Politique budgétaire : le grand orphelin de la politique économique en Afrique ?

iLa  résolution  des problèmes économiques en Afrique subsaharienne a très souvent mis en avant  les questions  de  politique monétaire. C’est le cas par exemple de la question de l'ancrage du franc CFA à l'euro. On semble oublier que la politique monétaire n’est qu’un pan de la politique  économique et que bien avant de se lancer dans des résolutions plus complexes avec des causes et des impacts à la fois endogènes et exogènes, peut-être qu'il faudrait mieux se recentrer sur des problématiques internes qui relèvent de l’action de l’Etat. Cet article tente de présenter plus simplement la politique budgétaire dans son rôle historique, son utilisation actuelle par certains états africains et d’identifier les solutions potentielles afin de permettre à cet outil d’impacter davantage les conditions de vie des populations.

L’usage de la politique budgétaire comme instrument de  la politique économique date de  près d’un siècle (1939) et demeure  aujourd’hui encore un sujet phare de l’actualité économique. Avant toute chose, il convient de rappeler que la politique économique repose sur  3 axes : la politique monétaire,  la politique budgétaire et la politique de change. La politique budgétaire constitue l’arbitrage des Etats entre les recettes fiscales et les dépenses publiques. Son rôle (Keynésien) de levier pour la relance économique a toujours davantage servi les économies matures qui font face aux problématiques du cycle, que les économies des pays africains qui cherchent à amorcer leur phase de décollage socio-économique. Dans ce contexte, à quoi peut bien servir la politique budgétaire dans les pays en voie de développement, comme ceux d’Afrique subsaharienne ? Et quelle orientation ces pays devraient-ils lui donner ?

La politique budgétaire s’appuie sur un ensemble d’outils que sont les dépenses publiques, l’endettement et les prélèvements obligatoires. Au travers de la dépense publique, les Etats peuvent relancer l’activité économique au moyen des commandes passées auprès des entreprises pour la construction d'infrastructures, créant ainsi des emplois et des opportunités de marché pour d’autres secteurs. Pour effectuer ces dépenses, l'Etat dispose de deux moyens que sont les recettes fiscales et l’endettement public. Le premier met en avant le taux d’imposition qui doit être appliqué aux différents agents économiques et le second, quant à lui, s’appuie sur la capacité à mobiliser l’épargne privée pour soutenir les projets de l’Etat. Cependant, leur utilisation est sujette à caution. Une forte fiscalité peut être dissuasive pour les investisseurs alors qu’un niveau d’endettement non contrôlé constitue une source de pression sur l’économie, surtout si la croissance n’évolue pas à un rythme plus rapide et soutenu que la dette.

Afin que le continent continue de s’afficher comme l’une des zones économiques les plus dynamiques du monde, il est nécessaire que les pays se dotent d’une politique budgétaire plus efficace qui permettrait un développement plus inclusif, en diversifiant davantage les revenus des Etats. Cette situation met les pays en face d’un important dilemme en matière de politique budgétaire : opter pour le modèle basé sur une stratégie d’endettement bien contrôlée et qui ne devrait pas constituer un risque à terme pour l’économie, ou un développement sans endettement basé sur une pleine utilisation de leurs richesses (ressources naturelles, démographie, investissements), la bonne gouvernance et une stratégie de fiscalisation optimale qui ne pénalise pas le développement du secteur privé.

Pour la première option, il faut se référer au modèle occidental. Dans cette configuration, la dette publique constitue un outil de politique budgétaire important. A titre d’exemple, la dette publique du Japon se situait à 243, 2% de PIB en 2013,  celle des Etats-Unis à plus de 110 % et celle de la France atteint plus de 94% de PIB, sans pour autant remettre en cause la pérennité de leur modèle économique. Pour ces pays, c’est un choix assumé de laisser filer la dette afin de relancer la demande et de soutenir la croissance. D’ailleurs en termes de structure, cette dette est notamment constituée de ressources domestiques ou régionales. Aujourd’hui, de nombreuses économies africaines s’inscrivent dans la même logique, se permettant de laisser creuser leur déficit budgétaire (c’est-à-dire leur niveau de dette publique). C’est le cas de l’Égypte dont la dette publique se situait à 90,5% de pib en 2013, du Ghana (67,6%), du Kenya (48,6%) ou encore de l’Angola (38%), sans pour autant qu’on y observe les mêmes effets que ceux observés dans les pays occidentaux mentionnés plus haut. De plus, une bonne partie des créanciers sont des agents extérieurs à l’économie du continent. Seul le Nigeria fait exception, avec son niveau de dette estimé à 10%. Une donnée qui peut traduire une sous-utilisation des facteurs de production ou refléter l'abondance des ressources naturelles. La dette publique, à bien des égards, peut donc être un moyen d’accélérer la croissance dans les pays africains, si elle est utilisée à bon escient. 

La seconde serait une utilisation optimale des richesses couplée à une politique fiscale plus efficace. Or la politique budgétaire actuelle dans de nombreux pays africains est caractérisée par un niveau de prélèvement obligatoire très bas. En moyenne, le taux de pression fiscale se situe entre 15-20%, contrairement au pays plus développés où la pression fiscale atteint parfois près de 35 % (OCDE). Si la faiblesse de la fiscalité apparaît comme un facteur incitatif pour le développement du secteur privé ; la réalité est qu’elle n’a pas favorisé l’émergence du secteur secondaire.  Le secteur privé reste encore atrophié et dominé par les implantations de filiales d’entreprises étrangères.  L’absence d’infrastructures pourrait expliquer cette situation. Or seules les dépenses publiques pourraient financer ces infrastructures. Il faut dire, à ce niveau, qu’il s’agit certainement d’un problème d'allocations des ressources économiques.

Le processus budgétaire dans les pays africains est souvent très bien élaboré mais la mise en œuvre des plans fait défaut ainsi que les moyens de contrôle. La dépense publique jusqu’à présent a été pensée comme une dépense pour financer le train de vie de l’État, et non pour financer la construction d'infrastructures telles que les routes, les hôpitaux et centres de santé, ainsi que le matériel de production. Cela se vérifie tout simplement quand on observe le décalage entre la qualité des parcs automobiles dans les ministères et organismes publics et la vétusté ou la quasi absence d’infrastructures. Il faut aussi noter que le partage du rôle entre secteur privé et public a permis de dessaisir la politique budgétaire de son rôle principal. L’entreprise étant au cœur de la création d’emplois, l’État peut parfois se substituer à ce dernier lorsqu’il juge que la question est cruciale pour la vie de la nation. Dans le cas des économies africaines, le niveau de l’entrepreneuriat privé étant encore relativement faible, les Etats l’intègre dans leur champ d’intervention.  Pour résorber la question du chômage, certains Etats créent des emplois au sein de l’administration, ce qui absorbe une part importante des ressources disponibles, ne laissant ainsi qu’une infime partie pour le financement de l’investissement public. Dans plusieurs pays africains, l’Etat fonctionne donc comme une entité qui a son budget et qui n’a aucune influence sur l’activité économique réelle. Dans ce contexte, le recours à la dette pourrait constituer un goulot d’étranglement, rendant la politique économique inefficace.

Il est aujourd’hui nécessaire pour les états africains de repenser l’utilisation de l’arme budgétaire. Il devrait être considéré comme un outil stratégique d'appui au développement. A cet effet, il est nécessaire de trouver le bon ajustement entre recettes fiscales, les autres moyens de financement disponibles (dette) et organisation des dépenses publiques. Redonner une place de choix à la politique budgétaire passera par une meilleure politique fiscale et une rationalisation des dépenses. Il faudrait, en outre, renforcer les marchés financiers locaux et orienter les emprunts publics vers ce marché tout en évitant de créer un effet d’éviction au détriment du secteur privé. La dépense publique devra être rationnalisée avec une domination des investissements publics afin de créer les conditions favorables au développement des activités porteuses de développement, notamment dans le secteur secondaire et primaire.

Christian Nkana

Entretien avec Nunu Ntshingila, future directrice de Facebook en Afrique

12c509eLorsqu’elle débute sa carrière dans le secteur de la publicité à la fin des années 80 en Afrique du Sud, Nunu Ntshingila découvre un univers qu’elle décrit comme étant « très blanc et très masculin ». Retour sur une Afrique en pleine (r)évolution digitale, au travers du regard d’une femme qui prône l’afro-responsabilité sur le continent.

Une militante de l’accès des femmes au leadership

« Après un séjour aux Etats-Unis pour mes études, je suis rentrée en Afrique du Sud pour travailler chez Nike en communication. A mon retour dans le secteur de la publicité, l’Afrique du Sud se démocratisait. Je me souviens particulièrement des débats sur le rôle des femmes dans le développement du pays post-apartheid. C’était rassurant de nous savoir incluses dans ce genre de discussions. » raconte Nunu Ntshingila qui a bientôt 50 ans, et s’apprête à quitter le monde de la publicité pour prendre la tête de Facebook en Afrique.  En 2011, Nunu Ntshingila rejoignait le comité de direction d’Ogilvy & Mather, devenant ainsi la seule représentante du continent africain à siéger parmi une trentaine de cadres.

« L’accès des femmes à un poste de direction est un facteur d’autant plus déterminant dans l’industrie créative où les femmes doivent prendre la parole pour être représentées avec respect ». La représentation, explique Nunu Ntshingila, passe également par la question de la race, une question qui, selon elle, n’est pas prête de disparaître si facilement en Afrique du Sud. Elle estime qu'une meilleure répartition des richesses serait une bonne solution pour remédier aux tensions raciales qui divisent encore le pays: «  Nous devons nous assurer que la diversité puisse prendre racine dans notre environnement. Tout le capital appartient aujourd’hui à la minorité blanche, nous devons nous assurer que ce capital appartienne à la majorité. »

Un marché publicitaire plus fort grâce aux nouvelles technologies

En 2015, la croissance du marché publicitaire en Afrique est estimé à 8%, contre 5% sur le reste du marché mondial. A ce sujet, Nunu Ntshingila confirme « Il est vrai que le marché évolue énormément. Mais j’insiste sur le fait que nous devons conduire cette évolution par nous-même. Quand on parle de l’Afrique en mouvement, il est d’abord important que les Africains s’approprient ce discours. Je suis sceptique quand ce message provient de l’extérieur du continent. Nous devons grandir l’Afrique en tant qu’Africains. Les gens ici veulent aujourd’hui vivre dans de meilleures conditions. C’est à ce titre que la diaspora se rend compte du potentiel du continent et rentre en Afrique. »

Interrogée sur l’impact du digital, elle admet ne pas croire en un aspect négatif de cette révolution pour le marché de la publicité. « La presse était un pilier de nos stratégies et on sent bien en Afrique du Sud une orientation du marché publicitaire vers le digital. Il faut s’adapter aux nouvelles technologies »

Des nouvelles technologies, comme le mobile

Selon une étude révélée en début d’année par Frost & Sullivan sur les tendance d’usage du mobile en Afrique subsaharienne, le taux de pénétration mobile devrait atteindre 79% en 2020.   « Le mobile a permis un bond en avant sur notre façon de communiquer avec les consommateurs. La technologie permet de réduire l’écart entre le milieu urbain et le milieu rural. C’est aussi un outil puissant pour entendre les voix des plus pauvres. Il a même transformer notre manière de communiquer entre pays. L’époque ici est à l’effacement des frontières », affirme celle qui a participé au développement du groupe international de publicité dans quatorze pays africains.

Malgré le regard optimiste qu’elle porte sur l’état actuel du marché publicitaire africain, Nunu Ntshingila demeure lucide sur le chemin qu’il reste à parcourir. Il existe des disparités notamment entre le Maghreb, l’Afrique du Sud et le reste de l’Afrique subsaharienne. Un rapport de l’Alliance For Affordable Internet (L’Alliance pour un internet abordable) montre que les pays d’Afrique francophone sont d’autant plus touchés par les coûts élevés du haut-débit. « En Afrique, ce qui va déterminer l’évolution de la publicité, c’est le coût du haut-débit », déclare-t-elle. Ce coût compte parmi les nombreux obstacles auxquels la future directrice de Facebook devra faire face pour développer le réseau social sur le continent africain dès le mois de septembre.

Interviewé réalisé par Ndeye Diobaye pour l'Afrique des Idées

Comment moderniser l’agriculture africaine ?

agroforesterie-kenya_lightboxEn 2100, l’Afrique devrait compter plus de quatre milliards d’habitants. Une forte pression démographique qui représente autant un défi qu’une opportunité pour les paysans du continent. Il y aura bien sûr de nombreuses bouches à nourrir, mais aussi un marché intérieur en pleine expansion, qui pourra profiter aux agriculteurs s’ils parviennent à moderniser leurs exploitations, avec l’appui de politiques agricoles plus ambitieuses.

On aurait tort de présenter l’agriculture africaine sous le seul angle de l’insécurité alimentaire, comme un secteur souffreteux, incapable de répondre aux besoins du continent. “Les exploitations familiales, qui sont les plus répandues sur le continent, se caractérisent surtout par leur grand hétérogénéité”, témoigne ainsi Jean-Luc François, responsable de la division agriculture et développement rural à l’Agence française de développement (AFD). “Certes il peut y avoir de petites parcelles vivrières faiblement productives et parfois en voie d’appauvrissement, mais il y a aussi de nombreuses success stories, que ce soit dans les exploitations hyper-productives de cacao, d’hévéa ou de coton destinés à l’exportation, ou dans des PME très dynamiques, tournées vers le marché domestique”.

Sur les pages de L’Afrique des Idées, René Ngiriye, un jeune exploitant sénégalais, avait par exemple livré un témoignage passionnant sur un projet entrepreneurial réussi, avec d’un côté une production de tomate destinée aux consommateurs locaux, et de l’autre du melon pour l’exportation.

Tout l’enjeu est ainsi de favoriser le développement de véritables opérateurs économiques agricoles structurés et tournés vers une demande intérieure qui ne cesse de croître. Car faute de mécanisation, les exploitations sont souvent trop petites, de un à deux hectares en moyenne. Et l’agriculture, qui reste le principal employeur du continent, et fait vivre parfois de 60 à 80 % de la population d’un pays, ne parvient toujours pas à faire face à la demande de certains produits comme le riz, le lait ou les oléagineux. Avec l’exemple emblématique des Sénégalais, qui consomment plus d’un million de tonnes de riz chaque année, tandis que la production locale dépasse à peine les 200 mille tonnes.

S’unir pour avoir accès au crédit

La modernisation agricole passe d’abord par le développement de capacités d’investissement, souvent trop faibles, voire inexistantes. L’accès au crédit reste extrêmement difficile pour un paysan africain moyen, qui dans la plupart des cas a peu de fonds propres. Rares sont les banques, structures de micro-crédit comprises, à s’aventurer dans un secteur soumis aux aléas climatiques et dont les taux de rentabilité sont somme toute assez réduits. Il ne faudra pas non plus compter sur un système de subvention ou de financement public direct dans des États qui restent fragiles économiquement.

C’est donc avant tout du privé, que peuvent venir les capacités d’investissement. Et des paysans eux-mêmes, s’ils parviennent à se structurer pour atteindre une taille critique, et négocier collectivement l’achat d’intrants, de machines ou un accès au crédit à des taux non prohibitifs. Les exemples réussis de coopératives sont déjà nombreux sur le continent. Citons Faso Jigi (« Espoir du peuple » en Bambara) au Mali, qui rassemble près de 5 000 producteurs de riz, de sorgho, de mil ou d’échalotes, notamment des femmes, et les fait bénéficier d’accès au crédit et aux équipements.

À une échelle plus large, le développement agricole passe aussi par la structuration en filières interprofessionnelles, à l’image de l’organisation réussie de la filière céréalière en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso, où les groupements, syndicats et fédérations agricoles rassemblés pèsent davantage auprès des pouvoirs publics, et peuvent pratiquer le plaidoyer, au niveau national comme sous-régional.

Outre le soutien au crédit, les agriculteurs devraient aussi bénéficier beaucoup plus largement de systèmes de micro-assurances sur leurs productions et leurs élevages. Des expériences pilotes ont déjà été menées en Afrique de l’Ouest, mais elles restent pour le moment marginales. De telles assurances peuvent pourtant protéger efficacement les agriculteurs des aléas climatiques, notamment des grandes sécheresses sahéliennes, en modélisant les risques grâce au suivi satellite de leurs exploitations, et les effets de la météo sur les rendements.

« L’une des difficultés est enfin l’accès au foncier de jeunes paysans au capital restreint », complète Jean-Luc François, en charge de la division agriculture à l’AFD.“Il faut développer plus largement les systèmes de fermage ou de métayage, qui permettent aux jeunes de se lancer sans être directement propriétaire. Il faut leur donner l’envie de s’installer”, conclut-il en employant une formule, “les trois “F” du jeune agriculteur : “formation, financement et foncier”.

Offrir un environnement favorable

Car faute de moyens pour soutenir durablement leur agriculture, les États africains doivent au moins tenter d’offrir un environnement favorable à leurs paysans. Il y a d’une part les infrastructures et les équipements de base, eau, électricité, et routes, pour éviter l’enclavement des régions agricoles. Il y a aussi l’indispensable formation agricole. Ces dernières années, le Cameroun s’est par exemple lancé dans une politique agricole plus audacieuse saluée par les experts. Tout en soutenant les projets d’équipements des communes rurales, les autorités ont renouvelé considérablement l’offre de formation agricole, avec le soutien des bailleurs internationaux.

Depuis 2007, le programme d’Appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et des pêches (AFOP) a permis de réorganiser en profondeur les formations et de les mettre en adéquation avec les besoins du secteur agricole grâce au système de l’alternance. Certes il manque encore des ressources financières et du personnel pour que l’AFOP fonctionne à plein régime, ou des garanties pour assurer sa pérennité, mais les premiers bilans sont très positifs.

Autre outil de la politique agricole, celui des taxations aux frontières au bénéfice de la production locale. Un levier nécessaire mais délicat à employer. Les taxes doivent malgré tout rester raisonnables, pour éviter de faire trop grimper les prix au détriment du consommateur, et elles doivent être harmonisées avec les pays voisins, pour être véritablement efficaces.

Les TIC et le développement agricole

Dernière piste, prometteuse, celle de l’utilisation croissante des nouvelles technologies au service du développement agricole. L’Afrique des Idées a déjà consacré un article à ce sujet. Avec de simple téléphones portables (et pas nécessairement des smartphones), les agriculteurs peuvent avoir accès à des informations qui leur manquaient jusqu’ici sur les marchés, les cours, et la demande en temps réel. Ce type de solution se développe dans des pays comme le Ghana notamment. Et elles sont amenées à évoluer à mesure que les paysans seront équipés et connectés. Ils pourront ainsi mieux gérer leurs commandes et leurs productions, et se prémunir là encore des risques climatiques.

Reste enfin l’argent sonnant et trébuchant que sont censés investir les États africains dans leur politique agricole. En 2003, lors du sommet de Maputo, ils s’étaient engagés sur une échéance de cinq ans, à consacrer 10% de leurs budgets nationaux au secteur agricole chaque année. Plus de dix ans après, les résultats sont très disparates. Seuls sept pays africains (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Malawi et Éthiopie) ont respecté leurs promesses, regrettent les ONG comme Oxfam, qui avait rassemblé en 2013 plusieurs artistes pour interpeller leurs gouvernements avec cette question: “où sont passés nos dix pourcents ?”.

Adrien de Calan

Le devoir de résilience des banques transfrontalières africaines

VISUAL_ECOLa décennie en cours a vu le continent africain émettre des sons retentissant avec une aberrante insistance, dans les oreilles averties, intéressées ou juste égarées. Les tonalités qu’ont pu distinguer les uns, ne font guère penser au murmure du bébé sapiens sapiens dans un imaginaire berceau. Ce ne sont pas non plus des gargouillements de ventres affamés qu’ont pu reconnaitre les autres, mais bien des échos d’une explosion de chiffres connus des économistes. Le constat est sans appel : l’Afrique a répondu au rendez-vous de la croissance. Les indicateurs ont explosé et empruntent une tendance remarquablement haussière dans l’horizon visible. Le défi actuel est de renforcer cette croissance sur le long terme. Pour cela, s’impose un intérêt songeur pour l’environnement bancaire du continent.

S’il demeure un secret pour certains que le secteur privé est au cœur de la croissance africaine ; il s’agit sans doute d’un secret de polichinelle. Pour soutenir leurs croissances interne et externe, les entreprises africaines comme toute autre organisation à but lucratif, ont besoin de sérieuses ressources. Apparaissent au sommet de la pyramide de leurs besoins en ressources, les capitaux financiers. Au-delà des capitaux propres actionnariaux, les dettes financières viennent en support considérable. C’est alors que les organismes bancaires sont appelés à financer le secteur privé.

La santé économique de ces organismes bancaires devient donc cruciale pour les économies africaines. En effet, un déclin du secteur bancaire affecterait l’équilibre financier du secteur privé et poserait ainsi les bases d’une chute aussi rapide que brutale de la croissance.

Cet article vise à mettre en exergue la criticité du risque bancaire et à souligner l’importance voir l’urgence pour le secteur bancaire africain en forte expansion, de déployer les outils nécessaires à la relève de ses nombreux défis pour maîtriser ces risques.

1. La petite histoire du secteur bancaire africain

La sphère bancaire en Afrique a connu plusieurs phases. Ses prémices remontent aux années coloniales qui ont vu s’implanter des banques occidentales principalement commerciales qui, soutenaient les entreprises étrangères implantées sur le continent. Sur le fond d’accords de non-concurrence entre les anciennes métropoles, il existait une domination des banques françaises dans les colonies françaises, celle des banques portugaises dans les colonies portugaises et une importante présence des banques britanniques dans les colonies anglaises. Mais les Etats nouvellement indépendants au début des années 1960, vont très vite dénoncer les pratiques de ces banques étrangères dont les stratégies furent jugées inopportunes pour répondre aux besoins des nations avides de développement et aux aspirations des populations locales. C’est alors qu’une vague de banques africaines virent le jour, dans une tendance plutôt keynésienne où l’Etat pesait aussi lourd dans l’environnement économique que dans le capital des banques.

Seulement, en 1980 le continent n’échappa pas aux effets de la crise économique. Lesquels effets furent renforcés par l’échec des politiques interventionnistes. Les organismes bancaires, majoritairement nationaux, connurent alors de grandes secousses qui mirent sérieusement en cause leur stabilité. Seules les banques éthiopiennes, kenyanes et zimbabwéennes, qui avaient ouvert leur capital aux investisseurs privés ou bénéficiaient de meilleures gestions, avaient pu maintenir un certain équilibre.

Le processus de libéralisation du marché qui s’est timidement enclenché dans la deuxième moitié des années 1980, pour davantage s’affirmer dans les années 2000, a déclenché le renouveau du secteur bancaire africain. Alors que les banques étrangères, vieilles, voyaient leurs parts de marché décliner progressivement ; les banques africaines n’ont cessé de croître en capital et en surface. L’industrie bancaire africaine connaît désormais une expansion pour le moins rapide. Les dernières années ont été le témoin du développement spectaculaire des banques transfrontalières. Ecobank qui a été créé en 1985 au Togo, pour pallier l’absence de banques africaines non étatique dans la région ouest-africaine, est aujourd’hui présent dans 36 pays du continent. Le graphique ci-après donne un aperçu de l’évolution de la position géographique des principales banques transfrontalières.

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Source : – International Monetary Fund (2015). Pan-African Banks :Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight.

Le secteur bancaire africain connaît une forte expansion, visible dans la prolifération et le développement géographique des banques transfrontalières. Cette situation constitue une opportunité réelle pour les économies africaines. Elle porte en elle le soupçon de l’intégration africaine. Cependant, à la lumière de la crise financière de 2008 et dont la diffusion à l’économie réelle a été assurée par les banques ; l’importance des banques transfrontalières est aussi porteuse de risques qu’il conviendrait de contenir afin de ne pas fragiliser les perspectives socio-économiques du continent.

2. L’histoire bancaire contemporaine : entre expansions, crises et régulation

L’environnement bancaire et financier international a été récemment remis en cause, avec la crise de 2008. Cette crise a d’abord été immobilière, ensuite bancaire puis, rapidement économique, en raison de l’importance systémique des banques transfrontalières.

a. Focus  sur la crise de 2008

Des courtiers américains, non soumis à la règlementation bancaire, ont accordé des prêts immobiliers à des particuliers insolvables appelés « ninja : no income, no job, no assets ». Ces courtiers considéraient la prise spéculative de valeur des biens ou leur revente comme une garantie suffisante. Les emprunteurs sans ressources suffisantes, étant hors de tout registre normal de marché ; ces crédits étaient frappés de fortes marges d’où l’appellation « subprimes ». Seulement, en 2006 un effondrement confirmé du marché immobilier conduit à une vague de défauts de paiement et à des retards d’échéances pour des crédits hypothécaires « subprimes ». Or les banques dans leur majorité avaient eu recours aux services de ces courtiers, pour contourner la règlementation et alléger leurs actifs des éléments consommateurs de fonds propres. Des banques d’investissement de taille avaient investi dans des « subprimes ».  Par voie de conséquence, la crise immobilière intoxique l’environnement bancaire. En juin 2007, la banque d’investissement Bear Stearns annonce la chute de la valeur de deux de ses fonds qui ont investi dans des « subprimes ». Dans la même période, la banque allemande IKB se déclare en grandes difficultés. Quelques mois plus tard, la banque française BNP Paribas et la société de gestion Oddo annoncent le gel des souscriptions et rachats sur des fonds exposés aux « subprimes ». D’autres banques internationales comme Citigroup et UBS passent des provisions sur leurs engagements « subprimes ». Les produits « toxiques » n’étaient pas qu’à Wall Street. Ils étaient éparpillés dans le monde entier.

Le 15 septembre 2008, La banque d’investissement Merrill Lynch a été reprise de justesse par Bank of America et la 4ème banque d’investissement américaine Lehman Brothers, alors vieille de 158 ans et comptant 26000 collaborateurs dans le monde, se déclara en faillite. Cette banque pourtant considérée comme « Too big to fail » c’est- à- dire, trop critique de par sa taille et son poids, pour ne pas être sauvée, n’a pas été secourue par la réserve fédérale américaine. Celle-ci donnait un signal : aucune banque n’est à l’abri de la faillite.

Bear Stearns dont la valorisation boursière frôlait la dérision a été rachetée, pour un prix pour le moins symbolique, par JP Morgan. Cette dernière et Morgan Stanley prendront le statut de banque commerciale, sonnant ainsi la fin des banques d’investissement aux Etats-Unis.

La faillite de Lehman Brothers a accentué la crise bancaire. En effet, le manque de transparence et la difficulté de localisation de la contrepartie des 85 milliards de titres toxiques du géant disparu, a créé une défiance au sein du secteur et un assèchement de liquidité. Au plus fort de la crise, les Etats essentiellement par le biais des banques centrales, venaient au secours aux banques, en acceptant de racheter leurs produits toxiques et en injectant de la liquidité. Certaines banques au bord de la faillite sont nationalisées. Les conséquences sur l’économie réelle furent immédiates en raison notamment de la diminution des lignes de crédit et du refuge des agents économiques dans des matières premières jugées moins risquées comme le pétrole et les produits agricoles. Le prix du baril de pétrole grimpa, la confiance des ménages prit un coup et la consommation ralentit. Le secteur automobile est atteint : trois mois après l’effondrement de Chrisler, General Motors faisait faillite en 2009. L’Etat français vola à la rescousse de PSA et Renault pour éviter le pire. Les entreprises devaient revoir leurs stratégies financière et sociale pour survivre.

Nul doute que cette crise en est pour beaucoup dans la crise de la dette souveraine européenne.

b. Les réactions : renforcement des dispositifs de contrôle des banques

En matière de régulation du système bancaire mondiale, c’est le comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (CBCB) qui a la légitimité internationale. Sa charte donne un aperçu de son organisation et de ses activités.  Elle a considéré que la gravité de la récente crise est due au développement d’un effet de levier excessif, à la dégradation du niveau et de la qualité des fonds propres et à l’insuffisance des volants de liquidité. L’effet de massue (inversion de l’effet de levier) et l’interdépendance des établissements financiers d’importance systémique dans le cadre d’un grand nombre de transactions complexes, ont amplifié la situation. Pour la CBCB, il devenait aussi impératif qu’urgent de renforcer les dispositifs de contrôle et de supervision des activités bancaires afin d’assurer la résilience à court et à long terme des banques en générale et de celles transfrontalières en particulier. Le comité prend alors des mesures qui visent la solidité des systèmes de gouvernance et de gestion des risques puis, la transparence et la communication financière. L’ensemble de ces mesures a été publié en décembre 2010 sous le dispositif Bâle 3. Celle- ci complète le cadre règlementaire posé par les précédents dispositifs. Le premier, Bâle 1 instaurait le ratio dit « Cooke » de 8% du poids des fonds propres. L’essentiel des dispositifs suivants, Bâle 2 et Bâle 2,5 peut se résumer comme suit :

  • Bâle 2 diffusé en 2004, pour une mise en application dès la fin 2006 apportait des améliorations à la mesure du risque de crédit et intégrait le risque opérationnel. Il repose sur trois piliers : les exigences minimales de fonds propres (1er pilier), un processus de surveillance prudentielle (2e pilier) et la discipline de marché (3e pilier).
  • Bâle 2,5 approuvé en juillet 2009, pour une mise en application au 31 décembre 2011, a renforcé la mesure des risques liés aux titrisations et aux expositions du portefeuille de négociation.

Le dispositif Bâle 3 a été mis en application à compter du 1er janvier 2013 et ses exigences prendront pleinement effet au 1er janvier 2019 (Cf. Calendrier de mise en œuvre de Bâle 3). Il a pour principaux objectifs (Cf. Tableau synthétique des mesures de Bâle 3) :

  • le renforcement du dispositif mondial des fonds propres par l’amélioration de la qualité, de l’homogénéité et de la transparence des fonds propres ; l’extension de la couverture des risques ; la mise en place d’un ratio de levier; la réduction de la pro-cyclicité et ; la gestion du risque systémique et de l’interdépendance des établissements.
  • l’instauration de normes mondiales de liquidité par la mise en place d’un ratio de liquidité à court terme (LCR : Liquidity Corverage Ratio) ; d’un ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR : Net Stable Funding Ratio) et d’outils de suivi.

La crise économique de 2008 a montré que les banques transfrontalières, peu importe leur taille, ne sont pas à l’abri de la faillite, sous les effets de crises qu’elles peuvent déclencher, favoriser ou faire propager. Le Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire a pleinement conscience de cela et réagit sans délai, en renforçant le contrôle et la supervision bancaire. En témoigne la mise en application récente du dispositif Bâle 3.

3. Les défis du secteur bancaire africain

Si le continent africain n’a pas trainé des séquelles de la crise de 2008, elle ne peut l’ignorer et devrait s’en approprier les enseignements. Le manque d’expérience ou la relative jeunesse du secteur bancaire africain ne seraient point des excuses. Le bon sens voudrait d’une Afrique qui prenne le train de la tendance bancaire mondiale en marche.

Le secteur bancaire africain qui se veut aussi prospère que résilient doit œuvrer pour :

  • une gouvernance transparente et responsable ;
  • de robustes systèmes de contrôle interne et de gestion des risques ;
  • un système d’information et de communication transparent et uniforme.

La supervision bancaire transfrontalière apparaît alors plus comme une exigence, qu’une option.

a. L’Afrique s’inscrit- elle dans la dynamique mondiale de la normalisation financière et de la régulation bancaire ? Ou en est- elle dans l’application des normes IFRS et des dispositifs Bâle ?

Le tableau suivant donne des éléments de réponse.

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Source : International Monetary Fund (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight. CBCB (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework. http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx

On peut noter que la majorité des Etats ont adopté ou prévoit d’adopter les normes IFRS. Toutefois, on ne saurait en dire autant des dispositifs du CBCB. Seule l’Afrique du Sud, unique pays africain dont la juridiction est présente au CBCB, est très avancée dans l’application des dispositifs Bâlois. A jour du calendrier d’adoption des mesures de Bâle 3, la South African Reserve Bank apparaît comme un bon élève de la classe des 28 membres du comité, comme le montre le rapport sur la mise en œuvre du cadre règlementaire de Bâle publié en Avril 2015.

b. Quelle posture s’impose aux banques transfrontalières africaines ?

La présente analyse n’est pas une plaidoirie pour un alignement systématique des banques transfrontalières africaines, sur le cadre international, par l’adoption automatique des dispositifs du CBCB en général et de Bâle 3 en particulier. Les mesures bâloises sont des exigences minimum d’application facultative pour ses membres et tout autre organisme bancaire. Il revient à l’Afrique bancaire d’en faire une source d’inspiration ou un usage réfléchi. Une théorie de la solution « prêt-à-transposer » ou du remède unique sans considération de l’environnement et du projet africain, ne serait qu’utopie. Le but premier est d’attirer l’attention sur les défis de cette Afrique bancaire qui n’a pas droit à la complaisance car sa résistance au choc est essentielle pour sa propre pérennité et vitale pour l’Afrique « émergente ».

Il urge que place soit faite à la réflexion pour imager le secteur bancaire africain qui allie expansion, prise de risques mesurés et stabilité. L’Afrique doit définir le plus rapidement, des outils de résilience bancaire adéquats, au regard du son environnement juridique, comptable, financier, du niveau actuel et visé d’intégration et des objectifs stratégiques bancaires.

Delphine Anglo

Références :

  • International Monetary Fund, (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight
  • The World Bank, (2014), Making Cross-Border Banking Work for Africa
  • CBCB, (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework
  • CBCB, (2014), Bâle III : Ratio structurel de liquidité à long terme
  • CBCB, (2013), Bâle III : Ratio de liquidité à court terme et outils de suivi du risque de liquidité
  • CBCB, (2010), Bâle III : dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires
  • Banques transfrontalières africaines, Rapports annuels 2014
  • Sites internet des Banques transfrontalières africaines
  • http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx
  • https://www.bis.org/bcbs/index.htm?m=3%7C14

Les stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP) ont-elles été efficaces ?

img-8Depuis les années 2000, plusieurs pays africains se sont engagés dans des stratégies, initiées par la Banque Mondiale et étendues plus tard aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), pour lutter contre la pauvreté. Ces stratégies, consignées dans ce qui est communément appelé « Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté » (DSRP), s’appuient sur le dogme selon lequel la croissance suffit à réduire la pauvreté. Elles mettent donc l’accent sur l’accélération de la croissance et identifient des mesures à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres.

Discutant de l’efficacité de ces programmes, avec l’avènement des OMD, les institutions de Brettons Woods, FMI notamment, indiquaient que ces stratégies constituent une rupture par rapport aux autres programmes de développement existants et offraient un pool de mesures qui devraient sans doute permettre de résorber la pauvreté. Alors que les OMD ont atteint leur point d’achèvement et que les données sont disponibles, il est loisible de se demander si ces stratégies ont porté les fruits escomptés. Une tentative de réponse est fournie par Daouda Sembene[i] qui analyse l’impact des DSRP sur la croissance, les inégalités et la pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne. Son analyse compare les pays ayant adopté les DSRP à ceux qui ne l'ont pas adopté.

De son analyse, il ressort que si la mise en œuvre des DSRP a permis une réduction significative de la pauvreté ailleurs dans le monde, dans les pays d’Afrique subsaharienne qui l’ont adopté (32 au total), il demeure difficile d'identifier son impact sur la pauvreté et les inégalités. En effet, le rythme de progression de la pauvreté est quasi-similaire dans tous les pays de la région, qu'ils aient adopté ou pas les DSRP. La bonne nouvelle est que les DSRP ont permis aux pays qui l'ont adopté d’être plus performants et plus résilients par rapport aux chocs économiques. Par exemple, les pays-DSRP enregistraient des taux de croissance bien plus stables et substantiels depuis la mise en place des DSRP (2.13% en moyenne en 1990-1999 contre 5.12% entre 2000 et 2012). Au contraire, les économies n'ayant pas adopté les DSRP ont connu des performances plus erratiques (de 7,1% en moyenne entre 1990-1990 à 5,3% entre 2000 et 2012). De plus, la crise financière et économique de 2008 a eu moins d'impact sur les pays-DSRP que sur les non-DSRP : croissance moyenne de -1,9% en 2009 pour les non-DRSP; alors que les pays DSRP affichaient une croissance moyenne de 4%. 

Au sens des DSRP, seule l’action publique peut permettre de générer une croissance durable, source de réduction de la pauvreté. Les actions à mettre en œuvre dans le cadre des DSRP dans les pays d’Afrique subsaharienne concernés étaient donc pro-croissance. Elles concernaient notamment les infrastructures et le capital humain (santé et éducation), la diversification et le développement du secteur privé mais aussi certains aspects transversaux comme la promotion de la bonne gouvernance et le développement rural. Pour que la croissance générée par le biais de ces mesures puissent réduire la pauvreté et les inégalités, il fallait donc renforcer les canaux de redistribution. Les DSRP prévoyaient, à cet effet, d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, à l’emploi ou aux activités génératrices de revenus. Les transferts de fonds (conditionnels ou inconditionnels) et l’accès prioritaire des pauvres aux emplois publics constituaient en outre des piliers fondamentaux de ces documents de stratégies. 

L’échec de ces stratégies à réduire la pauvreté et les inégalités tient surtout à la stratégie de redistribution adoptée. Par exemple, les programmes de transferts sociaux ne sont généralement pas conditionnés à des résultats à atteindre de la part du ménage récipiendaire en matière de santé et d'éducation des enfants. Selon des travaux de Kakwani et al. (2005)[1], dans près de 15 pays d’Afrique subsaharienne, les programmes de transfert mis en place étaient conditionnés par l’inscription et la fréquentation régulière de l’école et les montants concernés n’était pas suffisant pour sortir les bénéficiaires de leur situation de pauvreté. Une autre forme de redistribution est la mise en place de subvention (soit dans le secteur de l’agriculture, de l’énergie, de l’alimentation ou de l’énergie). Il s’agit de loin de la forme de redistribution la plus pratiquée sur le continent ; chaque pays Africain dispose de subventions dans l’un ou plusieurs de ces secteurs : le Nigéria et le Ghana  par exemple ont mis en place des subventions pour les secteurs agricole et énergétique. D’autres sont plus concentrés sur le secteur agricole (Tanzanie) ou énergétique (Niger, Sénégal, Mali). Ces subventions censées bénéficier aux plus pauvres et qui mobilisent une part non négligeable des ressources budgétaires, ne produisent pas réellement les effets escomptés[2]. Elles profitent davantage aux plus riches, qui consomment une part importante des produits et services subventionnés.

Somme toute, la mise en œuvre des DRSP a notamment permis d'améliorer la gouvernance économique dans les pays qui l’ont adopté, se traduisant par une embellie de leurs performances économiques et une forte résilience aux chocs exogènes. En matière de pauvreté et d’inégalités, ces stratégies ont été moins performantes. Un échec qui serait lié à la stratégie de conception des DSRP. De fait, si dans leur conception, les DSRP offrent les conditions pour la réduction de la pauvreté avec un focus sur la croissance, leur mise en œuvre est rendue difficile par la capacité institutionnelle des pays à identifier avec précisions les cibles de ces politiques. Les politiques visant à réduire la pauvreté et les inégalités devraient davantage s’appuyer sur les réalités locales mais aussi intégrer des mesures visant à une appropriation par les autorités locales, afin de définir des politiques de redistribution plus adaptées au contexte local et dont la mise en œuvre serait plus en lien avec les compétences et les capacités institutionnelles du pays. C’est une démarche que les pays tentent déjà d’adopter dans le cadre de leurs propres programmes de développement qui sont ensuite soumis à leurs partenaires, pour financement. Les programmes régionaux, ou ceux initiés par des institutions internationales, devraient donc subir, suivant chaque pays, la même refonte pour renforcer davantage les mécanismes de redistribution.

Foly Ananou


[1] Kakwani, Nanak, Fábio V. Soares, and Hyun H. Son (2005). Conditional Cash Transfers in African Countries. UNPD International Poverty Centre, Working Paper n° 9, Brasilia.

[2] Lire Faut-il supprimer les subventions à l’énergie en Afrique ? pour le cas de l’énergie.

Création de la monnaie unique de la CEDEAO : entre fantasmes et réalités

CEDEAOLongtemps évoqué dans les débats publics, le projet de création de la monnaie unique de la  CEDEAO semble se préciser de plus en plus. Après avoir dressé les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de cet ambitieux projet, cet article lance une réflexion sur les conditions à réunir pour la construction d’une solide zone monétaire ouest africaine à même de booster le développement de la région.

1. La monnaie unique de la CEDEAO : un vieux projet qui peine à se concrétiser

Dès la création de l’institution en 1975, l’idée de la mise en place d’une monnaie unique était déjà inscrite dans la vision des pères fondateurs de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest)[1]. Les premières véritables initiatives n’ont été prises qu’à partir de 1996 avec la création de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO). Regroupant les huit banques centrales de la CEDEAO (la BCEAO et les sept banques centrales des pays non membres de la zone franc d’Afrique de l’ouest), l’AMAO qui avait pour mission de piloter la conception et la mise en œuvre opérationnelle de l’ambitieux projet est malheureusement restée inactive pendant les trois premières années suivant sa création. Dans ce contexte, réaffirmant  fermement leur volonté de doter l’Afrique de l’Ouest d’une monnaie unique, les Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO réunis à Lomé en 1999 ont défini une stratégie dite « approche accélérée de l’intégration » qui vise justement à donner un coup d’accélérateur à ce projet qui commençait à s’enliser. Avec l’adoption de cette nouvelle stratégie, la feuille de route de la création de la monnaie CEDEAO prévoyait deux grandes étapes. Dans un premier temps, les pays non membres[2] de la « zone franc » doivent créer une zone monétaire unique qui fusionnera par la suite avec la zone UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine)[3] déjà existante. Ainsi, en 2000, cinq pays (Gambie, Ghana, Guinée, Nigéria, Sierra Leone) non membres de l’UMOA ont défini les bases d’un projet de zone monétaire commune dénommée ZMAO (Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest). Depuis cette date, malgré l’appui apporté par les institutions sous-régionales, ce projet n’a pas connu d’avancée majeure. Face à cet immobilisme, et compte tenu du fait que l’avènement de la zone monétaire unique CEDEAO est subordonné à la mise en place de la ZMAO, le conseil des ministres de la CEDEAO réuni en cession extraordinaire à Abidjan en septembre 2013 a exhorté les cinq pays concernés à prendre les dispositions nécessaires en vue de déployer leur projet avant la fin de l’année 2015. En dépit de cette pression supplémentaire, le projet semble encore en gestation à cinq mois de l’échéance fixée ; ce qui amène certains observateurs à proposer de créer la monnaie unique de la CEDEAO sans passer par l’étape intermédiaire de la ZMAO qui alourdit finalement le processus. En tout état de cause, au regard des balbutiements qu’a connu cette initiative depuis son lancement au milieu des années 1990, il est difficile à ce jour d’affirmer que le calendrier initial qui était d’aboutir à la mise en circulation de la monnaie unique de la CEDEAO à l’horizon 2020 sera respecté.

2. D’importants défis restent encore à relever avant le lancement du projet

Le rappel historique présenté dans le paragraphe précédent montre bien que les pays membres de la CEDEAO ont du mal à observer une discipline minimale pour décliner opérationnellement le projet de création de la zone monétaire. Au delà de ces difficultés administratives et techniques qui plombent le démarrage du projet, d’importants défis stratégiques et politiques préalables à la mise en œuvre réussie d’une zone monétaire n’ont jusqu’à présent pas été sérieusement traités, laissant ainsi de nombreuses questions fondamentales sans réponses concrètes dont les plus importantes sont présenté ci-dessous.

  • Un contexte socio-économique peu favorable au succès d’une monnaie commune : à quelques années seulement de la date buttoir prévue pour le lancement de la monnaie, une analyse rapide du contexte économique et social de la région permet de s’apercevoir que les conditions minimales pour le succès d’une zone monétaire restent à construire. En effet, presqu’aucun des quatre critères[4] d’une zone monétaire optimale définis par le prix Nobel d’économie Robert Mundell, ne semble rempli au sein de la CEDEAO. Dans ce contexte, la communauté a défini un ensemble de critères de convergences[5] à respecter par les Etats membres avant la mise en place de la monnaie unique. Ces critères essentiellement composés d’objectifs économiques, que les pays ont d’ailleurs du mal à respecter, devraient être renforcés par des indicateurs sociaux afin d’aboutir à une zone monétaire plus optimale (voir cet article de Georges).
  • La suppression de la zone franc, une question en suspens : la création de la zone monétaire de la CEDEAO implique la disparition du Francs CFA, une monnaie que se partagent des anciennes colonies de la France depuis plus de 70 ans sous le contrôle de la métropole. Au regard du rôle important que joue la zone francs dans sa stratégie de conquête des économies africaines, il est évident que la France opposera une farouche résistance quand il sera question de supprimer cette monnaie. Et paradoxalement, bien qu’étant conscients de cette réalité, les pays membres de l’UMOA restent inactifs et ne se sont  visiblement pas encore décidés à mettre en place une feuille de route claire pour une sortie réussie du système du FCFA.
  • Aucune visibilité sur le régime de change envisagé : Enfin,mais pas des moindres, alors que la CEDEAO semble impatiente de mettre en circulation sa future monnaie unique, la question fondamentale du régime de change (fixe, flottant ou mixte) n’est pas encore clairement tranchée.

3. Le rationnel de la création de la zone monétaire devrait être guidé par la « raison » plutôt que la « passion »

Que la CEDEAO exprime un vif intérêt pour une monnaie régionale au moment où la zone Euro affiche un bilan mitigé près de quinze ans après le lancement de sa monnaie commune (l’Euro) est une bien curieuse coïncidence qui suscite réflexion. Quelles sont alors les motivations d’une telle initiative et que peut-elle apporter à la région ? De fait, au delà d’une simple expression des velléités souverainistes et révolutionnaires, pour qu’elle soit porteuse de synergies positives, la décision de  création de la zone monétaire doit avant tout être fondée par une volonté d’accélérer et d’améliorer l’intégration économique de la sous-région. En effet, les revendications de souveraineté bien qu’étant nobles, relèvent du politique et donc de l’émotionnel, ce qui peut parfois conduire à la déraison. Ainsi, le projet de création de la monnaie unique doit être considéré comme un processus normal de l’intégration des peuples d’Afrique de l’Ouest et non pas un quelconque défi lancé à des puissances étrangères. Cela suppose de traiter la question avec toute la rigueur qui s’impose en abordant avec minutie et intelligence l’ensemble des défis techniques et stratégiques préalables au succès de toute zone monétaire. C’est uniquement à ce prix que l’avènement de la zone monétaire de la CEDEAO pourrait catalyser le développement des pays membres en produisant des avantages tels que  l’accroissement du commerce intra-régional, la réduction des coûts de transaction, la maitrise de l’inflation, la protection contre la dévaluation etc.

En définitive, si elle parvient à surmonter les obstacles se dressant sur le chemin de la mise en place de sa monnaie unique, la CEDEAO qui reste d’ailleurs un modèle d’intégration réussi en Afrique notamment avec son passeport unique garantissant une libre circulation des personnes, marquera un grand pas dans le processus d’émergence de ses pays membres. Toutefois, pour éviter un effet de massue, il est important de dépassionner les débats en mettant l’accent sur les aspects économiques de sorte à pouvoir construire sereinement une zone monétaire solide reposant sur des fondamentaux inébranlables.

Lagassane Ouattara


[1] La CEDEAO comprend 15 pays : Nigéria, Ghana, Sierra Leone, Guinée, Libéria, Cap Vert, Gambie, Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Mali, Togo, Benin, Guinée Bissau

[2] Les pays ouest africain non membres de la zone francs (Nigéria, Ghana, Siera Leone, Guinée, Libéria, Cap Vert, Gambie) possèdent chacun une monnaie, soit un total de 7 différentes monnaies.

[3] L’UMOA (Union et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest) est une organisation sous-régionale qui regroupent huit pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Mali, Togo, Benin, Guinée Bissau) de l’Afrique de l’Ouest ayant en commun une monnaie dénommée « Francs CFA » héritée de la colonisation française. Cette monnaie est gérée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)

[4] Les critères d’une zone monétaire optimale selon Robert Mundell : une parfaite mobilité des travailleurs, un mouvement libre des flux de capitaux, une économie suffisamment diversifiée et un système fiscale commun facilitant le transfert des capitaux d’un pays à un autre

[5] Les 4 principaux critères de convergences de la CEDEAO : Equilibre budgétaire/PIB >= -4% ; taux d’inflation<=5% ; Réserves brutes >=6 mois ; Financement du déficit budgétaire par la Banque centrale par rapport aux recettes fiscales de l’année précédente <=10%

L’internet des objets : quel intérêt pour l’Afrique ?

 

jirayaLes noix de coco sont assez édifiantes de par leur forme. En effet une fois les couches supérieures retirées avec plus ou moins de difficultés, l’on peut enfin profiter du fruit du combat. Internet, c’est un peu la même chose, une fois que l’on a réussi à l’apprivoiser, il peut nous livrer toutes ses merveilles. L’une d’entre elle, est ce qui est aujourd'hui dénommé "l’internet des objets". L’internet des objets c’est l’ensemble des services autour de matériels physiques connectés au web. Pourquoi l’Afrique devrait elle s’intéresser à l’internet des objets à l’heure où l’approvisionnement en eau et en électricité restent encore pour le moins problématique. Selon l’entreprise Cisco, l’Afrique a 500 milliards de bonnes raisons de se pencher sur la question dans les 10 prochaines années. De nombreuses possiblités sont aujourd'hui offertes par l'internet des objets, dont certaines d'entre elles pourront permettre au continet d'accélérer son développement socio-économique. Il serait, par exemple, inadéquat d’affronter les braconniers avec des montres connectées telles que la smartwatch mais avec des dispositifs de localisation connectés implémentés sur les  espèces rares, il serait plus aisé de lutter contre le braconnage à grande échelle. Avec des drones les foyers de braconniers seraient repérés avant même qu’ils s’en rendent compte. Selon le dernier rapport publié par DHL et Cisco concernant les tendances sur l'Internet des Objets (IdO), le marché global est estimé à  1,9 milliards de dollars en terme d’opportunités. Le rapport estime que 50 milliards d’appareils seront connectés à Internet d’ici 2020 contre 15 milliards aujourd’hui. L’ensemble pour une valeur de 8 000 milliards de dollars. Un marché, sur lequel les pays africains pourraient se positionner en tant qu'acteurs. 

L’Afrique est aujourd’hui au cœur des conflits d’intérêts qu’ils soient d’ordre économique, géopolitique et même technologique. L’internet des objets en tant que tendance naissante pourrait devenir une niche parmi tant d’autre comme l’agriculture ou les énergies renouvelables sur laquelle l’Afrique s’appuiera dans le but de gagner en puissance sur la balance des échanges internationaux. En Afrique subsaharienne, le marché est relativement vierge, et les coûts de production d’un même produit ou service sont souvent 10 fois inférieurs à ceux pratiqués dans les pays OCDE. Les entrepreneurs africains devraient se pencher sur la question et créer aux quatre coins du continent des projets dans ce sens. Les applications concevables dans le cadre de l’internet des objets sont littéralement infinies. En effet, il suffit d’un zeste de créativité pour imaginer des solutions inédites.

En Afrique, seul  MTN (Afrique du Sud) dispose d'une plateforme dédiée à l’internet des objets. L’ébullition autour de l’internet des objets est telle que des groupes américains comme Microsoft et Google ont décidé de créer des programmes de  développeurs entièrement consacrés à ce mouvement. Avec des micro-processeurs connectés il est désormais possible de surveiller le rythme cardiaque de patients afin de détecter des problèmes d’hypertension. En Angleterre, les drones sont utilisés comme soutien médical pour couvrir de larges distances en peu de temps et fournir les premiers soins à des blessés. Dans le contexte africain où il y a parfois 2 médecins pour 10 000 habitants selon l’OMS contre 32 pour 10 000 en Europe, cette solution pourrait constituer une opportunité à explorer. En Espagne, des agences de voyage utilisent  les drones pour produire des images inédites de Barcelone et ainsi promouvoir le tourisme local. Au Gabon, l’internet des objets a fait ses preuves lors de la construction d’infrastructures et a permis d'effectuer une cartographie. En effet, la compagnie Perenco a utilisé des drones au Gabon pour cartographier les zones pétrolières. Les drones sont  utilisés partout ailleurs pour faire des mesures topographiques et évaluer les risques lors de la construction d’infrastructures. Peu d’entreprises africaines sont sur ce segment, ce qui crée une dépendance auprès de prestataires de services étrangers et par conséquent un problème de souveraineté étatique. McKinsey estime que les applications de l’internet des objets auront un impact sur l’économie mondiale de l’ordre de 3,9 à 11 mil milliards par an dès 2025. A son apogée, cette influence représenterait 11% de l’économie planétaire. L'Afrique se doit de tirer partie de ce nouveau marché, au lieu de se positionner comme consomateur ; la technologie n'étant plus une contrainte, surtout dans le domaine du numérique. 

L’internet des objets constitue, cependant, une menace sérieuse en terme de cyber sécurité. En effet la plupart des dispositifs connectés sont conçus pour être facilement déployés et accessibles par des usagers qui sont certes technophiles mais peu informés sur les risques en jeu. Des serrures connectées à des applications mobiles sont déjà déployées pour simplifier l’accès au domicile. Cependant,  aucune précision n’est donnée sur les risques encourus si un hacker mal intentionné s’attaque au système et pénètre dans une résidence privée. Les constructeurs de matériel connectés légers ont pour objectif de faire du chiffre avec des économies d’échelle. Dans cette lancée, ils réduisent au maximum les coûts de recherche et développement. Pour extrapoler une fois que la connexion a pu être établie entre le dispositif « A » et « Internet », le matériel est mis sur le marché. Les mêmes mots de passe et noms d’utilisateurs sont répliqués à la chaine, par conséquent à un moment ils finissent par être connus des hackers. La question de la sécurité et des failles devient accessoire là où elle devrait être prioritaire.

Les caméras connectées sont si peu sécurisées dans le monde qu’il existe un moteur de recherche qui permet de trouver en un clignement des yeux des millions de caméras connectées dans des organisations autant privées que publiques. Des sites internet partagent déjà en temps réel des images qui viennent de caméras de domiciles privés en toute impunité. Les drones même s’ils peuvent réduire les coûts de la cartographie peuvent aussi être utilisés à mauvais escient par des personnes mal intentionnées pour préparer des opérations dangereuses ou même survoler des espaces aériens sensibles sans autorisations préalables. Cette faille offre aussi une opportunité pour les entrepreneurs du secteur des TIC, qui pourraient se focaliser sur le développement de procédés de sécurisation. Aussi,  il devient impératif pour les pays africains d’envisager une législation en matière d’internet des objets pour protéger leur population des excès que peut introduire ce phénomène, ceci même si l’Afrique n’est pas encore un grand consommateur. L’Afrique ne doit pas devenir une éponge à tendances technologiques. Le Big Data et l’internet des objets sont certes des avancées notables qui peuvent contribuer au développement du continent  mais l’un comme l’autre, sans mesures de cybersécurité, ne feront qu’exposer à des menaces grandissantes à la fois les données et les vies des usagers. L’innovation doit s’adapter au contexte dans lequel elle souhaite s’épanouir. L’Afrique est une terre rougie par le climat et le sang des enfants surexploitées dans les mines de Coltan au Congo au nom de progrès technologiques dans des pays étrangers, l’internet des objets pourrait changer la donne et rendre l’Afrique aux africains.

Somme toute l’internet des objets apparait comme un piste parmi tant d’autres pour combler le fossé technologique mais aussi économique entre l’Afrique et les pays dits développés. Au fil des années les pays africains commencent à adopter les technologies  et les mouvements novateurs déployées au quatre coins du monde en temps réel. On parle de FabLab au Togo, de DIY ( Do it yourself) au Sénégal, de Big Data au Kenya et désormais de l’Internet des objets en Afrique du Sud. Ceci dit ces  tendances doivent être contextualisés et prendre en compte les réalités locales propres à chaque pays d’Afrique. L’enjeu de l’Internet des objets en Afrique comme partout ailleurs n’est  donc plus celui de son utilité mais de la sécurité des données qu’il exploite. Le flux constant d’innovations venant du continent  africain annonce un avenir optimiste pour les TIC. D’ici peu, peut-être verront nous le ciel d’Afrique couvert de drones « Made in Africa ».

William Elong

Quelle contribution des PPP à l’amélioration de la fourniture des services publics en Afrique : cas du Bénin

12052_Water_pumpingtif_050eb760e9Perçus comme une réponse possible aux défis techniques et budgétaires que représentent les projets d’infrastructure pour les autorités publiques, tant dans les pays développés qu’au sein des économies en développement, les partenariats public-privé[1] (PPPs) ont généré un regain d’intérêt depuis la crise économique et financière de 2008. Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest incluant le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda et le Sénégal ont mis en place des partenariats public-privé pour répondre au besoin d’améliorer l’approvisionnement en eau des zones rurales, avec divers degrés de succès. De fait, en dépit de l’attrait budgétaire et financier qu’ils représentent pour les gouvernements, les partenariats public-privé ne sont pas une panacée : la seule recherche d’apports alternatifs pour combler le manque de financements nécessaires à investir dans le développement ou la réhabilitation d’infrastructures publiques ne justifie pas la structuration de projets sous la forme de PPP.

Le projet de réhabilitation et d’extension des systèmes d’approvisionnement en eau des communes rurales béninoises développé à partir de 2010 sous la forme de petites concessions administrées de façon indépendante par quatre municipalités locales en partenariat avec des opérateurs privés est un exemple de PPP financièrement viable, mis en place dans un contexte adéquat et structuré de manière à assurer une exécution efficace du projet sur le long terme. Le présent article vise à identifier les facteurs clef de succès ayant contribué à la réussite de l’expérience Béninoise, dans une optique d’adaptation et d’expansion de tels schémas au sein d’autres communautés rurales. 

Le projet de réhabilitation et d’extension des systèmes d’approvisionnement en eau des communes rurales béninoises fut conçu par IFC et la Banque Mondiale en partenariat avec le gouvernement, en vue d’assurer le financement partiel, la réhabilitation, l’extension et la gestion opérationnelle par le secteur privé de dix systèmes hydrauliques préexistants, desservant 41,000 habitants au sein de trois municipalités. Les dix sites pilotes furent groupés en quatre concessions indépendamment administrées par chaque municipalité et leurs contreparties privées, suite à la signature des contrats de PPP en 2014. Il est intéressant de relever que la gestion des systèmes hydrauliques des communes rurales concernées était déjà assurée par des opérateurs privés à l’époque ou le projet fut conçu : la décision de structurer le projet sous la forme de PPP visait à remédier à la faible performance des opérateurs privés sélectionnés dans le cadre des contrats d’affermage préexistant. D’une part, la création de nouveaux contrats a permis de mettre au défi les entreprises jusqu’alors en charge de la gestion des dix systèmes hydrauliques pilotes et de sélectionner de manière compétitive et transparente  les opérateurs privés les plus compétents. Le processus de sélection fut supervisé à la fois par des experts locaux et internationaux incluant IFC et le programme d’assainissement des eaux de la Banque Mondiale. D’autre part, l’élaboration de contrats de PPP a permis d’allonger à huit ans les dispositions signées entre les secteurs public et privé, invitant les entreprises répondant à l’appel d’offre à planifier l’élaboration et le management durable des infrastructures hydrauliques pilotes, au détriment des stratégies agressives de limitation des couts  parfois observées dans le cadre des contrats d’affermage court terme.

La répartition des risques entre le gouvernement, les municipalités et les opérateurs privés fut en outre révisée à la faveur d’approches économiquement plus rationnelles, où chaque risque fut affecté à l’acteur en mesure d’y répondre à cout inférieur aux autres parties prenantes. Tant la capacité des opérateurs privés à respecter leurs obligations contractuelles, que le niveau d’engagement gouvernemental s’en virent renforcés. Les autorités publiques acquirent notamment une meilleure compréhension du niveau de soutien au secteur privé requis afin de garantir la réussite du projet, tels que le développement d’instruments de garantie financières visant à attirer les investissements privés  et à encourager les l’engagement des banques commerciales; la mise en place de système de régulation efficaces ; l’amélioration des outils d’information mis à disposition des professionnels ; et la mise en place de systèmes de contrôle de la qualité de l’eau et d’audit de la performance des opérateurs privés.

Enfin, la signature d’accords clairs sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et de services publics entre les municipalités et leurs contreparties privées a permis d’assurer l’exécution efficace des quatre contrats depuis 2014.

Le respect durant la conception du projet de la structure de gouvernance décentralisée des services publics d’approvisionnement en eau au Benin fut un facteur clef de succès : chaque municipalité s’est vue confier la gestion des appels d’offres liés aux concessions dont elles avaient la responsabilité, participant à accroitre la capacité des communautés locales en matière de mise en place et de gestion des contrats de PPP présents et futurs.   

La consultation des parties prenantes tout au long du processus et l’organisation par IFC de formations visant à clarifier la structure des contrats et la répartition des risques entre chaque acteur ont contribué  à renforcer les compétences des parties prenantes et leur appropriation du processus. L’adhésion des communautés locale, indispensable à  l’exécution du projet, fut en outre facilitée par l’exigence contractuelle imposée aux opérateurs privés d’améliorer la qualité et la durabilité des services d’approvisionnement en eau sans accroitre les tarifs imposés aux ménages.

L’assistance technique fournie au gouvernement par IFC et la Banque Mondiale a permis l’élaboration de systèmes de régulation efficaces et d’un cadre contractuel robuste facilitant la gestion du changement toute au long de la durée des quatre concessions.

Le défi de la disponibilité des ressources permettant le financement durable des investissements liés au projet fut enfin relevé grâce á l’assistance financière de la Banque Mondiale et à l’aide bilatérale néerlandaise, dont les apports en capitaux ont en retour accru la confiance des investisseurs privés. La compréhension du profil risque du secteur progressivement acquise par les banques commerciales béninoises a en particulier catalysé leur engagement à soutenir le secteur par le biais de dettes, de placements en actions  et d’autres instruments financiers mis à disposition des concessionnaires.

Le succès de l’expérience béninoise illustre dans quel cadre la mise en place de partenariats public-privé en zone rurale peut servir d’alternative aux schémas d’auto-administration des systèmes hydrauliques par les communes, et aux contrats d’affermage engageant les opérateurs privés. 

L’optimisation des ressources liées aux services d’approvisionnement en eau est mise en évidence par les gains d’efficacité économique et technique générés par le projet, et l’engagement accru des acteurs public et privés dans leur mission commune de service public. Des services efficaces d’approvisionnement en eau sont à présent délivrés aux communautés rurales au même cout qu’autrefois et l’extension des dix systèmes hydrauliques pilotes a permis d’élargir le nombre de ménages bénéficiant de ces services et de fait, les revenus fiscaux liés aux services d’assainissement des eaux.

La gestion simultanée de quatre concessions en des locations différentes permettra au gouvernement béninois de comparer la performance des opérateurs en charge de chaque système pilote et d’identifier des leçons claires permettant d’informer les décisions futures concernant la réplication des schémas de PPP à travers d’autres secteurs et d’autres régions.

Ainsi que le démontre l’expérience béninoise, les partenariats public-privé peuvent participer à améliorer la qualité et la durabilité des services publics lorsqu’ils permettent d’introduire les degrés d’expertise et d’innovation nécessaires à accroitre l’efficacité opérationnelle associée à la conception, la livraison et la maintenance d’infrastructures et de services publiques. Les PPP peuvent également aider les opérateurs  privés à optimiser leur propre efficacité opérationnelle, en participant à répartir de manière plus efficace les risques partagés avec le secteur public. La structure des PPP permet enfin une répartition plus claire, transparente et de long terme des responsabilités de chaque partie, scellée par un accord clair sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et de services publics.

Alix Landais


[1] Les PPPs consistent en des accords de moyen à long terme entre les secteurs public et privé par le biais desquels certains services relevant de la responsabilité du secteur public sont administrés par le secteur privé. De tels schémas sont particulièrement appliqués dans les secteurs des technologies propres, de l’énergie et de l’électricité, de la gestion des déchets, de la télécommunication et des technologies de l’information et de la communication (TIC), des transports, et de l’assainissement des eaux.

Que savons-nous de l’agroforesterie ?

agroforesterie-kenya_lightboxEconomie verte… Sommée d’écrire sur cette notion peu familière, j’appelle à la rescousse un expert en la matière, Dominique Herman[1]. Nous décidons de parler des palmiers à huile, culture source de forts dégâts écologiques et présente en Afrique de l’ouest et centrale Ses yeux brillent, mon stylo s’agite tandis que l’agroforesterie entre en scène.

L’agroforesterie, quèsaco ? Voici la recette : au sein d’une exploitation agricole, plantez de vrais arbres, entendez des arbres d’ombrage, ne requérant aucun pesticide et attrayant toute une flore multicolore. Vous obtiendrez un joli mélange bigarré, entre fruits agricoles et arche de Noé. La monoculture cède la place à la biodiversité et le stock de carbone émis est contenu[2]. En bonus parfois, la diminution des risques de maladies, notamment autour des caféiers.  Ainsi, alors que la plantation de palmiers engendre beaucoup de déforestation, l’agroforesterie contribuerait-elle à sauver les forêts africaines ?

Minute papillon : l’agroforesterie n’est pas un super héros. Elle vise à réintégrer les arbres et la biodiversité dans un paysage dominé par la monoculture ou du moins des cultures moins boisées. Ce système agricole se décline en différentes actions et s’articule autour d’acteurs variés. Tour d’horizon. L’histoire commence avec le programme onusien REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation) s’attaquant à la déforestation. L’initiative, lancée en 2005, vise à inciter les gouvernements de pays tropicaux en développement à financer la conservation de leurs forêts. Le processus commence par dresser un inventaire forestier à l’aide d’une carte carbone pour estimer les risques futurs de déforestation. Ensuite, il s’agit de mettre en place des mesures politiques contre la déforestation et les problèmes indirects liés à la déforestation (en particulier le travail des enfants dans les plantations de cacao). Or, les deux étapes sont floues : l’approche d’identification est multifactorielle : quel scenario choisir ? Les mesures anti déforestation sont trop indéfinies pour être suivies, entre diminution des expansions agricoles, lutte contre le déboisement, sensibilisation aux enjeux environnementaux, etc. Sans compter que ces problématiques sont le cadet des soucis des gouvernements ciblés, souvent grevés par la pauvreté et la corruption. Bref, le bilan est morose, ce qui invite d’autres acteurs à se saisir du problème. Des ONG, des associations et des bureaux d’études prennent alors en charge des projets spécifiques et sur une petite surface dite prioritaire. Ils jouent le rôle délaissé par les Etats précédemment. Leur posture d’agent extérieur et leur maitrise du sujet accroit l’impact de leur intervention. Celle-ci se décline en distribution de fours à basse consommation et de promotion de l’agroforesterie et non plus de cultures itinérantes et extensives telles que l’abattis brulis. Un marché nait de ce nouveau système financé par les crédits carbones (CC). En démontrant un écart entre un taux d’émission de CO2 avec et sans leur action, ces acteurs obtiennent un financement en CC. Aujourd’hui les deux modèles s’affrontent, se critiquant mutuellement : le modèle global et régalien avec REDD +, basé sur un fonds vert mondial est dit trop général et dispendieux par ses détracteurs. Le système de projets menés par une myriade d’acteurs, voit son financement par CC vivement critiqué suite à de nombreux scandales (les carbones cowboys) et sa nébuleuse de certifications (VCS, Plan Vivo, CCB, etc.).   

Néanmoins, certains pays tirent leur épingle du jeu en mettant en place des systèmes efficients contre la déforestation. L’astuce a été de trouver un arrangement : le paiement pour service environnemental (PSE). Ainsi, au Costa Rica, le gouvernement s’est engagé avec succès à payer les utilisateurs de zones forestières en échange du respect de certains critères de protection et la Côte d'Ivoire est sur le point d’adopter des mesures PSE pour le parc Taï dont la grande biodiversité est à préserver. Le principe est de compenser les coûts d’opportunité liés à l’implantation d’arbres à la place/avec des surfaces agricoles. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces mesures, les risques restent forts : certains bénéficiaires peuvent accepter les paiements tant que la perte en coût d’opportunité reste faible (quand les arbres sont encore petits) mais qu’ils les coupent lorsque ces arbres grandissent et qu’une partie des rendements est effectivement perdue ou que la peur de les perdre, en vertu d’un scepticisme très ancré dans l’agroforesterie du cacao, l’emporte. Toutefois, ces coûts peuvent également être nuls, bien au contraire : les récipiendaires gagnant alors de loin au change. Le fonds Moringa Fund a investi ce marché en réhabilitant des zones de culture avec un système agro-forestier. Dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest, jusqu’à 75% de la récolte totale de produits ligneux et non ligneux proviennent des parcs agro-forestiers, produits sources de revenus pour les communautés locales. Cependant, si un intérêt croissant pour les PSE est porté à l’Afrique, la majorité des PSE ont jusqu’à présent été instaurés en Amérique latine, en Europe et en Asie. Les PSE requièrent non seulement des agents privés mais également des structures publiques solides et un engagement des autorités fort pour assurer leur efficacité.

Pour conclure ce panorama, focus sur l’action d’une multinationale dans la lutte contre la déforestation. Un bref retour historique s’impose : suite aux critiques sur les effets polluants et contraires aux droits de l’homme que sa production engendre, l’huile de palme a fait l’objet d’un accord en 2004, le Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Porté par Unilever et WWF, le RSPO est un système de label applicable à l’huile de palme. Néanmoins, cette norme reste floue quant aux enjeux de la déforestation (sur le drainage des tourbières par exemple),  et de son impact sur les populations. De nombreuses ONG la critiquent et entament de vives critiques contre les multinationales qui l’utilisent. Nestlé subit les foudres de Greenpeace (Cf. campagne Kit Kat killer) en vertu de sa position de leader sur le marché. Cette confrontation fait place à un accord constructif entre la multinationale et l’ONG, facilité par le directeur de The Forest Trust (TFT), Scott Poynton. Nestlé s’engage alors à assurer la traçabilité de son approvisionnement d’huile de palme selon des critères d’approvisionnement responsables (les RSG) : l’enjeu est sauvegarder les forêts secondaires et de veiller au consentement libre et informé  au préalable des populations (CLIP). Au Liberia, l’entreprise GVL qui fait partie du groupe Indonésien Sinar Mas (du sous-groupe Golden Agri Ressources) a transformé ses pratiques suite aux campagnes de Greenpeace et la pression de Nestlé. Si GVL n’exporte pas, étant encore en phase de plantation, son huile n’est pas à ce stade intégrée dans les chaines d’approvisionnement de Nestlé. Le géant agroalimentaire veille en revanche très attentivement à ce que ses principaux fournisseurs d’huile de palme, principalement en Indonésie et Malaisie (80-90% de la production mondiale), revoient ainsi leur copie grâce à un travail d’évaluation et de traçabilité sur toute la chaine d’approvisionnement, jusqu’à la plantation. Les ONG enclenchent alors la phase finale de leur bataille : taper sur les fournisseurs de Nestlé, en premier lieu Sinar Mas, dont la marge de manœuvre est déterminée par ce dernier. Si le fournisseur refuse d’obéir aux règles de planification d’usage des terres, Nestlé menace de clore le marché. Ainsi, Nestlé et d’autres acteurs ont arrêté de se fournir auprès de Sinar Mas (Golden Agri) lors de la campagne médiatique lancée contre eux. Mélange des fins – préserver sa réputation et respecter les principes environnementaux – les moyens sont assez lourds pour modifier les comportements. L’ONG TFT, acteur hybride entre ONG et bureau d’études, très actif en Afrique (en Côte d'Ivoire et au Liberia en particulier), travaille avec plusieurs entreprises agro-industrielles de l’huile de palme (www.tft-earth.org). L’ONG a ainsi développé la méthodologie High carbon stock forests (HCS), qui distingue les zones à la végétation dégradée des forêts secondaires à préserver.  

Tandis que l’huile de palme est toujours autant plébiscitée (cosmétiques, agro alimentation et agro-carburants), les forêts rétrécissent. Néanmoins, clouer au pilori l’huile de palme est vrai et acceptable à condition que les aspects environnementaux et sociaux mentionnés plus haut ne soient pas pris en compte. D’une part, des huiles propres existent, tout un chacun peut se renseigner notamment via des comparatifs sur internet. Le travail d’organisations comme le TFT est justement d’accompagner les acteurs liés à l’huile de palme à faire preuve de transparence et à ne pas avoir honte de transformer positivement leur chaine d’approvisionnement. D’autre part, la morgue des consommateurs occidentaux pour cette huile n’empêchera pas la dynamique exponentielle de l’huile de palme (dont la production est jusqu’à dix fois supérieure à l’hectare que ses concurrentes[3]), tirée par la hausse de la population africaine et de la demande asiatique.  

Pauline Deschryver


[1] Dominique Herman est ingénieur forestier tropical de formation (AgroParisTech – Engref). Il travail pour le TFT en tant que chef de projet, en Afrique de l’ouest (Côte d’Ivoire, Libéria et surtout Nigéria).

 

[2] Pour plus d’informations, visitez le site www.agroforesterie.fr

 

[3] Pour produire autant d'huile que 1 hectare de palmiers, il faut 6 hectares de colza, 8 de tournesol ou 10 de soja

 

Il faut réinventer les relations économiques France-Afrique

francafrique-cartesL’Afrique connaît une croissance économique sans précédent. Cette évolution a de nombreuses conséquences, et modifie profondément les besoins de partenariats des pays concernés. Avec le développement de la présence d’acteurs tels que la Chine, dont l'approche est beaucoup plus « business » que « diplomatique », cette situation peut présenter le risque d’une marginalisation de la France, à moins que nous mettions rapidement en place les moyens d'une relation économique rénovée. 

 

1. L’Afrique connaît  une croissance économique sans précédent

De 2000 à 2008 l’Afrique a connu un taux de croissance historique, avec près de 5 % en moyenne, soit trois fois plus que la France.

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Source : Banque Mondiale

Derrière cette tendance macroéconomique se cachent des évolutions qui remettent en cause de nombreuses idées reçues sur l’Afrique. Ainsi :

  • le Rwanda figure dans les premières places du classement « Doing Business » de la Banque Mondiale, qui évalue les efforts réalisés en faveur de la création d’entreprise. Bien loin de l'image laissée par le génocide, ce pays connaît actuellement une croissance record – plus de 11% pour 2013-2017 ;
  • suivant l’exemple de l’Inde, des pays comme le Maroc ont développé une industrie d’exportation de services notamment informatiques, créant des milliers d’emplois qualifiés et attirant des multinationales de premier plan ;
  • au Kenya, 23 % de la population utilise désormais un système de paiement par téléphone mobile par lequel transite l’équivalent de 11 % du produit intérieur brut de ce pays, et qui fait figure de modèle mondial ;
  • la croissance de l’Afrique sur les années récentes, loin d’être concentrée sur l’exportation de matières premières ou sur l’industrie de base, fait apparaître un fort développement des services hôteliers, financiers ou de communication.

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Source : Global Insight, African Development Bank, Arab Monetary Fund, McKinsey Global Institue

2. Ce décollage modifie profondément les modes de développement de ces pays

En conséquence, le développement économique de ces pays emprunte de nouvelles voies :

  • les investissements privés sur des projets rentables, qui représentaient des flux marginaux jusqu’au début des années 90, dépassent désormais très largement les flux de l’aide publique au développement ;
  • les besoins d’accompagnement des pays concernés évoluent : alors que l’accès au financement représentait le principal besoin il y a 20 ans, ce n’est plus le cas pour beaucoup de pays, courtisés notamment par des pays tels que la Chine (qui a annoncé fin 2009 un montant de prêts de 10 milliards d’euros à l’Afrique). Cette dernière qui engage avec ces pays des discussions d’égal à égal jugée par plusieurs de leurs interlocuteurs comme étant beaucoup plus « business » ;
  • les pays concernés ont des besoins d’accompagnement qui évoluent. En effet, le besoin d’accompagnement peut se rapprocher du type d’accompagnement utilisé par les pays plus développés – comme par exemple la refonte du système informatique de gestion des demandeurs d’emploi  En outre, un Etat souverain pourra difficilement confier un projet de refonte de sa stratégie économique à une agence d’un pays pouvant être l’un de ses concurrents. 

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Source : World Bank Development Indicators, McKinsey Global Institure

3. Cette situation offre des opportunités, sous réserve de nous y adapter

Cette situation est nouvelle, et probablement appelée à durer. Elle ne remet pas en cause l’intérêt des missions des agences de développement, qui restent  pertinentes et ont tissé des relations de qualité dans de nombreux pays. En revanche, cette situation fait apparaître un besoin croissant d’autres outils et d'une relation renovée entre la France et les pays d'Afrique, adaptés à l’accélération du développement d’une partie des pays concernés, davantage basée sur l'idée d'une croissance « endogène » :  ces pays ne nous attendent pas pour croître, mais ils cherchent des partenaires économiques sérieux

Pour ne donner que quelques exemples :

  • le développement économique d’une partie de ces pays, bien qu’élevé, est souvent encore insuffisant pour permettre la réduction du chômage, qui constitue l’une des causes premières des flux migratoires. Or des pays tels que le Maroc, le Kenya ou les Philippines ont créé des dizaines de milliers d’emplois en mettant en œuvre, d’une façon unilatérale, des programmes de développement économique qu'ils conçoivent seuls. La France pourrait contribuer à ces travaux – non dans une logique « d'aide au développement », car ces pays ne demandent pas d'aide – mais par le biais de réseaux d'experts ou d'initiatives telles que celles initiées pa l'Union pour la Méditerrannée ;
  • ces pays ont souvent besoin de compétences (informaticiens qualifiés, cadres expérimentés, dirigeants capable de prendre la tête d’une filiale de groupe étranger), et pourraient mobiliser davantage leurs expatriés, et amplifier les capacités de leurs systèmes de formation. Ainsi, certains pays d'Afrique ne produisent que quelques centaines d'ingénieurs par an, alors que la croissance de leur secteur pétrolier en demande des dizaines de milliers. Ainsi une agence de développement des talents[1], notamment chargée de faciliter l’attraction des talents ou le retour des talents expatriés, a-t-elle été créée à Singapour, et de tels projets sont actuellement en cours d’étude dans d’autre pays. Là encore, on pourrait imaginer un programme de basé sur l’identification précise des talents nécessaires au développement économique, et la mise en place des moyens permettant  de les attirer ; 
  • pour les travailleurs moins qualifiés, le marché du travail ou le système de formation et d’accompagnement des demandeurs d’emploi de ces pays fonctionne souvent d’une façon très imparfaite. Par exemple, alors que la France affiche un ratio d’un peu plus de 50 demandeurs d’emploi par agent de pôle emploi, et que le Royaume Uni présente un ratio deux fois moindre, on compte en Tunisie 400 demandeurs par agent de l’ANETI, ce qui exclut toute possibilité d’accompagnement ! A l’inverse l’Inde ou le Maroc ont créé des milliers d’emplois en mettant en place des formations « à la demande » ciblées pour garantir aux multinationales des emplois adaptés à leurs critères de sélection et assurer une réduction rapide du chômage. Pour soutenir la croissance, un effort particulier sur l'efficacité du secteur de la formation et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi est nécessaire ; 
  • le développement économique français pourrait enfin bénéficier du décollage des pays d’Afrique, en développant les partenariats économiques, notamment avec les pays francophones.  Ce modèle, proche de celui réalisé par l’Allemagne avec les pays de l’Est, ou des Etats-Unis avec l’Inde.  Le succès de l'industrie logicielle américaine tient en partie à ce partenariat qui, en Inde, a créé un secteur informatique de plus d'un million d'emplois. La francophonie offre à la France un atout économique considérable, offert par le partage d'une même langue, malheureusement sous utilisé.

4. Pour une relation franco-africaine rénovée

Le partenariat entre la France et l'Afrique occupe une place croissante dans les discours et l'agenda médiatique. Dans les chiffres, cependant, ce partenariat n’a pas encore pris la dimension qu’elle mérite. Cette situation entraîne trois risques :

  • un risque économique, celui de priver progressivement la France d'un partenariat économique avec un continent avec lequel elle dispose pourtant d’une relation historique forte et d'un atout unique : une communauté linguistique sans équivalent dans le monde ;
  • un risque géostratégique, celui de laisser des pays tels que la Chine se positionner en « interlocuteurs business », et concentrer l’action de la France sur l’aide au développement « classique » ;
  • un risque politique, celui que, faute de montrer et de rappeler aux Français que l'Afrique est avant tout une promesse bien plus qu'une menace, les flux migratoires et le repli sur soi prennent dans le débat politique la place que devraient prendre le développement économique.

Or la relance de toute relation nécessite plusieurs préalables :

  • faire table rase d'une partie du passé. Il existe encore des mots ou des symboles du passé qui peuvent blesser. Il faut les exprimer afin de tourner définitivement la page ;
  • inscrire cette relation dans la durée. Comme tous les projets de long terme qui ont traversé les alternances (France 2025, Grand Emprunt,..) cette initiative doit être inscrite dans le durée : être transpartisane, s'appuyer sur des institutions fortes (il n'existe par en matière de relations France-Afrique l'équivalent de l'Union pour la Méditerranée) et des projets concrets ;
  • prendre conscience des opportunités futures, et de ce que les partenaires peuvent s'apporter dans une relation d'égal à égal. Paradoxalement, les études sur ce thème sont relativement rares. Alors que les tentations protectionnistes ou racistes s'expriment sans tabous, le potentiel de l'Afrique pour la France mériterait d'être davantage analysé, et porté dans le débat public ;
  • mettre en place dans la durée un dialogue de fond et de confiance. L'Afrique n'est pas un pays, c'est un continent – avec encore plus de variété qu'on peut en trouver entre un chypriote, un belge et un finlandais. Ses enjeux sont multiples, varient d'un pays à l'autre et au cours du temps. De même, les enjeux de la France dans le cadre de cette relation ne peuvent se limiter à une vision «autocentrée» (trouver des marchés supplémentaires pour ses entreprises) – ils doivent également être basé sur une écoute des besoins de nos partenaires, et porter sur les façons de renforcer la relation économique dans le long terme, et de contribuer à l'accélération de leur croissance.

Vincent Champain
Economiste et coprésident de l'Observatoire du Long Terme (http://longterme.org)

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[1]           La Workforce Development Agency

 

Coût du crédit en UEMOA : une explication par la transmission monétaire

1000179_blogspot-quels-futurs-pour-la-politique-monetaire-et-la-croissance-economique-94771-1Les entreprises des pays membres de l’UEMOA sont majoritairement des PME, PMI ayant très peu accès aux marchés financiers pour le financement de leurs activités économiques[1]. De ce fait, une alternative de financement pour ces entreprises est le recours au crédit bancaire. Pourtant on constate une importance structurelle des conditions d’accès au crédit et notamment des taux d’intérêts élevés. Le taux d'intérêt directeur de la BCEAO qui représente le taux auquel les banques se refinancent auprès de la banque centrale est passé de 4,5% en 2005 à 3,5% en 2013, tandis que le taux d'intérêt débiteur moyen des banques de l'UEMOA qui est le loyer du crédit bancaire pour les ménages et les entreprises est lui passé de 7,5% à 7,56% sur la même période. Globalement, les baisses du taux directeur n'ifluencerait pas les taux débiteur au sein de l'UEMOA. A la suite de Ouattara (29 mai 2015), cet article explique les raisons de l’importance du coût du crédit bancaire en zone UEMOA. Pour ce faire, la transmission monétaire c’est-à-dire les mécanismes par lesquels les décisions de politique monétaire agissent sur le niveau de l’activité économique et les prix et ses obstacles sont particulièrement explorés. Quelques  propositions sont effectuées en vue d'une amélioration de la situation.

L’analyse des évolutions des deux taux d’intérêts procure des résultats surprenants. Une bonne transmission monétaire suppose que les deux taux doivent évoluer dans le même sens. Si le taux auquel les banques se refinancent baisse, on devrait observer aussi une baisse du taux auquel elles prêtent aux agents économiques. Ce dernier taux de prêt appelé taux débiteur est fixé sur la base du taux de refinancement, des anticipations d’inflation de la banque et de sa marge bénéficiaire attendue. Pourtant, entre 2006 et 2007, alors que le taux directeur est passé de 4.5% à 4.75% ; le taux débiteur s'est accru de 7.8% à 7.62% sur la même période. De même entre 2008 et 2009, une baisse du taux directeur de 6.75% à 6.25% était suivie du taux débiteur 7.87% à 8.27%. Les années 2007-2008 ont été marquées par une crise amorcée aux Etats-Unis. Tous les pays du monde, y compris ceux de la zone UEMOA ont été touchés par cette crise. L’élément déclencheur de la crise était les pertes en capital des banques dues au défaut de leurs emprunteurs. La conséquence immédiate a été la rareté du crédit et la hausse du taux débiteur. Toutefois, en réponse à cette crise les banques centrales ont toutes adoptées des politiques visant à injecter massivement de la liquidité dans l’économie via les banques. C’est, entre autres, la raison pour laquelle l’on peut constater une baisse du taux directeur de la BCEAO à partir de 2009. En dépit de cette baisse tendancielle du taux de refinancement, l’on observe tout de même une évolution curieuse du taux débiteur entre 2009 et 2011. En réalité, en marge des effets de cette crise mondiale, la transmission monétaire a des spécificités en zone UEMOA que nous abordons à présent à travers les principaux canaux de la transmission monétaire.

Une politique monétaire expansionniste, soit l’ensemble des mesures prises par les autorités monétaires (injection de liquidité, baisse des taux d’intérêt, effets d’annonce, …) a pour objectif de relancer l'activité économique, en facilitant l’accès au capital. Ceci peut intervenir à travers plusieurs mécanismes :

  • le canal du taux d’intérêt : ces mesures peuvent entrainer une baisse des taux d’intérêts réels, et par voie de conséquence favoriser l’investissement et donc la production. Ce canal connaît des dysfonctionnements en sein de l’UEMOA du fait de la structure de financement des économies de cette zone.  En effet, selon des rapports de la Commission de l’UEMOA et de la Banque de France, le financement marchand et l’apport extérieur constituent les sources majoritaires des principales activités économiques que sont le commerce et l’agriculture du fait de l’importance du secteur. Le rôle primordial que devrait jouer le financement intermédié n’est donc pas assuré. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces économies sont très vulnérables aux chocs exogènes qui contribuent à réduire le volume de financement principal (marchand et extérieur). En effet, une crise financière internationale peut entraîner la réduction du financement extérieur. De même, une mauvaise pluviométrie, par exemple, réduira le volume de financement marchand dans le secteur agricole. 

  • le canal du crédit bancaire : la politique monétaire expansionniste permet d’une part aux banques commerciales d’avoir accès à la liquidité plus facilement. D’autre part, les banques commerciales améliorent les conditions de rémunération des dépôts afin de pouvoir faire face à la croissance des demandes de prêt. Toutes choses conduisant à une hausse de l’offre de liquidité des banques, facilitant ainsi le financement des prêts et par ricochet la hausse de l’investissement et celle de la production. Ce canal prouve que la politique monétaire influence principalement les PME PMI qui dépendent davantage des prêts bancaires. L’importance du secteur informel conduit à une hausse des asymétries d’informations entre les banques commerciales et les détenteurs de projets. Cette situation entraîne une rigidité inouïe des conditions de crédit, en particulier, en matière d’exigence de collatéraux.

  • le canal du bilan : la politique monétaire expansionniste conduit à une hausse des cours des actions du fait de la hausse de la demande car les agents disposent plus facilement de crédit d’investissement. La rationalité de ces agents les conduira à acheter les actions des entreprises les plus performantes, toutes choses conduisant à la réduction des asymétries d’information entre les banques et les entreprises et par suite à la hausse des prêts, des investissements et de la production. Cela renforce la situation nette des entreprises. L’augmentation de la trésorerie des entreprises à la suite d’une politique monétaire expansionniste peut être freinée du fait même de la composition du portefeuille de titres financiers de celles-ci (à prédominance d’actifs étrangers). Le rendement de ces actifs est donc ancré sur des économies étrangères. Ainsi même si les activités des entreprises domestiques sont rentables et qu’à la suite d’une crise financière l’on assiste à une dépréciation de la devise de financement de ces entreprises domestiques, cela entraînera une baisse du niveau de la trésorerie et des investissements ceteris paribus. Une politique monétaire expansionniste aura une influence marginale sur l’activité économique dans la mesure où les titres détenus en monnaie nationale par les entreprises domestiques restent faibles.

Au sein de l’UEMOA, la situation est telle que les actions de la Banque centrale ne pourrait lever les contraintes d’accès au financement bancaire pour les PME/PMI. En marge des efforts effectués par les autorités monétaires, d’autres actions sont à mener afin de permettre aux PME et PMI de la région d’avoir accès à leur principale source de financement. Ceci nécessitera une implication de chaque acteur :

  • Les Etats : pour réduire l’asymétrie d’information entre les banques et autres établissements de crédit et les détenteurs de projet, il faut promouvoir le développement des agences d’information sur le crédit. Pour réduire les risques, il faut améliorer le climat des affaires et le cadre juridique pour faciliter la réalisation des garanties bancaires. La création ou le renforcement des fonds de garantie pour alléger le coût du crédit, avec des conditions particulièrement favorables pour les agents économiques vulnérables (PME, PMI, entreprises individuelles, …) est aussi primordial. En outre, il faudra mettre en place des structures d’encadrement et d’accompagnement des PME, PMI.
  • Les banques : elles doivent indexer l’évolution de leur taux débiteur sur les taux du marché monétaire. Pour renforcer leur crédibilité et attirer plus de clients, elles doivent œuvrer à améliorer la transparence de leurs activités, en particulier en ce qui les conditions de crédit mais aussi promouvoir l’accroissement de l’épargne en créant des comptes d’investissement ciblés par activité pour les agents qui veulent participer à des opérations de financement par le biais de la banque.
  • Les opérateurs économiques : ils doivent développer des projets innovants avec des perspectives de remboursement clairement définies et œuvrer à une gestion efficiente des crédits reçues et à la transparence de leurs activités.

L’importance du coût du crédit bancaire a conduit plusieurs entreprises (PME, PMI, entreprises individuelles) à se détourner des sources de financement traditionnel (bancaire, marchés). Cela contribue fortement à réduire l’efficacité de la politique monétaire. Cette situation mérite l’attention particulière de tous les acteurs (BCEAO, gouvernements, banques, agents économiques) pour une meilleure coordination des politiques économiques. En effet, l’inefficacité d’une politique monétaire centralisée est source de plusieurs difficultés, notamment la hausse de la tentation de free-riding via les politiques budgétaires nationales dont les conséquences peuvent conduire à l’éclatement de l’union monétaire.

                                                                                                                       Daniel Ouedraogo


[1] Banque de France. 2009.

 

 

 

 

 

How can PPPs help deliver better services in Africa? Evidence from Benin

12052_Water_pumpingtif_050eb760e9 Public Private Partnerships can help increase net benefits to society when they improve operators’ efficiency in delivering qualitative and sustainable public services in targeted geographical areas. In most cases, PPPs enable to bring private sector expertise and innovation to public services delivery, such as urban and rural water supply, which used to be managed by public authorities at ministries or municipalities level. PPPs can also help private operators to improve their own performance in delivering public services by engaging government support and enabling cost-effective allocation of risks between public and private parties.

Though common in the urban utility sector in Africa, PPPs were first introduced into the rural water supply sector in the early 2000s as an alternative to the community-based management model, which had fallen short in terms of meeting performance expectations for piped water systems[1]. Over the past decade, many West African countries including Benin, Burkina Faso, Mali, Mauritania, Niger, Rwanda and Senegal, tested PPPs for small piped water schemes with various level of success. The present article identifies key success factors which contributed to the successful Beninese experience, with a view to identify path for adaptation and scaling-up to broader rural areas and other African countries.  

The Small Towns Water Systems project initiated in Benin in 2010 illustrates how to prepare small PPP projects for competitive bidding an how to structure financially sustainable PPP concession arrangements. Under this project, the government of Benin aimed to improve water delivery to rural communities through the partial financing, rehabilitation, extension and operation by the private sector of 10 existing piped water systems covering 41,000 people across the three municipalities.[2] The 10 pilot sites were grouped into four clusters tendered as a separate transaction by each municipality, resulting in four concession agreements signed in 2014.

Interestingly, local rural water systems were already managed by private operators at the time the Small Towns Water Systems project was designed: The decision to structure the project as a PPP was based on revealed poor performance of private operators under existing lease agreement. In other words, the purpose of this PPP project was to leverage private operators’ capacity to improve their own performance in sustainably and qualitatively delivering water services to rural communities, by revising the contract structure binding them to the Government of Benin (GoB).

PPP contractual arrangements introduced a more cost-effective allocation of risks between the GoM, municipal authorities and private operators based on each actor’s ability to manage various risks at a lesser cost than other parties. Not only did risks reallocation make it easier for private sector operators to fulfil their contractual obligations, but it also participated to increase government support and commitment: By being re-transferred the project’s risks that it could manage at a lesser cost than private operators, the GoB acquired a better understanding of the level of support required from its part to ensure successful project delivery. Such responsibilities included (i) the development of risk sharing instruments to facilitate private investment and encourage entry of banks into the water sector – through foreign currency coverage mechanisms and first loss guarantees; (ii) ensuring the ownership of the PPP process by local stakeholders; (iii) establishing an effective regulatory system; (iv) channelling sustainable financing of infrastructure investments; (v) improving information tools and services to professional user; (vi) monitoring of water quality and regular audit of private operators’ performance.

IFC and the World Bank’s understanding of Benin’s decentralized political structure was a key factor contributing to the successful design and implementation of the project. In line with traditional water governance schemes, each municipality was given the responsibility to manage the tendering process for their respective clusters, which participated to build local authorities capacity to implement and manage current and future PPP contracts. The selection of most capable private operators at a national scale through a transparent and competitive bidding process with oversight from both local and international experts from IFC and the World Banks’ Water and Sanitation program (WSP) was a key component of improved water services delivery.

The shift from short-term contracting arrangement to long-term (8-year) PPP concession agreements additionally increased incentives for private operators to design, implement and manage services effectively, with a view to minimize maintenance costs over the duration of the project. This contributed to improved quality of services and improved availability of maintenance services.

Capacity building and ownership of the PPP process by key stakeholders was ensured through consultation and training of potential bidders to give them clear understanding of the proposed structure and sustainable risk allocation. Consumer voice was also reflected in the requirement to improve water services without increasing the price of water.

The international expertise and technical assistance provided by IFC and WSP enabled the GoB to build effective regulation schemes and robust contractual framework, including flexible terms to handle change management over the duration of the four concessions. Detailed contract design gave more clarity to private operators regarding their rights, obligations and the range of activities transferred to them, whilst performance monitoring tools were put in place to ensure water operators compliance with agreed regulations. Improved contracting practices and scheme design rules participated to the development of an enabling PPP environment.

The GoB also addressed the challenge of the availability of financial services and sustainable financing of investments. Financial assistance from the World Bank and the Dutch Cooperation enabled the GoB to demonstrate commitment and actual investments in the project, which in turn improved external investors’ confidence as reflected by local commercial banks commitment to support the water sector through debt, equity and various financing instruments to concessionaires. This resulted in local commercial banks improved understanding of the risk profile of rural water supply and increased commitment to support private operators.

Structuring the Small Towns Water Systems project as a PPP as an alternative to both community-based management and private sector lease agreement models improved services delivery’s Value for Money through efficiency gains and increased interactions between public and private stakeholders. Better quality services are now being delivered to rural communities at the same price than previously required to them. The project’s cost to society hasn’t increased whilst the benefits to society improved through the extension and redesign of existing water schemes resulting in increased households outreach.

The simultaneous management of four separate concessions will enable IFC and the GoB to monitor and compare each operator’s performance and to gather lessons informing future decisions towards the scaling-up of rural water PPP supply schemes across the country and the continent. Shall all four projects prove successful on the long run, the initiative will also increase private operators’ confidence in bidding for similar PPP projects across other sectors, thus increasing the growth of PPP penetration in Benin where national action plans are being implemented to rationalize and accelerate this process.

Alix Landais


[1] A review of progress in seven African countries Public-Private Partnerships For Small Piped Water Schemes, The World Bank Group / Water and Sanitation Program (WSP), 2014

 

 

 

[2] Benin: Piped Water Supply Systems in Rural and Small Towns, Public-Private Partnership Stories, IFC, 2014

 

 

 

Pourquoi des données fiables sont-elles nécessaires dans la lutte contre la pauvreté ?

dataLa réduction de la pauvreté et la question du développement socio-économique constituent des enjeux primordiaux. Si aujourd’hui, on s’oriente vers ce qui s’appelle les ODD, en prolongement des OMD, c’est bien parce que les objectifs prévus dans le cadre de ces OMD n’ont pas été atteints. Et pour cause, les politiques et autres actions menées dans ce cadre n’ont pas eu l’impact escompté du fait du manque de visibilité qu’ont les responsables sur leur cible. Il ne s’agit pas là d’une critique aux OMD, ni d’une remise en cause des efforts qui ont été réalisés dans les différents pays avec la mise en œuvre des OMD – les données disponibles nous montrent assez bien que les conditions de vie ont significativement été améliorées pour de nombreuses populations – mais la persistance de la précarité fait ressortir la question de la pertinence de ces programmes ambitieux. En fait, ces programmes (OMD/ODD) offre un diagnostic pertinent et complet de la situation socio-économique du monde et donnent des directives précises pour améliorer ces conditions. L’obstacle réside surtout dans son implémentation et l’information en est la clé. Cette information est primordiale à double titre : d’une part il permet d’orienter les politiques et les actions et permet d’autre part d’en assurer le suivi. Le défaut de cette information, notamment dans les pays en développement, principaux bénéficiaires des ressources financières au titre de l'aide au développement et de lutte contre la pauvreté, serait donc un obstacle majeur dans l’atteinte des objectifs des ODD. L’Overseas Development Institute (ODI) a publié un rapport sur le sujet pour illustrer la nécessité de disposer de données fiables dans la tentative de lutte contre la pauvreté.

Selon ce rapport de l’ODI, les différentes enquêtes menées pour mesurer l’évolution des conditions de vie (enquête ménage) excluent une frange importante de la population. Ce sont ainsi près de 350 millions de personnes qui ne seraient pas couverts par ces enquêtes. Il s’agirait surtout des personnes vivant dans les bidonvilles, qui sont soit inaccessibles ou qui refusent d’être interviewer craignant que ce soit des manœuvres de déguerpissement, des nomades ou des sans-abris, selon l’économiste de la santé, Carr-Hill. S’ils devraient être intégrés dans ces enquêtes, le taux de pauvreté à l’échelle mondiale pourrait s’accroître de 25%.  Des estimations qui pourraient expliquer le contraste entre les chiffres avancés par les institutions en charge de la production de statistiques et la perception qu’ont les populations.

En outre, des biais importants existeraient dans les données utilisées pour faire le suivi des objectifs des OMD. De nombreux pays n’effectuent pas ou effectuent très rarement des enquêtes portant sur les conditions de vie des ménages. Pour ceux ayant une pratique fréquente de cet exercice, l’analyse des données est plus lente et les publications en déphasage avec la réalité courante. En Afrique, c’est seulement 31 pays sur les 53 qui ont fourni de façon régulière des données sur les enquêtes ménage portant sur des années antérieures. Ceci supposerait donc que les données sur la pauvreté en Afrique ne portent que sur des données « vieilles », qui au mieux subissent des travaux d’estimation (qui prennent en compte l’évolution de la conjoncture économique). A titre d’exemple, le chiffre le plus récent sur la pauvreté en Algérie est calculé sur la base d’une enquête de 1995. Dans ce contexte, le renouvellement des enquêtes ou la modification des méthodologies donne lieu à des révisions « extravagantes » des chiffres. A titre d’exemple, le nombre de pauvre (avec le seuil de 1.25 USD par jour) dans le monde est passé de 931 millions en 2005, à 1,4 milliards suite à la prise en compte du taux d’inflation, qui a induit des modifications au niveau du seuil de pauvreté en parité du pouvoir d’achat.  La donnée la plus récente qui porte sur 2011 (1 milliards d’individus) pourrait être ainsi revue à la baisse, avec la révision des prix.

Chacune des dimensions des OMD souffrent de maux similaires – dans l’éducation, dans la santé, etc. Une situation qui a amené l’ODI à identifier des facteurs qui nous sont encore inconnus[1] ou très peu documentés : (i) la population urbaine ; (ii) les actifs détenus dans les comptes offshores et qui échappent aux administrations fiscales ; (iii) le nombre de filles de moins de 18 ans en situation d’union ; (iv) la situation de l’éducation ; (v) le nombre de personnes pauvres dans le monde (avec un focus sur les jeunes et les femmes) ; (vi) les personnes en situation de travail indécent et les enfants en emploi ; (vii) le nombre d’enfants de rue et les sans-abris ;  (viii) la faim dans le monde ; (ix) l’économie informelle et (x) la structure des économies d’Afrique subsaharienne.

On comprend aisément que la mauvaise connaissance des caractères socio-économiques des populations induit une mauvaise mise en place des projets visant à réduire la pauvreté et à promouvoir le développement, notamment au niveau local. Les programmes de transferts d’argent, par exemple, ont besoin d’un ciblage précis pour éviter des problèmes d’aléa moral et de sélection adverse mais aussi pour assurer le suivi des personnes bénéficiaires. La disponibilité de données fiables rend donc facile l’implémentation des programmes de développement.

Face aux objectifs majestueux des ODD, la question demeure et explique certainement pourquoi l’initiative « Data Revolution »[2] afin d’assurer le « […] leaving no one behind » que promeut ces ODD, a été initiée. Pour l’ODI, relever ce défi passera par  3 facteurs principaux :

  • le renforcement des capacités des organes nationales en charge de la production de données statistiques. En effet, selon une enquête de Paris 21 (2015)[3], les instituts nationaux de statistique des pays sous-développés, et africains en particulier, sont très peu développés, disposant de ressources financières et humaines (parfois non adaptées) limitées avec des équipements inadéquats. Dans ce contexte, on imagine mal les pays se mettre à niveau quant aux nouvelles méthodes de collecte et de traitement de données ; l’essentiel du personnel qualifié étant occupé dans la production d'information de premier rang (basiques).
  • l’indépendance statistique. S’il est une chose que de disposer des capacités pour produire de l’informatique statistique fiable, le choix de l’information et sa diffusion peuvent être influencés par des aspects politiques. En effet, l’information est source de pouvoir et donc l’appareil statistique peut être détourné à des fins politiques. A titre d’exemple, en Inde, la question portant sur les castes est exclue du recensement depuis 1931 mais en 2011, pour des raisons politiques, cette question fut introduite parce que les autorités avaient senti le besoin d’identifier les groupes marginaux pour en faire des alliés.
  • la non-ingérence des institutions internationales et des bailleurs.  Ils arrivent assez souvent que des ONG ou des institutions internationaux aient recours à de l’expertise locale pour disposer de données dont ils ont besoin dans leur analyse. Cependant, ils le font au dépend des INS, recrutant comme consultants des personnels des INS, affaiblissant davantage ainsi la capacité de ces dernières. De plus ces enquêtes, qui parfois sont conduits en marge des INS, laissent ces organes sans expérience pratique de gestion d’enquête de sorte que chaque nouvelle enquête appelle à un recommencement perpétuel. Dans certains cas, ces enquêtes absorbent tout l’appareil statistique, de sorte que le personnel n’éprouve plus de réel intérêt à conduire des travaux pour les autorités[4], qui par ailleurs, fondent ses projets sur des estimations faites par des institutions externes.

Si les pays africains, notamment ceux d’Afrique subsaharienne veulent relever le défi de l’émergence et de la réduction (voir l’éradication) de la pauvreté, il est impératif pour eux de disposer d’outils de planification et de suivi de leurs actions qui s’appuient sur des données cohérentes, fiables et produites de façon régulière. La souscription à l’initiative « Data Revolution » peut être considéré comme un pas dans ce sens mais cette problématique doit être autonomisée par les pays africains avec des solutions adaptées aux réalités locales. Les nouvelles technologies de l’information offrent des solutions, qui pourraient sans doute être exploitées. Les statistiques ont souvent été considérées dans de nombreux pays africains comme accessoires, au service des institutions internationales et des ONG, de sorte que la culture statistique y est presque inexistante, se traduisant donc par un système statistique dont la performance est souvent remise en cause. Les défis de l’Afrique, qui se construit et se développe, sont nombreux et variés. Si la question énergétique et des infrastructures est centrale pour valoriser les ressources du continent, celle de la maîtrise de l'information est tout aussi importante pour la planification et le suivi des différentes actions. Il urge donc de replacer l’information chiffrée au cœur de leur stratégie et de permettre à l’appareil statistique d’être un outil pour la gouvernance socio-économique.

Foly Ananou


[1] Il ne s’agit pas, en fait de données non documentées mais dont la précision est discutable – la plupart des informations dont nous disposons sur ces variables étant des estimations provenant d'ONG ou d'institutions internationales, qui ont commandité des enquêtes sur le sujet.

 

[2] Pour en savoir plus : http://www.undatarevolution.org/

 

[3] Paris21 (2015). A road map for a country-led revolution.

 

[4] La rémunération étant plus conséquente avec les bailleurs 

 

Access to housing in Africa

The current demographic boom in Africa has caused a rapid and dysfunctional urbanisation. Finding decent housing has become a serious problem. The continent has the fastest-growing urbanisation in the world. According to UN-Habitat, the urban population growth rate has reached 3 % per year. As a matter of fact, the urban population represented 40 % in 2009 and will reach 60 % in 2050 if the situation progresses at this constant rate. This uncontrolled urban growth has favoured the development and extension of precarious, unsanitary and unsafe slums. The population living in slums in Sub-saharan Africa has doubled between 1990 and 2012, from 102 million to 213 million (UNCHS data). Simon Walley[1] expects that the demand for housing will increase from 4 million in 2012 to 5 million in 2020. The public authorities have carried out many actions to make housing more accessible to disadvantaged people. Nevertheless, the problem persists and slums are expanding increasingly. Thus, only higher classes of the society can afford to live in decent houses. This situation deepens the gap between the rich and poor and requires a number of actions to guarantee housing for all. In this article, we shall look closely at the obstacles hindering the emergence of a real estate-market favouring poor people in Africa.

In an effort to counter the expansion of slums, public authorities, in South Africa and Ivory Coast, have chosen to build free or low rent social housing. However, these policies did not favour the targetted poorer population and civil servants took advantage of these measures. Due to a growing demand and lack of public financial ressources, these types of programs were not sustainable. So, the government decided to turn to the private sector for the construction of housing at a low cost. The State, in Angola for example, supported the private sector by giving a massive amount of subsidies. These programs were not very successful because they only took into account cost reduction and were not planned out and conceived for regional development. Most of the houses were built far from the main infrastructures such health centres, transportation and schools.

In theory, the demand for housing is almost unlimited. People who have a decent house wish for a bigger and more confortable one while those who do not have a decent house want one. However, this demand is not met in reality especially for financial reasons. According to the World Bank, in 2011, less than 5 % of the Sub-saharan African population took a loan to buy a house whereas in the USA or in Canada, this rate reaches 25 % to 35 %. These figures show us that the low-income households are excluded from the financial system because they represent a higher risk for credit institutions. The lack of financial culture can also explain why they do not have the sufficient ressources to be elligible for the acquisition of a house.

On the other hand, private real estate developers face many bureaucratic, regulatory and financial hurdles. Economic development is hindered by the slowness of administrative procedures in Africa, specially in the present case. Many social real estate development projects are blocked by regulatory constraints to access to property (which are rare and expensive in the urban areas). Furthermore, it is difficult for real estate developers to obtain long-term funds because credit institutions are quite reticent to finance social construction projects. In addition to these difficulties, the construction costs can be very high and qualified labor force and basic infrasctructures (such as roads, electricity, sanitation, etc) might not be available.

The failure of the attempts to solve the housing crisis in Africa reveals the importance of a better analysis of the needs of the population and a better consideration of the environment of the houses. We need a paradigm shift to implement sustainable housing policies on a larger scale. A policy that will involve all the operators in the sectors in different fields and take into consideration key-factors, such as real estate availability, types of leases authorised, funding of the sector and construction of infrastructures. Many experts will have to be consulted : demographs, land planning specialists, economists, insurrance providers, civil engineers, road specialists, etc.

Moreover, given that public ressources will not be sufficient to fund the housing needs, a collaboration with the private sector is necessary. Superficial subisidies to the private sector will not be efficient. The solution here is to implement incentive measures which will have a leverage effect. Public authorities should develop a positive environment for private investors and set specific rules and regulations to garantee the stability of the system.

The first step would be to secure and develop property. In fact, the property regulations are highly insufficient in Africa because they are made up of a combination of customary and state norms. Thus, the issuance of property titles are undoubtedly very difficult and property law lacks clarity. In some countries (such as South Africa, Uganda and Ghana), reforms shall be carried out to integrate customary norms in the national regulatory framework. Other regulatory measures including land parcelling following a cadastre model, simplification of registration procedures, and establishment of collective rights can be implemented. Once the legal framework is set up, the State should reorganise the land planning. Due to the lack of infrastructures, property developers often have to bear additional costs which affect the price per unit of the housing facilities. Morocco ideally dealt with this issue by creating a parapublic body specialised in accomodation and land planning.

The other major issue is the funding of the sector. On one hand, the private land developers need to invest large sums of money to start their projects. On the other hand, householders have to borrow on a long-term basis to fund the acquisition of the land. As far as mortgages are concerned, the African market is worth a trillion dollars (CSAE 2012)[2]. The State should encourage access to long-term financial ressources and implement risk-sharing instruments, in order to promote the developement of the market. Banks specialised in housing finance would be a good solution as this would enable traditional banks to have access to long-term ressources with higher risk guarantees. The traditional banks would then issue real estate securities on the market which would be guaranteed by mortgage loans and finance traditional banks. Thus they would then, in turn, refinance the households. Another solution would be to implement a public-private partnership by entrusting the management of the construction project to a private company. The State would secure the property market with the required authorisations, the donors would invest the first necessary funds and the property developers would implement their project on behalf of the company managing the project. To attract the remaining fundings, the private investors would be requested to fund the project as senior debt[3] with a guarantee from the promotors of the project, the State and the donors.

The State should also take interest in the informal solutions implememented by the citizens. For instance, many households rent their houses with no regulatory framework. Land owners can rent their unsanitary accomodation for a high price, or demand the payment of 2 years rent in advance (Nigeria), thus creating high distorsions on the rental market. However, the regulation of the rental sector will meet the needs of all social classes (especially the lower classes) and generate tax revenues for communities. Self-building is another example of informal initiative that started from the bottom. Households earning informal revenues buy plots and build their own houses, often of lower quality, thus favouring the emergence of informal settlements. The State should not stop these types of initiatives but set up a framework and regulate the sector with the collaboration of private investors.

It is very crucial for African states to rethink their housing policies in order to counter the current housing crisis in the continent. These policies should create a positive framework for private initiatives because pro-active public policies have shown their limits in other parts of the world. Public authorities should focus their efforts on securing operations, risk-sharing and implementing targetted incentives.

Translated by Bushra Kadir


 

[1] Mobiliser le secteur privé pour un meilleur accès au logement. Secteur Privé & Développement n°19 : relever le défis du logement avec le secteur privé. Proparco.

[2] CSAE. 2012. Research on Urban Mass Housing workshop. St Catherine’s College, Oxford, 26-27 mars 2012. Available on http://www.oxiged.ox.ac.uk/index.php/events/ urban-mass-housing

[3] A « senior debt » has specific guarantees and its repayment is a priority unlike other debts.


 

Pour des services d’état civil plus efficaces en Afrique

civilL’état civil est l’ensemble des dispositions légales et réglementaires dont l’objet est de situer dans le temps et dans l’espace les événements essentiels de la vie d’un être humain dont les plus importants sont la naissance, le mariage et le décès. Il désigne également la structure administrative qui s’occupe de la délivrance des documents appelés actes d’état civil. « L’état des personnes n’est établi et ne peut être prouvé que par les actes de l’état civil, les jugements ou arrêts en tenant lieu et, exceptionnellement, les actes de notoriété »[1]. Si la situation s’améliore au niveau des mairies qui délivrent généralement les pièces d’état civil, tel n’est pas le cas dans l’appareil judiciaire qui actualise rarement les casiers judiciaires des citoyens condamnés suite à des jugements prononcés. Les gouvernants africains ont lancé un appel à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire en février 2015 en vue de promouvoir l’utilisation de l’état civil et des statistiques de l’état civil pour appuyer la bonne gouvernance en Afrique[2].

Constats sociodémographiques et économiques

Les données d’état civil sont très utiles dans plusieurs domaines : démographique, administratif, juridique, économique et social. La population du continent africain est estimée à 1,111 milliards d’habitants en 2013 avec un taux de croissance annuel[3] de 2,5%, notamment en Afrique Subsaharienne.

« Les naissances, les mariages et les décès sont constatés sur des registres tenus dans les centres d’état civil selon les modalités fixées par décret »[4]. Donc les statistiques de fécondité et de mortalité devraient être constatées par l’état civil. Si elles ont connu un essor avec l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance ; ces données sur la fécondité et la mortalité en Afrique, ne proviennent plus que de plusieurs enquêtes et recensements organisés sur le plan mondial. L’état civil en Afrique n’est pas utilisé à des fins statistiques principalement à cause du fait que la législation dans certains pays ne prévoit pas ce volet statistique[5]. Cette législation n’envisage pas aussi le transfert de données entre la structure en charge de la collecte (état civil) et la structure en charge du traitement de ces données. Il y a encore à ce jour, des naissances qui ne sont pas enregistrées du simple fait que certaines femmes continuent d’accoucher à la maison. En outre, de nombreux décès ne sont pas déclarés auprès des services en charge de l’état civil.

La pratique des enregistrements fictifs surtout au moment de l'entrée à l’école est très répandue et peut arriver jusqu’à 80% des enregistrements dans certains zones[6]. Ce sont pour la plupart des enfants nés en dehors des centres de santé formels (structures informelles) ou ceux dont les parents n’ont pas fait aussitôt après leur naissance, la déclaration dans le registre de l’état civil. Cette situation favorise la pratique de fraude au sein des administrations africaines.

Le manque d’informations sur la couverture des enregistrements des faits d’état civil (naissances et décès), ne permet pas d’élaborer parfois de bonnes politiques économiques. Les activités pour le suivi d’élaboration de stratégies de réduction de la pauvreté biaisent les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Or ces statistiques devraient renforcer l’appui au système de collecte des indicateurs économiques (indice de coût de la construction, indice de prix à la consommation, le commerce extérieur, les comptes nationaux, etc.) afin de stimuler l’impact des politiques économiques et sociales. Suivant les dispositions du code des personnes et de la famille, dans le cas du Bénin par exemple « L’officier de l’état civil est tenu, à la fin de chaque trimestre, sous peine de sanction, d’adresser au service national des statistiques, un état des naissances, des mariages, des divorces, des décès et des enfants sans vie inscrits au cours du trimestre »[7].

Cette disposition du code n’est pas suivie et met à mal les activités d’analyses (évolution des structures de consommation des ménages, production des notes sur l’emploi, mise à jour des bases de données, publication et diffusion des résultats des différentes études et enquêtes statistiques, etc.) des services en charge du traitement des données statistiques.

D’une façon générale, des difficultés dans l’atteinte d’un important taux de fréquentation en matière d’état civil persistent encore en Afrique. Or, un faible taux d’enregistrement des événements de l’état civil ne permet pas à cette structure de jouer efficacement son rôle de banque de données fiables pouvant aider les gouvernants africains. A tout cela, s’ajoutent les fraudes que l’on constate dans les services d’établissement des actes d’état civil.

Constats sur les fraudes et les jugements supplétifs

L’état civil dans la vie des citoyens est empreint de toutes sortes de fraudes. Il y a lieu ici de signaler les cas particuliers de la falsification des actes de naissance opérés par certains usagers et ayant pour objet :

  • d’accélérer la date du début de la scolarité,
  • de faire reculer le moment de la retraite,
  • d’établir de faux liens de filiation à des fins successorales,
  • d’établir une fausse pièce d’identité (carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire),
  • de faciliter l’obtention de certains avantages matrimoniaux (mariage, divorce, rapprochement de conjoint, etc.).

La fraude peut porter sur l’acte d’état civil lui-même. Elle résulte alors de l’usage de faux actes confectionnés par des personnes ou des officines privées, d’altération de copies ou d’extraits d’actes régulièrement délivrés par les autorités locales, d’altération des registres de l’état civil par surcharge, rature, découpage et collage, de confection de vrais faux actes d’état civil constitués d’actes réguliers en la forme mais dont les événements relatés ne correspondent pas à la réalité (naissance fictive, reconnaissance mensongère, etc.).

La fraude à l’état civil a pris une ampleur toute particulière à travers essentiellement le phénomène de l’émigration. Une enquête menée par le ministère français des affaires étrangères auprès de postes diplomatiques et consulaires a permis de procéder à une estimation des actes d’état civil faux ou obtenus frauduleusement. Dans nombre de pays, la proportion de faux actes détectés par ces postes se situe entre 30 et 60 %. Elle est même évaluée à 90 % pour les Comores[8].

L’ignorance ou la méconnaissance des textes régissant le délai de déclaration d’une naissance ou d’un décès conduit certains bénéficiaires à solliciter la complicité des agents des services d’état civil pour se faire établir de faux actes en vue de régler une préoccupation de l’heure.

Beaucoup d’événements d’état civil passent inaperçus et échappent ou ne sont pas portés à la connaissance des services d’état civil. La non déclaration de ces faits, loin de conduire à des fraudes, peut s’expliquer par l’éloignement des centres d’état civil, le manque de moyens pour faire face aux frais médicaux très élevés, certaines femmes pour des normes coutumières craignent l’assistance d’un homme comme agent de santé d’accouchement, le comportement des agents chargés de prendre les déclarations, l’analphabétisme, le délai de prescription de 10 jours[9]. Toute personne se trouvant alors dans l’impossibilité de se faire établir un acte d’état civil, peut le suppléer par un jugement supplétif qui relève du Tribunal de Première Instance (TPI) du lieu de son ressort.

Les jugements supplétifs subissent aussi des manipulations au niveau des prénoms, de la date de naissance et du lieu de naissance lors de la délivrance de copies certifiées conformes aux originales. Ce qui permet à leurs titulaires de reproduire ces copies conformes qui présentent de nouvelles données. Des investigations faites au niveau de la Circonscription Urbaine de Cotonou au Bénin laissent découvrir de graves lacunes en ce qui concerne les transcriptions sur les registres d’état civil. Les jugements supplétifs homologués depuis 1997 ne sont pas encore transcrits à nos jours. Ceci est dû au non suivi et au manque de contrôle des autorités compétentes, toute chose qui favorise la fraude en matière d’état civil[10].

Il est donc évident que ces différentes manifestations de fraudes, faussent les statistiques des actes d’état civil, et par conséquent biaisent les différentes politiques élaborées par les autorités africaines.

Constats sociopolitiques et juridiques

Le droit à la personnalité juridique est une question qui revêt une importance capital. En effet, sans une identité légale, la jouissance des différents droits (liberté d’aller et venir, liberté de choisir, liberté d’entreprendre, droit à l’éducation, santé, eau et électricité, droit au travail, demande d’un titre foncier, héritier des biens, droit au mariage, etc.) est illusoire ou fortement compromise. Voilà que le système d’état civil dans la majorité des Etats africains est embryonnaire. Bon nombre de personnes sont des « sans papiers ». Cette situation n’est pas sans conséquences sur la vie des citoyens.

Formellement, des subterfuges ont parfois été trouvés pour contourner ces difficultés comme par exemple l’inscription des citoyens (ou supposés tels) sur les listes électorales sans pièces d’identité et sur la base de simples témoignages, souvent des chefs de villages ou de quartiers des villes. Ces solutions n’enlèvent rien à la responsabilité de l’État car « l’acte d’état civil constitue un droit inaliénable de la personne humaine. Il est de la responsabilité de l’État, au regard de ses engagements vis-à-vis des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, de prendre toutes mesures nécessaires pour en assurer la pleine garantie afin que chaque Béninois soit détenteur d’une identité légale »[11].

Pour remédier à cette lacune, le Bénin a initié en 2006 le projet « Recensement Administratif à Vocation Etat Civil[12] » ou « RAVEC ». C’est une administration spéciale mise en place par le Gouvernement béninois et dont l’objectif est d’organiser, en collaboration avec les tribunaux et les communes, des audiences foraines afin de délivrer des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas. Ce projet permettra au Bénin de disposer d’un système d’état civil moderne, sécurisé et crédible répondant aux exigences de la bonne gouvernance. Le RAVEC vise donc à constituer une base de données, attribuer un identifiant à chaque béninois, rendre accessibles les actes, même en cas de perte, permettre la sécurisation et la fiabilité du système d’état civil, dorénavant numérisé et biométrique. Toutes choses qui permettront d’avoir des listes électorales, cartes d’électeurs, permis de conduire, passeports fiables, etc. Le recensement sur les registres de requérants a connu un succès considérable puisque les demandeurs d’actes de naissance (en principe seulement ceux qui ont plus de quinze ans) dans les 77 communes béninoises se chiffrent à 2 336 159 personnes[13]. La phase des audiences foraines a en effet connu quelques difficultés de parcours (vacances judiciaires, grèves des magistrats, puis des greffiers, etc.), mais début 2010, plus de 70% des requérants avaient obtenu satisfaction. Mais le volet « base de données que comporte le RAVEC, a été invalidé par la Cour constitutionnelle, car cela est du ressort du pouvoir législatif[14].

Malgré ces constats, les officiers d’état civil sous estiment le nombre croissant de fraudes répertoriées et ignorent les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement normal des centres d’état civil en particulier et sur la société en général. En effet, la montée de la fraude à l’état civil peut remettre en cause la totalité des actes d’état civil délivrés par les autorités  compétentes et freiner par conséquent certains droits que doivent bénéficier les citoyens.

Pourtant, des dispositions légales et réglementaires ont été prises pour permettre à l’officier d’état civil de vérifier l’événement déclaré et la valeur probante de l’acte de l’état civil. Dans certains cas, il est même parfois habilité à refuser l’établissement d’un acte. En outre, des sanctions pénales ou administratives ont été dictées pour réprimer les agissements frauduleux. Malgré ce dispositif législatif le mal demeure. Monsieur Ousmane Massek Ndiaye[15] a reconnu que la loi seule ne peut venir à bout de ce phénomène. Il a invité à une union sacrée de tous les responsables politiques, religieux, coutumiers pour influer positivement sur les mentalités.

L'état civil à un rôle primordial à jouer dans le processus de développement de l'Afrique. De fait, il constitue un soutien fort à l'élaboration et au suivi des politiques socio-économiques. Cependant, son rôle en tant qu'appui à la planification du développement est compromis par la moindre importance qui lui ait accordé et qui se traduit par d'importantes fraudes, qui mettent davantage à mal le rôle qu'il pourrait jouer. Il est donc nécessaire, aujourd'hui d'envisager des solutions et ce d'autant plus que le numérique offre des possibilités, afin de rétablir l'état civil et d'en faire un outil pour le développement de l'Afrique. 

Nicolas Olihidé


[1] Article 33 de la Loi N°2002-07 du 24 Août 2004 portant Code des personnes et de la famille en République du Bénin.

 

[2] NATIONS-UNIES / CEA, 2015, Troisième conférence des ministres africains en charge de l’état civil, Yamoussoukro (CÔTE D’IVOIRE), 09 au 13 février 2015.

 

[4] Article 34 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[5] NATIONS UNIES / Département des affaires économiques et sociales / Division des statistiques, 2003, Rapport de la réunion d’experts sur l’amélioration des statistiques de fécondité et de mortalité en Afrique francophone, Yaoundé, Cameroun, du 22 au 26 septembre 2003.

 

[7] Article 41 alinéa 6 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[8] Extrait du document intitulé « Outils de formation en matière d’état civil » réalisé par SOUDJAY SONATAY Oumie en 2006 financé par l’UNICEF sur le site web : http://www.comores-web.com/article/la-fraude-a-letat-civil.html consulté le 24/03/2012.

 

[9] Article 60 alinéa 1 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[10] ANAGONOU AKANMOUN Philomène, 1999, Problématique de l’état civil au Bénin : cas des jugements supplétifs, UNB/ENA.

 

[11] Union africaine et gouvernement du Bénin, MAEP : Rapport d’évaluation du Bénin, pp.355 et 366.

 

[12] Décret n° 2006-318 du 10 juillet 2006  portant établissement et délivrance des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas.

 

[13] BADET Giles, 2010, Bénin, Démocratie et Participation à la vie politique :une évaluation de 20 ans de Renouveau démocratique, Une étude d’AfriMap et d’Open Society Initiative for West Africa

 

[14] Décision DCC 06-17 du 17 novembre 2006.

 

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