Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?

En février dernier, la CEDEAO et l’UE[1] ont annoncé un compromis dans les négociations portant sur les accords de partenariat économique (APE). Un accord dont l’impact sur le potentiel de développement agricole et l’industrialisation ne fait pas encore l'unanimité.

Les raisons d’un nouvel accord économique

L78329210es échanges commerciaux entre l’UE et les pays ACP sont régis par les conventions de Cotonou et celles antérieures, qui octroyaient une liberté d’accès au marché européen sans réciprocité. Ces accords ont permis aux pays africains entre autres d’introduire leurs produits dans l’espace UE sans droit de douane. Les produits européens en revanche sont taxés aux frontières africaines.

Les Etats africains exportent principalement vers l'UE des matières premières : pétrole, bois, métaux et pierres précieuses constituent plus du ¾ des exportations de la CEMAC en 2003. L’agriculture représentait 16% pour la CEMAC et 31% pour la CEDEAO qui importe de l'UE plus de 75% de produits manufacturés. 

Malgré les dispositions plutôt favorables des précédents accords, les africains n'avaient pas réussis à augmenter leur part dans le marché européen. La part de l’Afrique de l'Ouest par exemple dans le commerce avec l’UE est passée de 5% en 1980 à 1% en 2004. C’est d’ailleurs un argument que n’hésite pas à invoquer l’UE pour justifier la nécessité de repenser le partenariat économique rappelant que l’accès préférentiel n’a pas encouragé la diversification des exportations, ni la compétitivité des secteurs productifs, ni l’intégration des marchés intérieurs trop petits. Il n’a pas permis non plus d’accroître la capacité de production et d’exportation vers l’Europe. Hormis les considérations liées aux réalités locales, ce diagnostic occulte les distorsions que l’UE avait introduites dans les échanges telles que les barrières non tarifaires érigées sans concertation, la subvention de son agriculture ou les impacts des ajustements structurels qui ont contribué à cet échec.

Arguant la nécessité de respecter les dispositions de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’UE négocie depuis 2000 avec les différents blocs sous régionaux (CEMAC, CEDEAO, SADC) en vue de parvenir à un APE qui consacrera une liberté d’accès réciproque aux marchés.  Cette réciprocité se traduira pour l’accord avec la CEDEAO, par une ouverture à 75% du marché Ouest africain pour les produits de l’UE dans les 20 prochaines années contre 100% pour les exportations de la CEDEAO. La signature de ces APE devrait intervenir d’ici octobre sous peine, pour certains pays de la communauté, de se voir abolir les traitements préférentiels dont ils bénéficiaients dans l'accès au marché européen.

Les Etats africains n'ont pas réussi à faire converger réellement leurs intérêts pour négocier un accord qui leur soit tous favorable. La CEDEOA a accepté un compromis sur un texte conçu dans le sens des européens dont elle n’a pu obtenir que quelques amendements. C'est parce que la non conclusion d’un APE menace l’intégration régionale, la Cote d’Ivoire et le Ghana ayant déjà signé des APE dits intermédiaires et leur ratification sans l’engagement des autres pays de la sous-région détruirait le marché commun ouest africain. De même, au sein de la CEMAC, le Cameroun a déjà signé un ACP intermédiaire. Ces pays signataires ont en commun le fait qu’un pan essentiel de leur économie hors hydrocarbures comme le cacao et la banane repose sur l'exportation vers l’UE. Ils n’avaient le choix de faire autrement qu'en prenant le risque de repenser complètement leurs modèles économiques.

Des réticences et non les moindres

Une grande partie de la société civile africaine, d’éminents spécialistes et même la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) dénoncent cependant un accord jugé désavantageux pour les africains, déstabilisant les recettes des Etats et compromettant sérieusement l’industrialisation, l’émergence d’un grand marché intrafricain et le développement agricole.

Les taxes sur les importations constituent en effet une part importante de recettes des Etats africains. Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), l’ouverture annoncée aggravera la pression sur les systèmes budgétaires africains. Le Cameroun par exemple perdrait entre 20 et 30% de ses revenus et le Ghana près de 37% de ses recettes à l’exportation. L’UE promet des compensations financières pour le manque à gagner. Elle mise surtout sur le renforcement des capacités fiscales des Etats pour compenser leurs pertes. Elle promet 6.5 Milliards € pour la CEDEAO sur la période 2015-2019 à travers le programme de l’APE pour le développement (PAPED). En zone CEMAC, le cameroun a évalué à 2500 milliards de FCFA le cout de l'adaptation de son économie aux APE. L’UE le soutient dans un premier temps à hauteur de 6,5 milliards de CFA pour la ratification de son APE intermédiaire. Mais les conditions d’éligibilité des entreprises pouvant bénéficier d'une aide à cette adaptation exclues déjà tout un ensemble d’acteurs économiques.

Les APE accordent aux africains une protection sur un ensemble de produits qu’ils jugeront sensibles. Il appartient aux Etats de chaque sous-région de s’accorder dans leur choix. Cela doit les obliger quelque part à plus de coopération régionale et la nécessité de reformer leur système économique. Il s'agit surtout des produits de l'agriculture qui a fait  par exemple l’objet d’une divergence de longue date entre la CEDEAO et l’UE qui ne souhaitait pas l’aborder dans le cadre des APE. Le compromis a été trouvé autour de la formulation suivante : « Chaque partie assure la transparence dans ses politiques et mesures de soutien interne. A cette fin l’UE communique régulièrement, par tout moyen approprié, un rapport à l’Afrique de l’Ouest sur lesdites mesures, comprenant notamment la base juridique, les formes de mesures et les montants y afférents (…)   La partie UE s’abstient de recourir aux subventions à l’exportation pour les produits agricoles exportés vers les marchés de l’Afrique de l’Ouest (…)  ». L’UE promet également de mettre à niveau l’industrie africaine afin qu’elle puisse mieux s’insérer dans le tissu commercial mondial.

Si les études d’impacts des APE dans les zones CEMAC aussi bien que CEDEAO montrent que ces accords permettraient éventuellement aux blocs africains de conserver leurs positions dans le marché européen, elles interpellent surtout sur la fragilité des structures économiques de ces Etats. L’impact est négatif sur leur potentiel de développement et de diversification économique. Pour Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la CEA, les APE tels que définit actuellement vont empêcher l’industrialisation de l’Afrique. Ils empêchent le positionnement des africains dans le marché européen avec leur production industrielle tout en ouvrant la porte à des exportations européennes. Il exhorte les africains d'exiger de participer à la valeur ajoutée de leurs propres ressources en concluant des accords tournés vers un transfert de technologie et la transformation au moins partielle au niveau local. C’est aussi l’ensemble du continent et non de blocs régionaux qui négocie car des APE régionaux poseraient un problème d’alignement sur le continent et ne permettraient pas au marché intrafricain de se développer. Ce n’est pas le principe d’une libéralisation qui est dénoncé mais l’équilibre de ces libres échanges et leurs retombées sur le développement économique des africains. Ces derniers doivent se sortir d’une relation de dépendance historique des puissances européennes s’ils veulent devenir des acteurs de leur avenir.

L’échéance d’octobre approche et les Chefs d’Etats qui vont se prononcer sur la signature de ces accords connaissent pertinnement les risques politiques qu’ils encourent et doivent prendre leur responsabilité.

Djamal Halawa

Sources

-L’APE en 9 questions : Commission Européenne : 

http://ec.europa.eu/europeaid/what/development-policies/intervention-areas/epas/epas_fr.htm

-Jacques Gallezot, Le choix régional des produits sensibles à l’APE soumis au jugement majoritaire des pays de l’Afrique de l’Ouest,  INRA-Agro Paris Tech, Octobre 2007, 45p.

-Benoît Faucheux, Bénédicte Hermelin, Julieta Medina, Impacts de l’Accord de partenariat économique UE – Afrique de l’Ouest ; Synthèse bibliographique, Gret, octobre 2005, 73p.

-DOUYA Emmanuel, HERMELIN Bénédicte, RIBIER Vincent, Impact sur l’agriculture de la CEMAC et de Sao Tomé et Principe d’un Accord de Partenariat Economique avec l’Union européenne, Paris, Gret, mars 2006, 116 p.

-Eclairage Volume 7  Numéro 6 , Juillet 2008 : http://ictsd.org/i/news/14950/

-http://endacacid.org/french/index.php/rapport-provisoire-concertation-regionale-entre-la-societe-civile-les-organisations-socioprofessionnelles-et-la-commission-de-la-cedeao-sur-les-ape-et-le-tec-17-18-janvier-2014-a-dakar

-http://endacacid.org/french/index.php/conference-ministerielle-de-l-omc-un-paquet-encore-incertain-pour-bali/declaration-de-la-poscao-sur-l-ape-10-02-2014

http://economie.jeuneafrique.com/managers/decideurs/21773-carlos-lopes-l-europe-ne-tient-pas-compte-de-l-avenir-de-l-afrique.html

-rfi.fr


[1] CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ; UE : Union Européenne ; CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vers des institutions plus inclusives en Afrique

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Dans cette partie, nous examinons le cas particulier de l’Afrique. Quel bilan peut-on faire de l’évolution des institutions Africaines ? Comment l’Afrique peut-elle utiliser cette nouvelle grille de lecture proposée par Acemoglu et Robinson ?

Les institutions n’ont pas toujours été extractives en Afrique

Historiquement, Acemoglu et Robinson nous apprennent que l’esclavage a été un choc négatif sur les institutions Africaines dans la mesure où la capture et la vente généralisée des sujets ou des prisonniers de guerre a considérablement affaiblie la confiance entre les sujets et détruit la qualité des institutions. Suite à l’abolition de l’esclavage dans les pays plus développés, la colonisation a pris le relais cette fois-ci sur place à travers les travaux forcés auxquels collaboraient les chefs locaux en contrepartie du maintien de leur statut. Ainsi, les institutions ont été perverties là où elles étaient inclusives et aggravées dans les cas où elles étaient déjà extractives. Après les indépendances, ces mêmes institutions extractives ont été perpétuées dans la plupart des nouveaux Etats indépendants.[1]

Le cas des sociétés nationales de promotion agricole illustre bien la persistance d’institutions économiques extractives en Afrique.[2] Ces sociétés (anciennement bureau agricole) servaient à l’administration coloniale de jouer l’intermédiaire entre les agriculteurs et les acheteurs de produits agricoles sur les marchés internationaux. En tant que seul acheteur de la production, le Bureau agricole pouvait fixer le prix d’achat indépendamment de la demande et généralement à un niveau largement plus bas que le prix de revente sur les marchés internationaux. Selon Acemoglu et Robinson, cette extorsion s’est même amplifiée après les indépendances dans certains pays Africains comme la Sierra-Leone. Dans ces conditions, les agriculteurs n’ont aucun intérêt à augmenter la productivité agricole, dans la mesure où les profits additionnels générés sont systématiquement extorqués par les sociétés de promotion agricole.

Aujourd’hui, quelle est la qualité des institutions en Afrique ?

Lorsqu’on observe le tableau synthétique du modèle de Acemoglu et Robinson, ce qui nous intéresse est de savoir la case dans laquelle se trouve(ra) l’Afrique.

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Source : Extrait de la presentation de Acemoglu et Robinson

Cela dépend évidemment des pays. De façon générale, la réponse à cette question nécessite d’évaluer l’ampleur des potentielles barrières économiques et politiques qui entravent l’effectivité des institutions inclusives sur le continent.

Sur le plan économique, il s’agit notamment de suivre l’évolution de la concurrence, des barrières à l’entrée dans les secteurs régulés, des licences requises pour l’exercice de certaines activités économiques. En complément à ces différents facteurs, il serait intéressant de mesurer l’inclusivité de la croissance économique ; c’est-à-dire la part de population qui bénéficie de la croissance économique, soit en y participant directement ou en bénéficiant des politiques de redistribution.

Sur le plan politique, il y a lieu de savoir dans quelle mesure les différents groupes d’intérêts de la société africaine participent effectivement à la prise des décisions politiques. En particulier la prise en compte des différents intérêts lors des changements de constitution importe beaucoup dans l’évaluation de l’inclusivité des institutions politiques africaines.

Actuellement nous disposons de très peu d’informations pour faire une telle évaluation. D’un point de vue quantitatif, l’idéal serait d’avoir un indicateur de développement inclusif à deux composantes : un indice de croissance inclusive et un indice de démocratie inclusive.

D’un point de vue qualitatif, les vagues de démocratisation du pouvoir politique observée à travers la tenue régulière d’élections, quoique souvent contestées, la baisse de la violence et des conflits armés suggèrent une légère amélioration des institutions politiques. De plus, les vagues de manifestations, voire de révolutions qui secouent de temps à autre les régimes politiques africains sont aussi des signes de vitalité des institutions politiques. A cela s’ajoute l’émergence et l’adoption des nouvelles technologies de communication et d’énergie sur le continent. Tous ces facteurs semblent indiquer un dynamisme de l’Afrique vers des institutions économiques et politiques plus inclusives.

Une question reste posée : l’émergence des institutions inclusives est-elle indépendante de la constitution des hommes qui composent la société ? Le modèle d’Acemoglu et Robinson ne nous dit rien sur la façon dont émerge des institutions inclusives. Dans la mesure où les institutions émanent des hommes, il nous semble que leur constitution dans la cellule sociologique la plus réduite qu’est la famille et dans la cellule sociologique la plus vaste qu’est la société détermine leur contribution à l’édification d’une société stable qui promet l’épanouissement de tous, sans aucune exception, ni discrimination. Cela sous-entend que la structure de la famille, de même que l’organisation de l’éducation peuvent être des facteurs déterminants pour l’émergence d’institutions inclusives. Ce sont là des pistes de réflexions à mener dans de prochains articles.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Nous reconnaissons le besoin de faire un travail fouillé sur les sociétés africaines qui avait des institutions inclusives avant l’esclavage et la colonisation.

 

 

[2] L’argument classique en faveur de ces sociétés est celui de l’assurance qu’elles procurent aux agriculteurs contre la volatilité du cours mondial des matières premières.

 

 

Sortir du sous-développement: le rôle des institutions

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Grâce à leur modèle de réflexion, il est possible d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement.

Les forces qui permettent de briser le cercle vicieux du sous-développement

Historiquement, seuls les phénomènes naturels, les révolutions politiques et les ruptures économiques (innovation exogène) ont été en mesure de briser le cercle vicieux du sous-développement résultant de l’absence ou de la faiblesse des institutions.

Curieusement, les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre, les inondations ou les pandémies sont de puissantes forces redistributives des pouvoirs politiques et économiques. Cependant, en tant que phénomènes naturels, elles ne conduisent pas toujours à une meilleure redistribution des pouvoirs. Par exemple, les personnes qui sont initialement plus pauvres (économiquement et politiquement) peuvent aussi habiter les régions sismiques, inondables, comme dans des environnements plus favorables aux épidémies. Le tremblement de terre en Haïti ou le Tsunami de 2004 en Indonésie sont des exemples de catastrophes naturelles susceptibles de modifier durablement la distribution des pouvoirs dans la société et de repartir sur des bases nouvelles. Toutefois, elles ne sont pas souhaitables pour « redistribuer les cartes » au sein d’une société, compte tenu de leur neutralité par rapport aux conditions initiales.

Aujourd’hui, les révolutions politiques constituent les moyens les plus courants de renversement de l’ordre existant. Le « printemps arabe » illustre bien ce moyen d’action. D’un point de vue historique, la Révolution Glorieuse en Angleterre (1688-1689), dans la forme pacifique, et la Révolution Française (1789), dans la forme violente, sont des exemples de révolutions qui ont durablement changé la distribution du pouvoir politique et économique dans ces pays. A l’issue de ces révolutions, généralement conduites par la multitude défavorisée, les institutions politiques sont devenues plus inclusives du fait de son implication le processus de décision. De même, elles ont été à l’origine d’une révision des rapports sur le marché du travail (abolition de l’esclavage, revalorisation des salaires, mise en place de cadre de négociations appropriés des salaires, amélioration de l’accès à la santé et à l’éducation pour tous, etc.).

En plus de la révolution politique, les ruptures dans les échanges économiques comme la révolution industrielle, la découverte des Amériques et l’explosion du commerce international qui en a découlé, sont aussi de puissantes forces susceptibles de déclencher le cercle vertueux du développement à travers la modification des institutions économiques. Plus spécifiquement, ces ruptures redistribuent le pouvoir économique grâce à l’enrichissement de nouveaux entrepreneurs. Ces derniers profitent des nouvelles idées, des nouvelles technologies pour fructifier des opportunités d’affaires et s’engager dans le processus de création de la richesse.

Pourquoi les révolutions politiques et économiques échouent ?

Si chacune de ces trois forces peuvent ouvrir des fenêtres d’opportunités sur le développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ont besoin d’être déployées dans des conditions minimales afin de garantir un développement durable.[1] Idéalement, les résultats sont plus significatifs et durables lorsque les révolutions politiques se produisent dans un contexte de révolution industrielle ou plus généralement d’innovation. Par exemple, selon Acemoglu et Robinson, la prospérité durable de l’Angleterre et de la France est liée à l’occurrence presque simultanée de révolutions politiques et économiques. La Révolution Glorieuse a permis de limiter les pouvoirs de la monarchie britannique alors que l’essor du commerce international grâce à l’esclavage et à la découverte des Amériques a créé de nouveaux riches réclamant davantage de libertés.

La présence d’institutions extractives, est à la base de l’échec des révolutions politiques et économiques, dans la mesure où leurs retombés ne sont pas utilisés pour préparer une prochaine vague d’innovation (révolutions politique et économique). Tel que documenté par Acemoglu et Robinson, le déclin des empires Aztec et Inca en Amérique du Sud, de l’Egypte Antique, de l’empire Kongo, et même de l’ex-Union Soviétique est en partie expliqué par l’occurrence d’une innovation économique dans un contexte d’institutions extractives. Malgré que ces empires fussent initialement prospères, la propriété privée n’y était pas garantie, encore moins les libertés politiques. Ainsi, les incitations à innover étaient plus faibles, créant ainsi un retard technologique sur les autres pays du monde.

Le cas de l’ex-Union Soviétique illustre bien comment l’introduction des nouvelles technologies dans une économie extractive peut générer de la croissance en présence d’un pouvoir politique centralisé. Il illustre aussi pourquoi cette croissance ne peut être durable. En effet, dans un Etat centralisé comme l’ex-Union Soviétique, la capacité de l’Etat à réallouer les ressources économiques dans les secteurs productifs de même que l’introduction du train et des NTICs a engendré une croissance forte, faisant d’elle la deuxième économie mondiale. Cependant, cette croissance était capturée par une élite profitant des institutions politiques extractives. Il s’en est suivi très peu d’innovations, conduisant à un essoufflement de la croissance à partir des années 60.

Le cas le plus frappant est celui de l’esclavage et de la colonisation en Afrique qui font suite à la révolution industrielle en Angleterre. Il montre bien comment les innovations majeures comme la machine à vapeur et l’imprimerie ont eu des impacts différents selon la qualité initiale des institutions. Alors que ces innovations ont été largement adoptées dans les pays Européens ayant subis aussi des révolutions politiques, cela n’a pas été le cas dans les royaumes et empires Africains qui étaient pourtant en contact avec les européens et connaissaient donc bien l’utilité de ces technologies. L’une des explications à la base de cette faible adoption est bien l’absence d’un droit de propriété privée. Le roi pouvait exproprier et redistribuer les terrains agricoles à sa guise, ce qui n’incitait pas les agriculteurs à augmenter leur productivité.

Toutefois, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette série d’articles, les institutions n’ont pas toujours et partout été extractives en Afrique. Nous nous interrogerons aussi dans cette troisième partie sur la position actuelle et les perspectives des institutions en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon

Les conséquences des institutions extractives : Expropriation de la force de travail

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[1] Ici la durabilité ne fait pas allusion à l’épuisement des ressources naturelles.

 

 

 

Finance islamique : une opportunité à saisir ?

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Face aux défis du développement et des contraintes liées à la rareté des ressources financières en dons, les pays africains tentent de trouver des alternatives moins coûteuses aux mécanismes de financement traditionnels. Dans cette optique, ils s’ouvrent de plus en plus au profit des ressources financières asiatiques : chinois et arabes essentiellement. Si des travaux sont en cours sur la stratégie chinoise en Afrique, l’opportunité des ressources financières arabes pour le continent est assez mal connue alors qu’elles semblent susciter un grand intérêt auprès des décideurs du continent. C’est dans ce contexte que le Bureau de L’Afrique des Idées  de Dakar a organisé le 29 mars 2014 une conférence, animée par des spécialistes du sujet : Dr Abdou Karim Diaw[1] et M. Rodolph Missihoun[2]. Cet article fait une synthèse des principaux enseignements sur la finance islamique issus de cette conférence et le rôle qu’elle pourrait jouer dans le processus de développement de l’Afrique.

Très peu connue et demeurée assez longtemps l’outil financier des pays musulmans, la finance islamique intéresse de plus en plus le monde. Outre sa banque qui s’implique dans le développement (la BID), elle dispose d’autres instruments comme les sukuks (similaires aux obligations classiques) qui intéressent de nombreux pays. Londres, centre financier de classe mondiale, veut d’ailleurs se positionner comme pionner de l’insertion de cette finance dans le monde occidental en émettant cette année des sukuks à hauteur de 233 MEUR. Elle a d’ailleurs aménagé sa réglementation à ce propos et abrite de nombreuses formations diplômantes spécialisées en finance islamique. En Afrique, le Sénégal s’apprête à tester le marché financier islamique avec une émission de sukuks pour  un montant de FCFA 100 Mds. Il a d’ailleurs déjà bénéficié de l’accord de la Banque Centrale pour son refinancement. Disposant de centaines de millions USD (près de 1 000 Mds USD fin 2012 contre 300 Mds USD en 1990), le marché financier islamique est en pleine expansion (ses actifs pourraient atteindre 4000 Mds USD à horizon 2020) et a donc de quoi susciter l’intérêt de tous, plus particulièrement de l’Afrique, dont les besoins financiers sont énormes.

Sur son fonctionnement

Il faut avant tout rappeler que la finance islamique présente les mêmes caractéristiques que la finance classique. De fait, elle ne se veut pas philanthropique. La finance islamique s’appuie sur les principes de la Charia, qui considèrent illicites la perception de ressources financières sur des placements financiers par le mécanisme des taux d’intérêt. Les principes de la Charia supposent que chaque gain devrait être motivé par l’exercice d’une activité, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans la finance classique. Ainsi les prêts dans le cadre de la finance islamique prennent plutôt la forme d’une prise de participation

Les acteurs pilotes de la finance islamique jouent un rôle d’entrepreneur multitâche aux allures de fonds d’investissement. Deux cas se présentent : le financement d’une activité rentable (prêt pour entreprise ou pour l’exécution d’un projet) ou d’un projet à dimension social (prêt aux particuliers ou à des entités publiques). Dans le premier cas, suivant que les acteurs estiment le projet viable, ils y participeront en tant qu’investisseurs et non en tant que banquiers. Dans ce contexte, les fonds investis dans le projet seront rémunérés en fonction des bénéfices générés et du quota dans le capital. L’avantage dans un tel système est que le prêteur « islamique » subira les risques inhérents au projet. Dans le second cas, le prêteur se prémunit des risques liés à l’investissement.

L’objectif est donc de répondre à un besoin financier réel tout en supportant les risques et en accompagnant l’emprunteur dans la réalisation de ses projets. Pour ce faire, le système financier islamique s’appuie sur un groupe bancaire, qui a les mêmes attributs que le groupe de la Banque Mondiale : la Banque Islamique de Développement ; et un ensemble de banques commerciales islamiques.

La mobilisation de fonds sur le marché financier islamique peut se faire auprès de banques commerciales islamiques, auprès de la Banque Islamique de Développement (BID) dont les activités concernent notamment le développement socio-économiques ou à travers l’émission de sukuks. Les sukuks sont des certificats d'investissement qui fonctionnent selon les mêmes critères présentés précédemment. Ils consistent pour le détenteur à participer à l’achat d’un bien qui sera revendu à un prix majoré au client, qui rembourse alors selon un échéancier sur lequel les deux parties se sont entendues. Il percevra ainsi comme rémunération du sukuk la marge en fonction de son niveau de participation.

La Finance Islamique en Afrique

L’exercice de la finance publique est essentiellement du fait de la BID. Sur les 56 membres de cette banque, 22 sont africains dont 17 en Afrique subsaharienne (12 sont Ouest-Africains). Au troisième trimestre 2013, les engagements de la BID dans le monde aurait atteint une centaine de milliards de dollars. En Afrique ces interventions sont plus concentrées au Maghreb. Pour renforcer sa présence en Afrique subsaharienne, la BID avait mis en place en 2008 un programme spécialement dédié à l’Afrique : le Programme Spécial pour le Développement de l’Afrique doté d’un portefeuille de 12 Mds USD (dont 4 de fonds propres de la BID et les 8 autres auprès de ses partenaires) sur la période 2008-2012 sur des thématiques telles que l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et l’assainissement, l’énergie, le transport, les infrastructures, l’éducation, le renforcement des capacités, la santé et le contrôle des maladies transmissibles. Le bilan de ce programme révèle que ce sont au total 13 Mds USD qui ont été engagés à travers ce programme dont 5 provenant des fonds de la Banque, dont 59% pour l’Afrique subsaharienne.

La BID en soi constitue une institution solide, qui peut mobiliser autour d’elle d’autres bailleurs susceptibles de financer des activités de développement en Afrique. Les principales agences de notation du monde lui attribuent un niveau de risque nul. Comme dans le cadre du PSDA, elle a pu permettre aux pays africains de disposer de 8 Mds USD supplémentaires, mobilisés auprès de ces partenaires. Si la BID ne conditionne pas ces interventions par des critères socio-politiques[3], très fréquents dans le cadre africain et qui pourraient constituer une source de risque, sa force réside dans le choix des projets dans lesquels elle intervient mais aussi à ses principes de fonctionnement fortement ancré dans les principes de la charia.

Elle dispose d’autres outils similaires à la Société Financière Internationale (IFC) de la BM[4] (la Société islamique de développement du secteur privé – SIDSP) et son Agence Multilatérale de Garantie des Investissements[5] (la Société Islamique d’Assurances des Investissements et des Crédits à l’exportation – SIAICE) destinés au secteur privé, très peu connus sur le continent.

Quelques banques commerciales islamiques sont présentes sur le continent mais sont plutôt concentrées dans les pays du Maghreb. Leur émergence dans la zone subsaharienne est contrainte par une mauvaise connaissance du marché financier islamique, à une réglementation qui ne favorise pas leur établissement mais aussi aux conditions d’endettement assez particulières des pays africains auxquels le Fmi exige de n'avoir recourt qu'à des ressources financières comprenant au minimum 35% de dons. 

Il est évident que l’Afrique pourrait profiter de l’expansion de la finance islamique. Les principaux acteurs de ce marché alternatif à la finance classique ont, pour leur part, déjà adopté une stratégie devant leur permettre de s’implanter durablement sur le continent, présenté aujourd’hui comme l’un des moteurs de la croissance mondiale. Quelques bureaux régionaux de la BID ont déjà été installés : une pour le Maghreb, l’Afrique de l’ouest et l’Afrique de l’est. La BID œuvre déjà pour l’assouplissement du cadre réglementaire afin de favoriser l’implantation de banques commerciales islamiques.  Elle oriente de plus en plus les Etats vers les sukuks. L’Afrique, de son côté, devrait tenter de s’approprier cet outil qui présentent de nombreux atouts, en s’impliquant un peu plus dans le processus de son installation sur le continent à travers la réglementation et en portant une attention particulière sur les approches utilisées dans la détermination des marges mais aussi en développant ses capacités en termes de négociation, qui jusque-là constituent un goulot d’étranglement dans le processus de développement de l’Afrique. 

Foly Ananou


[1]Ph.D. en finances islamiques.

 

 

[2] Economiste principal au Bureau Régionale de  la Banque Islamique de Développement.

 

 

[3] Elle n’intervient d’ailleurs jamais sur des questions d’ordre juridico-politique

 

 

[4] chargé du développement du secteur privé

 

 

[5] qui garantie les investissements étrangers dans les pays en voie de développement. 

 

 

Pourquoi les institutions sont-elles primordiales pour le développement ?

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions.

Un aperçu sur le concept d’institution

Lorsqu’on aborde la question des institutions, la première interrogation qui vient à l’esprit est celle de sa définition précise. Qu’entend-t-on par institution ? Quelle est sa nature et d’où provient-elle ? Emane-t-elle de la société, d’un ordre préétabli, ou les deux à la fois ? Lorsqu’on parcourt les auteurs qui ont travaillé sur la question, on s’aperçoit qu’ils ne donnent pas une définition précise au concept. Il s’agit donc d’un concept flou mais qui peut être appréhendé de façon générale comme l’ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de la société. Formellement, l’institution se caractérise par la loi. On pourrait donc recourir à Montesquieu (Charles-Louis de Secondat) pour définir les institutions comme les « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ».[1] Ainsi, son champ recouvre notamment la famille, la politique et l’économie.

Partant du fait que la distribution du pouvoir de décision et l’organisation des échanges occupent une place très importante dans toute société, nous nous focaliserons sur les institutions politiques et économiques. Selon les termes de Acemoglu et Robinson, les institutions politiques et économiques, peuvent être inclusives ou extractives.

Les institutions politiques inclusives favorisent la participation et la représentation de tous les groupes d’intérêts de la société (e.g. la démocratie) ; contrairement aux institutions politiques extractives qui excluent une partie de la population (e.g. la ségrégation ou l’apartheid). Quant aux institutions économiques, elles sont inclusives dès lors qu’elles permettent la libre participation de toutes les personnes au processus d’échanges et garantissent le droit de propriété privée. Au contraire ; les institutions économiques extractives excluent une partie de la population du processus d’échanges économiques (notamment en interdisant sa participation aux activités économiques pour lesquelles elle est la plus productive), ou favorisent l’accaparement de la propriété privée de la majorité par la minorité. Cet accaparement peut porter sur des capitaux physiques (terres, biens immobiliers, etc.), des capitaux financiers et même sur la force de travail (esclavage, travaux forcés, etc.). Les lois qui promeuvent la libre entreprise et la concurrence illustrent les cas d’institutions économiques inclusives, alors que l’esclavage est l’exemple extrême d’une institution économique extractive.

Pourquoi les institutions sont-elles primordiales pour le développement ?

Dans l’hypothèse où les institutions peuvent être à la base du développement, on passe de la nécessité des moyens de financement aux conditions suffisantes pour assurer la pérennité des acquis du développement économique. A ce propos, le modèle de réflexion proposé par Acemoglu et Robinson présente le développement comme le résultat d’une interaction entre des institutions politiques et économiques inclusives.  La primauté des institutions vient du fait que l’interaction entre des institutions politiques et économiques inclusives génère des « forces » capables d’engendrer et d’entretenir le bien-être matériel, la paix et la sécurité de toute la société. Le tableau suivant résume les conséquences de cette interaction selon la qualité des institutions.

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Source : Extrait de la Presentation de Acemoglu et Robinson

D’après la théorie de Acemoglu et Robinson, il faut des institutions politiques et économiques inclusives pour garantir l’émergence et le maintien du développement. Les institutions politiques inclusives se caractérisent par une large distribution du pouvoir politique et une centralisation des décisions politiques. Quant aux institutions économiques inclusives, elles se caractérisent par la liberté d’entreprendre et la garantie de la propriété privée. Comment donc la conjonction d’institutions inclusives est un gage de développement ?

En effet, une large distribution du pouvoir politique entre divers groupes d’intérêt permet d’éviter les modifications des lois au profit d’une minorité. Même au sein de la minorité susceptible d’avaliser un changement biaisé des lois, chacun envisage ce qu’il adviendra lorsqu’une autre minorité aussi puissante voudra modifier les lois à sa convenance. Il s’en suit alors un cercle vertueux de maintien des lois tant qu’elles sont bénéfiques pour la majorité. De même, la centralisation des décisions politiques atténue les conflits entre territoires indépendants et assure la coordination de l’action publique. Cette centralisation surtout nécessaire dans des Etats embryonnaires. Selon les chercheurs, la Somalie illustre bien les conséquences d’une absence de centralisation du pouvoir politique.

La liberté d’entreprendre laisse l’opportunité à tout entrepreneur de s’engager dans des projets tant qu’ils sont rentables.[2] La promotion de la concurrence en est une parfaite illustration.[3] Au contraire, les licences nécessaires pour entamer certaines activités économiques sont typiquement contraires à ce principe. Le cas des licences de taxis dans certaines villes ou celui des habilitations à exercer certains métiers (avocats, médecins, etc.…) illustre bien les barrières à l’entrée érigées pour protéger la rente des de ceux qui exercent déjà ces métiers.

Le respect et la garantie de la propriété privée par l’Etat, qu’elle soit physique (mobilière ou immobilière), financière ou humaine, encourage la création destructive, i.e. de l’innovation qui remplace des anciennes technologies. Ce principe génère un afflux continu de nouvelles idées qui permettent aux sociétés de se renouveler. L’expropriation des terres par les rois tous puissants, selon toute vraisemblance très fréquente dans un passé récent au Congo, explique en partie pourquoi les agriculteurs étaient réticents à adopter les nouvelles technologies pour augmenter leur rendement agricole.

Malgré leurs incidences positives sur le bien-être des sociétés, ces forces rencontrent d’importantes résistances partout dans le monde. En règle générale, les institutions extractives bénéficient toujours à quelques minorités et tend à se perpétuer à coups de répression et de pauvreté. Ainsi, rares sont les pays dans lesquels l’ensemble de ces principes sont respectés. En particulier, l’importance de l’innovation dans l’augmentation permanente des niveaux de vie et le rôle de la concurrence dans sa promotion sont des paradigmes relativement récents. Ces résistances à la mise en place d’institutions inclusives est en grande partie responsables de la pauvreté un peu partout dans le monde et en particulier en Afrique. L’un des intérêts du modèle de réflexion proposé par Acemoglu et Robinson est qu’il permet d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement. La deuxième partie de cette série d’articles sera consacrée à l’exposé de ces forces.

Georges Vivien Houngbonon

Les institutions inclusives en action  : L’innovation de Thomas Edison

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[1] A mon avis, c’est probablement pour se démarquer des juristes que les économistes désignent les lois sous le vocable d’institutions.

 

[2] L’intervention de l’Etat est souhaitable dans les cas où le projet privé a une incidence positive ou négative sur toute la communauté (externalités).

 

[3] Quand bien même, il existe des limites à la concurrence.

 

Les classes moyennes en Afrique : un moteur de développement ?

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Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Qu’est la classe moyenne, dans un espace où l’on considère que plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Que représente-t-elle ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article introduit une série d’articles concernant la classe moyenne en Afrique.

Le concept de classe moyenne en Afrique n’est pas récent, mais son importance comme moteur de développement est de notre millénaire. Déjà à l’époque coloniale, le concept existait avec ce qui était dénommé « auxiliaires indigènes du colonisateur ». Aujourd’hui, il occupe une place importante dans le discours des partenaires financiers au développement.

Fruit de l’afro-optimisme contemporain, le concept prend racine dans une théorie économique qui stipule que la croissance économique entraînerait une augmentation des revenus et donc de la consommation, puis des investissements productifs qui, eux-mêmes seraient favorables à la croissance économique. Un tel mécanisme suppose donc qu’une partie de la population profite suffisamment de la croissance économique, en ayant accès à un niveau de revenu lui permettant de sortir de sa situation de pauvreté. Cette évolution de la structure sociale sera suivie par une modification des habitudes de consommation. La consommation ne se limitera plus à la couverture des besoins de base ; elle s’étendra au-delà de la nécessité de survie et aux loisirs, permettant de renforcer l’activité économique en incitant à l’industrialisation et à une diversification du tissu économique.

Ces changements de comportements pourraient aussi affecter la sphère politique. Les classes moyennes auraient accès à termes à l’information, à l’éducation et pourraient ainsi se construire une expérience suffisante sur la base des pratiques observées dans d’autres pays. Tout ceci, leur donnant les moyens de participer activement au débat politique, et par voie de conséquence, de contribuer effectivement au processus de démocratisation. L’accumulation de connaissances et d’expériences importées d’ailleurs devrait, par ailleurs, se traduire par l’émergence de l’individualisme – signe de l’émancipation des individus par rapport aux pratiques traditionnelles et aux principes de la solidarité. En fait, il ne s’agit là que d’une caricature de ce qui est considéré comme classe moyenne dans les pays développées et dans une moindre mesure de la vision qu’ont les principaux partenaires financiers au développement de l’Afrique et qui justifie l’intérêt qu’ils portent à l’émergence de classes moyennes en Afrique.

En dépit de cette présentation reluisante du rôle de la classe moyenne, il est néanmoins nécessaire d’être prudent quant à son importance en Afrique. Au-delà du fait que l’appartenance aux classes moyennes reposent sur des considérations monétaires et relatives au coût de la vie, l’Afrique présente des particularités qui rendent presque impossible la projection de l’image des classes moyennes dans les pays développés sur le continent. [1] 

En effet, le secteur informel occupe une place importante dans l’économie des pays africains, de sorte qu’il est difficile de déterminer de façon strictement objective une frontière entre personnes pauvres et personnes appartenant à la classe moyenne. La réduction lente de la pauvreté en pplus de l'importance du secteur informel constituent un frein à l'émergence d'une véritable classe moyenne en Afrique. Si des stratégies de développement existent dans tous les pays du continent, notamment dans le cadre des OMD, leur mise en œuvre et les résultats qu’elles fournissent ne sont pas très convaincants. Par ailleurs, le processus de démocratisation en Afrique n’est réduit qu’à la tenue régulière d’élections sans un réel changement dans les régimes ni dans le dialogue politique.

Si une chose est certaine, c’est que la dynamique économique du continent a induit l’émergence de nouveaux groupes sociaux qui modifient son paysage social. Analyser la dynamique de ces groupes permettra certainement de mieux encourager l'émergence de la classe moyenne africaine et d’en faire un levier de développement pour le continent. Les prochains articles portant sur ce thème abonderont dans ce sens. Ils feront l’état des lieux au regard des critères « socio-économiques » caractéristiques des classes moyennes (revenu/consommation et comportements) et analyseront leurs impacts sur l’activité économique et l’environnement politique des pays africains.

Foly Ananou


[1] Selon la BAD, appartient à la classe moyenne en Afrique toute personne dont les dépenses sont comprises entre 2 USD et 20 USD PPA par jour alors qu’en France, sera considéré comme individu de la classe moyenne une personne dont le revenu mensuel (hors impôts et prestations sociales) se situent entre 1 163 et 2 127EUR. 

 

 

Pour un développement sain des marchés financiers africains

Y a-t-il des marches financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi d’aider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série d’articles sur les marchés financiers que nous vous proposons répond à ces questions.

Après un tour rapide de l’expansion des marchés financiers en Afrique et un exposé de leurs avantages et inconvénients, nous concluons cette série avec les mesures à prendre pour un développement harmonieux de ces marchés.

520871-001Un meilleur cadre juridique et règlementaire

L’environnement légal et réglementaire qui régit le cadre de fonctionnement des bourses du continent laisse a désirer. En cause, des droits de propriété mal définis, des difficultés chroniques à faire respecter les contrats et une protection légale déficiente. Cette situation a notamment pour corollaire une forte concentration du secteur bancaire, un faible taux d’intermédiation, des taux d’intérêt requis trop élevés et des appels de garantie qui entravent l’accès au crédit.

Il faut donc mettre en place des structures juridiques fortes et compétentes pour protéger les investisseurs, faire respecter les contrats et les droits de propriété qui doivent être mieux définis. Il ne fait aucun doute que tout ce qui va dans le sens d’une meilleure stabilité économique et d’une amélioration de la confiance des investisseurs et de l’environnement des affaires participe du développement des marchés financiers.

Aussi faut-il que ces marchés se développent en évitant autant que possible les excès qu’ils engendrent dans les pays développés et qui peuvent être très déstabilisateurs pour l’économie réelle des pays africains – comme nous l’avons indiqué dans le troisième article de cette série. Il faut donc que les institutions de régulation prennent la mesure de la complexité et des risques associés aux produits et opérations qu’ils autorisent afin qu’une régulation ferme et adéquate adapte l’instrument boursier au contexte des économies africaines. Pour l’instant, les produits autorisés sur les marchés sont essentiellement des actions et des obligations, il y a très peu de place pour les produits dérivés. Au fur et à mesure du développement des économies, un recours pourra être fait à des produits plus complexes notamment pour améliorer la couverture des risques mais cette démarche devra être progressive et prudente.

Un meilleur système financier

Il faut également renforcer les services bancaires et la bancarisation car il n’est pas de marchés de capitaux forts et développés quand le secteur bancaire est encore immature. Le secteur doit donc être mieux ouvert à la concurrence tout en étant davantage  régulé – à travers les contrôles de ratios prudentiels par exemple. L’offre bancaire de produits d’épargne et d’emprunt doit également s’adapter aux besoins locaux.

Une autre mesure qui s’impose, consiste à utiliser le dynamisme du secteur financier informel déjà en place et à en accroître le volume d’activité. Les institutions de microcrédit par exemple doivent être plus formalisées et incitées à élargir leur gamme de produits financiers destinée aux PME. Pour toucher une population plus importante[2], il faut que des outils financiers innovants soient développés notamment en utilisant des technologies comme la banque par téléphone très développée au Kenya notamment.

Ce souci d’adaptation au contexte local doit également se ressentir dans l’organisation des bourses locales. Ces dernières devraient proposer un segment réservé aux entreprises de taille moyenne comme c’est déjà le cas au sein de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM). Ainsi, les bourses pourront augmenter le nombre des entreprises cotées et réduire le manque chronique d’instruments financiers adaptés aux PME, largement majoritaires sur le continent et qui préfèrent souvent rester dans le secteur informel, faute de services financiers taillés pour elles.

Pour développer la base des investisseurs, les gouvernements africains devraient prendre des mesures pour inciter la création de fonds d’investissement, de fonds de pension et de caisses de retraites qui sont de puissances capteurs d’épargne et d’éminents détenteurs de titres financiers.

Des bourses mieux organisées et plus intégrées

Sur le plan opérationnel, il faut que les bourses africaines automatisent leurs opérations et passent aux systèmes électroniques. Ce n’est pas le cas pour l’extrême majorité des bourses du continent. Cette automatisation réduit les coûts de transaction, améliore la liquidité et réduit les risques liés aux systèmes manuels. Au Nigéria, la bourse a adopté en 2013 le système X-Stream du groupe NASDAQ OMX, ce qui a permis à la plateforme de gagner en vitesse et en efficacité.

La taille des économies sur lesquelles s’appuient ces marchés financiers est un déterminant important de leur développement. Même avec un bon pilotage macroéconomique et institutionnel, certains pays africains sont tout simplement trop petits pour espérer avoir une bourse avec des niveaux de capitalisation, d’échanges et de liquidité importants. Il est donc nécessaire d’aller vers une plus grande intégration des marchés financiers en suivant l’exemple de la BRVM[3] et de la BVMAC[4].

Un article[5] paru dans Afrique Renouveau résume bien la situation en matière d’intégration des bourses africaines : “Bien que les avantages qui résultent de l’intégration régionale soient évidents (marché de plus grande taille, coûts moins élevés et accroissement des liquidités), celle-ci ne bénéficie pas encore des conditions optimales pour se développer. D’après les experts financiers, il faudrait pour ce faire que les pays africains harmonisent leurs lois commerciales et leurs normes comptables, mettent en place des monnaies convertibles et instaurent entre eux un système de libre-échange. Le nationalisme tient ici un rôle non négligeable, les pays africains ayant tendance à considérer les places boursières comme des symboles nationaux et, de fait, ils ne sont pas pressés d’en abandonner le contrôle.”

Une plus grande intégration de ces bourses sera également un pas de plus vers une meilleure intégration africaine. L’accord de partenariat entre l’indice boursier britannique (FTSE) et 16 des 22 membres de l’Association des Bourses Africaines (ASEA) en 2012 consiste l’une des dernières tentatives importantes en matière d’intégration. Selon Siobhan Cleary, la directrice de la stratégie et des politiques publiques de la Bourse de Johannesburg, « l’index aidera à améliorer la visibilité des bourses africaines tout en donnant aux investisseurs la possibilité d’accéder aux actions africaines ».  C’est le genre d’initiatives qui devrait essaimer dans tout le continent.

 

Tite Yokossi

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Document de travail pour la réunion ministérielle de la table ronde d’experts de l’initiative NEPAD – OCDE, 11-12 Novembre 2009. Afrique : développer les marchés financiers pour la croissance et l’investissement

Jeune Afrique. 20 Décembre 2012. Les marchés financiers doivent être une véritable alternative au financement bancaire

http://www.nextafrique.com/blogs/afro-business-360/dix-mesures-pour-booster-les-marches-financiers-africains

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains

 

 


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

[2] Moins de 20% des particuliers, en Afrique subsaharienne, disposent d’un compte en banque.

 

[3] La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) créée en 1996 et basée à Abidjan regroupe 8 pays d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina-Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo.

 

[4] La Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC), sise à Libreville, est commune à la République Centrafricaine, au Tchad, au Congo, au Gabon et à la Guinée Equatoriale. 

 

[5] http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains

 

Les risques et coûts associés à l’essor des marchés financiers en Afrique

Y a-t-il des marchés financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi d’aider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série d’articles sur les marchés financiers que nous vous proposons répond à ces questions.

Après un tour rapide de l’expansion des marchés financiers en Afrique et un exposé de leurs avantages, nous nous intéressons ici aux coûts qu’ils engendrent pour les entreprises et aux risques qu’ils font peser sur les économies du continent. Si ces inconvénients ne justifient pas de se détourner des marchés de capitaux, ils doivent être pris en considération dans la réflexion pour développer sainement l’instrument boursier.

520871-001Les inconvénients pour les entreprises

La cotation en bourse n’a pas que des avantages pour les entreprises. Elle s’accompagne de contraintes importantes qui peuvent s’avérer très coûteuses et difficiles à gérer. En premier lieu, les entreprises cotées en bourse doivent distribuer des dividendes à leurs actionnaires et maintenir une croissance importante année après année. Des obligations qui peuvent les pousser à ne pas prendre les décisions les plus optimales à long terme. Une entreprise non cotée a plus de liberté dans sa stratégie de développement et peut se permettre d’avoir des profits plus bas pendant un certain temps afin d’atteindre un objectif plus ambitieux.

Les entreprises à l’actionnariat large car ouvert au public sont également dans l’obligation de rendre des comptes à l’ensemble de leurs actionnaires, ce qui réduit la marge de manœuvre des dirigeants et peut coûter cher. Ces exigences et coûts administratifs sont démultipliés dans le cas de la cotation multiple. Se mettre en conformité avec les exigences de marchés différents et réaliser tous les audits nécessaires revient cher à un groupe comme Ecobank.

Si l’admission en bourse est en général associée à une meilleure gouvernance, elle oblige néanmoins les entreprises à rendre publiques des informations qui sont essentielles pour leur compétitivité et que peuvent utiliser la concurrence.

Les inconvénients pour les économies

Le recours aux marchés financiers peut également inciter les dirigeants d’entreprises à des comportements inconsidérés, notamment des prises de risques importantes faisant peser sur les économies la menace de crises financières. Au Nigéria par exemple, les banques recapitalisées grâce au recours à des marchés financiers se sont ainsi mises à accorder de nombreux prêts dans le but de financer l’achat d’actions survalorisées. S’il est souhaitable que les projets d’entreprises bien ficelés trouvent des financements, il est dangereux pour une économie que les banques prêtent abondamment sans bien étudier la viabilité des projets concernés.

Même son de cloche avec les Margin loans développés aussi au Nigéria. Ces prêts permettant l’achat d’action favorisent des logiques et des comportements de court-terme qui, dans un environnement relativement peu liquide, peuvent être préjudiciables à l’équilibre financier et économique de la sous-région.

Les risques que font courir à la société les excès récurrents des marchés de capitaux se sont matérialisés à travers les dernières crises financières qui ont secoué l’économie mondiale. La dernière en date a été engendrée notamment par une exubérance du crédit pour le logement accordé à de nombreux emprunteurs qui n’offraient pourtant pas de garanties suffisantes. La bulle ainsi créée était due, entre autres, au fait que ceux qui prêtaient ne portaient pas le risque de leurs actions. Ce risque était canalisé par des montages financiers compliqués vers des investisseurs qui pour la plupart n’en étaient pas conscients (fonds de pension, investisseurs institutionnels de tout genre etc.) Cette crise financière du crédit adossée à une crise du logement s’est ensuite propagée aux autres secteurs de l’économie ainsi qu’aux autres pays du fait de l’interconnexion des économies.

Dans un contexte africain où les cadres règlementaires sont insuffisamment pensés et adéquats, de tels risques sont à craindre davantage. Sans une régulation ferme et adéquate, les opérateurs de marché peuvent utiliser les bourses financières dans l’unique but de spéculer. Les avantages des marchés peuvent alors être complètement contrebalancés.  La cause  potentielle: des comportements décorrélés de la valeur même des entreprises dans un contexte qui le permet et le favorise même. Les conséquences à suivre: une plus grande volatilité des actifs, des prix qui n’informent plus sur les fondamentaux et le risque systémique qui peut rapidement devenir important.

Un système financier basé sur les banques ?

En raison des inconvénients de ces marchés financiers, la question d’un système financier qui repose uniquement sur les banques est posée. Ces dernières en leur qualité d’intermédiaires financiers sont aussi en mesure de capter l’épargne et de la diriger vers les entrepreneurs tout en sélectionnant les projets les plus potentiellement rentables. Les banques peuvent acquérir plus d’informations sur une entreprise en particulier que l’investisseur moyen qui a accès aux marchés. Par conséquent, elles peuvent se retrouver en meilleure position pour contrôler les entreprises. Les banques peuvent également réduire les coûts de transaction pour les petits entrepreneurs et investisseurs.

Les marchés financiers offrent par rapport aux banques une meilleure impartialité quant à l’allocation des ressources aux entreprises du fait d’un risque moindre de relation privilégiée quelconque. D’autre part, les marchés financiers offrent aux investisseurs un menu plus varié et plus personnalisé d’instruments de diversification et de couverture du risque. Les marchés ont une capacité bien plus importante à mobiliser l’épargne destinée à l’investissement et au financement des entreprises. Enfin, l’intéressement, le dévouement, la fierté même qui découlent de l’actionnariat populaire en Afrique[2] sont des éléments qui ne peuvent venir d’un système basé sur les banques.

Une analyse statistique[3] simple qui étudie l’impact de l’activité bancaire et des marchés financiers montre que, prises isolément, ces variables ne sont pas  statistiquement explicatives de la croissance économique. En revanche, l’activité financière qui regroupe les deux, est solidement corrélée à la croissance. Sans parler de causalité, il s’agit là d’un argument de plus dans la direction de la complémentarité des banques et des marchés financiers. Ces derniers se renforcent mutuellement et la maturité des deux secteurs est indéniablement associée au développement économique. Aucun consensus ne se dégage cependant sur le sens de la causalité entre le développement économique et le développement financier mais il semble indiscutable qu’ils se soutiennent réciproquement et qu’il peut émerger un cercle vertueux qui aurait d’énormes avantages pour les pays africains. C’est donc à la question des éléments nécessaires à un développement sain de ces marchés financiers sur le continent que répondra le dernier article de cette série.

Tite Yokossi

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Jeune Afrique. 20 Décembre 2012. Les marchés financiers doivent être une véritable alternative au financement bancaire

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

[2] Les avantages de l’actionnariat populaire en Afrique ont éte détailles dans le deuxième article de cette série.

 

[3] La revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010

 

Le dilemme de l’électrification rurale

Nouvelle imageDu 25 au 30 Décembre dernier se tenait à Djibouti un sommet africain sur le thème de l’électrification rurale.  Une trentaine de pays aussi bien francophones qu’anglophones ont répondu à l’appel. L’objectif était de faire un bilan du sous secteur de l’électrification rurale. À travers ce billet, nous tâcherons d'en faire la synthèse et de mettre en exergue les difficultés auxquelles font et feront face les pays africains.

L’électrification rurale a toujours été au cœur des enjeux de développement du continent africain. Sa spécificité tient du fait qu’au nom de la péréquation spatiale[1], toutes les régions d’un pays doivent être raccordées au courant conventionnel, tout en garantissant à chaque habitant un même service, une même qualité et un même prix d’accès. Mais compte tenu de l’hétérogénéité des superficies des pays du continent, nous comprenons d’emblée l’enjeu des politiques d’électrification rurale quand on sait qu’à PIB quasiment similaire[2], le Bénin (PIB 2005 : US$ 13Billion[3]) avec une superficie de 112 622km2 doit électrifier toutes ses zones rurales au même titre que le Mali (PIB 2005 : US$ 15Billion) avec une superficie de 1.240.192km2. Pourtant, ces pays ont tous ratifié les objectifs du millénaire pour le développement avec des cibles d’environ 30 à 50% de couverture des zones rurales à l’horizon 2015.

En comparant les statistiques relatives au taux d’accès à l’énergie électrique en zone rurale[4] présentées lors du sommet, nous remarquons une certaine homogénéité des pays africains hors Afrique du Sud et Afrique du Nord : Madagascar a un taux d’environ 5% en 2012, le Bénin entre 4 et 6%, la Côte d’Ivoire une moyenne de 34%, le Cameroun est à 12%, la Zambie à 4.5%, le Niger à moins d’un pour cent et enfin la Somalie à environ 20%. La plupart des pays aussi bien anglophone que francophone oscillent entre 5 et 30%, en fonction de leur taille, de l’intérêt qu’accordent les gouvernements en place au sous secteur[5], et de la structure de tutelle en place.

Concernant l’organisation du sous-secteur, il s’agit d’un point déterministe car suite aux recommandations du FMI et de la Banque Mondiale dans les années 1990 dans le cadre de l’accélération de l’électrification des zones rurales, deux groupes se sont formés : les uns privilégiant le renforcement des structures étatiques, avec une hausse considérable des montants alloués au sous secteur (en l’occurrence le Maghreb et l’Afrique du Sud), les autres (pour la plupart sub-sahariens) allant dans le sens de la création d’agence ou de structures spécialisées d’électrification rurale.  Sans revenir sur les résultats et  les performances annuelles de chacun des groupes, la tendance nous indique que le premier groupe, a réussi en moins de 20 ans à atteindre des niveaux d’électrification rurale supérieurs à 80%, contrairement au second groupe qui peine à atteindre les 30%. En l’absence de statistiques fiables qui nous auraient permis de faire des conclusions critiques, nous pouvons toutefois émettre quelques hypothèses: la mise en place d'agences, au détriment du renforcement des sociétés nationales d’électricité pose le problème de leur autonomie financière notamment leur dependance à la création de nouvelles lignes budgétaires et/ou de subventions que l’État n’arrive pas toujours à honorer et leur forte dépendance aux bailleurs de fonds internationaux dont les montants accordés ne peuvent toujours être budgétisés. Et ce, malgré le fait que le budget de ces agences dépend le plus souvent d’une ponction imputée sur les factures des abonnés ou des « rentes » ou tirées d’une libéralisation de la filière par des concessions, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire.

Pour finir, nous aborderons le dilemme de l’approvisionnement et de la fourniture d’énergie électrique dans les zones rurales. Bien qu’il n’existe pas de définition arrêtée « d’une zone rurale », une zone peut se définir comme rurale compte tenu du nombre d’habitants (jusqu’à 5000 habitants par exemple), de son poids économique, ou de sa proximité avec le réseau conventionnel. Dans le cas du Bénin, l’Agence en charge de l’électrification rurale s’est donnée comme seuil d’action 20 km des lignes du réseau national. Mais à la vue de la superficie de certains pays ainsi que des questions relatives au coût du kWh produit, l’électrification rurale pose le double enjeu de pouvoir rendre accessible l’énergie électrique sans augmenter le coût d’accès. Même dans les pays comme la Côte d’Ivoire[6] et le Ghana où le mix énergétique est très intéressant, la base[7] est assurée le plus souvent par du thermique (gaz, jet-A1 ou autre combustible), l’hydraulique étant très dépendant des saisons climatiques. Quand on tient compte des pertes d’ordre techniques et non techniques, il devient alors important de promouvoir les sources de production décentralisées dans les zones rurales très éloignées. Les choix de ces sources décentralisées (solaires, éoliens, hybride diesel-renouvelables, hybride renouvelable-micro barrage, etc.) doit se justifier par des analyses cout-bénéfices pointues, et contingentes entre le coût de ces nouvelles sources d’énergie et le coût très onéreux de l’extension du réseau. En effet, comme nous l’avions toujours dit, l’énergie est ce bien social économiquement inaccessible pour tous, qui se doit toutefois d’être disponible pour tous.

 

                                                                                                                      Leomick SINSIN

 


[1] La péréquation est un mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales

[2] Se baser sur le PIB ne permet pas de comparer les performances économiques des pays mais juste d’avoir un indice de de mesure du niveau de richesse réel généré

 

 

 

 

 

[3] WorldWiki

 

 

 

 

 

[4] Rappelons que le taux d’accès se calcule sur la base du nombre de localités électrifiées par le nombre total de localités du pays

 

 

 

 

 

[5] L’importance des gouvernements dépend du budget annuel alloué à l’électrification rurale

 

 

 

 

 

[6] 57% de thermique et 43% d’hydraulique

 

 

 

 

 

[7] La base constitue la source d’énergie la plus utilisée pour la production d’énergie en continue, contrairement à la pointe qui constitue la source activée pour répondre à l’énergie marginale à produire

 

 

 

 

 

A quoi peuvent bien servir des marchés financiers en Afrique ?

Y a-t-il des marchés financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi daider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série darticles sur les marchés financiers dont voici le deuxième volet, répond à ces questions.

La valeur du crédit accordée par lensemble des institutions financières africaines au secteur privé représente 18% du PIB contre plus de 100% pour les pays développés. Les systèmes financiers africains sont encore largement dominés par les banques qui sont en moyenne petites et dont le taux de pénétration dans l’économie reste faible. Les marchés financiers ont donc toute leur place dans ce contexte. Ils  offrent aux entreprises une bonne alternative pour lever des fonds et financer leur stratégie de développement et donnent aux petits investisseurs de nouvelles solutions pour rentabiliser leur épargne. Ils peuvent également favoriser ladhésion populaire à la réussite de grands groupes africains.

148877329Une incitation à l’épargne, une solution dinvestissement et de financement

Quant ils sont efficaces et régulés, les marchés financiers font le lien entre les épargnants qui ont des capitaux et les entrepreneurs les plus productifs qui en ont besoin. Des marchés financiers matures mettent en relation ces acteurs de façon fluide et transparente. Ces marchés permettent également aux investisseurs de gérer et de diversifier les risques.

Ils fournissent une alternative à de l’épargne africaine bloquée sur des actifs à faible taux de rendement, par manque d’opportunités, ou investie à l’étranger pour essentiellement la même raison. En effet, les actifs de qualité sont rares sur le continent et se limitent souvent à l’immobilier et aux titres publics tels que les bons du trésor.

D’autre part, de nombreux investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension et les sociétés d’assurances n’ont pas le droit d’investir à l’étranger, ils ont donc des liquidités importantes souvent piégées sur des actifs à faible rendement. La présence de marchés financiers plus actifs donne désormais une solution d’investissement à ces institutions.

La promotion de lactionnariat populaire : une bonne nouvelle pour les petits épargnants et pour les entreprises

Les marchés financiers africains permettent à des programmes de privatisation nécessitant des fonds conséquents de se dérouler avec l’aval, la participation et l’appui de la population locale à travers l’actionnariat populaire. L’introduction en bourse de l’ONATEL, l’entreprise nationale de Télécommunications du Burkina Faso, en 2009 en est un exemple éloquent. L’Etat Burkinabé a ainsi pu céder 20% de son capital via la participation de plus de 3300 particuliers à l’actionnariat de cette entreprise. Quant on sait que le taux de souscription pour l’entrée au capital de cette entreprise a été de 140% et que seulement 200 000 personnes sont recensées comme détenant un emploi formel dans le pays, on se rend compte aisément du niveau de popularité de l’opération. L’ONATEL qui avait été partiellement cédée en 2006 à Maroc Télécom est redevenue dans l’esprit des Burkinabé une société vraiment nationale. Chez de nombreux citoyens du pays, un sentiment de fierté de se sentir associé au succès de cette entreprise, doublé de la satisfaction de trouver une bonne solution d’investissement, prévaut.

L’instrument boursier peut également permettre la participation des salariés d’une entreprise à sa privatisation. C’est le cas de la Société Nationale des Télécommunications du Sénégal (SONATEL) qui a été privatisée en 1999 avec une participation active des salariés à l’achat d’actions. Non seulement des abattements ont été consentis sur le prix des actions permettant à prés de 1500 salariés de l’entreprise d’y trouver leur compte (acquérant ainsi 10% du capital alors valorisé à 32 millions d’Euro, soit 20.8 milliards de FCFA)  mais le paiement a été étalé dans le temps permettant aux actionnaires salariés d’utiliser leurs dividendes à cet effet. Cette participation représente aujourd’hui bien plus de 40 000 euros par salarié c’est-à-dire 26 millions de FCFA dans un pays où le salaire minimum est d’environ 50 000 FCFA et le PIB par habitant d’un peu plus de 500 000 FCFA. Cet actionnariat a permis de mettre en place en 2004 un fonds commun de placement d’entreprise en y basculant quasiment tous les titres, une nouveauté au Sénégal. L’entreprise a ainsi réglé le problème des retraites avec l’aval des syndicats et l’accord des salariés.

Avec ces exemples de privatisation soutenue par la souscription populaire, l’outil boursier permet d’atteindre plusieurs objectifs à la fois : favoriser l’adhésion de la population à un projet de privatisation, l’intéresser à la réussite de l’entreprise en question (un objectif encore plus important quand les personnes qui souscrivent à l’achat des parts sont des salariés), développer un produit d’épargne dans un environnement où les investisseurs locaux et petits épargnants manquent souvent d’actifs de qualité pour investir.

Des entreprises qui gagnent en crédibilité  et dont le potentiel dexpansion saccroit

L’introduction en bourse permet également aux entreprises d’avoir plus de visibilité et d’améliorer leur crédibilité. Cela renforce la confiance des investisseurs dans l’entreprise et multiplie ses opportunités commerciales surtout lorsque les fournisseurs et clients sont eux-mêmes actionnaires de l’entreprise. Le cas de TPSEA (Tourism Promotion Services), un groupe hôtelier leader du marché du tourisme est africain en est un bon exemple. Du fait de son prestige et de sa belle image, tous renforcés par sa cotation en bourse, elle attire et fidélise non seulement ses partenaires commerciaux mais aussi des ressources humaines de grande qualité qui deviennent rapidement des actionnaires. De plus, la cotation de TPSEA à la bourse Kenyane (Nairobi Securities Exchange) lui a permis d’intégrer de nombreux investisseurs a son actionnariat, ce qui en plus d’associer et d’intéresser de nombreux citoyens Kenyans à son succès lui offre d’énormes facilités quand le groupe a besoin de lever des fonds pour s’agrandir.

Cette meilleure visibilité et cette crédibilité renforcée, obtenues sur les marchés financiers, ont pour corollaire une vraie reconnaissance des institutions financières qui sont alors prêtes à octroyer à de telles entreprises un financement relativement peu coûteux, avec des taux d’intérêts bas.

Enfin, Ecobank qui a réalisé en 2006 la première opération de cotation multiple en Afrique  a ainsi pu avoir accès à plusieurs marchés de capitaux et par conséquent a  un pool d’investisseurs plus important et plus diversifié. Les exigences connues de tous de publications de résultats et d’informations capitales des marchés financiers ont donné au groupe une renommée et une crédibilité qui ne se démentent pas et qui lui facilitent l’expansion, les acquisitions et les opérations de recapitalisation.

Mais la cotation multiple n’a pas que des avantages pour l’entreprise ou le groupe qui émet des titres. Elle renforce également la liquidité des titres et donne plus de possibilités aux investisseurs souvent à la recherche de diversification et d’opportunités à l’étranger. En éliminant les opportunités d’arbitrage[2] entre différents marchés, la cotation multiple renforce l’efficience des marchés et en réduit les imperfections.

Cependant, les marchés financiers n’ont pas que des avantages car ils peuvent également déstabiliser l’économie et les entreprises. Le prochain article de cette série abordera les inconvénients et les risques liés au développement des marchés de capitaux sur le continent.

 

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains

 

TIte Yokossi                                                                                                                                       


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

 

 

 

 

[2] Il s’agit des possibilités de réaliser un profit sûr en utilisant le fait qu’un même actif est côté à un prix différent d’un marché à l’autre

 

 

 

 

 

 

 

 

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

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Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.

Les subventions à l’énergie sont-elles nécessaires ?

136120101L’accès à l’énergie à moindre coût pour  les consommateurs occupe une place importante dans le débat politico-économique dans les pays africains. Tout récemment dans son discours de politique générale, Madame le Premier Ministre du Sénégal a annoncé une série de mesures visant à assurer la production d’électricité à un prix raisonnable pour les 13,7 millions d’habitants que compte le Sénégal. Sa vision est d’arriver à fournir au peuple sénégalais l’un des services sociaux les plus importants mais aussi de réduire voir supprimer la ligne budgétaire destinée aux subventions à la Société Nationale d’Electricité (Senelec). Cette logique sénégalaise est la même dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne qui dépensent par an des millions d’euros non pas pour assurer la production, ni l’extension, ni le renouvellement du système de production ; mais pour couvrir en partie les pertes générées par les sociétés nationales d’électricité.

Dans un article précédent, il a été démontré que ces subventions profitent davantage aux plus riches. Cependant, cet argument ne pourrait justifier à lui seul l’abandon ni la réduction des subventions. Avant d’arriver à de telles conclusions, il est important de déterminer de façon précise l’impact qu’aurait une augmentation des prix de l’énergie dans un contexte d’absence de subvention. Coady et al. (2012) ont réalisé à cet effet une étude, qui indique qu’une augmentation de 0.25 USD du prix du carburant en Afrique Sub-saharienne résulterait en une baisse moyenne d’environ 6% du pouvoir d’achat des 40% de ménages les plus pauvres. Cette perte de pouvoir d’achat se ferait surtout de façon indirecte. En fait, une augmentation du prix du carburant impactera à la hausse les prix des produits alimentaires et du transport ; ceci compte-tenu de l’importance du carburant dans la production. 

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Source : Coady and al. (2012). The Unequal Benefits of Fuel Subsidies: A Review of Evidence from Developing World

L’impact global de l’augmentation semble similaire dans tous les groupes de revenus, on constate une variation assez impressionnante suivant le type de produits. L’impact direct d’une hausse du prix de l’essence est plus marqué chez les ménages les plus riches alors qu’une hausse du prix du kérosène impact plus durement les ménages les plus pauvres. La perte de bien-être suite à une hausse des prix de l’essence semble progressive (suivant les quintiles).  L’impact serait d’autant plus important si les dépenses de consommation d’électricité étaient ajustées en tenant compte des inégalités d’accès à l’électricité. En supposant un accès équitable pour tous les ménages, le coût de l’électricité  pour les ménages à faibles revenus  augmente considérablement. Les auteurs de l’étude ont identifié dans le cas du Burkina Faso que dans ces conditions, la dépense en consommation d’électricité pour les 40% des ménages les plus pauvres, représenterait environ 4% de leur dépense totale (à mettre en rapport avec les 0,4% dans le cas d’un accès non régularisé).

Il parait alors évident que, même si les subventions profitent essentiellement aux plus riches, elles permettent de maintenir le pouvoir d’achat des plus pauvres.  Leur maintien semble opportun dans un contexte où la portée des politiques économiques actuelles en Afrique est à caractère social, même si économiquement, les subventions sont moins bonnes pour la performance. Toutefois, une attention plus particulière devra être accordé à ces mesures afin d’assurer un bon ciblage des plus vulnérables.

La subvention ne pourrait cependant pas être directe et encore moins évidente sur les carburants. Dans le secteur de l’électricité où le ciblage est plus ou moins possible, il pourrait s’agir de faire payer aux plus riches une partie de la consommation des plus pauvres, en adoptant une ligne tarifaire plus discriminante. On pourrait ainsi dégager une marge de manœuvre  dans l’allocation des subventions pour financer des investissements dans le secteur. Il faudrait par ailleurs, tout en adoptant des politiques visant à réduire et à réorienter les subventions, assurer le développement du secteur énergétique pour réduire les coûts de production et de facto, de réduire les prix du kWh. La difficulté réside dans le fait même que l’application de subvention empêche l’investissement dans ce secteur. C’est un travail sur le long terme qui nécessitera l’implication du secteur privé et des réformes structurelles. Le Sénégal envisage, par exemple, de relever la production en s’appuyant sur un mix énergétique comprenant charbon et gaz naturel. D’autres pays comme le Kenya et l’Uganda ont mis en place des autorités de régulation du secteur, en plus d’un cadre réglementaire régissant l’activité de production d’électricité. Sur le court terme, les prix peuvent rapidement atteindre des niveaux impressionnants mais permettront au moins, sur le long terme de stabiliser les prix à des niveaux soutenables sans introduction de subventions et indexable aux fluctuations du cours du pétrole.

Somme toute, il n’est pas souhaitable d’instruire une suppression radicale des subventions à l’énergie. Cependant, à terme, cette suppression est nécessaire compte tenu des effets négatifs des subventions sur la production et les investissements dans le secteur de l’énergie. Ceci étant, il est impératif de s’orienter vers la suppression de ces subventions, en passant à une tarification ciblée et en définissant une stratégie de développement du secteur énergétique qui vise à réduire les prix dans le moyen terme. 

 

Foly Ananou

 

Arze del Granado, Coady, and Gillingham (2012), "The Unequal Benefits of Fuel Subsidies: A Review of Evidence from Developing World". World Development, vol. 40 (11)

Les performances économiques de l’Afrique : au delà des ressources naturelles

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Très souvent dans nos analyses, on est porté à affirmer avec aisance que les performances économiques de l’Afrique sont liées à ses ressources naturelles. On ne va pas le nier, les ressources naturelles jouent une partition importante dans cette dynamique mais ne constitue pas toute l’histoire des performances actuelles de l’Afrique. Des économistes du FMI, ont à l’occasion de la revue semestrielle des Perspectives Economiques Mondiales (octobre 2013) réalisé une étude sur le sujet et ont prouvé que la dynamique économique en Afrique n’est pas limitée à la richesse du sous-sol.

Un certain nombre de pays en Afrique ne doivent pas leur performance économique à leurs ressources. En fait, ils n’en ont pas. Dans leur étude, les économistes du Fonds ont considéré les pays suivants qui ont la particularité de ne posséder aucune ressource naturelle : Burkina Faso. Ethiopie, Mozambique, Rwanda, Tanzanie et Uganda. Certains de ces pays sont à peine sortis de situation de crise. Il est assez impressionnant de voir que ces pays ont enregistré sur cette décennie des taux de croissance dignes des pays pétroliers. Selon les investigations des économistes du Fonds, la performance de ces pays est en lien avec une volonté systématique de reformer leur cadre macro-économique, tout en s’appuyant sur des stratégies de développement bien structurées.

UntitledLe Burkina Faso a renforcé ses institutions tout en adoptant un plan stratégique à moyen terme. Ceci, en plus des efforts qui sont faits pour renforcer l’activité dans le secteur du Coton. L’Ethiopie, pour sa part doit ces performances au secteur agricole mais aussi à son secteur touristique et au transport aérien. La Mozambique a su créer un environnement favorable aux investissements directs, qui a renforcé sa position en tant que producteur et transporteur d’électricité dans sa région. Le Rwanda après avoir stabilisé son environnement politique a su relancer son économie en s’appuyant sur une stratégie construite autour du tourisme et de la filière café. En Tanzanie, la carte des réformes aussi bien sur le plan institutionnelle et dans les différents secteurs, a permis le redressement économique du pays. L’Uganda s’est appuyé sur des réformes structurelles depuis le début des années 90, favorables à l’investissement privé tout en diversifiant son panier d’exportations.

Le point commun à ces pays, selon les auteurs de l’étude, est qu’ils ont su mettre en place des politiques économiques pour relancer l’économie dans le moyen terme concomitamment à des réformes structurelles. Ceci a permis  à ces pays de bénéficier d’importants flux d’aide financier et/ou d’allègement de dette, leur fournissant une marge financière pour la mise en place des projets/programmes définis dans leur plan stratégique de développement : que ce soit dans le social, dans les infrastructures ou dans les investissements en capital.

Les secteurs porteurs

Dans l’échantillon de pays considérés pour cette étude, l’agriculture occupe une place importante. Au Burkina Faso et au Mozambique, elle occupe près de 80% de la population active, et près de 71% en Uganda.

Le potentiel agricole de l’Afrique est encore important et l’agriculture est la première source de revenus des familles rurales. Ainsi, développer l’agriculture constitue une opportunité pour faire plus de croissance inclusive. Le développement de ce secteur en Afrique nécessitera l’intervention publique. Le Rwanda et l’Ethiopie l’ont bien démontré en assurant l’accès au fertilisants et semences pour les ménages agricoles.

L’étude a aussi mis en exergue l’importance des services, notamment le secteur des télécommunications, dans les performances économiques de ces pays. Le téléphone mobile est devenu un outil important dans les économies africaines et est utilisé à plusieurs niveaux – transfert d’argents, source d’information sur les prix des produits agricoles, la banque, etc, – permettant ainsi une intégration progressive des différentes couches de population dont les ménages ruraux sur le marché financier.

Des marges budgétaires pro-investissement

La marge budgétaire résultant des réformes structurelles exécutées par les pays considérés dans l’étude a servi notamment à financer des investissements productifs et des dépenses considérées comme prioritaires.

Les allègements de dette dont ont bénéficié ces pays ont été orientés dans des investissements. L’investissement public au Burkina Faso, par exemple, a atteint 45% du PIB en 2010. Ces dépenses d’investissements ont concernés notamment des infrastructures dans divers domaines (santé, éducation, etc.). L’environnement des affaires créé par la mise en œuvre des réformes a favorisé le financement de projets à travers des partenariats public-privé. Au Mozambique, de tel partenariat ont permis le développement du transport ferroviaire, de ports et du réseau autoroutier avec péage.

Cette étude révèle l’existence de marges pour une croissante plus forte en Afrique et non porté par les ressources naturelles mais plutôt par une politique économique mieux ciblé et les réformes structurelles visant à renforcer le cadre institutionnel. L’expérience de ces 6 pays constitue une source d’enseignements non négligeables pour l’atteinte de l’objectif d’une croissance inclusive durable en Afrique. Ils ont su à travers des réformes et des politiques économiques bien ciblés et bien mis en œuvre, dans un environnement politique stable, redresser leurs économies.

Cependant, les défis restent réels, même dans ces pays considérés comme réformateurs. Si de façon générale, le rapport Doing Business 2014 estime que des efforts sont en cours dans les pays d’Afrique pour assurer un environnement des affaires attractif, il n’en demeure pas moins que la plupart des pays africains sont classé dans les 100 derniers dont la majorité dans les 50 derniers. Un classement qui est en phase avec les difficultés du secteur de l’énergie, notamment celui de l’électricité et des systèmes contraignants d’imposition. Les zone rurales, où se concentres les producteurs agricoles, sont encore enclavées empêchant leur accès au marché et de bénéficier de prix compétitifs. Il y a donc là une nécessité de réaliser davantage d’investissements structurants notamment dans le domaine des infrastructures routiers et dans le secteur de l’énergie tout en adoptant une législation fiscale assez souple pour favoriser la création et le développement des entreprises.

 

Foly Ananou

Quel est l’impact des médias sur le développement ?

171998902-2Nous avons coutume de dire que la presse est le quatrième pouvoir dans une démocratie. Au-delà de ce rôle, somme toute symbolique, intéressons-nous précisément à l’impact des médias sur la vie politique et économique des nations. C’est à cette question que répondent des chercheurs dans deux études académiques récentes. L’une analyse l’impact à long terme des médias sur la lecture des journaux et l’implication citoyenne en Afrique sub-saharienne, et l’autre examine l’impact des médias sur la croissance économique en Europe.

La première étude, menée par Cagé et Rueda en 2013, nous apprend que le développement des médias permet d’augmenter l’implication citoyenne des populations dans la vie politique de leur pays. En effet, pour garantir l’exactitude de cet effet, les deux auteures ont croisés les données issues de l’enquête Afrobaromètre sur l’implication citoyenne avec des données géo-localisées sur les régions où ce sont implantées les premières industries d’imprimerie en Afrique sub-saharienne.[1] Elles constatent que ces régions ont connu un développement plus rapide et durable de la presse privée. En plus, les populations qui vivent aujourd’hui dans ces régions lisent davantage les journaux et participent plus aux discussions et actions politiques comme les débats publics et les marches de protestation. Il s’agit de régions situées dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie.

Quant à la deuxième étude, publiée par Dittmar en 2011, elle montre que le développement des médias a un impact positif sur la croissance économique. Plus spécifiquement, cette étude utilise la même méthodologie que celle de Cagé et Rueda ; mais adopte plutôt une approche globale en regardant l’impact des médias sur la croissance économique. Elle démontre que les villes européennes dans lesquelles se sont implantées les premières industries d’imprimerie dans les années 1400 ont connu au cours du siècle suivant une croissance économique 1,6 fois supérieure à celle de villes similaires.

Même si ces études ne donnent pas les détails précis sur les mécanismes qui expliquent ces effets, elles apportent néanmoins la preuve formelle que le développement des médias a un impact significatif sur la vie économique et politique d’une nation.[2] Une implication générale qui résulte de leurs résultats est que tout ce qui entrave l’expansion des médias est mauvais pour le développement. Cependant les ramifications de ces résultats vont au-delà de cette conclusion. Ils montrent aussi que le retard dans l’adoption et l’expansion des médias à des impacts qui persistent dans le long terme. Comme la montre l’étude de Cagé et Rueda sur l’Afrique, l’introduction tardive de la presse écrite au début du 20ème siècle dans certaines régions d’Afrique sub-saharienne a entraîné aujourd’hui une faible lecture de la presse et une faible implication dans les activités politiques de la part des populations. C’est notamment le cas des pays francophones. Par exemple, selon cette même étude, le premier journal africain édité par des africains a été publié en janvier 1876 en Afrique du Sud, soixante ans plus tôt que le premier journal publié dans l’espace francophone à Abidjan en 1935.

Pour éviter ces implications à long terme, il importe donc d’éviter toute entrave à l’expansion des médias et surtout en Afrique. Comme le montre les résultats du dernier round de l’Afrobaromètre ci-dessous, très peu d’Africains ont accès aux médias en dehors de la radio. Par exemple, ces résultats nous indiquent qu’environ 20% de la population n’écoute jamais la radio, plus de 40% ne regardent jamais la télé, plus de 55% ne lisent jamais les journaux et plus de 7 personnes sur 10 n’a jamais été informé grâce à l’internet. Quant à la radio, elle est écoutée quotidiennement par environ 40% de la population entre 2011 et 2013. Au regard des précédents résultats, on peut craindre que l’implication citoyenne des populations de même que les effets des médias sur la croissance économique soient très limités. Cette situation n’est pas de nature à favoriser les transformations institutionnelles tant souhaitées pour un véritable décollage de l’Afrique.

Dans ces conditions, l’émergence des nouveaux médias grâce aux NTIC peut être une occasion exceptionnelle pour révolutionner l’accès aux médias et à l’information pour tous et en particulier en Afrique. Par exemple, avec le fort taux de pénétration du téléphone mobile en Afrique, les opérateurs de réseau mobile peuvent fournir des services d’information par SMS. Le développement de l’internet par mobile ne serait que salutaire dans ce sens.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Annexe: Pourcentage de la population ayant accès aux différents types de médias en Afrique (Source: Afrobaromètre)

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Afrobarometer survey. Selected samples: Algeria 2013, Benin 2012, Botswana 2012, Burkina Faso 2012, Burundi 2012, Cameroon-2013, Cape Verde 2011, Côte d’Ivoire, Ghana 2012, Guinea, Kenya 2011, Lesotho 2012, Liberia 2012, Madagascar-2013, Malawi 2012, Mali 2012, Mauritius 2012, Morocco 2013, Mozambique 2012, Namibia 2012, Niger 2013, Nigeria 2012, Senegal 2013, Sierra Leone 2012, South-Africa 2011, Swazilandia 2013, Tanzania 2012, Togo 2012, Uganda 2012, Zambia 2012, Zimbabwe 2012 (Base=48004; Weighted results)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le fait que ce soit les premiers colons protestants qui aient apporté l’imprimerie en Afrique constitue une variation exogène de l’ampleur des médias. Cependant, on peut évoquer la sélection endogène des colons dans les colonies qui étaient déjà prédisposées à lire et à s’impliquer dans la vie politique. Les résultats résistent à cette éventualité.

 

 

 

[2] Il est vrai que les résultats portent sur le développement de la presse écrite, qui n’est qu’un type particulier de média. Il est vrai aussi que l’impact peut dépendre du type de média, mais nous estimons que l’impact de la presse écrite est que minimal compte tenu de l’étendue de leur public cible.

 

 

 

L’Afrique, le continent de demain

78329210Au moment où les partenaires historiques de l’Afrique conduisent des études approfondies sur le devenir de notre continent pour développer de nouvelles stratégies d'approche dans leur coopération comme en témoigne cette étude menée par le Sénat français intitulée « l’Afrique est notre avenir », en Afrique, les gens s’attardent le plus souvent sur des imbroglios politiques, des privilèges personnels, des conflits armés sans se soucier du rôle stratégique et important que le continent est censé jouer sur l'échiquier international. Même si aujourd’hui, les dirigeants africains prennent de plus en plus conscience de cet état de fait et tentent de prendre des initiatives au niveau des instances telles que l’UA, la CEDEAO, l’UEMOA, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’efforts restent à fournir pour donner au continent africain la place qu’il mérite au plan mondial.

Historiquement, il apparait bien qu'après les indépendances, les dirigeants africains aient raté le départ pour baliser le chemin du véritable développement de l'Afrique malgré qu’ils soient intellectuellement bien formés et que le continent regorge de ressources naturelles importantes. Au niveau continental, ils n'ont pas pu mettre en place des plans de relance économique basés sur des orientations claires et patriotiques comme le fut le plan Marshall qui a reconstruit l'Europe après la seconde guerre mondiale. Pourtant, ils avaient des arguments de taille pour réclamer cela après plusieurs années d'esclavage et de colonisation. Les quelques rares dirigeants qui ont tenté d'imprimer leur marque pour développer leur pays (Thomas Sankara du Burkina Faso, Julius Nyerere de la Tanzanie, Patrice Lumumba du Congo-Kinshasa, Anouar El Sadate de l’Egypte, entre autres) , ont été vite bloqués dans leur élan, voire éliminés avec la complicité de leurs compatriotes. Il est difficile de comprendre que l'Afrique reste à la traîne avec ses énormes réserves de ressources naturelles et la force de sa population jeune au moment où des pays comme la Chine, la Corée, le Japon et d'autres qui, il y a quelques années étaient derrière beaucoup de pays africains, se retrouvent aujourd'hui dans le cercle restreint des géants du monde. 

Rejoindre l’Eldorado au prix de sa vie

Aujourd'hui, des milliers d'Africains tentent de quitter le continent souvent clandestinement pour rejoindre l'Europe, car ils n'ont peut-être pas espoir de vivre décemment dans leur pays. Prenant des chemins périlleux, ils meurent souvent dans des conditions désastreuses. Pourtant, ce continent qu'ils sont en train de délaisser, est l'avenir de ces pays qu'ils considèrent comme des eldorados. Cela peut être compris car ces Africains n'ont pas les outils nécessaires qui leur permettent d'anticiper sur le devenir du monde. Ils ne savent pas que l'Afrique peut constituer le continent de demain. Mais, sous un autre angle, c'est aussi la faute de certains dirigeants ou de personnes avides de pouvoir. Animés par leurs propres intérêts, ils entretiennent des conflits armés ou détournent pour leur propre compte le peu de richesse créée, ou d’aide venant de l’extérieur, empêchant les populations civiles de vivre dans les meilleures conditions dans leur pays. Au moment où des entités étatiques cherchent à s'unir pour être plus fortes dans un monde globalisé, des démons de la division au nom de l’ethnicisme, de la religion, de l’espace géographique, cherchent toujours à créer l’adversité entre des peuples frères semant le chaos et la mort. Au fond, ces conflits ont souvent d’autres soubassements, notamment la question de l’accaparement des ressources minières ou pétrolières.

Dans ce climat délétère, d’autres personnes peut-être plus « intelligents » en profitent pour davantage s’enrichir. Et la conséquence est que des populations tentent de fuir leur pays pour trouver ailleurs la paix et le bonheur. Justement, cet eldorado est l’Europe. Sur les chemins des migrations, ils sont pris entre deux feux : les conflits et la misère dans leur pays d’origine et les barrières frontalières de l’Europe. Il est urgent de résoudre ces erreurs du passé et du présent pour véritablement se projeter vers l’avenir. Les dirigeants africains doivent poser les jalons d’un véritable développement en se basant d’abord sur les atouts, les intelligences du continent avant tout appui extérieur. C’est le seul moyen de permettre à ces millions de populations africaines de rester dans leur pays et garder espoir de voir leurs conditions de vie changer positivement.

Des initiatives et des changements encourageants

Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) est une très bonne initiative. Même si ce sont des élites africaines qui l’ont initié et démarré, il n’en demeure pas moins qu’elle a besoin de l’accompagnement des bailleurs de fonds (Banque mondiale, FMI) et des pays développés, notamment ceux historiquement liés à l’Afrique. Ceux-ci doivent appuyer davantage ce programme quitte à en faire un plan Marshall pour l’Afrique. C’est un devoir de mémoire pour l’Europe dans sa grande majorité d’accompagner activement le développement de l’Afrique avec désintéressement. Il faut admettre que l’Afrique, compte tenu de tout ce qu’elle a subi dans le passé, est dans ses droits de solliciter l’aide internationale pour financer ses programmes de développement. Et, les conditions assujetties à cet appui ne devraient nullement être liées à des chantages économiques contraignants motivés par des intérêts crypto-étatiques, mais plutôt à des obligations de résultats, de respect de la bonne gouvernance, de la démocratie et de l’amélioration des conditions de vie des populations.

Depuis longtemps, il semble indiquer que certains pays développés, avec la complicité souvent inconsciente d’une classe d’élites africaines, cherchent à maintenir l’Afrique dans une situation de dépendance récurrente pour entretenir leurs privilèges sur le continent. Ils hésitent encore à faciliter un développement rapide du continent, et donc une émancipation socioéconomique, alors que les populations africaines y aspirent de plus en plus. D’ailleurs cette volonté de changement positif se ressent autant chez les citoyens africains que chez ceux du Nord. De plus en plus des citoyens du monde entier tissent des relations en dehors de toute incursion des pouvoirs publics. Ce rapprochement des peuples découle d’une volonté de briser les frontières habituelles pour développer un monde de communion, de partage et de solidarité. Les élites de tous bords doivent donc prendre cet exemple pour construire un développement homogène et une paix sociale. 

Evidemment, il s’avère que devant l’ampleur des problèmes de l’émigration clandestine, la morosité économique, et la menace de la force économique des nouveaux pays émergents (Brésil, Inde, Chine), les partenaires historiques de l’Afrique sont contraints de revoir leurs programmes de coopération avec le continent. Il y va de leur intérêt d’accompagner un développement rapide de l’Afrique afin que des questions lancinantes, en particulier l’immigration clandestine puissent être résolue.

L’Afrique, à la croisée des chemins

Aujourd’hui, l’Afrique est à la croisée des chemins. Ses dirigeants doivent savoir saisir la balle au bond et corriger les erreurs du passé. Avec la mondialisation, nous avons besoin l’un de l’autre pour exister et maintenir un certain niveau de vie. C’est pour cela que les nouvelles relations de coopération sont bâties sur le gagnant-gagnant. Mais, tout se base sur les capacités intrinsèques de négociation à préserver ses intérêts dans le respect de l’autre.

Les visites fréquentes sur le continent de chefs d’Etat des pays développés et émergents durant ces dernières années témoigne encore de ce regain d’intérêt pour le continent Africain. L’Afrique est le continent de demain, c’est une réalité qui se dessine au fur et à mesure sur la marche du continent. En effet, de plus en plus de pays africains développent des capacités économiques dynamiques. D'après un rapport de l'étude Africa Attractiveness  publiée par le cabinet de conseil Ernst & Young, la part mondiale des Investissements directs à l'étranger (IDE) à destination du continent africain est passée de 3,2% en 2007 à 5,6% en 2012. Selon les prévisions, la croissance africaine doit atteindre 4% en 2013 et 4,6% en 2014. Egalement, il est noté dans le rapport que l’investissement des marchés émergents en Afrique a encore augmenté en 2012, poursuivant la tendance des trois dernières années. Ainsi, les plus grands contributeurs des marchés émergents sont l’Inde (237 projets), l’Afrique du sud (235), les Emirats arabes unis (210), la Chine (152), le Kenya (113), le Nigéria (78), l’Arabie Saoudite (56) et la Corée du Sud (57). Ils sont tous classés parmi les 20 plus grands investisseurs sur cette période.

Cependant, les populations à la base disent souvent qu’elles ne voient pas encore les retombées de l’exploitation de ces ressources. Alors, il s’avère important que les dirigeants africains puissent assurer une redistribution plus équitable des ressources financières générées afin d’avoir un développement économique harmonieux et homogène. L’Afrique doit enfin faire valoir ses capacités et ses atouts pour s’inscrire sur une pente ascendante. Certes, il y a les prémisses d’un redressement économique, mais il existe toujours des fossoyeurs de la paix et du développement qui servent leurs propres intérêts, empêchant le continent d’aller de l’avant. Pour barrer la route à ces forces négatives, les élites et les populations, conscientes des enjeux de développement doivent unir leurs forces et prendre des mesures pouvant tordre la main à ceux-là. C’est le moment pour l’Afrique de baliser le chemin du véritable développement et sortir les populations de la misère.

Mamadou NDIAYE