Quand l’Afrique rencontre Friedman

La face cachée du capitalisme
Seule une crise, réelle ou supposée, peut produire des changements. Lorsqu’elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées en vigueur dans le contexte. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables.
Milton Friedman, 1982
 
Dans son ouvrage édité en 1962, Capitalisme et liberté, Milton Friedman défend l’idée selon laquelle le capitalisme est l’unique moyen de construire une société libre. Il soutient ainsi qu’il n’y a aucun moyen pour améliorer la situation de l’homme de la rue qui arrive à la cheville des activités productives libérées par un système de libre entreprise. Plus tard, en 1980, dans La liberté du choix, il s’attachera à démontrer la supériorité du libéralisme économique sur les autres systèmes économiques tels que l’interventionnisme et ceux en rapport avec les idées prônées par le marxisme.
 
Il convient, bien évidemment, de préciser ce sur quoi repose la doctrine libérale prônée par Friedman. Dans un tel monde, l’économie n’est bridée par aucune contrainte et aucune ingérence de la part de l’État n’est tolérée car les marchés s’autorégulent. Auteur de The Shock Doctrine paru en 2007, Naomi Klein résume la doctrine de Friedman en ces termes :
« Premièrement, les gouvernements doivent faire sauter toutes les règles et les régulations qui se dressent sur le chemin de l’accumulation des profits. Deuxièmement, ils devraient vendre tous les biens qu’ils possèdent, et que des entreprises pourraient gérer dans un but lucratif. Troisièmement, ils devraient radicalement diminuer le financement des programmes sociaux. »
 
Pour Friedman, un « traitement de choc » est le seul remède possible pour la mise en place d’un système libéral et ce sur le long terme. Il s’agit, somme toute, d’imposer immédiatement après un choc (sans égard à sa nature) des réformes économiques douloureuses pendant que la population est trop occupée à assurer sa survie pour se révolter. Toujours est-il que dans ce contexte, la terreur devient un élément prépondérant de la transition vers une économie de marché. Ce qu’il qualifie de « traitement de choc » n’est, pour d’autres, qu’un « capitalisme du désastre. » Selon Naomi Klein, cette théorie développée par M. Friedman permettrait d’annihiler les capacités critiques de la population pour faire passer des mesures économiques drastiques pouvant par là même porter atteinte aux libertés fondamentales des individus.
 
Le remède préconisé par Friedman semble se transposer parfaitement à l’époque où nous vivons, et en Afrique tout particulièrement. Les gouvernements l’ont certes modernisée, mais l’idée principale a traversé les années sans prendre une seule ride : profiter d’une crise pour s’autoriser tous les excès. La récente crise financière reste un exemple très éloquent, surtout au sein des pays africains où les prix sont montés en flèche ; sans parler du chômage et de la pauvreté.
 
La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International : des institutions pro-Friedman ?
 
Friedman ne croyait pas particulièrement au FMI et à la BM bien qu’elles furent bien positionnées pour appliquer sa théorie des crises. Toutefois, pour certains comme Davison Budhoo, ancien économiste du FMI, l’ajustement structurel tel que pratiqué par le FMI dans les années 80-90 pouvait être assimilable à de la torture dans la mesure où l’institution faisait fi des conséquences que pourraient avoir sa politique sur les populations des pays concernés.
 
Ces programmes visaient, lors de leur mise en place, à augmenter les exportations des pays endettés en vue de leur donner des liquidités qui devaient, par la suite, servir à rembourser les prêts accordés. Quantité d’économies africaines ont à cette époque bénéficié de ces programmes (Sénégal, Ghana…). Le FMI exigeait le plus souvent de ces pays qu’ils dévaluent leur monnaie tout en procédant à des coupes budgétaires sur les dépenses en services sociaux, en soins de santé et dans le secteur de l’éducation ; sans compter les privatisations et les baisses de salaires qui suivirent. L’application des ces mesures aura ainsi contribué à faire croître les inégalités dans la quasi totalité des pays concernés. À partir de ce moment, le FMI et la BM ne se contentaient plus de leur rôle de supervision, mais se retrouvaient à gérer les pays eux-mêmes. Malheureusement, il est déplorable que pareille chose continue de se produire pour la plupart des pays africains.
 
 Les modèles économiques ne sont pas éternels. À certains moments, ils sont utiles ; à d’autres, ils deviennent désuets et doivent être abandonnés.
Michel Camdessus
 
Dans presque tous les pays, Afrique comprise, où ont été appliqués les fondements de cette doctrine ultralibérale, et ce, à la suite de crises, les résultats se sont révélés être un échec cuisant — l’exemple le plus marquant étant celui du plan économique proposé par les Chicago Boys au Chili après l’accession au pouvoir du Général Pinochet. La principale conséquence du « traitement de choc » tel que préconisé par Friedman a toujours été et restera l’accroissement des inégalités socio-économiques. La libéralisation à outrance n’est, de toute évidence, pas un modèle à appliquer aux pays africains au risque de voir leur situation s’empirer. Un crédit illimité auprès du FMI ne nous sera d’aucune utilité si nos gouvernements ne font preuve de plus d’efficacité.
 
Nous devons souligner qu’il n’est pas exclu que la mise en place d’une économie de marché soit une réussite, à condition que celle-ci se fasse progressivement. La grande majorité des économies africains, mais aussi des pays émergents, dont la Chine, en sont de bons exemples. Mais la question qui se pose est la suivante : que faire quand ce « capitalisme du désastre » s’opère déjà et appauvrit les sociétés africaines qui en sont victimes ? Si la doctrine de l’ultralibéralisme nous a enseigné une chose, il s’agit de jamais laisser les politiques décider seuls des changements auxquels nous aurons à faire face. Il est donc de la responsabilité et du devoir de tout un chacun d’agir et de faire entendre sa voix. À cette fin, l’information reste la seule arme dont nous disposons. C’est en étant informés que nous pouvons comprendre et prévenir les dérives des politiques qui dirigent nos pays.
 
 
Mame Diarra Sourang

L’Afrique : nouvelle « Arabie » des Etats-Unis (1ère partie)

]Dans les colonnes de The Economist daté du 24 octobre 2002, Walter Kansteiner, ancien courtier en matières première devenu sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines sous le régime de Georges W. Bush déclarait: « Le pétrole Africain est devenu une question d’intérêt national stratégique pour nous et son intérêt ira croissant ». Alors que l’air du temps est plutôt marqué par des efforts pour réaliser la «révolution verte», le pétrole, source d’énergie fossile qui a été tenue pour partiellement responsable du réchauffement climatique, est l’objet de toutes les convoitises en Afrique, continent doté de réserves pétrolières importantes. Elle est à l’origine d’une compétition larvée entre grandes puissances présentes sur le continent, au premier rang desquels les Etats-Unis.

La révolution énergétique en est encore à ces balbutiements et il semble qu’elle le sera tant que des réserves de pétrole seront découvertes. Or ces dernières années, c’est en Afrique que les prospections pétrolières ont été les plus fructueuses, ce qui pousse AL Stinton, analyste en marché pétrolier à la Deutsch Bank à dire : « The opportunities of expansion are trumendous»[1].

Plus que jamais, les Etats-Unis sont présents sur le continent et mènent une politique africaine dans laquelle le pétrole a pu, au fil des années, acquérir une place prépondérante. Il en est ainsi car les Etats-Unis perçoivent bien que les problèmes énergétiques sont une menace à leur propre sécurité et peuvent sensiblement perturber l’équilibre mondial. Washington mène donc la politique africaine la plus susceptible de répondre à ses intérêts en matière de pétrole.

En réalité, tout part du rapport qu’entretiennent les Américains avec l’or noir. C’est en effet dans ce pays que fut exploité au XIXème siècle le premier gisement pétrolier de l’histoire. Ils ont ainsi pu bénéficier de l’abondance de cette matière première tout au long de ce siècle pour assurer leur expansion économique mais aussi durant toute la première moitié du XXème siècle, avant que ne se posent à eux les difficultés liées à la satisfaction de la demande.

Au lendemain de la Grande Guerre, leur production nationale assurait encore plus de 150% de leur demande intérieur[2]. Mais rappelons que durant les deux guerres mondiales, le rang de grand producteur dont le pays jouissait a contribué de manière décisive à la victoire finale. Le pétrole est aux yeux des Américains une préoccupation d’ordre militaire et stratégique mais aussi et surtout un outil essentiel dans leur vie de tous les jours.
En ce sens, retenons que les Etats-Unis sont un pays à taille continentale avec une superficie de 9,6 millions de Km². Cela n’est pas sans conséquence sur leur mode de vie. D’abord, les variations de température sont très marquées d’un bout à l’autre du territoire causant une grande demande en électricité soit pour le chauffage, soit pour la climatisation. Ensuite, dans l’«American way of life », les moyens de transport individuels, et plus précisément l’automobile, ont une place prépondérante non seulement du fait des longues distances à parcourir fréquemment, comme le trajet domicile-lieu de travail, mais aussi parce que la voiture est un des signes de leur liberté. S’ajoute à tout ceci que les Américains ont traditionnellement eu un penchant pour les voitures de grande taille de type véhicules 4X4 et Pick Up –conformément à leur croyance populaire qui soutient que « when it’s big, it’s good ». Ces véhicules consomment davantage de carburant que la moyenne mais avec la conjoncture actuelle, cette préférence tend à disparaître progressivement.

L’association de ces deux éléments, à savoir l’abondance et les caractéristiques de leur mode de consommation, a ainsi conduit les citoyens de ce pays à percevoir quasiment comme un droit le fait d’avoir à leur disposition un carburant à bas prix. La fiscalité sur les produits dérivés du pétrole est ainsi 6 fois moins élevée aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple[3] et pour cause, toute atteinte à cet état de fait est considérée par les citoyens comme une menace à leur qualité de vie voire à leur identité. Les autorités politiques ne peuvent donc utiliser l’outil de la fiscalité pour changer les comportements sans courir le risque d’essuyer de vives protestations et d’être sanctionnés par les urnes.

Or la tendance qui a été observée à partir de l’entre deux guerre fut une évolution inverse entre la production nationale et la demande intérieure américaine. Depuis 1950, la production nationale peine à satisfaire la moitié de la demande et elle ne couvre aujourd’hui que 40% de la consommation. En valeur absolue, on note qu’en 1975 la production nationale était de 550 millions de tonnes ; celle-ci est passée à 375 millions en 2004[4]. A contrario, durant la première moitié de la décennie 2000, la demande en pétrole des Etats-Unis a cru en moyenne de 5% par an mais elle décélèrera avec la crise à partir des années 2006-2007. La consommation journalière du pays est d’environ 25 millions de barils par jour et chaque Américain consomme en moyenne 20 barils par an, la moyenne mondiale se situant autour de 4 barils par personne[5].
De cet état de fait, il est possible de déduire l’équation suivante :
Baisse de la production nationale + Hausse de la consommation nationale = Hausse des importations.
Il revient aux décideurs politiques de la résoudre. L’outil primordial demeure pour eux leur politique étrangère, au service de leur intérêt national qui, en l’occurrence, se définit en termes d’assurance des approvisionnements à moindre coût.

Alioune Seck

——————————————————————————–

[1] DJOUMESSI Didier, The Political Impacts of the Sino-US Oil Competition in Africa, Adonis & Abbey, London, January 2009

[2] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[3] Ibid.

[4] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

 

 

L’école en Afrique francophone: intégration ou exclusion ?

Evoquant des souvenirs d’enfance, l’ancien directeur général de l’Unesco, Amadou Makhtar Mbow, rappelait : « le premier qui, dans la cour de récréation, parlait sa langue maternelle recevait un bâton, le symbole, qu’il fallait à tout prix refiler à un autre « fautif » car, lorsque la cloche sonnait, c’est le dernier possesseur du symbole qui recevait la punition ! ». Témoignage éclairant et non isolé d’un système scolaire qui a marginalisé la langue maternelle en l’excluant du processus éducatif !
Comment ne pas voir là une des causes de l’échec des politiques francophones en matière d’éducation ?

En Afrique francophone, deux enfants sur cinq n’accèdent pas à l’école et sept adultes sur dix ne sont pas alphabétisés ; dans certains pays, le taux de scolarisation dans le secondaire est de 5 % (par comparaison, la Norvège est à 95% et Guyana à 75%). Le problème n’est pas seulement financier et il ne pourra être résolu seulement à coup de milliards de dollars ou d’euros. Il faut s’attaquer à l’ensemble des causes et, particulièrement, au rôle que l’école doit jouer comme facteur d’intégration sociale et de construction de l’identité. Bref, repenser l’école à l’heure de la mondialisation et sous l’angle de la diversité culturelle et linguistique.

Les débats des dernières années ont porté sur l’importance de cette approche dans l’ensemble des politiques. En septembre 2002, au Sommet de Johannesburg, la Communauté internationale a retenu la diversité culturelle comme un des quatre piliers du développement durable. L’Unesco, le 20 octobre 2005, a adopté une convention pour la diversité culturelle. La Francophonie a largement contribué à ces résultats. Pourquoi l’école échapperait-elle à cette question et pourquoi l’école au Sud est elle si peu efficace et accueillante que 2 enfants sur 5 ne terminent pas l’école primaire ? Par comparaison, comment se déroule la formation d’un enfant du Nord ? Au plus souvent, après 1 ou 2 ans de maternelle qui le préparent au primaire, l’enfant sera formé par l’école, par la télévision, parfois par l’Internet et, très souvent, par la famille qui parle la langue du livre de lecture.Ainsi, l’école n’est qu’un acteur parmi d’autres de l’apprentissage.

A l’opposé, l’école au Sud constitue pour l’enfant une rupture brutale avec son milieu, une source d’insécurité linguistique et affective puisqu’il apprend à lire et à écrire et à communiquer son monde dans une langue qui n’est pas encore la sienne et qui n’est pas la langue de son quotidien.

Rarement la télévision pour compléter l’enseignement et pas d’environnement familial pour l’assister et l’accompagner puisque l’école ne parle pas la langue de la famille ! Ainsi, l’enfant du Sud est, sans doute, le seul enfant du monde qui ne peut demander l’aide de sa grand-mère pour ses devoirs…

Il faut resituer ce problème dans la réalité linguistique des pays d’Afrique subsaharienne. Selon le dernier rapport du Haut conseil de la francophonie, à l’exception du Gabon, du Congo et du Cameroun, dans les pays d’Afrique dont le français est une langue nationale, le nombre de francophones est généralement inférieur à 10%. Comment alphabétiser en français dans un tel contexte ? L’école a un rôle fondamental à jouer dans l’insertion de l’enfant dans sa communauté, elle constitue à la fois l’ouverture au monde mais aussi le « conservatoire » des valeurs et des traditions ; elle est le lien entre les générations. Pourquoi, alors, une pédagogie qui contribue à la déstabilisation ?

Les responsabilités sont partagées : politique coloniale de l’assimilation, attitude centralisatrice des gouvernements africains (donc, recours à la « langue unique »), attrait des familles pour la « langue de la promotion sociale »… Et pourtant, depuis de nombreuses années, des expériences originales de « pédagogie convergente » sont menées dans plusieurs pays : Burkina Faso, Gambie, Mali, Namibie, Niger, Nigeria, Sénégal notamment avec des résultats parfois spectaculaires. 

Le rapport mondial sur le développement humain 2004 publié par le PNUD, nous donne quelques données intéressantes. La Papouasie Nouvelle-Guinée, en 1993, a introduit 369 langues autochtones dans les trois premières années de scolarisation et cette réforme a amélioré l’accès à l’école notamment en diminuant l’abandon des filles. Aujourd’hui, plus de 70% des élèves du CM2 passent en sixième contre 40% en 1992 ; de plus, les enfants apprennent à lire, à écrire et à parler le français plus vite et plus facilement. Au Burkina Faso, 72% des enfants obtiennent le certificat d’études primaires dans l’école bilingue contre 14% dans l’école conventionnelle monolingue et le « taux de rendement » (tenant compte des redoublements et des abandons) est de 68% dans la première contre 16%, seulement, dans la seconde.

Depuis plus de 40 ans, (comme le recommande l’Unesco) l’Inde développe une politique d’éducation intégrant 3 langues : une langue internationale, une langue véhiculaire, une langue maternelle (selon le concept indien de gradual differentiation process fondé sur le principe pédagogique classique du connu à l’inconnu, dans l’ordre, une langue maternelle, une langue véhiculaire, une langue internationale). En Afghanistan, à côté des 2 langues nationales, la nouvelle Constitution accorde une place à toutes les langues minoritaires pour l’éducation. Cette question de la langue maternelle dans le processus d’alphabétisation se pose à l’ensemble des pays en développement mais c’est l’Afrique qui, dans ce domaine, fait preuve de la plus grande frilosité. En Amérique latine 91 % des enfants sont instruits dans un système bilingue contre 13% en Afrique subsaharienne.
L’argument des coûts n’est plus recevable.
Le cumul en 40 ans des dépenses publiques (nationales et internationales) en matière d’éducation représente un montant gigantesque et cela, avec une absence de résultat d’autant plus révoltante qu’il y a une concordance parfaite entre les chiffres de la pauvreté et ceux de l’analphabétisme. Or, au Burkina, le coût par élève (enseignants, fournitures, entretien) de l’école bilingue est de 77.500 CFA contre 105 000 CFA pour l’élève de l’école monolingue. Au Guatemala, l’introduction des langues indiennes a permis d’économiser immédiatement 5 millions de dollars grâce à la baisse du nombre de redoublements Ainsi, l’utilisation des langues maternelles donne de bons résultats dans toutes les aires linguistiques ; en termes économiques ce système apparaît comme d’avantage productif et ce type d’enseignement permet une meilleure acquisition de la langue internationale.

Qu’attend, dès lors, la communauté internationale pour adopter et financer un plan mondial de l’éducation intégrant de manière systématique une véritable diversité culturelle et linguistique ? Bien sûr, il faudra former des instituteurs, produire des manuels scolaire, inventer d’autres méthodes… Mais si l’école redevient un vrai produit « du village » alors, chaque citoyen, chaque « Ancien », détenteur d’une partie de l’histoire deviendra, à sa façon, un auxiliaire de l’enseignant et l’éducation des enfants constituera une entreprise collective dont personne ne sera exclu. Un premier jour à l’école s’apparente à un rite initiatique, il doit se faire dans la langue des rêves.

De même, pour l’alphabétisation des adultes l’usage des langues vernaculaires encourage la mobilisation communautaire et le développement social. Pourquoi refuser plus longtemps d’ancrer l’enseignement dans la réalité culturelle, même la plus locale, et pourquoi la langue maternelle est-elle réduite à des approches expérimentales ? On a cru longtemps que les responsables politiques africains ne voulaient pas choisir entre les langues de telle ou telle ethnie. Mais, qui parle de choisir ? Toutes les expériences analysées par le Pnud intègrent les langues les plus minoritaires.

La diversité culturelle et linguistique est à ce prix et elle ne peut s’accommoder d’une quelconque hiérarchie. Il faut en finir avec le double langage qui consiste à s’inquiéter de la disparition des langues (une par jour, selon l’Unesco) tout en étant responsable ou complice de leur marginalisation.
Il ne s’agit pas de bouleverser l’ensemble des systèmes scolaires mais, tout simplement, d’accorder aux langues nationales la première place dans l’alphabétisation et une place significative dans les autres cursus.

S’ils en ont la volonté, les Etats n’auront aucun mal à recruter l’instituteur capable d’enseigner dans sa langue à tel petit groupe et cela quel que soit le nombre de langues à prendre en compte (à l’exemple de la Papouasie Nouvelle-Guinée).
L’Unesco a consacré bien des travaux et des colloques pour sensibiliser les autorités à cette question et, lors du Sommet de Dakar, en 1989, les chefs d’Etats et de Gouvernements de la Francophonie avaient réclamé des programmes ambitieux en la matière. 

En mars 2003, à l’occasion des « Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone », les 17 ministres de l’éducation concernés ont adopté un mémorandum mettant la priorité sur la collaboration entre le français et les langues nationales. En soutenant les langues nationales, la Francophonie ne renonce pas à son objectif de défense de la langue française. Au contraire, c’est en substituant le partenariat à la contrainte que la langue internationale s’inscrira durablement dans la diversité culturelle de la communauté francophone.

Depuis la conférence de Jomtien en 1990, la communauté internationale s’est mobilisée en vue de la scolarisation du plus grand nombre. La réunion de Dakar, en 2000 a fait le constat de l’échec de cette politique et les résultats, à ce jour, ne sont pas plus rassurants. Sans doute le temps est il venu de s’attaquer également à la question des méthodes et des contenus ; c’est dans cette approche qu’il faut situer la problématique des langues de l’école. Comme elle l’a fait, avec l’Unesco, pour la diversité culturelle, la Francophonie peut jouer un rôle majeur dans la mise en place d’une autre politique de l’éducation sur le continent africain.

Roger Dehaybe, ancien administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la francophonie.

Hausse des investissements dans les pays émergents d’Afrique

Ayant plutôt bien résisté à la dernière crise économique, certains pays émergents d’Afrique subsaharienne semblent en bonne posture  pour 2011. En effet, grâce notamment à la régulière croissance affichée  au cours des quinze dernières années, ces pays sont devenus des cibles de choix pour nombre d’investisseurs étrangers.

Le fonds monétaire international, dans un bulletin paru en février 2011 http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/survey/so/2011/car011211af.pdfprévoit un afflux de capitaux en provenance de l’étranger. Pour causes : une chute des rendements dans les pays industrialisés mais surtout une vigoureuse croissance en perspective dans de nombreux pays émergents. Parmi eux, les Etats composant l’ «Afrique émergente» selon l’expression de Steven Radelet, spécialiste de la mondialisation et qui regroupe 17 pays ayant affiché un taux de croissance par habitant supérieur à 2% au cours de la période allant de 1996 à 2008 et au rang desquels on compte entre autres le Mali, le Burkina Faso, l’Ethiopie, le Lesotho ou le Rwanda.

Les nouveaux  partenaires commerciaux de l’Afrique l’Inde et la Chine notamment, en quête constante de possibilités d’investissement direct dans le continent, saisiront certainement cette opportunité d’élargir leurs horizons. Par ailleurs, la manne financière engendrée pourrait à la fois améliorer les perspectives de croissance de ces pays et leur permettre de rattraper leur retard sur le plan des infrastructures.

Ces perspectives de financement  si elles sont bienvenues, s’accompagnent néanmoins de deux impératifs : une gestion prudente de leur nouvel endettement par ces pays, qui devront privilégier les projets à haut rendement, et la mise en place d’une politique macroéconomique cohérente leur permettant de faire face à ces importants flux de capitaux.

Boubacar DIAO

Les enjeux de gouvernance de la ville de Dakar vus par son maire Khalifa Sall

Khalifa Sall, maire de la ville de Dakar, était de passage dans les locaux de Sciences-po Paris le 26 mars pour rencontrer des étudiants en gestion urbaine des grandes villes. Terangaweb en a profité pour recueillir les propos de l’édile de Dakar sur les enjeux de gouvernance et de développement auxquels est confrontée la capitale sénégalaise.

Khalifa Sall bonjour. Comment présenteriez-vous la ville de Dakar dont vous êtes le maire ?
Khalifa Sall :
Dakar est une ville avec un positionnement géographique et des infrastructures qui lui donnent de nombreuses opportunités. Pendant de nombreuses années, c’était la capitale de toute l’Afrique de l’Ouest. Dakar est une ville côtière, industrielle jusqu’aux années 1970, et jeune. Dans les années 1980, la ville a beaucoup évolué. Au Sénégal, on a connu une sécheresse qui a fait que la ville, belle et bien dessinée pour 400 000 habitants, s’est retrouvée avec 2 millions d’habitants – et tous les problèmes qui vont avec. L’essentiel de cette augmentation est un exode rural, une immigration interne due à l’absence de pluies dans le reste du pays. Ceux qui sont arrivés sont des gens sans éducation moderne, sans métier, sans culture urbaine. Ce qu’ils savent faire se résume essentiellement à la vente, et entraîne une croissance urbaine chaotique.
Avant la sécheresse, cette zone s’appelait le Cap Vert, et il y avait de nombreux marécages. On y produisait des légumes. La sécheresse a tout changé, et le chômage des jeunes a explosé. Les années 1980 – 2000 ont été aussi celles des politiques d’ajustement structurel, réduisant l’impact des politiques publiques, notamment dans les zones urbaines. A partir des années 2000, une nouvelle ville se construit après la période d’ajustements structurels qui s’est achevée avec une dévaluation – la monnaie a été divisée par deux. Le contexte international a fortement déterminé la suite de l’histoire avec notamment les Stratégies de Réduction de la Pauvreté (SRP). Les politiques nationales et internationales ont un impact sur les populations locales. En 2009, lorsque nous avons été élus, on avait une ville surpeuplée, mal lotie, un habitat non maîtrisé et une population désœuvrée.

Quelles sont les priorités de votre mandat ?
Khalifa Sall :
Je tiens tout d’abord à préciser dans quel courant de penser et d’action je me situe. Moi, je suis un socialiste socio-démocrate. Je prône la justice sociale associée à l’efficacité dans la gestion. J’ai fait partie du gouvernement et j’ai aussi été député : je connais l’échec et la difficulté.
Quand je suis devenu maire de Dakar, la première demande de la population était liée à l’emploi. Notre première priorité a donc été de donner du travail à la population, c’est la question de la capacitation des ressources humaines. Au Sénégal, nous considérons que notre population est la plus grande richesse nationale. La deuxième priorité qui s’est imposée à nous, c’est l’aménagement urbain. On a des problèmes d’assainissement, d’inondation, et de construction d’infrastructures. Dakar est une ville où les rues sont encombrées de machins ambulants, comme on les appelle chez nous.
A ces deux priorités, nous avons ajouté la question de la gouvernance. La gestion participative et la culture de la citoyenneté sont devenues des problématiques centrales de notre municipalité. Le budget est aujourd’hui consultable sur i

Normal
0

21

false
false
false

FR
X-NONE
X-NONE

MicrosoftInternetExplorer4

nternet[1], et tous nos travaux sont des appels d’offre publics. La gestion est inclusive, et tout le monde est au courant de ce qu’il se passe.
En ce qui concerne la culture citoyenne, l’idée est que les gens sachent que quelqu’un est là parce qu’il a un projet, pas par clientélisme. La conscience citoyenne relève d’un travail politique et citoyen. A coté de la ville de Dakar, on a impliqué la société sénégalaise ; on a des conseils consultatifs, des organes qui regroupent tous les éléments de la société civile. C’est une structure de contrôle et de conseil qui relève de la gestion participative et permet de responsabiliser les populations. Ce ne sont pas de simples consommateurs, ce sont aussi des bénéficiaires.
Cette gouvernance là était essentielle, c’était une rupture qu’il fallait imposer. Pendant ces élections, j’ai battu le fils du président de la République et le président du Sénat ; donc je ne vais pas avoir le travail facile, mais on essaye d’être intelligents.

Quelle est votre marge de manœuvre par rapport au gouvernement central ?
Khalifa Sall :
Notre mairie est de gauche et fait face à un gouvernement de droite. C’est une cohabitation qui pose des difficultés. Ceci étant dit, il faut préciser que le Sénégal a une organisation décentralisée depuis l’indépendance. C’est un concept fondamental de la construction du pays. La décentralisation a beaucoup évolué et a abouti à une plus grande responsabilité des collectivités locales ; la dernière réforme a supprimé le contrôle a priori et celui a posteriori. Il y a uniquement un contrôle de légalité dans 3 ou 4 domaines, ce qui laisse beaucoup de marge aux autorités locales. Donc, grâce au code des collectivités locales, on a des domaines où l’on sait que nous sommes légitimes et avons des compétences déléguées. Pourtant, chaque jour nous sommes en conflit avec le pouvoir central. Heureusement, notre gestion transparente et participative nous a beaucoup aidés dans les conflits où l’opinion a tranché.

Comment travaillez-vous avec les acteurs économiques pour les pousser à investir dans votre ville ?
Khalifa Sall :
Ceux qui viennent investir veulent des conditions physiques et financières pour sécuriser leurs investissements. Dans notre gouvernance, on a fait des Partenariats Public-Privé une priorité. La mairie n’a pas vocation à faire certains investissements, mais on doit initier, intéresser et accompagner les investissements. En parallèle à cela, nous faisons les investissements nécessaires pour mettre en place les structures qui font défaut. Nous faisons 25 milliards de francs CFA d’investissements en promouvant des dossiers d’Appel d’Offre où l’on essaye de promouvoir la micro-entreprise et la micro-finance. Aujourd’hui, on développe les programmes à Haute Intensité de Main d’œuvre. Ainsi, par exemple, la ville de Dakar a acheté le matériel pour refaire le pavé, et on a recruté des jeunes que l’on va former à poser et entretenir le pavé. C’est un projet de démarrage : on leur donne un savoir-faire, on leur donne un métier, ils obtiennent des revenus.
Pour nos investissements, nous allons maintenant sur le marché sans passer par l’Etat ; les villes peuvent aller sur le marché financier et international pour lever des fonds. Mes investissements, je ne les fais pas avec l’argent de l’Etat, je les fais avec des fonds privés, de l’argent privé que j’ai obtenu en présentant une ville rentable où il y a des opportunités de profit. Les villes se sont émancipées et autonomisées.
Aujourd’hui, par la coopération décentralisée, on a construit la diplomatie des villes. Martine Aubry était à Dakar il y a 15 jours. Cette diplomatie est devenue une réalité politique qui est en train de devenir économique. C’est une très grande transformation.

Quelle est l’importance de l’aide internationale au développement pour une ville comme Dakar ?
Khalifa Sall :
L’aide est un échec. Quand la France donne 10 000 euros, près de 5 000 euros reviennent en France : les travaux sont fait par les Français, les études aussi. Nous, on doit développer un savoir-faire, pas juste l’infrastructure. Après 20 ans d’aide et d’ajustements structurels, on saurait si l’aide marche. Aujourd’hui, on bâtit un partenariat où je dis ce que je veux, vous me dites ce que vous pouvez m’apporter, on discute, on s’entend. A Bruxelles, je leur parle de la non efficacité de l’aide. Moi, je n’ai pas besoin d’argent : le développement de la ville, c’est nous qui devons le faire. Ce que nous attendons des partenaires c’est du gagnant-gagnant ; nous avons les conditions pour que vous fassiez de l’argent, venez. La politique internationale devrait se concentrer sur cela. Aujourd’hui, le paysan qui cultive du coton doit faire face au coton européen et étasunien subventionné. C’est là le vrai problème, la détérioration des termes de l’échange.

 

Propos recueillis par Marwa Belghazi

 


[1] Budget et comptes administratifs de la ville consultables sur la page officielle : http://www.villededakar.org/

 

À quoi sert l’Union Africaine ?

L’Union Africaine (UA) est une organisation continentale à l’échelle de l’Afrique qui regroupe aujourd’hui 53 États. Ses objectifs principaux sont de permettre l’intégration politique et socio-économique du continent, de garantir la paix, la sécurité et la démocratie et d’être la voix de l’Afrique à travers le monde. Cependant, les intérêts des différents pays africains semblent aujourd’hui encore très divergents : ainsi, l’Union Africaine a-t-elle permis l’intégration continentale en dépit de la diversité de la situation africaine ?
 
Il apparaît dans un premier temps que l’Union Africaine se fixe clairement l’objectif de l’intégration continentale mais le contexte africain rend cette tâche complexe.La création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en mai 1963 à Addis-Abeba est portée par l’idéal panafricain de l’unité continentale. À sa naissance, l’OUA comptait 32 pays membres. Tous les pays africains (sauf le Maroc) sont aujourd’hui membres de l’Union Africaine (UA), l’organisation qui succéda à l’OUA lors du sommet de Durban (Afrique du Sud) en 2002. Trois pays sont aujourd’hui suspendus (Côte d’Ivoire, Érythrée et Madagascar) conformément à l’article 4 de la Charte de l’UA qui interdit les coups d’État au sein des pays membres.
L’OUA puis l’UA ont toutes deux poursuivi la volonté de l’unité politique à l’échelle continentale tout en affirmant la nécessité de la coopération au sein des différentes régions du continent.
 
Les premiers pas de l’OUA dans la réalisation de sa première vocation qui était de libérer le contient se sont avérés prometteurs. L’OUA a en effet accompagné la fin de la décolonisation de l’Afrique, prenant effet avec les indépendances des colonies portugaises en 1974-1975 (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau). L’OUA a aussi combattu le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, un pays qui était d’ailleurs exclu de cette organisation pour cause de racisme.
À la naissance de l’UA en 2002, le bilan de l’OUA était mitigé : il apparaissait clairement que les réalisations de cette organisation n’étaient pas à la hauteur des ambitions affichées mais son mérite aura été de permettre une prise de conscience des faiblesses du continent et de tracer les voies pour les améliorer.
 
Néanmoins, l’équilibre entre l’unité continentale et la coopération consolidée à l’échelle régionale est très complexe à instaurer.
 
En effet, l’Afrique se compose de plus de 50 États ; parmi eux, une vingtaine compte moins de 10 millions d’habitants, et près d’une dizaine moins d’un million. D’un point de vue tout à fait pragmatique, dans un contient où les États ont récemment accédé à leur indépendance, il paraît très compliqué que ces derniers soient prêts à consentir des abandons de souveraineté au profit de l’intégration continentale.
Par ailleurs, le paradoxe de l’Afrique est qu’il s’agit du continent qui compte le plus d’organisations régionales, sous-régionales, commerciales et sectorielles alors que dans le même temps l’intégration continentale en est encore à son stade embryonnaire.
 
Le modèle qui semble davantage fonctionner en Afrique est celui des organisations régionales qui poursuivent un but précis et qui regroupent un nombre réduit d’acteurs. L’Autorité du Bassin du Niger ou encore l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal ont par exemple permis d’éviter les conflits autour du partage de l’eau.
 
Aussi, en dépit des efforts pour tirer les leçons de ses échecs passés, l’UA ne semble pas aujourd’hui incarner l’Organisation de l’intégration continentale africaine.
 
L’exemple de l’Afrique du Nord est à ce titre frappant. Non seulement l’UA était totalement absente du débat et des décisions prises lors des révolutions tunisiennes et égyptiennes mais lors de la conclusion des accords bilatéraux entre l’Union Européenne et les pays du Maghreb, ces derniers ne semblaient guère prendre en considération l’UA.
De la même manière, l’UA est aux yeux des États-Unis tout sauf un interlocuteur, ces derniers multipliant les traités bilatéraux avec les pays africains sans en référer à aucun moment à l’UA.
 
L’élection du guide Kadhafi à la présidence de l’UA en 2009 et son intronisation en tant que « roi des rois traditionnels d’Afrique » nuit encore plus à la crédibilité d’une organisation déjà fragile. À l’instar de toute autre organisation régionale qui compterait parmi ses États membres un pays moteur, rares sont les pays africains qui disposent aujourd’hui des moyens, tant économiques que militaires, pour assurer ce rôle.
Au fil du temps, l’OUA et l’UA, hormis les quelques missions de maintien de la paix effectuées dans les années, ont surtout fait office de club de rencontre régulière entre chefs d’États africains. L’UA a été impuissante face aux coups d’État au Niger et à Madagascar ou encore lors du conflit post-électoral en Côte d’Ivoire.
 
En conclusion, il apparaît que L’UA est aujourd’hui une organisation politique, disposant d’une bureaucratie continentale mais dont l’efficacité est réduite. Elle a certes échoué dans nombre de ses objectifs mais elle a tenté de s’engager activement dans la résolution des conflits, dans le maintien de la paix et la promotion de la démocratie.
Il semble aujourd'hui que l’avènement d’une Afrique stable et unie politiquement passera par le renforcement des ensembles régionaux plus cohérents et reconnus.
 
 
Youssef Halaoua

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (2ème partie)

 

Souvent présentée comme une simple querelle de leadership, l’accusation de tentative de coup d’Etat, qui conduit à la séparation entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia en 1962, semble plutôt tirer ses germes dans la constitution sénégalaise du 26 aout 1960. La nature du régime parlementaire et la dualité que celle-ci instaurait de fait à la tête de l’Etat laissaient déjà entrevoir une crise institutionnelle inévitable consacrant ainsi l’échec du régime parlementaire en Afrique. Cet article qu'on pourrait intituler "Constitution de 1960 : la consolidation du régime parlementaire ou l’annonce d’une crise institutionnelle inévitable?" est la deuxième partie de "L'éxécutif sénégalais à l'épreuve du régime parlementaire".

« Des grecs, jadis, demandaient au sage Solon, quelle est la meilleure constitution ? Il répondait, dites-moi d’abord, pour quel peuple et pour quelle période. »[1]

Eut égard à la décolonisation d’une part, et à son retrait de la Fédération du Mali d’autre part[2], le Sénégal avait besoin d’une Constitution qui intégrait les exigences de l’indépendance, mais surtout, qui allait s’évertuer à réaménager l’environnement institutionnel, notamment l’exécutif, où allaient se frotter deux fortes personnalités : Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. C’est par la loi constitutionnelle du 26 Août 1960 que le Sénégal se dotera d’une nouvelle Constitution. Sur le plan idéologique, elle emboîte le pas à la Constitution de 1959. Mais sur le plan institutionnel, une nouveauté sera l’instauration de la fonction du Président de la République. D’où un chamboulement de l’organisation des pouvoirs au sein de l’exécutif autrefois monocéphale et devenu bicéphale. Ce qui d’emblée devait poser la question d’une dyarchie au sommet, c'est-à-dire d’une compétition entre les deux têtes de l’exécutif ; tel sera le cas lors de la crise de Décembre 1962.

Mise à part la guerre de leadership qui opposait Léopold Sédar Senghor, Président de  la République, et Mamadou Dia, Président du Conseil, l’aménagement assez ambigu des pouvoirs pouvait laisser présager cette dyarchie au sommet.                                                       

En effet, le Conseil des Ministres autrefois présidé par le Président du Conseil, sera, sous la Constitution du 26 Août 1960, présidé par le Président de la République qui devient aussi le gardien incontestable de la Constitution et le chef suprême des armées. Face à l’ensemble de ces prérogatives, non exhaustive du reste, se pose alors la question de savoir si le Président du Conseil n’est pas un « exécutant subalterne, un soliveau ? »[3] Une telle idée sera hâtivement  battue en brèche à la lecture de l’article 26 de la Constitution de 1960 qui prévoyait que le Président du Conseil détermine et conduit la politique de la nation. Dirigeant l’action du gouvernement, il dispose de l’administration et de la force armée. Des zones potentielles de conflit apparaissent dès lors qu’il est considéré d’une part, que le Président de la République est le Chef Suprême de armées, et qu’il est soutenu d’autre part, que le Président du Conseil est responsable de la défense nationale et qu’il dispose à cet effet de la force armée.

Mieux, le président, en dehors de sa chasse gardée (arbitre, gardien de la Constitution, défense de l’intégrité du territoire et de l’indépendance nationale…), devait soumettre tous ses actes, sous peine d’invalidité, au contreseing du Président du Conseil et le cas échéant, des ministres chargées de leur application. Bien que là règle du contreseing vise à engager la responsabilité du Président du Conseil et de son gouvernement, elle soulève le problème de la soumission du pouvoir de décision du Président de la République à la volonté du Président du Conseil. Nous n’avons plus ici deux pouvoirs qui se soutiennent mais plutôt qui s’étouffent sur le plan institutionnel en plus d’être asphyxiés par une guerre de leadership.

Il convient aussi de souligner que l’absence d’une opposition, c'est-à-dire le fait que tous les deux tenants de l’exécutif soient issus d’un même parti ultra majoritaire à l’assemblée, rendait difficile la résolution des crises au sein de l’exécutif car seule la motion de censure était en mesure d’être utilisée pour renverser le gouvernement. Ce qui n’était pas gagné d’avance vue la popularité de Mamadou Dia et de ses partisans à l’Assemblée. 

La motion de censure fut tout de même votée contre le gouvernement Dia dans des conditions que celui-ci et ses partisans ont toujours déploré. Accusé d'avoir voulu commettre un coup d’Etat qui lui vaudra la prison pendant 12 ans de sa vie, il répondra plus tard qu’il ne pouvait chercher à commettre un coup d’Etat alors que c’est lui-même qui avait tous les pouvoirs. D’où l’ambiguïté manifeste des rapports entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement.

En Décembre 1962, le Sénégal connait la crise institutionnelle la plus importante de son histoire. Mamadou Dia à qui on a prêté des intentions de coup d’état est arrêté. Il est hâtivement voté le jour de son arrestation, la loi Constitutionnelle 62-62 du 18 Décembre 1962 portant révision de la Constitution.[4] Donnant par dérogation au Président Senghor l’initiative de la Constitution, ce dernier fera rédiger par un Comité Consultatif Constitutionnel, la nouvelle Constitution approuvée par référendum et connue sous le nom de la Constitution du 7 Mars 1963. « La cause est entendu : plus jamais de régime parlementaire. »[5] Une nouvelle ère s’ouvre, celle du régime présidentiel, devenu par la suite, comme dans les autres anciennes colonies africaines, présidentialiste.  Le Sénégal n’a pas réussi ce qu’aucun autre pays n’a réussi non plus : un régime parlementaire sans multipartisme, c’est-a-dire dans un régime parlementaire avec un seul parti.

Maleine Amadou Niang


[1] Charles De Gaulle,Discours de Bayeux, 1946

[2] Ismaïla Madior. Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.28

[3] Georges Pompidou s’exprimant sur le rôle prêté au Président français sous la Vème République durant l’ère DE Gaulle.

[4] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.49

[5] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.52 

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (1ère partie)

 

Après avoir voté « oui » au référendum de 1958 portant sur la Constitution française de la Vème République, le Sénégal est par la suite devenu membre de la communauté franco-africaine. Cette forme juridique d’Etat n’obéit nullement aux modèles classiques de la Fédération ou de la confédération, c’est un modèle « sui-generis » qui semblerait vouloir cultiver « le lien de solidarité liant la France » à ses anciennes colonies. En 1959, l’Assemblée territoriale donne au gouvernement la possibilité de rédiger un projet de constitution, quand bien même la souveraineté internationale n’était pas acquise. C’est ainsi que l’Assemblée territoriale, érigée en Assemblée Constituante, adopte à la majorité de ses membres la Constitution du 24 Janvier 1959. Socle idéologique et juridique de l’Etat du Sénégal, il pose les principes fondamentaux autour desquels veut se réunir le peuple du Sénégal. C’est notamment la forme républicaine de l’Etat, l’entérinement de la laïcité ou encore la protection des droits et libertés fondamentaux.

Le choix du modèle de la démocratie représentative, teintée d’une onction de la démocratie populaire est évident en ce  que la Constitution parle d’elle-même : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exprime par ses représentants ou par référendum. » Se pose ainsi la question de savoir qui sont ces représentants du peuple ? Quelles sont leurs prérogatives ? Dans quelles mesures leurs actions peuvent-elles compromettre la nature du régime politique ?

Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le régime parlementaire sous-entend une collaboration des pouvoirs, conception souple de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke puis reprise par Montesquieu dans De l’Esprit des lois, paru en 1748. Ce type de régime favorise, dans l’idéal, l’échange constant entre les différents pouvoirs, notamment l’exécutif et le législatif, l’autorité judiciaire n’étant pas reconnue comme un pouvoir du fait qu’elle n’émane pas d’une élection.

Au Sénégal, l’exécutif est sous la Constitution de 1959, monocéphale et incarné par le Président du Conseil, chef de l’Etat et Chef du Gouvernement. Loin du modèle classique du régime parlementaire reconnu pour son exécutif bicéphale, on comprendra que le poste de président de la république n’est pas créé car le président de la France demeure président de toute la communauté. Le Sénégal, lors de la mise en place du régime parlementaire avec la Constitution de 1959, connait un président du Conseil qui est le poumon de l’Etat. Investi du pouvoir de nommer et de démettre les ministres, il préside le Conseil des Ministres. Il détermine et conduit la politique de la nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée, contrairement à la France où ces prérogatives sont dévolues au gouvernement aux termes de l’article 20 de la Constitution française du 4 Octobre 1958. Fort de ses compétences, il exerce le pouvoir réglementaire et veille à l’exécution des lois et des règlements entre autres. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la légitimité d’une personne en qui se fondent tous ces pouvoirs mais surtout, quels garde-fous sont prévus pour éviter ses dérives ?                                                            

D’où le rôle du Parlement comme outil de contrôle et de légitimation du Président du Conseil. Installé sous une forme monocamérale[1] notamment avec l’Assemblée Législative, le pouvoir législatif a, constitutionnellement, des moyens de contrôler et de sanctionner le Président du Conseil qu’il a élu à la majorité de ses membres. Ce contrôle se fait soit par le vote de confiance soit en usant de la motion de censure. On parle de vote de confiance lorsque le chef du gouvernement (ici le Président du Conseil) engage solidairement sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le vote d’un texte ou sur une question particulière. Si l’Assemblée refuse de voter le texte ou décide d’ajourner les débats, le gouvernement est désavoué et doit se retirer. Cependant, limiter les outils de contrôle au vote de confiance serait une initiative avortée en ce qu’elle ne permettrait un contrôle du gouvernement que dans le cas où le Président du Conseil soumettrait volontairement son équipe au contrôle des députés. D’où l’importance de la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Président du Conseil et son gouvernement lorsqu’ils estiment que la politique menée par ces derniers doit être sanctionnée.

Sur ce point, le parlement sénégalais avait des prérogatives similaires à celles d’autres parlements, notamment celui de la France. En contrepartie, le Président du Conseil détient lui aussi une arme contre l’Assemblée. C’est notamment son droit de la dissoudre. Ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais son droit de dissolution reste très encadré car ne pouvant être utilisé qu’après délibération du Conseil des ministres, sur consultation du Président de l’Assemblée, et à la stricte condition que deux crises ministérielles soient survenues durant une période de 36 mois[2]. Ce qui est bien loin du droit de dissolution tel qu’il a été connu en France avec François Mitterrand qui, à deux reprises, notamment en 1981 et en 1988, a prononcé la dissolution de l’Assemblée pour se constituer une majorité parlementaire à l’issue de nouvelles élections législatives. 

Le Président du Conseil semble alors étouffé mais dans les faits, quelle est la probabilité qu’il ait à faire face à des oppositions farouches des parlementaires étant donné qu’ils viennent du même « hyper-parti », compte tenu du système à parti unique au Sénégal  ? Mieux, cet exécutif à une tête ne peut connaître de crise en son sein car le Président du Conseil étant à la fois chef de l’état et chef du gouvernement, incarne à lui seul l’exécutif. Ce type de régime parlementaire avec un exécutif « monocéphale » durera un peu plus d’une année avant de se muer en un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, dicté par la conjoncture politique de l’époque. La Constitution de 1960 montrera les limites manifestes du régime parlementaire dans le Sénégal des indépendances. (A suivre)

Par Maleine Niang


[1] Parlement à une chambre, d’autres parlements ont deux chambres (ex : Assemblée et Sénat). C’est le cas du Sénégal aujourd’hui. On parle dans ce cas de Parlement bicamérale.

[2] Article 24 de la Constitution

Pirates somaliens: le rapport Lang décrypte les enjeux

Organisation des Nations Unies, résolution du Conseil de Sécurité, intervention d’une coalition armée internationale, il est clair que ce vocabulaire n’est pas sans rappeler les évènements libyens. Il ne s’agira cependant pas ici des mercenaires du Colonel Kadhafi mais des pirates au large de la Somalie.

Jack Lang, conseiller spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes a présenté son rapport en janvier dernier. Ce document s’articule autour de 25 propositions dans le but « d’identifier des mesures supplémentaires à prendre pour aider les États de la région et d’autres [Etats] à poursuivre et incarcérer les personnes impliquées dans les activités de piraterie, et d’étudier la disposition d’États de la région à accueillir éventuellement un des possibles nouveaux mécanismes judiciaires ».

Le coût des actes de piraterie le long des côtes somaliennes supporté par la communauté  internationale s’évalue entre 7 et 12 milliards de dollars. Par ailleurs, six éléments viennent aggraver ce constat : l’intensification de la violence, la professionnalisation des pirates, l’allongement de la durée de captivité, la sophistication du mode opératoire, l’extension de la zone des attaques ainsi que l’augmentation du montant des rançons versées par navires.

Ce rapport, très instructif, nous éclaire sur cette situation complexe et souligne une fois de plus l’importance stratégique de ce couloir maritime.
 
 
                                                                                                   Youssef  Halaoua

Entretiens avec Wassyla Tamzali, écrivaine féministe algérienne

Wassyla Tamzali est une écrivaine et militante féministe algérienne, née en 1941. Elle a été avocate à Alger avant de devenir directrice du droit des femmes à l'Unesco. Elle se consacre désormais à l'écriture. Elle est l'auteure de  "L'énigme du Maghreb"  où elle dénonce la polygamie, ou encore de "Une enfance algérienne".  C'est une figure éminente du mouvement féministe en Afrique du Nord et plus largement dans le monde arabe, en tant que présidente du Collectif Maghreb Egalité.

Elle explique dans le premier entretien la nature de son engagement féministe ainsi que le contexte dans lequel il s'inscrit, et les difficultés rencontrées. " Notre problème majeur tient à l'interprétation de l'islam dans les sociétés maghrébines" évoque t'elle à ce sujet, rajoutant que "l'islam, tel qu'il a été reçu par les sociétés islamisées, n'a été qu'une forme de légitimation des modes archaiques de la société".

Le premier entretien a été réalisée par Sara Morsi de la revue Averroès et est disponible à cette adresse:

http://revueaverroestest.files.wordpress.com/2011/04/ent-tamzali-revue-averroc3a8s-variations-oct2009.pdf

Le second entretien avec Wassyla Tamzali a été réalisé par Antonio Torrenzano pour le blog lemonde e-south. Mme Tamzali y souligne la dégradation de la place de la femme dans les sociétés africaines depuis la colonisation, en se référant aux travaux des historiennes Annie Lebeuf et Catherine Coquery-Vitrovich. Cet entretien est disponible à l'adresse suivante: http://e-south.blog.lemonde.fr/2011/02/11/le-genie-feminin-pour-la-mediterranee-conversation-avec-wassyla-tamzali-ancienne-responsable-des-droits-de-femmes-a-lunesco/

 

Emmanuel Leroueil

Déclaration du Mouvement des Sans Voix – Burkina Faso suite à l’affaire Justin Zongo et les émeutes au Burkina Faso

Koudougou, bastion de la résistance révolutionnaire Burkinabé, s’est fait encore respecter et a entamé une lutte qui est en passe de contaminer tout le Burkina Faso. Tout comme Flavien Nébié, Dabo Boukary et autres, Justin Zongo élève de la classe de 3eme  dans un établissement de la ville de Koudougou est encore tombé sous les griffes souillées de cette tristement célèbre 4eme république du Burkina Faso, le 21 février 2011.

Les faits à l’origine du drame sont les suivants. Une mésentente oppose une camarade de Justin et son professeur pendant  qu’ils étaient en cours et cela conduit au départ de la classe du professeur. Le jeune homme se sentant vexé par cette attitude irrespectueuse de sa camarade,  l’interpella sur son comportement et le fait que le professeur ait quitté la classe, surtout qu’ils sont en classe d’examen et le moindre temps perdu volontairement est suicidaire. Une altercation s’ensuit entre les deux élèves et la jeune fille (qui sortait avec un policier de la ville) le fait convoquer au commissariat. Une bastonnade régulière sans merci de Justin par le ou les policiers s’entame alors, le conduisant à l’hôpital et par la suite, par deux reprises, chez le procureur. Celui-ci  lui ordonna d’aller se faire soigner et de revenir après. Laissé sans protection,  pour quelqu’un qui était en perpétuel danger,  il fut encore saisi (cette fois à son école) par les mêmes «  forces du désordre » pour leur exercice favori. Ce sera une bastonnade de trop puisque Justin succombera cette fois à ses blessures. Son carnet de santé est clair : «  traumatisme pour coups et blessures volontaires ».

Les élèves, ainsi que leurs camarades étudiants blessés dans leur amour propre, sortent dans les rues du 22 au 24 février 2011 pour réclamer justice afin que ce crime ne reste pas impuni. Ils furent fortement réprimés par cette même « force du désordre », ce qui révoltât toute les couches de la société (commerçants, ouvriers…) et une mobilisation plus grande s’enclencha, conduisant à des émeutes dans la plupart des artères de la ville. Les gouvernorats, les palais de justice et les commissariats furent les cibles les plus privilégiés des marcheurs (plus de 15 véhicules incendiés, des feux tricolores détruits, des rues bloquées…). Des  affrontements entre « les forces du désordre » et les manifestants  causèrent  fort malheureusement six autres victimes (élèves, étudiants et policiers). La flamme de cette révolution inspira d’autres régions (Poa, Kaya, Leo, Ouagadougou où les artères de la ville ont été bloquées à au moins deux reprises par les élèves).

Blaise Compaoré et sa bande, apeurés par ces mouvements instantanés révolutionnaires  et de crainte d’une contamination par les révolutions de l’Afrique du nord (‘’Blaise dégage’’ étant entonné le plus souvent  par les manifestants), se précipitent pour donner leur version des faits. Un argument  plat et si insultant vis à vis de la population fut envoyé dans le but de protéger le ou les assassins et de sauver la face de ce régime en déclin. Il stipule que Justin est décédé de suite de méningite. Ce qui suscita un sentiment d’indignation totale et réactiva la flamme et la rage des combattants pour une  justice sociale pour tous, qui formulent des recommandations et exigent un certain nombre de départs au niveau des autorités locales (le gouverneur de la région et le commissaire de police qui sont déjà partis, le procureur, le directeur régional de la santé …). Le gouvernement, surpris par la tournure rapide des manifestations, par la détermination progressive de la population et de crainte des réactions de la presse internationale, présente actuellement au Burkina pour le FESPACO, décide de la fermeture jusqu’à nouvel ordre des établissements scolaires et universitaires. Mais des manifestations continuent d’être organisées dans la plupart des régions du pays.

Ce vendredi 11 mars 2011, Ouagadougou est dans la rue pour réclamer justice pour Justin  Zongo et le départ du pouvoir de la 4ème république qui depuis 1987 conduit le Burkina Faso dans un chao socio- économique et culturel.

Le Mouvement des Sans Voix Burkina Faso pour sa part,

·         condamne fermement ces assassinats orchestrés dans les différentes villes du Burkina Faso depuis le 22 février 2011.

·         Appelle le peuple Burkinabè à une forte mobilisation pour que cesse les tueries, la corruption, les abus de pouvoir et autres tares soigneusement conservées et promues par les plus hautes autorités du pays

·         Appelle les peuples de tous les Pays de l’Afrique en quête de justice sociale et de liberté, encore sous les tenailles des grandes puissances et de leurs servants locaux, à se tenir debout dans une ferme solidarité à l’image des peuples de l’Afrique du Nord, pour sortir l’Afrique de ce chao socio-économique et culturel afin d’espérer une véritable Union Africaine pour que cessent les immigrations clandestines, le chômage et autres fléaux paralysant le développement du continent noir. 

 

Ouagadougou, le 11 mars 2011

Les étudiants africains, champions de la mobilité

Devançant même leurs homologues asiatiques, les étudiants africains se révèlent être particulièrement disposés à poursuivre leurs études supérieures hors de leurs frontières nationales. Selon l’Unesco, 1 Africain sur 16 poursuit son cursus hors de son pays de résidence, soit trois fois plus que la moyenne mondiale environ. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le choix n’est pas systématiquement porté sur les pays occidentaux ou asiatiques, mais de plus en plus sur d’autres pays du continent.

A l’origine de cette décision de partir, il y a plusieurs raisons. Les étudiants y sont parfois contraints par l’absence dans leur pays d'origine de la spécialité souhaitée. Ceci explique par exemple que, dans un pays comme le Cap-Vert où l’enseignement supérieur offre très peu de choix, 92% des étudiants sont à l’étranger. Autres motivations au départ : la volonté des étudiants africains d’accéder à de meilleures formations, compte tenu du (trop) peu de choix dans les filières techniques notamment, d’avoir une meilleure reconnaissance internationale de leurs diplômes ou encore de trouver, à terme, un emploi qui corresponde mieux à leurs attentes.

Ces départs sont d’autant moins mal perçus par les pays d’origine qu’ils constituent un allégement de leurs charges. Ils sont par ailleurs bien accueillis par les universités hôtes puisque, dans certains pays, l’accueil d’étudiants étrangers constitue pour elles une manne financière non négligeable, ces derniers devant s’acquitter de droits d’inscription et frais de scolarité largement supérieurs à ceux des nationaux.

Si Paris reste la destination la plus prisée, avec pas moins de 100 000 étudiants africains -francophones pour la plupart – accueillis chaque année dans l’enseignement supérieur, les universités  américaines, anglaises ou canadiennes rencontrent un succès certain et ce, malgré leur coût souvent prohibitif. Cependant, certains pays africains s’imposent comme de véritables destinations alternatives étant donné la qualité de l’enseignement qui y est dispensé et le coût des formations beaucoup moins élevé. Parmi eux : l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Sénégal, le Ghana et surtout le Maroc, particulièrement attrayant pour nombre de Subsahariens.

Jeuneafrique.com a publié un dossier faisant largement état des raisons profondes de cette mobilité estudiantine et du choix des destinations :

http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2598p163-165.xml0/canada-migration-puissance-coloniale-scolarisationles-africains-premiers-de-la-classe-pour-la-mobilite.html

Boubacar DIAO

Libye : chronique d’une révolte annoncée

« Pourquoi voulez-vous qu’on me critique ? Moi je ne dirige rien, je n’ai pas le pouvoir, pas de compétences politiques ou administratives. C’est le peuple qui gère ses affaires, c’est lui qui détermine les lois et qui prend les décisions ». Voici les déclarations du colonel Kadhafi le 12 décembre 2007, à Paris, lors d’un entretien accordé à David Pujadas.
 
Pour tout citoyen d’une démocratie moderne, la mise en scène politique et le vocabulaire employé en Libye semble tout droit sorti de l’univers de Kafka. Le colonel Kadhafi n’est en effet ni Président, ni chef de gouvernement mais Frère Guide de la Révolution et Roi des Rois d’Afrique. En effet, tel que le prévoit le fonctionnement des institutions libyennes, le colonel Kadhafi n’est qu’un simple conseiller. Le peuple libyen, libre et seul maître du pouvoir, se réunit en congrès populaire pour discuter et décider des propositions faîtes par le Guide. Comme chacun de nous peut aujourd’hui le constater, la réaction et la réponse du Guide au soulèvement populaire sont en totale adéquation avec les présupposés théoriques énoncés ci-dessus.
 
L’auteur de ces lignes a vécu en Libye pendant 6 mois, entre janvier et juin 2009, et l’avenir de ce pays paraissait déjà particulièrement incertain. Le régime mis en place par Kadhafi depuis plus de 40 ans n’était pas préparé à affronter ni les évolutions sur la scène intérieure, ni les défis sur le plan international. Déjà en 2009, le Guide semblait être arrivé à un point de non-retour pour quatre raisons : son régime était largement déconnecté des réalités locales et de la population, il régnait une atmosphère de fin de règne qui n’arrangeait rien à l’immobilisme d’un régime miné par la corruption, les institutions publiques et les circuits décisionnels semblaient totalement paralysés et enfin la société civile était caractérisée par un grave manque de personnalités publiques et d’intellectuels à même de penser et de mettre en œuvre une quelconque réforme.
 
Le Guide et son régime sont en effet totalement déconnectés des réalités locales et de la population, en particulier de la jeunesse. Une des particularités de la Libye est son taux de fécondité très élevé, de l’ordre de 3,15 enfants par femme. La population est donc très jeune, avec une majorité d’habitants âgés de moins de 30 ans. Comme nous avons pu le constater au début du soulèvement populaire, ce sont principalement des jeunes non armés qui constituaient le corps des troupes des opposants. C’est le symptôme d’une jeunesse qui n’a rien à perdre, livrée à elle-même, avec une formation scolaire de très faible niveau et pour qui l’avenir n’offre aucune perspective (ni en terme de formation, ni en terme d’emplois). Une jeunesse qui s’ennuie et dont la caractéristique principale est d’être bien moins docile que ses aînés. La question des rapports entre hommes et femmes n’améliore guère le paysage. Comment en effet quitter le domicile familial pour se marier (les relations amoureuses ne sont possibles que dans le cadre du mariage) sans situation professionnelle et donc sans logement ?
 
C’est ici qu’apparaît le premier grand décalage entre le Guide et la réalité. Ce dernier continue en effet de mettre en avant l’identité bédouine et tribale de son pays alors que sa jeunesse (qui constitue on le rappelle la majorité de la population) ne rêve et n’aspire qu’aux éléments les plus clinquants de la société occidentale, sans toutefois y avoir accès (téléphone portable avec écran tactile, télévision écran plat, grosse voiture, etc.). C’est dans un tel contexte que la consommation de drogue dure (facilement disponible et à bas prix), de pornographie (télévision par satellite et internet) ainsi que la prostitution ont explosé.
 
Par ailleurs, grâce à la récente ouverture du pays sur l’étranger et l’accès aux grands médias arabes, la population libyenne s’est rendue compte du grand décalage en terme de développement entre son pays et les monarchies pétrolières du Golfe (en particulier dans le secteur de la santé et de l’éducation). Il apparaît alors clairement que les réelles volontés du Guide ne sont absolument pas d’emprunter la voie du développement ni de permettre à sa population d’élever son niveau de vie.
 
Les évènements actuels mettent aussi au grand jour le rôle joué par la corruption dans le système mis en place par le Guide Kadhafi. La corruption constituait autant le ciment que la glu du régime libyen. Kadhafi assurait en effet la stabilité de son régime et son maintien au pouvoir par un subtil mélange de tribalisme et de corruption en s’achetant la loyauté des hommes forts et des seigneurs locaux. À la manière d’un chef d’orchestre qui de la pointe de sa baguette garantirait l’existence d’une mélodie harmonieuse, le Guide, du boutde son carnet de chèques, s’était fait l’arbitre des tensions tribales afin d’éviter la constitution de ligues hostiles qui auraient pu entrer en dissonance avec la voix du régime. Dans cette même logique de son maintien au pouvoir par la paix sociale, la population libyenne était conçue comme un client dont la fidélité devait s’acheter à bas coût. Les salaires étaient maintenus à un niveau assez bas mais toujours suffisant pour pouvoir s’approvisionner en produits subventionnés.
 
Le tissu socio-économique était d’ailleurs au stade embryonnaire. Même dans la région de Tripoli, seule zone sous influence directe du régime, la structure économique était très fragile. Elle était principalement constituée de bédouins, dont la sédentarisation remonte à l’accession au pouvoir du Guide en 1969, bien souvent rustres et ignares, occupés dans des emplois de faible niveau, dans une administration publique congestionnée, inefficace et corrompue. Le secteur privé était quant à lui assez peu développé, maintenu à son expression la plus primaire, que ce soit dans les services ou dans l’industrie.
 
Quant aux revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles, une infime partie d’entre eux est investie en Libye. Il n’y a aucune volonté du Guide de créer une dynamique de développement. Bien au contraire, ces avoirs financiers sont gérés de façon tout à fait opaque avec l’aide de relais locaux en Europe centrale ou orientale et en Asie dont les pratiques sont tout autant douteuses. De cette manière, quiconque viendrait détrôner le Guide ne pourrait faire valoir les droits du pays que sur une infime partie de cette richesse. De plus, la politique panafricaine menée par Kadhafi est perçue par le peuple libyen comme une vaste entreprise de détournement de cet argent public. Une politique qui a pour conséquence d’accentuer le racisme traditionnel déjà présent parmi la population libyenne envers les Noirs.
 
En conclusion, le soulèvement populaire actuel est à mettre en lien avec ce grand décalage entre le régime de Kadhafi et sa population. Comme on peut le voir aujourd’hui à travers ses déclarations et sa réponse aux évènements, le Guide ne reconnaît pas, voire pire ignore les évolutions au sein de son pays. Bien au contraire, il se cache derrière ses lunettes de soleil afin de ne pas être aveuglé par l’éblouissante et cruelle réalité des souffrances de son peuple. 
 
 
Youssef HALAOUA

Chômage et pauvreté : un cercle vicieux?

«Nous faisons semblant d’avoir des politiques et elles ne sont pas crédibles, nous faisons semblant d’agir et on se rend compte qu’on ne touche pas le problème de fond et aujourd’hui nous avons fabriqué une société de chômeur, une société de personnes qui ont du mal à vivre». Ibrahima Sall.

Invité à la Rfm*, M. Sall, économiste sénégalais, a révélé que le Sénégal n’avait jamais eu de politique de chômage. Une remarque qui, je dois l’avouer, éveillât ma curiosité.

L’intérêt réside surtout dans le fait qu’elle pousse au questionnement et interpelle sur de nombreux aspects concernant la problématique du chômage : quelle est l’étendue du fléau ? Quelles en sont les causes? Il est entendu que le sujet dont il est question est très vaste et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, il sera traité en deux parties. Le premier volet qui sera abordé dans ce présent article permettra de faire une description assez globale du problème, à savoir la situation actuelle du chômage au Sénégal et ses principales causes.

Commençons par quelques chiffres…

Selon le CIA World Factbook publié en janvier 2009, 54% de la population sénégalaise vivait avec moins de 1$ par jour.

Qu’en est-il des autres indicateurs de développement? Le bilan n’est guère reluisant : une croissance du PIB qui passe de 5.5% en 2005 à 2.2% en 2009, un taux de chômage de la population totale 11.1% en 2006 et un taux d’alphabétisation de 42%, pour ne citer que ceux là. On ne peut évidemment être choqué lorsque l’on connaît le contexte économique du Sénégal même s’il est dur de s’imaginer que ces données sont quasiment restées inchangées depuis 2005. Un cercle vicieux : tel serait la description que l’on pourrait donner à la relation existant entre chômage et pauvreté d’une part et développement économique de l’autre.

Dans un rapport publiée par le Bureau sous-régional pour l’Afrique de l’Ouest de la Commission des Nations Unies pour l’Afrique en 2010, le Sénégal s’est vu attribuer l’une des meilleures performances économiques d’Afrique subsaharienne des cinq dernières années avec un taux de croissance moyen de près de 7%. Toutefois, le bureau conclue en soulignant «le taux de chômage élevé et endémique» du pays qui représenterait une entrave à l’éclosion du potentiel des jeunes. Plus généralement, le fort taux de chômage constituerait une menace à la stabilité mais également aux perspectives de développement socio-économique.

Près de 48% de la population active (entre 15 et 24 ans) est sans emploi; il est donc légitime de se poser la question à savoir : quels sont les facteurs à l’origine du chômage au Sénégal?

 

 

Les principaux déterminants du chômage au Sénégal

Nous pouvons, tout d’abord, citer le taux élevé d’analphabétisation. Il y a de cela quelques années (2006), seulement 42% de la population était alphabétisée. Dans un document intitulé  «Les Déterminants du chômage au Sénégal : le rôle de l’éducation» et publié en 2005 par Mamadou Cissé, il est fait état de la relation entre niveau d’éducation et chômage.

La littérature empirique a montré que sur le plan national, l'éducation permet d'améliorer la croissance économique par le dynamisme du capital humain. Elle permet donc de lutter contre le chômage par la création d'opportunités d'emploi. L’éducation augmente les chances d’obtenir un emploi réduisant ainsi la probabilité de chômage. Paradoxalement, il se trouve que 57% des demandeurs d’emploi n’ont pas de diplômes.

Ce qui nous amène à un second facteur déterminant du chômage : l’inadéquation entre le système éducatif et les besoins du marché du travail. En effet, 28.8% des travailleurs vivent avec moins de 1 dollar par jour et plus de 50% avec moins de 2$ par jour. Il est donc important de s'intéresser au niveau et à la structure des emplois selon les qualifications requises. En outre, le chômage important des jeunes diplômés ajouté à une baisse de la probabilité d’insertion dans les secteurs modernes, pousse bien évidemment à s’interroger sur la qualité de l’éducation et sa pertinence par rapport aux besoins des employeurs. On se rend également compte que le secteur formel n’offre que peu d’emplois contrairement à celui informel qui en fournirait plus de 50%.

La situation du secteur de l’éducation s’est fortement améliorée ces dernières années et ceci grâce au fait que l’État lui consacre une importante partie de son budget. Malgré les améliorations notées dans ce domaine, les structures de planification ne sont toujours pas en accord avec les réalités du marché du travail et passer par l’enseignement supérieur reste, pour les demandeurs d’emploi, la seule porte de sortie. En effet, les politiques publiques sont si peu incitatives que seule une faible proportion d’entre eux détient un diplôme universitaire (environ 1,6%).

Comme nous l’avons vu tout au long, le chômage est actuellement un facteur important lorsqu’on en vient à parler de développement économique. Son impact est plus sérieux d’un point de vue macroéconomique et il est le plus souvent lié à l’éducation au même titre qu’aux politiques publiques. En effet, la conséquence majeure du chômage est la pauvreté; et bien entendu, qui dit pauvreté, dit forcément faible productivité économique.  Nous y reviendrons dans la seconde partie de l’article qui sera ainsi consacrée à un diagnostic global de la pauvreté de même qu’à une étude plus approfondie du problème. Nous parlerons également des méthodes de lutte contre ce phénomène et discuterons plus amplement des toutes nouvelles stratégies en matière de réduction de pauvreté, telles que l’inclusion des personnes vivant avec un handicap.

Mame Diarra Sourang

Le Caire: ville en fusion, ville en révolution

Il en est des villes comme des caractères ; il y a toujours un trait saillant qui définit la personnalité. Pour le Caire, c’est le poids de la Masse. Cette Masse qui donne à toute action, à tout regard, à toute parole une dimension tout à fait différente : lourde, conséquente, Qâhira[1]. Une masse qu’il vaut mieux avoir en notre faveur plutôt que de se la mettre à dos.

Avec 20 millions d’habitants, c’est la plus grande mégapole du continent africain, capitale administrative et économique de l’Egypte. A lui seul, le Grand Caire regroupe 22% de la population nationale et 43% de la population urbaine du pays. Continue reading « Le Caire: ville en fusion, ville en révolution »