Côte d’Ivoire : Pays Pauvre Très Endetté

Le 30 juin 2012, comme prévu, la Côte d’Ivoire entrera dans le club très fermé des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), « accréditation » accordée par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International. Ce statut offre au pays de nouvelles perspectives, mais il est également source d’inquiétudes.

 Plus de dix ans. Oui, plus de dix années de troubles et d’instabilité politique ont entraîné la Côte d’Ivoire dans une situation économique et sociale désastreuse. Une dette équivalant à 93,3% du Produit Intérieur Brut (PIB). Le 170e rang en termes d’Indicateur de Développement Humain (IDH), sur 187 pays listés. Sans compter la crise postélectorale et la guerre civile qui ont provoqué une récession de 5,8% du PIB en 2011.

 Cette situation a très certainement accéléré l’entrée du pays dans le « club » des Pays Pauvres Très Endettés. En réalité, depuis 2009, la Côte d’Ivoire a enclenché ce que l’on appelle le « Point de décision », à savoir la candidature officielle pour faire partie des PPTE. Le 30 juin, c’est le « Point d’achèvement » qu’elle finalisera pour faire officiellement parti des PPTE.

 L’intérêt d’être un PPTE

Le gouvernement ivoirien se réjouit à l’idée de l’entrée du pays dans les PPTE, pendant que la population espère, via ce nouveau statut, des conditions de vie bien meilleures.

En effet, devenir PPTE offre des avantages économiques incontestables : réduction drastique du service de la dette et aides financières substantielles. Pour exemple, le Royaume-Uni a déjà annoncé, qu’à l’officialisation du nouveau statut de la Côte d’Ivoire, le 30 juin, la totalité de la réserve de dette à son égard sera annulée. Pour l’heure 39 milliards de Francs CFA (environ 60 millions d’euros) ont déjà été annulés. Dans le même ordre d’idées, le Club de Paris –association des bailleurs de fonds publics- a décidé d’une réduction de 78% de la réserve de dette ivoirienne. Dans le même temps, le FMI a consenti un prêt de 470 millions d’euros au pays.

 Ce sont en tout, près de 4,60 milliards d’euros de dette que la Côte d’Ivoire n’aura pas à rembourser. C’est autant d’argent que le gouvernement aura à sa disposition pour réhabiliter son pays sur le plan social. Un pays où les universités sont fermées depuis 18 mois et où les professeurs du secondaire ne sont plus rémunérés. Un pays où le système de santé est en ruine. Un pays où les routes sont impraticables et où l’insalubrité publique est un problème majeur.

A noter que pour accéder à ces allègements, la Côte d’Ivoire a dû montrer patte blanche en assainissant ses dépenses publiques, condition sine qua non pour être accepté dans le « club ».

 Main dans la main avec la France

A l’occasion des élections présidentielles françaises, il a souvent été question, ces derniers temps, d’une nouvelle approche des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. D’aucuns se plaisent volontiers à croire à un changement radical de ces relations avec l’avènement d’un président socialiste. Le nouveau statut de la Côte d’Ivoire pourrait être un bon révélateur du changement –ou non- de politique.

L’Agence Française de Développement (AFD), signera, au 30 juin,  un contrat de désendettement avec la Côte d’Ivoire. Le principe est simple : la Côte d’Ivoire continuera de rembourser ses dettes à la France qui lui prêtera à nouveau- et immédiatement- ces sommes à taux zéro. Soit. Le plus important dans ce contrat est que la France aura un droit de regard sur la destination des sommes en question. Comment s’empêcher de penser que l’allocation de ces nouvelles ressources ne se fera pas essentiellement dans la droite ligne des intérêts de la France et non de la Côte d’Ivoire ? D’ailleurs, le gouvernement ne s’en cache qu’à moitié. Cette vision est quasiment validée par le ministre de l’Economie et des Finances M.Charles Diby lorsqu’il se défend : « Cette opportunité ne devrait pas être jugée par rapport aux avantages quelle suscite pour les partenaires au développement [la France en l’occurrence]. Elle est bonne pour la Côte d’Ivoire aussi. »

Le gouvernement admet donc que l’entrée dans les PPTE est autant un avantage pour la France que pour la Côte d’Ivoire. Mais qu’en sera-t-il lorsque les sommes seront disponibles ? Le gouvernement ivoirien pourra-t-il les utiliser pour assainir la filière café-cacao, ce qui serait à coup sûr un point positif pour les milliers d’agriculteurs ivoiriens dans cette branche, mais une très mauvaise nouvelle pour une grande entreprise française comme Cémoi (numéro 2 mondial dans l’industrie du chocolat) ?

 La réalité est que la Côte d’Ivoire, une fois devenue PPTE ne sera plus souveraine dans le système de réallocation de ses ressources. Si tant est qu’elle l’était jusqu’à présent. Et sur ce plan précis il sera bon de juger l’évolution de la France-Afrique. L’Etat français sera-t-il directif ou laissera-t-il sa liberté économique à la Côte d’Ivoire ? Nous verrons.

L’initiative PPTE : pour mieux contrôler les pays pauvres ?

La catégorie PPTE est une création conjointe du FMI et de la Banque Mondiale, en 1996. Cette initiative a pour but de redresser économiquement les pays dont la dette est devenue socialement insoutenable. Aujourd’hui, les PPTE sont au nombre de 32. Depuis sa création, l’initiative PPTE, en additionnant tous les programmes d’allègement, a annulé 72 milliards d’euros de dettes.

 Selon la Banque Mondiale, l’initiative PPTE permet aux pays en difficultés de sortir du cercle vicieux du rééchelonnement constant de la dette. Est-ce vraiment le cas ? En devenant PPTE, un pays voit ses dettes allégées ou annulées. Mais ces allègements sont accompagnés de nouveaux prêts qu’il faudra bien rembourser un jour. Et ces nouveaux prêts sont assortis de clauses permettant aux différents partenaires économiques ayant procédé aux allégements/annulations, d’avoir un droit de regard –pour ne pas dire le contrôle- des politiques économiques et sociales des PPTE. Voilà comment troquer des dettes insoutenables, contre un peu moins de dettes mais encore moins de souveraineté.

Et pourtant, le gouvernement et la présidence de Côte d’Ivoire se réjouissent de ce nouveau statut promis.

 Alors oui, il est très sympathique de croire que l’arrivée de nouveaux dirigeants dans les pays occidentaux changera la donne. Mais ce sont les dirigeants africains qui sont en mesure de transformer la destiné de leurs pays.

Malheureusement, tant que ces dirigeants se réjouiront de faire partie des pays pauvres très endettés, on peut craindre que la situation ne se résolve pas de suite.

Giovanni DJOSSOU

Tourisme en Côte d’Ivoire : un problème si urgent ?

Le salon du tourisme de Côte d’Ivoire (SITA) s’est tenu récemment à Abidjan (2 au 8 avril). Il a été, pour une semaine la vitrine de la Côte d’Ivoire à travers le monde et la preuve des nouvelles ambitions du pays. Si le Ministère du tourisme et tout le gouvernement, ont fait de cette manifestation un moment crucial, c’est parce qu’à travers le tourisme, de nombreux projets sont mis en jeu.

Le ministère du Tourisme avait sorti l’artillerie lourde pour faire la promotion de son salon annuel : 15 000 plaquettes, 4 spots publicitaires de 30 secondes chacun, par jour. Invitation de plusieurs grands groupes audiovisuels : Voix d’Amérique, TV5, Raï, etc.

Les pays de la zone CEDEAO sont mis à l’honneur cette année ce qui n’a pas empêché la présence d’opérateurs économiques du Vieux Continent (France, Italie, Espagne, Allemagne…), zone géographique d’où proviennent le plus de touristes (hors Afrique).

Le SITA avait besoin d’une telle promotion, compte tenu des événements de l’année précédente. La crise avait empêché la tenue du salon. Si le SITA apparaît comme une énième initiative pour restaurer la confiance des investisseurs, il ne faut pas oublier que le secteur touristique était, avec la filière café-cacao, l’une des principales sources de richesse avant les crises successives.

Ce salon a permis  aussi et surtout le lancement de plusieurs projets parallèles destinés à « retrouver la Côte d’Ivoire , à nouveau, dans les brochures des tour operators en novembre prochain », selon les propres mots du Commissaire Général désigné au tourisme, M. Marc Vicens, mais aussi et surtout participer à la croissance globale.

Sur le plan purement touristique d’abord, un programme de réhabilitation hôtelière est mis en place. Créations d’hôtels à Abidjan et à l’intérieur du pays. Création, également, de l’écotourisme, inédit en Afrique subsaharienne, à savoir, des « week-ends safari » dans lesquels seraient inclus des hôtels modestes (5 000 Fcfa la nuit = 7,5€), des visites à l’intérieur du pays. Cette offre serait destinée à la clientèle européenne fatiguée des séjours en ville, mais aussi destinée au tourisme domestique.

Ces projets touristiques impliquent d’autres initiatives. L’objectif sur 5 ans : atteindre les 500 000 touristes l’année, créer 4000 nouvelles chambres d’hôtel. Selon le ministère du tourisme permettrait la création de 4 000 emplois directs et 8 000 indirects.

Le problème principal restant celui des visas biométriques. « Quand vous habitez autre part que dans la capitale de votre pays, c’est le parcours du combattant pour pouvoir avoir un visa pour la Côte d’Ivoire », d’après M.Vicens. « Quand vous êtes à Marseille, vous êtes obligé de monter à Paris faire votre demande. Attendre deux voire trois jours sur place pour l’obtenir et repartir. Il faut simplifier tout cela ! », Promet-il.

Par ailleurs, la cherté de l’aéroport d’Abidjan et, par conséquent, les prix élevés des billets, sont autant de freins à l’affluence de touristes. En Février dernier, Air France KLM annonçait  sa participation dans la création prochaine d’Air Ivoire, compagnie aux tarifs abordables et étudiés pour la clientèle d’Afrique de l’Ouest.

Si l’on comprend l’importance que revêt le tourisme dans l’économie ivoirienne, on peut néanmoins se questionner sur l’ordre des priorités. Beaucoup de chantiers ont été ouverts depuis la mise en place du nouveau pouvoir. Mais alors que l’on parle abondemment de tourisme, alors que le président Ouattara annonce à qui veut l’entendre que « la Côte d’Ivoire is back », rien n’a encore été entrepris pour traiter les grands problèmes d’insalubrité d’Abidjan. Peu de choses ont été faites pour désarmer les civils dans la période « post-crise ». Rien n’a été réellement mis en œuvre pour faire reculer l’insécurité.

Le tourisme est un élément important dans le développement à venir de la Côte d’Ivoire. Mais que ce problème semble loin des préoccupations quotidiennes du « citoyen moyen ».

Giovanni DJOSSOU

Laurent Gbagbo à La Haye

Que Laurent Gbagbo ne porte pas la responsabilité exclusive des violences postélectorales de 2010/2011 en Côte d’Ivoire ne signifie nullement qu’il n’en porte aucune. Et c’est bien le minimum qu’il ait à s’en expliquer devant la justice. Et il faut cesser rapidement ces enfantillages. Non, le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Haye n’est pas la victoire de la Françafrique. Et non, Laurent Gbagbo n’est ni Nelson Mandela, ni Kwame Nkrumah, ni Patrice Lumumba.

Les actes de guérilla urbaine menée par son armée, les obus lancés à l’aveugle sur des quartiers entiers, les tirs à balles réelles contre les civils, le pillage de la BCEAO, la nationalisation forcée des banques, les enlèvements, les exécutions sommaires et les viols commis par les milices qu’il fit ou laissa armer, le recrutement de mercenaires, la liberté de manœuvre inconsidérément laissée à ses compagnies d’élite, tout cela est de son fait. Responsabilité indirecte peut-être, mais responsabilité pleine et entière. Le Commandant Suprême des armées qu’il était, avait ou aurait dû avoir le contrôle sur ses forces. Qu’il les laissa faire ou leur intima l’ordre de réduire la « rébellion » par tous les moyens est de sa seule responsabilité. Qu’il ait été Président de la République au moment de ces faits ne lui confère aucune sorte d’immunité. C’est justement pour ce type de situation que la Cour Pénale Internationale a été créée. On est pour ou contre le droit. On ne peut pas l’être à moitié.

Que Laurent Gbagbo ait à répondre de ses actions devant la justice n’a rien de scandaleux. Ni de très surprenant. Considère-t-on sérieusement qu’il aurait fallu le laisser en liberté ? Organiser ce procès à Abidjan ? Soyons sérieux : le choix fait par Alassane Ouattara était le seul logique, le seul pratique, la seule solution. Imagine-t-on le Maréchal Pétain sénateur à vie sous la Ve République ? Certes, la justice des hommes n’est pas la justice cosmique. À la fin du film tous les coupables ne finissent pas, en même temps, au pilori. Mais, Laurent Gbagbo a perdu le bras de fer qu’il mena contre le bon sens, la communauté internationale et l’intérêt de son pays. En prenant la décision de braver le conseil de sécurité de l’ONU et d’employer tous les moyens nécessaires à la reconnaissance de sa « victoire », Laurent Gbagbo s’est affranchi de mille contraintes légales et humaines. Le pari qu’il prenait ne menait qu’à cette alternative : gagner la guerre ou se suicider. Il l’a perdue et s’est rendu. Tout le reste n’est que littérature. En Côte d’Ivoire, comme jadis au Vietnam ou aux États-Unis, c’est toujours le Nord qui gagne la guerre.

Il ne faut pas l’oublier : si Laurent Gbagbo avait eu le dessus, à la suite des affrontements post-novembre 2010, les actions qu’il mena ou laissa mener durant ces événements l’auraient de toute façon « qualifié » pour la Haye. Il n’aurait peut-être pas eu à rendre compte de ses actions aussi rapidement, mais les crimes dont on l’accuse aujourd’hui n’en seraient pas moins réels. Qu’il le fasse, bon gré, mal gré, quelles que soient les circonstances, est une bonne nouvelle. Des crimes contre l’humanité, des crimes de guerres et d’autres horreurs ont été commis systématiquement et à grande échelle, en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002 et peut-être même depuis décembre 1999. On sait que tout cela a commencé, réellement, par le coup d’état manqué fomenté, entre autres, par le sergent Ibrahim Coulibaly et Soro Guillaume. La rébellion a certainement déclenché le désastre et y participa avec un enthousiasme et une férocité jamais connus sous ces cieux. La réponse de Laurent Gbagbo a été incohérente, pusillanime, balbutiante et en fin de compte sordide, jusque dans ces derniers moments. On se souvient peut-être de l’humiliation du 11 Avril 2011 et du couple présidentiel martyrisé par une bande de troufions. Ce qu’on retient moins c’est la décision absolument ahurissante prise par Laurent Gbagbo de réunir sa famille élargie et ses proches collaborateurs dans cette espèce de camp retranché, pilonné par l’ONU et les forces françaises – brutale évocation du suicide collectif des membres du temple du peuple.

Le départ de Laurent Gbagbo pour la Haye a été l’occasion d’explosion de joie sur bien des forums et sites internet traitant de la situation en Côte d’Ivoire. Ce serait une nouvelle réjouissante, si ses motifs n’étaient pas aussi imbéciles : il y a un groupe d’Ivoiriens pour qui la crise en Côte d’Ivoire a démarré en novembre 2010. Pour scandaleuse qu’elle puisse paraître à certains, je maintiens cette comparaison, ce groupe me semble moralement équivalent aux Allemands qui considèrent encore aujourd’hui qu’Hitler avait peut-être vu juste ou aux Américains en faveur de l’exécution sommaire des candidats à l’immigration clandestine. À ceci près qu’ils sont plus audibles sinon proportionnellement plus nombreux en terre d’Éburnie. Cela ne les rend aucunement moins méprisables ni abjectes. Jusqu’à preuve du contraire, crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont imprescriptibles Que Soro Guillaume soit en liberté, pour le moment, ne signifie pas que Laurent Gbagbo ne mérite pas son sort. La vie politique n’est pas un fleuve tranquille. Bien des alternances peuvent se produire… En définitive, il faut souhaiter longue vie à Soro Guillaume et à ses sbires des ex-forces nouvelles.

Joël Té-Léssia

CÔTE-D’IVOIRE 2.0

 

Traiter de l’Afrique ne se résume pas à des constats désastreux sur la guerre, la famine, les maladies, les conditions économiques et sociales difficiles. Alors si on parlait nouvelles technologies ? Privée de réformes dans le domaine des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) depuis plus de 15 ans (1995), la Côte-d’Ivoire semble faire, aujourd’hui, le pari de la modernisation.

Dans le processus global de redressement de la Côte-d’Ivoire, après les bouleversements politiques qui ont accompagné la première moitié de l’année 2011, il est intéressant de s’attarder sur un élément essentiel dans le développement d’un pays mais dont on ne parle que très peu lorsqu’il s’agit d’Afrique : les nouvelles technologies.

Et en Côte-d’Ivoire, les nouvelles technologies ont joué un rôle prépondérant dans l’essor économique du pays. Les TIC, portées essentiellement par la téléphonie mobile, ont un apport non négligeable dans l’économie générale. Ce secteur, qui représente aujourd’hui plus de 5% du PIB, a créé 6000 emplois directs et près de 100 000 emplois dans les secteurs dépendants des TIC. Depuis 2001, ce sont plus de 1200 milliards de Francs CFA qui ont été investis dans ce secteur d’activité. Par ailleurs, les TIC rapportent environ 200 milliards de Francs CFA aux pouvoirs publics.

 Pourtant, la Côte-d’Ivoire n’était, jusqu’à présent, pas vraiment avant-gardiste dans le domaine. La dernière reforme des TIC, dans le pays, a eu lieu en 1995 et portait essentiellement sur le lancement de la téléphonie mobile et la privatisation de Côte-d’Ivoire Télécom. Si la Côte-d’Ivoire a connu une progression importante dans les TIC, elle le doit avant tout à la téléphonie mobile précisément. La part des Ivoiriens utilisant les mobiles a connu une augmentation foudroyante en quelques années. Dans le même temps, la concurrence acharnée que se livrent les opérateurs privés, de plus en plus nombreux, permet une diminution mécanique des prix, qui, elle-même, assure une accessibilité plus grande à la téléphonie, pour la population.

 Cela dit, les efforts sont encore insuffisants et le Ministère des Postes et des Technologies de l’Information et de la Communication, dirigé par Bruno Nabagné KONE, cherche aujourd’hui à donner une ligne directrice aux projets dans les TIC. Dans les pages de Réseau Télécom Network, le ministre revient sur l’idée force de son projet, à savoir : « (…) développer, promouvoir et vulgariser les technologies de l’information et de la communication » ainsi que « (…) former une expertise nationale en matière de TIC. ». Aujourd’hui le monde professionnel est très largement dépendant des TIC. Aucun secteur d’activité ne semble y échapper et le ministre l’a bien compris « Les TIC doivent être utilisées comme effet de levier pour l’ensemble de notre vie sociale et de notre économie. » Ce que souhaite M. Koné  pour l’avenir, c’est le développement d’une véritable économie numérique.

 Si le projet semble alléchant et ambitieux, il n’en est pas moins semé d’embûches. A l’heure actuelle, de nombreuses contraintes, structurelles et conjoncturelles viennent freiner ces velléités de développement des TIC.

Le cadre juridique, par exemple, est inadapté au développement de l’économie numérique. Pire encore, la Côte-d’Ivoire, comme bien des pays d’Afrique, accuse un retard phénoménal dans le lancement de la 3G.  Par ailleurs, si on a observé une massification de la téléphonie mobile depuis 1995, il n’en va pas du tout de même pour les autres équipements informatiques, à commencer par la couverture internet. Le trop petit nombre de personnes formées aux TIC provoque une pénurie en ressources humaines par rapport à la multiplication des usagers, ce qui tend également à freiner le développement du secteur.

Enfin, la cybercriminalité reste un problème très mal appréhendé par les pouvoir publics.

 Si le développement des TIC est une idée complexe, dont la mise en pratique s’avérera certainement très longue, la Côte-d’Ivoire a néanmoins eu le mérite de lancer un projet ambitieux alors qu’elle sort tout juste de plusieurs mois de troubles. Au ministre de conclure : « Nous sommes encouragés par le Président de la République et le Premier ministre, tous deux convaincus de la fabuleuse opportunité que représente les TIC pour notre pays. »

Giovanni C. DJOSSOU

Sources : 

http://www.csdptt.org

– l'entretien accordé par le ministre ivoirien des Postes & TIC au magazine Réseau Télécom Network (n°49 Septembre/Octobre 2011).

Promesses rompues

Et moi je sens en moi
Dans le tréfonds de moi
Malgré moi, malgré moi
Pour la première fois
Malgré moi, malgré moi
Entre la chair et l'os
S'installer la colère
Félix Leclerc, L'alouette en colère
 
 
Si j’avais eu vingt ans durant l’automne 2002, quand le coup d’état militaire fomenté par Soro Guillaume et le Sergent-chef « IB » contre Laurent Gbagbo s’orientait vers une guerre civile (les rôles joués ou non par Alassane Ouattara, le Général Robert Guéï ou l’ancien Président Henri Konan Bédié ne seront jamais totalement élucidés : ignorance complète ? soutien tacite ? financement ? soutien actif ? fourniture d’armes ou d’expertise militaire ? Agents de liaison ?), je ne crois pas que j’aurais pris les armes ou rejoint une milice d’auto-défense.
 
 
En juillet 2003 pourtant, si je n’avais pas eu quatorze mais seulement dix-huit ans, je n’aurais pas hésité une seule seconde.
 
 
Je n’ai pas l’habitude d’être « modéré » – ni en amour, ni en amitié, ni en politique, ni en société : les lignes de démarcation sont claires, les jugements sans nuances, les adhésions totales, les ruptures définitives ; les indécis m’horripilent. Mes relations les plus proches le savent qui sont néanmoins surprises, voire choquées par la violence extrême et la morbidité de mes opinions et – dans mes jours sombres – de mes «projets » lorsqu’il s’agit du pays où je suis né.
 
 
C’est qu’ils ne savent pas ce que les images de cette barbarie gratuite ont signifié pour moi. Ils n’ont pas vu les miens désorientés, brutalisés, livrés à la merci de hordes barbares et sans pitié. Ils ne les ont pas vu abandonner leurs terres, ni entendu leurs sanglots mal étouffés lorsqu’ils racontaient les longues semaines passées à travers forêts et clairières, pieds-nus, sales, se nourrissant de racines et de feuilles pour rejoindre Abidjan et échapper à la sauvagerie qui ,dans l’indifférence générale, s’abattait sur le Grand-Ouest du pays.
 
 
Ils n’auront pas vu mon petit-neveu au bord de la syncope lorsque je débarquai de Dakar en uniforme du Prytanée Militaire, craignant que le «corps habillé » ne vienne encore une fois le contraindre à la fuite, s’enquérant nerveusement du jour où je quitterais la maison. Ils n’ont pas suivi les débats parlementaires sur la loi d’amnistie, ni écouté les témoignages des rescapés : cet adolescent au regard blanc contant placidement, comme ailleurs, comment il dut creuser la fosse où la dépouille de son père devrait bientôt être jetée ; la cicatrice atroce de telle autre qui avait feint d’être morte et dont on trancha (mal) la gorge pour vérification ; ce quadragénaire inconsolable racontant l’agonie d’une dame qu’on éventra pour s’assurer du sexe de l’enfant qu’elle portait. Ils n’ont pas vu les images de ces exécutions sommaires : des gendarmes s’étaient rendus aux rebelles ; on les avait parqués derrière des barreaux, dans des sortes de cages et les « nouvelles recrues », chaque matin en exécutaient quelques uns, au hasard, à travers les grilles, pour se faire la main et s’habituer à l’odeur du sang.
 
 
Ils n’ont pas senti comme j’ai senti dans ma chair, que ce qui se passait là était la fin de l’innocence, la mort de mon pays. Il ne savent pas ce que cela a signifié pour moi comme rupture dans la relation que j'entretenais avec ce morceau de terre. Ils n'étaient pas là, lorsqu'on volait mon enfance, lorsqu'on m'arrachait mon adolescence. Ce qui s’est déroulé en Côte d’Ivoire entre Septembre 2002 et fin 2005, jamais je ne pourrai l’oublier, jamais je ne pourrai le pardonner. Jamais. De fait, à mes yeux, il y a aujourd’hui deux catégories d’Ivoiriens, d’un côté ceux qui considèrent ces crimes singuliers, injustifiables et indépassables,  et de l’autre des gens que j’ai encore beaucoup de mal à considérer comme mes « compatriotes ». À côté des conséquences de Septembre 2002, la gabegie, l’incompétence, la corruption, la répression et même le messianisme exterminateur du couple Gbagbo et de son clan me paraissent tragiques certes mais définitivement insignifiants. Septembre 2002 est irrécupérable.
 
 
Il y a cinq ans, le 24 octobre 2006, je quittais Abidjan pour Poitiers. Je ne m’offrais qu'une seule alternative : ou bien refermer cette plaie, oublier ce pays, partir et faire partir le plus grand nombre des miens ou bien revenir en conquérant, auréolé d’une gloire universitaire ou littéraire que j’aurais mis au service de la justice et des morts de 2002-2006.
 
 
Aujourd’hui, je fais le compte : la rébellion a gagné, son chef est aujourd’hui Premier Ministre, Laurent Gbagbo s’est révélé incapable de protéger le pays, de gagner la guerre ou même de la perdre dignement, pire son entêtement et son manque de discernement ont mené ce pays au bord de l’extinction, l’armée républicaine est tombée elle aussi en barbarie et finit inféodée à l’ancienne rébellion, le PDCI est devenu faiseur de roi (le PDCI !! Les corrompus du PDCI ! Le PDCI créateur de « l’Ivoirité », ce PDCI-là !), la Cour Pénale Internationale n’enquêtera que sur les troubles post novembre 2010. Tout ça pour ça.
 
 
Aujourd’hui, je ne sais plus au juste contre qui je prendrais le maquis, les lauriers attendus ne sont pas venus, les portes du 27 rue Saint-Guillaume m'auront vu passer sans éclat, ivre de douleur et de désillusions, la plaie de 2002 est là, en mon sein, plus béante que jamais, et moi… Moi? Moi, j’écris des chroniques de fin de semaine sur un site inconnu – ni poète (même mineur), ni penseur (fut-ce entre guillemets) : je me rêvais Malraux, Orwell… je finis en pastiche de Christine Angot. Que les morts de 2002 me pardonnent.
 
Joël Té-Léssia

L’OTAN emporte le vent… de la Révolte

Le vent de la Révolte souffle sur le monde depuis février et le trouble ivoirien jusqu’à la mort de Kadhafi le 20 octobre dernier, en passant par les révolutions égyptiennes et tunisiennes. Rien de tout cela n’aurait pu se faire sans l’OTAN. Mais, le 23 octobre la Charia a été proclamée en Libye et un parti islamiste arrive en tête des élections tunisiennes. Quel regard doit-on alors avoir sur l’action de l’Otan ?
 
L’OTAN a deux visages. D'un côté, ceux des ivoiriens en mesure de voter, eux qui étaient privés d’élections depuis 2000 ou des des foules en liesses de la place Tahrir ou de Benghazi. Et de l’autre, Celui d’un Laurent Gbagbo, humilié en compagnie de sa femme en pleurs, devant les télévisions du monde entier. Ou encore, celui d’un Mouammar Kadhafi vulgairement lynché sur le capot d’une jeep, du côté de Syrte. C’est de ce second visage de l’OTAN dont il sera question, dans cet article.
 
L’OTAN a incontestablement aidé ces différents pays à se libérer de leurs « dictateurs » respectifs. Mais qu’en est-il à présent ? Le 23 octobre dernier, soit moins de 72 heures après la mort du Colonel Kadhafi, Mustafa Abdul-Jalil, président du Conseil National de Transition (CNT), a proclamé l’instauration de la Charia en Libye. Le lendemain, en Tunisie, c’est le parti islamiste Ennahda –certes modéré- qui remporte les élections.
 
L’OTAN est-elle légitime ?
 
Ces événements très récents tendent à prouver une chose pourtant évidente : la démocratie n’est pas un produit d’exportation. Il serait utopique de croire que la simple disparition d’un « dictateur » puisse entraîner un pays dans un processus de démocratisation. Pire, l’action des forces de l’OTAN a provoqué des troubles susceptibles de propulser les pays concernés dans le chaos. Opposition entre les Forces Nouvelles et l’armée régulière en Côte-d’Ivoire. Guerre civile en Libye.
 
Les réponses exogènes à un problème endogène ne semblent pas être des solutions sur le long terme comme le prouvent les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Il paraît incongru de décider pour un peuple du moment où il doit être libéré. La question soulevée ici est celle de la souveraineté nationale. Fallait-il le concours de l’OTAN pour que Libyens et Ivoiriens se débarrassent de leurs dirigeants ? Seront-ils en mesure de mener le processus démocratique à son terme sans aide extérieure ?  Il n’est en aucun cas question de remettre en cause la disparition des dictateurs, mais comme le dit un jeune Libyen après la déclaration d’Abdul-Jalil : « Nous n’avons pas vaincu Goliath pour vivre maintenant sous l’Inquisition. » (source : LeProgrès.fr  )La souveraineté du peuple par le peuple, pour le peuple, réside avant tout dans sa capacité à relever, seul, les défis qui lui sont posés.
 
La contestation de l’action de l’OTAN est motivée également par sa légitimité, qu’il est intéressant de remettre ici  en cause.
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est née le 4 avril 1949 dans un contexte de Guerre froide. Réponse à la doctrine Jdanov (1947) et au coup de Prague (1948), l’organisation politico-militaire cherchait avant tout à protéger son territoire (bloc de l’Ouest) contre d’éventuelles attaques du bloc soviétique. L’OTAN est donc initialement un organe de défense. Défense du territoire. Défense des valeurs véhiculées par le bloc occidental : libertés individuelles, démocratie, libéralisme économique. Peu à peu, l’OTAN va se substituer, en partie, à l’ONU dans la défense de la paix dans le monde. Aujourd’hui l’OTAN semble être une organisation toute puissante, faisant la pluie et le beau temps sur tel ou tel Etat, décidant unilatéralement du devenir des peuples.
 
 
La révolte ne devient révolution positive qu’à la condition que le nouveau régime, une fois installé, s’avère meilleur que le précédent. S’il est bien sûr trop tôt pour tirer des conclusions sur les changements qui s’opèrent en ce moment, on peut affirmer que l’OTAN a volé à ces peuples leurs révolutions. L’OTAN a emporté avec elle le vent de la révolte, pour des raisons bien éloignées de celles qu’elle prétend défendre.
Face à cela, la même question que pour les autres organisations internationales, se pose : à qui l’OTAN doit-elle rendre des comptes ?
 
Giovanni C. DJOSSOU
 
Sources :
·         http://www.nato.int
·         http://www.leprogres.fr

Le Nigeria et l’Afrique du Sud face à la crise ivoirienne

Plusieurs lectures peuvent être faites du déroulement comme de la conclusion du conflit postélectoral ivoirien qui, du 28 Novembre 2010, date du second tour des présidentielles, déboucha le 11 avril 2011 sur l’arrestation de Laurent Gbagbo : triomphe de la démocratie après une décennie de tensions politico-militaires, victoire in fine de la rébellion militaire de septembre 2002, dernier avatar de l’impérialisme occidental et/ou de la Françafrique, défaite du mysticisme militariste de Laurent Gbagbo, etc. Un aspect pourtant essentiel de cette crise passe inaperçu : le bras de fer diplomatique que se livrèrent l’Afrique du Sud et le Nigéria durant cette période.

C’est le sujet de « Jeux de puissance en Afrique : le Nigeria et l'Afrique du Sud face à la crise ivoirienne », très complète étude de Vincent Darrack, docteur en Sciences Politiques du Centre d’Etdues d’Afrique Noire (CENA) de Sciences Po Bordeaux, publiée dans le dernier numéro de Politique Étrangère. Les deux géants de l’Afrique subsaharienne se sont livrés de décembre à avril 2011 une intense bataille diplomatique, au terme de laquelle l’Afrique du Sud a dû se rallier, bon gré mal gré, à l’intransigeante position du Nigéria de Goodluck Jonathan  en faveur d’Alassane Ouattara.

Fermeté initiale du Nigéria contre tergiversations sud-africaines

Le président nigérian Goodluck Jonathan  aura été, de loin, le partisan le plus intransigeant d'un départ sans conditions de Laurent Gbagbo et d’une intervention militaire si nécessaire. Il fut l’instigateur de la déclaration de la CEDEAO, le 24 décembre 2010, évoquant la possibilité d’une intervention militaire de l’organisme régional. Un mois plus tard, le ministre nigérian des affaires étrangères, demandait officiellement au Conseil de Sécurité de l’ONU, l’autorisation d’une telle intervention.

Vincent Darrack analyse avec une grande subtilité les raisons d’une telle résolution. Le Nigéria, pays le plus peuplé du continent, deuxième armée et 1er producteur africain de pétrole s’est distingué au cours des dernières décennies comme le plus pro-occidental de la sous-région, participant à des nombreuses missions de maintien de la paix de l’ONU et dirigeant les interventions de l’ECOMOG au Libéria et en Sierra Leone. En endossant la certification du représentant de l’ONU et en exigeant le respect du verdit, le Nigéria se positionne évidemment dans le camp légitimiste et pro-démocratie du continent, continuant ainsi une tradition d'interventionnisme militariste entamée sous le Président Obasanjo.

Il est pourtant difficile de séparer les parts respectives de calcul et de conviction dans le soutien de Jonathan à Ouattara. Le positionnement stratégique du Nigéria en faveur d’Alassane Ouattara permet d'une part, de faire passer sous silence le déficit de démocratie dans ce pays et de l'autre, ne peut qu'être positif dans l'éventualité d'une candidature nigériane à un poste permanent au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. On peut aussi voir derrière le soutien de Goodluck Jonathan au musulman Ouattara, un signe d’apaisement et un gage adressé à l’électorat musulman nigérian, qui n'a pas tout à fait "digéré" la candidature de Jonathan aux présidentielles d’avril 2011. Calcul politique donc ? Pas nécessairement.

L’intransigeance du Nigéria tient peut-être également au risque d’instabilité régionale qu’une seconde guerre civile en Côte d’ivoire ferait naître dans la région, économiquement, politiquement et en termes de sécurité régionale. Le Nigéria est plus proche, donc plus exposé. La CEDEAO craint également pour la sécurité des quatre millions de ses ressortissants vivant en Côte d’Ivoire. En faveur de la conviction plaide aussi, la visite intimidante de Jonathan au Bénin, en mars 2011, au cours de laquelle, il intima presque à l’opposition béninoise de respecter le résultat des présidentielles. Cette intervention, dans un pays mineur de la sous-région n'apporte aucun prestige diplomatique au Nigéria.

En face, l’attitude de l’Afrique du Sud est des plus ambiguës. Jacob Zuma ne reconnaît qu’à moitié la défaite de Gbagbo, ne se résolvant pas à accepter, dans un premier temps, les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante. Durant le mois de Décembre 2010, tandis que le Nigéria évolue vers une position plus dure (intervention militaire de l’ONU), la diplomatie sud-africaine se montre de plus en plus critique à l’égard de Choi. Plusieurs explications à cela : d’abord l’anti-impérialisme traditionnel de l’ANC que l’ultimatum adressé mi décembre par Nicolas Sarkozy a Laurent Gbagbo a proprement exacerbé et surtout un approche résolument souverainiste de résolution des conflits qui aurait fait ses preuves en Afrique australe et centrale.

La défection du Ghana, début janvier, qui se déclare neutre et refuse d’engager ses troupes dans une intervention de la CEDEAO, l’opposition de la Russie et de la Chine au projet de résolution de Jonathan et surtout, les doutes internes sur la capacité des forces nigérianes à assumer de front la sécurité des élections dans ce pays et une intervention militaire à l’extérieur, conduisent la commission de la CEDEAO à renoncer à son projet militaire.

Reprise en main du dossier "Côte d'Ivoire" par l'Afrique du Sud

Si décembre 2010 a été dominé par le Nigéria, l’Afrique du Sud prend les devants en Janvier. Le président sud-africain qui s’était entre-temps rallier à la position du CPS de l’UA remet en cause, le 21 janvier, la validité des résultats proclamés par l’ONU et déclare qu’il serait « prématuré » de désigner un vainqueur. D’un côté le désir de se rapprocher des positions de la Chine et de la Russie – partenaires de l’Afrique du Sud au sein des BRICS – et la visite d’état du président Angolais Eduardo Dos Santos, à la mi-décembre ont fortement contribué à ce revirement. De l’autre, des lobbyistes très actifs ont été déployés par Laurent Gbagbo en Afrique du Sud : une fausse lettre de Nicolas Sarkozy enjoignant à la CEI de reconnaître Ouattara comme président est remise aux autorités sud-africaines qui la croiront authentiques et la présenteront à des parlementaires… Le sommet de l’UA du 24-31 janvier est l’occasion pour l’Afrique du Sud de reprendre définitivement la main sur le dossier ivoirien. L’idée est dans un premier temps d’obtenir que l’UA dessaisisse la CEDEAO du dossier ivoirien, marginalisant ainsi, de facto, le Nigéria ; ensuite d’obtenir une reformulation de la position officielle de l’UA quant à la fiabilité des résultats proclamés par la CEI. La réunion du CPS le 28 janvier est d’une rare violence. L’Afrique du Sud obtient qu’un groupe d’études de « haut niveau » composé de 5 chefs d’États (dont Jacob Zuma) soit formé, « avec mandat d’un mois pour étudier et proposer des solutions contraignantes pour les parties ». Le CPS réaffirme néanmoins la victoire d’Alassane Ouattara. Victoire en demi-teinte.

Victoire du Nigeria

Le 10 Mars 2011, le panel rend son rapport : Laurent Gbagbo a deux semaines pour organiser le transfert du pouvoir. Les Présidents burkinabé et tanzanien, membres du panel ont résisté aux pressions de Zuma, le mettant en minorité. De son côté, Choi est arrivé à le convaincre du « sérieux » de la certification de l’ONU. Cinq jours plus tard, l’Afrique du Sud endosse définitivement la position de l’UA. La victoire de la CEDEAO et du Nigéria est complète. L’Afrique du Sud est même réduite à voter, le 30 mars 2011, la résolution 1975 de l’ONU autorisant la mission de l’ONU en Côte d’ivoire (ONUCI) et les Forces Françaises de l’opération « Licorne » à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour protéger les civils. Dix jours après Laurent Gbagbo était arrêté.

Si Vincent Darrack peint avec vivacité ces péripéties et lève le voile sur l’envers des tractations diplomatiques, son article a, en filigrane, le mérite supplémentaire de montrer deux stratégies opposées de domination régionale. La crise ivoirienne a montré que l’Occident et les organisations internationales pouvaient compter sur le Nigéria, comme partenaire solide et décomplexé dans la sous-région ouest-africaine. Elle a aussi confirmé le nouveau rôle joué par l’Afrique du Sud postapartheid : il est impossible de faire « sans elle » sur tout dossier concernant l’ensemble du continent. De la Lybie au réchauffement climatique, il semble indispensable aujourd’hui d’obtenir sinon l’aval, du moins, la neutralité de ce pays. L’appartenance de ce pays au G20, au G77 et aux BRICS, le rôle moteur qu’il joue dans l’intégration africaine (création de l’UA, du NEPAD, de l’African Peer Evaluation Mechanism, etc.) en plus de son importance militaire et économique en font un acteur incontournable, d’une grande souplesse diplomatique, qui plus est, comme l’a montré son action dans la crise ivoirienne.

Enfin, il est intéressant de noter que l’attachement à la souveraineté nationale et l’opposition aux interventions militaires occidentales en Afrique, qui constituent quelques uns des fondements de la diplomatie sud-africaine et de l’UA de façon plus générale, semblent soudainement, démodées voire anti-démocratiques. Il est de bon ton aujourd’hui de se féliciter du sens chaque jour plus grand que prend cette notion de « responsabilité de protéger » qui paraît un « droit d’ingérence » non-assumé. L’article de Vincent Darrack ne fait pas exception à cette mode. La crise ivoirienne et l’intervention de l’OTAN en Libye réconfortent les tenants d’une telle approche de la protection internationale des droits de l’Homme. Il est étonnant de constater que le souvenir des coups d’états commandités par la France ou les États-Unis en Afrique et en Amérique Latine a complètement disparu. L’exemple plus récent de l’intervention américaine en Irak, aussi.

Vincent Darrack n’envisage pas une seconde la possibilité que les précautions – considérées comme des louvoiements – prises par la diplomatie sud-africaine, rétrospectivement, aient permis d’éviter une intervention précipitée de la CEDEAO, en janvier, qui aurait paradoxalement galvanisé les troupes de Gbagbo et déclenché une véritable guerre internationale avec intervention des alliés guinéens et angolais de Laurent Gbagbo. Il n’est pas le seul. Rappeler les vertus défensives de la souveraineté nationale et la fragilité de l’Afrique face à des appétits occidentaux ou orientaux encore aigus passe aujourd’hui pour sentimentalisme tiers-mondiste, tentation gauchisante, enfantillage. Il paraît qu’il faut s’en féliciter.

 

Joël Té-Léssia

Chronologie du ballet diplomatique

 

Décembre 2010

2 Décembre : proclamation de la victoire d’Alassane Ouattara par le Président de la Commission électorale indépendante.

3 Décembre :

Annulation par le Conseil Constitutionnel ivoirien des résultats du scrutin électoral dans 7 départements et proclamation de Laurent Gbagbo comme vainqueur des élections présidentielles.

Certification par  Young-Jin Choi des résultats proclamés par le CEI et reconnaissance de la victoire d’Alassane Ouattara.

4  décembre : l’Afrique du Sud « prend note de la situation. »

7 décembre : le sommet extraordinaire de la CEDEAO reconnaît la victoire d’Alassane Ouattara.

08 décembre : L’Afrique du Sud suit le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA et la CEDEAO  et demande le départ de Gbagbo – la victoire de Ouattara n’est pas mentionnée.

13-15 Décembre : visite officielle du président angolais Eduardo dos Santos, soutient de Laurent Gbagbo, en Afrique du Sud.

17 décembre : ultimatum de Nicolas Sarkozy à Laurent Gbagbo.

24 Décembre : réaffirmation par la CEDEAO de la victoire d’Alassane Ouattara et  première évocation de  l’usage de la force.

Janvier 2011

28-29 Décembre et 18-20 Janvier 2011 : réunion des chefs d’États majors de l’organisation – modalités pratiques d’une intervention militaire.

21 janvier : Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud, remet en cause la validité des résultats tels que certifiés par l’ONU et estime prématurée la désignation d’un vainqueur.

24 janvier : Le Nigéria demande officielle une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU permettant à la CEDEAO d’user de la force en cas d’échec des négociations.

24-31 janvier : sommet de l’UA

   28 janvier : communiqué officiel du CPS de l’UA réaffirmant la victoire d’Alassane Ouattara.

o    L’Union Africaine prend en charge le dossier ivoirien et désigne un groupe de haut niveau (cinq chefs d’états : Zuma ainsi que des présidents burkinabé, mauritanien, tanzanien et tchadien) avec mandat d’étudier la situation et proposer des conclusions contraignantes pour les parties ivoiriennes.

o    L’Afrique du Sud propose le partage du pouvoir

Fin janvier : abandon par la CEDEAO de l’option militaire.

Février

Début février : le SAS Drakensberg, navire de guerre sudafricain est reporté au large des côtes Ouest-Africaines : le projet sudafricain est d’en faire une plateforme offshore de négociation

10 Février: Déclaration officielle du président de la Commission de la CEDEAO dénonçant l’appropriation du dossier ivoirien, relevant de la compétence de la CEDEAO, par l’UA et fustigeant à mots couverts les tentatives de l’Afrique du Sud en vue de manipulerle panel de chefs d’états

Mars

2-3 Mars : visite officielle en France du Président Jacob Zuma ;  Maite Nkoana-Mashabane, ministre  des  Relations  internationales au cours d’un tête-à-tête avec son homologue français Alain Juppé annonce : la crise ivoirienne est un problème africain à régler entre Africains

10 Mars : sommet extraordinaire du CPS et publication du rapport officiel du panel de l’UA 

o    Validation définitive des résultats tels que certifiés par l’ONU

o    Reconnaissance de la victoire d’Alassane Ouattara

o    Délai de deux semaines accordé à Laurent Gbagbo pour le transfert du pouvoir

15 mars : l’Afrique du Sud endosse la position de l’UA ; Jacob Zuma appelle Laurent Gbagbo pour le convaincre de céder

18 Mars : proclamation des résultats contestés des présidentielles béninoise – visite de Jonathan Goodluck, Président du Nigéria, exhortant (intimant ?) l’opposition à accepter pacifiquement la victoire de Yayi Boni.

30 mars : la résolution 1975 du Conseil de Sécurité de l’ONU, rédigée par le Nigéria et la France, est votée. Elle autorise l’ONUCI et la Force Licorne à utiliser tous les moyens nécessaires pour protéger les civils. L’Afrique du Sud vote la résolution.

Avril

5 avril : « je ne me rappelle pas avoir donnée un mandat à quiconque pour un bombardement aérien de la Côte d’ivoire » (déclaration de  Maite Nkoana-Mashabane)

11 avril : arrestation de Laurent Gbagbo

12 avril: le Nigéria se félicite d’une intervention réussie, entrant totalement dans le cadre de la résolution 1975 du Conseil de Sécurité de l’ONU.

 

Chômage et entreprenariat des jeunes en Côte d’Ivoire

L’instabilité politique que connait la Côte d’Ivoire depuis la fin des années 1990, qui a atteint son paroxysme avec la récente crise postélectorale, continue de laisser des séquelles, au nombre desquelles le chômage des jeunes. Celui-ci a atteint des proportions déconcertantes dans un contexte de pauvreté généralisée. Les licenciements massifs, les délocalisations et fermeture d’entreprises, les pillages et destructions des moyens de production de milliers de petits opérateurs économiques, conduisent à faire le constat de la perte de nombreux emplois, dont 120 000 directement liés à la crise postélectorale selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire. A ce titre, l’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE) révèle que les jeunes de moins de 35 ans, qui constituent plus de 64% de la population, sont frappés d’un taux de chômage estimé à environ 25 %. C’est-à-dire le ¼ des forces vives du pays.

Les causes de ce chômage sont connues :  la détérioration du climat sociopolitique principalement, mais aussi l’accroissement démographique, l’incapacité du marché de l’emploi à absorber les vagues successives de diplômés qui sortent chaque année du système éducatif, et l’inadéquation de la formation aux nouvelles exigences de ce marché de l’emploi, sont quelques raisons qui ont décuplé le taux de chômage des jeunes en Côte d’Ivoire.

Dans les années 1980, les différents Plans d’Ajustement Structurels (PAS) en Côte d’Ivoire ont eu pour conséquence une réduction significative de la part de l’Etat dans le jeu économique du pays. Cela a mis un terme à la situation qui a prévalu à partir de l'indépendance, avec l’incorporation de toutes les forces vives dans les structures et entreprises d’Etat. Aujourd’hui c’est le secteur privé qui dynamise l’économie. Alors que l’Etat n’est plus le premier pourvoyeur d’emploi, il devient difficile pour le secteur privé de jouer son rôle quand le contexte macroéconomique ne le permet pas. Les crises politiques et socioéconomiques qui se sont succédées ont contribué à accroitre le risque ambiant, ce qui désincite les opérateurs économiques à faire des investissements, et donc à se projeter dans l’avenir, faute de visibilité. Dans ces conditions, il est devenu difficile pour les entreprises de recruter.

Mais alors, que faire? Que faire lorsqu’après avoir fait des études, un jeune n’a pas pu se faire embaucher en raison du contexte qui prévaut ? La solution entrepreneuriale reste l’option qui s’offre à cette jeunesse lorsqu’elle rencontre le chômage à la sortie du système éducatif. Mais la Côte d'Ivoire fait face au problème d’un cadre politique, économique, juridique et fiscal inadéquat à l'entrepenariat.

Les témoignages de jeunes entrepreneurs ivoiriens ne sont pas du tout élogieux sur l'environnement entrepreneurial en Côte d’Ivoire. Le contexte de crise sociopolitique est désincitant pour tout investisseur et le risque pays qui en découle contribue à accroitre les taux d’intérêts pour tout emprunt. Situation encore plus dramatique, la multiplication des défaillances d’entreprises qui pour la plupart meurent à un stade embryonnaire, n’encourage pas les investissements. Il faut vraiment s’armer de courage pour risquer son capital dans un tel contexte. Pire, il revient de façon persistante que le poids de la fiscalité décourage la création d’emploi en Côte d’Ivoire. Le cadre financier quant à lui dévoile des conditions d’emprunts bancaires inefficaces pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Enfin, l’insécurité ambiante et la corruption dans les administrations constituent un surcoût important pour quiconque choisit de se lancer dans la création d’entreprise en Côte d’Ivoire. En énumérant ces problèmes, les solutions se dégagent d’elles-mêmes.

Quel soutien à l’entreprenariat jeune ?

Il faut remarquer que le gouvernement ivoirien essaie de mettre en place depuis 1953 des structures chargées de promouvoir l’emploi dans toutes ses dimensions. L’Office de la Main d’œuvre de Côte d’Ivoire (OMOCI) crée en 1953 fera place à l’AGEPE en 1993. De 1978 à 1991, un projet pilote de formation par apprentissage conduit par l’ex Office Nationale de la Formation Professionnelle (ONFP) va déboucher, en 1996, sur le programme interministériel dénommé Programme d’Absorption des Jeunes Déscolarisés (PAJD). C’est dans la même veine que naîtra le Projet de Redéploiement de la Formation par Apprentissage (PRFA) en 1996, dont la tutelle fut confiée à l’AGEFOP. Plus récemment, en 2003, l’Etat de Côte d’Ivoire a mis en place le Fonds National de Solidarité (FNS)  qui a pour but le soutien à l’entreprenariat des jeunes en finançant des projets viables. Il y a donc eu des initiatives gouvernementales en faveur de l’emploi jeune. Mais que peut-on faire lorsque le contexte politique et socioéconomique est marqué par des tumultes profonds ?

Si la stabilité politique qui est une condition sinequanone au déploiement de politiques de développement se fait encore attendre, les décisions des gouvernants du moment peuvent impacter positivement le cadre des affaires et conduire à plus de sérénité pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Au niveau juridique, le droit fiscal doit pouvoir permettre un accompagnement dynamique de la sphère économique et non pas asphyxier les PME comme il revient des observations faites sur le terrain. Toute initiative doit pouvoir être encouragée par un allègement fiscal et un accompagnement technique et financier.

Au niveau éducatif, s’il s’avère que les politiques de promotion de l’emploi jeune peine à relever les défis qui s’imposent, il serait déjà porteur de travailler à inculquer des valeurs propres à préparer les esprits à s’engager dans la voie de l’entreprenariat, et à acquérir les éléments de base qui pourraient aider au pilotage d’entreprise. Il peut s’agir de renforcer les politiques d’alphabétisation; de renforcer les valeurs morales des individus; de financer des cessions de formation au management de projet. La formation doit pouvoir être adaptée au monde entrepreneurial.
Au niveau administratif, faire en sorte de juguler la corruption dans les administrations, définir une politique fiscale favorable au décollage d’entreprise, et inciter à opérer dans la légalité et dans la sphère formelle.
Au niveau socio-économique, il y a lieu de développer un cadre favorable aux investissements. Un effort d’apurement de la dette intérieure serait de nature à apporter un bol d’air aux entreprises prestataires de services de l’Etat. En effet, de nombreuses PME ont du mettre la clé sous le paillasson pour insuffisance de fond de roulement, en raison de créances impayées par l’Etat de Côte d’Ivoire. Il serait dommage que l’Etat investisse des milliards dans la formation pour aider à la création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, et dans le même temps, pénalise les entreprises prestataires en ne payant pas les factures, au point de les contraindre à fermer.

Au niveau financier, l’entreprenariat des jeunes peut être soutenu et encourager par des structures de capital risque qui ont pour métier d’investir dans des activités sans grande visibilité, et parfois dans des contextes risqués du point de vue de l’investisseur classique. Aussi, l’Etat ivoirien pourrait, par exemple, engager sa signature (à condition qu’elle vaille encore quelque chose, vu le niveau et le traitement qui est fait de la dette intérieure) pour soutenir des jeunes entrepreneurs auprès de leurs partenaires. Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

 

Maurice Koffi, Jeanne Faulet-Ekpitini, Mireille Hanty,  article initialement paru sur Pensées Noires

 

Il était une fin… le Front Populaire Ivoirien ?

« Ce que je veux savoir avant tout, ce n’est pas si vous avez échoué, mais si vous avez su accepter votre échec ».

Abraham Lincoln

 

Le relativisme qui caractérise nos sociétés modernes affirme que « toute croyance est fragile et que toute interprétation du monde est bonne à être déconstruite ». Dès lors, il induit la multiplication des rapports de forces et des batailles : aucun repère n’est davantage valable qu’un autre, aucun objectif clair ne se dégage, les mots eux-mêmes perdent de leur substance.

En Cote d’Ivoire les mots deviennent de plus en plus vides de sens. L’opposition politique cherche à se réorganiser sur les restes du pouvoir déchu de la Refondation. Les positions tranchées entre les Refondateurs, restés fidèles aux idéaux de la Refondation, et les Refondus, qui se sont laissés enivrés par l’argent et le pouvoir, suscite chez l’observateur un certain nombre de réflexions qu’il convient d’exposer. Le but de la démarche n’est pas tant de prendre position pour un camp contre l’autre, mais plutôt de faire en sorte que les opinions laissent place aux arguments. Le but final de tous étant le même : donner au pouvoir en place une opposition crédible et digne d’elle.

En Côte d’Ivoire la notion d'opposition semble aujourd’hui illusoire pour un FPI qui n’a jamais voulu envisager l’hypothèse d’une défaite électorale et ce même après la décision du panel de l’Union Afrique pourtant réclamé par Gbagbo lui-même. Comment définir alors l’opposition ivoirienne nouvelle ? Quels sont ses caractères ? La réponse du point de vue structurel est simple : elle sera soit réformée et crédible, soit elle sera nostalgique et moribonde. Tout sera fonction de la ligne politique adoptée.

Politique compassionnelle ou politique rationnelle ?

Après le 11 Avril 2011, l’arrestation de Laurent Gbagbo et sa déportation dans le Nord de la Côte d’Ivoire, le FPI s’est retrouvé « couché à même le sol, gisant inerte dans les ruines encore chaudes de la démocratie qu’elle a instauré en Côte d’Ivoire ». Dans l’émoi et la consternation qui se comprend sur le moment, le FPI s’était alors terré dans la clandestinité, dans la peur. En période de bouleversement organisationnel, la frontière entre le passé et l’avenir du parti apparaît plus ténue que jamais d’autant plus que le FPI faisait également face à une désaffectation et un cynisme croissants. Il aura fallu alors le retour d’un homme, Mamadou Koulibaly, pour que le parti de la Refondation reprenne quelque peu des couleurs. Mais c’était sans compter sur l’entêtement et les rancœurs qui minaient encore le parti. « No Gbagbo, no peace » : voilà ce qui semblait dès lors être la ligne politique du FPI. Mais cette façon réductrice de voir la réalité est vraisemblablement vouée à l’échec.

La libération de Gbagbo est-elle vraiment la priorité ? Non, parce que le FPI n’est pas, en ce moment, en position d’exiger quoique ce soit, notamment la libération de Gbagbo. De quels moyens disposent le FPI pour pouvoir exiger cette libération ? Sur quoi compte t-il ? Le rapport de force a changé. Exiger la libération de Gbagbo comme étant une priorité, un préalable à la suite de l’action politique du FPI est absolument contre-productif, tout simplement parce que Ouattara ne le fera pas. Et que fait-on après ? La logique voudrait dans cette hypothèse qu’on s’asseye, qu’on croise les bras, qu’on boude le fonctionnement de l’Etat, qu’on se mette en marge de la construction de la Côte d’Ivoire, tant que Gbagbo ne sera pas libre.

C’est l’une des meilleures voies vers la disparition du parti. Ce scénario arrange plus Ouattara que le FPI ou Gbagbo lui-même. Mais cela ne veut pas dire que la question de la libération de Gbagbo n’est pas importante, elle l’est pour le processus de réconciliation. Le moment serait venu où cette question l’aurait été. La précipitation et l’émotion ne sont pas l’apanage d’une stratégie politique durable et viable. Malheureusement le FPI, malgré les efforts de Koulibaly, n’a pas voulu s’engager dans la voie du changement signant du coup son propre arrêt de mort, allant même jusqu’à refuser l’idée d’un congrès sans Laurent Gbagbo.

Oui le FPI risque fort de mourir parce qu’il n’a plus aucune substance, plus aucun projet que celui de rester assis et attendre le retour prophétique de Gbagbo. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre le parti de la Refondation se limite à cela aujourd’hui, naviguant à vue, sans aucune vision. Le 2 Mai 2010, à la clôture de la Fête de la Liberté organisée par le FPI, Laurent Gbagbo n’avait-il pas lui même affirmé que la vision en politique ne servait à rien, car la politique, dans sa compréhension des choses « c’est mettre le pied droit devant le pied gauche, puis le pied gauche devant le pied droit et ainsi de suite » ?

La naissance du LIDER

Heureusement les idées de liberté et de démocratie sont maintenant sauvegarder avec la création de Liberté et Démocratie pour la République (LIDER) par Mamadou Koulibaly, qualifiée par  Miaka Ouretto comme « la pièce maitresse du FPI ». Comme Margaret Mead le dit si bien, « ne doutez jamais du fait qu’un petit nombre de gens réfléchis et engagés peuvent changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé ».

Le grand défi de LIDER sera donc d’apporter le changement, un changement des objectifs politiques, un changement des instruments qui permettent de concrétiser et de mettre en mouvement l’action de développement, et un changement des cadres institutionnels qui structurent l’action de l’Etat. Les Ivoiriens qui aspirent à autre chose, qui veulent oser une nouvelle voie, peuvent s’y engager avec détermination, courage et humilité. La détermination fait référence à la présence d’une vision claire et articulée des changements à mettre en œuvre, le courage au fait d’aller de l’avant malgré les intérêts qui sont remis en cause et l’humilité renvoie à une conception du rôle du politique comme étant celui qui doit être au service de ceux dont il a la responsabilité. Il faut donc faire évoluer ensemble des Ivoiriens de toutes origines, aux valeurs diversifiées et démontrant une vision différente de l’union. Les nouvelles générations aspirent à la liberté et au bonheur dans le contexte actuel d’incertitude. D’une approche basée davantage sur le compassionnel, il faut aller vers une approche plus rationnelle de l’autorité. Cette caractéristique manque fortement aux nouveaux tenants du FPI qui s’enferment dans des discours vides de sens. Même si les mots sont élégants, l’érosion de leur combat se drape dans l’utilisation de visions à courte vue, sans prendre conscience des dangers que cette attitude génère sur l’existence même du parti.

« La défaite peut se révéler une délicieuse attente quand on sait comment préparer sa revanche » – Cincinnatus.

 

Mohamed Radwan, article initialement paru sur Pensées Noires

 

Un homme heureux

Ce sourire qu’ont les hommes

Lorsqu’au cœur du défi

Ils se tuent sans vergogne

Comme on dirait la vie, Gérard Lenorman

Dites-moi que sous le soleil blanc d’El Obeïd, en avril, une file de jeunes enfants frêles au regard vide avance lentement vers la lame exciseuse, la lame mouillée, la lame rouillée. La chair est triste, hélas ! et je suis un homme heureux.

Dites-moi qu’il y avait, à Gbarnga comme à Lungi, des tailleurs d’homme comme on fait des tailleurs de pierre et de diamant – des mains d’homme s’amoncellent comme des pelletées de latérite – et je suis un homme heureux. « Que de sang dans ma mémoire » et je suis un homme heureux.

Montrez-moi, allez ! vite ! Maintenant ! MONTREZ-MOI Hans Scholl qu’on traîne, j’entends les pas des soldats, la corde qui s’en balance, Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé. Je vais mourir ! Et je suis un homme heureux !

C’est un animal étrange que celui-là, qui se traîne et que surveille le vautour. Qu’importe la mort de Carter. C’est un contraste magnifique – mendiante et orgueilleux. Et Je suis homme heureux.

Un cri s’élève. C’est l'après-midi. À l’ombre reposante des flamboyants, des chiens sont endormis. Mais un cri d’homme s’est élevé. Les animaux n’ont pas bougé. L’habitude, cette garce. La place centrale est bondée. C’est un sacrifice ! Nos dieux ne se désaltèrent plus de sang de volaille. Un cri s’est abattu sur la foule qui le porte en elle maintenant. C’est un homme qui s’est évanoui, qu’on éveille qu’on égorge. Il était gendarme. Il était Ivoirien. Ses « compatriotes » sont venus observer la messe païenne. Il y a des rires dans la foule. Quelques regards qui se détournent. La mort comme le soleil ne se laissent pas regarder facilement. Les vidéos se vendent aux coins des rues d’Abidjan. Et je suis un homme heureux.

Voici que meure l’Afrique des ans pires ! C’est un village ordinaire tellement triste et calme que la nuit on y entendait les chats bâiller. Ils l’ont incendié, une nuit. Comme ça. Et personne n’est intervenu. Ni dieu, ni idole, ni casque bleu, ni béret vert. C’était la terre maternelle. Je suis un homme heureux.

Il y a quelque chose de pourri en terre d’Éburnie. Pourtant ce pays est le mien. Malgré tout. Malgré moi. Je le porte comme on porte la marque de Caïn, un viatique, une onction. Il me suit et m’obsède. Dans mes insomnies, mes colères, à la plage, rue St-g. Il me suit « tel le flic le voyou », comme on traîne avec soi la peur du vide, la peur du noir, la peur du Blanc. Il m’agace. C’est le mien. Il me tue.

La dernière fois que j’ai été « jeune », j’avais douze ans, mon pays entrait en guerre. Depuis, je réserve mes larmes à ceux que j’exècre. Et j’essaie d’être un homme. Heureux.

Joël Té-Léssia

4 idées reçues sur la Côte d’Ivoire

1.       La Capitale politique de la Côte d’ivoire est… Yamoussokro

Faux. Abidjan est et reste le cœur économique comme le centre essentiel du pouvoir politique. Il a fallu la prise d’Abidjan pour installer Ouattara au pouvoir. Indice capital : la base militaire française, le 43ème BIMA est installée à Port-Bouët, pas à « Yakro »… Une des lubies d’un déjà sénile Houphouët Boigny a été de transformer sa ville natale en « capitale » du pays. L’hideuse basilique Notre dame de la paix de Yamoussokro – à égalité peut-être avec le soviétisant Hôtel des Députés – est l’une des pires reliques de ce travers mégalomaniaque. Ce projet n’a eu qu’un seul impact réel : enrichir l’architecte Pierre Fakhoury. Des épidémies de fièvre jaune en 1899 et 1904 ont poussé l’administration française à déplacer la « capitale » administrative de Grand-Bassam à Bingerville, la première restant « capitale économique ». L’essor d’Abidjan à la fin des années 1920 a motivé le transfert du cœur politique vers ce qui devenait le centre économique. Abidjan remplaça d’un coup Bassam et Bingerville. Yamoussokro ne « rassemble pas les Ivoiriens ». C’est simplement le symbole du différencialisme ethnique et du complexe de supériorité Baoulé qu’Houphouët et le PDCI-RDA ont imposé à ce pays, des décennies durant. Et un gouffre financier pas possible. Inutile au demeurant.

2.      La crise ivoirienne est née des tensions ethniques et religieuses

Faux. La crise ivoirienne est essentiellement un conflit politique et économique – accessoirement générationnel dans ses derniers développements. Les dimensions ethniques, d’abord, puis religieuses n’ont été rajoutées qu’à la fin, comme potentiels signes de ralliements. Il y a dans l’ordre quatre responsables : Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Simone Gbagbo. Le premier a distillé le mensonge, bénin à l’origine, du groupe Akan et de l’ethnie Baoulé comme peuple fondateur du pays. Les livres d’histoire avaient beau rappelé, en annexe, que ce pays était d’abord une terre d’immigration, les mythes fondateurs baoulés ont servi, depuis toujours, de roman historique national. Le second a trouvé là un terreau fertile qu’il utilisa pour éliminer son adversaire politique le plus important Alassane Ouattara. Il a par la suite procédé à une ethnicisation de l’armée, de la fonction publique et de l’économie. Il a baptisé cette baouléisation du pays, Ivoirité, avec le succès que ce concept a eu par la suite. Pour combler le tout, cette hérésie s’est doublée d’une corruption et d’une brutalisation de la société, sans précédent. Je crois fermement qu’Alassane Ouattara est lié aux coups d’état de 1999 et de 2002, activement d’abord puis de façon plus passive ensuite.

À défaut de démontrer les faiblesses et imbécillités du plan Bédié (« la Côte d’ivoire aux Ivoiriens » ; Alassane Ouattara – ancien premier ministre – n’est pas Ivoirien, etc.), il a repris l’antienne à son compte (« on ne veut pas que je sois Président parce que je suis Nordiste »), avec le succès qu’on connaît. Les époux Gbagbo ont par la suite saupoudré la resucée ethniciste d’une dernière couche religieuse, élus du peuple, mais aussi de Dieu, ils protègent la nation des envahisseurs non-chrétiens, etc. Le conflit générationnel intervient en supplément, il n’est pas étonnant que Soro Guillaume comme Blé Goudé soient tous deux anciens secrétaires généraux de la FESCI (syndicat puis milice étudiante), et que tous deux aient opté pour la voie radicale puis militaire, au détriment d’une approche réformiste du changement politique : les caciques ne cédant pas la place, il fallait bien tuer le père.

Les problèmes réels (conflits terriens, tensions locales liés à ces questions de terre, chômage, corruption, népotisme etc.) n’ont servi qu’à donner un semblant de légitimité à ces conflits politiques et n’ont de fait jamais été pleinement confrontés par aucun des « belligérants ». Les divisions religieuses et ethniques du pays ont été de formidables cache-misère intellectuels et outils de propagande – au pire, de bien utiles adjuvants, mais jamais la cause de la crise ivoirienne.

3- Le défi principal d’Alassane Ouattara sera de « réconcilier les ivoiriens »

Faux. Les Ivoiriens ne se réconcilieront pas. Ils pourront « vivre ensemble », dans un pays apaisé, pacifié, sécurisé. La politique détruit tout ce qu’elle utilise mal. Je crois que l’innocence avec laquelle, l’essentiel des relations entre communautés ethniques (je préfère « régionales », plus précis à mon sens) se déroulait ne sera jamais restaurée. Quelque chose a été brisée durant ces dix années de conflits que rien ne réparera, en tout cas pas durant les cinq ou dix ans qu’Alassane Ouattara passera au pouvoir. Sa tâche primordiale – au-delà de la sécurisation et du désarmement des milices non-intégrables dans les FRCI ou l’ex-rébellion, terme que je préfère – sera de relancer l’économie. Tant qu’il y aura des centaines de milliers de jeunes désœuvrés, sans éducation, sans perspective aucune de trouver un emploi, politiciens et chefs de guerre trouveront le moyen de transformer la moindre étincelle en enfer. Que Gbagbo soit jugé ou non, condamné ou pas, exécuté ou en exil est accessoire. Plus personne ne croit encore à la justice ivoirienne, encore moins à l’ersatz de justice, punitive, à charge, typiquement de vainqueur, que propose le gouvernement Ouattara. Tout le monde sait que les 800 morts de Duékoué resteront sans noms, leurs bourreaux aussi. S’attarder sur ces détails conduirait à perdre un temps et un capital politique précieux. Créez des emplois, des emplois, des emplois, Monsieur le… Président !

4- « Découragement n’est pas ivoirien » !

Vrai.

Joël Té Lessia

EMBARGO : la Bombe E

Il  semble, de prime abord, hasardeux, disproportionné ou encore fou, de présenter le phénomène d’embargo comme comparable à une bombe atomique décimant des populations entières. Sûrement. Néanmoins la situation que connait la Côte d’Ivoire depuis le 11 février 2011 pourrait être l’illustration parfaite d’un parallèle choquant en apparence.
Le 11 février, le président officiellement élu de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, engage, avec le concours de l’Union Européenne, un embargo maritime sur le pays. Conséquences ? Tous les bateaux en direction des ports ivoiriens de San Pedro et d’Abidjan sont immédiatement redirigés vers le port de Dakar. Cet embargo maritime est également accompagné d’un embargo «financier » avec l’incapacité pour la Côte-d’Ivoire de faire appel à la BCEAO (Banque Centrale d’Afrique de l’Ouest).
Cet embargo a, de fait, de nombreuses conséquences sur l’activité économique du pays. Il faut savoir, en préambule, que le port de San Pedro est le plus important port d’Afrique, en termes de surface, après celui de Durban. Il est tout aussi bon de noter que, près de 70% du PIB de la Côte d’Ivoire passe par le port d’Abidjan.
Ainsi tous les secteurs d’activité sont touchés par cette mesure. Parmi eux, les plus importants, comme l’Agriculture, indispensable pour le pays, premier producteur mondial de cacao et dixième producteur de café. Le 15 février dernier, les producteurs de cacao et de café se sont réunis dans la capitale pour dénoncer les affres de cet embargo.
Cela étant dit, le secteur sur lequel nous nous focaliserons est celui de l’industrie pharmaceutique. La question que l’on est immédiatement en droit de se poser étant : comment une organisation telle que l’UE peut-elle être à l’initiative d’une mesure d’embargo sur les produits pharmaceutiques dans un pays où la mortalité infantile et juvénile s’établie à 127‰ selon l’OMS, où l’espérance de vie était de 55 ans à peine pour une fille née en bonne santé en 2003, où, comme dans bien des pays du continent, le SIDA fait des ravages ?
Le 23 février, via la presse écrite, Mme Christine Adjobi, Ministre de la santé et de la lutte contre le Sida, dénonçait cette décision unilatérale qu’elle considérait alors comme meurtrière. De manière plus concrète, depuis le 11 février 2011, tous les médicaments payés à l’Union Européenne ne sont plus livrés vers la Côte-d’Ivoire, mais détournés, comme le reste des fournitures, vers le Sénégal. La ministre se permet alors de comparer cet acte fomenté par l’UE à un « Crime contre l’Humanité » en s’appuyant à la fois sur l’article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais aussi et surtout, sur l’article 16 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui stipule que : « Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental(…) Les Etats, parties à la présente Charte, s’engagent à prendre les mesures nécessaires, en vue de protéger la santé de leur population et de leur assurer assistance médicale en cas de maladie. ».
A la suite de Mme Adjobi, le Dr Parfait Kouassi, président de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire, dénonce également cette action revenant de manière concrète sur ses effets néfastes. D’un point de vue purement économique tout d’abord, il faut savoir que près de 88% des importations de médicaments se fait par voie maritime. Chaque année, la Côte d’Ivoire importe pour 300 milliards de FCFA de médicaments dont les ⅔ sont achetés à des organismes privés. On aura pu légitimement penser, dans un premier temps, que cet embargo favoriserait les organismes de santé privés qui auraient pu voir ici une opportunité formidable d’augmenter les prix. La réalité africaine est toute autre. Selon le docteur, aucun grossiste n’est actuellement en mesure d’acheter les produits et ce pour deux raisons majeures : premièrement, comme il a été dit plus tôt, la BCEAO n’est pas en mesure de les aider financièrement et deuxièmement, l’importation par voie aérienne ferait augmenter les prix de près de cinq fois leur valeur initiale rendant toute demande insolvable.
 D’un point de vu social, la situation est, bien entendu, plus critique encore. D’après M. Kouassi, interviewé fin février, la Côte d’Ivoire n’avait à ce jour que deux mois de stocks de médicaments pour subvenir aux besoins de santé, sans restriction. Depuis lors, selon la ministre Mme Adjobi, interviewée à la mi-mars, 24 décès de personnes dialysées pouvaient d’ors et déjà être imputés au seul embargo.
Officiellement, le président élu M. Ouattara et l’UE ont pris cette décision afin d’empêcher tout ravitaillement en armes des Patriotes du président sortant M.Bagbo. On peut alors se questionner sur la décision finale consistant à effectuer un blocus général. Est-il nécessaire, pour enrailler l’arrivée d’armes dans un pays, d’interdire dans le même temps l’arrivée de médicaments ?
Mme Adjobi également se questionne : « Qu’est-ce que la santé a à voir avec la situation ? ». L’Eglise a, elle aussi, exprimé son indignation face à cette situation via le Nonce apostolique  son Excellence Ambroise Madtha, représentant de la Côte d’Ivoire auprès du Saint-Siège : « La vie humaine est un droit sacré .Dieu a dit ‘Tu ne tueras point’. Nous condamnons cet embargo, nous devons faire quelque chose pour arrêter cette situation. »  
Il est légitime d’avancer l’idée que cette stratégie servait en réalité à affaiblir le président sortant dans son propre camp. Dans un jeu où le sophisme est la règle suprême, cet embargo avait pour but de retourner définitivement une opinion publique bien plus divisée dans la réalité des faits que dans les médias occidentaux. Simple hypothèse.
Mais finalement, peu importe les raisons. Ce qu’il y a à retenir c’est que des gens sont morts et meurent encore à cause de cette mesure. Ce qu’il y a à retenir c’est qu’une association d’Etats, avec l’avale implicite de l’ONU, a sciemment cherché, dans un court lapse de temps, à détruire la population d’un pays afin de servir ses intérêts dans un subtile jeu diplomatique. Ce qu’il y a à retenir c’est que des hommes, des femmes, des enfants, souffrent dans un pays où l’ingérence, cher à l’humaniste Dr Kouchner, à endossé les habits du meurtrier plutôt que ceux du sauveur.
D’aucuns diront qu’il s’agit là d’un simple jeu diplomatique et qu’il existe des perdants et des gagnants ; des dominés et des dominants ; oubliant que derrière tous ces « jeux », ce sont des vies qui se jouent. Certains exprimeront le fait que la « liberté » ne s’obtient pas sans sacrifices. D’autres, d’où qu’ils soient, auront vu passer ces mois sans que pour eux tout ceci n’ait la moindre importance.
Moi. Moi, je me dis que la France, modèle, s’il en est, de démocratie, prompte à donner des leçons à qui veut bien l’entendre… et aux autres, n’est, dans ce cas précis, que le pâle reflet de ceux qu’elle prétend combattre par ses « valeurs ». Moi, je me dis, que l’Histoire récente a envoyé au tribunal pénal international de la Haye, certains chefs d’Etats pour bien moins que cela. Moi, je me dis définitivement convaincu par le fait que la démocratie avant d’être « la pire des formes de gouvernement à l’exception de toutes les autres formes essayées à travers les âges », est surtout un formidable outil permettant le gèle des positions entre les puissants et les autres.
Moi, je me dis surtout que, malgré tout cela, l’Histoire ne retiendra que le fait, qu’une fois de plus, la France, dans son altruisme légendaire, à jouer le rôle du sauveur, de l’émancipateur.
Alors, j’admets l’erreur. La bombe E n’est pas égale à la bombe A. Non. Elle est plus dévastatrice encore. Bien plus que de la destruction, c’est bien de déconstruction dont on parle lorsque l’on aborde la question de l’embargo. La perte de souveraineté d’un Etat et le délitement de sa population étant les conséquences majeures de ce fléau. Allez demander à Cuba de Castro- où les médecins pullulent, où le taux d’alphabétisation est l’un des plus élevé au monde, mais où l’économie y est désastreuse-, si un embargo ne laisse pas de traces durables. Allez demander au Chili d’Allende si l’embargo n’était pas simplement le terreau fertile de tout ce qui suivra de néfaste pour son pays.
Et pour ceux et celles qui ne s’estiment toujours pas concernés par la situation, je préciserais que les ports de San Pedro et Abidjan sont les principaux ravitailleurs des pays enclavés d’Afrique de l’Ouest. Il ne s’agit pas ici d’un embargo de la Côte d’Ivoire mais bien de l’Afrique.
Giovanni Codjo DJOSSOU

Côte d’Ivoire : Même quand l’économie est au point mort, l’espoir fait vivre!

Il n’a échappé à personne que depuis déjà plus de quatre mois, la Côte d’Ivoire est le théâtre d’une crise post-électorale sans précédent. L’économie de ce pays, l’une des plus dynamiques de la sous-région ouest-africaine, s’en ressent fortement, au point d’être « au bord du gouffre ». C’est cet état de fait que décrit un article paru fin mars dans Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2618p076.xml0/cacao-uemoa-sgbci-exportationcote-d-ivoire-une-economie-au-bord-du-gouffre.html
 
On y apprend qu’aucun secteur n’est épargné ; qu’il s’agisse des banques, des exportations de cacao, du secteur du bâtiment ou encore de la téléphonie, les pertes et manques à gagner sont abyssaux. Le secteur du bâtiment qui enregistre une baisse de 70% de son chiffre d’affaires apparait le plus affecté. Les entreprises de petite taille (PME et PMI) sont les plus pénalisées. En cause : le manque de liquidités. En conséquence : une cessation des paiements depuis fin novembre.
 
De nombreux autres exemples viennent se rajouter à cette triste liste. Les cinq opérateurs de téléphonie évaluent leur manque à gagner à 200 millions de FCFA par jour depuis le 24 février, date de la coupure des SMS. L’article mentionne également la très forte réduction – pour ne pas dire l’arrêt – des exportations de cacao de même que la suspension des activités des banques.
Dans ce chaos économique généralisé et amplifié depuis le début de la guérilla à Abidjan, apparait pourtant des lueurs d’espoir. Un espoir qui se manifeste d’abord par la solidarité, une solidarité qui transcende les divisions politiques. Des exemples symboliques de cette solidarité et de la façon dont elle s’organise sont donnés dans un autre article de Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20110408092541/
 
 Il y est question des initiatives solidaires mises en place par des Ivoiriens pour des Ivoiriens barricadés chez eux afin d’échapper aux tirs et aux pillages. Il est très plaisant de voir l’ingéniosité de bénévoles ivoiriens se mettre en œuvre pour faire face aux difficultés rencontrées par leurs compatriotes pour communiquer et se soigner. D'abord grâce aux réseaux sociaux Facebook et Twitter, des moyens simples sont mis en place pour permettre à des personnes dans le besoin de le signaler à des équipes de bénévoles.
L’ONG Akendewa a installé un centre d’appel d’urgence à Accra pour recevoir des appels de personnes en détresse. Le call center identifie et localise les besoins puis avertit des bénévoles basés à Abidjan. Une carte collaborative des rares pharmacies opérationnelles, des marchés et hôpitaux a aussi été mise en place et des médecins d’Abidjan se sont regroupés pour assurer une permanence téléphonique et prodiguer des conseils en attendant l’arrivée des secours. Espérons que de telles initiatives se multiplient et surtout que le retour à une situation normale arrive vite.
 
Tite Yokossi

Un espace vide

Hier sur Twitter : huit cent Ivoiriens morts (entendez « tués ») en une journée. Puis non, trois cent cinquante. Enfin… huit cent mais sur quatre mois. Trois cent, oui trois cent en deux jours. Mais on a encore trouvé pas mal de corps dans un puits, donc pour le moment personne ne sait. Et qui sont les coupables ? Les forces proches du Président… Quel Président ? La femme du président est au Ghana ! Non, je te dis que c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui est au Ghana. Mais la sœur du directeur de cabinet… Etc. Pendant deux jours.

Et tout ce temps, je ne pense qu’à une chose : quelles sont leurs sources ? Voilà ce qu’on a fait de moi. J’ai donné tort à Senghor, encore une fois : je suis un homme qui pense, mais ne sent plus. La source a tari et nous n’y retournerons plus jamais. Les lamantins sont morts. Et mort est le murmure des lamentations. Ma génération ne fécondera plus d’ « Orphée Noir ». Le « saisissement d’être vu » est mien – celui du Roi nu, de la secrétaire surprise en pleine irrumation. Et s’il ne doit rester qu’une chose, que ce soit cette devise : rester économe de ses illusions. J’ai congédié demain – trop prétentieux, menteur et surfait.

C’est si étrange d’avoir un passeport, qui fixe une date, un lieu de naissance, une nationalité, une identité, une « reconnaissance » que l’on n’a pas demandés. Ce pays n’est plus tout à fait le mien. À peine un point sur une carte, un espace vide.  Je n’y connais qu’une famille d’anciens riches et de vrais pauvres, ma famille, et quelques anciens ou futurs soldats. Ce pays est mort, en train de mourir, je n’y pense plus. Je ne pense qu’aux miens qui y vivent.

Et s’il faut parler, encore, d’amour et d’espoir ; retenir qu’il faut toujours vivre en spéléologue, sans se soucier du retour, s’enfoncer toujours plus loin dans ces profondeurs pour trouver le réconfort paisible d’une solitude animée. Parce qu’au jour, là bas, plus haut, à la lumière, il y a huit cent, ou peut-être trois cent, trois cent cinquante regards qui ne « saisissent » plus grand-chose. Rien. Le noir.

Joël Té Léssia