Les habits neufs de Youssou Ndour

« Moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes »
Le mariage de Figaro, Beaumarchais
 
La candidature de Youssou N'dour vedette internationalement reconnue de la chanson sénégalaise et homme d'affaires puissant et réputé, à l'élection présidentielle de février prochain dans son pays natal aurait pu prêter à sourire. C'est un phénomène assez connu. De nombreux capitaines d'industrie, sur le tard, ont souvent eu envie d'influer sur l'opinion publique. On se souvient de l'aventurisme hautement virevoltant de Jimmy Goldsmith, milliardaire franco-britannique qui racheta l'Express en France, créa le très éphémère « Now » en Angleterre et fonda le tout aussi éphémère Referendum Party au Royaume-Uni. Youssou N'dour réussit dans la chanson, il se lança ensuite dans la production audiovisuelle, puis dans l'humanitaire (paludisme et Sida), dans les médias par la suite (Future Médias) et enfin dans la politique. Parcours normal, a priori.
 
Tout Sénégalais après dix-huit ans rêve d'un visa, d'un titre universitaire et de la présidence de la République. Youssou N'dour a reçu tous les visas qu'il souhaitait et même plus, il veut maintenant être président de la République. Soit! Mais : il n'a pas fait d'études supérieures! Or il se trouve que les Sénégalais, moins que les Ghanéens mais certainement autant que les Portugais ou les Italiens souffrent d'une sorte d'obsession du papier! Le diplôme! Le diplôme! Ils continuent d'appeler Abdoulaye Wade, « maître »! La dernière fois qu'il a plaidé, Wade, Giscard était encore ministre! On imagine mal les Français élire « Maître » François Mitterrand ou chérir la mémoire de « Maître » Pierre Mendès-France! Au Sénégal ça passe…
 
Je m'étais promis de ne plus écrire sur le Sénégal : 1) ça n'a aucun impact réel dans ce pays et 2) hors antenne, je me fais chaque fois, très sévèrement, tancer par des « amis » plus ou moins proches. Je suis paresseux et très lâche. Alors, je me disais : pas de Sénégal.
 
Mais, mazette! La volée de bois vert que le bonhomme se prend depuis une semaine! « Comment a-t-il osé? » Le « guignol »! Le « plaisantin ». Le « fou »! 
 
Oui, la déclaration de candidature de N'dour est d'une franchise enfantine et son projet d'une naïveté grotesque quoique touchante : self-made man, il arrive avec l'expérience de celui qui sait s'entourer des bonnes personnes; il veut dégraisser le lion (réduire le train de vie de l'Etat); il compte amener le Sénégal à l'auto-suffisance alimentaire dès 2017 et – cerise – il veut rétablir la rigueur dans la gestion des affaires publiques… Rien sur la politique industrielle, rien sur la réforme électorale, rien sur la santé, rien sur l'emploi des jeunes, rien sur l'infrastructure, rien sur la politique fiscale ou monétaire. À part ça… c'est un assez bon programme…
 
Certes, pour qu'il présente sa candidature aux Sénégalais, son équipe de communication lui a fourni une paire de lunettes à monture épaisse (à la Thuram) qu'il ne quitte plus; ils lui ont fait perdre cinq kilos et ils lui ont infligé probablement des heures et des heures de cours de diction. C'est donc un Youssou neuf qu'on trimbale de plateaux-télés en émissions radiodiffusées. Ça fait machiné, artificiel. Il se trouve pourtant que les programmes des autres candidats déclarés à la présidentielle sénégalaise ne brillent guère plus par leur intelligibilité ou leur ambition. Mieux, l'adresse et l'intelligence avec lesquelles Youssou N'dour constitua son groupe de presse et développa sa carrière internationale témoignent d'une connaissance exceptionnelle de l'environnement politique et économique de son pays et d'une sagacité rare. L'enfant de la Médina s'est construit posément, patiemment et avec brio une stature de personnalité publique disponible, indifférente à l'argent public et possédant une sérieuse « conscience sociale ». à ce jour, aucun de ses adversaires potentiels, Abdoulaye Wade encore moins que les autres ne dispose d'un tel capital social. Ceci d'autant plus qu'une importante part de la jeunesse sénégalaise reste résolument insensible au fétichisme du diplôme, justement parce qu'elle n'en a pas. La cassure générationnelle est ici plus forte que jamais. Youssou N'dour peut très bien figurer au second tour de l'élection présidentielle sénégalaise. Et Face à Wade, l'emporter tout à fait.
 
Depuis trois générations au moins, le Sénégal est dirigé par des « intellectuels » avec la réussite qu'on connaît (à tel point que les seuls miracles « sénégalais » sont aujourd'hui sa relative « stabilité » et l'exode massif de ses citoyens…) Voici un homme doté d'un vrai sens des affaires, aussi à l'aise au contact des grands de ce monde que de l'homme de la rue, s'exprimant simplement et proposant une « alternative » crédible, limpide et intelligible à la grandiloquence impotente et corrompue d'Abdoulaye-2000-projets-farfelus-en-tête-Wade. Ajoutez à cela que la formidable bataille d'égos au sein de l'opposition sénégalaise l'a rendue incapable, jusqu'ici, et c'est un comble, de proposer ne serait-ce qu'un simili front commun face à Wade. En quoi ces gens-là sont nécessairement plus aptes à diriger le Sénégal que Youssou N'dour m'échappe totalement.
 
Je ne veux pas faire de peine à mes amis Sénégalais, mais si Arnold Schwarzenegger a pu être gouverneur de la Californie (400.000 km2, 37 millions d'habitants et un PIB de 2000 milliards de dollars), Youssou N'dour peut bel et bien diriger le Sénégal.

La candidature de Youssou N'dour peut être attaquée de mille façons, j'en ai indiqué quelques unes plus haut. N'empêche que les réponses qu'elle a suscité chez l'intelligentsia et une partie de la population de ce pays ne dit rien de bon. Ce qui est choquant et aberrant, c'est que l'indignation que sa candidature a soulevé dans certains quartiers de la population sénégalaise respire les séquelles coloniales : il n'est pas allé à l'école des "Blancs", comment peut-il oser vouloir diriger ce pays? L'intelligence avec laquelle il a bâti une carrière et fondé des entreprises florissantes s'efface soudain devant celle sanctionné par le crayon. À ce jeu-là, Malraux s'efface devant Frédéric Lefebvre…
 
C'est ce qui est rassurant néanmoins, avec le Sénégal : dans beaucoup de pays africains, à moins de quarante morts, on considère que l'élection s'est déroulée sans « incidents majeurs », à Dakar on s'écharpe sur la candidature d'un businessman-chanteur. N'est-ce pas merveilleux?
 
Je crois qu'on va bien se marrer en 2012.
 
Joël Té-Léssia

Interview avec la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France

Terangaweb : La FESSEF n’est pas qu’une simple association mais plutôt une fédération d’associations. Pouvez-vous nous présenter votre structure et le sens de votre démarche ?

B. DIALLO, A. TOURE: La FESSEF a été créée le 31 janvier 2009 à Lyon et constitue un regroupement d’associations d’étudiants et de stagiaires Sénégalais en France. La FESSEF s’appuie en effet sur un réseau d’une trentaine d’associations étudiantes sénégalaises sur l’étendue du territoire Français. Notre action est axée sur la promotion et la garantie de la défense des intérêts collectifs des étudiants auprès des organisations concernées.

Le sens de notre démarche se définit par la volonté de mettre en place une structure capable de prendre en charge l’ensemble des préoccupations et demandes des étudiants concernant leurs conditions de vie en France et leur insertion professionnelle. Cela se fait par la préparation de leur accueil, la mise en place d’un cadre favorable à une intégration rapide dans le tissu estudiantin et l’accompagnement pour un meilleur épanouissement académique. Notre approche est basée sur des analyses de situations, suivies de réflexions, avant propositions de solutions et voies d’améliorations. Nous essayons aussi de mutualiser de bonnes pratiques et des échanges d’idées sur des sujets et projets communs aux associations membres du réseau de la FESSEF.

Terangaweb : Quels sont vos principaux champs d’action ?

B. DIALLO, A. TOURE : Nos champs d’actions reposent sur les trois volets que reflètent les commissions suivantes :

La commission Vie Etudiante, chargée de recenser les besoins quotidiens des étudiants sénégalais à savoir le logement, l’intégration et l’insertion sociale. L’objectif est de mettre à la disposition des associations étudiantes locales les meilleurs outils d’informations et les solutions qui permettront de parer aux difficultés des étudiants.

La commission Insertion Professionnelle, qui met en place et développe des partenariats avec les structures publiques et privées qui s’occupent des questions de l’insertion professionnelle des étudiants. Cette commission travaille aussi sur un projet d’organisation de forum, de colloques et de conférences dont les thèmes sont axés sur l’insertion professionnelle.

La commission Partenariats, communication et relation avec les institutions, en charge des relations publiques de la FESSEF et de sa visibilité dans les réseaux d’étudiants. Elle travaille aussi à intéresser les différentes institutions (au niveau de la France et du Sénégal) aux activités de nos associations et à nos préoccupations.

Terangaweb : Beaucoup de jeunes lycéens font face à des difficultés d’accès à l’information en ce qui concerne les études supérieures en France. Quelles sont vos initiatives pour mieux les aider dans leurs démarches ?

B. DIALLO, A. TOURE : Notre principale réponse demeure la sensibilisation en amont. Campus France a créé une mission pour mettre l’accent sur l’importance des informations dont doivent disposer les lycéens qui voudront poursuivre leurs études en France. Mais cela devra être renforcé davantage, vu le manque considérable d’informations sur les orientations à prendre pour ces jeunes lycéens. 

A cet effet,  la FESSEF (associée à NJACCAAR Visionnaire et CRI) vient d’élaborer une plaquette comportant des informations concises sur les démarches à entreprendre auprès de Campus France et mettant aussi l’accent sur l’importance du choix de la filière. D’ailleurs, nous comptons faire une très large diffusion de cette plaquette auprès des lycéens sénégalais.

Nous sommes aussi en train de mener une campagne de sensibilisation sur les réalités de la vie étudiante en France. La situation des étudiants devient de plus en plus difficile avec certaines réglementations entrées en vigueur, notamment la circulaire du 31 mai 2011, « traitant des changements de statut-étudiant vers statutsalarié des diplômés de nationalité étrangère », et l’arrêté du 08 septembre 2011, « relatif à la hausse des ressources financières requises pour l’obtention d’un titre de séjour-étudiant ». 

Terangaweb : À ce propos, le cadre réglementaire concernant les étudiants étrangers en France s’est durci dernièrement avec les dispositions réglementaires que vous venez d’évoquer. Quelle est l’analyse que vous faites de cette situation ?

B. DIALLO, A. TOURE : La complication vient du fait que la France est en train de mener une politique pour faire face aux problèmes de l’emploi des jeunes. Cela se répercute par des mesures qui privilégient les jeunes diplômés « français » au détriment des étudiants étrangers.

Nous pensons qu’il est utile que les pays d’origine des étudiants étrangers mettent en place une politique incitative et davantage d’initiatives pour l’insertion professionnelle des jeunes diplômés à la sortie des écoles et universités françaises. Nous proposons concrètement à nos autorités de tutelle de créer une rencontre entre les diplômés, l’Etat, les partenaires privés et le Mouvement des entreprises du Sénégal (MDES), en collaboration avec la FESSEF en vue de l’organisation d’un forum. Cette rencontre permettra d’envisager des solutions aux difficultés de l’insertion en France. Nous allons essayer d’impliquer davantage l’Etat sur le défi de l’insertion et d’autres questions majeures  de cet ordre puisque la situation des étudiants étrangers en France devient de plus en plus compliquée. 

Par ailleurs, il revient encore à l’ordre du jour la question sur l’enjeu que comporte la cooptation de ses diplômés (pour le Sénégal), et par ricochet la limitation de la fuite des cerveaux. Des éléments qui méritent des pistes de réflexion dans la contribution au développement économique du pays. 

Terangaweb : En dépit des critiques qu’on peut avoir, cette circulaire met aussi les étudiants et jeunes professionnels africains de France en confrontation avec la  question du retour dans leur pays d’origine qui se caractérisent souvent par des difficultés d’insertion professionnelle et des situations politico-économiques instables. Quel est le regard que vous portez sur l’évolution politique et économique du Sénégal ? N’y a-t-il pas lieu d’encourager les étudiants à rentrer au Sénégal pour contribuer au développement de leur pays, et plus généralement à l’émergence de l’Afrique ?

B. DIALLO, A. TOURE : Le Sénégal est effectivement confronté à un phénomène de chômage massif des jeunes auquel l’Etat doit faire face et le fait d’envisager « ce retour au bercail » se heurte à une appréhension sur la réalité et la précarité de l’insertion professionnelle. A cela s’ajoute malheureusement un manque de visibilité sur une éventuelle politique d’incitation au retour mis en place par l’Etat pour les diplômés sénégalais expatriés. Notamment, Il faut plus de sensibilisation sur les créneaux en matière de création d’entreprise, d’offres d’emplois des entreprises multinationale ayant des filières au Sénégal et dans la sous-région, des possibilités que propose la fonction publique, le mouvement des entreprises du Sénégal, etc.…

Il ne faut pas non plus négliger l’existence, au Sénégal et dans la sous région, de très bonnes écoles qui proposent des formations de qualité en phase avec les réalités et besoins de l’Afrique en général, du Sénégal en particulier. La contribution à l’essor de notre pays ou de l’Afrique devrait donc tout aussi bien provenir de l’intérieur du continent.

Pour clore, nous dirons que : "Garder la conviction et l’esprit panafricaniste en tenant compte des réalités d’où l’on vient pourraient être la philosophie salvatrice de nos jeunes diplômés pour retourner s’investir au Sénégal et plus généralement en Afrique." 

Interview réalisée par Nicolas Simel

Interview avec Mouhamadou Lamine Yade, Professeur associé au CESAG

Ce mois ci, la rubrique Economie et Finances vous propose l’interview du Dr Mouhamadou Lamine YADE, professeur d’économie associé au CESAG. Il revient ici sur la situation économique plus ou moins confuse du Sénégal. Vous y trouverez également des explications concernant des termes que vous avez eu l’occasion d’entendre ces derniers temps, peut-être à tort qui sait…Cependant, vous serez les seuls aptes à en juger!

Terangaweb: Il y a quelques mois, avec les crises économiques et financières, les pays africains, dont le Sénégal, ont été durement touchés. Comment expliquer l’ampleur de ce phénomène dans nos pays?

M. Yade: Par rapport à la crise financière, les retombées négatives ne sont pas encore ressenties dans nos pays car ils ne réellement connectés aux places financières internationales. Ce sera probablement une bombe à retardement. La crise économique qui existe dans pays est due à notre incapacité à générer réellement de la richesse dans nos économies et une forte dépendance de l’extérieur.Objet Inconnu

Terangaweb: Durant cette même période, le taux d’inflation s’est aussi considérablement élevé…Quelles risquent d’être les conséquences sur le long terme pour le Sénégal?

M. Yade: Avec la flambée des prix du pétrole observée, amenant en quelque sorte une certaine inflation, il y aura à long terme deux conséquences majeures pour nos économies :

– Cela contribuera déjà à accentuer notre manque de compétitivité par rapport au reste du monde, car ne l’oublions pas : nous ne participons pratiquement pas au commerce mondial.

– Puis à réduire le pouvoir d’achat des ménages qui devient de plus en plus faible, et qui pourrait conduire à la baisse de la consommation : ce qui ralentirait fortement l’économie.

Terangaweb: Pouvez-vous nous décrire la relation entre inflation et récession ou d’autres crises susceptibles d’affecter l’économie d’un pays?

M. Yade: Il n’y a pas de relation entre inflation et récession mais la récession peut être issue d’une inflation soutenue et persistante dans une économie. Cependant, il faudrait regarder les autres grandeurs macroéconomiques telles que l’investissement, le chômage, etc.

Terangaweb: Depuis quelques temps, on entend parler de “dépassement budgétaire”, que signifie exactement cette expression?

M. Yade: Cela signifie que le budget qui a voté et dégagé par l’administration publique (ministère du budget) n’a pas suffi par rapport aux dépenses de l’Etat. Ce dernier étant obligé de faire fonctionner les différents secteurs de l’économie demandent souvent des rallongements budgétaires pour accomplir sa tâche au cours de l’année. Par contre de « déficit budgétaire » est calculé à la fin de l’année après avoir eu réellement connaissances des recettes obtenues par les administrations centrales de l’Etat.

Terangaweb: Pensez-vous qu’à ce stade et compte tenu des nombreux problèmes que traverse le pays, une dévaluation de la monnaie soit envisageable ? Ou au cas contraire, quelle situation pourrait conduire à une dévaluation ?

M. Yade: C’est une chose qui est envisageable car nous ne sommes pas compétitif et que l’un des buts de la dévaluation est d’améliorer cette compétitivité par les exportations. Mais, il faudrait que la consommation des produits locaux soit importante.

Terangaweb: Des structures comme l’APIX ont été crées pour “booster” l’activité économique. Quelles observations pouvez-vous faire concernant l’investissement au Sénégal ? Les chiffres avancés traduisent-ils la réalité ?

M. Yade: Elle n’a pas remplie totalement sa mission car en matière d’investissement, il faudrait qu’elle soit utile rentable dans le moyen et long terme. Cet investissement doit être dans les secteurs d’activité pouvant doper la productivité des entreprises, surtout des PME-PMI, réduire le chômage, améliorer le cadre de vie des agents économiques.

Par contre, les chiffres annoncés peuvent traduire la réalité mais compte tenu de la situation économique et des préoccupations des ménages, il est difficile de les faire avaler la nécessité de ces investissements qui sont très importants surtout en matière d’infrastructures, moteur d’un bon développement économique.

Terangaweb: L’Etat a retiré sa subvention sur le riz et le sac qui coutait environ 13 000 F Cfa vaut actuellement 25 000 F Cfa, soit une augmentation de près de 100%. Voilà déjà une conséquence sur le court terme, à quoi faudrait-il s’attendre sur le moyen voire long terme ? Que pourrait-il en être du gaz ?

M. Yade: Si dans le moyen terme le prix du riz sr le marché mondial ne baisse pas, il faudrait s’attendre à une hausse continue de ce produit car les importateurs ne vont jamais vendre à perte. Pour le gaz, tout dépendra de l’évolution du baril de pétrole mais ces jours ci avec la crise financière qui plombe les économies occidentales le baril du pétrole baisse. Peut être que les autorités vont le faire répercuter sur le prix au détail mais, à mon avis, c’est quelque chose qui n’est pas probable car l’Etat est à la quête de recettes et c’est un canal pour lui.

Terangaweb: On assiste également à l’émergence de structures de micro finance (ou Système de Financement Décentralisé). Quel peut être l’apport de ce genre de structure pour l’économie sénégalaise ?

M. Yade: C’est un outil très important et indispensable pour nos économies. C’est eux qui peuvent canaliser le maximum possible le secteur informel qui est d’un côté nuisible à l’économie, surtout en matière monétaire, financière et donc d’investissement. C’est un secteur où il ya énormément de capitaux thésaurisés ou qui sont investis dans des domaines non rentables.

Terangaweb: Et enfin, comment voyez-vous l’avenir de l’économie du Sénégal et quelles perspectives seraient, selon vous, à envisager pour sortir d’une situation que l’on pourrait qualifier de fragile ?

M. Yade: C’est un avenir assez sombre. Il faut une bonne gouvernance de nos économies, faire des politiques de jeunesse amenant à la création d’emploi, assainir les secteurs clé de l’économie (la santé, l’éducation, la recherche, l’agriculture, l’énergie et l’industrie), alléger considérablement les dépenses administratives, adopter une politique de rigueur en matière de justice (justice équitable), etc.

Propos recueillis par Mame Diarra Sourang

Violence politique au Sénégal : le malheur n’arrive pas qu’aux autres….


« Heureux les artisans de Paix, car ils seront appelés Fils de Dieu » Matthieu 5, 9.

En dépit de la vive émotion suscitée par les récents incidents du 22 décembre 2011 – au cours desquels une personne a été tuée et trois autres blessées – la violence politique ne constitue guère un phénomène nouveau au Sénégal. Certes son ampleur n’a jusque là pas atteint les proportions prises dans certains autres pays africains, mais celle-ci s’est quelquefois cristallisée en des événements majeurs que l’observateur d’aujourd’hui a tendance à méconnaître.

La première phase de la violence physique en politique au Sénégal est celle qui oppose, des indépendances à 1974, diverses tendances d’un parti unique au pouvoir : l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue Parti Socialiste (PS). Elle atteint son paroxysme avec l’assassinat le 3 février 1967 à Thiès de Demba Diop, député-maire de la ville de Mbour et président du groupe parlementaire de l’UPS à l’Assemblée Nationale. Dans un contexte de rivalité politique entre Ibou Kébé, ancien maire de la ville et son allié Jacques d’Erneville d’une part et d’autre part Demba Diop, ce dernier est sauvagement poignardé par Abdou N’Dakhafé Faye. A la suite du procès du 17 mars 1967, celui-ci est condamné à mort puis exécuté tandis que Ibou Kébé écopait de la réclusion perpétuelle et Jacques d’Erneville de 20 ans de travaux forcés.

A peine ce procès terminé que le 22 mars 1967, à l’occasion de la fête de l’Aid el Kébir, le président de la République Léopold Sédar Senghor est victime d’une tentative d’assassinat. A la sortie de la prière de la grande mosquée de Dakar, un certain Moustapha Lô pointe son arme sur le président. Lui aussi sera condamné à la peine capitale et exécuté. L’hypothèse, non prouvée juridiquement, d’un attentat commandité par le camp de Mamadou Dia qui avait été accusé de tentative de coup d’Etat en 1962, est alors évoquée.

Ces deux événements, relatés par Marcel Mendy dans un essai intitulé La violence politique au Sénégal[1], cristallisent une violence essentiellement circonscrite dans le cadre du parti unique.

Avec le pluripartisme limité adopté par Senghor en 1974 et surtout le multipartisme par Abdou Diouf en 1981, la violence politique devient en substance une arme de l’opposition incarnée par Abdoulaye Wade contre le parti au pouvoir. Face à un parti au pouvoir qui monopolise tous les rouages de l’Etat en dépit du libéralisme politique de façade, Abdoulaye Wade, alors leader charismatique de l’opposition, théorise et met en œuvre cette nouvelle violence politique. Lors du congrès du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) les 2 et 3 janvier 1988, il explique :

Je ne pose pas le problème en termes d’alternative pacifique ou non pacifique. Quand il faut faire une révolution, il faut la faire. Si en 1789, les Français s’étaient dit qu’il ne faut pas faire la révolution (…) « Attendons que le roi veuille réformer sa royauté pour arriver à la République » (…) on aurait attendu deux cents ans. Il y a des réformes à faire. Si le pays veut l’alternance, il faut que l’alternance soit faite quels que soient les prix et les moyens.[2]  

Les élections du 28 février 1988 sont alors émaillées d’émeutes sanglantes à la suite desquelles prés de 300 personnes sont arrêtées et jugées. Les leaders du PDS, au premier chef Abdoulaye Wade et Ousmane Ngom, sont alors identifiés comme commanditaires par la justice et condamnés à des peines de prison.

L’événement qui reste cependant dans les mémoires comme le symbole par excellence de la violence politique au Sénégal reste l’assassinat de Me Babacar Sèye, vice président du conseil constitutionnel, le 15 mai 1993. Ce meurtre politique est commis à la suite des élections législatives du 9 mai. Au cours de l’enquête, les assassins, Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté et Assane Diop ont clairement désigné Abdoulaye Wade, son épouse Viviane et son conseiller financier Samuel Sarr, ainsi qu’Ousmane Ngom et Abdoulaye Faye, comme les commanditaires de ce meurtre scabreux. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar a toutefois estimé le 26 mai 1994, sans doute à la suite d’un arrangement politique entre Wade et Abdou Diouf, qu’il n’y avait pas lieu de les poursuivre. Outre les aveux des meurtriers, la responsabilité d’Abdoulaye Wade est d’autant plus probable au regard de son attitude une fois devenu président de la république. Il a en effet accordé aux assassins de Me Sèye la grâce présidentielle le 22 janvier 2002 et fait adopté le 7 janvier 2005 la loi dite Ezzan. Celle-ci établit l'amnistie de toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises en relation avec des élections sur la période allant du 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004. Sur ce sujet, l’ouvrage du journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly, intitulé Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée ?[3], est édifiant.

Enfin, avec l’alternance politique intervenue en l’an 2000, la violence politique franchit un nouveau cap : elle devient celle d’un parti qui continue à cultiver en interne la culture de la violence comme mode de règlement politique entre différentes tendances politiques, tout en en faisant une arme prisée non seulement contre les opposants politiques mais aussi les responsables de la société civile. En ce qui concerne l’espace public sénégalais, le caractère novateur de cette violence politique est qu’elle va de pair avec une absence de justice effarante. Sous les présidents Senghor et Diouf, les phénomènes de violence faisaient l’objet d’enquêtes sérieuses, de procès équitables et d’une exécution des peines prononcées. Sous Wade, on accorde la grâce présidentielle aux meurtriers, adopte des lois d’amnistie et assure aux nervis et commanditaires en lieu et place de séjour carcéral des traitements princiers. Avec l’agression contre Talla Sylla le 5 octobre 2003, le saccage des locaux de groupes de presse comme 24h Chrono, l’AS ou encore Walfadjiri, les menaces de mort en novembre 2003 contre le clergé épiscopal sénégalais, le passage à tabac d’Alioune Tine, président de la Raddho, jusqu’aux dernières intimidations contre les leaders de l’opposition en vue des prochaines élections présidentielles, le tout par des nervis clairement identifiés comme proches du parti au pouvoir, ce n’est pas tant la violence politique en elle-même qui est choquante que l’impunité et la promotion toujours sidérantes dont bénéficient ses commanditaires.

Dans sa préface à l’essai La violence politique au Sénégal, Abbé Bernard Ndiaye, prêtre et écrivain, mettait en lumière cette problématique :

« Il est écrit que l’Etat doit garantir aussi la sécurité des personnes et de leurs biens, garantir aussi la liberté de pensée, de parole, d’association, etc. si l’on veut éviter la dictature et le type de société liberticide. Soit. Mais comment peut-il assumer cette fonction éminemment régalienne s’il exerce un pouvoir prédateur, s’il s’est échafaudé un appareil répressif implacable contre d’honnêtes citoyens qui n’accomplissent que leur devoir en osant stigmatiser ses dérives, ses exactions, et ses crimes ? Le laxisme, la corruption  et l’injustice ahurissante sont la mère de la violence. Ce sont eux qui créent les frustrations, la colère, la haine, le désir de vengeance ou de « faire sa propre justice »[4]

Avec Abdoulaye Wade, le pacte par lequel les citoyens renoncent à se faire leur propre justice pour la confier à l’Etat est en train d’être rompu. On en revient à un état de nature du fait d’un président qui rêve d’obtenir un prix Nobel de la paix mais qui restera sans doute dans l’histoire comme celui par lequel la violence politique a dépassé le seuil de tolérance au Sénégal.

A moins de deux mois des élections présidentielles, jamais le risque de chaos n’a été aussi proche. Il est temps que les Sénégalais aient conscience que le malheur n’arrive pas qu’aux autres.

 Nicolas Simel


[1]  Marcel Mendy, La violence politique au Sénégal, de 1960 à 2003, Editions Tabala, 2006

[2] Entretien avec Abdoulaye Ndiaga Sylla et Ibrahima Fall, in Sud Hebdo n3, 13 janvier 1988, Propos ropportés par Marcel Mendy dans son essai, page 126

[3] Abdou Latif Coulibaly, Wade, un opposant au pouvoir – l’alternance piégée ?, Dakar, Editions Sentinelles, 2003

[4]Abbé Bernard Ndiaye, dans sa préface à l’essai La violence politique au Sénégal (2006), page 12

 

 

Sénégal : une configuration politique inédite à 3 mois des élections présidentielles

Avec son objectif de rempiler un nouveau mandat présidentiel contre les dispositions de la Constitution, Abdoulaye Wade a paradoxalement trouvé deux alliés de taille : Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti Socialiste (PS) et Moustapha Niasse, secrétaire général de l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), les deux principaux partis de l’opposition.

L’inimitié que se vouent Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse obstrue tous les efforts de l’opposition et l’empêche sérieusement de faire front commun contre Abdoulaye Wade. Cette animosité mutuelle ne cède en effet à aucun intérêt supposé supérieur de la nation. L’incapacité de la coalition des partis d’opposition Benno Siggil Senegal de trouver un candidat unique – Niasse et Tanor ayant tous deux fini par se porter candidat – est la preuve que ces deux leaders ne sont capables d’aucun esprit de dépassement au moment où les populations souffrent plus que jamais du régime d’Abdoulaye Wade. Il y a trois  semaines, à la sortie du Conseil des ministres, le président Wade a même conseillé à Tanor et à Niasse de faire de lui le candidat de l’opposition pour les élections présidentielles du 26 février 2012! Sacré toupet ! Pourtant, à y regarder de plus près, les trois hommes ont plusieurs points communs.

Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse : le même échec

D’abord, Tanor et Niasse hier, tout comme Abdoulaye Wade aujourd’hui, ont pris part à l’exercice du pouvoir sans succès particulier, pour ne pas dire avec un échec retentissant. Ensuite, ils partagent une même logique de gestion de leur parti politique, conçu comme un appareil privé au service de son principal bailleur de fonds. Enfin, ils n’incarnent plus, si tant est qu’ils l’eussent fait par le passé, le désir d’avenir de la jeunesse sénégalaise. Il existe aujourd’hui, plus qu’un besoin d’alternance politique, un besoin d’alternance générationnelle qui ne saurait tolérer qu’un vieillard de 90 ans soit remplacé par un compère sexagénaire.

Sénégal : un besoin de projection vers l’avenir et de leadership

En effet, qu’attend le Sénégal de sa prochaine élection présidentielle si ce n’est que le vainqueur possède tout au moins deux dispositions fondamentales : la capacité à incarner le désir d’avenir de la jeunesse et le sens du leadership ?

S’il y a une chose qu’on retiendra de l’année 2011, c’est sans doute le refus des peuples de confier la marche de leurs nations à des élites complètement déconnectées de leurs réalités sociales et économiques. Les révolutions du Jasmin et du Nil, la chute du colonel Kadhafi, et même le mouvement des Indignés qui n’a pas fini de secouer l’Europe et les Etats-Unis, participent de cette tectonique ambiante qui fera de plus en plus trembler tous les pouvoirs. Le Sénégal n’y échappera pas tant que sa classe politique ne se sera pas renouvelée pour être davantage en phase avec les aspirations des populations. Dans cette perspective, l’âge sera un facteur discriminant qui devrait écarter Abdoulaye Wade (85 ans officiellement, mais en réalité plutôt 90 ans), Moustapha Niasse (72 ans) et Ousmane Tanor Dieng (64 ans) pour mettre en avant des candidats comme Idrissa Seck, Macky Sall ou encore Cheikh Bamba Dièye.

Etre apte à incarner les aspirations d’un peuple n’est cependant que d’un piètre intérêt si cela ne s’accompagne pas d’une disposition particulière à ouvrir des voies prometteuses et à amener le pays tout entier à les emprunter. On notera d’ailleurs que les solutions économiques pour placer le Sénégal sur la voie du développement sont largement connues. L’enjeu réside plutôt dans l’aptitude à les mettre en œuvre de façon efficace.  Pour cela, il faudra aussi que le prochain président sache rassembler bien au-delà de son camp politique et mobiliser différents talents, y compris ceux issus de la diaspora.

Sur ce point également, Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse ont jusque là fait preuve de sectarisme et d’absence de dépassement dans leur gestion du pouvoir au niveau étatique pour le premier et au sein de l’opposition pour les deux autres.

A contrario, Idrissa Seck et Macky Sall ont envoyé des signaux intéressants au cours des derniers mois. Par exemple, en sortant du cadre stricto sensu de son parti pour nommer Léna Sène directrice de sa campagne, Idrissa Seck envoie un double message qui rencontre un écho non négligeable chez bon nombre de Sénégalais. En confiant la coordination de sa campagne à cette diplômé d’Harvard, Idrissa Seck entend valoriser les qualités intellectuelles de l’une des Sénégalaises les plus brillantes de sa génération, là où au PDS on fait la promotion de bouffons comme Farba Senghor et on compte sur des lutteurs corrompus à coup de millions pour mobiliser l’électorat wadiste. En réussissant à convaincre Léna Sène de se plonger dans l’arène politique sénégalaise, Idrissa Seck envoie aussi un signal fort à la diaspora à laquelle il entend redonner le goût d’une implication plus forte dans le développement économique du Sénégal. En ces temps où la France renvoie les diplômés étrangers de ses meilleures écoles et universités, de plus en plus de jeunes Sénégalais de la diaspora devraient être sensibles à ce message.

Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Macky Sall dans le même panier : une vraie confusion

Hélas, Idrissa Seck et Macky Sall font encore auprès de beaucoup de sénégalais les frais de leur compagnonnage avec Abdoulaye Wade. C’est cependant une erreur majeure que de penser que le choix à l’élection présidentiel de février 2012 devra se faire entre le camp libéral au pouvoir depuis 2000 dans lequel on range Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Macky Sall d’une part et d’autre part le camp de l’opposition traditionnel avec notamment Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse. Idrissa Seck et Macky Sall, quand bien même ils sont issus des rangs du pouvoir libéral actuellement en place, incarnent une projection vers l’avenir et une aptitude à mener résolument le Sénégal sur le chemin du développement. Cette conclusion confirme par ailleurs l’échec sidérant des partis traditionnels, comme le Parti Socialiste (PS), le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), à faire émerger en leurs seins de futurs leaders pour le Sénégal.

L’élection présidentielle de février 2012, qui soulève aujourd’hui beaucoup de zones d’ombres, sera vraisemblablement inédite dans l’histoire politique du Sénégal. Elle devrait réunir un Président sortant de 90 ans candidat contre les dispositions de la Constitution, deux de ses anciens Premiers Ministres, une opposition traditionnelle sans leader et probablement le sénégalais en vie le plus connu dans le monde, l’artiste et homme d’affaires Youssou Ndour. Et cette compétition inédite risque de s’effectuer sous l’épée de Damoclès de Dame violence. Les prochains mois de la démocratie sénégalaise sont plus qu’incertains.

 Nicolas Simel

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Idrissa Seck, prétendant à la présidence de la République du Sénégal

Dès la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en 1974, le jeune Idrissa Seck, alors âgé de 15 ans, devient militant aux côtés d’Abdoulaye Wade. Le jeune Seck gravit rapidement les échelons et devient le directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade lors des élections présidentielles de février 1988. Il sera d’ailleurs emprisonné à la maison d’arrêt de Reubeus au lendemain de ces élections émaillées de violences. Alors que plusieurs poids lourds du PDS (Ngom, Dias, Serigne Diop) quittent le parti dans les années 90, Seck en devient le seul vrai numéro deux derrière l’inusable Wade. A la faveur d’un accord consacrant l’entrée du PDS dans un gouvernement élargi, « Idy » -comme l’appellent ses compatriotes- devient Ministre du Commerce et de l’Industrialisation en mars 1995. Il quittera son poste en mars 1998, préparant le terrain pour une nouvelle candidature d’Abdoulaye Wade en vue des Présidentielles de 2000.

L’Homme de l’ombre (1999-2002) :

Alors que l’opposant Wade décide de s’offrir une préretraite en France après plus de 25 ans d’opposition, Idrissa Seck le convainc de (re)venir livrer un dernier combat politique. En effet, encouragé par les nombreuses fissures de l’édifice socialiste (défections de Moustapha Niasse et Djibo Kâ notamment) Idy est persuadé que l’heure du PDS et de son leader Wade est arrivée. Endossant le rôle de directeur de campagne pour son « père » comme il aime à appeler Wade , Seck initie avec son mentor les fameuses marches bleues lors de la campagne de 2000. Avec l’élection de Wade au second tour face au sortant Diouf, de nombreux observateurs s’attendaient à une entrée remarquée d’Idrissa Seck dans le premier gouvernement de l’alternance. Cependant, désireux de couver son bras droit, le Président Wade le garde à ses côtés en le nommant au poste peu médiatisé de directeur de cabinet. Cantonné au Palais Présidentiel mais bénéficiant également d’un portefeuille de ministre d’Etat (ce qui confère à son titulaire la capacité de traiter directement avec le Président de la République), Idrissa Seck n’en est pas moins un des poids lourds du régime. Il favorise l’ascension de jeunes cadres du PDS comme Macky Sall ou Awa Gueye Kébé et voit se succéder deux premiers ministres en à peine deux ans d’alternance, à savoir Moustapha Niasse dont les voix avaient été décisives dans la victoire de Wade en 2000 et Mame Madior Boye, la première femme à occuper le poste de Premier Ministre au Sénégal.

De Premier Ministre à Premier Ennemi (2002-2007) :

Alors que Wade fait le vide autour de lui en écartant ses alliés de 2000, Seck devient tout naturellement le candidat désigné à la primature. Sa nomination à ce poste a lieu en Novembre 2002. En succedant à Mame Madior Boye, le Premier Ministre Idrissa Seck se positionne clairement en numéro deux de l’Etat et en potentiel successeur de Wade. Alors que ses ambitions politiques grandissent au fur à mesure qu’il s’installe dans son rôle, Seck est débarqué de son poste de premier ministre par Wade en Avril 2004, soit un an et demi après son arrivée à la primature. Fier de son bilan notamment en ce qui concerne les grabs de convergence et les infrastructures, Idrissa Seck se retire dans sa ville de Thies (il en est le maire) dont il avait piloté la rénovation en vue des festivités de l’Indépendance.

Ces travaux publics seront à l’origine de sa mise en accusation par l’Etat en Juillet 2005. Idrissa Seck est alors officiellement poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » puis pour corruption et malversations financières dans l’affaire des « chantiers de Thiès » et la gestion des fonds politiques. Plongé dans la tourmente, Seck est exclu du PDS en août 2005 et passera un peu plus de 6 mois en prison, toujours à la maison d’arrêt de Reubeus. En janvier puis en février 2006, Idrissa Seck bénéficie tour à tour d’un non-lieu pour le délit d’atteinte à la sureté de l’Etat puis d’un autre pour la gestion des fonds secrets. Libéré dans la foulée de ces décisions, Idrissa Seck annonce , le 4 avril 2006, sa candidature pour la présidentielle de 2007. « Idy » crée ensuite son propre parti « Rewmi » (« le Pays » en Wolof) en Septembre 2006. Il se lance dans la course à la présidentielle tout en annonçant que son compagnonnage avec Wade est désormais derrière lui.

Idrissa Seck arrive second de l’élection présidentielle, remportée haut la main par le sortant Abdoulaye Wade (55% au 1er tour). Plusieurs analystes politiques estiment cependant qu’Idrissa Seck, qui se dit convaincu d’être le « 4eme Président de la République du Sénégal », a laissé passer sa chance avec cette élection, notamment à cause de ses retrouvailles à la veille des élections avec le président Wade. En effet, Wade accorde trois audiences à Seck en fin Janvier 2007, moins d’un mois avant le 1er tour de la présidentielle. Au sortir d’une de ces audiences, Abdoulaye Wade annonce qu’ « Idrissa Seck a accepté de réintégrer le Parti Démocratique Sénégalais ». Seck confirmera cette information le 1er Février 2007 tout en annonçant son intention de maintenir sa candidature pour la présidentielle.

Retrouvailles, tensions et ambitions présidentielles (2007-2011) :

Le jeu des tensions/retrouvailles ne s’arrête pas puisque le président Wade, fort de sa réélection, annonce en mars 2007 la réouverture des dossiers de corruption contre quelques leaders de l’opposition, en tête desquels se trouve Idrissa Seck. Cela n’empêchera pas Idy de féliciter le candidat victorieux Wade, dans une posture jugée à mi-chemin entre celle d’homme d’Etat et celle d’homme politique sous pression, notamment à cause des poursuites judiciaires dont il est l’objet. D’abord accusé par Wade d’avoir détourné 40 Milliards de FCFA (un peu plus de 60 millions d’euros), Seck se réconcilie avec son mentor en janvier 2009, malgré la forte opposition de plusieurs membres du PDS et la Génération du Concret, mouvement formé autour de Karim Wade.

Après une nouvelle victoire aux municipales de Thiès en mars 2009, Seck est totalement blanchi par la justice sénégalaise en mai 2009 à la faveur d’un « non lieu total » dixit ses avocats. Il dissout ensuite son parti Rewmi et réintègre officiellement le PDS, ce qui provoquera quelques levés de boucliers au sein de ses partisans rewmistes. Un temps pressenti pour redevenir premier ministre, voire vice-président (un poste dont il a été question de créer constitutionnellement avant que le projet soit abandonné), Idrissa Seck se contente d’être un membre du comité directeur du PDS, l’instance regroupant tous les poids lourds du parti au pouvoir. N’ayant pas délaissé son ambition de devenir le prochain Président de la République , Idrissa Seck change de stratégie par rapport à 2007 et tente de se présenter en tant que candidat du PDS, « sa famille naturelle » comme il aime à le rappeler.

Barré par Wade qui a annoncé sa candidature des 2009, mais aussi par de nombreux cadres du PDS qui ne souhaitent pas son retour aux affaires, Seck se radicalise et engage un débat interne sur la recevabilité de la candidature du « pape du Sopi » c’est-à-dire d’Abdoulaye Wade. Après plusieurs mois de joutes verbales par presse interposée, Seck et ses adversaires au sein du PDS finissent par solder leurs comptes lors d’un comité directeur où l’exclusion définitive d’Idrissa Seck est votée. Confirmée en avril 2011, l’exclusion d’Idrissa Seck du parti au pouvoir l’a poussé à annoncer sa candidature pour l’élection présidentielle de 2012. Si la candidature d’Abdoulaye Wade est validée par le Conseil Constitutionnel, Idrissa Seck fera donc à nouveau face à son « père » lors d’une élection présidentielle.

Idrissa Seck en 2012

Points forts : Une figure connue des Sénégalais, une grande expérience politique malgré sa relative jeunesse (53 ans), un bastion électoral d’envergure (la ville de Thies), une bonne image à l’international, un bon communicant, une frange du PDS lui est encore acquise.

Points faibles : Ses multiples allers-retours auprès du Président Wade, la suspicion populaire sur ses moyens de campagne et l’argent des fonds politiques, la grogne de ses administrés thiessois, son non-positionnement dans un des deux grands blocs (Benno Siggil Sénégal (Opposition) et PDS/AST (Pouvoir), son statut d’ancien du PDS à l’heure où le parti au pouvoir est en perte de vitesse.

Affinités politiques et alliances probables : Idrissa Seck est un libéral : il l’a toujours dit et répété. Même du temps de son grand froid avec Wade, il n’était pas réellement l’allié des opposants phares que sont le PS, l’AFP, le FSD/BJ. Sa tentative avortée de retour au PDS montre bien qu’Idrissa Seck se méfie de l’opposition comme celle-ci se méfie de lui. Il pourrait cependant retrouver dans celle-ci son ancien camarade de parti Macky Sall, lui aussi ancien premier ministre PDS déchu. D’autres personnages comme Cheikh Tidiane Gadio (Ministre des Affaires Etrangères de 2000 à 2009) et Aminata Tall (ancienne responsable nationale des femmes du PDS et Secrétaire générale de la Présidence) pourraient venir gonfler cette alliance. Plus récemment le nom d’Ibrahima Fall, ancien Ministre socialiste et haut fonctionnaire des Nations-Unies, lui aussi candidat en 2012, a été évoqué en vue d’une probable alliance avec Seck. Enfin, l’hypothèse d’un nouveau retour au PDS n’est pas à exclure, notamment si la candidature de Wade est invalide, comme Seck l’affirme.

Article de notre partenaire Njaccar

Tous droits réservés. Ce dossier ainsi que l’ensemble des dossiers de la série « Qui voter en 2012 » sont l’exclusive propriété de l’Association Njaccaar VisionnaireAfricain. La reproduction et la diffusion sont permises à condition d’en citer expressément la source. La Cellule Economique et Politique de Njàccaar VisionnaireAfricain vous remercie. A bientôt pour un nouveau dossier « Qui voter en 2012 ? ».

Anticipons-nous l’émergence de l’Afrique?

En relisant le Hors-série L’état de l’Afrique 2011 publié par le magazine Jeune Afrique, une question qui me taraude l’esprit depuis quelque temps refit surface: nous, jeunes étudiants africains en France, au Afrique ou ailleurs, anticipons-nous suffisamment l’émergence (surtout économique) de l’Afrique dans les années à venir? Est-ce que notre projet professionnel est en adéquation avec les besoins dans les moyen et long termes du continent africain et/ou de nos pays respectifs ? Deux raisons principales guident mon interrogation à ce propos.

Comme on peut le constater dans le magazine, les grandes multinationales ont bien compris l’adage selon lequel « c’est en temps de paix qu’on prépare la guerre ». Cela se manifeste par leurs grands investissements dans presque tous les pans de l’économie africaine. De la grande distribution avec l’acquisition récente du sud-africain Massmart par le géant américain Wallmart, dans le BTP avec le français Eiffage au Sénégal, dans les mines avec l’australien BHP- Billiton en Guinée et dernièrement au Gabon, en passant dans l’alimentaire avec Nestlé, Danone et Coca-Cola pour terminer dans la finance avec l’implantation future de la banque américaine JP Morgan au Ghana.

On constate ainsi que le savoir-faire africain, à quelques exceptions près, manque largement à l’appel de la construction de notre continent même s’il est évident que le renforcement de ces multinationales a aussi un petit côté positif avec la création d’emplois locaux sous la tutelle éventuelle de managers occidentaux expatriés.

La deuxième raison est l’apparition progressive d’«une nouvelle classe moyenne» en Afrique avec certes une certaine disparité mais suffisante à y attirer beaucoup d’IDE (Investissements Directs Etrangers). Selon le magazine, «cette catégorie considérée comme solvable a dépensé plus de 400 milliards de dollars l’an passé et ce montant sera multiplié par six en 2030». Au vu de cette évolution, l’on ne peut que se réjouir des perspectives de notre continent.

Aux étudiants africains de tout horizon, dans les universités et à ceux qui sont dans « les Grandes Ecoles » en France, je dirai: ne tombons point dans le piège du « j’ai réussi à intégrer telle école ou telle formation et ça me suffit…. » Je paraphraserai Jacques Séguéla en disant : si à cinquante ans, on se targue juste d’avoir fait une bonne université ou une grande école, quelle qu’elle soit, cela veut dire qu’on a raté sa vie!

A ce jour, le plus important pour un jeune étudiant africain est de savoir comment être utile à son pays tout en l’étant pour lui-même. Cela peut passer par un retour au bercail mais pas forcément car un sénégalais d’Oulang-Bator par exemple peut être mieux au fait de l’actualité sénégalaise qu’un dakarois! Notre continent a besoin de jeunes innovateurs et d’entrepreneurs, de futurs Mark Zuckerberg (chaque minute que nous passons sur son réseau social le rend encore plus riche) et Steve Jobs africains pour remplacer nos Balla Gaye 2 et Modou Lo (actuels gladiateurs stars de la lutte sénégalaise). Et cela est possible aujourd’hui ou demain à la condition sine qua non que le sens de l’entreprenariat, de la prise d’initiative et surtout celui de l’anticipation économique soient imbus en chacun de nous. L’avantage de notre continent et de nos pays respectifs est justement que tout ou presque y est à (re)faire!

Et cela passe par une vraie prise de conscience de cette réalité par les fils de l’Afrique!

Moustapha Sène, ancien Président de l'Association des Etdutiants Sénégalais des Grandes Ecoles

Crise casamançaise au Sénégal: comment gagner définitivement la paix

Le 26 décembre 1982 l’Etat sénégalais commettait l’irréparable en réprimant sévèrement la première manifestation indépendantiste à l’appel du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance). Depuis, une partie de la population issue de la Casamance est entrée en rébellion, faisant ainsi du conflit casamançais un des plus longs d’Afrique contemporaine. Dans la mesure où toute autorité est contestable, il va sans dire que l’idée d’une rébellion casamançaise reste à priori envisageable puisqu’un rebelle n’est en rien un scélérat mais celui qui s’oppose et qui remet en cause une autorité. Dès lors, il convient de s’intéresser aux causes du conflit avant de dresser le bilan des 28 années de cette drôle de guerre pour enfin esquisser les solutions susceptibles d’aboutir à une paix des braves.

Le conflit casamançais, à l’image de tous les irrédentismes africains, n’échappe pas à l’approche déterministe qui fait la part belle à l’économie et à l’ethnicité. En effet, les grilles de lecture dominantes privilégient trois hypothèses. La première est celle ethnico-religieuse qui tente d’opposer des musulmans du nord à des chrétiens Joola du sud. Cette hypothèse semble de plus en plus invalidée puisque 86% des casamançais sont musulmans et que la principale zone pourvoyeuse de rebelles (le Blouf) est musulmane. Par ailleurs, bien que le noyau dur de la rébellion soit joola la rébellion a aussi ses Peulhs, ses Malinkés, ses Manding, ses Manjak…La seconde hypothèse socio-économique souligne l’inégal développement de la Casamance par rapport aux régions du nord du pays. Cette théorie de l’inégal développement entre un centre et sa périphérie reflète une réalité indéniable : la concentration des investissements dans le secteur Dakar-Thiès. Cependant, cela n’explique pas pourquoi la rébellion a éclaté dans la partie la plus riche et la plus développée de la Casamance et non pas en Haute Casamance bien plus pauvre et bien plus déshéritée. La troisième hypothèse purement politique met en évidence des « entrepreneurs politiques » qui instrumentalisent un discours nationaliste et populiste.

Par ailleurs, beaucoup d’eau a coulé sous le pont Emile Badiane de Ziguinchor depuis la marche réprimée de 1982. Sol d’opposition du conflit, la Casamance paie au prix fort cette drôle de guerre avec environ 5000 morts, d’innombrables déplacés, le tout dans une région économiquement exsangue. De plus, la présence d’acteurs protéiformes – ONG, MFDC, Etats (Sénégal, Gambie, Guinée Bissau) et narcotrafiquants – confère à la crise casamançaise une dimension sous-régionale, voire internationale. Cette complexification croissante du conflit a manifestement abouti à son enlisement mais surtout à son singulier paradoxe. En effet, s’il est quasiment certain que le MFDC a perdu la guerre, l’Etat sénégalais n’a pas pour autant gagné la paix. Guérilla acéphale, matériellement affaiblie et populairement désavouée, le MFDC n’a atteint aucun de ses objectifs. Quant au blocage du processus de paix, il est imputable au seul Etat sénégalais qui fait preuve, par son refus d’entamer de véritables négociations avec le mouvement indépendantiste, d’un indéniable autisme politique. Il semble que les autorités compétentes en charge du dossier aient privilégié la « stratégie du pourrissement de l’intérieur ». Cependant, ce choix s’avère irresponsable en témoigne la reprise des combats en 2009 ; combats durant lesquelles quelques centaines de maquisards ont pu tenir tête aux forces gouvernementales.

Par conséquent, les acteurs directs ou indirects de la crise s’accordent sur quelques points afin de conclure une paix des braves :

1- Renforcer les moyens militaires de l’armée régulière

2- Permettre aux cadres casamançais de mettre sur pied les Assises du MFDC afin que ce dernier ne puisse parler que d’une seule et même voix

3- Associer les autochtones (jeunes surtout) et les pays limitrophes (Gambie et Guinée Bissau) au processus de paix

4- Combattre les « fossoyeurs de la paix » qui se nourrissent du sang des sénégalais

5- Investir massivement dans la région pour redynamiser son économie et pour combattre le chômage

Les armes ont parlé. Nous avons tous écouté et tous entendu ce qu’elles avaient à dire. Dorénavant, elles doivent se taire pour laisser place au dialogue car c’est faute d’un véritable espace de débat que le conflit n’a pu être résolu.

Ndiengoudy Sall

Article initiallement paru chez Le courrier du Visionnaire

Les confréries religieuses en politique au Sénégal (1) : de la colonisation à la construction étatique

Le IXème siècle est communément retenu par les historiens comme période de l’avènement de l’Islam au Sénégal. A l’époque, il y eut un contact entre la religion musulmane et le Sénégal par la conversion du roi du Tekrour War Diaby. Jusqu’au XVIIème siècle, « l’Islam de cour », confiné dans les affaires royales, restait une affaire d’élites. A partir du XVIIIème siècle, l’islam va devenir une religion des masses sous l’action des chefs religieux : un islam des confréries[1]. Celles-ci sont des communautés de fidèles regroupés autour de chefs religieux charismatiques. La confrérie va ainsi devenir le cadre privilégié des musulmans du Sénégal ; elle va aussi imprégner toutes les sphères de la vie des fidèles du fait notamment d’un mode d’organisation spécifique.

En effet, chaque maître soufi rassemble et anime une communauté de disciples. Entre le marabout et ses disciples existe une relation de dépendance qui peut entrer dans le cadre de ce que Abdellah Hammoudi nomme « la dialectique maître/disciple »[2]. Ce lien transparait notamment dans la soumission totale du talibé (disciple en wolof, inspiré de l'arabe) à son marabout. Cette soumission, qui ne se limite pas seulement au domaine spirituel mais qui concerne également le domaine séculier, confère aux marabouts des différentes confrériques un pouvoir considérable. 

Cette naissance des confréries et le développement de leur mode d’organisation au Sénégal sont contemporains de la colonisation à laquelle les populations locales trouvent différentes formes de résistance. L’Islam confrérique en sera notamment une et cette étape marque l’entrée des confréries religieuses dans la sphère politique. Les marabouts de la Tiddianiyya mènent alors une farouche guérilla contre le colonisateur français. Quant à Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme, il est vite accusé par l’administration coloniale de préparer une guerre sainte. Aussi, est-il contraint à l’exil en 1885 au Gabon.

Cependant, l’action de l’administration coloniale va être guidée par le pragmatisme qui l’amène à établir une collaboration avec les marabouts dont elle a pris la mesure de l’emprise sur les populations locales. Si l’administration coloniale avait établi un pouvoir effectif en milieu urbain, elle avait toutefois besoin du soutien des chefs religieux en milieu rural aussi bien pour mieux tenter de légitimer son pouvoir que pour bénéficier de relais locaux. En contrepartie, les marabouts ont bénéficié de la reconnaissance du pouvoir politique et d’avantages économiques considérables. Ceux ci concernaient notamment les retombées de la culture de l’arachide[3] pour laquelle le pouvoir colonial mettait à la disposition des marabouts des milliers d’hectares de terres arables. Christian COULON résume cette collaboration en ces termes : « Les marabouts avaient la haute autorité sur une grande partie de la population et jouissaient  partout d’un grand prestige moral et social. Les autorités coloniales, quant à elles, dominaient l’appareil d’Etat.  Les uns contrôlaient donc le centre, les autres la périphérie »[4].

Si l’indépendance du Sénégal en 1960 constitue un tournant politique majeur, fondamentalement, elle n’en constitue pas un pour les rapports entre les confréries religieuses et le pouvoir public. Lorsque se met en place le nouvel Etat du Sénégal et bien que la constitution stipule en son article premier que « La République du Sénégal est laïque », les nouveaux gouvernants savent qu’ils doivent s’appuyer sur les marabouts. Et comme au temps des colonies, ceux-ci sont appelés à assurer deux fonctions substantielles dans le système politique, celle de légitimation et celle d’intermédiation avec les populations locales. 

Ce soutien des chefs religieux, le Président Léopold Sédar Senghor en a bénéficié en temps de paix comme en temps de guerre, notamment lors de la crise de 1962 qui l’opposa à Mamadou DIA, alors Président du Conseil. Si DIA représentait une certaine rigueur socialiste, SENGHOR, passait pour être plus modéré et plus respectueux des féodalités politiques, religieuses et économiques. Et si lors de cette crise, les deux protagonistes sillonnent le pays pour rencontrer les marabouts des différentes confréries, ceux-ci ont choisi leur camp. A propos des marabouts, Christian COULON écrit : « Ils craignent qu’en cas de victoire, M. DIA et ses partisans n’accélèrent les transformations entreprises et ne portent par là préjudices à leurs prérogatives. Aussi lorsque le 17 décembre, dans des circonstances particulièrement troubles, quarante députés votent une motion de censure contre M. DIA, lorsque le lendemain ce dernier et ses principaux lieutenants sont arrêtés, il n’y aura aucun marabout pour élever la voix en sa faveur. Abdoul Aziz SY se retranchera dans le silence ; El Hadj Ibrahima NIASS, El Hadj Seydou Nourou TALL, Falilou MBACKE, manifesteront publiquement leur soutien à L.S. SENGHOR ».

Cette crise de 1962 est très intéressante à deux égards. D’abord parce que le recours que font DIA et SENGHOR aux marabouts prouvent à quel point ces derniers pèsent dans l’échiquier politique et la manière dont les gouvernants ont intériorisé cette donnée. Ensuite parce que cette crise révèle que les chefs religieux tiennent à leurs avantages économiques. C’est ainsi par exemple qu’en dépit de la loi sur le domaine national de 1964, dont le but était de mettre un terme aux féodalités terriennes, l’Etat a continué d’accorder aux marabouts d’énormes concessions de terres.

Le rôle important des chefs confrériques dans la vie politique sénégalaise va s’accentuer. Plus tard en effet, l’instauration du multipartisme lors de la réforme constitutionnelle de 1981 va davantage contribuer à placer les grands marabouts  dans la position d’arbitres constamment sollicités. A travers leurs « ndiggeul », ces fameuses consignes de vote, on leur prête un pouvoir redouté. Certains marabouts ont cependant su garder un certain devoir de réserve tandis que d’autres préféraient troquer leurs habits religieux pour les apparats de la politique. Et depuis l’arrivée du Président Abdoulaye Wade au pouvoir en 2000, certains sont devenus, au grand dam de la démocratie sénégalaise, de véritables marabouts politiques.

Nicolas Simel

A suivre

Les confréries religieuses en politique au Sénégal, 2ème partie : L’ère des marabouts politiques



[1] La confrérie Qadriyya, la plus ancienne des confréries du Sénégal, a été originellement fondée par le mystique soufi Abd al Qadir al-Jilani et atteint le Sénégal au cours du XVIIIème siècle. Aujourd’hui le Sénégal compte quatre principales confréries, la Qadiriyya, la Tidianiyya, la confrérie des mourides et celle des Layènes.

[2] Abellah Hammoudi, Maîtres et disciples, Editions Toubkal

[3] Jean Copans insiste notamment sur cette réalité dans son ouvrage Les marabouts de l’arachide, Paris, Le Sycomore, 1980

[4] Christian Coulon, Le Marabout et le Prince

Thiat, rappeur et porte-parole du mouvement « Y en a marre »

Notre nouveau partenaire, Njàccaar, est allé à la rencontre de Thiat du groupe de rap Keurgui, les initiateurs du mouvement « Y’en a marre ». Ce mouvement a réussi à catalyser la contestation de la jeunesse sénégalaise face aux difficultés de la vie quotidienne et des dérives du pouvoir du président Abdoulaye Wade.

Parlez-nous de la naissance du groupe KEUR GUI.

Thiat : Le groupe a été créé pendant l’année scolaire 96-97. C’était l’année scolaire où il y avait une grève générale et où nous sommes restés 3, voire 4 mois, sans pratiquement faire cours. J’ai été gréviste, je faisais partie du noyau dur. Au temps, nous faisions sortir les écoles privées. J’étais dans une école privée, j’avais rien demandé, comme ceux qui étaient dans le public. Donc, je me suis dit que c’était pas normal que nous qui étions dans le privé fassions cours tout simplement parce que nos parents avaient les moyens alors que les autres étaient sacrifiés, c’était pas juste. C’est pour ça que je faisais partie du noyau dur. Kilifa et moi, on a toujours habité le même quartier. Lui-même était gréviste et on faisait ensemble les plateformes de revendication et autres; ça nous a plus rapprochés et à un moment donné, nous nous sommes dit : « pourquoi ne pas élargir notre champ, parler à une échelle supérieure? ». On a commencé à écrire les textes, et la seule musique qui collait, c’était le rap. Voilà un peu la genèse de Keur gui !

Parlez-nous du parcours du groupe.

Thiat : Nous avons commencé en 98. Nous avons eu des problèmes avec le maire de l’époque, Abdoulaye DIACK, qui nous a fait mettre en prison, qui nous a fait tabasser, sans compter les nombreuses tentatives de corruption qui n’ont pas marché, évidemment. En 99, nous avons failli sortir notre premier album après qu’on ait gagné la "semaine de la jeunesse" à Dakar, mais l’album a été censuré : 4 morceaux ont fait l’objet d’une motion de censure, donc l’album n’a pas vu le jour. C’est seulement en 2002 que nous avons sorti notre album intitulé « Ken bouguoul » (personne n’en veut). C’était quand même un album plutôt régional qui parlait plus des problèmes de Kaolack. En 2004, nous avons sorti « Li rame » c’est l’album qui nous a vraiment lancés sur le plan national. En 2008, nous avons sorti « Nos Connes Doléances ». Et de 2008 jusqu’à ce jour, il s’est passé beaucoup de choses.

Comment s'est fait le choix de vos noms ?

Thiat : Dans les années 90, les noms des rappeurs commençaient toujours par « DJ » , « MC », avec des noms américains ou français en sus. Mais comme nous, déjà, nous étions une famille, il fallait rester dans le même contexte avec des noms qui nous parlaient et nous correspondaient, d’où le nom du groupe « Keur gui » qui signifie "la maison", Kilifa qui signifie "le chef de famille", il y avait « Taw » qui est l’aîné de la maison et « Thiat » qui est le cadet de la maison. La maison, c’est la société en miniature. Tout sort de la maison : le bon et le mauvais; c’est le monde en échelle réduite, le principe de la macro/micro.

Vous êtes les précurseurs du mouvement « Y EN A MARRE ». Quelles sont les motivations de ce mouvement et pourquoi l'avoir lancé  ?

Thiat : L'idée initiale est née d'un mécontentement après une énième coupure d'électricité, alors qu'on savait que les factures allaient être encore plus lourdes que les précédentes et qu'il faudrait les payer. Des amis journalistes, notamment Fadel Barro et Alioune Sané, nous ont dit : « Mais vous êtes trop laxistes ! Vous vous dites engagés et tout, mais il faut faire quelque chose ». Cela était d'autant plus vrai que les imams avaient déjà appelé la société sénégalaise à boycotter les factures d'électricité pour protester contre les coupures. C’est une honte de voir que même le 3e âge s’y met plus que nous, les jeunes. On s’est dit que le rap est bien un moyen de communiquer, un instrument pour conscientiser l’opinion publique, mais qu'au point où en sont les choses, le rap ne serait pas suffisant puisque tout le monde ne l’écoute pas. Donc, nos amis avaient bien raison de nous rappeler que c’est lâche, en tant que jeunes, de ne rien faire dans la situation où nous sommes. Ecrire des textes engagés, dénoncer, c’est bien ! Mais ça ne suffisait plus. Alors, nous avons longuement discuté pour pouvoir mettre en place quelque chose. Au début, nous nous sommes dit qu’il fallait lancer un slogan, mais avec un concept tout de même derrière. Nous avons commencé par « ras-le-bol », «ça suffit », « une goutte de trop » et finalement nous avons opté pour « Y EN A MARRE » car le peuple en a vraiment marre.

Quels sont les objectifs du mouvement ?

Thiat : C’est un mouvement apolitique, pacifique, qui n’a aucune appartenance politique ni religieuse, mais qui reste au milieu et qui joue le rôle de sentinelle. Nous l’avons créé le 16 janvier et lancé le 18 janvier 2011. Le mouvement catalyse des réflexions, des perspectives, et des idées que nous voulons apporter pour le développement socio-culturel et politique. Nous avons remarqué que les jeunes ne s’intéressent pas trop à la politique, ce qui est très dangereux car les affaires politiques sont les affaires de tout le monde, les affaires de tout le monde sont des affaires politiques. La politique, c’est l’art de gérer la société et de toute façon, quand on s’occupe pas de la politique, c’est elle qui s’occupe de nous. Alors, il faut que les jeunes ne se laissent pas enfermer dans les caricatures du genre « la politique, c’est l’affaires des plus âgés ». " Y en a marre ", c’est une façon de faire ce qu’on appelle l’éveil des consciences, l’éveil des masses populaires, c’est faire savoir aux jeunes que le pouvoir c’est le peuple et redonner ainsi au peuple sa voix car y en a marre de voir que plus rien n’est pour le peuple, ni fait par le peuple, alors qu’on prétend être une démocratie. La devise du Sénégal qui était « un peuple-un but-une foi » est devenue aujourd’hui « une famille-un but-s’enrichir ».

Dans notre pays, nous avons deux forces : l’élite politique et l’élite religieuse. Et, il faut le dire, ces deux élites se sont alliées contre le peuple. Il faut donc une autre force pour les contrer, une force qui appartienne à la société civile. C’est vrai que le forum social est là, mais il faut reconnaitre qu’il n’accroche pas trop. Ce sont des hommes en costard qui se permettent de parler un français académicien en oubliant que ce n’est pas à la portée de tout le monde et qu‘ils sont en Afrique.

« Yen a marre » a un discours très clair qui accroche tout simplement parce qu’il correspond aux attentes des populations : « Nous avons faim, nous voulons manger ! Nous payons cher nos factures d’électricité, donc nous voulons qu‘elle nous soit fournie dans nos foyers en quantité suffisante ! Je suis un bachelier, je suis pas orienté alors que je veux étudier ! Je suis étudiant, il me faut une chambre ! Je suis une maman, je vais au marché et mon panier est de plus en plus vide car tout est devenu cher ! Je suis un parent qui trime dur pour l’éducation de mes enfants et qui les voient toujours revenir à la maison à 9h car étant en grève, j’exige que mes enfants étudient normalement comme tous les autres enfants qui sont dans les institutions privées ! Je suis marchand ambulant, je veux avoir un endroit abrité à moi pour gagner ma vie honnêtement sans qu’on me persécute ! Je suis malade, je réclame les soins les plus élémentaires en allant à l’hôpital…» Juste des revendications légitimes ! Nous n’avons plus besoin de personnes qui sont là à jouer les grands intellectuels, qui sont là à réciter des livres ou faire de grandes citations. Le peuple est là avec ses problèmes ! Pas besoin de faire de grands discours !

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Thiat : Depuis que le mouvement est créé, nous ne passons que par des difficultés, des interdictions de rassemblement, des intimidations. Certains nous appellent pour nous dire : « Vous voulez la guerre, vous allez voir de quel bois on se chauffe ! » Mais ce qui me choque le plus, ce sont les tentatives de corruption. J’aurais jamais pensé que des gens pouvaient être indignes au point de proposer des centaines de millions à des jeunes qui demandent juste à leur concitoyens de prendre conscience sur ce qui se passe. Je vais pas donner des noms, mais je peux t’assurer que l’argent que nous proposent ces renards, je peux te dire qu’il peut régler un certain nombre de problèmes des Sénégalais. C’est une autre preuve que ces gens-là n’ont aucune volonté de s’occuper des problèmes du peuple, ils veulent juste se la couler douce sur le dos du peuple sans se faire déranger.

Comment faites-vous pour faire face aux pressions ?

Thiat : Nous avons des convictions. Un être humain doit avant tout être intègre, digne, savoir qui il est, ce qu’il veut, où il va…Si on était achetable, Keurgui serait une histoire ancienne depuis longtemps car ce n’est pas la première fois que ces crétins essaient de nous acheter. Les intimidations, nous avons l’habitude d’en recevoir. Alors, ils perdent leur temps ! Nous avons une ligne directrice et nous allons la suivre. Nous nous sommes engagés sur un chemin et quelque soit alpha, nous allons le mener jusqu’au bout. Il y a une chose qu’ils ne comprennent pas, ce n’est pas le combat de Thiat ou de Kilifa ou de Fadel … mais celui du peuple, et le peuple n’a pas de prix, il n’est pas achetable. On ne peut monnayer le combat d’un peuple.

 

Interview réalisée par Fatou Niang Sow
 

Quand la diaspora sénégalaise en France se mobilise contre le Président Wade

Pour des raisons historiques et culturelles, Paris est sans doute la ville où la présence de la diaspora sénégalaise est la plus forte. C’est aussi à Paris que celle-ci est l’une des plus diversifiées : entre les vendeurs à la sauvette sous la Tour Eiffel et les brillants avocats et consultants des plus prestigieux cabinets de la capitale, en passant par les centaines d’étudiants et les milliers d’immigrés de longue date. Il n’est donc guère surprenant que la crise politique et sociale du pays, qui s’est notamment cristallisée avec les événements des 23 et 27 juin, y ait eu un écho particulièrement retentissant. En réalité, plus qu’un simple écho, la diaspora sénégalaise à Paris est un des acteurs majeurs de la mobilisation contre le projet de réforme constitutionnel du Président Abdoulaye Wade et pour le départ de ce dernier du pouvoir.

Le 22 juin en début d’après-midi, la veille du vote prévu du projet de loi par l’Assemblée Nationale, une trentaine de membres de la coalition Benno Siggil Sénégal, pour l’essentiel composée de jeunes, a réussi une opération inédite. Ils ont réussi à pénétrer dans l’enceinte du Consulat général du Sénégal à Paris et à y manifester leur vive protestation en taggant l’ensemble des locaux. Leur arrestation par la police française sur demande du Consul du Sénégal et leur garde à vue n’auront en rien entamé la mobilisation de la diaspora sénégalaise à Paris. Le lendemain 23 juin, jour prévu du vote du projet de loi à Dakar, et en même temps que la forte mobilisation des populations du Sénégal, plusieurs dizaines de personnes se sont encore réunis cette fois-ci devant l’Ambassade du Sénégal à Paris pour exprimer leur vive opposition au projet du régime en place. Tous ont été arrêtés par la police française pour quelques heures. Ils sont partis en promettant de revenir ; le 06 juillet, ils étaient encore nombreux à manifester cette fois-ci devant les grilles de l’Assemblée Nationale française ; c’est dire le combat sans relâche que mène la diaspora sénégalaise en France.

Au-delà des raisons classiques communes à nombre de Sénégalais, qu’est ce qui justifie une si forte mobilisation ?

Premièrement, la France est un partenaire politique et économique stratégique du Sénégal avec tout au moins un regard attentif sur l’évolution de la situation du pays. S’il revient certes aux Sénégalais le devoir et l’honneur de mener leur révolution, il importe de donner un écho aux mouvements de protestation au sein de l’opinion publique française. Cela constitue également une façon de mettre la pression sur les dirigeants français pour qu’ils ne soient pas tentés de prêter mains fortes à une éventuelle dévolution monarchique du pouvoir. Les images du Président Sarkozy présentant Karim Wade au Président Obama lors des derniers sommets du G8 et du G20 à Deauville en France ont fait le tour du monde et choqué beaucoup de sénégalais. A contrario les propos de Robert Bourgi, l’un des barons de la françafrique contre Karim Wade et ceux du ministre français des affaires étrangères Alain Juppé allant dans le même sens suscitent l’espoir d’un lâchage de la Famille Wade par Nicolas Sarkozy.

Deuxièmement, la diaspora sénégalaise à Paris est un des principaux pourvoyeurs de fonds du Sénégal, à travers les envois d’argent à leurs familles. Cette diaspora en tire donc un droit de regard sur la situation économique du pays d’autant plus que dans tous les domaines où l’Etat ne réussit pas à assurer des prestations satisfaisantes, en matière de santé, d’éducation, de denrées alimentaires, de transport, d’emploi des jeunes, etc. la diaspora tente de le suppléer. De ce fait, plus le gouvernement en place est économiquement défaillant, plus s’alourdissent les charges de la diaspora. A cet égard, chaque membre de la diaspora se considère comme un relais auprès de sa famille locale, les incite à s’inscrire sur les listes électorales et à contribuer au changement politique dont le Sénégal a besoin pour se mettre résolument sur le chemin du développement économique.

Troisièmement, et dans le sillage de la raison précédente, il existe au sein de cette diaspora une réelle volonté de revenir au Sénégal contribuer au développement économique. Toutefois, cela ne peut se faire que s’il y a un cadre politique et économique un tant soit peu favorable. Et la conviction est que le pouvoir en place a donné toute la mesure de son incapacité à mettre le Sénégal sur la voie du développement économique. Surtout, la diaspora souhaite aujourd’hui un pouvoir avec une véritable vision d’avenir pour le Sénégal et sa jeunesse, une mise en œuvre concrète de solides programmes de développement économique. La diaspora veut que ce changement soit amorcé et elle entend en être un acteur majeur.

Nicolas Simel

Aspirations rabougries

 

Après mon post un peu sec sur la « pseudo-indépendance » du Sénégal, je devrais en principe, écrire quelque chose de positif sur le « sursaut démocratique » de la rue sénégalaise contre le projet – totalement imbécile – de réforme constitutionnelle d’Abdoulaye Wade. Le problème, c’est que rien dans cette « réaction » ne m’inspire la moindre sympathie. C’est comme s’il fallait féliciter le cocu dans le célèbre sketch de Raymond Devos (« j’ai des doutes ») de sa lucidité in extremis : J'ai des doutes !… J'ai des doutes !… Hier soir, en rentrant dans mes foyers plus tôt que d'habitude…il y avait quelqu'un dans mes pantoufles… Mon meilleur copain… Si bien que je me demande si, quand je ne suis pas là… il ne se sert pas de mes affaires ! (….) Alors !… mes pantoufles !… mon pyjama !… ma radio !… mes cigarettes !… et pourquoi pas ma femme pendant qu'il y est !

Le simple fait que ce projet de loi ait existé, qu’Abdoulaye Wade ait eu la folie de le penser, que son gouvernement ait accepté de le présenter au Parlement, qu’il se soit trouvé une majorité de députés pour sérieusement penser à l’adopter (le gros de l’opposition ayant boycotté les dernières législatives, la majorité de Wade à la chambre est absolue) et que de Wade au dernier des parlementaires, tous ces gens aient pensé que les Sénégalais ne feraient rien, qu’il aie fallu attendre le dernier moment pour empêcher le désastre…. Rien, absolument rien dans ce cauchemar n’est à saluer. Ce projet de loi aurait dû, vu l’histoire démocratique de ce pays, être tout bonnement « impensable ». De la même façon qu’un coup d’état militaire en France, la fin de la monarchie britannique ou un Pape Africain sont impensables. Wade l’a pensé. Et ses députés et lui se sont étonnés de la réaction des Sénégalais. Moi aussi, à vrai dire.

J’avais vraiment cru que la stratégie du pot-au-feu avait finalement abouti. La recette est simple : cuisinez un peuple à feu doux, veillez surtout à ne pas le brusquer au départ, mais faites lui avaler à doses de plus en plus fortes, toutes sortes de projets législatifs, économique, architecturaux ou politiques plus abscons les uns que les autres, saupoudrez tout ça d’une fine touche de paternalisme, remuez toujours dans le bon sens, celui de l’exception nationale, Sénégal, lumière du monde et de l’Afrique, pour éviter tout débordement, pensez à corrompre à grandes louchées quiconque a la vélléité de faire usage de sa cervelle et le peuple est enfin prêt à tout accepter. Wade n’a peut-être pas assez corrompu.

Les Sénégalais pensent que le Sénégal, ne concerne qu’eux-seuls. Ils se trompent. Le Sénégal leur est prêté, c’est l’affaire de beaucoup d’Ouest-Africains, pour qui ce pays, le seul de la région n’ayant jamais connu de putsch, est un phare, le métronome. C’est justement pourquoi leur passivité inconcevable au cours des six dernières années, alors qu’il était évident qu’Abdoulaye Wade avait perdu tout sens des réalités et transformait leur pays en une énième satrapie tropicale m’a agacé d’abord, puis bouleversé et enfin anéanti. C’est comme de voir un ami d’enfance devenir opiomane.

Je me demande si les gens se rendent compte du changement : il y a dix ans, le monde se félicitait du sens démocratique des Sénégalais parce qu’ils organisaient une transition politique, pacifique, ordonnée, libérale ; aujourd’hui on devrait applaudir parce qu’il a fallu trois morts et une centaine de blessés pour éviter l’instauration d’une dyarchie héréditaire (de facto) dans leur pays. C’est ça le progrès ?

J’ai longtemps pensé que cette décennie serait celle des aspirations rabougries, le « printemps » sénégalais l’illustre bien, c'est-à-dire sordidement.

Joël Té Léssia

« Pars mon fils, va au loin et grandis »

Terangaweb soutient la création littéraire d'auteurs africains. Nous portons à votre connaissance le deuxième roman d'un jeune auteur franco-congolais, Joss Doszen. Bonne découverte !

Joss Doszen par lui-même: " Franco-congolais (Congo Brazza et RDC) mais citoyen du large monde avant tout, j'ai toujours été passionné de lecture et d'écriture. Gribouilleur sur Internet de différents textes depuis plusieurs années, à mes heures perdues, des billets d'humeur, aux textes de slam, des récits de vie aux nouvelles totalement de fiction ; tout est pour moi sujet d'inspiration.

Totalement ancré dans mon temps et dans ma culture multiforme, mon inspiration vient directement de mon univers riche en personnalités et en histoires extraordinaires. J'aime à me définir, modestement, comme un griot qui aime la langue française dans toute la richesse qu'elle tire des apports culturels différents."

Pars mon fils, va au loin et grandis, Joss Doszen, Loumeto autoédition, septembre 2008

Synopsis : Le carnet de route d’un immigré perpétuel pur produit du 21e siècle mondialisé. Emouvant, plein d’humour et de passion, ce parcours se veut être un reflet de la vie d’étudiants africains d’aujourd’hui pris en permanence par plusieurs cultures entre lesquelles ils doivent naviguer.

Extrait de Pars mon fils, va au loin et grandis :
"Hormis la découverte du sens du mot « accueil », une autre de mes idées reçues tomba dès la seconde semaine de présence au Sénégal. Le 31 décembre, jour des feux d’artifices géants sur la place de l’Indépendance, fut pour mois comme une révélation. Une révélation de beauté. 

J’arrivais d’Afrique centrale avec de gros préjugés sur la femme Sénégalaise musulmane, donc voilée et dénuée de tout charme. Quelle connerie ! 

Quand pour la première fois j’ai vu ce rassemblement de beautés fardées avec un vrai sens artistique, même si parfois outrancier, habillées des plus belles tenues traditionnelles ou des dernières robes à la mode sur Fashion TV, tellement sexy que les belles de Brazzaville auraient pu passer pour des nièces d’ayatollah iraniens en plein ramadan, j’ai compris que s’ouvrait à moi un potentiel futur de délicieuses jouissances. Pour la première fois de ma vie je voyais de visu des filles tout droit sorties des clips américains les plus sélectifs. C’était magnifique. Et quelle diversité ! Des boubous traditionnels les plus riches en dorures, aux jeans Diesel super stretch en passant par les robes moulantes, façon tapis rouge de Cannes ; tous les looks se mélangeaient pour faire un arc-en-ciel de styles. Les yeux m’en sortaient de la tête de même que tous mes amis congolais, gabonais, camerounais ou ivoiriens qui constituaient déjà mon entourage pour les trois années qui allaient suivre.

Cependant tous les mâles d’Afrique centrale qui arrivaient au Sénégal avaient un souci commun. Une fois réglées les préoccupations nutritionnelles et résidentielles, se posent les questions d’ordre hormonal. Il ne faut pas oublier que dans un groupe de jeunes étudiants, dont le moins âgé a environ dix neuf ans, il y a une vraie guerre d’indépendance des hormones reproductrices.

Je l’ai dit, le Sénégal est un pays à quatre vingt pour cent musulman ; bien que les jeunes y vivent comme dans le monde entier, ils vont en boîte, font des boums, draguent, couchent, etc. Les mœurs officielles y sont plutôt à l’abstinence et à la jachère avant le mariage. Il y a donc des codes de discrétion qu’il faut posséder pour espérer un « relationnel » harmonieux. De plus, traditionnellement les filles ne « sortent » pas avec les garçons ; elles se marient. Ce qui implique de sérieux projets d’avenir ou de sérieuses promesses ; et des arguments très solides pour un éventuel flirt.

Comme vous le savez, en Afrique centrale, les pays sont à forte majorité chrétienne et animiste. Bien que, comme toutes cultures africaines les mœurs y soient officiellement assez pudiques, une certaine liberté régnait tout de même dans les relations entre jeunes. Officiellement, les parents n’étaient jamais au courant de rien avant le mariage de leurs fils et filles, mais dans les faits les amours foisonnaient ainsi que la « baisaille ». La drague y était une seconde nature, un challenge.

Mis ensembles, les us et coutumes très antagonistes entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale pouvaient causer des dégâts lorsque les différents protagonistes n’était pas préparés à gérer la rencontre. Et ce fut mon cas associé à mes acolytes de la          « génération corsaire »."

La page personnelle de Joss Doszen, où vous pourrez en apprendre plus sur son oeuvre et acheter son livre: http://www.doszen.net/Doszen%20site_lundi02_files/page0004.htm

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (2ème partie)

 

Souvent présentée comme une simple querelle de leadership, l’accusation de tentative de coup d’Etat, qui conduit à la séparation entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia en 1962, semble plutôt tirer ses germes dans la constitution sénégalaise du 26 aout 1960. La nature du régime parlementaire et la dualité que celle-ci instaurait de fait à la tête de l’Etat laissaient déjà entrevoir une crise institutionnelle inévitable consacrant ainsi l’échec du régime parlementaire en Afrique. Cet article qu'on pourrait intituler "Constitution de 1960 : la consolidation du régime parlementaire ou l’annonce d’une crise institutionnelle inévitable?" est la deuxième partie de "L'éxécutif sénégalais à l'épreuve du régime parlementaire".

« Des grecs, jadis, demandaient au sage Solon, quelle est la meilleure constitution ? Il répondait, dites-moi d’abord, pour quel peuple et pour quelle période. »[1]

Eut égard à la décolonisation d’une part, et à son retrait de la Fédération du Mali d’autre part[2], le Sénégal avait besoin d’une Constitution qui intégrait les exigences de l’indépendance, mais surtout, qui allait s’évertuer à réaménager l’environnement institutionnel, notamment l’exécutif, où allaient se frotter deux fortes personnalités : Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. C’est par la loi constitutionnelle du 26 Août 1960 que le Sénégal se dotera d’une nouvelle Constitution. Sur le plan idéologique, elle emboîte le pas à la Constitution de 1959. Mais sur le plan institutionnel, une nouveauté sera l’instauration de la fonction du Président de la République. D’où un chamboulement de l’organisation des pouvoirs au sein de l’exécutif autrefois monocéphale et devenu bicéphale. Ce qui d’emblée devait poser la question d’une dyarchie au sommet, c'est-à-dire d’une compétition entre les deux têtes de l’exécutif ; tel sera le cas lors de la crise de Décembre 1962.

Mise à part la guerre de leadership qui opposait Léopold Sédar Senghor, Président de  la République, et Mamadou Dia, Président du Conseil, l’aménagement assez ambigu des pouvoirs pouvait laisser présager cette dyarchie au sommet.                                                       

En effet, le Conseil des Ministres autrefois présidé par le Président du Conseil, sera, sous la Constitution du 26 Août 1960, présidé par le Président de la République qui devient aussi le gardien incontestable de la Constitution et le chef suprême des armées. Face à l’ensemble de ces prérogatives, non exhaustive du reste, se pose alors la question de savoir si le Président du Conseil n’est pas un « exécutant subalterne, un soliveau ? »[3] Une telle idée sera hâtivement  battue en brèche à la lecture de l’article 26 de la Constitution de 1960 qui prévoyait que le Président du Conseil détermine et conduit la politique de la nation. Dirigeant l’action du gouvernement, il dispose de l’administration et de la force armée. Des zones potentielles de conflit apparaissent dès lors qu’il est considéré d’une part, que le Président de la République est le Chef Suprême de armées, et qu’il est soutenu d’autre part, que le Président du Conseil est responsable de la défense nationale et qu’il dispose à cet effet de la force armée.

Mieux, le président, en dehors de sa chasse gardée (arbitre, gardien de la Constitution, défense de l’intégrité du territoire et de l’indépendance nationale…), devait soumettre tous ses actes, sous peine d’invalidité, au contreseing du Président du Conseil et le cas échéant, des ministres chargées de leur application. Bien que là règle du contreseing vise à engager la responsabilité du Président du Conseil et de son gouvernement, elle soulève le problème de la soumission du pouvoir de décision du Président de la République à la volonté du Président du Conseil. Nous n’avons plus ici deux pouvoirs qui se soutiennent mais plutôt qui s’étouffent sur le plan institutionnel en plus d’être asphyxiés par une guerre de leadership.

Il convient aussi de souligner que l’absence d’une opposition, c'est-à-dire le fait que tous les deux tenants de l’exécutif soient issus d’un même parti ultra majoritaire à l’assemblée, rendait difficile la résolution des crises au sein de l’exécutif car seule la motion de censure était en mesure d’être utilisée pour renverser le gouvernement. Ce qui n’était pas gagné d’avance vue la popularité de Mamadou Dia et de ses partisans à l’Assemblée. 

La motion de censure fut tout de même votée contre le gouvernement Dia dans des conditions que celui-ci et ses partisans ont toujours déploré. Accusé d'avoir voulu commettre un coup d’Etat qui lui vaudra la prison pendant 12 ans de sa vie, il répondra plus tard qu’il ne pouvait chercher à commettre un coup d’Etat alors que c’est lui-même qui avait tous les pouvoirs. D’où l’ambiguïté manifeste des rapports entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement.

En Décembre 1962, le Sénégal connait la crise institutionnelle la plus importante de son histoire. Mamadou Dia à qui on a prêté des intentions de coup d’état est arrêté. Il est hâtivement voté le jour de son arrestation, la loi Constitutionnelle 62-62 du 18 Décembre 1962 portant révision de la Constitution.[4] Donnant par dérogation au Président Senghor l’initiative de la Constitution, ce dernier fera rédiger par un Comité Consultatif Constitutionnel, la nouvelle Constitution approuvée par référendum et connue sous le nom de la Constitution du 7 Mars 1963. « La cause est entendu : plus jamais de régime parlementaire. »[5] Une nouvelle ère s’ouvre, celle du régime présidentiel, devenu par la suite, comme dans les autres anciennes colonies africaines, présidentialiste.  Le Sénégal n’a pas réussi ce qu’aucun autre pays n’a réussi non plus : un régime parlementaire sans multipartisme, c’est-a-dire dans un régime parlementaire avec un seul parti.

Maleine Amadou Niang


[1] Charles De Gaulle,Discours de Bayeux, 1946

[2] Ismaïla Madior. Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.28

[3] Georges Pompidou s’exprimant sur le rôle prêté au Président français sous la Vème République durant l’ère DE Gaulle.

[4] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.49

[5] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.52 

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (1ère partie)

 

Après avoir voté « oui » au référendum de 1958 portant sur la Constitution française de la Vème République, le Sénégal est par la suite devenu membre de la communauté franco-africaine. Cette forme juridique d’Etat n’obéit nullement aux modèles classiques de la Fédération ou de la confédération, c’est un modèle « sui-generis » qui semblerait vouloir cultiver « le lien de solidarité liant la France » à ses anciennes colonies. En 1959, l’Assemblée territoriale donne au gouvernement la possibilité de rédiger un projet de constitution, quand bien même la souveraineté internationale n’était pas acquise. C’est ainsi que l’Assemblée territoriale, érigée en Assemblée Constituante, adopte à la majorité de ses membres la Constitution du 24 Janvier 1959. Socle idéologique et juridique de l’Etat du Sénégal, il pose les principes fondamentaux autour desquels veut se réunir le peuple du Sénégal. C’est notamment la forme républicaine de l’Etat, l’entérinement de la laïcité ou encore la protection des droits et libertés fondamentaux.

Le choix du modèle de la démocratie représentative, teintée d’une onction de la démocratie populaire est évident en ce  que la Constitution parle d’elle-même : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exprime par ses représentants ou par référendum. » Se pose ainsi la question de savoir qui sont ces représentants du peuple ? Quelles sont leurs prérogatives ? Dans quelles mesures leurs actions peuvent-elles compromettre la nature du régime politique ?

Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le régime parlementaire sous-entend une collaboration des pouvoirs, conception souple de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke puis reprise par Montesquieu dans De l’Esprit des lois, paru en 1748. Ce type de régime favorise, dans l’idéal, l’échange constant entre les différents pouvoirs, notamment l’exécutif et le législatif, l’autorité judiciaire n’étant pas reconnue comme un pouvoir du fait qu’elle n’émane pas d’une élection.

Au Sénégal, l’exécutif est sous la Constitution de 1959, monocéphale et incarné par le Président du Conseil, chef de l’Etat et Chef du Gouvernement. Loin du modèle classique du régime parlementaire reconnu pour son exécutif bicéphale, on comprendra que le poste de président de la république n’est pas créé car le président de la France demeure président de toute la communauté. Le Sénégal, lors de la mise en place du régime parlementaire avec la Constitution de 1959, connait un président du Conseil qui est le poumon de l’Etat. Investi du pouvoir de nommer et de démettre les ministres, il préside le Conseil des Ministres. Il détermine et conduit la politique de la nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée, contrairement à la France où ces prérogatives sont dévolues au gouvernement aux termes de l’article 20 de la Constitution française du 4 Octobre 1958. Fort de ses compétences, il exerce le pouvoir réglementaire et veille à l’exécution des lois et des règlements entre autres. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la légitimité d’une personne en qui se fondent tous ces pouvoirs mais surtout, quels garde-fous sont prévus pour éviter ses dérives ?                                                            

D’où le rôle du Parlement comme outil de contrôle et de légitimation du Président du Conseil. Installé sous une forme monocamérale[1] notamment avec l’Assemblée Législative, le pouvoir législatif a, constitutionnellement, des moyens de contrôler et de sanctionner le Président du Conseil qu’il a élu à la majorité de ses membres. Ce contrôle se fait soit par le vote de confiance soit en usant de la motion de censure. On parle de vote de confiance lorsque le chef du gouvernement (ici le Président du Conseil) engage solidairement sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le vote d’un texte ou sur une question particulière. Si l’Assemblée refuse de voter le texte ou décide d’ajourner les débats, le gouvernement est désavoué et doit se retirer. Cependant, limiter les outils de contrôle au vote de confiance serait une initiative avortée en ce qu’elle ne permettrait un contrôle du gouvernement que dans le cas où le Président du Conseil soumettrait volontairement son équipe au contrôle des députés. D’où l’importance de la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Président du Conseil et son gouvernement lorsqu’ils estiment que la politique menée par ces derniers doit être sanctionnée.

Sur ce point, le parlement sénégalais avait des prérogatives similaires à celles d’autres parlements, notamment celui de la France. En contrepartie, le Président du Conseil détient lui aussi une arme contre l’Assemblée. C’est notamment son droit de la dissoudre. Ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais son droit de dissolution reste très encadré car ne pouvant être utilisé qu’après délibération du Conseil des ministres, sur consultation du Président de l’Assemblée, et à la stricte condition que deux crises ministérielles soient survenues durant une période de 36 mois[2]. Ce qui est bien loin du droit de dissolution tel qu’il a été connu en France avec François Mitterrand qui, à deux reprises, notamment en 1981 et en 1988, a prononcé la dissolution de l’Assemblée pour se constituer une majorité parlementaire à l’issue de nouvelles élections législatives. 

Le Président du Conseil semble alors étouffé mais dans les faits, quelle est la probabilité qu’il ait à faire face à des oppositions farouches des parlementaires étant donné qu’ils viennent du même « hyper-parti », compte tenu du système à parti unique au Sénégal  ? Mieux, cet exécutif à une tête ne peut connaître de crise en son sein car le Président du Conseil étant à la fois chef de l’état et chef du gouvernement, incarne à lui seul l’exécutif. Ce type de régime parlementaire avec un exécutif « monocéphale » durera un peu plus d’une année avant de se muer en un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, dicté par la conjoncture politique de l’époque. La Constitution de 1960 montrera les limites manifestes du régime parlementaire dans le Sénégal des indépendances. (A suivre)

Par Maleine Niang


[1] Parlement à une chambre, d’autres parlements ont deux chambres (ex : Assemblée et Sénat). C’est le cas du Sénégal aujourd’hui. On parle dans ce cas de Parlement bicamérale.

[2] Article 24 de la Constitution