Les perspectives économiques de 2014 selon la Banque Mondiale

une_croissance_inclusive_folyA l’occasion de sa publication annuelle, qui fait état des perspectives économiques mondiales, la Banque Mondiale – comme son homonyme financier (du FMI) – estime que l’Afrique subsaharienne aura les meilleures performances économiques du monde en 2014 et plus généralement sur le court terme. La croissance devrait se situer à 5.3% en 2014 et atteindre 5.5% en 2016. Hors Afrique du sud, l’Afrique subsaharienne devrait afficher en moyenne plus de 6% de croissance entre 2014 et 2016. Ces performances s’auto-justifient. L’Afrique constitue l’une des réserves mondiales de ressources naturelles les mieux gardées, qui attirent les investisseurs (publics et privés). Elles font appel à toutes les théories économiques qui laissent penser que les performances actuelles du continent s’accompagnent de changements structurels profonds, de réformes institutionnelles, qui rendent l’Afrique plus attrayante et, par voie de conséquence, renforcent les performances économiques du continent. C’est dans un tel contexte que les économistes de la Banque Mondiale considèrent que l’Afrique subsaharienne devrait profiter d’une consolidation de la demande domestique et de la croissance des exportations. Cet article se propose de faire une synthèse des résultats du Global Economic Prospects 2014. 

Il faut rappeler avant toutes choses que les chiffres qu’avance la Banque Mondiale justifient leurs actions en Afrique. Ces prévisions sont nécessaires pour permettre à la Banque de construire ses stratégies de coopération avec les pays africains, tout en fournissant aux investisseurs des arguments économiques pour éclairer leurs intérêts pour l’Afrique.

Les économistes de la Banque estiment que les bonnes performances des pays de l’Afrique subsaharienne seraient à la faveur d’une augmentation de la demande formulée par les populations et les gouvernements. En effet, l’embelli de la situation économique dans les pays développés devrait favoriser un plus important flux de transferts des migrants. Ces fonds étant affectés à la consommation, les ménages devraient donc formuler une demande plus importante de biens de consommations. Cette nouvelle demande serait satisfaite soit pas une augmentation de la production ou par des importations. Quand on sait que le tissu industriel n’est pas très bien étoffé, tout laisse à penser que cette nouvelle demande profiterait plus aux partenaires commerciaux plutôt qu’à l’industrie locale. D’ailleurs si le document rendu public par la Banque ne le précise pas, ses économistes estiment que la stabilité des prix des denrées alimentaires et des taux de change devrait soutenir cette demande, indiquant implicitement le recours aux importations pour satisfaire la demande en biens de consommation.

L’engagement actuel des gouvernements dans la mise en œuvre de leurs plans de développement, notamment à l’horizon 2015, devrait amener ces derniers à accélérer les dépenses dans les domaines sociaux mais aussi en investissement pour consolider l’environnement des affaires et  offrir à l’Afrique les arguments nécessaires pour inciter l’investissement productif étranger. Cependant, ces dépenses financées par emprunts (du fait d’une fiscalité pas très performante) sont exécutées par des industriels étrangers. L’implication d’entrepreneurs locaux n’est que marginale.

L’amélioration de la situation économique dans les pays industrialisés devrait profiter aussi au secteur productif, dans la mesure où les investissements directs se consolideraient à 47,8 Mds USD d’ici 2016. Cette donnée manque toutefois de révéler le fait que ces investissements ne participent pas à un effort de diversification et d’industrialisation du tissu économique africain. En effet, ces investissements contribuent plus généralement à l’expansion du secteur minier et à d’autres secteurs connexes comme celui des transports et des services financiers, et dans une moindre mesure au tourisme. Il s’en suit une progression bien plus importante des exportations (concentrées sur les ressources naturelles dans un contexte de hausse de leur prix) par rapport aux importations, constituées principalement de matériaux (pour la construction d’infrastructures) et des denrées alimentaires (dont les prix devraient restés stables).

Toutefois, le document précise paradoxalement que les exportations projetées à la hausse peuvent être limitées par un déclin des prix internationaux de l’or ou du pétrole. Il en appelle à des réformes pour une diversification des économies exportatrices de pétrole comme l’Angola ou le Gabon. La dépendance des économies de la région aux caprices de la nature est aussi évoquée pour tempérer les prévisions de croissance pour 2014-2016. Les problèmes sécuritaires, en lien avec les attaques de pirates dans le golfe de guinée, la situation dans le Sahel et les remous socio-politiques ne sont pas à négliger et constituent d’ailleurs l’un de principaux défis à l’activité économique, ou devrait-on dire à l’image d’eldorado économique de l’Afrique.

Somme toute, si les chiffres de la Banque Mondiale présentent l’Afrique sous de bons hospices en 2014 et sur le court-terme, ils manquent de préciser que ces performances ne sont pas liées à un effort propre aux pays africains. Sans remettre en cause cet exercice de comptabilité de la performance économique, il convient toutefois de signaler que ces performances sont totalement déconnectées de la réalité économique de l’Afrique. L’emploi stagne, les opportunités d’affaires quand elles se créent sont saisies par une minorité, le tissu industriel est presque inexistant et les économies sont très peu diversifiées. Le débat sur l’inclusivité de la croissance ne se pose plus. La performance des économies africaines se fait et s’entretient par ses partenaires.

Il serait toutefois pessimiste de penser que cette dynamique ne profite aucunement au continent ou qu’elle n’induit pas des transformations structurelles sur le plan économique. L’expansion minière pousse les pays à se doter d’infrastructures (routières, ferroviaires, portuaires, etc.), à entreprendre des réformes pour améliorer l’environnement des affaires. Si l’objectif de toutes ces manœuvres est de créer un cadre propice à l’investissement, ils n’incitent pas encore à une transformation structurelle suffisante permettant aux pays africains d’être le moteur de cette dynamique. Il est donc assez intuitif que la croissance en Afrique ne profite pas encore aux populations. Les Etats africains ont montré leur limite à porter le développement du continent. Les entreprises pourraient prendre le relais mais encore faudrait-il que les gouvernements créent les conditions favorables pour leur permettre de jouer ce rôle de levier. La richesse se crée mais seulement une partie, correspondant à la fiscalité (en manque de faire ses preuves)[1] et aux redevances, revient aux gouvernements limitant ainsi leurs actions en faveur du développement. L’Afrique est indéniablement l’une des zones les plus dynamique du Monde ; mais malheureusement portée par l’extérieure. Ainsi le débat sur l’inclusivité de la croissance en Afrique devrait en sus porter celui sur la nécessité d’intérioriser le mécanisme de création de richesse. A défaut, le continent aura beau afficher de bonnes performances économiques sans pour autant permettre une véritable amélioration des conditions de vie des populations.

Foly Ananou


[1] un article de Georges d’ailleurs appelle à en faire le bras financier des Etats

 

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Pourquoi et comment ?

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions en exergue comment la mise en place des autorités de la concurrence peut favoriser l’intégration régionale. Pour être plus spécifique, cet article introduit une série d’articles sur la concurrence en Afrique.

De façon générale, la promotion de la concurrence vise à garantir que le bénéfice net des échanges économiques soit maximal pour la société. Cette garantie se manifeste à travers le vote d’une loi qui institue le droit de la concurrence. Cette série d’articles vise à examiner, non pas la dimension juridique de la concurrence, mais plutôt les enjeux économiques dont elle revêt. Nous commençons donc par nous interroger sur les raisons et les conditions dans lesquelles le bénéfice des échanges économiques peut être restreint.

Les transactions économiques existent sur le marché parce que les producteurs peuvent apporter les biens et services à un coût moins cher que ce que le consommateur est prêt à payer (disposition à payer). En payant moins que sa disposition à payer, le consommateur gagne donc toujours lorsqu’il achète un produit. Mais ce gain peut être plus ou moins faible en fonction de la concurrence. Il est à son maximum lorsque le prix est fixé au coût unitaire de production. Selon la théorie économique, l’intérêt d’avoir un prix de transaction très proche du coût unitaire de production vient du fait que la différence profite, en général, plus à l’économie lorsque c’est vous qui la détenez plutôt que le producteur.

Cette différence est plus importante dans le cas d’un monopole ; c’est-à-dire lorsqu’il n’y a qu’une seule entreprise qui vend le bien que vous désirez, et qu’il n’existe pas d’autres substituts. Imaginons par exemple qu’une seule entreprise détenait la propriété d’une source d’eau naturelle dont les vertus sont reconnues par tous.[1] Pour obtenir un profit maximal, il fixera le prix du litre d’eau égal à votre disposition à payer.[2] Par contre, si la source d’eau était multiple, chaque producteur fixerait son prix au coût de production. Autrement, celui qui fixe un prix au dessus du coût de production se fera évincer du marché car tous les consommateurs préfèrent acheter là où le prix est le plus bas : c’est l’effet de la concurrence. La différence de prix entre ses deux états du marché est à l’avantage du monopoleur dans le premier cas (rente). Par contre, elle profite au consommateur dans le second cas (surplus).

Tout le débat normatif sur l’importance de la concurrence dans une économie libérale repose sur le fait qu’on veuille savoir si le surplus allant au consommateur engendre plus de transactions économiques, et donc plus de croissance économique, que la rente du producteur ; ou inversement. Pour le moment, l’acceptation générale est que le surplus du consommateur a une valeur économique supérieure à la rente. Cela vient du fait que le surplus confère un pouvoir d’achat plus élevé au consommateur ; ce qui engendre plus d’échanges dans l’économie. Au contraire, la rente conduirait à reproduire de la rente et donc limiter l’ampleur des transactions économiques. Par conséquent, un consensus général s’est dégagé en faveur de la concurrence : Plus de concurrence engendre plus de surplus pour le consommateur, ce qui à son tour augmente les transactions économiques et entretien le surplus du consommateur. Il s’agit donc d’un cercle vertueux que produit la concurrence ; l’idéal étant d’avoir sur le marché des prix alignés sur les coûts de production.

Pour autant, le marché laissé à lui-même ne produit pas cet idéal. Par analogie au trafic routier, lorsqu’il n’y a pas de régulation (feux de circulation, agents de police) il y a beaucoup plus d’accidents ; malgré que chaque conducteur (ici les entreprises) conduise dans son intérêt. Les intérêts personnels (e.g. rentrer tôt à la maison) ne conduisent pas toujours à l’intérêt général (ne pas avoir d’accidents) sans aucune supervision. De la même façon, sur le marché, chaque entreprise désire se placer dans la situation du monopole. Cela peut donc les conduire à adopter des pratiques anticoncurrentielles telles que la collusion (entente sur les prix), le cartel (entente sur les quantités), les abus de position dominante (exclusion de concurrents) et les fusions anticoncurrentielles (stratégie d’augmentation des prix).

Pour cette raison, l’Etat a besoin d’intervenir pour s’assurer que sur chaque marché, des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas avérées. Dans les pays industrialisés, cette intervention se fait par le biais d’une autorité indépendante «  autorité de la concurrence » pour éviter tous biais politique dans les investigations. Cette autorité est investie, selon les pays, d’un pouvoir d’investigation qui lui permet de conduire des analyses économiques rigoureuses permettant de déterminer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle. Dans le cas échéant, il revient à la justice de condamner en dernier lieu les entreprises impliquées dans ces faits. En général, ces interventions se font sur les soupçons de collusions, de cartels ou avant la fusion entre deux ou plusieurs entreprises.

Les cas d’abus de position dominante sont plus probables dans les industries qui présentent des barrières à l’entrée. Il peut s’agir de barrières économiques comme les coûts d’investissement très élevés nécessaires à l’entrée sur le marché de la production, du stockage et du transport de l’énergie électrique et de l’eau. Les secteurs du transport ferroviaire et aérien, de même que les télécommunications font aussi partie de cette catégorie. Il peut être aussi question de barrières réglementaires comme l’attribution de licences d’exploitation dans les secteurs des mines, des télécommunications mobiles, de la banque, de la pharmacie et des transports urbains.

Dans ces industries, il est préférable que l’intervention de l’Etat se fasse ex ante compte tenu des lourdes conséquences que font peser les abus de positions dominantes sur l’économie. Typiquement, le temps d’analyse et de recours à la justice ne permet pas à un concurrent victime d’abus de position dominante de survivre sur le marché. Ainsi, le droit de la concurrence qui régit l’intervention d’une autorité de la concurrence ne permet pas de résoudre les problèmes de pratiques anticoncurrentielles posés dans ces industries. Par conséquent, la mise en place d’un régulateur, là aussi indépendant, est nécessaire. Cela est déjà le cas dans le secteur des télécommunications dans la plupart des pays Africains.

Cependant, le constat aujourd’hui est qu’il y a très peu d’autorités de la concurrence dans les pays africains. L’adoption d’un droit de la concurrence est en cours de discussion dans certains pays, mais tarde à être effective.[3] De même, très peu de régulateurs existent dans les secteurs présentant des barrières à l’entrée. Dans un prochain article nous aborderons les obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Un autre présentera les conséquences d’une faible concurrence et un dernier évoquera la possibilité d’une limite à la concurrence.

Georges Vivien HOUNGBONON

 


[1] Pour emprunter l’exemple à A. Cournot 1838.

 

 

 

[2] C’est pour cela que l’Etat contrôle, dans la plupart des pays, la production et la distribution de l’eau, compte tenu de sa fonction vitale.

 

 

 

[3] Voir le blog suivant sur le droit de la concurrence en Afrique.

 

 

 

Le développement ne serait-il qu’une question de financement ?

une_croissance_inclusive_folyVoilà un concept qui a été ressassé pendant des décennies sans qu’on ne sache aujourd’hui s’il existe une panacée au développement. Le chercheur Denis Cogneau a bien fait de rappeler qu’il s’agit d’un concept qui s’est substitué à la notion de « mise en valeur » des colonies. Ainsi, le développement, comme concept définissant le bien-être matériel d’une société, n’avait existé nulle part dans le monde avant les indépendances. Pourtant, il est aujourd’hui largement associé aux pays moins industrialisés et en particulier aux pays Africains. Dans la perspective de la prochaine révision des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), plusieurs voix s’élèvent pour réclamer la formulation d’un modèle de développement africain.[1] Quoique ce vœu soit légitime, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence et la signification même du développement.

Pour répondre à cette question, je ne m’attarderai pas sur l’approche philosophique développée par le prix Nobel d’Economie Armatya Sen qui voit le développement comme synonyme de davantage de libertés.[2] Au contraire, je vais remonter un peu plus loin dans le temps pour faire appel à un autre prix Nobel d’Economie en la personne du Sir Arthur Lewis. Son approche n’exclut pas la définition du Pr. Armatya Sen, mais elle a l’avantage d’être plus pragmatique.

Dans un article qu’il a publié en 1960 sur la problématique du développement, Lewis démontre que le développement n’est qu’une question de financement. Sa démonstration se décline en deux étapes. D’abord, il définit le développement comme l’élévation des conditions de vie au dessus de ce qu’il appelle la pauvreté inutile. Par pauvreté inutile, il entend la faim, la mort d’un bébé qu’on aurait pu éviter, le décès d’une personne suite à une maladie qu’on peut soigner ou d’un accident  dont on peut se prémunir, l’usure précoce de la santé physique à cause de travaux pénibles surtout chez les femmes, et enfin l’ignorance et toutes les superstitions qu’elle engendre. Se développer revient donc à donner à chacun les moyens de s’élever au dessus de ces conditions.

Pour y parvenir, la seconde étape de sa démonstration recommande d’investir dans la recherche scientifique, l’accumulation du capital physique (infrastructures) et dans les qualifications professionnelles. Selon son analogie, si un pays n’était fait que d’or, il suffirait de les échanger contre des machines agricoles, des routes, des hôpitaux et des écoles pour constituer les capitaux nécessaires au développement. Il suffirait aussi de les utiliser pour financer la recherche scientifique et la formation professionnelle afin de disposer des nouvelles technologies et de la main d’œuvre qualifiée nécessaires à la production de tous les biens et services qui permettent à chaque citoyen d’échapper à la pauvreté inutile.[3] Cependant, que faire lorsqu’un pays ne dispose pas suffisamment de ressources naturelles, ayant valeur d’or, pour se développer de façon aussi mécanique ? C’est ainsi que Lewis, en conclut que la problématique du développement revient à se poser deux questions : Comment trouver le financement et comment l’allouer efficacement aux innombrables besoins ?

On s’aperçoit alors qu’il est peu pertinent de parler d’un modèle de développement pour l’Afrique lorsqu’on se base sur l’approche de Lewis, à moins que la recherche du modèle revienne à réfléchir sur l’identification et la création des sources de financement du développement. Il s’agira alors de s’interroger sur la place et le rôle des crédits et dons octroyés par les institutions multilatérales et bilatérales de financement du développement. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur l’utilisation des ressources financières générées par l’exploitation des ressources naturelles en Afrique. Plus important encore, cette approche du développement nous invite à explorer les moyens pour collecter des recettes fiscales dans des pays où le secteur informel représente entre 50 et 75% du PIB.[4]

La première question renvoie au vieux débat sur l’efficacité de l’aide publique au développement. Elle a déjà fait l’objet de plusieurs articles sur l’Afrique des Idées.[5] La conclusion générale qui s’y dégage est que l’aide peut ne pas être efficace lorsqu’elle est octroyée sans conditions ou lorsqu’elle n’est pas utilisée pour financer les projets ayant démontré leur efficacité. Sur ce dernier point, les méthodes d’évaluation des politiques de développement qui sont systématiquement conduites par la Banque Mondiale, en dépit de leurs limites, constituent une façon de rendre plus efficace l’aide au développement. Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette approche soit généralisée à tous les projets de développement.

Quant à la deuxième question, le centre du développement de l’OCDE y a apporté une contribution à travers l’organisation en octobre 2013 d’une conférence sur l’utilisation des ressources naturelles pour investir dans les infrastructures et les ressources humaines en Afrique. A ce sujet,   l’article du directeur du PNUD pour l’Afrique, M. Abdoulaye Dieye, apporte un éclairage intéressant. Il met en évidence deux contraintes majeures. D’abord, le fait que les recettes générées par les ressources naturelles soient en majorité capturées par les multinationales en tant que pourvoyeurs des capitaux nécessaires à leur exploitation. Ainsi, la capacité des Etats Africains à tirer partie de leurs ressources naturelles dépend des impôts et redevances qu’ils peuvent percevoir. A cet effet, l’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) est un cadre assez convenable. La seconde contrainte est le manque d’experts en négociations des contrats entre un Etat et une entreprise multinationale. Il s’agit là d’un problème de manque de ressources humaines qualifiées à laquelle peu de réponses ont été apportées ; même si le PNUD travaille avec les Etats sur cette question.

Enfin, la troisième question concerne la fiscalité ; la capacité des Etats Africains à collecter les recettes fiscales nécessaires au financement du développement. Elle est très peu abordée aujourd’hui alors qu’elle est la plus pérenne de toutes les sources de financement. Cependant, l’autre question qu’elle soulève est de savoir s’il est utile de mettre à la disposition de gouvernements « corrompus » une partie des revenus d’une population majoritairement pauvre. Le bénéfice escompté dans cette situation ne vaudrait pas le sacrifice. Toutefois, la question pourrait être posée autrement : n’est-ce pas parce que les populations ne contribuent pas directement au financement du développement qu’elles ne demandent pas de compte à des gouvernements « corrompus » ? La question reste donc posée.

En définitive, il semble que la problématique du développement de l’Afrique ne se trouve plus nécessairement dans des modèles théoriques.[6] Les recettes du développement sont connues : science, capital et personnel qualifié. Pour les avoir il suffit de rechercher les moyens de financement et de les utiliser correctement. Les solutions de financement telles que l’aide au développement et les ressources naturelles ne suffisent pas pour garantir un développement harmonieux ; il est grand temps d’explorer la solution fiscale.

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 


[1] Ecouter l’intervention du président du Centre de développement de l’OCDE lors du Forum Economique sur l’Afrique d’octobre 2013. Il y a aussi la CEDEAO qui a organisé un symposium pour réfléchir sur la question.      

 

 

 

 

[2] Voir son ouvrage de référence sur le sujet: Development as freedom. On pourrait évoquer aussi les théories de la géographie, de la culture, de l’ignorance des dirigeants politiques et des institutions. Voir le livre de Acemoglu « Why Nations Fails » sur ces différentes théories. Quoiqu’elles permettent de comprendre pourquoi certaines nations sont plus riches que d’autres, elles ne permettent pas de formuler des politiques de développement opérationnelles.

 

 

 

 

[3] Le Quatar pourrait être une belle illustration de ce cas.

 

 

 

 

[4] Voir le rapport de l’OCDE sur le sujet. On peut aussi ajouter à la liste le rôle de la philanthropie, c’est-à-dire le financement désintéressé de projets de développement par le secteur privé. Une réflexion sur le sujet a été menée par Tony Elumelu.

 

 

 

 

[5] Voir à cet effet les articles de M. Blade, et de Emmanuel Leroueil.

 

 

 

 

[6] Il ne s’agit pas ici de la problématique de la croissance à long terme qui est un tout autre sujet.

 

 

 

 

L’utilisation des ARV en Afrique : enjeux économiques

Un des fléaux touchant l’Afrique, est l’infection au VIH. Le traitement antirétroviral dans la prise en charge de cette infection a fait et continue de faire ses preuves. Cet article se propose de faire un point sur l'évolution de l’incidence de la maladie, des coûts de ces médicaments et des éventuels retombés de l'utilisation des antirétroviraux dans un contexte de raréfactions des ressources financières.

arv_sidaLe 1er Décembre 2013 était consacré à la journée mondiale de lutte contre le SIDA. L’occasion de faire le point sur les chiffres concernant cette maladie : aujourd’hui, d’après le rapport mondial VIH 2012 près de 35 millions de personnes vivent avec le virus du VIH, dont 70% en Afrique Sub-saharienne (1). Quels moyens sont mis en place pour prendre en charge cette pathologie ?

Quelques chiffres

De 1999 à 2011, le taux d’incidence du VIH n’a cessé de diminuer contrairement au taux de prévalence. Selon le rapport 2012 de l’Onusida, on observe des fortes baisses de l’incidence surtout dans les pays d’Afrique Sub-Saharienne et aux Caraïbes, une très légère baisse, voire même une augmentation de cette incidence dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord [1].

La diminution du nombre de nouveaux cas pourrait en partie s’expliquer par une baisse du coût des traitements. En 2000, le coût de ce traitement était encore élevé, ce qui rendait l’accès difficile aux plus pauvres (le taux d’incidence étant plus élevé dans cette population) : « au début de l'année 2000, le coût par patient et par an du traitement antirétroviral hautement actif (HAART) était de 10 000 à 12 000 dollars. Début 2002, la concurrence des génériques et la pratique de prix différentiels pour les pays à faible revenu adoptée par les sociétés pharmaceutiques ont conduit à des baisses spectaculaires. Le coût de certaines associations de génériques est tombé à 300 dollars par patient et par an.» publie l’ONUSIDA dans un aide-mémoire sur l’accès au traitement et à la prise en charge du VIH en 2004. En effet le nombre de personnes nouvellement mis sous traitement antirétroviral n’a cessé de croitre depuis 2000. Selon les statistiques récentes de l’OMS, près de 50% des personnes éligibles au traitement sont pris en charge [2].

Evolution des coûts et dépenses

Les dépenses consacrées à la lutte contre le VIH n’ont cessé d’augmenter depuis 1999. En 2011 on note même une augmentation de presque 11% par rapport au budget de 2010. Une grande partie des dépenses (allant jusqu’à plus de la moitié dans certains pays comme la Guinée, Malawi) consacrées à la lutte contre le VIH provient des subventions internationales. Le Fonds Mondial en est le principal bailleur. Une partie non négligeable est aussi financée par différentes ONG : Médecins Sans Frontières, PEPFAR (US President’s Emergency Plan for AIDS Relief), Banque mondiale et UNITAID, Clinton Health Access Initiative (CHAI). Il faut noter que depuis le ralentissement économique mondial, les pays concernés s’impliquent davantage en augmentant leurs dépenses publiques et privées, car les aides  internationales stagnent. Par exemple, entre 2005 et 2011 l’Afrique du sud a multiplié par 5 les dépenses en matière de lutte contre le VIH ; celle du Botswana a quasiment doublé sur la période.

Sans titre
Rapport mondiale sur le Sida. Onusida, 2012.

Dans certains pays où les aides internationales liées à la lutte contre le VIH stagnent, ou pourraient être arrêtées, et que les dépenses publiques n’augmentent pas significativement afin de résorber ce manque, il parait évident qu’ils feront face des retombés considérables. En 2011, la moitié des dépenses pour les traitements antirétroviraux en Guinée a été pris en charge par le Fond Mondial alors que seul 3,8% du budget national était consacré à la santé (largement inférieur aux 15% lors de la Déclaration d’Abuja). L’arrêt définitif de ces aides pourrait occasionner une rupture d’approvisionnement et une mauvaise prise en charge des malades. A terme, une contribution financière plus importante sera demandée aux patients, contribuant ainsi à une paupérisation de cette partie de la population ; les plus vulnérables étant les femmes et les enfants.

Vers une dégradation de la santé publique

UntitleLa baisse du financement des antirétroviraux en Afrique Subsaharienne induira une augmentation du taux de mortalité et un ralentissement des programmes sanitaires prioritaires. En effet, les coûts supplémentaires liés à la suppression des subventions seront pris en charge par les populations touchées par le fléau. Dans l’impossibilité de ces dernières à assurer les paiements, on pourrait assister à une dégradation de leur état de santé, voire une augmentation du taux de mortalité due au SIDA ; ce qui irait à l’encontre des objectifs des différents organismes de santé et des pays. Pour limiter ces conséquences néfastes, l’Etat pourrait être porté à accroître sa contribution pour alléger les charges supplémentaires des ménages concernées pour atteindre les cibles sanitaires des OMD. La véritable équation à résoudre dans les années à venir est : comment atteindre les objectifs de l’OMS dans un contexte où les ressources sont allouées à l’émergence économique, sachant que les aides internationales destinées au secteur de la santé se réduisent ? Pour ce faire, les Etats pourraient avoir recours à un financement interne et/ou externe.

En ce qui concerne le financement interne l’Etat pourrait procéder par :

  • l’augmentation, la création ou une collecte plus efficace des taxes. Une taxe sur le tabac, par exemple, pourrait être une source de revenu supplémentaire pour l’Etat qui permettrait d’accroîre le budget affecté aux dépenses en matière sanitaire. Jha et al. (2006) estime à cet effect, qu’«une marge de manœuvre plus spécifique existe en ce qui concerne les taxes qui peuvent avoir vocation à être affectées à la santé comme la taxation du tabac dont le WHO Framework Convention for Tobacco Control s’est notamment fait l’avocat, et qui constitue un instrument sous utilisé, d’autant que l’élasticité de la demande par rapport au prix est souvent inférieure à un dans les pays à faible et moyen revenue” ; 
  • la diminution de certaines dépenses pour suppléer aux dépenses de santé.

Dans le cadre du financement externe, les mécanismes d’allègement de dettes offrent une marge budgétaire qui autorise le recours à des prêts. Cependant, Il faut être vigilant afin d’éviter un éventuel surendettement.

Dans l’un ou l’autre des cas, des effets pervers quant à l’activité économique pourraient surgir dans un contexte où la priorité des Etats concerne la construction d’infrastructures et le renforcement de la qualité de l'éducation et moins à la santé. La lutte contre le VIH constitue un champ de bataille pour les ONG : il en va pour preuve que l’objectif de la déclaration d’Abuja selon laquelle les pays doivent consacrer 15% de leur budget total à la santé a du mal à être atteint.

Rappelons que les investissements mondiaux dans le VIH restent élevés mais insuffisants comme le relève le rapport mondial VIH 2012 « les investissements mondiaux dans le domaine du VIH ont atteint au total 16,8 milliards de dollars US en 2011 alors que l’objectif mondial des dépenses annuelles consacrées à la riposte au VIH en 2015 s’échelonne de 22 à 24 milliards de dollars US ». Outre l’augmentation de ces investissements et l’élargissement du budget alloué à la santé, la diminution du coût du traitement, le développement des industries pharmaceutiques nationales et une bonne gestion des programmes sont à envisager.

Somme toute, les Etats doivent dès à présent accorder  une certaine importance à la lutte contre le VIH, dans la mesure ce fléau pourrait constituer une contrainte aux programmes de renforcement du capital humain et impacter de façon négative dans le long terme les budgets nationaux. Il ne s’agit certainement pas de revoir les plans de développement au profit de cette pandémie; mais de lui donner un poids plus important dans les programmes de développement du capital humain afin de réduire les risques socio-économiques qu’elle pourrait induire.

Nelly Agbokou

Sources :

1.              20121120_UNAIDS_Global_Report_2012_with_annexes_fr.pdf

2.              Progress_under_Threat.pdf 

3.              N52_ressources_financie?res_FR:N47_populations_démunies_FR – 52-notes-documents.pdf  

Afrique : entre espoir et inquiétudes

Private-Equitys-Perception-of-AfricaTout le monde s’accorde à dire que l’Afrique bouge. Si les chiffres concernant l’activité économique nous donnent de l’espoir, le constat sur le terrain procure parfois des inquiétudes sur la situation en Afrique. Le continent suscite aujourd’hui l’engouement d’investisseurs et de pays étrangers notamment les émergents du fait de son potentiel tant décrié, qui est entrain de se mettre en valeur. Certes, les changements ne se font systématiquement, cependant ils génèrent des opportunités qui intéressent ses partenaires. Mais cette prospérité économique contraste avec une situation politique et sécuritaire instable et des institutions à améliorer. Cet article se propose de revenir sur certains défis auxquels doit faire face le continent africain.

Un continent en pleine mutation…

L’Afrique a entamé sa transformation. Le dernier rapport en date de Décembre 2013 rédigé par Hubert Védrine concernant un partenariat pour l’avenir entre la France et l’Afrique en dit long sur l’état actuel du continent africain. L’activité économique continue d’y être soutenue. Déjà en 2013, le taux de croissance de l’économie devrait se situer à 5% et le FMI prévoit pour 2014, une croissance de 6%. Cette croissance est tirée par les exportations de pétrole, de gaz naturel et des ressources minières dont les prix ont augmenté sur les dernières années. La croissance provient aussi des activités agricoles et des activités commerciales et de transformation qu’elles génèrent. A cela, il faut également ajouter l’accroissement des investissements qui ont contribué à la croissance réelle à hauteur de 2,2% en 2013[1] et devraient se poursuivre en 2014, notamment dans les infrastructures publiques qui contribuent au développement du secteur du BTP. Dans le même temps, une classe moyenne est entrain d’émerger en Afrique[2]. Elle contribue à soutenir la demande intérieure entrainant dans son sciage le secteur des services. Cependant, le tableau n’est pas totalement rose et beaucoup d’Etats Africains restent encore fragiles. Et si rien n’est fait, le continent risque de faire des pas en arrière.

…mais encore beaucoup de réformes à réaliser !

L’Afrique s’en est relativement bien sortie durant la crise mais quand on constate que les émergents commencent à s’essouffler, il est clair que la croissance ne durera pas indéfiniment et des périodes de dépression sont à anticiper. Il est donc impératif que les Etats Africains créent le cadre nécessaire pour soutenir et faire durer la croissance et développer les outils pour amortir les chocs qui pourraient toucher  leurs économies dans les années à venir. L’assainissement des finances publiques et l’efficacité des régies financières sont indispensables  pour dégager plus de ressources internes. Les pays d’Afrique Subsaharienne aujourd’hui, mobilisent moins de 17% de leur PIB en revenus fiscaux d’après l’OCDE[3]. La faute en partie à un secteur informel important difficile à cerner et aussi à une mauvaise collecte des impôts. L’Afrique du Sud par exemple a vu son déficit se réduire sur la période 1994-2002 grâce en partie à une amélioration de la collecte des impôts. Les pays africains tirent pour la plupart leurs ressources des exportations énergétiques ou minières. Certes le Nigéria et l’Angola ont créé en 2012 des fonds souverains pour faire profiter les autres secteurs de la manne pétrolière afin qu’ils puissent garder leurs compétitivités mais ce n’est pas le cas dans les autres pays.

En plus de la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance, des réformes déjà en cours comme celle de la fonction publique en vue la rendre plus efficiente, de la justice pour rassurer leurs citoyens ainsi que les investisseurs étrangers, il faut penser aussi à protéger les plus fragiles avec des systèmes de sécurité sociale adaptés aux réalités africaines. L’amélioration de l’offre de santé et d’éducation doit continuer afin de garantir l’accumulation du capital humain nécessaire au développement du continent.

Les chiffres, qui rendent comptent de l’évolution du continent et qui sont à la base de la planification et des décisions prises par les gouvernants se doivent d’être fiables pour entrainer des actions efficaces en vue d’améliorer le bien-être des populations. Ce qui ramène à un plaidoyer en faveur des Instituts Nationaux de Statistique (INS) qui sont encore marginalisés dans le monde en développement et notamment en Afrique alors qu’ils ont un rôle primordial à jouer dans la lutte contre la pauvreté et l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement. L’intégration régionale fait son chemin mais on est encore loin du fédéralisme souhaité.

Une meilleure redistribution pour  vaincre les instabilités politiques et les tensions sociales ?

« Dans le monde en développement en général, chaque point de croissance entraîne une réduction de 2 % de la pauvreté. En Afrique, ce chiffre tombe à 0,7 % » disait Francisco Ferreira, directeur du pôle recherche économique pour l’Afrique subsaharienne de la Banque Mondiale dans un entretien accordé à Jeune Afrique Economie. En clair, la pauvreté a augmenté en Afrique. Ce qui pose encore et toujours l’éternel problème de la redistribution des fruits de la croissance. Le Magazine Hebdomadaire britannique The Economist dans une publication datant du 23 Décembre 2013 et titré « Social unrest  in 2014 » faisait la liste des pays susceptibles de risques des tensions sociales en 2014 avec des degrés de risque différents. Et on pouvait y trouver 17 pays africains menacés de hauts risques de tensions sociales dont le Nigéria et l’Afrique du Sud bien qu’étant de grandes puissances économiques du continent.

Ces tensions tirent leurs origines le plus souvent de la hausse des prix des produits de première nécessité, la perte du pouvoir d’achat des ménages et surtout de la hausse du chômage. Le chômage structurel est toujours d’actualité en Afrique et touche de plus en plus les jeunes (60% des chômeurs africains sont des jeunes selon la Banque Mondiale), qui se sentent délaisser par les pouvoirs publics. En plus de tensions sociales, les conflits armés sont encore récurrents dans les pays du continent sous fond de frustration de certaines régions ou groupes ethniques du fait qu’ils ne bénéficient pas ou presque des richesses de leurs pays. Des conflits qui retardent l’avancée des pays, freinent l’intégration régionale et fragilisent l’activité économique sur le continent. La situation sécuritaire est, en effet, toujours au cœur des préoccupations et demande un effort important de la part des pays africains mais également des institutions panafricaines qui peinent à réagir efficacement en cas de crises. Preuve en est la déclaration de François Hollande, Président de la République Française au dernier sommet France-Afrique de Décembre 2013 à Paris : «L’Afrique doit maîtriser pleinement son destin et pour y parvenir assurer pleinement par elle-même sa sécurité» au moment où la France est encore une fois à l’œuvre pour ramener la sécurité sur le continent notamment au Mali et en République Centrafricaine.

L’Afrique a un bel avenir devant elle car malgré tous les problèmes qu’elle connait, elle arrive tout de même à réaliser de belles performances macroéconomiques. Ce qui fait penser que si elle arrive à faire face à tous ces challenges évoqués ci-dessus, l’activité serait encore plus dynamique pour le plus grand bonheur des populations africaines.

Koffi ZOUGBEDE

 

 


[1] Banque de France, La lettre de la Zone France, n°2 Décembre 2013

 

 

[2] L’émergence d’une classe moyenne en Afrique, http://blogs.worldbank.org/futuredevelopment/fr/l-mergence-dune-classe-moyenne-en-afrique

 

 

[3] Measuring OECD Responses to Illicit Financial Flows from Developing Countries

 

 

Cette diaspora qui vote

Terangaweb_Vote DiasporaLe terme « diaspora » définit une communauté constituée par la dispersion d’individus ayant le même pays d’origine. Ceux-ci peuvent être des réfugiés, ayant été poussés à quitter leur pays en raison d’une guerre civile, d’une instabilité économique ou d’un environnement socio-politique précaire. Dans d’autres cas, ces individus ont tout simplement plié bagages pour leurs études ou leur travail et ont décidé de rester à l’étranger. Sans nul doute, la globalisation a aussi favorisé l’évolution exponentielle de cette communauté à travers le monde. Aussi réduit que leur nombre puisse être, ces personnes jouent toutefois un rôle non-négligeable dans la vie économique de leur pays d’origine et réclament de plus en plus à ce qu’on leur accorde le droit de vote dans les élections qui se tiennent chez eux. En Afrique, ce continent qui détient un fort pourcentage d’émigrés, la question du droit de vote à l’étranger a été soulevée à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, c’est plus de 28 pays africains qui accordent ce droit universel à leurs ressortissants vivant à l’extérieur de la nation. Il semble manifestement qu’un changement soit en marche.

Petite histoire du droit de vote de la diaspora

Le droit de vote pour la diaspora semblerait avoir été introduit pour la première fois par l’empereur romain Auguste afin que les membres du Sénat, alors répartis dans 28 colonies différentes, puissent donner leurs voix durant les élections des bureaux de la cité de Rome. Ainsi, leurs votes avaient été scellés et envoyés sous forme de cachets. Plus récemment, en 1862, l’Etat du Wisconsin aux Etats-Unis, a été le premier en Amérique à permettre aux soldats engagés dans la Guerre de Sécession de voter à l’extérieur. En 1902, l’Australie adoptait aussi une clause accordant le droit de vote à ses ressortissants à l’étranger. Concernant le milieu francophone, la France a introduit une loi pour le vote à l’extérieur, en 1924. Cependant, il a été interdit, en 1975, de le faire sous forme postale, pour cause de suspicion de fraude.

Le système législatif relatif au droit de vote à l’étranger a souvent été transmis d’une puissance coloniale à ses colonies ayant nouvellement gagné leur indépendance. C’est l’exemple notamment du Gabon et de la Guinée-Conakry qui ont adopté les mêmes réglementations que celle de la France. Notons que cette dernière  autorise ses ressortissants à voter dans ses principaux lieux de représentation diplomatique, à savoir les ambassades et les consulats, lors d’élections présidentielles ou référendums.

Au Mali, c’est la Conférence Nationale de 1991 qui a mené à l’autorisation du vote de la diaspora. Il s’agissait non seulement de mettre un trait sur les 25 ans de dictature du régime du Général Moussa Traoré, mais aussi de rétablir la démocratie en s'appuyant sur le pluralisme politique et d’intégrer les Maliens de l’extérieur dans les processus électoraux. La majorité d’entre eux s’étaient réfugiés en Côte d’Ivoire, en France ou au Sénégal. La création d’un Ministère des Affaires Etrangères et des Maliens de l’Extérieur a donc été très bien reçue et cette même année-là, une loi autorisant le vote de la diaspora parachevait la transition.

Qui plus est, l’inclusion de citoyens vivant à l’étranger était souvent considérée comme un élément clé dans la construction d’une nation. Ceci fut le cas de la Namibie, en 1989, et de l’Afrique du Sud, en 1994. En outre, pour inciter leurs ressortissants à investir, les Etats développent de plus en plus des outils institutionnels spéciaux.

Quels enjeux ?

Le vote de la diaspora a évidemment des enjeux différents, en fonction du contexte et du pays où on se situe. Tout d’abord, il faut considérer un fait important : bien que présenté comme une question de principe, l’adoption d’une loi pour le droit de vote à l’étranger est souvent née d’intérêts politiques qui ont suscité la controverse et/ou ont été jugés de partisans. Cependant, le concept même de vote est étroitement lié à celui de la citoyenneté et chaque Etat est libre de mettre en place la législation de son choix pour en réguler les mécanismes. De plus, le droit de vote à l’étranger s’est inscrit dans un processus mondial de renforcement de la démocratie, comme il l’a été pour la globalisation culturelle, économique et sociale. Pour mieux cerner les enjeux du vote de la diaspora, il convient d’examiner plusieurs volets.

L’exercice du vote est essentiellement un droit civil et politique. En partant de cette idée, on peut comprendre qu’ôter ce droit à un citoyen reviendrait à le considérer comme ne faisant pas partie de la société. Aussi, permettre à ces citoyens de participer aux élections qui ont lieu dans leur pays, même s’ils n’y résident pas, inspirera la confiance. En effet, ceci prouvera la légitimité du régime au pouvoir et élèvera le niveau de démocratie du pays. Ils auront ainsi le droit de jouer leur rôle et de poser leur pierre dans la construction du futur de leur nation. On peut ici prendre l’exemple du référendum qui s’est tenu au Soudan en 2011. La diaspora soudanaise avait été autorisée à effectuer un vote pour trouver une solution adéquate concernant le conflit du Darfour.

Au niveau économique, il est indéniable que la diaspora tient une fonction essentielle. De l’étranger à leurs pays d’origine, des millions de citoyens transfèrent de l’argent à leur famille, contribuant ainsi au développement économique de leur nation. Ainsi, accorder à ces citoyens le droit de vote aura pour conséquence de les intégrer dans les affaires publiques de leurs pays. Qui plus est, s’ils participent activement au bien-être socio-économique de leur nation, ils devraient logiquement bénéficier des mêmes droits que leurs concitoyens résidents dans le pays d'origine. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2011, la diaspora kenyane a participé à plus de 5% dans le PIB kenyan. La même année, l’argent envoyé dans leur pays par les Ghanéens vivant à l’étranger s’élevait à 14,5 millions de dollars US et pour ce qui est de la diaspora sierra-léonaise, cette contribution atteint 148 millions de dollars US.

Au niveau social, on ne s’en rend peut-être pas compte mais les citoyens résidant à l’étranger ont une réelle influence sur leurs familles et ceci peut donc avoir des conséquences décisives. D’ailleurs, ce fut la raison pour laquelle, lors des élections présidentielles au Mali, en 2007, certains leaders politiques avaient entrepris une tournée dans les pays voisins où résident des ressortissants maliens. Notons que l’ensemble de la diaspora malienne représentait alors l’équivalent d’une région au Mali. De plus, en France, les militants de partis maliens s’étaient également activés à sensibiliser le plus possible leurs compatriotes, allant jusqu’à mettre des affiches et posters dans les rues de la banlieue parisienne. D’un autre côté, il faut aussi considérer que si les Etats accordent le droit de vote à leurs citoyens vivant à l’extérieur, et spécialement les étudiants et professionnels, c’est aussi et surtout pour éviter qu’ils abandonnent définitivement leur pays d’origine et pallier le phénomène de la fuite des cerveaux.

Mais, au fait, comment ça se passe ?

L’exercice du vote à l’étranger peut s’organiser de diverses manières. Certains pays n’en utilisent qu’une seule, tandis que d’autres en combinent plusieurs. Elles sont régulièrement divisées ainsi :

  • Le vote personnel : il se fait par la personne elle-même, c’est-à-dire, qu’elle doit se déplacer. Concernant le lieu, il s’agit généralement des ambassades et consulats, ou rarement, de bureaux de votes aménagés par les autorités compétentes.
  • Le vote postal : il est effectué dans un endroit désigné au préalable ou que le votant a lui-même choisi. Le vote se fait en présence d’un témoin capable de confirmer l’identité du votant et que ce dernier a exercé son droit sans aucune contrainte ni ingérence. Naturellement, la dernière démarche consiste à envoyer, par mail simple ou diplomatique, le bulletin de vote.
  • Le vote par procuration : comme son nom l’indique, dans ce cas-ci, le votant désigne un citoyen résidant dans son pays d’origine pour effectuer un vote en son nom le jour des élections.
  • Le vote par voie électronique ou e-voting : cette forme nouvellement utilisée, grâce à l’expansion des technologies de  l’information et de la communication, est sûrement l’avenir du vote de la diaspora car elle ne requiert aucun déplacement vers un bureau de vote. Bien que cette démarche ne soit pas encore pratiquée en Afrique, des pays comme l’Estonie et la Hollande l’applique déjà. Les votants ont tout simplement besoin d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou de n’importe quel autre support digital personnel.

Qui peut exercer ce droit ?

L’Organisation Internationale de la Migration (OIM) nous apprenait en 2005 qu’environ 190 millions de personnes vivent dans un pays différent de celui dont ils sont originaires. Ceci équivaut à 3% de la population mondiale. Ce chiffre frappant reflète le niveau d’importance et d’influence qui caractérise la diaspora. Selon l’Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Electorale, 115 pays dans le monde entier accordent le droit de vote à leurs ressortissants résidant à l’étranger. Et pourtant, seulement une trentaine de ceux-ci sont africains. Il s’agit entre autres de la Guinée, du Sénégal, du Tchad, de l’Ile Maurice, du Cap-Vert, du Ghana, du Lesotho, de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe, du Mozambique, de la Namibie, de la Centrafrique, du Botswana, du Togo, du Cameroun… Certains pays accordent ce droit à leurs citoyens en fonction de l’activité qu’ils pratiquent. Par exemple, au sein de la diaspora lesothane, seuls les citoyens devant remplir une mission officielle d’ordre diplomatique ou militaire ont le droit de voter. D’autres pays mettent plutôt l’accent sur le nombre d’années vécues à l’étranger. Nous pouvons ici nous intéresser au cas des Namibiens car il leur faut avoir passé au moins un an hors de leur pays avant de pouvoir s’inscrire comme électeur externe. Il est évident que toutes ces conditions donneront peu envie aux acteurs de la diaspora de s’engager dans la vie sociale, économique et politique de leurs nations respectives. En outre, il faut aussi insister sur le fait que tous les citoyens vivant à l’extérieur de leurs pays devraient être officiellement répertoriés afin de pouvoir mieux évaluer leur dimension et le degré de leur participation.

Même si certains Etats africains présentent de bons résultats concernant l’intégration de leurs citoyens résidant à l’étranger, il semble encore qu’il y en ait d’autres qui peinent à dépasser ce cap. Souhaiter que la diaspora participe économiquement au développement de son pays tout en la privant d’un de ses droits les plus légitimes est un non-sens révoltant. D’ailleurs, on parviendra difficilement à oublier les propos du président Mugabe, après avoir refusé de permettre à la diaspora zimbabwéenne de s’impliquer dans les élections de 2000 : « rentrez chez vous et votez ».  Il ne fait toutefois aucun doute que mettre en place un tel projet nécessiterait une réflexion collective et approfondie sur plusieurs facteurs tels que la faisabilité, la relation bilatérale entre le pays d’origine et le pays d’accueil ou la structure légale à adopter. Quoi qu’il en soit, le combat n’en est qu’à son début et le dynamisme du Nigéria ou du Kenya en ce sens annoncent clairement la donne : la diaspora africaine compte clairement se faire entendre !

 

Khadidiatou Cissé

Le défi de la sécurité humaine en Afrique

Nous continuons aujourd'hui notre série sur la sécurité en Afrique. Après le panorama de Vincent Rouget sur les conflits armés en 2013, Ndeye Debo Seck s'intéresse au concept de « sécurité humaine » et nous montre que les pouvoirs publics peinent encore à développer des politiques de protection des civils adéquates faces aux nouvelles menaces sécuritaires.

TW_Human SecurityLes défis qui se posent à la sécurité en Afrique sont énormes. Ils ont entre autres noms, sécurité alimentaire, mal-gouvernance,  criminalité, inégalités sociales, emploi des jeunes, faible couverture sociale, changement climatique. Véritables freins au développement économique, ils posent avec acuité le problème de la prise en charge des préoccupations et du bien-être des populations. Au-delà de la défense, de la sécurité publique et du maintien de la paix, une gestion transversale des questions de sécurité est cruciale pour les États et les populations africaines.

Des manquements à la sécurité des civils

En Afrique, la gestion de la sécurité se résume bien souvent à disposer de forces de police et de forces armées. Elles se distinguent notamment dans les opérations de maintien de la paix et la gestion des conflits. Toutefois, les foyers de tension restent vifs où la sécurité des populations civiles est mise en danger. Si la protection des biens et des personnes est en principe au cœur de leurs missions et rôles, parfois, ces forces de sécurité  manquent à leurs devoirs. Elles se distinguent ainsi par leur incapacité à faire face à des agressions.

Prises entre deux feux dans des conflits dont elles ignorent bien souvent les tenants et aboutissants,  les populations civiles paient toujours un lourd tribut. Ce sont à chaque fois des centaines de milliers de déplacés et de réfugiés qui fuient les zones de conflits pour échapper aux pillages, massacres et agressions sexuelles. Les chiffres des viols de masse devenus une véritable arme de guerre donnent froid dans le dos. Pendant le génocide rwandais, entre 300 000 et 500 000 femmes auraient été violées. Au Nord-Kivu, depuis 1996, 500 000 victimes âgées de 18 mois à plus de 60 ans ont été répertoriées.  A cela s’ajoute le phénomène des enfants soldats dans de nombreux pays comme l’Ouganda, la République Démocratique du Congo, la Somalie et le Soudan. D’après les estimations, au milieu des années 2000, près de 100 000 enfants soldats étaient actifs dans diverses zones de conflits, « certains âgés d'à peine neuf ans, étaient impliqués dans des conflits armés exposés à la violence voire à l’esclavage sexuel ».

Autrement, les forces de sécurité sont elles-mêmes impliquées dans des exactions.  En septembre 2009, 157 personnes sont tuées, des centaines blessées et de nombreux viols perpétrés par des « militaires » lors d’une manifestation contre la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la présidentielle guinéenne. En août 2012 à Marikana, en Afrique du Sud,  des policiers sud-africains tirent sur une foule de mineurs manifestant pour l’augmentation de leurs salaires. 34 d’entre eux sont tués et de nombreux blessés seront poursuivis pour meurtre et tentative de meurtre avant d’être libérés.

Protection civile et sécurité sociale

Face aux incendies, inondations, naufrages, effondrements d’édifices, ou encore explosions, les capacités de relèvement et de résilience des Etats sont souvent mises à rudes épreuves.  Ils peinent alors à établir des mécanismes viables pour prévenir ou atténuer les conséquences des accidents, catastrophes naturelles et désastres écologiques.

La nuit du 26 septembre 2002, vers 23 heures, le bateau Joola sombrait au large de la Gambie, faisant près de 2000 victimes. 64 personnes furent rescapées. Le bateau transportait bien plus que les 550 passagers réglementaires. Lors d’une conférence dans le cadre de la commémoration du naufrage, deux rescapés, Patrice Auvray et Ibrahima Ndaw, qui a perdu trois enfants, dénonçaient un « deuxième naufrage », notamment la lenteur dans la mobilisation des secours et la gestion calamiteuse du dossier des familles de victimes. En effet, les secours officiels ne sont arrivés que le lendemain dans l’après-midi. Une plainte a été déposée par des familles de victimes françaises en France sans que les responsabilités n’aient été situées.

Sur le plan de la sécurité alimentaire, à un an de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement, les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) sont alarmantes.  « L’Afrique ne pourra nourrir que la moitié de sa population d’ici à 2015 ». Pourtant, la sécurité alimentaire figure au rang des priorités et en 2003, les Etats africains s’étaient engagés à investir 10% de leur budget dans l’agriculture. Un engagement que seuls 10% d’entre eux ont tenu. En termes d’accès aux services sociaux de base, il est problématique dans la  majeure partie du continent. L’Organisation internationale du travail révèle que seule 5 % à 10 % de la population active bénéficie d’une couverture sociale en Afrique. Alors que près de 80% de la population n’a pas accès aux soins de santé de base. Les dépenses de santé ne représentent que 4,3 % du produit intérieur brut (PIB) des Etats du continent.  Le fossé est ainsi grand entre des pays comme la Guinée équatoriale où les dépenses de santé s’élevaient à 896 dollars par personne  en 2011 et la Centrafrique ou le Niger où elles ne dépassent pas 16 dollars par habitant.

La sécurité humaine en question 

Pour pallier les besoins colossaux en investissements, une prise en charge supranationale des questions sécuritaires est plus que nécessaire. C’est à cette gestion intégrée qu’appelle le concept de la sécurité humaine développé suite au rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Dans son chapitre « Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », le rapport recommande d’aller au-delà des mécanismes traditionnels de gestion de la sécurité et de prendre en compte la sûreté physique, le bien-être économique et social, le respect de la dignité humaine,  la protection des droits et libertés fondamentales. La sécurité est ainsi pensée par rapport aux conditions de vie des personnes, leur accès à l’emploi et à la santé, la stabilité politique et économique. Sur cette lancée, la Commission sur la Sécurité Humaine a été mise en place en 2000.

Quelle est la place de la sécurité humaine dans le dispositif sécuritaire des pays et institutions africains ? Quelle prise en charge  face à la résurgence de nouveaux défis tels que les effets adverses du Changement Climatique et l’urbanisation galopante ?

Il existe une volonté manifeste de prise en charge des questions de sécurité en Afrique. De nombreuses stratégies et plans ont été mis en œuvre pour prendre en charge la sécurité des biens et des personnes, le maintien de la paix, la sécurité maritime, la gestion de catastrophes naturelles et les changements climatiques. L’Union africaine dispose d’un Conseil de Paix et de Sécurité calqué sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU.  Le Protocole d’Accord sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération adopté en 2002, la Politique africaine commune de défense et de sécurité (PACDS) depuis 2004 et l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) sont autant d’instruments de mise en œuvre des mécanismes de veille et d’alerte pour apporter une réponse à la question de la paix et de la sécurité. Au niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de 1999 et le Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne gouvernance de 2001 servent de cadre à la promotion de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest.  La feuille de route Vision 2020 décline également la stratégie de la CEDEAO pour mettre en place «  une communauté intégrée, un marché commun dynamique, une monnaie unique » et aller au-delà des États, vers une CEDEAO des peuples.  Un atelier sur "la Sécurité humaine en Afrique de l'Ouest: défis, synergies et actions pour un agenda régional" a été tenu en mars 2006. L’atelier a identifié entre autres défis à la sécurité humaine, l’extrême pauvreté, la sécurité alimentaire, la gestion de l’environnement, la gouvernance, la protection et la justice sociales. Le rapport de synthèse recommande  la sécurité humaine et la Protection Sociale comme éthique de gouvernance démocratique et la mise à profit des instruments et institutions disponibles pour la collecte, l’analyse, et l’échange d’informations. La stratégie de développement de la BAD pour la période 2013-2022 a permis la mise en place du fonds, Africa50Fund pour favoriser le financement d’économies à faible émission de carbone et résilientes au changement climatique. Plus globalement, la stratégie entend favoriser une croissance inclusive et durable avec des financements dans des  secteurs tels que les énergies propres et renouvelables, l’accès à l’eau, aux soins de santé.

La formation en matière de gestion de la sécurité est également en pleine essor. Au Burkina Faso, un Institut supérieur d’études de protection civile (ISEPC) a été inauguré en octobre 2012. L’école à vocation régionale est entièrement dédiée à la formation des acteurs confrontés aux problématiques de protection civile dans les pays d'Afrique. Quelques pays disposent de la formation en actuariat et gestion de risques, notamment l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Côte d’ivoire et plus récemment le Sénégal. Elle est souvent incluse dans des cursus dévolus à la Statistique, à l'Économie Appliquée, à l’analyse d’information ou encore à l’analyse financière. Certains instituts proposent un module en prévoyance sociale. En termes de sécurité alimentaire, de protection sociale ou encore de protection civile, les stratégies de relance sont légion. ONG, bailleurs de fonds, société civile, et acteurs sont souvent mobilisés pour apporter des réponses par une gestion intégrée des questions de sécurité alimentaire et de développement durable.

Des actions qui peuvent augurer de lendemains meilleurs pour la sécurité à l’échelle du continent. Reste pour les autorités et les acteurs du secteur à susciter la vocation chez les jeunes étudiants et à se doter des moyens de leurs ambitions par des actions concertées et planifiées et une  distribution idoines des ressources.

Ndèye Débo Seck

Pourquoi l’agriculture en Afrique ne se développe t’elle pas ?

57522021L’agriculture est le secteur clé des économies africaines. Selon les données de la Banque Mondiale, le secteur emploie près de 60% de la population active mais ne participe qu’à 12% de la richesse annuelle créée sur le continent. Au regard de ces médiocres performances, des mesures politiques ont été prises tant au niveau national que régional pour rendre le secteur plus performant. Dans un article récent, Patrick présentait le WAAPP conçu pour les pays de la CEDEAO et financé par la Banque Mondiale, dans cet ordre d’idées. Avec l’appui d’institutions internationales ou d’ONG qui considèrent tous que l’agriculture est la voie principale du développement de l’Afrique, de nombreux programmes de ce genre  ont été conçus pour les pays africains, soit pour améliorer la productivité ou pour améliorer la production. Malgré tout ceci, les résultats fournis par le secteur demeurent insatisfaisants. Nombreux sont les pays africains qui ont recourt à l’extérieur pour disposer de denrées alimentaires. Cette situation incite à se poser des questions relatives aux facteurs qui bloquent le développement de ce secteur.

Cet article se propose d’identifier certains obstacles au développement de l’agriculture en Afrique et de proposer des éléments de solution pour permettre au secteur d’afficher ses réelles capacités.

Un potentiel énorme, qui ne demande qu’à être exploitée

L’Afrique possède d’importantes ressources naturelles : terres agricoles, minerais, pétrole, forêt, rivières, fleuves, faunes, gaz, etc. Le continent est traversé par de nombreux et imposants fleuves, qui prennent leur source dans de grands lacs. La terre n’est pas rare. Selon les données du WDI (2012), seulement 43.8% des terres arables disponibles (près de 800 millions d’ha) sont utilisées. Sur le plan topographique, le continent est constitué de larges plaines traversées par des cours d’eaux qui nourrissent les terres de minéraux végétaux ; de quelques bandes montagneuses et agri_potde quelques plateaux pas très élevés. Ainsi, les terres en Afriques sont dans leur plus grande majorité favorable à la culture de plants mais aussi à la pratique de l’élevage.

Le climat est assez clément, quoique saisonnier et très intense. Alors que les zones arides (Sahara et Kalahari) bénéficient de pluies éparses, les zones tropicales (ouest, centre, est) enregistre jusqu’à deux saisons pluvieuses. La région la plus humide du continent est une bande côtière à l'ouest du mont Cameroun avec 9 991 mm de précipitations par an. Cette pluviométrie, qui dicte le rythme de la performance de l’agriculture en Afrique, favorise le développement d’une flore assez diversifiée. Sur les zones côtières, on retrouve un marais et des mangroves avec des arbres aériens ou flottants. En s’éloignant de la côte, on retrouve plutôt des zones forestières peu propices à l’agriculture, suivi de zones de savanes dans certaines régions (nord de la Guinée ou au Soudan). En ce qui concerne les ressources en eau, la Banque Mondiale estime que seulement 2% des ressources renouvelables en eau sont utilisés, à mettre en rapport avec les 5% au niveau mondial. Par ailleurs, l’écosystème de l’Afrique constitue une base productive importante pour l’agriculture et l’élevage.

Face à ce potentiel énorme, il est difficile de penser que tous les projets et programmes financés sous fonds de partenaires bilatéraux et multilatéraux (sous forme de dons ou de prêts) ne parviennent pas à lancer ce secteur clé. 

Une situation politico-administrative peu favorable …

S’il est certain que les performances du secteur agricole dépendent étroitement de la pluviométrie, l’histoire des pays africains nous montre que les remous politiques qu’ils subissent ne peuvent réellement pas favoriser le développement agricole.

A titre d’exemple, le conflit ivoirien a fortement impacté le secteur « cacao » de ce pays. Le cas rwandais est tout aussi parlant. Plus généralement, les conflits altèrent la pratique de l’agriculture, les populations étant plus instinctivement portées par leurs survies, abandonnent leurs exploitations. Dans le même ton, l’alternance politique en Afrique (qui semble donner le pas d’une certaine promotion de la bonne gouvernance) prend plutôt l’air d’une guerre politique qui ne laisse place à aucune poursuite des programmes engagés par les régimes précédents. Au lieu de définir des programmes de développement basé sur une vision commune et piloté par une institution acceptée et reconnue par toutes les parties prenantes au débat politique, ces programmes émanent plus souvent de la vision politicienne d’un parti ou d’un individu qui s’empressera une fois aux commandes, de suspendre ou de supprimer les programmes en cours et de relancer ceux qui selon sa vision seraient les meilleures, dans un contexte où la mandature au pouvoir exécutif devient de plus en plus serrée (14 ans au max). Cette discontinuité dans la gestion met à mal un secteur qui a besoin d’investissements suivis. Ce manque de suivi est aussi à noter au niveau des programmes ayant atteint leur terme.  

… et des facteurs socio-culturelles, qui entravent l’émergence d’un secteur, peu performant

Les exploitations agricoles en Afrique sont structurées autour de la famille (élargie ou nucléaire selon la région). En conséquence, on ne rencontre que des domaines de très petites tailles pouvant varier entre 0.5 et 2ha avec des actifs agricoles très limités, destinés à la subsistance et qui s’appuient sur des moyens de travail rudimentaires. La main d’œuvre familiale y constitue l’apport principal. Dans ce genre d’exploitations, les investissements ne peuvent pas être valorisés, notamment ceux en capital humain. Par ailleurs les revenus sont assez bas et ne peuvent donc pas permettre une expansion des exploitations. Même si de grandes exploitations existent, elles appartiennent à des industriels de l’agro-alimentaire, dont le seul intérêt est la sauvegarde des matières premières nécessaires pour leurs activités. Selon la FAO, la petite taille des exploitations est une contrainte majeure à la production en Afrique.

Cette moindre performance du secteur est liée à beaucoup de facteurs que des programmes ont tenté de juguler, notamment ceux concernant l’amélioration de la productivité par la mécanisation de l’agriculture. Cependant, cette transformation envisagée semble trainée. On estime la productivité des terres en Afrique à 42% (CEA, 2009) avec une force de production de 58%. Des statistiques qui révèlent la sous exploitation du potentiel agricole africain.

L’insertion de la technologie dans la pratique agricole africaine est en fait limitée par le niveau faible des revenus des ménages agricoles mais aussi par l’absence d’un système de crédit favorable à l’acquisition des outils modernes de pratique d’agriculture. Ils ne pourraient ainsi ni disposer des fonds nécessaires pour acquérir les outils nécessaires, ni obtenir les crédits suffisants à investir pour l’expansion de leurs activités. Une situation rendue encore plus difficile par le manque d’éducation.

Par ailleurs, les ménages n’ont pas toujours les bonnes informations en ce qui concerne les programmes et projets destinés à améliorer la performance du secteur, à assimiler les formations et visites de terrain effectuées par les organes de tutelle. De plus ces programmes et/ou projets conduits par les services publics sous financements externes ont des objectifs précis et ne ciblent qu’une minorité des exploitations. Concernant ce dernier point, les systèmes d’appui aux agriculteurs utilisés par les services publics sont parfois inappropriés du fait d’une formation insuffisante des agents. Ceci étant, les pratiques ancestrales, non propices à une agriculture « économiquement » rentable, demeurent la technologie essentielle de l’agriculture en Afrique.

A cela s’ajoutent des considérations socio-culturelles qui inhibent les quelques actions entreprises pour faire progresser l’agriculture. En Centrafrique, par exemple, les agriculteurs les plus dynamiques sont hésitants à prendre des risques ou à innover de peur que leur « réussite » ne provoque leur chute. Dans ce même pays, les agriculteurs ayant une bonne performance sont soupçonnés par leurs pairs de recours à des pratiques occultes. De telles mentalités, qui peuvent être retrouvées dans certains groupes socio-culturels en Afrique, constituent un blocage réel au développement de l’agriculture, dans la mesure où les individus préfèreraient demeurer dans une situation acceptée par sa société que d’émerger pour en être rejetés.

Des solutions sont ils envisageables ?

Au regard des difficultés qui freinent l’essor du secteur agricole africain, il faudrait déterminer les moyens pouvant permettre d’exploiter de façon rationnelle le potentiel du continent, améliorer la performance du secteur afin qu’il puisse fournir aux ménages qu’il emploi un revenu significatif et durable.

Avant toute chose, il s’avère nécessaire d’instaurer un cadre de bonne gouvernance dans le secteur agricole, et appuyant les décisions sur les informations disponibles sur le secteur. Il faudrait, par ailleurs, repenser les systèmes de crédit aux exploitations. De nombreux pays disposent d’un « Crédit Agricole » mais ces banques, tout aussi risquophile que les banques classiques, n’offrent très souvent que des crédits de campagne (de court terme) et financent rarement des investissements structurants dans le secteur. Il faudrait les mettre à profit, en plus des instituts de micro-finance, tout en définissant des mécanismes plus souples pour permettre aux exploitants agricoles d’exploiter les opportunités du marché financier.

Au-delà de ces actions qui relèvent de l’environnement économique et qui pourraient être des réponses sur le plan politico-administratif, d’autres points nécessitent une attention particulière et des actions de proximité pour permettre aux programmes destinés à améliorer la production ou la productivité d’avoir les impacts attendus. Au regard des difficultés qui s’imposent au secteur, il faudrait s’appuyer sur des modèles de développement d’exploitations qui intègrent le mode de fonctionnement de celles-ci, tout en améliorant la qualité de l’encadrement technique et en assouplissant les exigences pour l’accès aux crédits ruraux.

Compte tenu de la difficulté d’insertion de la technologie dans le secteur agricole, il faudrait s’orienter vers une intégration de l’élevage et de la culture afin d’induire un passage progressif d’une culture manuelle à une culture attelée, qui constitue une porte d’entrée sure pour l’introduction de technique plus sophistiquée.

En outre, il faut mettre à profit la recherche en sociologie pour relever les considérations sociales et culturelles qui inhibent l’entreprenariat des paysans.

Le secteur agricole africain peine à émerger malgré les efforts consentis par les gouvernements dans ce sens avec l’appui de partenaires financiers et techniques. Cette situation trouve sa racine dans des systèmes administratifs assez complexes et des considérations socio-culturelles, qui créent des goulots d’étranglements aux actions publiques entrepris pour améliorer la performance du secteur. Dans un tel contexte, il faudrait tout en s’attachant à relever le niveau des services publics en Afrique, prendre en considération les spécificités socio-culturelles des populations cibles, le tout dans un mécanisme progressif, afin d’amener ces derniers à s’approprier les outils qui sont mis à leur disposition et d’intégrer les bonnes pratiques qu’ils jugeraient eux-mêmes favorables à leurs activités. 

Foly Ananou

Sources

ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/003/y1860f/y1860f.pdf

http://www.oecd.org/tad/agricultural-policies/36704878.pdf

 

Les risques et coûts associés à l’essor des marchés financiers en Afrique

Y a-t-il des marchés financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi d’aider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série d’articles sur les marchés financiers que nous vous proposons répond à ces questions.

Après un tour rapide de l’expansion des marchés financiers en Afrique et un exposé de leurs avantages, nous nous intéressons ici aux coûts qu’ils engendrent pour les entreprises et aux risques qu’ils font peser sur les économies du continent. Si ces inconvénients ne justifient pas de se détourner des marchés de capitaux, ils doivent être pris en considération dans la réflexion pour développer sainement l’instrument boursier.

520871-001Les inconvénients pour les entreprises

La cotation en bourse n’a pas que des avantages pour les entreprises. Elle s’accompagne de contraintes importantes qui peuvent s’avérer très coûteuses et difficiles à gérer. En premier lieu, les entreprises cotées en bourse doivent distribuer des dividendes à leurs actionnaires et maintenir une croissance importante année après année. Des obligations qui peuvent les pousser à ne pas prendre les décisions les plus optimales à long terme. Une entreprise non cotée a plus de liberté dans sa stratégie de développement et peut se permettre d’avoir des profits plus bas pendant un certain temps afin d’atteindre un objectif plus ambitieux.

Les entreprises à l’actionnariat large car ouvert au public sont également dans l’obligation de rendre des comptes à l’ensemble de leurs actionnaires, ce qui réduit la marge de manœuvre des dirigeants et peut coûter cher. Ces exigences et coûts administratifs sont démultipliés dans le cas de la cotation multiple. Se mettre en conformité avec les exigences de marchés différents et réaliser tous les audits nécessaires revient cher à un groupe comme Ecobank.

Si l’admission en bourse est en général associée à une meilleure gouvernance, elle oblige néanmoins les entreprises à rendre publiques des informations qui sont essentielles pour leur compétitivité et que peuvent utiliser la concurrence.

Les inconvénients pour les économies

Le recours aux marchés financiers peut également inciter les dirigeants d’entreprises à des comportements inconsidérés, notamment des prises de risques importantes faisant peser sur les économies la menace de crises financières. Au Nigéria par exemple, les banques recapitalisées grâce au recours à des marchés financiers se sont ainsi mises à accorder de nombreux prêts dans le but de financer l’achat d’actions survalorisées. S’il est souhaitable que les projets d’entreprises bien ficelés trouvent des financements, il est dangereux pour une économie que les banques prêtent abondamment sans bien étudier la viabilité des projets concernés.

Même son de cloche avec les Margin loans développés aussi au Nigéria. Ces prêts permettant l’achat d’action favorisent des logiques et des comportements de court-terme qui, dans un environnement relativement peu liquide, peuvent être préjudiciables à l’équilibre financier et économique de la sous-région.

Les risques que font courir à la société les excès récurrents des marchés de capitaux se sont matérialisés à travers les dernières crises financières qui ont secoué l’économie mondiale. La dernière en date a été engendrée notamment par une exubérance du crédit pour le logement accordé à de nombreux emprunteurs qui n’offraient pourtant pas de garanties suffisantes. La bulle ainsi créée était due, entre autres, au fait que ceux qui prêtaient ne portaient pas le risque de leurs actions. Ce risque était canalisé par des montages financiers compliqués vers des investisseurs qui pour la plupart n’en étaient pas conscients (fonds de pension, investisseurs institutionnels de tout genre etc.) Cette crise financière du crédit adossée à une crise du logement s’est ensuite propagée aux autres secteurs de l’économie ainsi qu’aux autres pays du fait de l’interconnexion des économies.

Dans un contexte africain où les cadres règlementaires sont insuffisamment pensés et adéquats, de tels risques sont à craindre davantage. Sans une régulation ferme et adéquate, les opérateurs de marché peuvent utiliser les bourses financières dans l’unique but de spéculer. Les avantages des marchés peuvent alors être complètement contrebalancés.  La cause  potentielle: des comportements décorrélés de la valeur même des entreprises dans un contexte qui le permet et le favorise même. Les conséquences à suivre: une plus grande volatilité des actifs, des prix qui n’informent plus sur les fondamentaux et le risque systémique qui peut rapidement devenir important.

Un système financier basé sur les banques ?

En raison des inconvénients de ces marchés financiers, la question d’un système financier qui repose uniquement sur les banques est posée. Ces dernières en leur qualité d’intermédiaires financiers sont aussi en mesure de capter l’épargne et de la diriger vers les entrepreneurs tout en sélectionnant les projets les plus potentiellement rentables. Les banques peuvent acquérir plus d’informations sur une entreprise en particulier que l’investisseur moyen qui a accès aux marchés. Par conséquent, elles peuvent se retrouver en meilleure position pour contrôler les entreprises. Les banques peuvent également réduire les coûts de transaction pour les petits entrepreneurs et investisseurs.

Les marchés financiers offrent par rapport aux banques une meilleure impartialité quant à l’allocation des ressources aux entreprises du fait d’un risque moindre de relation privilégiée quelconque. D’autre part, les marchés financiers offrent aux investisseurs un menu plus varié et plus personnalisé d’instruments de diversification et de couverture du risque. Les marchés ont une capacité bien plus importante à mobiliser l’épargne destinée à l’investissement et au financement des entreprises. Enfin, l’intéressement, le dévouement, la fierté même qui découlent de l’actionnariat populaire en Afrique[2] sont des éléments qui ne peuvent venir d’un système basé sur les banques.

Une analyse statistique[3] simple qui étudie l’impact de l’activité bancaire et des marchés financiers montre que, prises isolément, ces variables ne sont pas  statistiquement explicatives de la croissance économique. En revanche, l’activité financière qui regroupe les deux, est solidement corrélée à la croissance. Sans parler de causalité, il s’agit là d’un argument de plus dans la direction de la complémentarité des banques et des marchés financiers. Ces derniers se renforcent mutuellement et la maturité des deux secteurs est indéniablement associée au développement économique. Aucun consensus ne se dégage cependant sur le sens de la causalité entre le développement économique et le développement financier mais il semble indiscutable qu’ils se soutiennent réciproquement et qu’il peut émerger un cercle vertueux qui aurait d’énormes avantages pour les pays africains. C’est donc à la question des éléments nécessaires à un développement sain de ces marchés financiers sur le continent que répondra le dernier article de cette série.

Tite Yokossi

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Jeune Afrique. 20 Décembre 2012. Les marchés financiers doivent être une véritable alternative au financement bancaire

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

[2] Les avantages de l’actionnariat populaire en Afrique ont éte détailles dans le deuxième article de cette série.

 

[3] La revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010

 

La réforme de l’Etat en Afrique : obstacles et perspectives

169498522Qu’est-ce que la réforme de l’Etat ?

Les programmes de réforme de l’Etat ont connu différentes fortunes à travers le monde. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les administrations publiques ont été modernisées suivant les théories de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management), qui prennent le contrepied de l’Etat wébérien. Ce dernier met l’accent sur les procédures écrites, la hiérarchie administrative et la neutralité des agents de l’État : il est caractérisé par une bureaucratie lourde et sclérosée, dont les décisions sont lentes et peu efficaces. Le NMP propose une simplification des procédures utilisées dans l’administration publique, avec l’adoption d’une organisation horizontale qui permet la rapidité de la prise de décision grâce à la polyvalence des agents de l’Etat. Il repose sur la nécessité de prendre en compte l’évolution des sociétés humaines, dans un contexte de mondialisation accrue où l’information, les flux financiers, les biens et services circulent de manière ultra rapide. De même, les besoins des usagers du service public ont évolué fortement dans tous les secteurs et commandent l’adaptation de l’Etat à cette évolution. Le NMP est donc apparu dans les années 1980 en prônant une utilisation plus efficiente des ressources de l’Etat, dans une optique d’accomplir plus de services publics avec moins de moyens financiers en considération du besoin de rationalisation des dépenses publiques.

Ainsi, dans le cadre du NMP la finalité du service public est privilégiée et non le caractère réglementaire et légal-rationnel du processus de décision. Le résultat obtenu importe plus que le respect des lois et de l’autorité dans l’action publique. Cela a favorisé l’apparition de l’Etat qui fait faire au détriment de l’Etat qui fait lui-même ; d’où la multiplication des procédés de gestion privée dans l’administration publique (concessions et délégations de service public, partenariats public-privé, appels d’offre). La centralisation du pouvoir qui caractérise l’Etat wébérien disparaît au profit de la décentralisation vers des autorités locales de plus en plus autonomes et responsables. L’Etat se fait entrepreneur en confiant des missions spéciales à des agences et entreprises publiques. Ou alors il les confie à des organismes privés spéciaux.

Les obstacles à la réforme de l’Etat en Afrique

En Afrique, l’introduction de ce concept de nouveau management public a probablement été plus difficile qu’ailleurs. Nombre d’Etats africains, caractérisés par des systèmes centralisés et autoritaires, peinent à s’adapter à la modernité. Dans bien des cas, l’organisation du pouvoir politique est encore trop verticale: c’est le pouvoir central qui définit les orientations, nomme aux postes à responsabilité, octroie les fonds, définit la marche à suivre, surveille à tout moment : ceci favorise le développement d’un système patrimonial, qui ne bénéficie qu’à une petite élite connectée au pouvoir politique et ignore en définitive le but ultime du service public, à savoir le bien commun. Ainsi, la plupart des tentatives de réforme de l’Etat ont connu peu de succès.

Cela a été le cas en République démocratique du Congo (RDC), où le pouvoir exécutif et les hauts fonctionnaires qui devaient mettre en œuvre les programmes de réforme les ont délibérément entravés ou ont tout simplement détourné les fonds qui y étaient alloués. La corruption généralisée et l’absence de culture démocratique ont eu raison des efforts des partenaires internationaux qui visaient à reconstruire le pays au début des années 2000. De plus, la centralisation du pouvoir opérée au sommet a beaucoup entravé la réussite des programmes de réforme. Joseph Kabila a concentré entre ses mains l’essentiel des pouvoirs de décision, pendant que son cabinet se chargeait de mettre au pas les fonctionnaires et même les ministres. Cela a mené à une véritable paralysie des efforts des bailleurs de fonds pour moderniser l’Etat, ainsi qu’à un malheureux statu quo.

Au Mozambique, les programmes de réforme de l’Etat se sont heurtés au manque de formation des agents publics aux principes les plus élémentaires de la gestion publique en grande partie. Dans ce pays, les structures administratives étaient quasi-inexistantes au moment où le NMP se mettait en place.  Ainsi, les autorités politiques ont mis la charrue avant les bœufs car les agents de l’Etat ignoraient les principes de base de la gestion publique ; ce qui a entravé une mise en place adéquate des outils de modernisation : e-gouvernement, guichets uniques, concurrence, etc. Le gouvernement a donc créé des programmes de formation destinés aux cadres publics pour les doter des compétences managériales nécessaires à la conduite des réformes. Chez le voisin sud-africain, une tare majeure de la réforme de l’Etat  a été la politisation de l’administration et la confusion entre la hiérarchie du parti au pouvoir (l’ANC) et la hiérarchie administrative. Il est vrai que l’administration publique sud-africaine était caractérisée par un centralisme très fort, imposé par le système d’apartheid. Le pouvoir politique déterminait les grands critères de la vie administrative : nomination des hauts fonctionnaires, salaires, grades, etc. Mais en essayant de rompre avec ces pratiques à son arrivée au pouvoir en 1994, l’ANC s’est lui-même transformé en un véritable parti-Etat dans l’Afrique du Sud postapartheid. En voulant se débarrasser à tout prix de l’ancien système, le gouvernement ANC a introduit des mesures de discrimination positive dans la fonction publique en ce qui concerne les recrutements comme les promotions. Cependant, des excès en la matière  ont été commis. La Commission du Service Public qui était chargée de mettre en place la réforme de la fonction publique était contrôlée par le pouvoir exécutif. De ce fait, la fonction publique sud-africaine s’est transformée en un réceptacle des militants de l’ANC, et les nominations à des postes administratifs ont avant tout permis de récompenser la loyauté politique. Bien entendu, plusieurs mesures ont été bénéfiques au pays, mais un grand effet pervers de la réforme a été la politisation accrue de l’administration.

Comment faire pour mieux réformer l’Etat ?

Plusieurs paramètres importants ont été ignorés lors de la conception des programmes de réforme de l’Etat en Afrique. Moderniser l’administration publique n’est pas chose aisée, et les résultats d’une réforme ne peuvent pas apparaître du jour au lendemain. Mais quelques lignes directrices peuvent être retenues pour arriver à une meilleure réforme de l’Etat en Afrique. Globalement il faudra privilégier la culture du résultat, la simplification des procédures administratives, et le choix des meilleurs profils pour l’ensemble de l’administration publique, afin de parvenir à un meilleur succès de la réforme de l’Etat. Dans le même temps, il sera nécessaire de desserrer les liens entre le politique et l’administratif pour permettre aux hauts fonctionnaires d’exécuter correctement les programmes de réforme. Il faudrait également que les autorités politiques s’engagent beaucoup plus dans leur mise en œuvre, en les défendant clairement et en y apportant beaucoup d’énergie, afin d’insuffler un souffle d’encouragement à tous les niveaux d’exécution. Il serait aussi bon d’injecter suffisamment de fonds à ces programmes de réforme pour chercher, trouver, et se donner les moyens de les réussir. La réforme de l’Etat n’est pas une gageure pour l’Afrique ; elle doit être menée avec engagement et résolution pour permettre de rattraper le retard accusé dans la modernisation administrative. En particulier, il faudra accorder une grande importance à la formation des cadres publics chargés d’implémenter les réformes, afin qu’ils s’en approprient et garantissent leur succès. Il faudra également lutter contre les pratiques corruptrices auxquelles les agents publics chargés de mettre en œuvre les programmes de réforme sont exposés. Enfin, il faudra opérer un diagnostic des priorités économiques et sociales pour chaque projet de réforme afin de toujours placer l’intérêt général au début et à la fin de toute action publique. 

Afrique-France : une nouvelle ère de coopération

186545137Dans un contexte économique mondial marqué par une reprise difficile, la France n’est pas épargnée et fait face à un chômage qui peine à baisser (10,5% au troisième trimestre de 2013, son plus haut niveau depuis 1997) et surtout une perte de compétitivité de ses entreprises (191 usines ont fermé sur les neuf premiers mois de 2013 selon Trendeo[1])  subissant une appréciation de l’euro par rapport au dollar et un coût du travail assez élevé. « La France doit appeler de ses vœux et soutenir la croissance africaine. C’est ainsi qu’elle fortifiera sa place en Afrique et y trouvera le relais de croissance dont elle a besoin. » peut-on lire à la page 2 du Rapport « Afrique France : un partenariat pour l’avenir » réalisé par Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaires étrangères en France, le banquier d’affaires franco-béninois Lionel Zinsou et le dirigeant d’entreprise franco-ivoirien Tidjane Thiam à la demande du Ministre de l’économie et des finances Français. L’heure est donc à la réaction pour se relever rapidement et le salut pourrait venir de : l’Afrique !

Ce qu’on sait déjà !

Le rapport estime que « Plus de cinquante ans après les premières indépendances, les relations de la France avec l’Afrique subsaharienne ne sont pas exemptes du poids de l’histoire, et ce malgré les appels répétés au renouveau y compris au plan européen : l’opinion publique française perçoit encore assez largement l’Afrique comme le continent de la pauvreté et des guerres, et qu’il convient d’aider. L’administration française ne semble pas avoir encore pleinement intégré la transformation du continent africain »

Heureusement, d’autres pays ont constaté que l’Afrique subsaharienne dispose aujourd’hui d’une conjoncture et d’un potentiel économiques exceptionnels qui devraient faire d’elle un pôle majeur de l’économie mondiale grâce notamment à ses ressources naturelles et ses richesses minières. Si par le passé, une grande partie de l’Afrique était sa chasse gardée, la France est entrain de perdre du terrain ou du moins d’autres pays notamment la Chine, l’Inde, le Brésil ou la Turquie sont entrain de lui faire de l’ombre en Afrique. En effet, la part de marché de la France en Afrique Subsaharienne a décliné de 10,1% à 4,7% entre 2000 et 2011, alors que la part de marché de la Chine y est passée de moins de 2% en 1990 à plus de 16% en 2011, chiffrent qui résument l’ampleur du déclin.

Comment la France compte relever la pente en Afrique ?

La France qui entretient des liens forts avec l’Afrique de par son statut d’ancienne métropole, les fortes communautés africaines en France et les nombreux français résidents en Afrique, sa prépondérance dans les institutions africaine notamment la Zone Franc ou encore la BAD, ne veut pas s’avouer vaincu et compte se repositionner en Afrique. Pour ce faire, elle doit innover dans son approche et renouveler ses relations avec l’Afrique : « La France doit modifier les fondements de sa relation économique avec l’Afrique : l’État français doit mettre au cœur de sa politique économique le soutien à la relation d’affaires du secteur privé et assumer pleinement l’existence de ses intérêts sur le continent africain » comme préconisé par le rapport ainsi qu’une meilleure concertation entre l’Etat français et ses entreprises afin de mieux saisir les opportunités en Afrique en fonction des besoins africains.

Ainsi, 15 propositions ont été faites en vue de replacer la France sur le continent africain qui est au cœur d’une guerre économique où s’affrontent la France, les pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Turquie) ainsi que les Etats-Unis et d’autres encore sous fond de ressources naturelles, minières et énergétiques mais également de recherche de débouchés. Elles se présentent comme suit :

1 – poursuivre et amplifier les mesures révisant la politique française de visas économiques afin de faciliter la circulation des acteurs économiques entre la France et l’Afrique ;

2 – relancer la formation du capital humain, la coopération universitaire et de recherche, les échanges intellectuels et les orienter vers le développement ;

3 – soutenir le financement des infrastructures en Afrique ;

4 – réduire le coût de mobilisation des capitaux privés et des primes de risques appliquées à l’Afrique ;

5 – contribuer au renforcement des capacités de financement de l’économie africaine ;

6 – augmenter les capacités d’intervention de l’union européenne en faveur de l’Afrique ;

7 – susciter des alliances industrielles franco-africaines dans des secteurs clés pour les économies française et africaine ;

8 – promouvoir l’économie responsable et l’engagement sociétal des entreprises ;

9 – accompagner l’intégration régionale de l’Afrique ;

10 – renforcer l’influence de la France en Afrique ;

11 – réinvestir au plus vite la présence économique extérieure française en Afrique ;

12 – intensifier le dialogue économique entre l’Afrique et la France ;

13 – favoriser l’investissement des entreprises françaises en Afrique ;

14 – faire de la France un espace d’accueil favorable aux investissements financiers, industriels, commerciaux et culturels africains ;

15 – créer une fondation publique-privée franco-africaine qui sera le catalyseur du renouveau de la relation économique entre la France et l’Afrique.

Ces propositions comme on peut le constater font la part belle aux intérêts français laissant penser que finalement ce serait plus un changement plus dans la forme que dans le fond.

Et l’Afrique dans tout cela ?

L’Afrique ne sera un bon partenaire pour la France dans sa quête de renouveau que si elle continue sur sa lancée actuelle. En effet, si la France est à la recherche d’un second souffle pour repartir de l’avant, l’Afrique elle, continue sa marche en avant avec des transformations économiques et sociales flagrantes même si les inégalités persistent et qu’elle doit faire face aux défis perpétuels de la lutte contre la pauvreté, de la lutte contre la corruption et de la promotion de la bonne gouvernance.

Le rapport insiste sur la formation du capital humain, les dotations en infrastructures et l’accélération de l’intégration régionale. Sur ce dernier point, il s’agira de se rapprocher du Nigeria en passant par un élargissement de la Zone CFA aux pays limitrophes notamment le Liberia, la Sierra Leone et surtout le Ghana comme moteur de cet élargissement sous fond d’échanges commerciaux et de la levée de la barrière linguistique. Et c’est seulement quand ce nouvel espace économique verra le jour que le nom de « Zone Franc » pourrait disparaitre avec une possibilité de faire flotter la monnaie par rapport à l’euro.

Un autre défi du continent, est la sécurité. Elle est primordiale pour les investisseurs et pour les réformes en cours sur le continent. La sécurité était au cœur du sommet France-Afrique qui se déroulait du 06-07 Décembre 2013, au lendemain donc de la publication du  Rapport « Afrique France : un partenariat pour l’avenir » dans un contexte marqué par une présence militaire française en Afrique notamment en Côte d’Ivoire, au Mali et plus récemment en République Centrafricaine. Car s’il y a une volonté de plus en plus affiché des deux parties de mettre fin à ce qu’on appelle « la France-Afrique », la difficulté des Africains à gérer les crises et à mettre fin aux conflits armés amène la France à jouer le rôle de gendarme pour des raisons humanitaires et surtout pour protéger ses intérêts économiques.

Après tout, « Il n’y a pas d’amitié entre les peuples. Il n’y a que des intérêts. » comme disait le Général De Gaulle. C’est sans doute lui qui était le plus lucide.

 

Koffi ZOUGBEDE


[1] Trendeo : Observatoire de l’emploi et de l’investissement

 

 

 

Paix et sécurité en Afrique en 2013 : quel bilan ?

Cet article est le premier d’une série de trois articles sur la sécurité en Afrique. Après ce panorama sur les conflits armés en 2013, nous nous intéresserons au concept de « sécurité humaine » et à la manière dont les pouvoirs publics développent des politiques de protection des civils face aux nouvelles menaces sécuritaires. Enfin, nous verrons quels sont les défis majeurs pour l’année 2014 en matière de résolution des conflits.

War_PeaceDepuis le début des années 2000, les guerres sont en recul en Afrique. Le continent n’est plus cette terre de chaos et de violences brutales que certains journaux se plaisent encore à décrire : le niveau général de démocratie et de développement économique s’est amélioré et des mécanismes de résolution des conflits ont émergé, permettant une baisse régulière du nombre des conflits.

2013 aura tout de même été une année turbulente sur le continent, et les questions de sécurité ont souvent occupé une place centrale dans les réunions internationales. Quelles grandes tendances peut-on dégager ?

Le problème des périphéries oubliées

Depuis quelques années, la nature de la violence sur le continent a changé assez radicalement. La majorité des conflits ne sont plus des « grandes guerres » : ils n’ont plus pour enjeu le contrôle de l’État, mais se déroulent aux confins de l’État, dans des périphéries peu ou mal gouvernées. Dans une Afrique de plus en plus urbanisée, l’État a tendance à concentrer son attention et ses efforts de développement sur la capitale et les grands centres urbains. La division coloniale entre la « partie utile » et le reste du pays reste encore d’actualité. Des pans entiers du territoire national, souvent pauvres en ressources, sont totalement laissés pour compte, oubliés par un État qui a renoncé jusqu’à ses fonctions les plus basiques de maintien de l’ordre et de la sécurité. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à voir émerger des mouvements de contestation, qui se nourrissent du sentiment de marginalisation des populations.  

Parfois, le régime au pouvoir est tellement sclérosé que ces mouvements finissent par atteindre la capitale et prendre le contrôle de l’État. En République centrafricaine, la coalition rebelle de la Séléka, partie des régions reculées de la Vakaga et de la Haute-Kotto au nord-est, a pu arriver jusqu’à Bangui sans rencontrer d’opposition. Mais le plus souvent, c’est à un niveau local que ces conflits se jouent. La rareté des ressources crée des tensions entre les différentes communautés (entre agriculteurs et éleveurs, ou entre groupes ethniques), que l’État ne peut pas réguler puisqu’il a laissé s’installer un vide sécuritaire. Là où la présence de l’État permettrait de canaliser ces conflits, son absence laisse la porte ouverte à leur aggravation. En 2013, des incidents meurtriers ont ainsi éclaté aux confins de plusieurs États : l’Algérie, le Cameroun, l’Éthiopie, la Guinée, le Kenya, la Libye, le Mali, le Mozambique, le Nigéria, le Sénégal…

Du rebelle au trafiquant-terroriste : les nouveaux acteurs de la violence

Si la nature de la violence a changé, les acteurs de la violence ont également évolué au cours des dernières années. En 2003, les salafistes algériens du GSPC organisaient leur première prise d’otages au Sahel. Dix ans plus tard, leur action a fait des émules, les groupes se sont multipliés, et le phénomène du terrorisme, auparavant relativement inconnu du continent africain, est devenu une préoccupation centrale. Ces groupes sont à la fois internationaux et locaux : ils partagent l’idéologie du jihad et leurs militants collaborent régulièrement en profitant des difficultés des États africains à contrôler leurs frontières. Mais leur montée en puissance est aussi étroitement liée au problème des périphéries oubliées : Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et le MUJAO au Sahel, Ansaru et Boko Haram au nord du Nigéria, Al-Shabaab en Somalie, ont chacun profité de la faiblesse des États et d’un sentiment de marginalisation vis-à-vis du pouvoir central pour prendre pied dans ces régions périphériques et s’implanter dans le tissu social local. Ne voir en eux que des groupes étrangers aux connexions mondiales serait une erreur : ils auraient déjà été éliminés s’ils n’avaient pas trouvé un réel écho auprès des populations locales

En 2013, ces groupes ont perdu du terrain, mais ils ont prouvé à maintes reprises qu’ils n’avaient pas besoin d’administrer un territoire pour conserver leur pouvoir de nuisance. Au Nord-Mali, AQMI, Ansar Dine et le MUJAO ont perdu le contrôle de Gao, Kidal et Tombouctou après l’opération Serval, mais leurs militants rôdent toujours dans la région et continuent d’organiser des attentats ; au Nigéria, malgré un couvre-feu et une campagne de contre-insurrection brutale (responsable de centaines de victimes civiles), l’armée n’est pas parvenue à stopper les attaques de Boko Haram, responsables de plus de 1 200 morts en 2013. Avec l’attaque du 21 septembre contre le centre commercial de Westgate à Nairobi (67 victimes), Al-Shabaab a démontré sa capacité à mener des opérations spectaculaires contre des intérêts étrangers au-delà des frontières.

À côté des groupes terroristes, d’autres acteurs transnationaux ont profité des problèmes de gouvernance des États africains pour prospérer. Les actes de piraterie sont en baisse au large des côtes somaliennes, mais n’ont jamais été aussi élevés dans le Golfe de Guinée ; et malgré les efforts des brigades anti-stupéfiants, la cocaïne latino-américaine continue de transiter en masse par les côtes ouest-africaines et le Sahel et génère toujours d’énormes profits illicites.

Les principaux foyers d’instabilité

La fin d’année a vu une amélioration plutôt inespérée dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). En novembre 2012, les rebelles du M23 avaient mis en déroute l’armée congolaise (FARDC) et saisi la ville de Goma ; un an plus tard, ce sont des troupes congolaises plus disciplinées qui ont pris leur revanche, avec l’appui de la nouvelle Brigade d’Intervention des Nations Unies. Le M23 a déposé les armes, et même si une vingtaine de groupes armés sont encore actifs dans les Kivus et qu’il reste de nombreux efforts à faire pour améliorer la gouvernance et l’état de droit en RDC, la situation ouvre des perspectives intéressantes pour la paix dans les Grands Lacs.

2013 a confirmé le déplacement du centre de gravité des conflits vers la bande sahélo-saharienne. Le Sahel a concentré l’attention cette année, avec une évolution plutôt positive : au 1er janvier 2013, qui aurait parié sur la reconquête des régions du nord, l’élection d’un nouveau président et la chute précipitée du capitaine Sanogo ? Toutefois, beaucoup reste encore à faire : les négociations avec les groupes armés (MNLA, HCUA et MAA) sont au point mort et le Nord-Mali a connu ces derniers mois des violences sporadiques.

En Centrafrique, une spirale dramatique s’est enclenchée depuis la chute de François Bozizé en mars : la coalition hétéroclite de la Séléka s’est fragmentée, les rebelles se sont reconvertis en bandits armés, et le conflit a pris une tournure religieuse à partir de septembre lorsque des milices chrétiennes, les « anti-Balaka », ont pris les armes pour se venger des exactions et des pillages des ex-combattants, en majorité musulmans. En une seule semaine début décembre, l’ONU a compté plus de 600 victimes et 150 000 déplacés.

L’indépendance du Sud-Soudan en 2011 devait mettre un terme à plusieurs décennies de violences, mais depuis le conflit s’est au contraire complexifié. Malgré un rapprochement entre Khartoum et Juba, l’insoluble question de la frontière autour des zones pétrolières et de la répartition des revenus pétroliers continue d’empoisonner les relations entre le Soudan et le Sud-Soudan.  Chacun accuse l’autre d’armer en sous-main des milices sur son territoire. De plus, les deux régimes sont chacun fragilisés par des mouvements de contestation internes : à Khartoum, des manifestations ont été violemment réprimées en septembre, faisant 200 morts ; à la mi-décembre, des violences ont éclaté à Juba après que le président Salva Kiir a annoncé avoir déjoué une tentative de coup d’État orchestrée par son ancien vice-président et désormais rival politique Riek Machar.

Les « solutions africaines aux problèmes africains », un concept à la peine

L’année 2013 a débuté avec une intervention française au Mali (l’opération Serval) et s’est achevée avec une intervention française en Centrafrique (l’opération Sangaris), couplée à un sommet sur la Paix et la Sécurité en Afrique organisé à … Paris. Bien plus qu’un retour en force de la « Françafrique » (contre laquelle François Hollande a pris plus de mesures que tous ses prédécesseurs), ces trois évènements témoignent de la difficulté à mettre en pratique le concept de « solutions africaines aux problèmes africains ».

Depuis une quinzaine d’années, la formule ressurgit à chaque nouveau conflit, de la bouche des dirigeants occidentaux comme de celle de leurs homologues africains, et le sommet de Paris n’a pas fait exception. Sa mise en pratique est pourtant bien loin de répondre aux espérances de la génération des panafricanistes des années 1990 qui voyaient dans ces « solutions africaines » un outil d’émancipation, une rupture vis-à-vis du paternalisme occidental. En somme, les « solutions africaines » devaient être la clé d’une « renaissance » du continent ; or, la formule sonne au contraire de plus en plus creux, et l’année écoulée appelle donc  à un regard plus réaliste.

Côté occidental, si la formule est aussi populaire à Washington, Londres, Paris ou Berlin, c’est avant tout parce qu’elle épargne à ces pays de trop lourdes responsabilités lorsqu’un conflit ne les intéresse pas particulièrement ou qu’elles n’ont pas les moyens de s’y impliquer. Depuis le génocide du Rwanda, dire que l’on ne veut pas se mêler à un conflit africain est devenu tabou ; alors à la place, on dit qu’il faut privilégier des « solutions africaines ». Utile.

Côté africain, deux problèmes se posent. Le premier concerne la capacité des armées africaines : les équipements sont vétustes et insuffisants, les troupes peu entraînées et les récentes opérations militaires des armées même les plus aguerries – l’aventure hasardeuse de l’armée sud-africaine en Centrafrique pour défendre le régime en perdition de Bozizé ou la contre-insurrection brutale et peu efficace des troupes nigérianes contre Boko Haram – n’incitent guère à l’optimisme.

Deuxièmement, l’idée même de « solution africaine » est remplie d’incertitudes et de contradictions. Qu’est-ce qu’une « solution africaine », et pourquoi devrait-elle être systématiquement appréciée par tous les États concernés par un conflit ? Il serait naïf de croire que les 54 pays du continent, par le simple fait d’être « Africains », partagent une vision commune de la paix en Afrique. Qu’est-ce qu’une « solution africaine » au problème de la Somalie ? Une intervention kenyane, qui menace les ambitions régionales de l’Éthiopie ? Ou une intervention éthiopienne, qui heurte les intérêts du Kenya ? Dans le cas du Mali, la « solution algérienne » – négocier avec les groupes armés du Nord pour isoler les terroristes d’AQMI – s’opposait à la « solution de la CEDEAO », partisane d’une intervention militaire… Et au sein même de l’organisation ouest-africaine, les pays francophones craignaient qu’une opération menée par la CEDEAO ne permette au poids-lourd régional anglophone, le Nigéria, d’étendre son influence vers le Sahel. À vouloir écarter le gendarme nigérian, c’est finalement une solution non-africaine, celle du « gendarme français », qui s’est imposée.

Les « solutions africaines aux problèmes africains » font donc partie de ces concepts « tendances », avec lesquels on ne peut pas vraiment être en désaccord, mais à partir desquels il est quasiment impossible d’arriver à un programme d’actions concrètes. Finalement, la formule résonne surtout comme un cri d’encouragement à l’intention des gouvernements africains : « intéressez-vous aux problèmes de votre continent ! ». Sa vertu principale est d’appeler à une prise de responsabilité et à un leadership africain.

2014 : le défi du leadership ?

Or, c’est justement là, sur cette question du leadership, que le bât blesse : il n’y a toujours aucun État capable d’assumer un rôle de leader continental sur les questions de sécurité. Les deux candidats naturels – l’Afrique du Sud et le Nigéria – peinent à convaincre. Le premier a une diplomatie bruyante, mais pas toujours cohérente, comme l’a montré le scandale des militaires en Centrafrique ; le second a trop de mal avec ses propres problèmes sécuritaires internes (Boko Haram, le delta du Niger) pour donner l’exemple et impulser une dynamique. Les trois autres plus gros contributeurs au budget de l’Union africaine ne sont guère plus satisfaisants : l’Algérie a été dépassée par les évènements au Sahel ; et comme le Nigéria, on ne peut pas attendre beaucoup de la Libye et l’Égypte tant qu’elles n’auront pas réglé leurs crises politiques internes. D’autres États sont actifs à un niveau régional, comme le Burkina Faso et le Tchad dans le Sahel ou l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique, mais leur engagement est plus limité dès lors que leurs intérêts ne sont pas directement concernés.

Depuis la formation de l’Union africaine en 2002, des progrès considérables ont été réalisés sur le plan institutionnel pour former un cadre africain de résolution des conflits. Pour ceux qui seraient tentés de se satisfaire de ces avancées, 2013 aura constitué un utile appel à la vigilance : beaucoup reste encore à faire en 2014 et dans les années à venir pour éviter que ces institutions ne deviennent des coquilles vides, comme beaucoup d’autres dans l’histoire du continent.

Problématique du travail des enfants en Afrique

200253513-001Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), est considéré comme travail des enfants, les travaux effectués par des filles et des garçons en deçà de l'âge minimum requis pour les exercer.

Au niveau international, la réaction au travail des enfants est ancienne. Dès 1919, l'OIT adopta une convention internationale sur l’âge minimum dans l’industrie (fixé à 14 ans). En 1973, une convention porte sur tous les secteurs d’activité et fixe l’âge minimum d’admission à l'emploi à 15 ans et par exception à 14 ans pour les pays dont « l’économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées »[i]Cependant les statistiques montrent que cette convention n’est pas respectée à travers le monde. Selon le rapport de l’OIT, en 2004, près de 220 millions (soit 1 sur 7) d'enfants  âgés de 5 à 17 ans étaient astreints à un travail. 126 millions des enfants qui travaillent effectuent des travaux dits dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites.

Le travail des enfants n’a pas cependant les mêmes caractéristiques selon les régions du monde. L'Afrique sub-saharienne continue d’être la région avec la plus forte incidence du travail des enfants (59 millions, plus de 21% en 2012 selon OIT-IPEC, 2013).

Les données de l'OIT indiquent que plus de 40% des enfants africains travaillent – ce qui représente près du double des enfants qui travaillent en Asie.[ii]

Au niveau des experts africains, d'aucuns n'y voient aucun problème, tandis que d'autres en revanche pensent qu'il s'agit d'un problème beaucoup plus sérieux en Afrique que nulle part ailleurs au monde[iii].

Dans quels domaines travaillent-ils ?

Selon le dernier rapport de l'OIT, la plupart des enfants de 5 à 14 ans travaillent dans le secteur informel, sans protection légale ou réglementaire, 69% des enfants économiquement actifs travaillent dans l’agriculture, 22% dans le secteur des services, et 9% dans l’industrie.

trav_enfant

En Afrique, plus précisément en Afrique de l'Ouest, le travail des enfants consiste le plus souvent pour les jeunes filles à être domestiques ou commerçantes ambulants et pour les jeunes garçons à être apprentis mécaniciens, bergers, cultivateurs ou autres.

Travail des enfants : effets négatifs sur les enfants et sur les parents

Il est clair qu'en général, le travail des enfants, soustrait ces derniers à leur jeunesse, mais pourrait aussi compromettre leur avenir. Selon l'OIT, beaucoup d'enfants qui travaillent courent des risques pour leur santé et leur vie et compromettent leurs chances de devenir des adultes « productifs ». Toujours selon l'OIT, il s'agit d'une atteinte aux droits des enfants, à leur enfance, et d’un gaspillage de leurs potentialités de formation. Il en résulte un irrémédiable handicap au développement.

Mais pourquoi les parents laissent-ils leurs enfants travailler ?

Des études ont montré que la famille d’origine de l’enfant a une grande part de responsabilité. En effet, compte tenu du manque de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de la famille, les parents sont souvent contraints de faire travailler leurs enfants dans le but d’augmenter et de diversifier les sources de revenus. En milieu rural, les enfants sont considérés comme une main d'œuvre pour les travaux champêtres. Ces parents, sans le savoir, détournent l'avenir de leurs enfants, qui auraient pu se spécialiser dans l’agronomie et contribuer de façon efficiente à valoriser les terres. La société africaine accorde une grande valeur aux enfants travaillant à la maison ou au champ familial. Cela n'est donc pas perçu comme "nuisible" ou comme une question de bien-être économique.

Certains parents considèrent qu'en envoyant les enfants à l'école, il y a un double frais : les dépenses liées à la scolarité et la perte de la contribution de l'enfant en tant que main d’œuvre. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait qu’un enfant bien formé devient un adulte suffisamment rémunéré pouvant prendre en charge les dépenses de ses parents. De ce fait, selon la perception de certains, le travail devient en réalité une perte, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour ses parents.

Certains enfants cumulent le travail et les études. Ils travaillent pendant les soirées, les fins de semaine, les congés ou les vacances pour participer aux dépenses de la famille y compris les dépenses scolaires. Ceci semble efficace dans les cas où l'enfant a des dispositions lui permettant d’assimiler assez rapidement ses cours. Néanmoins, il aura perdu une partie importante de sa jeunesse, celle de s'amuser, une phase qui revêt d’une grande importance dans le développement d’un enfant.

Certaines jeunes filles migrent vers la ville en quête de travail pour aider leurs parents et épargner pour leur futur mariage.

Est-il toujours mauvais de faire travailler les enfants ?

En Afrique où les enfants n'ont pas tous leurs droits fondamentaux, où beaucoup de familles n'ont pas les moyens de subvenir aux besoins des enfants, où la vraie éducation ne concerne pas toujours tous les enfants et où le chômage est très élevé, peut-on interdire de façon stricte le travail des enfants ?

Des travaux dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites doivent être interdits de façon ferme et stricte. Cependant interdire le travail à un enfant qui n’est pas instruit est plus préjudiciable. Ce dernier étant laissé oisif serait plus porté à s’orienter dans la délinquance. Si le travail des jeunes filles comme domestique paraît non formatif, les travaux d'apprentis des jeunes garçons constituent pour ces derniers un moyen d’apprendre un métier et devenir plus tard des adultes « productifs », et donc, il serait absurde de l'interdire même s'il n'est pas à encourager. Ainsi, faire travailler les enfants n’est pas si problématique tant que ces derniers exercent dans un environnement sain et leur sont confiées des activités à leur portée.

Il ne faut pas perdre de vue que les parents, surtout, en zone rurale ne font travailler les enfants que parce qu’ils n’ont pas les moyens de les inscrire dans une institution d’éducation. Partant de ce constat, doit-on forcer les parents à un faible revenu de renoncer à faire travailler leurs enfants et investir dans l’éducation de ces derniers, avec moins de certitude sur la rentabilité de cet investissement ?

Quelles recommandations pour l'Afrique ?

Les gouvernements devrait indexer la scolarité aux revenus des parents ou la rendre gratuite, tout au moins le niveau primaire et permettant aux enfants de bénéficier d’un minimum d’instruction avant de s’orienter si les moyens ne sont pas disponibles pour une poursuite des études. Ils pourraient aussi mettre à la disposition des enfants issus de familles défavorisées des subventions ou des bourses afin de permettre à ces derniers de renforcer le capital humain. Toutefois cette réforme devrait s’accompagner d’autres mesures sociales permettant aux parents, qui se considéreraient comme léser par l’inscription de leurs enfants à l’école de compenser cette perte de « mains d’œuvre » gratuite. On pourrait s’inspirer de la bourse familiale du Brésil, qui offre pour chaque enfant scolarisé et vacciné, une somme forfaitaire (..) en plus d’un appui dans le domaine agricole. Le Sénégal tente de mettre en place un programme similaire, qui certes n’aura pas la portée brésilienne mais qui est une initiative qui au-delà de son objectif de réduction de la pauvreté permettrait d’éviter le travail des enfants.

Des formations professionnelles pourraient être aussi envisagées pour former les enfants qui n’arrivent pas à s’insérer dans le dispositif classique de formation. Ceci permettrait d’une part d’éviter que les enfants ne soient exposés à des abus (très fréquent dans le secteur informel de l’apprentissage) mais de les introduire aux notions d’entrepreneuriat et de gestion. Il pourrait s’agir de centres de formation spécialisés aux métiers de mécaniciens, de charpentiers ou de gouvernante.

Le rôle des ONG et de la Société Civile ne doit pas être négligé dans le dispositif, dans ce sens que toutes ces structures permettent d’alimenter le débat public autour de la question et de définir sur la base d’un consensus national les directives à suivre en ce qui concerne le travail des enfants.

Ali Yedan


[i] Jean-Baptiste Racine (2005) La problématique du travail des enfants à l’épreuve de la mondialisation de l’économie

 

 

 

[ii] Banque Mondiale, novembre 2011, Le travail des enfants en Afrique : Problématique et défis

 

 

 

 

A quoi peuvent bien servir des marchés financiers en Afrique ?

Y a-t-il des marchés financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi daider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série darticles sur les marchés financiers dont voici le deuxième volet, répond à ces questions.

La valeur du crédit accordée par lensemble des institutions financières africaines au secteur privé représente 18% du PIB contre plus de 100% pour les pays développés. Les systèmes financiers africains sont encore largement dominés par les banques qui sont en moyenne petites et dont le taux de pénétration dans l’économie reste faible. Les marchés financiers ont donc toute leur place dans ce contexte. Ils  offrent aux entreprises une bonne alternative pour lever des fonds et financer leur stratégie de développement et donnent aux petits investisseurs de nouvelles solutions pour rentabiliser leur épargne. Ils peuvent également favoriser ladhésion populaire à la réussite de grands groupes africains.

148877329Une incitation à l’épargne, une solution dinvestissement et de financement

Quant ils sont efficaces et régulés, les marchés financiers font le lien entre les épargnants qui ont des capitaux et les entrepreneurs les plus productifs qui en ont besoin. Des marchés financiers matures mettent en relation ces acteurs de façon fluide et transparente. Ces marchés permettent également aux investisseurs de gérer et de diversifier les risques.

Ils fournissent une alternative à de l’épargne africaine bloquée sur des actifs à faible taux de rendement, par manque d’opportunités, ou investie à l’étranger pour essentiellement la même raison. En effet, les actifs de qualité sont rares sur le continent et se limitent souvent à l’immobilier et aux titres publics tels que les bons du trésor.

D’autre part, de nombreux investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension et les sociétés d’assurances n’ont pas le droit d’investir à l’étranger, ils ont donc des liquidités importantes souvent piégées sur des actifs à faible rendement. La présence de marchés financiers plus actifs donne désormais une solution d’investissement à ces institutions.

La promotion de lactionnariat populaire : une bonne nouvelle pour les petits épargnants et pour les entreprises

Les marchés financiers africains permettent à des programmes de privatisation nécessitant des fonds conséquents de se dérouler avec l’aval, la participation et l’appui de la population locale à travers l’actionnariat populaire. L’introduction en bourse de l’ONATEL, l’entreprise nationale de Télécommunications du Burkina Faso, en 2009 en est un exemple éloquent. L’Etat Burkinabé a ainsi pu céder 20% de son capital via la participation de plus de 3300 particuliers à l’actionnariat de cette entreprise. Quant on sait que le taux de souscription pour l’entrée au capital de cette entreprise a été de 140% et que seulement 200 000 personnes sont recensées comme détenant un emploi formel dans le pays, on se rend compte aisément du niveau de popularité de l’opération. L’ONATEL qui avait été partiellement cédée en 2006 à Maroc Télécom est redevenue dans l’esprit des Burkinabé une société vraiment nationale. Chez de nombreux citoyens du pays, un sentiment de fierté de se sentir associé au succès de cette entreprise, doublé de la satisfaction de trouver une bonne solution d’investissement, prévaut.

L’instrument boursier peut également permettre la participation des salariés d’une entreprise à sa privatisation. C’est le cas de la Société Nationale des Télécommunications du Sénégal (SONATEL) qui a été privatisée en 1999 avec une participation active des salariés à l’achat d’actions. Non seulement des abattements ont été consentis sur le prix des actions permettant à prés de 1500 salariés de l’entreprise d’y trouver leur compte (acquérant ainsi 10% du capital alors valorisé à 32 millions d’Euro, soit 20.8 milliards de FCFA)  mais le paiement a été étalé dans le temps permettant aux actionnaires salariés d’utiliser leurs dividendes à cet effet. Cette participation représente aujourd’hui bien plus de 40 000 euros par salarié c’est-à-dire 26 millions de FCFA dans un pays où le salaire minimum est d’environ 50 000 FCFA et le PIB par habitant d’un peu plus de 500 000 FCFA. Cet actionnariat a permis de mettre en place en 2004 un fonds commun de placement d’entreprise en y basculant quasiment tous les titres, une nouveauté au Sénégal. L’entreprise a ainsi réglé le problème des retraites avec l’aval des syndicats et l’accord des salariés.

Avec ces exemples de privatisation soutenue par la souscription populaire, l’outil boursier permet d’atteindre plusieurs objectifs à la fois : favoriser l’adhésion de la population à un projet de privatisation, l’intéresser à la réussite de l’entreprise en question (un objectif encore plus important quand les personnes qui souscrivent à l’achat des parts sont des salariés), développer un produit d’épargne dans un environnement où les investisseurs locaux et petits épargnants manquent souvent d’actifs de qualité pour investir.

Des entreprises qui gagnent en crédibilité  et dont le potentiel dexpansion saccroit

L’introduction en bourse permet également aux entreprises d’avoir plus de visibilité et d’améliorer leur crédibilité. Cela renforce la confiance des investisseurs dans l’entreprise et multiplie ses opportunités commerciales surtout lorsque les fournisseurs et clients sont eux-mêmes actionnaires de l’entreprise. Le cas de TPSEA (Tourism Promotion Services), un groupe hôtelier leader du marché du tourisme est africain en est un bon exemple. Du fait de son prestige et de sa belle image, tous renforcés par sa cotation en bourse, elle attire et fidélise non seulement ses partenaires commerciaux mais aussi des ressources humaines de grande qualité qui deviennent rapidement des actionnaires. De plus, la cotation de TPSEA à la bourse Kenyane (Nairobi Securities Exchange) lui a permis d’intégrer de nombreux investisseurs a son actionnariat, ce qui en plus d’associer et d’intéresser de nombreux citoyens Kenyans à son succès lui offre d’énormes facilités quand le groupe a besoin de lever des fonds pour s’agrandir.

Cette meilleure visibilité et cette crédibilité renforcée, obtenues sur les marchés financiers, ont pour corollaire une vraie reconnaissance des institutions financières qui sont alors prêtes à octroyer à de telles entreprises un financement relativement peu coûteux, avec des taux d’intérêts bas.

Enfin, Ecobank qui a réalisé en 2006 la première opération de cotation multiple en Afrique  a ainsi pu avoir accès à plusieurs marchés de capitaux et par conséquent a  un pool d’investisseurs plus important et plus diversifié. Les exigences connues de tous de publications de résultats et d’informations capitales des marchés financiers ont donné au groupe une renommée et une crédibilité qui ne se démentent pas et qui lui facilitent l’expansion, les acquisitions et les opérations de recapitalisation.

Mais la cotation multiple n’a pas que des avantages pour l’entreprise ou le groupe qui émet des titres. Elle renforce également la liquidité des titres et donne plus de possibilités aux investisseurs souvent à la recherche de diversification et d’opportunités à l’étranger. En éliminant les opportunités d’arbitrage[2] entre différents marchés, la cotation multiple renforce l’efficience des marchés et en réduit les imperfections.

Cependant, les marchés financiers n’ont pas que des avantages car ils peuvent également déstabiliser l’économie et les entreprises. Le prochain article de cette série abordera les inconvénients et les risques liés au développement des marchés de capitaux sur le continent.

 

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains

 

TIte Yokossi                                                                                                                                       


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

 

 

 

 

[2] Il s’agit des possibilités de réaliser un profit sûr en utilisant le fait qu’un même actif est côté à un prix différent d’un marché à l’autre

 

 

 

 

 

 

 

 

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

cogneau-denis

Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.

Powered by WordPress