Le Togo, ou l’impossible alternance (2) : Comment entrer dans une nouvelle ère politique ?

JPG_OppositionTogo291015Suite et fin d'un panorama de la situation politique au Togo par Giani Gnassounou, dont la première partie est parue sur L'Afrique des Idées il y a quelques semaines sous le titre: "Le Togo, ou l'impossible alternance". 

Plusieurs mois après les élections présidentielles remportées par le président sortant Faure Gnassingbé (2005-), la vie politique togolaise semble en léthargie. Les leaders de l’opposition s'expriment de moins en moins, contrairement aux élections précédentes où ils étaient légion à prendre d'assaut les médias pour contester  vigoureusement  les résultats proclamés. Ce n’est pas l'envie qui leur manque, bien au contraire, mais leur position est plutôt précaire. Ils avaient promis aux populations que les élections de 2015 seraient « l’ultime rendez-vous » pour obtenir l’alternance politique au Togo et proposer aux Togolais, après près d’un demi-siècle de règne sans partages, une autre manière de faire de la politique. Affirmer  que cette mission s’est soldée par un échec est un pur euphémisme. L’impasse politique est sans précédent dans l’histoire politique togolais et ceci, en raison de plusieurs facteurs.

Un président protégé de toutes parts 

Sur le plan interne, l’Union pour la République (UNIR), parti du président réélu, est majoritaire  à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte, une modification de la Constitution actuelle, qui ne prévoit pas de limitation de mandats, ne se fera qu’au gré de la volonté de la majorité dirigeante ; quand bien même la grande majorité de la population togolaise (85%) souhaite une révision de cette constitution, d’après un sondage réalisé par l’institut Afrobaromètre en 2014.

L’opposition togolaise est plus que jamais divisée et sort très affaiblie de ces élections. Entre une opposition « participationniste »,  qui a essuyé un cuisant échec ; une opposition « abstentionniste », qui ne cesse d’accuser la première d’avoir légitimé des élections frauduleuses ; et un président sortant qui n’attendait que cela, le peuple semble résigné à l’idée d’une quelconque alternance. Sur le plan externe, les  dernières élections ont été saluées par l’ensemble de la communauté internationale et des chancelleries occidentales présentes au Togo. Faure Gnassingbé y a ainsi gagné en légitimité et en reconnaissance. Avec une opposition décimée par des querelles internes et un président béni par ses pairs  à l’international, Gnassingbé a un boulevard devant lui et rien ne semble pouvoir  l’empêcher de poursuivre sereinement son règne à la tête du pays. L’alternance est-elle à jamais compromise ?

Excepté le bien vouloir du prince, les moyens pour entrer dans une nouvelle ère politique sont rares voire utopiques

La mauvaise idée d’une lutte armée

En Afrique, l’alternance s’obtient souvent par la lutte armée, sans pourtant qu’elle produise des résultats meilleurs ; la situation tend plutôt à se dégrader. Les régimes renversés par les armes ont généralement été remplacés par des régimes de même nature sauf  quelques cas marginaux tels que le  Ghana, où l’utilisation de la force armée a permis l’instauration plus tard d’un régime démocratique pérenne. Depuis 1960, années des indépendances de la majeure partie des pays africains, pas moins de 80 coups d’État ont été perpétrés. 40% des régimes politiques africains entre 1960 et 1990 avaient des origines militaires. En 2014, plus de cinquante années après les indépendances, encore un État sur trois est dirigé par un régime d’origine militaire. Au Togo, ce moyen est inenvisageable. L’armée est acquise à  la cause de  la majorité dirigeante, du fait de sa composition ethnique. En effet, sous l’ère du père de Faure Gnassingbé, Gnassingbé Eyadéma (1963-2005), une politique d’ethnicisation de l’armée a été menée de sorte que cette dernière est composée aujourd’hui majoritairement de personnes originaires du nord du pays, fief électoral du pouvoir en place.  Depuis les années 1990, début de la lutte pour l’instauration de la démocratie, l’armée constitue un acteur clé de la scène politique. A la solde du pouvoir en place, elle a permis son maintien aux affaires et n’a pas hésité comme en 2005, à perpétrer des massacres au nom de la survie du régime.

La partialité et l’ethnicisation de l’armée ont toujours fait craindre une guerre ethnique sur le territoire togolais. Cette stratégie serait donc très mal venue et ne ferait que déplacer ou aggraver  le problème.

L’illusion du pouvoir au peuple et du peuple au pouvoir

Le pouvoir au peuple ou le peuple au pouvoir. Pour être exact ce serait le peuple dans les rues et le pouvoir au peuple. Quelques mois avant la tenue des élections présidentielles togolaises, le Burkina Faso, pays voisin du Togo a connu une accélération inattendue de son histoire  politique. Le peuple s’est levé comme un seul homme pour empêcher l’ex-président Blaise Compaoré (1987-2014) de modifier la constitution et de rempiler pour un nouveau mandat. L’expérience burkinabè a flatté l’opposition togolaise, qui s’est convaincu qu’elle pouvait être répliquée au Togo, mais il n’en a été rien.  Au Burkina, mais également  en  Tunisie lors du Printemps arabe de 2011, la version surmédiatisée qui présente le peuple prenant son destin en main et imposant sa souveraineté devrait fortement être nuancée. En effet, le comportement des forces armées, autant dans le cas du Faso que celui de la Tunisie, a déterminé l’issue du soulèvement populaire. C’est également le comportement des corps habillés qui a déterminé la situation du Printemps égyptien, dont l’état actuel atteste bien mon propos sur le rôle des forces armées dans ces situations.

Les révolutions populaires dans ces pays  précités, n’auraient  pas produit ces résultats si l’armée ne s’était pas désolidarisée du pouvoir en place. Dans le contexte togolais, cette neutralité de l’armée n’est pas encore acquise. En effet, s’il y a bien une institution (si on peut se permettre ce terme) qui au fil des années est restée solide et efficace malgré les soubresauts internes (qui n’ont jamais filtré) qu’elle a pu connaitre, c’est bien les Forces armées togolaises. C’est peu dire que l’inébranlable fidélité de la Grande Muette au régime  explique la longévité de ce dernier.

On pourrait même être tenté de dire qu’elle est le  premier garant  de la République, devant la Cour constitutionnelle et les autres institutions. On se rappelle bien le triste épisode de la nomination de Faure Gnassingbé par l’armée  à la tête du pays le soir de l’annonce du décès de son père le 5 février 2005. Au Togo, l’armée semble avoir plus de pouvoir qu’elle ne le montre. Inféodée au pouvoir en place, elle n’hésite pas à le faire valoir quand le besoin se fait sentir.

Toutefois, il faut préciser que c’est aussi toute la classe politique togolaise (opposition et majorité)  qui a conféré ce pouvoir à  l’armée: la majorité avec sa politique d’ethnicisation et de favoritisme ; mais aussi l’opposition, avec ses prises de position extrêmes contre l’armée, qui font craindre des représailles en cas d’alternance. Dans ce contexte, un soulèvement populaire ne saurait à lui seul provoquer une alternance au Togo. D’ailleurs, on en est loin tant le peuple semble résigné à propos de cette problématique.

La sagesse d’un compromis patriotique

La question  prioritaire et brulante  n’est pas la nécessité d’une alternance. Il s’agit surtout d’installer un débat politique franc, accepté par le peuple, qui ne souffre d’aucune contestation ou ambiguïté pouvant conduire à l’alternance. Le verrou politique, imposé par l’armée, ne sera levé que par un sursaut patriotique et la volonté de tous les acteurs du jeu politique  d’aligner le Togo dans le chœur des pays africains « considérés » comme démocratiques.

Ce sursaut patriotique, au nom de l’intérêt supérieur de la nation, passera par l’ouverture d’un vrai dialogue entre la classe politique et les F.A.T. En effet les forces armées constituent  un acteur incontournable  dans le jeu politique togolais ainsi que dans le jeu politique de plusieurs autres pays africains. Depuis les années 1990, cette armée fidèle au père et aujourd’hui au fils a été accusée des crimes les plus atroces contre la population. Elle est très impopulaire au sein de la population mais également auprès de l’opposition.

L’armée eu l’occasion de s’expliquer sur son rôle dans les tragédies qu’a connu le Togo lors des auditions de la Comité Vérité Justice et réconciliation (mise en place par le gouvernement togolais en 2009 chargée de faire la lumière sur  les heures obscures de la nation entre 1958 et 2005 ). Malheureusement, les F.A.T n’ont pas su profiter de cette occasion pour épurer leur passif auprès des populations et redorer leur blason. Le président Faure a tenté, ça et là, à travers certains évènements, de rapprocher l’armée du peuple mais le résultat reste assez mitigé. Il faut dire que les crimes dont est accusée l’armée peuvent constituer des crimes internationaux de nature imprescriptibles. En d’autres termes, la peur n’est pas que dans le camp des révoltés et des lassés du régime.

C’est à ce niveau que l’opposition a une obligation certaine de pédagogie dans la communication. Rassurer ces hommes contre l’idée de toute chasse aux sorcières et leur expliquer qu’un Togo libre, pluraliste ne peut être bénéfique qu’à tout le monde. L’intérêt supérieur de la nation passe également par un consensus purement politique entre les différents acteurs.

Aujourd’hui, la classe politique est un immense champ de ruines : une opposition diverse et divergente, incapable d’adopter une stratégie unitaire en son propre sein et un pouvoir incapable de discuter  et d’incarner une réelle ouverture démocratique et de mettre en application ses propres engagements. Mais quel autre destin pourrait-on proposer aux descendants de Dzitri[1] si le dialogue reste impossible ?

Giani Gnassounou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1]  Dzitri est le fondateur de la ville de Lomé, capitale politique et économique du Togo

 

Enjeux climatiques et environnementaux et COP 21, l’Afrique à la croisée de ses responsabilités

solar energy panels and wind turbineDu  30  novembre  au  11  décembre  2015,  la  France  accueille  à  Paris  le  monde  et  la communauté  internationale  pour  réfléchir,  débattre  et  proposer  des  modes  d’actions durables pour lutter contre les bouleversements climatiques. Cet événement planétaire à vocation  diplomatique  est  la  21ème  Conférence    des  Parties  à  la  Convention-cadre  des Nations unies  sur  les  changements  climatiques, intitulée  « COP  21 ».  Cette  conférence diplomatique  a  pour  objectif  de  conclure  un  accord  international  sur  le  climat, contraignant pour tous les pays afin de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C.

Au moment où plusieurs pays en Europe et en Amérique se mobilisent pour faire de la COP 21  une  manifestation  porteuse  de  solutions  sur  la  réduction  des  gaz  à  effet  de  serre  et proposer des modes d’actions en faveur de l’atténuation et de l’adaptation climatique, le continent africain ne démontre pas encore, à la hauteur des enjeux,  une volonté unifiée de répondre aux urgences climatiques et environnementales. Quelles  sont  les  stratégies  efficaces  susceptibles  de  répondre  aux  attentes  à  la  fois environnementales,  économiques  et  politiques  d’un  continent  réputé  pour  être  moins pollueur mais qui subit plus qu’autre partie du monde les bouleversements climatiques ?

Au  final,  repenser  la  question  environnementale  et  climatique  au-delà  de  la  COP  21, reviendrait à faire de ces enjeux des normes intégrées dans la culture sociale et politique des Africains et les préparer non à subir les bouleversements mais à agir.

Des préoccupations environnementales inégalement traitées en Afrique…

Il serait inéquitable de consacrer définitivement l’inaction ou le manque de voix forte du continent sur la COP 21 et l’urgence climatique comme la marque dominante en Afrique. À cet effet, il importe de relever des initiatives prises par certains pays tels que le Maroc, le Gabon, et l’Éthiopie qui ont choisi de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Ils sont depuis rejoints par quatre autres nations : le Kenya, le Bénin, la République démocratique du Congo et Djibouti.

Pollution  atmosphérique,  éboulements  sismiques,  inondations  et  sécheresses  répétées, désertifications  exponentielles  constituent  tant  de  problèmes  cruciaux  dont  les  conséquences desservent  un  continent  déjà  en  proie  à  des  instabilités  politiques  et  des  régressions  socio- économiques.  La  perspective  qui  résiste  à  toute  tentation  de  retour  en  arrière,  est  d’en analyser froidement  les  causes  et  effets,  de  tirer  les  conclusions  et  de  repenser  l’ordre  environnemental africain comme partie intégrante du renouveau économique et politique. 

Pour  ce  faire,  il  est  impérieux  qu’à  l’échelle  du  continent,  l’Union  africaine  adapte  une  stratégie unifiée basée sur les constats d’échec et le décryptage des solutions. Aujourd’hui, parler d’écologie, c’est  aussi  croiser  les  répercussions  économiques  et  les  conséquences  environnementales  des activités  industrielles  et  humaines.  À  cet  effet,  l’intérêt  (au-delà  de  la  COP  21 !)  réside prioritairement- s’il en est- dans la capacité des organisations régionales africaines à retrouver du champ  et  de  l’utilité  voire  de  la  pertinence  en  s’appropriant  les  enjeux  climatiques  et environnementaux.  C’est  grâce  à  ces  impératifs  que  l’Afrique  pourra  évoluer  vers  un  ordre environnemental.

Ce vœu pieu ne sera justement atteint à condition d’un changement de paradigme : en politisant la question  environnementale,  c’est  en  démocratiser  les  enjeux.  Créer  une  culture  commune  en faveur de la préservation de l’environnement, de la promotion du développement durable et de la protection du climat, c’est faire de chacun un acteur de demain.

Accéder à la transition écologique, c’est aussi changer de changer de culture

L’Afrique  n’est certes  pas le  plus  gros  pollueur  du monde,  contrairement  à  l’Europe,  la  Chine,  les Etats-Unis  mais  paye  le  plus  gros  tribut  en  termes  de  conséquences  sur  la  couche  d’ozone.  Le continent produit à peine 2% de la masse mondiale des CO2. 

Ainsi,  en  2009,  en  prélude  au  précédent  sommet  de  Copenhague  (7-18  décembre)  et  pour  faire pression sur la communauté internationale du Nord, les pays africains à Ouagadougou (Burkina Faso) avaient cru bon de faire payer les pollueurs en exigeant des réparations et des dédommagements. Le « prix à payer » pour compenser la vulnérabilité du continent n’a jamais été clairement défini et les projets  qui  devraient  solliciter  cette  hypothétique  manne  n’ont  pu  faire  l’objet  d’un  consensus éclairé.

Au-delà  de  la  responsabilité  des  pays  industrialisés  et  pollueurs,  il  est  important  que  les  nations africaines,  spécifiquement  et  collectivement,  se  mobilisent  pour  prendre  en  charge  leur  propre destin  et  trouver  des  solutions  pour  le  climat.  La  COP  21  est  certes  un  sommet  international  qui évoquera  la  solidarité  climatique  mais  l’Afrique  a  davantage  besoin  de  justice  climatique.  Celle-ci passe  par  une  reconnaissance  internationale  des  impacts  négatifs  que  subit  le  continent  et  des compensations à hauteur des agressions climatiques.

La régulation climatique africaine est possible

L’organisation  de  sommets  régionaux  ou  nationaux  que  le  « East  Africa  Environment  Risk  and Opportunities » de Djibouti (2-4 mai 2015) ou le « Climate South Initiative du Gabon » (29 août 2015) sont  des  initiatives  intéressantes  qui  pourraient  inspirer  la  communauté  des  54  pays  africains  à définir une position différenciée à la COP 21.

Pour que la COP 21 soit véritablement internationale et rétablisse la justice climatique, elle doit au-delà du Fonds vert permettre que les grandes puissances et les nations émergentes s’en tiennent aux objectifs fixés. Décidé à Copenhague et défendu par le président français François Hollande, le  Fonds  Vert  garantit  100  milliards  d’euros  par  an  pour  des  programmes  de développement pour les pays du Sud. Il ne doit pour autant ne pas apparaître comme un droit à polluer. Les États-Unis, pour rassurer le monde, ont fait des annonces. Ainsi,  le  président  américain  Barack  Obama  a  annoncé  le  3  août  2015  un  plan  à  l’échelle  de  la puissance  économique  du  pays  pour  une  énergie  propre.  L’« America’s  Clean  Power  Plan »  est annoncé  comme  la  révolution  verte  qui  changera  les  règles  et  les  habitudes  des  Américains  en matière de santé et qualité de vie, d’économie et même de sécurité. Ce plan qui vise à limiter les émissions carbones induites par la production d’électricité de 32% en 2030 reste une promesse qui a le  mérite  d’infléchir  la  position  classique  d’un  pays  pollueur,  classiquement  cantonné  au surdéveloppement économique peu regardant sur l’environnement.

Au regard des différentes prises de positions pour permettre que le sommet climatique de décembre 2015 ne soit pas un échec retentissant comme le fut celui de Copenhague, le continent africain dans sa diversité a tout intérêt à puiser dans ses ressources pour accéder à la transition écologique et sociale. Une transition adaptée à sa réalité, à ses spécificités, avec ses limites et ses opportunités ! Quelques engagements sont possibles.

Avant  toute  mise  en  place  de  politiques  publiques,  il  est  urgent  de  repenser  l’éducation  des générations  futures  et  d’intégrer  dans  les  modules  de  formation  des  outils  de  base  sur  la préservation  de  l’environnement.  Les  usages  en  matière  de  salubrité  publique,  le  respect  des patrimoines naturels et de la biodiversité, l’intérêt pour une agriculture saine et les forêts sont des pistes simples à explorer. 

Les pays africains doivent également pouvoir compter sur les territoires, acteurs de proximité avec les  populations,  pour  sensibiliser  aux  pratiques  nuisibles  aux  forêts,  mers,  océans,  aires  marines.

L’urgence climatique marque aussi l’agriculture et donc l’alimentation : des mesures pour assainir les cultures et préserver les terres arables doivent être prises. Il est judicieux, en matière d’intégration africaine,  de  favoriser  la  coopération  sud-sud  entre  pays  africains  pour  valoriser  les  expériences locales  de  référence  qui  peuvent  générer  des  échanges  de  processus  innovants  et  d’outils méthodologiques pour lutter contre les bouleversements du climat.

Le développement de centres de ressources sur  le climat et l’énergie afin d’anticiper et d’analyser les  conséquences  de  la  vulnérabilité  climatique  telles  que  canicules,  inondations,  déforestation, biodiversité  menacée,  sècheresse,  compensation  carbone,  l’urbanisme,  bâtiments  et  construction, etc.…) est impérieux. À l’échelle des grandes régions, il est important que ces centres permettent de mieux cartographier les incidences climatiques et d’y répondre.

Au final, la croissance verte ne serait possible que si les outils comme les technologies vertes et les énergies renouvelables (solaire, éolienne, biomasse, hydraulique, géothermie) ne sont accessibles au plus grand nombre.

Du sursaut et de la responsabilisation dépend l’avenir

Face aux défis du développement économique et de la lutte contre la pauvreté, la préoccupation concernant le climat ne doit pas souffrir de manque de considération. Prioriser celle-ci propose une adaptation  des  mentalités  au  principe  suivant :  nous  sommes  individuellement  et  collectivement responsables de la terre qui nous porte ! Il ne peut avoir de divergence entre stratégie économique et exigence environnementale. 

La  question  climatique  et  environnementale  est  autant  essentielle  que  l’essor  économique,  la promotion  de  la  bonne  gouvernance,  l’avancée  des  droits  de  l’homme  ou  encore  l’ancrage  de  la démocratie.  Elle  est  même  urgente  au  regard  des  bouleversements  climatiques  qui  agressent  la biodiversité et le quotidien des Africains qu’ils soient au nord du continent, à l’est, à l’ouest et au sud. 

Aujourd’hui,  les  conséquences  des  bouleversements  climatiques  engendrent  des  déplacés environnementaux et des réfugiés climatiques. Les conflits frontaliers sur le continent naissent aussi de  l’appropriation  litigieuse  des  ressources  naturelles.  Il  n’est  pas  exagéré  de  penser  que  chaque courant  maritime  ou  bassin  d’eau  est  « crisogène »,  que  chaque  forêt  est  source  d’instabilités  ou qu’un  séisme,  une  inondation  pourraient  provoquer  des  remous  à  l’intérieur  d’un  pays  ou  à  ses frontières. 

Au-delà de la COP 21, l’Afrique doit se projeter vers une nouvelle conscience de son destin, celle qui responsabilise – et non culpabilise et victimise – à agir pour une planète saine, durable et verte. Les défis  du  prochain  siècle  pour  la  génération  d’Africains  qui  lutte  à  la  fois  pour  redonner  espoir  et dignité, mais aussi engouement économique sont à cette échelle : participer pleinement au sort du monde et tenir sa place dans le concert des nations et des puissances mondiales.

Régis HOUNKPE

http://regis.hounkpe.com/igc/

Coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles en Afrique ?

JPG_Burkina Coup 230915Dans « Les coups d’État militaires en Afrique noire », Jean-Pierre Pabanel définit le coup d’État comme étant « une pratique consciente et volontaire de l’armée ou d’une partie de l’armée pour s’emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir d’État ». Contrairement à un conflit armé et à une révolution qui impliquent tous un grand nombre d’acteurs, un coup d’État est l’œuvre d’un nombre réduit d’acteurs qui décident de s’accaparer du pouvoir étatique par la force.

Pourtant, au niveau de l’opinion publique africaine, les indignations et condamnations envers le coup d’État opéré le 17 septembre 2015 au Burkina Faso par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) semblent fortement contraster avec le sentiment de regret qui s’était emparé de la même opinion lorsque la tentative du général Nyombare, visant à renverser le régime de Pierre Nkurunziza, a été déjouée en mai dernier au Burundi.

Un contraste qui pourrait nous donner l’impression que les Africains préfèreraient un certain type de coups d’État à un autre. Si cette hypothèse est vraie, la question qui se pose serait de savoir si coups d’État et démocratie sont toujours incompatibles en Afrique.

Depuis le premier coup d’État perpétré par Nasser en 1952 en Egypte, le berceau de l’humanité a enregistré plus de 80 coups d’État. Dernier en date : celui du RSP du Burkina dont le chef  est l’ancien chef d'état-major particulier de l’ex-président Blaise Comparé, le général Gilbert Diendéré. L’histoire  de l’Afrique postcoloniale est certes tristement jalonnée d’une pléthore de coups d’États, mais elle n’en a pas le monopole. En la matière, les dossiers occidentaux et asiatiques sont loin d’être vierges.

Faut-il ou non systématiquement condamner les coups d’État ?

Si nous nous fions au principe de base de tout régime démocratique qui stipule que le choix, le maintien ainsi que le renouvellement des dirigeants au pouvoir ne sont légaux que s’ils passent par les urnes, la réponse serait clairement oui. En démocratie, il faut toujours condamner le recours de la force comme moyen de prise du pouvoir.

Toutefois, à posteriori, nous pouvons aussi soutenir l’idée qu’il vaille mieux attendre de connaitre l’issue (potentiellement positive ou négative) des coups d’États pour les apprécier au lieu de systématiquement les condamner quand ils se produisent. Les exemples contrastés du Ghana et de la Gambie sont là pour montrer que certaines prises du pouvoir par la force s'avèrent, à long terme, plus salvatrices que d’autres. Car, tout compte fait, il existe une différence fondamentale entre faire un coup d'État pour jeter les balises d'un régime démocratique (regardez l’héritage que le putschiste Jerry Rawlings a laissé au Ghana) et faire un autre pour instaurer un régime autoritaire (observez la mauvaise gouvernance du putschiste Yahya Jammeh en Gambie). Mieux vaut Rawlings que Jammeh. En outre, si vous demandez, aujourd’hui, aux Maliens ce qu’ils pensent du coup d’État d’Amadou Toumani Touré en 1991 contre le régime dictatorial de Moussa Traoré et que vous interrogez les Guinéens sur le putsch opéré par Dadis Camara en 2008, au lendemain du décès du président guinéen Lansana Conté, vous n’aurez certainement pas les mêmes réponses. Les premières seront plus positives que les secondes.

Certes, mais il convient aussi de signaler que de telles comparaisons binaires ne sont pas parfaites. L’une de leurs limites principales repose sur le fait qu’elles ne soient seulement possibles qu’à postériori. Car, en amont, personne ne pouvait prédire avec exactitude l’issue des putschs effectués au Ghana et en Gambie. Tout comme personne ne pouvait aussi imaginer que le putschiste Dadis Camara, après été écarté du pouvoir, songerait à reprendre le pouvoir par les urnes ou encore qu’Amadou Toumani Touré serait, lui aussi, chassé du pouvoir par un  coup d’État. L’histoire étant donc incertaine et imprévisible, systématiquement condamner tout coup d’État peut être symptomatique d’un « coup d’état mental ». C’est seulement en l’espace de quelques années, au minimum de quelques mois, après qu’il soit survenu, qu’un coup d’État peut être objectivement examiné. Sans cet examen, le jugement de son bien-fondé reste hypothétique.

Au fond, si depuis les indépendances africaines, les coups d’États se suivent en Afrique, force est de noter qu’ils ne se ressemblent guère. Le chercheur ivoirien Kouassi Yao ne disait pas autre chose lorsque, dans sa conférence publique portant sur « les coups d’État en Afrique : bilan et enseignements à tirer », il faisait la distinction entre trois sortes de coups d’État : les coups d’État pro-démocratiques, antidémocratiques et les coups d’État à caractère subversif. « Les premiers ont pour objectif de créer les conditions de l’essor de la démocratie, les deuxièmes ne favorisent pas l’épanouissement de la démocratie, les troisièmes étant le fait de pays voisins, de multinationales ou de grandes puissances ».

Alors, coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles ? Pas forcément ! Cette réponse impliquerait-il que nous faisons l’apologie des coups d’État en Afrique ? Absolument pas. En revanche, nous voulions susciter une réflexion critique sur le rapport entre coups d’États et démocratie en Afrique. C’est maintenant chose faite.

PS : Qu’est-ce qui des coups d’États institutionnels ou des coups d’États constitutionnels sont plus dangereux pour la démocratie en Afrique ? Autrement dit, qui des présidents à vie (qui se font éternellement réélire à coups de mascarades électorales et de tripatouillages constitutionnels) ou des putschistes auront davantage fait mal aux Africains ?

Ousmane Diallo

Démocratie et alternances régulières au pouvoir en Afrique

Afrique_cultureDans les régimes considérés comme étant démocratiques ou ceux qui essayent vraiment de le devenir, le remplacement des dirigeants au pouvoir s’effectue par la tenue d’élections libres et transparentes, d’où l’équation suivante : pas de démocratie réelle sans alternances régulières au pouvoir.

Dans son article « Démocratie et développement économique », le politologue américain Seymour Martin Lipset définit la démocratie « comme un système politique qui, à l’intérieur d’un complexe social, permet le renouvellement légal du personnel dirigeant, et comme un mécanisme social qui permet à une très grande partie de la population d’exercer une influence sur les décisions importantes en choisissant les responsables. » Rappel important : c’est au lendemain de la Guerre froide, qui s’est soldée par le triomphe de la démocratie libérale sur le communisme, que les régimes autoritaires africains s’inscrivent, à l’aube des années 1990, dans ce que Samuel Huntington a décrit comme étant la « troisième vague de démocratisation ».

Les résultats de la dernière enquête réalisée par l’Institut Afrobaromètre en 2014 dans 34 pays africains nous apprennent que la majorité des peuples africains (71%) préfèrent encore la démocratie à tout autre régime politique. Pourtant, en matière d’alternance au pouvoir, les performances globales de l’Afrique sont plutôt faibles. Le cas guinéen l’illustre parfaitement. Car si jamais le président Alpha Condé cède le pouvoir suite à la présidentielle dont le premier tour se tiendra le 11 octobre prochain, ce sera une première en Guinée. Et s’il est réélu, certains de ses concitoyens pourraient bien craindre qu’il n’imite son prédécesseur Lansana Conté qui, après avoir épuisé ses deux mandats présidentiels, a modifié la Constitution en 2002, ce qui lui avait permis de briguer un troisième mandat en 2003. Arrivé au pouvoir en 1984 à la faveur d’un coup d’État militaire survenu au lendemain de la mort du premier président guinéen, Ahmed Sékou Touré, Conté s’accrochera au pouvoir jusqu’à sa mort en 2008.

Et plus près de nous, les conditions sociopolitiques dans lesquelles Pierre Nkurunziza vient de se faire réélire pour un troisième mandat au Burundi le confirment : nombreux sont les dirigeants africains qui sont très habiles lorsqu’il s’agit de se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles et imaginables, notamment par des répressions sanglantes de toute manifestation publique organisée par leurs adversaires politiques, par des mascarades électorales ou des modifications constitutionnelles. Nkurunziza a usé de ces trois procédés en même temps.

Mais l’Afrique nous offre aussi quelques exemples de chefs d’État modèles qui sont bien élus et qui choisissent de quitter le pouvoir après un ou deux mandats, tel que stipulé par la majorité de ses constitutions. Tout n’y est pas noir ou blanc. Ce paradoxe suffit amplement pour expliquer l’intérêt de cette question fondamentale : comment se fait-il que certains pays africains parviennent à régulièrement remplacer leurs dirigeants par la voie légale des urnes, tandis que d’autres n’y parviennent pas ?

Entendons-nous bien : cette interrogation est d’une complexité telle que nous pourrions fournir autant de réponses que de pays africains, car il existe des facteurs endogènes et exogènes qui singularisent chaque pays. Le Sénégal n’est ni la Centrafrique, ni le Rwanda, encore moins l’Algérie, pourrait-on affirmer pour donner une idée de cette complexité.

Néanmoins, l’Afrique du Sud et le Ghana, pour ne citer que ces deux exemples, sont non seulement là pour montrer à certains pays, comme la Côte d’Ivoire, qu’une alternance est possible sans effusion de sang, mais aussi et surtout pour prouver à d’autres pays, comme la Guinée, que la présidence à vie ou l’intervention de l’armée nationale ne constituent pas des passages obligés pour réussir une alternance au pouvoir.

En Afrique du Sud, Nelson Mandela choisira de quitter la présidence, après un unique mandat au pouvoir, en cédant son fauteuil à Thabo Mbeki en 1999. À son tour, ce dernier fera deux mandats au pouvoir avant que l’actuel président Jacob Zuma ne prenne sa place en 2009. Au Ghana, après avoir été élu en 1992 et 1996, Jerry Rawlings choisira, lui aussi, de s’incliner face à la constitution ghanéenne de 1993 qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux. C’est ainsi que son concitoyen John Kufuor lui succèdera suite à la présidentielle de 2000.

En fait, depuis 1990, force est de noter que tous les pays africains qui remplacent régulièrement leur président ont eu de grands guides politiques qui ont su fixer le cap de la réussite en matière d’alternance  au pouvoir. Ils ont eu la volonté, la sagesse, le courage et le patriotisme nécessaires pour apprendre à leurs concitoyens que l’alternance au pouvoir est le carburant de la démocratie.

Au fond, dans le jeu politique africain, la probabilité de réussite d’une alternance au pouvoir devient plus grande sous l’une des deux conditions qui suivent : une volonté politique réelle du président sortant d’organiser des élections considérées crédibles par tous, y compris par l’opposition. Au Nigéria, c’est de cette façon que Goodluck Jonathan a cédé le pouvoir au président actuel. C’est la première condition. Voici la seconde : une candidature unique de tous les opposants politiques qui cherchent sérieusement l’alternance au pouvoir. N’est-ce pas ainsi que l’actuel président sénégalais Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012 ? Le dicton se vérifie toujours : l’union fait la force.

Somme toute, en prenant la parole devant la tribune de l’Union africaine en juillet dernier, Barack Obama a bien fait de rappeler que « si un dirigeant pense être le seul capable d’unir sa nation, alors ce dirigeant n’a pas réussi à réellement bâtir son pays. Nelson Mandela et George Washington ont laissé un héritage durable en quittant leurs fonctions et en transmettant le pouvoir pacifiquement ».

Ousmane Diallo

Trois dimanches, cinq élections: un octobre africain

JPG_Elections180614Trois dimanches chargés attendent les passionnés de politique africaine en octobre prochain. Trois jours pour pas moins de cinq élections présidentielles sur le continent, complétées de surcroît par des législatives dans certains cas. Le Burkina Faso et la Guinée ouvrent le bal le 11 octobre. Une présidentielle est ensuite annoncée en Centrafrique le 18. Les électeurs ivoiriens et tanzaniens se présenteront eux dans les bureaux de vote la semaine suivante, le 25 octobre. Cinq scrutins, qui chacun à leur manière ont une saveur particulière.

C’était déjà un jour d’octobre, il y a près d’un an, que les Burkinabè se soulevaient pour chasser du pouvoir Blaise Compaoré et ses velléités de présidence à vie. En quatre jours, le peuple du Faso inscrivait ainsi son nom tout en haut d’une page d’histoire, peut-être en train de s’écrire sur le reste du continent. Celle où un chef d’État ne gagne pas automatiquement le droit de se porter candidat à sa propre succession, et où le multipartisme ne ressemble plus à une façade où prospèrent les entreprises politiques personnelles des uns et des autres.

C’est donc peu dire que la présidentielle burkinabè est très attendue après une transition d’un an. Son bon déroulement sonnerait comme un message d’espoir pour ceux qui au Rwanda, au Congo-Brazzaville ou en RDC, s’opposent à la reconduction de leur président pour un troisième mandat, ou pour les Burundais qui ne veulent pas se résoudre à accepter la réélection controversée de Pierre Nkurunziza. A l’inverse, un scrutin raté, même à moitié, ferait le jeu de tous ces dirigeants qui se présentent comme les incontournables garants de la stabilité et la paix. Et il y a déjà comme un mauvais signal, à moins de deux mois du vote. Le choix des autorités de transition d’invalider les candidatures aux législatives d’anciens cadres du régime Compaoré, au nom de la constitution, ressemble à un premier accroc sur les voies de la réconciliation.

En Guinée, après des mois de désaccord, le pouvoir et l’opposition ont enfin trouvé un compromis sur les dossiers aussi sensibles que la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) – qui devrait bientôt accueillir deux nouveaux représentants de l’opposition – l’organisation des élections locales, ou le réexamen du fichier électoral. Prudence, affirment malgré tout certains responsables politiques, qui redoutent des délais trop courts pour permettre aux autorités de respecter leurs engagements.

Quoi qu’il en soit, le 11 octobre, comme lors de la présidentielle “historique” de 2010, le duel au sommet devrait opposer Cellou Dalein Diallo et son UFDG, à Alpha Condé, qui depuis a passé cinq ans à la présidence. La crainte, ce sont de nouveaux épisodes de violences, comme ceux qui surviennent régulièrement en Guinée quand il s’agit d’élections, à l’image des incidents meurtriers d’avril et mai dernier lors des manifestations de l’opposition. L’autre inquiétude c’est encore un raidissement sur des bases ethniques avec d’un côté les Peuls rassemblés derrière Cellou Dalein Diallo et de l’autre les Malinké avec Alpha Condé. Pour cette présidentielle, Cellou Dalein Diallo a scellé une alliance électorale opportuniste mais ambiguë avec l’ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara, qui pourrait lui apporter des voix de sa région d’origine, la Guinée forestière. Un geste surprenant quand on sait que des partisans de l’UFDG faisaient partie des victimes des massacres du 28 septembre 2009, pour lesquels Moussa Dadis Camara a été inculpé il y a quelques semaines.

Une présidentielle le 18 octobre en RCA ?

Le premier tour de présidentielle centrafricaine pourra-t-il avoir lieu la semaine suivante ? Certains observateurs ou des responsables politiques comme le candidat déclaré Crépin Mboli Goumba n’y croient guère. Après deux ans et demi de crise, la Centrafrique reste un Etat “failli” où la plupart des services publics sont à terre. Y organiser des élections dans de bonnes conditions relève du défi, et le mot est faible. D’autant que de nouveaux affrontements entre chrétiens et musulmans ont eu lieu ces derniers jours à Bambari, dans le centre du pays, faisant au moins une quinzaine de morts. Il faudra ramener le calme, aller au bout d’un recensement électoral difficile, trouver les fonds nécessaires au scrutin, établir le fichier électoral et comment faire voter les réfugiés qui ont fui le pays pendant les violences. Soit près de 500 000 personnes dont un peu moins de la moitié d’électeurs potentiels. La communauté internationale s’accroche pourtant à ce calendrier électoral comme à une bouée de sauvetage et son respect est la mission numéro 1 assignée aux autorités de transition. En attendant les candidats se bousculent, dont l’ancien président François Bozizé, des ex-premiers ministres comme Martin Ziguélé, Nicolas Tiangaye ou Anicet Dologuélé… pour un scrutin censé permettre de tourner la page.

La Côte d’Ivoire a quant à elle retrouvé sa tranquillité et son allant économique. Fort de ces résultats, Alassane Ouattara rêve de se faire réélire dans un fauteuil. Une présidentielle apaisée et crédible le 25 octobre servira en tout cas à tenter d’oublier le traumatisme du scrutin précédent et des quelque 3 250 personnes qui ont perdu la vie pendant la crise post-électorale et les affrontements fratricides entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. La société civile ivoirienne vient d’ailleurs de rendre publique une charte qu’elle souhaite faire signer à tous les candidats pour qu’ils s’engagent à une élection sans violence. La quasi-totalité des figures de la vie politique ivoirienne devraient la parapher parce qu’à peu de chose près, ils sont tous sur la ligne de départ : Ouattara bien sûr, mais aussi Pascal Affi Nguessan, Charles Konan Banny, Kouadio Konan Bertin (KKB) pour ne citer qu’eux… Des rivaux qui se présentent donc divisés face à un chef de l’État qui se sent fort.

Le modèle tanzanien

Enfin la Tanzanie aura elle aussi droit à une présidentielle le 25 octobre. Une élection inédite entre d’un côté le ministre des Travaux Publics John Magufuli, vainqueur surprise de la primaire au sein du parti au pouvoir, et de l’autre côté l’ancien premier ministre Edward Lowassa. Défait pendant la primaire, Edward Lowassa a réussi une jolie manœuvre puisqu’il a tout simplement changé de camp pour devenir le chef de file de l’opposition, dont il sera le candidat unique. A l’approche du scrutin, on retiendra surtout le passage de relais du chef de l’État Jakaya Kikwete, qui conformément à la constitution, ne brigue pas un troisième mandat. La Tanzanie fait figure de modèle puisqu’aucun président n’y a tenté un quelconque tripatouillage électoral pour s’accrocher au pouvoir.

Cinq présidentielles donc après lesquelles courront les journalistes et les observateurs, happés par les soubresauts de l’actualité et son temps forcément trop court. Aura-t-on le recul nécessaire pour voir que 2014, 2015 et 2016 pourraient bien ressembler à un tournant de la politique africaine, comme le furent les années 1990 et les grandes conférences souveraines, préludes à la démocratisation.

Il y a déjà eu une révolution au Burkina Faso, une alternance paisible au Nigéria. Il y a maintenant une série d’élections qui se profilent et peuvent chacune incarner un symbole fort pour leur peuple et les dirigeants de la région. L’ouverture au multipartisme des années 1990 s'est malheureusement conclue par un grand espoir déçu. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

Adrien de Calan

Le Togo, ou l’impossible alternance

JPG_Faure Gnassingbé27 avril 2015, 55 ans jour pour jour que la République du Togo est née. Faure Gnassingbé, sereinement, parade dans la ville de Lomé et se permet un bain de foule avant d’allumer la flamme de l’indépendance au Monument de l’Indépendance. Nous sommes au lendemain du déroulement de l’élection présidentielle, à laquelle il a participé. L’assurance de la victoire ne fait aucun doute  dans son camp. Le jour suivant, il sera réélu pour un troisième mandat. Cela fait dix années qu’il est au pouvoir et quarante-huit ans que sa majorité dirige le pays. Entre une opposition en manque de repères et une majorité qui n’est pas prête à se séparer des privilèges du pouvoir, le changement, ce n’est pas maintenant !

S’opposer pour s’exposer, c’est s’opposer sans s’imposer.

En  2002, le tripatouillage de la constitution par une Assemblée nationale monocolore (80 députés sur 81 étaient issus des rangs du parti au pouvoir) issue d’élections législatives boycottées par l’opposition avait permis au feu président Eyadema de briguer un nouveau mandat. Ce, en violation de l’accord cadre de Lomé du 29 juillet 1999 qui stipulait que le « Baobab de Kara » tirerait sa révérence au soir de son mandat issu d’élections déjà contestées en 1998.

Depuis cette modification en 2002, le retour à la Constitution de 1992, qui prévoyait une limitation de mandats et un scrutin présidentiel à deux tours a été incessamment réclamée par l’opposition. Au lendemain de la sanglante élection d’avril 2005, un accord dit Accord politique global va entériner le retour à la Constitution de 1992. Neuf années après cet accord et surtout deux législatures après, la révision de la Constitution n’a toujours pas été faite.

L’opposition togolaise, qui d’habitude brille pour ses divergences et ses querelles de leadership, a réclamé avec un semblant d’unité la réalisation de la  révision constitutionnelle avant les échéances électorales. Mais ce bras de fer  s’est soldé par un échec en raison d’une intransigeance du principal parti d’opposition, l’Alliance nationale pour le changement (ANC), qui frise une certaine irresponsabilité politique.

En effet, un projet de loi de révision a été proposé au Parlement. Ce projet, issu d’un dialogue entre la mouvance présidentielle et l’opposition, prévoyait la limitation à deux mandats avec effet immédiat, ce qui dans l’esprit du parti au pouvoir, avait pour but d’écarter Faure Gnassingbé des prochaines élections. D’ailleurs, l’opposition à travers l’ANC ne s’en cachait pas. Elle revendiquait ouvertement  sa volonté d’empêcher Faure Gnassingbé de participer à ces échéances. Un consensus avait été trouvé entre l’opposition et le parti au pouvoir. Celui-ci consistait en une limitation de mandat sans effet immédiat ; or, l’ANC, disposant d’une minorité de blocage à l’Assemblée nationale, a posé son véto contre un tel consensus. Le principal parti d’opposition réclamait avec intransigeance une révision constitutionnelle avec effet immédiat. Une position intransigeante de l’ANC qui a finalement permis à Faure Gnassingbé  de pouvoir se représenter  sans aucune barrière légale.

La stratégie du «  tout ou rien » de l’ANC semble difficile à soutenir en l’espèce. D’autant plus que le combat de ce parti depuis sa création  est véritablement l’avènement de l’alternance. Manque de stratégie ou cynisme politique calculé ? On ne saurait répondre à cette interrogation. Tout le monde y va de son point de vue. L’ANC continue de jouir d’une popularité importante, surtout dans le sud du pays où le parti a construit son bastion. Pour une certaine partie des partisans de l’opposition, négocier ou concéder des faveurs au parti au pouvoir est signe d’allégeance à ce dernier. Nombreux sont les opposants qui ont perdu toute légitimité  populaire  en raison du fait qu’à un moment donné de leur parcours politique, ils ont jugé utile de collaborer avec le parti au pouvoir. Le principal parti d’opposition qui tient et tire sa popularité de cette intransigeance envers l’UNIR, le parti de Faure Gnassingbé, avait dès lors tout intérêt à ne pas apparaître comme ce parti qui a permis au président de briguer un troisième mandat.

Cependant, dans la conjoncture politique et constitutionnelle togolaise actuelle, pouvait-il  en être autrement ? L’ANC a choisi de satisfaire sa base électorale plutôt que de prendre une décision courageuse dans l’intérêt supérieur  du peuple togolais. C’est dans ces conditions, que les élections présidentielles ont eu lieu le 26 avril 2015.

Des élections au suspens manifestement inexistant

« Le fichier électoral n’est pas fiable mais consensuel ». Ce sont les mots du général Siaka Sangaré, chargé de mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) pour auditer le fichier électoral togolais et remédier aux déficiences dont il fait l’objet. Après deux semaines  d’audit, la conclusion  de l’équipe de l’OIF est sans appel. Le fichier est mauvais. Le fichier électoral Togolais n’est pas fiable et n’est pas de nature à permettre des élections crédibles. Cependant les acteurs politiques du pays, conscients de l’état du fichier, se sont mis d’accord pour organiser des élections présidentielles avec ledit fichier. Comment peut-on alors venir se plaindre au lendemain du scrutin d’avoir été volé, si déjà au départ on avait conscience que l’arbitre du jeu n’est pas fiable ?

Ceci a été en tout cas la réaction du CAP 2015, un regroupement de partis qui a porté la candidature du président de l’ANC Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition. Une partie de l’opposition a boycotté ces élections, car estimant qu’elle ne servirait qu’à accompagner le parti au pouvoir dans sa mascarade, et par là à légitimer aux yeux de la communauté internationale, une réélection du président sortant.

Aujourd’hui, Faure Gnassingbé est réélu, avec une Constitution qui lui permet de se représenter autant de fois qu’il le souhaite. Le Togo reste l’un des derniers pays de la sous-région ouest-africaine dont la Constitution ne prévoit pas de limitations de mandat et dont les  élections sont toujours  à un tour. Cette situation est une aubaine pour le parti au pouvoir qui régente ce pays depuis 1967, année de l’accession au pouvoir de Gnassingbé Eyadema. Près d’un demi-siècle de règne plus tard, ce parti n’est pas prêt à mettre  en place les conditions nécessaires  à une alternance. La situation politique togolaise d’une complexité avérée, stagne dans une impasse qui fait les affaires du régime  et de ses alliés. Pour le changement, le peuple attendra.

Le procès Habré ne doit pas être la justice des vainqueurs

JPG_AffairePetroTim060115Le procès qui s’est ouvert le 20 juillet 2015 à Dakar contre l’ancien Président tchadien Hissène Habré, représente un moment clé dans l’histoire judiciaire du continent africain. Les Chambres africaines extraordinaires, créées dans le cadre d’un mandat de l’Union africaine à l’Etat sénégalais, ont ouvert une page inédite du droit pénal international, et vont livrer un verdict qui, quel qu’il soit, fera date dans la justice mondiale en matière de droits humains. Hissène Habré est jugé pour crimes contre l’humanité, torture, et crimes de guerres commis au Tchad entre 1982 et 1990, après de longues années de lutte des victimes, familles et ONG.

Cependant, le triomphe que représente en soi la tenue de ce procès ne doit pas occulter la nécessité de faire la part de responsabilité que d’autres ont eue dans la commission de ces crimes. En effet, il serait dommage de faire porter à Habré seul la responsabilité de tous ces crimes. Les Chambres africaines extraordinaires doivent saisir l’occasion pour rendre justice entière. Pour la première fois, un ancien chef d’État africain est jugé dans un pays africain pour des crimes qui relèvent de la justice internationale par des juges africains. Cette possibilité offerte par le principe de la compétence universelle prévue par la Convention de New York sur la Torture, doit permettre de juger tous les responsables des forfaits commis.

La première raison est qu’Hissène Habré n’a certainement pas agi seul dans ces forfaits, et qu’en matière pénale les peines ne doivent pas être partagées, a fortiori en matière de droits humains et de torture. Habré est devenu président en juin 1982 à la suite d’une longue période d’instabilité ouverte par la chute du régime de François Tombalbaye (1960-75), avec l’aide de puissances étrangères comme la France et les Etats-Unis, et gouverné avec leur soutien. Certes, son pouvoir dictatorial a fait environ 40 000 victimes sur des bases ethnico-politiques, notamment lors de l’Opération « Septembre noir » en 1984 au sud du pays. C’est exactement pourquoi il faut faire juger ceux qui y ont pris part, sachant que certains d’entre eux occupent de hautes fonctions au Tchad et ailleurs en Afrique. L’actuel Président tchadien Idriss Déby, qui était chef des Forces armées nationales de 1983 à 1985, a organisé un procès contre ceux qui étaient soupçonnés d’y avoir participé. Cet empressement montre une volonté de faire taire des voix gênantes et de protéger certains.

La deuxième raison est que la justice africaine doit garder son indépendance et sa souveraineté : la responsabilité des Etats-Unis et de la France, qui ont aidé le Tchad d’Habré dans son conflit contre la Libye de Mouammar Kadhafi, doit clairement être établie dans le cadre de ce procès. Habré a voulu libérer le Nord du Tchad, si convoité par le guide libyen. Les victimes qui ont porté l’affaire devant un tribunal belge, et obtenu du Sénégal qu’il juge Habré après l’injonction de la Cour internationale de justice de « juger ou extrader », doivent fournir les mêmes efforts pour réclamer la mise en lumière du rôle des puissances étrangères dans les actes commis par son régime, pour respecter le principe d’égalité devant la justice. L’opération Épervier déclenchée par les forces françaises au début de 1986 en réponse à l’invasion de troupes libyennes, ainsi que l’aide américaine ont été cruciales dans le maintien d’Habré au pouvoir. C’est pourquoi il faut situer toutes les responsabilités, même à l’étranger.

Si ce procès ne permet pas de faire la lumière sur toutes les responsabilités dans ces crimes, le Sénégal et l’Afrique vont perpétuer l’image d’une justice internationale partiale –  celle des vainqueurs. Une justice qui sert à faire des exemples, mais pas toute la lumière. Tous ceux qui sont passés à La Haye, Africains ou pas, restent des bouc-émissaires de violences collectives qu’une poignée d’individus n’ont pas pu commettre seuls entre eux. Les Chambres africaines extraordinaires ont l’immense occasion de démontrer que la justice internationale peut être équitable, et ne doit pas simplement être une justice symbolique, ni celle des seuls vainqueurs.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Le Mali : état des lieux du « changement » après la crise

JPG_IBKLes différentes crises, auxquelles le Mali a eu à faire face, ont soulevé une question essentielle : le désir de changement dans le fonctionnement de l’Etat, et dans le mode de gouvernance. Ce désir de changement se traduisait, dans l’esprit des Maliens, par un renouvellement du personnel politique, aux affaires depuis la révolution démocratique du 26 mars 1991. Plusieurs objectifs devaient en découler : la résolution définitive de la question touarègue, à l’origine de la crise de 2012 ; l’instauration d’une justice impartiale, face aux différentes exactions commises ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; reformer l’État affaibli par la crise en proposant une nouvelle forme de gouvernance ; une redistribution plus équitable des richesses nationales…  Élu à la faveur d’un ballotage joué d’avance, les attentes des Maliens à l’égard du président Ibrahim Boubacar Kéita étaient alors immenses. Pourtant, presque deux ans après l’élection présidentielle post-crise, certains agissements démontrent la persistance des pratiques tant décriées du passé.

Les aspirations de changement après la crise 

La crise malienne est aussi apparue comme un moyen de changer les habitudes du passé. La légitimité accordée à Ibrahim Boubacar Kéita, suite à la présidentielle de 2013, représentait une réelle occasion de lancer le Mali dans une réforme en profondeur. L’engouement pour la présidentielle était sans précédent. Avec près de 49 % au premier tour, et 45,73 % au second tour, le taux de participation a été remarquable dans un pays où elle atteint d’habitude des taux particulièrement bas. [1]  Ces chiffres que nous qualifions de remarquables, eu égard aux élections précédentes, sont toutefois la marque d’une défiance vis-à-vis de la démocratie, et restent malgré tout faibles comparativement à d’autres pays.

Dans la situation d’un Mali en pleine crise territoriale, le candidat Ibrahim Boubacar Kéita a axé sa campagne sur la restauration de l’autorité de l’Etat. Ses meetings électoraux étaient rythmés par la volonté de refonder et de renforcer l’Etat très affaiblit. Des discours qui ont su galvaniser un électorat en mal d’Etat. IBK est alors apparu comme étant le mieux à même de formuler des propositions concrètes pour régler la crise du Nord-Mali.

Il nous semble que cet aspect de sa campagne ait séduit de nombreux électeurs. Il a obtenu vingt points d’avance sur son principal rival, Soumaïla Cissé, au premier tour. Au second tour, il a été crédité de 77 % des suffrages, une victoire nette exempte de toutes contestations, lui conférant une certaine légitimité. On pourrait expliquer ce plébiscite électoral par le passé politique d’Ibrahim Boubacar Kéita, un passé auréolé d’une réputation d’autorité, acquise durant sa période passée à la primature entre 1994 et 2000. Il apparait comme celui qui a su faire montre de toute son autorité à l’égard des nombreuses manifestations estudiantines avec, à la clé, une année blanche. Il est parvenu à remettre de l’ordre dans l’armée, en prononçant la dissolution de la coordination des sous-officiers et des hommes de rang. Il a également su gérer la période très délicate de tensions et d’affrontements communautaires qui a suivi la signature du Pacte national en 1992, à la suite de la rébellion touarègue.

Le président IBK ‘’entre rupture et continuité’’

Depuis le renversement de la dictature en 1991, le paysage politique malien souffre d’une absence de renouvellement de personnel politique, restée quasi intacte. Tout au long de la campagne électorale, l’actuel président IBK s’est attelé à incarner la rupture. Si son élection répondait à des besoins de changement exprimés par les Maliens, elle n’a pas favorisé l’alternance de la classe politique. Ce qui, en revanche, a pu être constaté, c’est une forme d’équilibre entre continuité et renouveau dans le mode de gouvernance. Une partie des femmes et hommes politiques qui ont composé le gouvernement d’IBK, sont ceux qui ont auparavant gouverné le Mali. Soumeylou Boubèye Maiga, Sada Samaké, Cheickné Diawara, Moustapha Dicko, Berthé Aissata Bengaly, Bouaré Fily Sissoko, Ousmane Sy, réapparus en tant que membres du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, sont autant de noms anciens du paysage politique malien. 

Ancien Premier ministre du président Alpha Oumar Konaré (1994-2000) et ancien président de l’Assemblée nationale sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (2002-2007), IBK, qui avait pourtant axé sa campagne sur le thème du ‘’changement’’ n’incarne pas vraiment la rupture avec l’ancien régime. Le slogan du changement avec l’ancien régime dont il s’est servi, est un vœu également exprimé par les Maliens, du fait que le président Amadou Toumani Touré est considéré, par de nombreux d’entre eux, et par une partie de la classe politique et religieuse, comme responsable de tout ce que le Mali a connu en termes de crise, à partir de 2012. Son mode de gouvernance, sa gestion du Nord-Mali (passivité vis-à-vis d’une insécurité grandissante), ses liens, supposés ou réels avec des personnes concernées par les prises d’otages occidentaux ont achevé de jeter le discrédit sur son régime. Or, la réapparition d’anciens membres de ce régime dans le gouvernement d’IBK, combinée à la politique menée par le président malien après deux années au pouvoir, pourraient être considérées comme la continuité de ce qui auparavant n’a pas fonctionné, à savoir la perpétuation de vieilles pratiques de clientélisme, de corruption, de carence de vision politique structurée, de querelles intestines. En dix-huit mois de présidence d’IBK, trois premiers ministres se sont succédés : Oumar Tatam Ly de septembre 2013 à avril 2014 ; Moussa Mara d’avril 2014 à janvier 2015, et Modibo Keita depuis le 9 janvier 2015.

Le caractère opportuniste da la vie politique malienne

Sous le président ATT, la politique du consensus – désignée par la « neutralisation des partis politiques, la distribution de prébendes, et les liens clientélistes tissés entre le pouvoir et les dirigeants des principales formations politiques » (Boudais & Chauzal, 2006) semble être toujours d’actualité, sous la présidence d’IBK. A l’issue des élections législatives de 2013, le parti du président IBK, le Rassemblement pour le Mali (RPM), a remporté seulement 66 sièges. Ne disposant pas, à lui seul, de la majorité des 147 sièges du parlement, et compte tenu du caractère opportuniste des alliances électorales, le parti présidentiel est toutefois parvenu à constituer une alliance qui a permis la formation d’une majorité présidentielle composée de 115 parlementaires. Les élections n’ont d’ailleurs permis qu’un renouvellement limité du personnel politique au sein du parlement malien.

L’anthropologue malien Birama Diakon (2013) impute le refus d’alternance de la classe politique malienne à un sentiment de crainte, et estime qu’il faudrait que ceux qui ont gouverné le Mali pendant deux décennies se disent : « 20 ans, ça suffit, on se retire. Mais ils savent que s’ils perdent leurs postes au gouvernement, ils risquent d’aller en prison. C’est pour cela que nous assistons aujourd’hui à la formation d’une coalition de tous ceux qui veulent sauver leur tête […] ».

Un des partis pris de cette note est de considérer qu’Ibrahim Boubacar Kéita n’avait pas de programme intégral pour le Mali. Celui présenté durant la campagne électorale était d’ailleurs assez flou, contrairement au programme du challenger Soumaïla Cissé. Le slogan de la restauration de l’autorité et de la souveraineté de l’Etat, qu’il avait fait sien, ne résultait d’aucune planification étayée. Depuis, la popularité recueillie par IBK, à l’issu de l’élection présidentielle de 2013, s’est très vite érodé sur le plan national, les attentes de changement tant exprimé par les Maliens, jusque-là, tardant à se concrétiser.

Les surfacturations dans l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, une preuve de la persistance de  pratiques de corruption et de clientélisme

Dans le contexte de la crise sécuritaire, les impératifs de dotation des forces armées malienne, engagées dans les opérations de reconquête du territoire, ont servi de contexte au ministère malien de la Défense, pour instaurer une politique d’équipement. Ainsi, le gouvernement malien a effectué en 2014 des acquisitions d’un montant total de 88 milliards de francs CFA (134 millions d’euros), dont 19 milliards de francs CFA (29 millions d’euros) pour l’acquisition d’un avion destiné au président de la République, et 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) pour des équipements et matériels destinés aux forces armées.

Les contrats d’acquisition d’un aéronef présidentiel et la fourniture aux Forces armées maliennes d’équipements militaires, signés par le ministre de la défense et des anciens combattants, nous ont démontrés que la corruption, difficile à enrayer, est un phénomène institutionnalisé au Mali. Si les élites politiques peuvent se succéder, le système de gouvernance, lui, reste inchangé. Pendant que le Mali, au lendemain de l’élection présidentielle, s’achemine lentement vers la sortie de crise, les Maliens, ‘’agacés’’ par l’inopportunité de l’achat d’un nouvel avion présidentiel, ont vu dans cet acte une dépense de prestige qui n’était guère indispensable dans une situation économique catastrophique. C’est dans ce cadre qu’une mission du Fonds monétaire international (FMI), s’est rendue au Mali en septembre 2014, dans le but de faire toute la lumière sur l’achat du nouvel avion présidentiel, et sur le contrat d’équipements militaires passé par le ministère malien de la Défense. Cette situation a poussé le Fonds monétaire international (FMI) à geler ses crédits pour le compte de l’Etat malien.

Le rapport du bureau du Vérificateur général, l’organisme principal de lutte contre la corruption, décrit des transactions illégales exécutées par l’Etat : « Le ministère de la Défense et des Anciens Combattants et le ministère de l’Économie et des Finances ont irrégulièrement passé, exécuté et réglé les deux contrats d’acquisition et de fourniture ». Il met en évidence une surfacturation de 29 milliards de francs CFA dans le cadre du contrat de fournitures militaires passé de gré à gré, en 2013, entre le gouvernement malien et l’entreprise Guo-Star. Dans cette affaire, une entreprise privée s’est ainsi vue attribuée, « sans avoir même demandé », un contrat de 69 milliards de francs CFA exonéré de tous droits d’enregistrement.  Elle a également reçu une garantie de l’acheteur – Etat – sans laquelle la banque n’aurait jamais financé une telle opération au profit de cette société. D’où l’interrogation du bureau du vérificateur : « Peut-on indiquer le moindre risque qu’a pris cette entreprise dans le cadre de ce contrat, pour bénéficier  in fine d’une marge bénéficiaire de plus de vingt-cinq milliards de francs CFA » ?

Par la suite, tout au long de la présidence d’IBK, le problème de la corruption s’est visiblement considérablement empiré, dans la mesure où il a atteint des proportions inédites. Le dernier rapport du Vérificateur général, portant sur les années 2013 – 2014, a été remis au président malien début mai 2015. En citant des exemples très précis, le rapport dénonce un manque pour les caisses de l’État s’élevant à 153 milliards de francs CFA (environ 234 millions d’euros), qu’il impute à la corruption et à la mauvaise gestion…

 


[1] Dans son Rapport final sur l’élection présidentielle de 2013, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Mali relève qu’un tel taux de participation n’avait jamais été atteint sous la Troisième République.

 

La diplomatie islamique du Maroc vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne

JPG_Maroc ImamsAu Mali, une simple connaissance de la langue arabe, aussi superficielle soit-elle, suffit pour devenir imam ou prêcheur. Une partie des imams ne maitrise d’ailleurs pas la langue arabe, qui est la langue de l’islam, et n’est dépositaire que de connaissances théologiques effleurées. Bien que pouvant présenter des déficiences, ces leaders religieux sont toutefois acceptés comme tels, et leurs propos restent perceptibles auprès de leur auditoire, les fidèles.

Il n’y a pas de formation spécifique au Mali, on devient donc imam par la force des choses.  Les mosquées dans lesquelles officient ces imams, sont généralement privées. Les ‘’généreuses’’ personnes impliquées dans le religieux, qui les bâtissent, choisissent librement leurs imams.

La visite du roi du Maroc, Mohamed VI, à Bamako le 18 février 2014, a donné lieu à la conclusion d’un accord sur la formation d’imams maliens. Le royaume du Maroc s'est engagé à accueillir cinq cents imams maliens sur cinq ans. Le but est de former des imams authentiques sur la base de l’islam malékite, ouvert et tolérant. En sus de ses caractéristiques strictement religieuses, il nous parait que cette généreuse offre du royaume chérifien, vis-à-vis de l’État malien, s’inscrit aussi dans un cadre géopolitique qu’il nous semble important d’analyser. 

La formation des imams maliens par le royaume du Maroc

Cent six imams maliens, sélectionnés par le ministère malien du Culte et des Affaires religieuses, sont actuellement en formation dans un centre de formation des imams, de Rabat. Il s’agit pour la plupart, d’imams débutants, âgées de 25 à 45 ans, et venant de toutes les régions du Mali. Cette formation est structurée autour des enseignements sur la méthodologie du prêche, l’histoire de l’islam, la vie du prophète, les sciences coraniques, mais aussi en informatique et en communication. L’expérience malienne a inspiré d’autres pays africains, qui souhaitent également former leurs imams au Maroc. Le ministère marocain des Affaires islamiques a ainsi reçu les demandes de formation du Gabon, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Conakry. Face à ces demandes, le 12 mai 2014, le roi Mohamed VI a donné le coup d'envoi des travaux de « l’Institut Mohammed-VI de formation des imams, morchidines (prédicateurs) et morchidates (prédicatrices). Situé à Rabat, et couvrant trois hectares, le centre abritera des salles de cours et de conférence, des locaux administratifs, des logements et des services de restauration pour les étudiants étrangers. « Le coût des travaux est évalué à 140 millions de dirhams (environ 12 millions d’euros) »[1].

Le programme de formation des imams maliens semble opportun, compte tenu des récentes manifestations de l’islam au Mali. Par ailleurs, il laisse apparaitre ses limites. Le directeur de cabinet du ministre marocain des Affaires islamiques explique que son pays forme « des imams authentiques qui n’iront pas chercher d’autres idées que celles qui sont dans la population depuis des siècles »[2]. Il apparait ainsi que, d’une part, le projet de formation des imams par le Maroc vise à préserver les choix rituels et doctrinaux du pays, relevant de l’islam malékite. D’autre part, cette démarche aurait sans doute été bénéfique, seulement, dans le cas où les autorités maliennes octroieraient l’imâma (la fonction d’imam, par extension de prédication).

La sphère religieuse malienne n’étant soumise à aucune règle spécifique, la portée de cette démarche risque de produire que des impacts très limités. La construction de mosquées au Mali n’est soumise à aucune autorisation préalable. Une structure ou personne qui en érige une, est libre de choisir la personne qui lui semble qualifiée pour conduire les prières et les prêches. La segmentation de l’espace religieux malien étant très prononcée, il est systématique qu’on retrouve dans les mosquées wahhabites les imams de la doctrine et, dans les mosquées malékites, des imams imprégnés du malékisme. Nous considérons que le programme de formation n’ait réellement concerné les imams, et leaders religieux les plus aptes à y participer, c’est-à-dire ceux de la tendance salafiste. Nous avons ainsi pu constater que ceux des imams maliens qui ont fait le déplacement vers le Maroc, en vue d’être formés, sont déjà imprégnés de la culture malékite. Si le but essentiel de la formation consiste à promouvoir un islam tolérant, il devrait nécessairement concerner, en premier lieu, les leaders religieux les plus rigoristes, afin de les ramener à des positions plus modérées. Cet objectif nous semble pourtant difficilement réalisable, car l’islam malékite représente, pour les salafistes/wahhabites, une vision erronée de la religion musulmane. Le choix des personnes, pouvant participer au programme de formation, n’a pu être donc basé sur une procédure ciblée. N’ont répondu à l’appel à candidature, que les imams intéressés par l’offre. Il est donc clair que ceux-ci avaient un penchant pour le rite malékite.

L’islam comme un pont reliant le Maroc à l’Afrique subsaharienne

Compte tenu du rôle croissant du Maroc sur la scène africaine, qui s’exerce aussi fortement à travers la religion, nous nous sommes questionné sur les intérêts que le pays peut tirer de ce type de processus. Outre les mesures de « diplomatie économique », le Maroc a su exploiter d’autres pistes, notamment le biais idéologique (‘’diplomatie islamique’’), dans ses rapports avec l’Afrique subsaharienne. Les convergences idéologiques, en ce sens, pourraient ainsi avoir tendance à favoriser les convergences politiques. Comme l’écrit Alain Antil : « le roi du Maroc cumule les rôles de souverain théocratique et de chef d’État moderne avec des moyens de communication de masse qui permettent de relayer son image et ses discours dans toutes les régions du royaume […] Il est véritablement au-dessus des lois car il détient son autorité de Dieu […] La politique étrangère du royaume n’est que le reflet de la structure du pouvoir, et apparait d’abord comme le domaine réservé du roi » (Alain Antil, 2003). Le souverain du Maroc mène ainsi le jeu diplomatique, qu’il conçoit et conduit lui-même, assisté par quelques conseillers. Il nous semble alors naturel, de ce point de vue, que la religion soit placée au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne.

Tout comme le malékisme fut un important facteur de rapprochement entre les sultans marocains et les empereurs du Soudan Occidental[3], le Maroc semble instaurer, à nouveau aujourd’hui, un cheminement identique visant à conforter ses liens avec des États d’Afrique subsaharienne. Ainsi, à travers ce type d’initiatives, c’est la grandeur du Maroc dans le domaine de l’islam qui se réaffirme sur la scène africaine. En outre, en tant que commandeur des croyants au Maroc, le processus de formation d’imams africains pourrait étendre la portée de l’influence doctrinale du roi Mohamed VI, à d’autres régions subsahariennes, notamment imprégnées du malékisme.

Suite à l’admission de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), lors du sommet de Tripoli de 1982, le royaume du Maroc, en guise de protestation, s’est retiré de l’instance africaine en 1984. Parmi les quatre-vingt pays qui ont reconnu la RASD, dont une majorité d’Etats africains, une trentaine est revenue sur sa décision de reconnaissance. Bien qu’il ait pris part au 22ème sommet de l’Union Africaine (UA), tenu les 30 et 31 janvier 2014 à Addis Abéba, le royaume exclut toute idée d’un retour au sein de l’instance africaine, tant que la RASD y siégera. Cette divergence de visions politiques, qui oppose le Maroc à l’assemblée des États africains, n’empêche toutefois pas le royaume d’exploiter d’autres approches de coopération.

Le partenariat  religieux est désormais inscrit au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de plusieurs États d’Afrique subsaharienne. Face à la conjoncture régionale et internationale, avec l’islam qui apparait, dans des régions, très hostile et sous une forme violente, le Maroc tend progressivement à apparaitre comme un pays clé, pouvant contribuer à radoucir cette religion. Abdelslam Lazaar, directeur de l’école de formation des imams de Rabat, explique ainsi : « Aux étudiants, nous apprenons à lutter contre le terrorisme par le savoir. Par les armes, même pendant vingt ans, vous n’y parviendrez pas. Utilisez le savoir et la pensée, en trois ou quatre années, vous pouvez éradiquer le terrorisme »[4].


[1] Information révélée par Le Matin du 12 mai 2014.

[2] Propos évoqués dans La croix du 23 juin 2014.

[3] L’espace du Soudan Occidental représente une bande de territoires soudano-sahéliens qui traverse en écharpe le continent africain, entre le Sénégal et la Corne de l'Afrique, avec un prolongement le long de la côte de l'Océan Indien. Cette partie de l’Afrique a connu, dans le moyen âge, un essor simultané sur le plan économique, politique, culturel et religieux, à travers l’édification de grands empires (Ghana, Mali, Songhaï).

[4]Propos évoqués dans Libération du 4 janvier 2015.

« Man with a plan » : les défis du président Buhari

buhari-2015-mesageVoilà maintenant six semaines que Muhammadu Buhari a officiellement pris le pouvoir au Nigéria, après une élection historique. Le Major-Général a d’ores et déjà relevé un premier défi, et non pas des moindres : mettre fin à la domination du People’s Democratic Party (PDP), sans rival depuis l’instauration de la Quatrième République en 1999, et défaire un candidat au portefeuille largement mieux fourni pour conduire le Nigéria vers la première alternance démocratique de son histoire.

Six semaines, c’est bien peu pour juger de l’action de Buhari, au regard de l’ampleur de la tâche. Buhari a cependant déjà envoyé un nombre de signaux intéressants, et fixé sans doute possible sa première priorité : éradiquer Boko Haram. Conscient de l’embarras que représente la secte islamiste pour l’image internationale du Nigéria, le président y a consacré ses premières visites diplomatiques au Niger et au Tchad (qui s’étaient souvent plaints de l’attentisme de son prédécesseur) et au G7 en Allemagne, afin de mobiliser la communauté internationale. Le Cameroun, pourtant rarement en bons termes avec son voisin nigérian, devrait prochainement faire l’objet d’une visite de Buhari après la fin du Ramadan.

Aux efforts pour améliorer la collaboration régionale s’ajoutent ceux, tout aussi essentiels, pour améliorer l’efficacité de l’armée nigériane. Là aussi, les premiers signaux envoyés par Buhari sont prometteurs. Le commandement de l’armée devrait être déplacé dans les prochaines semaines d’Abuja à Maiduguri, plus près de la ligne de front ; la hiérarchie militaire vient d'être épurée des généraux incompétents mis en place par Goodluck Jonathan, remplacés par des officiers respectés par les troupes ; et les checkpoints militaires installés à travers le pays sans grande efficacité vont être démantelés pour libérer des effectifs supplémentaires. D’ici quelques mois, une fois la réorganisation de l’armée en marche, on peut s’attendre à ce que la lutte contre Boko Haram connaisse des avancées significatives.

Au-delà de Boko Haram, qui concentre l’attention des médias internationaux, Buhari aura fort à faire face à l’immensité des défis qui l’attendent. Morceaux choisis :

  • Relever les finances publiques, laissées dans un état déplorable par quinze années de gabegie.
  • S’attaquer à la corruption, généralisée à tous les échelons de l’État
  • Apporter l’électricité à un peuple habitué à vivre dans l’obscurité ou  le bruit des générateurs (pour ceux qui en ont les moyens).
  • Mettre fin au paradoxe qui fait que le plus gros producteur de pétrole du continent puisse régulièrement connaître de longues pénuries d’essence
  • Diversifier l’économie et s’extraire d’une dépendance au pétrole qui a montré ses dangers depuis la fin de l’année dernière, avec l’effondrement des cours du baril.

Face à ces défis, Buhari a pour instant opté pour une approche méthodique, prudente et sans précipitation. Le président consulte, écoute, lit beaucoup, et surtout prend soin de constituer une équipe plus compétente et intègre que ses prédécesseurs. Si la barre n’est certainement pas très haute, la tâche n’en est pas moins difficile, et révélateur des travers de la classe politique nigériane dans son ensemble. Selon certaines sources, seule une petite dizaine de « ministrables » auraient survécu aux enquêtes imposées par Buhari sur leur passé et l’origine de leur patrimoine, sur plus d’une cinquantaine de dossiers examinés. Séparer le bon grain de l’ivraie d’une manière aussi exigeante et méthodique est certainement chose nouvelle au Nigéria, plus habitué aux nominations imposées par certains parrains politiques ou dictées par des considérations ethniques ou régionales. L’exercice est de fait appelé à se prolonger encore quelques semaines : la composition du gouvernement n’est pas attendue avant septembre, soit quatre mois avant l’entrée en fonction du président.

Pendant ce temps, cependant, l’opinion publique s’impatiente. Déjà, certains commentateurs de la presse nigériane ont affublé au président un nouveau surnom, « Baba-Go-Slow » ; déjà, commencent à se propager des rumeurs sur son état de santé fragile, ses capacités intellectuelles limitées ou ses trous de mémoire supposés. C’est peut-être là le principal faux-pas de Buhari : maintenir les Nigérians dans l’expectative et donner libre cours aux spéculations. Que Buhari souhaite ancrer son régime sur des bases solides avant de lancer son programme de réformes est tout à fait louable ; mais à trop peu communiquer sur ces travaux préparatoires, il risque de donner l’impression d’un président sans repères et en manque d’initiative.

La bataille de l’opinion publique risque de ne pas être de tout repos, tant les attentes sont grandes. Améliorer la gouvernance et réformer les institutions apporte rarement des progrès visibles à court terme, et fait généralement se lever une armée de détracteurs qui avaient tout à gagner au statu quo. La comparaison avec le président guinéen Alpha Condé est instructive : si Condé a probablement fait plus pour son pays en cinq ans pour tous ses prédécesseurs réunis, le citoyen lambda n’a guère vu l’impact de ces réformes sur son portefeuille, et sa présidence s’est heurtée à une vague quasi-ininterrompue de mécontentement social nourri par des espoirs déçus.

Désireux tel qu’il est de faire bouger le système, Buhari va probablement connaître un scénario par moments similaire. Comment le président, ancien dictateur devenu démocrate, saura faire face à ces probables remous reste aujourd’hui une inconnue. Une chose est sûre : le Nigéria que Buhari s’apprête à gouverner est bien différent de celui qu’il avait dirigé d’une main de fer lors de son premier passage au pouvoir, entre 1983 et 1985. Entreprenant, ouvert aux médias, las de ses souffrances et  impatient de changement, ce Nigéria-là ne se laissera pas dompter. Goodluck, Mister Buhari !

La loi anti-tabac au Sénégal : réelle avancée ou écran de fumée

JPG_Tabac Sénégal 230615Plus d’un an après l’adoption, par l’Assemblée nationale sénégalaise, d’une loi anti-tabac puis sa promulgation par le président Macky Sall, son effectivité se fait attendre. Les décrets et autres textes règlementaires d’application sont encore dans le pipeline administratif.

Retour sur les motivations de la loi

Selon le Docteur Abdou Aziz Kassé, président de la Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab) : « le tabac représente la plus grande menace en matière de santé, dans le monde. C’est la seule substance qui, utilisée comme le dit le vendeur, tue la moitié de ses usagers ». Les estimations font, en effet, cas de 100 millions de personnes tuées par le tabac au cours du siècle dernier. Sept millions de personnes en meurent chaque année ;  soit plus que le SIDA (2,1 millions) et le paludisme (0,6 Million) réunis. Le Dr Kassé ajoute que les fumeurs font 600 000 victimes par an (soit autant que le paludisme) dans leur entourage immédiat c'est-à-dire les conjoints, les enfants, les contacts et les proches.

Ainsi, de nombreux  spécialistes et organismes de recherche s’accordent sur une prévision : si des mesures drastiques ne sont pas prises, le fléau entrainera 1 milliard de morts au cours de ce 21ème siècle et c’est « pour éviter ce véritable génocide, ajoute le président de la Listab, que l’OMS a proposé à l’ONU une convention cadre définissant toutes les stratégies efficaces de lutte contre l’épidémie de tabagisme. L’ONU a adopté, en 2003, ce traité majeur qui demeure, à ce jour, le seul traité de santé adopté. »

Le Sénégal avait déjà voté une loi, en 1981, sur l’interdiction de la publicité relative au tabac et de son usage dans les lieux publics. Cette loi n’a pas eu les effets escomptés. Elle subira même des modifications, en 1985, qui feront sauter l’interdiction de fumer dans les lieux publics pour ne garder que l’aspect lié à la publicité. En 2004, le pays a ratifié la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. « Par cette ratification, le Sénégal était juridiquement lié par l’ensemble des dispositions du Traité, et s’est mis dans l’obligation de transposer ladite Convention-cadre en droit interne (Article 5.2 b CCLAT), avec des dispositions tendant à la protection des populations contre les méfaits du tabagisme et contre l’exposition à la fumée du tabac.

« Les différents gouvernements qui se sont succédé au cours des deux mandats du président Abdoulaye Wade (entre 2000 et 2012) n’avaient fait aucun effort pour respecter ces engagements» explique le Dr Kassé. Toutefois, à partir de 2008, la société civile va  accompagner les autorités dans la rédaction d’un texte de loi réglementant la production, la distribution et l’usage du tabac. La loi de mars 2014 constitue l’aboutissement du processus.

Le contenu de la loi

Le contenu de la loi peut-être décliné en cinq points : l’interdiction de toute forme d’ingérence de l’industrie du tabac dans la définition des politiques de santé, l’interdiction de toute forme de publicité, promotion ou parrainage qu’ils soient  directs ou indirects, l’affichage des avertissements sanitaires indélébiles, écrits avec des photos en couleur, sur 75% des principales faces de tout emballage de tabac et de produits du tabac, l’interdiction totale de fumer dans tous les espaces publics et ouverts au public, sans espace dédié aux fumeurs, l’adoption d’une taxation forte conforme aux dispositions communautaires de la CEDEAO et qui devrait être révisée, tous les ans, et indexée sur le coût de la vie.

Le ministre de la Santé, Awa Marie Coll Seck, s’est battu pour, dit-elle, « permettre à certains établissements d’avoir un endroit où les personnes qui veulent fumer pourraient se retirer ». De l’avis du Dr Kassé, sans cet « unique point noir », le Sénégal aurait eu la meilleure loi du monde.

Pour le Pr Abdoulaye Diagne, Directeur Exécutif du Consortium pour la Recherche Economique et Sociale (CRES) : « l’acquis majeur de cette nouvelle loi est l'interdiction de fumer dans les espaces publics ainsi que la possibilité donnée à l’autorité administrative locale d’entériner l’interdiction de l’usage du tabac dans sa localité en cas de menace de trouble à l’ordre public ». De son point de vue « cette dernière disposition permettra aux autorités locales, notamment des villes religieuses, d'interdire sur une base légale l'usage du tabac si cette mesure est sollicitée par les populations ».

Où se situent les blocages ?

Haoua Dia Thiam, présidente de la Commission Santé de l’Assemblée nationale, estime que les parlementaires qui ont porté cette loi ont « rempli leur part du contrat en faisant adopter un bon texte après un important plaidoyer auprès de leurs collègues ». Elle pense que la balle est désormais dans le camp de l’Exécutif. Au ministère de la Santé, l’on assure que le processus suit son cours même si l’on reconnait quelques lenteurs liées, par exemple, à la lutte anti-Ebola qui, à un moment donné, avait mobilisé toutes les ressources. Le Dr Oumar Ba, point focal de la lutte anti-tabac dans ce ministère explique : « certaines dispositions de la loi sont déjà entrées en vigueur, seulement les populations ne se les sont pas appropriées. Pour d’autres, il faut des décrets et des textes réglementaires interministériels d’application. Nous travaillons sur neuf textes parmi lesquels trois sont déjà achevés et mis dans le circuit administratif ». Les considérations prises en compte par ces textes vont de la définition de ce qu’est un lieu public à celle des montants des amendes en cas de violation de la loi en passant par les prérogatives des forces de l’ordre en la matière.

Le Pr Abdoulaye Diagne du CRES comprend les lenteurs notées dans le processus. « Ces textes, explique-t-il, s’avèrent parfois assez complexes et leur rédaction requiert l’appui technique d’experts pour prendre en compte tous les aspects y afférents. Le ministère de la Santé est à pied d’œuvre mais il a besoin de soutien technique »

Les responsables dudit ministère ainsi que des parlementaires reconnaissent l’ingérence de l’industrie du tabac qui avait déjà réussi à s’inviter aux débats lors de la rédaction de la loi et qui, aujourd’hui, ferait un intense lobbying pour entraver le processus.

Sylviane Ratte, conseillère technique à L’Union internationale contre le tabac et les maladies infectieuses met en garde les autorités sénégalaises : « ce qu’elles doivent savoir c’est que la stratégie de l’industrie du tabac est  principalement d’intimider, de menacer, de faire du chantage économique, tout cela sur la base de données fausses ou tendancieuses ». Et de poursuivre : « les autorités sénégalaises ne devraient pas tomber dans les pièges de l’industrie du tabac. Celle –ci, non contente de tuer 6 millions de personnes chaque année et de créer des souffrances partout dans le monde,  exagère grossièrement son apport aux Etats, sa contribution à l’emploi et  ne parle jamais du coût social du tabac ».  Ce coût social consiste en des pertes en vies humaines, des dépenses élevées sur les soins de santé, une perte de productivité. 

Racine Assane Demba

Le tropisme africain du Maroc, entre pragmatisme et intégration africaine

JPG_Mohamed VI AfriqueAujourd’hui, l’avenir du Maroc se joue en Afrique au Sud du Sahara. Le tropisme africain du Maroc apparait comme un enjeu des nouvelles formes de diplomaties à l’intérieur des pays du Sud, bâties sur la recherche mutuelle d’intérêts économiques, le sentiment d’appartenance à un même bloc géopolitique et la solidarité entre nations du Sud.

Une place à prendre

Le récent ballet diplomatique du Roi Mohammed VI, en mai 2015, en Afrique règle au moins une question longtemps abordée par les spécialistes de la diplomatie comme une incompréhension géostratégique : l’intégration du Maroc dans l’Union européenne comme Etat-membre. En effet, en 1984, le Maroc du Roi Hassan II avait clairement soumis un projet d’adhésion à la Communauté économique européenne, qui sera rejeté en 1987 pour « non-européanité » du royaume chérifien.

Après les déstabilisations du Maghreb pour cause de « printemps arabes », la perte de vitesse du Nigéria due, entre autres, à l’hydre Boko Haram, l’essoufflement économique et les embarras identitaires de l’Afrique du Sud, l’effacement de l’Algérie en quête de stabilité, le Maroc se découvre un axe diplomatique à défendre : extension de son influence à l’Afrique subsaharienne et organisation de partenariats stratégiques dans une partie du continent à la croissance économique prometteuse.

En réalité, la coopération avec les voisins du Sud n’est pas nouvelle. A la fin du protectorat espagnol au Maroc et à l’avènement des indépendances africaines, le Maroc s’est impliqué dans la diplomatie africaine post-colonisation et  dans la création de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA), qu’il quittera en 1984 à cause de divergences sur la réalité de la République arabe sahraouie démocratique. Aujourd’hui, le Maroc a pour objectif d’être la passerelle entre la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne et s’impose comme un acteur des relations internationales au même titre que la France, la Chine, les Etats-Unis, l’Union Européenne sur le continent noir.

Au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Gabon et en Guinée Bissau en mai 2015, le Roi Mohamed VI a réaffirmé à ses interlocuteurs la volonté du royaume : densifier ses partenariats et ériger des coopérations de fond sur les enjeux des sociétés modernes. Maintien de la paix, éducation, solidarité, culture, politique d’investissement sur l’immobilier, eau potable, tous ces secteurs sont à l’agenda des réalisations ou des projets du Maroc.

Ainsi au Sénégal, le Maroc a participé au financement au programme immobilier de la Cité des Fonctionnaires pour loger près de 2 900 ménages. Le Maroc a également fait don, pour la lutte contre le sida, de médicaments et matériel médical. Le Royaume a financé des pèlerinages à la Mecque ou encore proposé son appui technique pour le raccordement électrique de villages sénégalais. En Côte d’Ivoire où le Roi Mohamed VI s’était déjà rendu en 2013 et 2014, le soutien à la reconstruction de ce pays ouest-africain a été l’objet de plusieurs accords signés pour la construction d’infrastructures, mais aussi sur les plans immobilier, bancaire, agricole, touristique et culturel.

Les partenariats proposés reposent sur des projets de développement économique avec l’implication du secteur privé marocain qui cherche à accroitre son développement. En cela, la diplomatie économique du Maroc tient à la fois du pragmatisme et de l’influence politique.

La diplomatie « sud-sud » en action

La contestation des anciennes formes de partenariats entre le Nord et le Sud et la nécessité d’adapter les enjeux dans un monde en mutations géopolitiques jouent en faveur de la diplomatie des pays émergents. Avec l’implantation de la Chine pour ravir les parts de marché, la perte d’influence des grandes puissances et la redéfinition des politiques internationales de développement, plusieurs facteurs confortent le changement de paradigme.

La France et une grande partie de l’Europe ont recentré leurs priorités vers des enjeux plus nationaux, du fait de la crise économique qui frappe de plein fouet ces aires. Les expansions de marché économique africain sont toutes tournées vers des marchés à la croissance exceptionnelle, qui oscille entre 5  et 6 % en moyenne par an. Les populations sont jeunes, mieux éduquées, plus au fait des capacités de la révolution numérique. Les techniques administratives se professionnalisent, les pouvoirs politiques mieux soumis au contrôle citoyen, les universités sont plus adaptées aux formations de demain.

Tous ces paramètres font non seulement du continent africain, malgré le retard conséquent sur le plan économique et les freins politiques et sécuritaires par endroits, une terra nova pour le business et la construction d’un avenir commun que les Marocains ont réellement perçu.

Avec ou sans l’Union africaine ?

Depuis le départ de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1984, le Maroc a multiplié les signes de création d’une intégration africaine tout en niant son appartenance à l’appareil censé incarner ce vœu. Evidemment, la question du Sahara n’est pas totalement vidée de sa substance, mais il faut reconnaitre qu’à part l’Algérie, peu de pays africains, aujourd’hui, clament leur reconnaissance d’un Etat aux Saharaouis. Pour preuve, beaucoup sont revenus sur leur reconnaissance comme le Bénin, Madagascar, le Togo ou encore le Tchad. Pour le moment, la coopération avec les voisins du Sud n’aborde pas clairement le sujet épineux du Sahara mais en diplomatie, le temps est une valeur-refuge.

Ceci étant, avec la coopération universitaire, les politiques d’investissement, le maintien de la paix, le Maroc revient en force et cette nouvelle donne poussera les pays subsahariens à travailler à l’intégration d’un partenaire stratégique au sein d’une Union qui se veut forte et décisive dans le concert des nations. La pression est plutôt du côté des pays africains pour voir comment prochainement intégrer le Maroc au sein de l’institution continentale. Pour le Maroc, son influence a rempli sa mission: être incontournable; la boucle serait bouclée.

Régis Hounkpé

Décentralisation et gouvernance au Sénégal : comment stimuler le développement territorial

Décentralisation SénégalLe rôle des exécutifs locaux est de réaliser des actions de développement innovantes dans les domaines de compétence qui leur sont attribués. Au Sénégal, la décentralisation territoriale a obéi au souci de l’Etat central de contrôler de près l’action des collectivités locales depuis la première réforme de 1972 (Acte 1) et la création de la « communauté rurale ». L’État confie la gestion foncière au Président de conseil rural, mais conserve un fort contrôle de légalité de ses actes. Par la suite, la régionalisation opérée en 1996 (Acte 2) a doté la région, nouvelle entité locale, d’une autonomie de gestion administrative et financière pour désengorger la capitale du pays, Dakar. L’Etat central garde cependant toujours un contrôle de légalité étroit, majoritairement a posteriori. Avec l’Acte 3 de la décentralisation, qui a pour ambition d’ « organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable » (selon l’exposé des motifs de la loi 2013-10), les communautés rurales deviennent des communes de plein exercice et les régions disparaissent. Parallèlement, des pôles-territoires sont dessinés entre des zones porteuses de logique économique : le Pôle Casamance, territoire test, pour le potentiel en industrie, élevage, tourisme et agriculture ; le Pôle Diourbel-Louga pour l’agriculture et l’élevage ; le Pôle Fleuve Sénégal pour l’hydroélectricité, la riziculture,  le maraichage, l’industrie agro-alimentaire et la pêche ; le Pôle Sine Saloum, bassin arachidier, pour ses ressources halieutiques, touristiques et agricoles ; le Pôle Sénégal Oriental pour le tourisme et les exploitations minières ; Le Pôle Dakar-Thiès, pour ses potentiels industriels, le maraîchage, la pêche, l’artisanat, le tourisme et les services publics.

Ce nouveau découpage jette une passerelle entre deux objectifs : autonomie administrative des communes et urbanisation harmonieuse qui doit combler les faiblesses apparues dans le passé. Il rompt avec le transfert strict de domaines de compétences aux collectivités locales sans l’octroi de moyens qui devaient l’accompagner. Dès lors, les maires élus sous l’ère de l’Acte 3 doivent réaliser une réelle transition urbaine. Aux fonds de dotation de la décentralisation et fonds de concours des collectivités locales, des moyens financiers provenant de bailleurs de fonds et de places financières sont mobilisables.

Avec l’Acte 3, les autorités cherchent premièrement une meilleure cohérence territoriale en mettant fin aux disparités entre communes et communautés rurales, ce qui permettrait d’effacer les différences statutaires, de démocratiser davantage l’intervention des exécutifs locaux sur le plan international et d’équilibrer l’allocation des ressources provenant de l’Etat. Cela permettrait également de se conformer aux directives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), sur l’harmonisation des appellations des collectivités territoriales. Deuxièmement, dans une démarche de coopération intercommunale, le département permettrait, d’une part, d’adapter la planification au niveau régional afin de  faciliter son appropriation par les échelons communaux ; et d’autre part, de servir de cadre de mise en œuvre des projets territoriaux et des politiques publiques, dont la réalisation dépasse le cadre d’une commune, par la mutualisation des ressources, des énergies et des moyens de toutes les communes du département. Enfin, le regroupement des régions en pôles de développement permet de valoriser les potentialités de chaque territoire et les mobiliser au service du développement local.  Ainsi, cette nouvelle réforme pourrait donc entraîner, à terme, des changements profonds dans la régulation territoriale à travers une « reterritorialisation » de l’action publique, l’amélioration des relations entre l’Etat et les collectivités locales, et poser ainsi les bases d’un développement par le bas, moins contrôlé.

D’un autre côté, il est question de revoir, dans cette réforme, le profil de l’exécutif local et le mode de financement des collectivités locales à travers la mise sur pied d’un Fonds de dotation de la décentralisation. Il s’agira également de renforcer le nombre de compétences transférées aux collectivités locales et de supprimer le cumul des mandats. Tout ceci montre donc que l’Etat central a réformé le cadre institutionnel, organisationnel et financier des territoires pour faire de la décentralisation un véritable outil de développement. La balle est donc dans le camp des maires et présidents de conseil départemental pour mettre à profit les nouvelles possibilités (communalisation, pôles-territoires) offertes par l’Acte 3 pour rendre leurs territoires plus performants dans la mobilisation de ressources humaines et financières.

La réussite du Plan Sénégal Emergent (PSE) passe nécessairement par le développement territorial. L’Acte 3 constitue le répondant territorial au changement de paradigme contenu dans le PSE. Il importe dès lors pour les exécutifs locaux (maires et présidents de conseil départemental) de s’approprier des opportunités offertes par le nouveau cadre institutionnel pour leurs territoires. Il faudra élaborer des programmes de développement local selon les ressources et spécificités des collectivités : exploitation minière à Kédougou/Tambacounda, aménagements touristiques à Dakar/Thiès/Ziguinchor/Kolda/Saint-Louis, productions agricoles et pêche à Fatick/Kaolack/, élevage et riz et à Diourbel/Louga/Podor, phosphates et zinc à Matam,  etc. C’est ainsi que les moyens de l’Acte 3 s’articuleront harmonieusement aux ressources du PSE. 

Magatte Gaye & Mouhamadou Moustapha Mbengue

Comment « réinventer » la politique africaine de la France ?

_W1B7920-okC’est un portrait sans concession de la politique française en Afrique que brossent les députés Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (UMP) dans leur récent rapport parlementaire sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone ». Soyons lucides, réclament-ils d’abord ; extrême pauvreté, mortalité infantile, absence d’infrastructures et secteur éducatif en crise : malgré la démographie galopante, la situation de l’Afrique est bien loin du discours afro-optimiste à la mode. Et dans ce contexte difficile, la politique française a en partie échoué, se réduisant de plus en plus, à des réactions militaires de dernière minute, au cœur de la crise, quand il aurait fallu, en amont, une politique de développement beaucoup plus ambitieuse. Corsetée dans ses vieilles habitudes, la France a bien du mal à tourner la page de ses amitiés anciennes, regrettent-ils. Elle passe à côté du bouillonnement des jeunesses africaines, qui de Ouagadougou, à Bujumbura, réclament davantage de démocratie. Pour L’Afrique des Idées, le député Philippe Baumel a accepté de présenter quelques-unes des pistes qu’il appelle de ses vœux pour redéfinir la stratégie française en Afrique.

L'Afrique des Idées: “La politique africaine de la France est à réinventer”, écrivez-vous dans votre rapport. Par où commencer ce vaste chantier ?

Compte tenu des moyens dont on dispose, on ne peut pas agir sur tous les secteurs, il faut définir des priorités. La France, au sein du concert des nations, pourrait particulièrement cibler les problématiques de santé et d’éducation. C’est déjà en partie le cas, mais ces objectifs ne sont pas complètement tenus et ils ratent parfois complètement leur cible. Sur les questions de santé, on met les moyens les plus importants sur la lutte contre le sida. Mais quand vous regardez de près les statistiques délivrées par l’OMS, vous vous apercevez que les Africains ne meurent pas en priorité du sida. Ils meurent d’abord d’autres maladies, comme le paludisme, ou à cause de la mortalité infantile sans lien avec le sida. Il faut cibler ce qui touche véritablement les Africains, plutôt qu’une maladie, certes pandémique et très importante, mais qui n’est pas la première des priorités. Sur l’éducation, nous répétons depuis plusieurs années qu’on doit mettre le paquet sur l’éducation de base. Pourtant l’année dernière nous ne lui avons consacré que 439 000 euros. Sur un budget total d’aide publique au développement de plus de 8 milliards d’euros, avouez que ce n’est pas terrible…. Dès lors, comment faire progresser la pratique du français ! Il faut mieux définir les objectifs mais surtout mieux les tenir, pour ne plus rater la cible comme on le fait aujourd’hui.

Vous souhaitez aussi que la France revienne davantage à des actions bilatérales, mais a-t-elle les moyens d’agir seule ?

Le problème aujourd’hui, c’est que l’argent que met la France sur un certain nombre de programmes internationaux n’est pas identifié. Sur le terrain, les Africains ont le sentiment que la France n’est plus dans le paysage, qu’elle est invisible alors qu’elle continue à payer de nombreuses opérations, pour des objectifs souvent médiocrement tenus. On ne veut pas se retirer complètement des actions multilatérales, mais il faut agir plus directement dans certains domaines. D’autant que je n’ai pas le sentiment que les dispositifs multilatéraux soient toujours évalués de façon optimale et que les décisions prises soient toujours concertées avec l’ensemble des co-financeurs. Il faut donner du sens à notre intervention publique en matière de développement et cela passe par un retour à une forme de bilatéralisme.

La politique africaine de la France est-elle trop militarisée ?

Attention, je considère que l’intervention militaire de la France a été ces derniers mois l’honneur de la France en Afrique. Lorsqu’il y a urgence pour restaurer la sécurité de peuples menacés par l’absolutisme ou la barbarie, il est heureux que la France intervienne. Ce que je regrette, c’est qu’elle soit la seule à intervenir et surtout, qu’avec des interventions trop durables dans le temps, l’opinion africaine se retourne et considère progressivement que la présence militaire française est une forme d’armée d’occupation. La sécurité est assurée mais s’il n’y a pas de véritables programmes de restauration de l’État, de l’économie et de la société dans son ensemble, on ne s’attaque pas aux racines du mal. Il faut faire attention à la durée de nos interventions et essayer de les faire partager au niveau européen. Il faut être à plusieurs pour gérer l’aspect militaire des choses mais surtout pour le post-militaire. La France ne peut pas se contenter de réagir dans l’urgence, il faut qu’elle soit à l’initiative d’actions en profondeur, avec des politiques de développement renouvelées, qui vont nous éviter de nous retrouver dans une situation de crise. Pourquoi un certain nombre de gens se tournent vers Boko Haram ou l’extrémisme religieux, c’est parce qu’ils ne trouvent pas de place dans la société, qu’ils sont dans la misère, et que le religieux devient leur seule perspective.

Le ministre de la Défense, Jean -Yves le Drian, est-il trop influent auprès des chefs d’État africains ?

Non. C’est bien normal qu’il soit sur le théâtre des opérations quand il y a des interventions miliaires. Mais il faut restaurer une stratégie politique vis-à-vis des États africains. C’est pour cela que nous proposons la création d’un ministère du développement de plein exercice, au même niveau que le Quai d’Orsay, pour avoir un outil d’anticipation, qui définit une politique de développement contrôlée par le Parlement, avec chaque année un arbitrage politique et budgétaire. La décision politique est aujourd’hui éparpillée, entre de nombreuses agences, sur lesquelles le Parlement n’a aucun contrôle. Cela n’aurait rien à voir avec l’ancien ministère de la coopération. S’il y avait une comparaison à faire, c’est plutôt avec ce que font les Anglais depuis plusieurs décennies avec un ministère du Développement de même niveau que celui des Affaires étrangères.

La diplomatie française est-elle déconnectée des réalités de la jeunesse africaine ?

Lors de notre mission au Cameroun, nous avons rencontré des jeunes diplômés qui avaient étudié en France puis fait le choix du retour. Sincèrement, c’était accablant. Sur la trentaine de diplômés, deux seulement avaient trouvé leurs places dans le pays. Les autres étaient désespérés malgré la réussite de leurs études réalisées avec le soutien de bourses françaises. Certains nous disaient qu’ils en arrivaient à regretter d’avoir étudié en France et d’être rentrés. Cela signifie que nous devrions aussi avoir comme mission de faciliter la réinsertion de ces jeunes dans le tissu social et économique local, pour qu’ils soient utiles au développement de leurs pays. Il faut savoir s’appuyer sur eux, développer des réseaux. Il y a à peine un an que le Ministère des Affaires étrangères a décidé de constituer un réseau complet des jeunes Africains, diplômés en France, et qui repartent dans leurs pays. C’est très pertinent. Quand on recherchera des ressources humaines on saura à quelles portes frapper et comment constituer des réseaux utiles.

Faut-il faire évoluer les relations avec certains chefs d’État, partenaires traditionnels de la France. Dans votre rapport, on peut lire par exemple qu’il faut préparer l’après Biya au Cameroun…

Il ne faut pas jeter l’anathème sur les uns ou sur les autres. Pas plus au Cameroun qu’ailleurs. Le Cameroun est un faisceau de réalités, qui relèvent du poids de l’histoire, et qu’on retrouve dans d’autres pays quel que soit l’âge du président. Je pense surtout qu’il faut sortir de cette relation de président à président, trop personnalisée. C’est la meilleure façon de masquer les véritables réalités économiques et sociales. Il faut savoir entretenir des liens directs avec les acteurs de la société civile, être sensible à ce qu’ils nous disent, à la façon dont ils vivent.

La France doit-elle davantage se faire entendre sur les droits de l’homme, vous citez plusieurs arrestations récentes en RDC notamment… ?

En Afrique comme ailleurs, je crois que le message sur les droits de l’homme est tout à fait identifié comme étant a priori un message de la diplomatie française. Si on ne le tient pas fermement, on est très vite taxé de complaisance. Je regarde un certain nombre de manifestations qui se sont tenues ces derniers mois, ces dernières semaines ou même tout récemment au Burundi, quand un président qui veut continuer à se présenter après deux mandats, n’hésite pas à tirer sur la population. Je pense que la France doit réaffirmer un certain nombre de principes. François Hollande l’a fait avec justesse à Kinshasa ou à Dakar. C’est heureux et fort que la France porte ce message mais il faut le faire au quotidien, à chaque fois que l’actualité l’exige, c’est comme ça qu’on imprimera davantage les principes et valeurs qui sont les nôtres.

Votre rapport étudie la relation avec les pays africains francophones. Cette distinction francophone/anglophone n’est-elle pas un peu datée, à l’heure où les entreprises traversent les frontières ?

Je ne suis pas sûr que les entreprises les plus significatives traversent si facilement les frontières. On s’est surtout concentré sur les pays francophones car on considérait qu’il y avait un lien plus fort depuis longtemps et une culture partagée dont on voulait mesurer les effets dans les réalités sociales et économiques. Je peux convenir que pour partie, ces clivages-là sont un peu dépassés.

Quel regard portez-vous sur le projet d’électrification de l’Afrique porté par Jean-Louis Borloo ?

C’est bien. Cela rassemble des moyens. C’est un objectif qu’il faut savoir tenir parce que cela peut concerner une large partie de la population africaine. Mais il faut le faire en coordination avec la population. Si cela reste une superstructure qui plane au-dessus des États africains, j’ai un doute sur l’efficience de la démarche. Mais je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain, on verra d’ici quelques années à partir des crédits rassemblés aujourd’hui. L’électricité c’est déterminant pour l’Afrique, dans les décennies à venir, il faut qu’un cap en termes d’infrastructures soit passé. Ces enjeux ne pourront pas être résolus par la seule action de Jean-Louis Borloo. Cela nécessite des dizaines de milliards d’euros et une mobilisation planétaire, au niveau des Nations Unies. 

Entretien réalisé par Adrien de Calan

Pour une coopération émergente entre Cuba et l’Afrique

Le retour en grâce de Cuba dans le concert des nations s’opère progressivement, avec les offensives  diplomatiques  des  grandes  puissances  telles  que  les  Etats-Unis  ou  encore  la France  mais  aussi  l’Union  Européenne.  Cet  activisme  politique  pour  la  destination  Cuba  pose  plusieurs interrogations  sur  la  nouvelle donne  diplomatique  de Barack  Obama,  ses homologues  occidentaux,  et  sur  les  possibilités  économiques  et  stratégiques  de coopération avec l’île tropicale. 

 A cet effet, quelle est la place de l’Afrique, qui, historiquement, a toujours entretenu des relations avec Cuba dont le positionnement anticolonialiste et anti-impérialiste, avait les faveurs  des  pouvoirs  et  des  élites  du  continent  noir ?  Au-delà  de  l’idéologie,  tous  les signaux pour une coopération réelle de développement économique sont au vert pour que Cuba et l’Afrique réinventent la coopération des nations émergentes.

L’Afrique et Cuba, un pacte au nom de la solidarité tiers-mondiste 

cuba_africa1_leadLes  mêmes  causes  produisant  parfois  les  mêmes  effets,  l’Afrique  noire  des  années  1960 essentiellement, en lutte pour l’obtention de ses indépendances, avait su trouver en Cuba aux  prises  avec  les  Etats-Unis  un  allié  de  poids.  Fidel  Castro  a  toujours  soutenu  les révolutionnaires  africains  tels  qu’Amilcar  Cabral,  Patrice  Lumumba,  Agostinho  Neto  ou encore le héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. La collaboration ne relevait pas du romantisme révolutionnaire mais elle a été concrètement soutenue par l’envoi de forces militaires cubaines en soutien aux combattants de la liberté.

Ces guérilleros cubains appelés encore les Internationalistes* ont véritablement combattu aux  côtés  de  leurs  frères  d’armes  africains. Cuba, une odyssée africaine, un  excellent  documentaire  de  Jihan  El  Tahri rappelle la « belle histoire » des indépendantistes unis pour pousser hors des frontières le colon dominateur. Il n’est pas inutile de rappeler que l’ombre de Che Guevara a également plané sur les révolutions africaines, et particulièrement celle du Congo de Laurent Kabila qui s’est toujours « vanté » d’avoir combattu aux côtés de la légende latino-américaine. 

Ainsi, le mythique Che, avec plus ou moins de succès, aurait arpenté dans les années 1960 en  plus  des  deux  Congo,  la  Tanzanie,  l’Égypte,  le  Mali,  le  Ghana,  la  bouillante  Guinée de Sékou Touré, portant le message de la libération des opprimés contre les colonialistes. 

L’embuscade de la France… avant l’entrée en scène des États-Unis

Le récent voyage de François Hollande en mai, à la faveur de sa tournée caribéenne, et sa rencontre  avec  le  « Lider  Máximo »  Fidel  Castro  sont  des  indicateurs  probants  d’un rapprochement avec l’un des plus vieux pays qui professe avec un enthousiasme suranné  son idéologie socialiste, mais qui de fait est ouvert au marché depuis plusieurs décennies. 

À cet effet, la realpolitik de la diplomatie française se veut limpide sur le sujet : Cuba est également  attractive  économiquement.  Stratégiquement,  la  France  est  une  puissance régionale  dans  les  Caraïbes  mais  aussi  elle  ne  souhaite  pas  laisser  aux  Américains  le leadership  du  rebond  commercial  et  économique  que  représenterait  à  court  terme  Cuba dégagé de ses contraintes internationales. En tout cas, officiellement…

Dans  ce  jeu  de poker  géopolitique  et  économique,  l’Afrique  a tout  intérêt  à densifier  ses relations avec Cuba. Elle a l’avantage de l’histoire et la facilité de tisser des liens culturels, commerciaux et économiques.

Cuba et son allié africain, un partenariat émergent pour le développement

Cuba  dispose  de  l’un  des  meilleurs  systèmes  de  santé  au  monde.  Pendant  la  crise épidémique d’Ebola, des médecins cubains se sont rendus, avec du matériel de haute portée technologique,  dans  les  foyers  de  propagation  d’Ebola  en  Afrique  noire.  A  titre  de comparaison,  Cuba  a  fait  dépêcher  de  toute  urgence  près  de  500  médecins  et  personnel médical pendant que la Chine, les Etats-Unis ou la France en envoyaient un peu plus de la moitié.

Il est impérieux de promouvoir des accords de coopération bilatérale entre pays africains et Cuba ou dans le cadre d’un dispositif multilatéral porté par l’Union Africaine, de favoriser la formation  des  médecins  africains  et  le  transfert  de  compétences  pointues  en  matière médicale avec l’île.

D’autres  domaines  sont  également  utiles  à  apprécier;  comme  l’éducation.  A  ce  niveau également, le système éducatif cubain, le meilleur d’Amérique Latine et des Caraïbes, est l’un  des  plus  compétents  voire  compétitifs.  Selon  une  étude  la  Banque  mondiale,  un investissement hors-pair est mis sur la priorité éducative et la formation des professeurs. Ainsi, « aucun corps enseignant de la région – latino-américaine et caribéenne- ne peut être considéré comme étant de haute qualité en comparaison avec les paramètres mondiaux, à la notable exception de Cuba ». Ainsi, un continent globalement carent sur la question de l’éducation  a  tout  à  gagner  en  s’inspirant  de  modèles  de  réussite  que  pourrait  offrir  un programme de partage d’expériences avec Cuba. 

Il faut clairement que l’Afrique se positionne, de façon spécifique par pays, ou par le biais de l’institution continentale, pour la promotion d’une coopération sud-sud dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, du tourisme, du commerce.

Dans ce monde extrêmement clivé entre le Nord et le Sud, les pays développés et les nations en voie de développement, il est plus que nécessaire de défendre l’idéal d’une coopération avec Cuba ou d’autres pays du Sud ou considérés comme tels, au nom du réalisme politique et de l’émergence de nouveaux modes d’actions.

Régis HOUNKPE,

Analyste géopolitique, Directeur associé d’Interglobe Conseils 

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