Nigéria : Mister Goodluck et Président Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan se trouve en très mauvaise posture. Depuis quelques mois, le président nigérian est l’objet d’une vive contestation au sein même de son parti, le People’s Democratic Party (Parti démocratique populaire, PDP), au pouvoir depuis le début de la Quatrième République en 1999. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants), géant économique, le président Jonathan, au pouvoir depuis la mort de son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2010, devient de plus en plus impopulaire. En plus d’une gestion maladroite des affrontements avec la secte islamiste Boko Haram, il souffre d’un grand manque de légitimité au sein de son parti.

37 députés du PDP ont rejoint les rangs de l’opposition le 18 décembre 2013. Jonathan a ainsi perdu sa majorité parlementaire, une situation qui ne s’était jamais produite au Nigéria. Les conséquences qu’elle va engendrer sont incalculables pour le moment. D’une part,  il est difficile de savoir comment le Président Jonathan va gouverner sans majorité au parlement ; de l’autre, l’avenir est incertain quant à l’élection présidentielle de 2015. Cet important  revers est un pas de plus dans la fronde ouverte en septembre 2013 par six gouverneurs issus du Nord musulman qui ont créé le New PDP. L’enjeu de la dispute : Pour ne rien arranger à l’affaire, l’ancien Président Olusegun Obasanjo est entré dans la danse en écrivant une lettre très acerbe à son successeur, l’accusant de faire surveiller des adversaires politiques ainsi que des centaines de Nigérians par les services de l’Etat. Pis, des agents de police s’en sont pris aux locaux des auteurs de la fronde ; ces derniers crient à l’intimidation et dénoncent des méthodes dictatoriales.

Le Président Jonathan se trouve désormais devant une situation très délicate, où se joue l’avenir politique du Nigéria, au-delà de celui du PDP. Car la fronde actuelle contre Jonathan renvoie directement à l’enjeu politique dominant au Nigéria depuis l’indépendance, à savoir l’équilibre fragile et instable du pouvoir entre le nord musulman et le sud chrétien du pays. À son accession au pouvoir en 1999, les responsables du PDP s’étaient mis d’accord sur un partage informel du pouvoir : le président étant limité à deux mandats consécutifs (huit ans) la présidence tournerait tous les deux mandats entre un politicien nordiste et un politicien sudiste,. Ainsi, après Obasanjo (un Yoruba du sud) de 1999 à 2007, c’est Umaru Yar’Adua (ancien gouverneur de Katsina, au nord) qui a pris les rênes du pays. Mais sa mort précipitée en 2010 a bousculé cet arrangement subtil : Goodluck Jonathan, le vice-président originaire du Sud, est alors devenu président ; il a été réélu en 2011, et souhaite briguer un nouveau mandat en 2015. S’il venait à gagner ces élections, il gouvernerait alors jusqu’en 2019, soit un mandat de près de dix ans ; et au total, le Nord n’aurait eu le pouvoir que trois ans (2007-2010) sur les 20 ans de règne du PDP (1999-2019). Une situation que beaucoup de politiciens nordistes considèrent tout simplement comme inacceptable.

Si Goodluck Jonathan persiste dans l’autoritarisme, il risque de voir s’aggraver la saignée au PDP qui pourrait perdre l’élection présidentielle de 2015. En revanche, il lui est encore possible de limiter les dégâts en tentant de reconquérir les militants qui ont quitté le navire afin de sauver l’essentiel : l’unité politique du parti et la stabilité du Nigéria. Le mieux serait de renoncer à se représenter en 2015.

Il faut prêter attention à ces luttes politiques qui se déroulent au Nigéria parce qu’elles ont des relents ethniques et religieux, en plus des enjeux économiques qui tournent essentiellement autour du pétrole (le pays en est le premier producteur en Afrique). Goodluck Jonathan fait face depuis son arrivée au pouvoir en 2010 à un grand mécontentement social. La montée du prix du carburant en 2010 avait ravivé les tensions entre musulmans du Nord et chrétiens du Sud, tensions qu’il avait très mal gérées au demeurant.

La défection successive de ces gouverneurs et parlementaires qui ont rejoint l’All Progressives Congress (APC), principale coalition d’opposition, est un coup très dur pour le Président Jonathan. C’est pourquoi il doit prêter une grande attention à la façon dont il va gérer cette nouvelle situation en évitant tout autoritarisme. Il devrait faire revenir ces responsables du PDP qui ont rejoint l’opposition et lever toute équivoque sur sa potentielle candidature en 2015. La plaie Boko Haram est trop gênante pour que le Nigéria entre dans un autre cycle de violences. Surtout si celles-ci ont des versants ethniques et religieux dans une Afrique déjà très meurtrie par ce genre de conflits.

La réforme de l’Etat en Afrique : obstacles et perspectives

169498522Qu’est-ce que la réforme de l’Etat ?

Les programmes de réforme de l’Etat ont connu différentes fortunes à travers le monde. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les administrations publiques ont été modernisées suivant les théories de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management), qui prennent le contrepied de l’Etat wébérien. Ce dernier met l’accent sur les procédures écrites, la hiérarchie administrative et la neutralité des agents de l’État : il est caractérisé par une bureaucratie lourde et sclérosée, dont les décisions sont lentes et peu efficaces. Le NMP propose une simplification des procédures utilisées dans l’administration publique, avec l’adoption d’une organisation horizontale qui permet la rapidité de la prise de décision grâce à la polyvalence des agents de l’Etat. Il repose sur la nécessité de prendre en compte l’évolution des sociétés humaines, dans un contexte de mondialisation accrue où l’information, les flux financiers, les biens et services circulent de manière ultra rapide. De même, les besoins des usagers du service public ont évolué fortement dans tous les secteurs et commandent l’adaptation de l’Etat à cette évolution. Le NMP est donc apparu dans les années 1980 en prônant une utilisation plus efficiente des ressources de l’Etat, dans une optique d’accomplir plus de services publics avec moins de moyens financiers en considération du besoin de rationalisation des dépenses publiques.

Ainsi, dans le cadre du NMP la finalité du service public est privilégiée et non le caractère réglementaire et légal-rationnel du processus de décision. Le résultat obtenu importe plus que le respect des lois et de l’autorité dans l’action publique. Cela a favorisé l’apparition de l’Etat qui fait faire au détriment de l’Etat qui fait lui-même ; d’où la multiplication des procédés de gestion privée dans l’administration publique (concessions et délégations de service public, partenariats public-privé, appels d’offre). La centralisation du pouvoir qui caractérise l’Etat wébérien disparaît au profit de la décentralisation vers des autorités locales de plus en plus autonomes et responsables. L’Etat se fait entrepreneur en confiant des missions spéciales à des agences et entreprises publiques. Ou alors il les confie à des organismes privés spéciaux.

Les obstacles à la réforme de l’Etat en Afrique

En Afrique, l’introduction de ce concept de nouveau management public a probablement été plus difficile qu’ailleurs. Nombre d’Etats africains, caractérisés par des systèmes centralisés et autoritaires, peinent à s’adapter à la modernité. Dans bien des cas, l’organisation du pouvoir politique est encore trop verticale: c’est le pouvoir central qui définit les orientations, nomme aux postes à responsabilité, octroie les fonds, définit la marche à suivre, surveille à tout moment : ceci favorise le développement d’un système patrimonial, qui ne bénéficie qu’à une petite élite connectée au pouvoir politique et ignore en définitive le but ultime du service public, à savoir le bien commun. Ainsi, la plupart des tentatives de réforme de l’Etat ont connu peu de succès.

Cela a été le cas en République démocratique du Congo (RDC), où le pouvoir exécutif et les hauts fonctionnaires qui devaient mettre en œuvre les programmes de réforme les ont délibérément entravés ou ont tout simplement détourné les fonds qui y étaient alloués. La corruption généralisée et l’absence de culture démocratique ont eu raison des efforts des partenaires internationaux qui visaient à reconstruire le pays au début des années 2000. De plus, la centralisation du pouvoir opérée au sommet a beaucoup entravé la réussite des programmes de réforme. Joseph Kabila a concentré entre ses mains l’essentiel des pouvoirs de décision, pendant que son cabinet se chargeait de mettre au pas les fonctionnaires et même les ministres. Cela a mené à une véritable paralysie des efforts des bailleurs de fonds pour moderniser l’Etat, ainsi qu’à un malheureux statu quo.

Au Mozambique, les programmes de réforme de l’Etat se sont heurtés au manque de formation des agents publics aux principes les plus élémentaires de la gestion publique en grande partie. Dans ce pays, les structures administratives étaient quasi-inexistantes au moment où le NMP se mettait en place.  Ainsi, les autorités politiques ont mis la charrue avant les bœufs car les agents de l’Etat ignoraient les principes de base de la gestion publique ; ce qui a entravé une mise en place adéquate des outils de modernisation : e-gouvernement, guichets uniques, concurrence, etc. Le gouvernement a donc créé des programmes de formation destinés aux cadres publics pour les doter des compétences managériales nécessaires à la conduite des réformes. Chez le voisin sud-africain, une tare majeure de la réforme de l’Etat  a été la politisation de l’administration et la confusion entre la hiérarchie du parti au pouvoir (l’ANC) et la hiérarchie administrative. Il est vrai que l’administration publique sud-africaine était caractérisée par un centralisme très fort, imposé par le système d’apartheid. Le pouvoir politique déterminait les grands critères de la vie administrative : nomination des hauts fonctionnaires, salaires, grades, etc. Mais en essayant de rompre avec ces pratiques à son arrivée au pouvoir en 1994, l’ANC s’est lui-même transformé en un véritable parti-Etat dans l’Afrique du Sud postapartheid. En voulant se débarrasser à tout prix de l’ancien système, le gouvernement ANC a introduit des mesures de discrimination positive dans la fonction publique en ce qui concerne les recrutements comme les promotions. Cependant, des excès en la matière  ont été commis. La Commission du Service Public qui était chargée de mettre en place la réforme de la fonction publique était contrôlée par le pouvoir exécutif. De ce fait, la fonction publique sud-africaine s’est transformée en un réceptacle des militants de l’ANC, et les nominations à des postes administratifs ont avant tout permis de récompenser la loyauté politique. Bien entendu, plusieurs mesures ont été bénéfiques au pays, mais un grand effet pervers de la réforme a été la politisation accrue de l’administration.

Comment faire pour mieux réformer l’Etat ?

Plusieurs paramètres importants ont été ignorés lors de la conception des programmes de réforme de l’Etat en Afrique. Moderniser l’administration publique n’est pas chose aisée, et les résultats d’une réforme ne peuvent pas apparaître du jour au lendemain. Mais quelques lignes directrices peuvent être retenues pour arriver à une meilleure réforme de l’Etat en Afrique. Globalement il faudra privilégier la culture du résultat, la simplification des procédures administratives, et le choix des meilleurs profils pour l’ensemble de l’administration publique, afin de parvenir à un meilleur succès de la réforme de l’Etat. Dans le même temps, il sera nécessaire de desserrer les liens entre le politique et l’administratif pour permettre aux hauts fonctionnaires d’exécuter correctement les programmes de réforme. Il faudrait également que les autorités politiques s’engagent beaucoup plus dans leur mise en œuvre, en les défendant clairement et en y apportant beaucoup d’énergie, afin d’insuffler un souffle d’encouragement à tous les niveaux d’exécution. Il serait aussi bon d’injecter suffisamment de fonds à ces programmes de réforme pour chercher, trouver, et se donner les moyens de les réussir. La réforme de l’Etat n’est pas une gageure pour l’Afrique ; elle doit être menée avec engagement et résolution pour permettre de rattraper le retard accusé dans la modernisation administrative. En particulier, il faudra accorder une grande importance à la formation des cadres publics chargés d’implémenter les réformes, afin qu’ils s’en approprient et garantissent leur succès. Il faudra également lutter contre les pratiques corruptrices auxquelles les agents publics chargés de mettre en œuvre les programmes de réforme sont exposés. Enfin, il faudra opérer un diagnostic des priorités économiques et sociales pour chaque projet de réforme afin de toujours placer l’intérêt général au début et à la fin de toute action publique. 

Les négociations entre l’Etat malien et les mouvements sécessionnistes touareg, sur quelles bases ?

Mali_KidalPendant que les rapports islamistes-populations étaient très tendus dans les autres régions du Nord-Mali, Kidal (fief des Touaregs) continuait d’entretenir un climat de dialogue avec les groupes islamistes. Tout au long du processus de négociation en cours (fin 2013), la situation parait aussi délicate que floue, quand on sait que djihadistes et sécessionnistes touaregs ont pu nouer des liens de circonstances, souvent concrétisés par des alliances familiales. Et confuse quand on sait que pour continuer d’exister sereinement, des djihadistes peuvent simplement hisser le drapeau du MNLA sur leurs véhicules.

Derrière leur unité de façade, les groupes touaregs MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad), HCUA (Haut conseil pour l'unité de l'Azawad) et MAA (Mouvement arabe de l'Azawad), semblent cacher de sérieuses divergences (revendications divergentes et ambitions personnelles des différents leaders). La stratégie des autorités maliennes, constituant à s’appuyer sur les fractures existantes entre ces groupes afin de les fragiliser et de rester en position de force dans le cadre des négociations, est inopportune compte tenu de la conjoncture. En amont des pourparlers, le gouvernement malien devrait au contraire s’assurer d’une union solide des groupes touaregs, et de leur légitimité à représenter le peuple touareg. Car sceller un accord avec des groupes fractionnés, c’est courir le risque d’une résurgence du problème en question, comme cela s’est produit lors des précédentes rebellions touarègues.

Les contraintes de l’aboutissement des négociations.

Pour mieux comprendre la rudesse de la tâche du gouvernement malien, il convient de se reporter aux véritables sources du problème touareg, qui remontent à l’époque coloniale. La France imposa sa main mise sur le Sahara central en 1906. La force coloniale concède toutefois aux touaregs, une relative autonomie qui devait les laisser libre de leur mouvements, la liberté étant au cœur de la culture touarègue. L’avènement des indépendances en Afrique occidentale française et le découpage territorial, éparpillèrent le peuple touareg désormais repartis entre plusieurs pays. Mais bien avant l’indépendance, l’accession en 1957 des anciennes colonies françaises à un régime semi-autonome, en vertu de la loi cadre (loi Defferre du 23 juin 1956), poussa le peuple nomade à caresser dès cette période le rêve d’un Etat touareg. Les chefs traditionnels touareg de l’époque, avec à leur tête Mohamed Ali Ag Attaher[1], s’accordaient pour rejeter une fusion avec les "Noirs" au sein d’un même Etat. La notion de nation se fonde sur le désir de vivre ensemble. Pourtant, il apparait clairement que l’irrédentisme touareg s’est manifesté en amont de la création de l’Etat malien, c’est-à-dire bien avant l’indépendance du pays en 1960. «L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours» (Ernest Renan, 1882). Ce plébiscite du peuple touareg, dans l’Etat du Mali, dont le parcours postcolonial fut jonché de contestations à caractère sécessionniste,  ne s’est manifesté que de façon intermittente.

En réaction à l’indépendance du Mali, Mohamed Ali Ag Attaher disait : « Il faut que la France, qui a tailladé notre nation et notre pays, sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs ». Sa détermination pour la création d’un Etat touareg est à l’origine de la première rébellion touarègue en 1959. Face à la résolution irrédentiste du peuple nomade, le président malien Modibo Kéita (1960-1968) n’envisage guère de solution politique. La minimisation du problème va même conduire les autorités maliennes à qualifier les leaders de la contestation de bandits armés. Et la réponse de l’Etat malien à la fronde touarègue ne fut autre que l’usage disproportionné de la force. Les Touareg sont, dès lors, sujets d’une surveillance accrue à travers une forte militarisation de leur zone. Deux ans après l’indépendance du Mali, la période  1962-1964 était marquée par la première rébellion touareg du Mali indépendant. La suivante déclenchée le 27 juin 1990, concomitamment au Mali et au Niger, fut définitivement résolue par les accords d’Ouagadougou du 15 avril 1995. Et le 27 mars 1996 a lieu la cérémonie de la Flamme de la paix à Tombouctou au cours de laquelle, environ 3600 armes d’anciens rebelles sont publiquement détruites. Les mouvements touareg, après avoir proclamé leur dissolution, ont bénéfice d’une amnistie générale. La résurgence de la contestation touareg suivit son cours, et le 23 mai 2006 éclata une nouvelle rébellion. Dès juillet 2006, des accords de paix censés mettre fin aux hostilités étaient signés à Alger. Pourtant en 2007 et 2008, les affrontements reprirent avant la signature des accords du 7 octobre 2009 entre le gouvernement et les groupes rebelles.

Certaines des solutions proposées par le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, figurent dans le Pacte national d’avril 1992, signé entre le gouvernement malien de transition présidé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et les représentants des mouvements et front unifiés de l’Azawad. Le pacte prévoyait d’accorder aux trois régions du nord, un statut particulier. Un projet de décentralisation proposé  par Edgar Pisani y était inclut. Il prévoyait un nouveau découpage administratif du Nord-Mali, fondé sur des assemblées locales, régionales et interrégionales. Le pacte national fut un échec car des dissensions continuaient  d’exister entre les différents mouvements touaregs. L’ensemble des populations civiles, ni les milliers de réfugiés ne furent pas associés à son élaboration. Les bailleurs de fonds internationaux, censés soutenir la paix en finançant les projets de développement, n’honorèrent pas leurs promesses.

La sècheresse des années 1970

La sédentarisation des Touareg, due à la grande sècheresse des années 1970, posa un gros problème aux populations nomades qui étaient accueillis dans des camps de réfugiés. Ils sont donc forcés à une sédentarisation, due, à la fois, à un évènement climatique mais aussi à des logiques d’Etat défavorables au nomadisme. Au regard de la conjoncture, un nombre important de  jeunes touaregs décident d’émigrer vers des pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Nombreux parmi eux sont accueillis en Libye où Kadhafi leur accorde la nationalité libyenne, avant de les insérer dans l’armée. En mars 2011, la France lançait en Libye, sous le commandement de l’OTAN, l’opération militaire Harmattan, visant à soutenir la branche armée du Conseil National de Transition libyen. Elle n’envisagea guère les conséquences collatérales d’une telle intervention en termes de déstabilisation de la région. Après la mort du guide libyen, ces Touareg qui étaient admis dans l’armée libyenne en tant que membres supplétifs investissent le Nord-Mali lourdement armés. C’est ainsi que débutait la dernière rébellion touareg, les prémices d’une succession de crises de différentes natures.

Les Touareg (représentés par les différents mouvements sécessionnistes) apparaissent ainsi comme un peuple distinctement irrédentiste, dont l’aspiration à l’indépendance ne s’est jamais estompée, même au travers des principaux accords de paix précédemment signés avec les gouvernements maliens successifs.     


[1] Mohamed Ali Ag Attaher est devenu chef des Kel Intesar à la mort de son père en 1926. Soupçonné de diriger la révolte touarègue qui en 1963 éclate dans l'Adrar sous une forme violente, il est extradé par les autorités marocaines et remis au gouvernement malien. Sa détention à Bamako durera de 1963 à 1977. Jusqu’à sa mort en juillet 1994 au Maroc, il a toujours refusé tout compromis avec l'Etat malien.

 

 

Paix et sécurité en Afrique en 2013 : quel bilan ?

Cet article est le premier d’une série de trois articles sur la sécurité en Afrique. Après ce panorama sur les conflits armés en 2013, nous nous intéresserons au concept de « sécurité humaine » et à la manière dont les pouvoirs publics développent des politiques de protection des civils face aux nouvelles menaces sécuritaires. Enfin, nous verrons quels sont les défis majeurs pour l’année 2014 en matière de résolution des conflits.

War_PeaceDepuis le début des années 2000, les guerres sont en recul en Afrique. Le continent n’est plus cette terre de chaos et de violences brutales que certains journaux se plaisent encore à décrire : le niveau général de démocratie et de développement économique s’est amélioré et des mécanismes de résolution des conflits ont émergé, permettant une baisse régulière du nombre des conflits.

2013 aura tout de même été une année turbulente sur le continent, et les questions de sécurité ont souvent occupé une place centrale dans les réunions internationales. Quelles grandes tendances peut-on dégager ?

Le problème des périphéries oubliées

Depuis quelques années, la nature de la violence sur le continent a changé assez radicalement. La majorité des conflits ne sont plus des « grandes guerres » : ils n’ont plus pour enjeu le contrôle de l’État, mais se déroulent aux confins de l’État, dans des périphéries peu ou mal gouvernées. Dans une Afrique de plus en plus urbanisée, l’État a tendance à concentrer son attention et ses efforts de développement sur la capitale et les grands centres urbains. La division coloniale entre la « partie utile » et le reste du pays reste encore d’actualité. Des pans entiers du territoire national, souvent pauvres en ressources, sont totalement laissés pour compte, oubliés par un État qui a renoncé jusqu’à ses fonctions les plus basiques de maintien de l’ordre et de la sécurité. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à voir émerger des mouvements de contestation, qui se nourrissent du sentiment de marginalisation des populations.  

Parfois, le régime au pouvoir est tellement sclérosé que ces mouvements finissent par atteindre la capitale et prendre le contrôle de l’État. En République centrafricaine, la coalition rebelle de la Séléka, partie des régions reculées de la Vakaga et de la Haute-Kotto au nord-est, a pu arriver jusqu’à Bangui sans rencontrer d’opposition. Mais le plus souvent, c’est à un niveau local que ces conflits se jouent. La rareté des ressources crée des tensions entre les différentes communautés (entre agriculteurs et éleveurs, ou entre groupes ethniques), que l’État ne peut pas réguler puisqu’il a laissé s’installer un vide sécuritaire. Là où la présence de l’État permettrait de canaliser ces conflits, son absence laisse la porte ouverte à leur aggravation. En 2013, des incidents meurtriers ont ainsi éclaté aux confins de plusieurs États : l’Algérie, le Cameroun, l’Éthiopie, la Guinée, le Kenya, la Libye, le Mali, le Mozambique, le Nigéria, le Sénégal…

Du rebelle au trafiquant-terroriste : les nouveaux acteurs de la violence

Si la nature de la violence a changé, les acteurs de la violence ont également évolué au cours des dernières années. En 2003, les salafistes algériens du GSPC organisaient leur première prise d’otages au Sahel. Dix ans plus tard, leur action a fait des émules, les groupes se sont multipliés, et le phénomène du terrorisme, auparavant relativement inconnu du continent africain, est devenu une préoccupation centrale. Ces groupes sont à la fois internationaux et locaux : ils partagent l’idéologie du jihad et leurs militants collaborent régulièrement en profitant des difficultés des États africains à contrôler leurs frontières. Mais leur montée en puissance est aussi étroitement liée au problème des périphéries oubliées : Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et le MUJAO au Sahel, Ansaru et Boko Haram au nord du Nigéria, Al-Shabaab en Somalie, ont chacun profité de la faiblesse des États et d’un sentiment de marginalisation vis-à-vis du pouvoir central pour prendre pied dans ces régions périphériques et s’implanter dans le tissu social local. Ne voir en eux que des groupes étrangers aux connexions mondiales serait une erreur : ils auraient déjà été éliminés s’ils n’avaient pas trouvé un réel écho auprès des populations locales

En 2013, ces groupes ont perdu du terrain, mais ils ont prouvé à maintes reprises qu’ils n’avaient pas besoin d’administrer un territoire pour conserver leur pouvoir de nuisance. Au Nord-Mali, AQMI, Ansar Dine et le MUJAO ont perdu le contrôle de Gao, Kidal et Tombouctou après l’opération Serval, mais leurs militants rôdent toujours dans la région et continuent d’organiser des attentats ; au Nigéria, malgré un couvre-feu et une campagne de contre-insurrection brutale (responsable de centaines de victimes civiles), l’armée n’est pas parvenue à stopper les attaques de Boko Haram, responsables de plus de 1 200 morts en 2013. Avec l’attaque du 21 septembre contre le centre commercial de Westgate à Nairobi (67 victimes), Al-Shabaab a démontré sa capacité à mener des opérations spectaculaires contre des intérêts étrangers au-delà des frontières.

À côté des groupes terroristes, d’autres acteurs transnationaux ont profité des problèmes de gouvernance des États africains pour prospérer. Les actes de piraterie sont en baisse au large des côtes somaliennes, mais n’ont jamais été aussi élevés dans le Golfe de Guinée ; et malgré les efforts des brigades anti-stupéfiants, la cocaïne latino-américaine continue de transiter en masse par les côtes ouest-africaines et le Sahel et génère toujours d’énormes profits illicites.

Les principaux foyers d’instabilité

La fin d’année a vu une amélioration plutôt inespérée dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). En novembre 2012, les rebelles du M23 avaient mis en déroute l’armée congolaise (FARDC) et saisi la ville de Goma ; un an plus tard, ce sont des troupes congolaises plus disciplinées qui ont pris leur revanche, avec l’appui de la nouvelle Brigade d’Intervention des Nations Unies. Le M23 a déposé les armes, et même si une vingtaine de groupes armés sont encore actifs dans les Kivus et qu’il reste de nombreux efforts à faire pour améliorer la gouvernance et l’état de droit en RDC, la situation ouvre des perspectives intéressantes pour la paix dans les Grands Lacs.

2013 a confirmé le déplacement du centre de gravité des conflits vers la bande sahélo-saharienne. Le Sahel a concentré l’attention cette année, avec une évolution plutôt positive : au 1er janvier 2013, qui aurait parié sur la reconquête des régions du nord, l’élection d’un nouveau président et la chute précipitée du capitaine Sanogo ? Toutefois, beaucoup reste encore à faire : les négociations avec les groupes armés (MNLA, HCUA et MAA) sont au point mort et le Nord-Mali a connu ces derniers mois des violences sporadiques.

En Centrafrique, une spirale dramatique s’est enclenchée depuis la chute de François Bozizé en mars : la coalition hétéroclite de la Séléka s’est fragmentée, les rebelles se sont reconvertis en bandits armés, et le conflit a pris une tournure religieuse à partir de septembre lorsque des milices chrétiennes, les « anti-Balaka », ont pris les armes pour se venger des exactions et des pillages des ex-combattants, en majorité musulmans. En une seule semaine début décembre, l’ONU a compté plus de 600 victimes et 150 000 déplacés.

L’indépendance du Sud-Soudan en 2011 devait mettre un terme à plusieurs décennies de violences, mais depuis le conflit s’est au contraire complexifié. Malgré un rapprochement entre Khartoum et Juba, l’insoluble question de la frontière autour des zones pétrolières et de la répartition des revenus pétroliers continue d’empoisonner les relations entre le Soudan et le Sud-Soudan.  Chacun accuse l’autre d’armer en sous-main des milices sur son territoire. De plus, les deux régimes sont chacun fragilisés par des mouvements de contestation internes : à Khartoum, des manifestations ont été violemment réprimées en septembre, faisant 200 morts ; à la mi-décembre, des violences ont éclaté à Juba après que le président Salva Kiir a annoncé avoir déjoué une tentative de coup d’État orchestrée par son ancien vice-président et désormais rival politique Riek Machar.

Les « solutions africaines aux problèmes africains », un concept à la peine

L’année 2013 a débuté avec une intervention française au Mali (l’opération Serval) et s’est achevée avec une intervention française en Centrafrique (l’opération Sangaris), couplée à un sommet sur la Paix et la Sécurité en Afrique organisé à … Paris. Bien plus qu’un retour en force de la « Françafrique » (contre laquelle François Hollande a pris plus de mesures que tous ses prédécesseurs), ces trois évènements témoignent de la difficulté à mettre en pratique le concept de « solutions africaines aux problèmes africains ».

Depuis une quinzaine d’années, la formule ressurgit à chaque nouveau conflit, de la bouche des dirigeants occidentaux comme de celle de leurs homologues africains, et le sommet de Paris n’a pas fait exception. Sa mise en pratique est pourtant bien loin de répondre aux espérances de la génération des panafricanistes des années 1990 qui voyaient dans ces « solutions africaines » un outil d’émancipation, une rupture vis-à-vis du paternalisme occidental. En somme, les « solutions africaines » devaient être la clé d’une « renaissance » du continent ; or, la formule sonne au contraire de plus en plus creux, et l’année écoulée appelle donc  à un regard plus réaliste.

Côté occidental, si la formule est aussi populaire à Washington, Londres, Paris ou Berlin, c’est avant tout parce qu’elle épargne à ces pays de trop lourdes responsabilités lorsqu’un conflit ne les intéresse pas particulièrement ou qu’elles n’ont pas les moyens de s’y impliquer. Depuis le génocide du Rwanda, dire que l’on ne veut pas se mêler à un conflit africain est devenu tabou ; alors à la place, on dit qu’il faut privilégier des « solutions africaines ». Utile.

Côté africain, deux problèmes se posent. Le premier concerne la capacité des armées africaines : les équipements sont vétustes et insuffisants, les troupes peu entraînées et les récentes opérations militaires des armées même les plus aguerries – l’aventure hasardeuse de l’armée sud-africaine en Centrafrique pour défendre le régime en perdition de Bozizé ou la contre-insurrection brutale et peu efficace des troupes nigérianes contre Boko Haram – n’incitent guère à l’optimisme.

Deuxièmement, l’idée même de « solution africaine » est remplie d’incertitudes et de contradictions. Qu’est-ce qu’une « solution africaine », et pourquoi devrait-elle être systématiquement appréciée par tous les États concernés par un conflit ? Il serait naïf de croire que les 54 pays du continent, par le simple fait d’être « Africains », partagent une vision commune de la paix en Afrique. Qu’est-ce qu’une « solution africaine » au problème de la Somalie ? Une intervention kenyane, qui menace les ambitions régionales de l’Éthiopie ? Ou une intervention éthiopienne, qui heurte les intérêts du Kenya ? Dans le cas du Mali, la « solution algérienne » – négocier avec les groupes armés du Nord pour isoler les terroristes d’AQMI – s’opposait à la « solution de la CEDEAO », partisane d’une intervention militaire… Et au sein même de l’organisation ouest-africaine, les pays francophones craignaient qu’une opération menée par la CEDEAO ne permette au poids-lourd régional anglophone, le Nigéria, d’étendre son influence vers le Sahel. À vouloir écarter le gendarme nigérian, c’est finalement une solution non-africaine, celle du « gendarme français », qui s’est imposée.

Les « solutions africaines aux problèmes africains » font donc partie de ces concepts « tendances », avec lesquels on ne peut pas vraiment être en désaccord, mais à partir desquels il est quasiment impossible d’arriver à un programme d’actions concrètes. Finalement, la formule résonne surtout comme un cri d’encouragement à l’intention des gouvernements africains : « intéressez-vous aux problèmes de votre continent ! ». Sa vertu principale est d’appeler à une prise de responsabilité et à un leadership africain.

2014 : le défi du leadership ?

Or, c’est justement là, sur cette question du leadership, que le bât blesse : il n’y a toujours aucun État capable d’assumer un rôle de leader continental sur les questions de sécurité. Les deux candidats naturels – l’Afrique du Sud et le Nigéria – peinent à convaincre. Le premier a une diplomatie bruyante, mais pas toujours cohérente, comme l’a montré le scandale des militaires en Centrafrique ; le second a trop de mal avec ses propres problèmes sécuritaires internes (Boko Haram, le delta du Niger) pour donner l’exemple et impulser une dynamique. Les trois autres plus gros contributeurs au budget de l’Union africaine ne sont guère plus satisfaisants : l’Algérie a été dépassée par les évènements au Sahel ; et comme le Nigéria, on ne peut pas attendre beaucoup de la Libye et l’Égypte tant qu’elles n’auront pas réglé leurs crises politiques internes. D’autres États sont actifs à un niveau régional, comme le Burkina Faso et le Tchad dans le Sahel ou l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique, mais leur engagement est plus limité dès lors que leurs intérêts ne sont pas directement concernés.

Depuis la formation de l’Union africaine en 2002, des progrès considérables ont été réalisés sur le plan institutionnel pour former un cadre africain de résolution des conflits. Pour ceux qui seraient tentés de se satisfaire de ces avancées, 2013 aura constitué un utile appel à la vigilance : beaucoup reste encore à faire en 2014 et dans les années à venir pour éviter que ces institutions ne deviennent des coquilles vides, comme beaucoup d’autres dans l’histoire du continent.

Intervention en Centrafrique : L’Afrique, toujours en retard

Terangaweb_Enjeux Centrafrique

Le régime de François Bozizé s’est effondré suite aux assauts soutenus de la « coalition » (Seleka en sango) des disgraciés, opposants, et mécontents. L’effondrement de ce régime a été la conclusion d’une série de troubles politiques et sécuritaires, symptomatiques de la faillite structurelle de l’État. La prise du pouvoir par cette coalition n’a pas permis de rétablir le monopole de la violence légitime de l’État dans ce pays, contesté depuis une dizaine d’années par des groupuscules armés dont certains sont originaires des pays voisins. L’anarchie et l’insécurité qui se sont installées et les séries de pillages commis par les éléments de la Seleka font qualifier la situation de « pré-génocidaire » par le département d’État américain. Après moult refus de s’impliquer dans ce dossier, la France annonçait ce 26 novembre l’envoi de 1 000 soldats pour résorber les tensions dans ce pays. La communauté des États africains, passive à certains égards, prenait acte, manquant encore une fois l’occasion de concrétiser un idéal longtemps proclamé.

Pourquoi cette situation pré-génocidaire?

Bien avant la chute du régime de François Bozizé, la Centrafrique possédait toutes les caractéristiques d’un État en faillite. Le nord de la Centrafrique était le repaire de groupuscules armés, rebelles à l’autorité des États voisins (comme le Front uni pour le changement du Tchad qui a lancé son offensive sur Ndjamena en 2008 à partir de cette région),  alors que les régions australes constituaient le territoire de nomadisation de groupes comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), du sinistre Joseph Kony. Le gouvernement de Bozizé a montré ses limites face à la prolifération de ces groupes, limites qui s’expliquent par des raisons plus néopatrimoniales que découlant de l’intérêt national. Le rapport de l’International Crisis Group de juin 2013, pour expliquer la démission de Bangui de certaines de ses régions comme la Vakaga et la Haute-Kotto, fait part de cette anecdote de Bozizé à son fils Jean-Francis, alors ministre de la défense : « si tu leur donnes tous les équipements qu’ils réclament, sois sûr que dans les quatre heures qui suivent, ils effectueront un coup d’État à mon encontre ».

Il n’est pas étonnant que face à cette démission de l’État et la mise à l’écart de certains groupes ethniques par le régime, tous ceux qui avaient des reproches envers Bozizé se soient coalisés au sein d’une organisation pour exprimer leurs griefs et, vu leurs premiers succès, prendre le pouvoir en République centrafricaine. L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), la Convention patriotique pour le Salut du Kodro, principaux membres de la Seleka, ont commencé leur offensive contre Bangui en décembre 2012 avant d’être arrêtés par les forces tchadiennes de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX). Le non-respect des accords de Libreville II et l’obstination du régime à trouver une solution militaire au conflit ont été parmi les facteurs ayant entrainé la reprise des hostilités, la défaite de Bozizé le 24 mars 2013, et sa fuite en hélicoptère pour le Cameroun, avec bien sûr cinq mallettes dont le contenu est aisément devinable.

La Seleka est une agrégation de groupes divers, unis le temps de quelques mois par leur opposition à Bozizé. Une chose est de prendre le pouvoir, c’en est une autre que de gouverner. Michel Djotodia, chef d’État de la transition, a dissous la Seleka en septembre 2013 mais n’a pu forcer les différents groupes à déposer les armes et à retourner à leurs occupations civiles. La présence de ces différentes milices, dont le gouvernement de transition s’est déchargé, a causé la multiplication d’actes de violence (pillages, viols, meurtres…) qui s’étaient manifestés lors de la marche vers Bangui de la coalition. Le gouvernement de transition, représentatif de peu, ne pouvait jamais assurer un contrôle ferme sur tous ces groupuscules, plus intéressés par l’appât du gain que le bien-être des populations, comme l’illustre les affrontements pour le contrôle des zones minières de Gaga. La prédation a progressivement pris une tournure ethnico-religieuse. Les exactions de ces groupes de combattants, majoritairement musulmans, ont entrainé la formation de milices d’auto-défenses des populations chrétiennes, qui désiraient « jouer le match retour » en s’attaquant aux populations musulmanes. Viols, meurtres d’enfants et de femmes, pillages, profanations de symboles religieux s’associent à la malaria pour créer une situation apocalyptique au cœur de l’Afrique.

L’Afrique et la France en Centrafrique

La passivité de certains pays et organisations du continent ont quelque peu rendu nécessaires (encore une fois) le déploiement des troupes françaises en Centrafrique. Dans la perspective foucaldienne, l’émergence de la biopolitique ou gouvernance des populations était LA manifestation de la modernité. Mark Duffield ajoute à ce concept une perspective marxisante (donc structurelle) pour analyser la gouvernance mondiale libérale et son corollaire, l’intervention pour garantir la sécurité humaine. Selon son interprétation des notions de « biopouvoir » et de « biopolitique » de Foucault dans Getting Savages to Fight Barbarians, la gouvernance des populations se manifeste aussi à travers les politiques de développement où les recommandations des organisations internationales et des États du Nord confinent les sociétés des pays en développement dans des systèmes auto-régénérateurs, censés assurer leur autonomie par le strict minimum, en gouvernant par procuration leurs conditions de vie malgré la fin de la colonisation. La perpétuation de ce cycle, par les sauvages (ceux qui veulent le développement proposé par le néolibéralisme) sur les barbares (ceux qui refusent, combattent le développement) n’est ainsi qu’une continuation de l’administration indirecte, par les chefs de canton, des populations colonisées. L’idéal du développement n’a de sens ainsi que par la réalité du sous-développement. Sans ce dernier, le premier n’aura aucun sens d’où la nécessité de le pérenniser.

La résurgence des conflits internes (et l’émergence des « nouvelles guerres » si l’on souscrit à l’hypothèse de Mary Kaldor) constitue une autre manifestation de cette dialectique. Pour Duffield, elle renforce l’importance du développement et l’intervention pour rétablir la sécurité humaine des différentes entités internationales.  Si l’État ne peut pas assurer le monopole de la violence légitime dans son territoire, il est ainsi légitime d’intervenir et de gouverner les corps. Dans le contexte centrafricain, les États africains ont eu des attitudes allant de la complicité avec la Seleka à la défense armée du régime de Bozizé.  Ce régime s’est progressivement aliéné le soutien de ses voisins comme le Tchad et le Gabon à cause du non-respect des accords de paix et de transition, signés sous l’égide de la Communauté économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC). De plus, le Tchad reprochait au régime de Bozizé son inaction dans la région du Vakaga, région qui a servi à la tentative de renversement du régime de Déby par le Front Uni pour le Tchad (FUC) en 2006. L’inaptitude du pouvoir de Bozizé à contrôler ces régions et son obstination à ne pas respecter les accords signés sous les auspices du Tchad et du Congo-Brazzaville ont sans doute contribué à son isolement au sein des pays de la CEEAC.

Bourdes et malheurs se sont abattus sur Bozizé depuis son arrivée au pouvoir. Si l’on en croit le rapport de l’International Crisis Group de juin 2013 sur la situation dans ce pays, les rapports se sont refroidis entre la RCA  d’une part et la Guinée équatoriale et le Congo-Brazzaville d’autre part depuis le décès de l’ancien président Ange-Félix Patassé. Le soutien manifeste de la RCA à Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de l’Union Africaine au détriment du gabonais Jean Ping a réfréné les ardeurs de Libreville envers Bozizé. Il en est de même entre Bangui et Yaoundé suite à l’affaire Ntsimi.

En dépit de cet isolement régional, Bozizé a longtemps bénéficié du soutien politique et militaire de l’Afrique du Sud face à la Seleka, et à la froideur de ses voisins. Était-ce dû au soutien de Bozizé à la candidature de Dlamini-Zuma? Ou simplement à la  volonté de l’Afrique  du Sud de s’affirmer comme pôle de puissance en Afrique subsaharienne? Sans doute toutes ces considérations ont influé sur la décision de Pretoria de déployer des troupes dans cet État en janvier 2013.

L’intervention de l’Afrique du Sud, dans un rôle que la France endossait régulièrement dans ses anciennes colonies (Hollande a refusé de prendre des mesures actives en soutien au régime en décembre 2012), n’a pas pu empêcher la chute de Bozizé comme on le sait. Mais elle constituait un pas vers le règlement des affaires du continent par les pays d’Afrique, vœu pieu souvent proclamé dans les accords par États et organismes africains. L’Afrique du Sud postapartheid a toujours privilégié  la  résolution des conflits africains par l’Afrique, reléguant de ce fait à l’arrière-plan des États qui ont toujours eu une certaine idée de leur rôle en Afrique. Seulement, ce déploiement des troupes a été mal vu par les autres pays de la CEEAC. De même, les premières pertes humaines face aux éléments de la Seleka ont suscité un débat en Afrique du  Sud, sur cette intervention hors de la SADC. L’argument de la sauvegarde d’intérêts miniers a été même avancé par les détracteurs pour critiquer la position de Pretoria. Le Tchad, le Gabon et autres satellites de la France dans la région, comme on l’a vu avait déjà des reproches envers Bozizé et n’ont pas vu d’un bon œil cette politique sud-africaine. De même, ce n’est pas la première fois que Pretoria se heurte à Paris et à ses satellites dans la médiation de conflits internes en Afrique. Que ce soit en République démocratique du Congo qu’en Côte d’Ivoire, ces États ont toujours eu des approches différentes, ambitions qui ont sans doute aggravé les violences qu’ils voulaient endiguer.

L’Afrique, toujours en retard.

Face au risque de guerre civile ethno-religieuse en Centrafrique, une intervention pour préserver la sécurité des individus s’impose, qu’importe ce qu’on peut penser de la souveraineté de ce pays. L’incapacité de l’État à assurer la sécurité des individus et l’incapacité des États africains à prévenir tout d’abord le conflit Seleka-Bozizé et ensuite les actes prédateurs des milices armées sur les populations rend le déploiement des troupes françaises quelque peu nécessaire. Comme en Côte d’Ivoire et comme au Mali,  on note un échec de l’Afrique à trouver une solution à ses propres problèmes. Si Le Monde se demande : «Qui mieux que la France pour jouer les pompiers en République centrafricaine ? », c’est que les élites africaines ont encore une fois échoué à relever les défis de l’indépendance.

L’approche de l’Afrique du Sud (axée sur la défense de Bozizé) n’était sans doute pas la meilleure mais, soutenue et amendée par les entités africaines, pouvait grandement contribuer à éviter l’état dans lequel se trouve ce pays aujourd’hui. L’isolement de la Centrafrique au sein de sa région a de même contribué à cette situation. Au final, 1000 hommes seront déployés par Paris pour une intervention de courte durée. Sans doute, les États de la CEEAC viendront en appui pour résorber la crise avec le déploiement de leurs propres troupes. Fallait-il que les églises soient brûlées, les civils attaqués, les femmes violées pour que le monde réagisse. Il est vrai que tous les yeux étaient tournés vers le Mali durant cette année 2013. Le redéploiement de soldats tchadiens basés alors en Centrafrique dans ce pays a sans doute facilité la tâche au Seleka. Quoiqu’il en soit, cette intervention ne signalera pas la fin de la crise humanitaire en Centrafrique? Il faudra gouverner les corps, contrôler les populations, et puis ce sera au tour des ONG de jouer leur sinistre partition. Mais tout d’abord inciter les sauvages à réfréner les ardeurs des barbares.

Pour le pouvoir algérien, la société ne doit pas conquérir la sphère publique

une_algerieOccuper l’espace public en Algérie ? Cette idée demeure inconcevable pour le régime algérien. Depuis la signature par l’ex-chef du gouvernement, Ali Benflis, le 18 juin 2001, d’un arrêté interdisant les marches à Alger, l’appareil répressif est déployé  en vue de mater toute activité organisée dans la rue. Les organisations qui tentent de manifester ou qui essayent d’observer des rassemblements dans la capitale, voient leurs militants arrêtés, embarqués à bord de fourgons de police et incarcérés dans les cellules de commissariats. Le scénario se perpétue depuis une décennie avec son lot multiforme de violations des libertés.

Mais pourquoi le pouvoir algérien empêche-t-il toute expression dans l’espace public ? Pourquoi ne veut-il pas concrétiser ce droit, pourtant garanti par la Constitution ? La réponse peut paraître subjective, mais elle est toute trouvée pour le régime, sous prétexte d’impératifs sécuritaires. Laisser les militants et citoyens s’exprimer dans la sphère publique, porte pour le régime l’inacceptable risque d’éveil de la société. Le travail de conscience n’est en aucun cas tolérable pour le pouvoir. Car si la presse algérienne jouit d’une certaine liberté de ton et que les journalistes arrivent à publier des écrits que leur envient leurs confrères des pays arabes, l’espace public demeure une chasse gardée pour le régime. Cette phobie, cette peur constante, loin de répondre à des considérations sécuritaires, guide l’action des pouvoirs publics. Il est indéniable que les libertés gagneraient du terrain si les Algériens arrivaient à s’exprimer et se rassembler en dehors du cadre privé dans lequel ils sont confinés.

Pour mieux comprendre cette aliénation, assister à un rassemblement de X association permet de mesurer la capacité de violation des libertés qu’exerce le pouvoir algérien.  En réalité, c’est l’effet de contagion qu’il craint, et notamment lorsqu’une action est organisée dans un quartier populaire d’Alger, entendre par là les quartiers comme Mohamed Belouezdad, Bab el Oued, la basse Casbah ou la place des Martyrs.

En laissant les organisations libres de tout mouvement, et en les laissant exprimer leurs revendications sans contrainte, le régime jouerait sa survie, ceci pour étayer le fond de la pensée des détenteurs du pouvoir de décision. L’aspect sécuritaire n’est pas fondé. En effet, que coûterait un sit-in deux trois heures, dûment organisé et encadré? Non, le régime algérien ne veut pas d’une expression libre de la société. Il l’infantilise, la brutalise, l’abrutit, la culpabilise pour ne pas à se retrouver face à des contre-pouvoirs citoyens.

Mais en cette conjoncture et au regard de la situation politique précaire en Algérie, avec des partis politiques qui ne jouent pas, pour la plupart, leur rôle d’intermédiaires avec la société, il est fort possible d’imaginer la chute du système si un minimum de 20 000 personnes se rassemblaient sur la place du 1er mai (Alger). Pour éviter ce scénario, le régime met en branle tout un arsenal afin de faire avorter dans les esprits la faisabilité d’une telle thèse.

Pour rester dans un schéma simple, imaginons le déferlement de plusieurs milliers d’Algériens, soulevant une seule revendication : la fin du régime actuel. Les agents de l’ordre ne pourraient pas contenir un tel afflux de jeunes. Utiliser les armes pour les stopper ne serait pas la meilleure solution pour le régime algérien, compte tenu des tristes résultats enregistrés en Tunisie et en Égypte, qui ont chacune comptabilisé la mort de plus de 500 personnes, menant au départ des présidents déchus Ben Ali et Moubarak.

De la place du 1er mai, les centres de décision du pays ne se trouvent pas très loin. La Présidence, le Ministère de la Défense, le Palais du gouvernement qui abrite le Premier Ministère et le Ministère de l’Intérieur, autant dire que des rassemblements parallèles et instantanés pourraient être tenus simultanément en heure et en espace. Le régime, dans une logique de pérennisation de son fonctionnement actuel lui permettant de continuer à profiter de la rente des hydrocarbures, est dans la reproduction d’une perpétuelle tactique qui consiste à utiliser tous les moyens de répression possibles sans effusion de sang.

Si des marches et rassemblements sont tolérés en dehors d’Alger, c’est uniquement parce que le régime ne peut plus contenir le volume de la protestation qui ronge toute les franges de la société. Ce genre de manifestations pacifiques est à encourager si elles inscrivent dans le cadre de la promotion de la citoyenneté et de la consécration d’un Etat de droit. Mais, force est de constater que les enjeux sont à Alger. La capitale, forte et fragile à la fois, ne doit pas, pour le régime, devenir le théâtre de la contestation populaire et civique, radicale et citoyenne.

 

Un article de Mehdi Bsikri initialement paru sur Arabthink

L’impunité au Mali : Vers une récidive des erreurs précédemment commises ?

dv1915456Depuis que le Mali a rompu avec le régime dictatorial du général Moussa Traoré (1968-1991), suite à la révolution du 21 mars 1991, la démocratie malienne instaurée par Alpha Oumar Konaré et perpétuée par Amadou Toumani Touré, était un exemple, et citée parmi les plus prometteuses d’Afrique. La crise que vit le pays depuis mars 2012, sans doute la plus importante de son histoire, a sérieusement fracturé la société malienne dans son ensemble, bouleversé le dispositif politique, et permis de dévoiler ce mirage démocratique longtemps vanté, qui était pourtant bâti sur des bases fragiles.

L’issue de cette crise devrait donner lieu à une réorganisation en profondeur de la société malienne, à une redéfinition de la politique et un véritable dialogue entre différents antagonistes afin d’aboutir, enfin, à un consensus et une paix réellement durable. Pour cela, il est indispensable d’éviter les solutions expéditives pour ne pas à nouveau commettre les mêmes erreurs que lors des précédentes crises.

L’impunité : solution de la crise malienne ?

Le Mali semble de plus en plus dans une impasse. Les décisions politiques "désespérées" du président Ibrahim Boubacar Kéita (élu en août 2013) pour amener le pays vers la paix paraissent inopportunes, et l’inextricabilité de la situation malienne est de plus en plus prononcée. Des décisions politiques inopportunes, car, dans l’intégralité du processus de résolution (entamé par l’élection présidentielle) de la crise malienne, les principales victimes (en particulier les populations du nord) semblent être totalement ignorées.

L’impunité qui a prévalu dans de précédentes crises au Mali, est l’une des principales causes de celle que traverse le pays aujourd’hui. Pourtant, le 2 octobre 2013, le gouvernement malien a procédé à la libération de 23 membres du MNLA et du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA). Les mêmes actes avaient été posés sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, qui mettait en liberté, sans aucune décision de justice, des terroristes arrêtés. Les mêmes éléments relâchés se trouvaient ensuite impliqués dans de nouvelles activités terroristes.

Toute la complication de la crise malienne réside dans les tensions existant entre les différentes communautés. Et c’est pourtant ce qui semble être ignoré par les dirigeants maliens. La réalité est qu’il existe aujourd’hui dans l’ensemble du Mali, et en particulier au nord, une indéniable dichotomie entre populations touarègues et non touarègues. De graves crimes ont sans doute été commis de part et d’autre. L’impunité sous prétexte d’une quelconque réconciliation, ne saurait être une base solide pour la paix, seule la justice permettrait d’y accéder. Le nouveau gouvernement malien aurait certainement dû mettre tout en œuvre, pour poursuivre et juger les auteurs des principales violations des droits humains commises, sans distinction de parties.

« Pour faciliter les négociations et dans le but d’accéder rapidement à la paix » dit-il, le ministre de la Justice malien a annoncé le 21 octobre 2013 la levée des mandats d’arrêt émis début février par le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako contre des membres du MNLA. Cette décision pourrait davantage aggraver la fracture entre les communautés, en exacerbant la frustration des victimes et le sentiment d’impunité en faveur des présumés auteurs.

La levée des mandats d’arrêt en question ne découle d’aucune décision judiciaire, ce qui fait qu’elle engendre ce sentiment d’impunité. En réponse à la gronde sociale contre la levée desdits mandats d’arrêts et la libération des membres de groupes armés, le président malien a fait clairement savoir lors de l’ouverture des Assises nationales sur le nord le 2 novembre 2013 à Bamako que « c’est le prix à payer pour la réconciliation », car, a-t-il dit : « j’ai été élu pour gérer le réel et non pas pour satisfaire le fantasme des uns et des autres ».

Toujours dans la logique d’une réconciliation nationale, le parti présidentiel (RPM) est allé jusqu’à inscrire sur sa liste aux élections législatives de 2013, un présumé criminel qui aurait une responsabilité dans le meurtre de dizaines de soldats maliens à Aguel Hoc.  Il s’agit du leader du HCUA et candidat du parti présidentiel dans le cercle d’Abeïbara (région de Kidal). La candidature de celui qui, autrefois, était président du groupe parlementaire d'amitié Mali-Algérie, aux élections législatives ne peut qu’attirer l’attention. Lors de la dernière rébellion touarègue, il avait rapidement déserté l’Hémicycle pour rejoindre la contestation touarègue, puis le groupe djihadiste Ansar Ed Dine.

Réconciliation nationale et lutte contre l’impunité

Le prélude d’une situation de stabilité absolue au Mali  est la réconciliation nationale. Pour la grande majorité de la population malienne, le nom « Touareg » est indissociable de la notion de rebelle, d’ennemi de l’État. Il faudrait donc amener l’ensemble des populations maliennes, à comprendre, à travers une véritable campagne de sensibilisation, qu’un Touareg n’est pas forcément un rebelle. Cela passe obligatoirement par une décision de justice, sanctionnant ceux d’entre eux ayant été impliqués dans des crimes contre l’Etat et contre des populations civiles. Les populations victimes de la crise, particulièrement dans les villes auparavant occupées par les groupes armées, ne peuvent qu’être exaspérées de voir libérés des responsables présumés de graves crimes commis : crimes contre l’humanité, crime de guerre, crimes à caractères racial, régionaliste et religieux, assassinats, rébellion, terrorisme…

Pour accéder à une paix durable, aucune solution politique ne devrait être adoptée au détriment des victimes et d’une justice indépendante.

 

Boubacar Haidara

L’homophobie africaine

Terangaweb_Homosexualité Afrique

Jeudi 27 juin 2013, date cruciale dans la tournée de Barack Obama sur le continent africain. Lors d’une conférence de presse à Dakar, où il a à ses côtés son homologue sénégalais, Macky Sall, de nombreuses questions touchant notamment les domaines économique et politique sont abordées. Cependant, le président le plus puissant au monde mettra le doigt sur un sujet tout particulièrement délicat sur le continent tout entier : l’homosexualité.  Ainsi, le sujet s’invite encore sur la table et il devient de plus en plus épineux de déterminer quel sera le futur de la communauté LGBTI en Afrique.

L’homosexualité ne peut être africaine ? Balivernes !

Cet argument est soulevé sans relâche par une majorité de pays africains et pourtant, la vérité est loin de s’y trouver. Avant d’aller plus loin, il convient de s’accorder sur un point : l’homosexualité n’est propre à aucun territoire. Elle s’est manifestée à travers le monde à des échelles différentes et dans des contextes variés. Il est donc incongru d’accuser les Occidentaux d’être à l’origine de l’arrivée de cette « perversion » en Afrique.  Et plutôt que de le fuir, les Africains devraient mieux se pencher sur leur passé. Le concept trouve certes ses origines en Grèce et en Rome antiques mais ceci constituerait un argument peu pertinent dans cette analyse. En effet, si on s’intéresse aux différentes langues parlées autrefois ou présentement sur le continent, on remarquera que le concept d’homosexualité y était présent depuis bien avant l’arrivée des missionnaires et colonisateurs. Les rites initiatiques et pratiques ethniques n’en sont que plus démonstratifs. Dans son article intitulé « L'homosexualité en Afrique : sens et variations d'hier à nos jours », le sociologue Camerounais, Charles Guebogo nous apprend que les pratiques homosexuelles étaient courantes au sein de l’ethnie des Quimbandas, en Angola et que les individus de même sexe qui entretenaient des rapports sexuels étaient également désignés sous ce nom. Toujours en Angola, dans la tribu des Wawihé, l’homosexualité et la bisexualité se traduisaient par « omututa » et le terme « okulikoweka », signifiant littéralement les actes sexuels entre femme-femme et homme-homme, continue encore  d’être utilisé. Au Nord du Nigéria, les Hausa désignent l’homosexualité masculine par le terme « dan kashili » et une autre appellation populaire, « dan daudu », veut dire « les hommes qui agissent comme des femmes et couchent avec des hommes ». En outre, en Afrique de l’Est, le « basha », en kiswahili, est considéré comme « l’homme qui rentre dans ses partenaires/amis » tandis que le terme « haji » désigne le vrai homme, l’homme puissant. Qui plus est, en Tanzanie, il a été découvert qu’à Zanzibar, les pratiques lesbiennes étaient désignées par le terme « kulamba » ou « kulambana » et qu’elles traduisaient la pratique du cunnilingus. Une autre appellation dite « kusagana » était considérée comme le fait de se frotter les parties intimes. Et la liste est longue. Comment ignorer ces preuves linguistiques ? Du Nigéria, en passant par le Cameroun, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud, l’histoire elle-même et le langage ne trompent pas. Ces deux reflets de l’identité d’une communauté nous prouvent que l’homosexualité a bel et bien un vécu sur le continent et, ce qui est plus frappant est qu’elle a fait partie intégrante des coutumes de plusieurs tribus présentes sur ces terres. Alors pourquoi afficher un tel rejet aujourd’hui ?

Après leur prise d’indépendance, de nombreux pays africains adoptèrent des textes de lois copiant ceux des puissances coloniales. Ces textes condamnaient toutes les pratiques sexuelles entre individus de même sexe, les considérant comme des crimes passibles d’emprisonnement (et pourtant les prisons sont un lieu privilégié pour les homosexuels en Afrique) ou d’une lourde amende. Sans mentionner les pressions sociales qui mettent les homosexuels au pied du mur : un homosexuel doit désormais se cacher.

Le combat persiste …

Ainsi, une véritable chasse aux homosexuels a débuté en Afrique. Aujourd’hui, ce sont 38 pays sur 53 qui condamnent cette orientation sexuelle. Les peines vont d’une forte amende, à un emprisonnement ou encore à la peine capitale.  Le procès de deux Camerounais avait notamment défrayé les chroniques en 2012. Ces derniers avaient dénoncé les conditions de détention et les examens rectaux humiliants auxquels ils devaient faire face mais ils avaient finalement été acquittés, après une forte mobilisation internationale. En Ouganda, un pays fortement influencé par les évangélistes américains ayant échoué à obtenir gain de cause chez eux face aux nombreuses lois en faveur de la communauté LGBTI, le chemin des homosexuels est tout particulièrement semé d’embûches. Les parlementaires s’acharnent à instaurer des lois plus draconiennes à l’encontre de cette communauté et le gouvernement a indiqué à ONUSIDA que les programmes d’éducation destinés aux homosexuels seraient considérés comme une infraction pénale, tout en menaçant d’expulser l’organisme. Par ailleurs, un Ougandais étant au courant des faits et actes d’un homosexuel sans pour autant le dénoncer peut aussi faire face à une condamnation. Pour protéger ce qu’ils appellent la morale publique, certains gouvernements sont prêts à tout. Ainsi, dans des pays comme la Mauritanie, le Soudan ou la Somalie, une personne  ayant des rapports sexuels avec une autre de même sexe doit être exécutée sans préavis. Cependant, quelques espoirs naissent tout de même dans certaines parties du continent.

… des deux côtés !

Sans aucun doute, l’Afrique du Sud est une étoile montante en termes de tolérance et de respect de l’identité sexuelle des LGBTI. Malgré les « viols correctifs » relevés de certaines lesbiennes, il faut considérer le fait que le pays fournit des efforts colossaux pour soutenir cette minorité. Ainsi, c’est en 2002 que la loi sud-africaine ouvre l’adoption aux couples homosexuels et en 2006, elle ouvre le mariage aux couples de même sexe. Dans cette lancée, l’Afrique du Sud est suivie par le Cap-Vert, Sao Tomé et Principe, l’Ile Maurice et les Seychelles qui se sont engagés à abandonner toute peine à l’encontre des LGBTI. Aussi, des pays tels que le Botswana et le Mozambique ont supprimé leurs textes de lois discriminatoires relatifs au droit du travail et fondés sur l’orientation sexuelle des individus. En outre, il faut noter que de nombreux pays d’Afrique subsaharienne n’ont encore instauré aucune disposition législative officielle par rapport aux homosexuels. Il est donc difficile de déterminer s’ils y sont les bienvenus ou non et si leur identité y est reconnue. Il s’agit de la République Démocratique du Congo, de la République Centrafricaine, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de Madagascar, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et du Rwanda. Une très faible lueur se fait donc voir pour la communauté LGBTI mais leur lutte n’est évidemment pas près de finir.

L’Afrique n’est pas encore prête à accepter les LGBTI

Considérés comme étant foncièrement pervers dans la majorité des pays africains, les homosexuels ne peuvent pas s’afficher au grand jour. Quand bien même, il y aurait des textes de lois les protégeant, c’est parfois la police elle-même qui les transgresse. Les individus ayant des rapports sexuels avec d’autres de même sexe font face à des menaces ou de nombreux chantages et ne bénéficient d’aucune autonomie financière ni d’accès aux soins médicaux. Beaucoup de LGBTI africains ont ainsi décidé d’émigrer, clandestinement ou non. Laissant derrière eux leurs familles et leurs amis les ayant reniés, ils courent se réfugier dans les pays occidentaux, dans la majorité des cas. Ces pays, où l’émancipation et le respect des droits des homosexuels sont en train d’évoluer, représentent un havre de paix pour eux. Cependant, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a décrété qu’à moins d’être victime d’une persécution grave dans leur pays d’origine ou qu’une condamnation soit effectivement appliquée à leur encontre, les homosexuels africains ne bénéficieraient pas du statut de réfugié dans l’Union. Cette décision a été fortement déplorée par l’organisation Amnesty International, luttant farouchement pour le respect des droits des personnes LGBTI. Ainsi, les homosexuels africains sont obligés de fuir constamment même si certains d’entre eux bénéficient toutefois d’aide et de soutien provenant d’associations de protection des droits de l’homme, de lobbyings, de groupements gays locaux et de certains proches tenant leur identité secrète. Par ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées au sein de la communauté internationale, particulièrement dans les pays du Nord comme la France ou les Etats-Unis, incitant les Etats africains à remettre en question leur jugement et le statut juridique de cette minorité.

Mais alors, quel avenir pour les homosexuels africains ?

Donner une réponse à cette question serait impossible face à l’incertitude et la précarité de la situation actuelle. Néanmoins, les Etats africains devraient cesser de considérer l’homosexualité tel un « héritage occidental » et accepter le fait que la présence de cette identité sexuelle sur le continent a précédé l’avènement des lois coloniales. Avant tout, il est important d’admettre que les textes juridiques discriminatoires vis-à-vis des LGBTI africains trahissent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et il est déplacé et illogique de prétendre le contraire. Cependant, chaque pays a certes un héritage culturel – et religieux, concernant par exemple, les pays influencés par la charia ou les autorités religieuses – ce qui implique forcément que chaque Etat ne peut qu’évoluer à son propre rythme. Des discussions doivent donc nécessairement avoir lieu afin de respecter les droits fondamentaux de chacun tout en essayant de pérenniser les relations au sein de la société civile africaine. Bien évidemment, aucun choix n’est facile à prendre dans un cas pareil et les enjeux non-négligeables ne facilitent pas la tâche aux Etats de ce continent. L’Afrique doit néanmoins sortir de son coin et tenter de parvenir à un point d’accord satisfaisant pour chaque partie. Le ciel semble tout de même se dégager peu à peu, lorsque des pays comme le Kenya se mettent lentement à réévaluer leurs textes juridiques et réfléchir à une nouvelle approche pour mieux intégrer les LGBTI. Il serait fort prématuré de prononcer un futur favorable à cette communauté en Afrique, spécialement au Maghreb, en Mauritanie, ou au Soudan du Sud, mais le processus de tolérance et de respect de ces « nouveaux » genres et identités sexuels est définitivement en marche. C’est une autre étape que l’Afrique doit affronter et tous les yeux sont rivés sur elle. 

L’Afrique, le continent de demain

78329210Au moment où les partenaires historiques de l’Afrique conduisent des études approfondies sur le devenir de notre continent pour développer de nouvelles stratégies d'approche dans leur coopération comme en témoigne cette étude menée par le Sénat français intitulée « l’Afrique est notre avenir », en Afrique, les gens s’attardent le plus souvent sur des imbroglios politiques, des privilèges personnels, des conflits armés sans se soucier du rôle stratégique et important que le continent est censé jouer sur l'échiquier international. Même si aujourd’hui, les dirigeants africains prennent de plus en plus conscience de cet état de fait et tentent de prendre des initiatives au niveau des instances telles que l’UA, la CEDEAO, l’UEMOA, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’efforts restent à fournir pour donner au continent africain la place qu’il mérite au plan mondial.

Historiquement, il apparait bien qu'après les indépendances, les dirigeants africains aient raté le départ pour baliser le chemin du véritable développement de l'Afrique malgré qu’ils soient intellectuellement bien formés et que le continent regorge de ressources naturelles importantes. Au niveau continental, ils n'ont pas pu mettre en place des plans de relance économique basés sur des orientations claires et patriotiques comme le fut le plan Marshall qui a reconstruit l'Europe après la seconde guerre mondiale. Pourtant, ils avaient des arguments de taille pour réclamer cela après plusieurs années d'esclavage et de colonisation. Les quelques rares dirigeants qui ont tenté d'imprimer leur marque pour développer leur pays (Thomas Sankara du Burkina Faso, Julius Nyerere de la Tanzanie, Patrice Lumumba du Congo-Kinshasa, Anouar El Sadate de l’Egypte, entre autres) , ont été vite bloqués dans leur élan, voire éliminés avec la complicité de leurs compatriotes. Il est difficile de comprendre que l'Afrique reste à la traîne avec ses énormes réserves de ressources naturelles et la force de sa population jeune au moment où des pays comme la Chine, la Corée, le Japon et d'autres qui, il y a quelques années étaient derrière beaucoup de pays africains, se retrouvent aujourd'hui dans le cercle restreint des géants du monde. 

Rejoindre l’Eldorado au prix de sa vie

Aujourd'hui, des milliers d'Africains tentent de quitter le continent souvent clandestinement pour rejoindre l'Europe, car ils n'ont peut-être pas espoir de vivre décemment dans leur pays. Prenant des chemins périlleux, ils meurent souvent dans des conditions désastreuses. Pourtant, ce continent qu'ils sont en train de délaisser, est l'avenir de ces pays qu'ils considèrent comme des eldorados. Cela peut être compris car ces Africains n'ont pas les outils nécessaires qui leur permettent d'anticiper sur le devenir du monde. Ils ne savent pas que l'Afrique peut constituer le continent de demain. Mais, sous un autre angle, c'est aussi la faute de certains dirigeants ou de personnes avides de pouvoir. Animés par leurs propres intérêts, ils entretiennent des conflits armés ou détournent pour leur propre compte le peu de richesse créée, ou d’aide venant de l’extérieur, empêchant les populations civiles de vivre dans les meilleures conditions dans leur pays. Au moment où des entités étatiques cherchent à s'unir pour être plus fortes dans un monde globalisé, des démons de la division au nom de l’ethnicisme, de la religion, de l’espace géographique, cherchent toujours à créer l’adversité entre des peuples frères semant le chaos et la mort. Au fond, ces conflits ont souvent d’autres soubassements, notamment la question de l’accaparement des ressources minières ou pétrolières.

Dans ce climat délétère, d’autres personnes peut-être plus « intelligents » en profitent pour davantage s’enrichir. Et la conséquence est que des populations tentent de fuir leur pays pour trouver ailleurs la paix et le bonheur. Justement, cet eldorado est l’Europe. Sur les chemins des migrations, ils sont pris entre deux feux : les conflits et la misère dans leur pays d’origine et les barrières frontalières de l’Europe. Il est urgent de résoudre ces erreurs du passé et du présent pour véritablement se projeter vers l’avenir. Les dirigeants africains doivent poser les jalons d’un véritable développement en se basant d’abord sur les atouts, les intelligences du continent avant tout appui extérieur. C’est le seul moyen de permettre à ces millions de populations africaines de rester dans leur pays et garder espoir de voir leurs conditions de vie changer positivement.

Des initiatives et des changements encourageants

Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) est une très bonne initiative. Même si ce sont des élites africaines qui l’ont initié et démarré, il n’en demeure pas moins qu’elle a besoin de l’accompagnement des bailleurs de fonds (Banque mondiale, FMI) et des pays développés, notamment ceux historiquement liés à l’Afrique. Ceux-ci doivent appuyer davantage ce programme quitte à en faire un plan Marshall pour l’Afrique. C’est un devoir de mémoire pour l’Europe dans sa grande majorité d’accompagner activement le développement de l’Afrique avec désintéressement. Il faut admettre que l’Afrique, compte tenu de tout ce qu’elle a subi dans le passé, est dans ses droits de solliciter l’aide internationale pour financer ses programmes de développement. Et, les conditions assujetties à cet appui ne devraient nullement être liées à des chantages économiques contraignants motivés par des intérêts crypto-étatiques, mais plutôt à des obligations de résultats, de respect de la bonne gouvernance, de la démocratie et de l’amélioration des conditions de vie des populations.

Depuis longtemps, il semble indiquer que certains pays développés, avec la complicité souvent inconsciente d’une classe d’élites africaines, cherchent à maintenir l’Afrique dans une situation de dépendance récurrente pour entretenir leurs privilèges sur le continent. Ils hésitent encore à faciliter un développement rapide du continent, et donc une émancipation socioéconomique, alors que les populations africaines y aspirent de plus en plus. D’ailleurs cette volonté de changement positif se ressent autant chez les citoyens africains que chez ceux du Nord. De plus en plus des citoyens du monde entier tissent des relations en dehors de toute incursion des pouvoirs publics. Ce rapprochement des peuples découle d’une volonté de briser les frontières habituelles pour développer un monde de communion, de partage et de solidarité. Les élites de tous bords doivent donc prendre cet exemple pour construire un développement homogène et une paix sociale. 

Evidemment, il s’avère que devant l’ampleur des problèmes de l’émigration clandestine, la morosité économique, et la menace de la force économique des nouveaux pays émergents (Brésil, Inde, Chine), les partenaires historiques de l’Afrique sont contraints de revoir leurs programmes de coopération avec le continent. Il y va de leur intérêt d’accompagner un développement rapide de l’Afrique afin que des questions lancinantes, en particulier l’immigration clandestine puissent être résolue.

L’Afrique, à la croisée des chemins

Aujourd’hui, l’Afrique est à la croisée des chemins. Ses dirigeants doivent savoir saisir la balle au bond et corriger les erreurs du passé. Avec la mondialisation, nous avons besoin l’un de l’autre pour exister et maintenir un certain niveau de vie. C’est pour cela que les nouvelles relations de coopération sont bâties sur le gagnant-gagnant. Mais, tout se base sur les capacités intrinsèques de négociation à préserver ses intérêts dans le respect de l’autre.

Les visites fréquentes sur le continent de chefs d’Etat des pays développés et émergents durant ces dernières années témoigne encore de ce regain d’intérêt pour le continent Africain. L’Afrique est le continent de demain, c’est une réalité qui se dessine au fur et à mesure sur la marche du continent. En effet, de plus en plus de pays africains développent des capacités économiques dynamiques. D'après un rapport de l'étude Africa Attractiveness  publiée par le cabinet de conseil Ernst & Young, la part mondiale des Investissements directs à l'étranger (IDE) à destination du continent africain est passée de 3,2% en 2007 à 5,6% en 2012. Selon les prévisions, la croissance africaine doit atteindre 4% en 2013 et 4,6% en 2014. Egalement, il est noté dans le rapport que l’investissement des marchés émergents en Afrique a encore augmenté en 2012, poursuivant la tendance des trois dernières années. Ainsi, les plus grands contributeurs des marchés émergents sont l’Inde (237 projets), l’Afrique du sud (235), les Emirats arabes unis (210), la Chine (152), le Kenya (113), le Nigéria (78), l’Arabie Saoudite (56) et la Corée du Sud (57). Ils sont tous classés parmi les 20 plus grands investisseurs sur cette période.

Cependant, les populations à la base disent souvent qu’elles ne voient pas encore les retombées de l’exploitation de ces ressources. Alors, il s’avère important que les dirigeants africains puissent assurer une redistribution plus équitable des ressources financières générées afin d’avoir un développement économique harmonieux et homogène. L’Afrique doit enfin faire valoir ses capacités et ses atouts pour s’inscrire sur une pente ascendante. Certes, il y a les prémisses d’un redressement économique, mais il existe toujours des fossoyeurs de la paix et du développement qui servent leurs propres intérêts, empêchant le continent d’aller de l’avant. Pour barrer la route à ces forces négatives, les élites et les populations, conscientes des enjeux de développement doivent unir leurs forces et prendre des mesures pouvant tordre la main à ceux-là. C’est le moment pour l’Afrique de baliser le chemin du véritable développement et sortir les populations de la misère.

Mamadou NDIAYE

 

« La violence sexuelle est une arme de destruction massive »

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Le docteur Denis Mukwege, Photo: Roger Svanell/PMU
Certains militent pour interdire les armes chimiques ou nucléaires. Le docteur Denis Mukwege, gynécologue congolais, nominé cette année pour le prix Nobel de la paix, remue ciel et terre pour que la communauté internationale érige le viol au rang des armes de destruction massive. Chaque année, l’hôpital Panzi, institution qu’il a fondée en 2008 à Kivu (province de l’Est de la RDC ravagée par les conflits), soigne 3000 survivantes de violences sexuelles. Mais à travers la fondation Panzi (fondée en 2010), le docteur Mukwege œuvre également à réintégrer ces femmes dans la société. De passage à la Banque mondiale,  à l’occasion d’un séminaire sur la violence sexuelle dont sont victimes les femmes dans la province du Kivu, « L’homme qui répare les femmes » (selon le titre d’une biographie que lui a consacré la journaliste Colette Braekman) nous parle de son combat.

Lors de ce séminaire, vous avez souligné que les femmes portaient l’économie de l’Afrique sur leurs épaules et que si on les brisait psychologiquement, et physiquement, on ne faisait que perpétuer le cycle de la pauvreté. Selon vous, la lutte contre les violences sexuelles et le développement économique vont de pair. Pourquoi ?

Je pense effectivement que la  femme porte l’économie de l’Afrique sur ses épaules puisque les femmes se battent pour l’éducation de leurs enfants. J’ai participé à un panel de haut niveau des Nations Unies sur la réparation en RDC. Lorsque nous avons interviewé des survivantes de violences sexuelles, nous avons constaté que la première chose que ces femmes, victimes de traumatismes atroces, réclamaient était que leurs enfants puissent aller à l’école. Elles savent que l’éducation est un outil pour lutter contre la pauvreté. Les femmes se battent également pour que leur famille ait suffisamment à manger donc toute leur lutte est concentrée sur  la famille. Sans une bonne éducation, sans une bonne nutrition, on ne peut pas être utile à la communauté. Si vous détruisez la femme physiquement et psychologiquement, cette femme qui a  toujours travaillé pour que ses enfants soient en bonne santé et aillent à  l’école, est brisée. Et avec elle,  c’est six personnes en moyenne qui sont affectées.

Si l'on veut reconstruire l’Afrique, il faut donc vraiment tenir compte des femmes. Il ne s’agit pas de féminisme de ma part mais il s’agit simplement de reconnaître que les femmes sont les  piliers de la société. C’est pourquoi nous essayons de donner à ces femmes la possibilité de se prendre en charge. Autour d’elles, le cercle s’élargit car elles associent facilement les autres femmes. Dans le mouvement associatif, les femmes ont un siècle d’avance par rapport aux hommes. Par exemple,  lorsqu’une femme a une chèvre et qu’elle en obtient une deuxième, elle  va la donner à une autre et ces chèvres vont bénéficier à tout le village. Les villageoises vont aussi former des banques informelles.  Les femmes sont des actrices du développement  et elles se battent pour les droits de l’homme. J’ai vu des survivantes qui ont commencé chez nous à Panzi après avoir appris à lire, à écrire, à compter, avec un petit pécule de 30 dollars,  et qui sont venues me voir pour me dire qu’elles avaient acheté par la suite une parcelle de terre à 1000 dollars.

 Parlez-nous du programme « Un toit pour les survivantes » que vous avez lancé récemment et qui consiste à donner aux survivantes des violences sexuelles des matériaux de construction afin qu’elles construisent leur maison.  

Permettre à la femme d’avoir son propre toit est une façon de l'autonomiser.  Dans la société où tout appartient à  l’homme, même si la femme participe a l’économie elle n’est pas considérée comme une actrice à part entière. C’est comme si elle travaillait pour le compte de son mari. Le jour ou la femme se construit sa propre maison, le mari peut venir la voir mais il n’a plus d’emprise sur elle. Une femme qui part avec un crédit de 30 dollars et qui parvient  à s’acheter une parcelle de terre, c’est un potentiel à encourager. La réussite sociale peut se bâtir sur les femmes car leur façon de voir est centrée sur la communauté.

Vous sillonnez la planète pour sensibiliser le monde à la cause que vous défendez. Selon vous, quel rôle peut jouer la communauté internationale dans la lutte contre le viol comme arme de guerre ?

La loi internationale prévoit que si le gouvernement ne peut pas protéger sa population, la communauté internationale doit le faire : ce n’est pas de l’ingérence car le droit à la protection est  un droit fondamental. Lorsqu’il y a une dépravation sociale, ce sont les femmes et les enfants qui doivent payer le prix. Dans le cas de la RDC, je crois que la communauté internationale a failli à ses responsabilités. J’ai frappé à toutes les portes depuis 15 ans, de la communauté européenne aux Nations Unie, etc. J’ai été partout ! La violence sexuelle n’a jamais été vraiment prise au sérieux. Disons la vérité. Lorsqu’il y a des armes chimiques, la ligne rouge est franchie. Où est la ligne rouge  par rapport à la violence sexuelle ? Je crois qu’il faut que la communauté internationale  trace cette ligne rouge. Les études scientifiques montrent qu’en l’absence de ligne rouge même les adultes commettent des viols sans comprendre pourquoi ils le font. Ils détruisent une société mais eux-mêmes ne réalisent pas ce qu’ils font car le viol est normalisé dans leur esprit. Il faut avoir le courage de dire à la communauté internationale qu’il faut agir, car il n’est jamais trop tard pour bien faire…

Comment la Banque mondiale peut-elle vous aider concrètement dans votre mission de tous les jours ?

Je voudrais que la Banque mondiale nous aide à répliquer le modèle de Panzi sur tous les territoires où la violence sexuelle a été utilisée comme stratégie de guerre et de destruction massive et qu’elle nous aide à intégrer la santé mentale dans les soins de santé primaire. J’espère que la Banque mondiale et le gouvernement congolais  pourront se mettre d’accord pour que ce plan puisse être mise en œuvre. La Banque mondiale peut aussi aider à démobiliser les anciens combattants. Il ne faut absolument pas les réintégrer dans l’armée car beaucoup sont détruits psychologiquement. Ce sont des hommes forts, ils peuvent réhabiliter des routes, des centres de santé et des écoles, ils peuvent constituer des brigades agricoles et leurs produits agricoles peuvent être vendus sur le marché au bénéfice de la communauté et du développement. Nous avons besoin de centres de santé qui intègrent cet aspect de la santé mentale. L’expérience du Congo peut aider.  On ne peut pas espérer changer la société, si la société est malade.

 

Un article de Anne Senges, initialement paru sur son blog de la Banque Mondiale

Points de vue croisés: Le Mali en transition

Cet article présente les positions de deux analystes de Terangaweb – L'Afrique des Idées sur le Mali en transition et les évènements qui ont agité le pays, aussi bien au Nord qu'au Sud, depuis l'investiture d'Ibrahim Boubacar Keïta en septembre. Même si l'opération "Saniya" semble marquer une reprise en main des forces armées par l'Etat malien, les défis qui se présentent à IBK restent nombreux, notamment au Nord. 

Ousmane Aly Diallo & Racine Demba


Opération "Saniya": La fin de la transition au Mali

Opération SaniyaLundi 30 septembre 2013 au camp Soundiata Keïta de Kati. Trois militaires maliens s’avancent devant les locaux du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité (CMSRFDS). Ils ouvrent le feu à l’arme lourde et signent par cet acte la fin de la période de transition au Mali.

Fissures au sein de la junte 

Ces évènements mettaient à nu les fissures au sein d’une junte qui s’était jusqu’ici montrée soudée face aux pressions, politique comme militaire. Que ce soit lors de la « cession » du pouvoir au président de l’Assemblée nationale malienne, que ce soit face à la tentative de contre-coup d’état menée par Abidine Guindo et ses bérets rouges, les membres du comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) ont toujours affiché un front uni et ont pu résister à ces différentes épisodes.

La saute d’humeur de Kati, saute d’humeur puisque l’État malien n’était pas visé mais bien le fraichement galonné Amadou Haya Sanogo, montrait à la face du monde les divergences au sein du groupe de sous-officiers qui a  renversé  le gouvernement légitime quoiqu’impopulaire d’ATT. Amadou Haya Sanogo et son second Amadou Konaré, qu’on accuse d’être derrière ces évènements, étaient les éminences grises sous la transition politique et se sont  montrés déterminés à ne pas affronter les barbus d’AQMI et les partisans du MNLA pendant 9 mois. Ils représentent deux tendances distinctes au sein de cette junte, tendances devenues manifestes ce 30 septembre. Si Sanogo s’est vu gracieusement offrir sous l’égide de la CEDEAO un statut d’ancien chef d’État et la promotion au titre de général de corps d’armée, Amadou Konaré, deuxième homme fort et porte-parole de la junte est lui, passé de lieutenant à capitaine.  Une bien maigre consolation me diriez-vous. D’autres promotions ont eu lieu : celles de Sada Samaké et de Moussa Sinko Coulibaly, deux responsables proches de la junte et membres de l’actuel cabinet ministériel du Mali. IBK avait déjà imprimé sa marque dès son investiture, en promouvant les officiers qui s’étaient distingués au front, El  Hadji ag Gamou, Didier Dacko et Abderrahmane Ould Meydou, rétablissant ainsi une certaine justice au sein de l’armée malienne.

Mais la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase a été les dons que Sanogo aurait offerts au chanteur traditionnel Sékoubani Traoré lors d’une soirée dozo. Une Toyota Land Cruiser et des dons en espèces. Des dons de trop. Les mutins tirèrent à l’arme lourde ce 30 septembre sur les locaux du CMSFRDS pour exprimer leur ras-le-bol et leurs revendications, avant de l’occuper et d’attendre IBK de pied ferme.

 « Saniya » ou le retour de Koulouba comme centre du pouvoir

La mutinerie de Kati contre l’autorité de Sanogo a été l’un des premiers troubles sous le magistère du Kankélétigui ("homme qui n'a qu'une seule parole", le surnom d'IBK). Elle constituait en outre un coup d’arrêt, un vrai appel à la réalité, montrant l’impact du putsch du 22 mars 2012 sur les processus de communication interne au sein de l’armée malienne et de la toute-puissance de ce corps sur l’État malien.  Les mutins, principalement des sous-officiers maliens, réclamaient des promotions militaires et une revalorisation de leurs émoluments. Le retrait de la liste des bénéficiaires des promotions annuelles lors de la fête d’indépendance du Mali (22 septembre), de sous-officiers ayant contribué au putsch du 22 mars, retrait supposé ou actuel, a sans doute généré des frustrations au sein de ce corps.

Ibrahim Boubacar Keïta, qui a souvent été qualifié de « candidat de la junte » (on se souvient de la proclamation de la victoire d’IBK lors du premier tour de la présidentielle par le Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et membre de la junte, ce qui avait déclenché des vives protestations chez les partisans de Soumaïla Cissé) par ses opposants avait l’occasion de montrer ce qu’il en était de ses assertions. Et il faut admettre que la réponse de l’État malien a été expéditive. De Paris où il se trouvait, le Kankélétigui déclare que « Kati ne ferait plus peur à  Koulouba ». La réaction et les engagements de son gouvernement attestent qu’il a été digne de son surnom.

L’opération « Saniya» marquait, plus que les élections présidentielles, la fin de la période de transition au Mali. La junte toisait toujours l’État malien même si elle n’existait plus « de jure ».  À travers ce déploiement de force, l’État malien a restauré l’ordre et son autorité dans un Kati aux mains de la junte pendant 18 mois, mettant fin à cette excroissance et à tous les amalgames qu’elle causait. En effet, l’arrestation et le désarmement des mutins  et le retour des arsenaux privés de certains sous-officiers et officiers, sous l’autorité de l’Intendance, montraient à souhait la nouvelle réalité qui se profilait. L’éviction de Sanogo hors du camp Soundiata Keïta de Kati; la dissolution du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité qu’il présidait et l’arrestation des anciens hommes forts de la junte tels que le capitaine Amadou Konaré et le colonel Youssouf Traoré (présumés instigateurs du coup de main avorté du 30 septembre) sont autant de signaux forts annonçant le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’armée malienne. Malgré la médiation de la CEDEAO, Dioncounda Traoré a dû composer pendant toute la transition avec l’autorité parallèle illégale mais toute-puissante du CNRDRE.

Avec une junte autant décrédibilisée par son inaction  au nord et par ses rivalités avec les autres structures militaires maliennes (comme les bérets verts de la garde présidentielle d’ATT), l’opération « Saniya » a été la conclusion de ce chapitre de l’histoire politique malienne. La mise en place au mois d’octobre d’un nouveau commandement militaire au camp Soundiata Keita signale bien la fin de la  partie. Mais non des défis pour IBK.

Rétablir la justice et mettre fin à l’impunité

Si l’État malien a apporté une réponse rapide et expéditive à ces troubles pour éviter tout débordement, les défis n’en demeurent pas moins énormes au septentrion. L’opération Serval a permis de disperser les troupes d’AQMI et d’intimider le MNLA sans pour autant détruire toute capacité de nuisance totale de ces organisations.  Déjà les troubles ont repris dans le nord avec les attentats-suicides à Tombouctou et la destruction d’un pont à Gao revendiqués par le MUJAO. Ces évènements signalent assez fort que la situation dans le Nord est loin d’être réglée et que l’armée malienne a aujourd’hui plus que jamais un rôle à jouer dans la stabilité du pays.

De même, des disparitions forcées et des exécutions sommaires  ont eu lieu durant la mutinerie de Kati  et durant le cadre de l’opération Saniya. Plusieurs sous-officiers coupables d’avoir défié l’autorité de Sanogo ont ainsi disparu durant les jours suivants, au fond des puits ou dans les morgues des hôpitaux environnants. Il ne suffit pas d’arrêter les mutins et d’installer une nouvelle hiérarchie militaire à Kati, répondant directement à Koulouba. La légitimité de l’État malien ne pourrait être établie sans que justice ne soit faite sur ces évènements. La volonté manifestée de tirer au clair les nombreux cas d’exécution est de bonne augure. L’impunité qui a marqué la période de transition ne saurait être cautionnée par déni ou par complaisance. Il faut croire que la récente convocation de Sanogo par la justice malienne constitue une manifestation de la fin de cet état de fait  et la « mort politique » d’un militaire qui s’est hissé au pouvoir en se faisant le porte-voix des frustrations de ces camarades.

Il faudra certainement du temps  pour que la culture républicaine puisse se réimposer à tous les niveaux de l’armée malienne. Le coup d’État du 22 mars 2012 avait créé une autorité parallèle, excroissance indépendante de l’État malien. La reprise en main par l’État malien de la chose militaire et la volonté de justice qui se manifeste ne sont que des préalables à l’établissement de sa souveraineté totale sur l’intégralité de son territoire. Le MNLA se cantonne à Kidal et les militants islamistes annoncent leur vivacité à travers des attentats dans le nord. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra plus que des frustrations sur les promotions pour venir à bout de ces défis.

Ousmane Aly Diallo


Mali: L'effet IBK à l'épreuve des faits

MNLA KidalAu lendemain de l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita nous disions (ici) qu’il serait, dans un premier temps, attendu principalement sur trois fronts : Kati, Kidal et le statut du Nord-Mali. Si sur le premier point évoqué, le nouveau président a rapidement imposé son autorité en reprenant la ville-garnison et en isolant le général Sanogo, pour les deux autres la tâche semble plus ardue.

Le président Keita était en visite d’État en France lorsqu’a éclaté, à Kati, une mutinerie. Sous prétexte d’avoir été oubliés lors de décisions ayant notamment abouti à la promotion du capitaine Sanogo au grade de général, des éléments ayant participé au putsch du 22 mars venaient de reprendre les armes. Dans la foulée, ils prenaient en otage un colonel de l’armée venu négocier avec eux. Le spectre d’un nouveau bain de sang et par la même un nouveau coup porté à l’autorité de l’Etat malien planait ainsi sérieusement.

De retour au pays IBK annonce, le 18 septembre dernier, lors d’une adresse solennelle à la nation : le désarmement de tous les éléments de la garnison, la dissolution du comité censé restructurer l’armée malienne que dirigeait le général Sanogo et le retour à l’orthodoxie par le respect stricte de la hiérarchie militaire. Des déclarations suivies d’effets puisque depuis lors l’armée est au garde à vous et les éléments de l’ex-junte ont été soit tués dans ce processus de reprise en main, soit mis aux arrêts, soit menacés de poursuites.

Avec l’assassinat, samedi 2 novembre, des deux journalistes de RFI, Gislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal, cette ville est revenue au-devant de l’actualité. Le jeu trouble de la France dans la gestion du cas de cette localité du nord depuis le début de l’opération Serval avait déjà commencé à alimenter la polémique.

Comme l’a rappelé, pour le déplorer, le ministre malien de la Défense Soumeylou Boubèye Maïga, les  forces maliennes (au nombre de 200, le nombre maximum autorisé par le MNLA) « n’ont pas une marge d’action, qui leur permettrait d’être en permanence présentes sur les différents axes »    De plus le contingent de la Minusma (200 soldats également) est plus ou moins cantonné avec des effectifs insuffisants ainsi que des problèmes logistiques liés à l’immensité du territoire à couvrir.

Le drapeau du MNLA flotte sur le palais du gouverneur de Kidal qui est obligé de squatter une chambre de la mairie et des ministres en visite dans la ville se sont récemment fait chasser par des jets de pierres. Le MNLA a obtenu avec la bienveillance de la France que lui soit confié, dans le cadre des accords d’Ouagadougou signés par les autorités de la transition, la sécurité de la ville au grand dam du président Keita. Ce dernier, depuis son élection, réitère  chaque fois qu’il en a l’occasion, sa conviction que la situation à Kidal est inadmissible. Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française vient d’ailleurs d’annoncer l’arrivée de 150 militaires français sur place pour renforcer la force Serval alors que dans le même temps il n’est nulle part question d’un déploiement des forces maliennes dans la ville. Les éléments de la Minusma se font eux très discrets. Kidal ressemble de plus en plus à une cité-État à l’intérieur de l’Etat malien.

Les négociations de paix avec le MNLA ne semblent, quant à elles, pas très bien parties malgré les récents États généraux de la décentralisation et autres Assises du Nord organisées par le gouvernement. Les dissensions entre gouvernement et groupes rebelles paraissent insurmontables, les deux parties se renvoyant la responsabilité de l’impasse dans les négociations entamées sur la base d’un pré-accord signé en juin. Leurs points de vue divergent aujourd’hui plus qu’hier sur le futur statut du Nord. Les rebelles réclament une autonomie dont IBK ne veut entendre parler. Un analyste local résume la situation ainsi : « au Sud, l'opinion publique est très majoritairement opposée à un statut spécifique pour le Nord et n'accepte qu'une décentralisation poussée. Au Nord, les rebelles pressés eux aussi par leur base, réclament "un minimum d'autonomie", Autant dire qu’on n’est pas loin de l’impasse.

Ibrahim Boubacar Keita laisse le chantier de la relance de l’activité économique à son Premier ministre, le banquier Oumar Tatam Ly, pour se consacrer à ses promesses phares de campagne : le retour de l’autorité de l’Etat et la paix dans le Nord. Toutefois bien qu’ayant réussi un premier pari avec un début de normalisation dans l’armée, il lui faudra plus que la bonne volonté affichée jusqu’ici pour reprendre Kidal au MNLA et à la France et pour obtenir, de l’ensemble des mouvements rebelles du Nord, une paix durable.

Racine Demba

Avenir de l’Afrique : l’espoir est-il permis ?

L’un des défis majeurs auxquels le continent africain sera confronté dans les prochaines décennies est celui du progrès social. Le chemin qui y mène n’est pas inscrit dans un déterminisme historique, ni dans des théories économiques – qu’elles soient classiques, néoclassiques ou libérales – ni même dans les nombreux schémas de développement prônés ça et là. Il est tributaire de contingences aussi insaisissables que confuses, dont les paramètres s’enchevêtrent à divers échelons de l’évolution politique et économique des pays africains. L’expansion démographique croissante, qui a été amorcée depuis les années 1980, les taux de croissance économique encourageants observés depuis quelques années, ainsi que la situation politique mi-figue mi-raisin sont autant de facteurs qui rendent l’avenir du continent imprévisible. Cependant, un certain nombre de tendances lourdes dans ces différents domaines peuvent aider à cerner un champ de possibilités, et définir le périmètre d’espoir permis.

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L’ouverture des économies africaines à l’international doit être mieux surveillée. Les accords conclus à l’aveuglette dans le cadre du GATT puis de l’OMC n’ont pas tenu compte de la faiblesse de ces économies et n’ont pas été orientés vers une logique prudentielle, en plus d’être complètement ignorés par l’Union européenne et les Etats-Unis, qui subventionnent leurs producteurs agricoles sans se soucier du respect des règles anti-dumping. De plus, la production économique s’est restreinte à des biens à faible rendement sur le tissu industriel. Elle a favorisé l’enrichissement d’une classe moyenne très restreinte, qui a alimenté par ricochet une élite de fonctionnaires octroyant des licences, agréments et autres contrats. D’ailleurs, dans le petit nombre de pays bénéficiant de gisements pétroliers (le Nigéria, l’Algérie, le Soudan, la Guinée équatoriale, le Gabon, l’Angola entre autres), rares sont ceux qui parviennent à assurer une redistribution équitable de leurs ressources ; c’est plutôt une situation de rente qui y prévaut pour une bourgeoisie restreinte et jalouse de ses privilèges.

A l’heure actuelle, la renégociation des termes de l’échange s’impose aux dirigeants africains, et ceux-ci semblent l’avoir bien compris. Avec la conclusion des Accords de partenariats économiques d’une part, et la création d’unions économiques régionales d’autre part – dont la mise en place d’un tarif extérieur commun à la Cedeao récemment – les États africains ont commencé à orienter leur diplomatie économique vers une coopération plus étendue et plus inclusive à la fois. Néanmoins, l’action économique dans son ensemble devra mieux tenir compte des inégalités entre couches sociales, et par là-même comporter un volet de redistribution qui vise un partage plus équitable des ressources entre les communautés. Le secteur agricole doit continuer sa modernisation tout en tenant compte des externalités positives qu’il doit engendrer. En d’autres termes, il faudra privilégier les branches de production qui ont un impact certain sur la croissance économique, en même temps qu’il sera nécessaire de produire les biens qui sont consommés par les ménages africains et consommer les biens qui sont produits sur les terres africaines. De ce fait, l’exploitation des matières premières doit continuer, mais elle devra bénéficier à l’ensemble de l’économie: industries et services à haut potentiel. La jeunesse africaine doit intéresser les projets économiques en termes de scolarisation et d’emploi : c’est la couche la plus vulnérable des sociétés africaines.

Un moyen assez pratique de résorber le chômage des jeunes en Afrique, mais qui semble totalement oblitéré par les pouvoirs publics, est de mettre en place des clauses d’embauche de main d’œuvre locale lors de l’octroi des agréments ou licences d’exploitation économiques. Qu’ils concernent les terres, les ressources minières, ou les services de télécommunication, les Etats ont l’extraordinaire possibilité, ainsi que la responsabilité morale, d’exiger de la part des investisseurs privés un quota d’emplois locaux applicable aux postes qualifiés des entreprises. Les sociétés minières en particulier doivent intégrer ce paramètre de recrutement.

En ce qui concerne l’avenir politique du continent, il semble de plus en plus incertain. Les énormes efforts fournis par certains Etats ont pu être anéantis ou considérablement amoindris par des facteurs difficiles à maîtriser. Ainsi du Mali où la rébellion touarègue et le coup d’Etat des mutins de Kati ont sapé les progrès démocratiques enregistrés depuis les années 1980. Ainsi de la Côte d’Ivoire dont la stabilité politique a été mise à mal à partir du début des années 2000 et a connu des soubresauts insoupçonnés jusqu’à l’épilogue de 2011, avec l’arrestation de Laurent Gbagbo qui avait confisqué le scrutin présidentiel, mais après un conflit meurtrier. Ainsi du Kenya, où les avancées démocratiques ont souffert du refus de Mwai Kibaki de quitter le pouvoir, et où d’autres formes de violences ont été notées en 2013, au Westgate Mall. D’autres pays ont aussi récemment connu des troubles insoupçonnés: la Guinée-Conakry, où la vie politique est émaillée de clivages ethniques et où les pouvoirs exorbitants de l’armée rendent un coup d’État possible à tout moment. Son voisin la Guinée Bissau demeure un terreau d’instabilité et de trafics en tous genres (drogues, armes, êtres humains); la survie de l’Etat tient à un fil. Plusieurs faits de violence ont du mal à trouver un épilogue: les deux Kivus en RDC, plus généralement l’instabilité dans les Grands Lacs, les coupeurs de routes en Centrafrique, les pirates dans la Corne de l’Afrique, les groupes armés au Nigeria (Boko Haram) et dans la bande sahélo-sahélienne, allant de la Mauritanie au Tchad en passant par l’Algérie, le Mali, le Niger, et la Libye. Le phénomène de la violence semble de moins en moins maîtrisable en Afrique, et rend l’avenir politique du continent largement imprévisible. Last but not least, le vent révolutionnaire qui a soufflé dans le Nord de l’Afrique en 2011 a achevé de démontrer le caractère très incertain du fait politique dans le continent.

Cependant, certains paramètres peuvent être identifiés comme facteurs d’espoir et de progrès dans les années à venir. Dans cette optique, il apparaît tout d’abord que l’apprentissage ou la consolidation de la démocratie sera incontournable. L’instauration du pluralisme politique, dont le tournant des années 1980 a fourni une très bonne illustration, sera plus que jamais nécessaire. Lorsque le pouvoir politique est conquis à travers des élections libres et apaisées, l’économie du pays y trouve une grande bouffée d’oxygène car les investissements privés et l’aide publique au développement sont mieux attirés. La République Démocratique du Congo en a fourni un bon exemple au début des années 2000. De plus, les coups d’État devront connaître un net recul dans les années à venir puisque leurs auteurs sont dorénavant mis au ban de l’ordre politique international. Des pas importants vers la stabilité devraient être faits.

Mieux, le retrait volontaire des dirigeants africains du pouvoir devra rester un facteur de progrès, comme cela a été observé au Ghana avec John Kufuor, au Nigéria avec Olusegun Obsanjo, ainsi qu’au Mali avec Alpha Oumar Konaré. Les plus récalcitrants pourront risquer une confrontation avec l’armée, comme au Nigéria en 1999, au Niger en 1997, au Mali en 1991, ou en Mauritanie en 2007. Les auteurs de coup d’état s’empressent donc désormais d’organiser des élections pour transmettre le pouvoir aux civils pour éviter la mise au ban de la communauté internationale : voyez le Mali, voyez la Centrafrique.

Ainsi, le respect de l’Etat de droit apparaît comme un facteur incontournable de l’évolution politique en Afrique. L’existence d’institutions fortes tirant leur légitimité d’un pacte social –contenu dans la Constitution et validé par les élections – favorise la stabilité d’un pays. L’Etat de droit ne peut pas se limiter au pluralisme politique et à l’organisation d’élections libres et transparentes ; il doit s’approfondir avec l’émergence d’une justice constitutionnelle et d’autorités de régulation qui s’érigeront comme des garde-fous de cet Etat de droit. En même temps, le processus de modernisation des administrations publiques doit se faire prudemment.

Mais cet Etat de droit doit s’enrichir par l’émergence d’une société civile qui tiendra lieu de “watchdog” entre le peuple et les dirigeants, et qui lui permet de s’apaiser et de se consolider. Des acteurs nouveaux comme “Y en a marre” au Sénégal ou “Trop c’est trop” au Burkina Faso ont pu contraindre le pouvoir politique à agir dans un sens favorable à la démocratie. De même, l’existence d’une presse libre et indépendante contribue au renforcement des acquis démocratiques ça et là. Ces acteurs non institutionnels de la démocratie joueront en même temps un rôle de médiateurs. Enfin, mais de manière plus timide et moins certaine, la garantie des droits des minorités marquera l’évolution politique. La promotion politique des femmes – comme avec l’instauration de la loi sur la parité au Sénégal – ainsi que la territorialisation des politiques publiques devront se poursuivre. L’intégration régionale sera aussi déterminante pour les Etats africains, à travers les pôles économiques régionaux comme la SADC, la CEDEAO, la CEEAC, l’UMA, et l’EAC, qui devront jouer un rôle de premier plan. Ce sont ces ensembles régionaux qui pourront mieux porter la voix de l’Afrique au niveau international, comme dans le cadre des négociations relatives aux Accords de partenariats économiques ou dans celui des efforts visant à maîtriser les flux migratoires de part et d’autre.

Dans l’ensemble, les régimes autocratiques comme on en a connu devront être l’exception et la démocratie la règle. Seul un Mugabe  au Zimbabwe semble avoir survécu à la vague qui a emporté les porteurs de projets totalitaires comme Tombalbaye, Mengistu ou encore Mobutu.  Des Etats comme l’Afrique du Sud, le Bénin, le Cap-Vert, le Botswana, le Ghana, le Sénégal, le Nigéria, Maurice et la Namibie semblent avoir pris le cap de la consolidation de leur vie démocratique. D’autres semblent encore rester dans l’antichambre de la démocratie tout en donnant des signaux encourageants : il s’agit de pays comme le Mozambique, le Niger, le Burkina Faso, le Cameroun, le Burundi, et le Malawi entre autres. Bien entendu, beaucoup d’autres restent sur les étapes les plus rudimentaires du progrès politique : la Guinée-Conakry, la Guinée-Bissau, la Gambie, la Centrafrique, la Somalie, et le Zimbabwe ont été de mauvais élèves. Le tableau, on le voit bien, reste diffus, mais l’espoir reste permis pour une grande part de pays africains. Pour paraphraser Lionel Zinsou, « on ne saurait dire si la démocratie devient vraiment majoritaire, mais on sait déjà dire que la dictature est devenue minoritaire ». 

Acte III de la décentralisation au Sénégal : pistes pour la réussite d’une réforme majeure

Lorsqu’une réforme politique majeure comme l’Acte III prétend apporter une plus-value à l’expérience de décentralisation en cours au Sénégal depuis au moins quarante ans, légitimes sont les interrogations sur le bien-fondé d’une telle opération c’est-à-dire son opportunité et son objectif fondamental. En effet, après l’Acte I (1972) qui s’est, notamment, concrétiser par l’avènement de la communauté rurale et l’Acte II (1996) qui a consacré le transfert de neuf domaines de compétence de l’Etat aux collectivités locales, la volonté d’initier un troisième acte dédié à la consolidation des acquis à travers une meilleure rationalisation des échelles de gouvernance locale et surtout une territorialisation efficiente des politiques publiques suppose-partant du bilan des politiques précédentes- une réelle connaissance des enjeux institutionnels et politiques de la réforme territoriale préconisée. Car en démocratie, aucune réforme territoriale ne peut se prévaloir d’une neutralité totale. Même si la mise en œuvre de la phase 1 de l’Acte III n’engage aucun « redécoupage », la « territorialisation des politiques publiques » qui soutient la démarche appelle la requalification de l’espace.

Décentralisation SénégalDans l’absolu, le territoire, réalité complexe qui traduit les contraintes et choix d’une société à un moment donné, se construit, se déconstruit et se reconstruit par projections idéalisées, idéelles et objectivées. En promulguant l’Acte III, le Président Macky SALL adopte une posture idéologique qui change la matrice spatiale de gouvernance locale du Sénégal avec la « collectivisation » du département. Cette nouvelle échelle de gouvernance garantit-elle les équilibres recherchés entre le Sénégal « utilisé » et le Sénégal « oublié » ? La promotion du département en collectivité locale de plein exercice tout en gardant les contours administratifs actuels est-elle compatible avec l’obligation de requalification de l’espace que vise la territorialisation des politiques publiques ? A l’aune de l’analyse des expériences des différents régimes politiques du Sénégal (sous les Présidents Senghor, Diouf et Wade), tous les actes d’administration et de développement territorial ont été déterminés par la quête d’un « optimum territorial » qui postule d’un cadre idéal pour la mise en œuvre de l’action publique. D’où la lancinante question du découpage car, il n’y a pas d’appréhension du réel sans acte d’organisation et de classement. Le découpage-redécoupage du territoire est fonction d’objectifs multiples (électoral, administratif, économique, etc.) qui se surimposent, s’interpénètrent ou se rejettent. D’où aussi, en filigrane, la problématique du découpage stratégique qui pose les questions d’homogénéité et d’équilibre de l’espace national (cf. la région naturelle de la Casamance).

Si le Sénégal est une entité constituée par une Nation unie par un « idéal commun de vie commune », la construction démocratique de ses terroirs et de son territoire qui lui assure sa « production économique et sa reproduction sociale » n’est pas encore achevée.       

L’Acte III pourrait bien être, à la pratique, un échec si une révision générale des politiques publiques n’est pas faite. Cette révision impose un certain nombre d’actes concrets. Il s’agit sur le plan politique et institutionnel :

–  d’élaborer un « Paquet législatif » pour la détermination d’un dénominateur commun entre les politiques de l’Etat et des collectivités locales et la mise en cohérence des obligations de compétitivité économique aux besoins sociaux des citoyens;

– de poursuivre le processus de décentralisation pour atteindre un niveau de maturité qui permettra d’ériger des assemblées dotées de véritables pouvoirs de décision. Il s’agit de décider des conditions de mise en place de véritables « gouvernements locaux » avec l’impératif de ressources fiscales dédiées pour assurer une réelle autonomie fiscale ;

– de la création d’une institution à l’interface de l’Etat et des collectivités locales (pourquoi pas un établissement public de coopération intercommunale) qui définit les orientations en matière d’aménagement et de développement territorial à laquelle doivent se référer toutes les institutions qui territorialisent leurs politiques. Elle devra aussi veiller à la coordination et à l’impulsion du développement entre collectivités locales de rang inférieur (intercommunalité horizontale) et entre collectivités locales de hiérarchie différente (intercommunalité verticale) ;

–  de l’institutionnalisation de la « Péréquation territoriale » par la mise en place d’un cadre juridique défini en intercommunalité. La péréquation territoriale rectifie les incohérences et dysfonctionnements nés des découpages précédents (Acte I et II ajoutés aux opérations du Président Wade) comme ceux liés à la réalité des polarisations sur le terrain, ceux liés à la taille critique des collectivités locales. La Péréquation territoriale est donc un moyen de régulation et de gestion des tensions nés du développement des flux économiques et sociaux autour des principaux établissements humains;

–  de mettre fin aux blocs de compétences, ce qui promeut les complémentarités et le franc partage des rôles entre l’Etat et les collectivités surtout en période de cohabitation politique ;

–  de renforcer la présence citoyenne (représentations des sociétés civile et syndicale) dans les assemblées de délibération comme le Sénat qui devrait, par relation mécanique, revenir dans l’architecture institutionnelle de notre pays pour assurer le lien entre le local et le national.

Sur le plan technique et organisationnel :

–  de la mise en cohérence entre « Projets d’intérêt national » comme la plate-forme de Diamniadio ou l’aéroport international Blaise Diagne et les « capacités de charge » du territoire pour la détermination de l’optimum territorial ;

–  de la mise en cohérence entre la logique d’économique de l’action publique et les attentes sociales des populations,

–  de la promotion des territoires en réseaux intelligemment imbriquées par la définition d’une hiérarchie fonctionnelle. Il s’agit de promouvoir, après un diagnostic du territoire, plusieurs ordres de pôles de développement (des pôles de compétitivité/ Cluster, des pôles d’excellence ou de compétence, des pôles d’équilibre, des pôles de sauvegarde, etc.) ;

–  de la redéfinition du rôle et de l’influence des processus d’intégration sous-régionale ainsi que la prise en compte du rôle des infrastructures de coopération dans l’évolution des territoires et des terroirs traversés ;

–  de l’affectation ciblée des moyens financiers de l’Etat sur des territoires spécifiques et au bénéfice de populations prioritaires. L’ouverture de lignes de crédit spécifiques pourrait permettre aux collectivités locales de financer des projets de développement en toute autonomie ;

–  de la contractualisation comme instrument de pilotage de l’aménagement et du développement des terroirs et du territoire (contrat intercommunal, contrat de pays, PPP, etc.). Il s’agit à travers une convention de développement spécifique d’aider à la prise en charge solidaire de tous les aspects, notamment financiers, du développement du territoire.

La phase 2 de l’Acte III de la décentralisation sera le rendez-vous de décider des anticipations et des effets de convergence à partir desquels se bâtit la croissance des territoires. La mise en œuvre de cette phase-là est éminemment technique et devrait être assumée par les fonctionnaires locaux (conseillers territoriaux) : la politique (l’idéologie) laissera la place au réel (le matériel) sous la garantie des accords scellés entre l’Etat et les collectivités locales d’une part, et d’autre part, entre les partenaires institutionnels et la société civile.

Prof. Mouhamadou Mawloud DIAKHATE

Université Gaston Berger de Saint-Louis

Directeur du laboratoire Leïdi « Dynamiques territoriales et développement »

Sommet de l’Union africaine : la Cour pénale internationale sur le banc des accusés

une_vincent_rougetCe samedi 12 octobre, les chefs d’État du continent se retrouvent à Addis-Abeba pour un sommet extraordinaire de l’Union africaine. L’enjeu de la réunion : débattre d’un éventuel retrait des pays africains de la Cour pénale internationale (CPI).

Depuis sa création en 2002, 34 États en Afrique ont rejoint cette institution, chargée de juger les responsables de génocides, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes d’agression. Qu’ils envisagent aujourd’hui de quitter la CPI est en soi un évènement majeur: plus qu’un malaise, il y a bien une crise grave entre la Cour et l’Afrique, et la réunion d’Addis-Abeba vient donc à point nommé. Le sommet donne aux États africains une chance inédite de faire entendre leur mécontentement et de redéfinir leur rôle, encore trop marginal, au sein d’un système international déséquilibré. Mais pour cela il faudra qu’il ressorte de ce sommet une décision symbolique, capable de faire bouger les choses.

En un peu plus d’une décennie d’existence, la CPI a réussi, à coup d’interventions maladroites, à se décrédibiliser sur le continent africain, et à donner l’image d’une institution biaisée. Que l’Afrique ne soit pas épargnée par la violence politique, on peut tout à fait l’admettre ; mais cela justifie-t-il pour autant que la Cour ne traite que des affaires africaines ? Depuis 2002, huit enquêtes ont été ouvertes, toutes sur le continent (Ouganda, RDC, Soudan, République centrafricaine, Kenya, Libye, Côte d’Ivoire et Mali) et une trentaine de personnes, toutes africaines, ont été mises en examen. La nomination en 2012 d’une procureure africaine, la gambienne Fatou Bensouda, n’a pas amélioré le bilan de la CPI, et sans surprise les critiques se sont multipliées, accusant la Cour d’être spécialisée dans la chasse aux leaders africains, voire même de pratiquer un néo-colonialisme masqué.

Pendant des années, l’Afrique s’est laissé faire, bon gré mal gré. Mais le tropisme africain de la Cour a continué à se manifester, et l’Union africaine a fini par se rebeller. En 2009, en réaction au mandat d’arrêt délivré contre le président soudanais Omar al-Bashir, les États africains avaient déjà décidé de ne pas coopérer à son arrestation et son extradition.  Quatre ans plus tard, la charge de l’UA est encore plus violente : cette fois, c’est la Cour elle-même qui, le temps d’un sommet, se retrouve sur le banc des accusés.

À l’origine de ce mouvement de contestation : le Kenya. Au début de 2008, des violences post-électorales font plusieurs centaines de victimes dans la vallée du Rift. Le procureur de la CPI se saisit du dossier, et en 2011, la Cour met en examen six Kenyans, dont les politiciens Uhuru Kenyatta et William Ruto, soupçonnés d’être les instigateurs de la violence. Le hic, c’est que ces deux hommes sont depuis devenus… président et vice-président du Kenya, élus lors d’une élection libre et pacifique en mars 2013.

Comment juger deux dirigeants en exercice, que la Constitution kenyane interdit de quitter le territoire national au même moment ? Confrontée à ce dilemme inédit, la Cour aurait pu se montrer conciliante. Elle aurait pu constater les progrès réalisés par le Kenya depuis les violences de 2008 : le pays s’est doté d’une nouvelle Constitution, avec un appareil judiciaire considérablement renforcé. Elle aurait pu reconnaître que les défis économiques et sécuritaires auxquels est confronté le Kenya nécessitent une équipe dirigeante disponible à plein temps. Elle aurait pu admettre que le gouvernement kenyan, s’il relève ces défis, contribuera bien plus aux progrès des droits de l’homme qu’un procès aux Pays-Bas ne le fera jamais ; mais que cet objectif ne pourra pas être réalisé par un couple de leaders boiteux, immobilisés pendant de longues journées à la barre d’un tribunal de La Haye. En bref, elle aurait pu consentir à reporter le procès, ou au moins permettre à Kenyatta et Ruto de comparaître à Nairobi. Rien de tout cela : les procès se dérouleront comme prévu, a-t-elle obstinément répété.

ua_logoLa justice à tout prix, ou le degré zéro de la politique

Avec le cas kenyan, la CPI montre une nouvelle fois qu’elle n’a décidément aucun sens politique. À vouloir poursuivre sans relâche son œuvre de « justice internationale », elle méprise complètement le contexte politique qui entoure ses interventions. Une négligence qui commence à devenir sa marque de fabrique…

Au Nord de l’Ouganda, l’implication de la CPI a constitué un obstacle à la paix et au désarmement de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Au milieu des années 2000, la rébellion de Joseph Kony envisageait de sortir du bush, mais les négociations avec le gouvernement ougandais ont très vite buté sur le refus obstiné de la Cour de suspendre ses mandats d’arrêts contre les leaders de la LRA. En fermant la porte à une amnistie, la CPI a contribué à faire échouer le processus de paix. L’Ouganda, premier pays à faire appel à la Cour en 2003, est devenu en quelques années un de ses plus fervents détracteurs, un revirement révélateur des frustrations qu’il a rencontrées dans ses relations avec la CPI.

La résolution des conflits oblige parfois à un pragmatisme politique dont la justice internationale ne peut pas s’accommoder. Emprisonner et juger Laurent Gbagbo à 8 000 km d’Abidjan, était-ce vraiment la meilleure option pour apaiser les tensions en Côte d’Ivoire ? Au lieu d’en faire ainsi un martyr, négocier pour lui une fin de carrière anonyme, en exil dans une capitale africaine, n’aurait-il pas été plus raisonnable ? La Côte d’Ivoire a-t-elle réellement besoin d’un tel procès, qui va inévitablement faire ressurgir les clivages et les haines de ces dernières années ? Le gouvernement ivoirien est lui aussi de plus en plus mal à l’aise avec la CPI : il a récemment refusé d’extrader Simone Gbagbo vers La Haye et, selon toute vraisemblance, fera de même avec Charles Blé Goudé, sous le coup d’un mandat d’arrêt depuis le 1er octobre.

Le Kenya, confronté à son tour à la CPI, a finalement pris la décision que beaucoup d’autres États africains contemplaient, sans oser franchir le pas. Par un vote de son Parlement début septembre, il est devenu le premier pays à se retirer de la CPI. Cette décision n’affectera pas directement les procès de Kenyatta et de Ruto, mais a ouvert la voie à un débat continental sur les relations entre la Cour et l’Afrique.

La réunion d’Addis-Abeba, une opportunité à saisir

Que peut-on attendre de la réunion d’Addis-Abeba ? Depuis quelques mois, la Kenya et la CPI ont engagé une intense campagne de lobbying diplomatique auprès des capitales africaines. À ce jeu, les diplomates kenyans qui sillonnent le continent partent avec un lourd désavantage : la CPI, au même titre que la lutte anti-terroriste, fait partie de ces causes qu’il vaut mieux soutenir, en tant que chef d’État africain, pour s’attirer les bonnes grâces des donateurs occidentaux… Les pressions diplomatiques sont fortes, notamment sur les pays francophones. Certains États, comme le Botswana ou la Zambie, ont déjà réitéré leur soutien à la Cour. Les poids lourds du continent, l’Afrique du Sud et le Nigéria, n’ont pour l’instant pas de position tranchée. Un retrait groupé des 34 États africains semble donc improbable.

À défaut d’aboutir à un retrait groupé, le sommet de l’Union africaine ne doit pas pour autant déboucher sur un statu quo. L’Union africaine a fait de l’année 2013 celle du panafricanisme et de la « Renaissance africaine », et cette réunion donne justement aux pays africains une opportunité inédite pour s’affirmer sur la scène internationale, et protester contre un système international qui fonctionne trop souvent en leur défaveur. Finalement, la focalisation de la Cour pénale internationale sur les pays africains n’est pas vraiment mal-intentionnée, ou néocoloniale ; elle est plutôt symbolique de la place qu’occupe aujourd’hui l’Afrique dans les relations internationales. La CPI est jeune, elle manque de ressources humaines et financières, et pour acquérir une légitimité, elle a choisi de faire ses gammes sur le dos du continent à ses yeux le plus faible et le plus malléable : l’Afrique. Son calcul a plus ou moins fonctionné au début, mais avec la montée en puissance de l’Union africaine, ce temps est désormais révolu.

Les États africains doivent pousser la communauté internationale à réviser le Statut de Rome (qui gouverne la CPI) : le mandat de la Cour doit être rééquilibré, ses critères de sélection des dossiers doivent être rendus plus transparents ; surtout, son fonctionnement doit être sérieusement repensé, de sorte qu’elle ne constitue pas un obstacle à la paix ou une entrave au développement des États africains.

L’Union africaine pourrait également réfléchir à un mécanisme continental, capable de pallier les insuffisances de la CPI et d’éviter les accusations de néo-colonialisme. Le crédo «  des solutions africaines aux problèmes africains » est omniprésent dans les débats sur la sécurité, mais devient étrangement absent dès lors que l’on parle de justice.

On attend donc du sommet d’Addis-Abeba des initiatives panafricaines, et un signal fort à la communauté internationale. Les opportunités pour l’Afrique de renégocier son rôle ne sont pas si nombreuses. La réunion de ce week-end en Éthiopie en est une : espérons que ses participants sauront la saisir. 

 

Vincent Rouget

Les Frères musulmans ont bon dos…

En-Egypte-la-confrerie-des-Freres-musulmans-est-en-disgrace_article_popinLes Frères musulmans ont bon dos. Depuis la destitution du président Morsi en juillet 2013, plus de 2 500 membres (dont presque tous les dirigeants) de la confrérie sont pourchassés par le pouvoir mis en place par l’armée, avec la complicité de la justice du pays et des anciens opposants politiques des Frères. Cerise sur le gâteau, la justice vient d’interdire cette association ainsi que toutes ses activités après que les autorités eussent gelé tous leurs avoirs financiers. En agissant ainsi, le nouveau pouvoir a-t-il pris la juste mesure des conséquences désastreuses de cette chasse aux sorcières ?

Déjà, le coup d’Etat anti-démocratique dirigé contre le régime de Morsi a sapé tous les efforts d’apaisement politique qui avaient pris place depuis le départ d’Hosni Moubarak en février 2011. En effet, ce putsch aura causé plus de mal qu’il n’en a réparé, du moins pour le moment, et constitue un dangereux précédent dans une Afrique du Nord post-printemps arabe encore très fragile. Il a profondément remis en cause les fondamentaux du contrat social conclu à travers les premières élections libres et démocratiques qu’ait connu ce pays.

L’Egypte avait-elle besoin d’en arriver là ?

Le nouveau pouvoir, après avoir récupéré à son compte les manifestations géantes de la place Tahrir, a confisqué la souveraineté populaire et mis en branle une machine de répression anti-Frères sans autre fondement que le caractère religieux de la confrérie. Cette guerre sans merci contre un groupe aussi socialement ancré et aussi rigoureusement organisé risque de produire un effet paradoxal : la radicalisation des Frères et leur regain de capital sympathie auprès des masses laborieuses. En effet, l’absence d’embellie économique, ajoutée à la perte d’attractivité du pays (due au climat politique délétère), ne sera certainement pas comblée de si tôt par les nouvelles autorités. D’une part, la main (très visible) du président du Conseil suprême des forces armées, le général al-Sisi, s’occupe essentiellement d’anéantir la confrérie ; d’autre part, Adli Mansour, le magistrat qui a été désigné à la tête du pays ne possède pas les qualités politiques nécessaires à la mise en place d’une croissance durable.

Si tous les présidents impopulaires devaient être déposés après un an de gestion du pouvoir, on ne serait jamais sorti de l’auberge. 

L’action publique se retrouve sans orientation stratégique. Certes, l’Egypte avait atteint un point critique du fait du refus de Morsi d’écouter les revendications de ses opposants et de son entêtement à marginaliser les autorités militaires. De plus, il s’était mis à dos le pouvoir judiciaire ainsi que la société civile. Le mécontentement populaire qui s’y est ajouté a été la goutte de trop. Son régime est entré dans une impopularité grandissante et irrémédiable. Cependant, le processus de transition (après les régimes autocratiques de Nasser, Sadate et Moubarak) était encore trop fragile, l’apprentissage démocratique étant à peine entamé, que la destitution de Morsi n’était certainement pas la solution aux troubles sociaux du pays. Si tous les présidents impopulaires devaient être déposés après un an de gestion du pouvoir, on ne serait jamais sorti de l’auberge.

La désignation d’un magistrat comme Mansour n’est qu’un cache-misère. Personne ne peut prédire toutes les conséquences qui seront dues à l’enlisement provoqué par la persécution dont les Frères musulmans sont actuellement l’objet. Mais al-Sisi a le choix : arrêter la machine de répression, ou maintenir un conflit social auquel personne ne gagnera. Personne ne lui a jamais donné le droit de massacrer un groupe du simple fait d’une contestation sociale. Destituer le président Morsi était une erreur, persécuter les Frères en est une autre. Les autorités actuelles ont entre leurs mains une responsabilité historique : reconquérir la paix sociale. Cette dernière ne se décrète certes pas, mais elle peut s’installer progressivement à travers des mesures conciliatoires.

L’interdiction des Frères musulmans est une boîte de Pandore dont peuvent sortir tous les maux. La meilleure manière d’apaiser le climat politique est de laisser s’exprimer toutes les sensibilités. Pour le moment, ce n’est certainement pas la voie qu’ont empruntée l’armée et le gouvernement égyptiens.

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