Pour des services d’état civil plus efficaces en Afrique

civilL’état civil est l’ensemble des dispositions légales et réglementaires dont l’objet est de situer dans le temps et dans l’espace les événements essentiels de la vie d’un être humain dont les plus importants sont la naissance, le mariage et le décès. Il désigne également la structure administrative qui s’occupe de la délivrance des documents appelés actes d’état civil. « L’état des personnes n’est établi et ne peut être prouvé que par les actes de l’état civil, les jugements ou arrêts en tenant lieu et, exceptionnellement, les actes de notoriété »[1]. Si la situation s’améliore au niveau des mairies qui délivrent généralement les pièces d’état civil, tel n’est pas le cas dans l’appareil judiciaire qui actualise rarement les casiers judiciaires des citoyens condamnés suite à des jugements prononcés. Les gouvernants africains ont lancé un appel à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire en février 2015 en vue de promouvoir l’utilisation de l’état civil et des statistiques de l’état civil pour appuyer la bonne gouvernance en Afrique[2].

Constats sociodémographiques et économiques

Les données d’état civil sont très utiles dans plusieurs domaines : démographique, administratif, juridique, économique et social. La population du continent africain est estimée à 1,111 milliards d’habitants en 2013 avec un taux de croissance annuel[3] de 2,5%, notamment en Afrique Subsaharienne.

« Les naissances, les mariages et les décès sont constatés sur des registres tenus dans les centres d’état civil selon les modalités fixées par décret »[4]. Donc les statistiques de fécondité et de mortalité devraient être constatées par l’état civil. Si elles ont connu un essor avec l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance ; ces données sur la fécondité et la mortalité en Afrique, ne proviennent plus que de plusieurs enquêtes et recensements organisés sur le plan mondial. L’état civil en Afrique n’est pas utilisé à des fins statistiques principalement à cause du fait que la législation dans certains pays ne prévoit pas ce volet statistique[5]. Cette législation n’envisage pas aussi le transfert de données entre la structure en charge de la collecte (état civil) et la structure en charge du traitement de ces données. Il y a encore à ce jour, des naissances qui ne sont pas enregistrées du simple fait que certaines femmes continuent d’accoucher à la maison. En outre, de nombreux décès ne sont pas déclarés auprès des services en charge de l’état civil.

La pratique des enregistrements fictifs surtout au moment de l'entrée à l’école est très répandue et peut arriver jusqu’à 80% des enregistrements dans certains zones[6]. Ce sont pour la plupart des enfants nés en dehors des centres de santé formels (structures informelles) ou ceux dont les parents n’ont pas fait aussitôt après leur naissance, la déclaration dans le registre de l’état civil. Cette situation favorise la pratique de fraude au sein des administrations africaines.

Le manque d’informations sur la couverture des enregistrements des faits d’état civil (naissances et décès), ne permet pas d’élaborer parfois de bonnes politiques économiques. Les activités pour le suivi d’élaboration de stratégies de réduction de la pauvreté biaisent les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Or ces statistiques devraient renforcer l’appui au système de collecte des indicateurs économiques (indice de coût de la construction, indice de prix à la consommation, le commerce extérieur, les comptes nationaux, etc.) afin de stimuler l’impact des politiques économiques et sociales. Suivant les dispositions du code des personnes et de la famille, dans le cas du Bénin par exemple « L’officier de l’état civil est tenu, à la fin de chaque trimestre, sous peine de sanction, d’adresser au service national des statistiques, un état des naissances, des mariages, des divorces, des décès et des enfants sans vie inscrits au cours du trimestre »[7].

Cette disposition du code n’est pas suivie et met à mal les activités d’analyses (évolution des structures de consommation des ménages, production des notes sur l’emploi, mise à jour des bases de données, publication et diffusion des résultats des différentes études et enquêtes statistiques, etc.) des services en charge du traitement des données statistiques.

D’une façon générale, des difficultés dans l’atteinte d’un important taux de fréquentation en matière d’état civil persistent encore en Afrique. Or, un faible taux d’enregistrement des événements de l’état civil ne permet pas à cette structure de jouer efficacement son rôle de banque de données fiables pouvant aider les gouvernants africains. A tout cela, s’ajoutent les fraudes que l’on constate dans les services d’établissement des actes d’état civil.

Constats sur les fraudes et les jugements supplétifs

L’état civil dans la vie des citoyens est empreint de toutes sortes de fraudes. Il y a lieu ici de signaler les cas particuliers de la falsification des actes de naissance opérés par certains usagers et ayant pour objet :

  • d’accélérer la date du début de la scolarité,
  • de faire reculer le moment de la retraite,
  • d’établir de faux liens de filiation à des fins successorales,
  • d’établir une fausse pièce d’identité (carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire),
  • de faciliter l’obtention de certains avantages matrimoniaux (mariage, divorce, rapprochement de conjoint, etc.).

La fraude peut porter sur l’acte d’état civil lui-même. Elle résulte alors de l’usage de faux actes confectionnés par des personnes ou des officines privées, d’altération de copies ou d’extraits d’actes régulièrement délivrés par les autorités locales, d’altération des registres de l’état civil par surcharge, rature, découpage et collage, de confection de vrais faux actes d’état civil constitués d’actes réguliers en la forme mais dont les événements relatés ne correspondent pas à la réalité (naissance fictive, reconnaissance mensongère, etc.).

La fraude à l’état civil a pris une ampleur toute particulière à travers essentiellement le phénomène de l’émigration. Une enquête menée par le ministère français des affaires étrangères auprès de postes diplomatiques et consulaires a permis de procéder à une estimation des actes d’état civil faux ou obtenus frauduleusement. Dans nombre de pays, la proportion de faux actes détectés par ces postes se situe entre 30 et 60 %. Elle est même évaluée à 90 % pour les Comores[8].

L’ignorance ou la méconnaissance des textes régissant le délai de déclaration d’une naissance ou d’un décès conduit certains bénéficiaires à solliciter la complicité des agents des services d’état civil pour se faire établir de faux actes en vue de régler une préoccupation de l’heure.

Beaucoup d’événements d’état civil passent inaperçus et échappent ou ne sont pas portés à la connaissance des services d’état civil. La non déclaration de ces faits, loin de conduire à des fraudes, peut s’expliquer par l’éloignement des centres d’état civil, le manque de moyens pour faire face aux frais médicaux très élevés, certaines femmes pour des normes coutumières craignent l’assistance d’un homme comme agent de santé d’accouchement, le comportement des agents chargés de prendre les déclarations, l’analphabétisme, le délai de prescription de 10 jours[9]. Toute personne se trouvant alors dans l’impossibilité de se faire établir un acte d’état civil, peut le suppléer par un jugement supplétif qui relève du Tribunal de Première Instance (TPI) du lieu de son ressort.

Les jugements supplétifs subissent aussi des manipulations au niveau des prénoms, de la date de naissance et du lieu de naissance lors de la délivrance de copies certifiées conformes aux originales. Ce qui permet à leurs titulaires de reproduire ces copies conformes qui présentent de nouvelles données. Des investigations faites au niveau de la Circonscription Urbaine de Cotonou au Bénin laissent découvrir de graves lacunes en ce qui concerne les transcriptions sur les registres d’état civil. Les jugements supplétifs homologués depuis 1997 ne sont pas encore transcrits à nos jours. Ceci est dû au non suivi et au manque de contrôle des autorités compétentes, toute chose qui favorise la fraude en matière d’état civil[10].

Il est donc évident que ces différentes manifestations de fraudes, faussent les statistiques des actes d’état civil, et par conséquent biaisent les différentes politiques élaborées par les autorités africaines.

Constats sociopolitiques et juridiques

Le droit à la personnalité juridique est une question qui revêt une importance capital. En effet, sans une identité légale, la jouissance des différents droits (liberté d’aller et venir, liberté de choisir, liberté d’entreprendre, droit à l’éducation, santé, eau et électricité, droit au travail, demande d’un titre foncier, héritier des biens, droit au mariage, etc.) est illusoire ou fortement compromise. Voilà que le système d’état civil dans la majorité des Etats africains est embryonnaire. Bon nombre de personnes sont des « sans papiers ». Cette situation n’est pas sans conséquences sur la vie des citoyens.

Formellement, des subterfuges ont parfois été trouvés pour contourner ces difficultés comme par exemple l’inscription des citoyens (ou supposés tels) sur les listes électorales sans pièces d’identité et sur la base de simples témoignages, souvent des chefs de villages ou de quartiers des villes. Ces solutions n’enlèvent rien à la responsabilité de l’État car « l’acte d’état civil constitue un droit inaliénable de la personne humaine. Il est de la responsabilité de l’État, au regard de ses engagements vis-à-vis des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, de prendre toutes mesures nécessaires pour en assurer la pleine garantie afin que chaque Béninois soit détenteur d’une identité légale »[11].

Pour remédier à cette lacune, le Bénin a initié en 2006 le projet « Recensement Administratif à Vocation Etat Civil[12] » ou « RAVEC ». C’est une administration spéciale mise en place par le Gouvernement béninois et dont l’objectif est d’organiser, en collaboration avec les tribunaux et les communes, des audiences foraines afin de délivrer des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas. Ce projet permettra au Bénin de disposer d’un système d’état civil moderne, sécurisé et crédible répondant aux exigences de la bonne gouvernance. Le RAVEC vise donc à constituer une base de données, attribuer un identifiant à chaque béninois, rendre accessibles les actes, même en cas de perte, permettre la sécurisation et la fiabilité du système d’état civil, dorénavant numérisé et biométrique. Toutes choses qui permettront d’avoir des listes électorales, cartes d’électeurs, permis de conduire, passeports fiables, etc. Le recensement sur les registres de requérants a connu un succès considérable puisque les demandeurs d’actes de naissance (en principe seulement ceux qui ont plus de quinze ans) dans les 77 communes béninoises se chiffrent à 2 336 159 personnes[13]. La phase des audiences foraines a en effet connu quelques difficultés de parcours (vacances judiciaires, grèves des magistrats, puis des greffiers, etc.), mais début 2010, plus de 70% des requérants avaient obtenu satisfaction. Mais le volet « base de données que comporte le RAVEC, a été invalidé par la Cour constitutionnelle, car cela est du ressort du pouvoir législatif[14].

Malgré ces constats, les officiers d’état civil sous estiment le nombre croissant de fraudes répertoriées et ignorent les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement normal des centres d’état civil en particulier et sur la société en général. En effet, la montée de la fraude à l’état civil peut remettre en cause la totalité des actes d’état civil délivrés par les autorités  compétentes et freiner par conséquent certains droits que doivent bénéficier les citoyens.

Pourtant, des dispositions légales et réglementaires ont été prises pour permettre à l’officier d’état civil de vérifier l’événement déclaré et la valeur probante de l’acte de l’état civil. Dans certains cas, il est même parfois habilité à refuser l’établissement d’un acte. En outre, des sanctions pénales ou administratives ont été dictées pour réprimer les agissements frauduleux. Malgré ce dispositif législatif le mal demeure. Monsieur Ousmane Massek Ndiaye[15] a reconnu que la loi seule ne peut venir à bout de ce phénomène. Il a invité à une union sacrée de tous les responsables politiques, religieux, coutumiers pour influer positivement sur les mentalités.

L'état civil à un rôle primordial à jouer dans le processus de développement de l'Afrique. De fait, il constitue un soutien fort à l'élaboration et au suivi des politiques socio-économiques. Cependant, son rôle en tant qu'appui à la planification du développement est compromis par la moindre importance qui lui ait accordé et qui se traduit par d'importantes fraudes, qui mettent davantage à mal le rôle qu'il pourrait jouer. Il est donc nécessaire, aujourd'hui d'envisager des solutions et ce d'autant plus que le numérique offre des possibilités, afin de rétablir l'état civil et d'en faire un outil pour le développement de l'Afrique. 

Nicolas Olihidé


[1] Article 33 de la Loi N°2002-07 du 24 Août 2004 portant Code des personnes et de la famille en République du Bénin.

 

[2] NATIONS-UNIES / CEA, 2015, Troisième conférence des ministres africains en charge de l’état civil, Yamoussoukro (CÔTE D’IVOIRE), 09 au 13 février 2015.

 

[4] Article 34 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[5] NATIONS UNIES / Département des affaires économiques et sociales / Division des statistiques, 2003, Rapport de la réunion d’experts sur l’amélioration des statistiques de fécondité et de mortalité en Afrique francophone, Yaoundé, Cameroun, du 22 au 26 septembre 2003.

 

[7] Article 41 alinéa 6 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[8] Extrait du document intitulé « Outils de formation en matière d’état civil » réalisé par SOUDJAY SONATAY Oumie en 2006 financé par l’UNICEF sur le site web : http://www.comores-web.com/article/la-fraude-a-letat-civil.html consulté le 24/03/2012.

 

[9] Article 60 alinéa 1 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[10] ANAGONOU AKANMOUN Philomène, 1999, Problématique de l’état civil au Bénin : cas des jugements supplétifs, UNB/ENA.

 

[11] Union africaine et gouvernement du Bénin, MAEP : Rapport d’évaluation du Bénin, pp.355 et 366.

 

[12] Décret n° 2006-318 du 10 juillet 2006  portant établissement et délivrance des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas.

 

[13] BADET Giles, 2010, Bénin, Démocratie et Participation à la vie politique :une évaluation de 20 ans de Renouveau démocratique, Une étude d’AfriMap et d’Open Society Initiative for West Africa

 

[14] Décision DCC 06-17 du 17 novembre 2006.

 

Comment « réinventer » la politique africaine de la France ?

_W1B7920-okC’est un portrait sans concession de la politique française en Afrique que brossent les députés Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (UMP) dans leur récent rapport parlementaire sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone ». Soyons lucides, réclament-ils d’abord ; extrême pauvreté, mortalité infantile, absence d’infrastructures et secteur éducatif en crise : malgré la démographie galopante, la situation de l’Afrique est bien loin du discours afro-optimiste à la mode. Et dans ce contexte difficile, la politique française a en partie échoué, se réduisant de plus en plus, à des réactions militaires de dernière minute, au cœur de la crise, quand il aurait fallu, en amont, une politique de développement beaucoup plus ambitieuse. Corsetée dans ses vieilles habitudes, la France a bien du mal à tourner la page de ses amitiés anciennes, regrettent-ils. Elle passe à côté du bouillonnement des jeunesses africaines, qui de Ouagadougou, à Bujumbura, réclament davantage de démocratie. Pour L’Afrique des Idées, le député Philippe Baumel a accepté de présenter quelques-unes des pistes qu’il appelle de ses vœux pour redéfinir la stratégie française en Afrique.

L'Afrique des Idées: “La politique africaine de la France est à réinventer”, écrivez-vous dans votre rapport. Par où commencer ce vaste chantier ?

Compte tenu des moyens dont on dispose, on ne peut pas agir sur tous les secteurs, il faut définir des priorités. La France, au sein du concert des nations, pourrait particulièrement cibler les problématiques de santé et d’éducation. C’est déjà en partie le cas, mais ces objectifs ne sont pas complètement tenus et ils ratent parfois complètement leur cible. Sur les questions de santé, on met les moyens les plus importants sur la lutte contre le sida. Mais quand vous regardez de près les statistiques délivrées par l’OMS, vous vous apercevez que les Africains ne meurent pas en priorité du sida. Ils meurent d’abord d’autres maladies, comme le paludisme, ou à cause de la mortalité infantile sans lien avec le sida. Il faut cibler ce qui touche véritablement les Africains, plutôt qu’une maladie, certes pandémique et très importante, mais qui n’est pas la première des priorités. Sur l’éducation, nous répétons depuis plusieurs années qu’on doit mettre le paquet sur l’éducation de base. Pourtant l’année dernière nous ne lui avons consacré que 439 000 euros. Sur un budget total d’aide publique au développement de plus de 8 milliards d’euros, avouez que ce n’est pas terrible…. Dès lors, comment faire progresser la pratique du français ! Il faut mieux définir les objectifs mais surtout mieux les tenir, pour ne plus rater la cible comme on le fait aujourd’hui.

Vous souhaitez aussi que la France revienne davantage à des actions bilatérales, mais a-t-elle les moyens d’agir seule ?

Le problème aujourd’hui, c’est que l’argent que met la France sur un certain nombre de programmes internationaux n’est pas identifié. Sur le terrain, les Africains ont le sentiment que la France n’est plus dans le paysage, qu’elle est invisible alors qu’elle continue à payer de nombreuses opérations, pour des objectifs souvent médiocrement tenus. On ne veut pas se retirer complètement des actions multilatérales, mais il faut agir plus directement dans certains domaines. D’autant que je n’ai pas le sentiment que les dispositifs multilatéraux soient toujours évalués de façon optimale et que les décisions prises soient toujours concertées avec l’ensemble des co-financeurs. Il faut donner du sens à notre intervention publique en matière de développement et cela passe par un retour à une forme de bilatéralisme.

La politique africaine de la France est-elle trop militarisée ?

Attention, je considère que l’intervention militaire de la France a été ces derniers mois l’honneur de la France en Afrique. Lorsqu’il y a urgence pour restaurer la sécurité de peuples menacés par l’absolutisme ou la barbarie, il est heureux que la France intervienne. Ce que je regrette, c’est qu’elle soit la seule à intervenir et surtout, qu’avec des interventions trop durables dans le temps, l’opinion africaine se retourne et considère progressivement que la présence militaire française est une forme d’armée d’occupation. La sécurité est assurée mais s’il n’y a pas de véritables programmes de restauration de l’État, de l’économie et de la société dans son ensemble, on ne s’attaque pas aux racines du mal. Il faut faire attention à la durée de nos interventions et essayer de les faire partager au niveau européen. Il faut être à plusieurs pour gérer l’aspect militaire des choses mais surtout pour le post-militaire. La France ne peut pas se contenter de réagir dans l’urgence, il faut qu’elle soit à l’initiative d’actions en profondeur, avec des politiques de développement renouvelées, qui vont nous éviter de nous retrouver dans une situation de crise. Pourquoi un certain nombre de gens se tournent vers Boko Haram ou l’extrémisme religieux, c’est parce qu’ils ne trouvent pas de place dans la société, qu’ils sont dans la misère, et que le religieux devient leur seule perspective.

Le ministre de la Défense, Jean -Yves le Drian, est-il trop influent auprès des chefs d’État africains ?

Non. C’est bien normal qu’il soit sur le théâtre des opérations quand il y a des interventions miliaires. Mais il faut restaurer une stratégie politique vis-à-vis des États africains. C’est pour cela que nous proposons la création d’un ministère du développement de plein exercice, au même niveau que le Quai d’Orsay, pour avoir un outil d’anticipation, qui définit une politique de développement contrôlée par le Parlement, avec chaque année un arbitrage politique et budgétaire. La décision politique est aujourd’hui éparpillée, entre de nombreuses agences, sur lesquelles le Parlement n’a aucun contrôle. Cela n’aurait rien à voir avec l’ancien ministère de la coopération. S’il y avait une comparaison à faire, c’est plutôt avec ce que font les Anglais depuis plusieurs décennies avec un ministère du Développement de même niveau que celui des Affaires étrangères.

La diplomatie française est-elle déconnectée des réalités de la jeunesse africaine ?

Lors de notre mission au Cameroun, nous avons rencontré des jeunes diplômés qui avaient étudié en France puis fait le choix du retour. Sincèrement, c’était accablant. Sur la trentaine de diplômés, deux seulement avaient trouvé leurs places dans le pays. Les autres étaient désespérés malgré la réussite de leurs études réalisées avec le soutien de bourses françaises. Certains nous disaient qu’ils en arrivaient à regretter d’avoir étudié en France et d’être rentrés. Cela signifie que nous devrions aussi avoir comme mission de faciliter la réinsertion de ces jeunes dans le tissu social et économique local, pour qu’ils soient utiles au développement de leurs pays. Il faut savoir s’appuyer sur eux, développer des réseaux. Il y a à peine un an que le Ministère des Affaires étrangères a décidé de constituer un réseau complet des jeunes Africains, diplômés en France, et qui repartent dans leurs pays. C’est très pertinent. Quand on recherchera des ressources humaines on saura à quelles portes frapper et comment constituer des réseaux utiles.

Faut-il faire évoluer les relations avec certains chefs d’État, partenaires traditionnels de la France. Dans votre rapport, on peut lire par exemple qu’il faut préparer l’après Biya au Cameroun…

Il ne faut pas jeter l’anathème sur les uns ou sur les autres. Pas plus au Cameroun qu’ailleurs. Le Cameroun est un faisceau de réalités, qui relèvent du poids de l’histoire, et qu’on retrouve dans d’autres pays quel que soit l’âge du président. Je pense surtout qu’il faut sortir de cette relation de président à président, trop personnalisée. C’est la meilleure façon de masquer les véritables réalités économiques et sociales. Il faut savoir entretenir des liens directs avec les acteurs de la société civile, être sensible à ce qu’ils nous disent, à la façon dont ils vivent.

La France doit-elle davantage se faire entendre sur les droits de l’homme, vous citez plusieurs arrestations récentes en RDC notamment… ?

En Afrique comme ailleurs, je crois que le message sur les droits de l’homme est tout à fait identifié comme étant a priori un message de la diplomatie française. Si on ne le tient pas fermement, on est très vite taxé de complaisance. Je regarde un certain nombre de manifestations qui se sont tenues ces derniers mois, ces dernières semaines ou même tout récemment au Burundi, quand un président qui veut continuer à se présenter après deux mandats, n’hésite pas à tirer sur la population. Je pense que la France doit réaffirmer un certain nombre de principes. François Hollande l’a fait avec justesse à Kinshasa ou à Dakar. C’est heureux et fort que la France porte ce message mais il faut le faire au quotidien, à chaque fois que l’actualité l’exige, c’est comme ça qu’on imprimera davantage les principes et valeurs qui sont les nôtres.

Votre rapport étudie la relation avec les pays africains francophones. Cette distinction francophone/anglophone n’est-elle pas un peu datée, à l’heure où les entreprises traversent les frontières ?

Je ne suis pas sûr que les entreprises les plus significatives traversent si facilement les frontières. On s’est surtout concentré sur les pays francophones car on considérait qu’il y avait un lien plus fort depuis longtemps et une culture partagée dont on voulait mesurer les effets dans les réalités sociales et économiques. Je peux convenir que pour partie, ces clivages-là sont un peu dépassés.

Quel regard portez-vous sur le projet d’électrification de l’Afrique porté par Jean-Louis Borloo ?

C’est bien. Cela rassemble des moyens. C’est un objectif qu’il faut savoir tenir parce que cela peut concerner une large partie de la population africaine. Mais il faut le faire en coordination avec la population. Si cela reste une superstructure qui plane au-dessus des États africains, j’ai un doute sur l’efficience de la démarche. Mais je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain, on verra d’ici quelques années à partir des crédits rassemblés aujourd’hui. L’électricité c’est déterminant pour l’Afrique, dans les décennies à venir, il faut qu’un cap en termes d’infrastructures soit passé. Ces enjeux ne pourront pas être résolus par la seule action de Jean-Louis Borloo. Cela nécessite des dizaines de milliards d’euros et une mobilisation planétaire, au niveau des Nations Unies. 

Entretien réalisé par Adrien de Calan

Pour une coopération émergente entre Cuba et l’Afrique

Le retour en grâce de Cuba dans le concert des nations s’opère progressivement, avec les offensives  diplomatiques  des  grandes  puissances  telles  que  les  Etats-Unis  ou  encore  la France  mais  aussi  l’Union  Européenne.  Cet  activisme  politique  pour  la  destination  Cuba  pose  plusieurs interrogations  sur  la  nouvelle donne  diplomatique  de Barack  Obama,  ses homologues  occidentaux,  et  sur  les  possibilités  économiques  et  stratégiques  de coopération avec l’île tropicale. 

 A cet effet, quelle est la place de l’Afrique, qui, historiquement, a toujours entretenu des relations avec Cuba dont le positionnement anticolonialiste et anti-impérialiste, avait les faveurs  des  pouvoirs  et  des  élites  du  continent  noir ?  Au-delà  de  l’idéologie,  tous  les signaux pour une coopération réelle de développement économique sont au vert pour que Cuba et l’Afrique réinventent la coopération des nations émergentes.

L’Afrique et Cuba, un pacte au nom de la solidarité tiers-mondiste 

cuba_africa1_leadLes  mêmes  causes  produisant  parfois  les  mêmes  effets,  l’Afrique  noire  des  années  1960 essentiellement, en lutte pour l’obtention de ses indépendances, avait su trouver en Cuba aux  prises  avec  les  Etats-Unis  un  allié  de  poids.  Fidel  Castro  a  toujours  soutenu  les révolutionnaires  africains  tels  qu’Amilcar  Cabral,  Patrice  Lumumba,  Agostinho  Neto  ou encore le héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. La collaboration ne relevait pas du romantisme révolutionnaire mais elle a été concrètement soutenue par l’envoi de forces militaires cubaines en soutien aux combattants de la liberté.

Ces guérilleros cubains appelés encore les Internationalistes* ont véritablement combattu aux  côtés  de  leurs  frères  d’armes  africains. Cuba, une odyssée africaine, un  excellent  documentaire  de  Jihan  El  Tahri rappelle la « belle histoire » des indépendantistes unis pour pousser hors des frontières le colon dominateur. Il n’est pas inutile de rappeler que l’ombre de Che Guevara a également plané sur les révolutions africaines, et particulièrement celle du Congo de Laurent Kabila qui s’est toujours « vanté » d’avoir combattu aux côtés de la légende latino-américaine. 

Ainsi, le mythique Che, avec plus ou moins de succès, aurait arpenté dans les années 1960 en  plus  des  deux  Congo,  la  Tanzanie,  l’Égypte,  le  Mali,  le  Ghana,  la  bouillante  Guinée de Sékou Touré, portant le message de la libération des opprimés contre les colonialistes. 

L’embuscade de la France… avant l’entrée en scène des États-Unis

Le récent voyage de François Hollande en mai, à la faveur de sa tournée caribéenne, et sa rencontre  avec  le  « Lider  Máximo »  Fidel  Castro  sont  des  indicateurs  probants  d’un rapprochement avec l’un des plus vieux pays qui professe avec un enthousiasme suranné  son idéologie socialiste, mais qui de fait est ouvert au marché depuis plusieurs décennies. 

À cet effet, la realpolitik de la diplomatie française se veut limpide sur le sujet : Cuba est également  attractive  économiquement.  Stratégiquement,  la  France  est  une  puissance régionale  dans  les  Caraïbes  mais  aussi  elle  ne  souhaite  pas  laisser  aux  Américains  le leadership  du  rebond  commercial  et  économique  que  représenterait  à  court  terme  Cuba dégagé de ses contraintes internationales. En tout cas, officiellement…

Dans  ce  jeu  de poker  géopolitique  et  économique,  l’Afrique  a tout  intérêt  à densifier  ses relations avec Cuba. Elle a l’avantage de l’histoire et la facilité de tisser des liens culturels, commerciaux et économiques.

Cuba et son allié africain, un partenariat émergent pour le développement

Cuba  dispose  de  l’un  des  meilleurs  systèmes  de  santé  au  monde.  Pendant  la  crise épidémique d’Ebola, des médecins cubains se sont rendus, avec du matériel de haute portée technologique,  dans  les  foyers  de  propagation  d’Ebola  en  Afrique  noire.  A  titre  de comparaison,  Cuba  a  fait  dépêcher  de  toute  urgence  près  de  500  médecins  et  personnel médical pendant que la Chine, les Etats-Unis ou la France en envoyaient un peu plus de la moitié.

Il est impérieux de promouvoir des accords de coopération bilatérale entre pays africains et Cuba ou dans le cadre d’un dispositif multilatéral porté par l’Union Africaine, de favoriser la formation  des  médecins  africains  et  le  transfert  de  compétences  pointues  en  matière médicale avec l’île.

D’autres  domaines  sont  également  utiles  à  apprécier;  comme  l’éducation.  A  ce  niveau également, le système éducatif cubain, le meilleur d’Amérique Latine et des Caraïbes, est l’un  des  plus  compétents  voire  compétitifs.  Selon  une  étude  la  Banque  mondiale,  un investissement hors-pair est mis sur la priorité éducative et la formation des professeurs. Ainsi, « aucun corps enseignant de la région – latino-américaine et caribéenne- ne peut être considéré comme étant de haute qualité en comparaison avec les paramètres mondiaux, à la notable exception de Cuba ». Ainsi, un continent globalement carent sur la question de l’éducation  a  tout  à  gagner  en  s’inspirant  de  modèles  de  réussite  que  pourrait  offrir  un programme de partage d’expériences avec Cuba. 

Il faut clairement que l’Afrique se positionne, de façon spécifique par pays, ou par le biais de l’institution continentale, pour la promotion d’une coopération sud-sud dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, du tourisme, du commerce.

Dans ce monde extrêmement clivé entre le Nord et le Sud, les pays développés et les nations en voie de développement, il est plus que nécessaire de défendre l’idéal d’une coopération avec Cuba ou d’autres pays du Sud ou considérés comme tels, au nom du réalisme politique et de l’émergence de nouveaux modes d’actions.

Régis HOUNKPE,

Analyste géopolitique, Directeur associé d’Interglobe Conseils 

Quel est l’apport du numérique au processus de développement de l’Afrique ?

carte-afrique-insdustrie-nouvelle-technologie-developpementAujourd'hui, l'économie numérique occupe une place importante dans le marché mondial, d'une part, grâce à l'omniprésence des TIC (technologies d'informations et de communication) dans tous les secteurs d'activité et d'autre part, grâce au dynamisme qui lui est spécifique. Ainsi, pour tout pays cherchant à gagner en compétitivité, il est important d’être en phase avec ces technologies, voire d'y investir.

Depuis l'introduction des TIC en Afrique à la fin des années 1990, le marché numérique n'a cessé de s'accroître. Ayant dépassé le statut de niche de marché, il est aujourd'hui l'un des marchés le plus convoités par les grandes entreprises internationales du secteur tel que Google (avec sa branche Google Afrique), Facebook, etc. En plus de permettre l’arrivée de ces géants de l’internet sur le continent, les TIC offrent aux jeunes Africains une opportunité nouvelle dans le domaine de entrepreneuriat. Ceux-ci en ont conscience et ont flairés le potentiel de ces technologies. Ils n'hésitent plus à se lancer dans l'aventure du numérique, que ce soit dans l'e-commerce, l'e-banque, le mobile-banking ou dans tous ses services dérivés.

Malgré des problèmes d'infrastructures et des systèmes dont la performance reste précaire, et la répartition au sein du territoire, inégale, on assiste à l'éclosion de plusieurs start-up Made in Africa depuis les années 2000. Des start-up qui, pour la plupart, ont pour objectif de faciliter le quotidien des Africains en favorisant l'accès à l'information ainsi qu’aux divertissements, mais aussi de montrer un autre visage de l’Afrique, allant à l’encontre du discours pessimiste habituel de certains médias internationaux.

En ce qui concerne l'e-commerce, l'entreprise Nigériane Jumia, créée en 2012, est considérée depuis trois ans comme le premier détaillant du Nigeria. Un marché qu'elle partage avec konga.com et DealDey.com, deux entreprises créées par Sim Shagaya . Néanmoins, Jumia connaît plus de succès que ces deux dernières et dispose des entrepôts dans huit autres pays, à savoir l'Égypte, le Maroc, le Kenya, la Côte-d'Ivoire, l'Ouganda, le Ghana, le Cameroun et le Royaume-Uni. Ceci fait d'elle, aujourd'hui, un géant d'e-commerce en Afrique.

En outre, on ne peut parler d'e-commerce sans aborder les innovations dans le mode de paiement, notamment le mobile-banking (appelé aussi m-banque). Bien que le mobile-banking soit spécifique à l’Afrique, le succès qu’il remporte attire la convoitise des grands opérateurs de téléphonie tels qu’Orange et MTN. Ceux-ci se heurtent cependant à quelques problèmes d’ordre sociétal : "Il y a eu beaucoup de difficultés voire d'échecs dans ce secteur, à l'exception de M-Pesa. Pour que ça marche, il faut un pays qui ait la réglementation propice ainsi qu'un renversement culturel car il y a des cultures dans lesquelles l'argent c'est le cash", souligne Georges Ferré, consultant chez Roland Berger.

M-Pesa est un système de micro financement et de transfert d'argent par téléphone mobile, lancé en 2007 par Vodafone pour Safaricom et Vodacom. Depuis, il est aussi présent au Kenya, en Tanzanie et en Afrique du sud pour ce qui est de l'Afrique. A ce jour, fort de son succès, l'entreprise est parvenue à varier ses services en permettant à tous ses clients de payer leurs factures d'électricité ou de téléphonie sans plus avoir à se déplacer dans les services prévus à cet effet, leur évitant ainsi des queues interminables. M-Pesa leur permet aussi de payer leurs courses ou de déposer ou de retirer de l'argent grâce à un compte ou porte-monnaie électronique qui est associé à leur numéro de mobile. Ces opérations peuvent être effectuées dans une des 60 000 agences que compte le Kenya, qu’il s’agisse d’épiceries, des pharmacies, des tabacs des petits commerces etc. Ces agences travaillent avec M-pesa et sont payées par ce dernier pour chaque opération effectuée. Ce système pallie l'absence d’organismes financiers dans les zones les plus reculées ou rurales ayant une couverture de téléphonie. Il apporte aussi une certaine sécurité à ses utilisateurs et un gain de temps en ce qui concerne le payement de leurs factures. Enfin, il permet surtout d'entamer un processus de formalisation d'une économie jadis informelle.

Bien installé depuis quelques années dans une partie de l'Afrique de l'Est, le groupe de vient signer un accord avec le groupe MTN leur permettant de couvrir d'autres pays comme la République démocratique du Congo, l'Ouganda, le Rwanda, la Zambie et le Mozambique.

En Afrique de l'Ouest, l'Orange-money, installé au Sénégal et en Côte d'Ivoire, a été conçu dans la même optique que le système de M-pesa. Néanmoins, cette entreprise n’est pas aussi développé que son homologue, freinée à cause de son mode de fonctionnement spécifique. Contrairement à M-Pesa, Orange money s'appuie sur des banques, comme par exemple Bicis, une condition imposée par la BCEAO pour garantir la liquidité des fonds. Concrètement, cela oblige tout client à posséder, en plus d'un compte de mobile chez son opérateur, un compte bancaire. Et sachant que le taux de bancarisation dans cette région est de 5 à 10% de la population selon les pays, le champ d'action d'orange money ne peut être que limité.

A l'image de l’important développement du mobile banking, les médias d’information et de divertissement font eux aussi l’objet d’une prolifération partout sur le continent. Ces médias opèrent surtout sur Internet, à l’instar d'iRoko TV, une plateforme qui propose un service d’abonnement en ligne aux nouveaux films nigérians et ghanéens pour un abonnement mensuel de 5 dollars. Elle compte aujourd’hui de plus 500 000 abonnés.

Travaillant avec des producteurs de Nollywood, la scène cinématographique nigériane, le site propose un catalogue impressionnant de films : Nollywood est en effet la troisième plus grosse production cinématographique au monde, en termes de quantité, derrière Bollywood et Hollywood. IRoko TV est donc l'entreprise qui a rendu l’industrie du film nigérian accessible à la diaspora africaine. Ayant fixé un prix d'abonnement à la fois abordable et rentable en terme de qualité et de quantité de films pour ses clients, assurant une bonne distribution de films africains (nigérians et ghanéens) à travers le continent et le monde, elle réduit le problème de piratage qui secoue Nollywood, incarnation du cinéma africain. Alors que le piratage pousse cette industrie à une mort lente et douloureuse au détriment des comédiens et réalisateurs africains, l’entreprise paie ses producteurs chaque fois qu’un film est distribué. Elle leur permet ainsi de gagner un salaire sur leur travail pouvant servir d'investissement pour la réalisation d'autres films.

Parler des TIC, c'est parler aussi des réseaux sociaux. Facebook, twitter pour ne pas citer les plus connus, ont joué un rôle politique important au sein du continent ces dernières années : tous les mouvements civils récents sont nés sur la toile avant de grandir dans la rue. Aujourd’hui, les réseaux sociaux occupent une place importante dans les relations familiales, amicales et professionnelles. L’Afrique a, elle aussi, son propre réseau social. L'exemple de Saya, surnommé « le whatsApp Africain de 2G», est la preuve que les jeunes Africains peuvent aussi exceller dans ce domaine, en développant un produit jusqu'à l'exporter ou, par la suite, le vendre à une multinationale. Robert Lamptey et Badu Boahen, tous deux formés en Afrique, créent Saya en 2011, et développent ainsi un système de chat s’appuyant sur les réseaux 2G, où les données sont transférées par SMS. D'abord active au Ghana, dont les deux fondateurs sont originaires, Saya a vite étendu ses activités au Nigeria, au Kenya et dans une trentaine d’autres pays en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient, dépassant les 80 millions d’utilisateurs actifs. L'entreprise a finalement été rachetée en août 2014 par Kirusa, une entreprise américaine de services télécoms, qui laisse néanmoins les rênes aux deux fondateurs africains.

Aujourd’hui, la révolution numérique permet également d’établir un diagnostic via une application. Cette application révolutionnaire nous vient d'Ouganda et porte le nom de Matibabu, qui signifie centre médical en swahili. Elle a été développée en 2013 par quatre amis étudiants en informatique de l’Université de Makerere à Kampala, dont Brian Gitta. L’application permet de diagnostiquer le paludisme sans prise de sang grâce un procédé scientifique: le doigt de l’utilisateur est inséré dans le matiscope – un appareil portable fait sur commande qui doit être relié à un smartphone. L’application utilise une lumière rouge pour pénétrer dans la peau et détecter les globules rouges .Ce matériel informatique dispose d’une diode émettrice de lumière et d’un capteur de lumière. Il transmet ainsi les résultats de test sur le téléphone de l’utilisateur pour un traitement mais ceux-ci peuvent être aussi directement partagés avec le médecin du malade. Les résultats sont immédiats. Cette application constitue donc une avancée salutaire quand on connaît le nombre de décès causés par cette maladie en Afrique.

Malheureusement, l'Afrique ne souffre pas que de maladies tropicales, mais aussi de l'image qu'on diffuse d’elle à longueur de journées à l'étranger. C'est donc dans l'objectif de montrer une autre image ou autre une réalité de l'Afrique que Yeelenpix, la première banque d'images mondiale à destination de l'Afrique, a vu le jour. Yeelenpix est créée par l’Ivoirien Moussa Fofana et avec deux de ses amis, Alex Yaovi POBLAH et Maguette MBOW. Aujourd'hui, l'entreprise collabore avec des photographes africains de talent. A travers les services qu'elle propose à ses clients (des agences de promotion, la presse…), l'entreprise vise à accompagner le réveil du continent en mettant en lumière l'Afrique d'aujourd'hui: sa variété de paysages, sa population multiple, sa diversité économique à l'échelle de l'actualité internationale.

Avec les TIC, on assiste à la création de diverses entreprises ainsi que de Technoparks pour les héberger, tels que celui de Casablanca, de Rabat et bientôt celui de Tanger, à l'image de celles ou ceux des pays développés. Ces petites entreprises constituent des moteurs essentiels pour la croissance économique, la création d'emplois et la réduction de la pauvreté en Afrique. La gestion des talents est, quant à elle, un élément essentiel pour la réussite de ces PME.

En parlant de talents, on remarque aussi un important reflux migratoire définitif de la part de ceux qui s’étaient établis en dehors du continent, vers leur pays d’origine. Ils reviennent ainsi pour créer leurs entreprises et n'hésitent pas à partager les expériences et les connaissances qu'ils ont acquises à l’étranger, notamment dans le secteur des TIC.

Pour cela, Il existe des entreprises qui leur facilitent la tâche, telle que Jokkolabs, qui met à disposition un espace de travail partagé dans une atmosphère communautaire. Elle accueille tout entrepreneur qui cherche à développer son réseau, rencontrer de nouveaux collaborateurs, échanger sur ses pratiques et développer ses projets professionnels, personnels ou associatifs. Son créateur est Karim Sy, un franco-libano-malien, lui-même rentré du Canada après ses études. Aujourd'hui, Jokkolabs dispose de locaux dans presque les toutes capitales des États d’Afrique de l'Ouest.

Pour ce qui est la création des projets de ces jeunes entrepreneurs fraîchement débarqués sur un marché africain, encore promoteur, des sociétés comme Africanbib jouent un rôle d'incubateur. Africa 2.0, une organisation de la société civile panafricaine, évolue aussi dans ce sens-là.

En somme, Africanbib, tout comme Africa 2.0, sont des entreprises qui accompagnent les jeunes entrepreneurs Africains dans leur création de projet. Elles les aident dans leur financement, dans leur installations et surtout les informent de la réalité du marché africain, afin qu'ils puissent mener à bien la création de leurs entreprises. Mais ces jeunes entrepreneurs se retrouvent néanmoins diminués par la lenteur et la lourdeur des démarches administratives.

En offrant de nouveaux marchés permettant la création de multiples niches d'emplois, les TIC constituent donc aujourd'hui l'une des voies les plus incontournables du développement de l'Afrique: le développement local. Cependant, tout n'est pas encore gagné pour les entreprises du numérique. Leur développent dépend en effet de la prise d'initiative des gouvernements africains: ce n'est qu'à travers la mise en place de réformes permettant d'attirer la diaspora et de faciliter la vie des entrepreneurs que le marché numérique africain pourra connaître un réel essor.

Hamidou CISSE

Sources :

Dr Cheikh Saad Boub Kamara, Afrique:Espérance « Essai ».Harmattan,2011.ISBN: 978-2-296-5586964

M-pesa, Jumia,Wikipédia, Jokkolabs, Africa24, AfricaTopSuccess 

Renforcer la sécurité fiscale pour contribuer au développement des PME africaines

fiscaliteLa mondialisation des économies rend les entrepreneurs toujours plus demandeurs de sécurité juridique. La capacité à maîtriser le risque et l’incertitude liés au traitement fiscal applicable aux affaires projetées  est un déterminant essentiel dans la décision d’investir dans un Etat et ce, surtout pour les petits et moyens entrepreneurs dont les coûts d’entrée sur un marché et les coûts irrécupérables sont plus élevés. Primordiale, la sécurité fiscale agit donc comme un gage de prévisibilité et ravive la confiance des investisseurs dans des Etats où l’instabilité politique est l’une des causes majeurs de sous-développement.

Or les Etats africains, qui auraient précisément besoin d’un cadre fiscal stable sont depuis peu caractérisés par une véritable inflation des normes fiscales qui conduit à un manque d’efficacité de l’administration fiscale et à une fuite des capitaux.  La Banque Mondiale a publié, en novembre 2013, en partenariat avec le cabinet PwC (Paying Taxes 2014 : The global picture),  un rapport révélant le phénomène de « surfiscalité » dont souffre de nombreux opérateurs économiques en Afrique. Les petites et moyennes entreprises africaines présentaient, en effet, un record en matière de normes et du taux d’imposition global qui s’élève à 52,9% contre 43,1% pour la moyenne mondiale en 2013. En février 2013, c’est le rapport Sweet Nothings de l’ONG ActionAid qui dénonçait la concurrence fiscale déloyale à laquelle se livrerait l’île Maurice depuis le milieu des années 2000. Paradis fiscal insulaire, l’île priverait ainsi l’Afrique continentale d’une partie de ses recettes fiscales en attirant les placements des grandes firmes capables de contourner les administrations fiscales trop complexes du continent en ayant recours à des montages fiscaux agressifs et optimisateurs. Pour faire face à ces multiples menaces, les Etats africains pris dans un cercle vicieux, accélèrent considérablement depuis deux ans leur train de réformes fiscales, au risque de négliger parfois le principe de sécurité fiscale et de nuire au développement des PME qui se trouvent dépassées par l’inflation législative en matière d’impôt des sociétés.

La situation de ces PME rappelle le fait que l’attractivité d’un territoire ne dépend pas uniquement de la mise en place d’une « fiscalité minimale ou zéro » mais également de la stabilité des lois qui l’encadrent.  Le présent article vise à s’interroger sur les moyens dont disposent les économies africaines pour concilier une politique fiscale efficace et attractive avec la nécessaire stabilisation de l’environnement juridique des PME.

Un train de réformes fiscales soutenu : opportunité ou danger ?

Le rapport annuel Doing Business[1] publié par la Banque Mondiale en 2015 a salué l’Afrique pour son volontarisme et ses efforts en matière de réformes en faveur du développement des affaires et notamment via le levier fiscal. « Nos données montrent que l'Afrique subsaharienne a enregistré le plus grand nombre de réformes sur 2013/14 ayant facilité le climat des affaires, avec 75 réformes sur les 230 recensées à travers le monde » souligne Melissa Johns, spécialiste des indicateurs mondiaux à la Banque mondiale, dans un communiqué de l’organisation.

Le Bénin, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Sénégal et le Togo font partie des pays ayant les plus progressé dans le monde l’an passé en matière de facilitation des affaires. Force est de constater que ces pays se sont engagés dans une frénésie de réformes fiscales depuis 2014 et que la tendance devrait se confirmer en 2015. La Côte d’Ivoire avait ainsi mis en place une Commission de la réforme fiscale en septembre 2014, qui vient de remettre au premier ministre un rapport intitulé « Réformer le système fiscal et douanier pour soutenir le développement de la Côte d’Ivoire ». Dans le même temps, en marge du dévoilement de l’édition 2015 du rapport Doing Business, le sénégalais Mamadou Lamine Bâ, ex-directeur de l’environnement des affaires et de l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux  (APIX) se félicitait  du fait qu’une quarantaine de mesures fiscales destinées à améliorer l’environnement des affaires au Sénégal soit devenue effective sur la période 2013-2015. Si ces avancées sont louables, bien souvent ces mesures sont prises par décret et hors du cadre de la loi de finance annuelle ce qui conduit à un enchevêtrement des normes fiscales et à un problème de stabilité du cadre juridique qui varie au gré des intérêts économiques des champions nationaux.

Une réforme de la fiscalité des entreprises à deux vitesses : le cas récent du Cameroun

Les Etats africains, désireux de voir se développer leurs grandes entreprises redessinent parfois la fiscalité des sociétés dans la précipitation,sans tenir compte des intérêts des PME. Le cas du Cameroun est à ce titre éloquent. Dans ce pays, la loi de finances pour l’année 2015 a été marquée par une réduction de cinq points du taux de l’impôt sur les sociétés, le faisant ainsi passer de 35 à 30%. Lors des débats parlementaires, les partisans de cette réforme – principalement la grande chambre syndicale Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) –  estimaient que la baisse de ce taux d’imposition se traduirait par une hausse des investissements et une libération de la croissance nationale. Pourtant, force est de constater que la mesure a obtenu un accueil mitigé de la part des directeurs de petites et moyennes entreprises. Ces derniers craignaient, à raison que cette mesure coûteuse ait pour corollaire la hausse inopinée du taux d’acompte qui permet aux entreprises en difficulté voire déficitaires d’alléger leur charge fiscale en s’acquittant de l’impôt sur les sociétés par acomptes de 1% du chiffre d’affaires mensuel. Ce dispositif qui concernait jusqu’ici  70% des entreprises camerounaises est désormais considéré comme une « source d’évasion fiscale » selon le ministère des Finances.

 La loi de finances pour l’année 2015 prévoit donc d’instaurer un taux flottant variant entre 2 et  3% par décret pendant une période transitoire. Cette décision – en plus d’instaurer un cadre juridique fragile – a d’ores et déjà pesé sur les PME camerounaises concernées qui voient pour certaines leur charge fiscale doubler voire tripler tandis que d’autres, ne pouvant faire face à ces coûts sont désormais en litige avec l’administration fiscale, comme le rapporte le Président du syndicat patronal Entreprise du Cameroun, Protais Ayangma Amang[2].

Le rescrit fiscal[3] : un outil de contractualisation nécessitant confiance et contrôle.

Pour faire face à ces défis, plusieurs Etats africains se sont dotés du précieux outil que constitue le rescrit fiscal depuis le début des années 2000. Ce dispositif permet à tout investisseur de solliciter préalablement auprès de l’administration, un avis au sujet du régime fiscal applicable aux opérations qu’il prévoit de réaliser. L’investisseur peut donc opposer en cas de contrôle fiscal ou de litige, la réponse, fournie en amont par l’administration fiscale. Le Cameroun a ainsi institué le rescrit dans le cadre de la loi de finances pour l’exercice 2008. En Algérie, le rescrit fiscal est introduit en loi fiscale, plus précisément au sein d’un nouveau titre, inséré au code des procédures fiscales par la loi de finances 2012. De même les trois grands pays de l’Afrique anglophone que sont le Nigeria, le Ghana et le Kenya s’en sont également emparés.

Pourtant, la généralisation du rescrit fiscal en Afrique ne saurait se passer d’un contrôle strict des procédures. En effet s’il est un levier puissant de sécurité juridique importé du droit fiscal européen, le rescrit fiscal peut également être un outil de fraude active lorsque l’administration fiscale ne se contente pas de donner un avis sur une opération mais conclut un accord fiscal secret avec une entreprise, comme l’affaire LuxLeaks l’a révélé en Europe à la fin de l’année 2014. A ce titre, le rescrit s’il n’est pas encadré, pourrait avoir des effets dévastateurs en Afrique et tendre à accentuer encore plus l’écart existant entre les firmes multinationales capables de conclure des accords avantageux avec les administrations fiscales locales et les PME moins informées et lésées.

Le rescrit fiscal demeure – à la condition sine qua non d’être étroitement contrôlé  une chance pour les PME africaines qui contrairement aux grandes entreprises n’ont pas les moyens de consulter un cabinet de conseil ou un avocat fiscaliste : il leur permettra d’évoluer dans un environnement fiscal plus transparent et de communiquer de façon apaisée avec l’administration fiscale.

Les Etats africains ne peuvent pas faire l’économie de l’instauration d’un régime fiscal stable et relativement prévisible. L’enjeu pour le continent est de concilier l’objectif de facilitation du climat des affaires encouragé par les organisations internationales et le respect du principe de sécurité fiscale, notamment pour les PME. Ces-dernières sont actuellement parmi les plus imposées du monde et leur environnement instable a tendance à s’aggraver avec l’essor actuelle des réformes dans les pays africains. Des règles de bonne conduite des réformes fiscales pourraient permettre d’assurer la stabilité nécessaire au développement équitable de l’activité économique : monopole de la loi de finances annuelle en matière de législation fiscale, généralisation et encadrement du rescrit fiscal, mise en place d’un observatoire national de la réforme fiscale associant représentant des grandes entreprises et des PME, etc.

Daphnée Sétondji


[1]Doing Business Report, World Bank 2015

[2]  Interview accordée au magazine Jeune Afrique le 5 décembre 2014.

[3] Demande d’avis à l’administration fiscal avant la réalisation d’une opération

La télé-irrigation : une solution innovante au potentiel important

Nous avons rencontré Philippe Mingotaud1 , directeur de MTP-Editions, une société française d'informatique qui a contribué au développement d'un procédé de télé-irrigation innovant et adapté aux pays africains.

PhilippeMingotaud-TBADI : Vous avez développé un procédé de télé-irrigation. De quoi s'agit-il ?

Philippe Mingotaud: Le principe est simple. Un agriculteur peut, à l'aide de son seul téléphone fixe ou GSM, activer à distance les pompes à eau qui lui servent à irriguer ses champs et récupèrer les paramètres dont il a besoin pour déterminer les temps d'irrigation nécessaires à chacune de ses parcelles. Nous avons développé un système vocal interactif multivoix, multilingue et multimédia qui s’adapte à de nombreux contextes.

Au Niger, notre partenaire Tech-Innov2 utilise notre technologie pour proposer un système vocal mutualisé permettant de contourner l'analphabétisme encore présent dans les campagnes. Le système répond de la façon la plus simple au multilinguisme du pays et  permet de déclencher des pompes à eau sur tout le territoire en utilisant le réseau GSM en priorité mais aussi les ondes radio lorsque la couverture GSM fait défaut.

Dans d’autres contextes, le système peut également être déclenché par des emails ou SMS entrants en privilégieant l'écrit à la voix.

ADI : Comment le système fonctionne-t-il concrètement ?

Philippe Mingotaud: L'agriculteur se connecte à un serveur qui le détecte, l'identifie puis lui renvoie une information personnalisée ou déclenche une action appropriée.
Le système calcule automatiquement le temps d'irrigation nécessaire à chaque parcelle, en fonction du débit de la pompe à eau, du type de culture, des engrais utilisés et des nombreux relevés effectués par différents capteurs, comme le degré d'hygrométrie, l'indice UV, la nature et la porosité des sols, etc. En fonction de ces critères, il active la ou les pompes à eau concernées pour la durée déterminée par le demandeur ou par lui-même.

Tele-Irrigation-03ADI : Pourquoi est-il important d’améliorer l’irrigation ?

Philippe Mingotaud: Il y a urgence à agir. Les chiffres avancés par les experts qui travaillent sur le devenir de l'agriculture de part le monde devraient alerter. 40 % des terres émergées sont menacés de désertification dont 66 % sont déjà affectés. 37 % des terres arides sont en Afrique.3

La productivité des terres cultivées baisse continuellement. Le dépeuplement des campagnes en direction des villes et les flux migratoires de l'Afrique vers l'Europe ne cessent d'augmenter. Il faut se mobiliser sans attendre de nouvelles catastrophes. Il y va de l'intérêt de tous que les agriculteurs puissent rester dans les campagnes pour continuer à produire et à fournir aux populations des villes, les aliments dont elles ont besoin.

ADI : Que peut apporter la télé-irrigation aux économies africaines ?

Philippe Mingotaud: Le premier apport est une augmentation significative en terme de qualité et de quantité des productions obtenues qui varient selon les cultures, les régions et la conformité des installations d'irrigation.

La télé-irrigation ne se résume pas à installer une configuration informatique permettant à une pompe à eau de se déclencher à distance, pour une durée déterminée. Cela va beaucoup plus loin. A la composante informatique s'ajoutent des panneaux solaires, une mise en conformité du réseau d'irrigation, une meilleure gestion des ressources en eau disponibles et surtout une modification en profondeur des méthodes de travail.

En proposant un serveur de télé-irrigation mutualisé, capable de répondre simultanément à plusieurs demandeurs, on met en place une nouvelle organisation du travail qui incite les agriculteurs à se regrouper et à partager au delà de leurs matériels informatiques, leurs matériels agricoles, leurs expériences professionnelles, leurs infrastrucutures, bref tout ce qui peut contribuer à simplifier leurs conditions de travail et à optimiser leurs productions agricoles.

tele-irrigation-01ADI : Y a-t-il des avantages indirects à utiliser ce type de technologie?

Philippe Mingotaud: Indirectement, on s'aperçoit que mettre en place des solutions de télé-irrigation contribue à lutter non seulement contre la précarité économique mais aussi éducative. Nous avons pu constater à plusieurs reprises que la télé-irrigation permet une meilleure scolarisation des enfants là où elle est présente, du fait que ce sont souvent les enfants qui sont chargés d'aller dans les champs activer les pompes à eau et qu'ils le font au lieu de se rendre à l'école.

En s'appropriant les nouvelles technologies, les habitants des campagnes améliorent leur quotidien. En permettant une bien meilleure gestion de l'eau et une lutte efficace contre les déperditions, la télé-irrigation est un atout des plus précieux, là où l'eau se fait rare. La production d'énergie solaire qui se fait en même temps ne sert évidemment pas qu'à alimenter les pompes à eau dans les champs. Les serveurs d'information à la demande peuvent également servir à prévenir les risques,  à développer la sécurité sanitaire, à lutter contre l'isolement de certaines populations et à mieux organiser la vie en société.

Tele-Irrigation-02ADI : Quels sont les obstacles à la généralisation de la télé-irrigation ?

Philippe Mingotaud: Le principal obstacle est la pauvreté des populations auxquelles nous nous adressons. Ce n'est pas tant l'équipement informatique qui est un frein puisque le coût des matériels est mutualisable. Mais il ne sert à rien de vouloir améliorer le rendement des terres agricoles, sans chercher préalablement à mettre aux normes le réseau d'irrigation de l'agriculteur qui souhaite y parvenir. Cette mise en conformité peut, notamment dans un environnement difficile, revenir chère à des professions dont le pouvoir d'achat est faible.
Les petits agriculteurs se retrouvent trop souvent seuls face à des difficultés économiques et environnementales devenues insurmontables. Ils gagneraient à être accompagnés davantage par les Etats et les ONG. Tout le monde y gagnerait.

Propos recueillis par Tite Yokossi

1 Philippe Mingotaud dirige MTP-Editions, une société française d'informatique spécialisée dans des serveurs et projets innovants. La société recherche des partenaires locaux en Afrique pour diffuser ses solutions dont la télé-irrigation fait partie.

M.T.P. Editions  –  Tél. : (+33).1.39.60.82.82
Sites : www.servocall.com  www.servisual.com et www.serworker.com (exemples de pilotage interactif distant en temps réel)

2 Tech-Innov, le partenaire nigérien de MTP Editions, a reçu une belle distinction au salon mondial de l'eau qui s'est tenu du 12 au 19 Avril 2015 à Daegu en Corée du Sud récompensant son travail dans la conception, la réalisation et la mise en place de ce procédé de Télé-irrigation.
Site :  www.tele-irrigation.net

3 http://www.csf-desertification.org/combattre-la-desertification/item/desertification-degradation-des-terres

Quel rôle pour l’Etat dans le financement de l’économie verte ?

evL’économie verte suscite un engouement indéniable partout dans le monde. De fait, elle est perçue comme une réponse globale aux nombreux défis des sociétés modernes (pauvreté, chômage, etc.) mais aussi aux nombreux maux de l’environnement créés par l’exploitation « irrationnelle » des ressources naturelles (changements climatiques, rareté de l’eau, etc.). Somme toute, il s’agit de l’extension des différents modèles économiques envisagés pour atteindre une croissance « saine » qui n’affecte pas l’environnement et dont l’impact est le plus fort sur la société, comme l’explique Kempf (2014). Cette transition nécessite un financement colossal. Selon les estimations du PNUE (2011), il faudrait près de 1 300 Mds USD (soit 2% du PIB mondial) par an pour assurer une croissance verte d’ici 2050. Il est espéré que ces ressources proviennent essentiellement du secteur privé ; les contraintes budgétaires ne pouvant pas permettre aux gouvernements d’asseoir ce modèle. Néanmoins, ils ont un rôle très important à jouer : celui de créer les conditions pour orienter les capitaux vers les secteurs verts de l’économie, selon Jacobs (2011).

L’économie verte requiert de nouvelles approches et des technologies novatrices dans tous les secteurs. A ce titre, l’Etat doit se positionner en initiateur mais aussi en facilitateur. Au-delà du cadre réglementaire qui pourrait imposer des obligations et des normes, les finances publiques pourront jouer un rôle dans le soutient à l’économie verte. D’une part, à travers les dépenses gouvernementales et d’autre part, à travers l’instrument fiscal. 

Les dépenses gouvernementales constituent l’outil direct dont disposent les autorités. Les investissements publics devraient financer des infrastructures durables, comme les énergies renouvelables, la gestion des déchets, les transports en commun ou la restauration du capital naturel et le renforcement du capital humain, etc. A travers une telle stratégie, l’Etat oriente le secteur privé dans des secteurs verts, qui peuvent être porteurs de croissance et créateurs d’emplois. A titre d’exemple, l’investissement de 468 Mds USD prévu par les autorités chinoises dans des secteurs verts, notamment le recyclage des déchets, les technologies propres et les énergies renouvelables, à partir de 2011 et pour une période de 5 ans, devrait engendrer une croissance de 15 à 20% de l’industrie de la protection de l’environnement avec un effet multiplicateur de 8 à 10 fois supérieur à celui d’autres secteurs industriels, selon les estimation de la China Development Bank Corporation (2010). Aussi, à travers le mécanisme de subvention, l’Etat peut stimuler la croissance verte. De fait, les subventions sont mises en place pour encourager les bonnes pratiques entrepreneuriales ou pour soutenir certains secteurs d’activité. Il s’agira donc d’une part de supprimer les subventions aux secteurs qui sont dommageables pour l’environnement et d’autre part d’en fournir aux entrepreneurs des secteurs verts. Ce faisant, l’Etat crée des mesures incitatives qui attireront très certainement les entreprises dans ces secteurs et influenceront le marché. Ce procédé peut être étendu aux dépenses de fonctionnement, à la mesure où l’Etat peut se permettre de ne se faire fournir que par des entreprises étiquetées « vertes ».

En ce qui concerne l’outil fiscal, il peut être utilisé comme mesure dissuasive ou incitative. Dans l’un ou l’autre cas, l’objectif est de promouvoir la pratique des activités vertes et de réduire celles qui portent atteinte à l’environnement. Plus généralement, il pourrait s’agir de ce que l’ONU appelle une réforme « écologique » de la fiscalité : moins taxer certains facteurs de production comme la main d’œuvre et augmenter les taxes sur d’autres (revenu des entreprises, pollution ou émission de CO2, etc.). Cette mesure peut s’accompagner d’autres mesures comme les permis ou les consignes. Le premier (permis) permettra de fixer des limites quant à l’utilisation ou à l’exploitation d’une ressource donnée et d’envisager des sanctions financières significatives en cas de dérogation au renouvellement du permis. Le second (les consignes) met en place des conditions préalables à l’exercice d’une activité. Avec ces mesures, l’Etat crée un environnement favorable, mais non exclusif, pour le développement des secteurs verts. L’émergence de nouvelles activités avec un fort potentiel, attirera les fonds détenus par des institutions financières, à la recherche de nouveaux débouchés.

Plusieurs pays sous-développés, et africains en particulier, craignent que ces mesures ne ralentissent leur développement, parce que risquant de réduire les investissements, notamment dans les secteurs d’exploitation des ressources naturelles, principales sources d’exportation et de la croissance affichée aujourd’hui par ces pays. En réalité, elles constituent une véritable opportunité pour les pays africains qui cherchent à se développer et ce d’autant plus que l’économie verte tend à s’installer sur le continent, comme le constate Georges (2014). De fait, elles permettraient d’asseoir les fondements d’une croissance harmonieuse, durable et respectueuse de l’environnement. Toutefois, la réussite de cette transition dépendra des politiques mises en place par les autorités. La Corée du Sud, par exemple, consacre près de 95% de son plan de relance à des investissements verts alors que les pays de l’UE ou les Etats Unis s’appuient davantage sur des mesures fiscales (système d’échange de quota d’émission de gaz à effet de serre, taxe sur les carburants,  taxes écologiques sur certains produits, etc.). Ainsi, les pays africains devraient accorder une place de choix à cette composante dans leur plan de développement tout en mettant en place des mesures incitatives pour attirer les capitaux privés, notamment dans les secteurs verts. Par exemple, les aides financières apportées aux entreprises exerçant dans les domaines de l’énergie (basée sur les ressources fossiles), de l’eau, de la pêche  et de l’agriculture, réduisent certes les prix mais encouragent une utilisation excessive du capital naturel concerné. En même temps, elles font peser une charge répétée sur les finances publiques. L’élimination progressive des aides à ces secteurs ou la réallocation de ces aides vers les secteurs des énergies renouvelables, de l’industrie de la protection de l’environnement (recyclage des déchets, etc.) et l’introduction de taxes sur l’exploitation des ressources naturelles peuvent améliorer l’efficacité tout en consolidant les finances publiques et en libérant des ressources pour l’investissement vert. Ceci ne suppose pas l’abandon de l’exploitation des ressources. Il suggère plutôt une exploitation rationnelle, avec des conditionnalités économiques favorables et respectueuses de l’environnement et où les ressources financières issues de cette activité permettent de financer le capital économique intangible.

Finalement, la réussite de la transition vers une croissance verte dépend fortement de la détermination des autorités. L’administration centrale dispose des outils pour instaurer les conditions favorables pour l’implémentation et le développement de ce modèle. La stratégie devra s’appuyer sur un cadre réglementaire cohérent et une réorientation des investissements publics dans les secteurs verts, tout en mettant en place des stimuli verts pour inciter l’implication du secteur privé.

Foly Ananou

Références

Barbier Edward (2010). A Global Green New Deal: Rethinking the Economic Recovery. Cambridge, UK: Cambridge University Press.

Georges Vivien Houngbonon (2014). Que savons-nous de l’économie verte en Afrique ? L’Afrique des Idées

Michael Jacobs (2011). Leveraging private investment: the role of public sector finance. Overseas Development Institute, Background Note.

UNEP (2011). Towards a Green Economy: Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication

Vera Kempf (2014). “Economie Verte, de quoi parle-t-on ? L’Afrique Des Idées. 

Marché de l’emploi en Afrique : les facteurs modernes de blocage

cover_mainL’emploi est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain, car c'est un facteur d’intégration et d’autonomisation. L’Afrique est l’un des continents où on compte le plus de chômeurs, constituant de facto un enjeu social, politique et économique pour les gouvernants. De fait, la persistance du chômage peut se traduire par le développement de la criminalité (cas du Nigéria avec les « scams 419 » ou du Ghana et de la Côte d’Ivoire avec le phénomène de « broutage », qui pousse même certains à commettre des crimes dits rituels). Pour résoudre le problème, plusieurs structures tant nationales qu’internationales ont été instituées. C’est le cas d’ADEI au Cap-Vert, d’ADPME au Congo Brazzaville, d’ADEPME et du SYNAPSE CENTER au Sénégal, de l’AGRO-PME Fondation au Cameroun, d’ANPGF et du PASYD au Togo, du CIPMEN au Niger, du FORSCOT et de l’INIE en Côte d’Ivoire, du ME au Bénin et au Burkina Faso ou encore du PROMOGABON au Gabon, etc.

Le marché de l’emploi reçoit chaque année des milliers de diplômés sortis des écoles et établissements de formation professionnelle. A ceux-là, il faut ajouter la multitude de jeunes filles et garçons en fin d’apprentissage dans les structures artisanales. En 2013, l'Afrique du Nord[1] comptait 30% de jeunes chômeurs. En Afrique subsaharienne, près de 60% de jeunes sont sans travail et chaque année près de 10 à 12 millions arrivent sur le marché de l’emploi. En 2010, le taux de chômage[2] en Afrique Centrale était de 23,12%. En Juillet 2014, le taux de chômage[3] en Afrique australe a atteint 25,40%. Bien que les jeunes constituent le plus grand atout pour l’Afrique, ils rencontrent aujourd’hui de sérieux problèmes pour s’insérer sur le marché du travail, obérant leur éventuelle contribution au développement du continent. Si le chômage s’accentue en Afrique, c’est parce que  les obstacles à l’accès à l’emploi se multiplient et tiennent à plusieurs paramètres.

Le manque d’expérience professionnelle a toujours constitué le principal obstacle pour accéder à un emploi, du fait que les entreprises recherchent davantage des séniors que des juniors qu’elles auraient à former. Dans ce contexte, les contrats à courte durée (comme les stages) sont rares. Il est estimé que dans 89% des pays africains, l'offre[4] d’emplois est insuffisante pour absorber la demande. Les seuls stages existants sont offerts par l’Etat à travers les institutions nationales, dans les ministères ou par certaines sociétés privées qui disposent des ressources financières suffisantes pour rémunérer les stagiaires. Seulement ces stages ne sont pas la garantie d’une embauche et le stage peut être, parfois, reconduit, pour permettre à l’entreprise de ne pas perdre les compétences mais aussi d’avoir une main d’œuvre peu onéreuse sans être inquiétée. Ainsi les entreprises peuvent garder un candidat en situation de stagiaire pour une longue durée et en disposer à leur guise.

L’inadéquation entre les formations et les profils recherchés par les entreprises est aujourd’hui l’une des principales causes du chômage en Afrique. D’autres n’ont simplement pas l’information concernant les offres disponibles. L’absence d’informations sur le marché du travail, l’inadéquation entre formation et profils recherchés et l’attitude des employeurs sont des obstacles majeurs dans près de 49% des pays africains. Si les diplômés n’arrivent pas à s’accommoder aux compétences exigées devant les tâches à exécuter c’est surtout parce que le système éducatif n'est pas actualisé en fonction des nouvelles méthodes. En effet, la majorité des formateurs n’actualise pas leur niveau de connaissances. Les centres de formation pousse comme des champignons dans les pays africains, notamment dans le domaine des télécoms ou dans la gestion, mais très peu d’entre eux proposent des formations, avec un syllabus propre au 21ème siècle et en adéquation avec les besoins du marché. Pour celles qui proposent des formations de qualité, elles s’inspirent de modèles occidentaux, occultant le plus souvent les réalités locales. Ainsi les diplômés de ces écoles ont des profils et des prétentions salariales tels que les futurs employeurs ne peuvent se permettre de les embaucher.

Si le secteur agricole constitue une solution à la question de l’emploi en Afrique, étant donné qu'il dispose d’un potentiel énorme encore sous exploité, le profil des demandeurs d’emplois n’est pas compatible et la stratégie adoptée par les gouvernants n’est pas incitative. D’ailleurs, les différentes stratégies mises en place, invitant les jeunes dans le domaine, n’a eu que des impacts limités.  Les autorités s’appuient sur des discours laudateurs sur le secteur agricole et son potentiel, sur fonds d’études et d’avis d’experts, qui ne travaillent pas dans le secteur.  Il faudrait un discours plus pragmatique, fondé sur les témoignages d’entrepreneurs agricoles, des gestionnaires des projets mis en place et financés par les gouvernants avec l’appui des partenaires techniques et financiers (des success stories de l’agriculture). Les jeunes se sentiraient plus concernés et trouveraient un réel intérêt dans cette activité et pourraient envisager des projets pour mettre en valeur les connaissances acquises durant leurs formations et assurer le développement du secteur. 

Aujourd’hui, des verrous supplémentaires existent et empêchent sérieusement les jeunes d’accéder à l’emploi. Les gouvernements africains ne privilégient pas la cession des unités de production prioritairement aux nationaux qui disposent d’assises financières conséquentes. Ils préfèrent les concéder aux multinationales appartenant aux non africains. Ces gouvernants africains développent ainsi une propension à livrer des combats aux unités de production appartenant aux nationaux qui ne partagent pas la même opinion politique qu’eux. Dès que ces responsables nationaux résistent à les accompagner dans leurs différentes actions politiques, ils sont systématiquement pris pour cibles. Alors, ils voient leurs activités menacées (des redressements fiscaux qui n’en finissent pas) et sont obligés soit de fermer leurs entreprises, soit de s’expatrier dans un autre pays africain (éventuellement) pour mener leurs affaires. Parfois l’Etat prend possession des sociétés appartenant à des personnes privées au nom d’un soi-disant « intérêt général ». Ces unités de productions nationales ne pouvant plus continuer leurs activités, mettent en chômage les milliers d’employés qui viennent grossir le nombre des demandeurs d’emploi sur le marché du travail.

Aussi, la propension des gouvernants africains à maintenir les retraités en fonction parce que ces derniers constituent des soutiens importants dans leurs localités pour des intérêts personnels politiques, constitue un trou noir dans l’équation africaine sur le chômage. Il est courant de voir des dirigeants ou responsables à divers niveaux des sociétés ou institutions à la fin de leur carrière, continuer à travailler avec ou sans contrat. Même si à certaines occasions de recrutements, les gouvernants décident de pourvoir à des postes dans la fonction publique, dans les institutions ou dans les sociétés d’Etat, les recrutés sont pour la plupart de la même obédience politique, ethnique ou religieuse que ces gouvernants. Près de 72% des jeunes africains demandeurs d'emplois estiment que « les emplois ne sont confiés qu’à ceux qui ont des relations », ceci pour signifier leur déception vis-à-vis d’un système de gouvernance jugé injuste, parce que les relations dépendent essentiellement du milieu d’où l’on vient et d’un accès à des cercles privilégiés que la plupart des jeunes n’ont pas et qu’ils ne peuvent obtenir.

Pire, les pratiques de certains gouvernants africains consistent à distribuer des postes à des connaissances. Le favoritisme et le népotisme règnent en maître dans tous les processus de recrutement dans les structures administratives de l’Etat. Les listes sont établies avant les jours prévus pour les tests de recrutement. Les tests sont donc organisés pour la forme. S’il s’agit des chômeurs qui montent leurs propres projets pour s’auto-employer, ils sont confrontés au phénomène de chapelle politique. Ainsi leurs projets ne reçoivent pas de financements de la part de l’Administration Centrale. Il en est de même des cabinets ou organismes privés de recrutements. Les tests organisés par ces derniers souffrent souvent de transparence.

De toute évidence, des facteurs politiques, ethniques et religieux viennent pertuber le marché de l’emploi en Afrique. Dans ce contexte, l’accroissement rapide de la population africaine, qui devrait se traduire par une croissance de plus de 50 % des arrivées de jeunes sur le marché du travail d'ici 2030, constitue un défi plutôt qu’une opportunité. S’il est vrai que le marché du travail en Afrique a des problèmes structurels (éducation, asymétrie d’informations, etc.), les considérations politiques, ethniques et religieuses exacerbent la situation. Paradoxalement, ce sont ces mêmes politiques qui mettent en place des programmes de promotion de l’emploi, alors qu’ils prennent des dispositions qui inhibent l’émergence d’une industrie locale, principale source de création d’emplois, en dépossédant certains privés de leur entreprise ou en contraignant d’autres à mettre fin à leurs activités, notamment ceux ne partageant pas leurs aspirations politiques.

Les pouvoirs publics africains doivent en priorité remédier aux obstacles subjectifs que rencontrent les entreprises et les sociétés (moins nombreuses) et surtout les PME/PMI qui dominent plus le secteur privé. L’exécution des marchés publics est pour la plupart faite par des entreprises étrangères, réduisant celles nationales en sous-traitantes. L’égalité des chances doit être le maître mot des gouvernants africains. Si ces facteurs subjectifs persistent, la pression démographique s’accentuant, les demandeurs d’emplois s’augmentant, les espoirs que continuent de susciter le renouveau démocratique dans les pays africains cèderont la place aux bouleversements politiques que ne contiendront pas les autorités politiques. En effet, si l’environnement économique ne permet pas aux PME de se développer pour créer plus de la richesse (le taux de survivance des PME/PMI sur le marché étant de plus en plus faible), elles ne peuvent pas absorber la main d’œuvre importante, constituée en majorité de jeunes dont la frustration peut engendrer d’importants remous sociaux (on se rappellera de la Tunisie en 2011).

Le secteur formel subit des perturbations dans son épanouissement avec sa faible capacité de création d’emplois. Il est caractérisé encore par de graves insuffisances liées à la qualité des emplois mis sur le marché (qualifications requises, la sécurité et la couverture sociale). Le secteur informel, même s’il constitue un handicap pour corriger ces difficultés, reste encore un recours pour les actifs en quête d’une occupation quelconque. Si le secteur informel est combattu dans presque tous les pays africains, son intégration dans le tissu économique et la bonne application des textes réglementaires sur le travail pourraient permettre de bloquer le phénomène d’inflation galopante de la main d’œuvre qu’on observe chaque année sur le continent africain.

Nicolas Olihide


[1] OIT, 2013, Etudes réalisées sur le marché du travail en Afrique.

[2] COMMISSION ECONOMIQUE POUR L’AFRIQUE, 2013, Rapport sur les ODD pour l’Afrique Centrale, appuis du PNUD, UA et BAD.

[3] http://fr.tradingeconomics.com/south-africa/unemployment-rate consulté le 18 Mars 2015.

[4] Enquêtes réalisées auprès des experts-pays des PEA 2012,  37 pays africains au total.

[7] BAfD, OCDE, Pnud, CEA (2012), « Perspectives économiques en Afrique 2012 » ; et Beaujeu R., Kolie M., Sempere J-F. et Uhder C. (2011), « Transition démographique et emploi en Afrique subsaharienne : comment remettre lemploi au coeur des politiques de développement », À savoir no 5, AFD, MAE, 217 p., Paris.

Traditions et religions : facteurs de réussite de l’économie verte en Afrique ?

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Définie par la CEEAC comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», l’économie verte se positionne incontestablement aujourd’hui comme la nouvelle économie du développement durable. Sachant que partout en Afrique les valeurs,  attitudes et pratiques  sont « partiellement traditionnelles, partiellement modernes » l’importance de l’inclusion de la notion de tradition dans cette définition est de taille.

Actuellement au cœur d’une crise environnementale sans précédent, le monde entier voit les concepts de développement durable et donc d’économie verte comme porteurs des germes du changement. Cependant, lorsque l’on se penche sur la notion même de développement, il apparaît clairement que la vision la plus répandue de ce concept est aux antipodes de celle des sociétés traditionnelles africaines, pour qui il est plus synonyme de bien être et de vie que de progrès infini et d’accumulation des biens. Si le développement est bien « une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur », il semble normal que l’économie verte réponde à une logique similaire. Et l’adaptation du continent africain aux problèmes environnementaux étant au cœur des préoccupations, il est primordial de ne négliger aucun aspect surtout à l’heure  où la thèse selon laquelle cette crise environnementale est avant tout une crise morale voire spirituelle, gagne du terrain. D’où l’intérêt de voir en quoi les traditions et la religion, encore très influentes dans une Afrique moderne et mondialisée, constituent des éléments pertinents pour l’élaboration de politiques efficaces en matière d’économie verte.

Traditionnellement, la relation qui lie l’homme africain à son environnement n’est pas fondée sur la domination, bien au contraire. Se concevant alors comme l’un des éléments de la nature, dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’homme vit en harmonie avec elle. La protection de la nature et la préservation de l’équilibre du milieu font donc partie des priorités. Ceci s’explique notamment par le fait que la terre et la végétation permettent, dans les sociétés africaines, de conserver des liens durables avec ceux qui les ont travaillées ou façonnées dans le passé. Bon nombre de dispositions ou pratiques traditionnelles illustrent d’ailleurs ce souci d’équilibre et cette relation socio-environnementale qu’entretiennent les hommes avec leurs ancêtres. En Cote d’Ivoire par exemple, chez les Aouans, la terre, personnifiée, porte le nom d’une « déesse » qui leur prescrit des comportements à avoir à l’égard de l’environnement. Au Burkina, 300 bois sacrés ont été recensés. Ces intermédiaires incontournables entre les habitants et leurs ancêtres sont aujourd’hui des zones refuges pour de nombreuses espèces. L’impact positif d’un certain nombre de pratiques traditionnelles sur la qualité de l’environnement est aujourd’hui indiscutable et prouve que les traditions et coutumes africaines peuvent contribuer à sa gestion. 

Au niveau international, ce n’est que récemment qu’une approche de la nature sous une perspective que l’on peut qualifier « d’indigène » a été adoptée. L’Agenda 21 élaboré à l’occasion du Sommet de Rio reconnaît par exemple la valeur et la nécessité d’impliquer, de prendre en compte et de protéger les peuples indigènes.  Il existe aussi au niveau du PNUD, de l’Union africaine et de l’UNESCO, un certain nombre d’instruments permettant aux communautés de mettre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être à profit pour protéger l’environnement. Malheureusement, l’affirmation selon laquelle  « nous pouvons apprendre des populations indigènes et locales »  ne bénéficie pas d’une mise en œuvre à la hauteur de sa véracité. Mais ce n’est pas parce que les législateurs n’en tiennent encore que très peu compte que les acteurs économiques, véritables moteurs  de l’économie verte sur le continent ne doivent pas s’en inspirer. Des initiatives telles que celle d’Helico (producteur de briques en argile pure grâce à la valorisation énergétique des graines de coton) montrent que la rencontre des traditions et de l’ingénierie économique du 21ème siècle regorge de potentialités considérables en matière d’économie verte.

Il en va de même pour les religions. Si le potentiel environnemental de ces dernières est loin d’être évident à première vue, il ne doit pas être sous estimé. 

Tout d’abord, il est important de rappeler que la plupart des Etats d’Afrique noire connaissent une situation de pluralisme religieux. On retrouve cependant l’Islam, le Christianisme et les religions traditionnelles de manière assez constante. Très proche des idéaux traditionnels évoqués plus haut, la religion africaine est « fondée sur l’alliance éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres et de Dieu ».  Cependant, l’avènement de l’Islam et du Chritianisme combiné à la modernité technologique a relégué les religions africaines au rang de pratiques animistes.  Provoquant alors leur érosion et, par là même, la disparition de véritables berceaux de protection environnementale. Mais malgré le déclin des religions africaines sur les 100 dernières années, il semble encore possible de reconsidérer les stratégies environnementales dont le cadre normatif et institutionnel qu'est la religion traditionnelle, afin d’apporter des réponses adéquates aux actuels problèmes de la relation de l’individu avec son environnement naturel.

En parallèle, les religions dites monothéistes ont  aussi un rôle bien particulier à jouer.  Prenons le cas d’une religion judéo chrétienne. D’abord accusé d’avoir une idée anthropocentrique fondamentalement théocentrique de la relation avec la terre et de ne voir le progrès environnemental que comme une conséquence naturelle d’une relation saine entre Dieu et tout un chacun, l’Eglise catholique adopte aujourd’hui une toute autre approche. Bien qu’il ait été mandaté par le créateur pour régner sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers, cette domination de l’homme sur son environnement ne le soustrait en rien à ses obligations morales, dont celles envers les générations à venir fait partie. Longtemps silencieuse à ce sujet, le changement d’attitude de l’Eglise catholique face aux problèmes environnementaux illustre parfaitement le changement de paradigme que nous vivons aujourd’hui.

L’environnement devient  donc l’une des rares aires dans lesquelles les représentants des différentes religions sont prêt à collaborer.  En effet, la présence d’éléments forts en matière d’environnement dans la Déclaration sur une éthique mondiale formulée lors du Parlement des religions du monde à Chicago en 1993 vient  appuyer cette thèse.  De plus, comme l’affirme Magda Lovei, manager au pôle environnement et ressources naturelles de la Banque Mondiale, les organisations confessionnelles « offrent un accès sans équivalent aux communautés locales », ce qui fait d’elles des partenaires majeures en matière environnementale.

Il est donc indispensable  qu’un changement de mentalité s’opère parmi les acteurs clés de l’économie verte. Certaines pratiques liées à la religion ou à la tradition ne doivent plus être considérées comme des archaïsmes dénués de sens. Paradoxalement, l’Afrique est à la fois le continent produisant le moins de gaz à effet de serre, et celui qui en paye le plus les conséquences sur son environnement. Traditions et religion pourraient clairement participer à l’élaboration de stratégies économiques vertes adaptées. En plus d’être identifiées par les états et gouvernements, les opportunités pour une amélioration des pratiques en la matière doivent aussi l’être par l’ensemble des acteurs de la société civile, entreprises en tête. En effet,  sur le long terme, le progrès environnemental requiert une protection impulsée par les citoyens individuels privés, les fermiers mais aussi les entreprises. Reconnue comme condition sine qua none de la réalisation du développement durable, une bonne approche économique se doit de prendre en compte les dimensions culturelles et d’encourager la coopération et la solidarité plutôt que la compétition. Les religions et traditions sont encore bien souvent vues comme des obstacles à la mise en œuvre des politiques économiques alors qu’une meilleure prise en compte permettrait tout simplement de participer à l’augmentation de l’attractivité de l’Afrique grâce à l’économie verte, tout en incluant les spécificités locales dans la logique de changement.

Olivia Gandzion

Références :

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IZENZAMA Mafouta Noel, Le paradigme écologique du développement durable en Afrique subsaharienne à l’ère de la mondialisation : une lecture éthico-anthropologique de l’écodéveloppement,  Publications universitaires européennes, P. Lang, Suisse, 2008.

Jeune Afrique, Afrique centrale : création d'un fonds pour une économie verte. Consultable en ligne : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/23427-afrique-centrale-creation-dun-fonds-pour-une-economie-verte.html

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TABUNA Honoré, L’économie verte : réduction des émissions ou vision et modèle de Développement adaptes a l’Afrique centrale ?

ZAMMIT Nasser, L’Afrique et la question environnementale, Connaissances et Savoirs, Paris, 2012.

Un regard sur la stratégie commerciale des Etats-Unis en Afrique subsaharienne

obama-ouattaraA l’occasion du sommet Etats-Unis – Afrique qui s’est tenu le 5 août 2014 à Washington en compagnie de plus de 50 chefs d’Etat et de gouvernement africains, le président américain Barack Obama a annoncé un plan d’investissement de 33 milliards de dollars réalisé conjointement par des sociétés privées américaines et par l’aide publique au développement, d’ici la fin de son mandat prévue pour janvier 2017.  Ce plan de grande envergure vise principalement l’extension de la zone d’influence économique américaine dans des secteurs en plein essor en Afrique tels que la construction, les énergies propres, la banque et les technologies de l'information. Cet article se propose de dresser le bilan et les perspectives de la stratégie économique commerciale mise en place par l’adminsitration Obama en Afrique subsaharienne.

La réforme de l’AGOA au cœur de l’accroissement des échanges commerciaux bilatéraux dès 2015.

Lors de la conférence, le président Obama a assuré vouloir réformer au cours de l’année 2015 l’un des principaux vecteurs de commerce entre l’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis : l’AGOA (African Growth and Opportunity Act). Cette loi adoptée par le Congrès américain et par l’administration Clinton le 18 mai 2000, et non révisée depuis lors, a permis de favoriser les échanges en accordant des avantages commerciaux à plus de 6 500 produits africains. Ainsi, « en dix ans, les importations américaines en provenance des pays d'Afrique admis à bénéficier de l'AGOA se sont accrues de 300 %, passant de 21 milliards de dollars en 2000 à 86 milliards », rappelait Rasa Whitaker, représentante adjointe au commerce extérieur, chargée de l'Afrique subsaharienne dans les administrations Clinton puis Bush ; lors d’un entretien accordé le 16 juin 2010 à America.gov. Toutefois, l’AGOA arrivant à échéance le 30 septembre 2015, une refonte de l’accord s’avère nécessaire et a été promise par le président Obama.

Dans sa mouture originale, l’accord présente plusieurs caractéristiques qui selon l’avis du représentant du Commerce américain Micheal Froman ne sont plus adaptés à l’Afrique de 2014. En effet, l’administration Obama devrait présenter cet été un accord non plus unilatéral et global mais des avantages personnalisés conclus entre les partenaires commerciaux africains et américains au sein d’une même branche à l’instar des accords développés depuis le 1er octobre 2014 entre les Etats membres de l’Union Européene et l’Afrique subsaharienne : les Economic Partenership Agreements (EPAs).

La concomitance des accords EPAs et du partenariat AGOA pose problème tant les stratégies des acteurs en présence sont divergentes. Tandis que les Etats-Unis cherchent avec AGOA à instaurer depuis 2000 un programme commercial préférentiel unilatéral pour favoriser le développement économique et accéder plus facilement au marché africain, l’Union Européenne quant à elle, cherche à dominer le marché en s’appuyant sur des accords préférentiels bilatéraux et sur la clause de la nation la plus favorisée. L’administration Obama et la commission du Commerce du Congrès ont donc jusqu’au 30 septembre 2015 pour revoir les modalités d’un accord qui n’a que péniblement fait ses preuves depuis l’an 2000. En effet, si, pour les 10 ans de l’AGOA, les rapports de l’OMC présentés à l’occasion du forum African Growth and Opportunity Act en juin 2011 à Lusaka faisaient état d’un triplement des échanges commerciaux en valeur; les flux semblaient pourtant prendre un sens unique. Ainsi, tandis que les importations américaines d’hydrocarbure en provenance d’Agola et du Nigéria (ses deux principaux partenaires africains) bondissaient de 40% entre 2009 et 2010,  on observait une chute de 48% des exportations du secteur textile africain vers les Etats-Unis en 2009, puis de 20% pour l’année 2010.   Plus récemment, le rapport annuel de U.S. Dept. of Commerce publié en janvier 2014 montrait que les importations américaines en provenance d’Afrique subsaharienne en 2014 avaient diminué de 32% par rapport à l’année précédente mais également que la part des hydrocarbures africains dans les importations énergétiques américaines  a diminué de 51% sur la même période. La situation est d’autant plus déséquilibrée que dans le même temps les exportations américaines en faveur de l’Ethiopie et du Kenya ont respectivement augmenté de 151 et 152% sous l’impulsion des exportations enregistrées dans le domaine aéronautique.   

Réformé et étendu à un plus grand nombre de produits,  l’accord pourrait à ce titre aider les Etats-Unis à contrer l’offensive commerciale menée depuis le milieu des années 1990 par la Chine en Afrique subsaharienne. En effet, dans un l’article « L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, la chercheuse Assiatou Diallo rappelait que le géant asiatique était en 2013 le premier partenaire commercial du continent africain avec des échanges en valeur s’élevant à 210 milliards de dollars contre seulement 85 milliards pour les Etats-Unis.

L’électrification de l’Afrique : le programme « Power Africa ».

L’objectif du programme Power Africa, lancé dès juillet 2013 par l’agence fédérale pour le développement USaid, est de doubler l’accès à l’électricité de la population africaine. A moyen terme, c’est plus de 60 millions de foyers et de petits commerces qui devraient bénéficier des 30 000 mégawatts supplémentaires à produire d’ici 2018. Au cours du sommet d’août 2014, le président Obama a précisé les contours de ce programme qu’il a complété par de nouvelles annonces.

Le montant total de ce programme qui doit s’élever à 26 milliards de dollars sera supporté par la Banque Mondiale, le gouvernement suédois et le secteur privé américain mené par trois de ses fleurons : General Electric, Coca-Cola et Mariott. Ces trois géants de l’industrie américaine ont déjà annoncé un concours financier en faveur de l’électrification de l’Afrique à hauteur de 14 milliards de dollars d’ici 2017. Pourtant les observateurs locaux sont pessimistes. Stephen Hayes président du Corporate Council on Africa, l’organisme fédérant les entreprises américaines présentes en Afrique, déplore la faible réactivité entre l’étape de l’identification des sites et celle de la finalisation des contrats. Il regrette également la méfiance structurel du mécanisme bancaire Ex-Im Bank of America qui demeure extrêmement dépendant de l’avis des agences de notations avant l’octroi de lignes crédits en faveur d’Etats africains.

En outre, si au cours du sommet bilatéral d’août 2014, le président Obama s’est réjoui de constater que le programme Power Africa avait déjà rempli 25% de ses objectifs en permettant de raccorder au réseau électrique près de vingt millions de foyers ; une enquête publiée par le site internet Reuter le 28 novembre 2014 a révélé que les chiffres et les méthodes de calcul contenus dans le rapport annuel du programme sont contestables dans la mesure où ils prennent en compte des résultats de projets non finalisés ou lancés avant le début du programme.

Les investissements directs des Etats-Unis vers l’Afrique : un enjeu géopolitique.

Depuis 2009, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique et les investissements directs de la Chine en Afrique ont augmenté de 44% rien que pour l’année 2013, comme s’en félicitait le président chinois Xi Jinping le 20 février 2014 au cours d’une cérémonie au Grand Palais du Peuple à Pékin à laquelle était convié son homologue sénégalais Macky Sall. Ce positionnement permet à la Chine de maîtriser et de garantir ses approvisionnements en matières premières et génère la convoitise du concurrent américain. Ainsi, le président Obama a tenu à rappeler que « sur l’ensemble des produits que les Etats-Unis exportent à travers le monde, seul 1% va vers l’Afrique sub-saharienne ». L’administration américaine est consciente que la faiblesse des liens commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique – dont les prévisions de croissance du FMI pour 2015 s’élèvent à 5,8% – pourraient à moyen terme, détériorer la balance commerciale et l’influence économique des Américains.

La faible part des IDE américains en faveur de l’Afrique subsaharienne a fait l’objet de travaux du Congrès dès 2008 avec le rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond », de Danielle Langton commandé par le Congrès. Il ressort de cette étude que les Etats-Unis ont pour l’heure des relations commerciales très ciblées avec l’Afrique dans la mesure ils constituent le premier importateur de pétrole Africain (soit 30% des exportations du continent). Le secteur des hydrocarbures est le principal gisement d’investissement avec des consortiums tels que Anadarko au Liberia. 

Si le président Obama n’a pas clairement affiché son intention de concurrencer le phénomène de Chinafrique, son volontarisme témoigne d’une véritable stratégie de positionnement des Etats-Unis en Afrique subsaharienne. Le plan d’investissement annoncé ainsi que la prochaine réforme de l’AGOA pourraient permettre aux Américains de gagner de nouveaux marchés en Afrique et de concurrencer les partenariats commerciaux établis par l’Europe.

L’Afrique subsaharienne, quant à elle, gagnerait à négocier des accords préférentiels dans les branches où son avantage comparatif est pour l’instant peu compétitif et menacé, à l’instar du textile qui subit la concurrence asiatique et peine à s’exporter. En demeurant dépendant des seules exportations pétrolières vers les Etats-Unis, le continent prend le risque de voir sa balance commerciale se dégrader au gré des variations du baril de pétrole tout au long de l’année 2015. L’exemple de Madagascar qui a mis l’accent sur les exportations de l’industrie textile depuis sa réintégration dans l’AGOA depuis décembre 2014, est éloquent. Ainsi, selon Robert Yamate, l’ambassadeur américain, qui s’est exprimé le 3 mars 2015 lors d’une rencontre avec le ministre de l’Industrie et du développement du secteur privé, Narson Rafidimanana ; les exportations en textile de Mada­gascar vers les États-Unis s’élèvent depuis décembre 2014 à un million de dollars et elles ne devraient cesser de croître.

Daphnée Sétondji

Références 

U.S. Trade with sub-Saharan Africa, January-December 2014

« L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, par Assiatou Diallo

Danielle Langton. Rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond ».

Placer le secteur financier au cœur de la lutte contre la fuite des capitaux

transfert-capitaux-argent-dollarUn article précédent discutait de l’implication du secteur financier dans le phénomène de fuite des capitaux du continent africain. Il précisait que le secteur financier dans les pays africains présente quelques caractéristiques qui constituent une faille dans le système, favorisant la sortie de capitaux du continent. Conscients du problème, les gouvernements africains ont mis en place un certain nombre de mesures visant soit à limiter la sortie des capitaux, soit à faire rapatrier les fonds sortis de façon illégale. En outre, certaines initiatives mises en œuvre à l’échelle internationale pourraient contribuer à limiter la sortie des capitaux du continent. Malgré ces différentes mesures, le phénomène semble se maintenir. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’efficacité de ces initiatives et l’existence d’éventuelles contraintes à leur performance, à la lumière desquels des solutions plus pérennes pourraient être identifiées pour réduire la fuite des capitaux, quelle que soit leur nature, du continent.

L’essentiel des initiatives mis en œuvre, aux niveaux africain ou international, ne s’attache pas au système financier. Il porte davantage sur certaines causes de la fuite des capitaux, notamment la corruption ou les détournements de deniers publics. Cette stratégie se justifie par la corruption, les détournements de fonds et dans une moindre mesure l’évasion fiscale, qui sont considérés comme les principales sources de sortie de capitaux du continent. Ainsi, ont été mis en place, une Convention de l’Union Africaine pour prévenir et lutter contre la corruption, un Panel de Haut Niveau sur les flux financiers illicites (dirigé par Thabo Mbeki) et le Programme africain anti-corruption. Si ce premier a pour but de renforcer la capacité des pays africains dans la lutte contre la corruption sous toutes ses formes, aussi bien dans le secteur privé que public ; le second s’apparente davantage à une voix unifiée des pays africains dans les débats à l’international concernant la lutte contre la fuite des capitaux. Le programme africain anti-corruption, initié par la Commission Economique de l’ONU pour l’Afrique and l’Union Africaine, pour la période 2011 – 2016, est un programme conçu spécifiquement pour permettre aux pays africains de recouvrer les fonds détournés ou volés. Au-delà de ces initiatives africaines, il existe aussi des stratégies régionales comme la CIABA (pour la CEDEAO) ou encore mieux au niveau de chaque pays (comme l’OFNAC pour le Sénégal, appuyé par sa CREI), qui ont pour mission principale de lutter contre la corruption, les détournements, etc. Au niveau international, de nombreuses institutions ont été établies pour lutter contre le phénomène. Certaines ont d’ailleurs instauré des normes qui peuvent permettre de circonscrire les flux de capitaux sortant d’un pays. On peut citer notamment le Groupe d’Action Financière (GAFI), la Banque des Règlements  Internationaux (BRI) (la banque centrale des banques centrales) et les divers programmes de l’Onu (notamment l’UNCAC), de l’OCDE ou encore du G20. Seulement, très peu de pays africains participent à ces programmes ou institutions. A titre d’exemple, seule l’Afrique du Sud participe au GAFI, qui a établi des normes pour lutter contre les transactions illégales. Ce sont, en plus de l’Algérie, les deux seuls pays d’Afrique qui se sont soumis aux normes de la BRI. L’une des plus récentes et la plus souscrite par les pays africains (près d’une vingtaine)[1]est celle du G20 qui s’appuie sur des traités bilatéraux entre les pays du G20 et les pays dits “paradis fiscaux” concernant la levée du secret bancaire.

Dans ce contexte, l’impact escompté de toutes ces initiatives n’est que limité. Selon une étude de Johannesen et Zucman (2012), la signature des traités du G20 relative à la levée du secret bancaire n’a eu qu’un impact négligeable sur les dépôts dans les paradis fiscaux concernés. Très peu d’évadés fiscaux ont transféré leurs avoirs vers d’autres paradis fiscaux. Shaxson et Christensen (2011) ont trouvé un résultat similaire. De fait, plusieurs facteurs empêchent ces différents programmes de porter des fruits considérables.

Tout d’abord, les politiques africaines ne semblent pas déterminer à lutter effectivement contre le phénomène. Les dirigeants demeurent passifs, préservant leurs intérêts personnels. Ceci se traduit par un faible engagement dans les initiatives internationales visant à lutter contre le phénomène. Comme décrit précédemment, très peu de pays africains participent aux programmes, institutions ou autres initiatives internationales mis en place pour lutter contre la fuite des capitaux. Ainsi les spécificités des pays africains ne sont pas intégrées dans les réformes et autres normes visant à circonscrire le problème. Moshi (2007) souligne dans une étude que les normes et autres recommandations de la GAFI ne tiennent pas compte du fait que dans les économies africaines, les transactions financières se font majoritairement en espèces, ni de l’importance de l’informel (même dans le système financier). De plus, les pays initiateurs de ces programmes (très souvent les pays développés) ne se conforment pas toujours eux-mêmes aux recommandations qu’ils font aux pays africains. A titre d’exemple, dans le cadre des accords signés par les pays du G20 et leurs partenaires, les sanctions prévues pour les banques qui refusent de divulguer les informations relatives aux comptes utilisés pour échapper à la taxation sont économiquement insignifiantes et ne sont pas dissuasives pour les banques. Il est donc difficile d’asseoir la crédibilité de ces programmes dans les pays africains et de garantir leur efficacité vis-à-vis de la fuite des capitaux. L’existence de faiblesses au niveau réglementaire et la mauvaise gouvernance constituent aussi des obstacles considérables à la mise en œuvre de ces programmes. De nombreuses banques (et pays) utilisent d’ailleurs cet argument pour ne pas rapatrier des fonds, clairement identifiés comme provenant de détournement ou d’activités illicites, au pays bénéficiaire. On peut, par ailleurs mentionner les différences profondes qui existent dans les réglementations entre les pays. De fait, une activité considérée comme illégale dans un pays, peut ne pas l’être dans un autre et donc exclure toute action judiciaire dans le pays où les fonds détournés ont été placés.

Si les sources potentielles de la fuite des capitaux sont diverses et qu’elle est facilitée par les caractéristiques du secteur financier dans de nombreux pays africains, les diverses actions entreprises (très concentrées sur les transactions illicites) par les autorités se heurtent à de nombreux obstacles qui obèrent leur efficacité. Il conviendrait dans ce contexte de renforcer le système financier au niveau local et d’en faire un outil de lutte contre la fuite des capitaux. Si le secteur financier offre des conditions incitatives, des produits tout à fait intéressants et garantie la sécurité des avoirs des agents,  ces derniers investiraient moins dans des produits à l’étranger. Ceci requiert, en outre, un fort engagement des politiques pour la mise en place d’un mécanisme de supervision efficace et indépendant, qui s’appuie sur des compétences réelles et une réglementation adaptée, afin de garantir un secteur financier sain et restaurer la confiance des agents. Ceci permettrait par ailleurs de renforcer la résilience du secteur vis-à-vis de toutes les transactions illicites. On pourra s’appuyer sur des mesures dissuasives pour les banques et toutes les institutions financières, comme des sanctions économiques. Les banques se verraient ainsi contraintes de réduire leur implication dans des transactions à caractère illicite, exigeant davantage d’informations sur la nature de certaines ressources financières ou renforçant le mécanisme de contrôle interne de ces institutions. Des indicateurs sur la transparence pourraient aussi être envisagés, et constituer une base de crédibilité des banques. Plus généralement, l’amélioration de la gouvernance dans les pays africains, serait un facteur déterminant dans la lutte contre la fuite des capitaux et pour le rapatriement des fonds illégalement sortis du continent. Elle permettrait, en outre aux pays africains d’avoir une voix conséquente dans les initiatives internationales, qui présentent elles même des faiblesses à  surmonter, notamment en ce qui concerne le secret bancaire.

Si la lutte contre la fuite des capitaux n’est pas, pour l’heure, une priorité pour les pays africains, elle pourra s’intégrer dans une stratégie plus globale de financement des économies africaines dans la mesure où le développement du secteur financier, sur fond d’une réglementation adéquate et un mécanisme de surveillance approprié, constitue un excellent rempart.

Foly Ananou


[1] Plus d’informations sur le Portail d’Echanges sur les Informations Fiscales  

 

 

Rencontr’Afrique avec Mongi Marzoug: Pour une mise en lumière des enjeux du numérique en Afrique

1L’Afrique des Idées a eu l’honneur de recevoir samedi 7 mars 2015 à Paris, Monsieur Mongi Marzoug[1], expert en télécommunications et Ministre tunisien des Technologies de l’Information et des Communications de décembre 2011 à Janvier 2014. Lors de cet échange passionnant, Monsieur Marzoug a partagé avec nous son expertise et son expérience en matière de Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications et présenté les questions fondamentales qu’elles mettent en jeu sur le continent africain.

La transition numérique, une grande question pour l’Afrique

Cette Rencontr’Afrique très enrichissante a mis en lumière les enjeux colossaux que présentent les Technologies de l’Information et des Communications en Afrique ; en effet, les télécommunications, et notamment l’Internet constituent un monde parallèle, un espace virtuel qui reflète les même réalités et opportunités que l’espace physique dans lequel nous évoluons ; existe ainsi dans ce monde virtuel du commerce électronique, de la politique, voire même des guerres du numérique.

Le problème de la réglementation du numérique

Puisque le monde virtuel est aussi complexe que le monde réel, il est nécessaire qu’existe une réglementation exhaustive encadrant tous ses aspects, qu’ils soient juridiques, économiques, sociétaux ou politiques. Monsieur Marzoug pointe la faiblesse, voire l’inexistence de la réglementation dans ce domaine en Afrique ; or il est nécessaire que des questions relatives à la protection et l’hébergement de données, à l’ouverture et à l’accès au réseau, à la confiance dans le numérique, à la transparence ou encore à la gestion des trafics soient encadrées juridiquement.

En outre, il est impératif que les Etats adoptent des réglementations adaptées à l’économie numérique (services numériques et accès, infrastructures du numérique, protection des données, fiscalité, et autres), et instaurent des règles équitables entre les différents acteurs de l’économie numérique, fondées sur les services offerts et non les technologies utilisées (« same services, same rules ») ; à cet égard, les entreprises du Net (ou Over The Top) posent une véritable question ; les géants de l’internet tels que Google ou Amazon offrent des services et récoltent des bénéfices dans les pays d’Afrique, tout en étant basés à l’étranger, échappant ainsi à toute réglementation ou fiscalité, alors qu’ils devraient être soumis aux mêmes règles que les opérateurs qui fournissent des services en étant basés sur le territoire de l’Etat concerné.

Un secteur privé dynamique et des Etats en retrait

Le fait marquant à l’égard des réseaux mobiles en Afrique est leur ouverture à l’investissement privé d’une part, et étranger d’autre part. Il y a donc des enjeux économiques colossaux, et cette ouverture à l’investissement privé pose la question du service public ou du service universel des télécoms. En effet, les opérateurs qui bénéficient de licences ont tendance à déployer leurs services dans les zones urbaines qui sont les plus rentables, tournant ainsi le dos aux zones reculées et moins peuplées. Il est nécessaire donc que les Etats imposent à ces investisseurs privés de participer financièrement au service public des télécoms pour assurer sa continuité, et ce même dans les zones les plus en retrait.

Par ailleurs, il est de la responsabilité des gouvernements africains garantir la qualité des services de télécommunications offerts à leurs citoyens ; à cet égard, on observe, suite à l’octroi de licences à des opérateurs privés, peu de suivi de l’exécution de ces licences.

Beaucoup d’Etats africains travaillent à implémenter une identification numérique de leurs citoyens, qui permettrait à ces derniers d’accéder en ligne aux services de l’Etat et des entreprises publiques, et faciliterait leurs relations avec les administrations publiques ; dans ce cadre il est nécessaire de garantir la sécurité de des flux et stockage des données.

Un modèle à définir pour le développement du numérique

Pour les Etats africains se pose la question du modèle à adopter pour le développement du numérique : faut-il développer une industrie des télécoms, ou focaliser les efforts sur le développement des services numériques ? Selon Monsieur Marzoug, les ressources humaines et financières en Afrique sont insuffisantes pour développer une industrie complète des télécoms ; il serait préférable d’effectuer des choix sur des segments pour lesquels des ressources et compétences existent.

2A propos de l’utilisation de satellites pour garantir l’accès au réseau, à l’image des fameux « Ballons Google », qui visent à permettre l’accès à internet dans les zones reculées, Monsieur Marzoug note, qu’au-delà des questions d’autorisation et de licence qu’ils soulèvent s’agissant de Google, leur efficacité trouve ses limites dès lors que l’on se trouve en présence d’une importante concentration de population. Ainsi, s’ils peuvent être adaptés pour couvrir des zones vastes et peu peuplées, un réseau de type cellulaire est nécessaire pour garantir l’accès au réseau dans les zones à forte concentration de population.

Pour le développement des infrastructures haut débit (mobiles et fixes), la meilleure solution pour les Etats consisterait donc à mettre en place le partage d’infrastructures en particulier dans l’accès avec des processus de planification et de coordination efficaces entre les autorités et les différents opérateurs des services de communication électronique.

Dans la plupart des Etats africains, les infrastructures existantes étaient suffisantes pour le développement de la 2G, mais il faut maintenant les améliorer pour développer le haut débit mobile (3G et 4G) et fixe, notamment grâce à la fibre optique. Des solutions hybrides permettraient d’améliorer la qualité des réseaux en minimisant les coûts; dans ce cadre une coordination entre tous les opérateurs de télécoms pour le partage de l’accès à la fibre optique serait nécessaire.

Rouguyatou Touré


[1] Mongi Marzoug est directeur dans le Groupe Orange en charge de la gouvernance de l'Internet et du développement du Numérique. Il était ministre des Technologies de l'Information et de la Communication de décembre 2011 à janvier 2014 en charge des technologies du numérique et des services postaux. Il a exercé entre 1999 et 2011 dans la direction technique du Groupe Orange. Il a occupé les fonctions de responsable du Département "Architecture & Fonctions",  Directeur Adjoint chargé des études, de l'ingénierie et des produits, responsable du Département "Networks Quality & Cost Modeling", et enfin responsable du Département "Roaming, Networks Modeling & Performance". Auparavant, il était pendant dix ans à Orange Labs en charge des projets et équipes de R&D dans les domaines de télédétection, imagerie radar et planification des réseaux mobiles. Il est auteur d'un brevet sur la modélisation des interférences et l'affectation des fréquences dans un réseau mobile. Il est également auteur de plusieurs articles scientifiques dans des revues internationales  en particulier IEEE et JAOT et de nombreux rapports techniques et communications dans des conférences et forums internationaux. Il est diplômé de l'“Ecole Polytechnique” et de Télécom ParisTech. Il est titulaire d'un doctorat en physique expérimentale et d'une Habilitation à Diriger des Recherches

 

 

Le système financier dans les pays africains favorise-t-il la fuite des capitaux ?

B9vYsyBCEAI08uW.jpg-largeEn plus de la fuite des cerveaux, la fuite des capitaux constitue aujourd’hui l’un des problèmes majeurs des pays en développement, en particulier dans les pays d’Afrique sub-saharienne. Selon une étude de Ndikumana et al. (2015) portant sur 39 pays africains (dont 4 en Afrique du Nord), la sortie de capitaux de ces pays entre 1970 et 2010 aurait atteint 1300 Mds USD en parité du pouvoir d’achat 2010 (soit 82% du PIB des pays considérés).

Avant toute chose, il faut préciser qu’il n’existe pas de définition formelle du phénomène. Dans cette étude, la définition de la fuite des capitaux inclut à la fois les flux liés à des activités illégales comme légales. Ainsi, les ressources issues de la corruption, des activités criminelles (vente de drogue, trafic d’humains ou d’organes) ou encore l’évasion fiscale en font partie. En dépit de la place importante du secteur financier dans ce mécanisme, son rôle est parfois minimisé puisqu'il est considéré comme un simple intermédiaire des échanges. Cet article se propose de mettre en évidence les caractéristiques du secteur financier africain qui favorisent la fuite de capitaux du continent.

En effet, conférer un rôle de second plan au secteur financier dans la fuite des capitaux, c’est supposer qu'il ne souffre  pas de failles dans son organisation et fonctionnement. Or, lorsqu'on tient compte de la faiblesse des circuits de financement du secteur privé en Afrique, cette hypothèse est très vite réfutée. Voici donc les quatre principales raisons qui pourraient expliquer le rôle centrale du système financier africain dans la fuite de capitaux :

1. Le secteur est dominé par les banques étrangères. Selon les données de la Banque Mondiale sur le Développement Financier Mondial, les actifs des banques étrangères représentent près de 60% des actifs consolidés du secteur bancaire en Afrique subsaharienne. Cette proportion est comparable à celle observée dans les pays développés et dépasse de loin celle qui est en vigeur dans des pays similaires d’Amérique Latine, du Moyen Orient ou de l’Asie de l’Est. De plus, ces banques sont majoritairement issues des pays développés; une situation qui peut favoriser le rapatriement des capitaux de l'Afrique vers ces pays.

En effet, beaucoup de résidents en Afrique considèrent les banques originaires de pays développés plus sures et préfèrent placer leurs économies dans ces dernières parce qu’étant adossées à des banques internationales. Ces multinationales ont des opportunités d’affaires un peu partout dans le monde et peuvent investir les fonds disponibles dans leurs filiales africaines dans des projets jugés plus rentables en dehors du continent, surtout si elles jugent l’environnement économique local très peu favorable. Une telle stratégie d'investissement des fonds placés est favorable à la sortie du continent de ressources acquises même de façon illégale. C'est ainsi que selon un article de l’Express, le président gabonais s’est servi de la filiale de Citibank au Gabon pour faire sortir sa fortune « mal acquise ».

2. Un marché financier atrophié offrant peu dinstruments financiers. Un article publié sur cette plateforme identifiait déjà cette situation, et invitait à développer davantage les marchés financiers en Afrique[1]. Le cas particulier du marché des titres publics illustre bien cette situation. Certains pays y ont recours, notamment en Afrique de l’Ouest et du Nord, mais les montants mis en adjudication ne représentent qu’une infime partie des besoins de financement des Etats ou ne servent qu’à financer des besoins ponctuels de trésorerie. Ce faible niveau de développement du marché financier peut aussi induire la fuite des capitaux. En effet, un marché atrophié n’offre que très peu d’instruments financiers pour des agents en capacité de financement, obligeant ces derniers à placer leurs ressources dans des produits à plus forte rentabilité, notamment à l’extérieur. 

3. Une supervision de lactivité bancaire non effective et peu efficace. La supervision de l’activité bancaire est généralement assurée par les banques centrales. Ce cadre leur offre les moyens d’empêcher la fuite des capitaux, surtout ceux ayant un caractère illicite. Or ces banques centrales sont encore généralement sous l’emprise des pouvoirs publics, ce qui affaiblit leur autorité et leurs actions vis-à-vis de la fuite des capitaux. Le Général Sani Abacha (président du Nigéria entre 1993 et 1998), par exemple, n’hésitait pas à intervenir dans la gestion de la banque centrale nigériane à l’époque et aurait permis ainsi à certains de ces collaborateurs et à lui-même de placer près de 2,5 Mds USD dans des comptes personnels à Londres[2].

De plus, le cadre réglementaire qui régit la supervision de l’activité bancaire semble inadéquat. Selon la base de données de la Banque Mondiale sur la réglementation bancaire, si de nombreux pays africains ont des règles précises en matière d’activité bancaire, elles sont systématiquement violées par de nombreuses banques dans plusieurs pays africains – soit parce que les règles sont complètement déconnectées de la réalité économique ou parce qu’il n’existe pas de réelles mesures punitives en cas de non-respect.

Par ailleurs, le capital humain en charge de la supervision bancaire n’a toujours pas les compétences techniques pour cet exercice. Si dans les pays de l’UEMOA, la surveillance du secteur bancaire – à travers le contrôle de vérification – se déroule systématiquement à chaque exercice depuis plusieurs années, dans d’autres pays du continent, elle n’intervient que tous les 2 ou 5 ans (Mehran et al. 1998). Dans certains pays, une expérience préalable dans le secteur bancaire, notamment dans l’audit bancaire, n’est pas exigée des superviseurs bancaires.

4. Le mobile Banking. Le développement du mobile Banking en Afrique a fortement révolutionné l’activité économique. Cependant, il pourrait aussi faciliter la fuite de capitaux. Si l'on ne pourrait être certain de son impact sur la fuite des capitaux, on peut au moins s’en inquiéter du fait de l'absence de cadre règlementaire approprié dans certains pays. Pour l’heure, le mobile Banking demeure un moyen financier sain qui facilite les transactions entre agents économiques et ne concerne que de très faibles montants, avec un minimum de supervision exercé par les opérateurs de téléphonie.

Au delà des points ci-dessus mentionnés, la finance internationale a des pratiques qui incitent certains agents économiques africains à placer leur épargne dans des banques installées à l’étranger. Le secret bancaire[3] mais aussi les services financiers qui limitent la traçabilité des transactions effectuées, constituent des facteurs incitatifs pour de grosses fortunes africaines, notamment celles voulant échapper à la fiscalité.

De toute évidence, le système financier de nombreux pays africains présente des failles qui favorisent la sortie massive de capitaux du continent et par voie de conséquence, réduisent la mobilisation de capitaux au niveau local pour financer le développement. Il convient donc de renforcer le système financier en mettant en place des cadres règlementaires permettant de limiter la sortie de capitaux du continent, tout en créant des conditions incitatives pour aue les agents disposant de capacité de financement les investissent sur le continent. Un prochain article discutera plus amplement de possibles solutions à la fuite des capitaux.

Foly Ananou

Référence : 

Ndikumana, L., Boyce, J. K. and Ndiaye, A. S. (2015). Capital Flight from Africa: Measurement and Drivers. In S. I. Ajayi and L. Ndikumana (Eds.), Capital Flight from Africa: Causes, Effects and Policy Issues. Oxford: Oxford University Press.

 

 

 


[1] Une série d’articles par Tite Yokossi, à retrouver sur http://terangaweb.com/?s=tite+yokossi

 

[3] Non divulgation des informations relatives aux clients

 

Les villes intelligentes, une piste pour construire l’avenir urbain des pays en développement

Les défis de l’urbanisation croissante des pays en développement[1]

En 2050, la proportion de la population mondiale vivant en milieu urbain devrait atteindre 66%[2], contre 54% en 2014. Ce phénomène d’urbanisation sera d’autant plus significatif dans les pays les moins développés[3], pour lesquels la population urbaine représentera 50% en 2050, alors qu’elle n’est que de 31% actuellement.

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Population urbaine mondiale de 1950 a 2050

L’attrait des populations pour les zones urbaines s’explique par l’activité économique et les opportunités d’emploi qu’elles concentrent : 80% de l’activité économique à l’échelle mondiale[4] se développe dans les villes. L’exode rural et la croissance soutenue des populations urbaines et périurbaines complexifient les challenges à relever pour les villes. On peut notamment citer les contraintes liées à leur approvisionnement en ressources et à l’élimination de leurs déchets. Bien que l’urbanisation soit reconnue comme un moteur de développement économique et social, elle s’accompagne de forts impacts environnementaux, aussi bien aux niveaux local que mondial, tels que l’assèchement des zones humides, l’extraction de matériaux de construction en grandes quantités, la pollution des eaux, la pollution atmosphérique, etc. Les villes sont ainsi à l’origine de 80% des émissions de gaz à effet de serre et représentent 75 % de la consommation mondiale d'énergie[5].

Contrairement aux pays développés, dont la population urbaine devrait croître plus modérément et qui disposent de solides infrastructures existantes, les pays en développement vont devoir déployer rapidement de nouvelles infrastructures efficaces et flexibles pour répondre aux évolutions démographiques de leurs territoires. Une urbanisation rapide et mal maîtrisée ne mettant pas en regard des besoins des habitants les infrastructures et la gouvernance adéquates risque en effet de s’accompagner d’un accroissement de l’extrême pauvreté urbaine et, dans certains cas, du développement ou de l’extension accélérée de bidonvilles. Des efforts de planification seront donc indispensables pour assurer aux populations la fourniture de services essentiels, tels que les accès à l’énergie, à l’eau, au traitement des déchets, au logement, à la santé et aux transports, tout en maîtrisant les impacts sociaux et environnementaux associés.

Les villes des pays en développement devront ainsi monter en compétence sur une large palette de problématiques (énergie, transport, etc.) et réaliser des investissements importants, en veillant à maintenir des coûts compatibles avec leurs cadres budgétaires souvent fortement contraints. La transition vers des villes plus communicantes et plus durables, s’appuyant sur de nouvelles méthodes d’aménagement et de gestion de l’espace urbain, peut constituer un levier clé pour relever ces défis.

Le développement des Smart Cities : une réponse possible

Le concept de Smart City a vu le jour avec les évolutions rapides observées dans le domaine des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), qui offrent la possibilité de déployer à coûts maîtrisés des solutions performantes pour rendre les infrastructures urbaines plus communicantes (pilotage de l’éclairage public, télérelève des compteurs d’énergie, etc.). De nombreuses définitions de la Smart City coexistent, donnant une importance plus ou moins marquée à la composante technologique.

L’une des définitions les plus exhaustives a été proposée dans le cadre du projet européen TRANSFORM : « La Smart City permet d’offrir aux habitants un espace de vie agréable, abordable, respectueux de l’environnement et répondant aux besoins et aux intérêts de ses usagers et basé sur une économie durable. La Smart City est très efficace dans son utilisation de l’énergie et des ressources et elle est de plus en plus alimentée par des énergies renouvelables. Elle repose sur un système de ressources résilient et intégré ainsi que sur des approches de planification innovantes. Les technologies de la communication et de l’information sont souvent des moyens pour atteindre ces objectifs. »[6]

Les expérimentations Smart City bénéficiant actuellement de la plus grande visibilité se déroulent en Europe, aux États-Unis, en Asie et au Moyen-Orient. Ces projets promeuvent la vision d’une ville intelligente s’appuyant sur des investissements significatifs, requis par le déploiement de solutions de hautes technologies, et sur une implication renforcée des différents acteurs de l’espace urbain, dont les habitants. Cette approche très demandeuse en capitaux peut sembler moins adéquate pour les villes de pays en développement, et notamment celles ayant des capacités budgétaires limitées. Les financements nationaux et locaux pourraient cependant être complétés par des sources externes, bailleurs de fonds internationaux ou investisseurs étrangers.

L’acceptabilité sociale des changements constitue également un point critique du développement des Smart Cities dans les pays en développement. En effet, dans des pays où les structures décisionnelles sont historiquement centralisées et où les niveaux de corruption sont parfois élevés[7], la population peut se montrer méfiante vis-à-vis des pouvoirs publics. Il existe alors un risque important que les habitants ne voient dans la Smart City qu’un moyen pour les politiques et les industriels de justifier de lourds investissements servant avant tout leurs intérêts propres. La mise en œuvre d’une gouvernance associant la population à la conception de la ville représente ainsi un enjeu clé pour assurer une planification adaptée à ses attentes, en particulier quant à l’amélioration de la qualité de vie. L’exemple du déploiement de compteurs électriques communicants à Noida, en Inde, illustre cette nécessité d’impliquer les populations locales[8] dans la construction de la ville intelligente. Souhaitant réduire les vols d’énergie sur son réseau, le distributeur d’électricité NPCL a décidé d’installer des compteurs prépayés dans une zone particulièrement pauvre. Face au risque de rejet du projet par la population, la NPCL a sensibilisé les habitants à l’importance de la lutte contre le vol d’électricité via des spectacles de rue et leur a proposé des solutions simples de maîtrise de leurs consommations d’énergie. Cette implication de la communauté a ainsi contribué au succès du projet, loin d’être garanti initialement.

Etant donné les défis financiers et sociaux soulevés, la pertinence de la promotion et de l’application du concept de Smart City dans le contexte des pays en développement peut être questionnée. Pour exemple, des chercheurs de l’Africa Research Institute, think-tank britannique spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, déclarent « Ces projets fantasques pour les grandes villes africaines remportent des récompenses. En général, ils mentionnent en passant les besoins des habitants des bidonvilles et prétendent viser d’autres fins louables. Cependant, la mise en œuvre de plans complètement non viables et inappropriés du point de vue du climat, des infrastructures disponibles (en particulier la production d’électricité) et des coûts révèle leurs défaillances. »[9]

Au premier abord, l’évolution vers les Smart Cities semble donc plus ardue pour les villes des pays en développement. En réalité, l’adaptation des infrastructures urbaines existantes requise dans les pays développés pour la mise en place de solutions innovantes engendre une complexité et des coûts d’intégration conséquents. A contrario, les pays en développement peuvent plus facilement déployer de nouvelles technologies au sein de leurs environnements urbains moins contraints par le poids de l’existant. Cette flexibilité confère un atout essentiel à leurs villes pour opérer le saut technologique vers la Smart City. Sur le volet énergétique, les pays en développement pourraient par exemple développer directement des infrastructures de type Smart Grids adaptées à leurs enjeux locaux (via le déploiement de compteurs intelligents prépayés et de moyens de production décentralisés notamment), sans avoir auparavant bâti des réseaux électriques robustes desservant l’ensemble de leurs territoires. Une dynamique similaire a déjà été observée dans le domaine de la téléphonie, où l’Afrique n’a pas attendu un taux de pénétration élevé des solutions filaires pour négocier le tournant vers le mobile.

Au-delà de l’angle technologique, l’importance des paramètres culturels et sociaux dans la mise en œuvre de la Smart City implique que les particularités locales soient placées au cœur des préoccupations de la ville. Seule une adaptation pragmatique du concept permettra de faire de cette transition un succès. Les modèles retenus par les villes de pays en développement ne peuvent ainsi se calquer sur ceux expérimentés dans les pays les plus riches. De même, des disparités importantes entre les solutions mises en place dans différentes villes de pays en développement sont inéluctables. En adoptant une approche raisonnée et propre à chaque contexte, l’exploitation des NTIC et l’association des populations aux processus décisionnels peut soutenir un développement efficace et une gestion intelligente des infrastructures des villes de pays en développement. La déclinaison du concept de Smart City deviendra alors un moyen de répondre aux besoins des populations tout en maîtrisant certains des risques majeurs inhérents à un développement urbain miné par une mauvaise planification : dégradation des services publics, développement de bidonvilles, pollution accrue, augmentation du chômage, de la pauvreté et de l’insécurité, etc.

Des initiatives d’utilisation de nouvelles technologies permettant de renforcer la qualité des services rendus aux habitants (énergie, transport, logement, santé, etc.) ont déjà émergé dans certains pays. Bien qu’encore marginales, elles montrent que des solutions « smart » peuvent dès aujourd’hui contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les villes de pays en développement.

Des exemples d’initiatives marquantes

  • OpenStreetMap (Tanzanie)

Les villes évoluent rapidement et souvent de manière incontrôlée dans les pays en développement, où d’immenses bidonvilles peuvent voir le jour en périphérie urbaine. Cette expansion désordonnée complexifie la tâche des municipalités pour analyser et résoudre les problèmes auxquels sont confrontés leurs habitants. Les autorités locales ne disposent alors que d’une faible visibilité sur l’organisation réelle du territoire et sur ses besoins en infrastructures.

ii
Illustration du mapping du bidonville de Tandale

Partant de ce constat, un groupe d’étudiants de Dar es Salaam (Tanzanie) s’est formé à l’utilisation de tablettes numériques et de solutions de cartographie libres de droits afin de cartographier le bidonville de Tandale[10]. Parcourir la zone équipés de ces outils leur a permis de répertorier l’ensemble des rues, chemins, équipements publics (toilettes, fontaines à eau, points de collecte de bouteilles plastiques, etc.), écoles ou encore bâtiments religieux.

Ce projet illustre une application concrète du concept de Smart City, en montrant que l’usage innovant de nouvelles technologies numériques peut permettre à la ville et ses habitants de disposer d’une cartographie fiable du territoire, brique indispensable en vue d’une meilleure planification urbaine. L’intérêt de l’utilisation de solutions open source est également mis en avant, ces dernières étant facilement accessibles et adaptables aux besoins des villes des pays en développement.

  • E-health backpack (Brésil)

Pour répondre au défi du vieillissement des populations les plus pauvres, des expérimentations sont lancées dans certains pays dans le but de développer de nouvelles applications de télésanté (e-health). L’objectif consiste à tester des méthodes et solutions innovantes permettant d’améliorer la qualité des services de soins tout en réduisant les coûts induits pour la communauté.

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Oxymetre et tensiometre integres a l e-health backpack

Dans cette optique, un produit « e-health backpack » a été développé par General Electric (GE) et est expérimenté dans le cadre d’un projet pilote à Rio de Janeiro (Brésil). Le concept repose sur la fourniture de services de santé dans des zones urbaines pauvres, mal desservies par les transports en commun et faiblement pourvues en infrastructures médicales. La solution proposée par GE permet d’établir en quelques minutes des diagnostics sur site lors de la visite chez les patients, en comparaison avec un délai pouvant atteindre 2 semaines suite à une consultation à l’hôpital. Les premières analyses11 indiquent que les bénéfices économiques découlant de la réduction du nombre d’évènements médicaux et d’hospitalisations compensent le coût élevé (42 000 $) de l’équipement employé.

Une des prochaines étapes du projet visera à mettre à disposition des personnels soignants des tablettes sans fil pour collecter, stocker et analyser les données issues des examens menés au domicile des patients. Ceci permettra d’approfondir les opportunités offertes par l’utilisation de moyens médicaux high-tech au bénéfice des populations défavorisées.

Les villes des pays en développement peuvent s’inspirer du concept de Smart City pour exploiter pleinement le potentiel des NTIC au service de la gestion de leur espace urbain et de la qualité de vie de leurs citoyens. Une approche pragmatique tenant compte des spécificités locales est possible, et nécessaire : une smart city africaine ne ressemblera donc pas à une smart city européenne ou américaine !

Malgré la disparité des contextes et des besoins, la transition vers des villes plus intelligentes peut constituer une solution de premier plan pour permettre aux pays en développement de répondre aux défis résultant de la croissance de leurs populations urbaines. Ces pays, bénéficiant d’une inertie moindre dans leurs infrastructures et organisations, représentent en effet un terrain propice à une mutation rapide. La prise en compte des contraintes financières et l’association des populations aux processus décisionnels seront des facteurs clés pour concrétiser cette évolution et en faire une réussite.

Par Maxence BOCQUEL & Sylvain HIPPOLYTE

Yélé-Consulting


[1] Référence à la classification « Less developed regions » de l’ONU qui comptabilise l’Afrique, l’Asie (excepté le Japon), l’Amérique Latine et les Caraïbes, ainsi que la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie.
[2] United Nations Department of Economic and Social Affairs World Urbanization Prospect – 2014 Revision
[3] Référence à la classification « Least developed regions » de l’ONU qui comprend 49 pays (34 en Afrique, 9 en Asie, 5 en Océanie et 1 en Amérique Latine et aux Caraïbes.
[3b] Estimations venant du "World Urbanization Prospects: The 2014 Revision" de l'ONU
[4] McKinsey Global Institute, 2011 – Urban world: Mapping the economic power of cities
[5] The World Bank, 2010 – Cities and Climate Change: An Urgent Agenda
[6] TRANSFORM – Deliverable 1.1 Definition of Smart Energy City – http://urbantransform.eu/about/smart-energy-city/
[7] Transparency International – Indice de Perception de la Corruption 2012 < 40% pour les pays en développement http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2012.php
[8] Tackling Power Theft through Meter Data Management and Quality Analysis – http://www.metering.com/wp-content/uploads/i/p/Asia/1/RC-Agarwala.pdf
[9] Watson V, Agbola B, 2014 – Africa Research Institute – Qui va prendre en charge l’aménagement des villes africaines?
[10] Projet Open Mapping in Tandale – http://explore.ramanitanzania.org/
[11] Source : http://tandale.ramanitanzania.org/
[12] Source : http://www.newcitiesfoundation.org/wp-content/uploads/PDF/Research/New-Cities-Foundation-E-Health-Full-Report.pdf

Peut-on envisager un programme de transfert conditionnel efficace en Afrique ?

959220-1017L’idée d’adopter en Afrique le programme brésilien de Bolsa família a été suggérée dans un dernier article. Familière pour certains, cette initiative mérite d’être examinée de plus près tout en s’interrogeant sur la pertinence d’une transposition sur le continent africain.

Lancé en 2004 par le gouvernement Lula et soutenu par la Banque Mondiale, le programme Bolsa família repose sur une idée simple : sur la base d’un contrat entre l’Etat et un foyer pauvre ou extrêmement pauvre, représenté par la mère de famille, est versée mensuellement une somme destinée aux enfants, à la condition que soient fournis régulièrement des justificatifs de scolarisation et de soins. Concrètement, une base cadastrale de données fédérales permet de cartographier les foyers bénéficiaires selon leurs revenus. Le montant, qui avoisine les 20 euros par mois, est déposé sur un compte bancaire pour lequel chaque famille dispose d’une carte de crédit spéciale. Le registre fédéral permet d’enregistrer les familles travaillant dans les secteurs formel et informel. Aujourd’hui, la Bolsa família s’adresse à près de 13 millions de familles, soit 50 millions de personnes (sur une population d’environ 200 millions d’individus). Depuis 2004, en termes de résultats, ce programme, allié à d’autres initiatives sociales, a permis de sortir de la pauvreté 48 millions de Brésiliens, en diminuant d’environ 16% le taux de pauvreté dans le pays et en abaissant le coefficient de Gini de 0,59 en 2003 à 0,49 en 2012 (sur une échelle allant de 0 à 1, 1 équivalant à des inégalités maximales). Plus généralement, la Bolsa família a deux effets vertueux principaux : elle soutient l’investissement des ménages dans la santé et l’éducation de leurs enfants tout en responsabilisant les parents; elle permet de rompre le cycle intergénérationnel de la pauvreté. A plus long terme, le programme a permis de modifier structurellement les conditions socio-économiques des familles bénéficiaires. De nombreuses études soulignent en effet que le panier des foyers fait davantage place à des produits destinés aux enfants (nourriture, vêtements). Ce changement transforme progressivement l’économie locale, favorisant petit à petit une évolution économique positive. Au plan sanitaire, la mortalité infantile s’est considérablement réduite tandis que, au plan éducatif, des taux de scolarisation accrus ont permis d’offrir une main d’œuvre plus qualifiée et mieux insérée sur le marché du travail.

Si la Bolsa família est connue internationalement, c’est parce qu’elle est le plus emblématique des programmes de transferts conditionnels (PTC). En termes moins technocratiques, ce jargon renvoie à des mesures offrant des sommes d’argent à des bénéficiaires en situation de précarité, en échange d’actions concrètes et vérifiées portant sur les domaines éducatif et sanitaire. Déclinés en différentes propositions nationales, les PTC font florès, comme en Afrique du Sud (avec le Child Support Grant), en Inde et dans plusieurs pays d’Amérique du Sud (au Mexique, avec Oportunidades), ainsi qu’à New York (la ville a ainsi développé l’Opportunity NYC). Ce succès est en partie dû à la souplesse des PTC. Ces derniers appartiennent à la famille élargie des transferts sociaux qui se subdivisent en différents segments selon les cibles et les objectifs. Les modalités diffèrent entre transferts monétaires, non monétaires (en nature) et quasi monétaires (coupons, bons, etc.) ; les subsides peuvent être conditionnels (scolarisation, travail, formation, visites médicales) ou pas. En outre, le ciblage varie : les transferts peuvent être individuels, géographiques, communautaires ou catégoriels.

Malgré ce succès international, des éléments de la Bolsa família et des PTC en général sont discutables. Deux points principaux d’ordre sociologique apparaissent en premier. D’une part, la Bolsa família et d’autres PTC font de la mère de famille le bénéficiaire et gestionnaire des fonds reçus. Si cette attribution semble logique étant donné le rôle clef joué par les mères auprès des enfants, elle renforce sa responsabilisation; ce qui peut être lourd à porter en cas de difficultés. D’autre part, les PTC reposent tous sur une logique contractuelle qui place les bénéficiaires sous une sorte de tutelle. Cette responsabilisation forcée dessine en creux une critique négative des pauvres, comme si, incapables de se gérer eux-mêmes, ils devaient être pris en charge selon une logique d’encadrement et de contrôle renforcés.

Au-delà de ces aspects, la transposition des PTC en Afrique soulève d’autres questions. Pour être efficient, un PTC repose fondamentalement sur des capacités institutionnelles solides, en amont et en aval. En amont, il suppose des ressources administratives de qualité permettant d’assurer un ciblage approprié de la population cible, un suivi rigoureux de l’application de la conditionnalité et des moyens financiers suffisants pour assurer des coûts directs (l’allocation même) et indirects (les coûts de suivi). Or, si certains pays d’Afrique sont dotés de ressources suffisantes pour garantir ces critères (les pays du Golfe de Guinée notamment), beaucoup en sont dépourvus. En outre, la démographie africaine, avec un nombre d’enfants par femme supérieur à la moyenne des autres pays où ont été mis en œuvre des PTC (5 enfants par femme en moyenne et plus de 7 au Niger, 8 au Nigéria)[1], rend la problématique de coûts directs plus aigue. De plus, le faible niveau général de bancarisation (autour de 11% en moyenne avec cependant des écarts selon les régions et les pays[2]) complexifie l’accès aux transferts monétaires. Enfin, le niveau de corruption élevé en Afrique (avec toutefois encore des exceptions remarquables comme le Lesotho, le Rwanda et la Namibie)[3] rend plus épineuse la bonne gestion des fonds. En aval, les PTC doivent être capables de fournir une contrepartie acceptable selon les termes de l’échange. En effet, dans le contrat, les bénéficiaires, tenus de fréquenter assidûment des établissements éducatifs et sanitaires, doivent être en mesure d’avoir accès à des services de qualité. Sans des services publics satisfaisants, les PTC n’apportent aucune valeur à leurs bénéficiaires sur le long-terme. Or, en termes d’institutions publiques, l’Afrique reste encore mal lotie (les pays africains représentant 1 % des dépenses mondiales de santé)[4]. Sur le long terme, les défis concernent le potentiel effet de dépendance (générant un « effet de revenu ») ; toutefois, avec de très faibles montants, le transfert devient non pas un substitut mais un complément de revenu. De plus, il est important d’indexer le montant du transfert sur l’indice des prix à la consommation, comme l’a fait le Botswana, afin de conserver le pouvoir d’achat des ménages bénéficiaires (même si cela est complexe en pratique, avec des Etats au budget peu flexible).

Toutefois, ces notes pessimistes ne doivent pas écarter toute possibilité d’adoption des PTC. Certains pays africains, et pas seulement l’Afrique du Sud, ont fait leurs ces programmes, selon des modalités originales d’appropriation. Ainsi, au Burkina Faso, un programme pilote a fait preuve d’inventivité pour déjouer les défis énoncés précédemment. Point de banque mais une distribution manuelle lors de réunions collectives au sein des villages ; pas d’inspecteurs mais des maires appelés à vérifier scrupuleusement le carnet scolaire des enfants après appréciation par l’instituteur de la commune[5]. A ce jour, les OTC ont également été appliqués au Ghana (LEAP), au Kenya (CT-OVC) ou bien encore au Mozambique et au Botswana.

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