La redevabilité des acteurs, une priorité pour une lutte efficace et durable contre la malnutrition.

arton15640En 2000 s’est tenu un rassemblement historique des chefs d’État et de gouvernement au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. A l’issue de cette rencontre cent quatre-vingt-neuf (189) pays ont adopté la déclaration du millénaire, dans laquelle les huit (8) objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont été annoncés. Quinze (15) ans plus tard, le résultat de l’objectif huit (8) concernant « le partenariat mondial pour le développement » indique que « L’aide publique au développement des pays développés a augmenté de 66 % en valeur réelle entre 2000 et 2014 ». En mettant en parallèle celui-là avec le résultat du premier objectif des OMD qui avait pour but de réduire l’extrême pauvreté et la faim montrant que « la proportion des personnes sous-alimentées dans les pays en développement a diminué de près de moitié depuis 1990. »,  il devient pertinent de s’interroger sur ce que ces avancements impliquent dans une dimension plus ciblée à savoir la lutte contre la malnutrition en Afrique Subsaharienne. 

Malgré les a priori sur le sujet, la malnutrition n’est pas liée simplement à des apports d’aliments en excès ou insuffisants ; elle est principalement causée par une absence de nutriments essentiels affaiblissants les défenses du sujet contre les maladies courantes tout en pesant sur sa croissance. En Afrique , même si l’on constate une augmentation de la visibilité des cas d’obésités  et de surpoids -qui sont un autre type de malnutrition- accompagnés par des cas de maladies liées à l’alimentation et à la nutrition comme les maladies cardiovasculaires, les diabètes etc.,  le type de malnutrition le plus connu par l’inconscient collectif, et attribué au continent africain, est celui lié aux carences qui touche généralement les enfants de moins de cinq (5) ans , dont les deux (2) principales formes sont définies ci-dessous :

  • la malnutrition chronique ou retard de croissance est le résultat d’une alimentation et/ou d’une hygiène inadéquate, de l’insuffisance des soins sur une longue période. Le retard de croissance est un indicateur de la pauvreté et de la vulnérabilité. Ses conséquences se mesurent sur le long terme.
  • la malnutrition aigüe résultant d’un apport énergétique insuffisante, des pratiques d’allaitement et d’alimentation inadéquate et des maladies récurrents. Ses conséquences sont immédiates et peuvent conduire à des risques de mortalité.

Le nombre de personnes touchées par la malnutrition est assez conséquent tant au niveau planétaire qu’au niveau du continent africain, d’où l’importance d’élaborer des stratégies de réponses harmonieuses, cohérentes et rationnelles nécessitant d’important flux financiers et de compétences diverses faisant appel aux Etats, aux bailleurs, aux agences onusiennes, à la société civile, au secteur privé et au secteur académique. Cela peut être expliqué par différents facteurs et en particulier par les multiples engagements pris par les acteurs de la nutrition présents en Afrique subsaharienne. En guise d’exemple on peut citer le cas du Burkina Faso qui, bien que les derniers événements socio-politiques aient ralenti l’avancement de sa feuille de route, est en cours d’élaborer son Plan Stratégique Multisectoriel. Ceci explique sans nul doute le fait que le gouvernement burkinabé a érigé au rang de priorité nationale : la lutte contre le retard de croissance, en signant le pacte mondial de nutrition pour la croissance économique et sociale.

Cette note introductive rend compte de l’importance des investissements pour soutenir les pays en voies de développement  dans leur lutte contre la pauvreté et les problématiques de santé publique à l’image de la malnutrition. Pour faire face à cette problématique de santé publique frappant de plein fouet le continent, des investissements sont attribués à l’ensemble des interventions destinées à lutter contre.

Ceux-ci sont généralement attribués à deux grands types d’intervention : d’une part les interventions directes ou spécifiques, autrement dit celles qui s’adressent aux déterminants immédiats de la nutrition et du développement fœtal et infantile (Ruel et al, 2013). D’autre part les interventions indirectes, c’est-à-dire celles qui attaquent les déterminants sous-jacents de la nutrition et du développement fœtal et infantile – sécurité alimentaire, pratiques de soins adéquats au niveau maternel, familial et communautaire, accès à des services de santé et à un environnement sain et hygiénique- en intégrant des objectifs et actions spécifique à la nutrition (Ruel et al, 2013) communément appelés interventions « sensibles ». Si ces deux premiers types d’interventions catalysent une grande partie des investissements de la nutrition, nous pouvons noter tout de même l’existence d’investissements destinés à un troisième type d’intervention pour faire face à la malnutrition: la construction d’un environnement favorable. Ce dernier type d’intervention renvoie à des évaluations rigoureuses, à des stratégies de plaidoyer adaptés et efficaces, à la coordination des actions à tous les niveaux, à un engagement de redevabilité, à la régulation des motivations et de la législation, à un développement des capacités d’investissements et à la mobilisation des ressources intérieures.

Ces faits montrent de part et d’autre l’importance de la lutte contre la malnutrition et des investissements mobilisés par les différents secteurs. Par contre si l’on tient compte du suivi des investissements réalisé dans les financements des activités de santé à travers les Comptes Nationaux de la Santé, des investissements publics pour les infrastructures, des audits auprès des entreprises privées et publiques etc., il devient tout à fait légitime de s’interroger sur le suivi des investissements en nutrition dans les pays en développement. Qui finance la nutrition dans ces pays, principalement en Afrique subsaharienne ? Quelles sont les interventions les plus financées ? Ces interventions ont-elles des impacts positifs ? Peut-on mesurer le coût-efficacité des interventions de la nutrition ? 

Pour répondre à ces différentes questions, une méthodologie ne concernant que les investissements publics  a été proposée par le mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) «fondé sur le principe du droit à l’alimentation et une bonne nutrition à tous » regroupant les six secteurs (évoqués en haut) pour renforcer la nutrition. La méthodologie proposée consiste à :

  • identifier les  allocations budgétaires pertinentes pour la nutrition via une recherche par mot-clé ;
  • évaluer clairement les allocations budgétaires spécifiques et sensibles à la nutrition;
  • attribuer des ratios aux spécifiques (100 %), tel qu’un programme national de nutrition; et une allocation raisonnable pour les programmes contribuant à la nutrition (e.x 25 %), tels que les programmes de protection sociale et les programmes de développement de la petite enfance.

L’atelier SUN tenu dans la capitale ivoirienne du 27 au 29 avril 2015 avec la présence de quatorze (14) pays dont sept (7) pays – Benin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Cote d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Madagascar- ont réalisé et présenté l’analyse des budgets de la nutrition. Les résultats de l’analyse soulignent la quasi-absence d’interventions spécifiques à la nutrition pour le Cameroun ainsi qu’une grande partie des sept (7) pays, comme en témoigne la remarque d’un représentant de la société civile camerounaise : « il n’y a presque pas de budget pour les interventions spécifiques à la nutrition » concluant qu’ils vont se servir des résultats de l’atelier pour attirer l’attention du gouvernement afin qu’il soit pris en compte dans le prochain plan budgétaire.  Cet exercice  a permis également aux pays présents à l’atelier de connaître les secteurs qui contribuent à la nutrition et où trouver les allocations de la nutrition. 

Dans le même sens des ateliers SUN sur les investissements en nutrition on peut citer la rencontre des pays anglophones d’Afrique en Ouganda du 21 au 22 avril 2015 avec la participation de l’Ouganda, du Kenya, du Lesotho, de la Gambie, du Ghana, du Soudan du Sud et de la Zambie. Les faits saillants de l’atelier recommandèrent d’intégrer les allocations de la nutrition dans les différents secteurs du gouvernement zambien et la multisectorialité de la nutrition a refait surface ainsi que la nécessité d’adapter le jargon de la nutrition afin de la rendre accessible.

En sommes ce que l’on peut dire à l’issu des ateliers SUN sur le suivi des investissements en nutrition est que « disposer de données fiables est essentiel pour permettre aux décideurs de procéder à la définition des priorités, à la planification et à la prise de décisions éclairées sur l’allocation des ressources pour la nutrition dans les budgets nationaux. C’est à ce point que les gouvernements opèrent des choix fondamentaux de dépense pour améliorer la nutrition, lesquels choix peuvent jeter les bases pour l’avenir de la nation ». En d’autre terme la redevabilité des acteurs des différents secteurs de la nutrition est primordiale pour la mise en place des Plans Nationaux de Nutrition. L’engagement des acteurs d’être comptable de la nutrition permettrait non seulement aux pays de disposer de données concernant les allocations et les dépenses pour la nutrition, mieux cet engagement serait aussi un baromètre pour mesurer le coût-efficacité des interventions. De plus si les données sont renseignées de manière transparente l’outil peut servir de comparaison entre les pays ayant suivi les investissements en nutrition, ce qui serait un moyen pour mesurer l’efficacité ou non des interventions financées dans différents pays et différents contextes.

Le Guatemala a compris cela en élaborant son propre système de suivi des investissements en nutrition. Il a mis en place un système de surveillance des investissements en faveur de la nutrition, dans l’optique de déterminer l’adéquation des ressources par rapport aux investissements. Depuis la mise en place de ce système le pays a maintenant à sa disposition (Bulux J. et al., 2014) :

  • un budget de sécurité alimentaire et nutritionnelle ventilé par Institution, Programmes et Activités ;
  • des responsabilités claires, avec des fonctionnaires désignés responsables des différentes étapes du système de mise en place ;
  • un outil simple de mise en œuvre, facilitant la compréhension des dépenses publiques à différents niveaux ;
  • une bonne coordination entre les institutions.

En dehors de cet exemple, l’Afrique subsaharienne pourrait disposer de son propre système de suivi des investissements en tenant compte par exemple aux amendements du dernier rapport d’Unicef sur le suivi des investissements en nutrition au Burkina Faso entre 2011 et 2014.  Ces amendements peuvent être améliorés en cherchant du côté des travaux réalisés par le mouvement SUN, même si sa méthodologie mérite d’être affiner, du côté des récents travaux académiques sur le sujet et du côté du SPRING qui envisage de continuer à suivre les investissements de la nutrition pour l’Ouganda et le Népal.

Cette démarche responsable, de qualité et d’engagement à la transparence, base d’un « contrat moral » à la redevabilité serait un premier pas pour « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable » comme souhaité par le deuxième objectif, des Objectifs du Développement Durable (ODD) qui sont une nouvelle série d’objectifs, cibles et indicateurs rentrés en vigueur cette année pour une durée de quinze (15) ans sur lesquels les États membres de l’ONU devraient baser leur programmes et politiques.

Ibrahima-Ndary GUEYE

Références :

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : http://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/MDG%202015%20pressreleasemessage_fr.pdf

Malnutrition MSF : http://www.msf.fr/activites/malnutrition

Malnutrition FAO: http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/eufao-fsi4dm/doc-training/bk_1b.pdf

Mouvement SUN : http://scalingupnutrition.org/fr/ressources/suivi-financier-et-mobilisation-des-ressources/analyse-de-budget

Global SUN Gathering 2015 https://www.youtube.com/watch?v=MHp2B0NmjLs

Atelier SUN Ouganda: http://scalingupnutrition.org/fr/news/les-pays-sun-dafrique-demontrent-le-bien-fonde-de-linvestissement-pour-la-nutrition-a-travers-lanalyse-de-budget#.VkuJBvkve01

Atelier SUN Abidjan: http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-odd-cest-quoi-315654

Les Objectifs du Développement Durable (ODD) : http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-odd-cest-quoi-315654

Picanyol C., Financial Resource Tracking for Nutrition: Current State of the Art and Recommendations for Moving Forward, Global Nutrition Report, disponible sur: http://globalnutritionreport.org/files/2014/11/gnr14_pn4g_11picanyol.pdf

The Lancet, Maternal and child Nutrition, Executif summary of the Lancet Maternel and children nutrition series, 2013. Disponible sur http://thousanddays.org/wp-content/uploads/2013/06/Nutrition_exec_summ_final.pdf

Bulux J. et al ., Suivi des crédits financiers en faveur de la nutrition : l’expérience du Guatemala. Nutrition Mondiale, Rapport 2014 disponible sur : http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/gnr14fr.pdf

L’Afrique connaîtra-t-elle un dividende éducatif ?

4524953_6_724b_il-n-y-a-plus-que-six-pays-a-travers-le_196f2ae5c6333fc36d59219c128b50ffLa transition actuelle de la fécondité dans les pays d’Afrique sera-t-elle profitable à l’économie ? Entre 1990 et 2010, le taux de natalité est passé de 6,2 à 4,9 enfants par femme. Un recul qui, en créant les conditions d’un « dividende démographique » historique, aurait dû améliorer les perspectives de la région sur le plan de l’éducation et du développement. En théorie, un dividende intervient avec la réduction temporaire des taux de dépendance (rapport actifs/inactifs) consécutive au repli du taux de fécondité. Mais, dans la pratique, ce phénomène et les conditions qui favorisent son apparition sont difficiles à cerner.

Tous les chercheurs ne sont pas du même avis. Les optimistes trouvent les arguments positifs convaincants : le recul de la fécondité peut améliorer l’éducation à travers plusieurs mécanismes, dont la réduction de l’incidence des abandons scolaires liés à une grossesse, la diminution de la taille des cohortes et des fratries ou encore la baisse du taux de dépendance (figure 1). Cette vision sera confortée par les résultats d’études montrant des corrélations inverses entre fécondité et scolarité ou par l’expérience de l’Asie et de l’Amérique latine qui ont, semble-t-il, bénéficié d’un dividende éducatif pendant leur transition.

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Pour les plus circonspects, théorie et corrélations ne suffisent pas. Les indispensables liens de cause à effet ne sont guère étayés par des données concluantes, du moins à une échelle et un degré d’agrégation autorisant à affirmer avec certitude certaines généralités sur la région. Faute de données idéales, des méthodes de décomposition permettent d’apprécier de manière pragmatique le dividende éducatif, en s’intéressant aux gains mécaniques des dépenses publiques d’éducation par enfant liés à l’évolution de la structure par âge d’un pays. Cette approche est pratique à deux égards : premièrement, elle repose sur des statistiques largement disponibles ; et, deuxièmement, les calculs sont transparents car fondés sur une relation mathématique simple associant les dépenses publiques d’éducation par enfant, le revenu national,  la part du revenu allouée à l’éducation et la population en âge d’être scolarisée.

Cette approche est au cœur d’un travail récent de la Banque mondiale pour estimer les gains des dépenses publiques d’éducation par enfant observés entre 1990 et 2010 dans plusieurs pays d’Afrique et dont les grandes conclusions sont les suivantes :

  • l’étude a trouvé des éléments attestant de l’émergence d’un dividende éducatif dans la région. Pour l’Afrique subsaharienne, les dépenses moyennes par enfant ont augmenté, de 96 à 198 dollars, les gains étant plus importants dans les pays à l’avant-garde de la transition de la fécondité. L’Afrique australe (hors Zimbabwe) a ainsi enregistré une progression moyenne de 75 % de la valeur des dépenses publiques d’éducation, 26 à 70 % de ces gains découlant d’une baisse du taux de dépendance. Les transitions de la fécondité pouvant par ailleurs influer sur l’éducation par d’autres canaux (figure 1), le dividende éducatif total devrait être encore plus important.
  • Le rapport avance quatre observations :
  • la croissance économique et les engagements budgétaires sont aussi importants que le taux de dépendance. Là où les gains de dépenses par enfant sont les plus marqués, ce résultat s’explique par une relation équilibrée entre baisse du taux de dépendance, croissance économique et engagement de l’État en faveur de l’éducation ;
  • ces gains sont variables (figure 2) et sélectifs dans la manière dont ils renforcent les inégalités éducatives entre pays. De tels écarts peuvent également apparaître au sein d’un pays, sur fond d’inégalités importantes et croissantes des taux de natalité et en fonction de l’évolution du coût de l’enseignement secondaire ;
  • l’approche par la décomposition privilégie les gains sur le plan des intrants scolaires par élève et non en fonction des résultats scolaires effectifs. L’amélioration des intrants ne peut à elle seule garantir l’obtention de meilleurs résultats et l’impact de cette corrélation varie d’un pays à l’autre ;
  • les dividendes attendus n’ont rien d’automatique, surtout là où la transition piétine depuis quelques années. Pour se concrétiser, un tel dividende doit aller de pair avec un recul rapide, durable et général de la fécondité et des incitations constantes à investir dans l’éducation.

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Globalement, les pays africains à l’avant-garde de la transition des taux de fécondité semblent déjà bénéficier d’un début de dividende éducatif qui n’a rien d’universel et qui ne sera en aucun cas systématique. Pour y parvenir, il va falloir opter pour des politiques démographiques et éducatives volontaristes incitant les familles à renoncer aux grandes fratries au profit d’investissements accrus dans l’éducation.

Un article initial de Parfait Eloundou-Enyegue                 

Protection de l’environnement : Quel potentiel pour l’approche propriétariste en Afrique ?

Sans titreLes enjeux environnementaux en Afrique sont énormes, du souillage du Delta du Niger au traitement des déchets et des effluents, en passant par la surexploitation des ressources halieutiques des côtes. En matière de protection de l’environnement, l’approche par les droits de propriété a été développée depuis les années 80, en réaction à la fois à l’approche réglementaire et à la nouvelle tradition juridique « Law & Economics » fondée sur le critère de l’efficience. Elle propose un retour à la règle de responsabilité civile et se révèle être une alternative promouvant à la fois le respect des droits, la croissance et l’environnement. Mais qu’en serait-il en Afrique ?

L’approche réglementaire remonte aux travaux de l’économiste Arthur Pigou sur les « externalités négatives » de l’activité économique : pollution de cheminées d’usine, effluents toxiques déversés dans des rivières, pesticides agricoles dans les nappes phréatiques etc. Autant de « déservices » produits par le pollueur de manière annexe à sa production « économique » et pour lesquels il n’y a pas de compensation pour dédommager les pollués. Pigou considérait qu’il y avait là un échec du marché à internaliser le coût dit « social » de la pollution et que le rôle de l’État consistait à rétablir « la vérité des prix » en internalisant ce coût social, en faisant payer le pollueur un montant équivalent aux dommages, par le biais d’une taxe. C’est le principe du pollueur payeur.

Une des critiques adressées à Pigou, notamment par le Prix Nobel d’économie Ronald Coase, est que c’est bien souvent l’intervention de l’État par la réglementation autorisant des activités polluantes, et ce, contre la règle de la responsabilité, qui a encouragé des pollutions, au nom de la croissance, du bien public, de l’emploi etc. La corruption et un certain « capitalisme de connivence » peuvent aussi expliquer cet état de fait – surtout en Afrique.

Ensuite, pourquoi parler d’échec du marché alors que ce dont on parle sont très souvent des « biens libres », non appropriés ? C’est en fait ici la référence, bien connue, à la tragédie des vaines pâtures de Garret Hardin. Lorsqu’une pâture n’est pas appropriée et qu’elle est en libre accès, chacun, même s’il est motivé initialement par un élan vertueux de gestion de la ressource, a intérêt l’utiliser au maximum avant que les autres ne fassent de même et n’épuisent finalement la ressource. Dans tous les cas, l’accès libre génère pour les acteurs, qui « se servent » dans la ressource ou en la polluent allégrement, une incitation court-termiste. L’air ou l’eau d’une rivière sont des biens libres, certains animaux sauvages en liberté sont aussi des bien libres. L’approche propriétariste consiste à développer des droits de propriété là où il n’y en a pas et à les faire respecter – contre les pollueurs et « exploiteurs » – là où il y en a.

L’approche propriétariste se développe aussi en réaction contre la ligne de pensée « Law & Economics », qui pose la « réciprocité » dans la pollution (c'est à dire le fait que j'interdise à une usine de polluer constituerait une sorte de pollution en soi…) et insiste sur l’analyse coût/bénéfice totale, ouvrant la voie à la sacralisation de la maximisation du bien-être social, qui vient à faire l’équation entre justice et efficience. Autant d’idées très problématiques pour un véritable propriétariste, puisque toute la dimension de principe de la propriété est assez rapidement évacuée, au profit d’un calcul d’ingénierie sociale.

Tout le propos de l’approche propriétariste est de réinsuffler de la responsabilité dans les questions d’environnement, notamment par l’outil de la propriété  – la responsabilité lui étant consubstantielle. Un propriétaire a un intérêt à la fois à ne pas polluer sa propriété et à empêcher les autres propriétaires de la polluer, comme ces derniers ont un intérêt à l’empêcher de polluer la leur. Une règle de la responsabilité civile relativement stricte fournit des incitations pour les pollueurs potentiels à être beaucoup plus précautionneux et s’ingénier à trouver des solutions non polluantes.

L’approche propriétariste fait cependant face à certaines limites, notamment en Afrique.

La question de l’appropriation est centrale. Sur un plan technique, il faut rappeler que l’évolution technologique permet l’évolution juridique, non seulement en termes de barrières physique pour « propriétariser » une ressource en restreignant son accès (par exemple pour les éléphants), mais aussi en termes de traçabilité des pollutions pour traquer les responsables. Mais les choses ne sont pas toujours simples et le coût de ces « enclosures » et de leur surveillance n’est pas négligeable : qui va pouvoir payer dans des pays pauvres ?

Sur un plan institutionnel les choses sont aussi problématiques. Les propriétaristes doivent s’inspirer des travaux d’Elinor Ostrom : les cas de « privatisation par le haut » comme de « réglementation par le haut » peuvent mener à des catastrophes. L’absence d’une justice indépendante faisant respecter la règle de la responsabilité est évidemment ici au cœur du problème. Si l’appropriation permet l’émergence d’un capitalisme de connivence entre politiques, juges et propriétaires-pollueurs, elle perd totalement son intérêt.

Ensuite, l’importation de modes de propriété allogènes dans un ordre institutionnel local peut conduire à un « clash institutionnel » entre règles locales et importées, semant la confusion juridique et empêchant en définitive toute clarté et donc toute responsabilisation. La grande leçon africaine, c’est qu’il n’y a pas « un » mode de propriété – celui de la propriété individuelle – comme solution propriétariste. La propriété en commun peut fonctionner si on maximise la responsabilisation des acteurs et qu’on s’adapte au mieux aux conditions institutionnelles et techniques locales. L’approche est résolument décentralisée, « bottom up ». Elle insiste sur le rôle des barrières permettant l’exclusion de la ressource, sur l’existence de règles internes à la communauté pour gérer la ressource, sur le caractère local de ces règles et de la capacité à gérer les resquilleurs.

En dépit de ses limites, l’approche propriétariste offre un potentiel non négligeable en Afrique qui ne devrait pas être ignoré par les amis de la nature.

Article d'Emmanuel Martin, initialement paru sur http://www.libreafrique.org/

L’expérience de la politique de ciblage de l’inflation en Afrique

1000179_blogspot-quels-futurs-pour-la-politique-monetaire-et-la-croissance-economique-94771-1La stabilité des prix constitue pour les autorités une priorité. En effet, dans un contexte de croissance permanente des prix, sachant que les revenus n’évoluent que très peu, la crise économique et sociale est inévitable. Les analyses théoriques sur le sujet ont permis d’identifier la politique monétaire comme instrument pour lutter contre l’évolution des prix. Cette mission est donc confiée aux Banques Centrales Le succès remporté par certains pays développés[1] suite à l’adoption d’une politique de ciblage de l’inflation a amené plusieurs pays dans le monde à adopter une telle politique pour lutter contre l’inflation. Cette politique consiste en un engagement de la Banque Centrale sur un objectif d’inflation pour une période déterminée sous la forme d’un niveau ou d’une fourchette.

En Afrique, les pays de la zone franc et plus récemment l’Afrique du Sud (2000) et le Ghana (2007) ont  adopté une politique de ciblage de l’inflation mais nous intéresserons dans ce cas précis au Ghana et à l’Afrique du Sud – dans la zone franc, l'inflation ayant toujours été sous contrôle. D’après le graphique ci-dessous, on peut dire que le Ghana en adoptant cette politique a réussi dans une large mesure à réduire son taux d’inflation qui est passé de 46% en 1996 à 10,7% en 2007 et 11.6% en 2013. En Afrique du Sud, elle a permis de contenir l’inflation, qui avait atteint en 2008 11.5% suite à l’envolée des prix internationaux des carburants et des produits alimentaires au cours du premier semestre de cette année, sous la barre de 7%.

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Source : donnees locales

Généralement, l’efficacité de la politique de ciblage de l’inflation est associée à l’amélioration de la performance économique. Plusieurs travaux ont montré que les pays qui adoptent cette politique sont caractérisés par une baisse du niveau et de la volatilité de l’inflation ainsi que de la volatilité de l’output. D’après les tableaux suivants on peut confirmer l’efficacité de la politique de ciblage de l’inflation à l’Afrique du Sud et au Ghana dans la mesure où on assiste à une baisse de l'évolution du  niveau des prix ainsi que de la volatilité de l’inflation à la période post-ciblage dans les deux pays. Aussi, une hausse du taux de croissance peut être constatée dans sur la même période et dans les deux pays, avec cependant une volatilité plus importante au Ghana.

En somme on peut dire que la politique de ciblage de l’inflation a contribuer à améliorer la performance économique dans ces deux pays africains tout en conservant pour les deux un taux de change flexible .

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Source : Calcul de l auteur

Le recours à une politique de ciblage de l’inflation signifie nécessairement une annonce publique saine et claire d’un objectif de moyen terme de lutte contre  l’inflation. Cela implique un engagement institutionnel qui fixe comme objectif la stabilité monétaire en faisant recours à une politique monétaire transparente et crédible qui permet de développer les capacités d’anticipations des autorités monétaires. Selon Mishkin (2000), la poursuite d’une politique de ciblage de l’inflation repose, en réalité, sur deux principales conditions:

  • Les autorités monétaires sont amenées à annoncer le niveau ou la fourchette cible de l’inflation lors de la poursuite de l’objectif de stabilité des prix.
  • La politique monétaire est sensée être transparente et mise en œuvre par une Banque Centrale indépendante, autonome et responsable afin d’atteindre ses cibles d’inflation.

A ce niveau deux types d’indépendance se présentent. En premier lieu, l’indépendance politique des autorités monétaires qui repose sur l’absence d’intervention du gouvernement concernant les décisions de politique monétaire. En deuxième lieu, l’indépendance économique qui repose principalement sur les limites posées au financement de l’État par la Banque Centrale. D’après le tableau ci-dessous, la spécification de l’objectif de la politique monétaire en Afrique du Sud et au Ghana est effectuée par la Banque Centrale et le gouvernement. Ce dernier peut emprunter auprès de l’institut d’émission dans les deux pays. En Afrique du Sud, le gouvernement ne participe à la prise des décisions des autorités monétaires tandis qu’au Ghana le gouvernement est considéré comme un membre votant. Néanmoins, dans ces deux pays aucun rapport n’est publié en cas d’échec au niveau de réalisation de la cible de l’inflation.

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La réussite de la politique en Afrique du Sud et au Ghana a été porté par l’indépendance dont jouissait les Banques Centrales de ces pays. Dans ce contexte, les pays africains qui adoptent déjà la politique de ciblage de l’inflation ou qui ambitionne d’adopter une telle politique devraient renforcer, d’un coté l’indépendance et l’autonomie des autorités monétaires et d’un autre coté, la crédibilité et la transparence de leur politique monétaire pour garantir l’efficacité désirée de cette politique.

Ben Hassine Aymen

Références  :

  • Don C., Jack S. et Carolyn W., 2006, « Une nouvelle analyse de l’horizon de la cible d’inflation. » ; Revue de la Banque du Canada.
  • Faber S. M. et Fischer A. M., 2000, « L’inflation sous-jacente en Suisse. » ; Bulletin trimestriel n° 4 de la  Banque Nationale de Suisse.
  • Mishkin F. C., 2000, « Inflation targeting in emerging market countries. »; American Economic Review Papers and Proceedings.
  • Quah D. et  Vahey S. P., 1995, « Measuring core inflation. »; Economic Journal n°105.
  • Symphorien E. M., 2003, « La cible d’inflation en zone CEMAC. » ; Revue d’Economie & Gestion vol. 4 n°1.
  • Roger S., 2009, « Inflation Targeting at 20: Achievements and Challenges»; IMF Working Papers.
  • Roger S. et Stone R., 2005, « On Target? The International Experience with Achieving Inflation Targets»; IMF Working Papers.

[1] La Nouvelle Zélande est le pays pionnier qui s’engageait officiellement dans l’objectif de ciblage de l’inflation à partir du février 1990.

L’Afrique et la Data Revolution 

dataCombien de pauvres existe-il vraiment dans le monde ? Savons-nous avec exactitude le nombre de personnes vivant dans les pays en développement ? Quel est le vrai PIB du Nigeria ou du Ghana ? Ces questions élémentaires restent à ce jour sans réponses claires ou précises aussi bien de la part des pays en développement que des organisations internationales et des agences multilatérales travaillant dans le domaine du développement. Cette imprécision dans l’information concernant les pays en développement, notamment ceux d’Afrique, pose un énorme problème, celui de l’efficacité des politiques publiques d’où la nécessité de répondre au problème de manque de données de bonne qualité.

Des appareils statistiques encore « fragiles »…

L’efficacité des politiques publiques passe par une maitrise du problème à régler ainsi que de toutes les facteurs qui déterminent ce problème. Il deveint donc nécessaire de disposer d’informations précises. Mais tel n’est pas le cas dans les pays en développement où l’appareil statistique, le système statistique national composé entre autres de l’Institut National de la Statistique (INS), des ministères sectoriels, de l’État Civil et du système d’enregistrement des statistiques vitales et des faits d’état civil pour ne citer que ceux-là, sont encore défaillants et ne permettent pas une conception et une mise en œuvre efficace ainsi qu’un suivi en temps réel et une évaluation pertinente des politiques publiques et des projets et programmes de développement.

En effet, moins de 10% des pays Africains[1], Maghreb y compris, ont une couverture de l’état civil  (enregistrement des naissances et des décès) dépassant les 90%. La majorité des pays africains n’arrivent pas à produire à temps pour une année N donnée (soit en N+1), les principaux agrégats macroéconomiques tels que les comptes nationaux, les chiffres du commerce extérieur, etc. Les recensements de la population et de l’habitat ne sont pas toujours organisés tous les 10 ans, et quand c’est le cas, les résultats sont disponibles 2 ou 3 ans après.  Tous ces dysfonctionnements s’expliquent par des problèmes structurels liés à l’organisation et à la gestion des systèmes statistiques nationaux et aussi à des problèmes conjoncturels comme l’instabilité politique et ou sécuritaire, etc.

…malgré les efforts nationaux et le soutien international

Si la période 2000-2015 a été favorable au développement de la statistique officielle grâce notamment aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), elle s’est inscrite comme un des piliers essentiels de la période Post 2015 comme le démontre l’objectif 17 des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prennent le relais des OMD pour les 15 prochaines années.

En effet, le premier rapport de suivi des OMD est survenu 5 ans après le lancement du processus. Pour pallier à ce manque, la communauté internationale a décidé de mettre la statistique au cœur de la période post 2015 en faisant d’elle un des objectifs principaux des ODD à travers son objectif 17.18 en continuant d’appuyer des appareils statistiques des pays en développement à travers la mise en œuvre des Stratégies Nationales de Développement de la Statistique (SNDS,) qui se sont généralisées dans tous les pays en développement. Aujourd’hui, plus de 100 pays en développement ont déjà mis en œuvre une SNDS et certains en sont déjà à leur deuxième.

Toutefois, malgré les efforts accomplis, le travail à accomplir reste encore énorme et le temps et les ressources, eux comme d’habitude, reste limités. Cette situation a incité la communauté internationale à appeler une Data Revolution pour pallier au problème de données de bonne qualité et disponible en temps réel.

La Data Revolution : une Evolution plus qu’une Révolution !

La Data Revolution, une expression de plus en plus évoquée dans la communauté du développement international, dans les médias et considérée comme un moyen, sinon le moyen, pour mettre à disposition des décideurs, les statistiques qu’il faut, quand il faut et dans le format adéquat. Mais de quoi s’agit-il réellement ?

En réalité, la data révolution ou révolution des données a déjà commencé. Pour beaucoup, Data Revolution rime surtout avec utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’utilisation des téléphones portables, des tablettes, des PDA, etc. dans la collecte et la production des statistiques officielles et d’indicateurs socioéconomiques.  Ceci n’est pas une pratique nouvelle en soi : à titre d’exemple, le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) en 2013 du Sénégal a été réalisé à l’aide de PDA. Grace à ce procédé, les résultats ont été publiés quelques mois après la fin de l’opération, contraire à 2002 où les résultats n’ont été finalisés que 3 ou 4 ans plus tard. En Afrique de l’Est, UN Global Pulse,  UN World Food Programme (WFP), l’Université Catholique de Louvain et Real Impact Analytics grâce à des données extraites de l’achat de crédits de communication (ou « top-up ») et de l’activité de téléphonie mobile dans un pays d’Afrique de l’Est, ont estimé l’état de la sécurité alimentaire du pays[2].

Au-delà de l’utilisation des technologies, c’est surtout une évolution dans l’organisation et la gestion des institutions, ainsi que dans la planification de la production statistique qui est visée avec la Data Revolution. En effet, les nouveaux défis auxquels font face les États demandent de penser autrement la production des statistiques et de tenir compte des acteurs notamment le secteur privé qui, autrefois, étaient à l’écart du système. Il s’agit par exemple de mettre en place des Partenariats Public-Privé entre les sociétés privés qui disposent de grandes base de microdonnées actualisées, comme les sociétés de téléphonie mobile, et les INS pour la production d’indicateurs socioéconomiques permettant d’informer les décideurs politiques sur le niveau de bien-être des populations comme c’est le cas avec le Projet D4D au Sénégal. C’est aussi considérer l’utilisation de sources de données non traditionnelles comme celles provenant d’internet, des réseaux sociaux, des emails et aussi l’utilisation des méthodes d’analyse de big data.

Il s’agit aussi de penser à la mise en place de plateforme d’échange pour faciliter la communication et le partage d’information pour coordonner la réponse et l’action humanitaire ainsi que la constitution de réseaux d’experts en prévision de la gestion de crises humanitaires dans les pays à risques comme les petits états insulaires, les états fragiles etc. Également, l’utilisation d’images satellites pour capter l’information disponible dans zones difficilement joignables, ainsi que la mise à disposition des données disponibles auprès des administrations publiques et sans restrictions sont aussi préconisées comme  essentielles à la Data Revolution.

Le projet Informing Data Revolution (IDR) initié par la Fondation Bill et Melinda Gates et réalisé par PARIS21 a permis de répertorier une multitude d’innovations déjà opérationnelles ou en cours de  réalisation dans toutes les régions du monde et qui peuvent être adaptées à d’autres régions du monde comme l’Afrique subsaharienne où la question d’informations fiables se posent avec accuité.

De la nécessité d’assurer les fondamentaux !

La Data Revolution peut apporter beaucoup à la production de statistique officielle dans les pays en développement mais ne réglera pas tous les problèmes de données. Et elle risque d’être encore moins effective si les fondamentaux nécessaires ne sont pas mis en place. En effet, un récent rapport intitulé « Data For Development » produit en 2015 par une large coalition d’experts du développement provenant de SDSN, Open Data Watch, CIESIN, PARIS21, Banque Mondiale, UNESCO a estimé à 1 milliard US$ par an, le montant total nécessaire aux 77 pays à faibles revenus dans le monde pour mettre en place un système statistique capable de leur permettre de suivre et de mesurer les ODD. Aujourd’hui, le soutien à la statistique provenant des bailleurs de fonds s’élève à 300 millions US$ et un effort supplémentaire de 200 millions US$ leur est demandé pour couvrir les besoins supplémentaires des pays en développement dans le cadre des ODD. Le reste de la facture devra être payée par les pays en développement grâce à la mobilisation de ressources internes et des moyens innovants de financement.

Tout partira donc d’un engagement politique fort provenant du plus haut sommet de l’État au service la statistique avec à la clé des moyens importants et surtout financiers. Sans financement adéquat, les INS des pays en développement ne disposeront toujours pas d’un environnement de travail de qualité avec des locaux connectés à internet, d’ordinateurs performants capables d’exécuter des analyses big data, des outils de collectes performants capable d’accélérer la vitesse de la production statistique. Mais surtout, le manque ressources humaines se fera toujours sentir car il faut pouvoir disposer des statisticiens compétents, dont la formation est assez onéreuse, pour accomplir les activités de production de statistiques officielles mais aussi il faudra pouvoir les retenir car la concurrence du secteur privé  et des organisations internationales est de plus en plus rude, ces derniers offrant le plus souvent des rémunérations et des conditions de travail attrayantes sur lesquelles les INS ne peuvent pas toujours s’aligner.

Un autre aspect fondamental est l’amélioration de la coordination entre les membres du système statistique national pour favoriser une meilleure gestion et programmation des activités de production des statistiques officielles ainsi qu’un meilleur partage de l’information. Aussi, une meilleure coordination favorisera une harmonisation des concepts statistiques, des procédures de collecte et un contrôle efficace de la qualité des différentes données produites par les différents acteurs du système statistique national.

C’est seulement quand ces fondamentaux seront mises en place que la Data Revolution aura un véritable impact sur la production des statistiques officielles en Afrique et permettra aux décideurs et utilisateurs de données de disposer des données de qualité, quand il faut et dans le format adéquat.

Les Etats africains sont-ils capables de financer le développement de leur pays ?

iLa question de la pérennité de la dynamique économique actuelle des pays africains se pose avec acuité, à la mesure où cette performance s’appuie davantage sur l’exploitation des ressources naturelles que celle des facteurs de production à forte valeur ajoutée (capital et travail). Si Kuznets[1] identifie la croissance économique comme « une hausse de longue période de la capacité d’un pays à offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques; cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels qu'elle requiert » alors le maintien de la dynamique actuelle passera sans nul doute par une transformation en profondeur des économies de la région. Sur cette question, tous les analystes tendent à s’accorder.

La transformation structurelle est une impérative pour les économies africaines, si elles aspirent à l’émergence. Si les mesures de la transformation structurelle sont diverses et variées, elle s’appuie sur le développement du secteur industriel. Ce processus requiert une amélioration des conditions d’exercice d’une activité afin d’attirer les investissements et favoriser le développement d’activités industrielles, ce qui confère un rôle prépondérant à l’Etat. En effet, les conditions d’exercice d’une activité ne se mesurent pas seulement aux lois et aux incitations fiscales. Elles se mesurent surtout dans la qualité des institutions et dans la qualité des infrastructures, de sorte qu’un pays stable politiquement et sans infrastructures (électricité, route, TIC, etc.) pourrait attirer moins d’investissement qu’un pays avec une main d’œuvre de qualité et des infrastructures performantes mais qui connaît quelques remous sur le plan politique. Or seul l’Etat dispose de la prérogative en matière d’installation des infrastructures.

Des articles publiés sur ce site ont déjà discuté les nombreuses sources de financement possibles pour permettre aux Etats de disposer de ressources suffisantes pour financer leur développement. Ceci suppose que les ressources budgétaires financent des projets structurels qui permettront de rendre les pays compétitifs en matière d’attraction des investissements et favoriser leur transformation. Toutefois, la disponibilité des ressources ne garantit pas systématiquement que l’Etat investisse dans des programmes structurants. Les différentes crises de la dette, et celle de la Grèce plus récemment, le montrent assez bien. Elles découlent généralement du fait que les dettes ont financé des dépenses qui n’ont pas généré assez de revenus pour assurer les remboursements. A la lumière de ces situations, il est important de se demander si les Etats africains sont prédisposés à financer leur développement auquel cas ils arrivaient à mobiliser des ressources suffisantes.

Cet article se propose d’analyser la structure des dépenses budgétaires des pays africains et d’identifier dans quelles mesures elles peuvent constituer un instrument de soutien à la dynamique socio-économique du continent sur le long terme.

Les pays d’Afrique subsaharienne ont des besoins considérables en matière d’infrastructures. Selon la Banque Mondiale et les Nations Unis[2], la couverture de ces besoins nécessiterait un investissement de 16 à 18% du PIB avec au moins 11% qui devraient être consacrés à la construction de nouvelles infrastructures. Aujourd’hui en Afrique subsaharienne, l’investissement public se situe en moyenne à 6% du PIB avec à peine 4% du PIB consacrés à la construction de nouvelles structures. Il faut noter que la situation assez hétéroclite dans la région : certains pays ayant déjà atteint des niveaux de développement qui ne nécessiterait pas des investissements lourds pour la construction d’infrastructures mais d’assurer leur maintenance ; d’autres sortent à peine de période de crise, nécessitant de fortes dépenses pour la reconstruction de l’Etat.

Malgré les discours laudateurs sur les transformations en cours sur le continent, notamment en matière d’infrastructures ; ces données tendent à nous rappeler que cette transformation si elle a lieu demeure très lente. Une situation que l’on explique aisément par le manque de ressources financières. Cependant, l’Etat optimise-t-il les ressources disponibles pour financer les investissements ? Le tableau suivant nous fournit quelques éléments de réponses.

Picture1

Avant toute chose, il convient de signaler, à la lecture de ce tableau, que les pays de la région ne dépensent que ce qu’ils ont, surement de façon « forcée » compte tenu des engagements en matière de déficit vis-à-vis de leurs partenaires financiers. Ils se situent tous sur la diagonale du cadrant formé par la taille du budget (en % du PIB) et les ressources financières (fiscales et autres ressources non fiscales dont celles issues de l’exploitation des ressources naturelles). Il existe cependant quelques écarts, notamment Centrafrique et Guinée Bissau, qui sont des pays sortant de crises, avec d’énormes besoins et sous perfusion d’aides internationales, et qui peuvent donc se permettre des dépenses excédant leurs capacités internes. D’autres plus extravertis engagent des dépenses qu’ils financent notamment à partir de la dette (Gambie, Ghana, etc.) ou d’aides internationales (Burundi, Malawi, etc.). Mais aussi, paradoxalement, certains pays de la région n’utilisent pas encore pleinement leur potentiel. La République du Congo et le Gabon qui ont plutôt des ressources confortables, ne dépensent que très peu.

La plupart des pays ont des ressources très limitées, se traduisant par un budget faible. Selon les données disponibles, les ressources internes mobilisées par les Etats peinent à atteindre les 35% suggérés par les Nations Unis. Il existe cependant de forte disparité entre les pays. Alors que le Lesotho excède aisément la barre des 50% en matière de ressources internes, des pays comme le Nigéria, pourtant avec un fort potentiel économique, peine à atteindre 15%. Cette situation traduit une certaine « incompétence » des Etats à collecter les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de la politique budgétaire. Dans ce contexte, l’Etat n’a qu’un effet de levier très faible sur l’économie ; la surface financière dont il dispose étant très limitée.

En outre, une bonne partie des ressources financent des dépenses non productives (taille des bulles sur le graphique). En moyenne, ce sont près de 85% des ressources internes collectées qui sont utilisés pour le paiement des salaires, le paiement des factures liées aux commandes publiques (biens et services) et à quelques transferts ou subventions ; laissant ainsi une part incongrue pour les dépenses productives. Si on intègre les dépenses au titre du service de la dette (principal et intérêt), les Etats ne disposent que d’une marge très maigre pour financer  des investissements rentables. La dette et les aides pourraient prendre le relais dans ce sens, mais ces ressources sont limitées d’une part par la disponibilité financière des partenaires mais aussi leurs coûts et par les contraintes liées au déficit budgétaire d’autre part. Même si d’autres formes de financement sont prises en compte, les Etats ne pourraient s’affranchir de ces contraintes. Le recours à ces différentes formes de financement permettrait surtout de diversifier le portefeuille des risques pris par les Etats et d’alléger leur poids sur les finances publiques et l’économie.  

On est surtout ici en présence d’Etats « consommateurs-employeurs » alors que les pays africains auraient davantage besoin d’Etats « investisseurs ». Ainsi, si quelques programmes en matière d’infrastructures sont en cours d’exécution ; le rythme de leur mise en œuvre souffre surtout du fonctionnement budgétivore des Etats africains et ne reflète guère les capacités des pays. Une meilleure clé de répartition des dépenses budgétaires devrait permettre aux Etats de financer davantage des investissements productifs et de limiter le recours à des ressources financières externes, qui peuvent constituer à termes des contraintes à l’économie et ce, même dans les conditions actuelles caractérisées par des ressources internes limitées.

L’Ethiopie, dont les ressources internes représentent 14% du PIB s’inscrit dans cette logique. Son budget est modéré à 18% du PIB et ses dépenses non productives (hors service de la dette) n’absorbent que 24% des ressources internes. Il fait partie aujourd’hui des pays qui ont le plus progressé au classement IDH entre 2000 et 2013 et compte parmi les pays les plus attractifs du continent, pourtant il n’est pas cité parmi les plus grandes « démocraties » africaines. On est tenté de dire que si l’Etat dans ce pays approfondissait le système de collecte des ressources intérieures, il pourrait davantage jouer son rôle de catalyseur en accélérant la mise en œuvre des projets structurants ; contrairement à un pays comme le Nigéria. Ce dernier pays est caractérisé par un Etat dont la capacité financière est très faible, malgré son fort potentiel économique. Les ressources internes ne représentent que 11% du PIB dont près de 91% sont consacrés aux dépenses de fonctionnement et au paiement des salaires. La majorité des pays présente un profil similaire à celui du Nigéria. Certains consacrent toutes leurs ressources intérieurs ainsi qu’une partie des ressources mobilisés à l’extérieure (dons ou aides). Il faut toutefois préciser que la situation selon les pays est assez différente. Pour certains, cette situation tient davantage à la déliquescence de l’administration centrale, en lien avec les crises qu’ils ont eu à traverser et qui nécessite sa reconstruction. C’est le cas de pays comme la Centrafrique, de la Guinée Bissau et dans une moindre mesure, le Soudan ou le Madagascar. D’autres n’ont plus un besoin important en matière de construction d’infrastructures, ce qui leur permet de limiter leur budget d’investissement aux travaux de maintenance, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle. C’est le cas de pays comme le Lesotho, l’Afrique du Sud, Maurice ou encore les Seychelles.

Le propos ici n’est pas d’incriminer les dépenses de fonctionnement au profit des dépenses d’investissement. De fait, investir abondamment n’est pas la garantie pour que l’économie soit plus attractive ou plus performante. Il faut surtout que chaque dollar investi soit efficient. Toutefois, les dépenses de fonctionnement n’ont qu’un impact très faible sur l’économie. En effet, la commande publique (pour le fonctionnement de l’administration) et le paiement des salaires permet de relancer la consommation et constitue un marché pour certaines entreprises mais ces types de dépenses n’induit pas une transformation de l’environnement économique, afin de permettre le développement de nouvelles activités ou d’attirer des capitaux privés plus importants. En gros, elles permettent d’entretenir l’économie dans son état. Leur importance dans les budgets des Etats africains constituent un point d’achoppement pour le rôle que pourrait jouer ces Etats dans le processus de développement du continent.

Si aujourd’hui les Etats des pays d’Afrique subsaharienne prennent la mesure du rôle qu’ils peuvent jouer dans le processus de développement de leurs pays ; ils sont encore fortement contraints par leur capacité financière mais aussi par leur gestion interne qui consomme une bonne partie des ressources dont ils disposent et mises à leur disposition par les populations. Dresser des plans de développement et solliciter davantage d’efforts financiers auprès des partenaires, servirait presque à rien et constituerait une pression supplémentaire sur leurs économies, si une réelle transformation dans le fonctionnement des Etats dans les pays africains ne s’opère pas. Il faudrait surtout que les Etats se démarquent de ce comportement d’ « Etat consommateur-employeur » et prennent des dispositions visant à (i) renforcer les mécanismes de collecte des ressources internes, notamment en matière de fiscalité et à (ii) assainir les dépenses publiques, notamment en ce qui concerne la masse salariale. Plus généralement, il faudrait prendre de mesures pour une meilleure gestion des finances publiques, afin de dégager des marges pour l’investissement public mais aussi afin de rendre la dépense publique plus efficiente. Les marges dont disposent les Etats sont encore grandes et le manque de discipline budgétaire empêchent d’optimiser la collecte des ressources internes et de les dépenser de façon optimale. Si les pays du continent veulent s’engager sur la voie de l’émergence (comme prôner par les différents plans de développement en cours), la rupture dans la gestion des finances publiques et la discipline s’imposent.

Le marché financier joue-t-il son rôle en Afrique ? Cas de la Tunisie

520871-001Les changements considérables et parfois imprévisibles que ce soit au niveau de la sphère réelle ou de la sphère financière et le rôle croissant des marchés financiers comme source de financement, ont renforcé le rôle des facteurs financiers comme déterminant de l’amplification du cycle économique. Dans ce contexte, plusieurs études et recherches ont mis l’accent sur l’importance des canaux de transmission des prix des actifs à la sphère réelle. A ce niveau, le canal du capital bancaire se présente comme l’un des principaux canaux de transmission des simulations monétaires à l’activité économique, dans la mesure, où les banques se présentent comme un facteur déterminant dans l’évolution des conditions monétaires du fait de leur capacité de financement de l’économie schématisée par les opérations d’offre de crédits. Cet article étudie le cas de la Tunisie, afin de détecter l’existence ou non d’une relation entre  l’évolution des cours des actions des banques cotées à la Bourse et l’évolution du volume de crédits distribués par ces dernières. Cette mesure se fera au travers de l’analyse du capital bancaire.

Le canal du capital bancaire permet de synthétiser l’incidence de la structure financière des bilans des banques sur la sphère réelle. En effet, une dégradation des actifs financiers est capable d’agir négativement sur la richesse des banques qui peuvent par conséquent subir des pertes au terme de leurs portefeuilles d’actifs ou de leurs bénéfices. Les banques endommagées vont donc réduire leur offre de crédits. L’effet du canal du capital bancaire sur la sphère réelle peut être schématisé comme suit : suite à une baisse des prix des actifs, les banques qui détiennent dans leurs portefeuilles un part de ces actifs se retrouvent dans une situation de manque de liquidité. Cette situation va amener les banques à restreindre leur volume de crédits distribué ce qui peut engendrer un ralentissement de l'activité économique. Le canal du capital bancaire décrit donc le rôle des banques dans la propagation et l'amplification des chocs financiers à la sphère réelle et reflète par conséquent l’importance de la valeur nette et la capitalisation des établissements de crédits dans la transmission des effets de la sphère financière à la sphère réelle.

En Tunisie, les établissements de crédits assurent la plupart de financement de l’économie. En effet, la contribution du marché financier dans le financement des investissements privés reste très modeste (voir le graphique suivant).

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L’étude de la relation entre le taux de variation mensuel du cours boursier bancaire moyen des banques cotées à la Bourse des Valeurs mobilières de Tunis (BVMT)[1] et le taux de variation mensuel des crédits distribués par le système bancaire entre février 2001 et avril 2008 montre qu’il n’existe pas un canal du capital bancaire dans le sens clair. La baisse du cours boursier ne s’accompagne pas nécessairement d’une baisse des crédits octroyés par les banques. Si, cependant, une augmentation des crédits intervient plus fréquemment suite à une hausse du cours boursier ; elle reste erratique et ces augmentations ne pourraient être expliquées par le seul fait de l’augmentation du cours boursier.

ii

Il apparaît donc évident qu’il n’existe pas un canal du capital bancaire clair et robuste capable de transmettre les effets de la sphère financière à la sphère réelle. Cela peut être dû essentiellement à l’étroitesse du marché financier, peu dynamique au regard des volumes de transactions. Aussi, parmi les 22 banques résidents qui composent le système bancaire tunisien seulement 11 sont cotées en bourse (voir le tableau ci-après).

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Source : BVMT

Ainsi, malgré les réformes qui ont été entreprises pour développer et dynamiser le marché financier tunisien, à partir de la réforme financière de 1988, sa contribution dans le financement de l’économie tunisienne reste modeste. Cette faiblesse qui caractérise le marché financier est due, notamment, à la présence de certains facteurs tels que la faiblesse de l’épargne investie dans la Bourse, la part importante du financement bancaire et le faible degré d’internationalisation de la Bourse sans oublier la faible attractivité du marché financier aux investisseurs étrangers du fait de la présence de contrôle de change encore excessif ainsi que la règlementation qui attribue un faible taux de souscription. En 2013, la participation des investissements étrangers dans la capitalisation boursière se situait à 22%.

iv

De toute évidence, le marché financier tunisien ne joue qu’un rôle limitée dans le financement de l’économie. Pour approfondir sa contribution, certaines réformes doivent être entreprises pour que ce marché puisse jouer son rôle dans la mobilisation de l’épargne et le financement de l’économie réelle. Il sera nécessaire de promouvoir la diversification sectorielle au sein de la bourse tunisienne. A titre d’exemple, à ce jour, il n’existe pas de sociétés cotées représentant le secteur du tourisme, malgré l’importance de ce dernier dans l’économie tunisienne. En outre, le marché boursier tunisien devrait faire intervenir les investisseurs institutionnels et les grands opérateurs du secteur public ainsi que les investisseurs étrangers. L’introduction de nouveaux produits, par exemple les produits islamiques, qui sont capables d’attirer des nouveaux capitaux vue le développement que connait actuellement la finance islamique sur le plan international, constitue entre autres des pistes à explorer pour stimuler davantage ce marché. L’existence donc d’un canal de capital bancaire robuste qui permettrait de transmettre les effets de la sphère financière à la sphère réelle est synonyme d’un marché financier dynamique caractérisé par une infrastructure technique et réglementaire développée.

Plus généralement, l'existence d'un marché financier robuste constitue une source de financement considérable pour l'économie, que son développement semble aujourd'hui une question importante pour les pays africains. Le cas de Maurice n'est qu'un exemple qui illustre l'importance de ce secteur. Ce développement devra néanmoins se faire de façon harmonieuse afin de garantir un impact maximum. Le cas de la Tunisie où le marché présente encore quelques défaillances illustre assez bien combien cet outil peut être en marge de l'économie s'il n'est pas utilisé de la façon optimale.

Ben Hassine Aymen

Références :

Artus Patrick ; « Les banques centrales doivent être préemptives si elles veulent contrôler les prix d’actifs. » ; Problèmes Economiques, juillet 2004.

Ben.S Bernanke ; « Monetary policy and the stock market : some empirical results. »; Widener University, Chester, Pennsylvania 2003.

Clerc Laurent et Pfister Chritian; « Les facteurs financiers dans la transmission de la politique monétaire. » ; Bulletin de la Banque de France N° 108 , décembre 2002.

Hannoun Hervé ; « Places financières et banques centrales. » ; Revue d’Economie Financière N° 57, 2000.

I.Christensen, Ben Fung et C.Mch ; « La modélisation des canaux financiers aux fins de l’analyse de la politique monétaire. » ; Revue de la Banque de Canada automne 2006.

Levieuge  Grégory ; « La neutralisation des mouvements et de l’impact des prix d’actifs doit-elle être du ressort de la politique monétaire. » ; Revue d’Economie Financière N°74 2000.

Levieuge  Grégory ; « Politique monétaire et prix des actifs. » ; Revue de l’OFCE N° 93, avril 2005.

Patrick Artus ; « Faut-il introduire les prix d'actifs dans la fonction de réaction des banques centrales » ; Revue d'Economie Politique N° 110 ;  novembre – décembre 2000.

Rigobon Roberto et Sack Brian ; «  The impact of monetary policy on asset prices. »; NBER Working Paper, février 2002.

Schinasi Garry.J; « Responsibility in financial markets. »; IMF Working Paper, octobre 2004.

Rapports annuels de la Banque Centrale de Tunisie.


[1] La variation du cours bancaire moyen est une moyenne des variations des cours boursiers des onze banques cotées à la BVMT qui sont : Arab Tunisian Bank (ATB), Banque Nationale Agricole (BNA), Attijari Bank (Attijari), Banque de Tunisie (BT), Amen Bank (AB), Banque Internationale Arabe de Tunisie (BIAT), Société Tunisienne de Banque (STB), Union Bancaire pour le Commerce et l’Industrie (UBCI), Union Internationale des Banques (UIB), Banque de l’Habitat (BH) et la Banque de Tunisie Emirats (BTE).  

Pour un avion africain dans le ciel africain

aire-afriqueLe 28 mars 1961, onze États africains qui venaient à peine d’accéder à la souveraineté internationale signaient à Yaoundé un traité portant création de la compagnie multinationale Air Afrique. Un acte d’une haute portée, à la fois historique, politique et économique, qui marque le début d’une fabuleuse envolée. Le mythique Air Afrique qui allait survoler les cieux des cinq continents durant plusieurs années véhiculait la volonté de tout un continent à occuper une place importante sur le marché mondial de l’aviation civile commerciale. Il symbolisait aussi le début d’une intégration sous-régionale en reliant quelques-unes des métropoles ou capitales du continent.

Malgré sa chute, due à des difficultés diverses et variées, liées notamment à sa gestion, cette compagnie dite « continentale » a joué un rôle primordial dans la vie économique du continent africain de 1961 au 27 avril 2002, date de sa mise en liquidation.

Et depuis l’atterrissage forcé d’Air Afrique, on voit s’envoler, depuis les tarmacs africains, différentes compagnies aériennes tantôt nationales tantôt régionales, qui, peinant à émerger, à accroitre leurs activités, finissent par disparaître – à l’instar d’Air Sénégal et Sénégal Airlines, très probablement – avant d’être remplacées par d’autres. Cette situation induit plusieurs interrogations, notamment sur la possibilité de voir émerger du continent une compagnie à l’image de l’ancienne air Afrique.

1. Qu’est-ce qui explique la défaillance des compagnies africaines ?

Les compagnies aériennes africaines sont confrontées à des difficultés de plusieurs natures, principalement, le prix du carburant et des services, l'insuffisance des infrastructures, le manque de ressources humaines et la concurrence venant des compagnies aériennes non-africaines. En effet, face aux devises du marché international, notamment le dollar et l’euro, la faiblesse des monnaies locales permet difficilement d’investir dans la flotte et de procéder à l’achat de carburants, voire à l’entretien des machines, notamment quand ces achats sont effectués dans un pays du « nord », ainsi que de parer au coût de la dette si celle-ci n’est pas contractée localement. De plus, ces compagnies nationales ont difficilement accès au leasing – opération de crédit-bail – et voient leurs possibilités d’investissement brimées par le FMI et la Banque mondiale. Les avions volent peu (alors que les coûts variables liés au vol sont moins élevés que les coûts fixes liés à la possession des avions), ce qui empêche les économies d’échelle pourtant nécessaires pour limiter les coûts d’exploitation unitaires. En outre, les flottes sont trop souvent composées de vieux avions surdimensionnés par rapport aux besoins locaux. De plus, la politique fiscale de certains pays (visant quelque fois à favoriser le décollage de la compagnie nationale locale au détriment de celles des pays voisins) contribuent à renchérir les coûts de transport, ce qui n’incite pas particulièrement la demande et obère la dynamique de ce marché.

Pour faire face à ces problèmes, les Etats Africains doivent créer un marché unique de transport aérien permettant une meilleure connexion des pays et des régions d’Afrique à travers une industrie viable du transport aérien. En d’autres termes, les marchés nationaux sont trop étroits pour permettre à une compagnie nationale d’émerger et de croître face à la concurrence des compagnies étrangères. Ces dessertes nationales (voire même certaines dessertes intra-africaines) souffrent toutes à la fois d’une demande limitée par le faible niveau de développement, de la faible intégration économique et politique des pays et de certaines contraintes de la régulation étatique. Ces facteurs sont renforcés par les difficultés économiques que traversent certains États ainsi que par la limitation des dépenses publiques sous le poids des institutions internationales et du délabrement socio-économique, sans parler des guerres et crises politiques.

Certaines de ces compagnies nationales disparaissent donc peu de temps après leur création, faute de rentabilité et de soutien étatique, tandis que d’autres vivotent ou n’ont pu se maintenir qu’au prix d’une ouverture de capital aux investisseurs étrangers ou privés.

2. Faut-il faire appel aux fonds privés ?

Contrairement au fonds public, le recours des opérateurs du transport aérien aux sources de financement privé permet l’acquisition d’aéronefs plus modernes, plus économiques, plus fiables et respectueux de l’environnement. De surcroit, il permet de résoudre les problèmes d’interdiction de vols en dehors de l’Afrique dont sont sujettes la plupart des compagnies africaines, tout comme les problèmes liés au blocage au sol pour des raisons de surendettement, à l’instar de l’Airbus de Congo Airways : celui-ci a en effet été bloqué au sol par la justice Irlandaise le 21 Août 2015 en raison d’un conflit entre l’Etat Congolais et la société américaine Miminco LLC.

Le projet de mise en place dans la zone CEMAC (Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale) d’une compagnie régionale, initié en 2002, a finalement été abandonné du fait que les Etats impliqués dans ce projet n’arrivaient pas à mobiliser les financements nécessaires pour la concrétisation de celui-ci.

L’exemple de la compagnie ASKY illustre bien la nécessité d’ouvrir le secteur à des opérateurs privés. ASKY est une compagnie aérienne panafricaine basée à Lomé (Togo) et détenue à majorité par des privés. Créée en 2007, cette dernière couvre actuellement 23 destinations réparties dans 20 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ceci facilite la promotion des affaires, du commerce et du tourisme, ainsi que les échanges culturels intra-africains ou du moins entre les différents pays desservis.

3. De la nécessité d’un secteur aérien africain compétitif

Le transport aérien étant un catalyseur de la croissance économique, la perspective d’un ciel ouvert en Afrique offrirait d’énormes avantages, en permettant la création de nombreux emplois, notamment pour les jeunes générations. Le réseau relierait les États africains aux marchés régionaux et mondiaux, favorisant le tourisme ainsi que la circulation des personnes, des marchandises et d'autres activités commerciales essentielles.

En ce qui concerne la libre circulation des personnes, la réduction de moitié de taxes passagères et sûreté, la suppression du droit de timbre et du visa sont des décisions importantes visant à rendre la destination plus compétitive. Ces mesures permettent de baisser le prix des billets et d’attirer, en plus des tours opérateurs, un public étranger issu de la diaspora africaine. Qui plus est, la suppression de visa entre les pays africains ne peut que favoriser l’intégration des peuples, les échanges culturels et l’épanouissement d’une jeunesse africaine avide de liberté et de partage. En somme, développer l’industrie de l’aviation en Afrique pourrait être l’une des forces motrices de l’intégration régionale sur le continent.

Enfin, rappelons que l’Afrique a adopté la Déclaration de Yamoussoukro relative à une nouvelle politique aéronautique africaine en octobre 1988, ainsi que la Décision relative à la libéralisation de l'accès des marchés du transport aérien en Afrique en novembre 1999. Cependant, la mise en œuvre de cette politique de libéralisation reste timide. En dépit de l’existence de cette décision, le secteur du transport aérien en Afrique demeure encore confronté à de nombreux défis. L’avenir et la survie du transport aérien africain restent liés à la coopération dans tous les domaines, à savoir : technique, commercial, administratif, ainsi qu’à un environnement législatif et réglementaire harmonisé.

Hamidou Cissé

Prendre le leadership de la transition énergétique : l’option de la « désinvesti-réorientation »

solar energy panels and wind turbineIl faut reconnaitre que même si les impacts environnementaux et économiques du modèle énergétique actuel sont bien réels, la transition énergétique est encore communément vue en Afrique comme une urgence occidentale. Les dégradations environnementales et économiques dues par l’action humaine deviennent de plus en plus visibles en Afrique et les différents rapports d'évaluation sont clairs. Si cet aspect des choses réelles n'est pas adressé, il continuera à entraver le développement social et économique du continent. L'Afrique s'est mise à l'écart des différentes stratégies en vue de la transition énergétique. Bien que la majorité des états en Afrique disposent des lois qui annoncent et réglementent la protection de l'environnement, ce qui englobe une bonne utilisation des ressources nationales, on constate une réalité très différente. La vraie lutte contre le changement climatique et pour la protection de l'environnement passe d’abord par la transformation du modèle énergétique fossile en un modèle à énergie renouvelable. L'Afrique est à la traine. A titre de comparaison, la Corée du sud, moins ensoleillé en moyenne annuelle que tous les pays d'Afrique au sud du Sahara et disposant d’une superficie inferieure à de nombreux pays africains qui sont restés politiquement stable depuis les indépendances, possédait la quatrième puissance électrique photovoltaïque installée au monde en 2015. Cette montée en puissance de la technologie d’énergie alternative de la Corée du Sud a amèné le pays à abandonner une centrale électrique nucléaire d’une capacité de production de 587 Mégawatt (MW). Alors que devraient faire les pays d'Afrique subsaharienne afin de prendre le leadership de la transition énergétique ?

La « désinvesti-réorientation » pourrait s'appliquer au domaine énergétique africain dont les plus grandes entreprises sont à travers les états impliquées directement ou indirectement dans la production, la transformation et la distribution des énergies d'origines fossiles. Réussir la transition énergétique en Afrique consiste donc à la mise en place d’une législation environnementale et énergétique proactive comme illustré dans la figure 1. Il s'agit de mettre en place une législation transversale puisque l'environnement et l'énergie sont devenus des domaines transversaux. La législation devrait se baser sur une autonomie de production énergétique durable des bâtiments résidentiels, administratifs et industriels. En d'autres termes la législation devrait exiger aux concepteurs, propriétaires de maisons, immeubles ou usines de produire une partie de l'énergie qu'ils utilisent grâce à des sources renouvelables. Etant donné que la plupart des grandes villes africaines existent déjà depuis plus cinq décennies, c'est donc une transformation ou une reconstruction urbaines intégrant les zones industrielles auquelle les pays africains devraient s'atteler afin de réussir cette transition.

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Figure 1 : Deploiement de la double strategie de desinvesti-reorientation et l autoproduction continue des objets en Afrique

Le modèle de construction en forme trapézoïdale comme illustré dans la figure 2, représente une piste de développement très intéressante vers l’optimisation des énergies renouvelable pour les villes. Il s'agit tout premièrement de capturer un rayonnement optimal en une transformation énergétique et puis d'accumuler toutes les autres formes d'énergie renouvelable ou technologies d’efficacité énergétique qui sont entrain de faire leur preuve à travers le monde. 70% de moins d'utilisation électrique représente une diminution drastique de la pression sur les ressources naturelles en Afrique. Mais l'une des clés de cette transformation est la maitrise et la reproduction de la technologie. L'une des plus grandes difficultés en Afrique face aux défis de la transformation du modèle énergétique est le manque d'usine de fabrication des technologies d'énergie renouvelable.

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Figure 2 : illustration d un modele de construction trapezoidale

Il faut alors développer des unités de production des technologies solaires et éoliennes. L’avantage du système industriel est la création ou l'activation d'un bassin d'innovation par la création d'un réseau actif entre les centres de recherches, les universités, écoles et l'industrie. La mise en place d'usine de conception et de fabrication développera les thèses ou projets de recherche dans les domaines des énergies renouvelables.

Cette industrialisation si elle est très bien réussi permettra l'accessibilité des produits technologies renouvelables. Une estimation et planification de la demande potentielle permettra de mettre en place un ambitieux programme d'accessibilité aux produits et aux technologies renouvelables. Ces ambitieux programmes permettent facilement l'accélération de la transformation architecturale dont les bâtiments ont besoin pour atteindre l'autonomie de production énergétique. Il faudra créer une synergie positive entre les institutions financières localement établies, les propriétaires des maisons ou immeubles, les institutions étatiques, les organisations non gouvernementales, les entreprises de construction et les usines de production de technologie renouvelable afin de faciliter le financement et la vérification de la qualité des produits.

L’autre grande interrogation est : comment financer la construction de ces usines de fabrication des technologies renouvelables en Afrique dans un contexte de disponibilité financière limitée ? La solution adéquate de la « désinvesti-réorientation » comme illustré dans la figure 1, consistera à transférer graduellement mais rapidement les actifs et passifs du secteur énergétiques fossiles vers les secteurs des énergies renouvelables. La « désinvesti-réorientation » permettra une transformation du modèle énergétique africain en changeant progressivement et rapidement les entreprises africaines intervenant dans le domaine des énergies fossiles en entreprises qui développent les technologies d'énergie renouvelable. 

Des acquisitions ou fusion avec les entreprises intervenant dans le secteur du développement et de la distribution des technologies renouvelables permettra un changement sans pour autant créer des tensions sur le plan économique. Il faudra ensuite utiliser les garanties ou le poids financiers de ces entreprises pour garantir les investissements nécessaires à la construction d'unité de production de technologie pendant la mise en oeuvre de la « désinvesti-réorientation ».

Cette stratégie ne constitue qu'un canevas adaptable à tous les pays d'Afrique subsaharienne. La plus grande condition est le niveau de stabilité institutionnelle et du respect de l'état de droit.  Il faudra un état stable avec le respect de la justice  mais aussi un modèle collaborative, démocratique et objectif impliquant toutes les parties prenantes de la communauté nationale ou de l’ensemble économique considéré. 

 Land Garel Banguissa[i]


[i] Land Garel Banguissa est un chercheur, ingénieur et entrepreneur dans le domaine de la durabilité et de l’environnement.  I a travaillé pendant plus de 7 années en Asie, en Afrique et en Europe où il a respectivement occupé les rôles de testeur logiciel, développeur système, Ingénieur en durabilité & environnement, Coordinateur en durabilité & environnement. Il est doublement diplômé de l’université de Staffordshire et l’Institut de Technologie d’Asie Pacifique en sciences de gestion et informatique. Il a aussi poursuivi des formations avancées en technologies énergétiques émergentes (Université Stanford), en système environnemental (ISO Campus) et en durabilité d’entreprise.

La définition d’un nouveau pacte de convergence en zone UEMOA : Quels enjeux pour les pays membres ?

siege-bceaoLa baisse de la production et la dégradation des conditions de vie des populations induitent par la baisse des cours internationaux des matières premières, principales sources des recettes d’exportations, durant les années 1980, ont conduit à la coordination des politiques économiques en Afrique de l’ouest à travers la naissance de l’UEMOA en 1994[1].

En 1999, un acte additionnel au traité de l’UEMOA, portant sur la convergence des États membres a été adopté. Il s’agit du Pacte de Convergence, de Stabilité, de Croissance et de Solidarité (PCSC).

Les reports de l’horizon de convergence du PCSC témoignent des difficultés d’atteinte des cibles visées. En effet, l’échéance de réalisation des différents critères définis dans le PCSC a été fixée d’abord au 31/12/2002, ensuite en 2005, puis en 2008 et enfin en 2013. À l’heure du bilan, près de quinze ans après l’adoption du pacte de convergence, la non-satisfaction des résultats a conduit à la révision du PCSC et à la définition d’un nouveau pacte en 2015 par l’Acte additionnel N°01/2015/CCEG/UEMOA.

Quelles sont donc les difficultés de la convergence des pays membres en zone UEMOA ? Pourquoi cette quête de convergence ? Quels sont les enjeux du nouveau pacte de convergence ?

Cet article se propose de fournir quelques éléments de réponse à ces interrogations en expliquant dans une première partie la nécessité de la convergence des pays membres en zone monétaire, en dressant dans un second temps un bilan du PCSC (version 1999) et en discutant les enjeux des nouveaux critères.

1. Nécessité de la convergence des pays membres en zone monétaire

Les études empiriques résument les célèbres critères d’une zone monétaire optimale en la convergence des cycles économiques des pays. En union monétaire, les gouvernements nationaux avec des degrés de stabilisation des cycles économiques différents disposent principalement de la politique budgétaire comme outil de politique économique ; la politique monétaire et celle du taux de change étant confiées à une autorité supranationale.  Une telle configuration engendre plusieurs difficultés :

a. Difficultés de gestion des chocs idiosyncratiques[2] 

Si les économies de chaque pays membre de la zone se trouvent sur la même phase du cycle (expansion ou récession) au même moment, la politique monétaire de stabilisation conjoncturelle sera efficace et bénéfique à tous les États membres. Une hétérogénéité des cycles économiques suppose l’existence de chocs idiosyncratiques qui influencent significativement l’activité économique des pays concernés de manière à la faire basculer vers une autre phase d’évolution. La politique monétaire étant unique ne pourra donc pas y répondre efficacement.

b. Problèmes de free-riding des politiques budgétaires

En absence de coordination des politiques budgétaires (donc absence de convergence des cycles économiques) et en présence d’incohérence temporelle de la politique monétaire, chaque gouvernement aura tendance à adopter une stratégie de politique budgétaire unilatérale ignorant les externalités de sa politique sur les autres pays membres. À terme, l’ensemble des politiques unilatérales sera nuisible à l’union.

Dans la zone monétaire, chaque gouvernement finance ses dépenses grâce à l’endettement inétrieur nominal. La banque centrale décide du niveau du taux d’inflation communautaire en faisant un arbitrage entre les avantages et les inconvénients de l’inflation. Une forte inflation peut avoir des avantages car cela réduit la valeur réelle de la dette nominale et par suite réduit la tentation des gouvernements à augmenter les impôts et taxes pour rembourser la dette. Une forte inflation peut bien entendu avoir des conséquences négatives (même en économie fermée) car cela constitue notamment un frein pour les politiques de protection sociale ce qui réduit le niveau de la croissance économique. Dans ce cas de figure (économie fermée), en présence d’une grande inflation, les avantages augmentent plus que les inconvénients. De ce fait, plus le niveau de la dette avant la mise en place de l’union est élevé, plus l’autorité monétaire aura tendance à fixer le taux d’inflation cible à un niveau relativement élevé.

Sous l’hypothèse de politiques budgétaires non coordonnées, pour décider du niveau de ses dépenses, chaque gouvernement effectue un arbitrage entre les avantages et les inconvénients y compris les coûts d’une forte inflation sur la production de chaque pays en ignorant les effets de l’inflation sur la production des autres pays membres. De ce fait, par rapport à une zone monétaire où les politiques budgétaires sont coordonnées, chaque pays membre contracte une dette importante, ce qui conduit la banque centrale à générer une forte inflation et l’on aboutit par suite à un niveau faible de production dans la zone.

La quête d’une convergence des pays membres en zone monétaire est donc pleinement concevable. Quelle est la situation de cette convergence en zone UEMOA ?

2. Bilan du PCSC (1999-2013)

Le Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité entre les pays membres de l’UEMOA, adopté le 08/12/1999 était composé de quatre critères de premier rang[3] dont le non respect entraîne la formulation explicite de directives par le conseil demandant au pays membre concerné, d’élaborer et de mettre en œuvre un programme de mesures rectificatives et de quatre critères de second rang[4]. Ces derniers sont traités comme des repères structurels indicatifs qui font l’objet d’un suivi rigoureux à cause du rôle déterminant qu’ils jouent dans la réalisation de l’objecif de viabilité interne et externe des économies. Leur non respect ne fait cependant pas l’objet de recommandations explicites pour la mise en œuvre d’un programme de mesures rectificatives.

Le tableau ci-dessous présente la situation des pays dans le respect de ces critères à fin 2013.

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Source : Commission de l UEMOA (Surveillance multilaterale, juin 2014)

Pour ce qui concerne les critères de 1er rang, d’importants efforts ont été réalisés par les pays membres. En 2013, les trois derniers critères de 1er rang ont été tous respectés par l’ensemble des pays membres ; le critère sur la dette publique l’était dès 2012. Cependant, le premier critère de convergence considéré comme un critère clé car il permet une appréciation globale de la gestion du budget de l’État n’a été respecté que par le Bénin en 2013. L’on peut constater également une détérioration de la performance sur ce critère entre 2011 et 2013. Par ailleurs, aucun critère de second rang n’a été respecté par l’ensemble des pays membres.

Ces difficultés de convergence sont principalement dues à l’hétérogénéité des caractéristiques économiques des pays membres (Coexistence de pays sahéliens d’une part et de pays forestiers et côtiers d’autre part). En effet, l’agriculture et le commerce constituant les principales activités de l’union et compte tenu de l’importance des chocs, l’union se retrouve composée de pays importateurs (sahéliens pour la plupart) et de grands exportateurs. Ainsi, les variations de la valeur de la monnaie communautaire auront des effets différents pour les pays d’une même union. Par exemple, la dépréciation récente de l’euro qui implique également celle du franc CFA contribue à favoriser les exportations vers les pays (hors zone euro) mais renchérit dans le même temps les importations (des pays hors zone euro). La prise en compte de cette configuration dans la définition des critères de convergence est donc compréhensible, d’où la définition du nouveau pacte.

3. Les enjeux des nouveaux critères de convergence

Le nouveau pacte de convergence (version 2015) des États membres de l’UEMOA comprend cinq critères de convergence (3 critères de 1er rang et 2 critères de 2ème rang) qui devraient être atteints à l’horizon 2019 :

a. Le ratio du solde budgétaire global, dons compris, rapporté au PIB nominal doit être supérieur ou égal à -3% en 2019

Il permet une évaluation de la position budgétaire d’un pays. Cependant, ce critère à caractère comptable ne permet pas de percevoir les effets de la politique budgétaire notamment sur l’activité économique. Un autre indicateur comme le solde structurel courant hors investissements publics permettrait d’avoir une vision plus économique. En effet, l’application de la règle d’or des finances publiques signifie que ce solde structurel courant doit être équilibré. Ainsi donc, un pays ne peut s’endetter que pour investir. On pourrait ainsi percevoir directement les effets de la dette sur l’investissement et donc sur le PIB et la croissance économique.

b. Le taux d’inflation annuel moyen doit être au maximum de 3% ;

Ce critère reconduit semble être respecté par la plupart des pays membres. Cependant, il faut nuancer ce résultat car les déterminants de l’inflation en zone UEMOA sont majoritairement du ressort des chocs exogènes et de l’inflation importée. L’analyse des caractéristiques des principales activités économiques permet de le comprendre. En ce qui concerne l’agriculture, les chocs climatiques ne sont pas rares et affectent souvent les récoltes saisonnières. Une mauvaise campagne agricole entraînera la hausse des prix des produits agricoles notamment alimentaires. Quant au commerce des matières premières, les pays de la zone UEMOA étant des price taker, ils subissent les variations des cours internationaux des matières premières. En outre, l’importance des importations assure l’influence non négligeable de l’inflation importée sur le niveau de l’inflation globale. En outre, ce seuil semble bas pour des économies en quête de croissance soutenue comme le suggère certaines études. En effet, une forte croissance économique est source de tensions inflationnistes mais permet une absorption du chômage et une réduction de la pauvreté à terme. Ces derniers résultats sont prioritaires (par rapport un faible taux d’inflation) pour les économies de l’UEMOA d’autant plus que les déterminants de l’inflation ne sont pas contrôlables.

c. Le ratio de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal ne doit pas excéder 70% en 2019.

Le respect de ce seuil reconduit doit être également relativisé par la prise en compte des allègements de dette au titre des initiatives PPTE. Le seuil de 70% ne semble pas consensuel du fait des effets non linéaires de la dette sur l’activité. Si la dette permet de financer l’activité économique, l’importance des intérêts d’une part, et le fait que certains gouvernements s’endettent pour effectuer des dépenses de fonctionnement d’autre part, un fort endettement peut se révéler contre-productif.

d. Le ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales ne doit pas excéder 35% en 2019

Ce seuil non atteint en 2013 a été tout de même reconduit. L’importance des dépenses d’éducation et de santé, notamment dans les recrutements de la fonction publique ne facilite pas l’atteinte de ce seuil. Une question fondamentale se pose pour la révision ou l’atteinte de ce seuil. Il s’agit de savoir si ces dépenses de recrutement des agents de santé et d’éducation pour les économies de l’UEMOA doivent être considérées comme des dépenses de fonctionnement ou comme des investissements en capital humain. En effet, il s’avère qu’un important financement en matière de santé et d’éducation est nécessaire dans la zone, d’où les interrogations sur la pertinence de ce critère.

e. Le taux de pression fiscale doit être supérieur ou égal à 20%.

Le seuil de ce critère a été revu à la hausse. Une meilleure lecture de ce nouveau seuil ambitieux suppose une dissociation des recettes fiscales hors exploitation pétrolière et minière afin de se concentrer sur les recettes non liées à l’exploitation des ressources naturelles faisant l’objet d’un effort de mobilisation fiscale plus important. En effet, les difficultés de collecte d’impôts et taxes proviennent des autres secteurs où prévalent les activités à caractère informel.

La non-réalisation de l’ensemble des objectifs de convergence définis dans le PCSC (1999) a conduit à la naissance d’un nouveau pacte. Au-delà des imperfections de certains critères de ce nouveau pacte, il serait judicieux d’appliquer un principe de gradualisme au nouvel horizon de convergence afin d’éviter les multiples reports constatés avec l’ancien pacte. Les échéances intermédiaires permettraient aux différents gouvernements de réadapter leurs politiques en temps opportun. Toutes choses qui contribueraient à une amélioration des résultats de convergence à terme (2019).

Daniel Ouedraogo


[1] L’UEMOA  est née le 10 janvier 1994 et est composée du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Togo et de la Guinée Bissau qui a rejoint l’union en 1997.

[2] Les chocs idiosyncratiques désignent les chocs qui affectent un pays membre de l’union. Il s’agit par exemple d’une mauvaise pluviométrie (choc temporaire) dans un pays A ou d’une guerre civile dans un pays B (choc permanent).

[3] solde budgétaire de base rapporté au PIB nominal devrait être supérieur ou égal à 0 (critère 1) ; taux d’inflation annuel moyen devrait être maintenu à 3% au maximum (critère 2) ; encours de la dette publique totale (intérieure et extérieure) rapporté au PIB nominal ne devrait pas excéder 70% (critère 3) ; non-accumulation d’arriérés de paiement sur la gestion de la période courante (critère 4).

[4] ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales ne devrait pas excéder 35% (critère 5) ; investissements publics financés sur ressources internes rapportés aux recettes fiscales devrait atteindre au moins 20% (critère 6); ratio du déficit extérieur courant hors dons par rapport au PIB nominal ne devrait pas excéder 5% l’an (critère 7); taux de pression fiscale (Recettes fiscales / PIB nominal) devrait être supérieur ou égal à 17% l’an (critère 8).

Projet BEPS et harmonisation des administrations fiscales en Afrique: quel bilan et quelles perspectives?

Tax calculator and penLe rapport Oxfam intitulé “Money talks: Africa at the G7”[1] et publié le 2 juin 2015 dénonçait les manipulations des prix du transfert opérés par les firmes multinationales afin d’échapper a toute taxation sur le continent. Ainsi, les économies nationales africaines auraient-elles subies un manque à gagner de 5,4 milliards d’euros pour l’année 2010. L’optimisation fiscale est actuellement un problème international qui menace les finances publiques de tous les Etats et donne lieu tant a des réflexes égoïstes favorisant le dumping fiscal qu’a des tentatives de coordination et de convergence des taux. Le but du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) lancé par l’OCDE en 2014 est d’apporter une réponse mondialisée aux problèmes engendrés par “l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices”[2]. Cinq groupes régionaux ont ainsi été chargés d’élaborer des planifications fiscales permettant de combler les brèches existant entre les règles fiscales nationales, dont profitent pour l’heure les multinationales. Concernant l’Afrique, le groupe de travail nommé ATAF (Forum sur l’Administration fiscale en Afrique, fondé en  2009) a tenu un atelier BEPS les 10 et 11 décembre 2014 à Paris. L’ATAF ayant pour mission de coordonner toutes les initiatives régionales en matière de réforme fiscale afin de protéger le continent des montages fiscaux agressifs, quatre chantiers opérationnels principaux ont été désignés lors du sommet:

  • la lutte contre l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers (Action 4 du Plan d’action BEPS);
  • la prévention de l’utilisation frauduleuse des conventions fiscales (Action 6 et 7)
  • l’encadrement des prix de transfert (Action 8, 9, 10);
  • la mise en place de déclarations nationales et périodiques concernant les prix de transfert (Action 13).

Ces quatre objectifs vont dans le sens des reformes engagées sur le continent depuis deux décennies. Le renforcement et la coordination des administrations fiscales sont en effet considérés depuis le milieu des années 1990 comme les leviers du développement des économies nationales africaines. Le présent article proposera une analyse comparée de l’évolution des recettes fiscales dans plusieurs pays d’Afrique  puis les efforts régionaux impulsés par l’ATAF en matière de renforcement de la gouvernance fiscale seront évoqués.

L’évolution comparée des recettes fiscales depuis la création  de l’ATAF en 2009 montre que celle-ci n’a pas suffi à combler la disparition structurelle des taxes sur le commerce international et à harmoniser les législations fiscales africaines…

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Les années 1980 ont été marquées par la libéralisation du commerce international et la diminution drastique des recettes fiscales tarifaires. Pour faire face à cela, les Etats africains ont accentué la pression exercée sur le marché intérieur en augmentant les taxes sur la consommation. La Banque de France estime ainsi que les recettes fiscales issues du commerce international dans la zone UEMOA sont passées de 8% du PIB en milieu des années 1980 à 4%  en 2008. Elles n’atteignaient plus que 3% du PIB en zone CEMAC en 2010[3].

La transition fiscale africaine a donné lieu à une augmentation de la fiscalité indirecte (TVA notamment) et a accru la dépendance des économies africaines a l’égard des recettes fiscales issues de la production pétrolière. La création de zones de libre-échange donnant lieu à la suppression des barrières tarifaires entre les membres d’une même zone a certes généré une extension des marches d’exportation en développement des économies d’échelles mais ces zones comportent également des failles qui permettent actuellement à certaines entreprises d’optimiser le traitement fiscal de leurs activités sur le continent en s’appuyant sur les prix de transfert.

Ainsi, une entreprise détenant des succursales dans plusieurs Etats d’une même zone peut-il réaliser des transactions intrafirme qui ne sont pas soumises aux mêmes règles fiscales que les transactions effectuées par les entreprises indépendantes sur le marché. En effectuant des « transactions dites contrôlées »,  les entreprises disposant de succursales peuvent minorer et majorer artificiellement les prix et transférer les bases imposables d’un pays à l’autre de la zone sans être inquiètes et en bénéficiant des conventions relatives à la double-imposition. L’OCDE cherche depuis les années 2000 à généraliser le « principe de pleine concurrence » permettant aux administrations fiscales de coopérer et de comparer la rémunération des transactions contrôlées transfrontalières à la rémunération des transactions classiques toute choses égales par ailleurs. A l’échelle africaine, c’est l’ATAF qui sera chargé de renforcer ce dispositif dans les années a venir.

… mais des reformes récentes témoignent d’un effort coordonné de modernisation de la gestion de l’administration fiscale soutenu par l’ATAF : les cas du Mali, du Sénégal et du Togo.

L’amélioration des performances de l’administration fiscale passe par la rationalisation et l’instauration d’une logique d’objectifs et non de moyens au sein des entités chargées du recouvrement de l’impôt. Le cas du Mali, engagé depuis 2010 dans une modernisation de son administration fiscale est éloquent et s’est traduit par une augmentation des recettes fiscales du pays, qui sont passées de 14,4 à 15,5% du PIB de 2011 à 2016.[4] Cette remontée fait suite à près de 20 ans de chute des recettes fiscales du fait de la libéralisation commerciale et de la baisse corollaire des taxes sur le commerce international[5]. En effet, la Direction Générale des Impôts malienne a  renoncé en 2010, avec l’accompagnement de l’ATAF, au découpage des services en fonction des types d’impôts (TVA, taxe foncière, IS…) ou des différentes étapes de collectes (immatriculation, gestion, recouvrement, contrôle, contentieux…) pour proposer des interlocuteurs fiscaux uniques à chaque catégorie homogène de contribuables (PME, grandes entreprises, particuliers).

 Ce mode d’organisation instaure une relation service-client ainsi que la mise en place d’indicateurs de performance tels que la qualité du service (évaluation des systèmes de déclaration), l’efficience des moyens de production (développement d’un système informatique intégré de gestion) et l’efficacité socio-économique de la gestion (suivi précis du rendement de chaque impôt en fonction de sa base). La réorganisation centrant l’administration fiscale malienne sur la relation service-client permet également d’octroyer une plus grande autonomie aux fonctionnaires de la DGI qui gagnent en responsabilité en marge de manœuvre dans la gestion des ressources. En effet, si leur travail s’apparentait auparavant à un travail à la chaine et générait des doublons le nouveau système permet de faire des agents de la DGI des responsables de projets plus indépendants et plus au fait des attentes des usagers ; mais également directement responsables devant les juridictions financières en cas de fraude. L’administration fiscale peut également désormais établir en amont une cartographie des risques de fraude par catégories de contribuables et ainsi renforcer la performance des contrôles (cf. infra).

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Source : Presentation CIFAM IMF 2014

Le Sénégal et le Cameroun ont également suivi les recommandations du FMI et de l’ATAF en matière de rationalisation opérationnelle. Le Sénégal a ainsi mis en place en 2013 une Direction des Grandes Entreprises (DGE) succédant au Centre des Grandes Entreprises fonde en 2001 pour fournir aux grandes firmes nationales et multinationales un interlocuteur unique en matière d’imposition. Dans le même temps, le Cameroun créait des 2004 une DGE à compétence nationale à Yaoundé pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard FCFA. Ces initiatives nationales œuvrent à la convergence des règles fiscales nationales en Afrique et préparent le terrain pour une coordination accrue en matière de lutte contre l’optimisation fiscale. Enfin, le Togo a opté pour une gestion plus souple et donc plus adaptée aux réalités locales en développant les agences et les services fiscaux décentralisés.

Depuis sa création, l’ATAF accompagne la modernisation des administrations fiscales africaines mais dans de nombreux cas, cet accompagnement s’avère encore timide et ne donne pas lieu à une force coercitive à même d’imposer une véritable coopération décisive en matière de lutte contre l’évasion fiscale. La fiscalité étant l’un des piliers du développement des économies nationales africaines, l’ATAF doit urgemment centrer ses efforts sur la formation des inspecteurs des impôts et des fonctionnaires des différentes DGI. L’ATAF devrait dans les prochaines années disposer d’un plus grand leadership et fusionner avec l’AFROSAI (l'Organisation africaine des institutions supérieures de contrôle des finances publiques) qui bien souvent évoque les mêmes problématiques qu’elle. Pour l’heure, les enjeux de la nouvelle gestion publique  basée sur la logique de performance et l’établissement de contrats d’objectif, restent embryonnaires en Afrique mais les initiatives existent et continueront à se développer grâce à la circulation des idées et des bonnes pratiques entre les différentes administrations.

Pourquoi la Côte d’Ivoire attire tant les investisseurs ?

En 2013, les flux d’IDE en direction de la Côte d’Ivoire ont plus que triplé par rapport à 2012, atteignant 621 millions d’euros (CEPICI). En 2014 et 2015, cette donnée devrait être encore plus importante. En outre le pays bénéficie de conditions allégées sur les marchés financiers (régional et international). Ses émissions de longue maturité (supérieur à 3 ans) sont sursouscrites à des taux relativement faibles par rapport à ses pairs de la région (6% en moyenne sur les émissions effectuées depuis 2013). Pour ses premières incursions sur le marché international, le pays a obtenu des taux relativement bas (5,625% pour la première portant sur 750 millions de dollars et 6,625% sur la seconde portant sur 1 milliard de dollars) là où les autres pays obtiennent des niveaux de rémunérations atteignant 10%.

Les partenaires bilatéraux mais aussi les institutions multilatérales se bousculent pour proposer des financements à la Côte d’Ivoire. Ainsi le pays a bénéficié en 2012 d’un C2D (contrat de désendettement et de développement) de la France et l’aide internationale qui a atteint son plus bas niveau durant la crise (100 millions de dollars) s’accélère, se situant à près d’un milliard de dollars en moyenne sur les 3 dernières années. La Chine ne compte pas être en marge. D’autres pays d’Asie tel que l’Inde et Singapour sont prêts à investir dans le pays. Les libanais, déjà fortement présents dans l’économie ivoirienne, tiennent à renforcer leur emprise. Les autres pays africains s’empressent d’acquérir des actifs en Côte d’Ivoire. Selon CEPICI, une bonne partie des investissements reçus par le pays en 2013 proviendraient de la sous-région ouest africaine. Les récentes visites du roi du Maroc à Abidjan portaient un cachet économique. Par ailleurs, toutes les multinationales qui souhaiteraient s’implanter en Afrique de l’ouest veulent désormais passer par la Côte d’Ivoire[1].

De toute évidence, la Côte d’Ivoire a le vent en poulpe (au-delà de l’affection qu’on peut porter au pays) que même les élections présidentielles d’octobre, qui inquiètent à raison des antécédents socio-politiques du pays ne semblent pas remettre en cause.

Qu’est ce qui explique cette attractivité de la Côte d’Ivoire et permettra-t-il d’améliorer les conditions de vie des populations ?

Une situation socio-politique tendue, mais sans danger. La Côte d’Ivoire a connu une période sombre dans son histoire et il serait difficile d’en faire pire. Avec les élections de 2011, le pays semble avoir tourné la page et cette situation tend à réconforter les investisseurs. Si le risque de heurtes n’est pas écarté après les élections à venir et que les défis sur le plan sécuritaire demeurent énormes, source d’instabilité ; il n’affecterait presque pas ou peu l’activité économique. Les tensions entre les différents partis ne se sont certes pas encore totalement dissipées et l’actualité des procès après les élections de 2011 est encore présente. Mais tout porte à croire que les populations sont plus aujourd’hui portées par leur avenir et la restauration de l’image « pays de paix » que leurs désaccords politiques. Selon des observateurs de France 24 à Abidjan, ces tensions qui se sont cristallisées avec une bagarre récente entre un « pro-Gbagbo » et un « pro-Ouattara » n’a fait que les choux gras de la presse et ne suffirait pas à inciter les populations à de la violence. Néanmoins, elle témoigne encore de la fragilité de cette stabilité politique, contenue aujourd’hui par le système en place, et qui pourrait à termes s’amplifier et plonger le pays dans une nouvelle crise.

Le réveil du géant, porté par une vision bien pilotée. La Côte d’Ivoire est la locomotive de la zone UEMOA, l’un des géants de l’Afrique de l’ouest en général, derrière le Nigéria, le Ghana et à côté du Libéria et de la Sierra Léone. La restauration de la situation socio-politique et la nécessité de reconstruire le pays, qui se sont traduites par un investissement public massif (10% en moyenne par an entre 2013 et 2015), a permis d’accélérer la croissance qui a atteint un taux de croissance de 8% en 2013 et 2014: la Côte d’Ivoire rattrape le retard qu’elle a accusé sur elle-même. Selon les prévisions du FMI, le pays devrait afficher un taux de croissance moyen de 6 à 7% entre 2015 et 2020. En outre, le taux de croissance de la population (2,6% par an selon les résultats du dernier recensement) est relativement faible vis-à-vis des perspectives de croissance ; ce qui se traduirait par une hausse (théorique) du pouvoir d’achat des populations : le PIB par tête passerait ainsi de 1403 USD en 2013 (2945 USD PPA) à presque 2000  USD (4500 USD PPA) en 2020.  En outre, le pays dispose d’énormes potentialités dans presque tous les secteurs (de l’agriculture aux services) que les autorités ambitionnent de valoriser avec la mise en œuvre du plan Côte d’Ivoire Emergent.

L’investissement public, concentré notamment dans les infrastructures (électricité, transport, etc.) transforme le pays et permet d’y réaliser des affaires de façon durable. Plusieurs réformes entreprises par les autorités entretiennent ce renouveau : la mise en place d’un nouveau code d’investissement et de nouveaux instruments d’encadrement du secteur privé, notamment un cadre de dialogue secteur public – secteur privé, un guichet unique pour les formalités de création d’entreprises, un tribunal de commerce ainsi qu’une plateforme d’échanges pour centraliser les appuis des partenaires au développement à l’environnement des affaires. La solvabilité apparente des consommateurs, l’ouverture du pays sur le marché régional constituent autant de facteurs qui contribuent à renforcer l’attractivité du pays pour les investissements privés.

Une concurrence régionale inexistante. La Côte d’Ivoire bénéficie en outre de la situation défavorable de ses voisins. Hormis le Ghana et le Nigéria et dans une moindre mesure la Sierra Léone et le Libéria avec leur ressources minières, les autres pays de la région sont minés par des difficultés qui entachent leur attractivité auprès des investisseurs. Avec un Sénégal naturellement sous doté et qui souffre de problèmes énergétiques et d’infrastructures ; une situation sécuritaire instable dans le sahel (Mali, Burkina et Niger) ; le Togo et le Bénin qui sont devenu des plateformes commerciales pour le Nigeria et offrent (malgré leur potentiel) peu d’opportunités d’affaires avec des infrastructures défaillantes et un cadre institutionnel faible et non sécurisant, la Côte d’Ivoire se présente de loin comme le seul pays de la sous-région capable d’accueillir les investissements étrangers, et ce d’autant plus qu’elle ouvre la voie aux autres pays (Mali, Niger, Burkina). La boucle ferroviaire, qui sera prochaine réalisée par Bolloré, vient davantage conforter cette position de la Côte d’Ivoire.

Malgré cet engouement que suscite le pays, sa situation sociale n’a que très peu évoluée. « Les routes ne se mangent pas » disent les abidjanais. Cependant, ces routes les « feront manger » à termes (en 2020), à en croire le plan Côte d’Ivoire Emergent. En effet, la croissance actuelle est essentiellement portée par ces projets d’infrastructures et l’exportation mais ce sont ces infrastructures qui constitueront le socle de l’émergence du pays. Elles permettront aux entreprises de profiter des potentialités du pays, de s’orienter vers de la transformation, donc d’employer, de participer à la redistribution de la richesse et de réduire la dépendance du pays aux produits importés … du moins théoriquement. Si une sortie de crise n’est pas toujours synonyme de relève économique (cas du Libéria et de la Sierra Léone), le pari semble aujourd’hui relevé pour la Côte d’Ivoire et la pérennité de ses performances dépendra des choix de politique économique des autorités, notamment en matière de capital humain. Si pour l’heure, la politique de l’Etat en matière d’infrastructures est bien définie et visible, celle portant sur le renforcement du capital humain reste à préciser.  

Loin de stigmatiser l’embellie économie et les transformations en cours en Côte d’Ivoire, il convient de signaler que l’attractivité du pays demeure fragile et pourrait être remise en cause par tout choc exogène, notamment sur le plan politique. Il urge donc de renforcer les mécanismes visant à sa pérennisation et à son appropriation par les acteurs économiques internes : inclusion financière, renforcement du capital humain, environnement des affaires sécurisant, fiscalité simple et renforcement des institutions.

Foly Ananou


[1] Consulter la page Côte d’Ivoire de Jeune Afrique

Lancement de la zone de libre-échange continentale : nouvelles perspectives pour le commerce africain ?

Centerm3787_9x13_300_06092012162035Le sommet de l’Union africaine (UA) qui s’est tenu le 15 juin à Johannesburg, en Afrique du Sud, a formellement lancé les négociations en vue de l’établissement d’une Zone de libre-échange continentale (ZLEC) en Afrique. La ZLEC est une initiative prioritaire de l’Agenda 2063 de l’UA, qui énonce la vision de la trajectoire du développement africain au cours des cinq prochaines décennies. La ZLEC est un des piliers de la mise en œuvre de l’aspiration de l’Agenda 2063, celle d’une Afrique prospère s’appuyant sur une croissance inclusive et sur un développement durable. Cette aspiration repose sur la mise en œuvre de politiques visant la réalisation d’une convergence systématique vers les pays et les régions plus développés, ainsi qu’une intégration croissante dans l’économie mondiale en tant que partenaire respecté.

Il est prévu que la ZLEC regroupe les 54 États membres de l’UA, avec une population de plus d‘un milliard de personnes et un PIB combiné de plus de 3 mille milliards de dollars EU en 2014. Selon la recherche menée par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), la conclusion et la mise en œuvre fructueuses d’un accord sur la ZLEC, complétées par des efforts visant à améliorer les infrastructures liées au commerce et les procédures douanières, ainsi qu’à réduire les coûts de transit et autres coûts des échanges, pourraient entraîner une hausse de 52 pourcent (35 milliards de dollars) du commerce intra-africain d’ici 2022, partant d’un scénario 2017 pour année de base. La conclusion des négociations est attendue pour 2017. Le sommet de l’UA à Johannesburg a clarifié la portée, les arrangements institutionnels, les principes directeurs et d’autres modalités pratiques relatives aux négociations. Le sommet a réaffirmé la date de 2017 en tant qu’année indicative pour la finalisation des négociations.

Le calendrier ambitieux des négociations de la ZLEC est lié au fait que la mise en œuvre du Traité d’Abuja, qui sert de base juridique pour les négociations, a pris du retard. Entré en vigueur en 1994, ce dernier fournit une feuille de route destinée à promouvoir l’intégration régionale en Afrique, avec des jalons clés tels que l’établissement d’une union douanière d’ici 2022 et d’une communauté économique africaine d’ici 2028.

Ainsi, le lancement des négociations sur la ZLEC constitue également une initiative politique qui vise à maintenir le cap de la mise en œuvre du Traité d’Abuja. Mais il y a aussi un changement majeur dans l’approche de l’intégration régionale en Afrique. Les Communautés économiques régionales (CER) restent d’importantes pierres d’assise dotées de capacités de mise en œuvre. Toutefois, l’accent est désormais placé sur des arrangements à l’échelle continentale. C’est dans ce contexte que l’on doit inscrire l’ambition d’arriver à un accord sur la ZLEC dans un délai de deux ans.

La négociation sur la ZLEC a également été lancée dans un contexte d’incertitude croissante sur l’orientation future du système commercial multilatéral, à un moment où le commerce mondial est en pleine évolution, avec l’essor des accords commerciaux méga-régionaux – notamment le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI ou TTIP), le Partenariat trans-pacifique (TPP) et le Partenariat économique global régional (RCEP).    

L’Afrique ne fait partie d’aucune de ces configurations émergentes et devrait être négativement affectée par ces accords. Selon les estimations de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), en raison de l’érosion des préférences et de la concurrence accrue à laquelle les pays africains seront confrontés dans les marchés concernés par les accords commerciaux méga-régionaux, le total des exportations africaines pourraient baisser de 2,7 milliards de dollars EU (soit 0,3 pourcent) d’ici 2020, par rapport à un scénario sans accords méga-régionaux. Bien que cet effet de détournement des échanges puisse être perçu comme relativement négligeable, la la CEA souligne que les exportations de l’Afrique pourraient diminuer dans des catégories critiques, les plus fortes réductions étant prévues dans le secteur des biens industriels, en particulier eu égard aux échanges avec les pays du RCEP. Cependant, la mise en place effective de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC), en particulier si elle est associée à des mesures visant à réduire les coûts des échanges, peut contrebalancer les potentiels effets négatifs des accords commerciaux méga-régionaux.

Plus généralement, les arrangements commerciaux préférentiels entre l’Afrique et certains partenaires clés sont également en train d’évoluer. Les Accords de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne ont pour l’essentiel été conclus. Si les pays les moins avancés (PMA) continuent de bénéficier d’un accès préférentiel aux marchés européens, les APE ont introduit une réciprocité dans les arrangements commerciaux entre l’Afrique et l’Europe. Dans le même temps, les États-Unis ont renouvelé leur Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA) pour 10 ans, jusqu’en 2025. Mais ils ont indiqué qu’ils comptaient également suivre la voie tracée par l’Europe, à savoir le passage à des relations commerciales réciproques. Dans les relations avec la Chine et d’autres grands pays émergents, des stratégies commerciales effectives n’ont pas encore été pleinement formulées.

Ces évolutions montrent clairement que s’ils ne concluent pas des arrangements commerciaux préférentiels entre eux, les pays africains qui participent à différentes communautés économiques régionales (CER) pourraient finir par offrir aux partenaires extérieurs de meilleurs termes que ceux qu’ils s’imposent entre eux. Par exemple, le Sénégal, qui est membre de la CEDEAO, commerce sur une base NPF avec le Kenya, qui est membre de la CAE, mais chacun des pays s’est engagé à offrir un accès préférentiel à l’Europe lorsque leurs arrangements APE respectifs seront pleinement mis en œuvre. Hormis la volonté politique de maintenir le cap sur les étapes fixées par le Traité d’Abuja, les implications des accords commerciaux méga-régionaux et l’évolution du paysage commercial forment un contexte qui rend d’autant plus urgente la conclusion d’une ZLEC.

Arrangements pratiques

Le sommet de l’UA à Johannesburg a établi que les négociations devraient couvrir le commerce des marchandises, mais également celui des services, l’investissement, les droits de propriété intellectuelle et la politique de concurrence. Les principes devant guider les négociations sur la ZLEC ont également été adoptés, tels que: « les ALE des CER comme éléments constitutifs de la ZLEC », « la préservation de l’acquis », « la géométrie variable », « la flexibilité », « le traitement spécial et différencié », « la transparence » ou encore « la divulgation des informations ». Ces principes de négociation sont cruciaux pour la réussite des négociations.

En dépit des opportunités offertes par la ZLEC, il est évident qu’il s’agira d’une entreprise complexe. La négociation aura lieu entre 54 pays et 8 CER à divers niveaux de développement et avec des capacités différentes. L’OMC en est le plus proche équivalent, mais les négociations sur la ZLEC seront menées sans les ressources techniques et le Secrétariat de l’OMC. Il est donc essentiel, pour la réussite des négociations, de tenir compte de ces contraintes en termes de ressources et de capacités.

La portée et le calendrier des négociations prévoient que les biens et les services seront négociés de manière simultanée. Ceci pourrait certes sembler trop ambitieux, compte tenu des capacités de négociation, mais cette décision a pour but de permettre des concessions réciproques entre pays ayant un avantage comparatif plus fort dans l’un ou l’autre de ces secteurs. Le rôle crucial que joue le secteur des services dans la création d’emplois, de revenus, ainsi que dans les chaînes de valeur est à présent largement reconnu. Et en effet, c’est dans les services plutôt que dans les biens que certains petits pays africain pourraient trouver leur zone de compétitivité.

Un autre défi à relever, d’un point de vue pratique, consiste à s’assurer que les gains devant résulter de la ZLEC sont répartis aussi largement que possible entre les pays participants. Certains des petits pays sont préoccupés par le fait que les grands pays domineront la ZLEC, tant en termes de négociations que de résultats. Ces inquiétudes soulignent l’importance que revêtent des principes tels que le traitement spécial et différencié et la géométrie variable, qui fournissent les flexibilités nécessaires pour répondre aux différents besoins de développement. Dans le même temps, la majeure partie des pays de la ZLEC étant des PMA, il est toutefois important de veiller à ce que le poids des obligations ne soit pas supporté par le petit nombre de grands pays relativement plus développés. Il sera crucial de s’inspirer de l’expérience acquise par les CER dans la manière de traiter ces questions dans la pratique et des enseignements qui peuvent être appliqués.

Perspectives

Il faut du temps pour mener des négociations commerciales. Les négociations sur la Zone de libre-échange tripartite (ZLET ou TFTA), officiellement lancées en juin 2011, n’ont été conclues qu’en 2015, avec une période supplémentaire de 12 mois accordée pour finaliser diverses questions techniques. Pour les négociations sur la ZLEC, une option serait d’adopter une approche en deux étapes, qui comprendrait : 1) la recherche d’accords ayant une valeur commerciale dans tous les domaines où cela est réalisable, comme « récolte précoce » ; 2) la poursuite des négociations au-delà de 2017 dans tous les domaines restants, au besoin avec un calendrier flexible pour leur conclusion.

Le commerce des biens est un domaine où une « récolte précoce » est possible, avec la possibilité d’un accord rapide sur des questions telles que les normes, les douanes et la facilitation des échanges, et d’autres, pendant que les questions tarifaires sont en cours de résolution. Pour le commerce des services, il serait possible de mettre un accent particulier sur les services qui facilitent l’investissement (ceux liés aux affaires, les services financiers, les TIC, etc.) ou qui réduisent les coûts des échanges (transport, logistique, commerce électronique, etc.) afin d’assurer des gains rapides pour les économies africaines. Il est également possible d’obtenir un accord rapide pour des questions telles qu’un régime d’investissement commun, la politique de concurrence et les droits de propriété intellectuelle, en s’appuyant sur les arrangements existants dans les CER et sur d’autres mécanismes de coordination.

En conclusion, le lancement des négociations de la ZLEC marque le début d’un processus qui pourrait rapprocher l’Afrique de ses objectifs de développement et de la réalisation des aspirations de l’Agenda 2063. Outre les bénéfices tangibles qui en découleront, la négociation et la mise en œuvre fructueuses d’un accord sur la ZLEC, en tant que pacte commercial moderne du 21ème siècle, seront un signal de la détermination du continent à rompre avec les récits négatifs du passé pour se tourner vers un avenir fondé sur une prospérité partagée. Un échec n’est pas envisageable. 

Article initialement paru sur le site de l'ENDA/CACID

Au-delà de l’aspect ludique du sport

On ne saurait parler d’activités sportives à l’échelle mondiale sans mentionner l’Afrique, représenté partout dans le monde par les talents de ses sportifs, dans presque toutes les disciplines. Néanmoins le continent n’est lui même qu’est spectateur et un consommateur de toute cette industrie. Il semble impératif pour l’Afrique, qui dispose d’un potentiel énorme en matière de sport, d’inclure ce secteur dans sa stratégie de développement. Il faudrait à cet effet, une dynamique de groupe et s’appuyer sur le secteur privé.


une_sportLe sport est un secteur qui subit plusieurs mutations, qui connaît une croissance assez rapide et qui ne laisse personne indifférent. Cependant son incidence macroéconomique est sous–estimée. Il est selon PricewaterhouseCoopers, le seul secteur qui n’a pas connu la crise et son marché à l’échelle mondiale devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 3,7 % d'ici à 2015[1]. Du fait du manque de données sur ce secteur, il serait difficile de chiffrer son poids et son impact dans une économie. Toutefois, s’il intéresse autant de monde c’est qu’il revêt une certaine importance. Sur le plan économique, il peut influencer positivement la valeur ajoutée de certains secteurs et le pouvoir d’achat notamment à travers les grandes manifestations sportives mais aussi être créateur d’emplois (directs et indirects). En effet, la mondialisation, la commercialisation et la professionnalisation du sport ont placé ce secteur au centre même de l’activité économique : la vente de droit de diffusion, les ventes de billets, l’augmentation du mécénat sportif, la construction et l’installation de structures sportives et de loisirs se sont développés un peu partout dans le monde.

Dans cette dynamique, l’Afrique reste en retrait et maintient son statut de « livreur » de matières premières. Un article[2] de Radio France Internationale recensait en 2008 près de 260 joueurs africains évoluant dans des championnats de haut niveau (1ère division) en Europe, sans compter ceux qui se font former et ceux évoluant dans des catégories inférieurs. Nombreux sont ceux qui évoluent en Amérique du Nord (notamment Etats-Unis) et très récemment dans les pays du Golfe (notamment le Qatar et Emirats Arabes Unis). Et là encore, il ne s’agit que du football. Même si des compétitions existent au niveau local, y compris des compétions à l’échelle africain, il n’en demeure pas moins que les sportifs africains sont plus portés par une aventure à l’extérieur quand ils en ont l’opportunité. De fait, le sport est d’abord perçu en Afrique comme une activité ludique et dans une moindre mesure comme une certaine fierté nationale mais très rarement comme une opportunité d’affaires.

Loin d’être le secteur porteur de développement pour l’Afrique, le sport a aussi une partition à jouer dans le concert du développement en Afrique. Si le talent et le potentiel de l’Afrique en matière de sport n’est plus à démontrer, il serait nécessaire de repenser la stratégie africaine concernant ce secteur afin de répondre à ses besoins et de bénéficier de façon effective de ses retombées.

Avoir une meilleure visibilité du secteur : les statistiques

Si le secteur du sport est capable de contribuer aux objectifs de développement, notamment en termes d’emplois, dans les pays africains ; il est nécessaire de rendre explicite cette contribution. Cette visibilité permettrait d’orienter les actions à mettre en œuvre afin de tirer profit de son potentiel. En Afrique, des statistiques sur le secteur du sport sont complètement inexistantes. Il faudrait dès lors identifier des méthodes et des mécanismes pouvant permettre la prise en compte du sport dans la définition des politiques de développement. Ceci devrait être possible sans pour autant avoir à engager des fonds supplémentaires pour créer des structures spéciales ou des mécanismes supplémentaires. Le dispositif pourrait déjà se reposer sur les structures statistiques existant. Autant, il est possible de disposer des informations sur le secteur agricole et touristique, il devrait être possible de disposer d’informations directement et indirectement liées au sport, auprès des services dédiés (Fédérations, Ministère, etc.). Il conviendrait avant toute chose, de considérer le sport comme une activité économique et d’en déterminer une définition qui permettrait de couvrir les activités de base du sport (exploitation d’installation sportive et les services) et les autres acteurs économiques directement ou indirectement touchés par ce secteur (les centres de formation, les sociétés de publicité, les fabricants d’articles, les commerçants, le secteur touristique, le secteur de la santé et etc.).

Ceci ne suppose pas que le secteur du sport n’est pas pris en compte dans l’établissement des gradeurs économiques des pays mais stipule juste que le manque de données spécifiques à ce secteur empêche sa visibilité et d’accéder aux opportunités qu’il offre.

Financer les activités sportives

Afin de profiter au maximum des retombées du secteur du sport, il est impératif d’y investir. Si nous élargissions le champ du sport à tous les secteurs qui de façon direct ou indirect y sont impliqués, il serait impératif aux pays africains de s’imposer un cadre d’investissement dans le secteur du sport. Cela permettrait à ce secteur d’émerger à un niveau de compétitivité économique de classe mondiale. La principale source de financement des organisations sportives en Afrique est constituée des cotisations d’adhésion, des subventions provenant des fédérations sportives internationales (FIFA pour le football, FIBA pour le basket, …) et des Etats, et dans une moindre mesure de partenaires privés très irréguliers, qui se servent occasionnellement des compétitions pour faire de la publicité ; plaçant ainsi le sport en Afrique à un niveau amateur, bien que les clubs sportifs se disent « professionnels ». Pour preuve, pour un match de 1re division de football ou de basket en Afrique, les spectateurs peu nombreux ne sont pas aptes à payer leur ticket et quand l’entrée est payante la contrepartie est insignifiante. Dans certains cas, quand le spectateur doit choisir entre un match d’une ligue européenne et une ligue africaine, le choix est vite fait. Ceci appelle à définir une stratégie devant permettre de professionnaliser le sport afin d’y attirer des investissements novateurs ; et cela nécessitera une forte implication des Etats. 

Si l’on perçoit le sport comme une industrie du divertissement avec comme intrants les sportifs et les structures, les consommateurs ne seront prêts à dépenser que si le produit final (la prestation) est de bonne qualité. Il s’agira alors pour l’Etat de développer les infrastructures, à travers des partenariats public-privé par exemple. Cette approche incitera à la recherche de la rentabilité des sites. Pour ce faire, le rendement des intrants (les sportifs) sera renforcé en leur fournissant des équipements adaptés en plus d’une meilleure rémunération, engendrant de facto une meilleure qualité des prestations. Il s’en suivra le développement de tout un ensemble d’activités connexes, qui elles-mêmes pourront se muter en des entités plus importantes : équipementiers, audiovisuelle, compagnie publicitaire, industrie de l’automobile et secteur du transport, industrie agro-alimentaires, immobilier ; favorables à la création d’emplois. Les pays pourront ainsi se positionner pour organiser des compétitions de classe mondiale, faisant ainsi par le même temps la promotion touristique du pays. En retour, les Etats pourront percevoir des revenus, au travers des mécanismes de taxation et l’exploitation des structures, qui pourront être réinvestis dans d’autres secteurs comme le tourisme.

Une approche communautaire

Compte tenu du caractère variable du sport en fonction des spécificités locales, ce secteur peut constituer un instrument de développement à l’échelle nationale et continentale, s’il s’insère dans une dynamique communautaire. En effet, il existe une synergie assez considérable entre le sport et le tourisme, favorisant la modernisation des infrastructures et suscitant la mise en place de nouveaux mécanismes de financement. Compte tenu de la situation économique actuelle des Etats africains, ils ne pourraient engager seuls à l’échelle nationale le développement des infrastructures sportives. Ainsi, il serait profitable aux pays africains d’engager de façon communautaire au travers de fonds communs, même si l’objectif première n’est pas la promotion du sport. Des projets de nature sportive pourraient être greffés à des projets visant à la promotion du tourisme, à l’urbanisation, à la compétitivité ou encore plus simplement dans des projets de coopération. De plus, certaines actions mis en place ou à mettre en place au niveau régional (libre circulation des personnes et des biens, harmonisation des droits fiscaux, …) peuvent servir dans la préparation et dans la pérennisation de manifestations sportives importantes et peuvent en retour profiter de ces manifestations pour consolider l’intégration. Tel peut être le cas avec la CAN ou l’Afrobasket, où des projets communs peuvent être cofinancés pour assurer le transport des compétiteurs, leur hébergement ou même faciliter leur passage d’un pays à un autre.

Ces dernières années, le secteur du sport s’est magistralement transformé en une industrie qui acquiert de plus en plus d’importance économique un peu partout dans le monde mais l’Afrique semble plutôt désintéressée par ce secteur. Si le secteur est difficilement maitrisable empêchant toute prise de décision, il semble impératif pour l’Afrique, qui dispose d’un potentiel énorme en matière de sport, d’inclure ce secteur dans sa stratégie de développement. Pour ce faire, il faudrait une dynamique de groupe et s’appuyer sur le secteur privé tout prenant soin de définir un cadre réglementaire et d’information afin de circonscrire la pratique du sport mais aussi de mesurer d’autre part, la contribution de ce secteur aux économies africaines.

Foly Ananou

L’Afrique à la quête d’un APE porteur de développement : Mythes et réalités d’un projet improbable

78329210L’Accord de partenariat économique (APE) est le dernier des nombreux processus de négociations commerciales dans lesquels les pays africains se sont simultanément engagés. De nombreuses réflexions ont déjà fort pertinemment documenté les implications et enjeux de ces processus, qui se chevauchent ou se juxtaposent, sur les faibles ressources humaines, matérielles et institutionnelles des Etats africains, pour qu’il soit utile d’y revenir.
« A bien des égards, il en va du développement comme de la colonisation et de l’esclavage. Ces trois mots ne désignent pas seulement des réalités inégalement oppressives, contraignantes et dominatrices. Ils correspondent aussi à des concepts dominants »
De fait, ces processus, même s’ils opèrent à des niveaux différents, exercent aujourd’hui une forte pression sur les Etats comme sur les institutions d’intégration régionale, qui sont obligés de prendre des engagements dans chacun d’eux, sans avoir les moyens de mettre en cohérences les buts, les obligations et les attentes qu’ils ont sur les eux et les autres.
On peut cependant postuler que si les Etats africains se sont engagés dans ces nombreux processus commerciaux, c’est partiellement parce qu’ils y sont plus ou moins contraints, mais c’est aussi, partiellement, parce qu’ils y trouvent ou espère y trouver leur compte. Le commerce est devenu partout un puissant moteur de croissance et de développement. Il a un potentiel positif que de nombreux pays, en particulier en Asie, ont réussi actualiser pour se hisser au rang des nations émergentes qui comptent sur le marché mondial. Si donc les Etats africains qui comptent pour quantité négligeable dans les échanges mondiaux ont fait de choix de s’engager dans les négociations multilatérales, bilatérales et régionales visant à libéraliser ce commerce, en sachant ou non à priori les coûts d’une telle option, c’est semble-t-il en vertu du fait qu’ils cherchent par ce biais à promouvoir la croissance, le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Cette ambition est noble et peut justifier bien des tentatives. Mais l’Histoire économique nous enseigne que si la trajectoire du développement est toujours différente d’un pays à un autre, celui-ci requiert, partout, un certain nombre de conditions nécessaires et de préalables quasi incontournables. Sans rentrer dans un débat philosophico-idéologique sur le bien-fondé ou non de la libéralisation par opposition au protectionnisme, ce débat pour nous est sans intérêt, on peut toutefois avancer que la libéralisation n’est pas une fin mais une étape ultime d’un long processus qui dans ses phases initiales, ne peut pas ne pas créer un environnement économique qui protège, encadre, appui et oriente les structures de production qu’elles soient industrielles, agricoles ou de services. De manière plus ou moins imagée, on peut comparer dans ce contexte, une économie à un corps vivant : aucun parent ne mettrait son nouveau-né dans la rue, lui demandant de supporter la compétition avec les autres et les rigueur de la vie en société sous prétexte qu’il est un être humain comme les autres. Un parent bien conscient de ses obligations garde son nouveau-né dans son foyer, le couve, l’éduque, lui apprend petit à petit les règles, processus et astuces de la vie en société pour lui donner toutes les chances de supporter plus tard, lorsqu’il atteindra la majorité, la compétition avec les autres humains.
Ce qui est valable chez l’être humain, l’est tout autant pour une économie. Le concept de « l’industrie naissante », certainement empruntée de cette symbolique humaine, et loin d’être galvaudée. Il a été pendant longtemps au centre de nombreuses constructions théoriques et a marqué de nombreuses de stratégies de développement dans les pays du Nord comme dans les pays émergents. La question centrale à laquelle l’Afrique devrait répondre avant de s’engager dans un accord commercial de libre-échange avec la première puissance commerciale du monde, quel que soit le niveau d’asymétrie, de réciprocité, les programmes d’accompagnement ou l’assistance financière promis, est de savoir si ses structures de production industrielles sont suffisamment matures pour s’ouvrir définitivement à la compétition avec l’Europe ; si son agriculture est prête pour ce niveau de libéralisation ; si son secteur des services peut se payer le luxe d’être ouvert à l’Europe dans un contexte où les régions du continent n’ont même pas encore de réglementations communes dans de nombreux domaines ? Beaucoup d’experts du continent et de l’Europe, engagés tête baissée, dans les négociations en vue de conclure un APE, soi-disant porteur de développement, n’ont pas de réponse à ces questionnements, si tant est qu’ils se sont mêmes posés la question. Pourtant, un dirigeant du continent y a déjà apporté une réponse satisfaisante à laquelle nous devrions prêter attention : « les nouveaux accords de partenariat économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l'industrie africaine n'a pas la capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d'énormes pertes de recettes douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains. Selon une simulation du Centre d'étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes fiscales du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115 milliards de francs CFA. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux APE, m'indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d'euros par an. »

Le développement à côté de l’APE et l’Afrique à côté du développement…

Les négociateurs des régions africaines soutiennent inlassablement qu’ils sont en train de travailler à obtenir un APE porteur de développement. Nombre d’entre eux se perdent cependant dans d’inextricables explications lorsqu’on leur demande en quoi consiste le développement attendu de l’APE.
En réalité le concept du développement désormais toujours attaché à l’APE n’est que le vernis destiné à masquer le douloureux rapport que nous avons avec cet accord angoissant. Le développement est le lubrifiant qui fait passer la pilule. A part les négociateurs de la Commission européenne, les lobbies et milieux d’affaires derrière eux et quelques hommes politiques européens et africains qui se gardent jusqu’ici d’afficher clairement leurs positions, fort peu de personnes disent du bien de cet accord qui a des ambitions plus commerciales et stratégiques que de recherche d’une simple compatibilité avec l’OMC et de promotion de l’intégration et du développement.
En Afrique de l’Ouest par exemple on estime qu’il suffirait d’élaborer un programme de développement de l’APE, tiré du programme communautaire de développement (PCD) dont la région s’est dotée, et annexé ce programme au texte APE comme une partie intégrante, pour en faire un APE de développement. Le problème du développement lié à l’APE risque fort d’être plus complexe que cela et la région semble se tromper de démarche et de séquence. C’est malheureusement l’erreur que de nombreuses régions sont en train de commettre.
Les programmes de développement que les experts du continent s’évertuent à élaborer pour les annexer à l’accord sont ce que les communautés régionales doivent de toute manière réaliser, avec ou sans APE. Le développement des régions et du continent sera un processus nécessairement endogène et auto-entretenu. Du Plan d’actions de Lagos au NEPAD, de nombreuses initiatives ont été prises à l’échelle du continent pour jeter les bases de l’intégration, de la croissance et du développement. L’Europe y a contribué bon an mal an, à la mesure de ses ambitions, de ses stratégies et de ses intérêts pour le continent. Le résultat est aujourd’hui ce qu’il est. Il serait illusoire cependant de penser que ce que l’Europe n’a pu réussir à réaliser, dans un contexte autrement plus favorable, elle pourrait le faire maintenant. Sa contribution, comme par le passé, viendra seulement compléter les efforts autonomes du continent pour financer son propre développement. En Afrique de l’Ouest, elle a annoncé que sa contribution au financement du Programme indicatif régional ne peut dépasser 600 millions d’euros, en dépit de l’insistance de la région pour des fonds complémentaires destinés à supporter les coûts d’ajustement auxquels les entreprises de la région feraient inéluctablement face du fait de la libéralisation.
L’APE porteur de développement est un mythe. Dans le contexte d’une région marquée par une faible intégration, des structures de production encore fragiles, une économie vulnérable, extravertie, peu diversifiée et fortement dépendante de l’Europe, cet accord de libre-échange tel qu’il se dessine, n’aura pas le potentiel de développement attendu. Une analyse simple permet en effet de comprendre qu’une liste de projets, de programmes et d’infrastructures à financer, que l’on annexe à l’accord, mais pour le financement desquels l’Europe n’a pris aucun engagement, aura peu de chance de conduire à la croissance et au développement de l’Afrique de l’Ouest, si au même moment la région s’enferme dans une portée de libéralisation large , des délais de mise en œuvre et des périodes de transition courts, ainsi qu’une faible asymétrie. Cette réalité commande que les efforts et les stratégies soient en priorité concentrés sur la réalisation préalable de l’intégration régionale qui seule peut permettre d’atténuer les effets potentiellement néfastes d’une libéralisation prématurée, ambitieuse et non maitrisée. Qu’on ne s’y trompe pas. Le problème qui se pose avec les APE est un problème d’équité. De nombreux défenseurs du projet européen estiment que la prise en compte de cette notion d’équité n’a pas vraiment sa place dans les discussions car tous les pays et toutes régions d’Afrique sont volontaires et ont fait le choix de négocier l’APE. L’argument mis en avant consiste à dire qu’aucun pays n’est obligé de signer s’il estime qu’il n’en tire pas un bénéfice net. Si aucun pays n’a quitté la table de négociation et tous continuent d’affirmer leur engagement à rechercher un accord complet et bénéfique, c’est qu’ils estiment en tirer profit. Mais soutenir ces idées, c’est méconnaitre la réalité des rapports de pouvoir entre pays développés et en développement dans ce genre de processus. Dans le contexte actuel de ces relations, l’Europe est à peu près capable d’obtenir ce qu’elle veut des pays africains, d’une part parce individuellement aucun pays n’est capable de lui résister, et d’autre part ils n’ont pas le niveau d’intégration suffisant pour lui faire face. Nous avons bien vu les moyens qui ont été utilisés pour contraindre la Côte d’Ivoire et le Ghana à signer un APE Intérimaire .
Un APE porteur de développement est donc d’abord et avant tout un accord assujetti à l’intégration régionale effective. Celle-ci doit-être mesurable à travers des indicateurs spécifiques et se poser comme un préalable incontournable à la signature de l’APE. La mise en œuvre des instruments, des institutions et des politiques régionales nécessaires pour rendre l’intégration effective doit être achevée ou au moins suffisamment avancée avant la signature de l’accord de libre-échange. Ces politiques portent entre autres sur les secteurs agricole, industriel, des services, de l’investissement, des les marchés publics et de la concurrence entre autres. Elles doivent être appliquées, évaluées et corrigées. Et c’est de leur niveau de réalisation et de succès que doit dépendre le niveau d’ouverture graduelle auquel les régions d’Afrique devraient s’engager. Cela passe par la mise en place des indicateurs de l’intégration et du développement qui doivent permettre de suivre l’évolution des régions pour qu’à chaque étape, les niveaux d’engagement appropriés soient pris, les réformes pertinentes soient appliquées et les politiques efficientes mises en œuvre avec pour seule ligne d’horizon la promotion de la croissance et du développement. En s’appuyant sur l’expérience et les leçons tirées d’accords conclus ailleurs dans le monde, les régions africaines pourraient, en plus de leurs efforts pour la réalisation de l’intégration, travailler à élaborer, le moment venu, un texte d’accord qui prend en compte dans le fond comme dans la forme les préoccupations de développement du continent. Les Chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la CEDEAO qui se sont réunis en janvier dernier à Ouagadougou ont donné un mandat explicite pour que l’accord en gestation soit ancré dans la vision de l’intégration et du développement de l’Afrique de l’ouest. Le dernier Comité ministériel de suivi de l’APE tenu à Nouakchott en février a aussi réaffirmé une telle volonté politique.
Pour les régions africaines et ACP en négociation, le texte de l’APE ne doit être acceptable que s’il contient des dispositions claires et des engagements de l’Europe sur des questions de développement identifiés par les régions elles-mêmes. Chaque Chapitre de l’accord doit contenir des dispositions (article) précises renvoyant au développement et à des engagements de l’Europe conformément à l’accord de Cotonou. L’accord lui-même doit avoir un Chapitre spécifique sur les engagements en matière de développement, qui soit aussi contraignant que les autres chapitres et adossé au programme de développement et à la prise en charge des coûts d’ajustement qui seront induits.
Arrêtons-nous un peu sur la question des coûts d’ajustement, l’une des plus importantes contraintes que pose l’APE. En transférant les ressources d’un secteur à un autre au cours de la réforme, fiscale ou non, la libéralisation induite par l’APE va engendrer inévitablement des coûts. Par exemple, premièrement, en cas de réduction des droits de douane, les entreprises locales en compétition avec les importations pourraient être amenées à réduire leur production face à une concurrence nouvelle, ce qui laisse une partie de leurs capitaux et de leur personnel inemployés pendant un certain temps. Les efforts des travailleurs licenciés pour se reconvertir dans d’autres domaines et pour trouver un nouvel emploi vont ainsi engendrer des coûts généralement supportés par eux-mêmes et par l’Etat.
Deuxièmement, pour tirer profit de l’accès au marché européen, en principe plus favorable, à cause entre autres des règles d’origine plus flexibles, les Etats devront faire des investissements importants dans les infrastructures et les entreprises dans les nouvelles installations ou technologies.
Troisièmement, en réduisant les droits de douane, la libéralisation réduit aussi les recettes de l’Etat. Cette réalité est d’ailleurs la conséquence de l’APE la plus médiatisée. Comme les sources de revenus de remplacement sont limitées, les coûts de cette perte de recettes sont très élevés pour les Etats. L’alternative qui s’offre dans ce contexte est donc soit de réduire les dépenses publiques soit d’augmenter d’autres impôts, ce qui dans les deux cas, peut impacter négativement sur la croissance.
Beaucoup estiment que ces coûts d’ajustement sont le prix à payer pour profiter des bienfaits du libre-échange que promet l’APE. La question est cependant de savoir si le prix n’est trop élevé par rapport à la marchandise. Aujourd’hui la quasi-totalité des pays africains s’est engagée dans les négociations multilatérales, bilatérales et régionales. Dans un tel contexte, la recherche de la cohérence devrait être le maitre-mot de la stratégie des régions pour qu’aucun engagement dans l’APE ne soit en contradiction avec un engagement à l’OMC ou dans le cadre de l’intégration. Aucune disposition de l’APE ne devrait en outre être de nature à entraver, empêcher ou retarder la réalisation d’un projet ou objectif régional dans le cadre des différents traités sur l’intégration.
L’une des faiblesses de la stratégie de négociation des régions, en particulier l’Afrique de l’Ouest, c’est de ne pas avoir clairement identifié les domaines où ses positions sont non négociables (lignes rouges), les domaines où elle serait prête à faire des concessions (ainsi que les conditions qu’elle pourrait poser) et enfin les plans et stratégies de replis au cas où l’Europe ferait preuve d’une intransigeance inattendue, ce qui plus que vraisemblable, au vue de ses dernières stratégies et manœuvres. L’une des manifestations les plus tangibles de ce manque de vision prospective apparait tout particulièrement à travers l’indécision des régions africaines devant l’opportunité ou non d’inclure la clause de la Nation la Plus Favorisée (NPF) dans l’APE. L’inclusion d’une telle clause, qui postule un engagement de la région à étendre à l’Europe tout avantage commercial plus favorable qu’elle accorderait à un partenaire commercial majeur, est non seulement en contradiction avec la Clause d’habilitation de l’OMC qui a pour objectif de renforcer le commerce Sud-Sud, mais elle rame à contrecourant d’une tendance actuelle qui voit le commerce entre l’Afrique et les pays comme l’Inde, le Brésil et la Chine se renforcer tandis que les échanges avec l’Europe déclinent même si cette dernière reste encore le premier partenaire et client de l’Afrique. L’entêtement de l’Europe à l’inclure dans l’APE cache mal sa volonté de barrer la route à la Chine, à l’Inde au Brésil et aux pays en développement émergents pour consolider ses parts de marché en Afrique. Un partenaire commercial majeur, tel que le conçoit l’Europe, s’entend de tout pays développé qui compte pour plus de 1% des exportations mondiales de marchandises, ou de tout groupe de pays comptant collectivement pour plus de 1,5%. Selon les données de l’OMC, le Brésil comptait pour 1,5% en 2006, contre 16,4% pour l’UE et 11,5% pour les États-Unis. D’autres pays en développement affectés comprendraient la Chine, qui comptait pour 10,7% des exportations cette année-là, ainsi que le Mexique, la Malaisie, l’Inde et l’Indonésie (qui dépassent le seuil, avec entre 2,8% et 1,1%). On comprend bien, sous cet angle, que ces pays en développement sont particulièrement visés.
Le Vice-ministre Sud-africain au commerce et à l’industrie a indiqué récemment la voie à suivre : « Selon cette clause, les droits tarifaires sur les produits de l’UE ne peuvent être supérieurs aux prélèvements imposés sur les produits en provenance de pays en développement. Les APE empêchent donc d’autres pays en développement de tirer profit de l’introduction de leurs marchandises sur les marchés des pays en développement (…) Cela nous placerait définitivement dans une relation basique avec l’Europe…une limitation inacceptable de notre souveraineté »
L’Europe sait bien pourquoi elle veut les éjecter du marché africain. Mais l’Afrique sait-elle seulement pourquoi elle devrait les y garder ? Sa position sur cette clause donnera une idée claire de sa compréhension des enjeux économiques et commerciaux.


Article écrit par Dr Cheikh Tidiane DIEYE – Coordonnateur du CICAD.


 I. P. Laléyê, in « la natte des autres », sous le Dire De J. Ki_Zerbo, 1992.
Président Abdoulaye Wade, in Passerelles, Vol. VIII n° 5, Nov-Dec 2007.
Stiglitz, J. (2007) « Pour un commerce mondial juste…. » p. 217.
 

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