Le marché financier joue-t-il son rôle en Afrique ? Cas de la Tunisie

520871-001Les changements considérables et parfois imprévisibles que ce soit au niveau de la sphère réelle ou de la sphère financière et le rôle croissant des marchés financiers comme source de financement, ont renforcé le rôle des facteurs financiers comme déterminant de l’amplification du cycle économique. Dans ce contexte, plusieurs études et recherches ont mis l’accent sur l’importance des canaux de transmission des prix des actifs à la sphère réelle. A ce niveau, le canal du capital bancaire se présente comme l’un des principaux canaux de transmission des simulations monétaires à l’activité économique, dans la mesure, où les banques se présentent comme un facteur déterminant dans l’évolution des conditions monétaires du fait de leur capacité de financement de l’économie schématisée par les opérations d’offre de crédits. Cet article étudie le cas de la Tunisie, afin de détecter l’existence ou non d’une relation entre  l’évolution des cours des actions des banques cotées à la Bourse et l’évolution du volume de crédits distribués par ces dernières. Cette mesure se fera au travers de l’analyse du capital bancaire.

Le canal du capital bancaire permet de synthétiser l’incidence de la structure financière des bilans des banques sur la sphère réelle. En effet, une dégradation des actifs financiers est capable d’agir négativement sur la richesse des banques qui peuvent par conséquent subir des pertes au terme de leurs portefeuilles d’actifs ou de leurs bénéfices. Les banques endommagées vont donc réduire leur offre de crédits. L’effet du canal du capital bancaire sur la sphère réelle peut être schématisé comme suit : suite à une baisse des prix des actifs, les banques qui détiennent dans leurs portefeuilles un part de ces actifs se retrouvent dans une situation de manque de liquidité. Cette situation va amener les banques à restreindre leur volume de crédits distribué ce qui peut engendrer un ralentissement de l'activité économique. Le canal du capital bancaire décrit donc le rôle des banques dans la propagation et l'amplification des chocs financiers à la sphère réelle et reflète par conséquent l’importance de la valeur nette et la capitalisation des établissements de crédits dans la transmission des effets de la sphère financière à la sphère réelle.

En Tunisie, les établissements de crédits assurent la plupart de financement de l’économie. En effet, la contribution du marché financier dans le financement des investissements privés reste très modeste (voir le graphique suivant).

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L’étude de la relation entre le taux de variation mensuel du cours boursier bancaire moyen des banques cotées à la Bourse des Valeurs mobilières de Tunis (BVMT)[1] et le taux de variation mensuel des crédits distribués par le système bancaire entre février 2001 et avril 2008 montre qu’il n’existe pas un canal du capital bancaire dans le sens clair. La baisse du cours boursier ne s’accompagne pas nécessairement d’une baisse des crédits octroyés par les banques. Si, cependant, une augmentation des crédits intervient plus fréquemment suite à une hausse du cours boursier ; elle reste erratique et ces augmentations ne pourraient être expliquées par le seul fait de l’augmentation du cours boursier.

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Il apparaît donc évident qu’il n’existe pas un canal du capital bancaire clair et robuste capable de transmettre les effets de la sphère financière à la sphère réelle. Cela peut être dû essentiellement à l’étroitesse du marché financier, peu dynamique au regard des volumes de transactions. Aussi, parmi les 22 banques résidents qui composent le système bancaire tunisien seulement 11 sont cotées en bourse (voir le tableau ci-après).

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Source : BVMT

Ainsi, malgré les réformes qui ont été entreprises pour développer et dynamiser le marché financier tunisien, à partir de la réforme financière de 1988, sa contribution dans le financement de l’économie tunisienne reste modeste. Cette faiblesse qui caractérise le marché financier est due, notamment, à la présence de certains facteurs tels que la faiblesse de l’épargne investie dans la Bourse, la part importante du financement bancaire et le faible degré d’internationalisation de la Bourse sans oublier la faible attractivité du marché financier aux investisseurs étrangers du fait de la présence de contrôle de change encore excessif ainsi que la règlementation qui attribue un faible taux de souscription. En 2013, la participation des investissements étrangers dans la capitalisation boursière se situait à 22%.

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De toute évidence, le marché financier tunisien ne joue qu’un rôle limitée dans le financement de l’économie. Pour approfondir sa contribution, certaines réformes doivent être entreprises pour que ce marché puisse jouer son rôle dans la mobilisation de l’épargne et le financement de l’économie réelle. Il sera nécessaire de promouvoir la diversification sectorielle au sein de la bourse tunisienne. A titre d’exemple, à ce jour, il n’existe pas de sociétés cotées représentant le secteur du tourisme, malgré l’importance de ce dernier dans l’économie tunisienne. En outre, le marché boursier tunisien devrait faire intervenir les investisseurs institutionnels et les grands opérateurs du secteur public ainsi que les investisseurs étrangers. L’introduction de nouveaux produits, par exemple les produits islamiques, qui sont capables d’attirer des nouveaux capitaux vue le développement que connait actuellement la finance islamique sur le plan international, constitue entre autres des pistes à explorer pour stimuler davantage ce marché. L’existence donc d’un canal de capital bancaire robuste qui permettrait de transmettre les effets de la sphère financière à la sphère réelle est synonyme d’un marché financier dynamique caractérisé par une infrastructure technique et réglementaire développée.

Plus généralement, l'existence d'un marché financier robuste constitue une source de financement considérable pour l'économie, que son développement semble aujourd'hui une question importante pour les pays africains. Le cas de Maurice n'est qu'un exemple qui illustre l'importance de ce secteur. Ce développement devra néanmoins se faire de façon harmonieuse afin de garantir un impact maximum. Le cas de la Tunisie où le marché présente encore quelques défaillances illustre assez bien combien cet outil peut être en marge de l'économie s'il n'est pas utilisé de la façon optimale.

Ben Hassine Aymen

Références :

Artus Patrick ; « Les banques centrales doivent être préemptives si elles veulent contrôler les prix d’actifs. » ; Problèmes Economiques, juillet 2004.

Ben.S Bernanke ; « Monetary policy and the stock market : some empirical results. »; Widener University, Chester, Pennsylvania 2003.

Clerc Laurent et Pfister Chritian; « Les facteurs financiers dans la transmission de la politique monétaire. » ; Bulletin de la Banque de France N° 108 , décembre 2002.

Hannoun Hervé ; « Places financières et banques centrales. » ; Revue d’Economie Financière N° 57, 2000.

I.Christensen, Ben Fung et C.Mch ; « La modélisation des canaux financiers aux fins de l’analyse de la politique monétaire. » ; Revue de la Banque de Canada automne 2006.

Levieuge  Grégory ; « La neutralisation des mouvements et de l’impact des prix d’actifs doit-elle être du ressort de la politique monétaire. » ; Revue d’Economie Financière N°74 2000.

Levieuge  Grégory ; « Politique monétaire et prix des actifs. » ; Revue de l’OFCE N° 93, avril 2005.

Patrick Artus ; « Faut-il introduire les prix d'actifs dans la fonction de réaction des banques centrales » ; Revue d'Economie Politique N° 110 ;  novembre – décembre 2000.

Rigobon Roberto et Sack Brian ; «  The impact of monetary policy on asset prices. »; NBER Working Paper, février 2002.

Schinasi Garry.J; « Responsibility in financial markets. »; IMF Working Paper, octobre 2004.

Rapports annuels de la Banque Centrale de Tunisie.


[1] La variation du cours bancaire moyen est une moyenne des variations des cours boursiers des onze banques cotées à la BVMT qui sont : Arab Tunisian Bank (ATB), Banque Nationale Agricole (BNA), Attijari Bank (Attijari), Banque de Tunisie (BT), Amen Bank (AB), Banque Internationale Arabe de Tunisie (BIAT), Société Tunisienne de Banque (STB), Union Bancaire pour le Commerce et l’Industrie (UBCI), Union Internationale des Banques (UIB), Banque de l’Habitat (BH) et la Banque de Tunisie Emirats (BTE).  

Pour un avion africain dans le ciel africain

aire-afriqueLe 28 mars 1961, onze États africains qui venaient à peine d’accéder à la souveraineté internationale signaient à Yaoundé un traité portant création de la compagnie multinationale Air Afrique. Un acte d’une haute portée, à la fois historique, politique et économique, qui marque le début d’une fabuleuse envolée. Le mythique Air Afrique qui allait survoler les cieux des cinq continents durant plusieurs années véhiculait la volonté de tout un continent à occuper une place importante sur le marché mondial de l’aviation civile commerciale. Il symbolisait aussi le début d’une intégration sous-régionale en reliant quelques-unes des métropoles ou capitales du continent.

Malgré sa chute, due à des difficultés diverses et variées, liées notamment à sa gestion, cette compagnie dite « continentale » a joué un rôle primordial dans la vie économique du continent africain de 1961 au 27 avril 2002, date de sa mise en liquidation.

Et depuis l’atterrissage forcé d’Air Afrique, on voit s’envoler, depuis les tarmacs africains, différentes compagnies aériennes tantôt nationales tantôt régionales, qui, peinant à émerger, à accroitre leurs activités, finissent par disparaître – à l’instar d’Air Sénégal et Sénégal Airlines, très probablement – avant d’être remplacées par d’autres. Cette situation induit plusieurs interrogations, notamment sur la possibilité de voir émerger du continent une compagnie à l’image de l’ancienne air Afrique.

1. Qu’est-ce qui explique la défaillance des compagnies africaines ?

Les compagnies aériennes africaines sont confrontées à des difficultés de plusieurs natures, principalement, le prix du carburant et des services, l'insuffisance des infrastructures, le manque de ressources humaines et la concurrence venant des compagnies aériennes non-africaines. En effet, face aux devises du marché international, notamment le dollar et l’euro, la faiblesse des monnaies locales permet difficilement d’investir dans la flotte et de procéder à l’achat de carburants, voire à l’entretien des machines, notamment quand ces achats sont effectués dans un pays du « nord », ainsi que de parer au coût de la dette si celle-ci n’est pas contractée localement. De plus, ces compagnies nationales ont difficilement accès au leasing – opération de crédit-bail – et voient leurs possibilités d’investissement brimées par le FMI et la Banque mondiale. Les avions volent peu (alors que les coûts variables liés au vol sont moins élevés que les coûts fixes liés à la possession des avions), ce qui empêche les économies d’échelle pourtant nécessaires pour limiter les coûts d’exploitation unitaires. En outre, les flottes sont trop souvent composées de vieux avions surdimensionnés par rapport aux besoins locaux. De plus, la politique fiscale de certains pays (visant quelque fois à favoriser le décollage de la compagnie nationale locale au détriment de celles des pays voisins) contribuent à renchérir les coûts de transport, ce qui n’incite pas particulièrement la demande et obère la dynamique de ce marché.

Pour faire face à ces problèmes, les Etats Africains doivent créer un marché unique de transport aérien permettant une meilleure connexion des pays et des régions d’Afrique à travers une industrie viable du transport aérien. En d’autres termes, les marchés nationaux sont trop étroits pour permettre à une compagnie nationale d’émerger et de croître face à la concurrence des compagnies étrangères. Ces dessertes nationales (voire même certaines dessertes intra-africaines) souffrent toutes à la fois d’une demande limitée par le faible niveau de développement, de la faible intégration économique et politique des pays et de certaines contraintes de la régulation étatique. Ces facteurs sont renforcés par les difficultés économiques que traversent certains États ainsi que par la limitation des dépenses publiques sous le poids des institutions internationales et du délabrement socio-économique, sans parler des guerres et crises politiques.

Certaines de ces compagnies nationales disparaissent donc peu de temps après leur création, faute de rentabilité et de soutien étatique, tandis que d’autres vivotent ou n’ont pu se maintenir qu’au prix d’une ouverture de capital aux investisseurs étrangers ou privés.

2. Faut-il faire appel aux fonds privés ?

Contrairement au fonds public, le recours des opérateurs du transport aérien aux sources de financement privé permet l’acquisition d’aéronefs plus modernes, plus économiques, plus fiables et respectueux de l’environnement. De surcroit, il permet de résoudre les problèmes d’interdiction de vols en dehors de l’Afrique dont sont sujettes la plupart des compagnies africaines, tout comme les problèmes liés au blocage au sol pour des raisons de surendettement, à l’instar de l’Airbus de Congo Airways : celui-ci a en effet été bloqué au sol par la justice Irlandaise le 21 Août 2015 en raison d’un conflit entre l’Etat Congolais et la société américaine Miminco LLC.

Le projet de mise en place dans la zone CEMAC (Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale) d’une compagnie régionale, initié en 2002, a finalement été abandonné du fait que les Etats impliqués dans ce projet n’arrivaient pas à mobiliser les financements nécessaires pour la concrétisation de celui-ci.

L’exemple de la compagnie ASKY illustre bien la nécessité d’ouvrir le secteur à des opérateurs privés. ASKY est une compagnie aérienne panafricaine basée à Lomé (Togo) et détenue à majorité par des privés. Créée en 2007, cette dernière couvre actuellement 23 destinations réparties dans 20 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ceci facilite la promotion des affaires, du commerce et du tourisme, ainsi que les échanges culturels intra-africains ou du moins entre les différents pays desservis.

3. De la nécessité d’un secteur aérien africain compétitif

Le transport aérien étant un catalyseur de la croissance économique, la perspective d’un ciel ouvert en Afrique offrirait d’énormes avantages, en permettant la création de nombreux emplois, notamment pour les jeunes générations. Le réseau relierait les États africains aux marchés régionaux et mondiaux, favorisant le tourisme ainsi que la circulation des personnes, des marchandises et d'autres activités commerciales essentielles.

En ce qui concerne la libre circulation des personnes, la réduction de moitié de taxes passagères et sûreté, la suppression du droit de timbre et du visa sont des décisions importantes visant à rendre la destination plus compétitive. Ces mesures permettent de baisser le prix des billets et d’attirer, en plus des tours opérateurs, un public étranger issu de la diaspora africaine. Qui plus est, la suppression de visa entre les pays africains ne peut que favoriser l’intégration des peuples, les échanges culturels et l’épanouissement d’une jeunesse africaine avide de liberté et de partage. En somme, développer l’industrie de l’aviation en Afrique pourrait être l’une des forces motrices de l’intégration régionale sur le continent.

Enfin, rappelons que l’Afrique a adopté la Déclaration de Yamoussoukro relative à une nouvelle politique aéronautique africaine en octobre 1988, ainsi que la Décision relative à la libéralisation de l'accès des marchés du transport aérien en Afrique en novembre 1999. Cependant, la mise en œuvre de cette politique de libéralisation reste timide. En dépit de l’existence de cette décision, le secteur du transport aérien en Afrique demeure encore confronté à de nombreux défis. L’avenir et la survie du transport aérien africain restent liés à la coopération dans tous les domaines, à savoir : technique, commercial, administratif, ainsi qu’à un environnement législatif et réglementaire harmonisé.

Hamidou Cissé

Prendre le leadership de la transition énergétique : l’option de la « désinvesti-réorientation »

solar energy panels and wind turbineIl faut reconnaitre que même si les impacts environnementaux et économiques du modèle énergétique actuel sont bien réels, la transition énergétique est encore communément vue en Afrique comme une urgence occidentale. Les dégradations environnementales et économiques dues par l’action humaine deviennent de plus en plus visibles en Afrique et les différents rapports d'évaluation sont clairs. Si cet aspect des choses réelles n'est pas adressé, il continuera à entraver le développement social et économique du continent. L'Afrique s'est mise à l'écart des différentes stratégies en vue de la transition énergétique. Bien que la majorité des états en Afrique disposent des lois qui annoncent et réglementent la protection de l'environnement, ce qui englobe une bonne utilisation des ressources nationales, on constate une réalité très différente. La vraie lutte contre le changement climatique et pour la protection de l'environnement passe d’abord par la transformation du modèle énergétique fossile en un modèle à énergie renouvelable. L'Afrique est à la traine. A titre de comparaison, la Corée du sud, moins ensoleillé en moyenne annuelle que tous les pays d'Afrique au sud du Sahara et disposant d’une superficie inferieure à de nombreux pays africains qui sont restés politiquement stable depuis les indépendances, possédait la quatrième puissance électrique photovoltaïque installée au monde en 2015. Cette montée en puissance de la technologie d’énergie alternative de la Corée du Sud a amèné le pays à abandonner une centrale électrique nucléaire d’une capacité de production de 587 Mégawatt (MW). Alors que devraient faire les pays d'Afrique subsaharienne afin de prendre le leadership de la transition énergétique ?

La « désinvesti-réorientation » pourrait s'appliquer au domaine énergétique africain dont les plus grandes entreprises sont à travers les états impliquées directement ou indirectement dans la production, la transformation et la distribution des énergies d'origines fossiles. Réussir la transition énergétique en Afrique consiste donc à la mise en place d’une législation environnementale et énergétique proactive comme illustré dans la figure 1. Il s'agit de mettre en place une législation transversale puisque l'environnement et l'énergie sont devenus des domaines transversaux. La législation devrait se baser sur une autonomie de production énergétique durable des bâtiments résidentiels, administratifs et industriels. En d'autres termes la législation devrait exiger aux concepteurs, propriétaires de maisons, immeubles ou usines de produire une partie de l'énergie qu'ils utilisent grâce à des sources renouvelables. Etant donné que la plupart des grandes villes africaines existent déjà depuis plus cinq décennies, c'est donc une transformation ou une reconstruction urbaines intégrant les zones industrielles auquelle les pays africains devraient s'atteler afin de réussir cette transition.

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Figure 1 : Deploiement de la double strategie de desinvesti-reorientation et l autoproduction continue des objets en Afrique

Le modèle de construction en forme trapézoïdale comme illustré dans la figure 2, représente une piste de développement très intéressante vers l’optimisation des énergies renouvelable pour les villes. Il s'agit tout premièrement de capturer un rayonnement optimal en une transformation énergétique et puis d'accumuler toutes les autres formes d'énergie renouvelable ou technologies d’efficacité énergétique qui sont entrain de faire leur preuve à travers le monde. 70% de moins d'utilisation électrique représente une diminution drastique de la pression sur les ressources naturelles en Afrique. Mais l'une des clés de cette transformation est la maitrise et la reproduction de la technologie. L'une des plus grandes difficultés en Afrique face aux défis de la transformation du modèle énergétique est le manque d'usine de fabrication des technologies d'énergie renouvelable.

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Figure 2 : illustration d un modele de construction trapezoidale

Il faut alors développer des unités de production des technologies solaires et éoliennes. L’avantage du système industriel est la création ou l'activation d'un bassin d'innovation par la création d'un réseau actif entre les centres de recherches, les universités, écoles et l'industrie. La mise en place d'usine de conception et de fabrication développera les thèses ou projets de recherche dans les domaines des énergies renouvelables.

Cette industrialisation si elle est très bien réussi permettra l'accessibilité des produits technologies renouvelables. Une estimation et planification de la demande potentielle permettra de mettre en place un ambitieux programme d'accessibilité aux produits et aux technologies renouvelables. Ces ambitieux programmes permettent facilement l'accélération de la transformation architecturale dont les bâtiments ont besoin pour atteindre l'autonomie de production énergétique. Il faudra créer une synergie positive entre les institutions financières localement établies, les propriétaires des maisons ou immeubles, les institutions étatiques, les organisations non gouvernementales, les entreprises de construction et les usines de production de technologie renouvelable afin de faciliter le financement et la vérification de la qualité des produits.

L’autre grande interrogation est : comment financer la construction de ces usines de fabrication des technologies renouvelables en Afrique dans un contexte de disponibilité financière limitée ? La solution adéquate de la « désinvesti-réorientation » comme illustré dans la figure 1, consistera à transférer graduellement mais rapidement les actifs et passifs du secteur énergétiques fossiles vers les secteurs des énergies renouvelables. La « désinvesti-réorientation » permettra une transformation du modèle énergétique africain en changeant progressivement et rapidement les entreprises africaines intervenant dans le domaine des énergies fossiles en entreprises qui développent les technologies d'énergie renouvelable. 

Des acquisitions ou fusion avec les entreprises intervenant dans le secteur du développement et de la distribution des technologies renouvelables permettra un changement sans pour autant créer des tensions sur le plan économique. Il faudra ensuite utiliser les garanties ou le poids financiers de ces entreprises pour garantir les investissements nécessaires à la construction d'unité de production de technologie pendant la mise en oeuvre de la « désinvesti-réorientation ».

Cette stratégie ne constitue qu'un canevas adaptable à tous les pays d'Afrique subsaharienne. La plus grande condition est le niveau de stabilité institutionnelle et du respect de l'état de droit.  Il faudra un état stable avec le respect de la justice  mais aussi un modèle collaborative, démocratique et objectif impliquant toutes les parties prenantes de la communauté nationale ou de l’ensemble économique considéré. 

 Land Garel Banguissa[i]


[i] Land Garel Banguissa est un chercheur, ingénieur et entrepreneur dans le domaine de la durabilité et de l’environnement.  I a travaillé pendant plus de 7 années en Asie, en Afrique et en Europe où il a respectivement occupé les rôles de testeur logiciel, développeur système, Ingénieur en durabilité & environnement, Coordinateur en durabilité & environnement. Il est doublement diplômé de l’université de Staffordshire et l’Institut de Technologie d’Asie Pacifique en sciences de gestion et informatique. Il a aussi poursuivi des formations avancées en technologies énergétiques émergentes (Université Stanford), en système environnemental (ISO Campus) et en durabilité d’entreprise.

Au-delà de l’aspect ludique du sport

On ne saurait parler d’activités sportives à l’échelle mondiale sans mentionner l’Afrique, représenté partout dans le monde par les talents de ses sportifs, dans presque toutes les disciplines. Néanmoins le continent n’est lui même qu’est spectateur et un consommateur de toute cette industrie. Il semble impératif pour l’Afrique, qui dispose d’un potentiel énorme en matière de sport, d’inclure ce secteur dans sa stratégie de développement. Il faudrait à cet effet, une dynamique de groupe et s’appuyer sur le secteur privé.


une_sportLe sport est un secteur qui subit plusieurs mutations, qui connaît une croissance assez rapide et qui ne laisse personne indifférent. Cependant son incidence macroéconomique est sous–estimée. Il est selon PricewaterhouseCoopers, le seul secteur qui n’a pas connu la crise et son marché à l’échelle mondiale devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 3,7 % d'ici à 2015[1]. Du fait du manque de données sur ce secteur, il serait difficile de chiffrer son poids et son impact dans une économie. Toutefois, s’il intéresse autant de monde c’est qu’il revêt une certaine importance. Sur le plan économique, il peut influencer positivement la valeur ajoutée de certains secteurs et le pouvoir d’achat notamment à travers les grandes manifestations sportives mais aussi être créateur d’emplois (directs et indirects). En effet, la mondialisation, la commercialisation et la professionnalisation du sport ont placé ce secteur au centre même de l’activité économique : la vente de droit de diffusion, les ventes de billets, l’augmentation du mécénat sportif, la construction et l’installation de structures sportives et de loisirs se sont développés un peu partout dans le monde.

Dans cette dynamique, l’Afrique reste en retrait et maintient son statut de « livreur » de matières premières. Un article[2] de Radio France Internationale recensait en 2008 près de 260 joueurs africains évoluant dans des championnats de haut niveau (1ère division) en Europe, sans compter ceux qui se font former et ceux évoluant dans des catégories inférieurs. Nombreux sont ceux qui évoluent en Amérique du Nord (notamment Etats-Unis) et très récemment dans les pays du Golfe (notamment le Qatar et Emirats Arabes Unis). Et là encore, il ne s’agit que du football. Même si des compétitions existent au niveau local, y compris des compétions à l’échelle africain, il n’en demeure pas moins que les sportifs africains sont plus portés par une aventure à l’extérieur quand ils en ont l’opportunité. De fait, le sport est d’abord perçu en Afrique comme une activité ludique et dans une moindre mesure comme une certaine fierté nationale mais très rarement comme une opportunité d’affaires.

Loin d’être le secteur porteur de développement pour l’Afrique, le sport a aussi une partition à jouer dans le concert du développement en Afrique. Si le talent et le potentiel de l’Afrique en matière de sport n’est plus à démontrer, il serait nécessaire de repenser la stratégie africaine concernant ce secteur afin de répondre à ses besoins et de bénéficier de façon effective de ses retombées.

Avoir une meilleure visibilité du secteur : les statistiques

Si le secteur du sport est capable de contribuer aux objectifs de développement, notamment en termes d’emplois, dans les pays africains ; il est nécessaire de rendre explicite cette contribution. Cette visibilité permettrait d’orienter les actions à mettre en œuvre afin de tirer profit de son potentiel. En Afrique, des statistiques sur le secteur du sport sont complètement inexistantes. Il faudrait dès lors identifier des méthodes et des mécanismes pouvant permettre la prise en compte du sport dans la définition des politiques de développement. Ceci devrait être possible sans pour autant avoir à engager des fonds supplémentaires pour créer des structures spéciales ou des mécanismes supplémentaires. Le dispositif pourrait déjà se reposer sur les structures statistiques existant. Autant, il est possible de disposer des informations sur le secteur agricole et touristique, il devrait être possible de disposer d’informations directement et indirectement liées au sport, auprès des services dédiés (Fédérations, Ministère, etc.). Il conviendrait avant toute chose, de considérer le sport comme une activité économique et d’en déterminer une définition qui permettrait de couvrir les activités de base du sport (exploitation d’installation sportive et les services) et les autres acteurs économiques directement ou indirectement touchés par ce secteur (les centres de formation, les sociétés de publicité, les fabricants d’articles, les commerçants, le secteur touristique, le secteur de la santé et etc.).

Ceci ne suppose pas que le secteur du sport n’est pas pris en compte dans l’établissement des gradeurs économiques des pays mais stipule juste que le manque de données spécifiques à ce secteur empêche sa visibilité et d’accéder aux opportunités qu’il offre.

Financer les activités sportives

Afin de profiter au maximum des retombées du secteur du sport, il est impératif d’y investir. Si nous élargissions le champ du sport à tous les secteurs qui de façon direct ou indirect y sont impliqués, il serait impératif aux pays africains de s’imposer un cadre d’investissement dans le secteur du sport. Cela permettrait à ce secteur d’émerger à un niveau de compétitivité économique de classe mondiale. La principale source de financement des organisations sportives en Afrique est constituée des cotisations d’adhésion, des subventions provenant des fédérations sportives internationales (FIFA pour le football, FIBA pour le basket, …) et des Etats, et dans une moindre mesure de partenaires privés très irréguliers, qui se servent occasionnellement des compétitions pour faire de la publicité ; plaçant ainsi le sport en Afrique à un niveau amateur, bien que les clubs sportifs se disent « professionnels ». Pour preuve, pour un match de 1re division de football ou de basket en Afrique, les spectateurs peu nombreux ne sont pas aptes à payer leur ticket et quand l’entrée est payante la contrepartie est insignifiante. Dans certains cas, quand le spectateur doit choisir entre un match d’une ligue européenne et une ligue africaine, le choix est vite fait. Ceci appelle à définir une stratégie devant permettre de professionnaliser le sport afin d’y attirer des investissements novateurs ; et cela nécessitera une forte implication des Etats. 

Si l’on perçoit le sport comme une industrie du divertissement avec comme intrants les sportifs et les structures, les consommateurs ne seront prêts à dépenser que si le produit final (la prestation) est de bonne qualité. Il s’agira alors pour l’Etat de développer les infrastructures, à travers des partenariats public-privé par exemple. Cette approche incitera à la recherche de la rentabilité des sites. Pour ce faire, le rendement des intrants (les sportifs) sera renforcé en leur fournissant des équipements adaptés en plus d’une meilleure rémunération, engendrant de facto une meilleure qualité des prestations. Il s’en suivra le développement de tout un ensemble d’activités connexes, qui elles-mêmes pourront se muter en des entités plus importantes : équipementiers, audiovisuelle, compagnie publicitaire, industrie de l’automobile et secteur du transport, industrie agro-alimentaires, immobilier ; favorables à la création d’emplois. Les pays pourront ainsi se positionner pour organiser des compétitions de classe mondiale, faisant ainsi par le même temps la promotion touristique du pays. En retour, les Etats pourront percevoir des revenus, au travers des mécanismes de taxation et l’exploitation des structures, qui pourront être réinvestis dans d’autres secteurs comme le tourisme.

Une approche communautaire

Compte tenu du caractère variable du sport en fonction des spécificités locales, ce secteur peut constituer un instrument de développement à l’échelle nationale et continentale, s’il s’insère dans une dynamique communautaire. En effet, il existe une synergie assez considérable entre le sport et le tourisme, favorisant la modernisation des infrastructures et suscitant la mise en place de nouveaux mécanismes de financement. Compte tenu de la situation économique actuelle des Etats africains, ils ne pourraient engager seuls à l’échelle nationale le développement des infrastructures sportives. Ainsi, il serait profitable aux pays africains d’engager de façon communautaire au travers de fonds communs, même si l’objectif première n’est pas la promotion du sport. Des projets de nature sportive pourraient être greffés à des projets visant à la promotion du tourisme, à l’urbanisation, à la compétitivité ou encore plus simplement dans des projets de coopération. De plus, certaines actions mis en place ou à mettre en place au niveau régional (libre circulation des personnes et des biens, harmonisation des droits fiscaux, …) peuvent servir dans la préparation et dans la pérennisation de manifestations sportives importantes et peuvent en retour profiter de ces manifestations pour consolider l’intégration. Tel peut être le cas avec la CAN ou l’Afrobasket, où des projets communs peuvent être cofinancés pour assurer le transport des compétiteurs, leur hébergement ou même faciliter leur passage d’un pays à un autre.

Ces dernières années, le secteur du sport s’est magistralement transformé en une industrie qui acquiert de plus en plus d’importance économique un peu partout dans le monde mais l’Afrique semble plutôt désintéressée par ce secteur. Si le secteur est difficilement maitrisable empêchant toute prise de décision, il semble impératif pour l’Afrique, qui dispose d’un potentiel énorme en matière de sport, d’inclure ce secteur dans sa stratégie de développement. Pour ce faire, il faudrait une dynamique de groupe et s’appuyer sur le secteur privé tout prenant soin de définir un cadre réglementaire et d’information afin de circonscrire la pratique du sport mais aussi de mesurer d’autre part, la contribution de ce secteur aux économies africaines.

Foly Ananou

L’Afrique à la quête d’un APE porteur de développement : Mythes et réalités d’un projet improbable

78329210L’Accord de partenariat économique (APE) est le dernier des nombreux processus de négociations commerciales dans lesquels les pays africains se sont simultanément engagés. De nombreuses réflexions ont déjà fort pertinemment documenté les implications et enjeux de ces processus, qui se chevauchent ou se juxtaposent, sur les faibles ressources humaines, matérielles et institutionnelles des Etats africains, pour qu’il soit utile d’y revenir.
« A bien des égards, il en va du développement comme de la colonisation et de l’esclavage. Ces trois mots ne désignent pas seulement des réalités inégalement oppressives, contraignantes et dominatrices. Ils correspondent aussi à des concepts dominants »
De fait, ces processus, même s’ils opèrent à des niveaux différents, exercent aujourd’hui une forte pression sur les Etats comme sur les institutions d’intégration régionale, qui sont obligés de prendre des engagements dans chacun d’eux, sans avoir les moyens de mettre en cohérences les buts, les obligations et les attentes qu’ils ont sur les eux et les autres.
On peut cependant postuler que si les Etats africains se sont engagés dans ces nombreux processus commerciaux, c’est partiellement parce qu’ils y sont plus ou moins contraints, mais c’est aussi, partiellement, parce qu’ils y trouvent ou espère y trouver leur compte. Le commerce est devenu partout un puissant moteur de croissance et de développement. Il a un potentiel positif que de nombreux pays, en particulier en Asie, ont réussi actualiser pour se hisser au rang des nations émergentes qui comptent sur le marché mondial. Si donc les Etats africains qui comptent pour quantité négligeable dans les échanges mondiaux ont fait de choix de s’engager dans les négociations multilatérales, bilatérales et régionales visant à libéraliser ce commerce, en sachant ou non à priori les coûts d’une telle option, c’est semble-t-il en vertu du fait qu’ils cherchent par ce biais à promouvoir la croissance, le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Cette ambition est noble et peut justifier bien des tentatives. Mais l’Histoire économique nous enseigne que si la trajectoire du développement est toujours différente d’un pays à un autre, celui-ci requiert, partout, un certain nombre de conditions nécessaires et de préalables quasi incontournables. Sans rentrer dans un débat philosophico-idéologique sur le bien-fondé ou non de la libéralisation par opposition au protectionnisme, ce débat pour nous est sans intérêt, on peut toutefois avancer que la libéralisation n’est pas une fin mais une étape ultime d’un long processus qui dans ses phases initiales, ne peut pas ne pas créer un environnement économique qui protège, encadre, appui et oriente les structures de production qu’elles soient industrielles, agricoles ou de services. De manière plus ou moins imagée, on peut comparer dans ce contexte, une économie à un corps vivant : aucun parent ne mettrait son nouveau-né dans la rue, lui demandant de supporter la compétition avec les autres et les rigueur de la vie en société sous prétexte qu’il est un être humain comme les autres. Un parent bien conscient de ses obligations garde son nouveau-né dans son foyer, le couve, l’éduque, lui apprend petit à petit les règles, processus et astuces de la vie en société pour lui donner toutes les chances de supporter plus tard, lorsqu’il atteindra la majorité, la compétition avec les autres humains.
Ce qui est valable chez l’être humain, l’est tout autant pour une économie. Le concept de « l’industrie naissante », certainement empruntée de cette symbolique humaine, et loin d’être galvaudée. Il a été pendant longtemps au centre de nombreuses constructions théoriques et a marqué de nombreuses de stratégies de développement dans les pays du Nord comme dans les pays émergents. La question centrale à laquelle l’Afrique devrait répondre avant de s’engager dans un accord commercial de libre-échange avec la première puissance commerciale du monde, quel que soit le niveau d’asymétrie, de réciprocité, les programmes d’accompagnement ou l’assistance financière promis, est de savoir si ses structures de production industrielles sont suffisamment matures pour s’ouvrir définitivement à la compétition avec l’Europe ; si son agriculture est prête pour ce niveau de libéralisation ; si son secteur des services peut se payer le luxe d’être ouvert à l’Europe dans un contexte où les régions du continent n’ont même pas encore de réglementations communes dans de nombreux domaines ? Beaucoup d’experts du continent et de l’Europe, engagés tête baissée, dans les négociations en vue de conclure un APE, soi-disant porteur de développement, n’ont pas de réponse à ces questionnements, si tant est qu’ils se sont mêmes posés la question. Pourtant, un dirigeant du continent y a déjà apporté une réponse satisfaisante à laquelle nous devrions prêter attention : « les nouveaux accords de partenariat économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l'industrie africaine n'a pas la capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d'énormes pertes de recettes douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains. Selon une simulation du Centre d'étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes fiscales du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115 milliards de francs CFA. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux APE, m'indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d'euros par an. »

Le développement à côté de l’APE et l’Afrique à côté du développement…

Les négociateurs des régions africaines soutiennent inlassablement qu’ils sont en train de travailler à obtenir un APE porteur de développement. Nombre d’entre eux se perdent cependant dans d’inextricables explications lorsqu’on leur demande en quoi consiste le développement attendu de l’APE.
En réalité le concept du développement désormais toujours attaché à l’APE n’est que le vernis destiné à masquer le douloureux rapport que nous avons avec cet accord angoissant. Le développement est le lubrifiant qui fait passer la pilule. A part les négociateurs de la Commission européenne, les lobbies et milieux d’affaires derrière eux et quelques hommes politiques européens et africains qui se gardent jusqu’ici d’afficher clairement leurs positions, fort peu de personnes disent du bien de cet accord qui a des ambitions plus commerciales et stratégiques que de recherche d’une simple compatibilité avec l’OMC et de promotion de l’intégration et du développement.
En Afrique de l’Ouest par exemple on estime qu’il suffirait d’élaborer un programme de développement de l’APE, tiré du programme communautaire de développement (PCD) dont la région s’est dotée, et annexé ce programme au texte APE comme une partie intégrante, pour en faire un APE de développement. Le problème du développement lié à l’APE risque fort d’être plus complexe que cela et la région semble se tromper de démarche et de séquence. C’est malheureusement l’erreur que de nombreuses régions sont en train de commettre.
Les programmes de développement que les experts du continent s’évertuent à élaborer pour les annexer à l’accord sont ce que les communautés régionales doivent de toute manière réaliser, avec ou sans APE. Le développement des régions et du continent sera un processus nécessairement endogène et auto-entretenu. Du Plan d’actions de Lagos au NEPAD, de nombreuses initiatives ont été prises à l’échelle du continent pour jeter les bases de l’intégration, de la croissance et du développement. L’Europe y a contribué bon an mal an, à la mesure de ses ambitions, de ses stratégies et de ses intérêts pour le continent. Le résultat est aujourd’hui ce qu’il est. Il serait illusoire cependant de penser que ce que l’Europe n’a pu réussir à réaliser, dans un contexte autrement plus favorable, elle pourrait le faire maintenant. Sa contribution, comme par le passé, viendra seulement compléter les efforts autonomes du continent pour financer son propre développement. En Afrique de l’Ouest, elle a annoncé que sa contribution au financement du Programme indicatif régional ne peut dépasser 600 millions d’euros, en dépit de l’insistance de la région pour des fonds complémentaires destinés à supporter les coûts d’ajustement auxquels les entreprises de la région feraient inéluctablement face du fait de la libéralisation.
L’APE porteur de développement est un mythe. Dans le contexte d’une région marquée par une faible intégration, des structures de production encore fragiles, une économie vulnérable, extravertie, peu diversifiée et fortement dépendante de l’Europe, cet accord de libre-échange tel qu’il se dessine, n’aura pas le potentiel de développement attendu. Une analyse simple permet en effet de comprendre qu’une liste de projets, de programmes et d’infrastructures à financer, que l’on annexe à l’accord, mais pour le financement desquels l’Europe n’a pris aucun engagement, aura peu de chance de conduire à la croissance et au développement de l’Afrique de l’Ouest, si au même moment la région s’enferme dans une portée de libéralisation large , des délais de mise en œuvre et des périodes de transition courts, ainsi qu’une faible asymétrie. Cette réalité commande que les efforts et les stratégies soient en priorité concentrés sur la réalisation préalable de l’intégration régionale qui seule peut permettre d’atténuer les effets potentiellement néfastes d’une libéralisation prématurée, ambitieuse et non maitrisée. Qu’on ne s’y trompe pas. Le problème qui se pose avec les APE est un problème d’équité. De nombreux défenseurs du projet européen estiment que la prise en compte de cette notion d’équité n’a pas vraiment sa place dans les discussions car tous les pays et toutes régions d’Afrique sont volontaires et ont fait le choix de négocier l’APE. L’argument mis en avant consiste à dire qu’aucun pays n’est obligé de signer s’il estime qu’il n’en tire pas un bénéfice net. Si aucun pays n’a quitté la table de négociation et tous continuent d’affirmer leur engagement à rechercher un accord complet et bénéfique, c’est qu’ils estiment en tirer profit. Mais soutenir ces idées, c’est méconnaitre la réalité des rapports de pouvoir entre pays développés et en développement dans ce genre de processus. Dans le contexte actuel de ces relations, l’Europe est à peu près capable d’obtenir ce qu’elle veut des pays africains, d’une part parce individuellement aucun pays n’est capable de lui résister, et d’autre part ils n’ont pas le niveau d’intégration suffisant pour lui faire face. Nous avons bien vu les moyens qui ont été utilisés pour contraindre la Côte d’Ivoire et le Ghana à signer un APE Intérimaire .
Un APE porteur de développement est donc d’abord et avant tout un accord assujetti à l’intégration régionale effective. Celle-ci doit-être mesurable à travers des indicateurs spécifiques et se poser comme un préalable incontournable à la signature de l’APE. La mise en œuvre des instruments, des institutions et des politiques régionales nécessaires pour rendre l’intégration effective doit être achevée ou au moins suffisamment avancée avant la signature de l’accord de libre-échange. Ces politiques portent entre autres sur les secteurs agricole, industriel, des services, de l’investissement, des les marchés publics et de la concurrence entre autres. Elles doivent être appliquées, évaluées et corrigées. Et c’est de leur niveau de réalisation et de succès que doit dépendre le niveau d’ouverture graduelle auquel les régions d’Afrique devraient s’engager. Cela passe par la mise en place des indicateurs de l’intégration et du développement qui doivent permettre de suivre l’évolution des régions pour qu’à chaque étape, les niveaux d’engagement appropriés soient pris, les réformes pertinentes soient appliquées et les politiques efficientes mises en œuvre avec pour seule ligne d’horizon la promotion de la croissance et du développement. En s’appuyant sur l’expérience et les leçons tirées d’accords conclus ailleurs dans le monde, les régions africaines pourraient, en plus de leurs efforts pour la réalisation de l’intégration, travailler à élaborer, le moment venu, un texte d’accord qui prend en compte dans le fond comme dans la forme les préoccupations de développement du continent. Les Chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la CEDEAO qui se sont réunis en janvier dernier à Ouagadougou ont donné un mandat explicite pour que l’accord en gestation soit ancré dans la vision de l’intégration et du développement de l’Afrique de l’ouest. Le dernier Comité ministériel de suivi de l’APE tenu à Nouakchott en février a aussi réaffirmé une telle volonté politique.
Pour les régions africaines et ACP en négociation, le texte de l’APE ne doit être acceptable que s’il contient des dispositions claires et des engagements de l’Europe sur des questions de développement identifiés par les régions elles-mêmes. Chaque Chapitre de l’accord doit contenir des dispositions (article) précises renvoyant au développement et à des engagements de l’Europe conformément à l’accord de Cotonou. L’accord lui-même doit avoir un Chapitre spécifique sur les engagements en matière de développement, qui soit aussi contraignant que les autres chapitres et adossé au programme de développement et à la prise en charge des coûts d’ajustement qui seront induits.
Arrêtons-nous un peu sur la question des coûts d’ajustement, l’une des plus importantes contraintes que pose l’APE. En transférant les ressources d’un secteur à un autre au cours de la réforme, fiscale ou non, la libéralisation induite par l’APE va engendrer inévitablement des coûts. Par exemple, premièrement, en cas de réduction des droits de douane, les entreprises locales en compétition avec les importations pourraient être amenées à réduire leur production face à une concurrence nouvelle, ce qui laisse une partie de leurs capitaux et de leur personnel inemployés pendant un certain temps. Les efforts des travailleurs licenciés pour se reconvertir dans d’autres domaines et pour trouver un nouvel emploi vont ainsi engendrer des coûts généralement supportés par eux-mêmes et par l’Etat.
Deuxièmement, pour tirer profit de l’accès au marché européen, en principe plus favorable, à cause entre autres des règles d’origine plus flexibles, les Etats devront faire des investissements importants dans les infrastructures et les entreprises dans les nouvelles installations ou technologies.
Troisièmement, en réduisant les droits de douane, la libéralisation réduit aussi les recettes de l’Etat. Cette réalité est d’ailleurs la conséquence de l’APE la plus médiatisée. Comme les sources de revenus de remplacement sont limitées, les coûts de cette perte de recettes sont très élevés pour les Etats. L’alternative qui s’offre dans ce contexte est donc soit de réduire les dépenses publiques soit d’augmenter d’autres impôts, ce qui dans les deux cas, peut impacter négativement sur la croissance.
Beaucoup estiment que ces coûts d’ajustement sont le prix à payer pour profiter des bienfaits du libre-échange que promet l’APE. La question est cependant de savoir si le prix n’est trop élevé par rapport à la marchandise. Aujourd’hui la quasi-totalité des pays africains s’est engagée dans les négociations multilatérales, bilatérales et régionales. Dans un tel contexte, la recherche de la cohérence devrait être le maitre-mot de la stratégie des régions pour qu’aucun engagement dans l’APE ne soit en contradiction avec un engagement à l’OMC ou dans le cadre de l’intégration. Aucune disposition de l’APE ne devrait en outre être de nature à entraver, empêcher ou retarder la réalisation d’un projet ou objectif régional dans le cadre des différents traités sur l’intégration.
L’une des faiblesses de la stratégie de négociation des régions, en particulier l’Afrique de l’Ouest, c’est de ne pas avoir clairement identifié les domaines où ses positions sont non négociables (lignes rouges), les domaines où elle serait prête à faire des concessions (ainsi que les conditions qu’elle pourrait poser) et enfin les plans et stratégies de replis au cas où l’Europe ferait preuve d’une intransigeance inattendue, ce qui plus que vraisemblable, au vue de ses dernières stratégies et manœuvres. L’une des manifestations les plus tangibles de ce manque de vision prospective apparait tout particulièrement à travers l’indécision des régions africaines devant l’opportunité ou non d’inclure la clause de la Nation la Plus Favorisée (NPF) dans l’APE. L’inclusion d’une telle clause, qui postule un engagement de la région à étendre à l’Europe tout avantage commercial plus favorable qu’elle accorderait à un partenaire commercial majeur, est non seulement en contradiction avec la Clause d’habilitation de l’OMC qui a pour objectif de renforcer le commerce Sud-Sud, mais elle rame à contrecourant d’une tendance actuelle qui voit le commerce entre l’Afrique et les pays comme l’Inde, le Brésil et la Chine se renforcer tandis que les échanges avec l’Europe déclinent même si cette dernière reste encore le premier partenaire et client de l’Afrique. L’entêtement de l’Europe à l’inclure dans l’APE cache mal sa volonté de barrer la route à la Chine, à l’Inde au Brésil et aux pays en développement émergents pour consolider ses parts de marché en Afrique. Un partenaire commercial majeur, tel que le conçoit l’Europe, s’entend de tout pays développé qui compte pour plus de 1% des exportations mondiales de marchandises, ou de tout groupe de pays comptant collectivement pour plus de 1,5%. Selon les données de l’OMC, le Brésil comptait pour 1,5% en 2006, contre 16,4% pour l’UE et 11,5% pour les États-Unis. D’autres pays en développement affectés comprendraient la Chine, qui comptait pour 10,7% des exportations cette année-là, ainsi que le Mexique, la Malaisie, l’Inde et l’Indonésie (qui dépassent le seuil, avec entre 2,8% et 1,1%). On comprend bien, sous cet angle, que ces pays en développement sont particulièrement visés.
Le Vice-ministre Sud-africain au commerce et à l’industrie a indiqué récemment la voie à suivre : « Selon cette clause, les droits tarifaires sur les produits de l’UE ne peuvent être supérieurs aux prélèvements imposés sur les produits en provenance de pays en développement. Les APE empêchent donc d’autres pays en développement de tirer profit de l’introduction de leurs marchandises sur les marchés des pays en développement (…) Cela nous placerait définitivement dans une relation basique avec l’Europe…une limitation inacceptable de notre souveraineté »
L’Europe sait bien pourquoi elle veut les éjecter du marché africain. Mais l’Afrique sait-elle seulement pourquoi elle devrait les y garder ? Sa position sur cette clause donnera une idée claire de sa compréhension des enjeux économiques et commerciaux.


Article écrit par Dr Cheikh Tidiane DIEYE – Coordonnateur du CICAD.


 I. P. Laléyê, in « la natte des autres », sous le Dire De J. Ki_Zerbo, 1992.
Président Abdoulaye Wade, in Passerelles, Vol. VIII n° 5, Nov-Dec 2007.
Stiglitz, J. (2007) « Pour un commerce mondial juste…. » p. 217.
 

Entretien avec Nunu Ntshingila, future directrice de Facebook en Afrique

12c509eLorsqu’elle débute sa carrière dans le secteur de la publicité à la fin des années 80 en Afrique du Sud, Nunu Ntshingila découvre un univers qu’elle décrit comme étant « très blanc et très masculin ». Retour sur une Afrique en pleine (r)évolution digitale, au travers du regard d’une femme qui prône l’afro-responsabilité sur le continent.

Une militante de l’accès des femmes au leadership

« Après un séjour aux Etats-Unis pour mes études, je suis rentrée en Afrique du Sud pour travailler chez Nike en communication. A mon retour dans le secteur de la publicité, l’Afrique du Sud se démocratisait. Je me souviens particulièrement des débats sur le rôle des femmes dans le développement du pays post-apartheid. C’était rassurant de nous savoir incluses dans ce genre de discussions. » raconte Nunu Ntshingila qui a bientôt 50 ans, et s’apprête à quitter le monde de la publicité pour prendre la tête de Facebook en Afrique.  En 2011, Nunu Ntshingila rejoignait le comité de direction d’Ogilvy & Mather, devenant ainsi la seule représentante du continent africain à siéger parmi une trentaine de cadres.

« L’accès des femmes à un poste de direction est un facteur d’autant plus déterminant dans l’industrie créative où les femmes doivent prendre la parole pour être représentées avec respect ». La représentation, explique Nunu Ntshingila, passe également par la question de la race, une question qui, selon elle, n’est pas prête de disparaître si facilement en Afrique du Sud. Elle estime qu'une meilleure répartition des richesses serait une bonne solution pour remédier aux tensions raciales qui divisent encore le pays: «  Nous devons nous assurer que la diversité puisse prendre racine dans notre environnement. Tout le capital appartient aujourd’hui à la minorité blanche, nous devons nous assurer que ce capital appartienne à la majorité. »

Un marché publicitaire plus fort grâce aux nouvelles technologies

En 2015, la croissance du marché publicitaire en Afrique est estimé à 8%, contre 5% sur le reste du marché mondial. A ce sujet, Nunu Ntshingila confirme « Il est vrai que le marché évolue énormément. Mais j’insiste sur le fait que nous devons conduire cette évolution par nous-même. Quand on parle de l’Afrique en mouvement, il est d’abord important que les Africains s’approprient ce discours. Je suis sceptique quand ce message provient de l’extérieur du continent. Nous devons grandir l’Afrique en tant qu’Africains. Les gens ici veulent aujourd’hui vivre dans de meilleures conditions. C’est à ce titre que la diaspora se rend compte du potentiel du continent et rentre en Afrique. »

Interrogée sur l’impact du digital, elle admet ne pas croire en un aspect négatif de cette révolution pour le marché de la publicité. « La presse était un pilier de nos stratégies et on sent bien en Afrique du Sud une orientation du marché publicitaire vers le digital. Il faut s’adapter aux nouvelles technologies »

Des nouvelles technologies, comme le mobile

Selon une étude révélée en début d’année par Frost & Sullivan sur les tendance d’usage du mobile en Afrique subsaharienne, le taux de pénétration mobile devrait atteindre 79% en 2020.   « Le mobile a permis un bond en avant sur notre façon de communiquer avec les consommateurs. La technologie permet de réduire l’écart entre le milieu urbain et le milieu rural. C’est aussi un outil puissant pour entendre les voix des plus pauvres. Il a même transformer notre manière de communiquer entre pays. L’époque ici est à l’effacement des frontières », affirme celle qui a participé au développement du groupe international de publicité dans quatorze pays africains.

Malgré le regard optimiste qu’elle porte sur l’état actuel du marché publicitaire africain, Nunu Ntshingila demeure lucide sur le chemin qu’il reste à parcourir. Il existe des disparités notamment entre le Maghreb, l’Afrique du Sud et le reste de l’Afrique subsaharienne. Un rapport de l’Alliance For Affordable Internet (L’Alliance pour un internet abordable) montre que les pays d’Afrique francophone sont d’autant plus touchés par les coûts élevés du haut-débit. « En Afrique, ce qui va déterminer l’évolution de la publicité, c’est le coût du haut-débit », déclare-t-elle. Ce coût compte parmi les nombreux obstacles auxquels la future directrice de Facebook devra faire face pour développer le réseau social sur le continent africain dès le mois de septembre.

Interviewé réalisé par Ndeye Diobaye pour l'Afrique des Idées

Comment moderniser l’agriculture africaine ?

agroforesterie-kenya_lightboxEn 2100, l’Afrique devrait compter plus de quatre milliards d’habitants. Une forte pression démographique qui représente autant un défi qu’une opportunité pour les paysans du continent. Il y aura bien sûr de nombreuses bouches à nourrir, mais aussi un marché intérieur en pleine expansion, qui pourra profiter aux agriculteurs s’ils parviennent à moderniser leurs exploitations, avec l’appui de politiques agricoles plus ambitieuses.

On aurait tort de présenter l’agriculture africaine sous le seul angle de l’insécurité alimentaire, comme un secteur souffreteux, incapable de répondre aux besoins du continent. “Les exploitations familiales, qui sont les plus répandues sur le continent, se caractérisent surtout par leur grand hétérogénéité”, témoigne ainsi Jean-Luc François, responsable de la division agriculture et développement rural à l’Agence française de développement (AFD). “Certes il peut y avoir de petites parcelles vivrières faiblement productives et parfois en voie d’appauvrissement, mais il y a aussi de nombreuses success stories, que ce soit dans les exploitations hyper-productives de cacao, d’hévéa ou de coton destinés à l’exportation, ou dans des PME très dynamiques, tournées vers le marché domestique”.

Sur les pages de L’Afrique des Idées, René Ngiriye, un jeune exploitant sénégalais, avait par exemple livré un témoignage passionnant sur un projet entrepreneurial réussi, avec d’un côté une production de tomate destinée aux consommateurs locaux, et de l’autre du melon pour l’exportation.

Tout l’enjeu est ainsi de favoriser le développement de véritables opérateurs économiques agricoles structurés et tournés vers une demande intérieure qui ne cesse de croître. Car faute de mécanisation, les exploitations sont souvent trop petites, de un à deux hectares en moyenne. Et l’agriculture, qui reste le principal employeur du continent, et fait vivre parfois de 60 à 80 % de la population d’un pays, ne parvient toujours pas à faire face à la demande de certains produits comme le riz, le lait ou les oléagineux. Avec l’exemple emblématique des Sénégalais, qui consomment plus d’un million de tonnes de riz chaque année, tandis que la production locale dépasse à peine les 200 mille tonnes.

S’unir pour avoir accès au crédit

La modernisation agricole passe d’abord par le développement de capacités d’investissement, souvent trop faibles, voire inexistantes. L’accès au crédit reste extrêmement difficile pour un paysan africain moyen, qui dans la plupart des cas a peu de fonds propres. Rares sont les banques, structures de micro-crédit comprises, à s’aventurer dans un secteur soumis aux aléas climatiques et dont les taux de rentabilité sont somme toute assez réduits. Il ne faudra pas non plus compter sur un système de subvention ou de financement public direct dans des États qui restent fragiles économiquement.

C’est donc avant tout du privé, que peuvent venir les capacités d’investissement. Et des paysans eux-mêmes, s’ils parviennent à se structurer pour atteindre une taille critique, et négocier collectivement l’achat d’intrants, de machines ou un accès au crédit à des taux non prohibitifs. Les exemples réussis de coopératives sont déjà nombreux sur le continent. Citons Faso Jigi (« Espoir du peuple » en Bambara) au Mali, qui rassemble près de 5 000 producteurs de riz, de sorgho, de mil ou d’échalotes, notamment des femmes, et les fait bénéficier d’accès au crédit et aux équipements.

À une échelle plus large, le développement agricole passe aussi par la structuration en filières interprofessionnelles, à l’image de l’organisation réussie de la filière céréalière en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso, où les groupements, syndicats et fédérations agricoles rassemblés pèsent davantage auprès des pouvoirs publics, et peuvent pratiquer le plaidoyer, au niveau national comme sous-régional.

Outre le soutien au crédit, les agriculteurs devraient aussi bénéficier beaucoup plus largement de systèmes de micro-assurances sur leurs productions et leurs élevages. Des expériences pilotes ont déjà été menées en Afrique de l’Ouest, mais elles restent pour le moment marginales. De telles assurances peuvent pourtant protéger efficacement les agriculteurs des aléas climatiques, notamment des grandes sécheresses sahéliennes, en modélisant les risques grâce au suivi satellite de leurs exploitations, et les effets de la météo sur les rendements.

« L’une des difficultés est enfin l’accès au foncier de jeunes paysans au capital restreint », complète Jean-Luc François, en charge de la division agriculture à l’AFD.“Il faut développer plus largement les systèmes de fermage ou de métayage, qui permettent aux jeunes de se lancer sans être directement propriétaire. Il faut leur donner l’envie de s’installer”, conclut-il en employant une formule, “les trois “F” du jeune agriculteur : “formation, financement et foncier”.

Offrir un environnement favorable

Car faute de moyens pour soutenir durablement leur agriculture, les États africains doivent au moins tenter d’offrir un environnement favorable à leurs paysans. Il y a d’une part les infrastructures et les équipements de base, eau, électricité, et routes, pour éviter l’enclavement des régions agricoles. Il y a aussi l’indispensable formation agricole. Ces dernières années, le Cameroun s’est par exemple lancé dans une politique agricole plus audacieuse saluée par les experts. Tout en soutenant les projets d’équipements des communes rurales, les autorités ont renouvelé considérablement l’offre de formation agricole, avec le soutien des bailleurs internationaux.

Depuis 2007, le programme d’Appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et des pêches (AFOP) a permis de réorganiser en profondeur les formations et de les mettre en adéquation avec les besoins du secteur agricole grâce au système de l’alternance. Certes il manque encore des ressources financières et du personnel pour que l’AFOP fonctionne à plein régime, ou des garanties pour assurer sa pérennité, mais les premiers bilans sont très positifs.

Autre outil de la politique agricole, celui des taxations aux frontières au bénéfice de la production locale. Un levier nécessaire mais délicat à employer. Les taxes doivent malgré tout rester raisonnables, pour éviter de faire trop grimper les prix au détriment du consommateur, et elles doivent être harmonisées avec les pays voisins, pour être véritablement efficaces.

Les TIC et le développement agricole

Dernière piste, prometteuse, celle de l’utilisation croissante des nouvelles technologies au service du développement agricole. L’Afrique des Idées a déjà consacré un article à ce sujet. Avec de simple téléphones portables (et pas nécessairement des smartphones), les agriculteurs peuvent avoir accès à des informations qui leur manquaient jusqu’ici sur les marchés, les cours, et la demande en temps réel. Ce type de solution se développe dans des pays comme le Ghana notamment. Et elles sont amenées à évoluer à mesure que les paysans seront équipés et connectés. Ils pourront ainsi mieux gérer leurs commandes et leurs productions, et se prémunir là encore des risques climatiques.

Reste enfin l’argent sonnant et trébuchant que sont censés investir les États africains dans leur politique agricole. En 2003, lors du sommet de Maputo, ils s’étaient engagés sur une échéance de cinq ans, à consacrer 10% de leurs budgets nationaux au secteur agricole chaque année. Plus de dix ans après, les résultats sont très disparates. Seuls sept pays africains (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Malawi et Éthiopie) ont respecté leurs promesses, regrettent les ONG comme Oxfam, qui avait rassemblé en 2013 plusieurs artistes pour interpeller leurs gouvernements avec cette question: “où sont passés nos dix pourcents ?”.

Adrien de Calan

Le devoir de résilience des banques transfrontalières africaines

VISUAL_ECOLa décennie en cours a vu le continent africain émettre des sons retentissant avec une aberrante insistance, dans les oreilles averties, intéressées ou juste égarées. Les tonalités qu’ont pu distinguer les uns, ne font guère penser au murmure du bébé sapiens sapiens dans un imaginaire berceau. Ce ne sont pas non plus des gargouillements de ventres affamés qu’ont pu reconnaitre les autres, mais bien des échos d’une explosion de chiffres connus des économistes. Le constat est sans appel : l’Afrique a répondu au rendez-vous de la croissance. Les indicateurs ont explosé et empruntent une tendance remarquablement haussière dans l’horizon visible. Le défi actuel est de renforcer cette croissance sur le long terme. Pour cela, s’impose un intérêt songeur pour l’environnement bancaire du continent.

S’il demeure un secret pour certains que le secteur privé est au cœur de la croissance africaine ; il s’agit sans doute d’un secret de polichinelle. Pour soutenir leurs croissances interne et externe, les entreprises africaines comme toute autre organisation à but lucratif, ont besoin de sérieuses ressources. Apparaissent au sommet de la pyramide de leurs besoins en ressources, les capitaux financiers. Au-delà des capitaux propres actionnariaux, les dettes financières viennent en support considérable. C’est alors que les organismes bancaires sont appelés à financer le secteur privé.

La santé économique de ces organismes bancaires devient donc cruciale pour les économies africaines. En effet, un déclin du secteur bancaire affecterait l’équilibre financier du secteur privé et poserait ainsi les bases d’une chute aussi rapide que brutale de la croissance.

Cet article vise à mettre en exergue la criticité du risque bancaire et à souligner l’importance voir l’urgence pour le secteur bancaire africain en forte expansion, de déployer les outils nécessaires à la relève de ses nombreux défis pour maîtriser ces risques.

1. La petite histoire du secteur bancaire africain

La sphère bancaire en Afrique a connu plusieurs phases. Ses prémices remontent aux années coloniales qui ont vu s’implanter des banques occidentales principalement commerciales qui, soutenaient les entreprises étrangères implantées sur le continent. Sur le fond d’accords de non-concurrence entre les anciennes métropoles, il existait une domination des banques françaises dans les colonies françaises, celle des banques portugaises dans les colonies portugaises et une importante présence des banques britanniques dans les colonies anglaises. Mais les Etats nouvellement indépendants au début des années 1960, vont très vite dénoncer les pratiques de ces banques étrangères dont les stratégies furent jugées inopportunes pour répondre aux besoins des nations avides de développement et aux aspirations des populations locales. C’est alors qu’une vague de banques africaines virent le jour, dans une tendance plutôt keynésienne où l’Etat pesait aussi lourd dans l’environnement économique que dans le capital des banques.

Seulement, en 1980 le continent n’échappa pas aux effets de la crise économique. Lesquels effets furent renforcés par l’échec des politiques interventionnistes. Les organismes bancaires, majoritairement nationaux, connurent alors de grandes secousses qui mirent sérieusement en cause leur stabilité. Seules les banques éthiopiennes, kenyanes et zimbabwéennes, qui avaient ouvert leur capital aux investisseurs privés ou bénéficiaient de meilleures gestions, avaient pu maintenir un certain équilibre.

Le processus de libéralisation du marché qui s’est timidement enclenché dans la deuxième moitié des années 1980, pour davantage s’affirmer dans les années 2000, a déclenché le renouveau du secteur bancaire africain. Alors que les banques étrangères, vieilles, voyaient leurs parts de marché décliner progressivement ; les banques africaines n’ont cessé de croître en capital et en surface. L’industrie bancaire africaine connaît désormais une expansion pour le moins rapide. Les dernières années ont été le témoin du développement spectaculaire des banques transfrontalières. Ecobank qui a été créé en 1985 au Togo, pour pallier l’absence de banques africaines non étatique dans la région ouest-africaine, est aujourd’hui présent dans 36 pays du continent. Le graphique ci-après donne un aperçu de l’évolution de la position géographique des principales banques transfrontalières.

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Source : – International Monetary Fund (2015). Pan-African Banks :Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight.

Le secteur bancaire africain connaît une forte expansion, visible dans la prolifération et le développement géographique des banques transfrontalières. Cette situation constitue une opportunité réelle pour les économies africaines. Elle porte en elle le soupçon de l’intégration africaine. Cependant, à la lumière de la crise financière de 2008 et dont la diffusion à l’économie réelle a été assurée par les banques ; l’importance des banques transfrontalières est aussi porteuse de risques qu’il conviendrait de contenir afin de ne pas fragiliser les perspectives socio-économiques du continent.

2. L’histoire bancaire contemporaine : entre expansions, crises et régulation

L’environnement bancaire et financier international a été récemment remis en cause, avec la crise de 2008. Cette crise a d’abord été immobilière, ensuite bancaire puis, rapidement économique, en raison de l’importance systémique des banques transfrontalières.

a. Focus  sur la crise de 2008

Des courtiers américains, non soumis à la règlementation bancaire, ont accordé des prêts immobiliers à des particuliers insolvables appelés « ninja : no income, no job, no assets ». Ces courtiers considéraient la prise spéculative de valeur des biens ou leur revente comme une garantie suffisante. Les emprunteurs sans ressources suffisantes, étant hors de tout registre normal de marché ; ces crédits étaient frappés de fortes marges d’où l’appellation « subprimes ». Seulement, en 2006 un effondrement confirmé du marché immobilier conduit à une vague de défauts de paiement et à des retards d’échéances pour des crédits hypothécaires « subprimes ». Or les banques dans leur majorité avaient eu recours aux services de ces courtiers, pour contourner la règlementation et alléger leurs actifs des éléments consommateurs de fonds propres. Des banques d’investissement de taille avaient investi dans des « subprimes ».  Par voie de conséquence, la crise immobilière intoxique l’environnement bancaire. En juin 2007, la banque d’investissement Bear Stearns annonce la chute de la valeur de deux de ses fonds qui ont investi dans des « subprimes ». Dans la même période, la banque allemande IKB se déclare en grandes difficultés. Quelques mois plus tard, la banque française BNP Paribas et la société de gestion Oddo annoncent le gel des souscriptions et rachats sur des fonds exposés aux « subprimes ». D’autres banques internationales comme Citigroup et UBS passent des provisions sur leurs engagements « subprimes ». Les produits « toxiques » n’étaient pas qu’à Wall Street. Ils étaient éparpillés dans le monde entier.

Le 15 septembre 2008, La banque d’investissement Merrill Lynch a été reprise de justesse par Bank of America et la 4ème banque d’investissement américaine Lehman Brothers, alors vieille de 158 ans et comptant 26000 collaborateurs dans le monde, se déclara en faillite. Cette banque pourtant considérée comme « Too big to fail » c’est- à- dire, trop critique de par sa taille et son poids, pour ne pas être sauvée, n’a pas été secourue par la réserve fédérale américaine. Celle-ci donnait un signal : aucune banque n’est à l’abri de la faillite.

Bear Stearns dont la valorisation boursière frôlait la dérision a été rachetée, pour un prix pour le moins symbolique, par JP Morgan. Cette dernière et Morgan Stanley prendront le statut de banque commerciale, sonnant ainsi la fin des banques d’investissement aux Etats-Unis.

La faillite de Lehman Brothers a accentué la crise bancaire. En effet, le manque de transparence et la difficulté de localisation de la contrepartie des 85 milliards de titres toxiques du géant disparu, a créé une défiance au sein du secteur et un assèchement de liquidité. Au plus fort de la crise, les Etats essentiellement par le biais des banques centrales, venaient au secours aux banques, en acceptant de racheter leurs produits toxiques et en injectant de la liquidité. Certaines banques au bord de la faillite sont nationalisées. Les conséquences sur l’économie réelle furent immédiates en raison notamment de la diminution des lignes de crédit et du refuge des agents économiques dans des matières premières jugées moins risquées comme le pétrole et les produits agricoles. Le prix du baril de pétrole grimpa, la confiance des ménages prit un coup et la consommation ralentit. Le secteur automobile est atteint : trois mois après l’effondrement de Chrisler, General Motors faisait faillite en 2009. L’Etat français vola à la rescousse de PSA et Renault pour éviter le pire. Les entreprises devaient revoir leurs stratégies financière et sociale pour survivre.

Nul doute que cette crise en est pour beaucoup dans la crise de la dette souveraine européenne.

b. Les réactions : renforcement des dispositifs de contrôle des banques

En matière de régulation du système bancaire mondiale, c’est le comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (CBCB) qui a la légitimité internationale. Sa charte donne un aperçu de son organisation et de ses activités.  Elle a considéré que la gravité de la récente crise est due au développement d’un effet de levier excessif, à la dégradation du niveau et de la qualité des fonds propres et à l’insuffisance des volants de liquidité. L’effet de massue (inversion de l’effet de levier) et l’interdépendance des établissements financiers d’importance systémique dans le cadre d’un grand nombre de transactions complexes, ont amplifié la situation. Pour la CBCB, il devenait aussi impératif qu’urgent de renforcer les dispositifs de contrôle et de supervision des activités bancaires afin d’assurer la résilience à court et à long terme des banques en générale et de celles transfrontalières en particulier. Le comité prend alors des mesures qui visent la solidité des systèmes de gouvernance et de gestion des risques puis, la transparence et la communication financière. L’ensemble de ces mesures a été publié en décembre 2010 sous le dispositif Bâle 3. Celle- ci complète le cadre règlementaire posé par les précédents dispositifs. Le premier, Bâle 1 instaurait le ratio dit « Cooke » de 8% du poids des fonds propres. L’essentiel des dispositifs suivants, Bâle 2 et Bâle 2,5 peut se résumer comme suit :

  • Bâle 2 diffusé en 2004, pour une mise en application dès la fin 2006 apportait des améliorations à la mesure du risque de crédit et intégrait le risque opérationnel. Il repose sur trois piliers : les exigences minimales de fonds propres (1er pilier), un processus de surveillance prudentielle (2e pilier) et la discipline de marché (3e pilier).
  • Bâle 2,5 approuvé en juillet 2009, pour une mise en application au 31 décembre 2011, a renforcé la mesure des risques liés aux titrisations et aux expositions du portefeuille de négociation.

Le dispositif Bâle 3 a été mis en application à compter du 1er janvier 2013 et ses exigences prendront pleinement effet au 1er janvier 2019 (Cf. Calendrier de mise en œuvre de Bâle 3). Il a pour principaux objectifs (Cf. Tableau synthétique des mesures de Bâle 3) :

  • le renforcement du dispositif mondial des fonds propres par l’amélioration de la qualité, de l’homogénéité et de la transparence des fonds propres ; l’extension de la couverture des risques ; la mise en place d’un ratio de levier; la réduction de la pro-cyclicité et ; la gestion du risque systémique et de l’interdépendance des établissements.
  • l’instauration de normes mondiales de liquidité par la mise en place d’un ratio de liquidité à court terme (LCR : Liquidity Corverage Ratio) ; d’un ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR : Net Stable Funding Ratio) et d’outils de suivi.

La crise économique de 2008 a montré que les banques transfrontalières, peu importe leur taille, ne sont pas à l’abri de la faillite, sous les effets de crises qu’elles peuvent déclencher, favoriser ou faire propager. Le Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire a pleinement conscience de cela et réagit sans délai, en renforçant le contrôle et la supervision bancaire. En témoigne la mise en application récente du dispositif Bâle 3.

3. Les défis du secteur bancaire africain

Si le continent africain n’a pas trainé des séquelles de la crise de 2008, elle ne peut l’ignorer et devrait s’en approprier les enseignements. Le manque d’expérience ou la relative jeunesse du secteur bancaire africain ne seraient point des excuses. Le bon sens voudrait d’une Afrique qui prenne le train de la tendance bancaire mondiale en marche.

Le secteur bancaire africain qui se veut aussi prospère que résilient doit œuvrer pour :

  • une gouvernance transparente et responsable ;
  • de robustes systèmes de contrôle interne et de gestion des risques ;
  • un système d’information et de communication transparent et uniforme.

La supervision bancaire transfrontalière apparaît alors plus comme une exigence, qu’une option.

a. L’Afrique s’inscrit- elle dans la dynamique mondiale de la normalisation financière et de la régulation bancaire ? Ou en est- elle dans l’application des normes IFRS et des dispositifs Bâle ?

Le tableau suivant donne des éléments de réponse.

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Source : International Monetary Fund (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight. CBCB (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework. http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx

On peut noter que la majorité des Etats ont adopté ou prévoit d’adopter les normes IFRS. Toutefois, on ne saurait en dire autant des dispositifs du CBCB. Seule l’Afrique du Sud, unique pays africain dont la juridiction est présente au CBCB, est très avancée dans l’application des dispositifs Bâlois. A jour du calendrier d’adoption des mesures de Bâle 3, la South African Reserve Bank apparaît comme un bon élève de la classe des 28 membres du comité, comme le montre le rapport sur la mise en œuvre du cadre règlementaire de Bâle publié en Avril 2015.

b. Quelle posture s’impose aux banques transfrontalières africaines ?

La présente analyse n’est pas une plaidoirie pour un alignement systématique des banques transfrontalières africaines, sur le cadre international, par l’adoption automatique des dispositifs du CBCB en général et de Bâle 3 en particulier. Les mesures bâloises sont des exigences minimum d’application facultative pour ses membres et tout autre organisme bancaire. Il revient à l’Afrique bancaire d’en faire une source d’inspiration ou un usage réfléchi. Une théorie de la solution « prêt-à-transposer » ou du remède unique sans considération de l’environnement et du projet africain, ne serait qu’utopie. Le but premier est d’attirer l’attention sur les défis de cette Afrique bancaire qui n’a pas droit à la complaisance car sa résistance au choc est essentielle pour sa propre pérennité et vitale pour l’Afrique « émergente ».

Il urge que place soit faite à la réflexion pour imager le secteur bancaire africain qui allie expansion, prise de risques mesurés et stabilité. L’Afrique doit définir le plus rapidement, des outils de résilience bancaire adéquats, au regard du son environnement juridique, comptable, financier, du niveau actuel et visé d’intégration et des objectifs stratégiques bancaires.

Delphine Anglo

Références :

  • International Monetary Fund, (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight
  • The World Bank, (2014), Making Cross-Border Banking Work for Africa
  • CBCB, (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework
  • CBCB, (2014), Bâle III : Ratio structurel de liquidité à long terme
  • CBCB, (2013), Bâle III : Ratio de liquidité à court terme et outils de suivi du risque de liquidité
  • CBCB, (2010), Bâle III : dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires
  • Banques transfrontalières africaines, Rapports annuels 2014
  • Sites internet des Banques transfrontalières africaines
  • http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx
  • https://www.bis.org/bcbs/index.htm?m=3%7C14

L’internet des objets : quel intérêt pour l’Afrique ?

 

jirayaLes noix de coco sont assez édifiantes de par leur forme. En effet une fois les couches supérieures retirées avec plus ou moins de difficultés, l’on peut enfin profiter du fruit du combat. Internet, c’est un peu la même chose, une fois que l’on a réussi à l’apprivoiser, il peut nous livrer toutes ses merveilles. L’une d’entre elle, est ce qui est aujourd'hui dénommé "l’internet des objets". L’internet des objets c’est l’ensemble des services autour de matériels physiques connectés au web. Pourquoi l’Afrique devrait elle s’intéresser à l’internet des objets à l’heure où l’approvisionnement en eau et en électricité restent encore pour le moins problématique. Selon l’entreprise Cisco, l’Afrique a 500 milliards de bonnes raisons de se pencher sur la question dans les 10 prochaines années. De nombreuses possiblités sont aujourd'hui offertes par l'internet des objets, dont certaines d'entre elles pourront permettre au continet d'accélérer son développement socio-économique. Il serait, par exemple, inadéquat d’affronter les braconniers avec des montres connectées telles que la smartwatch mais avec des dispositifs de localisation connectés implémentés sur les  espèces rares, il serait plus aisé de lutter contre le braconnage à grande échelle. Avec des drones les foyers de braconniers seraient repérés avant même qu’ils s’en rendent compte. Selon le dernier rapport publié par DHL et Cisco concernant les tendances sur l'Internet des Objets (IdO), le marché global est estimé à  1,9 milliards de dollars en terme d’opportunités. Le rapport estime que 50 milliards d’appareils seront connectés à Internet d’ici 2020 contre 15 milliards aujourd’hui. L’ensemble pour une valeur de 8 000 milliards de dollars. Un marché, sur lequel les pays africains pourraient se positionner en tant qu'acteurs. 

L’Afrique est aujourd’hui au cœur des conflits d’intérêts qu’ils soient d’ordre économique, géopolitique et même technologique. L’internet des objets en tant que tendance naissante pourrait devenir une niche parmi tant d’autre comme l’agriculture ou les énergies renouvelables sur laquelle l’Afrique s’appuiera dans le but de gagner en puissance sur la balance des échanges internationaux. En Afrique subsaharienne, le marché est relativement vierge, et les coûts de production d’un même produit ou service sont souvent 10 fois inférieurs à ceux pratiqués dans les pays OCDE. Les entrepreneurs africains devraient se pencher sur la question et créer aux quatre coins du continent des projets dans ce sens. Les applications concevables dans le cadre de l’internet des objets sont littéralement infinies. En effet, il suffit d’un zeste de créativité pour imaginer des solutions inédites.

En Afrique, seul  MTN (Afrique du Sud) dispose d'une plateforme dédiée à l’internet des objets. L’ébullition autour de l’internet des objets est telle que des groupes américains comme Microsoft et Google ont décidé de créer des programmes de  développeurs entièrement consacrés à ce mouvement. Avec des micro-processeurs connectés il est désormais possible de surveiller le rythme cardiaque de patients afin de détecter des problèmes d’hypertension. En Angleterre, les drones sont utilisés comme soutien médical pour couvrir de larges distances en peu de temps et fournir les premiers soins à des blessés. Dans le contexte africain où il y a parfois 2 médecins pour 10 000 habitants selon l’OMS contre 32 pour 10 000 en Europe, cette solution pourrait constituer une opportunité à explorer. En Espagne, des agences de voyage utilisent  les drones pour produire des images inédites de Barcelone et ainsi promouvoir le tourisme local. Au Gabon, l’internet des objets a fait ses preuves lors de la construction d’infrastructures et a permis d'effectuer une cartographie. En effet, la compagnie Perenco a utilisé des drones au Gabon pour cartographier les zones pétrolières. Les drones sont  utilisés partout ailleurs pour faire des mesures topographiques et évaluer les risques lors de la construction d’infrastructures. Peu d’entreprises africaines sont sur ce segment, ce qui crée une dépendance auprès de prestataires de services étrangers et par conséquent un problème de souveraineté étatique. McKinsey estime que les applications de l’internet des objets auront un impact sur l’économie mondiale de l’ordre de 3,9 à 11 mil milliards par an dès 2025. A son apogée, cette influence représenterait 11% de l’économie planétaire. L'Afrique se doit de tirer partie de ce nouveau marché, au lieu de se positionner comme consomateur ; la technologie n'étant plus une contrainte, surtout dans le domaine du numérique. 

L’internet des objets constitue, cependant, une menace sérieuse en terme de cyber sécurité. En effet la plupart des dispositifs connectés sont conçus pour être facilement déployés et accessibles par des usagers qui sont certes technophiles mais peu informés sur les risques en jeu. Des serrures connectées à des applications mobiles sont déjà déployées pour simplifier l’accès au domicile. Cependant,  aucune précision n’est donnée sur les risques encourus si un hacker mal intentionné s’attaque au système et pénètre dans une résidence privée. Les constructeurs de matériel connectés légers ont pour objectif de faire du chiffre avec des économies d’échelle. Dans cette lancée, ils réduisent au maximum les coûts de recherche et développement. Pour extrapoler une fois que la connexion a pu être établie entre le dispositif « A » et « Internet », le matériel est mis sur le marché. Les mêmes mots de passe et noms d’utilisateurs sont répliqués à la chaine, par conséquent à un moment ils finissent par être connus des hackers. La question de la sécurité et des failles devient accessoire là où elle devrait être prioritaire.

Les caméras connectées sont si peu sécurisées dans le monde qu’il existe un moteur de recherche qui permet de trouver en un clignement des yeux des millions de caméras connectées dans des organisations autant privées que publiques. Des sites internet partagent déjà en temps réel des images qui viennent de caméras de domiciles privés en toute impunité. Les drones même s’ils peuvent réduire les coûts de la cartographie peuvent aussi être utilisés à mauvais escient par des personnes mal intentionnées pour préparer des opérations dangereuses ou même survoler des espaces aériens sensibles sans autorisations préalables. Cette faille offre aussi une opportunité pour les entrepreneurs du secteur des TIC, qui pourraient se focaliser sur le développement de procédés de sécurisation. Aussi,  il devient impératif pour les pays africains d’envisager une législation en matière d’internet des objets pour protéger leur population des excès que peut introduire ce phénomène, ceci même si l’Afrique n’est pas encore un grand consommateur. L’Afrique ne doit pas devenir une éponge à tendances technologiques. Le Big Data et l’internet des objets sont certes des avancées notables qui peuvent contribuer au développement du continent  mais l’un comme l’autre, sans mesures de cybersécurité, ne feront qu’exposer à des menaces grandissantes à la fois les données et les vies des usagers. L’innovation doit s’adapter au contexte dans lequel elle souhaite s’épanouir. L’Afrique est une terre rougie par le climat et le sang des enfants surexploitées dans les mines de Coltan au Congo au nom de progrès technologiques dans des pays étrangers, l’internet des objets pourrait changer la donne et rendre l’Afrique aux africains.

Somme toute l’internet des objets apparait comme un piste parmi tant d’autres pour combler le fossé technologique mais aussi économique entre l’Afrique et les pays dits développés. Au fil des années les pays africains commencent à adopter les technologies  et les mouvements novateurs déployées au quatre coins du monde en temps réel. On parle de FabLab au Togo, de DIY ( Do it yourself) au Sénégal, de Big Data au Kenya et désormais de l’Internet des objets en Afrique du Sud. Ceci dit ces  tendances doivent être contextualisés et prendre en compte les réalités locales propres à chaque pays d’Afrique. L’enjeu de l’Internet des objets en Afrique comme partout ailleurs n’est  donc plus celui de son utilité mais de la sécurité des données qu’il exploite. Le flux constant d’innovations venant du continent  africain annonce un avenir optimiste pour les TIC. D’ici peu, peut-être verront nous le ciel d’Afrique couvert de drones « Made in Africa ».

William Elong

Quelle contribution des PPP à l’amélioration de la fourniture des services publics en Afrique : cas du Bénin

12052_Water_pumpingtif_050eb760e9Perçus comme une réponse possible aux défis techniques et budgétaires que représentent les projets d’infrastructure pour les autorités publiques, tant dans les pays développés qu’au sein des économies en développement, les partenariats public-privé[1] (PPPs) ont généré un regain d’intérêt depuis la crise économique et financière de 2008. Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest incluant le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda et le Sénégal ont mis en place des partenariats public-privé pour répondre au besoin d’améliorer l’approvisionnement en eau des zones rurales, avec divers degrés de succès. De fait, en dépit de l’attrait budgétaire et financier qu’ils représentent pour les gouvernements, les partenariats public-privé ne sont pas une panacée : la seule recherche d’apports alternatifs pour combler le manque de financements nécessaires à investir dans le développement ou la réhabilitation d’infrastructures publiques ne justifie pas la structuration de projets sous la forme de PPP.

Le projet de réhabilitation et d’extension des systèmes d’approvisionnement en eau des communes rurales béninoises développé à partir de 2010 sous la forme de petites concessions administrées de façon indépendante par quatre municipalités locales en partenariat avec des opérateurs privés est un exemple de PPP financièrement viable, mis en place dans un contexte adéquat et structuré de manière à assurer une exécution efficace du projet sur le long terme. Le présent article vise à identifier les facteurs clef de succès ayant contribué à la réussite de l’expérience Béninoise, dans une optique d’adaptation et d’expansion de tels schémas au sein d’autres communautés rurales. 

Le projet de réhabilitation et d’extension des systèmes d’approvisionnement en eau des communes rurales béninoises fut conçu par IFC et la Banque Mondiale en partenariat avec le gouvernement, en vue d’assurer le financement partiel, la réhabilitation, l’extension et la gestion opérationnelle par le secteur privé de dix systèmes hydrauliques préexistants, desservant 41,000 habitants au sein de trois municipalités. Les dix sites pilotes furent groupés en quatre concessions indépendamment administrées par chaque municipalité et leurs contreparties privées, suite à la signature des contrats de PPP en 2014. Il est intéressant de relever que la gestion des systèmes hydrauliques des communes rurales concernées était déjà assurée par des opérateurs privés à l’époque ou le projet fut conçu : la décision de structurer le projet sous la forme de PPP visait à remédier à la faible performance des opérateurs privés sélectionnés dans le cadre des contrats d’affermage préexistant. D’une part, la création de nouveaux contrats a permis de mettre au défi les entreprises jusqu’alors en charge de la gestion des dix systèmes hydrauliques pilotes et de sélectionner de manière compétitive et transparente  les opérateurs privés les plus compétents. Le processus de sélection fut supervisé à la fois par des experts locaux et internationaux incluant IFC et le programme d’assainissement des eaux de la Banque Mondiale. D’autre part, l’élaboration de contrats de PPP a permis d’allonger à huit ans les dispositions signées entre les secteurs public et privé, invitant les entreprises répondant à l’appel d’offre à planifier l’élaboration et le management durable des infrastructures hydrauliques pilotes, au détriment des stratégies agressives de limitation des couts  parfois observées dans le cadre des contrats d’affermage court terme.

La répartition des risques entre le gouvernement, les municipalités et les opérateurs privés fut en outre révisée à la faveur d’approches économiquement plus rationnelles, où chaque risque fut affecté à l’acteur en mesure d’y répondre à cout inférieur aux autres parties prenantes. Tant la capacité des opérateurs privés à respecter leurs obligations contractuelles, que le niveau d’engagement gouvernemental s’en virent renforcés. Les autorités publiques acquirent notamment une meilleure compréhension du niveau de soutien au secteur privé requis afin de garantir la réussite du projet, tels que le développement d’instruments de garantie financières visant à attirer les investissements privés  et à encourager les l’engagement des banques commerciales; la mise en place de système de régulation efficaces ; l’amélioration des outils d’information mis à disposition des professionnels ; et la mise en place de systèmes de contrôle de la qualité de l’eau et d’audit de la performance des opérateurs privés.

Enfin, la signature d’accords clairs sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et de services publics entre les municipalités et leurs contreparties privées a permis d’assurer l’exécution efficace des quatre contrats depuis 2014.

Le respect durant la conception du projet de la structure de gouvernance décentralisée des services publics d’approvisionnement en eau au Benin fut un facteur clef de succès : chaque municipalité s’est vue confier la gestion des appels d’offres liés aux concessions dont elles avaient la responsabilité, participant à accroitre la capacité des communautés locales en matière de mise en place et de gestion des contrats de PPP présents et futurs.   

La consultation des parties prenantes tout au long du processus et l’organisation par IFC de formations visant à clarifier la structure des contrats et la répartition des risques entre chaque acteur ont contribué  à renforcer les compétences des parties prenantes et leur appropriation du processus. L’adhésion des communautés locale, indispensable à  l’exécution du projet, fut en outre facilitée par l’exigence contractuelle imposée aux opérateurs privés d’améliorer la qualité et la durabilité des services d’approvisionnement en eau sans accroitre les tarifs imposés aux ménages.

L’assistance technique fournie au gouvernement par IFC et la Banque Mondiale a permis l’élaboration de systèmes de régulation efficaces et d’un cadre contractuel robuste facilitant la gestion du changement toute au long de la durée des quatre concessions.

Le défi de la disponibilité des ressources permettant le financement durable des investissements liés au projet fut enfin relevé grâce á l’assistance financière de la Banque Mondiale et à l’aide bilatérale néerlandaise, dont les apports en capitaux ont en retour accru la confiance des investisseurs privés. La compréhension du profil risque du secteur progressivement acquise par les banques commerciales béninoises a en particulier catalysé leur engagement à soutenir le secteur par le biais de dettes, de placements en actions  et d’autres instruments financiers mis à disposition des concessionnaires.

Le succès de l’expérience béninoise illustre dans quel cadre la mise en place de partenariats public-privé en zone rurale peut servir d’alternative aux schémas d’auto-administration des systèmes hydrauliques par les communes, et aux contrats d’affermage engageant les opérateurs privés. 

L’optimisation des ressources liées aux services d’approvisionnement en eau est mise en évidence par les gains d’efficacité économique et technique générés par le projet, et l’engagement accru des acteurs public et privés dans leur mission commune de service public. Des services efficaces d’approvisionnement en eau sont à présent délivrés aux communautés rurales au même cout qu’autrefois et l’extension des dix systèmes hydrauliques pilotes a permis d’élargir le nombre de ménages bénéficiant de ces services et de fait, les revenus fiscaux liés aux services d’assainissement des eaux.

La gestion simultanée de quatre concessions en des locations différentes permettra au gouvernement béninois de comparer la performance des opérateurs en charge de chaque système pilote et d’identifier des leçons claires permettant d’informer les décisions futures concernant la réplication des schémas de PPP à travers d’autres secteurs et d’autres régions.

Ainsi que le démontre l’expérience béninoise, les partenariats public-privé peuvent participer à améliorer la qualité et la durabilité des services publics lorsqu’ils permettent d’introduire les degrés d’expertise et d’innovation nécessaires à accroitre l’efficacité opérationnelle associée à la conception, la livraison et la maintenance d’infrastructures et de services publiques. Les PPP peuvent également aider les opérateurs  privés à optimiser leur propre efficacité opérationnelle, en participant à répartir de manière plus efficace les risques partagés avec le secteur public. La structure des PPP permet enfin une répartition plus claire, transparente et de long terme des responsabilités de chaque partie, scellée par un accord clair sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et de services publics.

Alix Landais


[1] Les PPPs consistent en des accords de moyen à long terme entre les secteurs public et privé par le biais desquels certains services relevant de la responsabilité du secteur public sont administrés par le secteur privé. De tels schémas sont particulièrement appliqués dans les secteurs des technologies propres, de l’énergie et de l’électricité, de la gestion des déchets, de la télécommunication et des technologies de l’information et de la communication (TIC), des transports, et de l’assainissement des eaux.

Penser l’Afrique pour repenser le monde.

fablab africa

L’Afrique connaît une période charnière de son histoire. Derrière les Unes prometteuses de magazines se cache la rude bataille des idéologies qui souhaitent avoir voix au chapitre du continent, désormais qualifié de « dernière frontière ». Loi des marchés, développement durable, entrepreneuriat sociale et solidaire, sont ainsi devenus les nouveaux chantres face à l’urgence de la survie. Nos capitales et leur architecture à deux vitesses l’illustrent bien.

Dans une ville comme Dakar par exemple, un bilan sanguin peut coûter jusqu’à 76 000 FCFA, soit une centaine d’euros, autrement dit à peu près l’équivalent de 2 fois le SMIC. Cherchez l’erreur …

Dans le même temps les signes des temps modernes : quartiers huppés, complexes de loisir, centres de beauté, ou équipements en tous genre font florès. Récemment une vidéo virale montrait ainsi un badaud s’amusant dans les rues inondées d’Abidjan … en jet sky. Quelle joie de n’avoir pas eu le système d’évacuation nécessaire ! Dans la même veine il n’est pas rare de voir déambuler à Ouagadougou quelques Girafes géantes à l’orée des maquis ; non pas un mirage, mais des peluches confectionnées mains que son créateur espère vendre à bon prix à quelques clients portés par l’ivresse de la nuit.

Face à ces tableaux un brin burlesques et tragi-comiques du quotidien urbain naissent de nombreuses questions : la valeur et le coût du travail, l’avènement de nouveaux systèmes de solidarité, l’accès à la formation, l’attrait de l’indispensable et l’évaluation du nécessaire. Mais aussi, le silence d’une élite intellectuelle garante d’un cadre moral, ou encore la notion de réussite sociale. La liste pourrait être longue tant le défi est majeur et la réalité frontale, dans un contexte nouveau où l’abondance côtoie de plus en plus la pauvreté.

Mais, au fond, la plus prégnante et la plus urgente ne serait-elle pas : mais comment tout cela tient-il ?

La révolution silencieuse d’un continent.

A cette question, l’une des réponses est indéniablement à trouver dans la solidarité familiale, au sens large du terme. Les « responsables » de famille et les parents partis vivre à l’étranger, ou tout simplement le bon cœur des citoyens avertis d’une situation difficile à travers une petite annonce aident à passer les périodes de vache maigre ou les coups durs. Les quotidiens nationaux sont familiers avec les appels au don pour financer une opération. Finalement le crowdfunding, en Afrique, on connaît bien.

Mais que peut-on apprendre de plus au monde qui nous entoure ? A y regarder de plus près, nombre de modèles qui connaissent actuellement une envolée théorique rencontrent déjà un berceau fertile sur le continent. Par exemple : l'auto-entrepreneuriat, le multi-emploi, le statut d’indépendant, le financement participatif, le recyclage ou le ré-usage, la vie en copropriété … Confrontés à un environnement hostile et face à des États souvent faibles, voire absents, les citoyens ont ainsi depuis longtemps développé des stratégies de survie et pensé un monde différent. Des apports notamment théorisés dans la notion d’innovation « jugaad ».

Qu'est ce que la philosophie jugaad ?

L’esprit jugaad est issu d’un mot Hindi qui signifie « débrouillardise » ou « Système D », selon Navi Radjou1, l’un des théoriciens phare du concept. Il désigne l’idée de faire plus avec peu, ou moins. La philosophie jugaad invite ainsi à ne pas renoncer face aux barrières rencontrées dans l’innovation : manque de financement, d’équipement, ou d’infrastructure. Mais, au contraire, à rebondir face à un environnement restreint pour trouver, à problèmes inédits, des solutions inédites, voire inattendues. Si le mot est d’origine indienne, l’approche est de plus en plus répandue en Chine, au Brésil et en Afrique.

On la désigne désormais plus globalement sous le terme d’innovation frugale.

En Afrique, les illustrations en sont nombreuses. Le nombre de FabLab explose, les entreprises innovantes se multiplient, l’an dernier l’initiative JugaadaAfrica a même consacré un tour des initiatives dans le domaine. Et les grandes entreprises s’en inspirent. Comme par exemple Coca-cola qui vend dans certains pays d’Amérique Latine sa célèbre boisson en sachet plastique, pour s’adapter aux usages locaux, mais aussi générer des économies de production. Enfin, l’esprit jugaad s’illustre aussi depuis de nombreuses années dans le domaine de l’art, omniprésent dans de nombreuses capitales africaines où les toiles se vendent à même la rue. On identifie ainsi le courant du vohou-vohou, initié par les étudiants de l’école des beaux arts d’Abidjan dans les années 80, à une période d’avarie du matériel importé nécessaire à leur travail. Basé sur la technique de la récupération et du recyclage de matériaux en tous genre, elle s’est depuis répandue et est à l’image du monde qui vient : hybride, protéiforme, multi-usage.

La part des anges.

Enfin, fait difficilement quantifiable, mais visible au quotidien, celles qui mettent particulièrement en œuvre cette philosophie, par nécessité, volonté ou devoir, sont souvent les femmes : qui entreprennent à hauteur de 25% en Afrique2, plus que partout ailleurs dans le monde. Et elles ont du bagout nos mamans et nos tanties. Les consommateurs sont devenus paresseux ? Elles ne se contentent plus de vendre les matières premières, elles les transforment en jus locaux, sirops ou poudres prêtes à l’emploi vendus dans des bouteilles de boisson recyclées. Pour rappel, les sacs plastiques tuent jusqu’à 30% des cheptels au Burkina Faso ! Elles inventent une technique pour tisser le plastique et le transformer en cabas, vestes, et paniers tendances exportés en Allemagne, en France ou ailleurs dans le monde. Transformation, revalorisation, ré-usage, recyclage sont ainsi des concepts qu’elles maîtrisent bien.

L’envolée que connaît actuellement le continent est une chance formidable. Ne nous y trompons pas ! Car nous ne l’aurons pas deux fois. D’ailleurs, ce n’est sans doute pas par hasard si l’Afrique figure depuis quelques années au palmarès des régions les plus optimistes au monde3. Aussi, serait-il dans ces conditions dommage de se contenter d’importer des modèles déjà pensés. Au contraire, ayons de l’audace, n’ayons pas peur de l’échec et démultiplions la résonance du mot jugaad.

« Nommer c’est faire exister » disait Sartre. Alors usons de la force « performative du langage » pour inventer, créer, à notre façon, éclairer et faire advenir l’Afrique et le monde qui vient.

 

Christine Traoré

1 Navi Radjou, consultant et coauteur de l’innovation Jugaad : redevenons ingénieux ! (Diateino, 2013).

2 Global entrepreneurship monitor global report – 2014.

3 Baromètre mondial de l’optimise. Lire Les Africains, champions du monde de l’optimisme !

Que savons-nous de l’agroforesterie ?

agroforesterie-kenya_lightboxEconomie verte… Sommée d’écrire sur cette notion peu familière, j’appelle à la rescousse un expert en la matière, Dominique Herman[1]. Nous décidons de parler des palmiers à huile, culture source de forts dégâts écologiques et présente en Afrique de l’ouest et centrale Ses yeux brillent, mon stylo s’agite tandis que l’agroforesterie entre en scène.

L’agroforesterie, quèsaco ? Voici la recette : au sein d’une exploitation agricole, plantez de vrais arbres, entendez des arbres d’ombrage, ne requérant aucun pesticide et attrayant toute une flore multicolore. Vous obtiendrez un joli mélange bigarré, entre fruits agricoles et arche de Noé. La monoculture cède la place à la biodiversité et le stock de carbone émis est contenu[2]. En bonus parfois, la diminution des risques de maladies, notamment autour des caféiers.  Ainsi, alors que la plantation de palmiers engendre beaucoup de déforestation, l’agroforesterie contribuerait-elle à sauver les forêts africaines ?

Minute papillon : l’agroforesterie n’est pas un super héros. Elle vise à réintégrer les arbres et la biodiversité dans un paysage dominé par la monoculture ou du moins des cultures moins boisées. Ce système agricole se décline en différentes actions et s’articule autour d’acteurs variés. Tour d’horizon. L’histoire commence avec le programme onusien REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation) s’attaquant à la déforestation. L’initiative, lancée en 2005, vise à inciter les gouvernements de pays tropicaux en développement à financer la conservation de leurs forêts. Le processus commence par dresser un inventaire forestier à l’aide d’une carte carbone pour estimer les risques futurs de déforestation. Ensuite, il s’agit de mettre en place des mesures politiques contre la déforestation et les problèmes indirects liés à la déforestation (en particulier le travail des enfants dans les plantations de cacao). Or, les deux étapes sont floues : l’approche d’identification est multifactorielle : quel scenario choisir ? Les mesures anti déforestation sont trop indéfinies pour être suivies, entre diminution des expansions agricoles, lutte contre le déboisement, sensibilisation aux enjeux environnementaux, etc. Sans compter que ces problématiques sont le cadet des soucis des gouvernements ciblés, souvent grevés par la pauvreté et la corruption. Bref, le bilan est morose, ce qui invite d’autres acteurs à se saisir du problème. Des ONG, des associations et des bureaux d’études prennent alors en charge des projets spécifiques et sur une petite surface dite prioritaire. Ils jouent le rôle délaissé par les Etats précédemment. Leur posture d’agent extérieur et leur maitrise du sujet accroit l’impact de leur intervention. Celle-ci se décline en distribution de fours à basse consommation et de promotion de l’agroforesterie et non plus de cultures itinérantes et extensives telles que l’abattis brulis. Un marché nait de ce nouveau système financé par les crédits carbones (CC). En démontrant un écart entre un taux d’émission de CO2 avec et sans leur action, ces acteurs obtiennent un financement en CC. Aujourd’hui les deux modèles s’affrontent, se critiquant mutuellement : le modèle global et régalien avec REDD +, basé sur un fonds vert mondial est dit trop général et dispendieux par ses détracteurs. Le système de projets menés par une myriade d’acteurs, voit son financement par CC vivement critiqué suite à de nombreux scandales (les carbones cowboys) et sa nébuleuse de certifications (VCS, Plan Vivo, CCB, etc.).   

Néanmoins, certains pays tirent leur épingle du jeu en mettant en place des systèmes efficients contre la déforestation. L’astuce a été de trouver un arrangement : le paiement pour service environnemental (PSE). Ainsi, au Costa Rica, le gouvernement s’est engagé avec succès à payer les utilisateurs de zones forestières en échange du respect de certains critères de protection et la Côte d'Ivoire est sur le point d’adopter des mesures PSE pour le parc Taï dont la grande biodiversité est à préserver. Le principe est de compenser les coûts d’opportunité liés à l’implantation d’arbres à la place/avec des surfaces agricoles. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces mesures, les risques restent forts : certains bénéficiaires peuvent accepter les paiements tant que la perte en coût d’opportunité reste faible (quand les arbres sont encore petits) mais qu’ils les coupent lorsque ces arbres grandissent et qu’une partie des rendements est effectivement perdue ou que la peur de les perdre, en vertu d’un scepticisme très ancré dans l’agroforesterie du cacao, l’emporte. Toutefois, ces coûts peuvent également être nuls, bien au contraire : les récipiendaires gagnant alors de loin au change. Le fonds Moringa Fund a investi ce marché en réhabilitant des zones de culture avec un système agro-forestier. Dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest, jusqu’à 75% de la récolte totale de produits ligneux et non ligneux proviennent des parcs agro-forestiers, produits sources de revenus pour les communautés locales. Cependant, si un intérêt croissant pour les PSE est porté à l’Afrique, la majorité des PSE ont jusqu’à présent été instaurés en Amérique latine, en Europe et en Asie. Les PSE requièrent non seulement des agents privés mais également des structures publiques solides et un engagement des autorités fort pour assurer leur efficacité.

Pour conclure ce panorama, focus sur l’action d’une multinationale dans la lutte contre la déforestation. Un bref retour historique s’impose : suite aux critiques sur les effets polluants et contraires aux droits de l’homme que sa production engendre, l’huile de palme a fait l’objet d’un accord en 2004, le Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Porté par Unilever et WWF, le RSPO est un système de label applicable à l’huile de palme. Néanmoins, cette norme reste floue quant aux enjeux de la déforestation (sur le drainage des tourbières par exemple),  et de son impact sur les populations. De nombreuses ONG la critiquent et entament de vives critiques contre les multinationales qui l’utilisent. Nestlé subit les foudres de Greenpeace (Cf. campagne Kit Kat killer) en vertu de sa position de leader sur le marché. Cette confrontation fait place à un accord constructif entre la multinationale et l’ONG, facilité par le directeur de The Forest Trust (TFT), Scott Poynton. Nestlé s’engage alors à assurer la traçabilité de son approvisionnement d’huile de palme selon des critères d’approvisionnement responsables (les RSG) : l’enjeu est sauvegarder les forêts secondaires et de veiller au consentement libre et informé  au préalable des populations (CLIP). Au Liberia, l’entreprise GVL qui fait partie du groupe Indonésien Sinar Mas (du sous-groupe Golden Agri Ressources) a transformé ses pratiques suite aux campagnes de Greenpeace et la pression de Nestlé. Si GVL n’exporte pas, étant encore en phase de plantation, son huile n’est pas à ce stade intégrée dans les chaines d’approvisionnement de Nestlé. Le géant agroalimentaire veille en revanche très attentivement à ce que ses principaux fournisseurs d’huile de palme, principalement en Indonésie et Malaisie (80-90% de la production mondiale), revoient ainsi leur copie grâce à un travail d’évaluation et de traçabilité sur toute la chaine d’approvisionnement, jusqu’à la plantation. Les ONG enclenchent alors la phase finale de leur bataille : taper sur les fournisseurs de Nestlé, en premier lieu Sinar Mas, dont la marge de manœuvre est déterminée par ce dernier. Si le fournisseur refuse d’obéir aux règles de planification d’usage des terres, Nestlé menace de clore le marché. Ainsi, Nestlé et d’autres acteurs ont arrêté de se fournir auprès de Sinar Mas (Golden Agri) lors de la campagne médiatique lancée contre eux. Mélange des fins – préserver sa réputation et respecter les principes environnementaux – les moyens sont assez lourds pour modifier les comportements. L’ONG TFT, acteur hybride entre ONG et bureau d’études, très actif en Afrique (en Côte d'Ivoire et au Liberia en particulier), travaille avec plusieurs entreprises agro-industrielles de l’huile de palme (www.tft-earth.org). L’ONG a ainsi développé la méthodologie High carbon stock forests (HCS), qui distingue les zones à la végétation dégradée des forêts secondaires à préserver.  

Tandis que l’huile de palme est toujours autant plébiscitée (cosmétiques, agro alimentation et agro-carburants), les forêts rétrécissent. Néanmoins, clouer au pilori l’huile de palme est vrai et acceptable à condition que les aspects environnementaux et sociaux mentionnés plus haut ne soient pas pris en compte. D’une part, des huiles propres existent, tout un chacun peut se renseigner notamment via des comparatifs sur internet. Le travail d’organisations comme le TFT est justement d’accompagner les acteurs liés à l’huile de palme à faire preuve de transparence et à ne pas avoir honte de transformer positivement leur chaine d’approvisionnement. D’autre part, la morgue des consommateurs occidentaux pour cette huile n’empêchera pas la dynamique exponentielle de l’huile de palme (dont la production est jusqu’à dix fois supérieure à l’hectare que ses concurrentes[3]), tirée par la hausse de la population africaine et de la demande asiatique.  

Pauline Deschryver


[1] Dominique Herman est ingénieur forestier tropical de formation (AgroParisTech – Engref). Il travail pour le TFT en tant que chef de projet, en Afrique de l’ouest (Côte d’Ivoire, Libéria et surtout Nigéria).

 

[2] Pour plus d’informations, visitez le site www.agroforesterie.fr

 

[3] Pour produire autant d'huile que 1 hectare de palmiers, il faut 6 hectares de colza, 8 de tournesol ou 10 de soja

 

How can PPPs help deliver better services in Africa? Evidence from Benin

12052_Water_pumpingtif_050eb760e9 Public Private Partnerships can help increase net benefits to society when they improve operators’ efficiency in delivering qualitative and sustainable public services in targeted geographical areas. In most cases, PPPs enable to bring private sector expertise and innovation to public services delivery, such as urban and rural water supply, which used to be managed by public authorities at ministries or municipalities level. PPPs can also help private operators to improve their own performance in delivering public services by engaging government support and enabling cost-effective allocation of risks between public and private parties.

Though common in the urban utility sector in Africa, PPPs were first introduced into the rural water supply sector in the early 2000s as an alternative to the community-based management model, which had fallen short in terms of meeting performance expectations for piped water systems[1]. Over the past decade, many West African countries including Benin, Burkina Faso, Mali, Mauritania, Niger, Rwanda and Senegal, tested PPPs for small piped water schemes with various level of success. The present article identifies key success factors which contributed to the successful Beninese experience, with a view to identify path for adaptation and scaling-up to broader rural areas and other African countries.  

The Small Towns Water Systems project initiated in Benin in 2010 illustrates how to prepare small PPP projects for competitive bidding an how to structure financially sustainable PPP concession arrangements. Under this project, the government of Benin aimed to improve water delivery to rural communities through the partial financing, rehabilitation, extension and operation by the private sector of 10 existing piped water systems covering 41,000 people across the three municipalities.[2] The 10 pilot sites were grouped into four clusters tendered as a separate transaction by each municipality, resulting in four concession agreements signed in 2014.

Interestingly, local rural water systems were already managed by private operators at the time the Small Towns Water Systems project was designed: The decision to structure the project as a PPP was based on revealed poor performance of private operators under existing lease agreement. In other words, the purpose of this PPP project was to leverage private operators’ capacity to improve their own performance in sustainably and qualitatively delivering water services to rural communities, by revising the contract structure binding them to the Government of Benin (GoB).

PPP contractual arrangements introduced a more cost-effective allocation of risks between the GoM, municipal authorities and private operators based on each actor’s ability to manage various risks at a lesser cost than other parties. Not only did risks reallocation make it easier for private sector operators to fulfil their contractual obligations, but it also participated to increase government support and commitment: By being re-transferred the project’s risks that it could manage at a lesser cost than private operators, the GoB acquired a better understanding of the level of support required from its part to ensure successful project delivery. Such responsibilities included (i) the development of risk sharing instruments to facilitate private investment and encourage entry of banks into the water sector – through foreign currency coverage mechanisms and first loss guarantees; (ii) ensuring the ownership of the PPP process by local stakeholders; (iii) establishing an effective regulatory system; (iv) channelling sustainable financing of infrastructure investments; (v) improving information tools and services to professional user; (vi) monitoring of water quality and regular audit of private operators’ performance.

IFC and the World Bank’s understanding of Benin’s decentralized political structure was a key factor contributing to the successful design and implementation of the project. In line with traditional water governance schemes, each municipality was given the responsibility to manage the tendering process for their respective clusters, which participated to build local authorities capacity to implement and manage current and future PPP contracts. The selection of most capable private operators at a national scale through a transparent and competitive bidding process with oversight from both local and international experts from IFC and the World Banks’ Water and Sanitation program (WSP) was a key component of improved water services delivery.

The shift from short-term contracting arrangement to long-term (8-year) PPP concession agreements additionally increased incentives for private operators to design, implement and manage services effectively, with a view to minimize maintenance costs over the duration of the project. This contributed to improved quality of services and improved availability of maintenance services.

Capacity building and ownership of the PPP process by key stakeholders was ensured through consultation and training of potential bidders to give them clear understanding of the proposed structure and sustainable risk allocation. Consumer voice was also reflected in the requirement to improve water services without increasing the price of water.

The international expertise and technical assistance provided by IFC and WSP enabled the GoB to build effective regulation schemes and robust contractual framework, including flexible terms to handle change management over the duration of the four concessions. Detailed contract design gave more clarity to private operators regarding their rights, obligations and the range of activities transferred to them, whilst performance monitoring tools were put in place to ensure water operators compliance with agreed regulations. Improved contracting practices and scheme design rules participated to the development of an enabling PPP environment.

The GoB also addressed the challenge of the availability of financial services and sustainable financing of investments. Financial assistance from the World Bank and the Dutch Cooperation enabled the GoB to demonstrate commitment and actual investments in the project, which in turn improved external investors’ confidence as reflected by local commercial banks commitment to support the water sector through debt, equity and various financing instruments to concessionaires. This resulted in local commercial banks improved understanding of the risk profile of rural water supply and increased commitment to support private operators.

Structuring the Small Towns Water Systems project as a PPP as an alternative to both community-based management and private sector lease agreement models improved services delivery’s Value for Money through efficiency gains and increased interactions between public and private stakeholders. Better quality services are now being delivered to rural communities at the same price than previously required to them. The project’s cost to society hasn’t increased whilst the benefits to society improved through the extension and redesign of existing water schemes resulting in increased households outreach.

The simultaneous management of four separate concessions will enable IFC and the GoB to monitor and compare each operator’s performance and to gather lessons informing future decisions towards the scaling-up of rural water PPP supply schemes across the country and the continent. Shall all four projects prove successful on the long run, the initiative will also increase private operators’ confidence in bidding for similar PPP projects across other sectors, thus increasing the growth of PPP penetration in Benin where national action plans are being implemented to rationalize and accelerate this process.

Alix Landais


[1] A review of progress in seven African countries Public-Private Partnerships For Small Piped Water Schemes, The World Bank Group / Water and Sanitation Program (WSP), 2014

 

 

 

[2] Benin: Piped Water Supply Systems in Rural and Small Towns, Public-Private Partnership Stories, IFC, 2014

 

 

 

La polémique du «joueur typique Africain », est-elle le symbole d’un football africain pas encore indépendant?

En novembre dernier, les déclarations d’un entraîneur français relancent le débat du racisme au sein des institutions du football français, et le style du football africain. Des propos qui poussent à la réflexion. Explication en remontant le temps.

Retour sur la polémique

L’ancien international français (58 sélections), et entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, répondait aux questions de lecteurs d’un journal local. La thématique de la CAN, et le départ d’une partie de ses joueurs internationaux africains (12) furent abordés. L’entraîneur dérape et déclenche la polémique. Il annonce que sous son mandat la politique de recrutement du club bordelais ne sera plus tournée vers l’Afrique. Dans des propos remplis de préjugés, il y va de sa caricature en décrivant le joueur « typique » africain comme « pas cher quand on le prend, (…) qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot (…), c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline». L’entraîneur s’enfonce en appuyant son discours d’une comparaison avec les « Nordiques » et leurs « bonnes mentalités ». Des propos condamnables et condamnés qui seront rapportés par l’ensemble des médias nationaux, sortant de la grille de lecture sportive de cette intervention.  

Photo 1 (2)Symptomatiques d’une France schizophrène de sa diversité qui flirte avec le parti d’extrême droite à chaque élection, l’ensemble des joueurs noirs et maghrébins sont considérés comme des joueurs africains. Faisant abstraction de ceux qui sont nés, ont grandi, et ont été formés en France. Les propos sont jugés de racistes par certains, ou de maladroits par d’autres. Au final, ce fut un buzz médiatique, qui disparut dans des excuses publiques aussi rapidement qu’il est apparu. Seul l’auteur des propos restera avec ses propos sur la conscience. Beaucoup de bruit, pour une bonne leçon. Et une casserole de plus pour le football français, habitué des polémiques racistes dans ses plus hautes sphères.

 

Le paradoxe du style africain. L’histoire comme preuve. 

Depuis de nombreuses années, les sélections nationales de football d’Afrique subsaharienne ont la réputation d’être construites sur les qualités physiques et athlétiques de ses joueurs. 

Paradoxalement, ce ne sont pas des qualités qui correspondent à la pratique naturelle et généralisée du football. Les matchs joués sur des espaces réduits et pas toujours uniformes contribuent à développer la technique et l’agilité. Comme au Brésil, où les plus grands joueurs sortent des Favelas et de leurs terrains vagues. L’histoire elle aussi va dans ce sens-là.

Chercheur à l’Observatoire du football de Neuchâtel, Raffaele Poli date les premières filières de transfert dans les colonies africaines au début des années 50. Le Portugal recruta, en 1960, le meilleur joueur de son histoire au Mozambique. « O pantera Negra » EUSÉBIO. L’AS Saint-Étienne fera fuir illégalement Salif Keita pour qu’il puisse les rejoindre. Des efforts immenses à l’époque pour attirer des joueurs très talentueux qui avaient fait leurs preuves sur le continent. 

Photo 2 (1)Dans son livre sur le parcours du triple champion d’Afrique, le HAFIA FC de Conakry, Cheick Fantamady Condé nous rapporte des propos de Maitre Naby Camara. L’actuel président du CNOSF de Guinée était l’entraîneur de l’équipe de Conakry quand il répondait aux questions du journaliste Amady Camara. C’était juste après la défaite face au CANON de Yaoundé, en finale de la coupe des champions d’Afrique, perdue en 1978. (0-0 à Conakry, et 2-0 au Cameroun).  Questionné sur les ingrédients utilisés par l’entraîneur Serbe Ivan RIDANOVIC,  il déclare : « La recherche du résultat a tout pris a provoqué le recours à des tactiques peu spectaculaires, le béton, et à des expédients peu élégants comme l’antijeu. (…) Ce n’était pas le vrai visage du football camerounais. Les Leppé, Koum, Tokoto, Léa, Ndongo, Milla, etc., ce sont épanouis en jouant avant tout au ballon ».

Car le spectacle était de rigueur dans les tribunes africaines. En Guinée, le président Sékou Touré, avait la volonté de valoriser l’indépendance de son pays, en démontrant la supériorité de ses représentants. Pendant 8 ans, il contribuait à la réputation flatteuse du style de jeu d’une équipe qui portait le sceau de sa révolution.

Outre la philosophie de certains entraîneurs, qu’est-ce qui a conduit à ce changement radical? La réponse se trouve peut-être en France.

« L’arroseur, arrosé »

Depuis la victoire au mondial 1998, les orientations données par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française de Football, prônent un style de jeu fondé sur la solidité défensive. Les éducateurs sont formés dans cette optique. La recette du succès du football français qui s’est généralisée dans les centres de formation s’appuie essentiellement sur le physique. Même si des exceptions existent, beaucoup de joueurs furent recalés, car trop petits ou pas assez rapides, et malgré leurs talents certains.

La France est le pays qui recrute le plus de joueurs africains depuis l’arrêt Bosman en 1996.  Et pour répondre aux attentes des clubs qui les emploient, les recruteurs Français, sont à la recherche de joueurs qui correspondent à ces critères. 

Une fois expatriés, le statut des joueurs suffit à en faire des joueurs internationaux. Accompagnés des bi-nationaux formés en France, au fil du temps,  certaines sélections africaines se sont transformées en armada de joueurs du même profil : physique et défensif. 

En caricaturant le footballeur africain, Willy Sagnol n’a fait que pointer le doigt sur le football de son pays, et les directives de ses dirigeants.

Photo 3 (1)Car bien au contraire, « Le joueur typique africain » avait pour mission de faire lever les foules grâce à ses dribbles et ses actions imprévisibles. C’est ce qu’ont fait chaque week-end les meilleurs joueurs du continent. Salif Keïta, Pierre Kalala, Laurent Pokou, Roger Milla, George Weah, Rashid Yekini, Japhet N’Doram,  Nwankwo Kanu, Samuel Eto’o, Mickael Essien, Yaya Touré… 

Mais seulement quand leurs entraineurs leur laiss(ai)ent la possibilité de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme Hervé Renard qui avant la finale de la dernière CAN 2015, déclarait que pour gagner, il faut : « bien fermer leurs joueurs offensivement importants (… ) Ce sera très serré. Peut-être que ça se décidera sur coup de pied arrêté ». Soit bétonner et être réaliste, comme le Canon de Yaoundé de Ivan RADINOVIC en 1978, malgré Roger Milla, malgré Gervinho, Yaya, etc… 

Pierre-Marie GOSSELIN

 

Source citation et données :

Lien vers l’intégralité de l’intervention de Willy Sagnol dans son face à face avec les lecteurs. La question que nous abordons est disponible à partir de la 18ième minute : https://www.youtube.com/watch?v=wv6JVci1XG4&feature=player_embedded

Cheikh Fantamady CONDÉ (2009) Sport et Politique en Afrique, Le Hafia Football Club de Guinée, L’Harmattan Guinée

Conférence de presse de Hervé RENARD le 08/02/2015 avant la finale de la CAN, source AFP, disponible sur www.lequipe.fr http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Renard-ne-pas-laisser-passer-cette-chance/534891

Bibliographie : 

Raffaele POLI : Migrations et commerce de footballeurs africain : aspect historique, géographique et culturel, We Are Football Association http://www.wearefootball.org/PDF/une-nouvelle-traite.pdf

Illustration :

Photo 1 : l’équipe de France en 2008, Willy Sagnol (n°19) entouré de Patrick Viera et Lilian Thuram

Photo 2: Le Hafia FC de 1977, photo de couverture du livre de Cheick Fantamady CONTÉ

Photo 3 : Caricature de Dadou, sur le style de jeu des girondins lors de la saison 2013/2014, et la réaction des supporteurs . www.foot-land.com

Pourquoi des données fiables sont-elles nécessaires dans la lutte contre la pauvreté ?

dataLa réduction de la pauvreté et la question du développement socio-économique constituent des enjeux primordiaux. Si aujourd’hui, on s’oriente vers ce qui s’appelle les ODD, en prolongement des OMD, c’est bien parce que les objectifs prévus dans le cadre de ces OMD n’ont pas été atteints. Et pour cause, les politiques et autres actions menées dans ce cadre n’ont pas eu l’impact escompté du fait du manque de visibilité qu’ont les responsables sur leur cible. Il ne s’agit pas là d’une critique aux OMD, ni d’une remise en cause des efforts qui ont été réalisés dans les différents pays avec la mise en œuvre des OMD – les données disponibles nous montrent assez bien que les conditions de vie ont significativement été améliorées pour de nombreuses populations – mais la persistance de la précarité fait ressortir la question de la pertinence de ces programmes ambitieux. En fait, ces programmes (OMD/ODD) offre un diagnostic pertinent et complet de la situation socio-économique du monde et donnent des directives précises pour améliorer ces conditions. L’obstacle réside surtout dans son implémentation et l’information en est la clé. Cette information est primordiale à double titre : d’une part il permet d’orienter les politiques et les actions et permet d’autre part d’en assurer le suivi. Le défaut de cette information, notamment dans les pays en développement, principaux bénéficiaires des ressources financières au titre de l'aide au développement et de lutte contre la pauvreté, serait donc un obstacle majeur dans l’atteinte des objectifs des ODD. L’Overseas Development Institute (ODI) a publié un rapport sur le sujet pour illustrer la nécessité de disposer de données fiables dans la tentative de lutte contre la pauvreté.

Selon ce rapport de l’ODI, les différentes enquêtes menées pour mesurer l’évolution des conditions de vie (enquête ménage) excluent une frange importante de la population. Ce sont ainsi près de 350 millions de personnes qui ne seraient pas couverts par ces enquêtes. Il s’agirait surtout des personnes vivant dans les bidonvilles, qui sont soit inaccessibles ou qui refusent d’être interviewer craignant que ce soit des manœuvres de déguerpissement, des nomades ou des sans-abris, selon l’économiste de la santé, Carr-Hill. S’ils devraient être intégrés dans ces enquêtes, le taux de pauvreté à l’échelle mondiale pourrait s’accroître de 25%.  Des estimations qui pourraient expliquer le contraste entre les chiffres avancés par les institutions en charge de la production de statistiques et la perception qu’ont les populations.

En outre, des biais importants existeraient dans les données utilisées pour faire le suivi des objectifs des OMD. De nombreux pays n’effectuent pas ou effectuent très rarement des enquêtes portant sur les conditions de vie des ménages. Pour ceux ayant une pratique fréquente de cet exercice, l’analyse des données est plus lente et les publications en déphasage avec la réalité courante. En Afrique, c’est seulement 31 pays sur les 53 qui ont fourni de façon régulière des données sur les enquêtes ménage portant sur des années antérieures. Ceci supposerait donc que les données sur la pauvreté en Afrique ne portent que sur des données « vieilles », qui au mieux subissent des travaux d’estimation (qui prennent en compte l’évolution de la conjoncture économique). A titre d’exemple, le chiffre le plus récent sur la pauvreté en Algérie est calculé sur la base d’une enquête de 1995. Dans ce contexte, le renouvellement des enquêtes ou la modification des méthodologies donne lieu à des révisions « extravagantes » des chiffres. A titre d’exemple, le nombre de pauvre (avec le seuil de 1.25 USD par jour) dans le monde est passé de 931 millions en 2005, à 1,4 milliards suite à la prise en compte du taux d’inflation, qui a induit des modifications au niveau du seuil de pauvreté en parité du pouvoir d’achat.  La donnée la plus récente qui porte sur 2011 (1 milliards d’individus) pourrait être ainsi revue à la baisse, avec la révision des prix.

Chacune des dimensions des OMD souffrent de maux similaires – dans l’éducation, dans la santé, etc. Une situation qui a amené l’ODI à identifier des facteurs qui nous sont encore inconnus[1] ou très peu documentés : (i) la population urbaine ; (ii) les actifs détenus dans les comptes offshores et qui échappent aux administrations fiscales ; (iii) le nombre de filles de moins de 18 ans en situation d’union ; (iv) la situation de l’éducation ; (v) le nombre de personnes pauvres dans le monde (avec un focus sur les jeunes et les femmes) ; (vi) les personnes en situation de travail indécent et les enfants en emploi ; (vii) le nombre d’enfants de rue et les sans-abris ;  (viii) la faim dans le monde ; (ix) l’économie informelle et (x) la structure des économies d’Afrique subsaharienne.

On comprend aisément que la mauvaise connaissance des caractères socio-économiques des populations induit une mauvaise mise en place des projets visant à réduire la pauvreté et à promouvoir le développement, notamment au niveau local. Les programmes de transferts d’argent, par exemple, ont besoin d’un ciblage précis pour éviter des problèmes d’aléa moral et de sélection adverse mais aussi pour assurer le suivi des personnes bénéficiaires. La disponibilité de données fiables rend donc facile l’implémentation des programmes de développement.

Face aux objectifs majestueux des ODD, la question demeure et explique certainement pourquoi l’initiative « Data Revolution »[2] afin d’assurer le « […] leaving no one behind » que promeut ces ODD, a été initiée. Pour l’ODI, relever ce défi passera par  3 facteurs principaux :

  • le renforcement des capacités des organes nationales en charge de la production de données statistiques. En effet, selon une enquête de Paris 21 (2015)[3], les instituts nationaux de statistique des pays sous-développés, et africains en particulier, sont très peu développés, disposant de ressources financières et humaines (parfois non adaptées) limitées avec des équipements inadéquats. Dans ce contexte, on imagine mal les pays se mettre à niveau quant aux nouvelles méthodes de collecte et de traitement de données ; l’essentiel du personnel qualifié étant occupé dans la production d'information de premier rang (basiques).
  • l’indépendance statistique. S’il est une chose que de disposer des capacités pour produire de l’informatique statistique fiable, le choix de l’information et sa diffusion peuvent être influencés par des aspects politiques. En effet, l’information est source de pouvoir et donc l’appareil statistique peut être détourné à des fins politiques. A titre d’exemple, en Inde, la question portant sur les castes est exclue du recensement depuis 1931 mais en 2011, pour des raisons politiques, cette question fut introduite parce que les autorités avaient senti le besoin d’identifier les groupes marginaux pour en faire des alliés.
  • la non-ingérence des institutions internationales et des bailleurs.  Ils arrivent assez souvent que des ONG ou des institutions internationaux aient recours à de l’expertise locale pour disposer de données dont ils ont besoin dans leur analyse. Cependant, ils le font au dépend des INS, recrutant comme consultants des personnels des INS, affaiblissant davantage ainsi la capacité de ces dernières. De plus ces enquêtes, qui parfois sont conduits en marge des INS, laissent ces organes sans expérience pratique de gestion d’enquête de sorte que chaque nouvelle enquête appelle à un recommencement perpétuel. Dans certains cas, ces enquêtes absorbent tout l’appareil statistique, de sorte que le personnel n’éprouve plus de réel intérêt à conduire des travaux pour les autorités[4], qui par ailleurs, fondent ses projets sur des estimations faites par des institutions externes.

Si les pays africains, notamment ceux d’Afrique subsaharienne veulent relever le défi de l’émergence et de la réduction (voir l’éradication) de la pauvreté, il est impératif pour eux de disposer d’outils de planification et de suivi de leurs actions qui s’appuient sur des données cohérentes, fiables et produites de façon régulière. La souscription à l’initiative « Data Revolution » peut être considéré comme un pas dans ce sens mais cette problématique doit être autonomisée par les pays africains avec des solutions adaptées aux réalités locales. Les nouvelles technologies de l’information offrent des solutions, qui pourraient sans doute être exploitées. Les statistiques ont souvent été considérées dans de nombreux pays africains comme accessoires, au service des institutions internationales et des ONG, de sorte que la culture statistique y est presque inexistante, se traduisant donc par un système statistique dont la performance est souvent remise en cause. Les défis de l’Afrique, qui se construit et se développe, sont nombreux et variés. Si la question énergétique et des infrastructures est centrale pour valoriser les ressources du continent, celle de la maîtrise de l'information est tout aussi importante pour la planification et le suivi des différentes actions. Il urge donc de replacer l’information chiffrée au cœur de leur stratégie et de permettre à l’appareil statistique d’être un outil pour la gouvernance socio-économique.

Foly Ananou


[1] Il ne s’agit pas, en fait de données non documentées mais dont la précision est discutable – la plupart des informations dont nous disposons sur ces variables étant des estimations provenant d'ONG ou d'institutions internationales, qui ont commandité des enquêtes sur le sujet.

 

[2] Pour en savoir plus : http://www.undatarevolution.org/

 

[3] Paris21 (2015). A road map for a country-led revolution.

 

[4] La rémunération étant plus conséquente avec les bailleurs 

 

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