La croissance tiendra-t-elle ses promesses ?

growthA priori, la croissance économique est souhaitable parce qu’elle est la (seule) principale réponse politique que les nations ont trouvé pour établir une paix sociale durable. C’est ainsi que l’épisode de forte croissance économique que connaît la plupart des pays africains est synonyme d’une atténuation progressives des tensions entre les différents groupes sociales et entre les nations. Cela suppose que la croissance ait pour conséquence de permettre à chaque individu de subvenir à ses besoins de base et de ne pas trop se sentir moins aisés que les autres. Autrement dit, la croissance doit être source de réduction de la pauvreté et des inégalités.

Partant des travaux de Dollar et de ses coauteurs, il est aujourd’hui possible d’affirmer que la croissance économique permet de réduire la pauvreté. Toutefois, selon d’autres travaux académiques sur le sujet, les politiques sectorielles d’accès à l’éducation et à la santé jouent un rôle essentiel dans la transmission des fruits de la croissance aux couches les plus pauvres de la société. Ainsi, il faut d’abord favoriser l’accès aux infrastructures de bases telles que l’eau, l’électricité, l’éducation et la santé pour qu’une croissance économique forte puisse se traduire par une baisse significative de la pauvreté.

L’intuition derrière ces recommandations est la suivante : les personnes qui sont initialement pauvres ne disposent pas du minimum de capital (physique et humain) pour être productives. Elles sont donc durablement piégées dans un cercle vicieux alliant faible productivité à un faible niveau de vie. Ainsi, l’accès aux infrastructures subventionné par l’Etat est un moyen de donner le petit coup de pouce nécessaire aux plus pauvres pour leur permettre de briser le cercle vicieux de la pauvreté. En complément, des initiatives de protection sociale plus élaborées telles que les transferts conditionnés (ou non) peuvent favoriser davantage le lien entre croissance et réduction de la pauvreté. Actuellement en Afrique, on en sait très peu sur l’effectivité des politiques publiques mises en place pour favoriser une croissance réductrice de la pauvreté. Ce qu’on en sait le moins est surtout la capacité de la croissance économique à réduire les inégalités, non pas seulement des revenus mais des richesses et des chances.

Néanmoins, le récent livre de Piketty intitulé « Le Capital au 21ème siècle » sur le l’Etat et les perspectives des inégalités permet de dégager des perspectives sur la capacité de la croissance à réduire les inégalités de façon générale et en particulier en Afrique.[1] Globalement, deux leçons ressortent de cet ouvrage pour nous éclairer sur le sujet en cours d’analyse.[2]

inequalityLeçon n°1 : Il n’y a pas de lien mécanique entre croissance du PIB et réduction des inégalités

En s’appuyant sur la part du revenu ou du patrimoine des 10% les plus riches, l’auteur montre que les inégalités tendent systématiquement à s’amplifier au fil du temps. Cela vient du fait que le taux de rendement du capital est généralement supérieur au taux de croissance du PIB. Ainsi, les patrimoines issus du passé s’accumulent beaucoup plus vite que le rythme de progression de la production et des revenus.[3] Ce mécanisme peut être renforcé par une faible croissance démographique puisque dans ce cas les héritages sont partagés entre moins de descendants.

Cette tendance des inégalités à augmenter systématiquement peut être une menace pour le bon fonctionnement des institutions politiques dans la mesure où le pouvoir politique risque d’être capturé par des intérêts particuliers. Ainsi, non seulement les décisions de politiques publiques ne reflètent plus l’intérêt de la majorité, mais surtout la capture du pouvoir politique renforce davantage les inégalités. Par exemple, les prestations sociales peuvent être réduites au détriment d’exemptions fiscales favorables aux plus riches.

D’emblée la question est de savoir jusqu’où le creusement des inégalités peut aller et ce qu’il est possible de faire pour prévenir une situation aussi explosive qu’une société où presque la totalité des richesses appartiennent à 1% de la population. La réponse à cette question se trouve dans la deuxième leçon que nous tirons de l’ouvrage de Piketty.

157904609Leçon n°2 : La réduction des inégalités requiert la mise en place d’institutions spécifiques

A partir de l’évolution des inégalités sur longue période dans plus de vingt pays, l’auteur montre que même les chocs les plus violents comme la seconde guerre mondiale n’ont pas réduit durablement les inégalités de revenus et de patrimoine. Par contre, les politiques publiques mises en place dans les différents pays ont eu un impact décisif sur la réduction, l’augmentation ou la modération des inégalités. Dans les régimes démocratiques, l’outil le plus efficace est la fiscalité. Cependant, elle devient de moins en moins efficace à l’échelle des nations à cause de la concurrence fiscale, c'est-à-dire de la tendance qu’à chaque pays d’offrir les meilleures conditions pour attirer les patrimoines des plus riches dans leur économie. Pour cela, il recommande plutôt l’échange systématique d’informations pour lutter contre l’évasion fiscale et la mise en place d’un impôt mondial sur le capital afin de se départir des contraintes liées à sa forte mobilité.

Dans les pays ayant des institutions moins calquées sur le modèle occidental (Europe et Etats-Unis d’Amérique), on observe aussi des dispositions spécifiques pour le contrôle du capital. Par exemple, en Russie, les plus riches détenteurs de patrimoine qui veulent en user pour influencer les décisions politiques sont simplement jetés en prison. En chine, l’Etat a imposé un contrôle strict sur les flux de capitaux de sorte que le pouvoir économique que confère le capital ne se transforme pas en un pouvoir politique.

Quelles conclusions peut-on en tirer pour l’Afrique ? Puisque les inégalités ont tendance à s’accroître de manière systématique, la croissance économique en Afrique va-t-elle limiter cette augmentation ? D’abord, il faut prendre en compte le contexte dans lequel se trouve l’Afrique et qui est celle d’un monde plus ouvert où les capitaux circulent plus librement. Cela implique que les détenteurs des capitaux qui contribuent à la croissance économique en Afrique ne sont plus nécessairement des Africains, du moins pas en majorité. Ainsi, la question des inégalités en Afrique ne se pose pas dans les mêmes termes qu’ailleurs.

L’attention peut être portée en premier lieu sur les inégalités des revenus, en particulier des salaires ; et sur la capacité de la croissance à réduire ces inégalités. Mais comme nous l’enseigne les travaux de Piketty, cela nécessite la mise en place de politiques de redistribution, ne serait-ce que pour offrir à tous les mêmes conditions initiales. Ensuite, il sera nécessaire de mettre en place des cadres réglementaires pour encadrer les investissements étrangers dans les économies africaines de sorte à limiter leurs impact potentiel sur la capture du pouvoir politique tout en protégeant aussi bien leur droit de propriété.

En définitive, il ressort de cette analyse que l’épisode de croissance économique que traverse la plupart des pays africains peut être source de réduction massive de la pauvreté si seulement des investissements sont faits en amont dans l’accès aux infrastructures de base pour les populations les plus pauvres. Cependant, nous n’avons aucune certitude que cet épisode de croissance permettra de réduire les inégalités ; tout dépendra des institutions qui seront mises en place pour encadrer la montée inéluctables des inégalités liée à la croissance. C’est seulement dans ces conditions que la croissance ne s’éloignera pas trop de ses promesses d’une paix sociale durable.

Georges Vivien Houngbonon


[1] En général lorsqu’on parle d’inégalités, on pense tout de suite aux inégalités de revenu. Cependant, comme la démontré l’auteur dans son ouvrage, la source principale des inégalités provient des inégalités du patrimoine. Le focus sur les revenus est potentiellement lié à des raisons politiques, car les inégalités de revenus sont souvent beaucoup plus faibles que celles du patrimoine. Ainsi, elles permettent de donner une image beaucoup plus apaisée de l’évolution des inégalités.

[2] Ce sont mes propres enseignements.

[3] Thomas Piketty, Le Capital au 21ème siècle, p.55

Des pays africains où l’on ne paie pas d’impôts directs

5649521-le-poids-des-depenses-et-des-impots-bat-des-recordsAlors que les besoins d’inclusion politique et de financement du développement s’accroissent en Afrique, il existait en 2012 des pays où la contribution fiscale directe des particuliers et des entreprises était très insignifiante. C’est le cas notamment de huit pays dont la Lybie, la Guinée Equatoriale, Sao-Tomé et Principe, le Soudan, l’Angola, le Congo, le Nigéria et le Tchad où les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales) représentaient moins de 10% du total des recettes publiques en 2012. Or, contrairement aux autres types de recettes fiscales, l’impôt direct, quoique plus difficile à collecter, est étroitement lié à la légitimité de l’Etat, à la performance de l’administration fiscale et à sa capacité à lever de manière durable les fonds nécessaires au financement de la sécurité des personnes et des biens.[1]

La figure ci-dessous présente une photographie détaillée de la répartition en 2012 des différents types de recettes dans le revenu total de l’Etat.[2]

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Source : construit par l auteur a partir des statistiques fournies par le rapport AEO, 2014

Comme le montre le graphique ci-dessus, la part des revenus fiscaux tirés de l’exploitation des ressources naturelles va de 66% au Tchad à 95% en Lybie. Ainsi, dans des pays pétroliers comme la Guinée Equatoriale, l’Angola, le Congo ou le Nigéria, l’importance des recettes fiscales tirées de la production pétrolière semblent être un frein au développement d’autres types de taxes comme les impôts indirects. Cependant, les statistiques sur le Soudan et Sao Tomé et Principe illustrent à quel point la taxe sur les ressources pétrolières peut ne pas être suffisante pour expliquer le faible recouvrement de l’impôt direct dans un pays.

Au Sao Tomé et Principe, ce sont principalement les dons extérieurs (52%) suivis des taxes commerciales (20%) qui remplacent le manque à gagner du faible recouvrement des impôts directs. Par contre, le Soudan à une structure fiscale plus équilibrée avec des impôts indirects qui représentent 35% du total des recettes publiques suivis des revenus non-fiscaux (33%) et des taxes commerciales (20%).

Ces statistiques suggèrent que nous sommes en présence d’Etat dont la légitimité fiscale est très faible, compte tenu du niveau très bas de leurs impôts directs. En plus de cela, ceux qui disposent de ressources pétrolières ont une administration fiscale très peu performante avec comme conséquence l’absence de la collecte des impôts indirects et des taxes commerciales sur les importations. Ceux qui sont moins riches en ressources naturelles s’appuient soient sur l’aide extérieure, c’est le cas de Sao Tomé et Principe, ou sur les impôts moins coûteux à collecter ; c’est le cas du Soudan.

Très souvent, et comme mentionné dans le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2010, la prépondérance d’un secteur agricole de subsistance et du secteur informel dans la plupart des pays africains est citée comme l’une des principales raisons qui expliquent le faible taux de recouvrement de l’impôt direct. Cependant, lorsqu’on adopte une approche plus dynamique, il ressort que les deux phénomènes vont de pair : l’agriculture de subsistance et l’informel sont très développés parce que l’Etat ne dispose pas des moyens pour accompagner la formalisation des entreprises, et ce manque de moyen entretient davantage l’expansion du secteur informel et rend illégitime les tentatives de levée d’impôts auprès d’entreprises opérant dans le secteur informel. Le même raisonnement s’applique à l’impôt sur le revenu qui n’est pas non plus légitime lorsqu’il n’existe pas à priori de système de protection sociale ni pour les agriculteurs, ni pour les travailleurs du secteur informel.

A ce cercle vicieux, viennent s’ajouter des facteurs aggravant comme la présence de ressources naturelles ou l’abondance de l’aide extérieure. Ces derniers aussi s’auto-entretiennent puisqu’ils ne sont pas de nature à encourager les gouvernements à accroître leur légitimité fiscale en levant davantage d’impôts directs. Après tout, cette légitimité n’est acquise qu’en contrepartie d’une plus grande exigence d’inclusion politique, d’obligation de résultats et de compte rendu de la part des contribuables. Dès lors, il est plus intéressant pour un Etat de se justifier auprès d’institutions financières internationales ou de partenaires étrangers plutôt que de le faire auprès de ses citoyens. Ainsi, la bonne gouvernance et l’inclusion politique se trouvent au cœur même des enjeux de fiscalité en Afrique.

Pour que l’impôt direct joue pleinement son rôle dans l’édification et la consolidation des nations africaines, il faudra d’une part créer un dialogue entre les acteurs du secteur informel et l’Etat en vue de déterminer les contreparties qu’ils peuvent attendre de la levée des impôts sur le revenu et sur les bénéfices. Par exemple, la création de systèmes de protection sociale (assurance maladie universelle et chômage) et la garantie des investissements dans les infrastructures sociales et économiques susceptibles de bénéficier directement aux acteurs du secteur informel peut les inciter à se formaliser et ainsi donc contribuer à la levée des impôts directs en vue du financement des investissements publics. De manière plus classique, c’est le rôle que devrait jouer les élections des responsables politiques, mais pour le moment la question du financement du développement est rarement soulevée dans les campagnes électorales.

D’autre part, une implication plus accrue des organisations de la société civile dans la gestion des recettes fiscales issues de l’exploitation des ressources naturelles pourraient contraindre les gouvernements à s’appuyer davantage sur les impôts directs et à renforcer leurs capacités de recouvrement des impôts indirects. Enfin, une prise en compte plus importante des enjeux de renforcement de l’administration fiscale dans l’octroi de l’aide extérieure permettrait également d’inciter les Etats à compter davantage sur les impôts directs.

En définitive, la situation apparente de « paradis fiscal » que laisse entrevoir la faible contribution fiscale dans les huit pays cités ci-dessus n’a le paradis que de nom ; puisque cette faible contribution, même si elle peut être compensée par les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles ou des dons, est source d’exclusion sociale, principal moteur de la pauvreté et des inégalités.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques en Afrique, 2010, page 83.

[2] Ces différents types concernent les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales), les impôts indirects (TVA, taxes sur les vente, …), les recettes non-fiscales (droits de timbre per exemple), les revenus tirées de l’exploitation des ressources naturelles (en particulier le pétrole), les taxes commerciales (droits de douanes) et les dons.

La dette, un handicap au développement ?

185236742-281x300Le recours à la dette exterieure est connu pour sa capacité à drainer des fonds importants dans une économie en besoin de financement, contribuant ainsi à son développement via l’allocation qui se fait de ces nouvelles ressources. Cependant, il peut constituer une source de tensions dans l’économie. Les crises récentes de la dette en zone euro, les bisbilles survenues entre les élus américains autour du relèvement du plafond de leur dette souveraine ainsi que le cas argentin sont des exemples notoires d’un problème plus global. La question a déjà été abordée en partie dans un article de Foly Ananou. Il s’interrogeait en effet sur l’impact de la dette sur les performances économiques. Il a ainsi soulevé la controverse de l’endettement public en rapprochant de façon pertinente les différentes théories économiques en la matière. Le présent article pousse plus loin la réflexion en s’attachant particulièrement aux conséquences socio-environnementales.

Le recours systématique à l’endettement public dans le démarrage économique d’une collectivité entraine, sans nul doute, la  dévalorisation du rôle de l’épargne  nationale. Si aujourd’hui, de nombreux pays africains ne peuvent se prévaloir d’avoir une épargne nationale robuste capable de servir de levier aux investissements, c’est aussi parce que les outils financiers des Etats, font rarement appel à cette épargne. En outre, l’endettement public entraine  le drainage hors de la communauté  nationale  ou sous-régionale  des ressources financières nécessaires au développement local. Ceci prend notamment la forme d’intérêts sur le capital et d’intérêts sur les intérêts[1] ; une partie de la richesse créée étant consacré au remboursement de l’emprunt. Cette situation est d’autant plus critique quand les performances économiques du pays ne sont pas solides et inclusives. Le cas de l’Afrique subsaharienne est assez édifiant. En 1984, le service de la dette (les intérêts) ivoirienne représentait 12 %  de son pays. Il comptait pour plus de 40 % des recettes d’exportations de biens et services de la Guinée Bissau en 1987.

La réalité est que les pays africains n'étaient pas techniquement préparés à la gestion de cet afflux de capitaux. Depuis leur indépendance politique, ils n’ont pas connu une véritable révolution économique qui puisse assoir les bases d’une industrialisation réussie. En effet, les pays ont été embarqués dans ce programme d'aide initié par le président Truman en 1949, alors même que les conditions techniques pour son éclosion n’étaient pas au rendez-vous. Il s’agit notamment de la bonne gouvernance, de l’approche participative et axée sur les résultats ainsi que des capacités limités des gouvernants en matière de gestion de la dette. Ces insuffisances couplées avec le manque de contrôle de la part des pays donateurs ont entrainé des situations de crise de la dette souveraine, qui ont motivé les récentes initiatives PPTE[2] et ADM[3].

Une autre conséquence de l’endettement extérieur est l’extraversion des économies aidées du fait qu’il faut toujours et davantage exporter de matières premières pour acquérir les devises étrangères nécessaires au paiement du service de la dette. Les économies tendent ainsi à se spécialiser dans des secteurs pouvant rapporter, non davantage, mais le plus rapidement possible des devises. L’agriculture est orientée vers les cultures d'exportation, le secondaire se spécialise dans le secteur minier, avec parfois un ricochet sur l’industrie de l’équipement et le tertiaire est dominé par le commerce et les services. C’est le cas de nombreux pays en Afrique subsaharienne. Au sein de l’UEMOA (Union Economique Monétaire Ouest-Africaine) par exemple, les exportations de matériaux agricoles bruts du Burkina Faso font depuis 1995 plus de la moitié du total des exportations de marchandises du pays. Elles ont atteint 59 % en 2000 et représentaient 91 % des exportations du Mali, à la même période. En 2010, les exportations de matériaux agricoles s’établissaient à 56 % pour le Burkina Faso contre 48 % pour le Mali. En 2010, les exportations de minerais et de métaux du Niger représentaient 60 % du total de ses exportations de marchandises contre 41% 10 ans plus tôt.

Gelima (1994) considère que le délaissement accentué de l’agriculture vivrière au profit des cultures d’exportation  provoque  la dépendance alimentaire, la sous alimentation, souvent la famine, et constitue des pressions supplémentaires sur l’environnement, à l’heure où le réchauffement climatique est une réalité et une menace pour la survie de la race humaine[4]. Par ailleurs, l’endettement entraine une situation d’interdépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur et une dépendance croissante envers les institutions financières internationales, rendant ainsi plus difficile la mise en œuvre de politiques économiques satisfaisant les réalités locales.

Il faut également souligner que les conséquences de l’endettement extérieur ne se limitent pas seulement aux seuls pays aidés. Elles impactent aussi les pays donateurs, créant ainsi un cercle vicieux qui contribuent à maintenir le aidés dans leur situation. Dans son livre intitulé « effet boomrang, choc en retour de la dette du tiers-monde », George S. (1992) identifie les conséquences suivantes :

  • « La dégradation aux répercussions planétaires de l’environnement : destruction des forets tropicales, érosion et désertification dues à l’exploitation intensive et extensive des terres pour l’agriculture d’exportation ». Ces répercussions sur l’environnement n’épargnent en effet pas les pays développés.
  • « La migration en masse de miséreux et de réfugiés vers les pays riches, conséquence de l’appauvrissement et de la déstabilisation des sociétés sous-développées ». En effet, selon le rapport conjoint OCDE – Nations Unies, intitulé « les migrations internationales en chiffres » parut en octobre 2013, on recense aujourd’hui dans le monde 232 millions de migrants internationaux, dont environ six sur dix résident dans les régions développées. Depuis 1990, le nombre de migrants internationaux a augmenté d’environ 53 millions (65 %) dans les pays du Nord alors qu’il croissait d’environ 24 millions (34 %) dans ceux du Sud. Pendant la période 2000-2010, le nombre total de migrants a crû deux fois plus vite qu’au cours de la décennie précédente.
  • « La multiplication des conflits internes et externes ». McNamara (1991), secrétaire à la défense sous le président américain Kennedy, écrivait à cet effet : « au cours de ce dernier demi-siècle le tiers-monde a connu 125 guerres ou conflits armés laissant un bilan de 40 millions de morts, 65 conflits armés, tous internes, y ont été recensés entre 1989 et 1992 seulement. »

Le recours à la dette extérieure est une pratique en vigueur dans les pays en voie de développement depuis près de 70 ans. Malgré les efforts consentis jusque là par les pays africains concernés, le rattrapage économique semble encore très loin. Foly Ananou, dans un second article portant sur la question de la dette, expliquait que tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Moyo (2009),  insiste sur le fait que l’Afrique doit donc inventer son développement, et ne plus penser que le recours systématique à l’extérieur soit une solution pérenne pour financer leur développement. C’est d’ailleurs dans ce sens  que Georges évoque la fiscalité ou que Pauline discute du recours à des financements innovants. Si le recours à la fiscalité ou aux mécanismes de financements innovants constituent des solutions envisageables, elles demeurent cependant tributaires de l’environnement économique africain. Dans les pays de l’UEMOA par exemple, cet environnement est marqué principalement par une assiette fiscale très réduite, un secteur privé en proie à des problèmes existentiels, une bancarisation encore loin des attentes et un secteur informel prépondérant. Un prochain article discutera donc de la possibilité de renouer avec les vertus de l’épargne nationale qui est mobilisable en Afrique et proposera par la suite un modèle alternatif qui facilitera une croissance auto-entretenue.

Carmen Thirbus Agbahoungbata

Références 

Gélima, J. (1994),  Et si le tiers monde s’autofinançait : de l’endettement à l’épargne,  Ecosociété, Montréal (Québec),

George, S. (1992),  L’effet boomerang, Choc en retour de la dette du Tiers Monde, Paris, La Découverte.

McNamara, R. (1991), Toward a New World Order, in Ecodécision, N°2, P. 15

Moyo, D. (2009),  Dead Aid: Why Aid is Not Working and How There is Another Way for Africa, Ed. Allen Lane. Penguin Books


[1] Selon la Banque mondiale, les paiements d’intérêts sont « les montants réels d'intérêts payés par l'emprunteur en devises étrangères, en biens ou en services au cours de l'année donnée. Cet élément comprend les intérêts payés sur la dette à long terme, les frais du FMI et les intérêts payés sur la dette à court terme ».

 

[2] Pays Pauvres Très Endettés

 

[3] Allègement de la Dette Multilatérale

 

[4] Voir le quatrième rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) à ce sujet

 

Les BRICS ont-ils réellement réussi à réduire la pauvreté ?

4brics2234Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont aujourd’hui cités en exemple comme des pays ayant réussi à réaliser des performances économiques impressionnantes et les maintenir durant la crise financière de 2008, et sont à ce titre  considérés comme des modèles de développement. Un postulat qu’il convient de vérifier, surtout si les pays africains veulent s’inspirer de leur expérience, et ce d’autant plus que le Brésil et l’Afrique du sud ont été secoués récemment par des manifestations de population réclamant de meilleurs conditions de vie. Cet article se propose donc de faire un point sur la situation socio-économique des BRICS tout en portant un regard sur les politiques économiques de ces pays.

L’économie indienne a fortement cru depuis les années 80, avec un taux de croissance annuel moyen de 5%. Néanmoins, selon les travaux de Deaton et Drèze (2008), cette accélération de la croissance n’a pas généré suffisamment d’emplois – canal principal de diffusion de la richesse créée. Le taux de croissance de la population active occupée pour un taux de croissance de 1% est passé de 0.4 entre 1983-1993 à 0.29 entre 1993-2004. Conséquence de cette situation, la pauvreté n’a reculé que très faiblement entre 1983-2004, s’accompagnant d’un accroissement des inégalités entre milieu urbain et milieu rural. Il y persiste d’ailleurs des poches de pauvreté au sein des populations exclues. Si ces performances économiques de l’Inde n’ont été que partiellement inclusives, elle tient à la politique des autorités, qui a favorisé le développement de secteurs intensifs en capital.

En effet, dès le début des années 70 (Sen, 2007, 2009), les autorités indiennes ont mis en place des mesures visant d’une part à renforcer et assurer l’expansion du secteur financier et son rôle dans l’économie : (i) nationalisation des banques, (ii) promotion de nouveaux produits bancaires pour la mobilisation de ressources et pour financer les investissements productifs dans le secteur agricole et industriel ; et d’autre part, ont procédé à une ouverture graduelle de leur économie au secteur des équipements pour booster la compétitivité des entreprises locales (qui bénéficient désormais de financement) et faire baisser les prix de ces équipements nécessaires à la mécanisation de l’agriculture. Ces mesures étaient accompagnées d’investissement public dans les infrastructures routières, ferroviaires, énergétiques et technologiques pour créer un environnement des affaires propices au développement du secteur privé.

Malheureusement, ces bonnes intentions ont plutôt favorisé le développement des secteurs nécessitant une main d’œuvre qualifiée ou beaucoup d’investissement en capital. La transformation structurelle ne s’est pas opérée en raison d’un système de protection de la main d’œuvre très contraignant, obligeant ainsi les entreprises à s’orienter vers des secteurs intensifs en capital ou en main d’œuvre qualifiée. Comme corrolaire, on assiste à un maintien des emplois dans les secteurs à faible valeur ajoutée et dans le secteur informel où les conditions d’emplois sont précaires.

A contrario, la Chine dont la stratégie de développement est décrite dans cet article d’Emmanuel Leroueil est l’une des économies les plus dynamiques du monde et dont les performances déterminent celles du monde, depuis près de trois décennies. Selon les travaux de Ravallion et Chen (2007), cette performance a permis au pays de réduire considérablement la pauvreté mais a renforcé les inégalités aussi bien en milieu rural qu’urbain, traduisant ainsi une distribution effective mais inégalitaire de la richesse.

Selon différents analystes, la situation socio-économique actuelle de la Chine résulterait d’une part des réformes introduites par le gouvernement chinois sous l'impulsion de Deng Xiaoping à partir des années 70 dans les domaines du foncier de la santé et de l'éducation. D'autre part, ces réformes ont été combinées avec une politique d’industrialisation par substitution aux importations, avant 1978 et par une stratégie de promotion des exportations et d’attraction des investissements directs étrangers à partir des années 80.

Le Brésil ne fait pas partie des économies les plus performantes des BRICS. Son PIB réel a cru en moyenne de 4% entre 2004 et 2010, après avoir stagné autour de 2% entre 1981 et 2003, une période d’essoufflement après les performances vigoureuses (7% de croissance en moyenne) entre 1945 et 1980. Malgré ces performances moindres (relativement aux pays du groupe), le Brésil a réussi à réduire considérablement la pauvreté et les inégalités. Selon les travaux de Neri (2011), les revenus des brésiliens ont connu une augmentation moyenne de 2 points de pourcentage par rapport aux taux de croissance du PIB alors qu’en Chine, l’évolution des revenus des ménages était moindre (inférieur à 2 pp) par rapport au taux de croissance.

Par ailleurs, l’évolution des revenus était plus marquée chez les plus pauvres, contribuant ainsi à réduire les inégalités, traduisant ainsi le caractère inclusif de la croissance brésilienne. Si l'Inde a pu réussir un tel exploit, c’est parce qu’il s’est appuyé sur des mesures visant à stabiliser le pays et à créer des canaux de diffusion de la richesse. Concrètement, la banque centrale a orienté sa politique monétaire sur la maîtrise de l’inflation. En plus du programme très célèbre de transfert de revenus aux plus pauvres (Bolsa Família), le Brésil dispose d’un programme de protection sociale et d’accès aux services de santé très performants mais aussi d’une réglementation du travail à la fois souple et protecteur. Les autorités ont par ailleurs introduit différentes réformes visant à garantir une gouvernance plus saine avec notamment un mécanisme fonctionnel de décentralisation et un système de suivi et d’évaluation du système éducatif  (Alston et Mueller, 2001).

Si l’Afrique du sud a longtemps été considéré comme l’économie la plus robuste d’Afrique subsaharienne (affichant des taux de croissance positive, atteignant parfois 5%) sur les deux dernières décennies, les travaux  de Bernstein en 2004 portant sur l’impact de cette croissance sur la situation socio-économique indiquent que cette performance n’a pas été pro-pauvre et qu’elle a en plus approfondi les inégalités. Cette situation ne serait pas le simple fruit de la ségrégation et de l’apartheid. Elle résulterait davantage des politiques mises en place par les autorités pour mécaniser le secteur agricole et intensifier le processus d’industrialisation. La période de ségrégation et d’apartheid a été marquée par une confiscation de terres au profit de la minorité blanche, qui a introduit des méthodes modernes pour la production, contraignant cette main d’œuvre – constituée essentiellement d’autochtones et pas toujours qualifiées – à s’orienter vers le secteur minier  ou industriel, détenus par les plus riches ou à émigrer.

Il faut préciser à ce niveau que ce sont ces deux secteurs, très intensifs en capital, qui ont surtout bénéficié de la politique d’industrialisation de l’époque de l'arpatheid.  Par voie de conséquence, les populations (essentiellement noirs), exclues de leur terre, ne pouvaient être absorbée par ces deux secteurs et ce d’autant plus qu’elles n’avaient aucune qualification professionnelle. Le peu de travailleurs absorbés par ces secteurs ne percevait pas un revenu capable de favoriser leur sortie de la précarité (Moris, 1980). Plus généralement, cette période fut marquée par une inégalité dans la distribution des ressources, y compris dans la répartition spatial : les blancs, concentrés dans les zones géographiques les plus prolifiques alors que les noirs étaient concentrés dans des zones éloignées du centre des affaires et de l’activité économique en général.

La politique du gouvernement après l’abolition de l’apartheid n'a guère rétabli l'égalité des chances. La stratégie ne consistait pas en une destruction du mécanisme de discrimination dans la distribution des richesses ; l'Etat a considéré qu’en mettant en place un cadre propice pour une croissance inclusive, cela devrait permettre aux populations les plus pauvres de sortir de la pauvreté (Nattrass, 2001 ; McCord, 2005). Il n’a pas tenu compte du clivage créé par la période d’apartheid, qui a laissé ses derniers sans ressources, sans qualification professionnelle, les rendant incapable d’entreprendre ou de s’insérer sur le marché du travail. Conséquence de cette stratégie, les plus riches se sont davantage enrichis et des barrières encore plus importantes – économiques cette fois-ci– ont complètement obérés l’insertion des plus marginales sur le marché, contribuant ainsi à exacerber leur situation.

Somme toute, les BRICS considérés comme des exemples en matière d’émergence économique et d’amélioration des conditions de vie, ne sont pas des champions en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités. Si certains d’entre eux ont pu contenir la pauvreté (Chine, Inde, Brésil), leurs performances économiques ont été accompagnées d’un approfondissement des inégalités (Inde, Chine). L’Afrique du sud quant à elle fait face à un niveau de pauvreté et d’inégalité encore très importants. Toutefois, leurs expériences constituent pour les pays d’Afrique subsaharienne, dont une majeure partie aspire à l’émergence, un repère pouvant contribuer à la définition de leur stratégie de développement. Un prochain article s’attachera donc à exposer un ensemble de mesures, inspirées de la trajectoire actuelle des BRICS.

Foly Ananou

férences

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Les financements innovants du développement en Afrique : l’ACAD

logoUn article précédent faisait un panorama général des différents instruments de financement innovant pour le développement. Il s’agit, dans cet article qui fait partie d’une plus longue série, d’examiner de plus près l’un de ces systèmes, mis en place en 2009, l’African Carbon Asset Development Facility (ACAD). C’est un partenariat public-privé, dont le dispositif est issu du protocole de Kyoto, dans la catégorie des mécanismes de développement propre[1] (MDP). Il répond à deux objectifs complémentaires : atteindre les objectifs de réduction de carbone pour les pays industrialisés et bénéficier d’investissements et de transferts technologiques pour les pays en développement.

Son principe est clair puisque l’action de l’ACAD se décline en trois offres pour stimuler le marché des crédits carbone africain.  Premièrement, c’est un partage des coûts et des risques avec les banques partenaires sur les prêts accordés aux entrepreneurs choisis – à l’instar d’un fonds de garantie classique – pour des initiatives ayant un impact sur le développement durable. Deuxièmement, c’est une assistance technique aux porteurs de projets pour les aider à les mener à bien, à la fois sur le marché que sur la validation comme projet de MDP. Dernièrement, c’est une formation et un accompagnement sur les spécificités de la finance carbone pour les institutions financières.

Le dispositif rentre bien dans la catégorie des financements innovants puisqu’il correspond aux critères énoncés par le Groupe Pilote sur les financements innovants[2]. Il repose sur une ressource relativement stable et prévisible (les revenus tirés des entreprises accompagnées); est complémentaire de l’aide publique au développement traditionnelle et fait partie des mécanismes de garantie d’emprunt. Enfin, il met en place des partenariats nouveaux entre bailleurs internationaux (UNEP, Initiative internationale pour le climat du gouvernement allemand), institutions financières (Standard Bank) et entrepreneurs.

L’ACAD a le mérite de répondre à des besoins cruciaux en Afrique puisque le continent connait un fort déséquilibre dans la répartition des certificats de réduction d’émission avec seulement 2% environ des certificats mondiaux[3]. De plus, en s’appuyant sur des projets locaux, ce système pallie le manque d’infrastructures en Afrique, ce problème entravant avec acuité la mise en œuvre et la maintenance de mécanismes de développement propres classiques. De même, il remédie au problème d’accès au financement : les coûts de MDP sont prohibitifs et empêchent l’éclosion de nombreux projets en Afrique. Les entreprises suivies sont soutenues financièrement à leur phase de lancement[4], ainsi que pour faire face aux coûts élevés de sélection (validation, évaluation d’impact). Enfin, tandis que les MDP sont peu connus en Afrique, ce programme permet de sensibiliser la société civile aux enjeux du développement durable tout en offrant des opportunités d’emplois et de croissance.

L’ACAD offre ainsi plusieurs atouts pour le continent. D’une part, il stimule un marché des crédits carbone en améliorant la capacité des banques partenaires à identifier et actionner des opportunités de crédits carbone. D’autre part, il réduit les coûts de développement de projets et d’investissement en construisant un portefeuille de projets viables et donc à même d’être répliqués en Afrique. Ce faisant, il facilite l’intégration régionale en déverrouillant des barrières de marché par des actions de sensibilisation d’échelle (forum, réseaux d’investisseurs). Le succès est au rendez-vous avec quatorze projets accompagnés dans neuf pays à ce jour. L’ACAD a accompagné des initiatives entrepreneuriales telles que « Nafa Naana » au Burkina Faso[5], pour améliorer des poêles économes en énergie ou bien des projets de plus grande envergure, comme le soutien à la certification de la plus grande zone d’éoliennes en Afrique (au lac Turkana au Kenya).

Le projet se révèle être intéressant pour le continent à court et à long termes. Aujourd’hui, il accorde une formation solide sur l’identification des projets de MDP pour les banques mais aussi pour les personnes travaillant dans l’entreprise accompagnée. D’ici quelques années, l’ambition est de stimuler un marché dynamique des crédits carbone en Afrique, d’intégrer les compétences liées à ce tissu industriel dans le secteur financier africain et de devenir un instrument de référence. Ces aspirations vont de pair avec des priorités stratégiques accroissant l’échelle de l’ACAD. L’objectif est de collaborer avec de nouvelles institutions bancaires partenaires, de créer de nouveaux mécanismes de financement (tels qu’un régime de garantie de crédits carbone prépayés), de disposer de moyens innovants de formation et de réseautage (e-learning, annuaire de marché) et de s’allier avec d’autres initiatives comparables dans le domaine du développement durable.

Toutefois, certaines limites peuvent être esquissées, en particulier en raison de la nature très discutable du marché des crédits carbone. En effet, comme cet instrument s’intègre dans ce marché, cette appartenance implique de devoir quantifier précisément les avantages réels des projets financés du point de vue du réchauffement climatique. Or, sur ce point, les données manquent. Cette absence d’information se retrouve d’une part quant à l’additionnalité financière (liée à la vente de crédits carbone), critère requis pour qualifier un MDP selon le protocole de Kyoto, et d’autre part quant aux certifications attribuées aux projets. En outre, auréolé de bonnes intentions, le marché carbone est pourtant l’arène de nombreux « carbon cow-boys » aux aspirations plus lucratives qu’écologiques, qui spéculent sur ces crédits alors assimilés à une valeur boursière lambda[6].

Il faut également souligner une certaine contradiction sur le présupposé même de cet instrument : la très faible demande énergétique en Afrique. Si la demande est faible, il en va alors de même pour les opportunités d'investissement. Il semble alambiqué de vouloir substituer à une demande quasi nulle des certificats de réduction d'émission. Néanmoins, la conjoncture actuelle suivie par l’Afrique annonce une hausse de la demande et il est possible de rétorquer à cette critique que la demande n’est pas forcément celle entrevue par la lorgnette occidentale. Le projet burkinabé cité plus haut atteste bien du potentiel de développement et des besoins de soutien d’un projet a priori dépourvu d’opportunité d’investissement.

Enfin, concernant la mise en œuvre même du projet, un point est critiquable : il semble que l’objectif de transfert de technologie, propre aux MDP, soit incertain,  puisque les projets recourent principalement à des technologies locales. Cette considération peut être vue soit par le verre à moitié plein – exploitation et développement de ressources locales, soit à moitié vide – aucun transfert technologique.

Cependant, pour ne pas finir sur une sombre note, soulignons que ce projet fait primer les bénéfices socio-économiques induits par les projets portés sur la quantité économisée de carbone. Est ainsi privilégié le « comment » au « combien », somme toute selon une bonne vieille logique de développement et de création de richesse.

Pauline Deschryver


[1] L’article 12 du protocole de Kyoto

 

[2] http://www.leadinggroup.org/rubrique332.html

 

[3] https://cdm.unfccc.int

 

[4] Ce soutien financier s’élève jusqu’à 125 000 dollars de subvention par projet

 

[5] http://www.wehavethepower2030.org

 

[6] Aurélien Bernier, « Augustin Fragnière, 2009, La compensation carbone : illusion ou solution ? PUF, 208 p. »

 

Des OMD aux ODD : un simple jeu de mots ?

OMD-petite-fille2Ce billet se propose de revenir sur les OMD dont l’échéance est 2015 et de mettre en exergue les ODD qui seront au cœur de l’agenda post 2015.

L’année 2015 devait être une année de référence, l’aboutissement de quinze années de lutte contre la pauvreté avec le soutien des institutions internationales. Si 2015 restera une année de référence, elle constituera aussi un point de départ vers, cette fois-ci, un monde meilleur où les conditions de vie en termes économiques et sociaux seront meilleures. C’est en tout cas l’objectif que s’est fixé la communauté internationale à travers les Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prendront le relais des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et qui constituent le point focal de l’agenda post 2015.

Au début des années 2000, la Communauté Internationale avait adopté les OMD, réparti en 8 objectifs à atteindre au plus tard en 2015 : (i) Éliminer l’extrême pauvreté et la faim, (ii) Assurer l’éducation primaire pour tous, (iii) Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, (iv) Réduire la mortalité des enfants, (v) Améliorer la santé maternelle, (vi) Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies, (vii) Assurer un environnement durable, (viii) Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Bilan des OMD : des objectifs trop ambitieux ?!

Près de 15 ans après le lancement des OMD, le bilan reste mitigé. Tous les objectifs n’ont pas été atteints et ceux pour lesquels c’est le cas au niveau mondial, il subsiste des disparités, parfois énormes, entre les régions.

Si le premier objectif des OMD, qui est la réduction de l’extrême pauvreté de moitié dans le monde entre 1990 et 2015, a été atteint (36% en 1990 contre 18% en 2010), en Afrique Subsaharienne, la proportion d’individus vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 56% en 1990 à 48% en 2010 alors que cette proportion a largement baissé de 45% à 14% sur la même période en Asie du Sud Est, selon le PNUD (2014).

Concernant l’éducation primaire pour tous, le taux brut de scolarisation est passé de 52% à 78% entre 1990 et 2012 en Afrique Subsaharienne alors que dans le monde en développement en général, ce taux est passé de 80% à 90% sur la même période. La bataille pour donner avant 2015 à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens de terminer un cycle complet d’études primaires n’est pas encore gagnée. En 1990, en Asie du Sud, seulement 74 filles étaient inscrites à l’école primaire pour 100 garçons. Fin 2012, les taux de scolarisation étaient les mêmes pour les filles et les garçons.  En Afrique subsaharienne, en Océanie et en Asie de l’Ouest, les filles sont toujours confrontées à des obstacles aussi bien pour l’entrée dans l’enseignement primaire que secondaire. Les disparités sont donc persistantes contrairement à la cible qui était d’éliminer les disparités entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire dès 2005 si possible, et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015 au plus tard. Pourtant, le statut des femmes occupant un emploi salarié non agricole est en augmentation, 23% à 33% en Afrique Subsaharienne entre 1990 et 2012, 38% à 44% en Amérique latine et Caraïbes sur la même période. En janvier 2014, 46 pays se targuaient d’avoir plus de 30 % de femmes parlementaires dans au moins une des chambres des représentants.

La mortalité infantile quant à elle est passée de 177 à 98 décès pour 1000 naissances vivantes entre 1990 et 2012. Réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans était la cible de cet objectif et seules l’Afrique du Nord et l’Asie de l’Est y sont parvenues entre 1990 et 2012. Les décès maternels ont diminué, passant de 990 à 510 décès pour 100 000 naissances vivantes de femmes dont l’âge est compris entre 15 et 49 ans. Ce chiffre est passé de 380 à 210 dans le monde entre 1990 et 2013 alors que la cible était une réduction de trois quarts de décès maternels. Entre 2001 et 2012, le taux d’incidence du VIH  (nombre estimé de nouvelles infections par an pour 100 personnes âgées de 15 à 49 ans) reste élevé en Afrique Australe même s’il est passé de 1,98 à 1,02 alors qu’il est de 0,03 en Amérique Latine et de 0.01 en Afrique du Nord sur la même période alors que l’objectif était d’enrayer et commencer à inverser la propagation du VIH/SIDA.

La dégradation de l’environnement se poursuit dans le monde : 13 millions d’hectares de forêts ont disparu, la faute aux ravages naturels, à l’urbanisation et à l’expansion de l’agriculture à grande échelle. Les émissions mondiales de CO2 ont atteint 32,2 milliards de tonnes métriques en 2011, soit une augmentation de 48,9% par rapport à leur niveau en 1990. Dans le même temps, la consommation mondiale de substances appauvrissant la couche d’ozone a diminué de plus de 98% entre 1986 et 2013.

Enfin, l’aide publique au développement s’est élevée à 134,8 milliards de dollars en 2013, son niveau le plus élevé jamais enregistré, après deux années de baisse des montants. Toutefois, l’aide va de moins en moins aux pays les plus pauvres. Ainsi ces dernières années, près d’un tiers du flux de l’aide totale des donateurs était destiné aux pays les moins avancés (PMA). En 2012, l’aide des donateurs du Comité d’Aide au Développement (CAD) aux PMA se montait à 0,09 % de leur revenu national brut cumulé, son ratio le plus bas depuis 2008. L’aide bilatérale nette à l’Afrique (où se trouvent 34 des 48 PMA) a baissé de 5,6% en 2013, passant à 28,9 milliards en termes réels.

Pour autant, la Communauté Internationale ne s’avoue pas vaincu et reste déterminé à faire mieux. Pour ce faire, elle propose une nouvelle palette d’objectifs, sous le nom d’Objectifs de Développement Durable (ODD) pour remplacer les OMD afin de lutter contre la pauvreté et les inégalités et réduire les disparités entre les pays développés et les pays en développement.

Les Objectifs de Développement Durable: quelles différences par rapport aux OMD ?

La première différence notable entre les OMD et les ODD est le nombre d’objectifs. En effet, on passe de 8 objectifs avec les OMD à 17 objectifs avec les ODD décrits comme suit :

  1. Mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes et partout
  2. Mettre fin à la faim, assurer la sécurité alimentaire et une nutrition adéquate à tous et promouvoir l’agriculture durable
  3. Atteindre une vie saine pour tous à tous les âges
  4. Fournir un enseignement de qualité équitable et inclusif et des opportunités de formation tout au long de la vie
  5. Parvenir à l’égalité des sexes, autonomiser les femmes et les filles partout
  6. Assurer l’eau et l’assainissement pour tous pour un monde durable
  7. Assurer l’accès à des services énergétiques pour tous, modernes, abordables, durables et fiables
  8. Promouvoir une croissance économique inclusive et soutenable et le travail décent pour tous
  9. Promouvoir une industrialisation soutenable
  10. Réduire les inégalités entre et à l’intérieur des pays
  11. Construire des villes et établissements humains inclusifs, sûrs et soutenables
  12. Promouvoir des modes de consommation et de production soutenables
  13. Promouvoir des actions à tous les niveaux pour lutter contre le changement climatique
  14. Parvenir à une conservation et un usage soutenable des ressources marines, des océans et des mers
  15. Protéger et restaurer les écosystèmes terrestres et mettre fin à toute perte de biodiversité
  16. Parvenir à des sociétés, des systèmes juridiques, des institutions efficaces, en paix et inclusives
  17. Renforcer et améliorer les moyens de mise en œuvre et le partenariat mondial pour le développement soutenable.

Les ODD sont très ambitieux comme objectifs et se différencient des OMD par l’intégration pleine et entière des trois volets (social, économique et environnemental) du développement durable. Ensuite, la mise en place d’autres indicateurs que le PIB pour mesurer correctement le bien-être et les progrès humains, l’élimination des inégalités et l’accent sur une gouvernance efficace ont été identifiés au nombre des priorités clés des ODD. Et cette fois-ci, les objectifs sont universellement applicables à tous les pays. Leur adoption est prévue en 2015 durant l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Quelles implications pour lAfrique ?

L’Afrique reste à ce jour le continent le plus pauvre de la planète. Les défis à relever en matière de développement restent de premier plan. Le bilan des OMD a, certes, montré que des progrès ont été réalisés entre 1990 et 2015 mais l’écart avec les autres régions du monde est très grand. Les ODD tout comme les OMD se focalisent sur les questions de pauvreté, de santé, d’éducation, d’inégalités entre pays et d’environnement.

Si les pays développés prévoient de continuer d’aider les pays en développement, notamment africains, avec les ODD au travers de l’APD, il faut que ces derniers s’approprient le discours sur leur développement et oeuvrent dans ce sens. Ce qui implique pour les pays africains qu’en plus de l’assistance de la communauté internationale, il faut faudra fournir un gros effort au niveau des pays. Ainsi, des programmes ambitieux en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures et d’emplois doivent être élaborés avec des plans de financement cohérents et soutenables sur le long terme. L’amélioration de la sécurité, de la gouvernance politique et économique, l’optimisation du système fiscal afin que les pays puissent dégager plus de ressources internes sont autant d’aspect à prioriser également sur le continent Africain.

Koffi Zougbédè

Référence :

Rapport 2014 du PNUD sur les objectifs du millénaire pour le développement

Quels sont les mécanismes de financement innovant du développement ?

185236742Le financement du développement en Afrique va de pair avec différents instruments aux logiques très variées. L’aide publique au développement (APD) est l’un des principaux outils du financement du développement en Afrique ; elle bénéficie aujourd’hui à plus de 160 pays pour un montant net versé de 125.6 milliards USD. D’autres mécanismes de financement cohabitent avec l’APD, en majorité indépendants des structures multilatérales d’aide au développement. Le recours à la dette et les partenariats public-privé constituent des outils développés par les pays récipiendaires eux-mêmes. Les transferts de fonds envoyés par les migrants représentent une source de financement non négligeable : selon la Banque Mondiale, ils s’élevaient à environ 351 milliards de dollars en 2011, soit plus de deux fois et demi l’aide publique au développement.  

Malgré ces flux financiers, les progrès restent mitigés. L’efficacité de l’aide est ainsi devenue un enjeu primordial alors même que les intervenants se multiplient[1], justifiant l’engagement des bailleurs internationaux pour accroitre la part de l’aide déliée, améliorer l’information et la prévisibilité, réduire le nombre de fonds multilatéraux et de canaux d’aide, réduire le nombre de pays orphelins de l’aide, etc., ainsi que des démarches volontaires (« New deal pour les pays fragiles »).  De plus, depuis les années 1980 – 1990, l’investissement privé a eu tendance à prendre le pas sur l’aide publique via l’augmentation des collaborations publiques-privées et sous d'autres formats (solidarité privée ; fonds d'aides développés par des entreprises[2]). 

Cette problématique a guidé la réflexion vers l’émergence de la notion de financements innovants[3] au sein des organes internationaux. Ces outils, contrairement à l’APD, sont assez prévisibles et réguliers. Ces mécanismes novateurs ont l’avantage de faire intervenir des acteurs divers, via des partenariats nouveaux. Ainsi, le fonds d’investissement Danone Communities, qui rassemble des partenaires publics et privés, finance des entreprises locales dotées d’un modèle économique durable avec un objectif de réduction de la pauvreté[4]. En outre, ces nouveaux financements s’inscrivent dans les enjeux de biens publics mondiaux et de rééquilibrage des inégalités. Leur but est de pallier le déficit de moyens financiers clairement posé par les Objectifs du Millénaire pour le Développement[5]. Ainsi, rechercher de nouveaux moyens est crucial avec des besoins en hausse et une contraction des budgets annuels d’APD.  

Quatre types de financements innovants apparaissent[6]:

  • les contributions volontaires : avec celles mises en place par la Fondation du Millénaire pour les financements innovants pour la Santé ainsi que les mécanismes de canalisation des transferts de migrants vers l’investissement productif ou social dans les pays d’origine ;
  • Les contributions obligatoires sont les taxes sur des activités économiques nationales ou internationales (taxe sur les billets d’avion/UNITAID[7] ; projet de taxe sur les transactions financières) ;
  • Les garanties d’emprunt sont des mécanismes de préfinancement sur les marchés financiers avec une garantie d’État. Leur utilisation est fréquente dans le secteur de la santé (par exemple pour l’organisation de campagnes de vaccination), mais également comme garanties d’achats futurs [8].
  • Les mécanismes de marché sont divers (exemple de la vente aux enchères des droits d’émission de CO2).

Ce sujet ne peut faire l’impasse sur le débat autour de la taxe sur les transactions financières, qui est un moyen efficace mais très critiqué. D’une part, c’est un outil puissant par son assise[9]. D’un taux très faible, environ 0,005%, elle suffirait à lever environ 30 milliards de dollars par an tout en restant assez faible pour ne pas perturber les marchés financiers. En outre, elle apparaît techniquement et juridiquement faisable et semble être le moyen le plus approprié pour le financement des biens publics mondiaux[10]. D’autre part, sa mise en place reste controversée en raison de l’opportunité publique qui la sous-tend.

D’autres mécanismes dignes d’intérêt sont à citer :

  • les contrats de programmes OBA (Output based aid) de la Banque mondiale : les opérateurs sont invités à inclure dans leurs programmes des objectifs sociaux spécifiques et à les subventionner, mais uniquement selon l’atteinte des objectifs fixés par le contrat.  
  • les mécanismes de « coopération décentralisée » et la compensation carbone, issue du Protocole de Kyoto.  La première vise à financer des projets via un prélèvement[11] et s’accompagne souvent d’un transfert de compétences. La compensation carbone permet qu’une entreprise troque la réduction de ses émissions en CO2 contre l’achat d’une quantité équivalente de crédits carbones à un tiers. Ainsi, l’ONG GERES est présente en Afrique et au Cambodge depuis 1997 avec un programme de fabrication et de vente de fours solaires.

Si la notion de financements innovants est pertinente ici, cette vision reste attachée à un prisme occidental de l’APD. C’est pourquoi, sur le constat de la régression de l’APD, d’autres flux apparaissent avec des modalités alternatives. De nouveaux donateurs sont apparus envers les pays africains : la Chine, le Brésil, la Russie en tête[12], en nourrissant le projet d’une banque de développement. Toutefois, ces financements dits « Sud-sud » obéissent à des règles relativement nouvelles : l’obligation d’investir les bénéfices tirés des ressources naturelles dans des infrastructures (« accords ressources contre infrastructures ») ; l’accent mis sur le développement du secteur privé dans l’investissement ; l’importance des projets « clef en main » ; un transfert de compétence facilité par des conditions similaires ; une plus grande flexibilité sur certains principes et avec moins de contreparties à respecter ; la primauté de l’aide au projet, visant directement les entreprises, sur l’aide programme, plus sujette au détournement et à la corruption. Si les échanges de cette nature se multiplient[13], reste à mesurer l’impact de ces investissements sur le développement en Afrique.

Les financements innovants et le recours à d’autres mécanismes que l’APD constituent indéniablement une partie de la solution pour combler le déficit des ressources disponibles pour le développement. Si l’APD garde un rôle central et catalyseur dans la stratégie internationale de financement du développement, les mécanismes de financement innovant permettent de lever des ressources complémentaires, plus stables et pérennes que les flux d’aide traditionnels. Néanmoins, et compte tenu de la diversité de ces mécanismes, la question qui demeure est d’identifier ceux qui seraient les plus appropriés à l’environnement et aux besoins des pays africains.

Pauline Deschryver


[1] Le 4ème forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide tenu à Busan (Corée du Sud) en 2011 a ainsi permis l’adoption pour la première fois d’un « partenariat global » pour l’efficacité de l’aide élargi à l’ensemble des acteurs du développement notamment les donateurs émergents et le secteur privé.

[2] Ainsi, la Fondation Bill et Melinda Gates a octroyé 3,4 milliards de dons, en 2012, en matière d'aide à la santé, soit l'équivalent de ce que dépense le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et la Malaria.

[3] Le concept de financements innovants est né selon les étapes suivantes : l’idée a été évoquée lors de la Conférence internationale sur le financement du développement Monterrey (Mexique,18-22 mars 2002) ; un groupe pilote pour les financements innovants du développement a été créé en février 2006 ; la Conférence de Doha a repris cette problématique en 2008 ; les financements innovants figuraient notamment à l’agenda de la présidence française du G20 en 2011. Certains financements ont depuis été appliqués et connaissent une mise en œuvre fructueuse, tandis que d’autres sont encore à l’étude ou bien font l’objet d’âpres négociations

[4] http://www.danonecommunities.com

[5] Dans le cadre des OMD 2015, les estimations du  rapport du Groupe d’experts (issu de la Task Force sur les financements innovants) pour la période 2012-2017 sont de l’ordre de 324 à 336 milliards d’euros par an (http://www.leadinggroup.org/IMG/pdf_RapportFR.pdf)

[6] La catégorisation des financements innovants a été esquissée lors de la conférence de Paris en 2011

[7] Taxe employée par 13 pays et créée à l’initiative du gouvernement franco-allemand en 2006, elle représente un premier exemple de taxe de solidarité imposée par les Etats en finançant la lutte contre des maladies telles que le Sida, le paludisme ou la tuberculose via le fonds UNITAID.

[8] La Facilité Internationale de financement pour la vaccination (IFF) et GAVI participent de ce type de financement innovant : cette facilité de financement internationale encourage l’emprunt sur les marchés financiers pour doubler d’aide au développement.  Créée en 2006 à l’initiative du Royaume-Universel, elle vise à financer d’ici 2015 les programmes de vaccinations des pays les plus pauvres via le fonds GAVI (Global Alliance for Vaccine and Immunization).

[9] Les transactions financières s’élèvent aujourd’hui à environ 4 000 milliards de dollars et sont très variées – valeurs mobilières, titres de dettes, produits dérivés sur matières premières et transactions de change.

[10] Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, Mondialiser la solidarité : pour des contributions du secteur financier, rapport du groupe d’experts à la Taskforce sur les transactions financières internationales pour le développement, juin 2010

[11] En France, la loi « Oudin-Santini » permet les collectivités territoriales de prélever jusqu’à 1% des recettes hors taxes afin de financer des actions de solidarité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.  

[12] En termes d’évènements institutionnels attestant de ce nouvel engouement des BRICS pour le financement du développement des PED on peut citer le 5ème Forum des BRICS à Durban ainsi que le Forum de coopération Afrique-Chine (FOCAC)

[13] A savoir, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique en 2009 (le commerce entre la Chine et l'Afrique a connu un taux de croissance moyen annuel de 33,5% entre 2000 et 2008). En outre, pendant la même période, la Chine a annulé les dettes de 35 pays africains pour un montant de 2,9 milliards de dollars (1,6 milliard d'euros)

Les zones économiques spéciales : un outil de développement encore mal utilisé

UntitledLes performances économiques actuelles de l’Afrique ne s’accompagnent pas systématiquement d’une mutation de sa structure économique et dans une moindre mesure des conditions sociales, notamment l’accès à l’emploi. De fait, les chiffres de croissance publiés sur l’Afrique sont portés notamment par la consommation privée et par les activités d’exploitation des ressources naturelles. Pour pérenniser ces performances, la création d’emplois et la transformation structurelle constituent un défi considérable pour les stratégies de développement des pays africains. La complexité de ce processus nécessitera l’action de l’Etat. Ces stratégies intègrent donc des politiques visant à générer des emplois et à consolider de façon pérenne les performances économiques du pays. L’une de ses stratégies est la mise en place de zones économiques spéciales (ZES).

Les ZES sont des enclaves territoriales qui fournissent un cadre plus avantageux (infrastructures et fourniture de services publics impossible à réaliser à l’échelle nationale) pour les entreprises et destinées à attirer les investisseurs locaux et étrangers. Si ces zones semblent attractives, rien ne garantit qu’elles puissent effectivement favoriser l’installation d’entreprises et générer des emplois ou avoir des effets d’entrainement sur le reste de l’économie. De toute façon, de nombreux pays africains y ont déjà recours, sans que leur impact ne soit vraiment significatif.

Selon le FIAS (2008), les emplois générés en Afrique subsaharienne par les zones économiques spéciales représenteraient à peine 0.2% des emplois formels alors qu’elles contribueraient à près de 50% du total des exportations, avec un effet de ricochet très limité sur le reste de l’économie. De fait, des travaux du CNUCED (2003) révèlent que les entreprises installées dans ces zones, en Afrique, utilisent des inputs importés et une main d’œuvre locale non qualifiées et produisent des biens destinés à l’exportation. Cette situation n’en appelle pas à supprimer les ZES mais plutôt à repenser leur structure. De fait, elles ont été un succès en Asie et dans certains pays africains (en particulier l’île Maurice et dans une moindre mesure le Kenya). Le défi serait donc d’identifier les composantes essentielles qui puissent permettre d’optimiser l’impact que pourrait avoir cette politique.

Selon la littérature, il existe trois types de ZES qui pourraient permettre d’atteindre les objectifs de développement. Afin de bénéficier des avantages liées à une préférence commerciale (AGOA des Américains ou encore Tout sauf les Armes de l’UE, par exemple), un pays peut mettre en place une ZES. L’objectif serait dans ce cas d’importer des matériaux, assurer leur transformation et exporter des produits finis définis dans le cadre des accords. Il présente cependant l’inconvénient d’être limité dans le temps à la mesure où les termes de l’accord relatif aux préférences commerciales peuvent changer. Un pays ne devrait donc utiliser cette mesure que s’il dispose des capacités lui permettant de tirer le maximum de profit de la période de validité de l’accord mais aussi de s’adapter assez rapidement quand les termes des accords préférentiels changent. C’est donc un risque considérable.

Malheureusement, c’est ce type de ZES que l’on retrouve dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne (avec les zones franches) et les expériences ont prouvé que leurs contributions à l’économie, notamment en matière de transformation structurelle et de création d’emplois, sont très limités. En outre, selon les travaux de Cling et al (2007) la fin du MFA (Multi Fibre Arrangement)[1] a eu des impacts négatifs sur les pays ayant mis en place des clusters spécialisés dans l’assemblage de vêtements, notamment l’île Maurice, le Kenya et le Madagascar où l’industrie textile est composée essentiellement d’entreprises étrangères (françaises ou chinoises). 

Les deux autres formes de ZES se bâtissent en fonction des avantages comparatives : soit en conformité avec celles-ci ou en les considérant comme un défi. Dans le premier cas, il s’agit de créer une zone économique qui permettrait d’exploiter au mieux les dotations en ressources naturelles du pays. Le second cas, plus complexe, consiste à créer les conditions afin de doter le pays d’avantages comparatifs. Ce genre de ZES tend à spécialiser les entreprises dans un domaine leur permettant d’approfondir et d’accélérer le processus d’industrialisation, en partant d'un seul secteur. Les entreprises apprennent l’une de l’autre, profitent des économies d’échelles, renforçant ainsi la concurrence et l’innovation.

Ce type de ZES a produit des résultats encourageants comme le montre les travaux de Nadvi et Barrientos (2004). Elles génèrent des emplois et ont un véritable effet de ricochet sur le reste de l’économie. La littérature identifie certains sucess stories comme le cluster de Tema (Ghana) qui s’est spécialisé dans l’agro-alimentaire, celui de Jurong Park de Singapour spécialisé dans l’industrie pétrochimique ou encore celui de Penang en Malaisie qui a développé tout une industrie sur l’électronique. Le succès de ces zones économiques ne tient pas seulement au fait qu’elles se soient spécialisées sur la base des avantages comparatifs mais surtout parce que les entreprises installées dans cette zone entretiennent d’importantes relations entre elles mais aussi avec l’administration publique, ce qui facilitent les partagent d’expérience, de connaissance et de technologie avec les autres entreprises du pays non installées dans la zone.

Les autorités devraient ainsi créer en marge de la mise en place des ZES un cadre favorable au partage entre les entreprises. Par ailleurs, il faut mettre en place des mécanismes pouvant permettre d’assurer le développement continue et pérenne de ces ZES. Au Singapour et en Malaisie, les autorités ont mis en place en marge du ZES, des mesures visant à renforcer le capital humain et à promouvoir le développement technologique. La mise en place de ces mesures, portées par le  secteur privé local, a permis de garantir le succès de ces zones.

En outre, pour optimiser l’apport des ZES à l’économie, leur mise en place devrait s’inscrire dans une stratégie globale de développement. Les politiques économiques mis en place ne devraient pas s’articuler autour de la zone mais devraient tenir compte de leur particularité tout en demeurant propres à toute l’économie. Ainsi, si la mise en place d’une ZES nécessite la levée de certaines barrières réglementaires, il faudrait pouvoir identifier tout ce qui constituerait des barrières à toute l’économie et y apporter des solutions appropriées. Si la mise en place d’une ZES nécessite la mise en place d’un cadre favorable visant à favoriser l’accès au financement bancaire, par exemple, toute politique visant à atteindre cet objectif, ne devrait pas se limiter aux seules entreprises installées dans la zone mais devrait être élargie à toutes les entreprises de l’économie.

La mise en place de ZES ne renforce donc pas systématiquement l’entreprenariat mais y contribue en favorisant la mise en œuvre de réformes qui rendent l’environnement favorable pour des investissements productifs. La mise en place de ZES devrait donc s’accompagner de mécanismes destinées à renforcer le capital humain, à assurer le développement technologique et à améliorer le climat des affaires entres autres.

Un autre point très important, est la localisation géographique. Une ZES ne devrait pas s’articuler autour du développement d’une localité ou d’une région mais devrait s’inscrire plutôt dans une logique de mis en place d’un poumon économique capable de rythmer et de dynamiser l’activité.

L’utilisation des zones économiques spéciales en Afrique comme outil de développement économique n’est pas problématique mais nécessite au regard des performances qu’elles génèrent d’être revue. Si les ZES en Asie ont été d’un grands succès, c’est surtout parce qu’elles ont été pensées avant tout comme partie intégrante de la stratégie de développement du pays et non comme outil de promotion des exportations, comme c’est le cas de nombreux pays africains aujourd’hui.

Somme toute, afin de profiter effectivement des capacités des ZES à générer de l’emploi et à impulser la transformation structurelle (primordiale pour la pérennisation de la croissance), les autorités devraient en plus d’intégrer cet outil dans leur stratégie de développement, mettre en place des mécanismes permettant de renforcer la résilience de l’économie à la conjecture internationale, s’appuyer sur les acteurs locales (les entrepreneurs) afin d’identifier les réformes à entreprendre pour rendre l’environnement des affaires favorables et pour appuyer le développement technologique et l’innovation.

Ce faisant, la dynamique au sein de la ZES pourrait se diffuser au reste de l’économie. Aujourd’hui, l’intégration de cet outil dans les stratégies de développement semble déjà une réalité : dans le cadre de son plan Sénégal Emergent (PSE), le Sénégal souhaiterait mettre en place une ZES à Diamniado non loin du nouvel aéroport et le Gabon est en train d’en mettre une en place à Nkok, selon les directives de son « Plan Stratégique Gabon Emergent ». La question qui demeure, est de savoir si la mise en place de ces ZES s’accompagnera des réformes nécessaires et autres mesures devant garantir leur rôle en tant qu’outil de développement. Pour l’heure, le FMI s’inquiète de la lenteur des réformes dans les pays d’Afrique subsaharienne et estime que sans elles, les plans de développement produiraient un impact très limité.

Foly Ananou

Références :

AfDB, OECD, UNECA, and UNDP (2011). African Economic Outlook Report 2011.

FiAS (2008). Special Economic Zone : Performance, lessons learned and implication for Zone Development. Washington, World Bank

CNUCED (2003). Export processing zones at risk ?

Farole Thomas (2011). Special Economic Zones in Africa : Comparing Performance and learning from global experience. Washington, World Bank.

J.P.  Cling, Roubaud F. and Razafindrakoto M. (2007). Export processing zones in Madacasgar : the impact of the dismantling of clothing quotas on employment and labour standards. DIAL.

Nadvi K. and S. Barrientos (2004). Industrial clusters and proverty reduction. UNIDO Report

Lall S. (1996). Foreign Direct Investment Policies in the Asian NIEs


[1] Le MFA était un accord dans l’industrie du textile à l’échelle mondiale entre 1974 et 1994, qui définissaient les quotas que les pays sous-développés pourraient exporter vers les pays développés.

 

La mendicité des enfants, un défi pour le développement de l’Afrique

talibe-senegal-avril-2009-225x300Il sont nombreux ces jeunes garçons âgés de 5 à 15 ans errant dans les rues et autres lieux publics, s'exposant à tous les dangers  et passant leur temps à mendier. Appelés « Talibés » au Sénégal, « Garibou » au Burkina Faso, Mali ou Côte d’Ivoire, ils sont présents dans plusieurs pays africains. Ce phénomène de mendicité des enfants prend de plus en plus d’ampleur. Selon le PARRER, près 7 600 enfants trainaient dans les rues de Dakar en février 2010. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, HRW) estime que près 100 000 enfants mendiants circulaient dans les rues du Sénégal en 2009-2010. Ces enfants, vivant loin de leurs parents, sont dans un état de manque absolu, tant sur le plan nutritionnel, vestimentaire qu'hygiénique. En dépit de tout ceci, le phénomène s’amplifie et l’on rencontre de plus en plus d'enfants mendiants dans les villes africaines : situation qui soulève des interrogations quant à ce qui permet à ce phénomène de perdurer en Afrique et son impact sur le développement du continent.

Les causes de la mendicité des enfants 

Il est considéré très généralement que la réligion, notamment l'Islam, entretient et encourage la mendicité en insistant sur les bienfaits de l'aumône. S’il y’a de nombreux mérites à pratiquer l'aumône, il faut préciser cependant que l'Islam interdit de mendier sauf en cas de situation critique, ce qui n'est pas le cas de nombreux mendiants et plus particulièrement les enfants. De fait, l'aumône est un acte de générosité exercé volontairement pour soutenir un nécessiteux alors que la mendicité est le fait de faire appel à cette générosité. Si les deux s'assimilent aussi aisément et créent la confusion c'est bien parce que les uns (les mendiants) ont des besoins et les autres (bienfaiteurs) ressentent le besoin de donner mais la distinction se situe dans le fait que l'aumône ne s'adresse pas qu'aux mendiants. C'est cette confusion qui entretient la mendicité en Afrique ; les uns voulant vivre de l'aumône des autres. C'est le cas de ces enfants qui représentent "l'apat idéal" pour bénéficier de la générosité des autres.

Certains géniteurs croyant donner une éducation religieuse à leurs enfants, les envoient chez des maîtres coraniques, sans y ajouter les moyens pour les prendre en charge. D’autres parents, ne pouvant assurer la charge de leurs descendances les confient à des maîtres coraniques, comme pour les mettre au service de la religion, qui pourra les prendre en charge. Cependant, ces maîtres coraniques n’ont que très peu de moyens, d’autant plus que l’école coranique n’est ni une entité publique, qui pourraient recevoir des subventions de l’administration publique et ne s’assimile pas à une entité d’enseignement privé qui exigerait en contrepartie une contribution financière des parents – qui d’ailleurs n’y inscrivent leurs enfants que parce que manquant de moyens. Ainsi, certains de ces maîtres coraniques envoient dans les rues, les apprenants pour quémander leurs pains quotidiens. Si le principe en soi n’est pas condamnable et peut être considéré comme juste, il a été complètement perverti au point de créer ce système.

Autrefois, ces jeunes apprenants servaient, sous le même principe, dans les champs de leur maître, qui assurait leur prise en charge complète à partir des revenus tirés des récoltes. La mendicité n’était que temporaire, faisant appel à la générosité de la société et constituait une façon d’instruire sur l’humilité. Les enfants se consacraient pleinement à leurs études. Aujourd’hui, le contexte a radicalement changé : ces jeunes enfants consacrent la plupart de leur temps à la rue, moins à leurs études et le fruit de leur risque enrichit leurs enseignants et sert moins à leur prise en charge.

La mendicité des enfants, un problème de société, qui remet en cause le développement de l’Afrique

Le problème des enfants mendiants est au delà d’un simple problème de société, un défi colossal pour le développement socio-économique des pays. Dans le passé, l’insertion sur le marché du travail n’exigeant pas un niveau de scolarité élevé, ces enfants ayant atteint l’âge de travailler pouvaient facilement avoir accès à un emploi, certes pas ceux nécessitant une compétence technique avérée mais ils devenaient des entrepreneurs, notamment dans le commerce. En fait, le passage auprès d’un enseignant islamique leur permet d’acquérir des compétences managériales dès le bas âge étant amené à travailler et d’autres vertus qui leur seront bien utiles pour créer une entreprise, gérer un commerce ou exceller dans les travaux qui leur sont confiés. La perversité du système qui a fait de ces enfants des mendiants que des apprenants, fait qu’ils sont en marge du marché du travail très compétitif et requiert un minimum de qualification professionnelle.  Si même les diplômés ont du mal à s’insérer sur le marché du travail, la situation semble plus difficile pour les non diplômés. Ils sont ainsi orientés systématiquement vers le secteur informel ou dans des secteurs qui ne procurent à l’État qu'un revenu substantiel, avec des emplois précaires et une couverture sociale inexistante. Nombreux deviennent des commerçants ambulant, des ouvriers, des chauffeurs de taxi ou apprentis des transports traditionnels en commun des villes. Les meilleurs d’entre eux deviennent des marabouts, des maîtres d’arabe ou encore des enseignants. Certains exercent dans l'agriculture. D'autres, qui ont à la faveur de l'âge et un peu de ressources financières, apprennent un métier dans l'informel : soit la mécanique, la peinture, la menuiserie, etc. La plupart de ces activités, non seulement ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté, mais contribue à maitenir une bonne partie de l'économie africaine dans l'informel.

La grande partie de ces jeunes mendiants se retrouve sans emploi ou incapable d'entreprendre quelque activité. Certains d'entre eux se convertissent à la délinquance, se targuant d'être des "Robin des bois" urbains et usant de n’importe quels moyens pour avoir du revenu fussent-ils licites ou pas, compremettant ainsi la sécurité dans les zones urbaines.

Il est tout à fait clair que le manque d’éducation d’une tranche importante de la population consitutée de ces jeunes enfants, a des conséquences socio-économiques négatives importantes dans la société. Ces populations non éduquées, en plus de constituer une base électorale vide, ignorant les principales lois du pays, reçoivent mal ou comprennent mal les sensibilisations. En effet, face à des épidémies ou certains problèmes sociaux, les États auront beaucoup plus du mal à les sensibiliser. Dans un contexte où l’Afrique a réellement besoin de toutes ses capacités, notamment en ressources humaines qualifiées, un nombre important d’une population non éduquée serait un coup dur pour le développement.

Des tentatives de solutions encore infructueuses

La situation des enfants mendiants a amené certaines entités à les prendre en compte parmi les enfants en situation particulièrement difficile et à chercher des stratégies en vue d’améliorer leurs conditions de vie et d’apprentissage.
Ainsi, à Dakar, le programme d’aide aux enfants mendiants, dénommé « Talibé Sunshine », compte lancer une campagne de sensibilisation en direction de l’opinion nationale, afin d'attirer l'attention sur la condition insoutenable des enfants de la rue. A Saint Louis, l'Association Jardin d'espoir sensibilise les talibés sur l'hygiène de base.

Au Mali, pour assurer la réinsertion des enfants de rue, l’association Soudoubahaba, piloté par le Haut Conseil islamique du Mali, a commencé la construction d’un complexe scolaire à Bamako dans le but de fournir un cadre propice pour acceillir les enfants se trouvant dans cette situation. Au Burkina Faso, l'Association Gournaam-Survie se donne pour leitmotiv d'apprendre aux talibés « à lier le bois au bois » et à gagner dignement leur vie. Cette Association a pour objectifs de renforcer les acquis antérieurs des jeunes talibés en les alphabétisant et en leur apprenant les règles morales de la vie. En plus des organismes et associations, certains gouvernements ont voulu régler le problème par la force, en prenant des dispositions légales contre la mendicité. Ces efforts demeurent infructueux. Ils se heurtent à une forte résistance des populations. Par exemple, en 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta de rendre illégale la mendicité en ville mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application.

Force est de remarquer que malgré toutes les tentatives pour éradiquer le phénomène, le nombre des enfants mendiants ne diminue point et leurs conditions ne s’améliorent guère. Le problème majeur demeure le fait que les populations ne saisissent par l’enjeu du phénomène et les dommages qu’il cause à la société. Pour régler la question, les gouvernements devraient envisager des campagnes de sensibilisation ciblés à l’endroit des populations portant le potentiel d’impliquer leurs enfants dans cette pratique. Il faudrait pour ce faire entreprendre des enquêtes permettant de cibler les populations concernées. Pour être efficace, les équipes de sensibilisation doivent intégrer des responsables religieux et des autorités locales et/ou coutumier comme le chef du village ou le chef du quartier. Ce dialogue avant l'introduction de quelque législation, permettrait aux populations de s’approprier la loi et d’assurer son application et de lever cet obstacle supplémentaire au développement socio-économique de l’Afrique. L'idée ne serait pas de mettre fin à ce système d'apprentissage traditionnelle, mais de l'encadrer et d'éviter qu'il constitue un point noir dans l'équation du développement des enfants et plus particulièrement celui des enfants.

Ali Yedan

Lire aussi :

Talibés du Sénégal, un problème de société.

Profession de foi pour une rubrique entreprenante !

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Des idées, les entrepreneurs en ont souvent dix par minute. Là-dessus, l’Afrique n’est pas en reste. Le continent de l’informel abrite des dizaines de milliers d’entreprises, qui contribuent à la croissance économique et au développement, menées par des entrepreneurs désireux de changer le monde ou le regard porté sur leur pays, qui se débrouillent pour se faire financer et persévèrent pour faire fructifier leurs projets.  En somme, l’Afrique bouge et innove, et notre think-tank est bien décidé à le démontrer.

Dans cette nouvelle rubrique dédiée, l’Afrique des Idées souhaite explorer les différentes facettes de l’entrepreneuriat africain, confronter les idées et les tendances pour contribuer à faire émerger des idées innovantes. Dans le processus d’une pensée en construction, nous nous intéresserons à des acteurs très différents, pour décrire sans prétendre pour autant à l’exhaustivité, une réalité que nous savons d’avance complexe et différente dans chacun des pays du continent. Entrepreneurs bien sûr mais pas seulement : structures d’appui, politiques publiques, investisseurs, entrepreneurs sociaux, institutions mondiales, joint ventures… font aussi partie du paysage entrepreneurial africain. Il y aura de la matière, c’est sûr ! Nous nous attaquerons également à des sujets plus transverses, à des analyses plus poussées, pour par exemple discuter de la définition d’une PME en Afrique, du rôle de l’informel dans la création d’activité, ou encore de l’avenir de l’entrepreneuriat social sur le continent.

L’entrepreneuriat africain est en  effet pluriel, de plus en plus féminin et les entrepreneurs africains ne font pas forcément du business comme dans la Silicon Valley. Ils ont d’ailleurs des conceptions sociales et environnementales de l’entreprise que l’Europe ou les Etats-Unis redécouvrent avec béatitude. En plus de vous informer, nous essayerons de vous inspirer, de vous donner envie de suivre certaines entreprises, voire même, sait-on jamais, de les aider d’une manière ou d’une autre. Nous tâcherons de montrer le meilleur de l’entrepreneuriat africain, en analysant les faiblesses et les difficultés spécifiques au continent.

Plus que jamais, nous sommes ouverts aux tuyaux et autres suggestions, aux mises en contact et aux contributions irrégulières. Ici, on ne dira pas « Non » mais « Pourquoi pas ? ».

Rejoignez la team des Rédacteurs entreprenants !

Vous n’y connaissez rien aux affaires ? Tant mieux, vous découvrirez des perles rares loin des projecteurs. Vous êtes curieux ? Nous sommes bien partis pour nous entendre. Vous vous sentez trop idéaliste ou anticapitaliste pour parler d’entrepreneuriat? Qu’à cela ne tienne, vous vous épanouirez à interviewer tous les entrepreneurs sociaux d’Afrique et découvrirez une autre façon de penser l’activité lucrative. Vous avez une compétence particulière ou une connaissance spécifique sur un sujet donné ? Partagez cela avec nous. Vous avez un peu la tchatche et vous adorez refaire le monde ? Les entrepreneurs répondront encore plus volontiers à vos questions ! Si vous avez encore plein de questions, si vous hésitez encore à vous lancer dans l’aventure, écrivez un petit mail, ce sera l’occasion de faire connaissance : vera@terangaweb.com

La Rubrique Entrepreneuriat

Pourquoi faut-il s’approprier le discours sur le développement de l’Afrique ?

une_croissance_inclusive_folyAujourd’hui, l’Afrique fait l’objet de prises de position sur son développement. Ces prises de position se font à travers un discours qui peut prendre plusieurs formes comme le témoigne la multitude de rapports, d’ouvrages et d’événements organisés au cours des dernières années d’abord pour décrire un continent sans espoir et ensuite pour la présenter comme un continent d’avenir. L’évolution du titre de la revue The Economist qui passe de « The hopeless continent » en 2000 à « The hopefull continent » en 2011 illustre le changement de paradigme dans le discours sur le développement de l’Afrique. Ce changement de paradigme, fondé sur des observations empiriques, ne met pas toujours en lumière les causes profondes des fortunes de l’Afrique. Pourtant, deux principales raisons militent pour une meilleure connaissance de ces causes afin de mieux accompagner le continent dans son processus de développement.

Il y a une demande de production d’idées pour éclairer les perspectives de développement de l’Afrique

En effet, le niveau de développement actuel de l’Afrique soulève de grandes questions auxquelles très peu de réponses ont été apportées, de sorte qu’il est difficile d’afficher un optimisme béat sans craindre un retournement de la tendance actuelle du progrès économique. Les taux de croissance sont certes élevés depuis plus de dix ans ; mais ils sont encore fortement liés aux termes de l’échange et donc de l’exploitation des ressources naturelles. Des progrès ont été enregistrés en termes de gouvernance économique et politique ; mais nous en savons actuellement très peu sur l’ampleur de ces progrès et la part de leur contribution à la croissance économique observée jusqu’ici.

Le maintien de cette dynamique de la croissance économique nécessite de lourds investissements dans les capitaux physiques tels que les équipements agricoles, les infrastructures énergétiques, hydrauliques et de transports. Dans le même temps, il est aussi nécessaire d’investir dans le capital humain à travers l’amélioration de la santé et de l’éducation des populations. Cette conjonction des besoins d’investissement soulève la question de savoir comment trouver les financements nécessaires à ces projets d’investissements et dans quelle proportion les allouer  aux investissements en capitaux physique et humain pour générer une croissance forte et inclusive. Il en est de même pour les dépenses dans le cadre des programmes sociaux tels que l’assurance maladie ou les transferts sociaux. La prise en compte du cadre de gouvernance politique, des contraintes réglementaires notamment sur le droit de la concurrence, de l’intégration régionale complexifie davantage l’analyse de ces questions. Par ailleurs, les réponses à ces questions requièrent la prise en compte de contraintes extérieures telle que le dérèglement climatique et la préemption de l’industrie manufacturière par la Chine.

Toutes ces questions sont posées dans un contexte particulier caractérisé par un niveau de vie moyen africain qui décroche par rapport au reste du monde et une augmentation du nombre de pauvres. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde ayant connu une baisse de son PIB par habitant relativement à celui des Etats-Unis. Alors que les autres régions en développement tendent globalement à rattraper le niveau de vie des pays développés, l’Afrique sub-saharienne décroche avec un PIB par habitant qui chute de 4% du PIB par habitant américain en 1960 à 2% en 2012.

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Aussi, en dépit d’une légère baisse de la proportion de pauvres au cours des dix dernières années, le nombre de pauvres, quant à lui, a doublé en 30 ans, passant de 205 à 413 millions de pauvres entre 1981 et 2012. Contrairement aux autres régions en développement, l’Afrique sub-saharienne est là encore la seule région au monde ayant connu une augmentation du nombre de pauvres. En ce qui concerne les inégalités, les dernières estimations fournies par la Banque Africaine de Développement place le continent en deuxième position des pays les plus inégalitaires dans le monde après l’Amérique latine.[1] Il ne s’agit là que des inégalités de revenus. Nous en savons encore très peu des inégalités de patrimoines qui sont généralement plus fortes que les inégalités de revenus.[2]

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Tous ces éléments placent l’Afrique face à un grand défi : celui d’assurer le bien-être de chaque composante de sa population dans un monde globalisé. Loin de l’afro-pessimisme des années 90 et loin aussi de l’afro-optimisme actuel, le think-tank L’Afrique des Idées (ADI) propose l’afro-responsabilité comme nouveau paradigme. Celui ci consiste à entamer une démarche de réflexion pour comprendre les défis auxquels font face l’Afrique afin d’œuvrer à ce qu’elle puisse les relever.

Contrairement aux décennies précédentes, il existe aujourd’hui des leviers pour satisfaire cette demande d’idées

Certes, il existe déjà des groupes de réflexions qui travaillent sur certaines des questions évoquées plus haut. Cependant, ces groupes restent à l’échelle nationale alors que la plupart des défis qui se posent aux pays africains dépassent les frontières nationales. Par exemple, les questions de développement économiques ne peuvent plus se poser à l’échelle nationale dans la zone CFA dont les pays partagent une monnaie commune depuis plus de 50 ans. L’approche nationale occulte très souvent la perspective régionale dans l’analyse des problématiques identifiées à l’échelle nationale. Typiquement, la gestion de l’environnement ne peut être appréhendée dans un pays, ou même une région, sans prendre en compte ce qu’il se passe dans les autres régions du monde. En outre, la plupart des initiatives nationales courent le risque de se transformer très vite en un mouvement de lutte pour le pouvoir politique, perdant ainsi de vue l’objectif initial qui est de rester une force de propositions de nouvelles idées indépendamment du processus politique en cours. Il s’agit donc d’un engagement strictement intellectuel qui vise une compréhension rationnelle des enjeux de tous ordres qui se posent à chaque pays africain.

Par ailleurs, le contexte actuel se prête bien à la déclinaison opérationnelle de l’afro-responsabilité. Il est caractérisé par un nombre plus important de jeunes africains qui vont étudier dans les meilleures universités. Selon les statistiques de l’UNESCO, le nombre d’étudiants africains en mobilité a augmenté de 40% en dix ans passant de 205 à 288 mille entre 2003 et 2012.[3] Cette accumulation de la connaissance a besoin d’être employée au service de la compréhension des défis de l’Afrique plutôt que de conduire principalement à accentuer la concurrence politique avec les conséquences que l’on observe actuellement dans certains pays africains. Cette dynamique de l’accumulation de la connaissance par les jeunes africains vient s’ajouter au stock de connaissances accumulé par les aînés et complétée par un nombre croissant de personnes originaires des pays développés qui s’intéressent à l’Afrique notamment lors de stage d’études.

C’est fort de ces circonstances que L’Afrique des Idées ambitionne d’opérationnaliser l’afro-responsabilité en s’appropriant le discours sur le développement de l’Afrique. Cette opérationnalisation s’est traduite par la réalisation d’études sur des sujets tels que la croissance inclusive, les choix de carrières des africains de la diaspora en Afrique et l’économie verte. En particulier, l’étude sur la croissance inclusive qui a déjà été présentée à l’Université des Nations Unies à Helsinki, vient d’être retenue pour être présentée lors de la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris. De même, nos publications sur l’économie verte en Afrique ont fait l’objet d’une synthèse distribuée aux participants du Forum International sur le Green Business organisé par la Chambre de Commerce de Pointe-Noire. Parallèlement, L’ADI dispose d’une équipe de rédacteurs qui publient quotidiennement des articles d’analyse et des chroniques dans des domaines aussi variés que l’économie, la politique, la culture, le développement durable et l’histoire.

Georges Vivien Houngbonon, article initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin (23 – 27 juin 2014)


[1] African Development Bank’s Briefing Note N°5: Income Inequality in Africa, 2012.

[2] Le Capital au 21ème Siècle, Thomas Piketty, 2013.

 

[3] Global Flow of tertiary-level students, UNESCO. Page consultée le 7 juin 2014 à 22h de Paris.

Perspectives démographiques : la question des deux milliards d’Africains

ECH20683031_1Il y a aujourd’hui deux chiffres encrés dans l’imaginaire collectif de ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’Afrique : 5,2 % et 2 milliards. Le premier concerne le taux de croissance moyen du PIB de l’Afrique de 2003 à 2011 tel que publié dans les perspectives économiques de l’Afrique en 2012. Le second représente la projection de la population africaine à l’horizon 2050 faite par les Nations Unies la même année. Ces deux chiffres sont systématiquement repris dans les rapports, articles de journal et aussi par les économistes experts sur l’Afrique. S’il est vrai que davantage d’analyses remettent actuellement en question la réalité et la pertinence des 5,2% de croissance, on ne peut pas en dire autant sur les perspectives démographiques africaines.[1] Or, ces dernières présentent des défis qu’il faudra relever pour en faire de véritables opportunités économiques pour les consommateurs (populations locales), les investisseurs, et l’Etat.

Selon la plus récente révision de la projection démographique des Nations Unies, la population africaine devrait atteindre environ 2,4 milliards d’individus à l’horizon 2050 ; soit le double de la population africaine observée en 2010. Cette projection place l’Afrique au rang de la région la plus peuplée du monde loin devant la Chine et l’Inde. Cette situation présente d’énormes enjeux géopolitiques, mais nous nous focaliserons dans cet article plutôt sur ses enjeux économiques. Même si l’on gardait le même niveau de productivité économique, il suffira d’équiper chaque africain des mêmes outils de travail qu’aujourd’hui pour garder le même revenu par habitant.[2] Dans ces conditions, un doublement de la population est globalement équivalent au moins à un doublement de la taille du marché potentiel, voire du cash flow pour les investisseurs. Dès lors, il est tout à fait compréhensible que les perspectives démographiques de l’Afrique constituent un argument majeur dans les discours pour attirer les investisseurs.

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Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees issues du World Population Prospects : The 2012 Revision de la division de la population des Nations Unies.

Toutefois, on peut mieux faire. Et cela passe par une augmentation de la productivité de toutes ces nouvelles cohortes qui viendront doubler la population africaine en 2050. Une approche pour y arriver consisterait à équiper les travailleurs africains d’outils plus productifs. L’adoption des nouvelles technologies de l’information ainsi que la construction des infrastructures de transport et énergétiques constituent des exemples concrets d’une telle approche. Cependant, cette approche omet jusqu’ici l’augmentation de la productivité « humaine » du travailleur ; qui dans certains cas est même nécessaire pour assurer l’utilisation des outils plus sophistiqués (productifs). Par conséquent, une amélioration de la santé des populations accompagnée d’une meilleure éducation s’avère nécessaire pour que les perspectives démographiques africaines soient bénéfiques à tous ; à la fois aux investisseurs, aux populations locales et en définitive à l’Etat.

Or, même si quelques progrès ont été enregistrés au cours des dernières décennies sur ces deux dimensions du développement humain, il n’en demeure pas moins que des défis plus importants restent à relever. Il ne s’agit pas ici de revenir sur des indicateurs classiques du développement humain comme l’espérance de vie à la naissance ou des taux de scolarisation, mais d’identifier plus précisément des leviers qui méritent d’être employés pour relever davantage la productivité des prochaines cohortes d’Africains qui arriveront sur le marché du travail à l’horizon 2050.

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Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees de l Organisation Mondiale de la Sante.

Sur le plan de la santé, de récentes études ont confirmé l’importance des deux premières années qui suivent la naissance d’un individu. C’est le cas notamment de cette étude menée par le prix Nobel d’Economie James Heckman et ses coauteurs auprès d’enfants Jamaïcains sur l’impact d’un paquet de stimulations psycho-sociales qu’ils ont reçues pendant les deux premières années de leur naissance sur leurs salaires vingt années plus tard. Selon les estimations, il se trouve que cette intervention a permis d’augmenter leur salaire de 42% en moyenne. Cela démontre l’impact significatif que peut avoir une bonne nutrition et un bon environnement social durant les deux premières années suivant la naissance sur le bien-être futur des enfants. Or, aujourd’hui les statistiques sur la nutrition des enfants Africains ne sont pas vraiment reluisantes. Comme le montre le graphique ci-contre, 35% des enfants Africains de moins de 5 cinq ans souffraient d’un retard de croissance en 2010. Même si l’OMS prévoit une réduction de cette prévalence, elle sera toujours supérieur à 25% à l’horizon 2025 ; soit un enfant sur quatre.

Comme le mentionne l’UNICEF dans un récent communiqué de presse, le retard de croissance de l’enfant n’est pas qu’une question de taille. Il est un indicateur de ce que sera son état de santé et sa productivité à l’âge adulte. C’est aussi l’avis des neurologues selon lesquels le retard de croissance est lié à une absence de développement de certaines parties du cerveau dont dépendent les capacités cognitives de l’enfant. Malheureusement, une fois passée l’âge de cinq ans, cette absence de développement est irréversible, condamnant l’adulte à des capacités cognitives limitées. Par conséquent, il est nécessaire de prendre tout de suite des mesures pour éviter que les nouvelles naissances ne soient assujetties à ces carences dans l’avenir. Les enfants nés entre 2015 et 2030 auront entre 20 et 35 ans en 2050. Ils constitueront donc la cohorte des travailleurs les plus actifs sur le marché du travail en 2050.

L’autre défi auquel il faut s’attaquer est l’éducation. Là aussi des progrès ont été enregistrés comme le montre le graphique ci-dessous. La scolarisation au primaire est devenue presque universelle en 2012. La scolarisation au secondaire et au tertiaire ont légèrement progressé même si elle reste à un niveau faible, notamment pour le tertiaire. Les écarts entre les différentes courbes rendent comptent des taux d’achèvement très faible quoiqu’ils ne disent rien sur le parcours individuel des élèves.

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Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees de l UNESCO

Plus important encore est le problème de la formation professionnelle et de son adéquation par rapport aux besoins du marché. L’exemple emblématique de ce problème est le fait que les jeunes Africains les plus éduqués ont généralement plus de chance d’être au chômage que ceux qui ont été moins ou pas du tout à l’école. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut obliger les étudiants à faire une formation professionnelle et les décourager à poursuivre de longues études. Au contraire, comme le montre cette récente étude du BIT conduite dans huit pays africains, les nouveaux diplômés qui finissent par trouver un travail sont mieux rémunérés lorsqu’ils ont des niveaux d’études plus élevés.

Ainsi, ce n’est pas le niveau d’éducation qui pose problème, mais plutôt le type d’éducation ; puisque c’est elle qui détermine les chances de trouver un emploi. Dès lors, il faut non seulement encourager la poursuite des études adaptées aux besoins du marché du travail ; mais également promouvoir leur qualité. Une manière d’y parvenir serait que l’Etat mette en place des programmes d’orientations professionnelles en partenariat avec le secteur privé pour les lycéens et subventionner les formations professionnelles qui répondent aux besoins du secteur privé. Une telle politique peut être financée par une taxe spécifique prélevée sur les entreprises. Une alternative, plus libérale, consisterait à encourager le financement des formations professionnelles par les entreprises privées en partie subventionné par l’Etat.

Cette analyse considère l’Afrique comme un tout alors que le diagnostic n’est pas nécessairement le même d’une région à une autre et même entre des pays d’une même région. Par ailleurs, l’on a souvent tendance à imaginer l’Afrique à la place de la Chine sur la base de ses perspectives démographiques. Cependant, 2 milliards d’individus sous la direction d’un seul Etat ne produit pas les mêmes résultats que le même nombre d’individus sous la direction de 54 Etats différents. Les conclusions de cet article méritent donc d’être contextualisées mêmes si elles sont suffisamment générales pour s’appliquer à une majorité de pays Africains.

Georges Vivien Houngbonon

Références :

Elder, S., Koné, K. S. 2014. Transition vers le marché du travail des jeunes femmes et hommes en Afrique Sub-Saharienne. Work for Youth N°10. Bureau Intenational du Travail

Gertler, P., Heckman, J., Pinto, R., Zanolini, A., Vermeesch, C., Walker, S., Chang, S., Grantham-McGregor, S. 2013. Labor Market Returns to Early Childhood Stimulation: A 20-Year Follow-up To An Experimental Intervention In Jamaica. NBER Working Paper Series.

Morten Jerven. 2013. Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It. Cornell University Press

Perspectives économiques africaines, 2012. Centre de Développement de l’OCDE.

Progress shows that stunting in children can be defeated, Communiqué de Presse. Avril 2013. UNICEF.


[1] Voir les travaux de Morten Jerven sur la qualité des statistiques macroéconomiques africaines et les publications de la Banque Africaine de Développement, de même que l’étude menée par L’Afrique des Idées sur la croissance inclusive en Afrique.

[2] Nous faisons abstraction des inégalités dont on ne peut prédire à l’avance l’évolution.

 

L’Afrique discute son développement socio-économique

169498522Le FMI a publié mi-avril les perspectives économiques pour l’Afrique. Le scénario indique un maintien de la dynamique économique entamée par l’Afrique subsaharienne depuis la dernière décennie avec des risques inhérents à l’environnement socio-politique et à la dynamique économique mondiale. Réunis à Maputo les 29 et 30 mai, les ministres africains en charge de l’économie et des finances et les gouverneurs de banques centrales ont saisi l’occasion d’échanger sur la dynamique plutôt impressionnante de certaines économies africaines et des défis qui demeurent à relever pour les pays du continent afin d’assurer leur développement. Ils estiment qu’il faudrait assurer une transformation structurelle et une diversification des économies africaines en s’appuyant sur la jeunesse de sa population afin de créer une fenêtre d’opportunités pour accélérer le processus de développement du continent.

De nombreux pays africains ont enregistré ces dernières années des performances économiques impressionnantes, démontrant l’efficacité des politiques économiques adéquates mis en œuvre dans ces pays et prouvant le rôle des institutions, de l’aide au développement et l’importance de l’investissement dans la technologie et le capital humain. Cependant, ce gain de croissance ne contribue pas systématiquement à réduire les inégalités et la pauvreté dans la plupart de ces pays. Une étude de L’Afrique des Idées portant sur le sujet, qui fera l’objet d’une conférence au courant de ce mois, apporte des éléments de réponse sur la question. Cette question appelle à déterminer des mécanismes pour rendre la croissance profitable à tous – qu’elle soit un facteur de réduction de pauvreté et d’inégalités, générateur d’emplois pour la jeunesse africaine. Un article précédent présentait la vision de nos dirigeants sur les mécanismes pouvant rendre cette performance au service du développement de l’Afrique. La question qui subsiste au-delà de tous ces discours de politique économique est celui du financement de ces stratégies, tout ne perdant pas du regard les différentes crises qui secouent le continent.

Résoudre les conflits

Des exemples  sur le continent (Rwanda, Côte d’Ivoire, Ouganda, …) ont démontré que la stabilité politique, sans être le seul facteur, est garant du bon fonctionnement de l’activité économique. Les ministres ont dès lors insisté sur le fait de résorber les conflits existants sur le continent et d’instaurer un climat de paix. La situation au Mali, la crise nigériane avec la menace « Bokho Haram », la situation de la Centrafrique et du Soudan du sud ; les futures élections dans les pays d’Afrique de l’ouest et les tensions au Maghreb sont autant d’exemples qui prouvent encore une fois la fragilité de l’environnement politique en Afrique. Si des pistes solides n’existent pas pour résoudre les conflits actuels sur le continent, il est toutefois possible d’éviter l’éclosion de nouveaux troubles sur le continent. Les ministres estiment à cet effet qu’il faudrait instaurer dans les différents pays des institutions fortes capables de renforcer les acquis en termes de stabilité politique, accompagnés de politiques sociales.

Financer le développement

Un article de Georges traitait de cette question et a identifié plusieurs mécanismes, notamment la fiscalité comme un moyen de financer le développement du continent. Les ministres sont de cet avis et souhaiteraient renforcer les mécanismes permettant la mobilisation de ressources domestiques. Ceci s’appuierait sur un renforcement de capacités en matières de fiscalité mais aussi de gestion budgétaire afin d’assurer une disponibilité de fonds pour assurer l’investissement public.

Une place particulière devra aussi être accordée au secteur privé, notamment en ce qui concerne le financement des infrastructures, à travers les partenariats public-privés. Nombreux sont les pays africains qui ont déjà initiés des rencontres avec le secteur privé pour le mobiliser autour de leur programme de développement et les opportunités, sans réel succès. On pourra toujours s’interroger sur la nécessité de telle rencontre et la disponibilité du secteur privé à accompagner l’Afrique. Le Nepad va, dans la même optique, se rapprocher du secteur privé sur des projets à caractère régional dans les prochains jours à Dakar. Ce sera l’occasion de statuer sur la position du secteur privé (africain et internationale) vis-à-vis des besoins des pays africains. Une chose est certaine c’est qu’il est un partenaire sur lequel l’Afrique doit compter si elle veut résoudre les problèmes d’infrastructures.

L’outil de la dette est perçu aujourd’hui comme un facteur obérant le développement de l’Afrique. Certes les pays africains ne pourront s’en passer mais ils devraient être prudents quant à son utilisation tout en recherchant concomitamment des sources alternatives de financement. Les ministres africains réunis à Maputo, le reconnaissent et ont introduit auprès du FMI un plaidoyer pour un assouplissement des conditions de financement et à la mise à disposition de ressources financières plus adaptés aux besoins des pays africains tout en participant de façon active au renforcement des capacités des pays en matière de gestion de la dette.

Selon les données disponibles, l’Afrique serait en train de rattraper sa décennie perdue en termes de croissance. La généralisation de ce rattrapage à tout le tissu socio-économique du continent reste encore discutable. Les indicateurs socio-économiques présentent plutôt une Afrique encore à la traine. La situation est cependant asse hétéroclite ente les pays. Si l’Afrique s’affiche de moins en moins comme un continent en marge du monde et victime des autres, elle ne pourrait pas non plus s’identifier systématiquement comme un géant économique du monde. Les défis sont encore grands et les moyens pour les contenir semblent assez flous. Les autorités économiques africaines sont donc appelées à jouer un rôle crucial dans ce processus en identifiant les meilleures pratiques pour permettre au continent de se développer.

Foly Ananou

Comment tirer parti des nouveaux partenariats ?

accaparement des terresL’Afrique est objet de toutes les sollicitations actuellement. La tournée de Barack Obama à Dakar sur le continent, prouve à suffisance que le temps est révolu où le continent était royalement ignoré, sinon méprisé par les puissances du monde. Ce voyage est survenu juste après la tournée du nouveau Président chinois Xi Jiping dans certains pays du continent et indique que nulle puissance ne veut rater sa part des ressources de l’Afrique. Ses nombreuses ressources minières ainsi que son potentiel stratégique, font de ce continent un partenaire en devenir dont tout le monde veut s’attirer les bonnes grâces. Face à l’offensive de charme dont elle est l’objet, la stratégie africaine n’est pas facilement lisible. Aïssatou Diallo, chargée des programmes au Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Enda-Cacid), experte dans les relations avec les pays émergents, fait ici une analyse froide de cette dénuée de passion, et indique les voies de solution pour que l’Afrique tire tout le bénéfice de ces nouveaux partenariats. 

Que pourrait-on retenir comme décision concrète au bénéfice de l’Afrique sortie de cette rencontre au sortie du Ticad V? 

Ce que je trouve intéressant dans le Ticad qui vient de se terminer, c’est qu’ils ont mis en œuvre un plan d’action clair. Il y a un document publié en anglais, sur le site web du ministère japonais des Affaires étrangères, et qui est un plan d’action qui va de 2013 à 2017. Il relate les différentes actions que la coopération japonaise va oeuvrer en Afrique entre 2013 et 2017 sur la base d'un plan d'action, dans différents domaines : l’agriculture, l’industrie ou les infrastructures. C’est un modèle qui se rapproche beaucoup du modèle chinois. C’est-à-dire qu’à la fin de chaque Focad il y a un plan d’action qui définit les termes de la coopération dans les deux ans à venir qui suivent le prochain Focad. Ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui les Africains sont au courant de ce que le Japon a l’intention de faire en Afrique, les différents mécanismes d’intervention, les différents agents impliqués, que cela soit au Japon ou en Afrique. Et l’on pourra suivre l’évolution de ces relations. En fait, ce que l’on peut en tirer, c’est une clarification des activités que le Japon a l’intention de mener, en coopération avec les pays africains, et c’est une opportunité pour nous, de pouvoir mesurer l’évolution de ces relations au prochain Ticad, qui va se tenir d’ici cinq ans. 

On note aussi que c’est la première fois que le Japon prend un engagement chiffré, financier aussi important. Quelle lecture peut-on en faire ? 

Il faut peut-être aussi remettre cela dans le contexte. L’Afrique, qui était jugé comme un continent «perdu» dans les années 1980, est maintenant devenu l’enjeu de tout le monde. Aussi bien l’Europe que les Etats-Unis y reviennent parce qu’il y a des opportunités. Le Japon aussi veut avoir sa place dans cette nouvelle configuration des relations. Aujourd’hui, les acteurs se multiplient et l’Afrique a un parterre de partenaires très important par rapport à début des années 1990. L’Afrique est aujourd’hui au centre de tous les regards et de toutes les stratégies. Le Japon a mis en place le Ticad en 1993, c’est-à-dire, que cela ne date pas d’hier. A un certain moment, on se demandait même si la configuration du Focad ne s’inspirait pas de celle du Ticad. C’est peut-être donc tout naturel que le Japon veuille revenir et reprendre sa place d’antan, en se disant qu’il a été le premier à mettre en place ce genre de cadre de coopération. 

On sait qu’en Asie, il y a une très forte rivalité entre le Japon et la Chine, ainsi qu’avec un troisième larron, qui est l’Inde. Ne peut-on voir ce retour en force du Japon comme une volonté de repositionnement dans le cadre de cette rivalité régionale ? 

Ce qui est en train de se passer en Asie du Sud-Est, avec l’extension de l’Asean, peut-être comparé avec ce qui se passe en Afrique. Les premières puissances qui avaient déjà une implantation, se sont retirées, et essaient aujourd’hui de se repositionner dans un contexte différent. En Afrique aujourd’hui, il y a la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée qui reviennent et la Turquie qui s’amène. Les Japonais doivent donc donner le meilleur d’eux-mêmes car plus rien n'est acquis. On ne vient pas en Afrique en disant, «On est des partenaires traditionnels», car il y a des nouveaux venus qui sont plus compétitifs, qui sont beaucoup plus innovants et qui ont une stratégie assez offensive. Il faudra donc que le Japon, l’Union Européenne, ou les Etats-Unis reviennent avec des nouvelles stratégies, pour pouvoir retrouver leurs positions d’antan dans le contient. 

Par rapport à toutes ces sollicitations, on n’a pas le sentiment que l’Afrique a une vision claire, d’abord au niveau régional, et ensuite, au niveau des pays pris de manière individuelle. Alors que vous parlez d’un plan structuré du Japon, qui est quasiment pareil à celui de la Chine. Et il y a au delà de ces deux, l’Inde, la Turquie, et d’autres… Que propose donc l’Afrique ? 

Ce qui importe aussi de mettre en avant, c’est que l’Afrique c’est 54 pays, chacun avec sa vision, sa stratégie, aussi bien dans un espace sous-régional que régional. Regarder de près ce qui se passe dans le Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe). On trouve des pays qui sont en même temps membres du Comesa et du Sadcc. Il y a des pays qui sont dans le Comesa et dans l’Eac (Coopération de l’Afrique de l’Est) ; alors qu’il pourrait y avoir des discordances ou des incohérences dans les politiques entre l’Eac, le Comesa, le Sadc (Communauté pour le développement de l’Afrique australe) et le Sacu (Union douanière de l’Afrique australe). En termes de répartition géographique, les pays africains ne sont pas organisés de manière stratégique. On a une Union africaine, dont la vision politique peut être incohérente à celle des sous-régions ou à celle des pays ? Et tout ce groupe de pays, fait face à un seul, le Japon, la Chine, l’Inde, qui sont des pays cohérents. Quand on convoque des sommets, on ne va pas à un sommet Union Africaine-Asean, mais c’est les pays africains face à l’Inde, la Turquie, le Japon, la Chine ou d’autres. 

Ne serait-il donc pas plus bénéfique pour certains pays du Continent d’aller en solo vers les partenaires et de négocier par eux-mêmes leurs stratégies de développement ? 


Les organisations sous-régionales sont des opportunités dans le sens où l’Afrique a été fragmentée en de petits espaces, faisant d'eux des marchés tellement restreints qu'ils ne pourraient s'en sortir de façon unilatérale. La Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) représente un marché de 300 millions de personnes. Cet ensemble peut faire face à des partenaires extérieurs. Elle a toutes les ressources dont elle a besoin pour construire une industrie. Si l’accent est mis sur les infrastructures, elles peuvent permettre de booster la production, mais aussi la circulation des biens. La prioté devrait être donnée aux marché sous-régional, eplutôt qu'à l'exportation parce que les premiers partenaires de la Chine sont en Asie, mis à part les Etats-Unis. La Chine, stratégiquement parlant, cible l’Asie. Les Etats-Unis ciblent l’Alena. L’Europe cible l’Europe. Un exemple assez frappant est que le Cameroun soit autosuffisant en matière d’alimentation et que l’on ait la famine en Somalie. Ou que le Nigeria soit l’une des plus grandes puissances pétrolières de ce continent, et que l’Afrique ait toujours des problèmes à s’approvisionner en ressources pétrolières ou ait des problèmes d’électricité. 

Le manque de politique structurée semble parfois aussi conduire à des dérives de la part de nos partenaires. Les Chinois occupent des secteurs de l’économie, même dits informels, qui en principe, devraient être réservés à des populations locales. 
Aujourd’hui, n’importe qui ne peut exercer n’importe quelle activité en Chine, parce qu’elle a mis en place des barrières, des politiques qui protègent certains secteurs d’activités. Idem pour l’Inde ou d’autres pays. Par conséquent, c’est aux africains de définir leur stratégie. Des industries comme Tata en Inde, ont été couvées pour leur permettre de grandir dans le pays et de s’exporter. Le partenariat, ce n’est pas seulement un forum organisé où l’on se rencontre, et où des chiffres sont émis. C’est une construction. Et cette construction est politique, juridique, stratégique et économique. C’est toute cette imbrication qui fait que le pays est protégé, et que l’on pourra toujours tirer le meilleur du partenaire, dans le respect mutuel. 

Est-ce une bonne chose pour l’Afrique d’avoir une multiplicité de partenaires ? 

Cela permet aux pays africains d'avoirune certaine autonomie vis-à-vis de ses partenairs traditionnels de l'Union Européenne et les Etats Unis. Aujourd’hui l’Asie et l’Amérique latine sont des géants dans le monde, autant on devrait pouvoir parler de l’Afrique. Les pays africains peuvent s'inspirer de l'exemple de ces pays pour construire sa propre stratégie de développement. Le Nigéria à la capacité d'impulser le développement au sein de la CEDEAO. L’Afrique du Sud a la capacité de mutualiser les efforts en investissant dans les autres pays, parce qu’il a des entreprises qui en sont capables. Ces deux pays peuvent faire en sorte que les partenaires viennent en complément du marché africain et non en être le principal client. 

Cet article est paru initialement sur le site du CICAD

L’Afrique peut-elle s’endetter davantage ?

185075466Un article précédent portant sur l’intérêt de la dette pour une économie, discutait des conditions pouvant permettre à la dette de contribuer effectivement à asseoir le développement. Alors que l’Afrique affiche depuis une décennie les taux de croissance des plus forts du monde, le Fonds Monétaire International impose des conditions en ce qui concerne l’endettement à la plupart des pays africains, espérant que cela réduise le poids du service de la dette sur les finances publiques tout en consolidant la crédibilité des pays africains auprès de leurs créanciers, dans un contexte où les besoins des pays africains, notamment en infrastructures, sont considérables. Cette situation est d’autant plus dommageable que les appels répétés au secteur privé restent sans réponses.

Beaucoup considère que les pays d’Afrique ne sont pas trop endettés. Quand l’on considère que l’Afrique du Sud, le pays le plus endetté de l’Afrique, avec ces 46 Mds USD de dette à fin 2012 est bien loin de ses alter ego des BRICS, cette affirmation peut se justifier. En effet, la dette des autres membres des BRICS se chiffre en centaine de milliards de dollar : l’Inde, qui a le niveau de dette le plus faible dans ce sous-groupe, en était à 290 Mds USD à fin 2012. Il est dit qu’on ne prête qu’aux riches mais l’Afrique du Sud, pourtant riche en sous-sol et ayant rejoint le cercle fermé des économies les plus puissantes du monde, peine encore à lever sur les marchés financiers internationaux les capitaux nécessaires pour le financement de son processus de développement.

La plupart des pays africains ont bénéficié dans les années 2000 de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (IPPTE), qui a été lancé afin d’éviter que le service de la dette ne soit pas un goulot d’étranglement pour la croissance. On pourra toujours se poser la question sur la pertinence de cette initiative, mais une chose est évidente, c’est que là où les pays d’Asie ont sû utiliser la dette pour asseoir leur émergence au travers de discipline budgétaire tout en suivant les conseils des institutions de Breton Woods ; en Afrique, la corruption, les détournements, la gabegie financière et les troubles socio-politiques ont complètement sapé le rôle que pouvaient avoir cet afflux de capitaux. Cette initiative, qui se matérialise par un effacement de l’ardoise de dettes, constitue un nouveau départ pour les pays africains en ce qui concerne le recours aux marchés financiers. Si des conditions, émanant essentiellement du FMI, persistent en ce qui concerne la dette c’est bien parce que des craintes subsistent quant à la capacité des pays africains à bien gérer les deniers publics mais aussi et surtout d’éviter qu’elle ne devienne une contrainte à la croissance. Rien que dans le cadre de l’initiative PPTE, des suspensions sont intervenus du fait de suspicion de détournements de fonds. C’est dire combien les problèmes de gouvernance ont fait de l’endettement un outil plutôt dangereux pour l’Afrique.

Aujourd’hui, les conditions deviennent plutôt favorables mais pourraient ne pas suffire pour amener l’Afrique à s’endetter davantage. En effet, la dette s’entretient par le remboursement du capital et des intérêts. Cela suppose que l’Etat puisse prélever suffisamment auprès des contribuables afin de tenir ses engagements financiers. Ainsi, emprunter devrait s’effectuer dans des conditions de forte croissance ; ce dont l’Afrique peut se prévaloir depuis la décennie passée. Or en Afrique, cette croissance est fortement tirée par un effort d’investissement public – et donc, non rentable – et l’investissement privé dans les ressources minières. Par ailleurs, l’instrument fiscal est assez faible dans la plupart des pays africains, réduisant ainsi les revenus de l’Etat. Et c’est justement l’anticipation de ces revenus futurs qui déterminent la capacité d’un pays à s’endetter. Cette situation serait donc à l’origine de l’incapacité des pays africains à contracter massivement des prêts : la dette en fin 2012 pour la plupart des pays d’Afrique se situait encore sous la barre des 10 mds USD, seulement quelques pays chiffrent leur dette en plusieurs dizaines de Mds USD.

Somme toute, l’Afrique a un potentiel sur le plan financier, qui est encore inexploité du fait de la faiblesse de son économie, qui pourtant paraît fort (au regard des taux de croissance enregistrés)  du fait du soutien d’investisseurs étrangers. Si la gouvernance s’améliore à la mesure des efforts des pays à assainir l’environnement des affaires, le défi actuel pour le continent, serait de rééquilibrer les comptes afin de disposer des revenus futurs capables de couvrir cette charge tout en améliorant la performance des outils financiers des Etats, notamment la fiscalité.

Mais tout ceci ne serait favorable en réalité que si la richesse se créé sur la base de facteurs internes. Ainsi, tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Rendre la croissance inclusive par le développement d’un secondaire fort capable de répondre à la demande intérieure et le développement d’un système fiscal adossé à un mécanisme de collecte des impôts efficace seraient un préalable pour que la dette  puisse contribuer, sans contraintes, au développement du continent. A défaut, elle obérera toutes perspectives de croissance à termes, en devenant un poids pour les finances publiques, décrédibilisant et rendant ridicules les efforts des pays en matière de finances publiques. En fait, l’Afrique peut s’endetter davantage mais les conditions ne sont pas encore remplies pour qu'elle le fasse.

 Foly Ananou


[1] La croissance n’est de toute façon qu’un chiffre, la réalité derrière étant autres choses.