Au Burkina Faso, Blaise Compaoré cherche une présidence à vie

JPG_BurkinaFaso250614La question des limitations de mandats présidentiels, plus d’un demi-siècle après les indépendances, reste plus que jamais au cœur des débats africains. Des tripatouillages et des tentatives de tripatouillages constitutionnels, orchestrés par des présidents « véreux » et avides de pouvoir sont régulièrement constatés sur le continent.  Blaise Compaoré, après avoir passé plus d’un quart de siècle (27 ans) à la tête du Pays des Hommes Intègres, veut récidiver et tient mordicus à un passage en force pour être éligible aux futures élections présidentielles de 2015.

Un climat politique délétère

Le Burkina Faso est à la croisée des chemins, à quelques mois d’une des plus importantes élections présidentielles de son histoire. Et pour cause, Blaise Compaoré veut tenter un passage en force pour se maintenir à la tête de l’État, malgré l’interdiction formelle de se représenter que lui impose  l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Sa machine de séduction du peuple est déjà en marche, dévoilant ainsi ses intentions et moyens. Sa tournée dans le centre-ouest, les 9 et 10 mai dernier, est révélatrice de cet état de fait. Son objectif est de s’éterniser au pouvoir et sa campagne électorale est déjà officieusement lancée.

 Jeu de dupe et stratégies malsaines ?

Depuis quelques mois le président du Faso est en quête d’un moyen salvateur qui puisse lui permettre de briguer un nouveau mandat pour les cinq prochaines années. Son camp, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et autres soutiens ne cessent de multiplier les tentatives et stratégies pour parvenir à leur fin. Cette attitude, digne d’un « monarque constitutionnel», représente une atteinte grave à la démocratie. Sa dernière trouvaille, l’idée d’un référendum, agite la classe politique, la société civile et l’ensemble du peuple burkinabè. Et pourtant, aucun Burkinabè n’est bloqué par le verrou de l’article 37 de la Constitution à part le président. Le référendum ne concerne donc que lui, et lui seul cherche un « lenga » (bonus) présidentiel exposant du coup tout le peuple à des risques d’une crise.

La phase d’affrontement passif bat son plein

Les prémisses d’une situation de crise sont perceptibles au Burkina Faso. Pro- et anti-référendum accentuent les actions, s’affrontent par articles de presse et meetings interposés, ouvrant une lucarne sur ce que 2015 sera. Des fronts de refus naissent sur le plan national et international pour le contrecarrer. L’opposition politique réunie derrière Zéphirin Diabré, le Chef de file de l’opposition politique (CFOP) a lancé officiellement le sien le 31 mai dernier au Stade du 4 août de Ouagadougou lors d’un meeting de protestation contre un éventuel référendum sur l’Article 37 de la constitution. C’est devant un public immense que le CFOP a lancé officiellement les Comités Contre le Référendum (CCR). A Bobo-Dioulasso, ce fut le même son de cloche ce 14 juin au stade Omnisport Sangoulé Lamizana, mais avec moins de succès. En effet, la jeunesse du CDP/Houet organisait aussi au même moment un meeting pour « saper les efforts de l’opposition » et aurait « marchandé des gens avec de l’argent et des tee-shirts » pour leur participation. Rien d’étonnant, sous le règne Compaoré, car cela semble être une « marque de fabrique » à toute activité de mobilisation du CDP.  Le Balai Citoyen et d’autres structures de la société civile, à travers des conférences publiques, des meetings, des  concerts pédagogiques etc. lancent également la sonnette d’alarme et s’opposent farouchement à ce projet de modification de l’article 37. Sur les réseaux sociaux un front contre le référendum est né.

Les partisans du référendum multiplient également les mobilisations. Le 21 juin, au Stade du 4 août de Ouagadougou, le CDP organisait un meeting pour exhorter Blaise Compaoré à convoquer officiellement le référendum. La tension est montée d’un cran et chaque camp se prépare d’avantage, l’étape d’observation se poursuit, mais, jusqu’à quand ?

Ce qui est certain, ce jour n’est plus loin. Bien malin qui saura prédire les prochains mois au Burkina.

Ismaël COMPAORE 

Quand la terreur s’appelle Boko Haram

JPG_BokoHaram_110614Effroi, indignation et incompréhension. Tels sont les sentiments qui règnent lorsque le nom du groupe islamiste nigérian Boko Haram est mentionné dans les médias. Considéré comme une secte ou un mouvement terroriste à doctrine essentiellement anti-occidentale, Boko Haram semble aujourd’hui invincible. Ses sévices font trembler le géant économique africain, des régions du nord jusqu’au cœur de la capitale, Abuja. De 2002 à 2014, le nombre de victimes n’a cessé de croître et la fragilité inquiétante de l’armée et du gouvernement nigérians n’en rendent pas la situation moins complexe. 

Là où tout a commencé

Boko Haram n’est certainement pas le premier groupe à s’être inscrit dans la mouvance islamiste au Nigéria. L’islamisme radical au Nigéria a émergé à partir des années 1970, avec notamment le mouvement de Muhammad Marwa (« Maitatsine »),  un jeune prédicateur du nord-est du Nigéria. Cependant, ces groupes, fortement combattus par l’armée nigériane ont été amenés à se dissoudre dans les années 1980, provoquant de ce fait l’éparpillement de leurs adeptes. En 2000, l’un d’entre eux commence à se démarquer des autres et attire tout particulièrement l’attention : Mohammed Yusuf, un théologien formé en Arabie Saoudite. Ce radicaliste pose les bases de Boko Haram et se présentera désormais comme en étant le chef spirituel. Jusqu’ici, niveau idéologique, rien ne change : le groupe prétend combattre l’école occidentale – ce qui renvoie directement à la traduction de Boko Haram en haoussa : « l’école occidentale est un péché » -, la mixité des sexes, l’instruction des femmes, la corruption des valeurs traditionnelles et le relâchement des mœurs. Notons qu’avant tout, le groupe réclame l’instauration d’un Etat islamique dans le Nord du Nigéria. Pour mieux comprendre les conditions de la naissance de Boko Haram, il faudrait encore aller chercher plus loin. Manifestement, le mouvement serait né d’un sentiment de mise à l’écart et de marginalisation vis-à-vis du reste du pays, et surtout du sud (majoritairement chrétien). C’est en dénonçant la corruption et les abus policiers que Boko Haram gagne le plus de fidèles. Au début des années 2000, le groupe recrute de plus en plus de membres, tous estimant avoir été abandonnés par les élites politiques locales et nationales, le pouvoir central et les policiers fédéraux. 

A partir de 2003, le gouvernement nigérian commence une bataille sans merci contre Boko Haram. Ainsi, cette année-là, le fief de Mohammed Yusuf à Maiduguri, dans l’État de Borno, est attaqué par la police d’Etat. La secte se réfugie donc dans l’Etat de Yobe, près de la frontière nigérienne ; son chef spirituel y implante une école qui attire principalement des analphabètes et des élèves coraniques mais aussi des personnes très cultivées. Il faudra attendre six ans, en juillet 2009, pour que le destin de Boko Haram prenne un autre tournant. Le groupe lance une violente campagne contre les quartiers généraux de la police dans plusieurs villes du nord ; de violentes confrontations avec les forces de sécurité nigérianes s’en suivent pendant cinq jours. La répression militaire fait plus de 800 morts dont celle de l’instigateur du mouvement, Mohammed Yusuf (qui aurait été exécuté sommairement dans les bureaux de la police). Dès lors, le groupe se fragmente sur quatre États du Nord et ses militants prennent la fuite. Cette répression, tout en ayant particulièrement affaibli Boko Haram, aura eu pour effet de le rendre encore plus agressif et déterminé.

Effroyable ? Oui mais aussi instable…

Après la répression policière de 2009, Boko Haram tombe dans la clandestinité. Qui plus est, ses objectifs et le profil de ses victimes évoluent considérablement. La visée de ses membres n’est plus tant d’instaurer un Etat islamique dans le Nord que de déstabiliser le pays et défier les autorités locales : alors que ses ennemis avaient tout d’abord été les musulmans ne respectant pas la charia, Boko Haram se tourne vers la terreur indiscriminée contre les civils. Un nouvel homme prend également la tête du mouvement terroriste : Abubakar Shekau, connu pour ses positions extrémistes. Ce dernier, qui faisait notamment partie de l’entourage de Yusuf, s’exprime désormais à travers des vidéos, pour éviter d’être facilement repéré. Nourri par un sentiment de vengeance, Boko Haram peine à trouver une stratégie claire. Par ailleurs, les différentes factions du mouvement islamiste n’arrivent pas aisément à trouver un consensus et ne sont pas forcément animées par les mêmes motivations. Il est aujourd’hui difficile de mettre précisément le doigt sur ce que le mouvement terroriste veut. Ses sévices demeurent infâmes : attentats,  attaques d’églises, incendies, massacres d’étudiants dans leur sommeil,…

En juin 2011, le groupe attaque le siège de la police à Abuja; deux mois plus tard, un attentat est perpétré contre le siège des Nations Unies à Abuja. À la fin de 2011,  Boko Haram commence à cibler les Églises.  Les autorités nigérianes hésitent sur la réponse à adopter devant ces attaques, et tendent à privilégier une réponse militaire faite de répressions mal organisées, entrecoupées de quelques périodes de dialogue. L’armée se met à bombarder des villages suspectés d’héberger des membres de Boko Haram. Puis en mai 2013, un état d’urgence est appelé dans plusieurs Etats du Nord-Est du Nigéria. Quant au mouvement terroriste, il répond en rasant des villages entiers, soupçonnant les civils de tenir main forte à l’armée. La violence n’a donc plus de limites et, sans aucun doute, les civils demeurent les principales victimes de ces confrontations. Le 14 avril 2014, Boko Haram prouve à nouveau son pouvoir de nuisance en organisant un attentat à Abuja, le pire qu’ait connu la capitale fédérale (au moins 88 victimes). Le lendemain, le groupe kidnappe plus de 200 lycéennes dans leur dortoir à Chibok, dans l’État de Borno au nord-est du pays, suscitant une vive émotion au Nigéria et dans la communauté internationale

#BringBackOurGirls : indignation tardive

Autant le kidnapping des lycéennes est inadmissible, autant les circonstances dans lesquelles cet acte a été commis sont horribles. En effet, des hommes armés se sont présentés à l’internat du lycée de Chibok, à Borno et une fois sur place, ils ont mis le feu à plusieurs bâtiments avant de tuer un soldat et un policier. Se faisant passer pour des militaires venus sécuriser l’établissement, ils ont obligé les lycéennes à en sortir, les ont fait monter dans des camions et se sont dirigés directement dans la forêt de Sambisa, connue pour être un terrain abritant des camps de Boko Haram. Dans une vidéo diffusée le 5 mai, Abubakar Shekau reconnaît officiellement l’enlèvement des jeunes filles et déclare qu’il va les « vendre sur le marché ». Puis, dans une nouvelle vidéo, le 12 mai, il affirme les avoir converties et être prêt à les libérer à la seule condition qu’elles soient échangées contre des prisonniers détenus par le gouvernement. Une demande que les autorités nigérianes ont aussitôt refusé.

Une protestation mondiale, Bring Back Our Girls (« Ramenez nos filles ») a ainsi vu le jour sur les réseaux sociaux mais aussi à la télévision ou dans les rues. Le principe est assez enfantin : il suffit de se photographier avec une pancarte sur laquelle ce même message est inscrit et de poster la photo sur Facebook, Twitter, Instagram … Cette innovation a de nombreux partisans : de Michelle Obama, en passant par des acteurs américains à la petite amie du footballeur Cristiano Ronaldo ou de simples inconnus. Et pourtant : rien de nouveau sous le soleil. Boko Haram n’en est certainement pas à sa première attaque et des femmes kidnappées et/vendues, ce n’est pas ce qui manque dans l’histoire de l’humanité… D’où vient donc cet émoi tardif ? Et à qui peut-il bien s’adresser ? Il serait insensé de croire que les membres de Boko Haram puissent se laisser amadouer par ces photos, que le gouvernement nigérian puisse miraculeusement trouver une stratégie efficace pour retrouver ces filles ou encore que les fidèles à ce mouvement de masse entendent la récupération des lycéennes au moyen d’une mission sanglante, conduite par des forces secrètes. Il est certes indubitable que le geste est louable. Cependant, peut-il vraiment apporter une solution au calvaire des victimes ? Peut-on aujourd’hui se satisfaire d’aider son prochain en un clic ? La cause est grave et le réveil de l’opinion internationale rassurant, toutefois, une réflexion commune sur une issue pratique à cette situation semblerait plus à même de faire la différence.

Et maintenant ?

Des efforts ont été consentis par le gouvernement nigérian, après qu’il ait été fortement critiqué pour son inaction aux niveaux local et international. En effet, suite au refus d’échanger des otages contre des prisonniers, le président nigérian, Goodluck Jonathan, a appelé les familles ainsi que les forces de sécurité à une « coopération maximale » afin de retrouver au plus vite les victimes. La fédération a ainsi annoncé l’envoi de renforts militaires dans la zone de l’extrême Nord-Est pour lutter contre le groupe extrémiste. Cette mesure n’a pas pour autant freiné la multiplication des attentats au cours des dernières semaines, dont certains dans des villes bien plus au sud que le bastion traditionnel de Boko Haram au nord-est ; on pourra notamment citer ceux de Jos, Kano et Gamboru Ngala au cours des dernières semaines. On pourrait aussi se questionner sur le niet catégorique affiché par  le gouvernement nigérian vis-à-vis de potentielles négociations  mais ceci nous dirigerait inéluctablement vers une plus grande question : peut-on négocier avec des terroristes ? L’enjeu est de taille : refuser, c’est allonger le calvaire des otages, tandis qu’accepter, c’est accorder à ces individus une légitimité politique dont ils ne sont pas dignes.  Le fait est que les acteurs sont partagés, au sein même de la fédération. Celle-ci est sujette à de nombreuses tensions et une course féroce pour le pouvoir, vu la richesse en ressources naturelles et tout particulièrement pétrolifères du pays. Ceci implique une désunion or, pour combattre leur ennemi commun, Boko Haram en l’occurrence, une seule et même direction est impérative.

A l’échelle internationale, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni mais aussi Israël et la Chine ont offert leur aide, dépêchant leurs experts sur les lieux. La porte-parole de la diplomatie américaine, Marie Harf, a néanmoins déclaré que « beaucoup d’entre elles ont probablement été déplacées hors du pays, vers des pays voisins ». Le sommet de Paris, convoqué par le président français François Hollande, s’est donc parfaitement inscrit dans le cadre de cette coopération internationale, invitant les pays voisins à y participer dans le but de trouver une solution sur le plan régional. Les jeunes filles étant toujours difficiles à localiser, malgré les déclarations du chef de l’armée de l’air faites le 26 mai 2014, un dialogue s’impose bel et bien pour les retrouver. Répressions violentes et brutales dirigées par l’armée nigériane n’auront pour effet que d’attiser la haine de Boko Haram ; or, il s’agit ici de la vie de lycéennes innocentes. Selon le think-tank International Crisis Group, le gouvernement nigérian, pour relever ce défi, doit absolument développer et adopter des stratégies plus complètes pour réinstaller la sécurité dans le pays mais surtout dans le but d’une réelle réconciliation. Ainsi, par l’intermédiaire de l’ancien président, Olusegun Obasanjo, des contacts ont été établis entre Boko Haram et les autorités nigérianes. On peut imaginer que le pire cauchemar d’un otage puisse être de voir le lien de communication entre ses bourreaux et les autorités de son pays rompu. Comme le disait le religieux anglican de nationalité britannique et ancien otage au Liban, Terry Waite, « aucun soulèvement ou mouvement terroriste n’a été vaincu par la guerre ou la violence ». Pour agir ensemble et plus efficacement, les acteurs concernés, aux niveaux fédéral ou étatique, doivent prendre conscience que ce problème a plusieurs dimensions, toutes aussi délicates les unes que les autres : politique, sociale et économique. Il s’agira de prouver que le Nigéria, ce géant aux pieds d’argile, au-delà de sauver ces filles, est capable de restaurer le respect de la loi et de l’ordre par lui-même.

Khadidiatou Cissé

La démocratie de l’angoisse (2ème partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_Elections180614Dans la première partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en 2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel qui devra encadrer les processus électoraux.

 

Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs importants.

Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président Jonathan lui-même issu de cette région du South-South, et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011, alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que tous les précédents.

Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux. Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.

La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale. Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.

Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur d’apaisement relatif.

Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en 2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite d’incertitude politique sur l’après 2015. Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du temps.

Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays. Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.

Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer et crédibiliser des élections parfois très compétitives.

Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une forte implication technique internationale et un accord politique âprement négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013. La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution, rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.

On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se tromper, – qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible » ou « inexistant ».

Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats, et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.

Dr. Gilles Yabi

La démocratie de l’angoisse (1ère partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_WestAfrica040614C’est l’estomac noué et la gorge serrée que les citoyens de six pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprêtent à entrer dans une période électorale devenue synonyme, dans une trop grande partie du continent, de risque maximal de crise violente. Les premiers qui devraient être convoqués aux urnes sont les électeurs de Guinée Bissau où un scrutin présidentiel et des législatives censés tourner la page d’une période de transition sont prévus le 13 avril prochain. Dans ce pays lusophone, le seul de la région avec les îles du Cap-Vert, le calendrier électoral a été systématiquement perturbé depuis la démocratisation formelle au début des années 1990 par des coups de force militaires, des assassinats politiques et dernièrement par la mort naturelle du président. Mais c’est en 2015 que l’actualité électorale sera extraordinairement chargée.[1] Des élections présidentielles sont prévues au premier trimestre au Nigeria et au Togo, puis au dernier trimestre au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire.[2]
 
Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, les élections présidentielles à venir représentent un enjeu crucial pour la paix, la stabilité politique mais aussi pour le progrès économique et social. Si la région n’avait pas connu une série de crises violentes au cours des dix dernières années, les échéances de 2014-2015 auraient dû surtout servir de test pour la consolidation de la pratique et de la culture démocratiques dans chacun des pays concernés et, par là même, pour l’ensemble de cette région du continent. Cette question ne sera que secondaire autant pour les citoyens que pour les organisations régionales et internationales à l’approche des différents scrutins présidentiels. La préoccupation première sera celle d’éviter que ces moments censés incarner la vitalité démocratique ne se transforment en périodes d’explosion de violences, ou pire, de basculement dans des conflits armés. Au regard des évènements politiques et sécuritaires des dernières années, ces craintes sont légitimes.
 
Mais quelle est l’ampleur des risques associés à chacune des élections présidentielles à venir dans la région ? Où sont-ils les plus importants ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois éléments d’appréciation méritent d’être mobilisés: ce qu’on pourrait appeler l’intensité anticipée de la compétition présidentielle, le contexte sécuritaire général du pays et le cadre institutionnel appelé à régenter le processus électoral. Anticiper l’intensité de la compétition pour la fonction présidentielle revient à s’interroger, dans chaque pays, sur les chances que le scrutin soit ouvert et qu’il n’y ait pas de candidat quasiment sûr de gagner bien avant l’échéance. Classer les pays en fonction de ce premier critère n’est pas si simple, alors qu’on ne connaît pas encore avec certitude qui seront les candidats en course pour chacune des élections présidentielles.
 
En Guinée Bissau, le scrutin doit mettre fin à une situation d’exception née d’un coup d’Etat…contre un Premier ministre qui était en passe de devenir président, Carlos Gomes Júnior. Organisée en avril 2012, la dernière élection présidentielle s’était arrêtée entre les deux tours. Gomes Júnior, largement en avance à l’issue du premier tour, avait été brutalement sorti du jeu par les chefs militaires du pays qui lui étaient résolument hostiles. L’ancien Premier ministre reste en 2014 un acteur politique influent mais contraint à l’exil d’abord au Portugal et désormais au Cap-Vert, toujours considéré inacceptable pour la hiérarchie militaire et peut-être pour des acteurs régionaux importants, on ne voit pas comment il pourrait rentrer dans son pays en sécurité et se présenter à nouveau à une élection présidentielle. Il a sollicité l’investiture de son parti, le PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), mais le choix de ce dernier s’est porté le 2 mars sur l’ancien ministre des Finances et ancien maire de la capitale, José Mário Vaz.
 
Le PAIGC, qui continue à bénéficier de son statut historique de  parti ayant conduit la lutte armée pour l’indépendance des deux anciennes colonies portugaises d’Afrique de l’Ouest, reste la force politique dominante dans le pays malgré ses divisions internes. Il partira favori pour les élections législatives, face au PRS (Partido para a Renovação Social, Parti pour la rénovation sociale), également divisé, et aux autres partis plus petits. La compétition pour le fauteuil présidentiel devrait être plus ouverte en raison notamment de quelques candidatures indépendantes susceptibles de séduire un électorat désorienté par les luttes politiques partisanes. Mais le plus dur en Guinée Bissau n’est pas toujours de doter le pays d’un président démocratiquement élu. C’est de lui garantir de bonnes chances de survie politique et physique jusqu’à la fin de son mandat, surtout s’il lui venait à l’esprit de toucher aux intérêts des chefs militaires et/ou des alliés locaux des réseaux internationaux de trafic de drogue actifs dans ce pays et dans toute l’Afrique de l’Ouest.
 
Au Nigeria non plus, on ne sait pas encore avec certitude qui sera candidat, mais l’attention se concentre sur les intentions du président sortant Goodluck Jonathan. Evoquant un principe non écrit de rotation entre candidats nordistes et sudistes désignés par le PDP (People’s Democratic Party, Parti démocratique du peuple), parti au pouvoir depuis le retour à la démocratie en 1999, nombreux sont ceux qui s’opposent à une nouvelle candidature du président actuel. Vice-président en 2007, Jonathan avait hérité du poste de président après le décès de Umaru Yar’Adua en 2010 avant de se faire élire en 2011 pour un premier mandat plein de quatre ans. Les défections de personnalités très influentes du PDP se sont multipliées ces derniers mois et elles continuent, affaiblissant le camp du président.
 
L’opposition au PDP semble par ailleurs n’avoir jamais été aussi forte, en raison de la fusion en février 2013 de quatre partis importants dans une grande formation, l’APC (All Progressives Congress, Congrès de tous les progressistes) qui est aussi bien implanté que le parti au pouvoir dans tous les Etats de la fédération. Les moyens financiers, déterminants dans la bataille électorale colossale qui se profile, ne manqueront pas d’un côté comme de l’autre, même si le camp au pouvoir dans cette puissance pétrolière qu’est le Nigeria disposera inévitablement d’un avantage certain en la matière. La compétition sera selon toute probabilité très intense. Elle le sera dans tous les cas, y compris dans l’hypothèse très improbable d’un retrait du président sortant de la course à l’investiture du PDP, et quel que soit le candidat qui sera choisi par l’APC. Ce choix ne sera pas aisé et pourrait provoquer des failles dans l’unité affichée jusque-là par le nouveau grand parti d’opposition.
 
Les Togolais devraient, comme les Nigérians, aller aux urnes au premier trimestre 2015. Le président sortant Faure Gnassingbé, élu dans des circonstances controversées et violentes en 2005 après la mort naturelle de son père, Eyadema Gnassingbé, puis réélu en 2010, pourra se porter candidat une troisième fois sans avoir à faire modifier la Constitution en vigueur. Depuis le retour forcé à un système démocratique formel, le pouvoir togolais n’a pas arrêté de jouer avec la disposition de limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. En 2002, une révision constitutionnelle avait non seulement supprimé cette disposition mais elle avait également consacré le principe d’une élection présidentielle à un seul tour. Malgré les recommandations d’un accord politique global signé en 2006 et les demandes répétées de l’opposition, les dispositions actuelles de la Constitution et du code électoral restent très favorables à une tranquille pérennité du régime du président Gnassingbé. Le parti présidentiel UNIR (Union pour la République) dispose d’une majorité absolue au Parlement et s’assurera que rien ne soit entrepris pour réduire les chances de victoire de son chef en 2015. Par ailleurs, la machine sécuritaire au service du pouvoir et l’insuffisante coordination des forces politiques de l’opposition ne militent pas pour l’instant en faveur d’une compétition électorale ouverte et intense pouvant déboucher sur une alternance politique réelle dans un pays qui n’en a pas connue depuis le coup d’Etat d’Eyadema Gnassingbé en… 1967.
 
Au Burkina Faso, il n’y a même pas eu d’alternance générationnelle comme ce fut le cas au Togo en 2005. Au pouvoir depuis octobre 1987, Blaise Compaoré devrait avoir passé 28 ans à la tête de l’Etat au moment de l’élection présidentielle de 2015. La Constitution limitant le nombre de mandats successifs à deux, le président ne pourra être candidat qu’à condition de réussir à faire passer une nouvelle révision de la loi fondamentale dans les mois à venir. Cette intention ne faisant plus de doute, la mobilisation des adversaires à une énième manœuvre visant à prolonger le règne du président Compaoré a commencé à Ouagadougou. Elle a même affaibli le pouvoir beaucoup plus rapidement qu’on ne pouvait le prévoir, un large groupe de personnalités de poids du parti présidentiel, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) qui ont toujours soutenu Compaoré, ayant décidé de quitter le navire pour rejoindre en janvier dernier le camp des adversaires de toute révision constitutionnelle.
Le Burkina Faso est de fait déjà entré dans une période  tendue et cela devrait durer jusqu’à ce que le pouvoir décide de renoncer à toute modification constitutionnelle ou choisisse de convoquer un référendum sur cette question. Dans ce dernier cas, de fortes contestations sociopolitiques seront inévitables et leurs conséquences incertaines. La compétition  électorale en 2015 sera forcément intense. Dans l’hypothèse où Compaoré renoncerait à prétendre à un nouveau mandat, la compétition devrait être très ouverte. Elle pourrait juste être moins tendue et explosive qu’en cas de candidature du président sortant.
 
En Guinée, le président Alpha Condé devrait être candidat en 2015 pour un second et dernier mandat. Pas d’obstacle légal à contourner. Il devrait par contre faire face à des rivaux politiques organisés, déterminés et capables de le priver d’un nouveau mandat. Arrivé au pouvoir en décembre 2010, au terme d’un scrutin laborieux et controversé, le président avait été largement distancé au premier tour par l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo avant de l’emporter au second. Les récentes élections législatives, elles-aussi organisées au forceps après une série de reports et grâce à une forte implication internationale, ont encore montré que le camp du président Condé n’était pas capable d’écraser l’opposition. Cette dernière, même éclatée en plusieurs pôles, a quasiment fait jeu égal avec le parti du président, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) et ses alliés.
 
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo reste une force politique significative qui, si elle s’allie à d’autres partis importants comme l’Union des forces républicaines (UFR) de Sydia Touré ou le PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) de Lansana Kouyaté, pourrait devenir majoritaire à l’occasion du second tour d’un scrutin présidentiel. Dans l’hypothèse, pour le moment improbable, d’une candidature unique de l’opposition, le président Condé serait particulièrement menacé par une défaite électorale, malgré les avantages habituels conséquents d’un président-candidat. Aucun doute n’est permis sur l’intensité de la bataille pour la présidence de la Guinée à la fin de l’année 2015. Elle  sera l’une des plus rudes de la région.
 
Au cours de ce même dernier trimestre 2015, les Ivoiriens seront eux-aussi convoqués aux urnes pour reconduire le président Alassane Ouattara ou choisir un nouveau chef d’Etat. Arrivé au pouvoir au terme d’une élection compétitive qui a dégénéré en conflit armé avec celui qui était le président sortant, Laurent Gbagbo, Ouattara a rapidement indiqué qu’il serait bien candidat à un second et ultime mandat. Si son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) sera à coup sûr uni derrière le président pour la future bataille électorale, le soutien franc et massif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié important et potentiellement décisif, n’est pas nécessairement acquis. Le scrutin ne sera pas gagné d’avance mais la faiblesse et le passif du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Gbagbo, détenu à la prison de la Cour pénale internationale aux Pays-Bas, sont tels que le président sortant devrait partir favori. Son bilan en termes de relance de l’économie ivoirienne et des mesures récentes allant enfin dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation nationale devraient aussi jouer en sa faveur. On peut anticiper une compétition présidentielle modérément intense dans un pays dont les électeurs ont encore à l’esprit le traumatisme postélectoral de 2010-2011.
 
Gilles Olakounlé Yabi
 
[1] L’autre élection présidentielle de l’année 2014, prévue en juin, aura lieu en Mauritanie, pays à cheval sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord qui s’est retiré de la CEDEAO en 2000.

[2] Dans la foulée, au début de l’année 2016, les électeurs du Niger et du Bénin seront à leur tour appelés aux urnes pour choisir leurs chefs d’Etat. Dans les deux pays, l’atmosphère politique est déjà marquée par de fortes tensions à plus de deux ans des échéances électorales. Le Cap-Vert, la Gambie puis le Ghana seront aussi concernés par les élections au second semestre 2016.

 

 

Quel serait l’impact de Boko Haram sur les prochaines élections au Nigéria?

imagesAu cours des dernières semaines, la bataille politique entre le People’s Democratic Party (PDP) et son rival de l'opposition, le All Progressives Congress (APC), a été largement reléguée au second plan au Nigeria. Au lieu de cela, tous les yeux sont fixés sur Boko Haram et la façon dont le gouvernement compte endiguer la menace.

Bien que le groupe militant islamiste n'ait pas réussi à attaquer des cibles de plus grande envergure depuis 2011 – quand il a bombardé le bâtiment des Nations Unies à Abuja et le siège de la Force de police du Nigeria – il a considérablement augmenté ses attaques sur des cibles moins sécurisés, en particulier sur des civils. Cette année seulement, Boko Haram aurait tué plus de 2.000 personnes; le mois dernier, il a bombardé une station de bus occupé sur les franges de la capitale; et il a toujours en otage plus de 200 écolières enlevées dans la ville de Chibok.

Boko Haram et les élections

Mis à part les conséquences profondément tragiques des activités violentes du groupe, les activités de Boko Haram pourraient également affecter l'environnement politique du Nigeria et le déroulement des prochaines élections en 2015 de diverses manières.

Pour commencer, la violence en cours dans le Nord-Est pourrait poser un risque grave pour la conduite même des élections générales. Beaucoup de personnes ont été déplacées, le conflit pourrait empêcher une population découragée d’aller voter, et l'instabilité pourrait tout simplement rendre logistiquement impossible pour les fonctionnaires électoraux d’accomplir leur travail. Il y a eu des appels en direction du gouvernement fédéral pour adopter une posture militariste et imposer l’état d'urgence ; mais pour l'instant le président Goodluck Jonathan a préféré prolonger l'état d'urgence de six mois.

Il peut avoir des raisons d'être prudent. Après tout, l'insécurité dans le Nord a également affecté la perception du président Jonathan parmi les électeurs. Son gouvernement a été sévèrement critiqué pour sa gestion de la situation sécuritaire et la côte de popularité du président est à un niveau historiquement bas de 49% . Ce mécontentement suggère qu'il pourrait faire face à des difficultés s’il envisage de se présenter à l’élection l'année prochaine ; une ambition qui le mettrait dans une situation précaire avec de nombreux personnages puissants des États du Nord. Déjà, sa décision de prolonger l’état d’urgence de six mois a été critiquée par certains leaders régionaux du fait que cette approche n’a produit aucun effet jusqu’à présent.

Plus généralement, les tensions régionales ont toujours été une partie inaliénable de la politique du Nigeria et ne va certainement pas disparaître à l'approche des élections. Au mieux, l'ethnicité et la religion feront tout simplement partie de la rhétorique dans les sables mouvants d'une année pré-électorale, et pourront en partie affecter le choix des électeurs. Au pire, cependant, les tensions religieuses et ethniques deviendront politisées et dégénéreront en violence, perturberont le processus électoral et de déstabiliseront l'équilibre politique et économique du pays.

En ce qui concerne l'économie, la localisation de l'insurrection dans le Nord-Est a largement épargnée l'économie nationale dans son ensemble. Certaines installations de télécommunications, et dans une moindre mesure des installations pétrolières et gazières, ont été attaquées dans le Nord, mais les plus grandes industries du Nigeria sont pour la plupart situées dans le sud. L'économie chancelante du Nord-Est se compose essentiellement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises qui ont effectivement subies les effets de l’insurrection. En outre, la nécessité d'augmenter les dépenses en matière de sécurité signifie qu'il y a encore moins de fonds publics disponibles pour l'exécution des projets d’infrastructure régionale et les programmes sociaux.

boko_haramLa lutte contre Boko Haram

Il est difficile de dire si le gouvernement nigérian pourra inverser la tendance de la violence avant les élections de 2015, prévues pour Février. Toutefois, le président Jonathan a déclaré aujourd'hui qu'il a ordonné une "guerre totale" contre Boko Haram et il a récemment accepté des offres d'assistance militaire des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine.

D'une part, il est généralement admis que la technologie et la connaissance des forces étrangères seront utiles, tandis que les troupes étrangères sont moins susceptibles d'être à risque d’une infiltration de Boko Haram. Mais dans le même temps, certains Nigérians craignent que l'aide occidentale ne viendrait pas sans un prix, et ce malaise a été accrue par le fait que certains partenaires aient annoncé que l’aide ne sera pas nécessairement limitée à la rescousse des filles Chibok enlevés. En outre, alors que l'intervention étrangère pourrait contribuer à certaines opérations, il reste à voir si elle sera capable d'inverser la tendance plus large de la violence et ses causes sous-jacentes.

En effet, il existe un réel besoin de solutions globales qui vont au-delà des offensives militaires. Étant donné que les opérations de l'armée ont souvent conduit à des pertes civiles, créant ainsi un sentiment d’insécurité de la part des populations face aux forces militaires, l’action militaire doit certainement être plus stratégique. Mais comme le conseiller à la sécurité nationale l’a souligné à juste titre, une approche plus souple est également nécessaire pour inverser le cours de la radicalisation. Typiquement, une réponse socio-économique à long terme qui s'attaque à la pauvreté, au chômage et les frustrations qui conduisent les groupes marginalisés à chercher des moyens violents est également cruciale.

Dans les prochains mois, alors que le pays se prépare pour les élections, la gestion de la menace Boko Haram sera déterminante. L'administration actuelle – les deux gouvernements et les gouvernements des États fédéraux – doit travailler avec l'opposition ainsi que des partenaires internationaux pour assurer que le processus démocratique ne soit pas entammé.

Un article de notre partenaire Think Africa Press, initialement paru en Anglais et traduit en Français par Georges Vivien Houngbonon

Élection présidentielle en Guinée-Bissau : Enfin le bout du tunnel ?

JPG_GuinéeBissau290514Le second tour de l’élection présidentielle en République de Guinée-Bissau, tenu le 18 mai dernier, a livré son verdict. Avec 62% des suffrages, José Mario Vaz a remporté face à Nuno Gomes Nabiam (38%) un scrutin qui vient couronner un énième processus de normalisation de la tumultueuse vie politique locale.

La République de Guinée Bissau a accédé à l’indépendance en 1973. Elle a connu une instabilité chronique, particulièrement depuis l’instauration du multipartisme au début des années 1990 : coups d’État et assassinats politiques ont rythmé sa marche vers la démocratie au cours des deux dernières décennies. Dans ce pays, en effet, aucun président élu n’a pu jusqu’ici terminer son mandat.

Le printemps démocratique que nombre de pays africains ont connu entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 a pourtant aussi été ressenti dans cette ancienne colonie portugaise. En effet João Bernardo Vieira, arrivé à la tête du pays en 1980 à la faveur d’un putsch, décide en 1989 d’opérer des réformes pour consacrer de plus grandes libertés au plan politique. Elles aboutiront, dès 1991, à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Les premières élections présidentielles et législatives sont organisées en 1994. Vieira bat au second tour l’universitaire et philosophe Kumba Yalà et devient le premier Président démocratiquement élu de Guinée Bissau. Il dirige le pays dans une relative stabilité pendant quatre ans avant d’être, en 1998, la cible d’une tentative de coup d’État qui plonge le pays dans une brève mais sanglante guerre civile.

L’armée sénégalaise interviendra pour barrer la route aux rebelles dirigés par le général Ansumane Mané par crainte de voir leur alliance avec les indépendantistes du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC) renforcer ces derniers qui tentent de faire sécession au sud du Sénégal. En mai 1999, les éléments de Mané finissent par prendre le pouvoir après que les militaires sénégalais se soient retirés. Vieira part en exil au Portugal. De nouvelles élections sont organisées par un pouvoir intérimaire et Kumba Yalà les remporte haut la main. Mais il est à son tour renversé en 2003. Après une transition de deux ans, le scrutin présidentiel de 2005 consacre le retour de Vieira au pouvoir. Il gouvernera encore le pays pendant quatre ans.

Le 1e mars 2009, le Chef d’état-major général de l’armée, Baptista Tagme Na Waie, est assassiné à la suite d’un attentat à la bombe. En représailles, des soldats se rendent, le lendemain, à la résidence officielle du Président Vieira et l’exécutent sans autre forme de procès. La présidentielle organisée la même année est remportée par Malam Bacai Sanhà qui décède au début de 2012, des suites d’une longue maladie provoquant du même coup une nouvelle période d’instabilité. Carlos Gomes Junior arrive en tête au premier tour des joutes électorales suivantes, tenues en mars 2012. Il est suivi de Kumba Yalà. Toutefois, les deux hommes n’auront pas l’occasion de s’affronter au second. Le coup d’Etat mené dans l’entre-deux tours, par le général Amadu Ture Kuruma, coupe court au dénouement de leur duel.

Pays classé au rang de narco-Etat

Autre phénomène qui ternit l’image de la Guinée Bissau, outre ces putschs à répétition, concerne le trafic international de stupéfiants. Depuis de nombreuses années, le pays est présenté comme une plaque tournante utilisée par les narcotrafiquants sud-américains pour faciliter l’acheminement de grandes cargaisons de drogues vers l’Europe et les Etats Unis.  Plusieurs sources attribuent d’ailleurs l’assassinat de Vieira à un règlement de compte organisé par des narcotrafiquants colombiens. Le contre-amiral Bubo Na Tchuto, ex-chef de la marine, considéré comme l’une des pièces maitresses de ce trafic, a été arrêté en avril 2013 avec six autres personnes dont deux Latino-Américains, puis envoyé dans une prison américaine. Il attend d’être jugé pour son rôle de premier plan dans ce réseau international.

Dans son rapport 2013 sur la criminalité transnationale organisée,  l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) révèle que la Guinée-Bissau fait partie d’un groupe de pays dont la valeur de la drogue qui transite sur le territoire est supérieure au budget militaire. Les experts de l’ONU affirment que cette situation favorise l’instabilité du pays, ternit son image et décourage les investisseurs. Son potentiel économique (un sous-sol riche en bauxite, phosphate et pétrole notamment) est ainsi largement sous-exploité.

Le scrutin de la rédemption

Après avoir vécu toutes ces péripéties, les Bissau-guinéens espèrent ouvrir un chapitre plus reluisant de leur histoire. Dans tout le pays on veut croire que le second tour du 18 mai marque une nouvelle ère plus apaisée pour qu’enfin la classe politique et les forces vives de la nation puissent se consacrer aux défis qui les attendent. Ces défis ont pour noms : une pauvreté endémique, un taux de chômage très élevé, un déficit énergétique qui plombe l’activité économique, la nécessité d’une réforme agraire, le manque d’infrastructures et de services sociaux de base, la corruption, la fragilité des institutions etc.

José Mario Vaz, 57 ans, était le candidat du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Ancien ministre des Finances, il a joué sur le registre de l’expérience. Sa connaissance des rouages de l’administration et ses compétences présumées en matière d’économie ont été mises en avant tout le long de la campagne pour convaincre l’électorat de sa capacité à pouvoir redresser le pays.

Il devra conduire ses concitoyens au redressement tant souhaité, et le taux de participation très élevé (80%) donne une idée de l’étendue des attentes. Seulement, il est porté au pouvoir par l’institution qui, avec l’armée, a le plus incarné la « malédiction » de ces vingt dernières années : le PAIGC, l’ancien parti unique. Sa capacité à se libérer des entraves de cet appareil gangrené par les luttes d’influence et souvent suspecté de corruption sera déterminante  pour la réussite de son action à la tête du l’État en termes de ruptures.

Ce scrutin de tous les espoirs, sécurisé par 4 200 soldats nationaux et ouest-africains, n’était en fait que le premier pas vers la normalisation. L’histoire a en effet montré qu’en Guinée-Bissau, le plus dur n’est pas d’organiser une élection dans des limites acceptables de transparence mais de donner la possibilité au vainqueur d’étaler les axes de son programme sur un mandat entier.

Nuno Gomes Nabiam, le candidat malheureux, était soutenu par l’armée. Leur champion défait, les militaires adopteront-ils cette fois une posture républicaine ? Laisseront-ils au Président élu les coudées franches ? Une interrogation largement partagée mais à laquelle il est difficile de répondre par l’affirmative même si l’actuel homme fort de cette grande muette turbulente, le général Antonio Indjai, a tenu à donner des gages à la communauté internationale. Les plus sceptiques rappellent toutefois qu’au lendemain du scrutin de 2009, il avait pris des engagements similaires avant de tenter et de réussir un coup de force moins d’un an plus tard.

Racine Assane Demba

 

Capitaine Mbaye Diagne: l’histoire d’un soldat et l’indifférence d’un Etat

Mbaye Diagne« Je n'ose imaginer ce que le monde aurait dit de lui si ce héros avait été blanc », Mark Doyle, journaliste de la BBC à propos de Mbaye Diagne.

Il y a beaucoup de héros autoproclamés au Sénégal. L’hagiographie, partisane et subjective par essence, exagère bien souvent les actes et les faits de nombreux valeureux hommes qui se sont distingués, au cours de leur vie, d’une manière ou d’une autre. Très peu ont eu le même humanisme, la même conscience, le même sens du devoir et la même empathie que le Capitaine Mbaye Diagne. Et très peu, au Sénégal, connaissent l’histoire de cet homme, mort à 36 ans.

Qui était cet homme? Un capitaine de l’armée sénégalaise, issu de la première promotion de l’École nationale des officiers d’active (ENOA), déployé comme observateur de la mise en œuvre des accords d’Arusha mettant fin à la guerre civile rwandaise opposant le gouvernement du président Juvénal Habyarimana et le Front patriotique rwandais de Paul Kagamé. L’UNAMIR avait pour mission de faciliter la mise en œuvre des accords d’Arusha, et particulièrement la formation d’un gouvernement de transition réunissant Hutus et Tutsis, mais l’attentat contre l’avion où se trouvaient les deux présidents hutus du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira avaient rendu ces accords désuets. Le génocide devait débuter après cet attentat.

La très forte polarisation ethnique avait entrainé le meurtre de la Première Ministre rwandaise, Agathe Uwilingiyimana, la nuit du 6 au 7 avril 1994. Cette Hutue modérée était considérée comme ennemie par des membres de son gouvernement, car elle était prête à partager le pouvoir avec le FPR. Juste après sa mort, un convoi des Nations unies qui récupérait des membres civils du personnel vont sauver ses enfants. Selon un des membres de l’UNAMIR Adama Daff, il y’aurait eu un débat sur les actions à entreprendre face à la situation de ces enfants. Finalement, le Capitaine Mbaye Diagne a décidé de les faire prendre place dans son véhicule non-blindé afin de les amener au QG de la mission, à l’hôtel des Mille Collines. Le Capitaine Mbaye Diagne a sauvé au moins 600 personnes civiles, hutu comme tutsi, en usant du même procédé. Une bonne blague pour décrisper l’atmosphère avec les milices Interahamwe. Une bière bien fraiche et des cigarettes à l’occasion pour franchir les barrages routiers. 

Paradoxalement, alors que les Interahamwe commençaient le massacre des Tutsis et des Hutus modérés,  les effectifs de la mission onusienne vont être réduits de manière drastique : de 2548 troupes en Octobre 1993, l’UNAMIR ne disposait plus que de 270 troupes, le 21 avril 1994. Mbaye Diagne était un de ces observateurs militaires qui étaient restés à Kigali après la résolution 912 du Conseil de sécurité qui a révisé le mandat de la mission, faisant de celle-ci un intermédiaire entre les parties, l’autorisant à mener des efforts humanitaires si possible et accueillir les civils qui chercheraient refuge auprès d’elle. La France et la Belgique procédaient au rapatriement de leurs citoyens avant de quitter le pays. En avril 1994, seuls ces 270 membres du personnel onusien constituaient l’unique force militaire présente à Kigali, capable de sauver Hutus modérés et Tutsis de la rage des génocidaires.

Les membres de l’UNAMIR ont fait preuve d’humanité et de sens du devoir en sauvant des milliers d’individus lors de ces cent jours d’enfer. Peu nombreux et peu équipés, Mbaye Diagne et ses compagnons ont permis à ceux qui avaient trouvé asile dans l’Église Sainte-Famille de Kigali, de survivre en leur apportant nourriture et protection alors que ceux qui avaient trouvé sanctuaire dans d’autres églises étaient parfois victimes de membres du clergé, politisés à mort. L’hôtel Mille-Collines sera un asile pour des milliers de Hutus modérés et des Tutsis grâce à l’entregent et à l’humanisme de ses camarades. Pendant ce temps, la guerre faisait rage entre le gouvernement et le RPF et Kigali était au cœur du front opposant les deux armées. Le 31 mai 1994, Mbaye Diagne transmettait un message du commandant des forces gouvernementales, Augustin Bizimungu, au commandant militaire de l’UNAMIR, Roméo Dallaire. La zone où se trouvait le quartier général de l’UNAMIR était maintenant sous contrôle des forces du FPR. Mbaye Diagne n’a jamais pu transmettre ce message. Un obus de mortier a explosé près de sa voiture et des éclats l’ont atteint. Il serait mort instantanément.

Mais sa mort ne doit pas être vaine, ni oubliée par le gouvernement du Sénégal. Rien ne nous rappelle le souvenir de cet homme, héros par son humanité. La commémoration des vingt ans du génocide a permis de remettre au premier plan les actes de cet homme. Mais cela suffira-t-il ? Mbaye Diagne a laissé une veuve et deux enfants (une fille âgée de 4 ans et un garçon âgé de 2 ans à sa mort). Ses deux enfants ont dû arrêter leurs études, faute de moyens. Quand on pense aux sommes colossales qui sont déversées par des responsables politiques lors des « soirées d’anniversaires » des chanteurs et autres flatteurs publics et dans le parrainage des combats de lutte, c’est répugnant, voire abject.

L’État sénégalais devrait faire plus pour honorer ce jambaar. Je ne sais pas si c’est de l’indifférence ou une simple inconscience. Mais c’est désolant de voir comment l’État sénégalais traite les plus vaillants de ses fils. En 2011, le département d’État américain commémorait la mémoire de cet homme durant le 60e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. L’Ambassadeur de la Jordanie à l’ONU, le prince Zeid ibn Ra’ad al-Hashemi, avait proposé durant le mois d’avril, qu’une médaille de l’ONU pour le maintien de la paix porte le nom de cet homme, qu’il décrit comme le « plus grand héros que [l’organisation] ait jamais connue ». Cette requête a été positivement sanctionnée par le Conseil de Sécurité, ce 8 mai 2014. L’Ambassadeur du Sénégal à l’ONU, Abdoul Salam Diallo, a salué « un digne fils des Nations unies, soldat de la paix tombé en héros ». Il ne pourrait y avoir de meilleur moyen d’augmenter la cohésion sociale au sein de notre nation et renforcer le rapport entre le citoyen et l’État qu’en commémorant activement la mémoire de cet homme. Le fait que l’histoire de ce soldat soit si peu connue, que ses deux enfants aient dû se déscolariser montre à souhait ce qui mérite d’être fait. Plus s’impose afin que ses actes ne tombent pas dans l’oubli. Rendre hommage à cet homme, faire connaitre son histoire, l’ériger en modèle au moment où les contre-modèles pullulent, c’est augmenter l’identification des citoyens envers l’État et in extenso, rendre ce dernier plus fort et plus légitime. Mbaye Diagne peut être considéré comme héros parce qu’il a été fondamentalement humain. Sensible aux souffrances des autres, désireux d’honorer son devoir en dépit de tous les risques.  L’altruisme, le sens du sacrifice et l’humanisme auront marqué la vie de ce héros.

                                                                               Ousmane Aly Diallo

Serval: prémisse d’une présence militaire française définitive au Mali (2)

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération ServalInstituées comme étant un outil de sécurité et de stabilité pour une Afrique nouvellement décolonisée, un demi-siècle après, des bases militaires françaises continuent d’exister dans nombreux pays africains (les Comores, le Cameroun, le Gabon, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, Djibouti…), ce qui peut paraitre incompréhensible, d’autant plus que ces pays ne sont pas les plus stables d’Afrique.

Lors de sa visite en Afrique du Sud le 28 février 2008, Nicolas Sarkozy annonçait devant les parlementaires sud-africains, que la France étudierait les modalités de son retrait militaire d’Afrique. Six ans plus tard (2014), il n’en est rien. Et le nouveau livre blanc du ministère français de la défense, sur la défense et la sécurité nationale, conçu à la demande du Président  François Hollande en 2013, ne l’évoque pas non plus. Dans le même livre, il apparaît toutefois clairement que : "les nombreux partenariats stratégiques de la France, ainsi que les partenariats de défense conclus avec plusieurs pays, confortent sa position d’influence au niveau mondial", ce qui expliquerait le consensus affiché en la matière, sous toutes les présidences de la cinquième République, quelle que soit la mouvance au pouvoir. Ce constat pousse également à se demander si la France se retirera un jour des pays africains où ses forces sont stationnées.

Sous le gouvernement de Lionel Jospin, le processus de désengagement de l’armée française d’Afrique était amorcé à la fin des années 1990, sous la formule « Ni ingérence, ni indifférence », puis élargi sous Sarkozy (révision des accords de défense, fermeture de certaines bases en Afrique). A cette époque déjà, " la France ne souhaitait plus intervenir en Afrique subsaharienne qu’en appui d’efforts africains et dans un cadre multinational ". Par ailleurs, elle devait participer au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, c’est-à-dire, œuvrer à la conception de bataillons africains équipés et entrainés par la France.

Aujourd’hui (sous la présidence Hollande), ce processus est simplement suspendu, au nom des nouvelles menaces, notamment « terroristes ». Au point de se demander si la recrudescence de l’insécurité, et le décuplement de groupes armés dans la bande sahélo-saharienne d’Afrique, n’était en réalité pas stratégiquement opportune pour la France. Car cette conjoncture lui confère une légitimé irrécusable d’être militairement présente au Sahel, d’autant plus que dans le cas malien, l’assistance française fut implorée par l’Etat et l’ensemble de la population malienne. Les troubles sécuritaires dans certaines contrées africaines paraitraient ainsi propices à la stratégie militaire française à l’égard de l’Afrique.

Par ailleurs, la France a une importante part de responsabilité dans la promotion de l’islamisme dans le Sahel, et ce n’est sans doute pas en ignorant les conséquences. Le 22 Février 2003, 32 touristes européens sont pris en otage par le Groupe Salafiste pour le Prédication et le Combat (GSPC) dans le sud Algérien. Après de longues négociations pilotées par l’Etat malien, 17 d’entre eux seront relâchés en Algérie, 14 au Mali, contre le versement d’une rançon, et le dernier mourra en captivité. A partir de ce précédent, l'ensemble des otages européens enlevés en Algérie, en Mauritanie, et au Niger sont immédiatement transférés au Mali dans le but d’entamer des négociations.

Le 18 Février 2010, en échange de l’otage français Pierre Camatte qui était détenu par AQMI, le Mali aurait, sous la pression française, accordé la liberté à quatre terroristes – Mohamed Ben Ali, 31 ans et Tayed Nail, 29 ans (Algériens), Houti Karito, 26 ans (Burkinabé) et Beib Ould Nafa, 25 ans (Mauritanien) – qui avaient été appréhendés neuf mois plus tôt à Tessalit. Cette libération s’est faite au mépris de l’Algérie et de la Mauritanie qui réclamaient l’extradition de leurs ressortissants parmi les terroristes libérés. En guise de protestation, l’Algérie et la Mauritanie ont rappelé leurs ambassadeurs à Bamako. Selon Nicolas Sarkozy, Président français au moment des faits, le Président malien Amadou Toumani Touré a pris la « bonne décision ». Quelques mois après leur libération, ces mêmes personnes auraient été impliquées à nouveau, dans un enlèvement de touristes occidentaux.

Le 29 octobre 2013, quatre otages français qui avaient été enlevés le 16 septembre 2010 à Arlit au Niger sont libérés. Si le gouvernement français nie le versement d’une rançon, plusieurs sources font état du versement d’une vingtaine de millions d’euros aux ravisseurs.

La situation paraît d’autant plus confuse qu’Ahmada Ag BIBI[1] serait celui qui, par ses rapports parentaux avec le chef d’Ansar Ed Dine, a permis la libération des quatre otages. Selon Soumeylou Boubeye Maiga, Ministre malien de la défense, « Ce qui est important c’est la libération des otages qu’il y ait eu versement de rançon ou pas ». Selon lui, « cela ne change rien au fond du problème qui reste la lutte contre les groupes terroristes ».

Si le ministre malien de la défense semble banaliser la question, ce sont là des actes, qui, pendant plusieurs années, ont encouragé et rétribué les forfaits de groupes terroristes dont le but est clairement de déstabiliser la région sahélo-saharienne.

Le versement traditionnel de rançon par la France aux groupes terroristes ne fait que renforcer ces derniers, et accroît l’insécurité des ressortissants français dans certaines parties du monde, car ils sont bankables, c’est-à-dire des valeurs sûres pour les preneurs d’otages. L’idée qui est soutenue n’est pas d’abandonner les otages français aux mains de leurs geôliers, mais la question qui se pose est : si la France n’avait pas participé à inscrire les enlèvements au rang des activités mafieuses les plus rentables dans le Sahel, ses ressortissants ne seraient-ils pas moins en danger ?

Nous sommes là face à une situation où la France déploie d’importants moyens financiers pour libérer ces otages, et finit par déployer d’importants moyens militaires pour combattre des groupes qu’elle a elle-même  armés. Lors de l’assaut des groupes djihadistes sur Konna, le 9 janvier 2013, (assaut qui a suscité l’intervention militaire française), située à 70 kilomètres de Mopti, limite que l’armée malienne souhaitait rendre infranchissable, le dispositif militaire et logistique déployé par ces groupes était impressionnant. Il leur a fallu mobiliser des centaines d’hommes lourdement armés, des centaines de véhicule 4X4 tout terrain spécialement équipés pour les combats, des milliers de litres de carburant. D’où la nécessité de se poser la question suivante : d’où puisent-ils tous ces moyens ?

                                                                              Boubacar Haidara

 

 

[1] Ancien député malien, leader du Haut conseil unifié de l’Azawad (HCUA), et candidat du parti présidentiel (RPR) aux législatives de 2013 dans la localité d’Abeibara.

Serval: prémisse d’une présence militaire française définitive au Mali (1)

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération ServalLes chuchotements, concernant la conclusion d’un accord militaire franco-malien, semblent timidement augurer une longue présence militaire française au Mali, voire définitive. Lorsque la France intervenait militairement au Mali, les autorités françaises ont dévoilé le calendrier de la force Serval qui, à terme, devait laisser place aux forces maliennes et africaines. La force Serval avait été engagée dans le pays pour une mission bien déterminée et avait vocation à se retirer. En aucun cas sa présence sur le territoire malien ne s’inscrivait dans le long terme. « La France n’a pas vocation à rester au Mali », disait d’ailleurs le président François Hollande. Mais quand nous entendons le ministre de la Défense M. Le Drian, à propos de l’accord en passe d’être signé avec le Mali, dire : « les relations militaires entre le Mali et la France sont appelées à se pérenniser et l’objectif commun de lutte contre le terrorisme sera inscrit dans cet accord qui ira au-delà d’une simple coopération de défense classique. Et Serval servira de force de réaction rapide à l’armée malienne », on peut alors se demander si elle se retirera un jour..

Pourtant, un an plus tôt, il n’était point question de perpétuer une force militaire française au Mali. Jean Yves Le Drian lui-même déclarait : « On n'a pas vocation à rester, on a vocation à progressivement transférer nos responsabilités militaires aux forces africaines et aux forces maliennes qui sont en ce moment en voie de reconstitution ».

Quelques jours avant la célébration de la fête de l'armée malienne (20 janvier 2014), avec invité d'honneur Jean-Yves Le Drian ministre français de la défense, la signature imminente d'un accord de coopération militaire franco-malien était annoncée et relayée par l'ensemble de la presse malienne. Dans le but de l'instauration pérenne de la sécurité dans le Nord- Mali, et pour éviter que le pays soit à nouveau sujet aux attaques djihadistes et terroristes, les nouvelles autorités maliennes issues de la période post-crise, envisageraient ainsi de sceller avec la France un accord de défense. Soumeylou Boubèye Maiga, ministre malien de la Défense disait qu’il : « s’agit d’envisager la présence des unités françaises sur la base d’un support politique et juridique qui puisse prendre la forme d’un accord militaire ».

Comme annoncée dans la presse malienne, l’accord en question devrait se concrétiser par l’installation d’une base militaire française à Tessalit, dans la région de Kidal, qui a la réputation d'être une zone stratégique, longtemps convoitée par les puissances étrangères. Même si elles étaient très minoritaires et peu relayées, des voix s’étaient pourtant élevées au moment de l’intervention de la France au Mali, pour dénoncer derrière la mission humanitaire, une stratégie française de se maintenir militairement au Mali. Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre malienne s’était opposée à l’intervention militaire française au Mali. Selon elle, « Derrière l’humanitaire, c’est une guerre de positionnement pour défendre des intérêts géopolitiques – contre le terrorisme- mais aussi pétroliers et miniers – le Mali a des ressources naturelles convoitées ». La situation actuelle, telle qu’elle tend à se dessiner, convergerait ainsi avec les idées de ceux qui ont interprété la déstabilisation du Nord-Mali comme étant un prétexte ayant également pour objectif, l’installation d’une base militaire française dans cette région du Mali.

N y a t-il pas d'autres moyens pour aider le Mali à sécuriser ses régions en proie au terrorisme, que par l'installation d'une base militaire étrangère notamment française? Prévu pour être paraphé le 20 janvier, jour de la fête de l’armée malienne, la signature dudit accord, sous la pression de certaines forces politiques maliennes, a finalement été repoussée à une date ultérieure. Lors d’une conférence de presse organisée le 17 janvier 2014, les leaders du Mouvement populaire du 22 mars (MP22) se sont opposés à la signature de cet accord qui se profilait, et ont alerté la population sur les conséquences d’un tel accord pour le Mali. Soumaila Cissé, chef de l’opposition malienne, souhaite, quant à lui, qu’un accord de défense franco-malien passe d’abord par l’approbation du Parlement.

Au moment où la France, par la voix de ses autorités, n'entend elle-même plus être le gendarme de l'Afrique, dans une logique de crédibilité, un accord militaire avec le Mali devrait plutôt se matérialiser par des assistances matérielles, techniques et par des formations à l’endroit des militaires maliens, plutôt que par l’installation d’une base militaire française. Si la France veut réellement aider le Mali en particulier, et les pays d’Afrique en général, elle devrait plutôt œuvrer au renforcement de leurs capacités militaires. L'idée développée par François Hollande lors du sommet de l'Elysée (les 6 et 7 décembre 2013), de former et d'équiper 20 000 soldats africains chaque année pour constituer une force d'intervention rapide sous l'égide de l'Union africaine, semble être une option préférable à l’installation de bases militaires françaises au Mali, ou n’importe où ailleurs en Afrique. La présence militaire française en Afrique constitue en réalité un gage de domination politique, économique et reste une forme d’ingérence de la France dans les affaires internes de ses anciennes colonies.

Boubacar Haidara

Retour d’Abdoulaye Wade au Sénégal: essoufflement ou second souffle?

wadeSous-couvert de patriotisme et de la volonté de sauver son parti, Abdoulaye Wade est rentré au Sénégal. Après avoir disparu de la scène politique pendant 2 ans, il a fait un retour remarqué au Sénégal le vendredi 25 avril 2014. L’ancien Président sénégalais avait quitté son pays pour la France après avoir perdu l’élection présidentielle du 25 mars 2012 face à son ancien Premier Ministre Macky Sall. Son retour a été marqué par quelques péripéties lors de son escale à Casablanca, puisque son arrivée à Dakar a été reportée à plusieurs reprises sans fondement à l’en croire, et pour défaut d’autorisations selon les autorités sénégalaises. Quoi qu’il en soit, le Pape du Sopi a encore accompli, à 88 ans, une démonstration de sa capacité de mobilisation, et surtout de sa position centrale au Parti Démocratique Sénégalais (PDS).

Volontairement ou involontairement, il a revêtu le manteau de la victime lors de son escale de 48 heures à Casablanca, en faisant croire à l’opinion publique que les autorités sénégalaises ont tenté d’empêcher son retour. Ces dernières ont pour leur part évoqué des questions de procédures pour expliquer le report de son vol. Il aurait ainsi modifié le personnel qui avait été initialement annoncé et changé d’appareil entre autres manœuvres, entraînant alors des vérifications supplémentaires pour l’autoriser à atterrir à Dakar.  L’opinion la mieux partagée sur cet épisode est que quelqu’un, du côté de Wade ou du pouvoir, a délibérément provoqué ce retard. Tout étant bien qui finit bien, Wade a été accueilli par une importante foule de partisans et de sympathisants dans la capitale sénégalaise. Dans un élan d’enthousiasme, il a déclaré que le régime actuel était incapable de satisfaire les aspirations des Sénégalais et que son fils, Karim Wade, en détention préventive dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, en est le seul capable. Mais au-delà de ces aspects épisodiques, deux grands enseignements peuvent être tirés de son come-back :

1)      Le Parti démocratique sénégalais est en essoufflement

Selon ses propres termes, Abdoulaye Wade est revenu pour sauver le PDS, qu’il a fondé il y a 40 ans. Le PDS connaît en effet une importante saignée depuis deux ans car beaucoup de ténors du parti l’ont quitté : Pape Diop, qui fut Maire de Dakar, Président de l’Assemblée Nationale ainsi que Président du Sénat sous sa bannière, a quitté le navire pour créer la Convergence démocratique Bokk Gis Gis ; Abdoulaye Baldé, Maire de Ziguinchor (Sud) et plusieurs fois Ministre sous Wade a fait de même en créant l’Union des Centristes du Sénégal (UCS) ;  Aida Mbodj, Maire de Bambey (Centre) et plusieurs fois Ministre sous Wade a créé un courant politique et a brillé par son absence à l’accueil de l’ancien Président ; tandis que d’autres anciens responsables du parti ont simplement rejoint le pouvoir actuel, comme Kalidou Diallo, Awa Ndiaye, Ousmane Seye, etc.

Tous ces départs témoignent d’une grande désaffection à l’égard du PDS et, in fine, de sa perte de vitalité depuis la défaite de 2012. Cela est probablement dû au fait qu’Abdoulaye Wade, comme les membres du PDS le disent souvent, est la seule constante dans ce parti.  En d’autres termes, il y décide de tout et le parti ne peut pas fonctionner sans lui, du fait du centralisme qui y a prévalu depuis toujours. Ainsi, il semble que personne d’autre n’est apte à diriger le parti à part lui, puisque son leadership est le seul qui y prévaut. La volonté de Wade de sauver le PDS, à deux mois des élections locales prévues en juin 2014, est consécutive à un essoufflement de son parti qui s’est émietté.

2)      Wade cherche un second souffle

Abdoulaye Wade est conscient du désamour que les Sénégalais lui ont exprimé le 25 mars 2012. Il a fait 26 ans d’opposition, dirigé le Sénégal pendant 12 ans, et aura certainement été l’un des personnages les plus marquants de la vie politique sénégalaise. Mais il lui reste un ultime combat : Karim Wade, son fils. En prison depuis près d’un an dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, Karim Wade a été l’une des principales causes de sa défaite, du fait des lourds soupçons sur Abdoulaye Wade de vouloir lui transmettre le pouvoir. L’ancien Président sénégalais ne semble pas pour autant avoir renoncé à l’idée de voir son fils occuper le fauteuil présidentiel, comme il l’a lui-même laissé entendre dans sa déclaration au siège du PDS le soir de son retour. Il souhaite en fait le positionner comme le seul adversaire crédible contre Macky Sall. Et pour ce faire, Abdoulaye Wade cherche un second souffle. Il souhaite remettre sur pied le Parti démocratique sénégalais en faisant revenir les responsables qui l’ont quitté, et surtout en réunifiant la famille libérale. Dans son esprit, Idrissa Seck (Maire de Thiès, Président du Rewmi, et ancien Premier Ministre sous Wade), Pape Diop, Abdoulaye Baldé et… Macky Sall peuvent tous se retrouver pour reconstituer le PDS. Il considère qu’ils proviennent de la même famille libérale qu’il a fondée et doivent pouvoir revenir dans ce parti. Cette réunification servirait bien entendu la cause de son fils biologique, Karim Wade, qu’il rêve de voir diriger le Sénégal. Pour lui, personne d’autre n’en est capable.

Il faut reconnaître à Wade le mérite de vouloir sauver son parti et son fils à un moment aussi difficile. Il faut cependant le faire revenir à la raison : ce rêve est purement utopique. Le PDS a fait sous son règne une gestion calamiteuse des ressources publiques en multipliant les scandales financiers. Ses responsables faisaient preuve d’une grande arrogance vis-à-vis des Sénégalais. Karim Wade a été traité de tous les noms d’oiseaux par les Sénégalais qui lui reprochaient d’avoir été trop associé à la gestion du pouvoir. Il a été à la tête de plusieurs ministères importants et a provoqué beaucoup de frustration dans les rangs du PDS même. Il est de plus soupçonné d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA par une bonne frange du peuple. Peut-il dès lors prétendre être un martyr du simple fait que la justice de son pays le poursuit ? La réponse est non ! Son père peut-il lui servir tout le PDS sur un plateau ? Même réponse négative ! Karim Wade, à son corps défendant, doit rendre compte de la gestion des deniers publics qu’il a effectuée, et expliquer la provenance de son patrimoine. Cela prendra le temps qu’une bonne administration de la justice nécessite. Pour l’heure, il est utopique de vouloir rassembler la famille libérale : les courants idéologiques ne sont pas déterminants dans la vie politique sénégalaise. Ce qui peut paraître comme un retour en héros du Pape du Sopi, et qu’Abdoulaye Wade regarde avec un zeste d’aveuglement comme une occasion de sauver son parti et son fils, témoigne en réalité d'un essoufflement du PDS.

Mouhamadou Moustapha MBENGUE

Algérie: le statu quo plutôt que l’alternance

bouteflikaMalgré un état de santé chancelant, le Président algérien, très affaibli, n’a pas hésité à se porter candidat à sa propre succession. L’élection présidentielle du 17 avril 2014, dépourvue de  tout suspense, paraissait comme une simple formalité car le candidat Abdelaziz Bouteflika était assuré de l’emporter.

Après la vague de printemps arabe dans le Maghreb, les législatives du 10 mai 2012 donnaient déjà un aperçu de la présidentielle d’avril 2014. Elles ont été remportées par le front de libération national (FLN), le parti présidentiel, qui garda le contrôle de l’assemblée nationale. Ce dernier, allié au rassemblement national démocratique (RND), a remporté 288 sièges sur 462, dont 220 pour le FLN.

Une importante part de la population algérienne, bien qu’indignée, est pourtant restée indifférente face à un mandat de plus pour M. Bouteflika. Les rassemblements et collectifs formés exclusivement pour dénoncer ce quatrième mandat ne mobilisèrent point le peuple algérien.

Il est important de signaler que ce qui était exigé par les opposants à la candidature du Président sortant, c’est l’alternance. Pourtant, le principal adversaire de M. Bouteflika, parmi les cinq autres, Ali Benflis, n’incarne pas la rupture avec le système, lui-même ayant été Premier Ministre du Président Bouteflika. Elire M. Benflis aurait été un changement de personne à la tête du pouvoir, mais certainement pas un changement de système.

La situation ayant poussé les populations tunisiennes et égyptiennes à se soulever contre leurs régimes est assez semblable à celle que vivent les Algériens : absence d’importantes réformes de la part de l’Etat, la montée du chômage des jeunes, l’accentuation de la pauvreté…Mais eu égard à ce qu’a connu le pays durant les années 1990, « les années de braise » selon Hamit Bozarslan, les algériens tiennent à la stabilité, d’où leur adhésion au régime de M. Bouteflika.

Nombreux parmi eux, bien qu’aspirant à une transition démocratique,  préfèrent Bouteflika au pouvoir, plutôt que de risquer voir leur pays s’embraser sous des manifestations qui pourraient se muer en émeutes. Face aux troubles sévissant dans les pays voisins en quête d’une transition politique,  les Algériens ont donc  préféré l’idée d’une stabilité à l’alternance.

Comme le dit Jacques Hubert-Rodier, « Une révolution est une émeute réussie. Une émeute est une révolution qui a échoué ». La frontière entre ces deux notions est facilement franchissable. L’Algérie estime avoir déjà eu son printemps arabe avec l’éviction du président Chadli Benjedid, par les généraux « janviéristes », à la suite des émeutes d’octobre 1988.

La passiveté des Algériens face à la vague de contestations dans le Maghreb (Egypte, Lybie, Tunisie), entamée en décembre 2010, les aurait ainsi contraints de se plier à la décision du président Bouteflika de se porter candidat pour un quatrième mandat.

La première raison de cette relative retenue tient évidemment au traumatisme de la guerre civile dans les années 1990, qui coûta la vie à plus de 100 000 personnes. Cette résignation pourrait s’expliquer par d’autres causes, plus profondes. Selon Abdallah Djaballah, ancien candidat à la présidentielle (1999 et 2004) et président du Front pour la justice et le développement (FJD), l’Algérie n’a pas connu le printemps arabe car elle « n’a pas fini de panser les blessures de son passé ». Les révolutions dans les pays voisins ont certes donné lieu à une transition politique, mais ont entrainé le désordre, une explosion de l’insécurité et des situations parfois moins meilleures que sous les régimes " autoritaires ".

 

Boubacar Haidara

Burundi : l’autre miroir du génocide

oms1Alors que le monde entier célèbre le vingtième anniversaire du tragique génocide rwandais, au Burundi, on déplore le vingtième anniversaire d’un assassinat. Celui de Melchior Ndadaye, président du Burundi de juin à octobre 1993, qui faisait partie de la majorité Hutu. Une tentative de coup d’Etat suivie de près par le massacre de milliers de Tutsi, minoritaires au Burundi, puis d’une escalade de violence qui fait écho à celle qui sévissait au Rwanda à la même période. Frontalier du Rwanda, avec lequel il partage certains aspects démographiques, le Burundi a lui aussi été le théâtre de massacres entre Hutu et Tutsi. Représentant de l'Organisation Mondiale de la Santé à Bujumbura au moment des faits, le Dr Mouhtare Ahmed revient sur les constats réalisés par une équipe de l'ONU dépêchée sur les lieux entre 1994 et 1995, et sur sa propre expérience.

Dans quel organisme de l’ONU travailliez-vous ?

J’ai exercé à l’OMS de 1990 à 1995 au Bureau de Bujumbura. J’y représentais également l’Afrique avec d’autres collègues médecins, sous la direction de Gotlieb T. Monekosso, directeur du bureau à l’époque. Nous avions pour rôle d’aider les différentes régions du pays à renforcer leurs infrastructures de santé.

Quelle était la situation du Burundi avant le début des hostilités ? Quand et comment se sont-elles déclenchées ?

Le Burundi était l’un des rares pays en Afrique à avoir atteint l’autosuffisance alimentaire. Mais le domaine de la santé avait encore besoin d’appuis, et c’est là qu’intervenait l’OMS. Les Tutsi, en minorité, détenaient le pouvoir depuis plusieurs années. Pour moi, tout a commencé lorsque le premier président Hutu, Melchior Ndadaye, a été élu en juin 1993. Il fit le geste très significatif de nommer une femme Tutsi en tant que premier ministre, pour signifier sa volonté d’unir les deux groupes et de promouvoir la place des femmes en politique. Mais cela n’a pas suffi à juguler les tensions naissantes.  Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, alors que je dormais, j’ai entendu un bruit assourdissant dans le ciel. J’ai appris, le lendemain, qu’un commando de putschistes avait atterri en parachute aux abords du Palais présidentiel. Il était une heure du matin et l’on venait d’exécuter le président Ndadaye, après l’avoir torturé de manière innommable. Deux jours plus tard, la presse titrait le mot d’ordre des partisans de Melchior NdadayeNdadaye : « ils ont tué Ndadaye, mais ils n’ont pas tué tous les Ndadaye ».

Vous semblez établir un lien entre l’assassinat de M. Ndadaye et les affrontements entre Hutu et Tutsi qui ont suivi.

Bien avant son élection, Ndadaye prônait l’intensification des relations entre les deux communautés. Avant d’être élu, il avait commencé à alimenter des relations avec le Rwanda, avec des représentants influents de la communauté Tutsi, avec d’autres leaders de son parti, le Frodebu. Je pense qu’il a voulu mettre fin à une crise qui était déjà à son apogée, et qui était au bord du conflit.

Comment vous et votre famille avez vécu cette confrontation ? En avez-vous avisé votre organisme ?

Tout le monde était en état d’alerte. Je vivais dans un quartier résidentiel protégé par les Nations Unies, mais cela ne m’exonérait pas d’être victime d’hostilités à mon tour. Un après-midi, ma fille de quatre ans a ramassé une balle perdue dans la cour. Au même moment, une clameur s’est élevée dans le quartier, ordonnant de massacrer les Tutsi pour venger la mort de Ndadaye. J’ai immédiatement avisé la direction de mon bureau, soucieux de protéger ma famille. Celle-ci a été évacuée en janvier 1994. Je suis resté seul sur le terrain.

Quel est le rôle d’un représentant de l’OMS dans des moments comme celui-là ? Que dit la déontologie, et que fait l’humain ?

Nous avons découvert une classe de CP incendiée. Le maître avait fermé la porte à clé, puis arrosé les environs de la salle avec de l’essence avant d’y mettre le feu. A l’intérieur, les corps calcinés des enfants, encore debout, se tenaient deux par deux dans les bras les uns des autres. Dans la région de Ngozi, des femmes de tous âges se faisaient violer puis jeter dans la rivière avec leurs enfants[1]. Les corps jonchaient les routes et des jeunes armés de machettes surgissaient des abords. La déontologie me disait : soigne les blessés dans les camps de fortune, ne regarde rien d’autre. L’être humain en moi bouillonnait.

Vous aviez peur que l’on vous prenne pour un membre d’un des deux camps ?

Cela s’est déjà produit. Je revenais de Kigali avec mon collègue, quand nous nous sommes faits arrêter par les garde-frontières. Lui est du Congo Kinshasa et moi des Comores, et je ressemble beaucoup plus que lui aux Rwandais. Les gardes m’ont pris pour un Hutu et voulaient me capturer. Il a fallu que j’appelle le Bureau de l’OMS, puis l’ambassade des Comores, pour que l’on nous laisse partir. Après l’incident de l’école primaire incendiée, j’ai demandé à être rapatrié, quitte à renoncer à mon salaire pendant la durée normale de ma mission. C’en était trop.

Vous avez mentionné vos questionnements dans le rapport de la mission commandée par le Conseil de Sécurité, en février 1995.

Oui, nous avons interrogé la communauté internationale et les autorités du pays. Comment pouvait-on laisser faire un tel massacre sans réagir ? Que faisait la communauté internationale ? Pourquoi n’envoyait-on pas d’armées pour arrêter ce massacre ?

Le 21 octobre 2013, le Burundi a célébré le vingtième anniversaire de l’assassinat de M. Ndadaye, non loin de la commémoration du génocide rwandais. Vingt ans après, que diriez-vous au Conseil de Sécurité ?

Je ne sais pas si l’on peut juger une quelconque partie dans cette affaire, car la haine ne connaît pas de modération. Tous ceux qui se mêlent d’un conflit courent le risque d’être rangés d’un coté ou de l’autre…Malheureusement, certains pays ont choisi de fonctionner ainsi.

Interview réalisé pour L'Afrique des Idées par Touhfat Mouhtare

 

 

 

 

 

 


[1] Rapport S/1995/157 du 24 février 1995, par Boutros Ghali, adressé au Conseil de Sécurité de l’ONU

 

 

 

 

 

Three lessons from the Rwandan genocide

This year will be marked by the commemorations of the Rwandan genocide of 1994. Twenty years later, it is still time to mourn the dead but also to draw lessons from the tragedy. 

rwanda-genocide-memorial-tourThe first lesson to learn from the Rwandan genocide is taught by historians: their work disclosed that the political logic behind ethnic hatred not only led to dehumanizing the Tutsi minority but preceded the genocide of that minority. Hatred for otherness, exacerbation of difference until there is no longer room for living together have powerfully contributed, in both Rwanda and Nazi Germany, to making possible, if not unavoidable, mass murder. We must not stop contradicting the theories which tend to make ordinary the crime, or even to justify it, by seeing it as a spontaneous event following the murder of President Habyarimana. We do know today that the Rwandan genocide was not an accident of History but the product of a racist ideology and a murderous will.

The second lesson is addressed to the international community whose indifference and inaction appear today not only as a political mistake but also as a moral fault. That blameworthy attitude shows the civilizational complex of superiority of an international community still recovering from the Somalian fiasco of 1992 at that time. By allowing and reinforcing the sense of impunity nurtured by the opposing forces present in Rwanda, the abstention of foreign powers has also participated to the escalation of violence and the onset of the most horrible atrocities. This lesson resonates today with a singular echo in a context of mass murders perpetrated every day in Syria and the drama which is taking place in Central African Republic. This is the reason why the Rwandan genocide should raise awareness not only among those who tell the story, but also the people who hold in their hands the fate of entire regions. International justice alone, if it is to be relevant, will never replace the action of diplomacy, and sometimes the use of force to prevent the worst from happening.

Finally, the third lesson is that revisionism, with all its symbolic brutality, always prevent memories from finding root in people’s minds, survivors from mourning and honoring with dignity the victims. Revisionism banish the prospect of reconciliation between communities who once tore each other apart.  The accounts of the Tutsi survivors and their executioners, like those of Holocaust survivors seventy years ago, unveil the unspeakable suffering of people who prepared themselves to die and who had to learn to live again.  With the images, the nightmares haunting their nights and the memory of missing loved ones tearing their hearts apart. Commemoration is not only a matter of honoring the dead, it helps the living rebuild their lives.

Elie Wiesel wrote that he who chose to dedicate the rest of his life to tell the story of the Holocaust because he thought he was indebted to the dead. Not remembering them, he said, amounts to betraying them one more time. This is why we should, twenty years later, learn all the lessons from the Rwandan genocide.

 

Translated by Ndeye Mane Sall

Democracy without accountability: South Africa, Zuma and the « Nkandlagate »

ANC-ZumaSouth Africa has lately become restless with a new scandal that is slowly stealing the limelight from the Oscar Pistorius scandal. The cameras have left, at least temporarily, the highly-mediatized trial of the murder-accused athlete to focus on a much more important issue to the South African democracy: the upgrade at an exorbitant cost of President Jacob Zuma's private residence. 

Zuma owns a private house in Nkandla, a town in his home province of KwaZulu-Natal. One of his wives live in the estate, a kraal designed in accordance with Zulu traditions. When he became President in 2009, he decided to upgrade the Nkandla homestead, alleging the need for security improvements. This was the beginning of a huge scandal that is still making the headlines.

As early as 2009, South Africa's leading daily newspaper, The Mail & Guardian, broke the Nkandla story and disclosed its huge cost and its opaque financing, estimated at the time at 65 million rand (€5 million). Five years later, the expenses have quadrupled. Nklandla has cost at least 246 million rand (€17 million). In contrast, the security upgrades to former President Thabo Mbeki's private residence cost a mere €800,000. Among Nkandla's "security" improvements: a swimming pool, an amphitheatre, a full-sized soccer field, a cattle enclosure and a chicken run.  

Since the case was brought to public attention, questions have been raised about the origin of the money used to carry out these upgrades. For a long time, Zuma denied using public funds for his private benefit, claiming that only the security improvements which were required by his presidential status were funded by the state. This version of events, questioned by a series of media investigations, eventually collpased last week after the publication by South Africa's Public Protector Thula Madonsela of a damning report. In this 433 page document, Madonsela provided accurate details on how the President used public funds for works that had absolutely nothing to do with security, and she is now requesting the President to pay back "a reasonable percentage of the expenditure". The architect who supervised the construction happens to be a friend of Jacob Zuma: he was appointed by the President himself, in violation of tendering processes for public works. He reportedly took advantage of this connection to raise his fees and pocket about €2 million himself. Even more critically, the President is accused of misleading inquiries parliamentary inquiries on the subject with repeated false statements.    

This is far from Zuma's first encounter with the South African judiciary. In 2007, he faced 783 charges of corruption, fraud, extotion and money laundering, and his financial advisor was sentenced to 15 years of imprisonment. Given the seriousness of the accusations and the media coverage of the "Nkandlagate", he could face trial again. As the Public Protector's report was published, two opposition parties, the Democratic Alliance (DA) and the Economic Freedom Fighters (EFF) officially lodged a complaint against the President for corruption and misuse of public funds.

However, it is mainly through its political consequences (or non-consequences?) that the Nkandla scandal is raising issues. This new scandal confirms one more time the excesses of the South-African democracy that is considered to be one of the most robust democracies on the African continent. The (con)fusion between the state and the ANC which has characterised South African politics since the end of apartheid has worsened under Zuma. The President has built himself a business empire while governing the country: Zuma and 15 relatives now control more than 130 companies, three-quarters of which were registered in the past few years. Government decisions are increasingly influenced by the private interests of senior party officials or their entourage. With everyone trying to get the largest slice of the pie, the party is increasingly subject to divisions and factionalism. South Africa's political life is now largely determined by the balance of power between the ANC's different tendencies and the outcome of their internecine fighting. 

In many other democracies, a scandal such as Nkandla would have been enough to bring the downfall of the President and his government… but obviously, not in South Africa. The party in power is divided; the state is undermined by corruption; two years ago the police cold-bloodedly killed  34 minors while attempting to repress a protest and the investigation is at a standstill; the economy is struggling to recover from the economic downturn, the national currency has experienced one of its worst depreciations… And nevertheless, the ANC system survives and does not seem at risk of collapsing anytime soon. The party's popularity has waned over the past years and support at the polls is eroding. Yet, considering the recurrent scandals and the government's poor performance, the fall is surprisingly slow. According to the latest surveys, the ANC is expected to retain a comfortable majority (about 60 percent) at the May 7th general elections. Zuma is heading for re-election, and if the surveys are to be trusted, the Nkandla affair will have little influence over the election results.

Among the reasons most frequently cited to account for the ANC's resilience is the weakness of opposition parties. The Democratic Alliance may have doubled its share of the vote in the past decade, but it is still struggling to expand beyond its traditional Western Cape stronghold and to reach out to the non-white, non-coloured electorate. It will probably not reach more than 30 percent of votes in May. The Congress of the People (COPE), which had brought together in the 2009 elections dissident members of the ANC disappointed by Thabo Mbeki's ousting, has now collapsed. The new leftist party, the Economic Freedom Fighters is having a hard time rallying support, despite the charismatic personality of its president and founder, Julius Malema, the former president of the ANC Youth League: surveys predict that the EFF should not exceed 4 percent of the votes.  

The argument is obviously hard to disprove: voters need to be convinced by attractive alternative solutions to turn away from the ANC, and these alternatives are currently lacking credibility. However, there are two other deeper causes that explain why the party manages to maintain such a powerful position.

–          On the one hand, the widening gap within South African society between urban areas – where a more "cosmopolitan' electorate increasingly rejects the ANC's governance practices -, and rural areas, where the ANC has maintained an near-total control.

–          On the other hand, a peculiar historical context, which has deeply influenced the demands of South African citizens for government accountability.

Since the end of apartheid, South African society has changed radically, and studying social relations only through a racial lens is certainly not sufficient. it would be clearly simplistic to study social relations only through the racial lens. Since the mid-1990s, South Africa has rapidly embraced globalisation; yet, this integration was partial and mostly limited to the cities, who benefited from an influx of investors, tourists and migrants from all over the world. Cities like Johanesburg, Cape Town or Durban have become global metropolitan centres, well-connected and integrated to the world-system. Their residents, immersed in political and economic liberalism, are often very critical of the ANC's clientelist practices. Meanwhile, South Africa's rural areas have been largely excluded from globalization. The ANC, which was paradoxically an urban movement until the end of apartheid, has reached out to the countryside, where it now exerts a near-total control. In these isolated areas suffering from high unemployment, ANC officials have managed more easily to position themselves as local patrons and to develop clientelist systems, guaranteeing proper rewards for their loyal supporters and making sure that no other party would threaten their local control. These rural regions today guarantee the ANC's continued electoral success. 

Moreover, the attitude of South African citizens and taxpayers towards government and public management is still influenced by the country's historical legacy. In a society where inequalities are extreme, and still strongly related to racial issues, the population does not reprehend the accumulation of wealth by a black elite. Such practices are not seen as corruption or misuse of funds but rather as examples of self-achievement and individual success. Individuals such as Malema and Zuma, by becoming nouveaux riches, are viewed as attacking the issue of existing inequalities,throwing the first stone against the citadel of white economic domination, and that inspires respect. It does not fundamentally matter that their wealth may have been built by the misuse of public funds; and that is why some South Africans still believe that the Nkandla scandal should be regarded as a private issue, unrelated to the management of public affairs.

Rural areas have not been much exposed yet to Western principles of electoral democracy. They are not entirely familiar with the key notion of "sanction-vote". In mature democratic systems, people in power have to account for their actions. Voters evaluate government performance during its last mandate and decide whether they will trust the members of the government again or sanction them. This demand for results is a short-term requirement, which accounts for regular changes in power.

 In South Africa's young democracy, the memory of the apartheid is still vivid and the requirement for results does not the same frequency. Voters evaluate results on the long term, and not only with regard to the last presidential mandate. The past mandate of the ANC in power was undoubtedly tainted by a range of problems and excesses. However, in the past two decades, its results are undeniable: the situation has certainly improved for rural populations since the end of the apartheid. And many voters still consider that a good enough reason to continue voting for the ANC and Jacob Zuma, regardless of Nkandla, its swimming pool and its football pitch…

Translated by Bushra Kadir

Présidentielle algérienne: le duel Bouteflika – Benfils aura-t-il lieu?

bouteflika-malade-930_scalewidth_630« Poussé par le devoir national sacré (…) J’ai décidé de me présenter à la présidentielle ». Ce sont les mots d’Ali Benfils. De quel devoir national sacré s’agit-il ? Celui de servir de « béquille »  à  Abdelaziz Bouteflika en légitimant un scrutin qui selon certains n’en est pas un ? Ou celui devoir d’apporter une alternative, un renouveau au sein de l’appareil étatique  algérien à travers une alternance démocratique ?

Les  positions sont partagées au sein de la  société et de la classe politique algérienne. Sans ambages, Ali Benfils serait le candidat le plus dangereux pour affronter le Président sortant. C’est pour cette raison que certains pensent que sa participation  à ce qu’ils appellent une mascarade électorale aura pour effet non pas de modifier l’échiquier politique algérien, mais plutôt de légitimer ce qu’on peut appeler « une élection, présélection ».

En Afrique, la problématique de  la participation ou du boycott  d’un scrutin électoral taxé de « non transparent » ne date pas d’aujourd’hui. La question s’est déjà posée par le passé concernant d’autres pays. La seule chose sur laquelle on pourrait être d’accord, c’est que le choix pour l’une ou l’autre des stratégies ne change généralement pas la donne finale. C’est encore le cas en Algérie, où dès l’annonce de la candidature du président sortant, tout porte à croire que les jeux sont déjà faits. Dès lors, quel peut être le véritable enjeu de cette élection pour Ali Benfils ?

Empêcher Bouteflika de faire la course en solo pour s'octroyer un plébiscite?

Ne pas  se présenter aux élections c’est laisser la voie libre au régime en place d’organiser avec le concours des partis politiques «  satellites » un scrutin « théâtral » où toutes les normes attestant d’une élection transparente seront bafouées. Ce qui en fait une élection presque  jouée d’avance. Bouteflika sera compétiteur et arbitre  à la fois.

La participation d’Ali Benfils  pourrait empêcher cela. Loin de pouvoir faire éclater la vérité des urnes, sa participation pourrait au moins limiter l’ampleur des fraudes électorales qui s’y dérouleront.

La vigilance et la détermination de son équipe électorale pourraient permettre une meilleure observation du scrutin, et empêcher des fraudes délibérées et exagérées de la part du régime.

D’ailleurs sur ce point bien précis, l’équipe électorale du candidat assure que tout est mis en œuvre pour que le soir des élections, les résultats proclamés soient le reflet des aspirations électorales des Algériens.

Seul bémol à cette analyse, les résultats obtenus par Ali Benfils  lors de l’élection présidentielle de 2004. Il avait certes fini derrière le président sortant mais  avec seulement 6,42 % des suffrages. Notons que cette déconvenue l’avait obligé à se retirer de la vie politique jusqu’à son grand retour pour les élections d’avril. Pourra-t-il cette fois ci prendre sa revanche ?

Revendiquer le statut de chef de file de l'opposition ?

A défaut d’être élu Président de la République, le statut de chef de file de l’opposition est très prisé en Afrique. Ali Benfils  pourrait être encore plus intéressé en se référant   à l’état de santé fragile du président-candidat qui inquiète plus d’un Algérien. La question se poserait alors en ces termes : Bouttlefika, même réélu, pourra-t-il finir son mandat  à la tête de l’Algérie ?

Dans le cas d’une élection anticipée pour vacances au sommet de l’Etat, l’ancien Premier Ministre pourrait alors tenter de surfer sur cette vague d’adhésion populaire qui pourrait  lui bénéficier au cours de ce scrutin. Le président Bouteflika, dans cette hypothèse, ne serait pas candidat. La logique voudrait qu’Ali Ali Benfils  soit le favori pour incarner l’alternance. Cette dernière hypothèse  est peut-être le véritable enjeu de cette confrontation.

Giani Gnassounou

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