Macky Sall, un an après: Le temps des cafouillages

 

Le pouvoir de Macky Sall, un an après, connaît d’importants cafouillages qui sont autant de facteurs d’inquiétude. Aux dissensions internes dans la coalition politique au pouvoir, Bennoo Bokk Yaakar, s’est ajouté un impressionnant tumulte au sein du gouvernement au sujet de la traque des biens mal acquis. Enfin, une fois de plus, un sérieux débat juridique sur la réduction du mandat présidentiel se fait jour.

Des élections locales en rangs dispersés

Les élections locales prévues en mars 2014 constituent de plus en plus un sujet de discorde pour les différents partis de la coalition majoritaire Bennoo Bokk Yaakar. Suite à la victoire de Macky Sall au second tour du scrutin présidentiel de mars 2012, un gouvernement de coalition, qui a intégré presque toute l’ancienne opposition, a été formé. Cette coalition, reconduite aux élections législatives tenues en juillet 2012, risque cependant de ne pas survivre jusqu’aux prochaines joutes électorales. En effet, les alliés de Bennoo Bokk Yaakar  iront certainement en rangs dispersés aux élections locales de mars 2014. Le renouvellement des instances politiques issues de la décentralisation fait l’objet de vives concurrences entre les responsables de l’APR (Alliance pour la République), du PS (Parti socialiste), de l’AFP (Alliance des Forces du Progrès) et du Rewmi.

Ainsi, Mbaye Ndiaye, éminence grise de l’APR, a récemment lancé un appel du pied à Khalifa Sall, Maire PS de Dakar, à rejoindre les rangs du parti présidentiel s’il tenait à conserver son fauteuil à la tête de la capitale du pays. De même, le Président Macky Sall et le député Abdou Mbow, responsable des jeunes de l’APR, ont clairement fait savoir que leur parti pourrait confectionner ses propres listes dans certaines circonscriptions électorales. Quant à l’AFP, parti du Président de l’Assemblée Nationale Moustapha Niasse, elle a jusque là observé un certain mutisme sur cette question. Son leader compte vraisemblablement rester aux côtés de l’APR autant que faire se pourra, mais rien ne garantit que les responsables du parti s’alignent sur cette volonté. Le Rewmi d’Idrissa Seck, Maire de Thiès et ancien Premier Ministre sous Wade, est pour sa part dans une posture d’indépendance par rapport à l’alliance Bennoo Bokk Yaakar. Idrissa Seck prend souvent ses distances, en menant par exemple une grande tournée en solitaire dans plusieurs localités du Sénégal. En somme, de véritables fissures risquent d’éclater au grand jour, à mesure qu’approchent les élections locales.

L’épisode malheureux de la médiation pénale

Par ailleurs, la coalition au pouvoir peine à affirmer une réelle cohésion d’ensemble dans la communication gouvernementale. Un épisode ahurissant a été la question de la médiation pénale dans l’affaire dite des biens mal acquis. Cette proposition faite par l’avocat de l’Etat, Me El Hadji Diouf, et défendue par le Ministre en charge de la promotion de la bonne gouvernance et Porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, a fait long feu. La médiation pénale aurait consisté à convaincre les responsables du régime de Wade soupçonnés d’enrichissement illicite à rembourser 80% des sommes détournées pour éviter la prison. Mais très rapidement, Madame Aminata Touré, Ministre de la Justice, s’est inscrite contre cette idée de son collègue. Ce qui est regrettable, c’est qu’il puisse exister une telle mésentente parmi les membres du gouvernement. Ce défaut de cohérence dans la communication est décrié comme une cacophonie au sommet de l’Etat.

 La réduction du mandat présidentiel en questions

Enfin, la question de la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, promise par Macky Sall lors de la campagne présidentielle, divise au sein de la classe politique. Certains juristes, dont l’éminent Ismaila Madior Fall, défendent l’idée d’un référendum pour l’opérer. Selon eux, une loi adoptée par l’Assemblée Nationale pour y arriver, ainsi que le préconisent certains hommes politiques,  violerait la Constitution du Sénégal. En effet, l’article 27 de la loi fondamentale stipule que la durée du mandat présidentiel « ne peut être révisée que par une loi référendaire ». Ainsi, si l’on s’en tient à cette analyse, seule une loi référendaire permettrait de la modifier. Mais le juridisme serait alors poussé à son bout, et le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Car l’organisation d’un référendum prendrait beaucoup de temps et d’argent. Les ressources budgétaires de l’Etat sénégalais sont déjà assez maigres. Le gouvernement peine à satisfaire la demande sociale pour laquelle le président de la République a été élu il y a un an. Des élections locales pointent à l’horizon. S’y ajoutent les redoutables inondations et montées des prix des denrées alimentaires. Est-il raisonnable de privilégier l’organisation d’un référendum sur d’autres solutions plus pragmatiques ? Si l’on tient vaille que vaille à respecter la Constitution, il reste une dernière solution qui peut faire consensus. Elle consisterait en la démission du Président de la République à l’issue des cinq premières années de son mandat. Dans ce cas de figure, le Conseil Constitutionnel constaterait la vacance du pouvoir, avant de désigner le Président de l’Assemblée Nationale pour assurer l’intérim et organiser l’élection présidentielle. Cette solution aurait le mérite de préserver les sommes importantes que coûterait un référendum, tout en conférant une grande sagesse à Macky Sall, qui respecterait un engagement électoral sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Un conflit clandestin en Casamance

SIGE_casamance_apx_470_Depuis le début des années 1980, une guerre permanente et atypique sévit au sud du Sénégal. Elle a ainsi la particularité d’être l’une des guerres les moins médiatisées au monde. Depuis son éclatement, des centaines de morts, plusieurs familles déplacées et des aires effroyablement minées se meuvent dans l’ignorance extrême de la communauté internationale. Plus désolant encore, l’essentiel de la population sénégalaise ignore ce qui se passe réellement en Casamance. 

La MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance) a été créé en 1947 par des intellectuels casamançais. Au début il s’agissait de créer un parti politique afin de donner une voix au sud ! Mais vers les années 1979 et 1980, l’organisation a mué pour devenir le mouvement indépendantiste de la Casamance. 

Les causes de la naissance de ce mouvement de séparation sont nombreuses. D’abord, la région casamançaise est la plus riche contrée sénégalaise de par sa végétation luxuriante et ses ressources naturelles immenses. Cette situation lui procure le titre de grenier national du pays. L’exploitation de ces richesses parfois en faisant fi de la population locale a fait naitre chez une partie des habitants du Sud un sentiment de victimes d’un pillage systématique de la région au profit d’autres zones, comme Dakar. 

Ensuite, la Casamance se trouve être coupée géographiquement du Sénégal par la Gambie. En effet, la région n’est reliée que par la région de Tambacounda du reste du pays, et ceci par le biais d’une route longue et impraticable. Il existe toutefois d’autres voies d’accès, notamment par la mer et le territoire gambien. Avec cet enclavement, les casamançais ont parfois le sentiment d’être coupé du pays ; et ce sentiment de frustration a nourri une envie farouche chez certains de s’émanciper de la tutelle de Dakar. 

Ainsi de 1980 à nos jours, des combats sanglants ont eu lieu entre l’armée sénégalaise et les forces indépendantistes. Ces combats ont déjà fait de nombreuses victimes et continuent à alterer le développement d’une région au potentiel énorme. Des centaines de personnes y ont trouvé la mort et des familles ont été contraintes de quitter la région. Les aires agricoles continuent d’être transformées en palette de mines et l’état de l’économie régionale se dégrade de jour en jour.

Si tous les observateurs partagent l’avis selon lequel cette guerre a trop duré, différents facteurs plaident eux en sa poursuite. Il s’agit d’abord d’un rendez-vous d’intérêts. En effet, les responsables du mouvement indépendantiste trouvent leur compte dans la poursuite du maintien de la tension, en amassant des fonds énormes provenant de quelques organisations et pays qui les financent secrètement.

A cela s’ajoute le caractere propice de la guerre dans la mise en œuvre d’une vraie économie de la drogue dans la region. Les trafiquants profitent de l’instabilité de cette partie du territoire sénégalais pour faire fleurir leur commerce, notamment eu égard à la frontière que la Casamance partage avec la Guinée Bissau, depuis plusieurs décennies plaque tournante de ce commerce illicite. De ce fait, les dirigeants rebelles ont en main un business très prolifique. 

Ensuite, ils convient de noter un manque notoire de volonté de la part de l’Etat sénégalais. En effet, ce dernier présente une incapacité inquiétante quant au règlement de ce conflit. Pendant que des centaines de soldats sénégalais sont présents sur tous les théâtres d’opérations du moment, le sud du Sénégal continue de se mouvoir dans un conflit aux effets dévastateurs au plan humain et handicapants pour toute stratégie de developpement économique. De plus, des négociations concrètes avec les séparatistes n’ont pas eu lieu depuis belle lurette. Il semble même tout à fait clair qu’aucune des deux parties ne cherche à tirer l’autre autour de la table des négociations. Cependant, l’irresponsabilité principale revient à l’Etat sénégalais dont l’une des missions premières est de garantir l’intégrité territoriale du pays. 

Cela dit, l’Etat ne fraint-il pas de regarder ce conflit en face ? En effet, on note un refus total de la médiatisation du conflit. Depuis l’éclatement de ce dernier, il n’y a jamais eu de chiffres concrets et vérifiés sur le nombre de victimes. Il y a une absence totale de bilan officiel ! 

Dans la même logique, il y a une abstraction sournoise de la guerre casamançaise de la part des média nationaux. Aucune télévision ne diffuse d’images en rapport avec une guerre qui provoque quasi quotidiennement des victimes civiles et militaires. 

Une chose est sûre : le Sénégal est entrain de perdre gros à cause de ce conflit qui n’épargne aucun secteur économique dans le sud-ouest du pays. L’agriculture exploite à peine le dixième de son potentiel, le tourisme est en passe de disparaître et le secteur minier est handicapé faute d’exploration. Tout cela est dû en grande partie à l’instabilité qui règne dans cette contrée.

Si le Sénégal veut donner rendez-vous à l’émergence économique dans un futur moyen, alors autant liguer tous les atouts qui sont en sa possession. Et ceci ne se fera pas sans doute avec l’absence de sa région la plus riche en potentiel. Il ne peut exister une priorité aussi urgente que la question de la Casamance, et l’Etat du Sénégal a l’obligation de la résoudre au plus vite. Des opportunités économiques sont en attentes d’exploitation, le cancer du trafic de la drogue s’empire et des innocents continuent de mourir. 


Weyssou Sokhna

Les agences de presse en Afrique: entretien avec le journaliste Ibrahima Bakhoum

sud_Ibrahima-Bakhoum Le défi de la production et du contrôle de l’information sur l’Afrique a très tôt été un enjeu pour les jeunes Etats du Continent. Une vingtaine d’années après la vague des indépendances, ces pays décidaient de mettre sur pied une agence panafricaine de presse pour ne plus seulement consommer l’information venue d’ailleurs. Cependant l’expérience a tourné court.
C’est de cet échec et d’autres aspects historiques dont nous parle le journaliste sénégalais Ibrahima Bakhoum dans cet entretien. Un éclairage bienvenu au vue de l’actualité, la crise au Mali notamment, qui a vu les Africains se contenter, une fois encore, de reprendre la production des médias occidentaux.

L’actuel directeur de publication de Sud Quotidien est un journaliste à l’ancienne. Il parle de son métier avec passion, surtout lorsqu’il aborde ses années d’agence, quinze ans pour être précis, et sa vision des formes que devraient revêtir la pratique journalistique.

Pouvez vous revenir sur les spécificités de l’agence de presse dans le monde de l’information ?

Vous savez, l’agence de presse est en fait la source principale d’information des journalistes quand ils ne sont pas sur le terrain eux-mêmes. C’est pourquoi on avait l’habitude de dire des agenciers que c’étaient les journalistes des journalistes. Non pas qu’ils écrivent mieux que d’autres, non pas qu’ils soient plus professionnels mais c’est la nature de leur organe, leur spécificité. Tout à fait au début, la première agence de presse, Reuters, envoyait ce qu’on appelait de l’information télégraphique. C’était un style très court, très alerte, Pour aller très vite et donner l’essentiel de l’information. On s’abonnait en fil par le téléscripteur. Donc on pouvait venir chercher l’information ; et le journaliste de quotidien, de périodique et de radio se chargeait de développer l’information à partir de ce que l’agence lui apportait. Voilà un peu ce que c’était, c’était vraiment la matière première du journalisme : collecter, traiter rapidement, être précis, honnête dans le traitement, envoyer. C’était ça la fonction de l’agence et c’est toujours la même chose.

Quel a été le contexte et le processus de création des agences de presse en Afrique ?

Il faut dire qu’en Afrique nous sommes tous, dans nos pays, héritiers ou de la Couronne britannique ou de la République française. Quelqu’un avait l’habitude de parler de l’APS (Agence de Presse Sénégalaise) comme de la doyenne des agences de presse en Afrique. Cette agence a été créée en avril 1959. Depuis il y en a eu beaucoup ; au fur et à mesure que les pays arrivaient à l’indépendance, ils en créaient. L’agence était considérée comme la voix du gouvernement et quand c’étaient des partis-Etat, la voix du parti au pouvoir. Tous les autres supports du pays étaient obligés de se brancher sur ce réseau là pour être informés. Si nous prenons le cas du Sénégal, parallèlement à l’agence nationale, il y avait des centres régionaux implantés à l’intérieur du pays, dans les capitales régionales, départementales où le public venait s’informer. Ce qui fait que ce sont les gens qui travaillaient dans ces centres régionaux qui ont été par la suite reconvertis en correspondants de l’agence nationale. Ailleurs en Afrique les gens ont essayé d’imiter la même chose : créer une agence, en faire la voix du gouvernement à côté de la radio. Certains n’avaient pas encore de journal mais au moins il y avait une radio qui était là. La radio a régulièrement été très présente. Par la suite les africains se sont rendus compte qu’avec l’influence des cinq majeurs, à l’époque : Reuters la britannique, AP et United Press International les américaines, TAS la soviétique, AFP la française, on avait voulu jusqu’ici leur donner l’information avec le regard, le commentaire, les préoccupations, les intérêts des autres. L’Afrique avait voulu être plus présente, l’agence panafricaine (PANA) a été lancée par l’OUA en 1979. Dakar a été retenue comme siège parce qu’on avait une technologie qui s’y prêtait et en plus il y avait l’expérience. Son premier directeur était un nigérien du nom de Cheikhou Ousmane Diallo.

Ne pensez vous pas qu’en passant d’une situation où ils recevaient tout des agences étrangères à une autre où ils distillaient l’information selon leurs intérêts, les Etats africains soient allés d’une extrémité à l’autre ?

Progressivement, en effet, la PANA recevait et traitait les informations émanant des agences nationales qui avaient des points de vue différents, devenant donc une sorte d’entonnoir qui déversait sur le grand public ce que les agences nationales disaient en terme de propagande.

Pourquoi un pays comme le Maroc a très vite senti l’avantage d’investir dans ce domaine et pas les autres?

En fait tout le monde a senti tout de suite cet avantage. Parfois il se pose seulement un problème de moyens. Le Maroc avait son Maghreb Arabe Presse mais à côté il y avait la Tunisie Afrique Presse, Algérie Presse Service, L’Agence de Presse Sénégalaise était là, la NAN au Nigéria, le MNA était au Caire. En fait tout le monde avait son agence.

Le Maroc avait estimé que si l’OUA voulait faire du Sahara Occidental un Etat indépendant ayant droit de regard sur tout ce qui concerne les dossiers africains, il n’y trouverait plus son compte. Il est sorti de l’OUA mais en sortant de l’organisation, dans le contexte de l’époque, on quittait aussi tout ce qui était contrôlé par elle y compris la PANA. Alors Rabat a continué avec sa MAP jusque dans les années 2000. A ce moment là, les autorités marocaines se sont rendues compte qu’il y avait peut-être intérêt à chercher à parler à l’Afrique avec sa propre voix, avec sa propre agence panafricaine. La MAP ne faisait pas l’affaire, peut- être en terme d’options. Les Marocains ont mis sur pied l’Agence de Presse Africaine. Il n’y avait que des sénégalais au départ, le siège étant à Dakar. Aujourd’hui, ses bureaux sont presque partout en Afrique et le groupe a des correspondants aux Etats Unis, en France, à Bruxelles…

Peut-on travailler librement dans une agence lorsqu’on sait que ceux qui la financent ont toujours des intérêts à préserver ?

Dans une agence comme dans toute autre chose, c’est la même chose partout. Celui qui met son argent quelque part a un intérêt à le mettre là pour une raison ou une autre. Les gens ont leurs intérêts, les gouvernements et les bailleurs ont également les leurs. Les journalistes doivent seulement rester professionnels. 

Pensez vous qu’aujourd’hui les agences et plus généralement la presse africaine prennent efficacement en charge les préoccupations du continent, compte tenu de la pression que les Etats exercent généralement sur elles ?

L’Etat ne peut fermer l’information. Elle circule partout, elle circulait avant, aujourd’hui encore plus notamment par les réseaux sociaux. Si un Etat pense qu’il faille fermer le vis à ces médias, les gens vont aller chercher l’information ailleurs. Dans tous les cas aujourd’hui il est devenu extrêmement difficile de fermer un pays. Il y en a qui le font mais en tout cas ça demande tellement de moyens que le mieux pour un gouvernement assez intelligent c’est, je crois, de libéraliser et de laisser les gens travailler. Maintenant il s’agira pour les journalistes d’être responsables et professionnels.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière de journaliste d’agence ?

Mais je ne saurai dire ce qui m’a marqué car il y a plein de choses qui vous marquent dans tout ça. J’ai l’expérience de l’Agence de presse sénégalaise puis celle de la période de collaboration avec la PANA. Il y a tellement de choses qui vous marquent dans une carrière comme ça. En tout cas professionnellement ça m’a appris à être concis, à aller très vite à l’information, à déceler une information dans une masse de choses. C’est un énorme avantage d’avoir été agencier.
 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L’Afrique des Idées par Racine Demba. 

Sénégal : les multiples facettes du Magal de Touba

magal de ToubaLe mardi 1er janvier 2013 se tiendra dans la ville sainte de Touba (centre ouest du Sénégal), l’édition annuelle du grand Magal. Environ trois millions de pèlerins sont attendus pour ce qui représente, au sein de la communauté mouride, le plus grand évènement de l’année.

L’origine du Magal


Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur de la confrérie mouride, s’était assigné une mission de résistance face au colonisateur et de réhabilitation de l'Islam, non par la prise des armes mais par une action sur les consciences (Djihadou nafsou). Dans la matérialisation de ce dessein, il fut arrêté et exilé durant douze ans (sept au Gabon puis cinq en déportation en Mauritanie). Il a aussi été placé cinq autres années en résidence surveillée au Djoloff et durant toutes les années qu'il demeura à Diourbel (centre du Sénégal) où il rendit l’âme le 19 juillet 1927. Son deuxième khalife (successeur), a tenu à faire de l’anniversaire de son départ en exil au Gabon (en 1895), date que les mourides comméraient déjà, un grand moment de rassemblement, de retrouvailles et de ferveur dans la ville sainte de Touba. Cette initiative marque la naissance du grand Magal tel que nous le connaissons actuellement.

Le Magal politique


De tout temps, Touba a jouit d’un intérêt certain venant de la classe politique sénégalaise. Cet intérêt se manifeste encore plus durant la période du Magal. Les hommes politiques, de tous bords, se pressent auprès du khalife et des autres grands dignitaires mourides pour marquer le coup, recueillir des bénédictions et parfois faire passer des messages à l’endroit des disciples. C’est aussi l’occasion d’observer la différence d’approche d’un marabout à l’autre dans leurs rapports avec les hommes politiques, notamment ceux du pouvoir. Certains marabouts n’ont pour préoccupation que le bien être de leurs concitoyens surtout les plus défavorisés et ne se font pas prier pour le faire comprendre à leurs visiteurs alors que les autres ont une approche quasi mercantiliste des choses. En effet, leur soucis premier est de tirer avantage de leurs relations avec les hommes du pouvoir par l’obtention de privilèges indus.
Aujourd’hui, beaucoup divisent la descendance du Cheikh en deux parties distinctes : ceux qui perpétuent ses enseignements en promouvant ses valeurs et ceux qui, pour des intérêts personnels, le plus souvent pécuniaires, tendent à dévoyer l’héritage du saint homme.

L’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba


L’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba est au moins double. Elle est dans le domaine des enseignements de la religion musulmane d’abord, mais aussi au plan de l’idéologie politique née de son combat contre le pouvoir colonial français. C’est surtout ce second aspect que nous prenons le parti de survoler ici.

Dans son essai « Cheikh Ahmadou Bamba missionnaire de l’universel »(1) Moustapha Samb, docteur en communication et enseignant chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, revient sur ce legs d’une très grande importance. Ainsi, avance-t-il, à la fin de son ouvrage, après avoir offert au lecteur une plongée dans l’histoire hors du commun du saint-homme, adossé à des recherches et à une bibliographie très riche, que : « quand un homme (…) arrive à se dresser, sans arme, sur la route des colonialistes et à les empêcher d’imposer leur style de vie, leur vision, leur culture, leur religion en cette fin du 19eme siècle où toutes les résistances étaient quasi vaincues, il mérite qu’on se donne la peine de s’attarder et de réfléchir sur les sources du courage, de la détermination et de l’assurance qu’il a incarnés. » Cette attitude de résistance a perduré chez les mourides même après l’indépendance du Sénégal. Pendant longtemps, ils ont rechigné à envoyer leurs enfants à l’école française. Aujourd’hui encore, les écoles qui dispensent les enseignements en langue française – la langue officielle du Sénégal – ne sont pas autorisées à s’installer à Touba. Cela pose, selon certains, un problème de cohérence. Pour ces derniers, dans une République, l’école doit être la même pour tous. Cependant chez d’autres, l’analyse du phénomène est plus profonde. Ils la lient à cette nécessité de revoir l’architecture et le contenu de nos programmes éducatifs basés, non pas sur les enseignements de figures nationales qui ont œuvré et écrit pour l’émancipation et l’avancement de nos peuples, mais sur un héritage colonial consommé sans trop de discernement. Pour ces derniers, continuer à nous former, à nous voir à travers les écrits des autres est une aberration et les mourides par leur trajectoire historique ont un grand rôle à jouer dans ce nécessaire changement de paradigme qui doit concerner l’ensemble de l’Afrique.

Moustapha Samb tient aussi à réhabiliter une vérité historique, de son point de vue occultée, par ces mots : « Cheikh Ahmadou Bamba était l’incarnation de l’âme, la dignité, l’identité et la personnalité des africains. Sa résistance ressemble à une leçon de civilisation, de noblesse qu’il a infligée aux occupants. Pionnier dans sa démarche car sa philosophie de la non-violence était jusqu’ici inconnue des colonisateurs. » Il est : « le premier non violent dans l’histoire des résistances. Il est donc précurseur face à Gandhi, Martin Luther King et tous les autres résistants. L’histoire de l’humanité doit retenir ce nom, Cheikh Ahmadou Bamba, le seul résistant à atteindre tous ses objectifs missionnaires sans verser une seule goutte de sang. »

L’économiste Sogué Diarisso, dans son ouvrage « Mémoires pour l’espoir »(2) va plus loin. Par sa théorie des forces motrices – ici valeurs propres à un peuple capables d’impulser son développement – il donne sa contribution sur la manière pour nos pays d’accéder au développement. « Nous devons envisager de développer comme substrat principal nos identités propres, car l’on ne duplique pas chez soi les valeurs d’un autre pour faire mieux que lui. Ce sont des sortes de lois sociologiques du développement ou plutôt une question de bon sens », dit celui qui a été, en tant que directeur de la statistique notamment, au cœur de tous les programmes de développement de son pays ces dernières années. Pour lui ce qu’il faut à nos pays pour avancer c’est : « de puissantes forces motrices… mues par des courants de pensée…assez puissantes pour transcender les clivages ethniques, sociaux, religieux et confrériques. » Elles doivent inculquer la valeur du travail, se départir de cette dépendance vis-à-vis de l’occident et être inspirées par des hommes qui sont : « une source de fierté nationale » et qui ont « une préoccupation de développement soit dans leur action quotidienne soit à travers leur philosophie. » Sogué Diarisso trouve en Cheikh Ahmadou Bamba toutes ces qualités. Selon lui, une appropriation de son héritage, expurgée précise-t-il, de toutes ces contre-valeurs promues des individus se réclamant de son école, qui tendent à la dévoyer, serait un moyen efficace d’amorcer un nouveau départ.

Le Magal économique


L’idée des autorités sénégalaises, notamment sous Abdoulaye Wade, de faire du grand Magal de Touba un jour férié avait en son temps soulevé de nombreuses réactions contradictoires au Sénégal. 

Une équipe constituée d’économistes et de spécialistes de plusieurs disciplines liées avait en 2011, sous la direction de Moubarack Lo, saisi l’occasion pour montrer, à travers une étude, l’impact de cet évènement sur l’économie du pays. On peut lire dans ce document (3) que Touba accueille 3 millions de pèlerins pendant 48 heures et que c’était plus ou moins similaire au Hajj, qui était la source de développement de la Mecque avant l’apparition du pétrole et aux « Moussems » des grands Saints au Maroc. Le Magal reste l’évènement attendu par les habitants de la ville comme nombre de sénégalais et d’étrangers pour faire fleurir leur business. Pendant sa durée, les entreprises, tous les secteurs confondus, voient leurs chiffres d’affaire augmenter grâce au dynamisme du tourisme religieux et des transferts d’argent. L’étude de Moubarack Lo se veut d’abord une approche micro et méso économique des aspects économiques et commerciaux liés à l’évènement et ensuite une approche plus globale allant dans le sens de l’impact sur les grands agrégats de l’économie nationale. Ainsi, elle a pu mesurer l’impact sur la consommation, la mobilisation de l’épargne, les taxes indirectes, les transferts de fonds, la croissance de l’économie.

La conclusion qui émane de ce travail basé sur des enquêtes minutieuses et l’utilisation des moyens humains, scientifiques et techniques adéquats est que le Magal génère une augmentation du volume d’activités de plusieurs secteurs économiques nationaux et qu’il constitue un apport considérable dans le tissu économique local.
 

Racine Demba

 

Moustapha Samb, "Cheikh Ahmadou Bamba missionnaire de l'universel, Negre international Editions, 2010, 138 p.

Sogué Diarisso, Mémoire pour l'espoir, L'Harmattan, 2012, 218 p. 

Lien vers l'étude dirigée par Moubarack Lo http://www.majalis.org/news/pdf/549.pdf

 

 

Quelle politique des ressources humaines pour une action administrative plus efficace ?

Dans la plupart des Etats africains post-coloniaux, l’administration publique a constitué pendant les décennies qui ont suivi les indépendances le principal itinéraire d’ascension sociale et de production des élites. Ce système présentait l’avantage de porter les personnes les mieux formées vers la gestion de l’Etat et de donner ainsi, tout au moins théoriquement, le gage d’une administration publique compétente. La première décennie du XXIème siècle a cependant vu l’émergence de nouvelles élites sociales et économiques qui ont construit leur itinéraire d’ascension en marge de l’appareil administratif de l’Etat. 


De fait, ce processus de renouvellement des élites a entrainé un déclassement de l’administration publique qui n’est plus le principal itinéraire d’ascension sociale. En soi, ce nouveau phénomène ne constitue pas un handicap pour les sociétés africaines dès lors qu’il permet un élargissement de l’éventail des itinéraires, et donc des chances, de réussite. Cependant, il soulève un problème fondamental qui est la difficulté pour l’administration publique de se doter des compétences nécessaires à son action dont les exigences d’efficacité sont de plus en plus fortes.

Le cas du Sénégal est représentatif des difficultés qu’a l’Etat en Afrique à attirer de nouvelles compétences nécessaires à l’efficacité de son action administrative. Cet article présente une perspective historique pour mieux appréhender cette évolution et prendre la mesure de ses conséquences. Il propose aussi des solutions concrètes pour renforcer la compétence de l’administration au Sénégal et assurer l’efficacité de son action.

——

Le déclassement de l’administration publique comme principal itinéraire d’ascension sociale

Au Sénégal, l’un des héritages de la colonisation qui a profondément marqué la trajectoire de formation de l’Etat a été l’école. Si son implantation et la manière dont elle a globalement supplanté l’enseignement coranique ont jadis suscité de nombreuses tensions à l’image de celles rapportées par l’écrivain Cheikh Hamidou Kane dans L’aventure ambiguë, son ancrage comme voie royale d’ascension sociale pendant plusieurs décennies ne fait l’objet d’aucun doute. Le principal bénéficiaire de cet itinéraire d’ascension sociale a été l’administration publique. Pour simplifier le propos, on peut considérer que tous ceux qui allaient à l’école devenaient fonctionnaires et, les meilleurs d’entre eux, haut fonctionnaires. Ainsi, si l’Ecole française d’Outre Mer a cédé la place à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), dans un cas comme dans l’autre, l’Etat s’assurait de la possibilité d’attirer les meilleures ressources humaines. Ce phénomène a été renforcé par la perception du « kou djangueu ékol », littéralement « celui qui est allé à l’école »1, dans les imaginaires de la réussite et du pouvoir .

En plein coeur de la capitale sénégalaise, le Building administratif est à la fois le siège du Gouvernement et le symbole (ancien?) de l'itinéraire d'ascension sociale dans les imaginaires de la réussite et du pouvoir

Or il n’y a guère plus grand monde pour considérer « celui qui est allé à l’école » comme l’archétype de l’ascension sociale, de même que très peu de gens pensent encore aujourd’hui qu’il soit nécessaire de passer par l’ENAM pour envisager une brillante carrière publique. Deux explications permettent de comprendre ce glissement significatif.

La première est relative aux difficultés au cours des décennies 1980 et 1990 qui ont fait perdre à l’administration le monopole de l’itinéraire d’ascension sociale. Il s’agit tout d’abord de la fin de ce qu’Achille MBEMBE a appelé « le compromis post colonial »2, i.e. l’accord tacite passé, aux lendemains des indépendances, par les pouvoirs en place dans les pays africains avec leur société pour neutraliser le potentiel contestataire. Les Etats s’assuraient alors une certaine légitimité en fonction de leur aptitude à distribuer divers types de ressources. Ainsi, au Sénégal, le recrutement systématique des diplômés dans l’administration publique, en même temps qu’il offrait à la société de l’emploi, attirait par ricochet vers l’Etat les compétences nécessaires à son action administrative. Cependant, l’évolution démographique a entrainé, au cours des années 1970 et 1980, l’arrivée massive de jeunes diplômés sur un marché du travail dans lequel l’administration restait la principale pourvoyeuse d’emplois. Or, au même moment, le FMI et la Banque Mondiale imposaient à l’Etat des politiques d’ajustement structurel qui impliquaient la réduction du nombre de fonctionnaires. Au-delà du déclassement de l’administration comme principal itinéraire d’ascension sociale, l’une des conséquences du blocage de ce « compromis post-colonial » a été le détournement d’importantes compétences vers des domaines autres que le secteur public.

La seconde explication s’inscrit dans le sillage de la première et réside dans l’émergence de nouvelles trajectoires d’ascension sociale apparues à la périphérie de l’Etat. Sont ainsi apparues de nouvelles figures comme celles du commerçant baol-baol, de l’auto-entrepreneur self made man, du musicien devenu homme d’affaires, des sportifs – footballeurs au début des années 2000 et lutteurs en ces temps qui courent. A cet égard, le chanteur et homme d’affaires Youssou Ndour, le footballeur El hadj Diouf et le lutteur Bala Gaye, aussi controversés qu’ils puissent être, montrent bien que les itinéraires d’ascension sociale résident aussi désormais en dehors de l’Etat. De même est aussi apparue la figure du jeune employé du secteur des services (banques, opérateurs de télécommunications, cabinets de conseil, etc.) avec un impact plus direct sur l’administration dans un effet de vases communiquant. En effet, les collaborateurs de la Société Générale des Banques du Sénégal (SGBS), les employés d’Orange et les consultants du Cabinet Performances Management Consulting (PMC) montrent bien que des compétences importantes peuvent se détourner de l’administration publique.

La difficulté pour l’Etat d’attirer les compétences nécessaires à une action administration efficace

Si la diversification de ces itinéraires d’ascension sociale présente un intérêt certain pour les sociétés africaines dans la mesure où elle offre une palette de possibilités de réussite plus large, elle présente cependant de façon insidieuse des risques considérables pour la gestion des Etats africains : les administrations africaines, en l’occurrence sénégalaise, n’arrivent plus à accueillir les talents nécessaires à une gestion performante des affaires de l’Etat.

A cet égard, il convient de souligner que les jeunes talents ne s’orientent pas spontanément vers l’administration publique, pas plus que celle-ci ne cherche à les attirer. En effet, l’offre grandissante de formations professionnelles au Sénégal porte essentiellement sur les métiers de la gestion et du management privé. De même, s’il existe un phénomène de retour de compétences issues de la diaspora, celui-ci bénéficie très peu à l’administration publique et va en priorité à des secteurs tels que les télécommunications, les banques, les médias. Parallèlement, l’Etat ne fait rien pour attirer de nouveaux talents. L’ENA est ainsi restée plusieurs années sans organiser de concours pour recruter des agents de la haute fonction publique. Imagine-t-on en France l’ENA rester 5 ans sans organiser de concours ?

L’incapacité de l’administration publique sénégalaise, et de façon générale africaine, à attirer de nouveaux talents explique en partie le manque d’efficacité de l’action administrative. Trois solutions existent pour renforcer les capacités de l’administration publique sénégalaise et la rendre plus performante dans la gestion des affaires publiques. Leur mise en œuvre exige peu de moyens financiers mais un réel volontarisme.

Trois solutions de gestion des ressources humaines pour une action publique plus efficace

La première consiste à mettre en place des Programmes Jeunes Professionnels (PJP) du type de celui de la Banque Africaine de Développement ou de l’UEMOA du temps où l’institution était dirigée par Soumaïla CISSE. L’objectif sera alors, à travers un recrutement diversifié, de doter l’administration d’un vivier d’agents talentueux qu’elle peut mettre à profit à long terme pour pourvoir des postes de direction et d’encadrement. Ce programme devra bien entendu être méritocratique et sa mise en œuvre passer par une sélection de jeunes sénégalais à haut potentiel où qu’ils soient dans le monde et à des conditions financières attractives.

La deuxième solution réside dans l’élaboration de programmes de formation continue pour l’ensemble des agents de la haute fonction publique. En effet, la longueur d’une carrière au sein de l’administration, qui se déroule sur une quarantaine d’années, crée de fait une distance importante entre la formation initiale et l’évolution des enjeux de l’Etat. Ainsi, un Directeur d’administration centrale de 65 ans a reçu une formation en gestion publique dans les années 1970 au moment où les enjeux des administrations publiques n’étaient pas du même ordre que ceux d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse du pilotage d’une gestion axée sur les résultats, de la complexité des nouveaux outils juridiques à la disposition de l’administration tels que les contrats de partenariat ou encore des stratégies pour attirer les investisseurs internationaux, la formation continue d’agents souvent recrutés depuis 2 à 3 décennies est nécessaire à une action administrative efficace.

La dernière solution est relative à l’accompagnement de l’administration publique sénégalaise par des cabinets dont l’expertise et l’expérience peuvent profiter au secteur public. Qu’il s’agisse de cabinets de conseil en secteur public, de cabinets d’avocats d’affaires ou de banques d’affaires, leur accompagnement permettra en interne l’élaboration et la mise en œuvre d’une vraie stratégie de modernisation de l’administration et vis à vis de l’extérieur d’une optimisation de nos stratégies de négociation avec les investisseurs internationaux aussi bien publics que privés. Une telle collaboration peut aussi constituer une stratégie provisoire pour bénéficier de savoir-faire qui n’existent pas encore au sein de l’administration mais que le Programme Jeunes Professionnels fera émerger à moyen terme.

Nicolas Simel

1- Revue Politique Africaine, N°82, Dossier « Figures de la réussite et imaginaires politiques », sous la coordination de Richard Banégas et Jean-Pierre Warnier

2- Achille Mbembé, Tradition de l’autoritarisme et problèmes de gouvernement en Afrique subsaharienne, Africa Development XVII (I), 1992

 

Le combat de Malick Noel Seck pour une alternance générationnelle au parti socialiste sénégalais

Note aux lecteurs

Ce mois d'octobre, nous avons décidé, au sein de la rubrique Analyse politique de Terangaweb, de consacrer une série d'articles à des jeunes leaders politiques en Afrique. L'un des objectifs de notre think tank est, en effet, de défendre, promouvoir et accompagner le processus de renouvellement des élites politiques sur le continent. Dans le premier article de ce focus, Fary Ndao s'intéresse à Malick Noel Seck, récemment exclu du parti socialiste sénégalais pour avoir posé un débat de fond relatif à, selon lui, la nécessité de changer la direction actuelle de cette formation politique. Dans les prochaines semaines, suivrons d'autres articles sur Julius Malema, étoile montante de l'ANC et Wael Ghonim, influent blogueur égyptien et icône de cette jeunesse qui a eu raison du régime de Hosni Moubarack.

 Hamidou Anne

Responsable de la rubrique Analyse politique

 

 

Après plusieurs semaines d'observation de la vie politique sénégalaise, il était intéressant de se pencher sur le "cas" Malick Noël Seck, jeune leader du parti socialiste sénégalais qui vient d’être exclu pour avoir défié publiquement le secrétaire général de ladite formation politique. Si l'on positionne le débat d'un point de vue sociétal, voire générationnel, il est difficile de rester insensible au discours tenu par Malick Noël Seck. Le jeune responsable socialiste s’est fait exclure de son parti après avoir demandé au secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, de céder son fauteuil après sa défaite à l'élection présidentielle de mars dernier. L’on comprend certes que l'on puisse reprocher à Malick Noël Seck d'avoir initialement porté ce débat sur la toile, dans la presse et sur les ondes radio. Il aurait en effet pu défendre d’abord ses vues au sein des structures du parti. Cependant, en avait-il la latitude nécessaire dans ces instances dirigées par un homme promu à l'issue d'un congrès sans débat ? Il est possible d’en douter.

Pour en venir au débat de fond, Malick Noël Seck dit une chose simple : "Dans tout parti politique, il doit y avoir un renouvellement de leadership". Cette parole est d'une réelle évidence et n'est pas seulement valable en politique, mais dans beaucoup de domaines: de la gestion du domicile familial avec la responsabilisation des ainé(e)s, aux terrains de sport collectif où les leaders techniques sont renouvelés à chacune des fins de cycle de leur équipe. Dans une société sénégalaise de plus en plus démocratique, il est devenu difficile d’imposer une omerta dans les appareils politiques en dépit des opinions des uns et des autres. Dans un pays qui a connu Sembène Ousmane, Cheikh Anta Diop ou Mamadou Dia, aucune compétence n'est irremplaçable, aucun homme n'est éternel. L’ancien président de la République Abdoulaye Wade l'a appris à ses dépends au soir du 25 Mars 2012, comme Abdou Diouf avant lui à l'aube de ce siècle. Aucun homme n'est irremplaçable, encore moins en politique où les échéances électorales viennent régulièrement sanctionner la capacité des leaders de partis à porter les débats, fédérer les troupes et susciter l'engouement populaire. Sur ce dernier point, Ousmane Tanor Dieng a failli car il a été battu à aux deux élections présidentielles (2007 et 2012) auxquelles il fut le candidat de son camp.

De 41% en 2000, le score socialiste est passé à 14% en 2007 puis à 11% en 2012. Les faits sont là et ils sont têtus. Voilà les chiffres qui caractérisent le bilan de Tanor Dieng à la tête du PS sénégalais. Comment le parti le plus ancien du Sénégal et le mieux implanté sur le territoire national peut-il fermer les yeux sur ce passif ? Pourquoi ce parti, qui a dirigé le Sénégal pendant 40 ans, et qui dispose d’un nombre conséquent de cadres et d’intellectuels, fait-il la sourde oreille sur ce que prêche Malick Noël Seck ?

Ces questions méritent réflexion et engagent l'ensemble de la jeunesse sénégalaise. Le Sénégal et l'Afrique ne méritent pas moins que les Etats Unis ou le Royaume Uni. Barack Obama a été élu à la tête de la première puissance mondiale à 47 ans. David Cameron dirige la 7ème économie mondiale depuis ses 42 ans. Malick Noël Seck a, lui, 39 ans, et il s'estime encore immature pour briguer la tête du parti socialiste, il demande tout de même un renouvellement de son leadership. La jeunesse sénégalaise et africaine devrait lui prêter une oreille attentive, soutenir sa posture et l'encourager à poursuivre son combat pour le bénéfice de la démocratie et du renouvellement des élites dans les formations politiques en Afrique.
 

Fary Ndao 

Interview avec Ndèye Dagué DIEYE sur la situation des personnes handicapées au Sénégal

Actuellement responsable de la division Promotion Sociale des Personnes Handicapées au sein du ministère de la santé et de l’action sociale du Sénégal, Mme DIEYE milite depuis 30 ans en faveur de l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap. En 2002, cette militante de cœur, Présidente du Comité des Femmes de la Fédération Sénégalaise des Associations de Personnes Handicapées, a été nommée innovatrice ASHOKA pour l’intérêt public. Mme DIEYE répond aux questions de Terangaweb sur son parcours, la situation des personnes handicapées, le regard que porte sur elles la société sénégalaise ainsi que les politiques publiques les concernant.

Terangaweb : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous parler de votre parcours ?

Mme DIEYE : Je suis membre de l’Association Nationale des Handicapés Moteurs du Sénégal depuis 1984 et présidente de la première section féminine de cette association. Enseignante de formation, je suis sortie de l’école normale des jeunes Filles Germaine Le Goff de Thiès. Durant ma première année de service, je fus affectée à Mbour ma ville natale, où j’ai adhéré à l’association nationale des handicapés moteurs du Sénégal. J’ai ainsi beaucoup milité à travers des actions de terrain telles que la sensibilisation au niveau des villes et villages du département de Mbour. Avec l’appui des partenaires, nous avons eu beaucoup de réalisations au profit des personnes handicapées (siège fonctionnel avec internat, maternelle, habitations pour certains leaders). Nous avons notamment beaucoup travaillé au rapprochement des enfants handicapés de leur habitation, à la dérogation de l’âge scolaire, à l’octroi de fournitures scolaires, de bourses d’études, etc. C’est après dix années de militantisme à Mbour que j’ai rejoint mon mari à Dakar où j’ai continué mes activités au sein de l’association.

Avec le comité national, nous avons aussi réalisé d’importants projets, aussi bien sur le plan national (élaboration de plans d’action, séances de sensibilisation, de lobbying, de plaidoyer, renforcement des capacités, participation active à l’élaboration des textes en faveur de personnes handicapées) qu’international (participation à des forums, séminaires sur les personnes atteintes de handicap en général et les femmes handicapées en particulier).

Après avoir servi au niveau du centre Talibou Dabo (un centre pour enfants handicapés physiques-NDLR), j’ai été affectée, en 2009, à la direction de l’action sociale, au sein de la division promotion sociale des personnes handicapées pour être non seulement plus proche de la cible mais aussi pour avoir plus de possibilités d’action par rapport à leurs dossiers de prise en charge et participer à l’élaboration de politiques et programmes les concernant. Au sein du ministère de la santé et de l’action sociale, je suis aujourd’hui responsable de la division Promotion Sociale des Personnes Handicapées, tout en étant par ailleurs Présidente du Comité des Femmes de la Fédération Sénégalaise des Associations de Personnes Handicapées.

Terangaweb : Quelles sont les raisons qui ont motivé votre engagement et quelles sont aujourd’hui les principales actions que vous menez au sein de votre association ?

Mme DIEYE : Lorsque j’ai été admise à l’Ecole normale des Jeunes Filles à Thiès, on a voulu m’exclure de l’école, soit disant parce que j’étais inapte à enseigner du fait de mon handicap. Et c’est après une lutte acharnée – avec notamment l’aide de mon père adoptif – que j’ai pu exercer. Cette expérience a véritablement constitué un moment fort de ma vie. Mon adhésion à l’association nationale des handicapés moteurs du Sénégal m’a confortée dans cette position : les personnes handicapées ne sont pas des citoyens à part mais des citoyens à part entière, avec donc des droits et des devoirs.

Au niveau de l’association, j’ai pu constaté à quel point de nombreuses personnes handicapées sont laissées à elles mêmes, souvent victimes de marginalisation avec une forte exposition à la pauvreté sous toutes ses dimensions. Au fur et mesure qu’on les amenait à se structurer à travers la sensibilisation, la formation à certains métiers et l’insertion professionnelle, on a pu noter des résultats positifs.

D’autre part, nous octroyons des fournitures et cadeaux aux enfants handicapés et autres enfants vulnérables tout en sensibilisant fortement les parents sur la nécessité de les envoyer à l’école. En outre, des causeries sont organisées sur la santé de la reproduction des femmes handicapées (planning familial, visites prénatales, etc.), sur la lutte contre le SIDA. Des activités génératrices de revenus ont aussi été mises en place pour les femmes handicapées (salon de coiffure, de couture, restaurants, petits commerces).

Par ailleurs, nous avons effectué du lobbying et organisé de nombreux plaidoyers ainsi que des campagnes de sensibilisation et d’information. Nous participons également aux grandes journées nationales telles que celles dédiées à la lutte contre la poliomyélite et à la lèpre. Dans le cadre de ce travail de mise en exergue de la question du handicap, nous avons aussi mis sur pied des ateliers pour l’appropriation des lois concernant les personnes handicapées (loi d’orientation sociale, convention internationale sur les droits des personnes handicapées).

Terangaweb : Existe-t-il au Sénégal des politiques publiques en faveur des personnes en situation de handicap (prise en charge de soins, insertion professionnelles, etc.) ?

Mme DIEYE : En matière de santé, une lettre de garantie est délivrée aux personnes handicapées pour leur prise en charge médicale (soins, analyses, hospitalisations, interventions) au niveau des hôpitaux agréés par l’Etat dans ce domaine.
Pour ce qui est de l’emploi, il existe un quota spécial de 15% pour le recrutement des personnes handicapées dans la fonction publique.
De façon plus générale, il existe un programme national de réadaptation à base communautaire qui s’articule autour de quatre volets : l’appareillage, le financement d’activités génératrices de revenus, le renforcement de capacités, les études et recherches sur le handicap. L’Etat attribue aussi des subventions aux organisations de personnes handicapées et aux structures d’encadrement.
Enfin, en ce qui concerne la législation, le Sénégal a ratifié la Convention Internationale sur les droits des personnes handicapées. Sur le plan national, le Sénégal a élaboré la loi d’orientation sociale en faveur des personnes handicapées. Cette loi nationale a pris en compte toutes les préoccupations des personnes handicapées (santé, éducation, formation, emploi, transport, accessibilité…). Trois décrets d’applications sont déjà élaborés et attendent d’être signés.

Terangaweb : Au delà des mesures que peuvent prendre les pouvoirs publics, les populations n’ont-elles pas un rôle primordial à jouer dans la prise en charge des personnes handicapées, à commencer par le regard que la société peut porter sur elles ?

Mme DIEYE : Les populations ont un rôle important à jouer en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Cela doit d’abord passer par la famille qui, très souvent, tombe dans deux travers qui portent préjudice à la personne atteinte de handicap: soit elle délaisse l’enfant handicapé pensant qu’il ne peut rien faire, soit il le surprotège.
Le regard de l’autre vient encore accentuer ces préjugés qui ne font que freiner le processus d’intégration des personnes en situation de handicap et créer davantage de marginalisation. Plutôt que de mettre l’accent sur les incapacités des personnes handicapées, la société devrait privilégier leurs capacités et les accompagner.
S’il est vrai que la mise en œuvre de la loi d’orientation sociale élaborée pour les personnes handicapées nécessite un apport considérable de l’Etat, il faut aussi, de la part de l’ensemble de la société, une forte implication accompagnée d’un changement de mentalité pour vaincre les préjugés.

Terangaweb : Le Président de la République Macky Sall a placé au cœur de son programme la santé avec notamment la mise en place d’une couverture médicale universelle. Avez-vous un espoir de voir les problématiques liées au handicap être mieux prises en charge par les pouvoirs publics ?

Mme DIEYE : La mise en place d’une couverture médicale universelle est une décision bien accueillie par les personnes handicapées car la santé demeure un besoin essentiel et certaines personnes handicapées éprouvent d’énormes difficultés dans ce domaine.

Il reste cependant judicieux de noter que la question du handicap constitue une problématique transversale : les personnes handicapées ont certes des problèmes de santé, mais elles ont aussi des difficultés d’emploi, de formation, de transport, d’habitat. En d’autres termes, elles ont tous les problèmes que rencontrent les êtres humains mais que vient accentuer leur situation de handicap. C’est pourquoi la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et la loi d’orientation sociale en faveur des personnes handicapées constituent des instruments juridiques conçus en tenant compte de toute la transversalité de la question. Donc ce que nous demandons pour une égalisation des chances pour les personnes handicapées, c’est leur application. En avant pour la signature des décrets d’application et la mise en œuvre effective de la loi.

Interview réalisée par Khady Marième

Poids du rap au Sénégal et tradition orale en Afrique

Quelle peut être le lien entre la pratique discursive orale, partie intégrante sinon essentielle de la culture et de l’histoire des sociétés africaines d’une part et d’autre part le rap, moins en tant que style musical que pratique discursive aussi, vecteur de messages et phénomène de société au Sénégal, un des trois pays, avec les USA et la France, où cette musique est le plus populaire selon certaines études. Leur utilisation comme moyen d’accession à l’information ou du moins à la compréhension de celle ci par une très grande partie de la population? Peut être. Leurs vertus éducatives et formatives de la conscience de cette même population ? Certainement.

Le rôle crucial de l'oralité dans les sociétés africaines

Dans sa « critique de la raison orale », le professeur Mamoussé Diagne a démontré le rôle crucial qu’a joué l’oralité dans les sociétés africaines. Une sorte de réhabilitation de ce mode de transmission du savoir, de partage des connaissances et de critique de la société alors que d’aucuns l’ont assimilé à la cause majeure du retard de l’Afrique du fait de son utilisation quasi exclusive et donc de la presque absence de systèmes d’écriture. Nous n’étalerons pas ici toute sa brillante démonstration sur l’intérêt d’une étude plus poussée de cette « civilisation » de l’oralité dans le processus de réappropriation de notre histoire et dans l’appréhension liée aux péripéties de notre situation actuelle. Mus par une telle ambition, nous n’aurions d’ailleurs ni la maitrise du sujet ni le talent pour la restitution.

Ce sur quoi nous pouvons en revanche nous avancer est un constat : l’Afrique n’écrit pas, ne produit pas assez de livres aussi bien sur son passé, sa situation actuelle que son devenir. Faute de moyens, l’édition d’ouvrage dans le continent est réduite à la portion congrue et les œuvres existantes ne sont pas accessibles à la majorité. Pour autant, le besoin d’une production littéraire de qualité, prenant en compte les réalités sociales, le vécu des populations et leurs aspirations, se fait plus que jamais sentir. C’est ainsi que dans un pays comme le Sénégal, de la même manière que sous d’autres cieux les écrivains ont accompagné des révolutions ou simplement contribué à éduquer les populations, à conscientiser les masses, les rappeurs se sont, par le biais de l’orature, engagés pour l’émergence d’une nouvelle conscience citoyenne.

Le rap : un engagement, à travers la fonction tribunicienne, pour l'émergence d'une nouvelle conscience citoyenne

En effet, un mouvement tel que Y EN A MARRE n’a rien de spontané. Il est l’aboutissement d’un long processus entamé dés le début des années quatre vingt dix au moins. Les jeunes sénégalais, surtout ceux vivant en zone urbaine, ont dès cette époque été influencés par la philosophie Boul Falé (t’occupe pas) et le discours contestataire d’un groupe comme le Positive Black Soul qui les incitaient à aller de l’avant sans s’occuper du regard d’autrui, des aléas et des difficultés de la vie. Dés l’apparition des premiers groupes, PBS, Kocc Barma, Daara J notamment, cette nouvelle musique est tout de suite adoptée par une jeunesse qui se retrouve totalement dans des textes qui ne contiennent ni flagornerie ni discours dithyrambique mais une vision partagée des choses. Elle passe rapidement de simple effet de mode à véritable phénomène de société.

Il y a ainsi toutes ces chansons qui ont marqués leur époque forgeant une nouvelle conscience citoyenne. « Dou Deug Dou Yoon » (c’est pas normal) puis « L’Afrique n’est pas démuni » du PBS par exemple ainsi que toutes les productions allant dans le même sens, ont amené cette jeunesse à acquérir des éléments d’appréciation de l’action d’un gouvernement incompétent et à développer un esprit panafricaniste, seul voix de salut pour le continent. « Mako Wax » (j’ose le dire) et plus tard : « Ça va péter » de Pee Froiss, comme d’autres textes engagés au point de valoir à leurs auteurs des séjours carcérales, ont conduit à élever la voix contre les dérives des tenants du pouvoir politique. Cela a aussi encouragé le peuple, à l’approche d’élections, à manifester son courroux dans les urnes. Le régime socialiste en a fait les frais en 2000.

Et que dire du très culte « Cent Commentaires » interprété par Iba et Makhtar du groupe Rap’Adio qui répertorie avec un talent incomparable toutes les tares de cette société de dissimulation où les compromis et le laisser aller ont toujours pris le pas sur la condamnation sans concession de tout manquement. C’est en cela d’ailleurs que le mouvement hip hop au Sénégal a, dès sa naissance, dérangé, et sans doute plus que l’incursion, dans les années quatre vingt, des tonitruants Grandmaster Flash, Public Ennemy ou Africa Bambata sur la scène publique américaine. Il continue encore de déranger, parce qu’il dénonce sans complaisance tous les errements d’où qu’ils puissent provenir.

Les rappeurs sénégalais, dans leur écrasante majorité, mettent un point d’honneur à s’engager aux côtés du petit peuple, à partager ses souffrances, à se battre pour que les choses changent. S’ils s’écartent de cette ligne de conduite, ils perdent leur crédibilité, leur âme. Aujourd’hui le groupe Ker Gi, Simon ou Fou Malade entre autres prennent le relais des pionniers cités plus haut, avec au moins le même degré d’engagement, pour continuer cette mission de veille et d’éveil qu’ils se sont assignés depuis toujours. Ainsi après avoir pris la tête de l’opposition au régime de Wade et largement contribué à sa défaite cuisante, ils se posent en sentinelles avec pour seul souci la préservation des acquis démocratiques.

Leur combat, leurs paroles valent tous les livres, tous les poèmes engagés aussi pertinents ou beaux soient ils. Et ils ont pour eux l’avantage de capter un public beaucoup plus large. Le poète américain Marc Smith n’a-t-il pas, en 1986, imaginé le Slam, inspiré du rap, dans le but de « rendre les lectures de poèmes à la fois moins élitistes et moins ennuyeuses ? »

Vers une vulgarisation de la transmission orale des connaissances ?

Aujourd’hui, à l’heure du livre audio, qui connait un grand succès dans les pays anglo-saxons et nordiques, et de la progression de l’utilisation du mobile, 620 millions d’abonnés africains au téléphone portable à la fin 2011 (Voir http://terangaweb.com/2012/02/27/la-maturite-du-marche-de-la-telephonie-mobile-en-afrique/), les autorités des pays africains en général, compte tenu du faible taux d’alphabétisation sur le continent (39,3% en 2011 au Sénégal selon Index Mundi), devrait peut être vulgariser le mode de transmission orale des connaissances. Il s’agit de faire par exemple la promotion du livre audio, traduit dans le maximum de langues notamment celles nationales, sur des supports tels que les CD ou les enregistrements sur téléphone mobile ou MP3.

Dans un pays comme le Sénégal, utiliser la voix de rappeurs en lieu et place de la synthèse vocale ne serait pas de trop dans la recherche de l’adhésion du public. Surtout si on considère que chez un Didier Awadi, on retrouve déjà une partie de l’œuvre d’un Césaire ou d’un Damas dans nombre de productions. Sa voix accompagnant l’édition audio du « Cahier d’un retour au pays natal » serait dans la continuité des projets qu’il a réalisés jusqu’ici et atteindrait un public qui sans cela aurait eu peu de chance d’apprécier un tel ouvrage. Naturellement, tout ceci n’exclut nullement de redoubler d’efforts pour atteindre une alphabétisation universelle, y compris dans les langues nationales, ainsi que pour le développement d’une production littéraire riche et accessible. Car, comme le fait remarquer Mamoussé Diagne, nos sociétés sont influencées à la fois par l'oral et par l'écrit.

Dans l’actualité sénégalaise, un exemple allant dans ce sens mérite d’être cité ici. Il s’agit de l’initiative du professeur Fatou Sarr Sow, directrice du Laboratoire Genre de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), dans le cadre de la campagne des élections législatives en cours dans le pays marquées par la loi sur la parité qui oblige les partis à mettre sur leurs listes un nombre égal d’hommes et de femmes. Cette initiative consiste à organiser, pour des femmes candidates, un atelier de formation et de renforcement de capacités rendu nécessaire par le fait que certaines de ces femmes souffrent d’un déficit ou d’une absence d’alphabétisation. Le professeur et ses collaborateurs ont eu l’idée de traduire, notamment en wolof, des textes législatifs et d’autres écrits utiles à une telle fonction, puis de les mettre sur CD audio pour permettre à celles qui ne savent lire ni ne comprennent le français de s’initier et de se familiariser à ces textes. En exposant cette démarche, Le Professeur Fatou Sarr Sow s’est référée à la civilisation de l’oralité et à la pertinence actuelle de l’utilisation des moyens de l’orature.

Il faut dés lors rendre hommage à ces rappeurs sénégalais qui sont dans cette démarche depuis plus de deux décennies avec une préoccupation majeure : contribuer à permettre à ceux qui n’ont accès ni à l’information utile, ni à une véritable documentation littéraire, qui ont besoin d’être conscientisés sur les problèmes et les enjeux de leur temps, de s’imprégner de certaines valeurs historiques, sociales, morales voire philosophiques à travers un discours dont la mise en musique n’est là que comme une sorte d’emballage du message. 

Racine Assane Demba

Bethio Thioune : Le crépuscule d’une idole

"si le communisme et le fascisme n'avaient séduit que des canailles, ils n'auraient pas survécu si longtemps"

Jean-François Revel, le voleur dans la maison vide

 

Lundi 23 avril dernier, Cheikh Bethio Thioune, l'un des leaders de la confrérie Mouride du Sénégal, a été arrêté par les autorités policières sénégalaises et présenté le jeudi suivant à la justice. Il doit répondre des faits suivants : complicité de meurtre, inhumation de cadavres sans autorisation, détention d’armes et association de malfaiteurs. Il apparaît qu'une bagarre a éclaté, il y a quelques mois entre certains de ses "fidèles" et que deux d'entre eux ont été tués puis inhumés, sans plus de cérémonie, dans une concession appartenant au "Guide".

Voilà ce qui arrive lorsqu'un démagogue, un escroc se drape du manteau de commandeur des croyants. Thioune aura été, à la fois, un idiot utile du Wadisme et l'agitateur le plus conscient des failles et impasses du mouvement de Wade. Qu'Abdoulaye Wade ait décidé de s'acquitter des frais de justice du marabout est une circonstance aggravante. Avec la condamnation de Charles Taylor, que finalement, l'homme qui aura durant tant d'années détruit les esprits, l'intellect et la conscience religieuse de tant de gens aient à répondre à la justice, est l'une des meilleures nouvelles que cette pestiférée Afrique occidentale aie connu depuis dix ans.

Dans l’Afrique que nous voulons, Cheikh Bethio Thioune n’a pas de place, ni comme conscience morale, ni comme leader religieux, ni comme influence politique, ni comme entrepreneur privé, ni comme marabout, ni comme magicien. Le seul miracle accompli par cette fraude intellectuelle, par cette régression de la pensée, par ce détourneur de mineurs, par cet apparatchik de bas niveau, c’est d’avoir réussi à échapper à la justice aussi longtemps. Il ne transformait pas l’eau en vin. Il n’a fait que transformer la souffrance et l’ignorance en billets de banque.  

Le crépuscule d'une seule idole n'est pas suffisant. Terangaweb s'est déjà inquiété de la puissance et de la richesse des pasteurs évangélistes de l'Afrique anglophone. Encore un effort, mesdames, messieurs! Encore un effort, et notre pauvre Afrique sera débarrassée de ces fraudes, de ces imbécilités religieuses qui ont contribué, plus violemment que le colonialisme, à réduire la jeunesse d'Afrique à une sorte de réservoir de violences présentes, passées et à venir. 

 

 

Joël Té-Léssia

Macky Sall et le renouveau sénégalais

Au moment de fêter le 52ème anniversaire de son accession à l’indépendance, le Sénégal s’est doté d’un nouveau Président de la République, le premier à être né après l’indépendance de 1960. Au-delà de cette anecdote, Macky Sall incarne, sans le personnaliser, une tendance profonde qui s’est développée depuis trois ans : le renouveau sénégalais. Ce renouveau s’articule autour de trois axes fondamentaux : une nouvelle société civile, laïque, jeune et éclectique, une alternance générationnelle et un nouveau sens à l’action gouvernementale.

Le premier aspect de ce renouveau sénégalais est la naissance d’une vraie société civile qui présente trois caractéristiques majeures. La première est qu’elle est laïque. Dans son ouvrage intitulé Le marabout et le Prince (1981), Christian Coulon expliquait que le Sénégal possédait une société civile essentiellement « à base religieuse ». Les chefs religieux musulmans, d’abord à l’époque de la colonisation et ensuite après l’indépendance, ont joué, à la frontière de la sphère politique, le rôle qu’on peut assigner à une société civile. Ce rôle a encore pu être joué jusqu’à la fin de la décennie 2000. Cependant, au cours des dernières années, on a de plus en plus assisté à une marginalisation de cette société civile « à base religieuse ». Quant à l’élection du Président Macky Sall, elle a sonné le glas de la décadence des chefs religieux donneurs de consignes de vote. A cette société civile « à base religieuse », s’est donc substituée une société civile qu’on pourrait se définir comme laïque et dont on peut se réjouir qu’elle soit davantage en phase avec la Constitution du pays d’une part et d’autre part avec un éveil des consciences digne d’une société éclairée.

En plus d’être laïque, la nouvelle société civile sénégalaise présente la caractéristique d’être jeune. A cet égard, il convient de rendre à César ce qui lui revient. L’opposition traditionnelle sénégalaise a pendant longtemps échoué à constituer un contrepoint à Abdoulaye Wade. C’est d’abord la jeunesse, amenée par le mouvement Y en a marre, qui a impulsé le M23 et qui a constitué la véritable opposition à l’ancien Président de la République. L’élection de Macky Sall doit beaucoup à cette jeune société civile.

Toutefois, cette deuxième caractéristique ne doit pas amener à occulter le caractère désormais éclectique de la société civile sénégalaise. On y retrouve certes une jeunesse fortement engagée mais aussi d’autres structures. Ainsi, les Assises Nationales ne sont pas à négliger d’autant plus que les conclusions qui en sont issues compléteront le programme présidentiel de Macky Sall, notamment sur le renforcement de la démocratie, le raffermissement des institutions et l’indépendance de la justice. Le phénomène Youssou Ndour non plus n’est pas à négliger : l’engagement du chanteur et homme d’affaires sénégalais pour le départ d’Abdoulaye Wade a été sans relâche et tout au moins salutaire dans l’internationalisation du débat.

Outre cette nouvelle société civile, laïque, jeune et éclectique, le renouveau sénégalais transparait également dans l’alternance générationnelle incarnée par le Président Macky Sall. Sur le continent le plus jeune de la planète, la moyenne d’âge des dirigeants est le plus élevé au monde. Face à un tel paradoxe, le Sénégal vient d’envoyer à la retraite un octogénaire pour confier les rênes du pays à un homme davantage en phase avec la jeunesse de la population. Le renouveau sénégalais, c’est aussi l’avènement d’une équipe dirigeante dont la projection vers l’avenir est crédibilisée par une appartenance à la génération du plus grand nombre. Si la démocratie est le pouvoir du peuple et si les représentants du peuple doivent être à son image, l’alternance générationnelle, tout comme le renouveau la société civile d’ailleurs, contribue substantiellement à consolider la démocratie sénégalaise.

Mais à quoi servirait une démocratie dans une misère économique ? Le renouveau aurait en effet été vain s’il n’était pas sous-tendu par un nouveau sens à l’action gouvernementale. Celle-ci est désormais résolument tournée vers un double objectif : dans l’immédiat, l’amélioration des conditions de vie des populations les plus modestes, et à moyen et long termes, la mise en œuvre des conditions de l’émergence économique.

A cet égard, le nouveau Président de la république a posé des actes concrets. Le premier est la nomination d’un Premier Ministre de très haut niveau, Abdoul Mbaye, banquier d'affaires diplômé d'HEC, ancien PDG de plusieurs banques sénégalaises et orfèvre de l'installation du Groupe marocain AttijariWafa Bank au Sénégal. Ce technocrate reconnu et respecté, doté d'une fine intelligence et d'une intégrité jamais remise en cause, saura animer l'équipe gouvernementale et lui insuffler une culture de résultat issue du secteur privé. Là où le dernier gouvernement d'Abdoulaye Wade comptait 40 personnes dont…13 ministres d'Etat, celui qui sera animé par Abdoul Mbaye ne comptera pas plus de 25 ministres. Macky Sall a fermement averti ses collaborateurs lors de son discours du 3 avril que l'exervice du pouvoir sera "un sacerdoce sans ambiguité, (car) il est question de servir et non de se servir". Et ce sacerdoce se focalisera d'abord sur l'amélioration des conditions de vie des sénégalais.

Sur ce point, le Président, directement dans ses discours et à travers ses conseillers économiques, a annoncé la baisse dans les prochaines semaines des prix de trois denrées de première nécessité, à savoir le sucre, le riz et l’huile, de quoi rendre plus agréable et plus accessible le diébou djeune (riz au poisson, plat traditionnel du pays) des sénégalais. De plus, son gouvernement devrait aussi mettre en place assez rapidement une couverture maladie universelle (CMU).

Enfin, le programme présidentiel de Macky Sall a été conçu comme un chemin vers le véritable développement. Tout ne sera pas réalisable dans les prochaines années mais le Sénégal peut au moins avoir la certitude d’être désormais sur la bonne voie, avec un leadership de qualité.

Dans ce Sénégal nouveau, la politique n’est plus déconnectée de la réalité, elle n’est plus seulement une représentation ; elle est devenue le réel. C’est aussi cela qui donne sens aux premiers mots du Président de la République, au soir de son élection : « Ce soir une ère nouvelle commence pour le Sénégal. Ensemble nous allons rapidement nous atteler au travail de redressement attendu par chacun et attendu de chacun ».

Bonne fête de l'indépendance! Bonne route sur le chemin de la réfondation démocratique et de l'émergence économique!

                                                                                                                                                              Nicolas Simel

Macky Président : quelles perspectives ?

"Mes pensées vont tout d'abord aux martyrs de la Nation, qui se sont battus pour le respect de notre constitution". Ces propos sont ceux de Macky Sall lors de sont tout premier discours en tant que 4ème Président de la République du Sénégal. Il y'a on ne sait quoi de grand chez cet homme à la stature imposante et qui distille rarement un mot plus haut que l'autre. Une dignité non feinte qui se retrouve dans cette référence à tous ceux et celles qui sont morts par la faute du seul entêtement d'un homme de 86 ans et de son clan. Les enseignements de ce second tour, avec la chute de Wade, le consensus autour de Macky Sall et les perspectives ouvertes par ce scrutin.

La triste chute du Président Wade

Cet entêtement à se présenter contre la loi et en dépit des morts a été sanctionné, entre autres dérives, par un score historique au second tour de cette Présidentielle. En effet avec seulement 32% des suffrages, le Président sortant Abdoulaye Wade est en passe d'obtenir un score plus faible qu'au premier tour, ce qui ne ferait que confirmer la "jurisprudence du sortant condamné dès le 1er acte" (Diouf 2000, Gbagbo 2010) : car dès le 26 Février 2012 les sénégalais ont clairement dit qu'ils ne voulaient plus d'Abdoulaye Wade, ils l'ont confirmé ce 25 Mars.

Et comme l'a si justement dit Albert Bourgi au lendemain du 1er tour, c'est d'abord la manière d'exercer le pouvoir qui a été sanctionnée : un pouvoir géré de manière familiale, reclus dans ses certitudes, ignorant les complaintes des populations (vie chère, crise scolaire), enfermé dans ses berlines et ses scandales financiers, hautain à l'égard de ses opposants et donc à l'égard de ceux que ces derniers représentent. La liste pourrait s'allonger mais ces éléments sont peut-être les plus marquants et ceux qui ont coûté le plus cher au Président Wade malgré un bilan plus qu'honorable, notamment dans les infrastructures, la modernisation de la fonction publique et le désenclavement des zones rurales. Un sacré monstre politique et un président controversé vient de s'en aller comme il est arrivé : par les urnes et dans la liesse. Son successeur : Macky Sall.

Macky Sall : Par ici M. Le Président !

Il est à la fois la surprise et l'homme attendu de cette présidentielle. Surprise car son score du 1er tour était déjà exceptionnel pour un néo-candidat ayant un "bébé parti" (l'APR est né en 2009), semi-surprise par le consensus qu'il a réussi à faire autour de lui lors de ce second tour. Avec 68 % des voix, Macky Sall a fédéré toute l'opposition, tous les sénégalais car malgré les lignes de fractures qui traversent notre pays (sociales, confrériques etc), il a réussi le tour de force de rassembler et il serait trop réducteur, à mon humble avis, de tout mettre sur le compte du "Tout sauf Wade !" car il est peu probable qu'un Idrissa Seck aurait réussi à avoir un tel score, s'il était arrivé au second tour.

Cette capacité à faire consensus autour de lui me fait donc dire que Macky Sall était également un peu attendu à l'occasion de cette présidentielle. Il symbolise la rupture générationnelle réclamée par les formations politiques (AG Jotna, FSD BJ) et dictée par la démographie d'un pays où 6 millions de personnnes n'ont pas encore 18 ans. Telle est la raison pour laquelle l'honorable Moustapha Niasse ne pouvait pas gagner cette élection : les sénégalais voulaient un président jeune, ils ont choisi Macky Sall, 51 ans, le premier Président né après l'indépendance de 1960.

Le candidat programmé pour gagner

Mais au delà de l'atout de la jeunesse, Macky Sall dégage quelque chose d'assez énigmatique qui a parlé aux sénégalais, il semble leur inspirer confiance ou en tout cas il suscite rarement le rejet chez eux et on n'arrive pas tellement à trouver matière à polémiquer contre lui : car malgré ses 8 ans passés dans le PDS de Wade et ce aux plus hauts postes de responsabilité de l'Etat, Macky Sall est très peu voire jamais cité dans des affaires de gros sous et cela l'a beaucoup servi. Il a même lancé à l'occasion de la campagne, un très offensif "Si Wade et son régime ont des dossiers contre moi, qu'ils les sortent ! ".

Outre les apports des candidats malheureux du 1er tour, Macky Sall a également bénéficié d'un vote large car il a sillonné les routes, dormi chez des sénégalais lambda lorsqu'il allait dans les régions pour implanter son parti et préparer cette écheance, il a bénéficié de sa connaissance minitieuse de la carte électorle sénégalaise, lui le scientifique rigoureux directeur de campagne victorieux en 2007. Enfin, il a mis la diaspora dans son escarcelle à l'aide de nombreux voyages or cette diaspora même si elle ne vaut même pas la le tiers du département de Pikine, a une grande influence et un fort poids financier conséquent dans la vie de millions de sénégalais. Fort de tout cela, Macky était un sacré client : il a confirmé son potentiel et est devenu le 4ème Président du Sénégal.

Les perspectives : Entre urgences sociales, gestion du pouvoir et questions clés.

"Dundd gi metti na !" Ce cri relatif à la vie chère est sur toutes les bouches ou presque, il n'est ni l'appanage des villes , ni celui des zones rurales et Macky Sall sera très attendu sur ce point. Son équipe devra être capable de limiter les impacts d'un contexte économique mondial perturbé, avec des matières premières sous forte pression et des céréales (riz, blé) de plus en plus chères. A moins qu'il apporte réellement la rupture en privilégiant davantage le consommer local et en renforçant drastiquement les capacités agricoles dans la vallée du fleuve, ce qui est d'ailleurs écrit dans son programme "Yoonu Yokkute". L'accès aux soins pour le plus grand nombre est également un priorité dans un pays où une radiographie coûte 15.000 FCFA, soit la moitié du salaire mensuel d'une femme de ménage à Dakar.

Outre la brulante question des grêves récurrentes dans l'Education nationale, Macky Sall devra se démarquer, s'il veut être réélu et pour le bien du Sénégal surtout, de la gestion qui était devenue désastreuse vers la fin du second mandat d'Abdoulaye Wade. Macky Sall doit mettre fin à l'ère des scandales à répétition, des distributions arbitraires d'argent (lutteurs, militants) et du train de vie extraordinairement élevé de l'Etat avec 100 Milliards de FCfa de budget annuel de la Présidence, 40.000 euros par voyage en jet privé du Ministre Karim Wade, pléthore d'agences nationales inutiles et budgétivores etc. Il doit également gérer dans la transparence, étendre les prérogatives des organismes de controle (ARMP, Cour des Comptes, IGE) et éviter les distributions politico-politicardes de postes afin de privilégier la compétence. C'est un voeu qu'il a lui même émis, esperons qu'il tiendra parole. En tout cas, en bons patriotes, nous lui mettrons la pression pour qu'il change cette manière de faire car maintenant que nous savons que la vigilence paye nous continuerons à faire de la veille citoyenne.

Enfin, il faudrait profiter de l'accession au pouvoir d'un président jeune et brillant (tous les témoignages sont unanimes là dessus) pour soulever les questions de fond, les questions clés comme la sortie de cette camisole de force que constitue le Fcfa, l'exploitation des richesses minières et bientôt pétrolières au bénéfice réel des populations et non des multinationales (cf. Or de Sabodala, bientot de Massawa), l'urgence de l'union sous-régionale et le réglement définitif de la crise casamançaise, par la force ou par la négociation.

Je terminerai sur les premiers mots de notre nouveau Président "Mes pensées vont tout d'abord aux martyrs de la Nation, qui se sont battus pour le respect de notre constitution". Nous ne vous oublierons jamais…Vive le Sénégal, vive l'Afrique.

Fary Ndao

Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais

 
 
Pour l'observateur non averti, les élections présidentielles sénégalaises s'apparentent étrangement à une transition démocratique. Elles en portent tous les stigmates : l'intransigeance du camp au pouvoir, le sentiment d'urgence qui étreint l'opposition, la pressante mobilisation de la société civile, les stratagèmes mis en place par les partis d'opposition, les larges et difformes coalitions machinées dans l'urgence, le pouvoir parlementaire muet et unicolore, le pouvoir judiciaire contesté – non plus sa simple indépendance –  les trahisons au sein de la majorité au pouvoir, l'alliance des modères de celle-ci avec l'opposition, le va-tout des conservateurs (ici, les imprécations proprement non-démocratiques de Bethio Thioune), l'irruption de candidature « boulangeo- technocratique » de Youssou Ndour. Même l'attitude d’Abdoulaye Wade : la tentation monarchique, le désir de manigancer une réforme électorale d'urgence, le déni de toute légitimité à ses opposants. Tout respire la fin du régime autocratique.
 
À ceci près justement, que la présidentielle 2012 au Sénégal n'est qu'une banale élection dans un pays de tradition démocratique. Au plutôt : elle n'aurait dû être qu'une banale présidentielle dans une démocratie apaisée. Que cela ne soit pas le cas aujourd'hui est d’abord et avant tout, la responsabilité des Sénégalais. Cette génération devra, un jour ou l’autre, expliquer sa trahison.
 
Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais. C’est l’opposition sénégalaise qui tira un Wade déconfit et découragé de son exil parisien en 1999 pour en faire son champion. Ce sont les Sénégalais qui l’ont porté au pouvoir et qui l’ont reconduit dans ses fonctions en 2007. Ce sont eux qui ont placidement accepté ses dérives autoritaires. Ce sont eux qui, docilement, ont laissé se dégrader leur démocratie.
 
Au début des années 2000, le Sénégal avait :
  • l’armée la plus disciplinée, la plus unie, la plus loyale d’Afrique ;
  • une population globalement libre de tensions ethniques ou de ressentiments tribaux majeurs – y compris la question casamançaise – ;
  • un paysage politique diversifié et solide au début du millénaire ;
 
Une décennie à peine plus tard, l’offre politique se résume essentiellement à un tout sauf Wade, les semaines précédant l’élection se sont écoulées dans une ambiance quasi-insurrectionnelle, personne ne sait exactement ce que sera la réponse des militaires sénégalais si des troubles éclatent à l’issue du second tour, la CEDEAO a dû dépêcher Obasanjo comme médiateur – de tous les coups bas, celui-là est le plus abjecte. Et les citoyens sénégalais ont réalisé ce chef-d’œuvre d’irresponsabilité, en toute liberté, sans pressions extérieures, sans baïonnette aux tempes, avant de se réveiller bruyamment et violemment après des années de silence – dira-t-on "de stupeur" par mansuétude?
 
Que l'on ne s'y trompe pas, au moment du diagnostic, la vraie interrogation n'est pas tant de savoir ce que Wade a fait du Sénégal mais ce que les sénégalais ont fait de Wade et de leur pays. Parce que, bon sang, le droit de vote est aussi un devoir de responsabilité.
 
Joël Té-Léssia

Les enseignements du 1er tour des présidentielles au Sénégal

Les urnes ont parlé ! Et les sénégalais ont encore surpris. Plusieurs enseignements, et non des moindres, sont à tirer de ce 1er tour de la présidentielle. La fin de l'ère Wade, la percée de Macky Sall, la chute d'Idrissa Seck, le beau baroud d'honneur de Moustapha Niasse et la triste fin de Tanor. Voilà autant de points remarquables dans ce 1er tour en attendant…le second.

1 – La fin de l'ère Wade

Abdoulaye Wade n'aura finalement pas droit à un troisième mandat. Les 1ers tours en Afrique (de l'Ouest) sont de vrais révélateurs pour les pouvoirs en place car ils sanctionnent souvent une réelection haut la main (Wade 2007, Compaoré 2010) ou annoncent une défaite au second tour (Diouf 2000, Gbagbo 2010). Si la jurisprudence des 1ers tours est vérifiée, Abdoulaye Wade vient de perdre son fauteuil présidentiel et finira ses 12 ans de pouvoir le 03 Mars prochain. Les grands centres urbains de l'Ouest (Dakar, Mbour, Thies, Kaolack) ont été les principaux foyers de la contestation de la candidature du Président sortant et ont joué le rôle de locomotive dans l'effritement de l'électorat du Président sortant. La conclusion me semble inéluctable : nous sommes bel et bien entrés dans l'ère post-wade. Le 2nd tour Wade/Macky qui se dessine le confirmera probablement.

2 – La percée de Macky Sall et la scission du PDS

Le grand gagnant de ce 1er tour est sans aucun doute le leader de l'APR et candidat de la coalition Macky 2012, Macky Sall. Il confirme ainsi la place de second que beaucoup lui prédisaient au vu des importantes mobilisations populaires notées lors de ses meetings durant la campagne. Il distance ses riveaux de l'opposition (Moustapha Niasse, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng), remporte son fief de Fatick et fait d'excellents scores dans la banlieu de Dakar et dans…des fiefs du Président sortant (région Nord avec le Fouta, Sénégal Oriental, Casamance, Kolda). Comment expliquer cette percée ? Tout d'abord par sa stratégie de campagne que les sénégalais ont semblent-il apprécié : des meetings jusqu'à 4h matin, une couverture quasi exhaustive du territoire national et de fréquents voyages dans la diaspora depuis 3 ans. Macky Sall a également aggregé autour de lui une belle coalition avec d'anciens candidats potentiels à la présidentielle comme Aminata Tall du PDS, Me Moussa Diop d'AG Jotna, Arona Ndoffène Diouf également. Cependant la percée de Macky Sall trouve surtout son explication dans l'éclatement de l'électorat du PDS. En effet, il semblerait que les PDS ont voulu signifier diplomatiquement à leur leader historique Wade, qu'ils souhaitaient voir un changement générationnel à la tête du bloc libéral et ont donc déporté leurs voix sur le candidat Sall. Ceci explique les excellents scores de Macky Sall dans des localités où Wade avait regné sans partage en 2007. Cependant, je pense qu'il faut également voir cette scission du PDS en défaveur de Me Wade, comme une réaction d'orgueuil des sénégalais qui n'ont pas voulu renforcer davatange l'hyperministre Karim Meissa Wade, en confiant un nouveau mandat à son père. Les PDS ont dit à Wade de passer le flambeau et ont semble-t-il dit non à Karim Wade mais ils n'ont pas tout jeté de leur identité et se sont reconnus dans le libéral Macky Sall pour perpétuer l'esprit de leur famille politique à la tête de l'Etat sénégalais.

3 – Le combat contre la candidature de Wade a lassé les sénégalais et perdu Idy

Beaucoup de morts, un lieu de culte profané lors de manifestations, des dégats collatéraux qui ont touché les biens d'autrui : le combat contre la candidature de Wade a mobilisé beaucoup d'énergie et a occupé l'essentiel de l'espace médiatique lors de cette campagne électorale. Mais l'enseignement donné par ce 1er tour est que ce combat a lassé les sénégalais et ils ont préféré voter pour ceux qui ont parlé de programme plutot que pour ceux qui ont parlé de constitution. Pragmatisme politique ou immaturité démocratique ? La question reste ouverte mais le peuple sénégalais a préféré voter pour ceux qui ont sillonné le pays à sa rencontre plutôt que ceux qui se sont battus dans les rues de Dakar pour faire respecter la constitution et les lois.

Ainsi le grand perdant de ce 1er tour est le candidat de la coalition Idy4President, Idrissa Seck. Distancé par Macky Sall, probablement devancé par Niasse qu'il avait largement distancé en 2007, Idrissa Seck a semble-t-il payé ses multiples allers retours chez Wade et n'a pas bénéficié du combat mené à Dakar contre la candidature de Wade : il doit probablement se mordre les doigts de ne pas avoir battu campagne un peu partout dans le pays. On pourrait également dire la même chose des candidats Ibrahima Fall de Taxaw Tamm et Cheikh Bamba Dièye du FSD/BJ : cependant il faut noter que ceux-ci n'étaient pas vus comme de potentiels candidats capables de se qualifier au second tour. Leur score est même positif vu la petite taille de leurs partis respectifs. Le grand perdant de la lutte jusqu'au boutiste contre la candidature de Wade est bel et bien le maire de Thiès Idrissa Seck. Il devra maintenant se résoudre à être au mieux, le 5ème président de la République du Sénégal car le 4ème fauteuil présidentiel semble être promis à Macky Sall.

4 – Le beau baroud d'honneur de Niasse et la triste fin de Tanor

A mes yeux, la véritable surprise de ces élections est l'excellent score de Moustapha Niasse (autour de 15%) alors qu'il n'avait récolté qu'un peu plus de 4% en 2007. Aidé par la machine électorale qu'est la coalition Benno Siggil Sénégal, Moustapha Niasse a vu être confirmé, à travers ce vote massif en sa faveur, la crédit que les sénégalais lui accordent en tant qu'Homme d'Etat. Il est vrai qu'en ces heures troubles pour le Sénégal, il avait peut être le profil le plus rassurant pour diriger le pays en tant que sage de la nation. Il aura son mot à dire en vue du second tour Wade/Macky comme il avait eu son mot à dire en 2000 lors du duel Diouf/Wade.
Diouf avait fait 41% en 2000, son successeur naturel Ousmane Tanor Dieng n'avait réussi qu'à faire 14% en 2007 et a semble-t-il encore reculé lors de cette présidentielle pour se retrouver avec un score aux alentours de 10% malgré un maillage socialiste qui a eu le temps de s'installer sur tout le territoire durant les 40 ans de règne du PS. L'heure du renouvellement de leadership semble venue dans ce parti : Khalifa Sall, maire de Dakar, est le patron naturel tout désigné de ce Parti Socialiste rénové, avec à ses côtés les guerrières que sont Aissata Tall Sall et Aminata Mbengue Ndiaye respectivement maires de Podor et de Louga.

Ce 1er tour a donc été pour les sénégalais l'occasion d'opérer à une redistribution des cartes sur l'échiquier politique national. Il aura surtout permis d'opérer le renouvellement générationnel tant attendu (probables retraites politiques de Wade, Niasse et Tanor Dieng), fait un grand perdant avec Idrissa Seck et consacré un homme Macky Sall. Cheikh Bamba Dièye fait beaucoup mieux qu'en 2007 mais son score reste faible et Ibrahima Fall fait un score respectable mais logique pour un homme inconnu il y'a encore un an. Finalement, mieux valait s'armer de sa carte que brûler des pneus, le résultat final aura été le même : Le Président Abdoulaye Wade semble définitivement être un président sortant, et j'estime que c'est une bonne chose car cela permet d'ouvrir une nouvelle ère politique dans notre pays et c'était une condition nécessaire pour le respect de la mémoire de tous ceux qui ont disparu en luttant contre ce 3ème mandat. Ces jeunes, qui auraient pu diriger le Sénégal de demain, ne seront donc pas morts pour rien. Paix à leurs âmes, vive le Sénégal et vive l'Afrique !

PS : Je tiens à rendre hommage aux médias du Sénégal (radios,TV) et aux citoyens qui ont joué un rôle décisif dans la sécurisation du vote populaire en signalant les vélléités de fraude et les tentatives d'intimidations, même si celles ci sont restées marginales à l'échelle du pays. Le vote c'est également la vigilence.

 

Fary NDAO

Sénégal: le devoir de résistance à Wade

"Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir." Montesquieu, L'Esprit des lois – 1748

 Pourquoi résister à Abdoulaye Wade est devenu un devoir moral ? 

Au Sénégal, après la validation de la candidature de l’actuel Président Abdoulaye Wade par le Conseil Constitutionnel, la résistance par tous les moyens est devenue un devoir moral. 

La candidature de Wade pour un troisième mandat est une violation manifeste de la Constitution, d’abord contre son esprit. En réformant la Constitution en 2001, l’idée de Wade était qu’aucun Président, y compris lui, ne puisse effectuer plus de deux mandats à la tête du pays. Mais puisqu’au pays du « Ma wakhon, wakhet »[1], plus qu’ailleurs, la parole est libre, mieux vaut s’en tenir à l’écriture qui, elle, est serve.

A cet égard, la candidature d’Abdoulaye Wade constitue une violation de la lettre de la Constitution dont l’article 27 stipule que « le mandat (du Président de la République) est renouvelable une seule fois ». Quant à penser que cette disposition adoptée en 2001 sous Wade ne s’appliquerait pas au Président en exercice, l’article 104 est péremptoire : « toutes les dispositions de la présente Constitution lui sont applicables ». 

A vrai dire, cette candidature n’est que le dernier avatar d'une manie de manipulation de la Constitution et des lois dont Abdoulaye Wade seul a le génie. Lorsqu’en septembre 2008, il a voulu se débarrasser de Macky Sall, alors Président de l’Assemblée Nationale, il a fait voter un amendement à l'article 62 de la Constitution pour réduire la durée du mandat du président de l’Assemblée Nationale en cours d’exercice de 5 à…1 an…avec effet immédiat. En juin 2011, mesurant (enfin) l’ampleur de son impopularité, il a voulu modifier la constitution pour ramener la majorité pour être élu au premier tour de l’élection présidentielle de 50% à…25%, et même pas des inscrits, mais des seuls votants. N’eut été la détermination du peuple sénégalais porté notamment par le mouvement « Y en a marre », Abdoulaye Wade aurait inscrit à son actif, cette innovation majeure.

Qui plus est, Abdoulaye Wade ne tient qu’en piètre estime le Conseil Constitutionnel dont il dicte la plus petite des mesures. L’invalidation de la candidature de Youssou Ndour, sous le prétexte qu’il n’aurait pas obtenu les 10 000 signatures nécessaires, en est une preuve supplémentaire. Plus que la décision de valider la candidature de Wade, qui, entendons-nous bien, demeure le fond du problème, cette décision reste le symbole d’un Conseil Constitutionnel qui a perdu toute parcelle d’indépendance et dont on ne peut plus attendre qu’elle soit le gardien du respect des libertés de notre peuple.

Face à un Abdoulaye Wade décidé depuis bien longtemps déjà à piétiner la Constitution du Sénégal et face à un Conseil Constitutionnel qui a définitivement renoncé à garantir l’état de droit, la résistance à Wade et au clan qui l’entoure est devenue, plus qu’une opposition partisane, un devoir moral.

Résister à Abdoulaye Wade, oui, mais comment ?

Penser qu’après avoir manipulé à plusieurs reprises la Constitution, corrompu les membres du Conseil Constitutionnel en augmentant leurs salaires de 5 millions de FCFA, avoir qualifié la révolte du peuple de « manifestations d’humeur », ordonner à la police de tirer à balles réelles sur les manifestants, Abdoulaye Wade organisera des élections pour les perdre, est une vue de l’esprit.

La confrontation directe entre le peuple et le régime d’Abdoulaye Wade est la seule forme de résistance qui vaille aujourd’hui. Si les tunisiens, les égyptiens, les libyens hier et les syriens encore aujourd’hui le font face à leurs dirigeants, pourquoi pas les sénégalais ? Bien entendu, nul n’ignore ce que cela a pu coûter à ces peuples, mais leurs aspirations à la liberté et à la dignité sont-elles plus fortes que celles des sénégalais ?

Abdoulaye Wade ne retirera sa candidature et n’organisera des élections libres et transparentes que s’il voit dans le blanc des yeux du peuple sénégalais une détermination plus forte que la sienne. 

Le peuple sénégalais à un rendez-vous avec l’histoire. S’il se défausse, il aura non seulement balayer plusieurs décennies de luttes et de conquêtes démocratiques, mais aussi rater l’occasion de s’offrir de meilleures perspectives d’avenir, économiques notamment. La nature du débat politique est en effet tellement vif qu’il élude quelques autres raisons fondamentales pour lesquelles le Sénégal doit tourner la page du régime d’Abdoulaye Wade : le système éducatif s’est détérioré, le chômage a explosé, la captation des ressources par les thuriféraires du régime a atteint un seuil jamais égalé tandis que l’écrasante majorité de la population vit dans une pauvreté affligeante. C’est cela le Sénégal d’Abdoulaye Wade ; c’est cela le Sénégal dont le peuple ne veut plus.

 Nicolas Simel


[1] Ma wakhone, wakhet se traduirait : « Je l’ai dit, maintenant je me dédis ». Abdoulaye Wade, interpellé par des journalistes sur le fait qu’il avait bien précisé que la Constitution ne lui permettait pas de briguer un troisième mandat, a tenu ses propos, devenus désormais le symbole de sa versatilité. 

CAN 2012 : pour qui roule la Fédération Sénégalaise?

Je me suis bien réjouis hier, de la défaite du Sénégal, contre la Zambie, lors de la 1ère journée de la Coupe d’Afrique des Nations 2012, organisée conjointement, cette année par le Gabon et la Guinée équatoriale (j’ai écrit cette phrase exprès, pour me moquer du nouveau genre pseudo-journalistique, dont on abuse sur TW, moi le premier : montrer qu’on a bossé, qu’on a tout lu, qu’on a toutes les infos, le faire savoir).

Je la sens bien moi, cette CAN, d’abord et avant tout parce que ni le Cameroun, ni le Nigéria, ni l’Egypte n’y participent. Si avec ça, les Éléphants ne l’a remportent pas, je serais partisan d’une exécution sommaire, télévisée, dès l’atterrissage. Mais je la sens bien aussi parce que le Sénégal ne la remportera pas. (J’ai reçu l’autorisation, la fois passée de reparler du Sénégal, j’en profite avant qu’on ne change d’avis)

Ce que j’ai détesté les « Gaïndés » durant mes études secondaires! Surtout en 2002 : La Côite d’Ivoire finit dernière de son groupe (derrière… le Togo – Ah, ils nous auront tout fait! – et après une défaite contre la RDC, « découragement n‘est pas ivoirien » , mais quand même!) et le Sénégal arrive en finale. Et puis c’est la Coupe du Monde 2002. Toute ma vie, je me souviendrai du match d’ouverture, de l’hystérie collective qui prit le camp entier, du dernier troufion au colonel, et par delà Bango, le pays tout entier, après la victoire contre la France.

Plus que cette joie hautement communicative contre laquelle, de toute mes forces je luttai, c’est une espèce de haine qui surnage quand j’y repense. La Coupe du Monde se déroulait en Asie : monstrueux décalage horaire. Le jour du match, une bande d’imbéciles avait débarqué dans nos chambres, au milieu de la nuit, s’époumonant, criant à tue-tête : « Debout les gniaks, debout! Aïtcha! Debout waay! Le Sénégal joue aujourd’hui! Debout! » Si nous n’étions pas déjà braqués contre cette équipe qui allait de victoire en victoire et dont les succès nous rappelaient douloureusement l’état lamentable de nos équipes nationales respectives (CI, Mali, Niger, Gabon, Centrafrique – oui, il y a une équipe nationale de foot en RCA – Burkina, Guinée), même si nous avions aimé l’équipe du Sénégal, ce réveil brutal et sardoniquement destructeur aurait suffi à nous la faire haïr.

J’avoue, à ma grande honte, avoir été plus heureux, le jour de l’élimination du Sénégal en 2002, par la Turquie, que lorsque la Côte d’Ivoire se qualifia pour la Coupe du Monde 2006. Donc, la seule équipe que je détestais plus que celle du Sénégal était le Cameroun. Je suis Ivoirien, par atavisme, je suis naturellement amené à détester l’équipe du Cameroun. Or voilà que les lions indomptables sont bloqués à Yaoundé. Il ne me reste que le Sénégal, comme souffre-douleur et objet de ressenti. Il se trouve pourtant qu’avec l’âge, ces moments de cordiale détestation prennent une teinte sépia, douce-amère, presque joyeuse. Les moqueries, les injures et les fanfaronnades des camarades de Saint-Louis faisaient partie d’une comédie intime, personnelle, d’un jeu de rôles parfaitement rôdé où chacun jouait sa partition avec entrain et bonheur : eux l’arrogance, nous le martyr, nous la haine, eux le mépris. Nous nous aimions, comme le Vieux Salamano et  son chien : on se détestait sans pouvoir nous résoudre à la rupture.

Mais je reste incroyablement content de la défaite du Sénégal : parce que personne ne souhaite plus une victoire des Lions de Teranga à cette CAN qu’Abdoulaye Wade. C’est le coup de pouce qu’il attend, il ne viendra pas. Et j’en ai le pressentiment, en choisissant un entraîneur aussi mauvais, la Fédération Sénégalaise a fait un choix politique : elle s’est ralliée à l’opposition!
 

 

Joël Té-Léssia