est irrespirable dans la majorité des villes qui atteignent la taille moyenne. Les taux de cancer augmentent d’ailleurs très vite alors que l’espérance de vie diminue. Aussi, les populations se rebellent de plus en plus envers les gouvernements locaux et provinciaux qui dégradent l’environnement et donc la qualité de vie. On se souviendra de la construction du barrage des Trois-Gorges, pour lequel plusieurs millions d’habitants des provinces alentours furent déplacés. Les tensions sociales tendent à se cristalliser de plus en plus sur des sujets environnementaux.

Questions environnementales en Afrique     

L’Afrique, quant à elle, a beaucoup à perdre de la dégradation de son environnement. La diversité des espèces qui peuplent savanes et forêts, mais aussi les paysages sont en danger. Au-delà même de la valeur intrinsèque des paysages et de la biodiversité, la dégradation environnementale signifie aussi des pertes importantes au niveau du tourisme, qui représente souvent une part très (trop?) importante des budgets des pays africains. Aussi, la dégradation de l’environnement équivaut à une réduction de la qualité de vie des populations, et de leur santé, et à des pertes économiques très importantes. L'on estime que plus d’1% de croissance est perdu en Chine chaque année à cause de la pollution et de la dégradation environnementale…

Le discours que l’on entend bien souvent est que les questions environnementales appartiennnent aux pays riches. Pourtant, l’absence d’une politique environnementale de long terme à coûté très cher à de nombreux pays, qui souffrent désormais de leurs erreurs passées. Il s’agit donc pour les dirigeants africains de trouver un juste équilibre entre la promotion d’un développement économique accéléré et la préservation des écosystèmes.

Relations environnementales Chine-Afrique

Alors que la présence chinoise en Afrique se développe, les crises environnementales ont également suivi. Les entreprises chinoises ayant encore très peu d’expérience en dehors de la Chine, et une expérience acquise dans un contexte où la contestation sociale et environnementale était absente, ces dernières mettent du temps à appliquer les standards internationaux en matière de gouvernance environnementale. Toutefois, le gouvernement chinois, soucieux de son image au plan international, en a fait une priorité, et pousse les entreprises publiques et privées chinoises à instaurer des codes de conduite dans leurs opérations en Afrique. Ainsi EXIM Bank, une des banques chinoises investissant beaucoup en Afrique, a mis en place depuis 2007 une charte environnementale à respecter pour les entreprises y empruntant de l’argent pour les projets. On voit aussi apparaître des rapports de responsabilité sociale au sein des entreprises chinoises, incitées par le gouvernement chinois, les organisations internationales, les ONG et les gouvernements africains. Toutefois, il manque encore un suivi rigoureux des politiques environnementales et sociales des entreprises par une entité externe.

Un autre point de tension des relations environnementales Chine-Afrique se situe dans les comportements potentiellement dangereux de certains individus chinois en Afrique. On pense notamment aux réseaux de contrebande de corne de rhinocéros et autres espèces rares qui ont récemment été observés. Ces produits, difficiles à obtenir en Asie, sont très recherchés pour leurs vertus médicinales/magiques, et un laxisme à ce niveau pourrait avoir des conséquences très néfastes.

Au cours des dernières années, plus d’importance a été donnée à la coopération sur les questions environnementales entre l’Afrique et la Chine, notamment à travers le Forum pour la Coopération Chine Afrique (FOCCA), notamment après plusieurs crises médiatiques sur le plan environnemental. En 2009, la Chine s’est engagée à soutenir une centaine initiatives en rapport avec les énergies renouvelables. Néanmoins, la coopération reste encore limitée à des initiatives sectorielles, et le suivi des engagements pris par la Chine n’est pas très efficace, faute de coopération panafricaine. Alors que l’Afrique a beaucoup à apprendre de la Chine, le contraire est aussi vrai, notamment grâce à l’expérience en management des parcs naturels en Afrique, qui pourrait beaucoup bénéficier à la Chine, débutante sur ce plan. Il est donc dans l’intérêt de l’Afrique, pour protéger son environnement, et de la Chine, pour son image et pour apprendre de l’Afrique, de coopérer sur les questions environnementales.

Le prochain sommet du FOCCAC en juillet, ainsi que les conférences de Rio+20 et le dixième anniversaire du sommet de Johannesburg sur le développement durable sont autant d’opportunités de construire un partenariat solide. Espérons que les leaders africains et chinois sauront saisir la bonne occasion.

Babacar Seck

Source : African East Asian Affairs 71 : sustainability as a topic: preparing for FOCAC V