Le printemps des pères fouettards

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Aux âmes nées, sous les tropiques, avec la passion du fouet en bandoulière, la valeur politique, ou du moins électorale, attendrait-elle un nombre très élevé d’années ?

Après le choc, les vieux. Et des vieux « durs » s’il vous plait serait-on tenté de dire.

En 2013, le septuagénaire Ibrahim Boubacar Keita se faisait élire au Mali,  avec pour plus haut fait d’arme d’avoir mâté une révolte d’étudiants alors qu’il était Premier ministre dans les années 90. De cet épisode, beaucoup de maliens ont retenu l’image d’un leader fort, capable de se montrer intraitable, intransigeant face à certains empêcheurs de gouverner en rond.

Lorsqu’il se présente devant ses compatriotes, il y a deux ans, afin de recueillir leurs suffrages, le Mali est en situation de guerre. Le pays n’a dû son salut, face à une invasion jihadiste venue du Nord, qu’à l’intervention de la France d’abord puis au déploiement d’une force multinationale. IBK fait de la reconquête de la dignité qu’aurait perdue le pays son cheval de bataille. Dans le choix de son slogan de campagne, il opte pour la simplicité et l’efficacité : « Pour l’honneur du Mali » dit-il. Ses compatriotes adhèrent. Après la gestion jugée calamiteuse de la question du Nord par Amadou Toumani Touré finalement emporté par un putsch, les incantations du nouveau chantre de la dignité assaisonnées d’un curieux mélange d’expressions en latin, pour faire savant, et en bambara, pour le côté « bon sens paysan », font le reste. Il est ainsi élu principalement grâce à une réputation surfaite de dur à cuire qui, pour ses électeurs, devait permettre d’en finir avec cette coalition hétéroclite constituée essentiellement de jihadistes et de séparatistes.

En Tunisie, Béji Caid Essebsi (90 ans) bras armé du régime policier de Bourguiba (directeur de la Sureté nationale, ministre de l’Intérieur, ministre de la Défense) dans les années 60 et 70 a aussi bénéficié de cette image d’homme à poigne pour se faire élire, à la fin de l’année écoulée, malgré son âge canonique. Après la révolution qui a chassé Ben Ali du pouvoir, les tunisiens se sont retrouvés avec les islamistes d’Ennahdha à leur tête avant de vite déchanter. Entre une économie qui peinait à redécoller, des droits constamment remis en cause, des assassinats politiques et une menace terroriste accrue, il n’a pas fallu longtemps pour convenir d’un changement de cap.  Dans la campagne qui devait les conduire au sommet, Essebsi et ses partisans ne ratèrent pas une occasion de rappeler que lors des émeutes anti-israéliennes ayant eu lieu à Tunis, en juin 1967, après l’éclatement de la Guerre de six jours, il a refusé, alors ministre de l’Intérieur, de donner l’ordre de tirer sur la foule. Que des associations de défense de droits de l’homme aient porté plainte contre lui, pour actes de torture datant de son passage à la Direction de la Sureté nationale n’y fera rien. Il réussit à se défaire de l’image d’ancien fonctionnaire zélé d’un régime autoritaire qu’ont voulu lui coller ses détracteurs arrivant à se présenter en homme sage, expérimenté mais ayant fait preuve d’assez de rigueur, par le passé, pour donner confiance dans sa capacité à gouverner en ces périodes  troubles.

Muhammadou Buhari (72 ans)  se présente comme un « converti à la démocratie ». En adoptant cette posture, ce général qui a dirigé le Nigéria, entre 1983 et 1985, à la suite d’un putsch, fait un enfant dans le dos aux théoriciens du Buharisme. Ceux qui pensent que le salut de nos pays ne peut venir que de « despotes éclairés », nationalistes, ne s’embarrassant pas de formes lorsqu’il s’agit de lutter contre la corruption, avec procès expéditifs et longues détentions arbitraires au besoin. Les atteintes aux droits de l’homme ne seraient, dans ce cas précis, que des dégâts collatéraux ou un mal nécessaire à l’instauration d’une gouvernance vertueuse. Le Buhari de 2015, qui vient d’être élu à la tête d’un Nigéria en prise avec les assauts répétés de Boko Haram,  n’est plus celui du début des années 80. Il a rangé son fouet, arboré un grand sourire, et s’est coalisé avec quelques politiciens de la race de ceux qu’il avait honni, combattu et jeté en prison, il y a trente ans. Devant l’inertie de Goodluck Jonathan face à la menace sécuritaire et à une corruption galopante, cependant, son passé d’autocrate fut un atout majeur.

Après des chocs traversés par leurs pays respectifs, les électeurs maliens, tunisiens et nigérians, ne sachant plus à quel saint se vouer, se sont tournés vers les « durs » de leur classe politique ou ce qui s’en approche le plus. On met sous pertes et profits leurs méfaits. On a besoin de leur poigne.

C’est l’application en politique, sous nos cieux, de la stratégie du choc théorisée par Noemie Klein selon qui les guerres, les catastrophes naturelles, les crises économiques, les attaques terroristes sont utilisées de manière délibérée pour permettre la mise en œuvre de réformes économiques néolibérales difficiles voire impossibles à adopter en temps normal. Pendant ou après chaque menace terroriste extrémiste conduisant à des catastrophes économiques ou humanitaires, des peuples, en toute liberté, recyclent des autocrates ou de vieux personnages au passé politique sinueux et à la rigueur dévoyée par un excès de zèle rédhibitoire, pour en faire les champions du redressement citoyen, sécuritaire, économique.

Mais à chacun ses priorités, les peuples meurtris ou menacés veulent des hommes forts à leur tête. L’avenir appartiendrait alors à ceux qui, munis d’une matraque ou d’une corde, se lèvent tôt, se couchent, se relèvent, savent être patients, attendent leur tour, et ramassent le pouvoir après qu’un bain de sang, une pluie de larmes et une vague d’indignation l’aient entrainé dans la rue. Souvent, ils ne font pas grand-chose de ce pouvoir acquis par défaut.

IBK a rendu les armes face à ceux qu’il considérait comme des quidams à museler par tous les moyens ; ses incantations n’y ont rien fait, il leur a  abandonné Kidal. Après les slogans aux relents de fermeté, le renvoi à un passé glorieux de toute sa brutalité, les déclarations d’intention de rigueur … la réalité de l’impuissance.

Essebsi a choisi un Premier ministre qui a attendu l’attentat du musée du Bardo pour organiser une purge dans la police tunisienne. Il a peut-être l’excuse du nouveau venu. A peine s’est-il installé que les terroristes frappaient. Mais n’avait-il pas promis des solutions clé en main du fait de son expérience dans  la répression des fauteurs de troubles et autres citoyens indélicats ?

Le nouvel homme fort d’Abuja arrive auréolé de son passé de tyran. « Les crimes de Buhari »  c’est le titre d’une pièce de Wolé Soyinka. Ce charmant monsieur doit être bien malheureux dans un monde où ces crimes qu’il dénonçait à ses risques et périls sont devenus un atout pour le criminel en question. Il se consolera en se disant que face aux abjections de Boko Haram, un enfant de chœur ne saurait faire l’affaire. Il fera confiance à son peuple qui, confronté au choix entre des gens pas très recommandables, selon les critères les plus répandus de nos jours, a choisi le moins pire.

A tous les dictateurs, apprentis dictateurs ou hommes liges de dictateurs, déchus ou en disgrâce, le message est le suivant : rien n’est perdu ; si vous êtes relativement jeunes et si dans 20 ou 30 ans les menaces sécuritaires, la corruption, l’incivisme sont toujours d’actualité dans votre pays, quoi que vous ayez fait de votre passage au pouvoir, vous avez de réelles chances d’être vu comme le messie. Entourez vous de spin doctors et de relais efficaces à tous les étages de la société, ne vous encombrez pas de considérations trop techniques, n’ayez d’autre programme que de rendre au peuple sa dignité, au pays son honneur, de mâter les fauteurs de troubles, de discipliner les esprits égarés et faites de la lutte contre la corruption votre cheval de bataille. Si au moment où vous dites cela, vous êtes riche comme crésus et cela du fait, en grande partie, de votre passage au pouvoir, ça ne changera rien. Le peuple est indulgent, il sait tout pardonner et/ou oublier lorsqu’il est à la recherche d’une icône. 

Nous accorderons, tout de même, le bénéfice du doute aux thuriféraires du buharisme conquérant. Sanusi Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la banque centrale du Nigéria devenu émir écrivait, en 2001, alors que le général briguait déjà le suffrage de ses concitoyens, ceci : « le Buharisme était un régime despotique mais son despotisme a été historiquement déterminé, rendu nécessaire par la tâche historique de démantèlement des structures de dépendance et l’émergence d’une nation tournée vers un modèle autre que l'accumulation primitive. Sous son meilleur jour, Buhari a peut-être été un Bonaparte ou un Bismarck. Dans ses pires moments, il peut avoir été un Hitler ou un Mussolini. Dans les deux cas, le Buharisme, s’il avait atteint sa conclusion logique, aurait posé les bases d'une nouvelle société. Son renversement a marqué une rechute, un pas en arrière ».

Toutefois, tout buhariste qu’il est, l’émir de Kano ne fait pas partie des hystériques et autres inconditionnels de la cause. Il a tôt fait de mettre un bémol. « Je crois, disait-il, que Buhari a joué un rôle honorable dans une époque historique particulière mais, comme Tolstoï et Marx, je ne crois pas qu'il puisse rejouer ce rôle. Les hommes ne font pas l'histoire exactement comme il leur plait mais, comme l'écrivait Marx dans Le 18 Brumaire, ils la font dans des conditions héritées du passé. Muhammadu Buhari, comme général de l'armée, avait plus de place pour manœuvrer qu'il ne pourra jamais espérer en avoir dans l’espace politique nigérian ». Et de poursuivre : « dans un pays de 120 millions d’habitants, nous pouvons faire mieux que de limiter notre choix à un petit groupe. Je pense que Buhari, Babangida et Obasanjo devraient simplement permettre à d'autres de montrer ce qu’ils valent au lieu de croire qu'ils ont le monopole de la sagesse »… Prés de quinze ans se sont écoulés depuis qu’il a écrit ces mots ; le sage Buhari, aidé du sage Obansanjo, a fini par reconquérir le pouvoir. La nouvelle génération de leaders nigérians valables devra attendre. En son sein, il n’y  a personne pour rassurer le peuple ; elle ne regorge pas de dictateurs convertis.

Racine Assane Demba

En finir avec les images dégradantes des Africains dans les médias !

dignity and respectL'Afrique a longtemps été victime des discours injustes sur son histoire et son développement. Aujourd'hui, ces discours ont légèrement changé de contenu notamment sur le plan économique. Cependant le continent est encore victime d'une image dégradante sur ses populations à travers les photos et vidéos qui y sont prises et diffusées massivement. L'image, ici fait référence à la représentation sociale qui est faite des populations africaines par les Africains eux-mêmes et par les autres. Quoique cette image ne soit qu'un reflet de notre perception, elle résulte d'images physiques, photos et vidéos, présentées par les médias et autres médiums de communications. En dépit du nouveau discours dont fait l'objet l'Afrique, la prise et la diffusion de ces images dégradantes prend de l'ampleur avec un caractère discriminatoire mais sous une responsabilité partagée.

 

Un phénomène de grande ampleur en progression

L'image de l'Afrique et de l'Africain fait souvent l'objet d'un traitement dégradant dans les médias. L'un des cas les plus emblématiques est celui de cette photo prise en 1994 par le photographe Sud-Africain Kevin Carter lors de la famine soudanaise.1 Cette image fige dans le temps un enfant soudanais, affaibli par la faim et la malnutrition, rampant vers le camp des Nations Unies devant un charognard attendant sa mort. Paradoxalement, cette photo a reçu le prix Pulitzer de 1994. De même, les prix Pulitzer de la photographie décernés en 1998 et 2004 représentent tous des enfants en prise avec les conséquences des conflits armés en Afrique.

Ces cas emblématiques masquent en réalité la multitude d'images photographiques et vidéos dégradantes sur l'Afrique, projetés tous les jours sur les panneaux publicitaires, les chaînes de télévision, les réseaux sociaux et les sites web. C'est le cas en particulier des images des violences en Centrafrique qui ont fait le tour du Monde. On y voyait alors des jeunes armés de machettes découper leurs concitoyens en raison de leur religions. L'Afrique des Idées avait d'ailleurs initié une pétition contre l'utilisation d'images dégradantes des victimes du conflit centrafricain. Les corps jonchant le sol après les attaques de Boko Haram dans le Nord Est du Nigeria sont exhibés dans les médias sans prendre la peine de flouter les visages. Le même traitement est fait des images issues des attaques des Shebabs à Nairobi et plus récemment à l'Université de Garissa. Jusqu'à une date récente, les victimes de la fièvre Ebola sont montrés dans leur agonie à la télé, comme si cela permettrait de les soigner ou d'éviter que d'autres ne soient contaminés. La liste est loin d'être exhaustive…

Un phénomène exclusivement africain ?

Certes, ces images de violence reflètent parfaitement la réalité des maux auxquels sont confrontés certains États africains. Cependant, elles véhiculent une image dégradante du continent et contribuent à saper la dignité de ses habitants. Or, les mêmes maux qu'elles mettent en évidence se retrouvent un peu partout dans le monde. Et pourtant, lorsqu'on examine le traitement fait des images de violence des autres continents ont s'aperçoit très vite du caractère discriminatoire de cette pratique. Les encadrés ci-dessous présentent le résultat d'une recherche effectuée sur Google Image avec le mot clé "violence continent" en remplaçant successivement continent par "Afrique", "Europe", "Amérique" et "Asie". Le résultat montre clairement le traitement discriminatoire que subit l'Afrique par rapport aux autres continents.

Les premières images qui ressortent lorsqu'on tape le mot clé "violence Afrique" sur Google Image montrent des victimes poignardées ou brûlées et des bourreaux armés de machettes ou de kalachnikovs. On y aperçoit même des enfants mutilés, des femmes en détresse, en somme des images épouvantables. Le résultat est encore plus choquant lorsqu'on fait une recherche vidéos: âme sensible s'abstenir. Cependant, sur les autres continents la recherche d'images de violence renvoie à des tableaux et graphiques statistiques, des caricatures ou des images de manifestations. Cela veut-il dire pour autant qu'il n'y a pas de violence sur les autres continents ? L'Afrique en a-t-elle le monopole ?

Résultat de la recherche d'image sur Google à partir du mot clé "violence continent" ce dimanche 5 avril 2015 à 13h à Paris.

Des responsabilités partagées

Le but de cette plaidoirie n'est pas d'identifier un accusé car malheureusement la responsabilité de cette situation est partagée entre les Africains eux-mêmes et les médias et ONG internationaux. En effet, ces images dégradantes sont également reprises par la plupart des médias africains. Dans le cas de Ebola par exemple, il est rare de trouver une chaîne africaine qui n'ait pas montré les images des ces dames pourchassées dans les rues du Libéria, de la Sierra Leone et de la Guinée par des êtres non identifiables vêtus de blanc. Les malades en agonie dans les camps sont présentés, interviewés sans aucune retenue. Il s'agit au fond d'une pratique généralisée du journalisme dans plusieurs pays africains qui ignore la dignité humaine dans des situations de détresse, car ce ne sont pas que des images de violence qui sont montrées mais généralement des images qui sapent la dignité de la personne humaine.

Dans ces conditions, comment peut-on interpeller les médias internationaux sur leur traitement des images des africains ? Qu'est ce qui empêcherait ces médias d'appliquer aux images des victimes africaines les mêmes règles en vigueur dans leur pays. Autrement, qu'est ce qui justifierait que l'on montre à la télé les vieilles villageoises souffrant d'Ebola alors qu'en même temps personne n'a jamais vu le visage d'un Européen victime d'Ebola. Et pourtant, il en existe. La recherche du sensationnel justifierait-elle ce traitement discriminatoire ?

Il existe pourtant des moyens simples d'inverser cette tendance en commençant par les Africains eux-mêmes. Dans la plupart des pays du continent, il existe des autorités indépendantes chargées de réguler la diffusion de l'information, de même que des observatoires de la déontologie des médias.

Ces institutions ont un rôle clé à jouer dans l'inversion de la tendance à la diffusion des images dégradantes sur l'Afrique. Il suffit pour cela qu'elles les interdisent, comme dans les pays Européens. Parallèlement, des actions concrètes de pétition à l'endroit des grands médias internationaux devraient les amener à signer une charte de traitement des images en provenance des zones de conflits et d'intervention humanitaire. Cette charte devrait être complétée par un mécanisme de classement des médias selon le traitement qu'ils font de l'image des africains.

D'aucuns peuvent objecter qu'il s'agit d'un épiphénomène par rapport à l'immensité des défis qui incombent aux pays africains. Certes, la satisfaction de besoins dits de base amène souvent à occulter la prééminence des dimensions psychologiques dans le processus de développement humain. Pourtant, que vaut bien un être conscient qui n'a aucune dignité ou en qui on ne place aucune confiance ? Que peut-il bien créer ou inventer ? Par ailleurs, ce traitement dégradant de l'image des Africains n'est à la gloire de personne puisqu'en définitive c'est bien l'image de l'Homme qui est dégradée indépendamment de la couleur de la peau, de la religion et du sexe.

Georges Vivien Houngbonon


 

1 Le photographe s'est suicidé trois mois plus tard après avoir pris cette image.

Goodluck President Buhari !

-Le peuple du Nigeria a tranché ! Muhammadu Buhari vient de remporter la présidentielle contre le sortant Goodluck Jonathan. La victoire de Buhari est un symbole de la volonté exprimée par le peuple nigérian de goûter au changement. Même si l'élan populaire s'est agrégé sur le charisme et les promesses d'un homme de 72 ans.

Après plusieurs défaites successives, Buhari accède enfin à la magistrature suprême par la voie des urnes. C'est une belle victoire que remporte cet ancien général, réputé homme de poigne, converti à la démocratie (aime-t-il le clamer) après une première expérience de 20 mois à la tête de l’État suite à un coup d’État.

Goodluck Jonathan devait partir. Il est parti non sans se frayer un petit passage dans l'histoire pour avoir passé le – peu traditionnel – coup de fil à l'adversaire pour reconnaître sa défaite.

Jonathan aura été un dirigeant de plus dans la longue liste de dirigeants ayant conduit le Nigeria dans le désastre. Cet homme aura représenté jusqu'à la caricature le dirigeant politique, irresponsable, incompétent et peu soucieux du destin de son pays ou de la souffrance de ses concitoyens.

L'alternance institutionnelle est la respiration naturelle de la démocratie

Malgré les peurs et les prédictions négatives, le Nigeria est parvenu à organiser un scrutin transparent et démocratique. Cela est à mettre à l'actif de l’État et surtout de Attahiru Jega, l'impressionnant président de l'INEC, la commission électorale du pays.

Après six coups d’États, des violences post électorales dramatiques, le pays vient de connaître sa première alternance démocratique. C'est à l'issue de trois tentatives avortées que Muhammadu Buhari devient enfin le président du Nigeria et met fin à seize années de règne sans partage du PDP (Parti Démocratique Populaire).

Les difficultés commencent pour le président Buhari. Il a remporté la bataille électorale mais il lui reste à gagner la guerre de transformation radicale du Nigeria qui prend les allures d'un scandale mondial tellement les paradoxes y sont nombreux et souvent incompréhensibles.

Première puissance économique africaine et première démographie, le Nigeria n'en demeure pas moins un pays englué dans un climat social gangrené par la corruption, la pauvreté et la précarité des populations. La chute des cours du pétrole place davantage le pays dans une situation économique sous tension car la croissance du PIB, issue notamment des revenus du pétrole, n'est guère inclusive et laisse à la marge des millions de personnes. Deux tiers des Nigérians vivent en deçà du seuil absolu de pauvreté avec moins de un dollar par jour.

Les chantiers de Muhammadu Buhari

Goodluck a perdu la présidentielle parce qu'il avait auparavant perdu la confiance de la majorité des Nigerians sur sa capacité à apporter une réponse efficace au défi posé par la puissante secte Boko Haram. La gestion catastrophique du dossier des centaines de jeunes filles enlevées à Chibok en est la parfaite illustration.

Les défaites militaires de l'armée nigériane et son incapacité à protéger les populations des massacres de la secte sont symboliques d'une absence d’État qui puisse assurer le minimum sécuritaire à une population livrée à elle-même face aux abominations des hommes de Shekau. Sur ces pages j'ai déjà mentionné le comportement scandaleux d'Aso Rock lors du massacre de 2000 personnes à Baga.

Pis, les Nigérians n'ont pas seulement perdu confiance vis-à-vis de l’État qui a pour mission de les protéger, ils ont aussi le sentiment d'avoir perdu la dignité que confère la capacité à relever les défis qui se sont dressés face à eux. Les récentes victoires sur la secte dans le Nord du pays sont survenues grâce à l'engagement des troupes camerounaise, tchadienne et nigérienne (pays pourtant largement plus pauvres que le Nigeria) aux cotés de la soldatesque nigériane.

Le premier chantier de Muhammadu Buhari est de trouver une solution à Boko Haram. A ce propos, il promet d'armer les militaires nigérians, d'améliorer leur formation et de mieux renforcer le volet renseignement. S'il est attendu au tournant des actes concrets, son discours ferme peut d'ores et déjà rassurer sur une réelle prise en charge du fléau Boko Haram dont la récente allégeance à Daech est plus qu’inquiétante. De la nouvelle orientation sécuritaire nigériane vis-à-vis des terroristes dépend l'issue de toute cette zone du continent dont l'équilibre est menacé. Sans un Nigeria (épicentre de la menace Boko Haram) fort et engagé vis-vis des hommes de Shekau il est illusoire d'arriver à anéantir la secte dans la sous-région.

L'autre urgence pour le nouveau numéro Un nigérian est celle de la construction d'une véritable unité socle d'un destin commun qui fait défaut au Nigeria. Et à beaucoup d'autres pays africains. En 2011, les résultats électoraux avait confirmé la division du pays entre un nord musulman et un sud chrétien. En 2015, la pitoyable présidence Jonathan a – de façon involontaire – donné un semblant d'atténuation de la division du pays entre un Sud chrétien et un Nord musulman et ses États où règne l'application de la Charia.

Si Jonathan réussi la « prouesse » de perdre des États traditionnellement hostiles à un candidat du Nord, les chiffres du scrutin du 28 mars montrent encore la prégnance d'une rupture résiduelle d'une absence de nation à laquelle il faudra trouver une solution qui sera certes longue et douloureuse. Outre, les chiffres soviétiques du vainqueur dans les États du Nord notamment à Kano et Zamfara, les scores stratosphériques de Jonathan dans les États d'Abia, de Rivers, du Delta et de Bayelsa annoncent clairement qu'il sera difficile pour Buhari d'être le président de tous les Nigérians. Il lui faudra, par le courage des actes et le sens des symboles, réussir à amorcer le processus d'une véritable unité nationale.

Heureusement que le discours de l'ancien général a changé sur la Charia dont il n'était pas contre l'application sur tout le territoire national en 2011. En campagne il a dorénavant assuré qu'il garantirait la liberté de culte pour chaque nigérian. Des actes clairs en faveur de la laïcité harmonieuse du pays serait un grand pas en avant.

L'Afrique de l'Ouest a besoin d'un Nigeria fort, offensif économiquement et distingué politiquement. Il a un leadership à assumer dans la sous-région d'abord, puis sur le continent ensuite en vue de servir de locomotive et d'exemple à une nouvelle ambition hégémonique africaine. Peut-on compter sur President Buhari ? Wait and see.

 

Hamidou ANNE

 

Nigerian politics : a small arrangement between friends

IBB-OBJ-and-GMB-150x150On the 28th of March, Nigeria, the largest economy in Africa, will be having its presidential elections. This will have an determining impact on the uncertain future of a country also dealing with the issues of violence with Boko Haram. The election, the most inclusive in the history of the country, could lead to a new wave of violence. Terangaweb.com has dedicated a series of articles to the elections and this first article by Tity Agbahey, is focused on the ambiguous relationships in the country’s political class. 

On the 28th of March, Nigerian voters will go to the polls to elect their new president. In a country with a population of about 178 million (also the largest economy in Africa), this time is usually troubling because it is almost always accompanied by election violence. However this year, the stakes are even higher as it may lead to the first party change since 1999. That was the year of return to civilian rule. Since then, the People’s Democratic Party (PDP) holds the power. The PDP candidate, Goodluck Ebele Jonathan is facing Muhammadu Buhari, the All Progressives Congress (APC) candidate. APC is a coalition of opposition parties which was created in July 2013. If Buhari wins the elections, Nigeria will be led by a different party. This represents a small revolution, very small. As a matter of fact, in Nigeria, there are no coincidences. Politics is an arrangement between friends. The fate of more than 100 million lives rests in the hands of small portion of the society, who are always the same people.

Ironically, even if President Jonathan’s critics claim he is “the worst president Nigeria has ever known”, his election in 2011 raised the hopes of many. It represented a change in a country where the political class always remained the same. Four years ago, Jonathan was presented as a man of the people, without ties to the upper reaches of power, since he is a native of a minority ethnic group that had been under represented in politics.

In an immensely rich country with a mostly poor population, the people identified with this man who told the story of his modest upbringing ‘‘with no shoes nor school bag’’. He is not a soldier and has never led the country. He was a clean slate. In fact, his political ascension looks much like an accident. In 2005, during his term as the deputy governor of his home state, Bayelsa, he was appointed as governor and replaced Diepreye Alamieyeseigha, who was impeached. Two years later, he moved on to Abuja, where he became the vice-president to Umaru Yar’Adua, who died in 2010. He, thus, became the president of the immense country. With no attachments, he said. Not even to the highest reaches of power, his mandate was doomed for failure right from the beginning. This is because in Nigeria, politics has been a game of soldiers (who are still involved today) for a long time, before civilians got involved. Some of them actually. And the same ones. In Nigeria, there are no coincidences. Why should the decision be left to the citizens when you can always agree among friends?
In 2006, as President Obasanjo’s mandate was ending, he tried to modify the constitution, so as to run a third time in the elections. Unfortunately, this motion was rejected by the Nigerian senate. So, Obasanjo was left with no other choice than to leave at the end of his second mandate in 2007. He decided to play the role of an elder statesman, who by all means must express his opinion about the political leaders of the country.

Nevertheless, there are other ways to govern. According to the zoning rule in Nigeria, political power is meant to alternate between the north and the south. After Obasanjo (south-west), the power was to go to someone from the north. Therefore, the outgoing president decided to support, infact impose Umaru Yar’Adua’s candidacy in the elections. Umaru Yar’Adua was the former governor of Katsina state and the brother of Shehu Musa Yar’Adua, vice-president to…Olusegun Obasanjo, while he was president under the military regime from 1976 to 1979. Nigerian politics is like a bad movie, always with the same characters that only change position and title. In that manner, Obasanjo was president from 1976 to 1979 under military rule and was president again under civilian rule from 1999 to 2007. At the end of his mandate, he was replaced by Umaru Yar’Adua, the brother of his vice president from 1976 to 1979.

On the other hand, Goodluck Jonathan’s supporters say that it is his lack of political bonds with the upper class of the political and military circles that is destroying the efforts of this Bayelsan native. They say that, some ill-intentioned politicians first sponsored Boko Haram. They did that to discredit Jonathan’s rule. Now, Boko Haram has become the monster that it is today. At one time, Boko Haram was sponsored by the Northern governors; however, the monster has grown wings of its own and is no more under their control. It is terrorizing both the north and south and makes no distinction between religion nor ethnic group. Nigeria has lost some of its territory to the terrorist group. The situation is alarming especially from a humanitarian perspective.

In 2011, we all thought that Jonathan would bring change. He, who had not yet known corruption, criminal indecency or ridicule. However, the American dream is not the Nigerian dream. In 2015, bruised, terrorised and desperate, Nigeria is trying to stop this enchanted interlude. Zoning can wait, truth can wait. For the time being, we want a saviour and as often as this happens, we do not have to search afar off. Muhammadu Buhari is an attractive choice for those who are looking for a radical response to the troubles of Nigeria.
In the soap opera of Nigerian politics since, Buhari has played quite a number of roles since 1960: Major General, Minister of Petroleum and natural resources under Obasanjo (from 1976 to 1979), and President from 1983 to 1985. Since then, he has been trying to return to power.
He lost three times (2003, 2007, 2011). Now, he runs for the fourth time and might just win. Nigeria needs fresh blood. Fresh blood at 72 years! Well no one cares, it is experience that matters and old friends like: Babangida, Yar’Adua and the undeterred Obasanjo.
Nigeria dey oh !

Translated by Onyinyechi Ananaba

Karim Wade, de l’arrogance à la trahison des siens

 

Photo+Karim+WadeLe prononcé du verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite contre Karim Wade et ses complices, ce lundi 23 mars 2015, a été accueilli par une immense clameur de désolation dans la salle 4 du Palais de justice Lat Dior de Dakar. Celle des partisans de l’ancien ministre d’État, finalement condamné à six ans de prison ferme, une amende de 138,293 milliards de francs Cfa, la confiscation de tous ses biens identifiés par l’enquête, mais gardant ses droits civils et politiques.

A dire vrai, cette sentence n’a surpris personne en dehors de ceux qui avaient la naïveté de croire que la machine judiciaire, sur ce dossier de la traque dite des biens mal acquis, avait les moyens de « négocier » quelque arrangement spécifique au statut du fils de l’ancien président de la république. Patatras ! Quoique modérée, la main des juges du tribunal de la Crei n’a pas tremblé, même si le président Henri Grégoire Diop a paru s’essouffler au terme de deux heures de lecture d’une sentence historique.

En soi, nous ne nous réjouissons pas de la condamnation de monsieur Karim Wade à six années de prison. Simplement, nous avons le devoir de saluer la détermination politique du pouvoir sénégalais à aller, pour une fois, au bout d’une logique saine et salutaire : la protection des ressources de la collectivité nationale contre les criminels économiques et financiers de passage dans les hautes (ou basses) sphères de l’État.

Karim Meïssa Wade, ancien tout-puissant ministre d’État aux responsabilités stratosphériques, paie aujourd’hui les pots cassés d’une ascension irréfléchie, brutale, sans commune mesure avec le vécu réel qui était le sien au moment de l’accession de son père à la magistrature suprême. Plastronnant sous une littérature directement extraite d’un conte de faits pour enfants, l’ex-ministre d’État s’est vu trop beau trop tôt, trop fort trop vite, ignorant volontairement ou naïvement les ingrédients de base constitutifs de la carapace d’un vrai homme d’État. 

Sans base ni éducation politique, dépourvu de charisme, sans relais structuré dans le Sénégal des profondeurs, il avait fait le choix de vivre sur l’énorme capital politique et humain de son père, Abdoulaye Wade. Or ce dernier, faut-il le rappeler, s’est assujetti à endurer vingt six ans de carrière dans l’opposition avant de toucher le Graal de son engagement et de ses sacrifices. Le fils, lui, se forgeant des ambitions phénoménales avec la complicité irresponsable des ascendants, s’est laissé embarquer dans ces réseaux inextricables d’intérêts et de magouilles que seule l’immersion dans le pouvoir permet. 

Novice dans la manipulation du principe de puissance, imprudent face aux conséquences imprédictibles permises par la volonté démocratique des peuples, Karim Wade s’est aveuglé avec l’aide des siens, intransigeant contre ceux qu’il considérait à tort ou à raison comme des ennemis bruts de son ascension, n’écoutant que ceux qui lui contaient sornettes pour tirer profits et avantages de son propre éclosion, autour d’une tasse de thé ou de café, quelque part entre Dubaï et Monaco, mais aussi dans Dakar intra muros. 

L’échec d’une défense

Wade Jr. n’a pas été seulement victime de faux-amis qui, incapables d’assumer par eux-mêmes leurs propres ambitions, avaient fini de dissoudre leur destin politique dans le sien. Il l’a été également d’un père devenu dieu de ses obligés mais qui avait envisagé que seule une double succession monarchique dans « son » parti et dans un État capturé depuis 2000 était en mesure de lui assurer la postérité qu’il revendiquait à la hauteur de son égo. De fait, il ferma peut-être les yeux – s’il était au courant – sur tous les stratagèmes que son fils développait à partir de ses positions de pouvoir au sommet de l’Etat. Abdoulaye Wade était-il informé des pratiques peu orthodoxes auxquelles se livrait Karim Wade et que l’énoncé du verdict de la Crei a mises en lumière ce 23 mars ?
Victime, Karim Wade l’a aussi été de ses avocats et conseils. La plupart de ceux-ci, donc pas tous, sont reconnus comme des professionnels aguerris des prétoires. Des hommes d’expérience aux capacités tactiques qui peuvent être utiles à leurs clients. Mais ne se sont-ils pas trompés de procès au bout du compte ? Le caractère exceptionnel de la Crei, ses procédures aux antipodes des juridictions classiques, sa résurgence en ces temps de la maturité des peuples et des exigences morales liées au principe de la reddition des comptes, ne suffisaient-ils pas à leur imposer une démarche plus efficace pour sauver leur client ? Comment expliquer que des manquements inhérents à ce type de procès aient pu servir de motif pour déserter ainsi le prétoire ?

On peut respecter leur stratégie, cela n’empêche pas d’avancer le propos qui fâche : ils ont opté pour la facilité, plaidant plus dans les médias que devant le tribunal, arc-boutés à des principes universels de droit qui ne font pas tout le droit, finissant par boycotter un procès que la lourdeur des charges contre Karim Wade rendait ingagnable à leurs yeux, oubliant même que, « en matière pénale, la preuve est libre », ainsi que leur rappelait un de leurs confrères.

Le principal concerné n’a pas été exemplaire non plus ! Emmuré dans le silence face aux accusations précises et accablantes de ses contradicteurs, Karim Wade ne s’est pas révélé courageux, en droite ligne d’ailleurs de l’ascension couvée dont il a bénéficié durant sa (brève) carrière politique. Son mutisme, il le voulait sélectif : en extase quand il fallait parler du fameux compte de Singapour et des bijoux de sa défunte femme, deux dossiers sur lesquels il savait qu’il aurait gain de cause ; aphone lorsqu’il était question de AHS, ABS, Blackpearl Finance, etc.

Et maintenant ?

Dans notre entendement, si ce procès historique ne devait pas être l’amorce d’une transformation radicale des modes de gouvernance en vigueur dans notre pays depuis cinquante cinq ans, il n’aura servi à strictement rien, sauf à donner bonne conscience à des politiciens professionnels. C’est le moment pour les politiques au pouvoir de confirmer leur détermination à promouvoir un Sénégal en lutte perpétuelle contre la corruption. Les Sénégalais les ont à l’œil, patients.

Mais le nœud gordien de notre salut à tous réside dans l’émancipation du pouvoir judiciaire, garant de nos libertés, arbitre de nos turpitudes. Car, si nous laissons les politiciens de ce pays conduire seuls nos destinées selon leurs agendas, des centaines d’énoncés de verdict comme celui de ce 23 mars 2015 nous sont d’ores et déjà promis. Encore que, dans l’attente, il y en a qui méritent le sort de Karim Wade.

 

Momar Dieng

Article initialement paru sur le blog http://momardieng.blogspot.fr/

 

Des Talents pour L’Afrique !

L’éducation scolaire est très souvent la conclusion qui émerge à l’issue de l’analyse des causes de la pauvreté. C’est ainsi que dans le cas particulier de l’Afrique, elle a fait au cours de la dernière décennie l’objet de plusieurs rapports, discours et programmes comme le démontre l'évolution de la prépondérance des mots "éducation et école" dans les ouvrages répertoriés sur Google Ngram Viewer. On y apperçoit clairement la montée en puissance de cette thématique de la Révolution Française (1789) jusqu’à la fin de la Belle Epoque (1914) ; suivi d’un regain de prépondérance après les indépendances dans les pays francophones (1960-1990) ; et à nouveau un accroissement fulgurant de la thématique de l’éducation scolaire dans les pays francophones depuis l’entame de leur démocratisation à partir de 1990.

Ainsi, l’éducation scolaire est présentée comme la panacée du développement.  Or, si elle est aussi privilégiée même chez les pires dictateurs, c’est qu’elle est suffisamment flexible pour servir à toute les fins. Ce paradoxe se comprend bien lorsqu’on admet l’éducation scolaire comme un moyen de diffusion des idées ; ces dernières pouvant servir à des fins nobles ou perverses. Même si l’on convient que l’éducation scolaire en Afrique est porteuse d’idées nouvelles, voire favorables au développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ne sont pas de nature à apporter des réponses concrètes aux défis auxquels font face les populations les plus pauvres au quotidien.

A mon avis, c’est là que se trouve l’un des principaux obstacles au développement en Afrique. Il faut donc plus que l’éducation scolaire, il faut des talents ; des talents capables d’innover, de rechercher l’exception dans la confusion, de briller là où se trouve l’obscurité, qu’elle soit mentale, spirituelle ou physique. L’éducation scolaire arrive dans un deuxième temps pour diffuser et faire adopter l’innovation des talents à toute la population. C’est dans cet enchaînement des rôles que se trouve la véritable force de l’éducation.

Ainsi dit, le processus par lequel émerge un talent est assez complexe. Il n’admet pas de solution miracle. Car, le talent est à la fois rebelle et fragile. Sa rébellion bouleverse l’ordre préétabli, que ce soit les normes sociales, l’équilibre des pouvoirs politiques ou économiques. Cette rébellion se confronte très souvent à une force sociale entretenue par ceux qui bénéficient de l’ordre préétabli. C’est l’existence de cette force qui explique en grande partie le peu de talents au service du développement des nations africaines. Même en l’absence d’une telle force sociale, le développement du talent requiert la solidarité de la part des autres membres de la société. Il peut s’agir par exemple d’un soutien financier dans la mesure où les talents individuels ne sont pas distribués en fonction du niveau de revenu initial. Pour ces deux raisons, une manière de promouvoir l’émergence des talents et de lever toutes les barrières matérielles, psychologiques et institutionnelles.

Le but n’étant pas de promouvoir l’émergence d’une élite intellectuelle chargée de diriger le reste de la société. Mais au contraire, il est question de libérer le talent qui sommeille en chacun que ce soit dans les domaines de l’art, des sciences ou des lettres. Ce processus peut être déclenché par l’éducation scolaire dans certains cas. Il faut pour cela que le système éducatif ait été conçu pour favoriser cette éventualité. Mon propos ne signifie pas non plus que le continent africain ne dispose pas encore de talents. Mais les quelques un qui y ont émergé ne lui appartiennent pas véritablement puisqu’ils s’épanouissent mieux en dehors du continent. Il est temps que l’Afrique dispose de ses propres talents.

Georges Vivien HOUNGBONON

Abdoulaye Wade: Chronique d’un clown triste…

Me-Abdoulaye-Wade-Macky-SallVacances. Congés. Autrement dit, je me suis déconnecté complètement des Internets et des réseaux sociaux pour profiter de la grisaille de Paris, ainsi que de la rudesse et de la froideur de ses habitants.

Seulement, c’est sous-estimer le pouvoir d’attraction qu’exerce la toile (particulièrement chez un misanthrope reconnu qui ne vit que devant l’écran), et, mardi 24 février, alors qu’apparaissaient les premiers symptômes du manque occasionné (tremblements, filet de bave, tics), je rallumai mon PC. Premier contact, vidéo choc : Abdoulaye WADE s’en prend à l’actuel président du Sénégal, le traitant d’anthropophage, de descendant d’esclaves, entre autres joyeusetés. Pris d’horreur, je refermai immédiatement la machine (un magnifique PC de gamer, avis à ceux qui seraient prêts à m’affronter en ligne sur Rayman Legends ou PES 2015).

Malgré ma pathétique digression montrant l’étendue de mon addiction, cher lecteur, tu (ne fais pas de manières) ne sembles pas surpris de la sortie de Maître (sérieusement ?) Abdoulaye WADE. Comment te donner tort ? La veulerie de l’attaque à laquelle il s’est livré fait ressurgir l’un des graves maux dont souffre notre société : la complaisance vis-à-vis d’un système inique de castes, essentiellement basé sur la délation, et qui mine la société sénégalaise au quotidien. La population laisse faire au nom de la sacro-sainte « tradition » servant à sauvegarder des « valeurs », valeurs qui, ironiquement, s’évaporent quand « Monseigneur CFA » entre en jeu.

Il est donc tout à fait déplorable de voir « l’homme le plus diplômé du Caire au Cap » (c’est lui qui le dit) se faire le miroir de la face la plus méprisable facette de la société sénégalaise. Ce que je trouve personnellement regrettable, c’est que, connaissant la bête, cette sortie ne m’ait pas surpris. Est-il nécessaire de revenir sur tout le mal qu’Abdoulaye Wade a fait au Sénégal ? Dois-je vraiment rappeler le gouffre économique dans lequel, grandement aidé par le reste des vautours du PDS, il a plongé le pays ? La fracture technologique subie, le bradage des sociétés publiques, le dévoiement des institutions nationales et diplomatiques, ainsi que les ententes avec certains leaders « religieux » ont fait beaucoup de mal, plongeant le Sénégal dans le chaos ; ce qui poussa la jeunesse désabusée à descendre dans la rue pour refuser toute modification de la constitution qui lui eût permis de gagner les élections présidentielles de 2012 au premier tour en réunissant seulement 25% des suffrages, et qui eût facilité la transmission du pouvoir à son dauphin, son fils Karim Wade. Karim, à qui il avait confié, entre autres, un poste de conseiller spécial, à qui il avait donné les clés de l’organisation de la très juteuse Agence Nationale de l’Organisation de la Conférence Islamique, Karim qui sera nommé par son père (retiens ton souffle), ministre d'Etat chargé de la Coopération internationale, de l'aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures.

Karim qui, aujourd’hui, est poursuivi pour enrichissement illicite, et qui risque 7 ans de prison ferme, et plus de 380 millions d’euros d’amende. J’aurais pu donc croire que c’est le père, blessé dans sa chair, mû par l’amour filial, qui, dans un dernier râle, se cabre pour défendre le fils injustement attaqué. Mais les révélations des assassins de Maître Babacar SÈYE, les bouffonneries médiatiques Wadiennes qui ont duré douze ans, d’anciennes mesquineries et basses attaques menées par le vieux Président, font que je refuse d’y croire.

Je me refuse tout autant à lui témoigner de l’indulgence du fait de son grand âge, même si, comme le disait le bien-nommé Docteur Jerry Artree, professeur à l’université de Columbia : « la vieillesse est un naufrage »… Je refermai donc ma machine, et ne consentis à la rouvrir que le surlendemain, quand les convulsions reprirent et que mes paupières se mirent à trembler toutes seules.

Je parcourus quelques articles, et tombai sur la réaction de Macky SALL face aux attaques de Wade. Ayant choisi la carte de l’humour et de l’indifférence, le Président actuel du Sénégal a fait preuve d’une grandeur que je ne soupçonnais pas de sa part. Les réactions en substance des commentateurs sénégalais sur le web, fustigeant la sortie de Wade, me firent aussi le plus grand bien. J’allais donc célébrer mon regain de foi en l’humanité, quand je vis une robe qui déchirait les Internets en deux. Était-elle bleue et noire, ou blanche et dorée ? Je refermai à nouveau mon PC, me levai, me dirigeai vers les toilettes, me blottis derrière le bidet… Et me mis à pleurer. Je pleure encore.

P.S. : La robe est blanche et dorée.

Souleymane LY

« Nous n’avons qu’une Mauritanie, ne l’abîmons pas ! »

Kaaw ToureVue de loin, la Mauritanie apparaît comme un pays tranquille, calme et stable. Or,  voilà une image trompeuse qui égare bien des observateurs. C'est un pays complexe, secret, un volcan endormi, qui couve une crise interne découlant de la rupture d'un équilibre intercommunautaire.
Depuis le discours de La Baule, la Mauritanie dispose de sa « démocratie ». Avec une constitution (sur mesure), des partis politiques qui foisonnent, une presse dite « indépendante » que je préfère appeler « presse privée » et de temps en temps un simulacre de compétition électorale. C’est bien là des attributs d’une parfaite démocratie.

Mais la Mauritanie recouvre une toute autre réalité ; dissimule une face cachée d'une démocratie raciale. Cette donne est tellement insidieuse que les plaintes et les réserves à l’endroit de cette « démocratie » mauritanienne ne sont souvent pas comprises.

Depuis l’indépendance, nos chefs politiques incapables de se départir de l’esprit partisan, tous issus du milieu maure, se sont attelés sans relâche à développer des politiques qui, loin de forger la Nation encore inexistante, ont conduit à des crises cycliques et répétées, conduisant à une déchirure profonde entre les deux communautés. Par ces politiques nocives développées au fil des années et des régimes que guidait un système inique, on mit en place un apartheid déguisé. Déguisé, car on le chercherait en vain dans les textes institutionnels. Or il existe partout.

Le racisme d’État est partout !

La discrimination raciale commença d’abord feutrée, subtile et insidieuse, pour un projet qui allait devenir obsessionnel: construire une Mauritanie exclusivement arabe !
Pour ce faire, des mécanismes furent mis en œuvre pour que l’Etat fut la « chose » des arabo-berbères. Progressivement, au rythme des résistances qu’opposaient les Négro-africains, ont fît de sorte que les arabo-berbères contrôlent la réalité du pouvoir politique et économique, la justice, l’éducation, l’armée. La diplomatie ne sera pas en reste car, à l’extérieur, il faut afficher l’image d’une Mauritanie arabe par la composition des délégations, le discours et les clichés culturels. 

Évidemment pour masquer la nature discriminatoire des régimes, on va saupoudrer un peu par quelques « nègres de service », sans responsabilité aucune, personnalités aux genoux tremblants, figurines sans aucun pouvoir de décision!

Un des rouages essentiels de cette machine à discriminer fut l’usage qu’on fit de la langue arabe. Cette langue introduite très tôt dans le système éducatif, à des fins « d’indépendance nationale » selon le discours officiel. Ce fut une vaste supercherie qui visait en fait à cacher de sordides motivations. On lui fît jouer un rôle, non pas d’intégration, non pas d’épanouissement pour tous, mais d'instrument de sélection et de discrimination dans l’emploi et l’éducation pour éliminer les Négro-africains. Les enfants négro-africains commencèrent à échouer massivement.

Ce fut la période où il y eut un raz-de marée sans précédent de cadis, de magistrats, d’enseignants, de centaines de jeunes sautant à pieds joints dans le système, sans aucune formation,et dont le seul critère de recrutement fut le passage à l’école coranique. Comme si passer par cette école procurait automatiquement les compétences et les capacités requises aux métiers qu'ils exerçaient.

Ce fut un vrai gâchis au plan national, à la base de l’impasse et de la déchéance actuelle du système éducatif. Il a été instauré ainsi une politique de marginalisation massive des Négro-africains qui allait atteindre son apogée avec l’avènement du colonel Maaouiya Ould Taya.

Beaucoup d’observateurs ont présenté à tort les crises en Mauritanie sous une orientation inter-ethniques, comme si la communauté arabo-berbère et négro-africaine, se dressaient, par animosité, l’une contre l’autre. Ce ne fut jamais le cas. Ces crises étaient à l’image de ce qui se passait au Kwazulu-natal du temps de Botha. Elles étaient orchestrées par nos dirigeants à des fins politiques pour les exploiter judicieusement.

Ce n’est pas par hasard si la déportation de 120. 000 noirs mauritaniens au Sénégal et au Mali, ne suscita que peu d’émoi du côté des intellectuels et de la classe politique beydane, où l’on notait un silence assourdissant. Seuls quelques jeunes du Mouvement des Démocrates Indépendants (MDI), allaient faire exception.

J’ai toujours eu le sentiment que l’intellectuel ne pouvait rester sans rien faire, sans rien dire devant l’injustice. 

Pourquoi un tel silence? Le Régime du colonel-président avait-il réussi à les convaincre? C’est là du reste une dimension, entre autres, qui rend difficile la recherche d’une solution au problème, au regard de l’ambiguïté qu'entretiennent certaines formations politiques sur notre question nationale. Celles-ci, quand elles ne nient pas purement et simplement l’existence du problème, le réduisent à une simple question linguistique, ou de violation des droits de l’homme. A les entendre il suffirait, pour tout régler, que les déportés reviennent. Le débat, en général, au niveau de l’opposition politique au lieu de se focaliser sur les vrais problèmes, tournent hélas autour des questions périphériques.

En tout état de cause, ces déportations planifiées avaient des motivations sordides. Il s’agissait de profiter du « conflit » avec le Sénégal pour tenter de « dénégrifier » le pays, car le taux d’accroissement important des Négro-africains est devenu une hantise, au point que tous les résultats des recensements démographiques (par ethnie) sont tenus secrets, et ce depuis 1960 !

Il s’agissait aussi de saisir cette occasion pour faire passer enfin une réforme foncière qui rencontrait une forte résistance en milieu Négro-africain, pour servir des intérêts inavoués. La déportation justement, permit de redistribuer les terres de ces réfugiés en exil forcé au Sénégal, comme s’ils ne devaient plus jamais revenir.

Il s’agissait enfin de frapper les esprits en sévissant durement et partout pour intimider afin de décourager à jamais toute velléité de résistance, en décapitant la seule force politique organisée à l'époque que sont les FLAM, de manière à neutraliser l’avant garde éclairée de la contestation du projet hégémonique.

Dans le feu des événements, allait surgir une quatrième raison: récupérer le bétail peulh (150. 000 bovins) pour compenser les pertes matérielles subies par les maures rapatriés du Sénégal. Pour se venger du Sénégal voisin, les autorités mauritaniennes allaient se rabattre sans remords, sur ses propres citoyens qu’elles spolièrent et dépossédèrent pour les chasser ensuite comme des « vulgaires étrangers ».

Et dire que l’Afrique se tait devant ces actes barbares! Et qu’à côté, on garde un silence, à la limite de la complicité.

Ainsi donc, au fil des années et des régimes guidés par un même projet, la discrimination raciale allait s’accentuer, pour s’afficher violemment dans les années 80. Si avec les premiers régimes, un peu plus futés, elle fut feutrée, le règne du colonel Taya qui, lui, ne s’embrassera pas de scrupules, les Négro-africains passeront de l’état de marginalisation à l’exclusion totale ouvertement déclarée, dans laquelle, il faut replacer les déportations évoquées plus haut. Le colonel Taya allait, le premier, donner le cadre juridique de notre élimination par une constitution qui allait imposer désormais la langue arabe comme seule langue officielle.

Les plans d’ajustements structurels du FMI arrivant à point nommé, servirent pour vider l’administration des Négro-africains, surtout. Résolu, par une répression physique et mentale féroce, sans tergiverser comme ses prédécesseurs,Taya allait, à marche forcée, consolider le système et afficher l’option désormais déclarée d’une Mauritanie exclusivement arabe. « La Mauritanie n’est pas en voie d’arabisation c’est un pays Arabe » déclara t-il  à Jeune Afrique en Janvier 1990.

En Mauritanie, on est en face d'une minorité qui, pour pérenniser son pouvoir abuse de l’État et use d’un soubassement idéologique pour assimiler et asservir les autres composantes culturelles, une minorité qui confisque le pouvoir depuis plus de 50 ans, qui ne veut ni en partir, ni le partager. Voilà la réalité de notre « démocratie ».

Notre « démocratie » arrive donc et se plaque sur cette triste réalité qu’elle recouvre, intacte, sans rien changer, se muant ainsi en une « Démocratie raciale », à l'image de ce qu'a connu l'Afrique du sud.

Nous ne nous sentons pas concernés par une pseudo-démocratie qui nous exclut, nous avons cessé de croire en notre « État »,  qui a fait de nous des spectateurs passifs du jeu de compétitions électorales réservées aux citoyens à part entière.  Nous sommes, nous Négro-africains, au stade où nous luttons pour notre survie, pour notre reconnaissance en tant que citoyens, en tant qu’hommes simplement, dans un milieu hostile où l’homme voue l’homme au racisme et à l’esclavage. 

Pour sortir de cette impasse, il faut une attitude, un climat et des conditions. Une attitude courageuse d’ouverture sincère et de reconnaissance du problème. Un climat de décrispation sociale grâce à un train de mesures positives à l’endroit de tous ceux qui, victimes et blessés dans leur chair, ont subi des préjudices matériels et moraux. La sanction des crimes commis pour rendre leur dignité aux victimes, à leurs familles et aux orphelins.
Il faut instaurer un dialogue, car ce formidable potentiel de révolte enfoui commence à gronder. Il serait erroné de croire que toutes ces années de calme plat pourraient exclure toute éventualité de soulèvement populaire.

Après une concertation nationale proposée dès 1986 par notre "Manifeste du Négro-mauritanien opprimé", et dont les conclusions pourraient éventuellement être soumises au peuple, on aborderait enfin la phase d’une véritable démocratisation.

L'urgence de l'essentiel nous commande d'agir car voici ma conviction profonde : nous n'avons qu'une Mauritanie, ne l'abîmons pas !

La lutte continue!

Kaaw Touré

Porte-parole des Forces Progressistes du Changement (FPC- ex-FLAM).

Stéphane Tiki, le nègre couché

ST

On se sent forcément concerné quand on suit les déboires du camerounais Stéphane Tiki en France. Arrivé dans l'Hexagone en 2006, Tiki ne se suffisait pas apparemment de son statut d'étudiant camerounais de la Sorbonne. Il décide de s'engager en politique, à l'UMP jusqu'à en devenir récemment le président du mouvement des jeunes. Une « belle » histoire comme on sait nous en vendre en Afrique, d'un fils du continent qui aurait réussi à se faire une place au soleil de l'Occident. Sauf que la machine se grippe. Un journal français informe que Stéphane n'a pas la nationalité française et pire qu'il est même sans-papiers. Le comble pour quelqu'un qui dirige une instance du plus grand parti de la droite française. Dans un communiqué laconique, Tiki annonce sa démission le temps de l'aboutissement de sa procédure de naturalisation ; procédure qui finalement n'existait que dans son esprit mais nulle part sur la table de l'administration française.

Je ne suis ni pour, ni contre la double nationalité. J'ai une attitude de stricte neutralité, voire un désintérêt, sur le sujet. J'ai constaté en Europe, chez plusieurs africains issus de l'immigration, un questionnement identitaire permanent. Au rêve de l'idéalisation de l’Éden du « bled » succède le désenchantement du rejet. A la tentative d'expression d'une normale occidentalité se fige le mur du rappel permanent des origines. Mais le cas Tiki est symptomatique d'un autre état dans lequel une frange de la jeunesse africaine se laisse enfermer. Elle cherche à s'approprier une société qui n'est pas la sienne. Dans quel dessein ?

Est-ce l'amour puissant et sincère pour le pays d'accueil comme le clame Stéphane Tiki ? Ou le besoin de vivre de façon plus sereine face à la rigueur des démarches administratives ? Qui a été étudiant africain en France connaît la rudesse de certains soirs d'hiver où la chaleur du pays natal semble si lointain. Aucun français ne peut mesurer la solitude de l'étudiant sur qui tous les regards se tournent en soirée quand la playlist sort des sonorités africaines, antillaises (peu importe). « Tu es africain, vous avez le rythme dans le sang, vous…»

Je peux comprendre le besoin d'affirmation, de gommer ses différences (même son accent pour Tiki). Mais l'intégration ne peut absolument signifier la négation de soi -même. J'ai vu certains hurler au complexe, voire au manque de respect du jeune homme vis-à-vis de l'Afrique et des Africains. Non, Stéphane n'a manqué de respect qu'à Tiki. A personne d'autre.

Le voir sur des vidéos parler de « compatriotes », de « service civique à rétablir » et de son envie de servir via un « mandat électif », m'a fait sourire d'abord. Puis, j'ai été triste. Enfin, cela m'a vraiment glacé. Pourquoi s'infliger cet exercice permanent de mensonge et de dissimulation de son identité ?

En tous les cas, des injures aux railleries, Stéphane Tiki a vu sa jeune carrière de dirigeant politique tourner (définitivement ?) court. Le garçon, au-delà de la schizophrénie et de l’opportunisme, était aussi un modèle du mensonge. Après s'être insurgé sur les réseaux sociaux contre le droit de vote pour les étrangers hors UE et approuvé la reconduite à la frontière d'une kosovare sans papiers avec toute sa famille, Tiki vit un douloureux retour normal de l'ascenseur.

Toute cette semaine, j'ai été assez actif sur internet pour fouiner dans la vie de Tiki et sa carrière politique. Les articles, vidéos et publications sur les réseaux sociaux que j'ai consultés montrent que le jeune homme s'est englué depuis des années dans une spirale du mensonge et de la manipulation. Mais mes recherches m'ont aussi convaincu qu'il a du talent, du dynamisme, de la capacité d'animation et de mobilisation et beaucoup d'énergie.

Quel serait l'apport de ce jeune homme à son pays ? L'opposition camerounaise, face aux 32 ans de pouvoir de Paul Biya a certainement besoin du talent politique de Stéphane Tiki. Au lieu de faire le Noir de service auprès des racistes de la Droite forte, Tiki rendrait un énorme service à son pays, à la vitalité démocratique de ce pays qu'il ne cesse de renier depuis une décennie déjà.

Stéphane demandait que les étrangers en situation irrégulière soient reconduits à la frontière « conformément à la loi ». Il ne faut pas que les autorités françaises lui appliquent le même traitement. Il ne se remettrait pas d'une vie loin de la rue de Vaugirard, de ses camarades de parti et de ses « compatriotes ».

Hamidou Anne

Politique nigériane : petits arrangements entre camarades

IBB, OBJ and GMBLe 14 février prochain, le Nigéria première puissance du Continent organise une élection présidentielle importante pour l’avenir incertain d’un pays englué notamment dans la violence avec Boko Haram. Ce scrutin – certainement le plus ouvert de l’histoire du pays – pourrait déboucher sur une grande vague de violence. Terangaweb.com consacre un dossier à cette présidentielle nigérianne dont le premier article, signé par Tity Agbahey, s’intéresse aux relations ambigües au sein de la classe politique du pays.

 

Le 14 février, les électeurs nigérians se rendront aux urnes pour choisir leur (nouveau) Président. Dans ce pays de près de 178 millions d’habitants, première économie du continent africain, ce rendez-vous est surtout un moment angoissant puisqu’il s’accompagnera presqu’inévitablement de violences. Pourtant, cette année, le jeu électoral en vaut la chandelle parce qu’il pourrait aboutir à la première alternance depuis 1999, date du retour au régime civil, date aussi, depuis laquelle le People’s Democratic Party (PDP) est au pouvoir. Son candidat Goodluck Ebele Jonathan est opposé à Muhammadu Buhari, candidat du All Progressives Congress (APC), une jeune coalition de partis d’opposition qui a vu le jour en juillet 2013. Si Buhari remporte ces élections, le Nigeria sera dirigé par un parti autre que le PDP, une petite révolution. Vraiment, toute petite. Car, en réalité, au Nigeria, il n’y a pas de hasard. La politique est un arrangement entre amis. Les sorts de plus de 100 millions d’âmes sont entre les mains d’une infime minorité de gens, toujours les mêmes.

De façon ironique, alors que les détracteurs du Président Jonathan l’ont affublé du titre peu enviable de « pire président que le Nigeria ait connu », son élection en 2011 avait suscité beaucoup d’espoir dans ce pays où la classe politique se renouvelle très peu. Jonathan s’était présenté il y a 4 ans comme l’homme du peuple, sans attaches dans les hautes sphères, originaire d’une minorité ethnique sous-représentée en politique. Dans un pays immensément riche avec une population pourtant majoritairement pauvre, l’on s’est identifié à cet homme qui raconte sans détour son enfance modeste pendant laquelle il se rendait à l’école « sans chaussures et sans sac ». Il n’est pas militaire et n’a jamais dirigé le pays à ce titre. Casier vierge.

Son ascension politique même, ressemble à un accident : en 2005, alors vice-gouverneur, il est nommé Gouverneur de son Etat natal de Bayelsa après que Diepreye Alamieyeseigha, le Gouverneur en place, ait fait l’objet d’une procédure de destitution. Deux ans plus tard il rejoint Abuja en qualité de vice-président d’Umaru Yar’Adua ; lorsque celui-ci décède en 2010, Jonathan se retrouve à la tête de cet immense pays. Sans attaches, dit-il. Ni parmi les tout puissants hauts gradés, ni dans la classe politique. Sa mission était presque vouée à l’échec dès le départ. Car la politique au Nigeria a longtemps été l’affaire des militaires (qui ne sont jamais bien loin, aujourd’hui encore) avant de devenir celle des civils. Certains civils. Toujours les mêmes. Au Nigeria on n’aime pas le hasard. Pourquoi laisser le choix aux citoyens lorsqu’on peut s’arranger entre amis ?

En 2006, voyant venir la fin prochaine de son second mandat, le Président Obasanjo tenta de modifier la Constitution pour pouvoir se présenter une troisième fois à des élections. Un projet que le Sénat nigérian rejeta sans ambages, ne laissant pas d’autre choix à Obasanjo que de se retirer en 2007, à la fin de son second mandat pour vivre pleinement sa vie de vieux sage qui ne se prive pas pour dire, à qui ne veut pas l’entendre, ce qu’il pense des acteurs politiques de son pays. Mais il y a tellement d’autres façons de gouverner! En vertu de cette règle tacite du zoning par laquelle le pouvoir doit alterner entre ressortissant du Nord et ressortissant du Sud, la succession d’Obasanjo, un Yoruba (ethnie du Sud), devait revenir à un personnage du Nord.

Le Président sortant soutient –impose, en réalité- la candidature d’Umaru Yar’Adua, gouverneur de Katsina et frère de Shehu Musa Yar’Adua, vice-président de…Olusegun Obasanjo lorsque celui-ci a dirigé le pays sous le régime militaire de 1976 à 1979. La politique nigériane ressemble à un mauvais film : les personnages sont toujours les mêmes, ils changent juste de position et de titre. Ainsi donc, Obasanjo a été président de 1976 à 1979 sous régime militaire avant de l’être à nouveau de 1999 à 2007, sous régime civil. A la fin de son mandat, il a été remplacé par Umaru Yar’Adua, le frère de celui qui fut son vice-président de 1976 à 1979. Il faut suivre, avec les politiques nigérians.

Les sympathisants de Goodluck Jonathan soutiennent que c’est justement cette absence d’accointances avec le gratin politico-militaire qui a nui au natif de Bayelsa, car certains hommes politiques mal intentionnés auraient nourri Boko Haram jusqu’à en faire le monstre qu’il est aujourd’hui afin de s’en servir pour décrédibiliser Jonathan. Qu’à une époque de son existence, Boko Haram ait été soutenu par des gouverneurs du Nord, cela est assez probable mais dans tous les cas il y a longtemps que le monstre a échappé à tout le monde. Il terrorise aussi bien au Nord qu’au Sud et sans distinction de religion ou d’ethnie. Le Nigeria perd des portions entières de son immense territoire au gré de la progression du groupe terroriste. La situation est alarmante et humainement dramatique.

En 2011, on a cru que Jonathan serait un facteur de changement, lui qui n’était pas (encore) rompu à la corruption, à l’indécence et au ridicule. Mais le rêve américain n’est pas nigérian. En 2015, meurtri, touché dans sa fierté, terrorisé et désespéré, le Nigeria est tenté de fermer la parenthèse (pas) enchantée. L’alternance politique, la vraie, peut attendre. Pour le moment, on a besoin d’un sauveur. Et comme souvent on n’est pas allé le chercher bien loin. Muhammadu Buhari séduit ceux qui espèrent une réponse radicale aux nombreux maux du Nigeria. Dans le soap opéra qui se joue à la tête de ce pays depuis 1960, Buhari a déjà tenu quelques rôles : Général, Ministre du Pétrole et des ressources naturelles sous la Présidence d’Obasanjo (celle de 1976 à 1979) et, surtout, Président lui-même de 1983 à 1985. Depuis, il n’a cessé de tenter un retour en politique. Trois fois candidat malheureux (2003, 2007, 2011), il se présente pour la quatrième fois et pourrait bien réussir cette fois-ci. Le Nigeria a besoin de sang neuf, disent ses partisans.

Le sang neuf a 72 ans. Mais peu importe, c’est l’expérience qui compte. Une expérience acquise en même temps que de vieilles connaissances: Babangida, Yar’Adua et l’indétrônable Obasanjo. Nigeria dey oh !

 

 

Tity Agbahey

Ma foi, c’est l’africanité

africanitéQuand le passé est confus, et que le brouillard s'abat sur l'avenir, reste le présent qui est encore sous contrôle. Le présent et puissoi. Il est toujours possible de se regarder soi-même et d'en tirer quelque chose.

Alors, je m'observe, je vois comment je me comporte avec mes enfants. Puis je remonte dans le temps. Ma relation avec mes parents. La relation de mes parents avec mes grands-parents. La relation des grands-parents avec les arrières-grands-parentsNotre monde a tellement changé. Ma grand-mère écoutait toujours mon arrière-grand-mère avec humilité. Ma mère n'osait pas couper la parole à ma grand-mère. Il m'est arrivé plusieurs fois d'exiger des explications à ma mère… quelle audace ! Et me voici aujourd'hui entrain de fournir des explications à ma fille, par ma propre initiative, pour lui faire comprendre qu'après ces devoirs, elle a aussi des droits, même envers sa propre mère.

Les variables sont nombreuses. Les peuples africains sont présentés comme figés alors qu'ils ne sont que révolutions depuis la nuit des temps, mais révolutions lentes et silencieuses qui aujourd'hui s'accélèrent et explosent.

Le problème serait l'éducation: je ne sais pas. L'éducation commence à la maison et quand je m'observe, je ne vois rien de figé à la maison depuis mon arrière-grand-mère. Il faudrait enseigner Cheikh Anta Diop à l'école. Là encore, je ne sais pas. J'ai lu quelques oeuvres de Diop mais, je l'avoue, pas avec la même passion que j'ai eu à lire Émile Zola. Peut-être parce que mon africanité est difficile à mettre en mot. Un ami rappelait, face aux marches et contre-marches de ces derniers jours, que de tout temps les peuples africains ont marché et peuplé le monde. Une errance qui a donné naissance à l'humanité et qui se poursuit.

Mon africanité c'est une goutte de lait qui coule d'un sein. C'est une larme, un silence, un oeil qui brille, un rire, un sourireMon africanité, c'est lorsqu'après onze années de pratique d'un art martial japonais, mon sensei me dit un jour de grand froid, alors que je déposais mes bottes à l'entrée du dojo: "Comment fais-tu pour arriver ici toujours avec un sourire ?". Mon africanité c'est un coucher de soleil à Saint-Anicet, en pleine campagne québécoise, que je reconnais et avec qui je dialogue en vieille amie comme lorsque je l'observais étendue sur les dunes de sable de mon enfance. Mon africanité ce sont mes rires qui, issus de ces dunes de sable à Dakar, éclatent avec les mêmes sonorités dans ma gorge lors d'une glissade en luge sur la neige de Montréal. Mon africanité c'est la bataille pour manger la chair mince du cou du poulet autant à la Tabaski qu'à Noël.

Mon africanité c'est ma foi. Et je ne parle pas de religion. Et je ne parle pas non plus de tradition (qui englobe la religion). Je parle de vie.

Ce bonheur, cette joie, chez l'humain, d'être en vie. Un bonheur qui a vu le jour quelque part en Afrique, qui a depuis été propagé de par le monde, et nous voici tous aujourd'hui.

La clé de nos problèmes est en nous-mêmes.

 

Ndack Kane

Six promeneurs [pas] si seuls…

Macky Sall et Faure Gn_ParisLa participation de six Chefs d’Etat africains à la marche parisienne qui a suivi les récents actes terroristes en France a été largement critiquée sur le continent. Ils ont été traités de laquais de la France, peu émus par exemple par le massacre de 2000 personnes au Nigéria mais prompts à répondre à l’appel de leur « maître » François Hollande.

Je comprends leur émotion face à la mort tragique d’innocents journalistes sous les balles de barbares. Qu’ils aillent à Paris marcher ou condamner de leurs bureaux les actes terroristes m’importent peu au final. De toutes les façons, nos Chefs d’Etat dépensent si souvent l’argent du contribuable pour des sottises… Même si leurs motivations sont ailleurs, je leur accorde cette fois le bénéfice du doute. Les pauvres en prennent tellement que si, pour une fois, on peut les prendre au mot…

Pour être clair, qui veut marcher, aille le faire. Si cela peut aider certains à perdre du poids, c’est déjà cela de gagné !

Au-delà de la participation des présidents précités à la marche de Paris du 11 janvier, l’intérêt réside dans la suite à donner à l’acte. Quelle leçon en tireront nos « promeneurs du dimanche » après les larmes de Boni Yayi et la mine grave d’IBK ?

L’opinion publique africaine doit même saluer la présence expresse de ses présidents car dorénavant ils ne peuvent plus rester sourds aux appels pour le renforcement de la liberté d’expression et la garantie de l’existence d’une presse libre et indépendante chez eux.

Bongo, Faure et leurs compères ont reçu une leçon magistrale en une après-midi. François Hollande a marché sous le froid pour rendre hommage à des journalistes assassinés. Or, dans les pays de nos « marcheurs », l’état de la presse n’est pas reluisant. De façon globale, les journalistes demeurent souvent une cible privilégiée en Afrique.

Par exemple entre 2013 et 2014, neuf journalistes ont été assassinés en Somalie, selon RSF (Reporters Sans Frontières). La liste des journalistes tués sur le continent rappelle que le combat pour la liberté de la presse est plus qu’actuelle et doit nécessiter des efforts quasi quotidiens. « Journalistes incarcérés. Journalistes assassinés. Les voix des sans voix tuées. » Blondy parlait à nos consciences.  

Les fantômes de Deyda Haidara, Norbert Zongo, Robert Chamwami Shalubuto , Sofiane Chourabi, Nadhir Guetari et tant d’autres femmes et hommes de média morts résonnent encore dans nos mémoires. Souvent dans l’impunité la plus totale. Cette impunité des crimes est une seconde mort des victimes.

Profitant de l’actualité, j’ai encore vu les enfants de Don Quichotte du web s’insurger contre le « deux poids deux mesures » et se draper du manteau d’activistes ardents défenseurs d’une Afrique sans cesse « déshumanisée ». Ils m’ennuient à un point…

Je leur demande, à ceux-là, s’ils avaient dénoncé l’assassinat au Cameroun du blogueur Eric Lembele du fait de son orientation sexuelle ? Qui a mené une campagne pour demander au gouvernement camerounais de faire la lumière sur cette affaire dont on n’identifiera sans doute jamais les auteurs ? Les « pédés » ont moins de droit à la vie que les victimes de Baga ? Leur reniez-vous leur simple humanité ? Liberté d’expression me dites-vous ? Chiche !

Alors, si après cette marche, nos présidents si prompts à défendre sur les rives de la Seine la liberté d’expression ne s’érigent plus en rempart contre tous les actes de fragilisation de la démocratie chez eux, ils auront été les auteurs d’une farce de mauvais goût.

J'espère qu'après avoir marché avec 3 millions de personnes, ils vont lutter davantage pour la liberté de la presse en Afrique. C’est le minimum qu’on pourra désormais leur demander.

Apparemment c'est mal parti. Après avoir participé à la marche républicaine du 11 janvier, Macky Sall a interdit au Sénégal la distribution du numéro de Charlie Hebdo qui a suivi l'attentat. Où est la logique ? Cette contradiction est juste fascinante et renseigne sur l'état d'indigence intellectuelle de cette classe politique. 

De Samir Kassir au Liban à Zongo au Burkina, la presse demeure une cible à abattre. Quand les ennemis de la liberté veulent commettre leur forfait en silence et loin des regards, ils s’en prennent d’abord aux témoins du temps qui passe, ceux qui informent, témoignent et forgent ainsi la conscience de l’opinion. Dans l’Algérie des années 90, les journalistes payèrent un lourd tribut à la terreur du GIA.

Aujourd’hui, défendre le chroniqueur Kamel Daoud victime d’une fatwa lancée par un idiot est un devoir au même titre que s’insurger contre toutes les menaces à la liberté de conscience et d’expression. Défendre la liberté de la presse, son droit à la provocation, à l’irrévérence et à l’impertinence, c’est croire en la démocratie et en ses valeurs de tolérance même si cela heurte notre foi.

Pour nous tous en Afrique, et pour nos six « promeneurs du dimanche » en particulier, les événements de Charlie Hebdo doivent inviter à une réflexion sur la place que l’on accorde à la liberté d’expression, au rôle crucial que joue la presse dans la confection d’une démocratie réelle et puissante dans un pays.

Hélas, au contraire, une hiérarchisation des victimes fait le lit des réactions d’une grande partie de l’opinion. En aucune manière, les journalistes de Charlie Hebdo ne peuvent être supérieurs à la petite fille que les barbares de Boko Haram ont utilisé comme projectile pour commettre leur abject forfait.

Mais nullement les morts juifs tués par la folie d’Amedy Coulibaly ne peuvent être placés en dessous des victimes innocentes en Afrique. Au Kivu ou en Casamance, A Maiduguri ou à Kidal. A Tripoli ou au Darfour. J’ai déjà écrit sur ces pages qu’une hiérarchisation des crimes (selon leur gravité) était possible, mais qu’aucune hiérarchisation de la douleur des familles n’était acceptable.

La victimisation d’une grande partie de l’opinion publique africaine traduit un complexe d’infériorité, un malaise face à l’inaction de nos dirigeants, en premier au Nigéria, incapables d’enrayer une grave menace depuis des décennies. Si la jeunesse d’Afrique a attendu la mort des journalistes de Charlie Hebdo et la marche qui l’a suivie pour se rendre compte qu’elle devait se sentir concernée par les massacres de Boko Haram, elle ne mérite pas qu’on la respecte ; elle ne mérite pas qu’on la félicite ni qu’on la fustige. Elle aura mérité seulement qu’on la méprise.

Des manifestations ont été organisées dans plusieurs pays africains et en Europe pour, disent-ils, crier « Je suis Africain », « je suis nigérian »… Pour s'insurger contre la Une de Charlie Hebdo, des églises ont été calcinées et des personnes tuées. Non, pas en mon nom ! Si notre horizon indépassable est de toujours être dans la réaction, l’amertume et le suivisme, alors non merci. Je ne suis pas de cette Afrique là. Je prône l’afro-responsabilité.

PS : Qui des « six promeneurs » ou de Goodluck Jonathan (absent de Paris) dont le compte Facebook postait des photos du mariage de sa fille pendant le massacre de Baga aura davantage fait mal à l’Afrique ? 

Hamidou Anne

« Black and yellow »

wunionLa scène se passe dans le 18è arrondissement parisien. Il est seize heures, le taxiphone de Niasse grouille d’une clientèle pressée et bruyante. Des voix résonnent à travers les boxes  accolés les uns aux autres – des cabines téléphoniques !  Et l’on peut, grâce aux paroles que laissent échapper leurs portes pourtant closes, deviner la teneur de ces conversations familiales pour la plupart. Une jeune femme fond en larmes après avoir hurlé des mots au téléphone et raccroché furieusement. Elle sort de la cabine qu’elle occupait et fouille son porte-monnaie en reniflant.

On a tous connu ça, lance alors un homme qui la regarde. Envoie l’argent qu’ils te demandent ! Tu n’as pas le choix, ma ‘’sœur’’.

J’en ai marre, fait alors l’intéressée en tirant une chaise sur laquelle elle s’affale.

Des larmes plus abondantes cette fois-ci la secouent. Niasse se rapproche de la cliente et lui demande d’une voix calme ce qui ne va pas. Il semble bien la connaître (une habituée de son commerce certainement). La jeune femme s’ouvre alors et raconte son malheur d’être née de parents cupides, qui tous les mois l’importunent avec leurs demandes d’argent incessantes. Ils ne sont pas pauvres, précise-t-elle : « Mon père enseigne à l’université, ma mère travaille… Mais c’est à moi… moi qui galère ici en France et me bats pour boucler des fins de mois difficiles de leur envoyer des sous…Ils sont sans pitié. Tout ça parce qu’ils t’ont élevée et mise à l’école…»

Nous l’écoutons tous en feignant le désintérêt le plus total, gênés par ces confidences qu’elle lâche. Des histoires de famille qu’elle ferait mieux de garder pour elle.  Non mais franchement, qu’est-ce qu’on en a à fou*** nous autres ?!

J’en ai marre …

Ça va aller, dit Niasse pour la réconforter, c’est rien ça.

Les enfants en Afrique sont un investissement ! Moi-même là, je suis fatiguée d’envoyer de l’argent, commente alors une autre cliente (une  Camerounaise à en croire son accent) Niasse, stp, je veux faire une photocopie. C’est combien… ?

Un investissement. Le mot est lâché. Il sonne fort mais exprime bien ce que de nombreux enfants ont le sentiment de représenter aux yeux de leurs parents.

Très jeunes déjà, on leur enseigne qu’ils doivent réussir afin de pouvoir à leur tour s’occuper  de leurs « vieux » : pourvoir aux besoins de ceux-ci, veiller à ce qu’ils ne manquent de rien.

C’est l’éternelle question du « rapport à l’enfant » en Afrique qui se pose ici. Elle suscite débat.

Les uns estiment qu’aider ses géniteurs est un devoir sacré, quand d’autres dénoncent cette culture de la « rentabilité ». Culture propre aux parents qui sont dans une posture d’attente perpétuelle, et exigent régulièrement de l’argent et des présents à leur progéniture.  De l’argent et des présents en récompense des efforts fournis pour élever des rejetons qui se montrent  décidemment bien trop ingrats de nos jours.

J’ai fait ceci pour toi, j’ai fait cela. J’ai payé tes études, … Tu me dois beaucoup.

C’est le discours que l’on sert régulièrement à ces milliers de jeunes qui leurs études terminées,  font à peine leur entrée dans la vie active. Et pas question qu’ils jouissent seuls de leur salaire. Il y a les parents à soutenir, les cadets à entretenir. Alors toutes les fins du mois (avant que la paye ne tombe) les sollicitations se font pressantes, les transferts d’argent sont vivement attendus. Et l’agacement… l’agacement et un sentiment d’asphyxie ne tardent pas à remplacer la joie que l’on éprouve à faire plaisir à ses parents de façon spontanée et délibérée.  L’on assiste alors à des scènes comme celle dont je suis le témoin involontaire dans ce taxiphone parisien, quelque part dans le 18ème arrondissement, où je suis venue me procurer une carte de recharge téléphonique.

Ralphanie Mwana Kongo

Jeunes d’Afrique : en 2015, soyez aigris !

jeunesse« Voyage en Mauritanie et aux USA à bord du Boeing 737 de la république du Mali. Contrôle technique OK. Dommage pour les aigris…. »

Le 1er août 2014, en plein scandale autour de l’affaire des surfacturations, l’ancien  ministre malien Mahamadou Camara a publié ce tweet qu’il a dû regretter depuis. Ainsi donc demander des comptes à ses mandataires sur la façon de gérer les deniers publics, c’est être aigri. Qu’à cela ne tienne ! en 2015, jeunesse africaine, sois aigrie !

Je ne suis pas adepte du « Africa is rising », ce mantra qui cache mal les réalités du continent et les défis auxquels il continue à faire face. Le discours de l’émergence ne résiste pas aux  6000 morts de l’épidémie de la fièvre Ebola qui est venue nous rappeler que nos bases demeurent fragiles. En 2014, l’Afrique de l’Ouest, friande de l’émergence à coups de ponts et de routes flambant neufs a quémandé de l’aide et même inspiré une chanson aux éternels sauveurs. Comme au bon vieux temps.

De quoi est faite l’émergence lorsque dans beaucoup de villes africaines, l’on peut encore mourir dans les couloirs d’un hôpital pour ne pas avoir pu payer de sa propre poche les frais de santé ? A quoi reconnait-on l’émergence alors que nos enfants font la guerre et que certains de nos dirigeants mêlent patrimoine privé et patrimoine de l’Etat ?

Peut-on sérieusement parler d’émergence lorsque la garantie la plus élémentaire de sécurité n’est pas assurée et qu’un groupe armé peut décimer des villages entiers et faire 2000 victimes ?

Toutefois, la jeunesse africaine, elle, émerge ! Insolente et aigrie, elle rappelle à ses dirigeants qu’aucun pays ne peut sérieusement parler d’émergence sans compter avec la moitié de sa population. Et elle rappelle au monde que nous ne sommes pas ce que nos dirigeants font croire de nous.

L’Afrique est riche de sa jeunesse et là est la véritable clé de son émergence. La jeunesse africaine a compris qu’elle ne peut et ne doit placer son salut en personne d’autre qu’elle-même.

Cette année, des pays qui se rendront aux urnes, cinq concentrent particulièrement les attentions (et les angoisses !) parce qu’ils sont situés dans cette région dont Ebola et Boko Haram ont révélé les fragilités : l’Afrique de l’Ouest. Ce sont le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Nigéria et le Togo. Les jeunes burkinabè n’ont pas attendu 2015 pour rappeler à ceux qui en doutaient que des aigris déterminés et disciplinés peuvent faire tomber les baobabs ! En 2015 rappelons à nos dirigeants qu’ils ne sont que des mandataires et que dans tout mandat, le mandant a le droit de rompre le contrat si l’autre partie ne remplit pas ses obligations. Sans heurts, sans violence.

Qu’on ne détourne pas notre attention et qu’on ne travestisse pas nos luttes.

Jeune électeur, ne laisse pas les politiques emmener le débat sur les terrains ethniques et religieux. Demande des comptes à ceux qui prêchent la bonne nouvelle politique. Quand ils auront fini de pleurer des larmes de crocodile et de se présenter en sauveur, demande-leur où sont passés les milliards qui ont disparu des finances nigérianes et à qui profite cette manne qui fait du pays la première puissance économique du continent. Quand tu auras rappelé à quelques-uns qu’un pays entier ne peut pas figurer sur la liste des biens d’une succession, surtout examine attentivement l’alternative que te proposent les candidats au sauvetage de la nation ! Quand ils te demanderont de leur renouveler ta confiance, jeune électeur, à ton tour, demande des comptes à ceux qui sont arrivés auréolés de la gloire de l’opposant historique et dont le seul programme de gouvernance se résume finalement à « c’était comme ça avant que j’arrive ». Jeune électeur, ne te laisse pas distraire par les luttes pour la succession au sein d’un parti et garde la tête froide au milieu de la cacophonie.

La jeunesse aigrie ne veut plus de guide éclairé, de grand timonier et de pouvoir immuable. Consciente de son héritage, elle ne renie pas son histoire, se souvient des grandes luttes et des grandes conquêtes et est reconnaissante à tous ceux à qui elle doit une liberté chèrement acquise. Mais la jeunesse aigrie ne veut plus de chaperon. Elle est instruite, éduquée et ordonnée, elle produit des idées et pose des actes, elle se sait personnage de son Etat, citoyen de son pays, de son continent et de son monde et ne s’en laissera pas compter. Elle observe, analyse et s’indigne.

L’indécence de nos politiques doit nous faire réagir. Les aigris que nous sommes ne peuvent pas rester indifférents à un dirigeant qui demande à son peuple de prier pour que l’électricité soit rétablie dans le pays, nous devons nous indigner de ce que 9 mois plus tard, les jeunes filles de Chibok aient disparu de nouveau, cette fois, de nos journaux et des discours de nos dirigeants, nous devons demander des comptes à ceux à qui nous avons donné mandat de nous diriger. Et leur rappeler – encore !- que ce n’est qu’un mandat, ce n’est ni un sacerdoce ni une mission sacrée. Ils ne sont ni oints ni élus de Dieu.

Spectatrice trop longtemps silencieuse des comédies qui se jouent au sommet de nos Etats, la jeunesse africaine a fini de rire. Désormais elle réécrit le scénario et monte sur scène.

En 2015, jeunesse africaine, n’oublie surtout pas que tu es « seul artisan de ton bonheur ainsi que de ton avenir ». Sois aigrie !

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

graph1_intro_15graph2_intro_15

Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

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