Le Sénégal dans la guerre des autres

Sénégal_YemenLa décision d'envoyer 2 100 hommes pour participer à l'opération Tempête décisive est dangereuse, irresponsable, inopportune et condamnable. Ce n'est pas la guerre du Sénégal. Nos troupes n'ont rien à faire au Yémen. Malgré toutes les palinodies du gouvernement, aucun enjeu ne saurait justifier l'envoi de fils de ce pays dans le bourbier yéménite.

Dans la lecture du message du président de la République devant l'assemblée nationale, le Ministre Mankeur Ndiaye donne deux arguments pour justifier l'envoi de Jambaars au Yémen : la défense des lieux saints de l'islam et la lutte contre le terrorisme.

Le premier argument n'est pas convaincant Les lieux saints de l'islam, la Mecque et Médine, ne sont nullement menacés par le conflit au Yémen. Aucune menace de qui que ce soit ne pèse sur ces deux villes que du reste l'armée saoudienne peut défendre avec son armée et ses immenses moyens logistiques. D'ailleurs, le Sénégal est un pays laïc. L'article premier de notre Constitution consacre le principe de la laïcité de l’État. Dès lors, en quoi serions-nous mobilisable à tout moment pour défendre des lieux saints de l'islam et non de la chrétienté ou du judaïsme ? 

Le gouvernement a aussi brandi l'argument de la lutte contre le terrorisme. Ce niveau d'incompétence et de faiblesse dans l'analyse de la géopolitique de l'Orient est dangereux à ce niveau de responsabilité. Ce n'est pas une guerre entre les bons et les méchants qui est en train de se dérouler au Yémen. Il s'agit d'une guerre civile sur fond de divergences entre deux puissances régionales. Le terrorisme est au Nigéria et dans toute la bande du Sahel, sans que notre pays ne fasse preuve d'une si grande excitation à y envoyer des soldats. Pour rappel, lors de la constitution de la Minusma, le Sénégal avait envoyé 500 soldats, quatre fois moins que le contingent qu'on est en train de louer à Sa Majesté le roi Salman.

Or, des symboles très forts, historiques et géographiques, nous lient au Mali. Les deux pays sont partis à l'indépendance ensemble dans le cadre de la Fédération du Mali. Le Sénégal et le Mali sont les deux seuls pays au monde à partager la même devise : « Un peuple – Un But – Une Foi ». Dakar devait prendre le leadership du contingent qui devait rétablir la souveraineté malienne, au lieu de sa maigre contribution consentie.

Enfin, selon l'analyse d'un spécialiste au Washington Post, partagé par de nombreux observateurs dans le pays et au-delà, l'argument économique motive aussi cette décision de Dakar. Le financement du Plan Sénégal Émergent (PSE) par l'Arabie Saoudite serait une contrepartie à la participation sénégalaise à la guerre. Cet argument (justifié?) est pernicieux, voire honteux pour un pays souverain. Décider d'envoyer 2 100 soldats dans une guerre qui n'est pas la nôtre pour en retour recevoir des pétrodollars saoudiens constitue une honte nationale. Le gouvernement est en train d'expliquer aux citoyens sénégalais qu'au lieu d'une armée nationale, l'on dispose d'un groupe de mercenaires à la solde du plus offrant. L'armée sénégalaise serait donc un bataillon de supplétifs mobilisable et corvéable, payé pour des missions ponctuelles.  Si la logique du gouvernement est suivie, après l'Arabie Saoudite, la Russie peut s'arroger les services des Jambaars dans sa guerre en Ukraine ? La Colombie aussi pourrait-elle louer un bataillon de Sénégalais dans son combat contre les FARC ? 

Au Yémen, on est en face d'une guerre civile, entre deux conceptions de l'islam, sunnite et chiite. L'on est aussi en face de convulsions d'un État qui n’a pas encore su trouver un modèle de construction nationale après sa réunification en 1990. L'Arabie Saoudite a pris la décision d'aller au Yémen pour freiner la marche des rebelles Houthis vers Sanaa et pour rétablir le président déchu Mansour Hadi.  La diplomatie saoudienne veut à tout prix éviter qu'un régime de chiites inféodé à l'Iran ne prenne le pouvoir à sa frontière. Avec ses partenaires du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ils ont commencé une guerre ;  qu'ils la finissent.

Que feront les Sénégalais au Yémen ?  La vocation d'une armée est d'abord la protection des populations et la garantie de l'intégrité territoriale d'un pays. Ensuite la défense de ses intérêts vitaux.  Or vu la place de notre pays dans la géopolitique mondiale, notre priorité est la Casamance, où sévissent des individus qui menacent l'intégrité territoriale du Sénégal. Nous n'avons pas la capacité de projection nécessaire pour nous impliquer dans une guerre en Orient en dehors de notre champ de compétence et de déclinaison de notre outil diplomatique.

La vocation du Sénégal est d'être d'abord un géant sous-régional. Les constantes provocations de Yahya Jammeh, l'envoi de seulement 500 soldats au Mali et l'importance prise ces dernières années par Ouagadougou dans la CEDEAO montrent à suffisance que nous avons perdu notre leadership régional. En outre, la Côte d'Ivoire revient en force au plan économique et recouvrera son poids diplomatique, le Nigéria après la brillante élection de Buhari assumera bientôt le rôle qui est le sien dans l'espace ouest-africain. Face à toutes ces réalités géopolitiques, où se trouve la place du Sénégal ? Sûrement pas au Yémen pour soutenir une monarchie réactionnaire, rétrograde, misogyne où se met en œuvre la version la plus fondamentaliste de l'islam.

Les retombées de cette guerre pour notre pays peuvent être dangereuses.  Si des Jambaars meurent au combat, la responsabilité morale et personnelle du Chef suprême des armées est directement engagée. En outre, il est déjà illusoire pour le Sénégal de penser que notre pays peut échapper à des attaques terroristes sur notre sol quand on est entouré du Mali et de la Mauritanie et qu'on n’est pas loin du Nigéria, dans un espace de libre circulation des personnes avec ses frontières plus que poreuses.  Mais avec cet envoi de soldats au Yémen, le risque s'élève d'avoir des représailles sur notre sol. Il convient de rappeler au gouvernement qu'une guerre contre le terrorisme est longue, surtout dans des États structurellement faibles comme les nôtres.

Les conseillers diplomatiques du palais de l'avenue Senghor semblent ignorer que les attentats à Charlie Hebdo de janvier ont été revendiqués par al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) dont le siège est justement au Yémen.  AQPA peut être considéré comme la résultante de la fusion d'al-Qaïda « canal historique » et de sa succursale yéménite d'alors. Circonstance aggravante : le groupe voue aux gémonies l'Arabie Saoudite dont nous venons de soutenir l'entreprise au Yémen. La cartographie des dangers se précise pour notre pays surtout que les attentats de paris montrent la capacité fulgurante de projection d'AQPA dans des zones très éloignées de son foyer yéménite.

Il faut que le Sénégal renonce à l'envoi de troupes au Yémen. Même si les déclarations à la télévision de Mankeur Ndiaye semblent indiquer que le sinistre mouvement est irréversible.

D'ailleurs, en plus d'être l'auteur de faux arguments devant les médias, l'irresponsabilité du chef de la diplomatie sénégalaise n'a d'égal qu'à son incompétence. Le ministre a annoncé qu'aucun président sénégalais « ne peut dire non à une demande du souverain d'Arabie Saoudite ». Le Sénégal serait-il une province saoudienne ?  

Pis, le ministre, répondant à une question sur la base légale de l'opération « Tempête décisive », affirme : « quand deux chefs d’États échangent dans un bureau sur une opération de cette nature, c'est de fait une base légale ». Au-delà du caractère faux de l'argument, qu'un ministre des Affaires étrangères, diplomate de carrière de surcroît, puisse ignorer à ce point le droit international renseigne très justement sur l'état de notre pays et surtout du niveau de certains hommes qui le dirigent.

Hamidou Anne

 

Après Ouaga, Bujumbura : la « génération consciente » prend la rue

BurundiBurkinaAprès le Sénégal en 2011-2012, le Burkina Faso en novembre 2014 et la République démocratique du Congo en janvier, voilà que la jeunesse du Burundi se soulève à son tour contre son président, trop avide de pouvoir pour admettre qu’après deux mandats et dix ans à la tête de l’État, il est désormais temps de passer la main.

Les manifestations qui agitent certains quartiers de Bujumbura ont commencé après la nomination, samedi 25 avril, du président Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD/FDD (le parti au pouvoir) à un troisième mandat lors des élections de juin et juillet. Sous la pression du régime, la Cour constitutionnelle a validé le 5 mai la candidature de Nkurunziza, profitant d’une disposition ambigüe dans la Constitution de 2005. Pour les manifestants, il n’y a pas matière à ambiguïté : élu en 2005, réélu en 2010, Nkurunziza doit partir en 2015.

Dans les premiers jours, certains médias internationaux ont dépeint les manifestations en des termes ethniques, provenant selon eux de « quartiers tutsi » opposés à un régime hutu. Il n’en est rien : comme à Dakar ou à Ouagadougou, la révolte est avant tout celle d’une jeunesse burundaise urbaine, qualifiée, désireuse de s’impliquer dans le développement du pays mais systématiquement écartée et marginalisée par les caciques du pouvoir. Aucun groupe ne s’est encore démarqué, comme Y’en a marre au Sénégal, le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Filimbi en RDC ; mais comme dans ces pays, c’est la société civile qui est à la tête de la contestation. Tutsi, hutu, professeurs, étudiants, commerçants, chômeurs, activistes, les manifestants partagent tous la même aspiration à l’ouverture politique et le rejet d’un pouvoir « privatisé » au profit de quelques-uns.

L’idée d’un soulèvement ethnique est non seulement erronée : elle néglige complètement la lame de fond démocratique qui traverse l’ensemble du continent africain depuis maintenant quelques années. Elle est aussi profondément dangereuse : alors que des responsables du CNDD/FDD critiquent les manifestants hutu comme des « mauvais Hutu », et que les jeunesses militantes/miliciennes du parti (les « Imbonerakure ») multiplient les actes d’intimidation à forts sous-entendus ethniques dans les campagnes autour de Bujumbura, une description trop simpliste des évènements fait le jeu d’un régime prêt à exacerber la fibre ethnique de ses citoyens pour se maintenir au pouvoir.

La communauté internationale doit maintenant montrer qu’elle est prête à s’engager aux côtés des peuples africains lorsque ceux-ci revendiquent haut et fort leurs aspirations démocratiques. Hormis les États-Unis, les pays occidentaux sont pour l’instant restés trop timorés. L’UE, la Belgique et les Pays-Bas (impliqués dans le financement des élections) devraient notamment faire entendre leur voix. Des menaces de sanctions ciblées ou de suspension temporaire de l’aide auraient certainement un impact sur le régime, ou du moins éviteraient de devenir complice d’un processus électoral qui s’apparente de plus en plus à une mascarade. La demande adressée par le Secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon au président ougandais Yoweri Museveni pour qu’il intervienne dans la crise burundaise laisse également sceptique : un homme au pouvoir depuis 29 ans, ayant lui-même aboli la limite constitutionnelle de deux mandats en 2005, est-il réellement le mieux placé pour plaider le respect des principes constitutionnels auprès de son homologue burundais ?

Surtout, on attend plus des institutions africaines. L’Union africaine s’est aussi saisie de la situation, mais sans prendre de position claire sur la candidature de Nkurunziza ou sur la répression policière. Elle aussi peut faire peser la menace de sanctions sur le régime, tout comme la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui a dépêché une délégation ministérielle au Burundi le 4 mai. Si la CAE est d’ordinaire focalisée sur les affaires économiques, la probable saisine prochaine de la Cour de justice de la CAE par l’opposition burundaise sur la légalité de la candidature de Nkurunziza sera l’occasion pour l’organisation de réitérer son attachement à certains principes démocratiques.

Au-delà du combat pour la démocratie, il s’agit surtout d’éviter un retour à une guerre civile, un scénario qui apparaît aujourd’hui moins improbable qu’il y a quelques mois. Parmi les manifestants se mêlent des anciens combattants (notamment des rebelles hutu du FNL), démobilisés après 2005 ; nombre d’entre eux se sentent aujourd’hui laissés pour compte et commencent à envisager de transformer le mouvement non-violent en une lutte armée. De l’autre côté, les Imborenakure, dont certains auraient récemment reçu des formations paramilitaires secrètes en RDC voisine, quadrillent l’intérieur du pays, et plusieurs rapports font état de distributions d’armes. Si l’armée jouit d’une bonne réputation, elle apparaît quant à elle entre une frange d’ex-CNDD/FDD restés fidèles au régime (dont le chef d’état-major), et le reste des hauts gradés (y compris le ministre de la Défense), qui semblent défendre le droit à manifester. Plus de 30 000 Burundais ont déjà fui vers les pays voisins ; au vu de ce cocktail explosif, la prévention des conflits doit devenir une priorité pour l’UA, active au Burundi dès ses premiers instants au début des années 2000 et qui dispose d’un Groupe des Sages dédié, et les autres acteurs.

À court terme, des actions diplomatiques sont également nécessaires pour mettre fin aux brutalités policières. Orchestrée par la police, sous les ordres d’un fidèle lieutenant de Nkurunziza, la répression a déjà fait plus d’une dizaine de morts dans les rues de Bujumbura. Le premier d’entre eux, tombé sous les balles des policiers à Cibitoke : un jeune de 15 ans, né en 2000, l’année des accords de paix d’Arusha. Son nom ? Népomucène Komezamahoro, qui signifie en kirundi « force de la paix ». Nul ne sait encore quel sera l’épilogue de ces deux semaines sans précédent de manifestations à Bujumbura ; mais le régime de Nkurunziza pourra-t-il résister à la force de ce symbole ?

Vincent Rouget 

Côte d’Ivoire : réconciliation acquise ou à construire ?

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La Côte d’Ivoire a connu une longue et difficile période de divisions sociales exacerbées par  des conditions économiques peu favorables, et par des hommes politiques animés par de sinistres intentions. Ces divisions ont conduit à des démonstrations inouïes de violence entre les différents groupes qui la composent. Or, avant ces circonstances dévastatrices, ces derniers n’entraient pas des relations aussi bellicistes. La crise post électorale de 2010-2011, ayant conduit à plus de 3000 morts en moins de cinq mois, a été le paroxysme de ces violences inter-ethniques à forts relents politiques.

Retour sur quinze années ponctuées de malentendus et de guerres fratricides alors qu’un scrutin déterminant pointe à l’horizon.

La prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire est prévue au mois d’octobre de cette année. Force est de se demander si, d’une part, les populations, avec les différentes mesures prises par l’Etat pour tenter d’apaiser leurs peines, de compenser les pertes subies, de leur faire tourner la page sur les horreurs vécues et de remettre au goût du jour le « vivre ensemble » dans la paix, et d’autre part, l’Etat, représenté par ses instances et dirigeants, ont mesuré l’impact de ces incitations à la haine. S’ils ont pris la pleine mesure de leurs conséquences socio-économiques. S’ils les prennent en compte dans leurs différents calculs politiques afin de ne plus faire sombrer les peuples dans ce genre d’errements meurtriers.

Contexte

Comme beaucoup de pays africains, la Côte d’Ivoire est composée de plusieurs groupes sociaux. Il s’agit d’une soixantaine d’ethnies regroupées dans quatre grands groupes, allant au-delà des frontières ivoiriennes, partageant des codes sociaux plus ou moins différents mais vivant sur un même territoire dont les limites ont été dessinées depuis la conférence de Berlin de 1884. À l’indépendance du pays, en 1960, son premier président, Félix Houphouët Boigny, avait, d’une certaine manière, intégré cet état des choses dans sa stratégie de gouvernance en positionnant des « fils » et des « cadres des régions » qui pourraient être considérés, en réalité, comme représentants des différentes ethnies du pays.

Ce système de gouvernance n’était pas admis par tous comme le montrent les tentatives de scission qui se sont manifestées dès les premières années d’indépendance du pays, au royaume du Sanwi situé dans Sud-est du pays. Tentatives énergiquement refrénées par le nouveau président : les « évènements du Guébié »,  qui s’étaient déclenchés dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire en 1970, auraient conduit à la mort de 4 000 personnes au minimum.

En plus de ses groupes ethniques, la Côte d’Ivoire a été très tôt enrichie d’une forte population étrangère. Les résultats du recensement général de la population et de l’habitat de 1975 indiquent que la population non-ivoirienne représente 22% de la population totale. Ce taux atteint 28% en 1988 avec une majorité de Burkinabè, Maliens et Guinéens – plus de 80% des étrangers – d’après le recensement effectué cette année-là. Malgré leur contribution à la croissance démographique et au développement économique du pays, ces populations étrangères culturellement proches des Ivoiriens du Nord sont rapidement mises en cause pour le déséquilibre économique et l’insécurité accrue dans le pays. En effet, la Côte d’Ivoire connaît dans les années 1980 ses premiers Plans d’Ajustement Structurel, destinés à redresser son économie qui avait subi les effets de la crise des années 1970.

A ces considérations économiques et sociales, s’ajoute la dimension politique lorsqu’à la mort du président Houphouët-Boigny, sous le président par intérim Henri Konan Bédié, le code électoral est modifié avec la précision que nul ne peut être élu président de la République s'il « n'est Ivoirien de naissance, né de père et mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance ». Cette disposition légale empêche le candidat Alassane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle. Son père étant d’origine burkinabè, il est accusé d’être de nationalité « douteuse ».

Conséquemment, les conflits entre les communautés, attisés par ces différents facteurs, se déclarent et se multiplient dans le pays. Le coup d’Etat de 1999 permet au Général Robert Gueï de prendre le pouvoir. Sous sa présidence une nouvelle constitution est adoptée, en 2000, avec notamment l’article 35 reprenant la loi introduite précédemment sous Henri Konan Bédié, avec un débat sur certains de ses termes jugés « confligènes ». Laurent Gbagbo accède au pouvoir à l’issue de la présidentielle d’octobre 2000, marquées par des heurts après le refus du Général Robert Gueï de reconnaître les résultats et des batailles meurtrières entre les militants du président élu et ceux d’Alassane Ouattara. Durant son règne, les populations du Nord constituant environ 40% de la population du pays et soutenant majoritairement le candidat Alassane Ouattara écarté, sont exclues des postes de responsabilité jusqu’en 2007, année où Guillaume Soro, chef de la rébellion qui avait éclaté en 2002 après la tentative de coup d’État durant la même année, est nommé Premier ministre. L’élection présidentielle prévue en 2005 a finalement lieu en 2010 à la suite de plusieurs accords, impliquant la communauté internationale et par lesquels la candidature d’Alassane Ouattara est acceptée.

Une guerre civile est de nouveau déclenchée à la fin de l’élection présidentielle du fait d’un désaccord sur les résultats du scrutin, entre le président sortant soutenu par le Conseil Constitutionnel et Alassane Ouattara soutenu par la communauté internationale. Les affrontements tournent, une nouvelle fois, à des exactions et violences inter-ethniques qui prennent officiellement fin en mai 2011.

Accords, mesures de réconciliation et réunification

Pendant toutes les années de conflits, différentes mesures et accords ont été mis en place pour favoriser l’unité du peuple. Ces actions visent en premier lieu la cessation des affrontements mais aussi la mise en place d’un climat plus propice à la paix et au développement économique.

En 2001, un Forum de réconciliation nationale est organisé par le Président Gbagbo pour examiner les questions sources de conflit à savoir la nationalité, la propriété des terres et les conditions d’emploi dans les forces de sécurité. Tous les partis politiques étaient conviés à ce forum dont les recommandations finales ne seront pas finalement toutes appliquées. Après l’éclatement de la guerre civile en 2002, des négociations sont entamées entre un groupe de contact créé au niveau de la CEDEAO et la Côte d’Ivoire. Elles conduiront à un cessez-le-feu signé par le président Gbagbo et les rebelles qui exigeaient son départ. Par la suite, des pourparlers sont entamés au Togo pour renforcer ce retour vers la paix. Des accords seront finalement signés par tous les partis politiques en 2003 à Linas-Marcoussis, en France, avec notamment comme disposition la création d’un gouvernement de réconciliation nationale. Ils ne seront jamais appliqués complètement. Malgré d’autres cessez-le-feu et accords signés par la suite, le pays reste secoué par des affrontements meurtriers.

C’est en 2012, qu’un processus de désarmement, de démobilisation, de réinsertion, de réintégration socio-économique des ex-combattants (DDRR) est réellement entrepris. Ce programme permet de contribuer à la sécurité et à la stabilité du pays dans un contexte d'après-guerre et de favoriser ainsi la reconstruction et le développement. L’article Côte d'Ivoire: Paix, sécurité, émergence explique de manière plus détaillée les missions, objectifs et résultats de l’agence (ADDR) créée dans le cadre de ce programme.

Une Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) a été créée en 2011 pour situer les responsabilités, entendre les victimes, auteurs et témoins des crises politico-militaires qui ont déstabilisé la Côte d’Ivoire depuis 1999. Critiquée pour ses résultats peu visibles, ses activités se sont officiellement achevées en décembre 2014 avec un rapport comportant des recommandations comme la libération de prisonniers, le dégel des avoirs ou la réparation des préjudices subis. En mars 2015, une nouvelle Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv) a été créée pour parachever le travail du CDVR. Elle dispose d’un Fonds d’indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire et d’un organe chargé de l’indemnisation et de cohésion sociale, à savoir le Programme National de Cohésion Sociale (PNCS).

Enfin, le système judiciaire du pays considéré comme étant de nouveau fonctionnel, des procès ont été enclenchés contre les différents acteurs ayant pris part à la dernière crise. C’est dans ce cadre que Simone Gbagbo, ex-Première dame de Côte d’Ivoire a été jugée et condamnée à 20 ans de prison en mars 2015. Cependant, des organismes de défense des droits de l’homme comme l’ONG Human Rights Watch mettent en garde le président contre une politique de justice partiale qui ferait obstacle à une véritable réconciliation.

Des débats soulevés sur l’éligibilité d’Alassane Ouattara dans le cadre de la prochaine élection ont vite été écartés. L’article 35, toujours en cause, devrait être modifié après ce scrutin par voie référendaire. Il semblerait alors que la machine soit véritablement en marche vers l’émergence dans l’unité que vise le président Ouattara pour 2020.

Toutefois, sa réponse : « il s’agit d’un simple rattrapage », en janvier 2012, lors de sa visite en France, à une remarque d’un journaliste de l’Express sur la nomination de nordistes aux postes clés, questionne cette dynamique d’unité et de réconciliation. Il faudrait qu’en tant que chef de l’Etat, Alassane Ouattara ne tombe pas dans un clientélisme ethnique qui plongerait à nouveau le pays dans le chaos : le plus lourd tribut serait encore payé par les populations.

Oulématou Camara

Sénégalaise, Oulématou s’intéresse aux questions politiques, économiques et culturelles du monde et particulièrement de l’Afrique. Titulaire d’un diplôme en Supply Chain Management, domaine dans lequel elle exerce, elle a rejoint l’Afrique des idées car elle souhaite contribuer à ces réflexions qui sont, selon elle, la première étape vers la mise en œuvre d’actions de développement constructives.

 

Quand Jacques Foccart sort de l’ombre



Foccart 1Qui était Jacques Foccart ? Était-il ce démiurge tout puissant de la Françafrique qui d’un simple coup de téléphone faisait et défaisait les gouvernements africains, tel que l’ont fantasmé nombre de commentateurs ? Organisé à Paris le 26 et 27 mars à l’initiative des Archives nationales françaises, un récent colloque apporte un éclairage utile sur cette personnalité complexe, habituellement décrite comme l’âme damnée du général de Gaulle en Afrique, et plus largement sur le système d’influence politique mis en place par la France à l’aube des années 1960.



L’histoire sert justement à échapper au fantasme, ont martelé les nombreux africanistes rassemblés à Paris, explorant les facettes politiques et géographiques du « parapluie » déployé par la France, pour protéger ses intérêts et maintenir son influence en Afrique malgré la décolonisation.



Plus qu’un être seul, Jacques Foccart, à la tête du Secrétariat général des Affaires africaines et malgaches (1960-74) de l’Elysée, est d’abord l’un des visages certes discret, d’un système et d’une stratégie politique décidée par de Gaulle. « Pour de Gaulle, le grand dessein de la France c’est l’influence africaine, surtout dans le contexte de Guerre froide. La France a besoin de l’Afrique, pour des raisons économiques mais aussi sur la scène internationale pour avoir des voix supplémentaires à l’ONU. Foccart est avant tout le tacticien de cette stratégie », explique Jean-Pierre Bat, historien et archiviste auteur de plusieurs livres sur Foccart et ses réseaux, et qui vient de rendre public l’inventaire du fonds Foccart, à l’origine du colloque parisien.



Le « Monsieur Afrique » de l’Elysée est en charge d’entretenir les relations directes avec les présidents africains. « Le contact personnel, la confiance dans les hommes », étaient au cœur de son fonctionnement, se souvient ainsi un ancien ambassadeur de France, présent au colloque. La France veut parfois installer mais surtout protéger les régimes amis grâce à des accords secrets de défense pour y empêcher la subversion et asseoir le pouvoir des chefs d’État alliés.



Le circuit court



Foccart influence dès qu’il le peut les nominations des ambassadeurs français sur le continent, comme Roger Barberot en Centrafrique, Maurice Delaunay au Gabon, ou Fernand Wibaux au Tchad. Adepte du « circuit court », il place des proches comme conseillers techniques auprès des présidences africaines. Des personnages sans statut officiel, les fameux « barbouzes », sont intégrés à ce système. Liés par leur passé dans la résistance, leur fidélité au gaullisme et leur haine du communisme, ils prennent bien souvent en charge la sécurité des chefs d’État.



Les archives révèlent ainsi le suivi très intense de la crise gabonaise de 1964 et la machinerie qui se met en place pour restaurer le pouvoir de Léon Mba, après le putsch dont il est la victime. « Plusieurs missions sont aussitôt dépêchées. Un policier est envoyé pour réorganiser le service de renseignement. Bob Maloubier est lui chargé de créer la garde présidentielle et assurer la sécurité politique et physique de Mba. Et enfin une mission politique a lieu avec l’envoi d’un ancien de la Coloniale Guy Ponsaillé, qui fut préfet au Gabon avant d’être embauché par Elf », décrit Jean-Pierre Bat.



Mais la stratégie connaît aussi des échecs comme à Brazzaville en août 1963, où l’abbé Fulbert Youlou est renversé, malgré la présence sur le terrain de « Monsieur Jean », Jean Mauricheau-Beaupré, fondé de pouvoir personnel de Foccart, et incarnation des « barbouzes » de l’époque.



Les historiens réunis à Paris relativisent toutefois le mythe d’un Foccart tout puissant sur le continent. « Pour le cas de Madagascar, qui est un pays clé dans la stratégie africaine française, Foccart est d’abord un observateur très informé, une tour de contrôle entre les mains duquel circulent des documents nombreux et de toute nature: correspondance diplomatique, rapport des services… Mais il n’est pas directement acteur. Les responsables militaires sur le terrain ou ceux du renseignement ont leur logique propre », analyse l’historien Nicolas Courtin.



De la même façon, le fonctionnement du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (le SDECE, ancêtre de la DGSE), échappe en partie à Foccart, qui a une conception « très traditionnelle et un peu datée » des renseignements, estime le spécialiste Sébastien Laurent. Même si Foccart a une relation de grande proximité avec Maurice Robert, le directeur Afrique du SDECE.



La relation de la France avec ses alliés africains au premier rang desquels Houphouët-Boigny, n’est pas non plus aussi verticale qu’on a pu la décrire et les acteurs de ce système conservent des marges de manoeuvre. Le président ivoirien, surnommé Big Brother par un proche de Foccart, est ainsi un « fin politicien », estime Jean-Pierre Bat, qui a ses propres relais et joue un rôle très important dans l’installation des chefs d’Etat alliés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale à partir de 1956. Abidjan est pendant bien longtemps le centre névralgique de ce « syndicat des chefs d’Etats africains » francophones, avant qu’il ne se déplace vers le Gabon, sous l’influence grandissante d’Omar Bongo.



Enfin, le mythe Foccart, qui en bon homme de l’ombre ne cesse d’attiser la curiosité médiatique, sert aussi à protéger le vrai décideur de Gaulle. Foccart endosse volontiers ce rôle de « paratonnerre » du général, auquel il voue une admiration sans borne et dont il est sans doute le plus intime collaborateur, reçu quotidiennement entre 1959 et 1969. En s’attribuant la responsabilité des coups tordus, des opérations secrètes ou polémiques menées par la France, Jacques Foccart préserve l’image héroïque de son mentor et entretient la geste gaulliste. 

Sénégal : 2017 aksi na !

Sénégal : 2017 aksi na ![1]

Macky-Sall-au-moment-de-sa-prestation-de-serment-300x200S’il suffisait de vouloir changer un pays pour que les progrès attendus soient réalisés, le Sénégal serait sans doute l’un des pays les plus prospères au monde. Les initiatives en faveur du développement économique et social se multiplient, par l’action (les politiques publiques) comme par la réflexion (conférences, séminaires, débats) au quotidien, à qui mieux mieux. Les politiques publiques en faveur de l’émergence contenues dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) sont appliquées depuis le Groupe consultatif tenu à Paris les 25 et 26 février 2014 entre le gouvernement sénégalais et ses partenaires internationaux, malgré les obstacles rencontrés : chômage, grèves dans le système éducatif, campagne agricole tardive, tensions politiques… Les groupes de réflexion et d’échange sont légion à Dakar, la capitale, tout comme les ONG. Il se pose donc un problème immédiat : pourquoi le Sénégal reste-t-il encore un pays pauvre? Nulle prétention d’apporter ici des recettes miracles qu’il suffirait d’appliquer pour s’en sortir. Il est possible cependant d’expliquer la persistance de quelques freins au progrès économique.

Pour rappel, le Président Macky Sall a été élu en mars 2012 avec plus de 65% des suffrages. Il a formé des gouvernements avec 3 Premiers ministres (Abdoul Mbaye, Aminata Touré et Mohamed Dionne) qui ont tous une grande expérience professionnelle en matière économique derrière eux. La réalisation des engagements du Président Sall (sur l’agriculture, l’éducation, la santé, l’énergie, l’emploi) est donc certainement un objectif faisable. Beaucoup d’actions ont été faites : Couverture maladie universelle, Bourses de sécurité familiale, ports, routes, aéroports, Acte 3 de la décentralisation, modernisation du système éducatif (daaras[2], universités, écoles), FONSIS, FONGIP, BNDE, PAQET, baisse des prix (loyers, du carburant, du gaz, denrées)… Les projets sortent de terre tous les jours, appuyés ou réalisés par le gouvernement sénégalais, de la Casamance (Aguène et Diambogne) à Diamniadio (CICAD, 2e université de Dakar), du Fouta (valorisation des cultures de la vallée du fleuve Sénégal) à au Sine-Saloum (Université). Ces changements sont observables aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan quantitatif. Le Sénégal a nettement progressé dans le classement Doing Business de la Banque mondiale pour l’Afrique en 2014. Le régime a même pour ambition l’autosuffisance en riz en 2017. Il existe cependant quelques résistances au progrès économique et social qu’il faut vite effacer.

  1. Les oppositions aux réformes dites « consolidantes »[3]

Le gouvernement a fait depuis 3 ans un ensemble de réformes d’envergure et prépare d’autres. Outre celles qui changent les institutions (avant-projet de Constitution de la CNRI[4] à adopter), et celles économiques citées plus haut (fonds), il faut aussi compter celles du système éducatif (association d’acteurs économiques aux décisions des universités, voir aussi plus haut) et celles du système de santé (Couverture maladie universelle), qui doivent servir dans la durée. Ces programmes sont trop importants pour un pays comme le Sénégal, pour concerner un mandat ou un régime seulement. La pauvreté ne peut pas s’effacer du jour au lendemain, il faut continuer à exécuter les réformes pour qu’elles puissent porter leurs fruits dans la durée.

  1. Les tensions sur le front social et le débat politique

Le Sénégal est aussi connu pour son front social bouillonnant avec des syndicats toujours en grève (éducation, santé, justice) ainsi que pour la tension du débat entre opposition et pouvoir. Dans l’absolu c’est un indicateur de la vitalité démocratique du pays ; mais ce n’est pas une raison pour entretenir ces tensions qui peuvent entraîner des violences si elles débordaient. Il y a donc un effort de la part des gouvernants comme des responsables politiques et syndicaux pour apaiser le climat social, apaisement qui pourrait faciliter la mise en œuvre des réformes. Des expériences dans d’autres pays (Afrique du Sud et République démocratique du Congo) ont montré que les grandes réformes institutionnelles et économiques sont mieux comprises lorsqu’elles sont partagées avec les citoyens à qui elles s’adressent. C’est une leçon capitale. La charge négative que le procès Karim Wade, fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade, a charriée est un exemple patent du degré néfaste des tensions politiques pour la société entière. A sa condamnation à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite le 23 mars 2015, après deux ans de poursuites judiciaires, les réactions du Parti démocratique sénégalais (qui l’a choisi deux jours avant comme candidat à la prochaine élection présidentielle) ont été très vives à Dakar. Il faut souhaiter que le débat politique porte plus sur les programmes économiques que sur les situations personnelles des hommes politiques, comme dans toute bonne démocratie apaisée. Et que le cours soit libre aux tribunaux de gérer les contentieux juridiques qui surviennent. Ce paramètre sera essentiel pour sauvegarder la stabilité du Sénégal dans les prochaines années.

  1. L’attentisme par rapport à l’Etat

Aucun Etat n’est capable de résoudre seul tous les défis (économiques ou sociaux) d’un pays. L’Etat est un facilitateur du progrès social, mais il n’est pas le seul moteur du développement. Il est affligeant de constater à quel point les grandes entreprises, les grandes banques, nationales comme internationales, sont parfois oublieuses de leur responsabilité sociétale. Certes, le but premier de ces groupes est de réaliser des profits. Mais en 2015, on ne peut plus ignorer son apport vis-à-vis des populations riveraines lorsqu’on investit dans une localité. Ce paramètre est malheureusement trop souvent oublié, secondaire, ou mal pris en compte. Il y aurait certainement moins de difficultés à développer un pays pour l’Etat, si les grands groupes privés qui opèrent sur son sol l’aidaient (emplois locaux pour le territoire concerné, entretien de l’environnement, construction d’écoles ou d’hôpitaux, soutiens aux associations). Cette remarque est valable pour les citoyens, qui doivent plus aller vers les missions de services publics dans le cadre d’initiatives sociales (assainissement, éducation,   prévention). Le monde rural devrait également mobiliser plus de ressources internes (eau, terre, cheptel) et solliciter moins de produits (intrants, semences) et de services (commercialisation) de l’Etat.

Ainsi, il existe beaucoup de volonté et d’actions en faveur du progrès économique et social, de la part de l’Etat comme du secteur privé et associatif, mais il importe encore d’éradiquer certains facteurs de résistances qui peuvent tomber en mettant en synergie les efforts de tous. Et cela, il ne faut pas l’attendre d’un quelconque bienfaiteur, il faut toujours aller le chercher.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 


[1] Traduire par 2017, c’est demain !

[2] Ecoles traditionnelles où sont enseignés l’Arabe et l’Islam en phase de modernisation

[3] Ismaila Madior Fall, Les réformes constitutionnelles consolidantes et déconsolidantes

[4] Commission nationale chargée de la réforme des institutions dirigée par A. Makhtar Mbow

Rencontr’Afrique avec Gilles Olakounlé Yabi: la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest

JPG_Gilles Yabi 050315L’Afrique des Idées a organisé le samedi 21 mars sa première Rencontr’Afrique de l’année à Dakar avec Dr. Gilles Olakounlé Yabi, ancien directeur Afrique de l'Ouest pour International Crisis Group (ICG) et président-fondateur du WATHI, sur le thème de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest : enjeux et défis sécuritaires. Le modérateur Lagassane Ouattara a  rappelé la formation en économie du développement de Gilles Yabi et son passage à l’International Crisis Group (ICG), avant de créer le WATHI, think tank citoyen et participatif qui propose des idées sur l’Afrique. Il a une expérience de plusieurs années sur les questions de crise en Afrique. Le WATHI est ouvert aux Africains ayant conscience de l’état du continent, de l’immensité des défis, et confiance dans l’avenir. Le WATHI (inspiré de « waati » qui signifie temps en bambara) est donc une boîte à idées qui cherche à produire et diffuser les idées, promouvoir du débat informé et agir pour changer les systèmes (politiques, économiques, sociaux) dans l’objectif de construire des sociétés africaines fortes, solidaires et progressistes.

Gilles Yabi a abordé le thème de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest en rappelant que c’est un phénomène mondial qui a connu plus récemment une progression en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier. 

Eléments de définition

Il n’y a pas de définition universelle du terrorisme, et les perceptions sont très variées

  • Il y a une définition de l’ONU via un groupe de haut niveau mis en place par le Secrétaire Général des Nations Unies et son groupe de contact
  • L’Institut pour l’économie et la paix, qui publie l’Indice Mondial du Terrorisme, le définit comme "l’utilisation illégale de la force, réelle ou sous forme de la menace, à travers la peur, la coercition, ou l’intimidation par des acteurs non étatiques". Son rapport 2014 dénombre 18 000 personnes tuées par terrorisme en 2013. Ils sont concentrés sur 5 pays (Irak, Afghanistan, Nigeria, Pakistan, Syrie) mais le phénomène reste mondial.

La situation en Afrique

Avec 1 500 personnes tuées en 2013 selon l'IMT, et bien plus en 2014, Boko Haram, actif depuis 2009, est un problème continental et pour l’Afrique de l’Ouest dont le Nigeria est un pays essentiel. Le mode d’action de Boko Haram est assez différent de ce qui se passe dans le monde arabe. Boko Haram utilise des modes qui relèvent davantage du crime organisé et des gangs. 12% des attaques l’ont été par attentat-suicide, mais la plupart consistent en des assauts armés. Hormis Boko Haram, il y a six autres groupes terroristes actifs au Nigeria, dont les plus connus sont le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND), qui a un agenda politique de revendication d’une meilleure répartition des ressources pétrolières au profit des régions du Sud-Sud du Nigeria.

Il est important cependant d’inscrire Boko Haram et son émergence dans le contexte des politiques nationales des Etats concernés (corruption, pauvreté, faiblesse de l'Etat, frontières multiples…). La corruption,  la faiblesse ou l’absence de l’Etat dans des régions périphériques créent un contexte favorable à la diffusion et à la pénétration des idées d’un groupe comme Boko Haram. Le comportement des forces de défense et de sécurité est également un facteur important pour réduire la menace ou au contraire l’aggraver. Par exemple, les forces nigérianes avaient attaqué Boko Haram en 2009 à Maiduguri, au moment où le groupe ne se cachait pas. La police avait arrêté Muhammad Yusuf, le leader du groupe, et l’avait exécuté. Les survivants de la répression de 2009 sont entrés dans la clandestinité et ne sont réapparus que plus d’un an plus tard, sous la direction d’Abubakar Shekau. Si une approche différente avait été adoptée en 2009, et qu’il y avait eu un processus judiciaire, peut-être qu’on n’aurait pas créé un contexte favorable à l’émergence de la version très violente de Boko Haram sous Shekau.

Pour le Mali, AQMI existait depuis des années mais en 2012, a profité de la quasi-disparition de l’Etat malien au Nord pour s’installer, dans le sillage de groupes armés ancrés localement. AQMI a eu de nombreuses années pour développer des liens familiaux par mariages dans les régions touareg, pour pénétrer le tissu social à travers des réalisations et échanges économiques. Le gouvernement malien avait de son côté pris la mauvaise habitude de s’appuyer sur des relais locaux au Nord parfois liés eux-mêmes aux réseaux de trafics. Le conflit en Libye a servi de déclencheur à la crise au Mali, mais le contexte avait été largement créé par la mauvaise gouvernance et une certaine démission des autorités politiques et militaires du pays face aux défis, il est vrai, immenses de la sécurité dans le nord.

Il faut aussi mettre en lien le développement du terrorisme avec la mondialisation qui charrie des opportunités mais aussi de graves menaces, difficiles à contenir en particulier par les Etats les plus faibles. La mondialisation permet une plus grande mobilité des idéologies religieuses et politiques radicales, des moyens financiers et logistiques au service des groupes terroristes et permet des moyens de communication efficaces. Il est ainsi devenu possible de mobiliser des jeunes dans des actions armées à des milliers de kilomètres, à travers une communication astucieuse et moderne sur internet, en récupérant l’actualité internationale. 

Est-ce que c’est notre problème ? Sommes-nous concernés ? Est-ce une priorité pour l’Afrique de l’Ouest?

Le terrorisme est bien notre problème à tous en Afrique de l’Ouest. Mais la solution militaire, même si elle est devenue nécessaire par exemple au Nigeria pour faire face à Boko Haram, n’est pas la solution. Le phénomène Boko Haram révèle que nombre d’Etats ont perdu prise sur leurs sociétés. Les Etats ont perdu la capacité à regarder leurs sociétés en face, telles qu’elles sont devenues après des décennies de négligence de régions périphériques et de démission politique. La présence d’AQMI et de groupes connexes dans le Sahel et le Sahara, mouvements qui s’approvisionnent en Libye, elle-même en décomposition, l’interconnexion des pays de la région, tous ces facteurs font qu’aucun pays n’est à l’abri d’une attaque terroriste. Tous les pays sont concernés parce que des groupes ancrés dans un pays peuvent frapper dans un autre, comme on l’a vu par exemple avec al-Shabaab au Kenya.

Enfin, il faut poser la question du renseignement en n’oubliant pas que plus on donne des moyens aux services de renseignement et aux forces de sécurité, plus l’espace de libertés des citoyens a tendance à se réduire.  Il faut également être conscient des risques de récupération politique de la question du terrorisme. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

Quelle unité pour l’Afrique ? Entretien avec Amzat Boukari-Yabara

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« Africa Unite  ! », c’est le slogan mobilisateur de Bob Marley qu’a choisi l’historien Amzat Boukari-Yabara pour nommer son histoire du panafricanisme, parue à l’automne chez La Découverte.

Dans un livre stimulant et documenté, le chercheur retrace les grandes étapes de ce mouvement intellectuel, politique et culturel, qui appelle à l’émancipation et à l’unité africaines.

Depuis la révolution haïtienne en 1791 jusqu’à l’élection de Barack Obama, en passant bien sûr par les indépendances africaines et les luttes anti-impérialistes de Kwame Nkrumah au Ghana ou Thomas Sankara au Burkina Faso, il dessine une histoire globale qui, jusqu’à aujourd’hui, manquait à la littérature francophone. Boukari-Yabara y fait aussi oeuvre de militantisme, sans se dissimuler. Membre de la Ligue panafricaine-Umoja, il appelle au renouvellement du panafricanisme, conscient des réussites et des limites des expériences passées, et à la recherche de nouvelles inspirations, du côté par exemple, du bolivarisme controversé d’Hugo Chavez.

Bien sûr, ses prises de position, volontiers alternatives, parfois manichéennes, feront débat. Mais les questions qu’ils posent sur l’identité et le projet africains sont cruciales. Et font écho à la démarche menée par L’Afrique des idées, d’où la volonté de le rencontrer pour cet entretien.

Dans votre ouvrage, vous soulignez les origines américaines et caribéennes du panafricanisme…

Oui. L’unité avait déjà été pensée en Afrique dans les empires précoloniaux avant la traite et l’esclavage. Mais à partir du XVIIIe siècle aux Amériques, elle se construit en réaction au capitalisme et à l’esclavagisme. Les idées fondatrices du panafricanisme émergent: l’idée de libération, et qu’en s’unissant on devient plus fort.

Plus largement je voulais écrire une histoire des idées sur la longue durée. Chacun a une vision très parcellaire et parfois sectaire du panafricanisme. Certains diront, ce n’est que Marcus Garvey, que Nkrumah ou que Sankara. Il n’y avait pas vraiment de synthèse qui associe ces figures dans un même mouvement et qui montre dans des circonstances précises quelles ont été leurs prises de position. Plus que des histoires individuelles, le panafricanisme est une vision du monde, une globalisation à partir de l’Afrique, pour redonner une place aux Africains dans les rapports de forces internationaux. Je voulais montrer les enjeux et les débats qui ont animé toute cette histoire du panafricanisme dans sa complexité.

Pourquoi critiquez-vous autant les présidents francophones comme le Sénégalais Senghor ou l’Ivoirien Houphouët-Boigny ?

Le panafricanisme a échoué à cause des Francophones et leur attachement à la France. Dès 1919, pour le premier congrès panafricain, le député Blaise Diagne se place en rupture avec la tendance caribéenne et anglo-saxonne. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Senghor écoute davantage Kwame Nkrumah quand il essaye de mobiliser des députés francophones. Mais finalement, lui aussi se réalignera sur la France plus tard en endossant un rôle conservateur au moment par exemple de la guerre de libération de la Guinée-Bissau.

C’est aussi lié à deux modes de colonisation. Les Britanniques, avec leur indirect rule, ont été beaucoup plus pragmatiques et conciliants que la colonisation française. On le voit très bien avec Kwame Nkrumah. Il gagne les élections législatives et est nommé Premier ministre alors qu’il est en prison. Les Britanniques ont eu une forme de fair-play. Dans une colonie française, il n’aurait sans doute pas été libéré, les élections auraient été truquées et il serait mort en prison comme bien d’autres.

La confrontation entre Nkrumah et des dirigeants francophones comme Houphouët-Boigny est révélatrice de deux visions de l’Afrique qui s’opposent, et montre qu’il n’y a pas toujours un alignement des Africains sur ce que décide la métropole. Mais la plupart de ceux qui se revendiquaient de la vision de Nkrumah ont été éliminés dans les années 60. Il y a un cimetière de martyrs dans ce livre, qui disparaissent les uns après les autres. C’était important à rappeler. Que le panafricanisme est aussi extrêmement fragile. L’héritage de ces figures a souvent été balayé voire discrédité.

Le risque n’est-il pas de faire une histoire héroïque et légendaire de Nkrumah, Sankara ?

Je crois avoir fait un livre équilibré. Je souligne aussi les échecs. Je montre qu’à la fin, Nkrumah évolue vers une forme de dictature. Je dis aussi que Sankara ne faisait pas l’unanimité. Il y a des contradictions internes dans les sociétés où ces personnalités ont évolué. Même Garvey, je l’égratigne. Je ne fais pas du Lilian Thuram, ce ne sont pas mes étoiles noires. Ni un ouvrage à la gloire des héros. Ce qui m’intéresse c’est le contexte, l’historicité de leurs parcours, pas de faire une histoire romantique. Je parle aussi des difficultés liées à l’arrivée de Noirs américains en Afrique, qui n’y étaient pas attendus, et qui créait des tensions… J’ai voulu montrer les échecs pour comprendre quelles sont les erreurs à ne pas commettre pour les personnes qui voudraient relancer cette dynamique. J’en parle en conclusion en citant Amilcar Cabral, « ne cachez pas les difficultés, les fautes, les échecs, ne criez pas trop vite victoire… ».

JPG_Africa Unite 120315La force de votre livre, c’est aussi de restituer la vitalité de villes comme Accra et Dar Es Salaam des années 60 ou 70 où tout le monde se croise: intellectuels, artistes, responsables politiques…

Oui, c’est l’écrivain kenyan Ngugi Wa Thiong’o qui parlait de « hub intellectuel révolutionnaire » pour Dar es Salaam. C’est ça le grand défi. On me pose souvent la question: qui aujourd’hui représente le panafricanisme ? Mais on ne peut pas citer des noms mais des lieux, là où la mémoire du panafricanisme est inscrite. La Tanzanie et le Ghana, ce sont les deux États où a vraiment existé dans un temps très court certes, mais dans un temps réel, une politique panafricaniste en tant que telle. Accra, c’était un point d’entrée de la diaspora noire des Amériques, de retour sur le continent. Ce n’est pas un hasard si Obama a fait son grand discours sur l’Afrique à Accra. Il y aussi la Tanzanie de Julius Nyerere, qui a déjà disparu depuis presque 20 ans, et qui a proposé un modèle de leadership de type panafricain. Enfin il y a plus tard l’expérience de Sankara, qui est beaucoup plus chaotique, courte et interrompue dans la brutalité. Mais qui fait ressurgir un espoir aujourd’hui au Burkina Faso.

J’ai ainsi voulu mettre en place une cartographie du panafricanisme, en soulignant également le rôle des pays originels, Haïti, le Libéria, l’Ethiopie… Ou l’Amérique du Sud et de la Caraïbe qui sont souvent oubliées alors qu’il y a eu aussi des mouvements de retour vers l’Afrique qui ont parfois mieux fonctionné que celui des Noirs américains.

La rhétorique anti-impérialiste n’est-elle pas à double tranchant, volontiers mobilisée par des dirigeants très controversés comme Sékou Touré ou Kadhafi ?

Le panafricanisme a été discrédité par des pratiques. On a voulu le caricaturer en l’associant à Kadhafi. Alors que Kadhafi était dans une logique du « moi moi moi » et que dans la dernière décennie de son règne, il s’est aligné sur Paris, et les États- Unis. On a ainsi un certain nombre de régimes qui se revendiquent du panafricanisme, mais qui sont dans l’imposture, puisque finalement ils relaient l’impérialisme. Prenez Yoweri Museveni en Ouganda. Museveni a organisé le 7e congrès panafricain à Kampala, dans sa jeunesse il était à Dar Es Salaam autour de figures importantes comme Walter Rodney ou Nyerere qui l’ont formé. Aujourd’hui, c’est le pion des Américains dans l’Afrique des Grands Lacs. Kagame pareil, derrière sa posture d’homme fort qui peut plaire à beaucoup de jeunes Africains, parce qu’il répond aux Occidentaux. Mais tout ce qui est opposition à l’impérialisme ne signifie pas nécessairement panafricanisme. Le dernier exemple en date c’est Mugabe.

Quel regard portez-vous sur l’Union africaine aujourd’hui ?

Il y a une institution en laquelle je crois, c’est celle du Parlement panafricain. Encore faudrait-il qu’il soit doté d’un réel pouvoir et composé de personnes réellement panafricanistes. C’est l’espace où on peut avoir des débats et faire remonter les aspirations populaires.

Après, pour tout ce qui est à Addis-Abeba, c’est assez figé, notamment parce que ce qui est décidé dépend en grande partie du gouvernement éthiopien. Cela crée des quiproquos. Lors du cinquantenaire de l’OUA (ancêtre de l’UA), François Hollande a été invité par le gouvernement éthiopien et pas par l’Union africaine, ça a pu être mal perçu. L’Union africaine doit se décentraliser, sortir de l’institutionnalisation, ouvrir des antennes sur le continent, avoir une visibilité auprès des populations, financer des programmes sociaux concrets. Sur le continent africain, elle doit devenir plus visible que l’ONU, le PNUD ou la FAO pour montrer qu’elle existe.

C’est une remise en cause de ce système fondé sur les chefs d’État. La réunion de 54 chefs d’État, dont aucun ne mène dans son pays une politique panafricaniste, ne peut pas donner quelque chose de panafricain. Quand les dirigeants expulsent les étrangers ou refusent depuis cinquante ans de construire un pont entre les deux capitales les plus proches du monde (Kinshasa et Brazzaville, séparées par le fleuve Congo), ils montrent dans leurs politiques nationales qu’ils sont contre cette idée d’unité. Ce n’est pas en les rassemblant que le panafricanisme nait.

Que faut-il faire alors ?

C’est un travail de longue haleine. Il faut travailler les sociétés en profondeur pour voir émerger de nouveaux leaders. Et faire évoluer les paysages politiques africains. Nous devons porter un regard critique sur ce qu’on a appelé l’ouverture au multipartisme des années 1990 qui a vu pulluler énormément de partis, entre 50 et 500 selon les pays. Ils brouillent le paysage politique et appartiennent souvent à des entrepreneurs politiques qui surfent sur la vague de la démocratisation pour chercher à s’accaparer des ressources. Il faut revenir à quelque chose de plus serré, plus clair avec moins de partis mais des grandes coalitions. C’est là que le panafricanisme doit jouer un rôle car il doit y avoir un parti panafricaniste à l’échelle continentale.

Il faut aussi mieux informer les Africains. L’Union africaine est très mauvaise en communication. Elle a perdu la bataille médiatique. On l’a vu lors de la guerre de Libye. Quand on n’est pas capable de s’imposer médiatiquement, on est faible.

Que retenez-vous de l’expérience de l’Union européenne, dont le projet semble en crise aujourd’hui ?

L’Union européenne est un modèle dans sa construction initiale. Elle est partie d’un noyau dur. Et l’Afrique pour s’unir doit elle aussi partir d’un noyau dur. C’est ce que Nkrumah avait commencé à faire avec Ghana-Guinée-Mali. Si on avait suivi cette dynamique-là, le panafricanisme aurait pu triompher. Ce qui a cassé la dynamique, c’est la création de l’OUA qui a mis tout le monde dans la même organisation alors que les gens n’étaient absolument pas d’accord, ça a freiné l’unité. Quand l’Union européenne a réussi à s’organiser de manière graduelle.

Il faut rejeter les politiques néolibérales et la technocratie de l’Union européenne. Mais saisissons ce qui peut être pertinent dans cette expérience comme les échanges universitaires Erasmus, qui contribuent vraiment au rassemblement des peuples et à la formation d’une conscience commune des jeunes Européens et qu’il faudrait reproduire en Afrique. Ou un projet industriel d’envergure à l’image d’Airbus. Aujourd’hui le continent a tous les minerais possibles pour créer une voiture 100% africaine ou un avion 100% africain comme le Brésil le fait. Cela peut être le point de départ d’une dynamique panafricaine. 

Changer d’avenir en Afrique de l’Ouest : Ce qui change un peu, ce qui change lentement, et ce qui ne change pas

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Ce texte a été initialement publié sur le Blog de Gilles Yabi (gillesyabi.blogspot.com) sous le titre "Changer d'avenir en Afrique de l'Ouest, le pari du WATHI (6): Ce qui change un peu, ce qui change lentement, et ce qui ne change pas". Il fait partie d'une série d'articles qui marquent le lancement du WATHI, un think-tank citoyen et participatif de l'Afrique de l'Ouest, dont l'auteur est le fondateur et président. Nous reproduisons ici cet article avec son autorisation. 

Ce qui change depuis une dizaine d’années dans presque tous les pays africains qui ne sont pas englués dans des crises politiques et des conflits violents récurrents, c’est que de vieux projets de constructions d’infrastructures économiques connaissent un début d’exécution. A l’instar de routes transnationales dans chacune des grandes régions subsahariennes, de chemins de fer abandonnés pendant des décennies, d’interconnexion électrique entre pays voisins, d’installation de gazoducs régionaux, d’extension et de modernisation de ports. 

Ce qui change malgré tout, c’est le niveau moyen de qualification et de compétences dans les grandes entreprises privées et semi-publiques et dans les cabinets ministériels où une poignée de cadres bien formés et travailleurs sont devenus indispensables pour faire le lien entre les agences de coopération bilatérale et multilatérale et des administrations publiques défaillantes et faire avancer les projets décrétés prioritaires par les chefs d’Etat.

Ce qui change malgré tout, c’est que le développement conjugué du secteur bancaire, des institutions de micro-finance, des établissements privés de formation professionnelle et des initiatives disparates de milliers d’ONG en direction de catégories spécifiques de la population ainsi que les réformes économiques laborieusement mises en œuvre par les gouvernements ont eu pour effet d’insuffler un minimum de dynamisme dans des économies locales longtemps atrophiées. 

Derrière ces tendances positives se trouve le relâchement des contraintes du financement de la croissance économique dans la majeure partie de l’Afrique subsaharienne. Ce nouveau souffle financier a été lui-même favorisé par l’allègement significatif du fardeau de la dette extérieure et par les conséquences de la croissance effrénée des puissances dites émergentes, au premier rang desquels la Chine, avide de matières premières et de nouveaux marchés pour son industrie à haute intensité de main d’œuvre… chinoise.

Ce qui change, c’est l’engouement d’une jeunesse nombreuse, dynamique, irrépressiblement attirée par l’ouverture sur le monde que permettent l’Internet et toutes les technologies modernes de l’information. Ce qui change, c’est le stupéfiant succès populaire de la téléphonie mobile dans les villes et dans les campagnes africaines et la diversité des usages utiles qu’en font toutes les couches sociales. 

Ce qui change, c’est la coexistence d’une envie de bouger, de rêves d’émigration réussie au sein d’une masse de jeunes désabusés mais parfaitement équilibrés et d’un flux de plus en plus soutenu de retours d’autres jeunes privilégiés, formés à l’étranger, au fait du fonctionnement de l’économie mondiale et convaincus de la possibilité d’allier la recherche d’un bien-être individuel et familial avec leur participation au développement de leurs pays respectifs.

Ce qui change, c’est qu’à Bamako, Cotonou, Abidjan, Lomé, Accra, Lagos, Bobo-Dioulasso, Thiès, Douala, Agadez, Nouadhibou, Ségou, des millions de femmes et d’hommes créent des « micro », des « mini » et des petites entreprises, très majoritairement informelles, recherchent des moyens pour accroître leurs savoirs et leurs savoir-faire et ne comptent sur personne d’autre qu’eux-mêmes pour atteindre le confort de vie auquel ils aspirent. 

Il existe un sacré réservoir d’énergie humaine pour aller plus loin et plus haut dans une partie du continent, dans les pays et les régions où le bruit des bottes de rebelles, de militaires, d’extrémistes religieux en tous genres et d’entrepreneurs de la violence et de la haine de l’autre n’anéantit pas toute ambition d’aspirer à une vie normale.

Ce qui ne change pas, ou si peu et trop lentement, c’est la conception de la politique comme un jeu à somme nulle dans lequel le clan qui détient le pouvoir peut utiliser tous les moyens sans exception pour conserver la mainmise sur tous les leviers de l’Etat et sur les ressources économiques du pays avec l’assentiment, ou au moins la tolérance tacite d’une grande partie de la population qui n’a souvent connu que ces pratiques politiques antinomiques à la poursuite de l’intérêt général. 

Ce qui ne change pas ou si peu, c’est la conception des administrations publiques exclusivement comme des machines pourvoyeuses de clientèles politiques, de garanties de paix sociale et d’emplois stables dont les faibles rémunérations officielles vont de pair avec l’absence de la moindre exigence de performance et la banalisation de toutes les pratiques corruptives fournissant des compléments de revenus conséquents.

Ce qui ne change pas ou si lentement, c’est la « morale » transfusée par les élites qui, dans trop de pays africains, ont édifié les Etats postcoloniaux sur le socle de la violence, de l’exploitation des faibles, de la condescendance à l’égard des pauvres et de l’association de la détention du pouvoir politique à un droit de jouissance illimitée de tous les avantages. 

Ce qui ne change pas et semble se transmettre de génération en génération, au sein des élites, et entre elles et les autres couches de la population, c’est la culture du double langage, du décalage systématique entre le discours et l’action, entre la rhétorique et la réalité, le culte du mensonge permanent. Ce qui ne change pas, ou pas assez vite, dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et au-delà, c’est la coexistence d’un discours redondant sur la solidarité, la fraternité, le cousinage à l’africaine et des pratiques politiques, économiques, culturelles et sociales claniques, discriminatoires et au fond profondément égoïstes.

Ce qui ne change pas, c’est la préférence collective pour une régulation sociale par la charité ponctuelle et arbitraire des mieux lotis à l’égard des pauvres et des faibles plutôt que la recherche permanente de l’insertion de toutes les couches de la population dans les circuits de production et de distribution des richesses matérielles et immatérielles. 

Ce qui ne change toujours pas en dépit des slogans et des réformes éternelles défendues et accompagnées par les bailleurs de fonds internationaux, c’est une structure perverse des incitations qui encourage la lutte sans merci pour l’accès aux positions de rente, – en clair des lieux où l’on peut s’enrichir vite sans travail acharné ni innovation-, et décourage l’effort, la créativité et le dynamisme.

Ce qui ne change pas, enfin, c’est cette peur panique de perdre notre identité africaine dès qu’il est question de changer quoi que ce soit de significatif dans notre manière de faire, de penser et de vivre. Comme si seuls les Africains devaient cultiver des traditions immuables et inattaquables parce que léguées par des ancêtres qui vivaient dans un monde bien différent de celui d’aujourd’hui. 

Comme si les enfants qui naissent tous les jours dans chacun des pays de la région n’avaient pas le droit de prétendre à une autre vie et de nourrir des rêves éloignés de ceux de leurs parents, grands-parents et aïeuls. Comme si les valeurs africaines auxquelles on entend s’accrocher envers et contre tout étaient aussi aisées à définir et à citer aujourd’hui.

Comme si ces valeurs jamais clairement définies n’avaient pas été déjà largement entamées par les antivaleurs injectées dans les sociétés par les élites gouvernantes au cours des trois, quatre ou cinq dernières décennies. Comme si chaque génération n’avait pas un droit légitime d’inventaire des valeurs traditionnelles au bout duquel elle en éliminerait certaines, en amenderait d’autres et en créerait de nouvelles correspondant à l’idéal de société auquel elle voudrait tendre.

Dr Gilles Olakounlé Yabi

 

L’Afrique, malade de son pétrole ?

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Le pétrole, au lieu de profiter aux pays, se transforme bien souvent en cadeau empoisonné, notamment dans les États d’Afrique centrale, minés par le clientélisme et la corruption.

« Je ferai du Congo une petite Suisse », s’enthousiasmait en 1992 le futur président congolais Pascal Lissouba, en pleine campagne électorale. Plus de vingt ans après, sa promesse, qui déjà à l’époque prêtait à sourire, laisse un goût d’amertume. Dans ce petit État pétrolier, près d’un Congolais sur deux vit toujours sous le seuil de pauvreté et le Congo figure à la 140e place dans le classement des indicateurs de développement humain (IDH), que réalise le PNUD chaque année. La Suisse paraît bien loin.

Sur le papier pourtant, le Congo ressemble bien à ce pays de cocagne dont rêvait l’ancien président Pascal Lissouba: une croissance de plus de 5%, un peu plus de 4 millions d’habitants, la grande forêt tropicale du bassin du Congo au nord, une façade maritime au sud-ouest, le majestueux fleuve Congo à l’est, un climat idéal pour l’agriculture, et surtout du pétrole. Avec une production estimée à 263 000 barils par jour, le précieux or noir est le cœur de l’économie congolaise, il représente au moins 60% de son PIB, 75% des recettes publiques et 90% des exportations. Et c’est sans doute là que le bât blesse.

Car le Congo-Brazzaville, comme ses voisins de Guinée équatoriale, du Gabon ou d’Angola semblent emblématiques de « la malédiction des ressources naturelles » qui frappe tout particulièrement l’Afrique centrale. C’est l’économiste britannique Richard Auty qui le premier a théorisé en 1993 cet apparent paradoxe: l’abondance en ressources naturelles d’un pays au lieu de lui profiter, ralentit sa croissance et son développement, quand d’autres États moins favorisés par la nature réussiront beaucoup mieux.

Les explications développées depuis par les chercheurs sont nombreuses et relèvent aussi bien de mécanismes politiques qu’économiques. Le pétrole (comme d’autres ressources naturelles ailleurs) crée une économie de rente, qui transforme le jeu politique en une lutte pour la captation des ressources. Dans un récent article,[1] Le politologue Michael Ross y associe trois conséquences directes: la rente entretient les régimes autoritaires, elle favorise la corruption et le clientélisme, elle est même facteur de conflits et de guerre civile, comme celles qui ont eu lieu en Angola ou au Congo-Brazzaville.

Sur le plan économique, si elle permet une croissance rapide et parfois élevée, la rente pétrolière rend les pays vulnérables, à la merci de la volatilité des prix. Appréciant la monnaie, elle peut aussi jouer un effet négatif sur les exportations dans d’autres secteurs, et encourager les importations aux dépens de la production intérieure et de la diversification de l’économie dans l’agriculture ou l’industrie.

 Un cadeau empoisonné

Bref, le pétrole, sans institutions et garde-fous solides peut bien se transformer en cadeau empoisonné.  « Les pays les plus dépendants au pétrole sont les moins démocratiques, les plus corrompus et ceux où les inégalités sont les plus fortes », explique ainsi sans détour Marc Guéniat, responsable enquête de la Déclaration de Berne, une ONG suisse qui analyse et dénonce le rôle des négociants suisses dans les pays pétroliers africains. « Évoquer un lien causal entre le pétrole et l’absence de démocratie est peut-être exagéré, mais on observe de toute évidence une corrélation », ajoute-t-il, « même si certains États pétroliers comme la Norvège sont des modèles de démocratie».

La rente pétrolière entretient ainsi le modèle de l’État post-colonial africain “néopatrimonial” où la classe dirigeante confond biens publics et intérêts privés et transforme le pouvoir en un exercice d’accumulation de richesses partagées par un club restreint de privilégiés. Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale et Angola, autant de pays cités dans l’affaire des biens mal acquis, dont l’instruction est en cours en ce moment même en France. Les chefs d’État, certains de leurs enfants et de leurs proches sont visés par une plainte pour recel de détournement de biens publics, soupçonnés d’enrichissement et d’accumulation de biens luxueux (hôtels particuliers, appartements, automobiles…) sans rapport avec leurs postes et leurs revenus officiels.

Dans ces pays, la gestion du secteur pétrolier et de l’économie en général est stratégiquement attribuée à des proches du pouvoir. Au Congo-Brazzaville, Denis Christel Sassou Nguesso, fils du président actuel et député dans la circonscription d’Oyo, est le directeur général adjoint de l’aval pétrolier de la SNPC, la société nationale des pétroles du Congo. En Angola, les enfants du président Eduardo dos Santos exercent eux aussi des responsabilités clés. À l’ainée Isabel, surnommée « la princesse » et considérée par le magazine Forbes comme la femme la plus riche d’Afrique, des participations dans de nombreuses entreprises angolaises et portugaises ; à son frère, José Filomeno, la gestion du fonds souverain angolais. Teodorin Obiang, régulièrement cité dans l’affaire des biens mal acquis est quant à lui ministre de la Défense et 2ème vice-président de la Guinée équatoriale.

 « Un clan a la main mise sur la banque centrale dans ces États. C’est leur porte-monnaie. Ils considèrent leurs pays comme leurs jardins. Les conflits d'intérêts sont patents, comme au Congo Brazzaville. La SNPC, la compagnie publique qui attribue et gère les contrats pétroliers, est présidée par Denis Gokana. Cette même personne est simultanément le fondateur de la principale entreprise privée pétrolière du pays, African Oil and Gas Corporation, qui signe des contrats avec l’Etat », dénonce encore Marc Guéniat.

Soigner la maladie

Alors quels remèdes pour faire face à cette redoutable maladie ?

Pour le chercheur suisse, la première et indispensable étape c’est la transparence : « des appels d’offres publics avec des critères clairs et précis, la publication de l’intégralité des comptes des sociétés pétrolières étatiques dont l’action est aujourd’hui complètement opaque. Pour l’instant, ce sont de véritables boites noires. Les comptes ne sont pas publiés et introuvables. Que penserait-on en France si des entités publiques comme la SNCF ne rendaient pas compte de leurs activités ?… ».

Pour progresser dans cette voie, la communauté internationale a lancé en 2003 l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui rassemble entreprises, ONG et États producteurs volontaires qui s’engagent à respecter des normes sur l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles. Mais les pays cités ici sont loin d’être exemplaires. Le Gabon a ainsi été radié de l’ITIE, parce qu’« aucun progrès significatif » n’y a été constaté. La Guinée équatoriale a posé sa candidature en 2007 mais n’a jamais pu devenir membre faute d’avoir rempli les critères d’admission. L’Angola n’a visiblement pas souhaité y prendre part. Seul le Congo-Brazzaville participe à l’ITIE, et des progrès notables y ont été relevés par la société civile, avec la publication in extremis par l’État du rapport 2013, le 31 décembre 2014, qui décrit les recettes tirées de la production pétrolière et leur place dans l’économie du pays. Une société civile qui ne manque pas toutefois de dénoncer l’opacité de certains contrats avec les nouveaux partenaires chinois notamment.  

À plus long terme, la solution passe aussi par une consolidation des contrepouvoirs et des institutions. Ainsi le pétrole récemment trouvé au Ghana pourrait bien profiter au pays selon les chercheurs Dominik Kopinski, Andrzej Polus et Wojciech Tycholiz[2], parce qu’après plusieurs alternances et une succession pacifique au pouvoir, la tradition démocratique y est solidement ancrée. L’économie ghanéenne diversifiée et une société civile vigilante, qui réclame un cadre juridique précis pour l’exploitation du pétrole, tendent aussi à préserver le pays de la maladie du pétrole.

Autre exemple régulièrement cité, le Botswana et sa gestion du diamant couronnée de succès. Le pays a bénéficié d’une stabilité institutionnelle, antérieure à l’exploitation du diamant, avec des responsables politiques bien décidés à privilégier l’intérêt national sur les intérêts tribaux. Puis les autorités ont fixé des règles claires comme le transfert à la puissance publique des droits des tribus à exploiter les concessions minières. Mais aussi l’adoption d’une gestion budgétaire prudente, qui interdit de financer les dépenses courantes de l’Etat avec la rente diamantaire.

La maladie des ressources naturelles n’est donc ni automatique ni incurable, assurent ainsi les experts de la Banque mondiale Alan Gelb et Sina Grasmann parce qu’on “on ne peut tenir les graine de pavot responsables de l’addiction à l’héroïne”[3]. « L’essentiel est de compléter les ressources naturelles par un capital humain est institutionnel suffisant », expliquent-ils un brin laconiques.

Utiliser la richesse pétrolière comme un levier de redistribution et d’investissement pour diversifier l’économie, et développer l’éducation et la santé : le défi apparaît aussi immense qu’indispensable pour des pays à la jeunesse nombreuse, avide de formations, d’emplois et d'opportunités, que le secteur pétrolier seul sera bien en peine de lui fournir.


[1] Ross, Michael L., What Have We Learned about the Resource Curse? (June 20, 2014). Disponible en ligne sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=2342668

 

[2] Kopinski Dominik, Polus Andrzej et Tycholiz Wojciech, “Resource curse or resource disease? Oil in Ghana”, African Affairs, 112/449, 583–601

 

[3] Gelb Alan, Grasmann Sina, « Déjouer la malédiction pétrolière », Afrique contemporaine 1/ 2009 (n° 229), p. 87-135

URL: www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-1-page-87.htm.

 

Gouvernance démocratique en Côte d’Ivoire : mythe ou réalité ?

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La Cote d’Ivoire a connu la décennie passée plusieurs crises dont la plus meurtrière fut la crise post-électorale de décembre 2010. Pendant cette période trouble de notre histoire, les clivages et les dissensions au sein des communautés se sont aggravés et le tissu social s’est profondément détérioré.

Face à cette situation, les nouvelles autorités ont entrepris plusieurs reformes tant structurelles qu’institutionnelles, dont les objectifs étaient de parvenir à accroitre l’efficacité et la légitimité des politiques de gestion publiques aux yeux des citoyens et aussi de renforcer l’État de droit en aidant les institutions à devenir inclusives et responsables.

I° Au plan économique

La gouvernance démocratique suppose ici le fait que l’État doit jouer un rôle central mais non exclusif dans la gestion du bien public en rassurant et en impliquant les populations aux projets de développement. Ce mode de gestion vise à rassurer les populations locales et les partenaires institutionnels (bailleurs de fonds, investisseurs, opérateurs économiques). A ce titre, plusieurs actions ont été menées :

  • La mise en place de Tribunaux de commerce pour assainir l’environnement des affaires.
  • La création d’un cadre institutionnel de bonne gouvernance par la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance (HABG), créée en septembre 2013. Elle a pour missions  principales de mener une croisade pour la normalisation de la vie publique en inculquant des valeurs telles que l’éthique dans la gestion des ressources humaines, financières, matérielles et le tout reposant sur des principes de transparence, de responsabilité et de participation collective.
  • Plusieurs reformes ont été engagées au niveau du Centre de promotion des investissements (CEPICI), de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) et du patronat ivoirien afin d’assainir l’environnement des affaires et le rendre plus attractif.

II° Au plan social

La gouvernance démocratique procède de la conviction que le dialogue social et le consensus sont très efficaces et peuvent garantir l’efficacité des politiques publiques. La stratégie du gouvernement était de rapprocher l’Etat de ses administrés et les citoyens entre eux, en facilitant les plateformes de réflexion  telles que les  coalitions de femmes, les regroupements de jeunes, la société civile.

  • La mise en place du Conseil économique et social (CES), dont le but est de légiférer afin de créer un cadre de réflexion qui permettra au gouvernement de dérouler son programme de développement économique et social en faveur des populations.
  • Prôner l’égalité des sexes entre hommes et femmes. En matière de genre, l’Etat a initié le toilettage des textes discriminatoires envers les femmes et l’adoption de lois visant leur promotion. Comme illustration, le concours de la gendarmerie, qui depuis les années 1960, était jusque-là réservé uniquement aux hommes, a été ouvert cette année aux femmes. Des promotions ont également été décidées dans l’armée avec le passage de la première femme au grade de Générale  de brigade, Kouamé Akissi.

III° Au plan politique

La gouvernance démocratique encourage les réseaux, les associations et l’inclusion. Elle recommande un dialogue social auquel les citoyens doivent jouer un rôle actif dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Conscientes de l’apport que peut jouer tous les citoyens du pays, les autorités ont initié la création d’un Ministère d’Etat chargé du dialogue politique.

  • La reprise du dialogue politique : le gouvernement et l’opposition ont repris le 29 janvier 2015 le dialogue politique qui avait été interrompu depuis le mois de mai dernier.
  • Le dégel des avoirs : la justice ivoirienne a annoncé avoir procédé au dégel des comptes bancaires de 43 personnalités de l’opposition. Ces comptes avaient été gelés suite à la crise post-électorale de 2010.
  • La libération de prisonniers de la crise post-électorale : en début d’année, la justice a procédé à la libération provisoire de plus de 130 prisonniers de la crise post-électorale.
  • Grâce présidentielle : 3000 détenus de droit commun bénéficieront bientôt de grâce collective et de réduction de peine. Des décrets ont été adoptés dans ce sens début février 2015.

Toutes ces actions du gouvernement sont des gestes qui participent à la décrispation du climat politique.

RECOMMANDATIONS

Plusieurs partenaires, notamment le PNUD et le NDI ont décidé d’accompagner les initiatives concourant à la création d’un environnement favorable à la bonne gouvernance. Pour que la gouvernance démocratique soit une réalité en Côte d’Ivoire, il faut :

  • Régler le problème du financement des partis politiques : ce financement qui est obligatoire par l’État n’est jusque-là pas effectif, alors que les élections présidentielles sont prévues pour octobre 2015.
  • Libéraliser l’accès aux medias : l’opposition estime qu’elle n’a pas accès aux médias d’État.
  • Instaurer l’éthique dans la gestion des ressources humaines : certaines nominations dans l’administration sont souvent faites de façons fantaisistes et partisanes, ce qui est contraire à la logique de bonne gouvernance.
  • Veiller à instaurer plus de transparence dans les processus d’attribution des marches publiques.
  • Lutter contre toutes les formes de racket qui gangrènent l’économie de notre pays.

BILAN

La gouvernance démocratique n’est pas un simple concept, mais une volonté réelle de bâtir un Etat de droit, de justice et de sécurité. Elle implique la promotion de la transparence dans la gestion des affaires publiques.

C’est à juste titre que les institutions de Brettons Wood (FMI-Banque Mondiale) ont ajouté la rubrique « bonne gouvernance » à la liste de leurs critères de prêts. Ce qui signifie que la gouvernance démocratique ou la démocratie participative est un critère incontournable dans le processus de développement d’une Nation.

Kabila et Sassou face à leurs constitutions



 

 

JPG_KabilaSassou 030215Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème : leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.

Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à un numéro: 57 (et 58) au Congo Brazzaville et 70 en RDC, les articles constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir fin 2016.

Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde – séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront elles beaucoup plus longtemps,  qu'importe la rive où l’on accoste.

À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31 décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution, plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.

Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant, l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel », assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel dans son message de vœux à la Nation.

À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est  estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement controversé, y laissait craindre un report de l’élection présidentielle, ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition. Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a finalement été retiré.

Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le président n’ont officiellement pris position dans le débat.

Deux situations bien différentes

Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux..

Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC avec ses 80 millions d’habitants est l'un des pays les plus grands et peuplés d’Afrique. Et plusieurs parties du territoire échappent encore au contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR… les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les Kivus.

Par contraste, le Congo-Brazza avec ses quatre millions d’habitants, fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.

Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes.

À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret, assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les rivalités.

Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections présidentielles.  Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise Katumbi, connu pour les succès de son équipe de football le Tout Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la majorité à prendre ses distances.

À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique  plus expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992 et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas, autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son giron grâce ,disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.

Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de Bernard…), opposées au changement constitutionnel.

Homme d’expérience, par contraste avec un Kabila bien discret sur la scène diplomatique, Sassou Nguesso exerce aussi son influence à l'international depuis de nombreuses années avec la confiance de ses partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise centrafricaine. 

Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?

Adrien de Calan

Boko Haram au Cameroun : plaidoyer pour une architecture de sécurité régionale

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Boko Haram au Cameroun, ce n’est pas nouveau. Les incursions du mouvement terroriste dans le Nord du pays existent depuis un moment ; bien que leurs actions spectaculaires de ce mois de janvier attirent un peu plus notre regard. Il est certain qu’il ne saurait y avoir de hiérarchie pour les atrocités commises par la bande d’Abubakar Shekau, mais il est des actes à la puissance symbolique. Une puissance telle que la situation du Cameroun requiert l’attention de la CEEAC et de la CEDEAO en priorité, de l’Union africaine (UA) en second et de la communauté internationale globalement.

Au cœur de l’été dernier, « BH » comme les moque si bien l’humour camerounais (en référence au plat très apprécié Beignets Haricots) tentait d’enlever le Vice-Premier Ministre du Cameroun Amadou Ali dans sa localité de Kolofata où il séjournait pour la fête de la Tabaski. Tentative doublement symbolique puisque l’homme est à la fois un haut personnage de l’Etat et un notable de cette province frontalière du Nigéria. Ayant revêtu des uniformes de l’armée camerounaise et camouflé leurs voitures en véhicules officielles, les combattants de BH capturèrent le sultan de Kolofata et la femme d’Ali (libérés plus tard) et tuèrent le frère du sultan.

Aussi donc l’opération de déstabilisation par Boko Haram est-elle allée crescendo dans ses objectifs et dans ses cibles. Mais qu’est-ce qui motive Boko Haram au Cameroun ?  L’objectif est double. Dans un premier temps il s’agit de s’offrir une base arrière pouvant servir de repli en cas de regain des forces armées nigérianes. Dans un deuxième temps, le Cameroun permettrait de faire la liaison avec les extrémistes qui sévissent déjà en Centrafrique et au Tchad. Ce dernier objectif accréditerait la thèse selon laquelle, la convergence doctrinaire des mouvements sévissant dans les quatre pays que nous avons cités – s’il n’est pas encore totalement avéré – viserait à créer un bastion islamique en plein milieu de l’Afrique centrale.

L’obtention d’un bastion stratégique dans les Nord respectifs du Cameroun et du Nigéria n’est cependant pas chose aisée tant combattre sur deux fronts est déjà difficile pour une armée de métier. C’est sans compter sur le repli de l’armée nigériane ; repli provoqué par les revers infligés par Boko Haram et précipité entre autres par les considérations électorales qui saisissent le Président nigérian Goodluck Jonathan.

On mentionne beaucoup lesdites considérations comme cause principale de ce repli arguant qu’une autre déconvenue de l’armée enterrerait les espoirs de réélection du président sortant. Certes, c’est un facteur non négligeable  mais qui paraitrait presque secondaire tant les difficultés du pouvoir fédéral nigérian à pacifier et intégrer le Nord du pays sont anciennes. Il est honnête de préciser que ces difficultés ne sont pas particulières au Nord puisqu’au Sud, le Biafra des années 1970, le MOSOP des années 90 ou encore  le MEND d’aujourd’hui témoignent de difficultés qui touchent aussi le sud du pays et la région pétrolifère du delta du Niger. Boko Haram a fleuri sur un terreau fertile et il serait dommage de prendre les conséquences pour des causes.

Il n’en demeure pas moins que depuis que les militaires nigérians ont quelque peu baissé pavillon et semblent avoir abandonné à Boko Haram l’Etat du Borno frontalier du Cameroun, les militants ont pu se concentrer sur un seul front. Avec les conséquences malheureuses que nous connaissons.

Ces attaques en terre camerounaise s’accompagnent de tentatives de subversion propres à ces mouvements, dont le manuel de combat mêle guerre conventionnelle et guérilla. Avérée ou pas, cette subversion est un danger que les autorités camerounaises prennent au sérieux, vis-à-vis d’un mouvement qui souhaite couper du reste du pays le Nord à majorité musulmane. C’est ainsi qu’il faudrait interpréter l’arrestation en début janvier de 13 chefs traditionnels du Mayo-Tsanaga (département frontalier du Nigéria) pour complicité présumée de terrorisme avec Boko Haram. Il est encore trop tôt pour condamner ces hommes à qui la présomption d’innocence doit bénéficier mais au vu de la tentative de kidnapping évoqué plus haut, il n’est pas à exclure que Boko Haram dispose de « sympathisants » locaux.

Depuis ce kidnapping de juillet dernier qui causa la mort du frère du sultan de Kolofata, les incursions se sont multipliées, les combats intensifiés et les enjeux clarifiés. Le formidable renfort de 7 000 hommes décidé par le président camerounais Paul Biya répond à la prégnance de la menace. L’engagement camerounais dispense des enseignements à plus d’un égard. Tout d’abord il confirme la sensibilité des pays africains d’Afrique de l’Ouest et du Centre à la contamination des conflits révélant une fois de plus le problème des frontières. Mais plus que leur porosité, c’est le manque de coopération des États frontaliers qui est une nouvelle fois sur le banc des accusés. A cette culpabilité se rajoute une autre qui ne peut plus être ignorée tant les événements la mettent en évidence : le manque de coopération des organisations de sécurité régionale dans la prévention et la gestion des conflits.

Cette nécessaire architecture interrégionale est un défi que la situation actuelle doit permettre de développer ; car les conflits sont les malheureuses mais parfois nécessaires opportunités qui peuvent révéler d’heureuses entreprises. 

A l’heure où ces lignes sont écrites, la question nigériano-camerounaise de Boko Haram –  puisqu’il ne faut plus séparer les deux – fait l’objet d’une proposition de création d’une force multinationale, reste à savoir si le mandat se fera sous l’égide de l’UA et quels rôles joueraient la CEDEAO et la CEEAC.

Bien entendu, nous nous garderons d’un optimisme béat ou même trop prononcé puisque le souverainisme des Etats – celui du Nigéria dans le cas en l’espèce – tend à s’exacerber au fur et à mesure que la crise s’aggrave, sempiternel obstacle de l’intégration continentale… Ainsi le président Jonathan réitère-t-il le principe de non-ingérence et souhaite régler le problème en s’associant au Cameroun, à la République Centrafricaine et  au Tchad qui a décidé de prêter main forte aux deux premiers.

Quoi qu’il en soit, ce qui se passe aujourd’hui à la frontière du Cameroun et du Nigéria fustige la rigidité  coupable des frontières de nos espaces régionaux. Le temps de  l’intégration par cercles se passe de mode car les menaces que posent Boko Haram (ou encore Ansar Dine dans la bande sahélienne) la rendent obsolète – en matière de sécurité du moins. Les agissements de ces derniers et leurs « succès » témoignent qu’eux ont compris que la « transfrontalisation » des enjeux est un atout. A nos États de comprendre que l’inter-régionalisme est le nôtre.

Enfin dernier point et non des moindres : celui de la circulation des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC). Aujourd’hui plus d’un milliard d’armes légères et de petit calibre circuleraient dans le monde entier selon les estimations du Graduate Institute Studies de Genève. Une portion considérable de ce milliard alimente des groupes comme Boko Haram ou encore Ansar Dine. Malheureusement à cette prolifération des ALPC se rajoute maintenant le danger des armes lourdes qui essaiment davantage depuis la crise libyenne. A tel point qu’aujourd’hui certaines armées africaines déjà si peu bien dotées doivent faire face à des ennemis qui font plus que rivaliser par leur puissance de feu. Mais là il faudrait aussi évoquer l’autre immense écueil qu’est le manque de ressources et de professionnalisation des forces de défense et de sécurité en Afrique. Mais ça c’est un autre débat, un autre article…                              

Cheikh GUEYE

 

 

Côte d’Ivoire: Paix, sécurité et émergence

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Après les crises successives qu’a connu la Côte d’Ivoire lors de la décennie écoulée, les nouvelles autorités ont dès leur prise de fonction, affiché clairement leur ambition de favoriser une croissance économique à fort impact sur le développement humain.

Ainsi, les autorités Ivoiriennes, conscientes de l’importance de la stabilité économique et la paix sociale dans tout processus de développement, ont décidé de mettre un point d’honneur sur la gouvernance démocratique et la répartition équitable des richesses afin d’impliquer et de stimuler toutes les couches sociales à atteindre l’objectif commun qui est l’émergence économique de la Cote d’Ivoire à l’horizon 2020.

La population ivoirienne, qui est à majorité jeune, est confrontée au problème d’insertion dans le marché du travail et cette question de l’emploi demeure actuellement la priorité des ménages et des politiques publiques. C’est ainsi que la Cote d’ivoire a décidé d’adopter un nouveau modèle de développement pour accélérer sa marche vers l’émergence.

Cette stratégie dénommée PND (Plan National de Développement), constitue le référentiel de toute la politique économique et sociale sur le moyen et le long terme, et est aussi le cadre de coordination, de planification, de programmation et de suivi des interventions Nationales et Internationales. A travers sa mise en œuvre, le gouvernement entend rechercher l’efficacité et l’efficience (performance) dans les interventions publiques.

L’émergence qui vise une amélioration des conditions de vie des populations ne pourrait être atteinte sans le renforcement de la sécurité, de la stabilité, de la gouvernance, de la démobilisation et la réintégration des ex-combattants, et de la consolidation de l’Etat de droit afin de créer les meilleures conditions d’une paix sociale durable et de favoriser le plein épanouissement des potentialités individuelles.

Contexte

 

Selon l’ONG anti-corruption Transparency International, l’indice de perception de la corruption en Côte d’Ivoire est évalué à 2,2 sur une échelle allant de 0 à 10. En 2010, la Cote d’Ivoire était classée 146e sur 174 pays.

La corruption et autres rackets sur les routes ivoiriennes sont la plupart du temps le fait d’ex-combattants incontrôlés et livrés à eux-mêmes. Elle entraine des coûts de transaction élevés, difficiles à mesurer, en raison du caractère clandestin de ces transactions. La corruption réduit le montant des investissements et ralentit la croissance économique du pays. La dégradation du climat socio-politique conjuguée à la détérioration de l’environnement économique a contribué à l’effritement de la cohésion sociale.

Ces différentes crises (coup d’État de décembre 1999, tentative de coup d’Etat de septembre 2002, crise post-électorale de décembre 2010) ont favorisé la circulation des armes légères et de petits calibres dans le pays, accentuant du même coup l’insécurité.

Le regroupement de certains jeunes en milices ou GAD (Groupes d’auto-défense), pendant la crise post-électorale de 2010, a favorisé la prolifération d’armes dans tout le pays. Certaines personnes, ayant gardé ces armes par devers elles, les utilisent régulièrement pour des braquages.

La prolifération des armes et la présence d’ex-combattants souvent armés sont une menace pour la stabilité sociale, mais aussi pour l’économie de la Côte d’Ivoire.

Quelques faits

 

Au début du mois de décembre 2014, quelques soldats du camp militaire d’Akouédo (Abidjan), avaient perturbé la circulation pendant plusieurs heures en érigeant des barricades sur les grandes artères. Ceux-ci réclamaient en effet le paiement d’arriérés de salaires et des primes de logement. Cette situation avait également touché plusieurs autres grandes villes de l’intérieur du pays, à savoir (Bouaké : Centre), (Korhogo : Nord), (Daloa : Centre-Ouest).

Ce problème d’humeur des militaires fut réglé au plus haut niveau par le président de la République qui a instruit le gouvernement d’apurer cette dette.

Quelques jours plus tard, un autre mouvement d’humeur de quelques dizaines d’ex-combattants ayant pris part à la bataille pour le contrôle de la ville d’Abidjan en avril 2010. Ces ex-combattants exigeaient non pas des primes, mais leur intégration et leur prise en compte dans les effectifs militaires de la nouvelle armée.

Tous ces différents mouvements d’humeur, venant d’ex-combattants ne sont pas de nature à rassurer les bailleurs de fonds et si l’on n’y prend garde, risquent de saper les efforts colossaux du gouvernement visant à améliorer le climat des affaires et le bien-être des Ivoiriens.

Il est donc indispensable d’aider à l’amélioration des conditions de vie des populations. Pour cela, il est crucial d’offrir aux ex-combattants des emplois et des perspectives d’avenir, si nous voulons atteindre l’émergence à l’horizon 2020.

Leur réintégration dans le tissu économique et social permettra à terme de prévenir toute nouvelle menace dans un environnement politique, économique et social encore fragile, avec de nouvelles élections présidentielles prévues en octobre 2015. La réinsertion des ex-combattants est une condition indispensable qui leur permettra d’améliorer leur situation économique et sociale et de faciliter aussi leur réadaptation d’après-guerre pour une participation effective au processus devant nous permettre d’atteindre l’émergence en 2020.

C’est dans cette optique que le gouvernement ivoirien, soucieux du danger que représentent tous les ex-combattants, a décidé de créer l’ADDR (Autorité pour le désarmement, la démobilisation, la réinsertion et la réintégration des ex-combattants). Le processus DDR s’analyse donc sur le plan politique, économique, social et culturel.

Missions et objectifs de l'ADDR

 

Créée en août  2012, l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation, la réinsertion, la réintégration socio-économique des ex-combattants (ADDR) est placée sous l’autorité du CNS (Conseil National de Sécurité), présidé par le Président de la République.

Les missions de l’ADDR sont entre autres :

  • Contribuer à la restauration de la sécurité, à la consolidation de la paix, à la réconciliation et au développement de la Côte d’Ivoire.
  • Réduire le risque de violence armée et assurer la sécurité de toutes les populations par le désarmement, la démobilisation et la réinsertion de tous les ex-combattants.
  • Emmener tous les ex-combattants à rompre définitivement avec le maniement des armes par leur prise en compte dans les projets de développement.
  • Faciliter le retour durable et définitif des ex-combattants a la vie civile.
  • Transformer les ex-combattants en des opérateurs économiques et surtout en des artisans de l’émergence de la Côte d’Ivoire.

Récapitulatif des résultats au 30/11/2014

Effectifs de planification

 

Statut

Réinsertion

Réintégration

TOTAL

 

 

45 525

En attente de formation qualifiante

En attente de réintégration

Réintégration achevée

74 068

 

3713

12 342

29 470

Problèmes

 

L’ADDR, dans la réalisation de sa mission est confrontée à quelques problèmes d’ordres techniques et structurels. Les problèmes que nous avons identifiés sont les suivants :

  • La complaisance observée dans l’accompagnement et la réintégration des ex-combattants, car selon nos informations, certaines personnes, n’ayant pas été ex-combattants bénéficient d’appuis financiers de l’ADDR afin de réaliser leurs projets.
  • Certains ex-combattants sont abandonnés et livrés à eux-mêmes.
  • La lenteur et la lourdeur du processus de DDR.
  • Le manque d’infrastructures d’accueil et d’équipements.

Solutions et recommandations

 

Pour résoudre ces problèmes, le gouvernement et les autorités de l’ADDR doivent :

  • Faire preuve de beaucoup de rigueur et de transparence dans la sélection et l’accompagnement des ex-combattants.
  • Augmenter les structures d’accueil liées au DDR
  • Augmenter l’enveloppe budgétaire allouée à l’ADDR
  • Multiplier les accords de partenariats entre l’ADDR et des entreprises locales afin d’offrir des stages pratiques et faciliter la réintégration des ex-combattants, comme ce fut le cas le 30 décembre 2014, avec la signature d’un protocole de partenariat entre l’ADDR et l’entreprise de promotion immobilière Kimec. Par cet accord, le Directeur Général de Kimec s’est engagé à offrir un stage pratique a 50 ex-combattants formés par l’ADDR au métier du génie civil. Il a annoncé dans son intervention que ce stage débouchera sur l’embauche des bénéficiaires dans son entreprise.

Les autres entreprises de bâtiment et génie civil doivent suivre cet exemple afin d’épauler l’ADDR dans la réintégration d’ex-combattants.

Synthèse

 

La Côte d’Ivoire, ayant été en proie de façon récurrente ces dernières années à des crises politiques dont la dernière s’est muée en conflit armé, a besoin, pour renouer avec la stabilité économique et sociale, d’un véritable programme cohérent et rigoureux de DDR (Désarmement, Démobilisation et Réinsertion) de tous les ex-combattants.

La réintégration quant à elle vise à  de pérenniser l’activité ou l’emploi de l’ex-combattant afin de lui garantir un revenu durable. Par leur implication dans l’activité économique, les ex-combattants deviendront des opérateurs économiques et des acteurs de développement de la Côte d’Ivoire, sinon, l’émergence tant prônée par le gouvernement Ivoirien ne sera qu’un leurre.

Moussa Koné

Moussa Koné, de nationalité ivoirienne, est titulaire d’une Licence en Sciences économiques de l’Université Felix Houphouët Boigny d’Abidjan et d’un Master en Sciences de Gestion (Option Ressources Humaines) du CESAG de Dakar. Il est actuellement Assistant RH stagiaire dans une institution bancaire de la place. 

 

Comment pouvons-nous lutter contre la corruption en changeant notre comportement?

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En tant que jeune marocaine souhaitant m'engager dans la vie publique de mon pays, je me pose quelques questions. Qu'est-ce qui m'empêcherait d'être une politicienne corrompue? Qu'est-ce qui pré-dispose des gens à être des leaders corrompus? Comment faire en sorte que les citoyens n'abusent pas de leur pouvoir à des fins personnelles? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante à ces questions mais ma mission de consultante pour le projet Transparency International au Niger* m'a permis d'obtenir quelques éléments de réponse. J'ai eu la chance d'interviewer Mme Salifou Fatima Bayèze qui est une des femmes les plus puissantes de ce pays. En tant que Présidente de la Cour constitutionnelle, son intégrité fait d'elle le symbole de l'état de droit. A la question “qu'est-ce qui vous fait résister à la corruption?”, elle répond: “mes valeurs”.

En effet, la lutte contre la corruption présente plusieurs aspects. Les actions des institutions et la volonté politique ont un rôle important dans cette lutte. Mais on a tendance à sous-estimer l'importance de la culture et des valeurs. Sans traiter des politiques et des mécanismes de lutte contre la corruption menés par les institutions, nous verrons comment le système de valeurs est un outil qui permet de lutter contre ce fléau. L'organisation Transparency International et l'Association Nigérienne pour la lutte contre la corruption (ANLC) ont adopté des pratiques efficaces pour encourager la transparence et le mérite dans le système de valeurs actuel.

L'ANLC: la section de Transparency International au Niger

L'ANLC joue un rôle clé dans la société nigérienne en luttant contre un fléau qui touche tout le pays, la corruption. Depuis sa création en 2001, l'ANLC encourage la mise en oeuvre de réformes pour garantir la transparence dans la gestion privée et publique des transactions aux niveaux national et international. Une autre mission importante de l'ANLC est d'impliquer les citoyens directement dans la dénonciation des actes et la lutte contre la fraude.

En 2010, le Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne de l'ANLC a été créé pour rendre la lutte contre la corruption plus efficace en impliquant les citoyens directement dans le processus. En ce sens, l'association a mis en place une série d'activités comme des rencontres, des campagnes de sensibilisation du public, des conférences universitaires, des ateliers de travail et de formation de jeunes, de femmes, de juges et d'élus et la publication d'études et de rapports.

La lutte contre la corruption nécessite des changements de fond au niveau des comportements et des institutions.

L'ANLC tente de lutter contre les corruptions à toutes les échelles, qu'elles soient petites, grandes ou systémiques.

Au niveau local, l'ANLC joue un rôle clé dans la renégociation des contrats avec les entreprises étrangères et dans la mise en place des pétitions et des campagnes de sensibilisation. L'association dirige aussi des missions d'inspection dans les grandes industries. Les citoyens nigériens savent que le corruption fait partie de la structure même du système. La plupart des personnes interrogées ont dit que la corruption est principalement liée à l'industrie extractive. En effet, il y a un grand décalage entre les ressources naturelles extraites au Niger (comme l'uranium, le pétrole, l'or, les ressources agricoles) et le développement humain. Le Niger est classé à la dernière place par l'indicateur de développement humain**. Les Nigériens savent que les grandes sociétés étrangères exploitent les ressources du pays en complicité avec l'élite politique corrompue.

Et pourtant, l'ANLC rejette l'attentisme et met en oeuvre des mesures pour promouvoir des changements au niveau des institutions et de notre comportement. L'association appelle les citoyens à promouvoir le changement et représente les valeurs d'intégrité pour l'avenir du pays. Elle déploie des efforts conséquents pour impliquer les citoyens dans cette démarche en les encourageant à contrôler, condamner et dénoncer toute tentative de corruption à travers un système de valeurs.

5 pratiques pour impliquer les citoyens

L'ANLC adopte 5 principes fondamentaux.

1 – L'Autonomie

Le principe d'autonomie est au coeur du Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne (ALAC). Le rôle de cette organisation est d'informer et d'aider les citoyens à lutter contre la corruption. L'objectif n'est pas de remplacer les efforts des citoyens mais de mettre à leur disposition des moyens juridiques pour les guider et les conseiller. L'association a mis en place une ligne d'Assistance Juridique Directe (le 7777) par laquelle les personnes peuvent déposer leur plainte anonymement. En plus de cela, elle reste en contact avec le public à travers les moyens de communication traditionnels et modernes comme les discours sur la place publique, la radio et les annonces télévisuelles. A travers la musique, le théâtre et les arts, elle promeut la transparence auprès des jeunes.

2- L'Intégration

L'ANLC organise régulièrement des campagnes de sensibilisation dans les zones rurales. J'ai eu l'opportunité de participer à 6 missions de terrain dans les communes rurales et je pense que ce sont les activités les plus intenses et les plus puissantes de l'organisation. Ces visites sont très importantes car elles allient participation et intégration.

L'ANLC fait participer les acteurs traditionnels comme les chefs religieux qui ont une influence sur l'éducation. Les chefs de village ont un rôle majeur dans la mobilisation des habitants. Les chefs religieux utilisent les principes religieux (Hadiths, Coran et Sunna) pour soutenir l'ANLC et promouvoir l'honnêteté, la transparence et la justice. De plus, ils encouragent les citoyens à dénoncer, rejeter et condamner des actes de corruption sur la base des principes religieux.

En outre, les campagnes de sensibilisation ciblent particulièrement les femmes et les jeunes. L'ALAC a mené à bien ses stratégies de communication en se basant sur des considérations de genre et de classes sociales. En effet, les femmes sont directement impliquées dans ces campagnes. Les femmes arrivent à bien s'organiser dans ces structures et relaient ce qu'elles apprennent au sein de leur famille. Elles sont “les enseignantes morales” de leur famille.

Les campagnes de sensibilisation ne sont pas organisées de manière unilatérale. Au contraire, les citoyens s'engagent dans des échanges interactifs. Ils sont encouragés à définir la corruption, à donner des exemples, partager leur expérience, identifier les causes des problèmes et chercher des solutions. Leurs témoignages sont d'une importance cruciale pour les participants. Ils sont encouragés à parler ouvertement de la corruption en donnant des exemples concrets.

3- La Responsabilité

Transparency International encourage les citoyens à prendre conscience de leur rôle et de leur responsabilité et à ne pas être des victimes passives de la corruption. Les animateurs ciblent directement les pratiques néfastes des citoyens: “Vous voulez que l'Etat fasse quelque chose. Mais qu'avez-vous fait pour l'Etat?” (facilitateur de Transparency International lors d'une campagne de sensibilisation). Ils soutiennent que les petits actes de corruption profitent aux personnes et appauvrissent l'Etat qui, en conséquence, ne peut pas agir en faveur des citoyens.

De ce fait, les nigériens doivent prendre conscience de leur statut de citoyen qui implique des devoirs dont le respect de la loi. Par exemple, les faciliateurs de l'ANLC ont souligné que le fait de vendre ses votes pendant les élections libèrent les leaders politique de toute forme de redevabilité. De ce fait, le changement doit commencer au niveau des citoyens eux-mêmes.

4- Un Modèle Positif

Les facilitateurs ont donné des exemples de personnes qui ont dénoncé et lutté contre la corruption. Ces exemples positifs permettent de rejeter l'attitude défaitiste et les contre-modèles qui réussissent par des moyens déloyaux. Le parcours de Mme Salifou Fatimata, ancienne présidente de la cour constitutionnelle qui a résisté à la corruption et l'intimidation est vu comme un symbole de réussite. Selon M. Nouhou, secrétaire de Transparency International au Niger, “au début de sa carrière, un homme a tenté de la corrompre. Mais elle l'a mis en prison et après cela, personne n'a osé la corrompre. Donc, cela prouve que c'est possible.” L'ANLC insiste qu'il faut saluer les bons exemples.

5- Délégation

L'ANLC termine ses campagnes de sensibilisation en créant un club anti-corruption qui sont des antennes locales de l'ANLC permettant d'assurer la pérennité de la sensibilisation.

Le bureau des clubs anti-corruption est élu par les participants locaux le jour de la campagne de sensibilisation. Ils sont formés ultérieurement à informer et aider les habitants à dénoncer et lutter contre la corruption. Il est intéressant de constater que la majorité des membres du bureau de ces clubs sont des femmes, contrairement aux idées reçues que l'on peut avoir du Niger et d'autres pays de la région.

Je ne cherche pas ici, à sous-estimer l'importance cruciale des politiques et des mécanismes de lutte contre la corruption déployées par les institutions. J'ai voulu traiter la question à travers une perspective locale. J'estime que les leaders et les habitants que j'ai interviewés apportent des réponses que nous ne pouvons ignorer. La “crise des valeurs” est un des facteurs du développement de la corruption. Mais les lois seules ne pourront pas arrêter la corruption. Il faut éveiller les consciences et promouvoir des normes positives au sein de la société.

Traduit par Bushra Kadir

* Je faisais partie des six étudiants de l'Ecole des Affaires Publiques et Internationales de l'Université de Columbia qui ont été choisis pour travailler sur le projet Genres et Corruption. La mission a duré 7 mois (de novembre 2013 à mai 2014) avec des missions au Niger et au Zimbabwe.

** Le Niger a l'Indice de Développement Humain le plus bas dans le monde (0,337).

 

L’affaire Petro-Tim : Pour un usage des voies de droit au Sénégal

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Le Sénégal est un pays où les voies de droit sont peu utilisées par les citoyens pour résoudre leurs problèmes. Qu’il s’agisse de litiges entre particuliers ou de différends opposant les citoyens aux institutions, le recours est beaucoup plus prompt à l’endroit des médias ou autres canaux publics. Or, l’espace public ne devrait pas être le lieu de résolution des affaires publiques. Cela est peut-être dû à la place que ces médias ont dans la vie démocratique (radios, télés, presse écrite) mais une nation qui se targue de sa vitalité démocratique doit en premier lieu prouver l’efficacité de ses voies de droit. L’importance des affaires portées sur la place publique alors qu’elles concernent précisément  des différends à portée juridique dont les tribunaux doivent être saisis est un déficit de démocratie.

En témoigne l’affaire Petrotim/Arcelor Mittal, qui est devenue un imbroglio où des affaires distinctes sont portées dans l’espace public alors qu’elles concernent des institutions importantes de l’Etat. Il y a dans cette affaire un méli-mélo d’accusations (conflit d’intérêts, corruption, détournement de deniers publics) faites au meeting du Parti démocratique sénégalais (PDS, le principal parti d’opposition) tenu le 21 novembre 2014. L’ancien Président Abdoulaye Wade (2000-12) a tout simplement « joint » deux litiges différents : celui opposant la société Mittal (devenue ArcelorMittal) à l’État sénégalais, et un autre litige dans lequel est cité Aliou Sall, le frère de l’actuel Président Macky Sall (2012-).  Aliou Sall est accusé d’avoir usé de ses relations et de sa fonction diplomatique de l’époque dans un contrat où Petro-Tim Limited (devenue Timis Corporation), une compagnie pétrolière de l’homme d’affaires roumain Frank Timis est privilégié, et même d’avoir touché des rétro-commissions, pendant que beaucoup d’argent public aurait été versé dans les comptes d’avocats personnels du chef de l’État. Ces accusations taisent plusieurs faits essentiels pour comprendre le dossier :

  1. Le fait qu’Aliou Sall a agi en qualité d’agent de l’Etat sénégalais en poste à Pékin ;
  2. Le fait que des avocats personnels d’un chef de l’Etat peuvent agir en qualité du chef de l’Etat intuitu personae et recevoir leurs honoraires sur un compte ouvert à cet effet ;
  3. Le fait qu’ArcelorMittal, s’étant retiré du contrat qui le liait à l’État du Sénégal pour l’exploitation de gisements miniers dans l’est du pays, a versé des dommages-intérêts à l’État après une décision du tribunal arbitral de Paris ;
  4. Le fait que c’est le régime d’Abdoulaye Wade qui a causé ce préjudice de l’État envers Mittal

Le flou qui a entouré la présentation de l’affaire Petro-Tim ces dernières semaines a donné l’impression qu’il y a eu « beaucoup de précipitation au début et peu de clarté à la fin », pour citer l’ancien ministre Alioune Badara Cissé. Mais lorsqu’elle a été examinée de façon sérieuse, les autorités sénégalaises ont eu vite fait de démontrer que le flou a été volontairement entretenu par Wade. Cette tentative de semer la confusion dans l’esprit des citoyens et, comme fréquemment, de divertir l’opinion par des sujets polémistes, ne va pas dans le sens de l’apaisement de la vie publique.

Car l’espace public n’est pas le lieu où les affaires d’une telle portée juridique doivent être résolues. Ce n’est bon ni pour la quiétude de l’opinion publique, ni pour l’exécution des programmes publics, ni pour le bon fonctionnement des institutions. Pour cette affaire, comme pour tant d’autres, les Sénégalais devraient se tourner vers les cours et tribunaux  pour éviter la pollution du débat public. Le débat politique doit porter sur les programmes économiques, l’opportunité des choix opérés, et non sur une lutte entre clans destinés à « détruire » des politiciens pour les intérêts d’une famille. Crier sous tous les toits qu’on détient des preuves et disséminer des rumeurs sans fondement ne sert pas la stabilité des institutions dont se targue le Sénégal. Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux : le porter devant les tribunaux dans un pays où la justice est garantie ainsi que les droits. C’est valable pour cette affaire comme pour beaucoup d’autres qui faussent le débat démocratique.

Sauf à remettre en question l’indépendance des tribunaux ou la sécurité du système judiciaire, ce qui serait troublant pour des personnalités politiques qui étaient en fonction jusqu’il y a peu, il y a un danger à consacrer des meetings politiques à porter ces accusations devant le tribunal de l’opinion. Le système judiciaire sénégalais permet à tout citoyen d’attaquer les autorités administratives, y compris l’Etat, les collectivités décentralisées et les entreprises publiques : garantie constitutionnelle. Les actes des personnes morales de droit public peuvent être attaqués devant la Cour suprême et, même si les délais sont réduits, il y a toujours possibilité de provoquer une décision implicite de rejet (silence de l’administration après une requête). Et lorsqu’on estime que ce sont des actes non administratifs, il y a toujours les tribunaux régionaux et cours d’appels qui sont compétents. Mieux, le règlement non juridictionnel est possible (Médiateur de la République, Parlement, etc.).

Il est dommage que les tribunaux soient submergés presqu’exclusivement de différends liés aux mœurs (vol, viol, agressions, escroquerie) et très rarement saisis pour des questions de gouvernance. Beaucoup d’hommes politiques préfèrent s’exprimer devant les médias et devant les militants pour invectiver leurs adversaires au lieu d’agir avec responsabilité en utilisant les tribunaux du pays, alors même qu’ils ne manquent pas de moyens pour commettre des avocats spécialisés sur ces questions. Dès lors, comment expliquer cette propension à recourir aux médias et à l’espace public pour résoudre des problèmes politiques ayant une portée juridique ? Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux et gagner la bataille de l’opinion est d’obtenir un règlement juridictionnel de ces litiges. Lorsque le Président actuel, Macky Sall, alors dans l’opposition, a fait l’objet d’une procédure judiciaire pour un patrimoine appartenant à l’État sénégalais (les fameux « fonds taïwanais »), un non-lieu fut rendu. Lorsqu’Ibrahima Sène, le leader du Parti pour l’indépendance et le travail, a été attrait en justice pour diffamation, il a été relâché au bénéfice du doute. Lorsque Karim Wade est soupçonné d’enrichissement illicite, c’est encore la justice qui doit trancher, qu’elle passe par la CREI, la Cour de justice de l’UEMOA, etc.

A l’heure où le gouvernement est dans une phase cruciale de mise en œuvre des programmes contenus dans le Plan Sénégal émergent, avec la gestion quotidienne des problèmes des ménages, les étudiants, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, et même les journalistes, ont certainement plus besoin d’être informés des efforts fournis par le gouvernement – baisse des loyers, des produits pétroliers, des prix des denrées, octroi de moyens aux collectivités territoriales, mise en place d’instruments comme la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS), la Couverture maladie universelle (CMU) ou le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) – que d’écouter des accusations aussi légères que celles relatives à l’affaire Petro Tim/Arcelor Mittal.

Il serait bien que le débat public soit moins vicié. Fournir des efforts pour cogiter sur les programmes est en soi beaucoup plus bénéfique pour la vie publique que des accusations aussi légères qui ont leur place, encore une fois, dans les instances judiciaires financées exclusivement pour ces questions. Quel est l’apport marginal des attaques personnelles portées dans les médias à longueur de journée pour le pouvoir d’achat des Sénégalais ? Ces derniers méritent un débat public plus informé et plus structuré.

Mais on est en droit de croire que les électeurs sont moins enclins à écouter ces polémiques stériles qu’à évaluer le bilan des responsables qu’ils ont porté au pouvoir (local comme national). La bonne tenue des élections (locales en 2014, nationales en 2012) montre l’importance des résultats concrets. La maturité des électeurs prouvée lors des consultations électorales doit entraîner un meilleur débat public. L’Etat de droit vivra mieux lorsque les bons programmes économiques seront soutenus ; lorsque les résultats seront salués ; lorsque les attaques personnelles finiront devant les tribunaux. 

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