Démocratie sans démocrates: comment l’Afrique du Sud réagit face à l’affaire Nkandla

ANC-ZumaDepuis quelques jours, l’affaire Oscar Pistorius n’est plus le seul évènement qui anime la vie publique sud-africaine. Les médias ont, au moins pour un temps, sorti certaines de leurs caméras du tribunal de Prétoria, où se déroule actuellement le procès de l’athlète accusé du meurtre de sa petite-amie mannequin, pour porter leur attention sur une affaire autrement plus importante pour la démocratie sud-africaine : l’extension au coût exorbitant de la résidence privée du président Jacob Zuma.

Zuma est propriétaire à Nkandla, dans sa province natale du KwaZulu-Natal, d’une résidence privée, un kraal organisé selon la tradition zulu, où résident plusieurs de ses épouses. À son accession à la présidence en 2009, il décide de l’extension du complexe de Nkandla, au prétexte d’améliorer sa sécurité. C’est le début d’un long scandale qui n’a pas cessé de défrayer la chronique jusqu’à maintenant.

Dès 2009, le principal quotidien sud-africain, le Mail & Guardian, dévoile le projet, et surtout son coût exorbitant – 65 millions de rands, soit près de 5 millions d’euros – et son financement obscur. Cinq ans plus tard, la facture a quadruplé : Nkandla a coûté au moins 246 millions de rands (près de 17 millions d’euros). En comparaison, les travaux pour améliorer la sécurité de la résidence de son prédécesseur Thabo Mbeki n’avaient pas coûté plus de 800 000 euros…Parmi les améliorations « sécuritaires » de Nkandla : une piscine, un amphithéâtre, un terrain de football, un enclos pour le bétail, un poulailler.

Depuis le début de l’affaire, les questions se sont multipliées sur la provenance de l’argent utilisé pour financer les travaux. Pendant longtemps, Jacob Zuma a nié avoir utilisé des fonds publics pour l’extension de sa résidence, déclarant que seules les améliorations de sécurité rendues nécessaires par son statut de Président avaient été à la charge de l’État. Cette version, de plus en plus mise en doute au fur et à mesure des investigations, s’est définitivement écroulée la semaine dernière avec la publication d’un rapport accablant par la Médiatrice de la République, Thula Madonsela. En 433 pages, Madonsela détaille avec précision comment le président a utilisé des fonds publics pour réaliser des améliorations qui n’avaient absolument rien à voir avec des mesures de sécurité, et exige que le Président rembourse ces dépenses. L’architecte responsable des travaux est un ami de Jacob Zuma : il a sans aucun doute su tirer profit de sa proximité avec le Président pour gagner l’appel d’offres, faire grimper la facture et finalement empocher près de 2 millions d’euros. Plus grave encore,  il est reproché au Président d’avoir trompé les membres du Parlement en faisant plusieurs déclarations erronées.

Zuma n’en est pas à ses premiers démêlés avec la justice : en 2007, plus de 783 accusations de corruption, fraude, racket et blanchiment d’argent avaient été portées contre lui, et son conseiller financier avait été condamné à 15 ans de prison. Au vu de la gravité des accusations et la couverture médiatique donnée au Nkandlagate, ce n’est pas exclu qu’il se retrouve à nouveau face aux tribunaux prochainement. Dès la publication du rapport de la Médiatrice, deux partis d’opposition, la Democratic Alliance (DA) et les Economic Freedom Fighters, ont officiellement porté  plainte contre le Président pour corruption et détournement de fonds publics.

Mais c’est surtout pour ses conséquences (ou ses non-conséquences ?) politiques que le scandale de Nkandla pose des questions. Cette nouvelle affaire confirme une fois de plus les dérives de la démocratie sud-africaine, pourtant réputée comme une des plus solides sur le continent africain. La (con)fusion entre l’État et l’ANC, qui a été une caractéristique de la vie politique sud-africaine depuis la fin de l’apartheid en 1994, s’est fortement accentuée depuis l’arrivée au pouvoir de Zuma en 2009. Le président lui-même s’est créé un véritable empire commercial en même temps qu’il dirigeait le pays : Zuma et 15 personnes de son entourage contrôlent désormais plus de 130 entreprises, dont les trois-quarts ont été enregistrées au cours des dernières années. En règle générale, les décisions du gouvernement sont de plus en plus soumises aux intérêts privés de certains responsables du parti ou de leurs proches. Chacun voulant s’arroger la plus grande part du gâteau, le parti est de plus en plus divisé entre différentes factions, et ce sont avant tout les luttes internes au parti et les rapports de force entre ses différentes factions qui dictent désormais l’évolution de la vie politique sud-africaine.

Dans bon nombre d’autres démocraties, une affaire comme celle de Nkandla suffirait largement à précipiter la chute du Président et de son gouvernement… Mais pas en Afrique du Sud. Le parti au pouvoir est divisé ; l’État est miné par la corruption ; la police a tué de sang-froid 34 mineurs il y a deux ans en voulant réprimer une manifestation et l’enquête n’avance pas ; l’économie peine à se remettre d’une crise économique, la monnaie nationale a été fortement dépréciée… Et pourtant, le système ANC survit et ne semble pas prêt à s’effondrer. Certes, le parti connaît depuis quelques années une érosion du soutien populaire et ses résultats électoraux sont en baisse ; mais au vu des scandales incessants et des mauvaises performances du gouvernement, cette érosion est étrangement lente. Les sondages à l’approche des élections générales du 7 mai donnent encore au parti au pouvoir une large majorité des suffrages (autour de 60% des voix). Zuma se dirige tout droit vers une réélection, et si l’on peut faire confiance aux sondages de ces dernières semaines, l’affaire Nkandla ne devrait pas avoir une grande incidence sur les résultats des prochaines élections générales le 7 mai. 

Une raison souvent invoquée pour expliquer la résilience de l’ANC est la faiblesse des partis d’opposition. La DA a certes doublé son score dans les dix dernières années, mais peine toujours à s’étendre au-delà de son bastion traditionnel du Western Cape et de l’électorat blanc et coloured, et n’atteindra probablement pas encore 30% des voix en mai. Le Congress of the People (COPE), qui avait rallié des dissidents de l’ANC mécontents de l’éviction de Thabo Mbeki lors de la dernière élection de 2009, s’est effondré. Le nouveau parti à la gauche de l’ANC, les Economic Freedom Fighters, peine à convaincre malgré la personnalité charismatique de son président-fondateur, l’ancien président de la Ligue des Jeunes de l’ANC Julius Malema : les sondages ne lui donnent guère plus que 3-4% des voix.

Il y a bien sûr du vrai dans cette explication : il manque des alternatives crédibles capables de convaincre les électeurs de se détourner de l’ANC. Mais on peut aussi identifier deux causes plus profondes, qui contribuent à maintenir le parti au pouvoir en position de force :

–         D’une part, une fracture récente et sans cesse croissante au sein de la société sud-africaine entre les villes (où un électorat cosmopolite rejette de plus en plus des pratiques de gouvernance de l’ANC) et les milieux ruraux, où l’ANC maintient une mainmise quasi-totale.

–      D’autre part, un contexte historique particulier, qui a profondément modifié l’exigence de « redevabilité » (accountability) des citoyens envers leurs gouvernants, exigence qui dans les démocraties traditionnelles fait que les gouvernants n’ayant pas obtenu de bonnes performances sont sanctionnés à la fin de leur mandat.

Depuis la fin de l’apartheid, la société sud-africaine a évolué en profondeur, et il serait très réducteur de lire les rapports sociaux aujourd’hui à travers le seul prisme racial. L’Afrique du Sud s’est rapidement intégrée à la mondialisation depuis le milieu des années 1990. Mais cette intégration n’a été que partielle : elle se manifeste surtout dans les villes, qui ont accueilli bon nombre d’investisseurs étrangers et des immigrés des quatre coins du monde. Johannesburg, Cape Town ou Durban sont ainsi devenues des métropoles connectées, intégrées au « système-monde » ; baignés dans le libéralisme politique et économique, leurs habitants se montrent bien plus critiques vis-à-vis des pratiques clientélistes de l’ANC. Dans le même temps, les campagnes sud-africaines ont été largement laissées à l’écart de la mondialisation ; l’ANC (qui était paradoxalement un mouvement essentiellement urbain jusqu’à la fin de l’apartheid) a su se déployer dans ces régions et elle y exerce désormais une mainmise quasi-complète. Dans ces zones reculées, où les taux de chômage sont élevés, les responsables ANC ont pu plus facilement devenir des barons locaux, monter des systèmes clientélistes, assurer des récompenses à leurs fidèles supporters et s’assurer qu’aucun autre parti ne vienne menacer leur contrôle local. Ce sont ces milieux ruraux qui garantissent aujourd’hui le succès continu de l’ANC aux élections.

Deuxièmement, l’héritage historique de l’Afrique du Sud continue d’influencer l’attitude des populations/des électeurs vis-à-vis de leurs gouvernants et de la gestion des ressources publiques. Dans une société où les inégalités restent extrêmes et fortement liées aux questions raciales, l’accumulation de richesses par une élite noire n’est pas forcément condamnée par la population : plutôt que d’être assimilées à de la corruption ou du détournement de fonds, de telles pratiques sont vues comme des exemples de réussite individuelle. Malema ou Zuma, en devenant riches, s’attaquent aux inégalités existantes, lancent une première pierre contre la citadelle blanche de la domination économique, et cela inspire le respect. Que leur richesse ait été construite au détriment des fonds publics importe finalement assez peu ; c’est pour cela qu’une partie des Sud-Africains continuent de considérer le scandale de Nkandla comme une affaire privée, sans relation avec la gestion des affaires publiques.

Enfin, les campagnes restent encore relativement peu exposées aux principes occidentaux de la démocratie électorale : un principe en particulier, celui du vote-sanction, y est encore presque totalement étranger. Dans les systèmes démocratiques matures, les personnes au pouvoir sont tenues de rendre des comptes : les électeurs évaluent la performance de leurs gouvernants lors de leur dernier mandat, et décident de leur réaccorder leur confiance ou de les sanctionner en fonction. L’exigence de résultats est une exigence de court-terme (sur une échelle d’un mandat présidentiel), ce qui explique l’alternance régulière au pouvoir. En Afrique du Sud, la mémoire du système d’apartheid et la jeunesse de la démocratie font que l’exigence de résultats par les électeurs n’intervient pas à la même fréquence : elle se fait sur le long-terme, et pas seulement à l’échelle du dernier mandat présidentiel.

Certes, certaines dérives ont entaché le dernier mandat du parti au pouvoir. Mais à l’échelle des vingt dernières années, les résultats sont indéniables : les choses se sont largement améliorées pour les populations rurales depuis la fin de l’apartheid. Et pour nombre de ces électeurs, cela justifie amplement de continuer à voter pour l’ANC et pour Jacob Zuma, malgré sa maison de Nkandla…

Vincent Rouget

Conflit en Centrafrique: où en sommes-nous?

Terangaweb_Enjeux CentrafriqueL’instabilité qui règne en Centrafrique depuis le coup d’état du 24 mars 2013 fait craindre le pire. Le coup d’Etat a plongé la RCA dans le chaos avec un risque de somalisation. Des pillages et attaques se produisent encore aujourd’hui dans la capitale. A cela s’ajoute un massacre ethnique entre des populations musulmanes et chrétiennes qui vivaient par le passé en paix et qui se déchirent actuellement sous le prétexte du religieux.


Et que certaines personnes considèrent comme une frustration entre une communauté nordiste longtemps marginalisée et qui a vu son heure venir pour s’accaparer  du pouvoir. Le drame que vit le pays ressemble davantage au conflit horrible entre Tutsi et Hutu au Rwanda, et à celui de la secte islamiste Boko Haram contre les chrétiens du Nord du Nigéria. Un climat d’insécurité qui interpelle la communauté internationale afin d’éviter un autre génocide au continent africain.

La Centrafrique, un pays dans le chaos

Tout est parti du renversement, en mars dernier, du régime de François Bozizé par une coalition de groupes armés d’opposition appelée « Seleka »[1] qui a pris le contrôle de Bangui, la capitale de la RCA. Cette coalition hétéroclite de mouvements rebelles a multiplié les exactions au cours de sa marche vers Bangui. Avant d'installer, une fois la capitale sous son contrôle, un président auto-proclamé : Michel Djotodia, dont la présidence a pris fin avec sa démission le vendredi 10  janvier lors du Sommet de la CEEAC à Ndjamena. Depuis lors, les violences n'ont pas cessé dans le pays malgré une légère accalmie observée après le départ de Djotodia.

Le pays s’enfonce depuis des mois dans un engrenage où on observe des exactions contre des populations civiles, le pillage systématique des villages, la désorganisation complète des services d’un Etat incapable d’assurer ses missions régaliennes. Originaires de la région du Nord du pays et majoritairement musulmans, les hommes de la Séléka ont créé un véritable désordre dans le pays. En dehors  de terrifier la population et de générer l’insécurité, les Séléka visent en effet spécifiquement les chrétiens (majoritaires dans le pays à plus de 80%). Ces derniers sont massacrés (enfants, jeunes comme vieillards), violés, mutilés, brûlés vifs et leurs commerces pour ceux qui en possèdent vidés. Par ailleurs, dans les zones où il existait déjà des tensions locales entre populations nomades et sédentaires, la présence de la Séléka a alimenté le conflit.

En réaction à cette criminalisation du pays par ces forces de la terreur, des milices se sont organisées : on les appelle les "anti-Balaka" (balaka qui signifie « machette » en sango). Au départ, c'étaient des villageois qui s'armaient pour se défendre contre les exactions de la Séléka. « Sauf que cela s'est transformé en attaques ciblées contre les musulmans, avec les mêmes brutalité et cruauté que la Séléka »[2]. Désormais on note des actes de vengeance, de représailles contre la population musulmane du pays. Et il ne se passe pas une journée sans qu’un musulman n’ait été tué ou lynché ou même que son activité ou son commerce soit vandalisé.

Le conflit semble prendre une tournure  inter-communautaire et laisse craindre « un conflit religieux et ethnique à l'échelle du pays avec le risque d'aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités » affirme Ban Ki Moon. Si le terme génocide est avancé par certains, et considéré comme excessif par d’autres, nous pouvons dire avec le Ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius que nous ne sommes pas loin de cette situation. La situation humanitaire dans le pays est déjà très préoccupante, avec de nombreux morts et blessés sans oublier les malades et les affamés.

Des répercussions préjudiciables

L’impact de la crise centrafricaine est extrêmement lourd pour le pays et sa population, mais également pour les pays de la sous région. En effet, « L’ampleur des violations des droits humains perpétrées à travers le pays par les groupes armés qui sèment la mort et la désolation depuis mars 2013 est sans précédent »[1]. On note plus de 3 000 morts à ce jour d’après Amnesty International. De nombreux centrafricains vivent cachés dans des forêts avec la hantise de se faire massacrer par les Séléka ou par les anti-balaka. Et de nombreux enfants mineurs participent comme soldats dans cette crise du côté de la Séléka comme chez les anti-balaka. « Le désespoir du peuple centrafricain est plus profond que jamais du fait de ces atteintes persistantes et de grande ampleur aux droits humains, qui sont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité »[2].

De même, le pays est en train de se vider de sa population qui trouve refuge dans les pays voisins. D’après l’Agence des Nations Unies pour les Refugiés (UNHCR), le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays est estimé à plus de 400 000, contre quelque 94 000 au début de l'année 2012. Environ 65 000 individus se sont enfuis en République démocratique du Congo (RDC), en République du Congo (Congo), au Tchad et au Cameroun, de sorte que le nombre total de réfugiés centrafricains est aujourd'hui proche de 220 000. Le personnel des Nations Unies et de certaines de ses institutions spécialisées qui avait été évacué au lendemain des événements de mars est revenu dans le pays. Cependant, la présence d'individus armés d'un bout à l'autre du territoire crée une forte insécurité ; des incidents, dont des attaques contre les bureaux, les entrepôts et les véhicules des institutions onusiennes et des autres organisations, continuent de se produire. Cette situation a également de graves conséquences sur l'accès humanitaire, obligeant certaines organisations à réduire ou à suspendre à titre temporaire leurs opérations[3].

L’autre fait criard concerne la santé. L’impact des récents événements est extrêmement lourd pour un système de soins qui était déjà gravement dysfonctionnel. L’instabilité et la peur de se déplacer ont drastiquement réduit l’accès aux soins, la perte de revenus économiques rend, pour la population, le paiement des soins encore plus difficile, le système d’approvisionnement en médicaments, déjà défaillant, est désormais totalement inexistant. Depuis des mois, le système d’approvisionnement en médicaments est interrompu. Autant de raisons qui présagent une aggravation du déficit sanitaire dans les prochains mois surtout pour la communauté musulmane, menacée dans plusieurs villes du pays.

 La situation est aussi alarmante concernant la malnutrition dans le pays. Des indices au niveau national, relevant des enquêtes nutritionnelles conduites en juillet 2012 montrent des taux de Malnutrition Aigüe Globale de 8% et de Malnutrition Aigüe Sévère de 1,9%, comparables aux résultats de l’enquête de 2010. Le taux de malnutrition chronique est de 38,7%. Les plus  menacés sont les enfants qui sont exposés à ce phénomène dont le risque est l’augmentation du taux de mortalité infantile. L’instabilité et le problème sécuritaire ont aggravé les questions de sécurité alimentaire préexistant : mauvaises récoltes, marchés mal ravitaillés, pillages des faibles réserves de nourritures et volatilité du prix des denrées alimentaires. Le pays n’est plus ravitaillé suffisamment par ses voisins dont le Cameroun à cause du danger qui prévaut dans le pays. Les différents fournisseurs qui approvisionnent le pays craignent pour la sécurité de leur personnel à l’exemple des chauffeurs de camion qui transportent la marchandise en RCA et qui sont pour la plupart des musulmans. Une réalité préoccupante qui interpelle la communauté internationale pour sortir le peuple centrafricain du désespoir et du chaos.

Des réponses pour l’heure improductives

Hélas! actuellement les différentes réponses pour stabiliser et pacifier le pays sont vaines. La situation sécuritaire continue de se détériorer. Si l’opération Sangaris a permis de mettre en déroute les Séléka, celle-ci n’a pas pour autant empêché les massacres et le regain de violence entre les factions musulmanes et chrétiennes. Et la présence de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) pour une période de 12 mois officiellement pour mettre fin à la « faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'état de droit et les tensions interconfessionnelles » est au ralenti par rapport à ses objectifs.

La mise en place du gouvernement de transition avec à sa tête Madame Cathérine Samba-Panza n’arrange rien tant le pays reste toujours dans une situation difficilement contrôlable. A cela s’ajoutent les anti-balaka qui sont devenues un casse tête chinois pour les autorités en place et les forces internationales qui apportent leur aide à la RCA. Celles-ci sont considérées comme « des ennemis  de la paix » selon le commandant de l’opération Sangaris, le Français Francisco Soriano. Les miliciens anti-balaka sont accusés de « stigmatiser les communautés » et  d' « agresser la force Sangaris ». Un autre problème qui se pose est celui de leur désarmement. Leur arsenal[4] est composé d’une variété d’armes dont l’origine ou la provenance reste pour la plupart inconnue. Ce qui montre que le chemin vers la réconciliation nationale, sans être un vœu pieux, est encore long et parsemé d’obstacles pour qu’on revoie un jour, musulmans et chrétiens marcher ensemble main dans la main.

Comme on peut le constater, la RCA doit dépasser le clivage ethnique pour sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. C’est une action concertée et non exclusive qui est aujourd’hui envisageable pour le pays et prenant en compte toutes les parties au conflit. La paix et l’harmonie ne pourront revenir que, le jour où les communautés musulmanes et chrétiennes décideront d’enterrer la hache de guerre. L’exemple du Rwanda et le miracle Sud-africain, doivent inspirer les Centrafricains. Et cela représente un défi pour eux et pour la communauté internationale qui doit l’accompagner dans ce long processus.

Rodrigue Nana Ngassam

[1] Journée de solidarité avec le peuple centrafricain, SAMEDI 21 DECEMBRE 2013 DE 10H00 A 20H00

SALLE RENE-ROUSSEAU- 48, RUE JULES FERRY 94500 CHAMPIGNY – SUR – MARNE, « SORTIR LE PEUPLE CENTRAFRICAIN DU CHAOS », p. 2. http://www.journaldebangui.com/files/communiques/534.pdf (consulté le 07 février 2014 à 16h 12).

[2] Ibid.,

[3] Toutes les organisations humanitaires travaillant dans le pays ont été touchées par des incidents de sécurité depuis le début de la crise. À Bangui, les bureaux et les résidences des agences des Nations Unies et des ONG internationales ont été pillés à de multiples reprises. Le personnel qui a été menacé a rapporté de sérieuses conséquences physiques et psychologiques.

[4] Il s’agit des fusils automatiques, des mortiers, des mitrailleuses légères et mêmes lourdes, des grenades, des roquettes anti -chars et des obus de mortiers etc. 

[1] La Séléka, terme qui signifie « coalition » en sango (la langue nationale), est un regroupement de partis et de leurs ailes militaires, c’est un mouvement peu cohérent en réalité composé de bandes armées très autonomes. Si ce mouvement est centrafricain, il comporte également des mercenaires étrangers, notamment soudanais et tchadiens.

[2] Explique pour metronews Philippe Bolopion, directeur auprès de l'ONU de Human Rights Watch (HRW), depuis Washington où il s'est rendu pour témoigner devant le Congrès américain.

Acte 3 de la décentralisation : La planification, une exigence pour la territorialisation des politiques publiques

Décentralisation SénégalLa politique de décentralisation au Sénégal relève d’une tradition très ancienne. Initiée bien avant les indépendances, elle s’est traduite, dès l’accession à la souveraineté nationale et internationale du pays par plusieurs initiatives visant à l’approfondir.

Celles-ci ont débouché sur  certaines mesures phares que sont :

–  La transformation, en 1960, des cercles, subdivisions et cantons, hérités de la colonisation, en régions, départements et arrondissements ;

–  La mise en place, en 1966, du Code l’Administration Communale qui, tout en dégageant un cadre d’exercice clair à ces collectivités, n’a pas étendu le droit commun à l’ensemble des communes ;

–  L’adoption, en 1972, de la Réforme de l’Administration Territoriale et Locale (RATL) à l’origine de la mise en place des communautés rurales ;

–  L’élargissement, en 1990, du statut de plein exercice à toutes les communes et de l’autonomie de gestion à toutes les collectivités locales ;

–  L’adoption, en 1996, des lois et décrets de la régionalisation, consacrant, entre autres, l’érection de la région en collectivité locale et le transfert de certains domaines de compétence aux collectivités locales.

En 2013, les autorités sénégalaises ont cependant manifesté la volonté de procéder à une réforme plus aboutie de la décentralisation. Celle-ci, improprement appelée Acte 3, au vu de l’histoire de cette politique au Sénégal, se confond déjà avec la territorialisation des politiques publiques, le concept pivot qui devrait structurer toutes les interventions en la matière.

A la lumière des premières esquisses de la nouvelle politique de décentralisation, il ressort que plusieurs questions interpellent les pouvoirs publics. Parmi celles-ci la place de la planification, objet de la présente réflexion, constitue une interrogation de taille.

QUEL EST LE SENS DE LA NOUVELLE REFORME ?

La nouvelle réforme part de certaines défaillances notoirement constatées au niveau des collectivités locales et essaye d’apporter des rectifications aux travers observés.

Des faiblesses manifestes notées dans l’exercice de la décentralisation

D’année en année, plusieurs contraintes ont été identifiées dans la prise en charge du développement au niveau local. Celles-ci ont trait entre autres :

–  au manque d’attractivité de certaines collectivités locales déshéritées qui, en dépit des interventions des nombreuses agences et projets dédiés au développement local, ne disposent pas d’un niveau d’infrastructures et d’équipement critique leur permettant de soutenir un minimum d’activité économique (absence de secteur secondaire et de secteur tertiaire) ;

–  à la modicité des ressources financières des collectivités locales caractérisées par des disparités énormes dans les budgets en milieux rural et urbain mais aussi entre grandes et petites entités ;

–  aux déficiences dans le pilotage du développement au niveau local liées aux ressources humaines (management des collectivités locales, ressources humaines insuffisantes et sans qualification, bas niveau ou absence de formation des élus…) et aux outils (plans locaux parfois non intégrés et sans instrument d’opérationnalisation).

De tels éléments, loin d’être exhaustifs, en vérité, sont sans doute à l’origine de la nouvelle inflexion prise par les autorités actuelles.

Les mesures correctives esquissées par la nouvelle politique

Partant des insuffisances dénoncées par les acteurs de la décentralisation,  la nouvelle réforme met en avant le crédo de la territorialisation considérée, par l’autorité, comme une voie d’émergence des collectivités locales en ce qu’elle fait véritablement appel aux ressorts du développement local.

En effet, la territorialisation des politiques publiques fait intervenir les deux leviers clés  que sont l’aménagement du territoire et la planification qui semblent être des solutions appropriées aux difficultés rencontrées à la base.

Au stade actuel de la formulation de cette politique, si l’on jette un regard rétrospectif sur les idées fortes dégagées par la réflexion antérieure et les mots-clés structurant le discours du chef de l’Etat, en prenant comme date repère son annonce de mars 2013, il ressort que les préoccupations relatives  à l’aménagement du territoire sont réelles.

Pour rappel, les mesures proposées tournent autour des points suivants :

–  L’introduction de la notion decommunalisation intégrale comprise ici comme un moyen de doter des fonctions urbaines à l’ensemble des collectivités locales du Sénégal. Celle-ci vise surtout à réduire, voire casser, le clivage entre les niveaux rural et urbain ;

 –  L’érection du département en collectivité locale est une innovation dans ce qui se faisait jusque là, ces entités se confondant seulement à des circonscriptions administratives regroupant les communes et les communautés rurales ;

–  Un autre élément de taille introduit par la réforme concerne la notion de régions territoirequi insiste sur l’importance d’adosser l’identification de ce type de collectivité locale à des réalités composites tenant en compte l’économie, la géographie et la sociologie, triptyque garant de la viabilité de ce nouvel espace devant regrouper les départements et certaines régions telles que connues actuellement. Une telle mesure devrait permettre de revenir à un découpage du territoire à 7 régions, comme en 1960, au lieu des 14 actuels sur un territoire national qui n’a pas connu d’extension ;

–  La dernière préoccupation concerne unréexamen des compétences à attribuer aux collectivités locales afin de les rendre plus performantes dans la gestion du développement local.

On remarquera que ces éléments relèvent uniquement de l’aménagement du territoire. La planification économique, second volet devant sous-tendre la territorialisation des politiques publiques, ne constitue pas un terrain défriché par la réflexion en cours. Pourtant, la volonté de l’autorité d’approfondir la décentralisation par la territorialisation des politiques publiques pour booster le développement local passe nécessairement par la planification.

DÉCENTRALISATION ET PLANIFICATION

Nous pouvons nommer décentralisation toute politique visant à ramener l’État au niveau du citoyen à travers les collectivités locales réputées être des institutions proches et accessibles aux populations, dotées d’une personnalité morale, avec un territoire et des compétences propres.

Cela veut dire que  la gestion du développement s’exerce au niveau local dans le cadre de la décentralisation. Qu’il y ait décentralisation ou non, les territoires des collectivités locales constituent toujours les véritables lieux d’application des politiques publiques que celles-ci soient d’initiative nationale ou locale. Ce qui signifie que l’on a introduit le concept de territorialisation des politiques publiques pour mieux rendre compte de la responsabilisation de l’échelon local qui a lieu dans le cadre de la décentralisation.

Il y a donc un lien très étroit entre les concepts de décentralisation et de territorialisation d’une part et celui de développement local de l’autre. Pour précisions, le développement local est considéré soit d’un point de vue technique, soit d’un point de vue politique.

Sur le plan technique le développement local se définit comme un processus consensuel visant le développement global en rapport avec les besoins des acteurs à la base. D’un point de vue politique, il s’agit d’une volonté émise par des décideurs d’enclencher des dynamiques locales afin de stimuler le développement économique global d’un territoire.

On voit bien que ces deux approches mettent en jeu des processus, des acteurs, un territoire etun projet. On retrouve les mêmes variables dans la compréhension que l’on peut avoir de la décentralisation et de la territorialisation des politiques publiques précédemment définies.

Ces clarifications conceptuelles font clairement apparaître le rôle de la planification en tant que liant entre les différentes variables opérationnalisant les concepts. En effet les variables processus, acteurs, territoire et projet sont précisément celles qui définissent la planification. Cette dernière se conçoit, techniquement,  comme étant le déploiement d’un projet sur un territoire donné avec des acteurs bien identifiés durant un temps déterminé.

Malheureusement, cette dimension planification, pourtant essentielle à la mise en œuvre d’une politique de décentralisation réussie, est absente des discours actuels sur l’acte III de la décentralisation. La définition d’une technique de prise en charge du développement au niveau local est véritablement le chaînon manquant encore en souffrance dans les discours et dans les réflexions sur l’axe III.

Dès lors, il est urgent et primordial de se focaliser sur la définition d’une politique de planification locale si l’on veut que cette phase d’approfondissement de notre décentralisation ne se limite pas uniquement à un réaménagement territorial sans effet sur le niveau de vie des populations. Dans ce qui suit, nous allons diagnostiquer l’existant en matière de planification locale avant d’esquisser des propositions destinées à faire des plans de développement, au niveau local, un instrument essentiel dans le succès de l’Acte III et dans l’amélioration de la vie des populations locales.

QUELLE PLANIFICATION POUR L’AXE III ?

Les collectivités locales étant le cadre naturel de déclinaison des politiques publiques, il est important de revenir sur les modalités de pilotage de la planification locale et sa mise en œuvre. Le principe de libre exercice des collectivités locales leur confère un rôle primordial dans le pilotage de la planification du développement local. Ces entités, dont la principale mission est d’animer le développement dans leur localité, disposent de plusieurs instruments de planification censés constituer des moyens privilégiés pour réaliser leur développement économique et social.

Plusieurs outils cohabitent au niveau local. Si pour la région, le Schéma régional d’aménagement du territoire (SRAT) et le Plan régional de développement intégré (PRDI), plans transversaux par excellence, irriguent ou s’inspirent des plans sectoriels, pour la commune il est surtout question du Plan d’investissement communal (PIC) et des plans d’urbanisme (SDAU, PDU, PUD…) alors que la communauté rurale s’appuie sur le Plan local de développement (PLD).

Cette diversité des plans ne peut occulter le fait que la planification locale ne s’est jamais affirmée comme un creuset de cohérence dans lequel toutes les initiatives des acteurs du développement devaient être fédérées. Depuis leur adoption, les plans de développement des collectivités locales n’ont jamais été qu’un catalogue de projets. Ce n’est qu’avec la régionalisation qu’on a connu une réorientation de la planification. Malgré tout, l’adoption d’un niveau stratégique n’a pas toujours produits des résultats escomptés en raison même de la conception que les élus ont de cet instrument de politique économique qu’est le plan.

De fait, la planification, telle qu’elle s’est jusqu’ici pratiquée au niveau des collectivités locales, a toujours fait apparaître ces entités comme des électrons libres sans aucun lien autre que financier avec l’Etat central. Les outils mis en place pour encadrer le développement n’offrent souvent aucune perspective à la collectivité puisqu’élaborés uniquement pour la forme et dans l’optique de capter des financements.

Le niveau local sénégalais est actuellement caractérisé par un foisonnement d’intervenants qui ignorent sciemment les orientations définies au niveau des instruments de planification locale et encore plus des méthodes et du système en place. Ces intervenants sont d’autant plus à l’aise dans leur action solitaire que ni les élus ni les autorités déconcentrées ne se soucient de mettre en cohérence le dispositif de planification.

Les types de projets répertoriés dans les instruments de planification ne sont pas non plus exempts de reproches. Il ne saurait en être autrement si l’on sait que la concertation nécessaire à la formulation des projets importants reste un vain mot et que les exemples d’intercommunalités sont rares. Pourtant, les dispositions ouvertes par les textes de la décentralisation encouragent les associations entre les différents ou mêmes ordres de collectivités locales, ce qui aurait dû favoriser la mise en œuvre de projets structurants et l’articulation des projets sur des territoires connexes.

Sur d’autres aspects, les projets locaux ne sont pas pris en compte dans le cadre de planification national par les autorités dans le cadre de cette politique de territorialisation puisque les tentatives de régionalisation du Budget consolidé d’investissement (BCI) n’aboutissent pas encore. Une des raisons de cet échec tient au fait que les Plans triennaux d’investissements des régions (PTIR) n’existent que dans deux ou trois régions et sont, dans l’essence, inutiles puisque les Plans d’opération régionaux (POR) de la Stratégie nationale de développement économique et social (SNDES) sont téléguidés depuis le niveau central, dans une approche top down, au lieu d’obéir à des logiques locales.

La non inscription des projets des Plans régionaux de développement intégré (PRDI), fédérant les initiatives de l’ensemble des collectivités locales d’une région, dans le Programme triennal d’investissements publics (PTIP), défini au niveau central, demeure, dans le même ordre d’idées, une limite de taille à une bon développement des collectivités locales.

La mise en œuvre optimale de ces instruments de négociation et de financement du développement régional et des plans des autres collectivités locales (communes et communautés rurales) est également obérée par la timidité des tentatives de mobilisation des ressources issues de la coopération décentralisée, par le niveau local.

De même, les services de l’Etat dans les collectivités locales ne jouent pas encore pleinement leur rôle d’appui à ces entités. Or cette fonction d’appui est d’autant plus essentielle que les ressources humaines des collectivités locales sénégalaises sont notoirement sous-qualifiées. Il n’existe pas encore dans notre pays un corps de fonctionnaires territoriaux bien formés à l’instar des fonctionnaires de l’Administration centrale ni une normalisation des profils de fonction à l’échelon local.

À tous ces problèmes s’ajouteront, à n’en pas douter, les nouveautés introduites par la politique de territorialisation des politiques publiques. Celles-ci tournent autour de la communalisation intégrale avec la transformation des anciennes communautés rurales en communes, le redécoupage des régions en entités plus viables et l’érection des départements en collectivités locales ; soit autant d’innovations qui appellent l’abandon du plan local de développement et l’adoption d’un plan pour le département dont l’érection peut d’ailleurs susciter des interrogations quant à sa pertinence, notamment en tant qu’échelle de planification, si l’on sait que cette entité, tout comme la région, aura le même territoire qu’un ensemble de communes. Cela veut dire que des efforts de mise en cohérence et d’harmonisation de la part des autorités déconcentrées et élues sont aussi à faire à ce niveau où le principe de subsidiarité devrait être un maitre mot devant présider aux compétences à répartir.

L’on ne saurait passer sous silence non plus la multiplication des échelles de planification et les problèmes de coordination de l’action de développement qu’implique la départementalisation (querelles entres autorités décentralisées et autorités décentralisées). Il en est de même de l’absence ou du retard de mise en place de fonds devant sous-tendre l’élaboration de programmes minimums d’investissement et d’équipement dans les anciennes communautés rurales à transformer en communes qui constituent autant éléments absents des discours sur l’Axe III.

Il faut dire que les fonds devant soutenir l’effectivité de la nouvelle politique risquent d’être en concurrence avec les budgets à allouer au département, en tant que nouvelle collectivité locale, et à son pendant au niveau déconcentré (préfet de département).

Compte tenu de tous ces aspects, pour augmenter ses chances de réussite, la politique de territorialisation des politiques publiques doit rectifier les errements du passé en agissant sur le pilotage et la mise en œuvre de l’action de développement au niveau local.

Ainsi, s’agissant du pilotage, il s’agira de veiller aux mesures suivantes :

–  Faire des plans de développement au niveau local (PRDI, SRAT, PIC, Plans de département, PIC) de véritables instruments de pilotage du développement économique et social local ;

–  Définir des programmes minimums d’investissement et d‘équipement des communautés rurales érigées en Communes afin de les doter d’infrastructures de développement ;

–  Surseoir à la décision d’ériger le département en Collectivité locale en raison de la multiplication inutile des échelles de planification et des effets de compétition que cette décision risque d’entrainer sur les différentes autorités de la déconcentration et de la décentralisation, en plus d’alourdir le budget de l’Etat ;

–  Harmoniser la planification locale en définissant des horizons adaptés entre les différents plans et en insistant sur la nécessité d’harmoniser et de rendre cohérent le système de planification au niveau local ;

–  Respecter la philosophie du Nouveau système de planification (NSP) au niveau local avec des déclinaisons entre les long, moyen et court terme ou entre les niveaux stratégique et opérationnel ;

–  Renforcer les dynamiques d’intégration entre les instruments de planification (Aménagement du Territoire – Planification économique, Aménagement du Territoire, Planification urbaine…) ;

–  Renforcer la coordination par les collectivités locales des actions des divers intervenants (Associations, Projets, ONG) du développement local pour une mise en cohérence de leurs interventions avec les orientations de développement local prédéfinies ;

–  Faire jouer aux autorités déconcentrées un rôle pivot dans la coordination du développement local afin qu’elles s’assurent de l’effectivité de la cohérence entre  les plans nationaux et les plans locaux en mettant à contribution les services étatiques ;

–  Réhabiliter les instances de coordination de l’action administrative au niveau local (CRD, CDD, CLD) afin qu’elles vérifient l’orthodoxie des interventions des différents acteurs (collectivités locales, ONG et Projets, associations,) ;

–  Faire jouer aux services étatiques leur véritable rôle d’appui-conseil aux collectivités locales.

Concernant la mise en œuvre, il serait important de prendre en compte les éléments ci-après :

–  faire du plan un véritable instrument de mobilisation des ressources avec une composante programmation prenant en compte la relation entre plan et budget au niveau local ;

–  susciter la prise en compte dans la planification locale des projets structurants intéressant plusieurs collectivités locales en ce sens qu’ils sont fédérateurs, sont souvent de type HIMO et porteurs d’effets d’entrainement ;

–  identifier des bases de données de projets locaux de grande envergure intéressant plusieurs collectivités locales et favoriser leur intégration dans le BCI ;

–  tirer parti des aménagements juridiques offerts par le Code des collectivités locales favorables à la contractualisation  (intercommunalités, contrat plan avec l’Etat…) ;

–  tirer parti des modes de financement alternatifs au financement public interne (PPP, Coopération décentralisée, fonds carbone, RSE etc.)

Par Oumar El Foutiyou BA, Conseiller en Organisation au Bureau Organisation et Méthodes, spécialiste de la Planification du développement

Mohamed LY, Président du Think Tank IPODE

Mouhamadou el Hady BA,  Directeur général du Think Tank IPODE

Initialement paru chez notre partenaire IPODE

Trois leçons du génocide rwandais

Cette année sera marquée par les commémorations du génocide rwandais de 1994. Vingt ans après la tragédie, il n'appartient plus seulement d’en pleurer les morts mais aussi d'en tirer toutes les leçons.


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La première leçon du génocide rwandais nous provient du travail des historiens qui ont montré combien la mécanique politique de la haine qui a conduit jusqu’à déshumaniser la minorité Tutsi a aussi constitué un prélude à son génocide. La haine de l’autre, l’exacerbation de la différence jusqu’à exclure toute perspective de vie commune a en effet puissamment contribué, au Rwanda comme en Allemagne nazie, à rendre possible sinon inéluctable le meurtre de masse. Il ne faut, à cet égard, cesser de contredire les thèses qui tendaient à ordinariser, voire à justifier le crime en le regardant comme un évènement spontané faisant suite à l’assassinat du président Habyarimana. Or nous savons aujourd’hui que le génocide rwandais n’était pas un accident de l’histoire mais bien le produit d’une idéologie raciste et d’une volonté meurtrière.

La deuxième leçon s’adresse à la communauté internationale, dont l’indifférence et l’inaction il y a vingt ans apparaissent aujourd’hui encore comme une faute non pas seulement politique, mais aussi morale. Cette attitude fautive témoigne du complexe de supériorité civilisationnelle alors éprouvé par une communauté internationale à peine remise du fiasco somalien de 1992. En confortant et renforçant le sentiment d’impunité cultivé par les forces en présence, l’abstention des puissances étrangères a aussi contribué à l’escalade de la violence et à la survenue des pires atrocités. Cette leçon résonne aujourd’hui avec un écho singulier dans le contexte des meurtres de masse perpétrés chaque jour en Syrie et du drame qui se noue en RCA. C’est pourquoi la tragédie rwandaise doit interpeler non pas seulement ceux qui racontent l’histoire, mais aussi ceux qui décident aujourd’hui du sort de régions entières. La seule justice internationale, si elle a sa place, ne remplacera jamais l’action de la diplomatie, et parfois de la force, pour prévenir le pire.

Enfin, la troisième leçon du génocide rwandais, c’est que le négationnisme, dans toute sa brutalité symbolique, empêche toujours les mémoires de s’affermir, les survivants de faire leur deuil et d’honorer avec dignité les victimes. Le négationnisme éloigne ainsi la perspective d’une réconciliation des communautés qui s’étaient autrefois déchirées. Le récit de ces survivants Tutsis et de leurs bourreaux, comme ceux des revenants de l’Holocauste il y a bientôt soixante-dix ans, met à jour la souffrance indicible de ceux qui s’étaient préparés à mourir et qui ont dû réapprendre à vivre. Avec toujours ces images, ces cauchemars qui hantent les nuits et le souvenir des proches disparus qui déchire le cœur. Commémorer, ce n’est donc pas seulement honorer les morts, c’est aussi permettre aux vivants de se reconstruire.

Elie Wiesel a écrit qu’il a choisi de dévouer le reste de sa vie au récit de l’Holocauste parce qu'il pensait détenir une dette envers les morts. Ne pas se souvenir d'eux, ajoutait-il, revient à les trahir à nouveau. C’est pourquoi il nous faut, vingt ans après, tirer toutes les leçons de la tragédie rwandaise.

Rayan Nezzar

En Ouganda, la course à la pudeur a commencé

ouganda

On a enfin entendu parler de ce pays grand comme une moitié de France la semaine dernière, lorsque le président ougandais Yoweri Museveni, en poste depuis 1986, a signé devant les yeux effarés de journalistes du monde entier la fameuse loi anti-homosexualité. Pour un simple rappel, cette loi prévoit la prison à vie pour tous les « coupables d’homosexualité », sept ans de prison pour toute « promotion de l’homosexualité », et trois pour quiconque connaîtrait un homosexuel et ne le dénoncerait pas dans les 24 heures.

Seulement, les medias sont cyclopes, et n’arrivent en général à se concentrer que sur un seul thème, lorsqu’il s’agit d’un pays peu exposé. Ils semblent pareils à une sorte de phare balayant son œil unique puissant tour à tour sur tel ou tel endroit. L’Ouganda, c’est la loi anti-homosexualité, voilà tout.

Mais c’est aussi bien plus. Une autre loi, nettement moins médiatisée que celle-ci, et pourtant tout autant promulguée, c’est celle dite « anti-pornographie », signée fin décembre. En plus de prévoir un rigoureux arsenal juridique contre tous types de sites plus ou moins recommandable, le texte laisse place à tous types d’interprétations par les forces de l’ordre en proposant la définition la plus floue qui soit de la pornographie contre laquelle il doit lutter : tout procédé, habit ou représentation pouvant provoquer l’excitation sexuelle primaire. Ce qui fait que ce texte a été surnommé à son tour « Loi anti-minijupe », au grand dam des dames du samedi soir.

En dehors des lois, on compte aussi des déclarations, des déclarations qui semblent de plus en plus tapageuses et rigoristes. Le Président Museveni s’est fendu d’une analyse à l’emporte-pièce sur le sexe oral, lors de sa conférence de presse après la signature de la loi anti-homosexualité : les Ougandais ne doivent pas avoir de telles pratiques qui sont néfastes pour la santé, car, argument déroutant, la bouche sert avant tout à manger. Un jugement plutôt malvenu, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’homosexualité en fin de compte.

M. Museveni a également une autre obsession pudibonde qu’il voudrait transmettre à sa population : s’embrasser en public serait un crime de lèse majesté, un crime qui l’aurait empêché d’être réélu s’il l’avait proféré, selon l’intéressé lui-même.

Ces lubies semblent de prime abord purement Museveniennes, peu de ses ministres allant plus loin que lui dans la provocation et l’incitation à un train de vie puritain. Ceux qui vont plus loin et qui semblent ouvrir la voie en éclaireurs dans cet obscurantisme sont plutôt à retrouver du côté des églises.

museveniCe rigorisme que marquent ces lois et ces provocations a une origine : la pression qu’exercent les pouvoirs religieux sur le couple présidentiel. Janet Museveni, la Première Dame, a notamment des accointances plus qu’avancées avec les Born-Again, évangélistes influencés et financés par les néoconservateurs nord-américains, prêchant en général un discours assez violent face aux « vices » définis par la Bible.

De plus en plus nombreux, représentant une manne financière importante et noyautant le parti majoritaire NRM, les Born Again semblent la cible électorale à se mettre dans la poche pour les élections de 2016. Et c’est gagné. Le lundi 3 mars dernier, une association de 1000 pasteurs born-again (chacun contrôlant donc plusieurs dizaines voire centaines d’adeptes) s’est ralliée au président, pour les prochaines élections, en le remerciant de son acte « héroïque ». Ce n’est pas la seule religion qui abonde en ce sens : les cadres islamiques du pays ont supplié M. Museveni de signer cette loi, avant de l’applaudir à grand bruit. De son côté, l’Archevêque Ntagali, chef de l’Église anglicane ougandaise, a fait part de la possibilité de se séparer de l’Église anglaise à laquelle elle est rattachée, si les prises de positions contre l’homosexualité continuaient à être condamnées.

Cependant, des déclarations aux faits, il n’y a qu’un pas. Alors qu’on pouvait espérer que ces critiques se cantonneraient aux sphères politico-religieuses, qui sont quand même d’une certaine génération lorsque 80% de la population a moins de 30 ans, la provocation a franchi la frontière du réel.

Suite à la loi anti-pornographie, dont certains doutaient de l’application, des Ougandais ont cru bon de se faire justice par eux-mêmes. Déshabillement de femmes légèrement vêtues en public, violences, viols. Le gouvernement a dû faire marche arrière en demandant explicitement aux fautifs qu’il fallait laisser la police s’occuper de ce dossier. Un gouvernement qui a sa part de responsabilité dans un tel imbroglio, sachant que l’un des secrétaires d’État justifiait il y a quelques mois le viol en cas de provocation vestimentaire.

Dans la presse, c’est encore pire : le Red Pepper, tabloïd racoleur, publie le lendemain de la fameuse signature une liste du « top 200 » des homosexuels en Ouganda. Ils avaient publié également en octobre dernier les photos à peine floutées, de relations homosexuelles. Un journal du même genre, le Rolling Stone, avait publié en 2010 une liste de défenseurs des homosexuels. Résultat : lynchages et mort de David Kato, militant influent, assassiné à son domicile. Le même Red Pepper avait l’habitude de publier de nombreuses photos de soirées de gala de Kampala, des photos évidemment riches en minijupes et tenues légères. Brusque changement d’attitude depuis le passage de la loi : les photos sont floutées, et le journal est donc passé à ce qu’il connaît de mieux dans ce pays : l’autocensure.

Devant cet engrenage subit et inquiétant, le seul moyen de se rassurer reste de relativiser. Dans le temps comme dans l’espace : combien de temps cette course au clocher durera-t-elle ? Le Président Museveni est loin d’être très populaire dans le pays, et c’est clairement avec le sujet de l’homosexualité qu’il a réussi à rassembler un parti qui le défiait. Sur la pornographie, il est déjà beaucoup moins suivi. Ensuite, l’Ouganda continue son ouverture et donc à s’occidentaliser, des cinémas ouvrent, de somptueux malls remplis de chaînes internationales (le premier KFC a été célébré avec enthousiasme en novembre) et cela ne va pas sans influencer les mœurs. Si la loi anti minijupes fait scandale, c’est justement parce que de plus en plus de femmes en portent.

L’aspect de leurre qu’ont ces lois dans un contexte où le pays continue d’avoir une grande part de sa population sous le seuil de pauvreté devrait aussi s’estomper au bout d’un certain temps si le développement ne suit pas le rythme effarant de la démographie (6 enfants par femme en moyenne).

Enfin, ces lois ne concernent également que la capitale en elle-même, concrètement, sachant que le pays est faiblement urbanisé (13%). La minijupe et la pornographie n’ont pas grand écho dans les campagnes, où la loi est par ailleurs disputée entre chefs traditionnels (l’Ouganda comprend encore plusieurs royaumes officiellement reconnus) et représentants du gouvernement.

Quelques motifs d’espoirs, donc, qui tendent à penser que cette course n’a pas beaucoup d’intérêt à aller plus loin. Un risque politique que le Président Museveni a tout intérêt à éviter, lui qui doit plutôt jouer habilement ces derniers temps pour surfer sur la vague des tensions palpables dans la population.

Noé Michalon

Macky Sall, deux ans après: beaucoup de réformes, peu de satisfaction

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Deux ans après son élection à la tête de l’Etat sénégalais, Macky Sall fait face à un certain mécontentement social. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir mis en place d’importantes réformes dans beaucoup de secteurs.

Beaucoup de réformes mises en places

En effet, le régime a enclenché un certain nombre de mesures visant à satisfaire la demande sociale, allant de la réduction des prix des denrées de première nécessité à la baisse des loyers, en passant par la création de bourses de sécurité familiale et celle d’une couverture maladie universelle. De plus, certains instruments importants destinés à stimuler et à soutenir l’activité économique ont été adoptés : le FONSIS (Fonds de soutien aux investissements stratégiques), le FONGIP (Fonds de garantie des investissements prioritaires), et la BNDE (Banque nationale de développement économique). De même, dans la continuité de la Stratégie de croissance accélérée, des Documents de stratégie de réduction de la pauvreté, et de la Stratégie nationale de développement économique et social, le Plan Sénégal émergent a été adopté et suit son cours. Ce dernier a enregistré un succès au groupe consultatif de Paris, où il a mobilisé la somme de 3729 milliards de F CFA auprès des bailleurs de fonds multilatéraux du Sénégal, après les 2200 milliards de F CFA obtenus auprès de la Chine pour le financer.  Tous ces programmes visent à atteindre une forte croissance via des réformes macro-économiques financées en partie par les partenaires internationaux du Sénégal. Parallèlement, certains chantiers ouverts par le régime précédent, concernant en particulier les infrastructures (routes, hôpitaux, chemin de fer, port, etc.) ont été maintenus ou améliorés. Plusieurs autres grandes mesures dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’environnement, de l’énergie, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, du travail, de la sécurité, de la fiscalité (pour ne citer que ceux-là) sont en train d’être mises en œuvre.

C’est ainsi qu’une nette amélioration de la distribution d’électricité a été notée. Un vaste programme de recrutement de plus de 5500 nouveaux agents dans la fonction publique a été effectué. 10 000 autres ont été enrôlés dans une agence dédiée à la sécurité de proximité pour prévenir la petite délinquance et rapprocher la police des citoyens. Il y a eu également une baisse importante de la fiscalité sur les salaires, qui vise à relever le pouvoir d’achat. En outre, l’Acte 3 de la décentralisation est venu modifier la carte administrative en matière de décentralisation, en supprimant des régions, créant des conseils généraux au niveau départemental, et surtout opérant une communalisation générale qui consiste à octroyer aux collectivités locales de base le même statut et les mêmes moyens financiers. Cette réforme qui vise la territorialisation des politiques publiques devrait permettre aux entités locales d’être plus autonomes vis-à-vis de l’Etat central. Par ailleurs, un programme d’audit de la fonction publique a été mené afin de déceler les erreurs et doublons qui s’y trouvent, ce qui permet de les corriger et d’avoir une plus grande transparence dans la gestion des agents publics. De même, la traque dite des biens mal acquis a été déclenchée dès le début du mandat pour obliger les personnes ayant occupé de hautes fonctions dans le régime précédent à restituer les biens qu’elles auraient acquis de manière illicite. Elle a fait passer devant les tribunaux plusieurs personnalités du Parti démocratique sénégalais telles que Karim Wade (fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade qui était à la tête de plusieurs ministères importants), Bara Sady (ancien Directeur Général du Port autonome de Dakar), Tahibou Ndiaye (ancien Directeur du cadastre) et Aida Ndiongue (ancienne sénatrice et responsable du PDS). Enfin, un travail de réflexion sur les institutions a été fourni par la commission nationale chargée de la réforme des institutions (CNRI).  Ce dernier point mérite d’être examiné un tant soit peu.

Dans l’avant-projet de Constitution remis au Président Sall par le Pr Amadou Mahtar Mbow, ancien Directeur Général de l’Unesco, figurent des mesures-clés : le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et du Parlement, le monocaméralisme à travers la suppression du Sénat, l’interdiction pour le chef de l’Etat d’être chef de parti, ainsi que les devoirs des citoyens relatifs au respect de l’ordre et de la sécurité publics, etc. Il propose également la création d’une Cour Constitutionnelle en lieu et place de l’actuel Conseil Constitutionnel, ce qui devrait permettre l’émergence d’une véritable justice constitutionnelle, plus indépendante et reflétant la diversité de la société sénégalaise. Ces propositions de réformes divisent la classe politique, et n’agréent pas en particulier le camp présidentiel, mais elles peuvent améliorer la vie démocratique sénégalaise. Il pourrait s’enrichir de la diminution des pouvoirs de nomination du Président de la République qui, actuellement, nomme à tous les emplois civils et militaires. Moult griefs ont été faits à l’encontre des propositions faites par la CNRI, mais ils ne s’avèrent pas fondés. La démocratie sénégalaise est certes dotée d’institutions fortes et stables, mais elle peut sans doute gagner en  progrès et en réformes. Le Sénégal doit adopter l’avant-projet de Constitution de la CNRI sans n’y changer aucune virgule, pour reprendre la formule du Président Diouf lorsqu'un Code électoral consensuel lui avait été soumis en 1992.

Du mécontentement social subsistant

Cependant, malgré tous ces efforts entrepris par l’actuel régime, force est de constater que le mécontentement social ne s’est pas encore éteint et que les Sénégalais ne sont pas encore sortis de l’auberge de la demande sociale. Il n’est besoin pour s’en convaincre que de se promener dans les rues dakaroises en prêtant attention aux discussions des gens, qui entonnent la même chanson : « Deuk bi dafa Macky ». Cette expression, répétée à longueur de journée, explique suffisamment que la demande sociale, pour laquelle le Président Sall a été élu, n’a pas encore été satisfaite. Malgré la baisse considérable des prix des denrées de première nécessité telles que le riz, l’huile, le lait et le sucre ainsi que celle des loyers, les Sénégalais rencontrent toujours de réelles difficultés pour se nourrir et se loger décemment. Malgré le recrutement de  milliers de nouveaux agents publics, le problème du chômage des jeunes n’a pas encore été résolu. Malgré les dispositifs de soutien à l’activité économique, notamment ceux de soutien aux PME, l’embellie économique n’est pas encore au rendez-vous.

En outre, l’Acte 3 de la décentralisation n’a pas été mené sur une base très consensuelle, vu que tous les acteurs concernés (élus locaux, organisations communautaires de base)  n’y ont pas été associés. Malgré les efforts de modernisation des secteurs agricole et silvo-pastoral, le milieu rural est confronté à d’énormes difficultés de commercialisation de ses produits comme l’arachide. Quant aux acteurs de la pêche, ils dénoncent la rareté de certains produits halieutiques du fait de la présence de gros navires étrangers dans les eaux sénégalaises. En plus de ces insatisfactions, d’autres facteurs de mécontentement sont nés. L’audit général de la fonction publique a généré un bras de fer avec les enseignants des lycées et collèges qui protestent contre la rétention des salaires qui a été effectuée pour certains d’entre eux. Les étudiants des universités publiques protestent contre une réforme du système de l’enseignement supérieur qui a instauré de nouveaux tarifs relatifs aux droits d’inscription annuels… En gros, un certain mécontement social subsiste.

L’opinion publique est impatiente

Du point de vue supérieur de l’opinion publique, les grandes réformes entreprises et les nombreux efforts déployés par les autorités publiques ne sont que du vent, tant et aussi longtemps que le Sénégalais moyen ne pourra satisfaire ses préoccupations primaires. La croissance économique affichée et les nouveaux plans de développement brandis sont de l’optimisme qui se vend sur les places internationales, mais ne produisent pas des effets immédiats sur son vécu quotidien. Et pour cause : le temps de l’opinion publique n’est pas celui d’une stratégie d’émergence à moyen ou long terme, telle que planifiée par le gouvernement. Les populations sénégalaises aspirent à une amélioration immédiate de leurs conditions de vie, avec une grande impatience. Or, le développement est une affaire de long terme pour un pays pauvre comme le Sénégal. Les sous-jacents économiques fondamentaux ne sont pas entièrement réunis pour permettre une émergence rapide. L’environnement des affaires n’a pas encore connu cette amélioration que les pouvoirs publics sénégalais appellent de leurs vœux. Les démarches et les coûts liés à la création d’une entreprise ou à l’obtention d’un permis de construire sont encore d’importants freins à l’investissement.

L’investissement est le maître-mot !

Le Sénégal est dans une phase de transition consécutive à la gabegie générale dont ont souffert les finances publiques lors du régime précédent. Cette situation transitoire devrait permettre d’assainir les finances publiques et remettre l’Etat sur les rails de la bonne gouvernance. Le Sénégal doit impérativement garder ce cap de réformes pour atteindre le palier de l’émergence, en s’appuyant aussi bien sur son secteur privé que sur les investissements directs étrangers même s'il y aura des moments difficiles avant qu'elles ne fassent leurs effets.

Une option pragmatique voudrait que les autorités publiques se concentrent sur les priorités économiques : agriculture (parvenir à écouler les productions agricoles), industries (piliers incontournables du développement ; en particulier celles minières et extractives, dont le Sénégal peut encore beaucoup profiter), infrastructures (l’état d’une route comme celle de Fatick-Kaolack est inacceptable), énergie (les coupures de courant freinent l’activité économique), emploi (un des plus grands défis des pouvoirs publics car une jeunesse désœuvrée est un facteur d’instabilité), assainissement et environnement (l’insalubrité publique est une bombe à retardement), etc. Bien entendu, l’éducation et la santé demeurent des secteurs prioritaires pour améliorer le capital humain. Le Sénégal doit poursuivre les efforts qui y ont été fournis. Le maître-mot des politiques publiques, dans les années à venir, devra être l’investissement. Le Sénégal a une certaine facilité pour en mobiliser grâce à sa stabilité politique et à l’efficacité de sa diplomatie économique ; c’est pourquoi il faudra poursuivre les efforts qui sont fournis pour augmenter l’attractivité du pays ainsi que sa compétitivité. L’investissement doit profiter aux productions où le Sénégal a un avantage comparatif (comme l’arachide, le mil, le sel, le coton, les poissons, les phosphates). Il doit également bénéficier aux secteurs à haut potentiel de rendement comme l’agro-business (surtout dans la vallée du fleuve Sénégal et dans les Niayes), les TIC, les énergies renouvelables (solaires, hydrauliques, éoliennes). La conclusion de PPP pourrait être un grand levier car ils facilitent la mobilisation de capitaux pour le financement des services publics. L’investissement (public comme privé) reste une condition sine qua non du développement pour un pays parce que lorsqu’il est bien organisé, toutes les portes lui sont ouvertes. 

                                                      Mouhamadou Moustapha Mbengue

Le drame de l’émigration clandestine pour l’Afrique

emigrationNous sommes des centaines de millions de jeunes africains qui pouvons œuvrer pour faire prospérer l’Afrique et travailler à ce qu'elle soit plus respectable et respectée. Eux sont déjà des milliers de jeunes africains à vouloir quitter le continent à tout prix. Certains s’en vont pour ne plus affronter le désastre qui se déroule en Afrique, d’autres pour ne plus le vivre et, enfin, d’autres ne souhaitent pas participer à ce fiasco, par la passivité à laquelle ils sont condamnés.

L’histoire nous présente de nombreux exemples de populations qui ont migré et dont la migration a eu, à long terme, des répercussions positives sur le développement de leurs contrées d’origine. Cependant, les épisodes tragiques de déplacements de populations de l’Afrique vers l’Europe ne nous laissent pas présager un sort heureux pour l'Afrique qui, à moyen ou long terme, devra peut-être constater la perte d’une bonne frange de sa population jeune.

L’émigration clandestine est ainsi un des phénomènes contemporains qui font le plus de mal au continent africain et y réfléchir devient ainsi un impératif pour tout intellectuel africain.

Après que les esclavagistes aient arraché de force des millions d’Africains à leurs terres et les ont acheminé par mer vers diverses destinations de par le monde, de nos jours nous vivons un phénomène tout aussi déplorable, mettant en scène de jeunes africains, prenant le large, à bord d’embarcations de fortune, à la recherche d’un avenir meilleur.

Quel humain ne frémirait pas lorsque des corps sans vie sont repêchés des eaux et rangés à même le sol d’une façon qui n’honore nullement la dignité humaine ? Et l’on s’alarme davantage lorsque de certains médias nous viennent les chiffres d’un désastre dont les responsables sont aussi divers que les façons dont le problème peut être appréhendé. D’aucuns prennent pour responsable les Etats africains qui n’ont jusqu’à présent pas pu faire du continent un endroit où les jeunes africains ont de réelles chances de s’épanouir et de se réaliser. Pis, certains dirigeants africains n’ont contribué qu’à faire en sorte que les Africains n’espèrent plus rien ni de l’Afrique, ni pour l’Afrique.

D’autres désignent comme responsables ceux qui tentent de rejoindre l’Europe à bord de ces pirogues. Il leur est reproché de risquer leur vie pour des espoirs de prospérité qui ne sont pas toujours fondés.

Le fait est avéré : la majeure partie de ceux qui sortent vivants du périple est condamnée à une vie miséreuse qui est plus cruel que la pauvreté qu’ils ont voulu fuir. Et pour ceux qui avaient de réelles chances de monter un quelconque projet chez eux, il leur est reproché d’être frappés du mythe de l’eldorado. Un mythe entretenu par certains médias qui ne se lassent pas de décrire l’occident comme cet « Eldorado » qui, aussi, est à ranger parmi les responsables de ce fléau.

En effet, il se dit paré de toutes les nobles vertus humanistes alors qu’il n’a obtenu la grande partie de sa richesse qu’au prix de massacres et pillages dont l’Afrique a été le principal foyer et contre lesquels, peu d’Africains seulement se sont battus.

On doit se demander comment ces pseudo-philanthropes peuvent presque gracieusement puiser une bonne partie de leurs richesses de l’Afrique et ne permettre aux Africains de se rendre en occident que difficilement.

Le Nigéria est un grand producteur de pétrole et des entreprises occidentales en jouissent plus gracieusement que les Nigérians si tant est que les Nigérians en jouissent. A l’opposé, de jeunes Nigérianes par exemple se livrent à la prostitution dans les rues de Paris où elles sont traquées sans cesse par la police. Le Niger ne serait certainement pas le pays le plus pauvre de la planète s’il tirait profit, autant que la France, de ses réserves d’uranium. Toute la côte ouest du Sénégal est baignée dans l’Atlantique ; le riz y est cultivé en grande quantité au nord et au sud ; la tomate, l’oignon, le maïs, la canne à sucre, etc. sortent à foison d’un sol qui ne se lasse pas de servir d’énormes quantités d’arachides. Le phosphate et la chaux en sont extraits en grandes quantités. Avec des dirigeants clairvoyants, aucun Sénégalais ne devrait manquer de quoi mener une existence décente. Malheureusement, on constate que l’une des préoccupations majeures des citoyens sénégalais est bien l’accès aux denrées de première nécessité.

Mais chaque peuple n’a que le leader qu’il mérite. L’on aurait pas tort de soutenir que les Africains sont pris d’une paresse découlant d’un état d’esprit fataliste avec lequel on ne peut rien concevoir qui puisse aider à l’amélioration de notre propre bien-être ou au développement de notre communauté. On préfère cirer des chaussures à Paris plutôt que cultiver un champ de mil à Dori. On préfère laver les assiettes dans des restaurants espagnols plutôt que vendre du klichy à Maradi.

Nous savons que nous sommes bien lotis en ressources naturelles, mais nous nous sommes condamnés à une double fatalité : soit nous laissons les Occidentaux ou les Asiatiques les exploiter et n’en recevoir que des miettes, soit nous nous entretuons jusqu’à ce que personne ne puisse en jouir.

Même si nous étions certains que ceux chez qui nous voulons aller seront enchantés de nous voir chez eux et de nous y traiter comme il se doit, il ne nous appartient pas de risquer nos vies en défiant vents et marées.

Parler de bilan pourrait heurter des sensibilités car serait sans doute indécent. Il s’agit pour nous de nous inscrire dans une logique d’avenir et donc de délivrer ce message qui n’est autre que celui de dire : travaillons ensemble à semer les graines qui donneront les fruits de notre glorieuse récolte à venir. La renaissance africaine, ce n’est pas tâche impossible.

                                                                                                                      

Oumar Sow

 

Article initialement paru sur www.louest.net

Rwandan Genocide, 20 years later: Desperately in search of peace (1/2)

“I don’t believe those who say that we have hit the bottom of atrocity for the last time. If there has been genocide, there can be another one, at any time in the future, anywhere, in Rwanda or somewhere else, if the underlying cause is still present and we don’t know what it is.” A survivor[1]


rwanda-genocide-memorial-tourBetween April and July 1994, Rwanda, a country of Central Africa, suffered what is known as the bloodiest genocide ever known, taking into account the number of victims and the short duration of the terrible abuses: nearly 800 000 people (Tutsis and moderate Hutus) were slaughtered in three months according to the United Nations. As we are close to the twentieth anniversary of the genocide, what is the current situation in Rwanda?

It remains difficult to specifically date the origin of the divisions between the Hutu and the Tutsi ethnic groups. The term of “ethnic group” is even inaccurate in a country where Hutus as well as Tutsis speak the same language, the Kinyarwanda and both share the same customs and beliefs. In the thirties, the Belgian colons initiated the distinction between the two groups in official documents by creating ‘ethnic’ identity cards and giving to the Tutsis the power to rule the country under the tutelage of colonial administration. To the Tutsis was given access to education and power by the Belgian colonizer while the two other Rwandan ethnic groups, Hutus and Twas, were forsaken.

When Rwanda achieved independence, the gulf the colonizer had created turned out difficult to bridge: the Tutsis were more and more targeted in massacres meant to exile them in Uganda, Burundi or DRC. Rwandan exiles from Rwanda attempted several times to take power while fighting under the banner of the Rwandan Patriotic Front (RPF), the Hutu government never took long to strike back with massacres against the Tutsis remaining in Rwanda by way of revenge. On April 4th 1994, the Hutu Rwandan president, Juvénal Habyarimana dies when his plane, which was about to land in Kigali, is shot down by a missile. For the Hutus, the Tutsis of the RPF are the obvious responsible of the attack.

The murder of the Rwandan president triggered a genocide which had been festering for a while. The following day marks the official beginning of the massacres. Organizing themselves in armed militias, the Hutus killed almost a million of Tutsis and moderate Hutus in few months. On July 4th, the Rwandan Patriotic Front enters the capital, Kigali, take power and install a government of national unity which symbolically has a Hutu as Head of State, Pastor Bizimungu. In 2000, the RPF won the elections and Paul Kagame, a leader descending from that generation of exiled Tutsis in Uganda, became President. He launched a process of justice and reconciliation to make all the Rwandan live together again, peacefully. Unity and reconciliation then became real policy objectives: a National Commission for Unity and Reconciliation is created in 1999, the mention of the ethnic origin disappears from the identity cards and the new Constitution explicitly specifies that all Rwandan are equal.[2] The work of the Commission is based on several approaches among which the ‘education for peace’ also known as Ingando, which aims at shedding a new light on Rwanda history, understanding the origins of the divisions among the people, encouraging patriotism and fighting genocidal ideology.

Nonetheless there cannot be no reconciliation neither peace without justice. Hence an International Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR) was set under the aegis of the United Nations to bring to justice the perpetrators of genocide and other violations of the international humanitarian law in Rwanda from January 1st to December 31st 1994. The ICTR aimed also at “contributing to the process of national reconciliation in Rwanda and maintaining peace in the region. »[3] For the time being, 65 people have received a final judgment, 10 cases are currently pending and an accused is awaiting an upcoming trial.

Beside the ICTR, another court is in charge of judging the hundreds of thousands people involved in the acts of genocide: the gacaca (pronounced gatchatcha) which are the Rwandan people’s courts. Traditionally reserved to civil litigations, the gacaca is based on the search of guilt admission and forgiveness. A law created in 1996 to better organize the prosecution of genocidal crimes or crimes against humanity attributed jurisdiction between the Tribunal and the gacaca. The former is in charge of prosecuting the planners, the organizers and the leaders of the genocide, those who acted in positions of authority, the renowned murderers as well as people guilty of sexual tortures or rapes (jurisdiction shared with regular Rwandan courts). And it is the gacaca’s responsibility to prosecute and judge the authors or accomplices of voluntary manslaughter or assaults that resulted in the death, and those who wanted to kill the victims but only caused injuries or committed other serious abuses without intending to kill the victims. In other words the masterminds are to be judged by the ICTR and the executing criminals by the gacaca. During the trials, each court brings together defendants and the victims’ families, the debate are open to the public and whoever confesses their crimes can benefit from a reduced sentence or even be pardoned. Whenever there is a sentence, it is often symbolic: the defendants are way too numerous and the prisons way too overcrowded.

The gacaca came to the end of their term on June 18th 2012, with two millions people judged.

As the consequences of this genocide have spread far beyond the Rwandan boarders (Rwanda – RDC: les dessous d’une guerre larvée – L'Afrique des idées ), it is legitimate to ask whether the widely acclaimed reconciliation have kept its promises.

 

Translated by Ndeye Mane SALL

Read the second part of this article.


[1] Dans le nu de la vie, Jean Hartzfeld

 

[2] http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/about/bgjustice.shtml

 

[3] http://www.unictr.org/AboutICTR/GeneralInformation/tabid/101/Default.aspx

 

Nigeria: Mister Goodluck and President Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan is at the moment in a tight spot.  The past few months, the Nigerian president has been subjected to a fierce opposition amidst his very own party, The People's Democratic Party (PDP) which has been reigning since the establishment of the Fourth Republic in 1999. Leading a gigantic country in terms of economy and demography (Nigeria is the most populous country of Africa with 170 million inhabitants), President Jonathan has been in power since the death of his predecessor Umaru Yar’Adua in 2010 and is becoming more and more unpopular. In addition to a questionable management of the clashes with the Boko Haram sect, he is suffering from a considerable lack of legitimacy in his party.

37 MP from PDP have joined the ranks of the opposition on last December 18th. This rebellion resulted in Jonathan losing his parliamentary majority, an unprecedented situation in Nigeria’s political history. Its consequences are unpredictable. On the one hand, it remains difficult to know how President Jonathan will govern without a majority at the Parliament; on the other hand the future is uncertain as to the presidential elections of 2015. This important setback is one more step leading to the mutiny firstly opened in September 2013 by six governors from the Muslim North who created the New PDP. The bone of the contention: the former President Olusegun Obasanjo made things worse when he stepped in the turmoil and wrote a scathing letter to his successor, accusing him of invigilating his political opponents along with hundreds of Nigerians using the State services. Even worse, police officers assaulted locals belonging to the same states as the mutinous governors, who consider those confrontations as bullying, and denounce dictatorial methods.

President Jonathan now finds himself in a very difficult situation, and the stake is the future of Nigeria, way beyond the future of PDP. Indeed, the present revolt against Jonathan is linked to the main political issue in Nigeria since the independence, namely the fragile and volatile balance between the Muslim North and the Christian South of the country. When PDP took power in 1999, the leaders of the party agreed on an informal sharing of the power: the president could only pretend to two consecutive terms (8 years) , the deal was that every two-term period of time, a Muslim president had to vacate the power for a Christian successor and vice versa. It was a tacit political alternation based on the religion and the region of the pretenders to the throne. Thus, after Obasanjo, a Yoruba from the South who reigned from 1999 to 2007, it was Umaru Yar’Adua (former governor of Katsina, a northern state) who took the lead. But his sudden death in 2010 jostled that subtle arrangement: Goodluck Jonathan, the vice-president from the South then became president; he was re-elected in 2011 and is now wanting to run for the elections of 2015. If he was to win the elections, he would govern until 2019, which means a presidential mandate of almost ten years. To put it bluntly, the power would have been to the North for only three years (2007-2010) on the twenty years of the PDP reign (1999-1919). It is merely unacceptable for most politicians from the North.

If Goodluck Jonathan maintains his authoritarianism, he takes the risk to worsen the bleeding of the PDP, which could lose the elections in 2015. However, it is still possible for him to limit the damages by winning back the militants, who have already started to leave the ship, and save the essential: the political unity of the party and the stability of Nigeria. The best he can do is not to run for a re-election in 2015.

We should pay careful attention to the political struggles going on in Nigeria because they have ethnic and religious overtones in addition to the economic stakes surrounding oil (Nigeria is the first African producer of oil). Goodluck Jonathan is facing a great social discontent since he took power in 2010. The increasing fuel prices rekindled the tensions between Muslims from the North and Christians from the South, tensions he failed to handle efficiently by the way.

The successive defection of the governors and parliamentarians who joined the APC (All Progressives Congress), the main opposition coalition, is a severe blow for President Jonathan. That is why he should pay great attention to the way he will handle this new situation while avoiding any measure of authoritarianism. He ought to win back those PDP leaders who joined the opposition and dispel any ambiguity on his potential candidature to the elections of 2015. The Boko Haram sore is way too crippling for Nigeria to enter a new cycle of violence. Especially if they come with ethnic and religious dimensions in a continent already scarred by that kind of conflicts.

 

Translated by Ndeye Mane SALL

Génocide rwandais: 20 ans après, la paix à tout prix (2eme partie)

Terangaweb_Gacaca Rwanda « Une loi ne pourra jamais obliger un homme à m’aimer mais il est important qu’elle lui interdise de me lyncher » Martin Luther King

Un génocide n’est pas un crime comme un autre. Alors que les autres formes de conflits répondent à des intérêts politico-économiques, le génocide est un plan concerté en vue d’éliminer les membres d’un groupe donné. Le génocide tend à « purifier » le groupe social en ôtant les éléments considérés indignes d’en faire partie : les juifs en Allemagne, les Noirs en Afrique du Sudles Tutsi au Rwanda…  D’autres pays ont eu la difficile tâche de réconcilier un peuple déchiré par un conflit. En Afrique du Sud il y a eu les Commissions Vérité Réconciliation, au Soudan on a choisi la solution radicale de la sécession, en Côte d’Ivoire on croise les doigts pour que dure une paix vacillante.

Le Rwanda passe pour le bon élève de la région des Grands Lacs (à juste titre) puisqu’il a réussi sa « résurrection » dans bon nombre de domaines (Le Rwanda, une Nation phénix (1ère partie) – L'Afrique des idées et Le Rwanda, une Nation phénix (2ème partie) – L'Afrique des idées) Le pays est dirigé de main de fer par Paul Kagame qui a su lui insuffler le nouveau souffle de développement qu’il lui fallait après 1994. Qu’en est-il socialement ? Le génocide a matérialisé de façon radicale une division qui couvait depuis bien longtemps dans la société rwandaise. La réconciliation entre les membres d’une société n’est pas de l’ordre du politique, elle est pourtant indispensable entre des gens qui de toute façon sont condamnés à vivre ensemble. Le pardon ne peut donc être une consigne collective mais l’Etat a pour devoir de s’assurer que partout, tous les membres de la société se sentent appartenir au groupe, il impose sinon le pardon, en tout cas un terme officiel.

Cette idée sous-tend le droit pénal de tous les pays qui ont aboli la peine de mort : punir le coupable à la fois pour arrêter le cycle de violence et empêcher tout acte de vengeance et s’assurer de la future réinsertion du condamné. Le droit de punir (de venger…) appartient donc à l’Etat. L’acte génocidaire concerne forcément toutes les couches de la société puisque très souvent il se concrétise parce que « quelques-uns l’ont voulu. D’autres l’ont fait. Tous l’ont laissé faire » (Tacite). Si l’acte concerne toute la nation, le travail de réconciliation encore plus. Il s’agit de ne pas laisser subsister un fond d’animosité d’un côté ou de l’autre, animosité qui pourrait servir de base au déclenchement de nouveaux conflits sur les restes encore fumants du précédent.

Les gacaca ont essuyé la critique de ne pas être des juridictions professionnelles et donc de ne répondre à aucun des critères qui définissent une juridiction : impartialité, indépendance, procès équitable…mais comment pouvait-il en être autrement ?

D’une part, au lendemain du génocide il était urgent de juger les centaines de milliers de personnes détenues, les professionnels de la Justice étaient soit au nombre des victimes, soit parmi les accusés…ou ils avaient quitté le pays. Dire donc que le travail des gacaca a manqué de rigueur juridique serait reprocher au Rwanda de ne pas avoir appliqué une solution ordinaire à une situation qui n’avait rien d’ordinaire. A situation exceptionnelle, solution exceptionnelle.

D’autre part, ces juridictions, parce qu’elles sont populaires ont contribué à mettre ensemble, à confronter des personnes qui n’auraient jamais eu cette forme de justice participative dans un cadre juridictionnel classique. Il serait bien sûr naïf de penser qu’à la fin du procès, victime et bourreau repartaient en bons amis. D’ailleurs les voix des victimes se lèvent pour dénoncer une justice qu’elles estiment expéditives et biaisées (comment croire et accepter les remords de l’accusé qui « échange » l’aveu contre une réduction de peine ?) mais au lendemain d’un tel drame, les solutions n’étaient pas nombreuses. Sauf à séparer le pays en deux avec d’un côté les Tutsi et de l’autre les Hutu la seule autre solution aurait été celle de la vengeance systématisée qui aurait sans doute conduit à un autre drame avec les mêmes acteurs dans des rôles différents : les Tutsi en bourreaux et les Hutu en victimes. La solution retenue n’était pas forcément la meilleure, objectivement, mais la mieux adaptée au vu des éléments.

Le génocide n’a que vingt ans, il est encore trop tôt pour faire un bilan de l’Histoire et juger les avancées en matière de paix sociale qui mettront sûrement encore beaucoup d’années à se concrétiserMais le Rwanda a entamé un processus qui devrait à très long terme, s’il est suivi, effacer des divisions qui n’ont pas lieu d’être. Cela pourrait passer (comme au Nigeria) par un partage subtil du pouvoir entre Hutu et Tutsi, l’égal accès des uns et des autres aux structures étatiques, à l’éducation, à l’emploi…bref concrétiser ce que la Constitution a théorisé : tous les Rwandais sont égaux.

La réconciliation est aussi et surtout une question de mémoire. Mémoire collective, mémoire individuelle. Peut-être la seconde sera-t-elle moins vive dans deux, trois générations et que le temps aura non pas gommé mais estompé les blessures. En attendant, les rescapés, hébétés, se réintègrent bon an mal an à cette société qui abrite encore leurs bourreaux et tous les jours supportent stoïquement la vue de ceux-ci, désormais libres. Parce que « Amarira y’umugabo atemba ajya mu unda »[1]

Tity Agbahey

Retrouvez la première partie ici.


[1] Proverbe en langue kinyarwanda: « les pleurs d’un homme coulent dans son ventre ».

 

Génocide rwandais: 20 ans après, la paix à tout prix (1ère partie)

rwanda-genocide-memorial-tour« Je ne crois pas ceux qui disent qu'on a touché le pire de l'atrocité pour la dernière fois. Quand il y a eu un génocide, il peut y en avoir un autre, n'importe quand à l'avenir, n'importe où, au Rwanda ou ailleurs; si la cause est toujours là et qu'on ne la connaît pas ».
Un rescapé (Jean Hatzfeld, Dans le Nu de la vie).

Entre avril et juillet 1994 le Rwanda, pays d’Afrique centrale, connaît ce qui reste le génocide le plus meurtrier de l’Histoire du point de vue du nombre de victimes par rapport à la durée des exactions : près de 800.000 victimes (Tutsi et Hutu modérés) en trois mois, selon l’ONU.  A quelques mois du vingtième anniversaire de ce génocide, où en est le Rwanda ?

Il n’est pas aisé de dater exactement l’origine de la division entre « ethnies » Hutu et Tutsi au Rwanda. Le terme même d’ethnie est impropre dans ce pays où aussi bien les Hutu que les Tutsi parlent la même langue, le kinyarwanda, et partagent globalement les mêmes coutumes et croyances. Dans les années trente, le colonisateur belge entérine officiellement la différenciation en créant des cartes d’identité « ethniques » et en confiant à l’ethnie tutsi l’autorité de régir le pays sous la tutelle de l’administration coloniale. A ces Tutsi, le colonisateur donne accès aux études et à la gouvernance, délaissant les deux autres ethnies que sont les Hutu et les Twa.

A l’indépendance le gouffre créé par le colonisateur est dur à combler, d'autant plus que les Belges ont soudainement renversé leurs alliances à la fin des années 1950, délaissant les Tutsi et laissant libre cours à la "révolution Hutu", qui s'accompagne des premiers pogroms. Dès le début des années 1960, les Tutsi sont de plus en plus souvent les cibles de massacres les poussant à chercher exil en Ouganda, au Burundi et dans l'ex-Zaïre (l'actuelle République démocratique du Congo). Ces exilés (surtout ceux partis en Ouganda) vont nourrir le désir de revenir au pays et de reprendre le pouvoir par la force, et dans ce but, créent à la fin des années 1980 un mouvement armé, le Front patriotique rwandais (FPR). Aux tentatives de reprise de pouvoir par ces exilés, le gouvernement Hutu répondra systématiquement par les massacres des Tutsi restés au Rwanda. Le 6 avril 1994 le président rwandais (Hutu) Juvénal Habyarimana meurt, lorsque son avion, qui s'apprêtait à atterrir à Kigali, est abattu par un missile. Les Hutus attribuent l’assassinat aux Tutsi du FPR.

C’est l’élément déclencheur d’un génocide qui couvait depuis bien longtemps. Le lendemain marque le début officiel des massacres. Organisés en milices, les Hutu tueront près d’un million de Tutsi et de Hutu modérés, en trois mois. Le 4 juillet 1994 le Front patriotique rwandais entre dans la capitale Kigali après une difficile guerre civile contre l'armée rwandaise (FAR) et les milices génocidaires, les "Interahamwe". Alors que les génocidaires et des dizaines de milliers de Hutu fuient en masse vers l'est du Zaïre, le FPR prend le pouvoir et forme un gouvernement d’unité nationale avec symboliquement, un Hutu, le Pasteur Bizimungu, en tant que chef d’Etat. Paul Kagame, issu de cette génération de Tutsi ayant connu l’exil en Ouganda est élu Président en 2000 avec le FPR et lance un processus de justice et de réconciliation pour emmener les Rwandais à vivre de nouveau ensemble. L’unité et la réconciliation au Rwanda deviennent de véritables objectifs politiques : une Commission nationale pour l’unité et la réconciliation est créée en 1999, la mention de l’ethnie disparaît des cartes d’identité et la nouvelle Constitution prend la peine de préciser que tous les Rwandais ont des droits égaux. 

Les travaux de la Commission reposent sur différentes approches dont l’éducation à la paix, l’Ingando, qui a pour but d’éclairer l'histoire du Rwanda, de comprendre les origines des divisions parmi la population, d'encourager le patriotisme et de combattre l'idéologie génocidaire.

Il n’y a cependant pas de réconciliation ni de paix possible sans justice. Ainsi, sous l’égide de l’ONU, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) est institué pour juger les auteurs de génocide et d’autres violations du Droit international humanitaire au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le TPIR a aussi pour ambition de « contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région ».  Pour l’heure, 65 personnes ont fait l’objet d’un jugement définitif, 10 affaires sont pendantes devant le Tribunal et un accusé est en attente de procès.

A côté du TPIR une autre « juridiction » est chargée de juger les centaines de milliers de personnes mises en cause dans l’exécution de ce génocide : les gacaca (prononcer gatchatcha), les juridictions populaires. Traditionnellement réservés aux contentieux civils, les gacaca ont un système basé sur la recherche de l’aveu et du pardon. C’est une loi de 1996 sur l'organisation et la poursuite de crimes de génocide ou crimes contre l'humanité  qui répartit la compétence entre le TPIR  et les gacaca. Au premier la charge de poursuivre les planificateurs, les organisateurs et les leaders du génocide, ceux qui ont agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom ainsi que ceux qui sont coupables de tortures sexuelles ou de viols (compétence partagée avec les juridictions régulières rwandaises), aux gacaca la poursuite et le jugement des auteurs, coauteurs ou complices d'homicide volontaire ou d'atteintes contre des personnes ayant entraîné la mort et de ceux qui avaient l'intention de tuer et ont infligé des blessures ou ont commis d'autres violences graves qui n'ont pas entraîné la mort et ceux qui ont commis des atteintes graves sans intention de causer la mort des victimes. Concrètement, les cerveaux des opérations au TPIR et les bras armés devant les gacaca. Les procès de ces juridictions populaires réunissent accusés et familles de victimes, les débats sont publics et quiconque a avoué ses crimes bénéficient d’une réduction voire d’une exemption de peine. Quand il y a une peine, elle est très souvent symbolique : les accusés sont trop nombreux et les prisons sont surpeuplées.

Les gacaca sont officiellement arrivés au terme de leur mandat le 18 juin 2012, deux millions de personnes ayant été jugées. Alors que les conséquences de ce génocide se sont étendues au-delà des frontières rwandaises (voir l'article de L'Afrique des idées: Rwanda – RDC: les dessous d’une guerre larvée) il est légitime de se demander si la très applaudie politique de réconciliation a tenu ses promesses. 

Tity Agbahey

Lire la deuxième partie de cet article.

Burkina Faso: Y a-t-il péril dans la demeure Compaoré ?

Terangaweb_Blaise CompaoréAvant le 21 mai dernier, date du vote de la Loi organique portant organisation et fonctionnement du parlement instituant un Sénat, nul n’aurait parié sur une telle accélération vertigineuse de l’histoire quelques mois plus tard au Burkina Faso.  La scène politique de ces deux dernières décennies se résumait ainsi : un parti au pouvoir ultra majoritaire, sûr de ses forces, face à une opposition divisée et émiettée. Mais une chose est certaine : depuis le 21 mai, l’échiquier politique est en pleine recomposition et bouillonnement.

Quelques moments politiques forts de l’année 2013

Le débat politique national connait un regain d’intérêt ces derniers mois tant au niveau de la classe politique que de la société civile.  Le Sénat et l’article 37 de la constitution (qui dispose que le Président n’est rééligible qu’une seule fois) sont les points saillants qui divisent l’opinion. Le début de la contestation nationale fut véritablement sonné le 29 juin 2013 à travers une marche-meeting organisé par le CFOP (Chef de File de L’opposition Politique) et qui a drainé des centaines de milliers de manifestants dans plusieurs villes du Burkina. Pendant ce temps, l’autre camp, le parti au pouvoir CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès)  multipliait également ses sorties pour la mise en place effective de ce Sénat.  Ses militants seront aussi dans la rue le 6 juillet 2013 : bien qu’initialement présentée comme une marche « pour la paix sociale », la manifestation, à en croire les pancartes, visait avant tout à réitérer leur attachement à la mise en place du Sénat et leur volonté de voir modifier l’article 37 afin  de permettre à Blaise Compaoré de se représenter en 2015. Le défi était donc lancé.

Un mois après la première marche, le 28 juillet 2013, l’opposition réunie au CFOP revient à la charge. Elle a le soutien de la grande majorité des structures de la société civile qui oppose également un refus catégorique à la mise en place du Sénat et surtout aux velléités de modification de l’article 37. Forte de ce soutien de toutes les forces hostiles « aux manœuvres du régime en place », une grande marche-meeting est organisée sur toute l’étendue du territoire nationale. Elle mobilise plus que la précédente et l’opposition prend plus de confiance, s’organise et renforce l’EMCP (l’Etat-Major Permanent de Crise). Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition politique, multiplie les sorties et appelle la population à rester mobilisée. Contre toute attente, le 30 juillet 2013, le président du Faso déclare depuis Yamoussoukro qu’« une marche n’a jamais changé une loi ». Le climat politique se crispe, son « manque de culture » est dénoncé, les déclarations fusent de partout.

Quelques mois après cette déclaration hasardeuse, le chef de l’Etat « dans sa quête de paix et de cohésion sociale » entame des échanges avec le corps religieux. Cette carte sera aussitôt grillée. L’église catholique réitère son refus à la mise en place du Sénat. Les autres composantes se trouvent profondément divisées par la question. Une tentative de semer la division au sein des différentes confessions religieuses est dénoncée. Le secrétaire exécutif national du CDP (SEN) Assimi Koanda est hué à la grande mosquée de Ouagadougou. C’est dans cette confusion générale que le chef de l’État suspend le processus de mise en place du Sénat en commandant un « rapport d’étape circonstancié sur le processus d’opérationnalisation du Sénat ». Cette « reculade » est perçue comme une « demi-victoire » par le camp adverse : le régime vient de démontrer, contrairement à la déclaration de Yamoussoukro, qu’il n’est pas aussi sûr de ses forces. Malgré tout, chaque partie multiplie les rencontres avec sa base. La presse et les réseaux sociaux deviennent le centre d’expression des opinions.  Tout semble pourtant calme pendant quelques semaines, jusqu’à ce que Blaise Compaoré lâche ces mots à la presse « le Sénat sera bel et bien mis en place » et «la constitution n’interdit pas de modifier l’article 37 ». C’était le 12 décembre 2013 à Dori lors des festivités des 53 ans de l’indépendance du Burkina Faso.

Les opposants sortent de nouveaux de leur sommeil temporaire, la société civile aussi. Lors de la commémoration le 13 décembre 2013 du quinzième anniversaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, les responsables du Balai Citoyen affirment reprendre la lutte après les fêtes. 2014 s’annonce donc être l’année de toutes les tensions avant « l’assaut final » en 2015, avec les élections. Le CDP se prépare lui aussi, et la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC), qui regroupe les soutiens du Président, n’est pas en reste. Mais la grande surprise viendra à nouveau du régime en place, au début du mois de janvier.

Cascade de démissions au CDP

5 janvier 2014,  coup de tonnerre dans le paysage politique national. Le parti au pouvoir est secoué d’hémorragie. 3 gros bonnets viennent de quitter le navire emportant dans leur mouvement 72 autres de leurs camarades. Il s’agit de  Roch Marc Christian Kaboré (ancien président de l’Assemblée nationale de 2002 à 2012), Simon Compaoré (ancien maire de Ouagadougou de 1995 à 2012) et Salif Diallo (ex-conseiller spécial de Blaise Compaoré et ancien ministre d’Etat, ministre de l’agriculture). C’est à travers une déclaration  rendue publique le 4 janvier et adressée au secrétariat exécutif national (SEN) du parti  qu’ils ont égrené leurs griefs. « Par les violations répétées de ses textes fondamentaux, la caporalisation de ses organes et instances, les méthodes de gestions fondées sur l’exclusion, la délation, les intrigues, l’hypocrisie, la coterie, vous êtes parvenu, en si peu de temps, à vider cette plateforme fondatrice de son contenu initial, et à liquider les nombreux acquis chèrement conquis par le travail inlassable de ses militants » pouvait-on lire dès le deuxième paragraphe. Aussi ils affirment assister à des « tentatives d’imposer la mise en place du sénat aux forceps et à des velléités de réviser la constitution dans le but de sauter le verrou des limitations du mandat présidentiel dans un contexte où le peuple est profondément divisé » avant de conclure en annonçant leur « démission du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP)».

En réponse à cette déclaration, le SEN du CDP rétorque en qualifiant ces démissions de « non évènement » et en qualifiant les auteurs de traitres, de spécialistes en intrigues et manœuvres de déstabilisations etc. Les conflits internes de ce parti étaient un secret de polichinelle et les risques d’implosion étaient plus ou moins prévisibles. En effet, en 2009 déjà Salif Diallo dénonçait dans une interview accordée à L’Observateur Paalga la patrimonialisation du pouvoir, toute chose qui lui a valu une exclusion du bureau politique national du parti alors présidé par Rock Marc Christian Kaboré. Quelques années plus tard, en mars 2012, lors du congrès du parti, nouveau coup d’éclat. Plusieurs cadres historiques dont Rock Mark Christian Kaboré, Simon Compaoré sont débarqués des instances dirigeantes. Juste après cette douche froide, aux élections législatives et municipales couplées du 2 décembre de la même année, ces derniers sont aussi écartés des différentes listes bien qu’ils sont des figures emblématiques dans leurs localités respectives voire au plan national. Alors qu’un malaise profond était perceptible au sein de ce parti, les nouveaux « patrons » du parti dirigé par Assimi Koanda arguent de la nécessité du rajeunissement comme argument.

Ainsi, à l’image des refondateurs et d’autres anciens camarades comme Zéphirin Diabré, Ablassé Ouédraogo qui animent l’opposition, ils ont eux aussi claqué la porte de ce « méga »-parti qu’ils ont construit de toutes pièces. Au-delà des déclarations et autres clashs par presse interposée avec leurs camarades d’hier, les nouveaux opposants ont entamé leur initiation le 18 janvier dernier lors de la grande marche nationale contre le Sénat, la modification de l’article 37 et la politique générale du gouvernement. Ce 25 janvier, ils ont procédé à la création de leur nouveau parti, le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) dont Roch Marc Christian Kaboré préside aux destinés.  Toutefois, la question de leur crédibilité et sincérité fait débat. Ce qui est certain, des choses se préparent ; seuls les oracles politiques pourraient prédire l’avenir au pays des hommes intègres.

 Ismaël Compaoré et Noraogo Nabi

 

Cette diaspora qui vote

Terangaweb_Vote DiasporaLe terme « diaspora » définit une communauté constituée par la dispersion d’individus ayant le même pays d’origine. Ceux-ci peuvent être des réfugiés, ayant été poussés à quitter leur pays en raison d’une guerre civile, d’une instabilité économique ou d’un environnement socio-politique précaire. Dans d’autres cas, ces individus ont tout simplement plié bagages pour leurs études ou leur travail et ont décidé de rester à l’étranger. Sans nul doute, la globalisation a aussi favorisé l’évolution exponentielle de cette communauté à travers le monde. Aussi réduit que leur nombre puisse être, ces personnes jouent toutefois un rôle non-négligeable dans la vie économique de leur pays d’origine et réclament de plus en plus à ce qu’on leur accorde le droit de vote dans les élections qui se tiennent chez eux. En Afrique, ce continent qui détient un fort pourcentage d’émigrés, la question du droit de vote à l’étranger a été soulevée à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, c’est plus de 28 pays africains qui accordent ce droit universel à leurs ressortissants vivant à l’extérieur de la nation. Il semble manifestement qu’un changement soit en marche.

Petite histoire du droit de vote de la diaspora

Le droit de vote pour la diaspora semblerait avoir été introduit pour la première fois par l’empereur romain Auguste afin que les membres du Sénat, alors répartis dans 28 colonies différentes, puissent donner leurs voix durant les élections des bureaux de la cité de Rome. Ainsi, leurs votes avaient été scellés et envoyés sous forme de cachets. Plus récemment, en 1862, l’Etat du Wisconsin aux Etats-Unis, a été le premier en Amérique à permettre aux soldats engagés dans la Guerre de Sécession de voter à l’extérieur. En 1902, l’Australie adoptait aussi une clause accordant le droit de vote à ses ressortissants à l’étranger. Concernant le milieu francophone, la France a introduit une loi pour le vote à l’extérieur, en 1924. Cependant, il a été interdit, en 1975, de le faire sous forme postale, pour cause de suspicion de fraude.

Le système législatif relatif au droit de vote à l’étranger a souvent été transmis d’une puissance coloniale à ses colonies ayant nouvellement gagné leur indépendance. C’est l’exemple notamment du Gabon et de la Guinée-Conakry qui ont adopté les mêmes réglementations que celle de la France. Notons que cette dernière  autorise ses ressortissants à voter dans ses principaux lieux de représentation diplomatique, à savoir les ambassades et les consulats, lors d’élections présidentielles ou référendums.

Au Mali, c’est la Conférence Nationale de 1991 qui a mené à l’autorisation du vote de la diaspora. Il s’agissait non seulement de mettre un trait sur les 25 ans de dictature du régime du Général Moussa Traoré, mais aussi de rétablir la démocratie en s'appuyant sur le pluralisme politique et d’intégrer les Maliens de l’extérieur dans les processus électoraux. La majorité d’entre eux s’étaient réfugiés en Côte d’Ivoire, en France ou au Sénégal. La création d’un Ministère des Affaires Etrangères et des Maliens de l’Extérieur a donc été très bien reçue et cette même année-là, une loi autorisant le vote de la diaspora parachevait la transition.

Qui plus est, l’inclusion de citoyens vivant à l’étranger était souvent considérée comme un élément clé dans la construction d’une nation. Ceci fut le cas de la Namibie, en 1989, et de l’Afrique du Sud, en 1994. En outre, pour inciter leurs ressortissants à investir, les Etats développent de plus en plus des outils institutionnels spéciaux.

Quels enjeux ?

Le vote de la diaspora a évidemment des enjeux différents, en fonction du contexte et du pays où on se situe. Tout d’abord, il faut considérer un fait important : bien que présenté comme une question de principe, l’adoption d’une loi pour le droit de vote à l’étranger est souvent née d’intérêts politiques qui ont suscité la controverse et/ou ont été jugés de partisans. Cependant, le concept même de vote est étroitement lié à celui de la citoyenneté et chaque Etat est libre de mettre en place la législation de son choix pour en réguler les mécanismes. De plus, le droit de vote à l’étranger s’est inscrit dans un processus mondial de renforcement de la démocratie, comme il l’a été pour la globalisation culturelle, économique et sociale. Pour mieux cerner les enjeux du vote de la diaspora, il convient d’examiner plusieurs volets.

L’exercice du vote est essentiellement un droit civil et politique. En partant de cette idée, on peut comprendre qu’ôter ce droit à un citoyen reviendrait à le considérer comme ne faisant pas partie de la société. Aussi, permettre à ces citoyens de participer aux élections qui ont lieu dans leur pays, même s’ils n’y résident pas, inspirera la confiance. En effet, ceci prouvera la légitimité du régime au pouvoir et élèvera le niveau de démocratie du pays. Ils auront ainsi le droit de jouer leur rôle et de poser leur pierre dans la construction du futur de leur nation. On peut ici prendre l’exemple du référendum qui s’est tenu au Soudan en 2011. La diaspora soudanaise avait été autorisée à effectuer un vote pour trouver une solution adéquate concernant le conflit du Darfour.

Au niveau économique, il est indéniable que la diaspora tient une fonction essentielle. De l’étranger à leurs pays d’origine, des millions de citoyens transfèrent de l’argent à leur famille, contribuant ainsi au développement économique de leur nation. Ainsi, accorder à ces citoyens le droit de vote aura pour conséquence de les intégrer dans les affaires publiques de leurs pays. Qui plus est, s’ils participent activement au bien-être socio-économique de leur nation, ils devraient logiquement bénéficier des mêmes droits que leurs concitoyens résidents dans le pays d'origine. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2011, la diaspora kenyane a participé à plus de 5% dans le PIB kenyan. La même année, l’argent envoyé dans leur pays par les Ghanéens vivant à l’étranger s’élevait à 14,5 millions de dollars US et pour ce qui est de la diaspora sierra-léonaise, cette contribution atteint 148 millions de dollars US.

Au niveau social, on ne s’en rend peut-être pas compte mais les citoyens résidant à l’étranger ont une réelle influence sur leurs familles et ceci peut donc avoir des conséquences décisives. D’ailleurs, ce fut la raison pour laquelle, lors des élections présidentielles au Mali, en 2007, certains leaders politiques avaient entrepris une tournée dans les pays voisins où résident des ressortissants maliens. Notons que l’ensemble de la diaspora malienne représentait alors l’équivalent d’une région au Mali. De plus, en France, les militants de partis maliens s’étaient également activés à sensibiliser le plus possible leurs compatriotes, allant jusqu’à mettre des affiches et posters dans les rues de la banlieue parisienne. D’un autre côté, il faut aussi considérer que si les Etats accordent le droit de vote à leurs citoyens vivant à l’extérieur, et spécialement les étudiants et professionnels, c’est aussi et surtout pour éviter qu’ils abandonnent définitivement leur pays d’origine et pallier le phénomène de la fuite des cerveaux.

Mais, au fait, comment ça se passe ?

L’exercice du vote à l’étranger peut s’organiser de diverses manières. Certains pays n’en utilisent qu’une seule, tandis que d’autres en combinent plusieurs. Elles sont régulièrement divisées ainsi :

  • Le vote personnel : il se fait par la personne elle-même, c’est-à-dire, qu’elle doit se déplacer. Concernant le lieu, il s’agit généralement des ambassades et consulats, ou rarement, de bureaux de votes aménagés par les autorités compétentes.
  • Le vote postal : il est effectué dans un endroit désigné au préalable ou que le votant a lui-même choisi. Le vote se fait en présence d’un témoin capable de confirmer l’identité du votant et que ce dernier a exercé son droit sans aucune contrainte ni ingérence. Naturellement, la dernière démarche consiste à envoyer, par mail simple ou diplomatique, le bulletin de vote.
  • Le vote par procuration : comme son nom l’indique, dans ce cas-ci, le votant désigne un citoyen résidant dans son pays d’origine pour effectuer un vote en son nom le jour des élections.
  • Le vote par voie électronique ou e-voting : cette forme nouvellement utilisée, grâce à l’expansion des technologies de  l’information et de la communication, est sûrement l’avenir du vote de la diaspora car elle ne requiert aucun déplacement vers un bureau de vote. Bien que cette démarche ne soit pas encore pratiquée en Afrique, des pays comme l’Estonie et la Hollande l’applique déjà. Les votants ont tout simplement besoin d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou de n’importe quel autre support digital personnel.

Qui peut exercer ce droit ?

L’Organisation Internationale de la Migration (OIM) nous apprenait en 2005 qu’environ 190 millions de personnes vivent dans un pays différent de celui dont ils sont originaires. Ceci équivaut à 3% de la population mondiale. Ce chiffre frappant reflète le niveau d’importance et d’influence qui caractérise la diaspora. Selon l’Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Electorale, 115 pays dans le monde entier accordent le droit de vote à leurs ressortissants résidant à l’étranger. Et pourtant, seulement une trentaine de ceux-ci sont africains. Il s’agit entre autres de la Guinée, du Sénégal, du Tchad, de l’Ile Maurice, du Cap-Vert, du Ghana, du Lesotho, de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe, du Mozambique, de la Namibie, de la Centrafrique, du Botswana, du Togo, du Cameroun… Certains pays accordent ce droit à leurs citoyens en fonction de l’activité qu’ils pratiquent. Par exemple, au sein de la diaspora lesothane, seuls les citoyens devant remplir une mission officielle d’ordre diplomatique ou militaire ont le droit de voter. D’autres pays mettent plutôt l’accent sur le nombre d’années vécues à l’étranger. Nous pouvons ici nous intéresser au cas des Namibiens car il leur faut avoir passé au moins un an hors de leur pays avant de pouvoir s’inscrire comme électeur externe. Il est évident que toutes ces conditions donneront peu envie aux acteurs de la diaspora de s’engager dans la vie sociale, économique et politique de leurs nations respectives. En outre, il faut aussi insister sur le fait que tous les citoyens vivant à l’extérieur de leurs pays devraient être officiellement répertoriés afin de pouvoir mieux évaluer leur dimension et le degré de leur participation.

Même si certains Etats africains présentent de bons résultats concernant l’intégration de leurs citoyens résidant à l’étranger, il semble encore qu’il y en ait d’autres qui peinent à dépasser ce cap. Souhaiter que la diaspora participe économiquement au développement de son pays tout en la privant d’un de ses droits les plus légitimes est un non-sens révoltant. D’ailleurs, on parviendra difficilement à oublier les propos du président Mugabe, après avoir refusé de permettre à la diaspora zimbabwéenne de s’impliquer dans les élections de 2000 : « rentrez chez vous et votez ».  Il ne fait toutefois aucun doute que mettre en place un tel projet nécessiterait une réflexion collective et approfondie sur plusieurs facteurs tels que la faisabilité, la relation bilatérale entre le pays d’origine et le pays d’accueil ou la structure légale à adopter. Quoi qu’il en soit, le combat n’en est qu’à son début et le dynamisme du Nigéria ou du Kenya en ce sens annoncent clairement la donne : la diaspora africaine compte clairement se faire entendre !

 

Khadidiatou Cissé

3 ans après la révolution : les défis du nouveau gouvernement Tunisien

UntitledNous trouverons un chemin…ou nous en créerons un. C’est ce qu’aurait déclaré Hannibal lors de sa mythique traversée des Alpes.

2000 ans après le pari fou du général Carthaginois qui a menacé Rome, et 3 ans après la révolution de janvier 2011, la Tunisie est encore confronté à une crise multidimensionnelle dont elle a du mal à s’extraire.

Au-delà des difficultés à faire face à une situation sécuritaire tendue et à trouver un consensus politique pour préparer sereinement les prochaines élections, les défis socio-économiques du nouveau Premier Ministre tunisien sont immenses. Mehdi Jomaa, qui fût précédemment ministre de l’Industrie et qui a derrière lui une longue carrière dans le secteur privé, devra lui aussi savoir trouver un chemin pour redresser la situation, ou à défaut essayer d’en créer un…

Accompagner une reprise progressive de l’économie

On dit que la liberté n’a pas de prix. Mais elle a probablement un coût (économique).

Si la révolution de janvier 2011 a pu apporter la liberté d’expression, il est évident qu’elle a aussi eu des impacts négatifs (mais attendus) sur l’économie tunisienne et fragilisé ses perspectives d’évolution. Le secteur clé du tourisme a été durement affecté par l’instabilité politique et l’insécurité, réelle ou perçue.

En 2011, le taux de croissance a été négatif (-1,9%, d’après le FMI), avant d’enregistrer progressivement une reprise en 2012 (3,6%) et en 2013 (estimée entre 3 et 4% selon les premières prévisions).

Les difficultés conjoncturelles dues au contexte politique ne doivent cependant pas masquer les problèmes structurels auxquels l’économie tunisienne est confrontée depuis des décennies, caractérisée par un chômage élevé et une forte disparité régionale. Le phénomène des diplômés-chômeurs est particulièrement alarmant, avec un vrai paradoxe constaté dans certains secteurs: plus on étudie, moins on a de chance de trouver un emploi.

Résorber le chômage des jeunes

En raison des efforts investis dans l’éducation, le nombre de  diplômés sortants chaque année de  l’université a doublé ces dix dernières années.  Avec près de 800.000 chômeurs (sur une population de 10.8 millions d’habitants), le marché de l’emploi en Tunisie est donc en crise de manière prolongée, ce qui alimente la tension sociale et politique.

La création annoncée de 25.000 postes supplémentaires dans la fonction publique ne constitue qu’une goutte d’eau par rapport aux besoins de recrutement, et ne peut de toute façon pas représenter une solution envisageable à long terme.

Des mécanismes d’encouragement à l’emploi peuvent en revanche aider à résorber le déséquilibre, en particulier pour renforcer l’employabilité des jeunes (stages, formations supplémentaires…). Ceci pourrait s’accompagner d’une décentralisation des structures en charge de la régulation socio-économique, afin d’élaborer des stratégies liées à des bassins d’emploi locaux, établissant des tissus économiques basés sur les ressources et les potentialités propres à chaque région.

Ces mesures restent toutefois conditionnées par un consensus politique qui reste difficile à établir, et plus généralement par la disponibilité des moyens à engager par l’Etat, dont les ressources financières restent limitées.

Engager des réformes difficiles mais inévitables.

Si elle veut construire une économie prospère et durable, la Tunisie doit à la fois faire progresser son industrie dans la chaîne de valeur par l’encouragement de l’innovation et une hausse de la productivité, tout en soutenant le secteur des services en réduisant le poids de l’informel et la vulnérabilité aux chocs externes.

Pourtant, la situation des finances publiques est alarmante, et la Tunisie ne dispose pas, à la différence de ses voisins, de ressources en hydrocarbures capables d’assurer des revenus substantiels à injecter sur plusieurs années.

Le déficit budgétaire s’aggrave chaque année davantage. Il représente aujourd’hui 7 % du PIB et 20 % des charges de fonctionnement et d'investissement de l'État. Comme dans beaucoup de pays, l’Etat Tunisien vit au-dessus de ses moyens, mais il n’est pas certain qu’il puisse prolonger cette situation aussi bien que d’autres…

Une des réformes les plus sensibles concerne les subventions sur les carburants et les produits alimentaires de base (sucre, farine…). Le gouvernement Tunisien ne peut en aucun cas se permettre de les supprimer (ce qui serait intenable au niveau social) mais peut par contre instaurer progressivement un ciblage pour les orienter vers les populations défavorisées.

Ce principe théorique qui permettrait d’aider en priorité, et même davantage qu’actuellement, les plus nécessiteux devient aujourd’hui possible grâce aux nouvelles technologies et mettrait fin à des excès particulièrement couteux pour l’Etat. Ceci pourrait aussi permettre de réduire le trafic sur ces produits aux frontières.

Encourager une intégration régionale qui se fait attendre

Les échanges entre pays maghrébins représentent encore moins de 5% du commerce dans la région, un chiffre dérisoire et qui est de moins en moins acceptable en 2014 dans un contexte de mondialisation des échanges et d’intégration économique.  

Il n’y à priori aucune raison pour que le blocage institutionnel de l'Union du Maghreb Arabe en raison de la question du Sahara Occidental (qui se posait d’ailleurs déjà à la création de l’organisation en 1989 et n’en avait pas empêché les avancées), puisse nuire aux échanges entre la Tunisie et ses voisins, en particulier l’Algérie.

Le coût de la « non-intégration » s’élèverait chaque année à 1% ou 2% du PIB pour chacun des pays, ce qui est loin d’être négligeable compte tenu de la situation actuelle. La Tunisie pourrait en effet grandement bénéficier de conditions lui permettant d’exporter sa main d’œuvre qualifiée et ses produits, tout en améliorant sa compétitivité vis-à-vis de la rive Nord de la Méditerranée.

Son grand voisin de l’ouest, l’Algérie, dispose de ressources financières importantes et investit massivement dans ses infrastructures depuis plusieurs années, notamment dans l’Autoroute Est-Ouest qui traverse tout le nord du pays sur 1200 kilomètres. Assurer son prolongement vers Tunis (et plus tard vers Tripoli) dans le cadre d’une Autoroute Trans-Maghrebine pourrait non seulement faciliter les échanges entre les pays en réduisant le temps de transport, mais aussi représenter un symbole concret de l’unité nord-africaine.

N’oublions pas que c’est durant la crise des années 1930 que la mythique Route 66, reliant Chicago à Los Angeles, a été tracée. Elle n’a pas seulement permis de générer de l’emploi dans le cadre du New Deal mais aussi de créer des opportunités économiques sur plusieurs décennies, de favoriser la mobilité des populations, et de renforcer l’identité américaine au bénéfice d’un développement mutuellement bénéfique pour les différents Etats.   

Nacim KAID SLIMANE

Le défi de la sécurité humaine en Afrique

Nous continuons aujourd'hui notre série sur la sécurité en Afrique. Après le panorama de Vincent Rouget sur les conflits armés en 2013, Ndeye Debo Seck s'intéresse au concept de « sécurité humaine » et nous montre que les pouvoirs publics peinent encore à développer des politiques de protection des civils adéquates faces aux nouvelles menaces sécuritaires.

TW_Human SecurityLes défis qui se posent à la sécurité en Afrique sont énormes. Ils ont entre autres noms, sécurité alimentaire, mal-gouvernance,  criminalité, inégalités sociales, emploi des jeunes, faible couverture sociale, changement climatique. Véritables freins au développement économique, ils posent avec acuité le problème de la prise en charge des préoccupations et du bien-être des populations. Au-delà de la défense, de la sécurité publique et du maintien de la paix, une gestion transversale des questions de sécurité est cruciale pour les États et les populations africaines.

Des manquements à la sécurité des civils

En Afrique, la gestion de la sécurité se résume bien souvent à disposer de forces de police et de forces armées. Elles se distinguent notamment dans les opérations de maintien de la paix et la gestion des conflits. Toutefois, les foyers de tension restent vifs où la sécurité des populations civiles est mise en danger. Si la protection des biens et des personnes est en principe au cœur de leurs missions et rôles, parfois, ces forces de sécurité  manquent à leurs devoirs. Elles se distinguent ainsi par leur incapacité à faire face à des agressions.

Prises entre deux feux dans des conflits dont elles ignorent bien souvent les tenants et aboutissants,  les populations civiles paient toujours un lourd tribut. Ce sont à chaque fois des centaines de milliers de déplacés et de réfugiés qui fuient les zones de conflits pour échapper aux pillages, massacres et agressions sexuelles. Les chiffres des viols de masse devenus une véritable arme de guerre donnent froid dans le dos. Pendant le génocide rwandais, entre 300 000 et 500 000 femmes auraient été violées. Au Nord-Kivu, depuis 1996, 500 000 victimes âgées de 18 mois à plus de 60 ans ont été répertoriées.  A cela s’ajoute le phénomène des enfants soldats dans de nombreux pays comme l’Ouganda, la République Démocratique du Congo, la Somalie et le Soudan. D’après les estimations, au milieu des années 2000, près de 100 000 enfants soldats étaient actifs dans diverses zones de conflits, « certains âgés d'à peine neuf ans, étaient impliqués dans des conflits armés exposés à la violence voire à l’esclavage sexuel ».

Autrement, les forces de sécurité sont elles-mêmes impliquées dans des exactions.  En septembre 2009, 157 personnes sont tuées, des centaines blessées et de nombreux viols perpétrés par des « militaires » lors d’une manifestation contre la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la présidentielle guinéenne. En août 2012 à Marikana, en Afrique du Sud,  des policiers sud-africains tirent sur une foule de mineurs manifestant pour l’augmentation de leurs salaires. 34 d’entre eux sont tués et de nombreux blessés seront poursuivis pour meurtre et tentative de meurtre avant d’être libérés.

Protection civile et sécurité sociale

Face aux incendies, inondations, naufrages, effondrements d’édifices, ou encore explosions, les capacités de relèvement et de résilience des Etats sont souvent mises à rudes épreuves.  Ils peinent alors à établir des mécanismes viables pour prévenir ou atténuer les conséquences des accidents, catastrophes naturelles et désastres écologiques.

La nuit du 26 septembre 2002, vers 23 heures, le bateau Joola sombrait au large de la Gambie, faisant près de 2000 victimes. 64 personnes furent rescapées. Le bateau transportait bien plus que les 550 passagers réglementaires. Lors d’une conférence dans le cadre de la commémoration du naufrage, deux rescapés, Patrice Auvray et Ibrahima Ndaw, qui a perdu trois enfants, dénonçaient un « deuxième naufrage », notamment la lenteur dans la mobilisation des secours et la gestion calamiteuse du dossier des familles de victimes. En effet, les secours officiels ne sont arrivés que le lendemain dans l’après-midi. Une plainte a été déposée par des familles de victimes françaises en France sans que les responsabilités n’aient été situées.

Sur le plan de la sécurité alimentaire, à un an de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement, les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) sont alarmantes.  « L’Afrique ne pourra nourrir que la moitié de sa population d’ici à 2015 ». Pourtant, la sécurité alimentaire figure au rang des priorités et en 2003, les Etats africains s’étaient engagés à investir 10% de leur budget dans l’agriculture. Un engagement que seuls 10% d’entre eux ont tenu. En termes d’accès aux services sociaux de base, il est problématique dans la  majeure partie du continent. L’Organisation internationale du travail révèle que seule 5 % à 10 % de la population active bénéficie d’une couverture sociale en Afrique. Alors que près de 80% de la population n’a pas accès aux soins de santé de base. Les dépenses de santé ne représentent que 4,3 % du produit intérieur brut (PIB) des Etats du continent.  Le fossé est ainsi grand entre des pays comme la Guinée équatoriale où les dépenses de santé s’élevaient à 896 dollars par personne  en 2011 et la Centrafrique ou le Niger où elles ne dépassent pas 16 dollars par habitant.

La sécurité humaine en question 

Pour pallier les besoins colossaux en investissements, une prise en charge supranationale des questions sécuritaires est plus que nécessaire. C’est à cette gestion intégrée qu’appelle le concept de la sécurité humaine développé suite au rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Dans son chapitre « Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », le rapport recommande d’aller au-delà des mécanismes traditionnels de gestion de la sécurité et de prendre en compte la sûreté physique, le bien-être économique et social, le respect de la dignité humaine,  la protection des droits et libertés fondamentales. La sécurité est ainsi pensée par rapport aux conditions de vie des personnes, leur accès à l’emploi et à la santé, la stabilité politique et économique. Sur cette lancée, la Commission sur la Sécurité Humaine a été mise en place en 2000.

Quelle est la place de la sécurité humaine dans le dispositif sécuritaire des pays et institutions africains ? Quelle prise en charge  face à la résurgence de nouveaux défis tels que les effets adverses du Changement Climatique et l’urbanisation galopante ?

Il existe une volonté manifeste de prise en charge des questions de sécurité en Afrique. De nombreuses stratégies et plans ont été mis en œuvre pour prendre en charge la sécurité des biens et des personnes, le maintien de la paix, la sécurité maritime, la gestion de catastrophes naturelles et les changements climatiques. L’Union africaine dispose d’un Conseil de Paix et de Sécurité calqué sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU.  Le Protocole d’Accord sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération adopté en 2002, la Politique africaine commune de défense et de sécurité (PACDS) depuis 2004 et l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) sont autant d’instruments de mise en œuvre des mécanismes de veille et d’alerte pour apporter une réponse à la question de la paix et de la sécurité. Au niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de 1999 et le Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne gouvernance de 2001 servent de cadre à la promotion de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest.  La feuille de route Vision 2020 décline également la stratégie de la CEDEAO pour mettre en place «  une communauté intégrée, un marché commun dynamique, une monnaie unique » et aller au-delà des États, vers une CEDEAO des peuples.  Un atelier sur "la Sécurité humaine en Afrique de l'Ouest: défis, synergies et actions pour un agenda régional" a été tenu en mars 2006. L’atelier a identifié entre autres défis à la sécurité humaine, l’extrême pauvreté, la sécurité alimentaire, la gestion de l’environnement, la gouvernance, la protection et la justice sociales. Le rapport de synthèse recommande  la sécurité humaine et la Protection Sociale comme éthique de gouvernance démocratique et la mise à profit des instruments et institutions disponibles pour la collecte, l’analyse, et l’échange d’informations. La stratégie de développement de la BAD pour la période 2013-2022 a permis la mise en place du fonds, Africa50Fund pour favoriser le financement d’économies à faible émission de carbone et résilientes au changement climatique. Plus globalement, la stratégie entend favoriser une croissance inclusive et durable avec des financements dans des  secteurs tels que les énergies propres et renouvelables, l’accès à l’eau, aux soins de santé.

La formation en matière de gestion de la sécurité est également en pleine essor. Au Burkina Faso, un Institut supérieur d’études de protection civile (ISEPC) a été inauguré en octobre 2012. L’école à vocation régionale est entièrement dédiée à la formation des acteurs confrontés aux problématiques de protection civile dans les pays d'Afrique. Quelques pays disposent de la formation en actuariat et gestion de risques, notamment l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Côte d’ivoire et plus récemment le Sénégal. Elle est souvent incluse dans des cursus dévolus à la Statistique, à l'Économie Appliquée, à l’analyse d’information ou encore à l’analyse financière. Certains instituts proposent un module en prévoyance sociale. En termes de sécurité alimentaire, de protection sociale ou encore de protection civile, les stratégies de relance sont légion. ONG, bailleurs de fonds, société civile, et acteurs sont souvent mobilisés pour apporter des réponses par une gestion intégrée des questions de sécurité alimentaire et de développement durable.

Des actions qui peuvent augurer de lendemains meilleurs pour la sécurité à l’échelle du continent. Reste pour les autorités et les acteurs du secteur à susciter la vocation chez les jeunes étudiants et à se doter des moyens de leurs ambitions par des actions concertées et planifiées et une  distribution idoines des ressources.

Ndèye Débo Seck

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