Les talibés du Sénégal, un problème de société

50 000, pas moins. Avec une population de 13 millions d’habitants, le Sénégal fait fort de compter un tel nombre d’enfants âgés de 3 à 14 ans qui vivent sans leur parents, et passent la plupart de leur temps à mendier dans les rues des villes du pays, exposés à tous les dangers dont celles-ci regorgent. Les talibés – ainsi que les appellent les Sénégalais – sont supposés étudier le Coran sous les auspices d’un maître, le « marabout », qui est censé les former à la dure pour réussir dans ce qu’ils entreprendront après leur sortie du daara, ou école coranique. Et pourtant, la réalité des choses ne pourrait être plus éloignée de cet idéal éducatif venu d’un autre temps. Pour mieux comprendre le fossé qui sépare l’imaginaire du daara de sa réalité, enfourchons notre machine à remonter le temps pour explorer les origines de ce fait social.

Naissance et évolution des daaras
Les populations sénégalaises se convertirent pour la plupart à l’Islam à partir du 19ème siècle. Face à la puissance colonisatrice française, les chefs locaux considérèrent qu’il était plus important que tout de sauvegarder leurs coutumes, fût-ce au prix d’une conversion religieuse. Ils trouvèrent en l’Islam soufi un substitutif dont les valeurs coincidaient avec les leurs, et dans les leaders de ce mouvement religieux un support solide dans la confrontation aux Français. L’Islam apportait aussi aux chefs locaux une éducation alternative à l’enseignement obligatoire que la France tentait de leur imposer. Dès le départ, l’instruction coranique s’était posée comme un signe de résistance à l’envahisseur et représentait une volonté de préserver des valeurs locales de l’influence des « écoles françaises », expression toujours utilisée pour désigner l’enseignement public sénégalais…Au départ, les daaras étaient uniquement situés dans le milieu rural. Les talibés travaillaient dans le champ du marabout en échange de quoi celui-ci leur fournissait une instruction musulmane, et prenait soin d’eux. La mendicité occupait alors une part minime du temps des enfants, son rôle était alors de leur apprendre la patience, l’humilité, et le partage, car ils devaient mettre en commun tout ce qu’ils récupéraient. Finalement, évoluant dans le village ou à sa proximité, ils restaient dans un environnement familier et peu dangereux. Période de passage à l’âge adulte, le séjour au daara formait des hommes prêts à s’intégrer dans la société.

La métamorphose des daaras se fit au courant des années 1980 et 1990. Elle a pour cause les crises économiques et agricoles qui secouèrent le Sénégal, non sans l’aide des plans d’ajustement structurel imposés par le F.M.I. de John Wolfhennsson, dont la dureté marque encore l’imaginaire sénégalais. A cause de la réduction des budgets dédiés à la santé, l’éducation, aux aides sociales et aux subventions agricoles, le tissu social traditionnel qui favorisait l’entraide perdit vite de sa substance. Au même moment, plusieurs sécheresses accablèrent l’intérieur du pays, réduisant la sécurité alimentaire et poussant un nombre croissant de parents à se défaire de leur nombreuse progéniture auprès des marabouts, plutôt que de l’école publique qui, bien que gratuite était accompagnée de nombreux coûts (transport, fournitures etc). Mais les marabouts étaient confrontés aux mêmes difficultés que les parents, et, très vite, ils délocalisèrent leur daara au sein des villes, où l’activité économique avait déjà repris.

Les nouveaux daaras
Face à ce nouvel environnement, les daaras changèrent beaucoup : ne pouvant plus fonctionner sur la récolte du champ du marabout comme c’était le cas à la campagne, il fallait que les talibés passent plus de temps dans la rue afin de récolter assez d’argent et de nourriture. En ville, les talibés sont exposés à toutes sortes de dangers : accidents de la circulation, trafic de personnes, brutalités… Loin de leurs familles et encore jeunes, ils ont peu de repères ou de moyens de se défendre en cas d’abus dans la rue ou de la part du marabout. Ce dernier, d’ailleurs, n’est plus confronté à la pression sociale qui dans le village le poussait à réellement enseigner quelque chose aux enfants et à prendre soin d’eux. La combinaison de la hausse des prix des denrées, du logement et de l’absence de supervision des daaras fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l’encadre. Certains possèdent même plusieurs daaras et s’enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents. La vétusté des daaras est un fait connu, les maltraitances des talibés maintes fois médiatisées.

La vie après le daara
Au-delà même des questions de la vie au daara se pose la question de la vie après le daara : que faire dans la vie si l’on ne parle pas français (la langue officielle au Sénégal) et que l’on ne possède que peu de compétences professionnelles ? Les meilleurs deviennent marabouts à leur tour, où encore enseignants d’arabe, mais qu’en est-il du reste ? Durant toute leur enfance, âge où l’on apprend la vie en société, ils furent à l’écart de tous, à cause de leur odeur, de leurs vêtements et de la peur des parents des autres enfants. Il leur manque aussi les compétences nécessaires à la recherche d’un emploi, fût-il précaire ! La jeunesse d’aujourd’hui est la société de demain, dit-on. Quel genre de société construit-on ainsi ? Il ne faut pas se leurrer, une éducation musulmane se doit d'être complétée de compétences techniques ! La vérité, c’est que si une fois à l’âge adulte ces talibés se retrouvent sans compétences, ni emploi, ils seront perdus pour la société, et iront grossir le lot des hors-la-loi qui rendent les villes sénégalaises de plus en plus dangereuses.

Ainsi, d’une période d’apprentissage de la vie en société, le passage au daara est devenu un centre de fabrication à la chaîne de futurs exclus sociaux… Mais que font les Sénégalais, et l’Etat sénégalais ?

Talibés, la défaite de la société sénégalaise

A vrai dire, il semblerait que tout le monde profite du statu quo sur la question des talibés. Tandis que les parents des talibés se débarassent d’un fardeau jugé trop lourd, les marabouts s’enrichissent sans efforts. Même les « bons samaritains » qui donnent des offrandes aux talibés s’acquittent par la même occasion de leurs devoirs de musulman voire même, ô surprise, des offrandes recommandées par leur marabout afin de chasser les mauvais esprits. L’Etat, quand à lui, tente tant bien que mal de montrer sa bonne volonté en signant et ratifiant tous les textes proposés par les organisations internationales et les ONG, tout en se gardant bien de les appliquer, de peur de réveiller la fureur des confréries religieuses. En 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta tant bien que mal de rendre illégale la mendicité en ville. Mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application. Pour les Sénégalais, donner l’aumône fait partie de l’ordre des choses, que ferait-on s’il n’y avait plus de talibés ? Comment pourrait-t’on s’attirer la réussite et éviter d’être marabouté par des envieux ? Bien qu’elle s’offusque des traitements infligés aux talibés, la société sénégalaise ne semble pourtant pas si encline que cela à perdre la possibilité de donner l’aumôme… Bien entendu, il y a beaucoup de « faux » marabouts, mais dit-on « la plupart enseignent le Coran aux enfants », et puis, il ne faut pas critiquer ce qui se rapporte à la religion, « cela ne peut rien nous apporter de bon ». Alors on continue d’oublier la souffrance silencieuse de ces pauvres enfants, et l’on ferme les yeux sur des atrocités d’un autre âge.

Le rôle des religieux

Quand aux chefs religieux, ils se gardent bien de lutter contre ces daaras, qui constituent leur réseau de présence au niveau local, et leur permet par la suite d’enrôler ces jeunes sans avenir parmi les rangs de leurs fervents supporteurs. Ceux-ci suivront à la lettre le ndiguel, ou orientation politique proposée par le chef religieux. Les talibés seront aussi les premiers contributeurs aux projets lancés par les chefs religieux, en échange de quoi ces derniers leur fournissent les aides que l’Etat ne semble pas pouvoir apporter (logement, nourriture, vêtements, femme !) . Ainsi, les confréries religieuses gardent un rôle important tant en politique que dans la société (voir la partie 1 et la partie 2 d'un article de Nicolas Simel Ndiaye consacré à ce sujet).

Propositions

Il ne s’agit pas aujourd’hui de rompre cet équilibre social qui s’est créé. Plutôt, il faudrait une recherche de solutions préparées afin d’améliorer le quotidien et le futur des talibés. A cet effet, j’aimerais proposer deux mesures. La première serait la création d’un label de « bon daara » par les autorités religieuses et la confréries, en accord avec l’Etat et la société civile. Un tel label permettrait aux parents des talibés de remettre leurs enfants à un « bon marabout ». On pourrait ainsi cartographier les daaras et s’assurer que ceux possédant le label soient encouragés et que les enfants y bénéficient de meilleures conditions de vie et d’une formation professionnelle. D’autre part, il faudrait supporter les daaras ruraux, en les aidant à mettre en place des activités génératrices de revenus, afin de limiter l’exode rural des populations jeunes, qui sont censées constituer la force du secteur agricole très peu motorisé du Sénégal. Quelle société peut se dire moderne si elle ne prend même pas soin de ses enfants ?

 

L’Egypte, puissance pauvre

Georges Sokoloff, célèbre soviétologue, avait intitulé une histoire de la Russie La Puissance pauvre. Titre paradoxal mais hautement expressif des contradictions russes. Entre « visées impériales » et « contraintes matérielles », entre sous-développement et suprématie mondiale, une tension court tout au long de l’histoire moderne de la Russie. Mais cet oxymoron, qui fit de la Russie l’empire le plus craint et le plus pauvre de l’Europe du XIX° siècle, qui fit de l’URSS l’Etat le plus fort et le plus pauvre du Bloc de Varsovie, et qui continue de faire de la Russie de Poutine un hégémon eurasiatique gangréné par le sous-développement économiques et les archaïsmes politiques, cet oxymoron se retrouve ailleurs.

L’Egypte, qui poursuit dans le doute et la douleur, sa renaissance politique depuis la chute de Moubarak, est l’illustration parfaite de ce type de contradiction. Depuis deux siècles, le pays du Nil cadence de ses rythmes internes l’histoire régionale. Il n’y a pas une réforme économique, pas une révolution politique, pas une idéologie, pas un coup d’état, que les pays voisins ne reprennent, comme un auditoire malade d’écholalie. Et pourtant, depuis deux siècles, les données dont on dispose semblent indiquer que systématiquement, les taux d’alphabétisation, d’urbanisation, de consommation, sont toujours inférieurs à ceux des pays voisins.

Puissance du nombre et de la centralisation

Deux facteurs concourent à doter ce genre de pays pauvres des instruments de la puissance internationale. La démographie d’abord : les steppes russes, infinies et répétitives, comme les berges du Nil, sont un vivier humain autrement plus important que les plaines polonaises ou les vallées syro-palestiniennes. Le despotisme politique ensuite, permet une mobilisation efficace et rapide de vastes populations au service d’une volonté impériale, ce que les régimes pluralistes ne permettent pas, ou très peu et après de longues délibérations. Ces deux facteurs démultiplient la faiblesse en force : mal nourris, analphabètes, attachés à leur glèbe, un moujik, un fellah, valent peu de choses devant les bourgeois levantins, devant les seigneurs hongrois ou polonais. Mais mettez un Nicolas I°, ou un Mehmet-Ali à la tête de ces villages dupliqués à l’infini, et vous avez la première armée de la région.

A la différence donc de ce que l’histoire occidentale enseigne – la colonisation des riches franco-britanniques sur des pauvres afro-asiatiques, l’impérialisme allemand sur les misérables pourtours slaves – , en Orient, comme en Europe de l’est, c’est l’Egypte indigente qui a dominé un Levant riche, c’est la Russie miséreuse qui a dominé une Europe de l’est plus prospère.

Soft Power égyptien

Mais là s’arrête la comparaison. Puissance pauvre économiquement et socialement, l’Egypte par contre ne manque ni d’identité nationale ni d’attraction culturelle. A la différence du vertige identitaire russe, perdu entre l’Asie et l’Europe, l’Egypte est enracinée dans une histoire qui semble la prémunir de l’impérialisme brouillant. C’est le soft power de ses écrivains, de son cinéma, de sa musique, plus que les cosaques ou les divisions blindées, qui lui ont donné son hégémonie régionale.

Aujourd’hui que la crise politique au sommet révèle, sans fard, la catastrophe économique et sociale de la base, cette double leçon ne doit pas être perdue de vue : la faiblesse économique de l’Egypte, relativement à sa région, ne l’a jamais empêché d’exercer un leadership permanent sur son environnement ; cette hégémonie fut rarement militaire et coercitive, et le plus souvent culturelle.

Certes, les pétrodollars associés à l’emprise du salafisme ont renversé, depuis les années 1970, le sens de l’influence culturelle entre les deux rives de la Mer Rouge. Mais il est peu probable que cette prégnance saoudienne, jointe au cafouillage politique au Caire, suffise à renverser une donnée de l’histoire longue. Le centralisme égyptien, démographique, culturel, historique, persiste toujours. La force culturelle et politique de l’Egypte libérale des années 30 et 40 laisse penser que la puissance pauvre sortira probablement renforcée par la démocratisation et la renonciation à la mentalité autoritaire.

Omar Saghi, article paru sur son blog

 

Crédit photo : © Amr Nabil / AP, Sipa

Considérations sur la démographie mondiale

Les sujets d’ordre démographique ont de tout temps suscité interrogations et appréhensions, car ils posent avec acuité la question de la pérennité de l’espèce et de son environnement. Si la démographie a de tout temps suscité la curiosité des hommes (des auteurs antiques tels qu'Hérodote, Thucidide, Platon et Aristote sont déjà familiers de ce sujet), les thématiques qui lui sont liées varient elles dans le temps. Hier, explosion démographique et surpopulation ; aujourd'hui, transition démographique et vieillissement généralisé.  Un changement de paradigme qui est d'abord fonction de la tendance démographique d'une époque donnée, et qui est en soit révélateur du dynamisme du peuplement humain. 

Le XXe siècle qui s'est achevé aura par exemple été absolument unique dans l'histoire démographique. Un siècle qui aura été témoin d'une croissance exponentielle, et qui aura vu la population de la planète passée de 1,65 à 6,06 milliards entre 1900 et 2000, selon les estimations établies par l’ONU. Depuis, la barre des 7 milliards a été franchie. Une progression de près de 5,5 milliards de personnes depuis 1900,  alors que cet accroissement n'avait été "que" de 280 millions au XIXe siècle pour l'ensemble de la Terre .

A l’heure actuelle, la population mondiale continue d'augmenter chaque année de 80 millions de personnes environ (l'équivalent d'un pays comme l'Egypte) ; les deux-tiers de cet accroissement concernant l'Afrique et l'Asie. Ce tableau d’ensemble cache cependant de profondes disparités : dans certains pays développés (Allemagne, Japon, Italie) les conditions sont réunies pour un véritable crash démographique à relativement courte échéance. Quant aux pays du Sud, les problèmes de surpopulation que connaissent certains d'entre eux (Inde, Bangladesh pour l'Asie et Rwanda, Burundi pour l'Afrique) n'empêcheront pas que dans l'ensemble, ils devront faire aussi face au problème du vieillissement à plus ou moins long terme ; la transition démographique en étant la cause. Aspect particulièrement révélateur, la communauté internationale est progressivement passée, au fil des décennies écoulées, du vocable « d’explosion démographique » à celui plus mesuré de « transition démographique » consacrant de la sorte l’inflexion en cours de l’accroissement de la population mondiale.

La démographie : Un sujet historiquement ancien

Dès l’Antiquité, la question du nombre optimal de la population paraît en filigrane. Il est intéressant de constater que des sociétés telles Rome, l’Egypte et la Grèce, traditionnellement enclines à faire l’apologie de la procréation et de la famille nombreuse, pratiquaient et autorisaient la contraception et l’avortement. Certes, cette démarche, loin d’être d’inspiration étatique, était d’abord perçue comme un problème relevant strictement du couple, et donc de la sphère privée. Autrement dit, seul le danger associé à la grossesse ou l'impossibilité d'entretenir une famille nombreuse, pouvait la justifier. Il faut cependant attendre les travaux de Thomas Malthus à la fin du XVIIIe siècle pour que la question de la population (et de la crainte explicite de son excès) soit théorisée de façon systématique. Dans son ouvrage publié en 1798, Essai sur le principe de population, les préoccupations de démographie, et plus particulièrement de démographie économique, deviennent pour la première fois un champ de réflexion à part entière. Une augmentation de population est-elle bénéfique ou non pour la société et l'économie ? Telle est la problématique, dont Malthus pose les bases, et à laquelle il répond par la négative. « Ce n’est plus, comme en l’An Mil, la comète qui nous tombera dessus, mais c’est encore la fin du monde qui nous est promise : cette fois, les hommes eux-mêmes seraient, de par leur nombre, les artisans de leur propre perte », dit-il dans l’ouvrage ci-mentionné. 

Pour illustrer sa thèse, Malthus confrontait dans une opposition très nette deux lois, auxquels il donnait un tour mathématique frappant, qu’il est possible de formuler ainsi :

1) Toute population humaine, si aucun obstacle ne l’en empêche, s’accroît, de période en période, en progression géométrique.

2) Les moyens de subsistance ne peuvent eux, dans les circonstances les plus favorables, augmenter que selon une progression arithmétique.

Confrontant ensuite les deux progressions, il montrait sans peine que la première l’emportait énormément sur la seconde, qu’une antinomie formidable existait entre la faculté reproductive des hommes et la productivité de la terre. Néanmoins, Malthus ne prétendait pas que la terre soit arrivée à sa plus haute puissance de production et ne puisse nourrir beaucoup plus d’habitants qu’il n’en existait alors. Il soutenait en revanche l'idée que toute augmentation de la production alimentaire aurait pour conséquence une augmentation correspondante de la population. Chaque nation et la Terre entière devaient être considérées comme surpeuplées, non pas par rapport à la surface, mais par rapport aux produits disponibles. 

Démographie mondiale : évolutions et perspectives

Deux siècles plus tard, le monde compte 7 milliards d’êtres humains. Sept fois plus qu'à l'époque de Malthus ; l'Afrique comptant à elle seule autant d'habitants que la Terre entière à cette époque. Une Terre qui n'a jamais été aussi peuplée, et qui dans l'ensemble (cette notion "d'ensemble" cachant cependant mal de profondes disparités, toujours persistantes) n'a jamais été également aussi bien nourrie, grâce aux différentes révolutions agricoles connues jusqu'à nos jours. Pour reprendre l'idée malthusienne de surpopulation, la Terre n'est donc pas considérée en l'état actuel comme "surpeuplée" puisque sa production alimentaire d'ensemble permettrait de nourrir ses habitants. C'est la répartition de celle-ci qui pose problème : Excédents agricoles d'un côté (Amérique du Nord, Europe), disettes et famines de l'autre (Corne de l'Afrique, Sahel). 

Evolution de la population mondiale

Deux grands facteurs commandent l’évolution démographique. La fécondité et la mortalité. La première, bien qu’en forte baisse, tourne aujourd'hui autour de 2,5 enfants par femme au niveau mondial. En même temps, la vie s’allonge. Un bébé qui naît aujourd’hui peut espérer vivre 65 ans dans les conditions de mortalité actuelle, au lieu de 46 ans il y a un demi-siècle. Des moyennes qui masquent bien entendu d’importantes différences, suivant les zones géographiques.

Dans les pays occidentaux, les conditions actuelles militent pour un déclin démographique à moyen terme. La conséquence de cette évolution est inéluctable: d'abord une forte baisse de la croissance démographique (plus que 0,3 % par an actuellement) suivie d'une diminution en chiffres absolus. Ceci n'ira pas sans conséquence, naturellement, tant du point de vue de l'équilibre interne que de l'équilibre externe. Sur le plan interne, le vieillissement de la population posera de sérieux problèmes du point de vue du financement de la sécurité sociale. Le nombre de bénéficiaires ne cessera d'augmenter tandis que celui des contributeurs se rétrécira. La condition sine qua none à un relatif maintien du niveau de vie et des prestations offertes dépendra en grande partie de la croissance économique future. Il est cependant raisonnable de penser que le dynamisme d'une population vieillissante et donc sa faculté à susciter une croissance économique vigoureuse et durable n'égale pas nécessairement celui d'une population jeune. D'autre part, on peut penser qu'une population où la majorité du corps électoral est relativement âgée privilégiera les dépenses de santé ou de sécurité plutôt que celles d'éducation ou d'investissement, et partant son développement futur. 

D'un point de vue externe, la baisse de la part de l'Occident dans la population mondiale diminuera son influence relative dans le monde. De quel poids pèseront encore demain les discours vieillissants et moralisateurs d'une population en déclin ? Enfin, un monde riche, mais en déclin démographique devient naturellement un terreau pour l'immigration en provenance des pays les plus pauvres et ce avec toutes les questions que cela soulève. 

S’agissant des pays du Sud, il paraît pertinent de rappeler que sur les 7 milliards d'individus peuplant aujourd'hui la planète, 80% vivent dans ces pays. L'Afrique et son milliard d'habitants compte pour 14 % de la population mondiale.  La croissance démographique de ces pays est d'abord due aux progrès de l'alimentation, de l'hygiène et des conditions sanitaires ainsi qu'à un recul de la mortalité infantile et un relatif allongement de la vie. 

Evolution estimée de la population africaine entre 2010 et 2050. (Credit photo : Courrier International)

Et prévisions pour quelques pays…

Un accroissement qui devrait rester encore important au cours des prochaines décennies. La population de l'Afrique passerait ainsi selon les dernières projections de 1 milliard aujourd'hui à 2 milliards en 2050, et celle de l'Asie de 4 à 5,3 milliards. Une équation à venir qui sera ardue à résoudre, mais qu'il est néanmoins possible d'envisager avec une confiance raisonnable, en raison de la modification des comportements démographiques des populations du Sud. Ces dernières font dorénavant moins d'enfants tout en bénéficiant de conditions sanitaires améliorées dans l'ensemble.  

En définitive, il est désormais possible de constater à l’échelle mondiale, bien qu’à des degrés divers, un ralentissement progressif mais néanmoins inéluctable de l’augmentation de la population. Les propos alarmistes de ces dernières années relatifs à la surpopulation mondiale apparaissent donc de plus en plus infondés. D'année en année, les projections démographiques sont revues à la baisse. La population continue à croître, certes, mais le taux de croissance diminue régulièrement : il est passé de 2,04 % de croissance démographique annuelle en 1960 (maximum atteint historiquement) à environ 1,3 % aujourd'hui. Quant au nombre d'enfants par femme, il a aussi fortement diminué pendant la même période, passant de 5 enfants par femme en moyenne à 2,5. Il apparaît donc qu'aujourd'hui, le principal facteur de croissance de la population doive de plus en plus être trouvé dans l'augmentation de la longévité que dans la fertilité. La structure de la population mondiale par âge se modifie rapidement à l'échelle mondiale et ce dans le sens du vieillissement . L'âge médian est passé de 23,5 ans en 1950 à 28 ans aujourd'hui. En 2050, il devrait atteindre 38 ans. Quant aux proportions respectives de personnes âgées de moins de 15 ans et de plus de 60 ans, elles seront passées de 34 % et 8 % en 1950 à 20 et 22 % en 2050. Il faut donc se rendre à l'évidence : si la tendance actuelle se maintient, il n'y aura pas d'explosion démographique à l'échelle de la planète et ce qui s'est passé au XXème siècle du point de vue de la démographie ne se répétera pas. La population mondiale devrait se stabiliser à 10 milliards au XXIème siècle. 

 

Jacques Leroueil

Technique du coup d’Etat

Le sujet du livre tient en une phrase : « Comment on s’empare d’un Etat moderne et comment on le défend ». Tout au long de l’essai, Curzio Malaparte démontre que les circonstances favorables à un coup d’Etat ne sont pas nécessairement de nature politique et sociale, elles relèvent plutôt d’une organisation technique et tactique. Il base son argumentation sur des exemples historique, dont le principal est le coup d’Etat bolchevique de 1917, modèle du genre. Il fait également état de l’échec du coup d’Etat de Kapp en 1920 à Berlin ; de la préparation des journées d’octobre 1922, modèle d’insurrection tactique, qui livrèrent l’Italie au Duce. Il introduit également la menace du parti nazi sur l’Allemagne (rappelons que le livre parait en 1931), et livre une analyse remarquable d’anticipation sur la technique d’Adolf Hitler pour s’emparer du pouvoir.

Si Technique du coup d’Etat  explique comment « prendre » un Etat moderne, il expose également la stratégie de défense des Etats face à toute tentative de renversement arbitraire. C’est en cela qu’il est considéré comme un « traité de l’art de défendre la liberté ».Dans la révolution bolchevique de 1917, Malaparte distingue Lénine le stratège, et Trotski le tacticien. Selon lui, Lénine le stratège n’est pas indispensable au coup d’Etat, qui est l’œuvre principalement de Trotski et de ses hommes de main. Trotski qui déclare : « Pour s’emparer de l’Etat moderne, il faut une troupe d’assaut et des techniciens : des équipes d’hommes armés, commandés par des ingénieurs. » Malaparte affirme ainsi : « La clé de l’Etat, ce n’est pas l’organisation bureaucratique et politique, mais l’organisation technique, c’est-à-dire les centrales électriques, les chemins de fer, les téléphones, le port, etc. » Il explique que dans un Etat moderne, tous les instruments de répression du désordre, de la contestation, à savoir la police, l’armée, etc., sont conditionnés à faire face à des mouvements de foule, et non à protéger les point stratégiques de l’appareil d’Etat contre des unités d’assaut d’élite. Pour Malaparte, les systèmes de police ne permettent pas de protéger l’Etat contre les techniques modernes de l’insurrection. Il ajoute par la suite : « Si les communistes de tous les pays d’Europe doivent apprendre de Trotski l’art de s’emparer du pouvoir, c’est de Staline que les gouvernements libéraux doivent apprendre l’art d’assurer la défense de l’Etat contre la tactique insurrectionnelle communiste. » En effet, en 1927, Trotski veut fêter le dixième anniversaire de son coup d’Etat en remettant le couvert, en renversant Staline. Ce dernier s’attend à la tentative de coup d’Etat, et confie à Menjenski le soin de prémunir la Russie d’un nouveau renversement du pouvoir. La tactique de Menjinski ne consiste pas à défendre de l’extérieur, par un grand déploiement de forces, les édifices menacés, mais à les défendre de l’intérieur, avec une poignée d’hommes. A l’attaque invisible de Trotski, il oppose une défense invisible. Le deuxième coup d’Etat de Trotski échouera.

Malaparte explique l’échec du coup d’Etat de Kapp en Allemagne en 1920 par sa non compréhension de la technique d’insurrection moderne : « L’incapacité de la bourgeoisie à défendre l’Etat était compensée par l’incapacité des partis révolutionnaires à opposer une tactique offensive moderne à la méthode défensive désuète des gouvernements, à opposer aux mesures de police une technique révolutionnaire. » Il s’attache aussi à distinguer la sédition communiste de la sédition fasciste. Il s’appuie pour ce faire sur l’exemple de la tactique de Mussolini. Il explique ainsi : « En prévision de l’action insurrectionnelle pour la conquête de l’Etat, il était nécessaire de déblayer le terrain de toutes les forces organisées (qu’elles fussent de gauche, de droite ou du centre), susceptibles soit de fournir un appui au gouvernement, soit d’entraver le fascisme dans la phase déterminante de l’insurrection et de lui couper les jarrets au moment décisif du coup d’Etat. » En gros, le parti fasciste doit seul occuper le champ de l’organisation civile de la société.

Curzio Malaparte, auteur de l'essai Technique du coup d'Etat

Technique du coup d’Etat paraît au début des années 1930, dans une période de grande instabilité institutionnelle en Europe, qui voit les démocraties menacées par différents types d’insurrection révolutionnaire, qu’elles soient d’origine fasciste ou communiste. Dans ce contexte, l’essai de Malaparte n’est pas tant un manuel pour les séditieux de tous les pays qu’un guide de la défense des institutions démocratiques contre les tentatives brutales de renversement. L’ouvrage est devenu un classique du genre, dont les idées sont devenues tellement évidentes qu’on oublie qu’elles aient un jour été systématisées par un penseur original et hétérodoxe. Il est rare que la personnalité d’un écrivain dispute la vedette à son œuvre. C’est pourtant le cas concernant Curzio Malaparte (1898-1957), de son vrai nom Kurt Suckert. L’écrivain italien incarne en effet au plus haut point la figure de l’écrivain-engagé-aventurier, vivant l’actualité brûlante de son temps, lui donnant la perspective de sa réflexion, et les contours de sa plume. Orphelin allemand élevé par des paysans italiens de Toscagne, il s’engage volontairement au sein de l’armée française, à moins de 18 ans, lors de la première guerre mondiale, qu’il finit gazé, avec la croix de guerre et deux citations. Curzio Malaparte sera un témoin de première main de nombre de grands évènements de son temps. Il assistera ainsi à la Conférence de la paix à Versailles et fera partie de la Légation d’Italie en Pologne, malgré son jeune âge. En 1921, il s’inscrit en Italie au parti fasciste, fasciné, comme beaucoup d’autres jeunes italiens, par le courage militaire et le socialisme de Mussolini. Il n’en perd pas pour autant son esprit critique, et publiera un certain nombre de pamphlets à l’encontre du Duce. Il lui faudra tout de même dix ans pour rompre définitivement avec le fascisme qu’il n’aura de cesse dès lors de décrier. Ce qui le conduira en prison.

Malgré ses 80 ans d’âge, l’essai de Malaparte est plus que jamais d’actualité dans le contexte d’une Afrique postindépendance qui n’en a pas fini avec les démons des coups d’Etat et des renversements séditieux. Les insurgés africains ont parfaitement intégré la technique du coup d’Etat moderne, à savoir faire des attaques ciblées sur les points stratégiques de l’Etat : maîtrise des moyens de télécommunication (télévision, radio) ; maîtrise des moyens de transport (aéroports, postes frontières stratégiques, ports), maîtrise de la logistique (container d’essence, centrales électriques) et maîtrise des points stratégique de pouvoir (parlement, présidence, etc.). Comme l’ont illustré les exemples de la Guinée Conakry, du Niger, du Mali et de la Guinée Bissau, il suffit parfois d’une cinquantaine de militaires décidés et organisés pour renverser un Etat.

Si les militaires séditieux ont intégré depuis longtemps les leçons de Technique du coup d’Etat, il est temps que les défenseurs de la démocratie en Afrique s’approprient également la technique de défense contre les coups d’Etat, pour refaire de cet essai un « traité de l’art de défendre la liberté ».

 

Emmanuel Leroueil

Ma cousine, mon épouse

Le couple exogamie/endogamie est la boussole nécessaire à qui veut naviguer dans les sociétés humaines. L’exogamie définit les collectivités où le mariage préférentiel se fait avec l’étranger à la famille ou au groupe proche, l’endogamie celles qui au contraire, privilégient le mariage avec les plus proches, le mariage entre cousins par exemple. Au Maroc, les derniers chiffres en date donne encore 20% environ de mariages endogames. A la différence d’autres variables – comme le nombre d’enfants, par exemple – l’endogamie ne précède pas historiquement l’exogamie. Au Moyen-Âge déjà, les sociétés européennes étaient exogames, les sociétés arabo-musulmanes endogames. Indépendamment du niveau de développement, du taux d’urbanisation, de la structure démographique, le duo exogamie/endogamie distingue entre deux types de société, accordant à la femme des places différentes.

Exogamie et liberté féminine

Dans les sociétés exogames, les jeunes filles sont non seulement autorisées à circuler dans l’espace public, elles y sont même vivement encouragées. Car une fille qui se confine à la maison et aux fêtes familiales, c’est une vieille fille en perspective, donc à terme une charge économique, et un objet de honte social. Et d’ailleurs, pour les timides demoiselles, les bals de village étaient prévus pour multiplier les occasions de rencontre avec les étrangers (proches). Plus tard, lorsque la bourgeoisie européenne, au XIX° siècle, se préoccupa de protéger ses héritières des mauvais partis, elle inventa le bal des jeunes premières, qui substitua les valses à la rue comme occasion de rencontres. Au village, à la ville, parmi de pauvres paysans ou au sein des notables, l’exogamie, exigence inconsciente, imposait et impose la circulation des femmes parmi les hommes.

Dans les sociétés endogames, les choses sont symétriquement inverses. Toute fille est, à la naissance, en théorie, destinée à un époux, un cousin proche ou éloigné. Non seulement elle n’a pas besoin de sortir, elle est même vivement priée de ne pas le faire. Car la sortie d’une fille nubile dans l’espace public est l’occasion d’une rencontre indésirable, qui viendrait fausser le schéma familial.

La fin du mariage entre cousins

De telles considérations paraîtront oiseuses et compliquées. On dira que moins du cinquième des mariages sont aujourd’hui endogamiques, au Maroc et dans des sociétés similaires (en Egypte, en Tunisie, en Algérie, par exemple). Mais ce serait se tromper sur deux éléments : 20%, c’est beaucoup, c’est même énorme. En Europe, le taux des mariages entre cousins dépasse rarement le 1%. 20% de mariages entre cousins, cela signifie qu’une partie notable des 80% restant sont le fait de mariages de type endogamique, par proximité géographique, ethnique, familiale, et qui échapperaient aux statistiques.

Le second élément concerne la prégnance des schémas familiaux : longtemps après la disparition d’une exigence sociale, son importance mentale demeure, sous des formes métaphoriques. Les vendettas n’existent plus dans la plupart des pays méditerranéens, mais les considérations portant sur l’honneur de la mère ou de la sœur restent centrales dans les injures. On peut multiplier les exemples de ce type : une norme sociale disparait, mais restent, comme une ombre ou un écho, des comportements, des représentations, qu’on assume d’autant plus qu’on ne les comprend plus vraiment. Le rapport des femmes à l’espace public, le fait de voir dans un corps féminin en déplacement une richesse échappée de l’enclos familial plutôt qu’une occasion de rencontre légitime, le fait que ma cousine, mon épouse, m’attend cloîtrée, pendant que je batifole avec les traînées, que leurs pères, que leurs frères à la virilité défaillante, ne surveillent plus… de telles représentations persistent longtemps.

On voit combien la religion, souvent invoquée pour justifier ou dénigrer les comportements sexistes, est ici secondaire. L’islam ne défend pas l’endogamie, certains versets semblent appeler explicitement à l’exogamie. Mais les pratiques qui découlent de l’exigence d’endogamie – cloîtrer les femmes, empêcher la mixité publique – trouvent dans la religion d’utiles arguments pour des comportements autrement difficile à rationaliser.

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog


 

Dépasser l’afro-pessimisme

L’afro-pessimisme est ce sentiment qui pousse à l'abandon de toute pensée qui pourrait mettre en exergue un possible développement du continent africain. Cette idéologie s’appuie sur les nombreuses questions toujours en suspens concernant l’avenir du continent : dans quelle mesure les populations africaines sortiront-elles de la pauvreté ? A partir de quoi envisager un possible décollage économique du continent noir ? Comment pourrait-on rendre l'économie africaine plus compétitive ? A toutes ces interrogations aussi cruciales qu'urgentes, cette  philosophie afro-pessimiste n'apporte aucune réponse positive. Un sentiment qui peut sembler normal et rationnel face à une Afrique connue pour ses famines, ses guerres fratricides et ses coups d'Etats perpétuels, ses autorités politiques corrompus et égoïstes. Difficile, voire utopique, d'être optimiste quand au moment où de l'autre coté de l'Atlantique, les Etats cherchent à s'unir pour avancer et où l'impunité n'est pas sujet de débat public, nous, Africains, semblons tourner le dos, de façon consciente et volontaire, à la course mondiale à la compétitivité. Pourtant, devrions-nous capituler sans combattre ?

Face à la conjoncture actuelle qui voit les anciens moteurs de l'économie mondiale devenir des moteurs très actifs de crises, passant ainsi du statut de créanciers à celui de débiteurs, l'heure semble venue de repenser l'afro-pessimisme dans ses raisons d'être et ses perspectives. Il est donc temps de prendre du recul par rapport à cette image d'une Afrique honnie et profanée, terre de tous les malheurs. La pauvreté et les conflits sont si présents en Afrique qu’ils masquent parfois le reste. En avril 2011, une étude publiée par la Columbia Journalism Review, intitulée "Hiding the Real Africa", expliquait, d'ailleurs, avec quelle facilité l’Afrique fait la une de la presse occidentale lorsqu’une famine, une pandémie ou encore une crise violente ou, plus récent encore, un coup d’Etat, se produit. Ce faisant on a tendance à prêter moins d'attention aux progrès et aux succès du continent africain.

Voulons-nous recevoir d’autres nouvelles de l'Afrique ? Par exemple prendre en compte l'accélération de la croissance économique africaine au cours de la dernière décennie, l'émergence d'une classe moyenne de consommateurs et d'un secteur privé plus dynamique sur le marché local qui attire des entrepreneurs. Il est donc temps de se rendre compte que l'afro-pessimisme devient synonyme de capitulation voire même de lâcheté lorsque l'on ne veut pas admettre que jusque-là les choses continuent de changer. La Banque mondiale a récemment publié un livre sur les succès africains, intitulé Yes Africa Can. La Banque africaine de développement, basée à Tunis, a marqué les 50 ans d’indépendance de bon nombre de pays africains en publiant une étude intitulée L’Afrique dans 50 ans — Vers la croissance inclusive. Selon cette étude, "au cours de la dernière décennie, en dépit de la récurrence des crises alimentaires et financières mondiales, l’Afrique a enregistré une croissance d’un taux sans précédent. Il faudra certes des décennies de croissance pour réaliser des avancées significatives dans la lutte contre la pauvreté en Afrique, mais il y a actuellement un optimisme croissant quant au potentiel du continent".

Calestous Juma, professeur à Harvard, notait que la montée de la classe moyenne modifie la vision de l’avenir de l’Afrique. La classe moyenne a peut être peu à dépenser par rapport aux normes occidentales ou asiatiques, mais elle impulse indéniablement une dynamique politique et économique positive. Certes, cela ne saurait régler la question de l’éradication de la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le développement des infrastructures, l'enseignement technique, l'entreprenariat et le commerce. Il reste que pour permettre des avancées remarquables et durables, l'afro-pessimisme dans toutes ses manifestations doit être dépassé. Cette forme "primitive" de penser l'Afrique moderne n'est-elle pas l'une des causess principales de notre immobilisme ?

Papa Modou DIOUF

Comment gagner du temps en perdant son temps ?

Procrastination : tendance à remettre systématiquement au lendemain des actions (qu’elles soient limitées à un domaine précis de la vie quotidienne ou non). Le « retardataire chronique », appelé procrastinateur, n’arrive pas à se « mettre au travail », surtout lorsque cela ne lui procure pas de satisfaction immédiate.

Au moment où j’écris cet article, un plan de révision pour des examens m’attend… normal, je m’y suis pris à la dernière minute. Mais je peux tout de même écrire cet article car elle faisait partie des choses que j’avais prévu de faire. Dès lors, je procrastine efficacement, je délaie une tâche importante (des révisions), non pas pour trainer sur Facebook mais en faisant une autre tâche moins importante que la dernière. Mes révisions ne seront pas encore entamées mais au moins j’aurai accompli une tâche qui était en retard d’une semaine.

La tentation de remettre toujours les choses au lendemain est grande et peut devenir un cercle vicieux alimenté par un sentiment de culpabilité incessant. Pourtant, comme l’illustre le paragraphe précédent, on peut procrastiner tout en étant productif. En tout cas, c’est ce que développe le philosophe John Perry dans sa théorie de la procrastination structurée qui lui a valu le prix Ig Nobel (prononcer « ignoble ») de littérature. Ce prix, parodie du vrai prix en l’hommage d’Alfred Nobel, a pour but de vulgariser la science et couronne des recherches qui, par leur caractère incongru, font rire les gens au premier abord, et les font ensuite réfléchir. L’idée de Perry qui lui a valu ces « honneurs » est que pour être productif, il faut se concentrer sur quelque chose d'important (écrire cet article par exemple), mais avant tout afin d'éviter de réaliser quelque chose d'encore plus important (des révisions d’examen). Je me suis dit que quitte à perdre du temps, expliquer sa pensée pourrait m’aider et aider le lecteur, procrastinateur probable, qui traine sur Terangaweb pour tomber sur cet article.

Il y a 11 types de personnes

Le premier type est un être en voie de disparition. Souvent, il (ou elle) sait que 11 est l’écriture de 3 en base binaire mais la petite blague geek du titre ne lui fait pas rire car il ne doit pas se laisser distraire… il a bien d’autres choses à faire. Il est concentré, organisé et efficace. Il prévoit ses projets 6 mois à l’avance, se fixe des deadlines et les respecte. Je ne connais pas personnellement beaucoup d’individus de cet espèces et j’irai même jusqu’à être tenté de penser que le lecteur qui m’a lu jusque-ici, qui lu le titre de l’article et compris son thème ne fasse partie de ce groupe.Toutefois, il n’est nul besoin de culpabiliser car la plupart d'entre nous procrastinent. Mais il ya deux façons de procrastiner:

La première façon consiste à toujours remettre les choses au lendemain en ne faisant rien entre-temps. Ce deuxième groupe de personne constitue la majorité des jeunes de la « génération zapping ». Aujourd’hui, 75% des personnes se réclament de la catégorie des procrastinateurs chroniques. L’ « addiction » à la paresse est alors la forme de dépendance la plus répandue, mais aussi la plus partagée car on a tous eu un professeur qui corrige ses devoirs en retard ou un collègue qui ne répond pas à ses mails par oubli. Cette catégorie d’individus utilise tous les prétextes pour ne pas entamer un travail dû. Ils commencent par consulter leur profil Facebook pour « vérifier » leurs messages avant de cliquer sur le lien d’une vidéo virale par inadvertance pour de se retrouver 4 heures plus tard, en fin de journée sur une un site de memes ou de vdms chronophages. Pourtant ce groupe fait le vœu pieux de s’organiser pour être plus efficace mais n’y arrive pas. Ils accolent des post-its un peu partout pour se rappeler des moindres détails à faire ou lisent des séries de livres (ou articles) sur le self-management sans en tirer les leçons. Les gens qui procrastinent de cette manière ont quelques tâches importantes sur leur liste mais ils ont besoin du flot d’adrenaline de la date limite, de quelques nuits blanches à base de caféine et de red bulls pour terminer le travail qu’ils ont à faire.

Et puis il y a enfin l'autre type de procrastinateur. Celui-ci aussi remet les tâches les plus importantes au lendemain. Mais au lieu de passer le temps en attendant demain, il fait des choses moins importantes mais qui figurent dans sa liste des tâches ou qui lui procurent une certaine satisfaction. Par exemple, ce soir je n’aurai pas révisé pour mes devoirs, mais comme heureusement mon compte facebook est désactivé, j’ai pu écrire cet article pour lequel je pourrais même être félicité pour son humour et son intérêt, ou pas. On peut ainsi imaginer divers façons de procrastinations structurées. Je suis sûr que plein d’entre vous ont une lampe à remplacer, une poubelle à sortir, un vieil ami à appeler ou un cours inintéressant mais obligatoire à lire. Le résultat est qu’au final, on aura accompli plein de choses sans même sans rendre compte car on les a faites au moment où on n’était pas censé le faire.

Perry suggère à tous les procrastinateurs, dont lui-même, de se joindre à ce dernier type de procrastination. La procrastination n'est pas en soi un trait positif, mais en l'utilisant pour faire tout ce qu’on n’est pas censé faire à un moment donné, on peut accomplir beaucoup de choses. Perry propose d'établir une hiérarchie des tâches à faire : La tâche la plus importante est au sommet, bien sûr, mais il y a des tas de choses importantes à faire plus bas dans la liste. Bien sûr, souligne Perry, que cela demande une bonne dose de mauvaise foi personnelle : il faut apprendre à se convaincre que toutes les autres tâches que nous faisons sont plus importantes ou sont dues à des dates limites plus proches que celles des tâches plus haut dans la liste. Moi, j’ai ajouté « apprendre le chinois » au sommet de ma liste pour pouvoir enfin commencer mes révisions, mais avant, un dernier passe-temps… je vais répondre aux quelques commentaires de cet article. Joyeuse procrastination !

 

Abdoulaye Ndiaye
 

Le biais statistique en Afrique

Terangaweb porte un intérêt particulier à la question des statistiques sur le continent africain. Dans un premier article sur la question, Tite Yokossi soulignait le handicap que constitue pour les dirigeants africains le fait de ne pas disposer de statistiques et d’indicateurs crédibles sur les sociétés qu’ils dirigent. Impossible pour eux d’évaluer précisément leur action quand il n’existe pas d’indicateur du chômage, pas de sondages d’opinion, pas de chiffre précis sur l’accès de la population aux services de santé publique par exemple. Selon Tite, l’absence de statistiques est un facteur important de la mal-gouvernance en Afrique. Partageant ce constat, Georges-Vivien Houngbonon appelait dans un autre article à une réforme de la statistique en Afrique. Selon lui, vu l’importance cruciale des statistiques dans l’orientation des politiques de développement, il est urgent que les pays africains se dotent des capacités humaines et techniques pour produire des statistiques fiables sur différents sujets stratégiques.

On aurait tort de voir dans cette question un problème de technocrates, déconnecté des réalités et des soucis les plus pressants des habitants du continent. Bien au contraire, la question des statistiques est au cœur des enjeux politiques et économiques qui se posent aujourd’hui en Afrique. Car non seulement ces statistiques sont insuffisantes, mais lorsqu’elles existent, elles sont le plus souvent inexactes. Résultat, les discours économiques et politiques qui sont construits sur cette base sont bancals. Il faut en prendre conscience suffisamment tôt pour ne pas aller dans le mur…

Les chiffres officiels de taux de croissance, de calcul du PIB, de niveau de l’inflation, se révèlent inexacts soit parce que leur méthode de calcul est hasardeuse, soit parce qu’ils font l’objet de falsification délibérée. C'est le sujet abordé de manière détaillée par le numéro de la revue Politique africaine "La macroéconomie par le bas", co-dirigé par les chercheurs Béatrice Hibou et Boris Samuel. Comme le souligne l'ouvrage, en 2004, le gouvernement mauritanien d’un régime Ould Taya à bout de souffle se trouvait contraint d’avouer qu’il avait délibérément falsifié ses statistiques officielles pendant 10 ans… Le régime tunisien de Ben Ali a longtemps falsifié ses indicateurs économiques et sociaux, notamment le taux de pauvreté dans le pays. En 2009, l’Institut National de Statistique indiquait un taux de pauvreté en Tunisie de 3%. Le 14 janvier 2011, le ministère des Affaires sociales tunisien affichait un taux de pauvreté à 24,7%, en basant sa méthode de calcul sur les standards internationaux de la Banque mondiale. S’il existe des règles générales de calcul des principaux agrégats statistiques, chaque pays est dans les faits maître de sa méthode ainsi que des moyens de collecte des données. Comparer les taux de croissance ou d’inflation des différents pays africains revient souvent à comparer des agrégats calculés différemment, selon des méthodes plus ou moins rigoureuses. Autant dire qu’on en vient souvent à comparer des choux avec des salades… Bien que les chiffres officiels affichés par les différents Etats soient soumis à l’examen critique d’institutions internationales comme le FMI, ces dernières n’ont pas toujours les moyens et le temps de vérifier sérieusement ces données. Parfois, elles préfèrent pudiquement fermer les yeux ou protestent discrètement devant des chiffres aberrants.

Prenons quelques exemples de méthodes de calcul hasardeuses. Le taux d’inflation, à savoir la hausse générale du niveau des prix, qui sert à mesurer une potentielle perte de pouvoir d’achat des populations, est calculé à partir d’un panier de biens de consommation courante. Les statisticiens mesurent l’évolution dans le temps du prix de différents biens de consommation. Sauf que dans beaucoup de pays africains, ce « panier de la ménagère » n’a pas été mis à jour dans les méthodes de calcul officielles depuis les années 1980. De nombreux biens de consommation qui impactent fortement les budgets des ménages (téléphonie mobile, briques de lait) ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’inflation. Autant dire que dans ces conditions, il n’est pas compliqué d’afficher une maîtrise de l’inflation.

Autre méthode de calcul souvent hasardeuse, celle du Produit Intérieur Brut, qui permet de cerner la croissance économique, mesure phare de la performance en macroéconomie. Le PIB mesure la valeur totale de la production de richesses à l’intérieur d’un pays sur la période d’une année. On calcule le PIB en prenant en compte les flux de production (les charges et les produits) qui permettent de déterminer, s’il y a lieu, la valeur ajoutée de différents secteurs productifs (agriculture, commerce, pêche, industrie, exploitation des matières premières, etc.). Parce que la plupart de ces secteurs productifs sont informels en Afrique, les Etats disposent de peu de données et extrapolent souvent sur des bases hasardeuses. Certains Etats pétroliers comme l’Angola ne prennent même pas la peine d’inclure des domaines comme l’élevage ou l’agriculture locale dans le calcul du PIB. Bien que ces secteurs fassent vivre une portion importante de la population, ils ne contribuent pas aux ressources de l’Etat, pour qui il n’y a pas de création de richesses en dehors du pétrole, de la finance et des biens importés et exportés.

De nombreux Etats maquillent leur performance économique en modifiant leur méthode de calcul statistique. Béatrice Hibou et Boris Samuel donnent la parole dans  « la macroéconomie par le bas » à l’économiste Morten Jerven, spécialisé dans la mesure du développement en Afrique subsaharienne. Ce dernier cite l’exemple du Ghana qui, suite à une révision de sa méthode de calcul du PIB en 2010, a vu une croissance de son PIB de 60% du jour au lendemain ! Pour masquer cette évolution exagérée, les statisticiens lissent l'augmentation en réévaluant à la hausse les résultats des années précédentes. Comme le remarque judicieusement M. Jerven : « le rebasement a été réalisé juste après l’élection présidentielle, alors que pendant la campagne les candidats avaient promis de faire du Ghana un pays à revenu intermédiaire. Le résultat est que le revenu ghanéen a fortement augmenté d’un coup, mais cette « croissance » peut être considérée comme une fiction : elle est seulement le résultat d’une nouvelle mesure de l’économie et de l’application de nouvelles pratiques techniques ! » Selon Morten Jerven, de tels changements de méthode de calcul du PIB ont également eu lieu en Tanzanie (+60% du PIB), en Zambie (+40%), et sont en cours au Nigeria et au Kenya.

Morton Jerven en tire la conclusion suivante : « le discours sur le renouveau africain dans les années 1990 était pour une grande part fondé sur l’interprétation contingente des données et sur des idées simplistes sur les économies africaines. Prenez le cas de la Tanzanie où une étude menée dans les années 1990 sur le secteur informel a permis de réévaluer le PIB. Ce nouveau PIB a été mal interprété par des économistes qui y ont vu une croissance résultant des politiques de libéralisation. En fait, la hausse du PIB n’avait aucun rapport avec la libéralisation. La raison, à savoir l’inclusion dans les statistiques d’une plus grande part de l’économie, était technique. Il s’est passé la même chose au Ghana avec les 60% d’augmentation du PIB déjà mentionnés. »

Emmanuel LEROUEIL

Pour aller plus loin :

Le site de la revue Politique africaine : http://www.politique-africaine.com/larevue.htm

Le lien vers le numéro "La macroéconomie par le bas" co-dirigé par Béatrice Hibou et Boris Samuel : http://www.politique-africaine.com/numeros/124_SOM.HTM

Sur le chemin de Damas

 

Léon Gontran Damas aurait eu 100 ans, cette semaine. C'est l'occasion inévitable pour les journalistes de nous sortir le fameux, le "3ème mousquetaire" de la négritude, le "3ème homme", le "moins connu" des fondateurs de la négritude etc. sans jamais prendre la peine d'expliquer la place unique, exceptionnelle qu'il a occupé dans la naissance de ce mouvement littéraire.

Précoce et précurseur

On oublie que Pigments a été publié en 1937 et interdit en 1939, quand le Cahier… de Césaire n'apparaissait qu'en 1939 et Les Chants d'ombre de Senghor ne voyaient le jour qu'en 1945. Mieux, la plupart des poèmes de Pigments avant été déjà publié dans différentes revues de l'époque et quelques uns, rédigés durant l'adolescence de Damas. Avant l'éloge de Breton à Césaire, il y eut celui de Desnos au jeune Damas.  Certainement le plus précoce des trois, et peut-être le plus fin connaisseur du mouvement de la renaissance afro-américaine.

On oublie les profondes tragédies qui ont marqué son enfance : la mort de sa soeur jumelle et de sa mère alors qu'il n'avait pas encore un an, la mort de sa grand-mère dont la vue du cercueil le rendit muet pendant… cinq ans et retarda son entrée à l'école primaire. Quand on parle de la violence de l'écriture de Damas, on oublie cette part d'enfance troublée, violente. Et il était Guyanais, métis. L'arrivée à Paris et les "Ah vous êtes guyanais, votre père était-il un bagnard?" Sans ça, il est difficile de comprendre :

"d'avoir été trop tôt sevré du lait pur
de la seule vraie tendresse
j'aurais donné
une pleine vie d'homme
pour te sentir 
te sentir près
près de moi
de moi seul
seul "

ou

"Se peut-il donc qu'ils osent
me traiter de blanchi
alors que tout en moi
aspire à n'être que nègre
autant que mon Afrique
qu'ils ont cambriolée"

et l'affreuse incidente dans hoquet

"Non monsieur
        vous saurez qu'on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les mulâtres ne font pas ça
laissez donc ça aux nègres[je souligne]"

Et ce statut de métis Guyanais n'a pas rendu simple la relation du "troisième homme" à l'Afrique, il n'a jamais cédé entièrement à l'idéalisation du continent, restant le plus vigilant, le moins prompte à l'envolée lyrique de tous les "fondateurs de la Négritude". Peut-être que seul David Diop par la suite creusera le même sillon. Bien avant le désenchantement des années 70. Précurseur.

Précurseur aussi dans l'appel à la révolte :

Aux Anciens Combattants Sénégalais
aux Futurs Combattants Sénégalais
à tout ce que le Sénégal peut accoucher
de combattants sénégalais futurs anciens
de quoi-je-me-mêle futurs anciens
de mercenaires futurs anciens

(…)

Moi je Moi 
je leur dis merde
et d'autres choses encore

(…)
Moi je leur demande
de commencer par envahir le Sénégal
Moi je leur demande
                            de foutre aux "Boches" la paix "

 

Ou encore

"Passe pour chaque coin recoin de France
d'être
un Monument aux Morts
Passe pour l'enfance blanche
de grandir dans leur ombre mémorable
vivant bourrage de crâne
d'une revanche à prendre

(…)

Passe pour tout élan patriotique
à la bière brune
au Pernod fils
mais quelle bonne dynamite
fera sauter la nuit
les monuments comme champignons
qui poussent aussi
chez moi "

Et tout ça est écrit pas un jeune homme de 25 ans, en 1937!

Si Césaire était le tam-tam (notez la cadence : "Va-t-en/, lui disais-je/, gueule de flic/, gueule de vache/, va-t-en/ je déteste/ les larbins/ de l’ordre et/ les hannetons/ de l’espérance/. Va-t-en/" 2/3/3/3/3/2/ etc.), Senghor le… Enfin, tout ce qui lui venait en tête au moment d'écrire (orchestre philharmonique, tambour égyptien etc.) Damas était l'enfant du Jazz. Et quel enfant :

"ils sont venus ce soir où le 
tam
    tam
        roulait de
                    rythme
                             en
                                rythme
                                         la frénésie "

ou

"Et puis et puis
et puis au nom du Père
                       du Fils
                       du Saint-Esprit
à la fin de chaque repas
        Et puis et puis
        et puis désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en"

Et il faut lire "hoquet", le relire, le relire encore et l'on verra derrière le rejet l'humour, derrière la colère la peine, et on verra surtout, penché sur son corps immobile, l'enfant qui essaie de réveiller sa mère.


Joël Té-Léssia

Les milliardaires africains : Portrait d’une nouvelle élite.

Référence mondiale pour le classement des plus grandes fortunes, le magazine américain Forbes couvre de façon extensive depuis l'année dernière les africains les plus riches et propose un nombre croissant d'articles sur le parcours de ces (très) grands opérateurs privés. 16 milliardaires en dollars sont aujourd'hui domiciliés sur le continent selon les estimations du magazine. Ils étaient 14 en 2011… et 3 seulement en 2000. L'exposition médiatique nouvelle de ces Crésus africains engendre une curiosité grandissante à leur égard. Au demeurant, pour des acteurs économiques dont les opérations, fréquemment titanesques, peuvent exercer un impact sur des communautés entières (acquisition ou vente de sociétés, investissement dans l'outil de production, création d'emplois ou licenciements…), cette demande accrue d'information apparaît comme légitime et nécessaire. Qui sont-ils ? Où vivent t'ils ? Comment ont-ils fait fortune ? Autant de questions qui nous serviront de fil conducteur. Plongée dans l'univers très élitiste des plus grosses fortunes du continent.

Qui sont-ils ?

Dans le premier classement jamais réalisé par Forbes sur les 40 plus grosses fortunes du continent en novembre 2011, la journaliste Kerry Dolan énonçait une évidence : La totalité des membres de cette caste est masculine. Pas une seule milliardaire africaine recensée, même parmi d'éventuelles héritières. Une absence au plus haut niveau qui est à rapprocher de la part extrêmement faible occupée par les femmes dans la sphère des détenteurs d'actifs supérieurs au milliard de $ (seulement 21 femmes parmi les 1226 milliardaires, et majoritairement "filles ou femmes de…) à l'échelle de la planète. Révélateur d'un environnement économique dynamique, ces milliardaires "Made in Africa" sont d'abord des autodidactes (12 sur 16) dont la moyenne d'âge est de 61 ans. Une proportion de self-made men nettement plus élevée par exemple qu'en Europe où la reproduction capitalistique par le biais de l'héritage y est plus forte, et qui est caractéristique d'économies en transition au taux de croissance élevé. Une autodidactie qui ne signifie pas nécessairement que le grand capitaliste africain (à l'image de ses confrères vivant sous d'autres latitudes) "s'est fait tout seul" stricto sensu, mais qui dénote en tous les cas un sens de l'opportunisme certain dans l'art de saisir les bonnes occasions (lire à ce sujet un article du même auteur). Quant à la durée moyenne nécessaire pour accéder au rang de milliardaire, elle est d'environ 3 décennies. Le temps de poser les fondations d'un modèle économique efficace et capitaliser ensuite sur la durée. Mais tout est dans la notion de moyenne. Entre le jeune quinquagénaire qu'est le sud-africain Patrice Motsepe à qui il aura fallu une dizaine d'années seulement pour décrocher le jackpot, et le vénérable Onsi Sawiris dont le patient travail à la tête de son conglomérat égyptien s'est chiffré à plusieurs décennies avant de lui permettre de franchir le seuil psychologique du milliard de $, il y a tout un éventail de parcours.

Où vivent-ils ?

Sur les 54 pays que compte le continent, les 16 milliardaires africains recensés par Forbes se répartissent entre 4 d'entre eux seulement : Le Maroc (3), l'Egypte (7) , le Nigeria (2) et l'Afrique du Sud (4). Autrement dit les deux bordures du continent (Maghreb et Afrique australe) auquel s'adjoint le géant démographique nigérian. Au-delà d'un certain seuil de fortune, il semble que l'on pourrait reprendre la boutade qui veut que "certains soient plus égaux que d'autres". Ce constat ne signifie aucunement qu'en dehors des 4 pays précités, il n'y aurait point de salut pour ceux qui souhaitent faire fortune sous les cieux africains. Au cours de la dernière décennie, certains pays ont parfois enregistré des taux de croissance à deux chiffres (Guinée Equatoriale, Angola, Mozambique, Rwanda) dont les fruits ont en grande partie été captés par une nouvelle classe d'opérateurs économiques privés aux succès financiers qui n'ont, toute proportion gardée, rien à envier à ceux de leurs confrères cités par Forbes. Mais le Maroc, l'Egypte, le Nigeria et l'Afrique du Sud ont pour eux 3 facteurs décisifs qui expliquent pourquoi les milliardaires africains résident (pour l'heure) uniquement sur leur territoire.

1) Le niveau de développement de ces pays les placent de facto dans le haut de la hiérarchie africaine. L'idée force ici est qu'il est raisonnable de penser que si un pays est considéré comme collectivement riche, il y a alors de fortes chances de penser que cette richesse soit aussi observée de façon très "concentrée" à l'échelle d'individus. Le classement des milliardaires africains par Forbes en est la preuve empirique. En prenant comme critère de prospérité l'indicateur perfectible (à défaut de mieux) qu'est le PIB par habitant, il sera par exemple observé que l'Afrique du Sud dispose d'un revenu annuel par habitant d'environ 8.300 $, à comparer à la moyenne africaine d'environ 1.700 $. De même pour le Maroc et ses 3.200 $ de PIB /habitant. L'Egypte, bien qu'en deçà, affiche toujours près de 2900 $ par personne. En revanche, l'argument de ce premier point est en partie caduque pour le Nigeria, qui affiche un PIB/ habitant de 1.500 $ environ, en ligne avec la moyenne africaine (et même légèrement inférieur). Il a cependant pour lui un autre facteur décisif : le poids démographique.

2) Le poids démographique ou l'effet masse
Il est parfois des évidences qu'il est bon de rappeler : c'est la taille du marché solvable qui donne la mesure de sa capacité à absorber une quantité donnée d'offre de biens et services. Une offre proposée au prix du marché par nos entrepreneurs, et qui vient répondre à la demande d'un marché domestique qui demeure le plus souvent leur principal client. Plus ce marché sera conséquent et plus il sera aisé de jouer sur les volumes écoulés… et donc sur l'ampleur des profits. Une logique imparable qui privilégiera automatiquement les grands pays que sont le Maroc (33 millions d'habitants) l'Afrique du Sud ( 50 millions), l'Egypte ( 80 millions) et bien entendu le Nigeria (plus de 160 millions). On l'aura bien compris, il est statistiquement plus facile d'être milliardaire en $ pour un Sud-africain que pour un Gambien !

3) Le prisme de l'évaluation boursière
C'est le dernier élément qui explique pourquoi seuls 4 pays africains disposent de milliardaires en $. La très grande majorité de ces fortunes est représentée sous la forme d'un patrimoine évalué en actions cotées en bourse. Méthode habituelle d'évaluation des principales fortunes, mais néanmoins discutable car elle aura tendance à ignorer les patrimoines d'autres opérateurs ne disposant pas d'actifs financiers cotés (et donc difficilement évaluables) et à favoriser des ressortissants de pays aux marchés financiers relativement matures. Or, quelles sont les principales places boursières du continent ? Johannesburg (Afrique du Sud), Casablanca (Maroc), Le Caire (Egypte) et Lagos (Nigeria).

Comment ont-ils fait fortune ?

Dans son ouvrage "The Narrow Road : A brief guide to the getting of money", le multimillionire britannique Felix Dennis, magnat autodidacte de l'édition, évoque la nécessité de choisir la "bonne" montagne pour entamer son ascension financière ("On choosing the right mountain"). En d'autres termes, trouver un secteur porteur dont les opportunités permettront de faire la différence sur une durée de temps suffisamment longue. La leçon a été parfaitement intériorisée par les milliardaires africains. Télécoms, Finance, Distribution, Agroalimentaire, Construction & Immobilier… Tels sont les principaux secteurs qui ont fait la fortune de ce club très élitiste. L'explosion du marché des télécoms au cours des années 2000 aura par exemple généré dans son sillage la constitution de fabuleux patrimoines sur le continent (Sawiris, Adenuga, Mo Ibrahim, mais aussi à un niveau moindre un Cheikh Yerim Sow en Afrique de l'Ouest). Aujourd'hui, les derniers arrivés marocains de la liste (Benjelloun, Chaabi) sont plutôt actifs dans les secteurs financiers et immobiliers. Quant à Aliko Dangote, première fortune du continent avec 11.2 milliard de $, il a initialement percé grâce à l'importation de ciment, avant d'ériger un puissant empire agroaliementaire (sucre, farine…). Il oriente désormais ses efforts… vers la production de ciment ! Un retour aux sources pour l'ancien petit importateur, et qui bâtie aujourd'hui à coups de milliards de $ des usines flambant neuves aux quatre coins du continent (Nigeria, Côte d'ivoire, Sénégal, Ghana, Cameroun, Zambie, Afrique du Sud, Ethiopie). Avec un objectif clairement affiché : Devenir le numéro 1 mondial en surfant sur l'explosion de la demande africaine. "Quand la marée monte, tous les bateaux flottent (a rising tide floats all boats)" aurait probablement rappelé Felix Dennis.

Pour conclure

En 2000, il y avait 470 milliardaires dans le monde, dont 3 (0,6 % du total) résidaient en Afrique. En 2012, la totalité de la planète en compterait 1226, 16 (1.3 %) d'entre eux vivant désormais en Afrique. Le continent a donc sur-performé le reste du monde, mais il part de très bas. La seule ville de Londres comptabilise ainsi plus de milliardaires (41) que la totalité du continent (16). Sans parler de Moscou, record mondial (79) devant New York (59). La bonne performance africaine de la décennie doit donc être relativisée et il serait probablement plus juste de parler de "rattrapage". Pour la première fois cependant, les grands médias spécialisés s'intéressent aux grands capitalistes du continent, signe le plus évident que les choses changent. Le magazine Forbes montre ainsi la voie depuis peu en proposant des articles exclusivement centrés sur le Corporate Africa. Impensable il y a encore une décennie. Il faut cependant envisager avec circonspection ce type de littérature. Non pas tant en raison de la qualité intrinsèque des articles proposés sur l'Afrique (souvent d'excellentes factures) que par la nature même de l'ambition visée : Comptabiliser la richesse du monde. Une tâche démesurée qui montre très vite ses limites et qui bute sur la définition même de ce qu'est la fortune et sur la façon de la quantifier.

Cette difficulté n'est pas propre au continent africain. Ainsi, dans sa dernière édition parue ce mois-ci des milliardaires de la planète, la revue américaine comptabilise par exemple 14 milliardaires français en $. A titre de comparaison, le magazine économique français Challenges qui s'est fait une spécialité depuis de nombreuses années dans le suivi des plus gros patrimoines de France, évalue pour sa part à 51 le nombre de milliardaires français en € (dont la valeur est pourtant supérieur au $) pour son dernier classement de 2011 ! Idem pour le Hurun Report de Chine qui estime à 271 le nombre de milliardaires en $ résidant dans l'Empire du Milieu, alors que son confrère américain n'excède pas les 95. Le magazine chinois prend d'ailleurs soin de préciser qu'il s'agit d'une estimation "basse" de la réalité, les individus recensés ne constituant qu'une partie d'une classe d'hyper-riches probablement encore plus importante. En partant de l'hypothèse que les observateurs les plus proches sont généralement les plus informés, on pourra à bon droit accorder un certain crédit aux évaluations divergentes des confrères de Forbes lorsqu'ils s'agit de mesurer leurs propres milliardaires. Le même raisonnement pourrait à fortiori être appliqué à l'Afrique. Alors, combien de milliardaires africains ? Au vu de la complexité de l'exercice, aucun chiffre probant ne pourra être avancé et on restera dans le domaine des supputations. Une chose est sûre néanmoins : Il y a plus de 16 milliardaires en Afrique, ne serait-ce que parce qu'un certain nombre de chefs d'Etat présents et passés, ne font pas partie de cette liste d'opérateurs privés. La captation des richesses nationales par le contrôle de la machine étatique est malheureusement une possibilité qui est encore envisagée et pratiquée par certains dirigeants du continent. Et là encore, le décidément incontournable Forbes a proposé sa propre liste des dictateurs africains les plus riches. L'avers et le revers d'une même médaille : celle de la richesse en Afrique, légitime ou non.

 

Jacques LEROUEIL

L’économie de la banane : les défis

La banane est le fruit le plus rentable au monde parce que sa récolte est hebdomadaire et se pratique toute l’année. Son rendement effectif passe de 20 tonnes à l’hectare pour la banane Bio au Sénégal selon les chiffres fournis par l’APROVAG l’organisation de producteurs APROVAG, Tambacounda au Sénégal, à 60 tonnes par hectare dans les serres marocaines, selon les chiffres fournis par l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat au Maroc. En comparaison, le cacao produit à l’hectare 300 kg, selon les chiffres fournis par le CNRA, Centre National de Recherche Agronomique de Côte d’Ivoire, rendus publiques par Monsieur Lancine Bakayoko le 27/10/2009, c’est-à-dire qu’à cause des choix erronés des économistes et politiciens ivoiriens, depuis la pseudo-indépendance, un agriculteur ivoirien de cacao est 200 fois plus pauvre qu’un agriculteur marocain de la banane. C’est encore pire pour le café. Selon une étude très sérieuse réalisée par l’IRCC l'Institut de Recherches du Café et du Cacao de Côte d’Ivoire, entre 1969 et 1982, on obtient dans la zone de Gagnoa une moyenne pondérée de 180 kg de café à l’hectare, c’est-à-dire que les économistes et politiciens Ivoiriens ont sciemment réduit à la misère des paysans de 333 fois pire que leurs homologues, paysans marocains. On retrouvera la même situation presqu’à l’identique partout ailleurs en Afrique subsaharienne.

LA GESOTRATEGIE DE LA BANANE

La banane est le fruit le plus consommé au monde. Selon les chiffres fournis par le Monde Diplomatique du mois d’Octobre 1996, par Ghislain Laporte, on en produisait 52 millions de tonnes en 1996 (100 millions de tonnes en 2011). Et les deux principaux producteurs, l’Inde et la Chine, consommaient la totalité de leur production. Ce qui restait 11 millions de tonnes sur le marché international dont 4 millions de tonnes allaient vers l’Union Européenne. Et dont les 2/3 contrôlés par deux multinationales américaines, United Brands Company (marque Chiquita) et Castel & Cooke (marque Dole), et une mexicaine : Del Monte.

Ce qui est détestable sur ces chiffres ce sont deux éléments essentiels :

  • La totalité de 79 pays dit ACP(Afrique, Caraïbes et Pacifiques) à qui l’Union Européenne fait miroiter un avantage incontestable avec la convention de Lomé, Cotonou, fournissent à peine le double (857.000 tonnes) des toutes petites iles espagnoles des Canaries (420.000 tonnes). A peine 4 fois plus que la minuscule Martinique, avec 1.100 km2 et 382.000 habitants qui elle a fourni l’UE pour 220.000 tonnes de bananes, contre les 802 millions d’Africains Subsahariens (chiffres 2007).
  • Pire, la quantité des 79 pays ACP est le tiers de la quantité livrée à l’UE par l’Amérique du Sud qui ne bénéficie nullement des mêmes conventions, soit 2,5 millions de tonnes.

Il en ressort de ces deux points, une volonté de détourner l’Afrique des productions rentables comme la banane qui ne doivent selon cette logique purement coloniale, (même à plus de 50 ans de la reconnaissance par l’occident des indépendances africaines), réservant la production sur le sol africain, exclusivement aux occidentaux. Sur les 55.000 tonnes de bananes vendues dans le monde en 2010, 40% étaient produites en Asie, 27% en Amérique du Sud et seulement 13% en Afrique. Là il s’agit de la banane dite dessert, c’est-à-dire, la banane mangée comme fruit, la banane mure. Mais selon les chiffres fournis par la FAO, en 1995 il a été produit dans le monde 24.000 tonnes de banane à cuire dite verte, 17.000 tonnes étaient produites en Afrique, c’est-à-dire 71% et 4.000 tonnes en Amérique du Sud, c’est-à-dire 17%. On peut dès lors déduire que si les Africains ne produisent que les 13% de la banane mondiale, ce n’est pas à cause de leur incapacité mais à leur état de passivité mentale. On peut donc dire que le cerveau des Africains semble en sommeil lorsqu’il s’agit de produire pour vendre, pour vendre hors de l’Union Européenne. Ils sont alors à la merci des conseils savamment erronés que lui prodigue l’Union Européenne, c’est-à-dire la décourager à produire la banane pour la commercialisation, à moins que cette dernière ne soit entièrement sous le contrôle des entreprises occidentales installées en Afrique.

En 2007, 65% de la banane vendue sur le marché mondial provenaient de deux pays qui étaient auparavant, champions du café et qui ont tous les deux détruit les champs de ce maudit café, pour passer à la banane et c’est la Colombie et le Costa Rica. C’est ce qui a fait que la même année, sur les 10 pays plus gros exportateurs de la banane au monde, 7 étaient de l’Amérique du Sud, permettant à cette partie du monde de contrôler les 95% de la banane exportée dans le monde. Pendant ce temps, les Africains se préparaient à fêter les 50 ans d’indépendance, mais avaient toujours des difficultés à se défaire du commandement colonial de ne s’occuper que du café, du cacao et du coton, un autre produit tristement célèbre lié aux déportations des Africains vers l’Amérique pendant 4 longs siècles.

En 1978, le Maroc décide d’interdire l’activité d’importation de la banane. Le Roi avait tout simplement compris que la banane pouvait être un instrument de géostratégie entre les mains du royaume. Et malgré les conditions climatiques défavorables (contrairement au Congo ou au Cameroun), le Roi décide de créer des serres équipées et prêtes à produire avec des lotissements de 1,53 hectares donnés en location à un prix dérisoire à ses citoyens. Le Maroc qui importait chaque année 24.000 tonnes de banane en 1978, dès 1982 est capable de satisfaire sa demande interne au niveau d’avant l’interdiction. Selon un rapport publié par 3 professeurs : Skiredj, Walali et Attir de l’Institut Agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat, des 2 hectares de démarrage de la campagne 1980/81, on est passé à 2.700 hectares en 1996 et 3.500 hectares en 2011, avec une production annuelle de plus de 100.000 tonnes de bananes.

Que faut-il faire ?

La politique d’approche doit être radicale et en 3 directions :

  • 40% de la banane produite en Afrique pourrit par manque de marché à l’international. Pour y remédier, il faut procéder comme on l’a fait au Maroc : stimuler et organiser le marché intérieur en collectant systématiquement toute la banane-dessert disponible chez les petits producteurs pour les conserver dans les Murisseries desquelles les bananes sortiront muries dans les quantités correspondant à la demande du marché interne. [/*]
  • Démocratiser la production de la banane en créant de petites parcelles de plantation. C’est la seule possibilité pour rompre avec les pratiques coloniales de l’esclavage des plantations de banane qu’on observe encore de nos jours, non seulement en Afrique, mais aussi en Martinique et en Guadeloupe où la culture de la banane est solidement et exclusivement entre les mains des descendants d’anciens esclavagistes.
  • Pour produire, il faut savoir vendre. Le marché international de l’aviation comme des jouets répondent à des logiques spécifiques à chaque pays, à chaque produit et à chaque culture. Il faut avoir la flexibilité d’esprit de comprendre que le monde ne se limite pas à 4 pays Européens, fussent-ils les plus riches. Il existe une très forte marge pour le développement de la consommation de la banane dans de nombreux pays comme la Russie, l’Iran, la Turquie etc…

La solution coopérative

Il existe un marché interne africain à saisir, mais pour y arriver, il faut le stimuler et produire pour le satisfaire. Pour éviter le piège des multinationales du secteur de la banane il faut tout simplement démocratiser le business de la banane avec des petites parcelles ne pouvant excéder 5 hectares et surtout, être sûr et certain que les propriétaires sont ceux là-mêmes qui travaillent au quotidien dans ces plantations. Cela évitera le fâcheux problème de spéculation foncières qu’on retrouve dans certains pays où les autochtones se frottent les mains et font travailler des esclages venus d’ailleurs, comme en Côte d’Ivoire notamment. La coopérative doit donc véritablement regrouper uniquement les paysans faisant partie du projet, et c’est elle qui devra se charger de fournir les premières plantes de bananes aux agriculteurs. C’est elle qui ensuite doit se charger du contrôle de la qualité et du respect des normes internationales pour le gazage et le transport maritime, pour couvrir d’abord le marché national et après international.

Aujourd’hui, le vrai profit de la banane réside dans la distribution. Aucune politique ne sera complète et efficace pour sortir nos agriculteurs de la misère du café, du cacao et du coton si elle ne prend pas en compte la nécessité de créer des murisseries directement dans les grandes villes de nos pays afin d’instaurer une sorte de concentration dite « verticale ». C’est à ce prix qu’il sera possible de contourner certaines faiblesse du manque de compétitivité de la banane africaine, trop longtemps restées dans la logique d’infantilisation globale du continent africain par les européens. Pour stopper la logique coloniale des champs actuels de la banane, il faudra arriver à une transition vers ces petits propriétaires et éviter toute exploitation directe par des entreprises transnationales. C’est à ce prix que nous réussirons une véritable redistribution des retombées du fruit le plus consommé au monde, la banane. C’est ce qui se fait déjà dans de nombreux pays sud-américains où contrairement à l’Afrique, les gouvernants ont négocié pour obliger les entreprises multinationales du secteur à cesser de produire elles-mêmes, et acheter leurs cartons de bananes directement aux paysans.

L’exemple de la coopérative APROVAG (l’organisation de producteurs, Tambacounda) dans l’arrondissement de Missirah au Sénégal, me semble intéressante à signaler et à adapter ailleurs en Afrique. Ils se sont organisés de manière à dédier à la banane 16% de leurs terres, c’est-à-dire 0,25 des 1,63 hectares de chaque planteur, pour un total de 250 hectares consacrés à la culture de la banane, pour avoir de l’argent. En 2008, la production a été de 5.000 tonnes (avec une perte de 20% dû au manque de murisserie et 5% consommé par les agriculteurs eux-mêmes), la coopérative a ainsi vendu 4.000 tonnes de bananes, réalisant un petit pactole de 640.000.000 francs CFA (975 760 €) pour cette population villageoise estimée à près de 52 845 habitants, et une marge bénéficiaire nette de : 1 561 000 francs CFA par hectare dans les 3 communautés rurales : Missirah, Dialacoto et Néttéboulou. Cette coopérative a fait le choix pénalisant qui limite sa productivité à 20 tonnes à l’hectare, pour protéger la santé de ses membres, ayant renoncé aux engrais chimiques qui sont la principale source de malheur dans les plantations de bananes dites industrielles.

Jean-Paul Pougala, article à lire en entier sur son blog ou chez notre partenaire Next-Afrique

Notice biographique : Jean-Paul Pougala est écrivain camerounais, directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève en Suisse.

Message de l'auteur  : Pour les jeunes résidant en Afrique qui voudraient se lancer dans la culture de la banane, adressez-vous à : afrique2022@gmail.com une documentation gratuite sera à votre disposition dès le mois d’Avril-Mai 2012. Et s’il y en a dans votre région, vous serez mis en contact direct avec un ou une agronome qui aura accepté d’adhérer à notre initiatives, vous servant d’appui comme Grand-frère ou Grande-soeur.(attention : afrique2022@gmail.com est réservé aux jeunes Africains qui veulent obtenir des conseils, pour démarrer ou pour prospérer dans un secteur donné alors que afrique2021@gmail.com est réservé à ceux qui veulent donner de leur temps, et servir de Grand-frère et Grande-sœur à nos jeunes).

La maturité du marché de la téléphonie mobile en Afrique

A la fin des années 90, la démocratisation rapide de la téléphonie mobile en Occident était vue par certains commentateurs comme un motif d'inquiétude pour les nations en développement, moins privilégiées en matière d'avancées techniques. Au premier chef, les pays africains, dont la grande majorité occupait les derniers rangs des classements en matière d'équipements en télécommunications. La notion de "fracture numérique" apparaissait et nombre de prévisions envisageaient un décrochage technologique des pays du Sud qui viendrait se rajouter à leur retard économique, déjà inquiétant. A l'appui de ces prédictions pessimistes, l'argument le plus communément invoqué voulait que nombre de ces pays qui, pendant des décennies, n'avaient pas été en mesure d'offrir à leurs populations un service fiable de lignes fixes sur leur territoire, seraient distancées encore un peu plus avec l'arrivée de ce nouveau médium de communication. Le scepticisme ambiant de l'époque reposait en définitive sur l'opinion qu'il était hautement improbable de sauter purement et simplement une étape majeure de l'évolution technologique. Ce sombre scénario était plausible, mais comme bien des prévisions à l'argumentaire pourtant convaincant, il ne s'est pas réalisé.

Aujourd'hui, le téléphone mobile est partout sur le continent. En 2000, il y avait 16 millions de mobiles actifs en circulation pour une population africaine de 800 millions d'habitants. Un téléphone pour 50 personnes. A la fin 2011, selon une étude de Wireless Intelligence, le nombre d'abonnés africains au téléphone portable atteignait 620 millions (supérieure à celui de l'Europe et en passe de devenir le deuxième marché continental de la planète après l'Asie, et devant l'Amérique) pour une population totale ayant désormais franchi le cap du milliard d'individus. Un téléphone pour moins de 2 personnes !

Un saisissant raccourci de l'explosion de la téléphonie mobile au cours de la dernière décennie en Afrique, et qui aura révolutionné en profondeur des pans entiers du continent. Sur le plan économique, cette démocratisation massive du téléphone portable (60 % de taux de pénétration pour l'ensemble de l'Afrique) aura permis la constitution de grands groupes télécoms prospères (en dehors du secteur des hydrocarbures, ces compagnies sont souvent leaders dans plusieurs pays en terme de revenus et d'investissements), qui opèrent le plus souvent à l'échelle de sous-ensembles régionaux (Orange, Bharti, Vodafone) et à la structure capitalistique africaine pour quelques géants du secteur (MTN, Orascom). Un impact économique qui au-delà de la constitution de quelques titans des télécoms panafricains, aura aussi permis à quelques habiles opérateurs privés de bâtir empire et de constituer fortune(Mo Ibrahim, Mike Adenuga, Cheikh Yerim Sow, Naguib Sawiris). Les télécommunications mobiles en Afrique, c'est un chiffre d'affaires global de 56 milliards USD en 2010 et plus de 3.5 millions d'emplois directs et indirects selon l'Union Internationale des Télécommunications .

Une croissance aussi forte trouve son explication dans une convergence de facteurs favorables ; les principaux étant une réglementation favorisant la concurrence, l’implantation de nouvelles technologies et un effort marketing adapté aux besoins des usagers. Dominés un temps par des monopoles d’État, les marchés des télécommunications africains comptent désormais parmi les plus concurrentiels du monde, les autorités de régulation ayant octroyé un nombre croissant de licences et poussé les opérateurs à étendre les services proposés. Cette concurrence accrue a incité les opérateurs à réduire progressivement leurs prix, développer les réseaux et proposer de nouvelles offres afin de protéger leur part de marché et en obtenir de nouvelles. Un cercle vertueux dont les usagers africains auront été, comme ailleurs dans le monde, les grands gagnants.

Il existe aussi quelques spécificités africaines dans le domaine de la téléphonie mobile. Il s’agit essentiellement d’un marché prépayé. Plus de 95 % des utilisateurs utilisent cette forme de consommation, et ceci sur la plupart des marchés du continent. De plus, le marché est toujours axé sur la communication vocale, seul le SMS s’imposant en dehors des services téléphoniques vocaux, qui correspondent à 90 % des revenus. Néanmoins, les autres prestations proposées par les opérateurs progressent rapidement, en particulier l'Internet mobile. Révélateur également de l'impact considérable de la téléphonie mobile, plusieurs autres secteurs de l'économie ont adapté leur offre en fonction de ce nouveau canal. Les institutions financières proposent ainsi de plus en plus de services de banque à distance (mobile banking), via le téléphone portable, afin de développer et de diversifier leurs services. De nouvelles applications, telles que M-PESA au Kenya par exemple, permettent ainsi le transfert d’argent.

Evolution du nombre d’abonnés à la téléphonie mobile en Afrique, 2005-2013
Passée cette phase de forte expansion enregistrée depuis le début du siècle, la téléphonie mobile en Afrique doit faire face aujourd'hui à de nouveaux défis. Si le nombre d’abonnés poursuit sa progression (mais à un rythme désormais moindre), le revenu marginal par abonné a été fortement réduit, atteignant moins de cinq dollars par mois sur de nombreux marchés. Cette baisse a redéfini les paramètres ayant traditionnellement une influence importante sur la rentabilité du secteur. En réduisant par exemple la dépendance au revenu moyen par utilisateur, elle a obligé les opérateurs à optimiser leurs modèles pour qu'ils restent viables. Les seuils de rentabilité restent bas, hormis pour les plus grands opérateurs. Le secteur est soumis à des mutations considérables, passant d’un modèle de développement basé sur la valeur à un modèle basé sur les volumes. Le coût des licences de téléphonie mobile augmentant et le développement d’une large base de clientèle étant indispensable, les besoins en capitaux sont plus importants. L’intensité de la concurrence augmente les risques de retours sur investissement négatifs et ne favorise pas une consolidation sur le long terme.

Mais parallèlement à ces défis, de nouvelles opportunités se présentent ; l’industrie de la téléphonie mobile cherche désormais à réaliser pour le marché de l’Internet ce qu’elle a fait pour la téléphonie vocale. Les obstacles sont nombreux : infrastructures limitées, coûts de la bande passante et de l’équipement de base élevés, faibles niveaux d’alphabétisation de la clientèle et marchés cibles réduits. Cette perspective est toute entière marquée par la spéci…cité des opportunités de développement en Afrique : un mélange unique de potentiel très prometteur et de retours sur investissements souvent incertains. Quoi qu'il en soit, le marché de l’Internet constitue bien la prochaine étape de l’expansion du secteur de la téléphonie mobile sur le continent. Et si les performances passées peuvent préjuger tant soit peu des résultats futurs, il y a tout lieu de demeurer optimiste.
 

Jacques Leroueil

 

Le Paradis, à marée basse

La polémique née, en mai 2011, de la publication d'une circulaire jointe des ministères français de l'immigration et du travail, restreignant les conditions d'accès et les possibilités offertes aux étudiants extra-communautaires de travailler en France, ne s'est toujours pas résorbée. Certains cataplasmes ont été mis en place, misérables contre-feux, censés remédier la situation – à la marge, comme il est de coutume dans l'Hexagone. Le "Collectif du 31 Mai" né en réponse à cette circulaire est plus actif que jamais : intellectuels, artistes et hommes politiques en France, aux Etats-Unis et dans d'autres pays européens se sont émus de cette situation et un système de parrainage a été mis en place.

Cette polémique a eu, néanmoins, trois effets positifs sur lesquels je souhaiterais revenir.

D'abord, elle a fait voler en éclats un non-dit et une hypocrisie insupportables : il n'y a pas "d'immigration" en France, il n'y a même pas d'"immigrés", à proprement parler, c'est à dire en tant que groupe, en tant que "classe". Il n'y a qu'un ensemble assez hétérogène de gens, aux origines, aux ambitions, aux perspectives, aux situations familiales et financières, aux capitaux humains différents et aux intérêts le plus souvent divergents. Cette divergence des intérêts explique le réveil tardif de "l'élite" des étudiants étrangers aux réalités et aux conditions draconiennes de vie en France qu'ont eu à affronter, les "autres", pendant une dizaine d'années.

Deuxième effet salutaire : les réactions à la circulaire du 31 Mai ont permis de mettre en évidence un rapprochement assez saisissant entre les positions d'une partie des milieux conservateurs européens et d'un sous-ensemble non-négligeable de la population "immigrée", en France notamment. C'est l'idée qu'après leurs études, il est dans l'ordre "normal" des choses que les étudiants étrangers "rentrent aider au développement de leurs pays". Ted Boulou, s'est fait, ici même, le héraut de cette proposition.

Enfin, on ne peut occulter le contraste saisissant entre la stupeur que cette circulaire a créé en Occident (ainsi qu'en Inde, en Chine et en Amérique) et le silence assourdissant qui l'a accueillie en Afrique – alors que ce sont les étudiants originaires de ce continent que la circulaire Guéant-Bertrand visait en premier lieu.

Je n'insisterai pas sur le premier point, assez trivial. C'est toujours à des fins politiciennes que "les Immigrés" ont été présentés, en Occident, comme une masse compacte, menaçante ou porteuse d'un "renouveau" (démographique, culturel, etc.) La reconnaissance de leurs "individualités" et de l'hétérogénéité de ce "groupe" n'avait que trop tardé.

Les deux autres effets positifs que j'ai indiqués plus haut, sont liés. L'espèce d'ambition messianisme qu'expriment, peut-être inconsciemment, certains étudiants Africains formés en Occident, n'a d'égal que l'agacement, la méfiance et le mépris teinté d'envie que beaucoup d'Africains "restés sur place" témoignent à l'égard de ces Chicago-Paris-London-Boys revenus de "derrière l'eau", des théories plein la tête, l'orgueil en bandoulière et la certitude d'avoir une "mission" pour leur pays (ou l'Afrique – tant qu'on y est) gravée dans le coeur. Il y a là l'idée d'une passivité des "Africains d'Afrique", d'une incapacité pleine ou presque, à assumer leur futur. Qu'on se comprenne bien, je ne dis pas qu'il est possible que l'Afrique se développe sans que les méthodes, le savoir et le savoir-faire enseignés et pratiqués dans les meilleures universités, administrations et entreprises du monde ne soient rapportées et adaptées aux réalités du continent. Ce qui m'a frappé dès le départ, c'est l'ambition personnelle drapée en esprit de sacrifice, en "conscience d'un devoir". Dans le feu du débat, au nom du nécessaire combat contre cette politique d'immigration imbécile, je n'avais pas souhaité creuser d'avantage cet aspect. Mais quand même, il y a des relents hugoliens dans cette position, quelque chose dans ce "devoir d'aider l'Afrique" me renvoie à ceci :

"Refaire une Afrique nouvelle ; rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation tel est le problème, l'Europe le résoudra. Allez, peuples, emparez-vous de cette terre Prenez-la. A qui ? A personne ! prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre l’Afrique à l’Europe Prenez-la !"

Si l'émigration a été virtuellement absente des débats, durant les élections législatives et présidentielles qu'a connues l'Afrique en 2011, et si elle n'est que marginalement abordée en 2012, même dans les pays de forte émigration (Sénégal, Mali, etc.) c'est peut-être parce que l'Afrique n'attend pas de Messie. Et les prophètes d'outre-méditerranée devraient se le tenir pour dit.

Au surplus, un sous-entendu odieux traîne, non-traité, dans ce débat : l'obligation que les Africains auraient de se sentir concernés par le sort de l'Afrique. Kwame Nkrumah est mort et enterré. On n'est plus en 1950. Si des Africains, sur le continent ou au sein de la diaspora, se sentent concernés par le futur du continent, s'ils souhaitent s'investir dans le développement de leur communauté, de leur région, de leur pays, ou de leur sous-région etc. tant mieux, pour eux. Ou tant pis. Peu importe, c'est une décision personnelle. Naître en Afrique ou de parents originaires d'Afrique n'a jamais signifié qu'il faille lier ou (pire) subordonner ses ambitions personnelles à la destinée de ce morceau de terre. L'Afrique a-t-elle besoin de ces "enfants" là? Peut-être… Encore faut-il identifier ceux qui pourraient lui être utiles. Et cela ne signifie pas qu'ils aient le "devoir" de répondre à cet appel. Ou même qu'ils aient à se considérer comme porteurs d'une mission, d'une obligation envers "le continent".

Personnellement, je tiens pour co-responsables des tragédies liées à l'immigration clandestine, la myopie des Etats Occidentaux, l'ignominie des passeurs clandestins, les satrapes au pouvoir dans les pays en développement et le messianisme de la diaspora qui non seulement continue de faire miroiter aisance matérielle et nécessairement meilleurs conditions de vie, mais entretient en outre l'illusion d'une sorte d'onction à l'arrivée. Comme si le Paradis terrestre se trouvait quelque part, au Nord avec en son centre, l'arbre de la connaissance du bien et du mal, et qu'à marée basse, une myriade de Moïse franchirait les Océans, porteurs d'une parole nouvelle et du salut. Ce n'est pas vrai  d'un, il est fort possible que l'Afrique puisse "faire sans eux [nous]" et, deuxièment, cette pauvre Afrique a assez  souffert, comme ça, aux mains de ceux qui lui voulaient du bien.

 

Joël Té-Léssia

L’Afrique doit-elle avoir peur du Libéralisme?

Pour Jean-Paul Sartre, l’enfer c’est les autres. De manière récurrente, voire obsessionnelle, cette idée est reprise en Afrique par les intellectuels, et souvent appliquée contre les politiques importées sur leur continent. La pauvreté et le retard dans le processus de développement seraient, selon eux, justifiés par l’échec de tentatives successives de « greffes » politiques forcées. Le cœur serré, ils appellent alors les Africains à écrire un modèle qui leur soit propre. Or, nous le savons, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pourtant, il semble intéressant, et utile, de se demander si l’enjeu n’est pas démotivant car hors de portée ?

Nous retrouvons là encore Jean-Paul Sartre non pour son œuvre littéraire mais pour sa pensée politique ; pour lui, en effet, si le système ne s’adapte pas, il suffit de changer l’Homme. Cette conception, totalement utopique, est une aberration anthropologique. Elle permet, toutefois, d’insister sur une dimension trop souvent oubliée par les politiques actuelles : le système doit découler des comportements naturels de l’être humain, et non de volontés particulières ; à terme, jouer à Dieu ne tient pas. L’orgueil de cette conception thaumaturgique est immense ; ses applications peuvent être terribles ; mais, rapidement, le système s’effondre et engendre des troubles dont les peuples doivent endurer les conséquences. Ainsi si l’on doit réinventer la roue à chaque fois que l’on prend la route, il est probable que l’on n’ira pas bien loin. Ouvrons n’importe quel travail de recherche dans le monde, nous y trouverons inévitablement une liste importante de références bibliographiques. La moindre « Histoire de la philosophie » suffit, par exemple, à rappeler que l’idée d’une société humaine autorégulée, et s’adaptant sous l’effet des contraintes extérieures (ce qui deviendra le marché, et la fameuse « main invisible ») existait déjà … 5 siècles avant Jésus-Christ. Cela signifie que l’on part toujours d’une base conçue par d’autres, et ce souvent sans le savoir ; or, si l’on peut pardonner à une personne d’ignorer toute l’histoire de la sagesse du monde, il convient de ne pas lui pardonner de choisir, volontairement, de perdurer dans cette ignorance. C’est d’ailleurs la base de tout progrès que de se remettre en question et sans cesse vouloir faire mieux.

Plutôt que de refouler en bloc les modèles importés, ne serait-il pas temps pour les intellectuels africains d’accepter de se remettre en cause et de rechercher les problèmes structurels du retard de leur économie ? De faire l’effort de se libérer des idées reçues qui les aveuglent et les éloignent d’une voie de progrès accessible ?

Depuis leur indépendance, les pays africains n’ont connu que des politiques dirigées par des gouvernements ayant des pouvoirs sans limite. Certains ont affirmé être socialistes, d’autres libéraux, mais la finalité a été la même : l’Etat décide de tout et la population reste captive de ses caprices évoluant au gré de ses « soutiens » internationaux. Toute politique planifiée par essence est vouée à l’échec, qu’elle soit importée ou pas. En effet, le marché s’adapte en permanence, étant, tout simplement, la combinaison de toutes les volontés individuelles ; il est en l’Homme, il est l’essence même de l’humanité : l’échange. Or, la planification va à l’encontre de cette dynamique permanente et peut s’apparenter à la pose d’un garrot sur une jambe : le sang cesse de circuler, les tissus meurent, il faut couper. L’économie fonctionne de même et les garrots de la planification la dégradent à chaque intervention. Dans un tel contexte, on peut comprendre le mal-être de ces intellectuels qui crient à l’invasion de modèles infructueux.

Ces mêmes intellectuels s’empressent cependant d’accuser les politiques libérales du chaos à travers un système immoral qui exploiterait les pauvres par les riches, à travers des monopoles qui écrasent les économies locales, des politiques de privatisation dangereuses, une mondialisation immorale, etc. Alors que l’intellectuel est censé éclairer les populations, on se rend compte que, malheureusement, par de telles communications ils les aveuglent et les oppriment dans une promiscuité intellectuelle atterrante. Que la démarche soit intentionnelle ou pas, la finalité est grave. Pourtant, le premier des intellectuels célèbres, Socrate, rappelait que la seule chose dont le Sage doit être sûr est qu’il ne sait rien et qu’il doit demeurer modeste quant à ses prises de position dans les décisions relatives à la vie d’un Peuple. Il est aussi préjudiciable à l’intérêt commun que des individus éclairés soutiennent des gouvernements corrompus et corrupteurs ; c’est en cautionnant les pires images, les pires situations, que s’instille dans les sociétés africaines tout ce, qu’ensuite, ces mêmes intellectuels vont critiquer.

S’ils faisaient preuve d’honnêteté, ces intellectuels se poseraient des questions de fonds : Le libéral peut-il s’accommoder de monopoles ? Aberration ! Les monopoles ne peuvent exister que s’ils sont protégés par des gouvernements forts et corrompus et cela est aux antipodes du libéralisme qui, lui et lui seul, prône haut et fort l’adaptation des productions aux besoins de la population (adaptation spontanée de l’offre à la demande) et la transparence. Les privatisations maladroitement présentées comme des dangers se sont résumées en Afrique à un passage d’un monopole d’Etat à un monopole privé et protégé. Ce n’est plus, en pareille situation, la loi du marché et de l’échange prônés par le militant libéral. Cette domination du riche sur le pauvre serait-elle le fait des politiques libérales ? N’a-t-on pas constaté dans les pays d’union soviétique une domination absolue d’un groupe de privilégiés sur un peuple écrasé ? N’est-ce pas justement un manque absolu de liberté individuelle qui permet à quelques dirigeants de dominer leur peuple, de le maintenir, par la concentration malsaine des instruments de production et de distribution, dans la misère ?

Une brève analyse peu poussée oblige à voir que dans le monde les pays les plus libres sont aussi les plus riches. L’inégalité demeure toujours mais, dans ces pays, la pauvreté est moindre. Au-delà, ce sont les pays les plus riches qui sont en tête de liste des donateurs dans le monde, il est donc difficile de parler d’immoralité totale. Pourquoi emporter l’opinion dans de fausses analyses ? Pour préserver le pouvoir absolu des pouvoirs en place ? Question certes malsaine mais qui mérite d’être posée. Ainsi, si les intellectuels trouvaient dans le libéralisme « non le meilleur des systèmes, mais le moins préjudiciable », ils accepteraient, enfin, de mobiliser leur sphère d’influence au profit des Peuples qu’ils prétendent éclairer et que, pour l’instant, ils contribuent par leur silence, ou leurs prises de positions favorables au tout-à-l’égo-étatique, à une concentration des pouvoirs et des richesses entre des mains toujours plus avides.

Il est clair que le libéralisme ne peut être responsable des maux du continent puisqu’il ne l’a pas connu depuis les indépendances. Alors que les politiques importées effraient, le libéralisme semble bien la voie indiquée. En effet, le fondement du libéralisme réside avant tout en l’Homme, en sa créativité, sa responsabilité, sa faculté à créer sa propre richesse, la propriété privée, son initiative individuelle. Le rôle de l’Etat pour le libéral se résume à la protection de l’activité humaine à travers la justice et la défense ; ces deux grands axes sont d’ailleurs rappelés par les religions du livre, le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam. L’Etat doit seulement veiller à ce que les hommes puissent mener à bien leurs activités sans entraves inutiles. Or, la séparation de la sphère personnelle (je possède) de la sphère publique (si tu veux voler mon bien l’Etat doit me défendre afin d’éviter un cycle sans fin de vengeance et de justice privée), ne signifie en rien que les politiques aient un droit « sacré » à dire ce qui est bien ou pas, voire même qu’ils mobilisent les instruments de maintien de l’ordre, et de Justice, pour aliéner la population et la maintenir dans la servilité.

On peut donc définir le libéralisme comme un cadre épousant spontanément l’activité humaine car étant le système spontanément engendré par la rencontre d’au moins deux personnes, l’essence même et de notre nature, et de nos desseins. Dans un tel cadre, les populations s’expriment avec leurs propres cultures dans une flexibilité telle que l’on ne peut honnêtement parler de modèle importé ; le libéralisme ne peut d’ailleurs être « importé », puisqu’il n’a pas de forme figée mais, uniquement, des principes fondamentaux. Peut-on reprocher à l’Homme de vouloir être humain avant d’être un animal sociable ? Peut-on reprocher aux Peuples de vouloir vivre conformément à leurs habitudes ancestrales ? Peut-on reprocher, enfin, à nos enfants de chercher à se dépasser, sans cesse, sans qu’aucun pouvoir ne les en empêche ? Or, sur ces trois grandes questions, porteuses de tant d’autres, la pensée libérale rejoint les vœux déjà émis par les intellectuels ivoiriens qui, souvent, ont fait un rêve ; et ce rêve, nous le partageons depuis toujours puisqu’il est l’essence même de notre engagement.

 

Nicolas Madelénat di Florio et Gisèle Dutheuil de l'Audace Institut Afrique

Publié sur Pensées Noirées et Audace Institut Afrique

Le débat sur l’aide au développement

Depuis le discours de Harry Truman du 29 Janvier 1949, l’aide au développement est devenue l’une des politiques majeures des institutions internationales et un sujet important du débat public global. Naturellement, la question de l’efficacité de l’aide au développement des pays les plus pauvres s'est posée. Les opinons sur ce sujet sont diverses et variées; hommes politiques, économistes, activistes d’ONGs et philanthropes n’ont pas hésité à se positionner pour ou contre la croyance selon laquelle l’aide au développement serait un facteur de croissance pour les pays sous-développés. Dans cet article qui est une revue de la littérature économique sur le sujet, nous verrons que les économistes du développement sont partagé sur l’utilité de l’aide. Deux camps s’opposent : le camp Contre l’aide mené par William Easterly et Dambisa Moyo et le camps Pour l’aide incarné par Jeffrey Sachs.

Contre

Les macroéconomistes ont commencé à s’intéresser à la question de l’aide extérieure très tôt. Dès les années 1960, le chef de fil de l’Ecole de Chicago Milton Friedman a exprimé son pessimisme et ses doutes quant à l’efficacité de l’aide. Pour Peter Bauer et lui, l’aide publique au développement est un « excellent moyen de transférer l’argent des pauvres des pays riches aux riches des pays pauvres. » Easterly et Moyo héritent de cette tradition Friedmanienne dans leurs études néoclassiques et estiment que l’aide fait plus de mal que de bien aux pays pauvres d’Afrique. De leur point de vue, au lieu d’espérer que l’aide tombe dans nos comptes nationaux, nos gouvernements devraient encourager la privatisation des sociétés et favoriser l’ouverture de marchés libres.

Beaucoup d’études économétriques corroborent leurs doutes. En effet, des études montrent que l’aide au développement n’aurait pas d’effet sur la vitesse de développement des pays sous-développés. Au contraire cet aide a même laissé des traces néfastes pour les pays qui en ont bénéficié. Quelques effets secondaires sont par exemple une appréciation inexacte de la monnaie du pays receveur, l’augmentation de la corruption mais aussi un certain laxisme sur les réformes économiques à mener. Par ailleurs, d’autres formes d’aide comme l'importation des excédents agricoles de l'occident ont affaibli les producteurs locaux. Enfin, malgré les exigences des plans d’ajustement structurels en matière de bonne gouvernance, une étroite corrélation a été faite dans certains cas entre la mal-gouvernance et l'aide bilatérale (au point de se demander si ce n'était pas l'aide qui encourageait la corruption et non la corruption présente dans certains pays pauvres qui diminuait l'efficacité de l'aide.) Mobuto, par exemple, avait, à sa mort, assez d'argent dans des banques suisses pour couvrir la totalité de la dette extérieure du Zaïre.

Examinons l’argumentaire d’Easterly et Moyo plus dans le détail.

William Easterly est sceptique sur l’aide au développement qu’il considère comme un phénomène de mode. Dans Le fardeau de l'homme blanc – l'échec des politiques occidentales d'aide aux pays pauvres, Easterly donne sa vision de l’aide extérieure. Il suspecte les missions messianiques de bienfaisance d'être intimement des missions colonisatrices. Il réfute la thèse selon laquelle les pays pauvres sont coincés dans un « piège de la pauvreté » (poverty trap) d’où il ne serait possible de les faire sortir qu'en leur envoyant massivement de l'argent. Pour appuyer ses propos, il montre des évidences statistiques qui, dit-il, prouvent que certains pays émergents ont atteint leur statut de pays développés sans apport massif d’argent de l’extérieur. Il critique notamment l’annulation de la dette des pays pauvres en soulignant les résultats négatifs qui ont été observés en lieu et place de la relance escomptée de ces pays pauvres aprés l'annulation de leur dette.

Dambisa Moyo une écrivaine et économiste zambienne (et accessoirement présentée par les médias comme « étant passée chez Goldman Sachs ») est l’auteure de L'Aide Fatale : Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique. Dans cet essai devenu best-seller, elle soutient radicalement que l’aide extérieure est mauvaise pour l’Afrique et qu’elle devrait être arrêtée. Pour Moyo, l’aide sans limites aux gouvernements africains a créé la dépendance, encouragé la corruption et enfin perpétué la mal-gouvernance et la pauvreté. Elle estime que l’aide extérieure contribue au cercle vicieux de la pauvreté et cache la vraie croissance économique de l’Afrique. Pour elle, la fin de l'aide inciterait les gouvernements à agir et à chercher des sources de financement plus durables et plus efficaces. Le livre de Moyo a eu un écho favorable auprès de certains dirigeants africains comme le président rwandais Paul Kagamé qui estime que « [L’Aide Fatale] a fourni une évaluation précise des enjeux de l’aide aujourd’hui ». Par ailleurs, le président sénégalais Abdoulaye Wade a exprimé un jugement similaire à celle de Moyo sur l'aide.

POUR

Le camp favorable à l’aide au développement tourne autour de la personne de Jeffrey Sachs économiste et conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon. Dans La Fin de la Pauvreté son ouvrage paru en 2005, Sachs écrit : « la gouvernance africaine est pauvre parce que l’Afrique est pauvre ». Pour Sachs, en prenant les mesures adéquates, la pauvreté peut être éradiquée d'ici 20 ans (notons que 1,1 milliard de personnes vivent avec moins de l'équivalent d'1$/jour). La Chine et l'Inde ont valeur d’exemples; la Chine a « sauvé » 300 millions de ses habitants de la pauvreté au cours des deux dernières décennies. Des personnes « sauvées », car pour Sachs, il y a un seuil de pauvreté en deçà duquel les individus sont piégés dans un cercle vicieux et ne peuvent en sortir qu'avec un apport d’argent extérieur suffisant. C’est la notion de « poverty trap » dont l’existence est réfutée par Easterly. Sur la courbe en S ci-dessous, on peut voir qu’un individus a besoin d’un revenu supérieur à un certain niveau pour que ses revenus futurs soient supérieurs à son revenu présent et pour qu’il sorte de la zone de pauvreté.

Le constat de Sachs est que dans une nation, il suffit qu’une génération sorte de la zone de pauvreté pour que les générations suivantes prospèrent. Ainsi, Il recommande aux organismes d’aide de fonctionner comme des sociétés de capital-risque (« venture capital ») c’est-à-dire qu’ils donnent la totalité de l’aide prévue à un pays et non juste une fraction comme c’est communément fait. Ainsi, comme tout autre start-up, les pays qui commencent leur développement doivent absolument recevoir le montant de l'aide nécessaire (et promis au sommet du G-8 en 2005). Cependant, alors qu’une start-up peut se déclarer en faillite lorsqu'elle n’a plus assez de fonds, des habitants des pays pauvres continuent à mourir massivement ce qui aurait pu être évité par une augmentation de l'aide. Pour Sachs, l'aide au développement doit donc passer de 65 milliards (en 2002) à 195 milliards de $ en 2015 afin que les pays en voie de développement entrent dans des cercles vertueux de croissance.

En résumé, pour Sachs il faut plus d’aide et pour Easterly et Moyo il ne faut plus d’aide. Pour marquer son désaccord avec les conclusions d'Easterly, Sachs l'accuse de pessimisme excessif, de surestimation des coûts de vie des pauvres dans ses recherches et d’aveuglement par rapport aux leçons tirées du passé. Par ailleurs, le philosophe et économiste nobélisé Amartya Sen félicite Easterly pour son analyse des problèmes de l’aide au développement mais il critique le jugement négatif qu’il porte sur tous les programmes liés à l’aide et le peu de crédit qu'il accorde aux organismes d’aide alors que des résultats positifs ont parfois été obtenus grâce à ceux-ci.

Quant à Moyo, les solutions de libre marché qu’elle préconise sont dans la pratique plutôt des solutions de long terme. Cinq ans ne seront peut être pas suffisants pour mettre en place ses solutions qui en plus nécessitent un cadre adéquat pour que l’échange soit propice au développement (hypothèses de la concurrence parfaite, bonne gouvernance). En outre, arrêter l’aide pour que les africains cherchent à se financer eux même comme le pense Moyo est, pour l’économiste Paul Collier une idée séduisante mais trop optimiste en ce que « ça exagère les opportunités de financement alternatifs des pays africains et sous-estime les difficultés auxquelles les sociétés africaines font face. »

Enfin, on peut se demander si on peut dire avec certitude que l’aide au développement est défavorable à la croissance ? Sur la figure ci-contre, le PIB/h des pays aidés est représenté par la courbe en rouge. Savons-nous ce qui se serait passé sans les programmes d’aide enclenchés dans les années 60 ? Aurions-nous décollé vers la courbe verte comme le pense Easterly et Moyo ? Aurions-nous régressé en dessous de la courbe jaune ? Nous ne saurons peut être jamais ; il est difficile de simuler une expérience à l’échelle des pays et il n’y a qu’une seule Afrique !

CE QUI COMPTE N’EST PAS « LA GRANDE QUESTION » MACROECONOMIQUE

Sachs, souvent désigné en « rêveur pragmatique » ne croit pas que l’augmentation de l’aide est la panacée à tous les maux. Il a clairement souligné la nécessité d'une approche non simplificatrice et unique sur le développement des pays les moins avancés ; et dans cette approche, la responsabilité des pays étrangers ne peut qu’augmenter par rapport aux solutions basées sur l’aide et non diminuer. Il propose des méthodes concrètes d’éradication de la pauvreté comme, par exemple, le financement de l’agriculture grâce à l’aide au développement (avec de meilleures semences , une irrigation améliorée et l’utilisation d’engrais, les cultures en Afrique et en d'autres endroits peuvent augmenter de 1 tonne / hectare à 3-5 tonnes/hectare). Il préconise également, sur le plan financier, les politiques de microcrédit et, sur le plan de la santé, la distribution gratuite de moustiquaires qui font souvent défaut dans les régions pauvres. L'impact économique du paludisme a été estimé en Afrique à 12 milliards $/an. Sachs estime que le paludisme peut être éradiqué avec 3milliards$/an ce qui montre que l’aide pour les projets contre le paludisme est un investissement économiquement justifié.

Comme pour le cas du paludisme, il y a beaucoup de problèmes liés au développement qui ne peuvent se résoudre actuellement avec l’aide. De fait il vaudrait mieux se focaliser sur l’efficacité des différentes politiques faisant intervenir l’aide que de débattre si dans l’absolu l’aide est bonne ou si elle ne l’est pas. C’est exactement ce que font Abhijit Banerjee et Esther Duflo du Jameel Poverty Action Lab auteurs de Repenser la pauvreté. Ils ont fait des expériences en situation réelle sur des sujets microéconomiques simples et ont pu montrer que les formes d’interventions suivantes que peut prendre l'aide au développement sont très efficaces:

– les subventions accordées aux parents et exclusivement réservées à l'éducation des enfants et à leurs soins de santé,
– Les subventions des uniformes scolaires et des manuels
– l'enseignement correctif des adultes analphabètes afin qu’ils sachent lire et écrire
– Les subventions des médicaments vermifuges, vitamines et suppléments nutritionnels
– Les programmes de vaccination et de prévention du VIH/SIDA
– Les subventions des pulvérisateurs contre le paludisme et des moustiquaires
– L’approvisionnement en engrais adaptés
– L’ approvisionnement en eau potable

Tout compte fait, la question de l’aide au développement n’est pas une question de souveraineté mais bien une question économique qui doit répondre à des exigences d’efficacité. L’aide existe encore mais elle a changé vers une autre forme prenant en compte de plus en plus les recommandations venant d’évidences microéconomiques des différentes sous-questions du développement. Nous devrions donc parler d’aides au pluriel et examiner leurs utilités séparément. Néanmoins, nous devrons reconnaitre qu’à long-terme, l’Afrique devra trouver dans ses propres fonds, les moyens pour maintenir sa croissance.

Abdoulaye Ndiaye

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