Cap Vert : Un nouvel émergent

La disparition récente de la chanteuse Cesária Évora aura mis, le temps des hommages rendus à la Diva aux pieds nus, un coup de projecteur sur son pays natal, le Cap Vert. Nation insulaire de l'océan Atlantique située à l'extrémité occidentale du continent africain, le pays a longtemps souffert de son isolement. Confetti d'îles aux ressources naturelles insignifiantes, dénué de tout et frappé épisodiquement de terribles sécheresses qui auront éprouvé au-delà du raisonnable ses habitants, le Cap Vert sait ce que signifie l'hostilité de l'environnement et l'adversité des circonstances. Il a toujours dû composer avec et s'adapter en conséquence. L'émigration a longtemps été le choix le plus judicieux pour fuir cette difficile condition, et le pays est l'un des rares au monde (avec le Liban et l'Arménie notamment) à avoir aujourd'hui une Diaspora dont la population est supérieure à celle restée sur l'archipel (700.000 personnes contre une population de 500.000 résidents au Cap-Vert proprement dit). On l'aura bien compris, contrairement à d'autres nations qui semblent avoir bénéficié de la sollicitude de la Providence (ressources naturelles variées et abondantes, population nombreuse) le pays n'a pas pu compter sur une situation initiale qui lui soit favorable et son peuple a par la force des choses dû déployer des trésors d'ingéniosité pour simplement faire face au sort. Pourtant, ce qui a longtemps été perçu comme un désavantage semble aujourd'hui progressivement se retourner en faveur du pays.

Colonie du Portugal pendant plus de cinq siècles (les îles du Cap-Vert, alors inhabitées, sont découvertes et occupées par les explorateurs portugais à partir de 1456) jusqu'à son accession à l'indépendance en 1975 dans le sillage de la révolution des Œillets et de la fin de l'empire colonial portugais en Afrique, le Cap-Vert est une nation souveraine jeune. Mais qui peut d'ores et déjà se prévaloir d'une histoire contemporaine riche de périodes décisives : guerre d'indépendance, établissement d'une nouvelle souveraineté nationale d'inspiration socialiste sous la férule du Parti Africain pour l’Indépendance du Cap-Vert (PAICV) qui devra céder les rênes du pouvoir à son rival, le Mouvement pour la Démocratie (MPD) à partir de 1990 avec l'instauration du multipartisme, apprentissage graduel du jeu démocratique (avec la consécration de l'alternance par le retour du PAICG aux affaires, de 2001 jusqu'à 2011) et instauration progressive d'une gouvernance économique pragmatique et efficace, fondée sur l'économie de marché. L'énoncé succinct de ces différents cycles pourrait laisser penser à un enchaînement linéaire et régulier vers le progrès. A tort cependant, car il s'agit d'une construction empirique encore fragile, et en définitive toujours en devenir.

Le point d'inflexion majeur est à chercher au début des années 90, période correspondant à l'instauration du multipartisme et à la mise en place effective d'une économie de marché. 20 ans pour transformer progressivement le pays et faire d'une petite nation insulaire pauvre et isolée, un jeune modèle africain de croissance et de bonne gouvernance désormais considéré comme pays à revenu intermédiaire (depuis 2007). Une évolution heureuse qui doit être expliquée dans le contexte spécifique du Cap-Vert. Un constat tout d'abord, et on ne le redira jamais assez : A l'exception de ressources halieutiques importantes, le pays est dénué de tout. En raison de la configuration très particulière de l'archipel, seules 4 îles sur 10 disposent d'une activité agricole digne de ce nom et 90 % des besoins alimentaires doivent être importés. Dans le secteur primaire, seule la pêche couvre les besoins locaux et peut être partiellement exportée. Les ressources minérales sont insignifiantes et les activités de transformation dans l'industrie sont encore négligeables. Au large des côtes africaines et sans richesses propres, la tentation de prendre le large (émigration) a donc longtemps été le choix par excellence.

Transformer ses faiblesses en forces : un pari en passe d'être réussi

A partir d'un modèle économique initial centré sur une vaine tentative (mise en échec au vu des particularités géographiques du Cap-Vert) d'autosuffisance alimentaire, le pays se tourne progressivement vers les activités de services à haute valeur ajoutée (exploitation de la position géostratégique du pays pour développer le commerce de transit, le transport mais aussi le tourisme), le Cap-Vert devenant de facto partie prenante (et bénéficiaire) de l'économie mondialisée (il est officiellement membre de l'OMC depuis 2008). Et son isolement d'antan se transforme aujourd'hui en atout puisque désormais inséré dans le circuit des échanges mondiaux, le pays est positionné à équidistance du Brésil (le géant lusophone d'aujourd'hui et superpuissance de demain) et du Portugal (la puissance tutélaire d'hier et porte d'entrée du marché commun de l'Union Européenne). Les ressources halieutiques sont progressivement mises en valeur avec l'installation d'unités de transformation et de pêcheries industrielles.

La Diaspora cap-verdienne, présente principalement en Afrique de l'Ouest (Sénégal notamment) et en Occident (Europe, Amérique du Nord), et longtemps vue comme un triste symbole de la fuite des forces vives, est aujourd'hui à l'avant-garde du changement structurel que connaît le pays. Travaillant de concert avec les autorités du pays qui cherchent à canaliser sa contribution pour l'inscrire dans le schéma directeur de développement du Cap-Vert, elle apporte avec elle argent (12 % du PIB du pays), réseaux et compétences. Un concours décisif dans les circonstances actuelles. Même le relief accidenté, sec et venteux de l'archipel, jusqu’alors frein majeur au développement, est désormais mis à contribution avec l'essor des énergies renouvelables (l'éolien notamment). C'est ainsi qu'une situation initialement défavorable est progressivement inversée pour se changer en dynamique gagnante. Les chiffres corroborent en tous les cas ce changement : 7 % de croissance annuelle moyenne depuis 1993, un revenu par habitant qui a progressé de 165 % nets sur la même période et des indicateurs sociaux qui sont parmi les meilleurs du continent (espérance de vie de 72 ans, mortalité globale inférieure à 7 ‰, taux d'alphabétisation et accès à l'eau potable approchant tous deux les 80 %).

Mais le Cap-Vert "nouvelle mouture" a aussi son revers de la médaille qui ne saurait être passé sous silence. La croissance demeure inégalement répartie car elle bénéficie surtout au tourisme, au secteur financier, aux transports et aux télécommunications. C’est la raison pour laquelle, en dépit de la croissance soutenue enregistrée par le pays au cours des dernières années, la pauvreté et le chômage (30 % de la population active) continuent de toucher une partie importante de la population. Sans parler de l'aggravation des inégalités, notamment entre les populations urbaines et rurales, ces dernières se sentant laissées pour compte. De même, la plus grande exposition du pays aux échanges mondiaux, tout en étant un facteur de croissance majeur, rend aussi le Cap-Vert plus vulnérable à tout choc externe. Le modèle a ses propres ratés. Qui ne remettent cependant pas en cause le bien-fondé et la pertinence de celui-ci. La clé du succès actuel du Cap-Vert pourrait se résumer comme suit : Etre suffisamment réaliste et lucide pour faire avec ce que l'on a, tout en capitalisant opportunément sur le moindre avantage comparatif. Le tout dans un cadre d'ensemble garant de l'ordre et la stabilité (tant politique qu'économique) pour pouvoir faire à la longue la différence.

A l'origine du succès : Une classe politique responsable

Pedro Pires

Une recette gagnante, empreinte de réalisme et de pragmatisme. Sans miracle, mais fondée sur le bon sens, et dont la bonne exécution est à mettre à l'actif des dirigeants qui se sont succédés à la tête du pays depuis l'instauration du multipartisme en 1990. Il y a tout d'abord le courage du parti unique qu'était alors le PAICG de reconnaître que suite à l'effondrement du communisme, la nouvelle ère qui s'ouvrait imposait un nouveau paradigme politique (fin de la domination sans partage du PAICG et instauration du multipartisme) et économique (fin de la logorrhée anti-capitaliste d'inspiration socialiste et acceptation de la réalité de l'économie de marché) et qu'il fallait prendre le train en marche de l'Histoire. Au risque de perdre le pouvoir, le parti d'opposition du MPD accédant finalement aux commandes de l'Etat à partir de 1991, et ce jusqu'en 2001. Il y a ensuite l'audace du MPD de mettre en place un programme sociétal et économique en rupture complète avec ce qui s'était fait jusqu'alors et qui une décennie durant (de 1991 à 2001) contribuera à poser les fondations de ce qu'est aujourd'hui devenu le modèle cap-verdien. Il y a enfin la sagesse du PAICG, revenu aux affaires à la faveur d'une alternance réussie, de faire fi des querelles partisanes et de consolider définitivement les acquis engrangés par ses précédents adversaires politiques. Et enfin, de reconnaître une fois encore le verdict des urnes et de s'effacer de nouveau sans fracas devant la victoire électorale incontestable du MPD, de retour au pouvoir depuis 2011. Un modèle politique de démocratie et de bonne gouvernance qui aura été consacré de façon éclatante par la remise du prix de la fondation Mo Ibrahim à l'ancien président Pedro Pires qui a quitté le pouvoir l'année dernière par la grande porte. Cette réussite n'était pas gagnée d'avance. Il suffira pour s'en convaincre d'observer la trajectoire du frère lusophone qu'est la Guinée Bissau, état failli aujourd'hui qualifié de "narco-état" et soumis à une instabilité chronique, dont l'Histoire est pourtant si intimement liée à celle du Cap-Vert. Deux pays, deux parcours distincts, pour finalement aboutir à deux Destins que tout semble désormais opposer. 
 

Jacques Leroueil 

Le top 5 des opportunités d’investissement en Afrique pour 2012

Les économies africaines se classent facilement parmi les plus résistantes au monde. Pendant la récession économique mondiale de 2009, l'Afrique était la seule région mis à part l'Asie à croître positivement, à environ 2%. La croissance du continent est depuis sur une trajectoire ascendante avec 4,5% de croissance moyenne en 2010 et 5,0% en 2011. Et cela va aller encore mieux en 2012. L'Afrique est en bonne position pour devenir la 2ème plus forte croissance régionale dans le monde, et selon le Fonds monétaire international (FMI), la croissance économique moyenne pour les 54 pays du continent se situera autour de 6% en 2012. L'Afrique devient une plaque tournante de plus en plus attractive pour les investisseurs à la lumière des différentes réformes économiques, politiques et sociales que connait le continent. Ce qui crée un environnement d'affaires amélioré propice à l'investissement direct étranger. En dehors de cela, il y a un développement généralisé de l'infrastructure sociale et physique, et il y a un vivier de travailleurs entreprenants de plus en plus instruits à travers le continent.

Il y a aussi une sérieuse hausse du pouvoir d'achat des Africains. Selon la Banque africaine de développement, l'émergence rapide de la classe moyenne en Afrique fait qu’elle compte aujourd'hui plus de 300 millions de personnes. En outre, des analystes du McKinsey Global Institute estiment que les dépenses générales en consommation à travers le continent va dépasser la barre du trillion (1000 milliards) de dollars l'année prochaine. Si vous êtes un investisseur qui n'a pas encore fait d’incursion en l'Afrique, il est maintenant temps d'intervenir et de saisir une part du trillion de dollars d’opportunités en 2012. Voici les cinq secteurs lucratifs dans lesquels vous devriez envisager d'investir.

L'agriculture

L'Afrique est mûre pour une révolution verte. Selon le McKinsey Global Institute, le continent abrite actuellement 60% du total mondial des terres arables et non cultivées. Voilà votre opportunité. Puisque la population mondiale augmente rapidement (dépassant récemment la barre des 7 milliards), la production agricole mondiale doit augmenter en vue de répondre à cette croissance. La majeure part de cette augmentation de la production agricole proviendra de l'Afrique. Alors que les obstacles traditionnels à la stimulation de la production agricole en Afrique ont été bien documentés (notamment un déficit d'infrastructures de distribution et les barrières commerciales), plusieurs gouvernements africains font des efforts considérables et ont réussi à surmonter ces faiblesses. Ces obstacles surmontés et la production agricole augmentée, il y aura une opportunité d'affaires pour la fabrication et la commercialisation de produits tels que les engrais, les pesticides et les semences ainsi qu'une demande de services de transformation des aliments comme le raffinage des céréales. Déjà, un nombre croissant de fonds de private equity surgissent pour financer la production agricole en Afrique. Rejoignez le train.

Le tourisme

Plusieurs pays africains comme le Kenya, l’Ile Maurice, les Seychelles et la Tanzanie sont devenus certaines des destinations touristiques du monde les plus prisées – pour des raisons évidentes. Selon l'Organisation mondiale du tourisme, les arrivées de touristes en Afrique pour l'année 2010 dépassaient 49 millions et sont susceptibles de passer le cap des 50 millions en 2012. C'est ce type de tendance dont vous devriez profiter. L'année prochaine, le milliardaire Richard Branson va ouvrir son safari de luxe dans le Masai Mara au Kenya tandis que le magnat italien Flavio Briatore, possède déjà Lion in the Sun, une retraite de luxe sur la station côtière de Malindi au Kenya. Mais en dehors des pavillons et retraites de luxe, plusieurs autres possibilités sont ouvertes dans le secteur du tourisme en Afrique. Par exemple, le lac Victoria en Ouganda a un nombre important de plans d'eau qui sont encore inexploités. Une croisière en bateau de luxe ou une excursion d'exploitant pourraient être d’excellentes idées. Les vols en montgolfière sont également une expérience relativement nouvelle pour les millions d'Africains ; ce qui pourrait être exploré comme une possibilité viable. Il y a aussi la place pour les investisseurs étrangers de s'associer avec les gouvernements sur les concessions des parcs nationaux.

Le secteur minier

Plusieurs pays africains ont de vastes gisements de ressources minérales qui sont restés largement inexploités en raison d'un manque de savoir-faire technique, et de l'incapacité financière de se lancer dans des projets miniers à forte intensité capitalistique. L'industrie minière du Nigeria, énormément sous-développée, en offre un bon exemple. Le pays possède une vaste gamme de ressources minérales qui inclue le minerai de fer, le charbon, le bauxite, l’or, l’étain, le plomb et le zinc qui ont été négligés en raison de la préoccupation du pays pour ses gisements massifs de pétrole. La République démocratique du Congo, la Tanzanie, la Namibie et la Zambie sont d'autres exemples de pays africains qui ont aussi des réserves inexploitées de grande valeur en diamant, cobalt, or, cuivre et autres ressources. Aventurez-vous y.

Les infrastructures

Investir dans l'infrastructure est essentiel à la croissance de l'Afrique. Même s'il y a eu des améliorations significatives dans le développement et la qualité des infrastructures à travers le continent, il y a encore un déficit évident. Inutile de dire que ce déficit a ses conséquences, y compris les goulots d'étranglement dans le bon fonctionnement des activités de commerce et d'exportation. Mais le financement du développement des infrastructures en Afrique n'est pas bon marché. Selon l’étude de la Banque mondiale en 2008 sur le diagnostic des infrastructures nationales en Afrique, le continent a besoin d'environ 80 milliards de dollars pour couvrir ses besoins en infrastructures. Bien sûr, la capacité de financement des gouvernements individuels des pays sont limités, d'où l’existence d’opportunités pour les investisseurs privés à s'associer avec les gouvernements africains dans le développement des infrastructures, par exemple pour l'approvisionnement en énergie fiable, les ressources en eau, les routes et les systèmes ferroviaires.

Les biens de grande consommation

Selon le McKinsey Global Institute, les dépenses de consommation en Afrique l’année prochaine seront de l’ordre d’1 trillion de dollars. Avec l’explosion de la classe moyenne de l'Afrique explose (plus de 300 millions de personnes), cherchant toujours à être approvisionnée en nouveaux produits, le secteur des biens de grande consommation semble prometteur. Il y a une opportunité énorme et toujours croissante pour les fabricants et détaillants de bien de grande consommation comme la nourriture, les boissons, les soins à domicile et les soins personnels. Mais la vitesse est essentielle. Les investisseurs qui peuvent rapidement intervenir et avoir une emprise sur le marché seront les acteurs dominants des années à venir.

 

Un article de Mfonobong Nsehe; Version française : J.P. Ntchoum pour notre partenaire Nextafrique.com.

 

Les réformes du secteur minier en Afrique

Dans un récent document, « Les ressources minérales et le développement de l’Afrique », la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU (CEA) souligne les enjeux de ce secteur pour le continent africain. Si les prix des ressources minières ont rarement été aussi élevés sur les marchés, les Etats africains et leurs populations en profitent en général relativement peu, du fait d’une taxation inadéquate, de partenariats public-privés mal négociés, d’une mauvaise régulation du secteur et d’un interventionnisme public mal calibré. L’intérêt du rapport de la CEA est d’évaluer un certain nombre de réformes mises en œuvre dans différents pays africains pour en déduire de bonnes et de mauvaises pratiques.

Encadrer l’économie informelle

Le secteur minier est particulièrement concerné par le travail au noir. Cela concerne par exemple l’extraction minière sans autorisations par de petites mains travaillant souvent dans des conditions éprouvantes (travail des enfants, exposition à des produits dangereux). Dans les zones minières de la République Démocratique du Congo ou de la Centrafrique, cette activité d’extraction informelle est la principale source d’occupation des habitants, parfois au détriment de l’agriculture de subsistance. Le deuxième volet de l’économie minière informelle concerne la vente des ressources minières hors des circuits officiels, et donc sans taxation, ce qui peut constituer une importante perte de revenus pour les Etats concernés par ce phénomène.

Des pays africains ont impulsé des politiques visant à remédier à cet état de fait. La Tanzanie a ainsi procédé à la libéralisation du commerce des produits minéraux, un ancien monopole public. L’Etat tanzanien a octroyé des licences aux opérateurs du marché, leur facilitant leur activité de commerce à condition qu’ils déclarent les quantités échangées qui sont ensuite taxées. « Au Mozambique, le fonds de développement du secteur minier, créé par le Gouvernement, joue un double rôle en aidant (financièrement et techniquement) et en promouvant l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, tout en servant d’acheteur d’or, en particulier sur les sites reculés où les exploitants ont peu accès aux marchés concurrentiels. Dans ces endroits éloignés, ce fonds est souvent le seul acheteur légal. » Au Zimbabwe, l’Etat a réussi à court-circuiter la plupart des intermédiaires marchands en proposant aux extracteurs des prix fixes proches de ceux du marché, ce qui a pour effet de réduire leur incertitude. L’interventionnisme public dans le secteur minier en Afrique est en mutation : l’Etat n’essaye plus d’être le seul opérateur du secteur, mais plutôt un intermédiaire incontournable qui peut s’appuyer sur l’initiative privée des petits artisans et des petits commerçants.

Ce type de réforme pose parfois de nouvelles difficultés. Ainsi, au Ghana, la Ghana Mineral Commission a lancé il y a quelques années un programme visant à doter les acteurs informels du secteur minier d’outils industriels et de conseils pour améliorer leur productivité et les pousser à régulariser leur situation auprès de l’Etat. Dans les faits, le recours à un matériel lourd par un grand nombre d’opérateurs insuffisamment encadrés a conduit à une utilisation anarchique avec des conséquences dommageables pour l’environnement. « Étant donné que les exploitants ne suivent pas de bonnes pratiques, la mécanisation de leurs activités a augmenté le nombre d’accidents, comme l’effondrement des puits et des remblais, par exemple. »

Favoriser financièrement et techniquement la prospection minière

L’un des principaux facteurs discriminants pour les opérateurs africains autochtones dans le secteur minier est le déficit de moyens financiers et techniques, notamment en ce qui concerne la prospection minière. Si le secteur continue à être dominé par de grandes multinationales, si les « étrangers » continuent d’être les principaux exploitants des ressources minières de l’Afrique, c’est parce que l’exploitation minière nécessite de mobiliser beaucoup de capitaux et qu’elle requiert une expertise technique pointue (géologie, ingénierie mécanique…) dans la perspective d’une production industrielle. La barrière à l’entrée est trop importante pour les entrepreneurs locaux qui sont réduits au rôle de sous-traitants mineurs, qui captent peu de valeur-ajoutée dans le processus de vente des produits minéraux. Des gouvernements africains ont tenté d’apporter des réponses à ce problème. Au Mozambique, en Afrique du Sud ou au Ghana, des prêts publics sont octroyés à de petits exploitants pour favoriser la prospection minière. Ces prêts restent cependant dérisoires au regard des besoins et du potentiel de prospection en Afrique. De plus, les conditions d’accès à ces financements sont souvent trop contraignantes pour les petits exploitants du secteur informel, et bénéficient plutôt à des acteurs déjà bien structurés.

« Un important enseignement est que pour avoir accès au financement, les petits opérateurs miniers ont besoin de l’appui d’un partenaire technique compétent. Prêteurs et actionnaires recherchent une expérience prouvée dans le domaine de la gestion et des flux de trésorerie reposant sur de bonnes réserves de minerai entre autres – autant d’attributs faisant cruellement défaut chez les petits opérateurs miniers. »

L’une des politiques les plus efficaces de renforcement des capacités d’exploitants miniers locaux consiste à favoriser leurs partenariats avec des multinationales établies, qui fournissent expertise technique et garanties financières, et peuvent en contrepartie participer au capital de jeunes entreprises prometteuses qui sont privilégiées au sein de leur espace national. « En Afrique du Sud, l’encadrement et la sous-traitance préférentielle font tous deux parties de la Charte minière, ce qui indique une voie dans laquelle les lois nationales sont mises au point pour exécuter des programmes de sous-traitance et d’encadrement par les grandes compagnies minières. » Cette stratégie de parrainage de futurs champions nationaux par des entreprises internationales matures, qui se traduit par un transfert de technologie, une facilité d’accès au crédit et une meilleure appréhension des marchés internationaux, s’est déjà révélée concluante dans plusieurs secteurs industriels, notamment dans les pays d’Asie du Sud-Est.

La réforme du secteur minier est une priorité dans l’agenda politique de plusieurs pays africains, comme la Guinée Conakry ou la Centrafrique, pays pour lesquels elle constitue un levier stratégique d’amélioration de la situation économique et sociale. Ces pays gagneront à tirer des enseignements empiriques des réformes mises en œuvre dans d’autres pays africains.

Emmanuel LEROUEIL

Toutes les citations sont issues du rapport cité au début de l'article

Pour aller plus loin, du même auteur : http://terangaweb.com/2011/04/04/la-centrafrique-face-a-la-malediction-du-diamant/

Lesotho : survivre à l’ombre du géant sud-africain

La présence sud-africaine est partout visible au Lesotho. Des milliers de Basothos (ressortissants du Lesotho) travaillent chez le grand voisin. C’est aussi chez lui que le petit royaume, enclavé au cœur de l’Afrique du Sud, s’approvisionne en eau et électricité. Enfin l’Afrique du Sud partage généreusement avec le Lesotho les revenus d’une union douanière qui contribue de manière significative au budget du minuscule État. A quoi il faut ajouter l’omniprésence des sociétés sud-africaines dans des secteurs comme le commerce de détail, les assurances et la banque.

Mais cette ultra-dépendance, jusque là bénéfique, s’avère de moins en moins profitable. En dépit de modestes gains engrangés ces dernières années, le Lesotho reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Le budget 2011-2012 aura été « le plus difficile que le gouvernement ait jamais adopté », reconnaît le ministre des Finances, Timothy Thahane. En cause : le ralentissement de la croissance économique, la hausse du taux de chômage et la baisse des revenus des travailleurs migrants qui perdent leurs emplois en Afrique du Sud. Le Lesotho est également confronté à la baisse de la production agricole et de l'espérance de vie, ainsi qu’à des taux élevés d'infection au VIH. Le pays a connu une baisse de 30 % des revenus domestiques et un déficit budgétaire monstrueux de 15 % au cours de l’exercice 2011-2012. Désormais, le gouvernement songe à solliciter des prêts auprès d’institutions financières internationales. Il espère aussi obtenir le soutien des bailleurs de fonds étrangers.

Une économie asphyxiée financièrement

Une chute drastique, l’an dernier, de sa quote-part au sein de l’Union douanière d'Afrique australe (SACU) a porté le coup le plus dur au budget. La SACU, l’union douanière la plus vieille du monde (elle a récemment célébré son centenaire), maintient le libre échange entre les pays membres (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Swaziland et Namibie) et applique un tarif extérieur commun aux États non-membres. Les revenus sont gérés par l’Afrique du Sud suivant une formule convenue. Depuis 1969, la SACU assure plus de la moitié des revenus budgétaires du Lesotho. Avec la récente crise financière mondiale, les échanges entre les membres de la SACU ont considérablement diminué, réduisant de moitié les recettes douanières du Lesotho.

La diminution des envois de fonds des travailleurs migrants en Afrique du Sud est un autre coup dur, le Lesotho étant fortement dépendant de ces revenus extérieurs. Le rapport 2011 de la Banque Mondiale sur les migrations et les rapatriements de fonds indique qu’environ 457 500 Basothos vivaient à l’étranger en 2010, pour une population totale de 2,1 millions. La Banque estime aussi que les envois de fonds ont contribué à hauteur de 525 millions de dollars en 2010, soit 30 % du PIB du pays. Malgré la hausse des cours mondiaux des minéraux, l’Afrique du Sud traverse une petite récession ces dernières années. Cette situation a eu un impact majeur sur le Lesotho dont les sociétés ont été contraintes de licencier, notamment dans le secteur minier, des milliers d'employés, parmi lesquels des migrants Basothos, réduisant ainsi les envois d’argent que ces derniers effectuent chez eux.

Le secteur textile en crise

Le secteur du textile a également été affecté. La faible demande de vêtements aux États-Unis a réduit les recettes et contribué à creuser le déficit budgétaire. Dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une loi américaine, le Lesotho est devenu l’un des plus grands exportateurs de textiles d’Afrique au Sud du Sahara. L’AGOA permet aux pays africains éligibles de vendre leurs textiles aux États-Unis en bénéficiant d’avantages tarifaires uniques. Mais la surévaluation du rand sud-africain – auquel la monnaie nationale, le loti, est arrimée – a affecté la compétitivité du deuxième plus grand employeur du Lesotho.

De plus, les autorités s’inquiètent du sort de l’industrie textile si une clause figurant dans l’AGOA n’est pas renouvelée après son expiration en septembre 2012. Cette clause permet aux pays éligibles à l’AGOA, notamment le Lesotho et le Kenya, de s’approvisionner en tissus auprès de pays tiers tels que la Chine sans perdre les avantages qu’offre l’AGOA. « Notre principal défi sera l’expiration de l’AGOA. Le secteur textile emploie 45 000 personnes dans le pays », explique le gouverneur de la Banque centrale. Les recettes d’exportation du textile constituent 20 % du PIB du Lesotho. Certaines sociétés de fabrication de vêtements ont déjà fermé à cause de la faiblesse de la demande.

La situation dans le secteur agricole est tout aussi déprimante. Trois Basothos sur quatre vivent de l’agriculture de subsistance. Mais la contribution de la production céréalière au PIB est passée de 4,8 % en 2000 à 1,8 % à peine en 2010, ajoute M. Thahane. Les Nations Unies tirent la sonnette d’alarme. La production agricole est en baisse et pourrait s’interrompre dans la majeure partie du pays si des mesures ne sont pas prises pour contrecarrer l’érosion et la dégradation des sols et remédier au déclin de leur fertilité.

L'espoir d'un avenir meilleur

En dépit des difficultés économiques, le Lesotho se porte moins mal que d’autres pays de la sous-région, tels que le Swaziland et le Zimbabwe. Et l’espoir d’inverser la tendance existe, si les politiques actuelles visant à donner à l’économie une nouvelle orientation s’avèrent efficaces. L’eau, déclarent affectueusement les Basothos, c’est « l’or blanc » du Lesotho. Les revenus provenant de la vente de l’eau dans le cadre du Lesotho Highlands Water Project devraient augmenter avec la construction du barrage de Metolong. Dans le cadre du projet relatif à l’eau, mis sur pied en partenariat avec l’Afrique du Sud, le Lesotho exporte l’eau vers sa province voisine du Gauteng à travers une série de barrages et tunnels creusés dans les montagnes. Le Gauteng, plaque tournante de l’économie sud-africaine, dispose de très peu d’eau et doit faire appel au Lesotho pour étancher sa soif. Ce projet de plusieurs milliards de dollars génère aussi suffisamment d’énergie hydroélectrique pour répondre à environ 90 % des besoins énergétiques du Lesotho.

Le Lesotho peut aussi compter sur les bénéfices des exportations minières, dans un contexte marqué par la flambée des cours mondiaux des métaux précieux. Les revenus issus des diamants, certes encore négligeables, sont en hausse. Le gouvernement envisage de générer davantage de revenus en taillant et en polissant les diamants sur place. Bonne nouvelle, on annonce une petite augmentation des revenus de la SACU en 2012. Toutefois, la portée de cette embellie dépendra essentiellement de la nouvelle formule de partage des revenus actuellement à l'étude. Les législateurs américains ont également présenté un projet de loi visant à prolonger l’AGOA. Si ce projet est voté, le Lesotho pourra compter sur un flux de revenus constant de ses exportations textiles vers les États-Unis, à condition cependant que l’économie américaine poursuive son redressement.

Le Lesotho cherche également à attirer les investisseurs étrangers. Selon l’édition 2011 du rapport Doing Business de la Banque mondiale qui évalue le climat des affaires dans les pays, le Lesotho est classé 138ème sur 183 pays en lice. S’il assouplit les restrictions commerciales, le gouvernement pourrait aisément attirer des investisseurs dans les secteurs de l’exploitation minière, du textile et du détail. Toutefois, des défis majeurs s’annoncent. Il y a notamment la probabilité d’une autre récession mondiale qui pourrait compromettre les programmes économiques pourtant bien conçus du Lesotho. Pour l’instant cependant, le minuscule royaume montagneux a compris les dangers de son ultra-dépendance vis-à-vis du grand voisin sud-africain.

 

Masimba Tafirenyika, article initialement paru sur Afrique Renouveau Magazine, revue de l'Organisation des Nations Unies consacrée à l'Afrique.

Centenaire de l’ANC : l’Afrique du Sud éduquée dans la violence

L’Afrique du Sud a célébré en grandes pompes, le 08 Janvier dernier, le centenaire de l’African National Congress (ANC). Si le budget consacré à l’évènement(10 millions d’euros) a surpris plus d’un, les principales critiques adressées au mouvement de Nelson Mandela, parti solidement majoritaire (65% aux élections législatives de 2009), concernent les accusations de corruptionet d’enrichissement personnel et la lenteur, sinon l’échec, de sa politique de lutte contre la pauvreté (40% de chômeurs).

Identifiant les principaux challenges que son pays devait affronter, Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud indiquait « le chômage, la pauvreté et les inégalités »… : la violence endémique et les errements des politiques sanitaires mises en œuvre dans ce pays, par une ANC au pouvoir maintenant depuis dix-sept ans, ont été passées sous silence – comme s‘il s‘agissait d‘un « fait accompli » dont la responsabilité directe ne pouvait être imputée à un mouvement politique particulier.

Or la situation sécuritaire en Afrique du Sud est grave. Pire : elle s’est aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC#! Et plus qu’ailleurs, ce sont les plus vulnérables qui en paient les frais : les pauvres, les femmes et les enfants. En ce qui concerne ces derniers, les chiffres sont accablants.

Une enquête nationale sur la violence scolaire en Afrique du Sud (National Schools Violence Study) menée en 2008 par le Centre for Justice and Crime Prevention (CJCP) portant sur les élèves du primaire et du secondaire indique que près de 2.000.000 d’entre eux (15,3%) ont subi des actes de violence à l’école ou dans le voisinage immédiate de l’école. Cette violence est tantôt physique, tantôt verbale, qu’il s’agisse d’agressions, d’intimidations, de rackets, de harcèlements, de vols ou de viols.

Ce climat de violence n’est pas le seul fait d’élèves agressant d’autres élèves. La réalité est plus dure encore.

Ainsi, sur les 20.000 établissements primaires et secondaires étudiés par le CJCP en 2008, dans trois sur cinq des agressions verbales de professeurs par des élèves avaient été signalées au cours de l’année précédente, des agressions physiques sur les éducateurs avaient été reportées dans un quart d’entre elles. Le Centre recensait même, dans 2,8% d’écoles, des agressions sexuelles commises par les élèves sur les professeurs.

La réciproque est vraie. Dans un quart de ces écoles les élèves avaient été victimes d’agressions physiques de la part de leurs professeurs, dans 2/5 d’entre elles, les directeurs avaient reçu au moins une plainte pour agression verbale. Plus inquiétant encore, une étude menée par la revue Lancet en 2002 établissait qu’un tiers des viols subis par les filles de moins de 15 ans en Afrique du Sud étaient perpétrés par les éducateurs. Une commission des droits de l’homme établissait quelques années plus tard qu’un enfant avait plus de risque d’être violés à l’école que nulle part ailleurs.

Pourtant, les instruments juridiques existent et sont légion, censés assurer la protection des élèves : d’abord la « Constitution » sud-africaine en son chapitre 2 liste les droits fondamentaux des élèves et des éducateurs, parmi lesquels le droit d’être protégé de toute forme de violence et de tout traitement dégradant ou inhumain; le South African Schools Act de 1996 interdit les châtiments corporels, un amendement introduit en 2007 autorise même les fouilles corporels et les tests aléatoires de consommation de stupéfiants dans les écoles; le Children’s Act de 2005 étendait le droit des enfants à leur intégrité physique à la protection contre toute forme de châtiment physique (qu’il soit sanctionné ou non par des normes coutumières ou traditionnelles); enfin le Domestic Violence Act de 1998 introduit l’obligation légale de dénoncer tout acte de violence, de négligence, d’abus ou de mauvais traitement commis contre un enfant aux autorités. En vain.
 

Des solutions? une approche globale et soutenue dans le temps

Dans deux études publiées en 2008 puis en 2011, des chercheurs sud-africains identifient les causes de l’échec des pouvoirs publics à lutter contre ce phénomène qui perpétue le cycle de violence dans la société, freine toute politique d’éducation et in fine, entretient le cercle de pauvreté. Patrick Burton du CJCP, dans Dealing with School Violence in South Africa met en cause le manque de continuité dans les politiques mises en place par l’Etat, malgré la permanence au pouvoir de la même majorité politique depuis près de deux décennies. Les professeurs Leroux et Mokhele dans « the persistence of School Violence in South Africa’s schools : in search of solutions » questionnent l’approche parcellaire qui a été jusqu’ici privilégiée. Les acteurs publiques ont préféré s’attaquer à différents symptômes de la violence scolaire, pris un à un : la consommation d’alcool ou de stupéfiants, la probité professionnel des éducateurs, la présence de gangs au sein des écoles etc. Ils recommandent une approche plus holiste et intégrée, qui s’intéresseraient autant à l’environnement scolaire que familial, qui permettrait d’identifier les signes premiers de violence scolaire et empêcherait la perpétuation des cycles de violence, qui impliquerait également professeurs et élèves.

Un programme a été mis en place depuis 2008 dans la région du Cap, par le CJCP et le ministère de l‘éducation : l’initiative « Hlayiseka » qui signifie en Tsonga « sois prudent ». Il s’agit d’ateliers de travail étalés sur quatre jours, regroupant élèves, directeurs et éducateurs, au cours desquels tous les acteurs de la vie scolaire identifient les problèmes spécifiques de l’école et réfléchissent ensemble aux solutions à mettre en place. Pour la première fois, il ne s’agit plus simplement d’instaurer des détecteurs de métaux aux porte des écoles ou de recruter des agents de sécurité. Des services d’écoute et d’alerte sont mis en place qui garantissent l’anonymat des élèves et qui sont intégrés aux autres organismes juridiques ou policiers de protection de l’enfance. C’est un premier pas dans la bonne direction.
 

 

Joël Té-Léssia

Les conflits du Mozambique (2): la guerre civile

Les événements intervenus durant l’année qui vient de s’achever ont montré à quel point des Etats stables pendant des décennies peuvent être très fortement déstabilisés, plongeant  des régions entières dans une spirale de violences chroniques.

Alors que les conflits intra-étatiques se sont multipliés ces vingt dernières années, la guerre civile du Mozambique (1977-1992) constitue un conflit emblématique et sans doute précurseur pour fixer quelques constantes dans le déclenchement et la résolution d’un conflit intra-étatique contemporain.

1/ La déstabilisation du pays

Les facteurs internes : les séquelles de la longue guerre d’indépendance (voir article du 13 décembre 2011), qui a déstructuré les structures sociales et ruiné l’économie handicapent lourdement le développement du Mozambique.

La gestion de la période de transition par le FRELIMO a également suscité des déceptions (mise en place d’un système de parti unique, nationalisations massives, collectivisation des terres, déplacements de populations…).Ceci a crée et entretenu de très fortes tensions internes. Toutefois, cette situation caractéristique de nombreux pays nouvellement indépendants,  ne suffit pas, à elle seule, à expliquer le déclenchement du conflit. Elle a en fait été exploitée par des parties extérieures pour déstabiliser durablement le nouvel Etat.

Les facteurs externes : la situation régionale a joué un rôle majeur dans le déclenchement et l’entretien des violences. La Rhodésie (actuel Zimbabwe) et l’Afrique du Sud de l’apartheid, voulant limiter les revendications internes, voyaient d’un très mauvais œil l’indépendance du Mozambique. Le soutien de ce dernier aux mouvements anti-apartheid de la région, son orientation socialiste, et le « contre-modèle » qu’il offrait dans la région en faisait une cible à abattre.C’est dans ce contexte qu’apparait la RENAMO (Résistance Nationale Mozambicaine) mouvement de lutte anti-communiste créé avec le soutien actif des services secrets de Rhodésie, puis l’aide logistique et militaire de l’Afrique du Sud.Enfin, la Guerre Froide a favorisé la transposition du conflit idéologique Est-Ouest au Mozambique, entre la RENAMO et le FRELIMO. Dans ce contexte, aucune puissance n’avait intérêt à favoriser un règlement rapide, alors que l’ingérence de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie était tolérée tant qu’ils se posaient en remparts contre le communisme.

 

2/ Le déroulement du conflit

 Les stratégies des belligérants : les forces favorables au FRELIMO, durent faire face aux mêmes techniques de guérilla qu’elles avaient elles-mêmes utilisé contre l’armée Portugaise pendant la guerre d’indépendance pour contrôler de vastes étendues boisées et s’assurer du soutien des populations qui y vivent. Dans sa stratégie de déstabilisation, la RENAMO eut recours de manière systématiques à des enfants- soldats et commit de nombreuses exactions et crimes de guerres contre les populations rurales (tel que le massacre le 18 juillet 1987 de 424 civils à Homoine-480 km au nord de Maputo-, incluant des femmes, des enfants et des patients hospitalisés). Face à la perte de contrôle de vastes régions,  l’armée gouvernementale a entrepris de regrouper les populations rurales dans des villages fortifiés et de constituer des corridors d’approvisionnement pour les relier.

 L’impasse militaire : Après des années de lutte, la stratégie de déstabilisation entreprise par la RENAMO, la destruction systématique des infrastructures du pays et l’usage de mines antipersonnel par les deux belligérants aboutirent à la perte de contrôle des campagnes par les forces gouvernementales. L’incapacité de la RENAMO à conquérir les villes et de couper les corridors mis en place aboutirent à une situation de blocage dans laquelle aucune des deux parties ne pouvait prendre le dessus sur l’autre.

 

3/ La difficile résolution

 Une nouvelle donne internationale: dans un contexte régional et mondial particulier, le conflit devint une guerre par procuration. Soutenu par l’Union soviétique, le FRELIMO ne pouvait contenir sa perte d’influence et l’état désastreux de l’économie. Il finit par signer un accord avec le gouvernement sud-africain, dans lequel ce dernier cesserait son soutien à la RENAMO en échange du retrait actif du soutien Mozambicain à l’ANC.Parallèlement, les crimes de guerres commis par la RENAMO ruinèrent à son image à l’étranger et étouffèrent des possibilités de soutien majeures, notamment aux Etats Unis.

Les négociations : la fin de la Guerre Froide et l’effondrement du régime d’Apartheid en Afrique du Sud poussèrent les deux belligérants vers la table des négociations à partir de 1990. Une nouvelle constitution fut adoptée garantissant un système multipartite et des élections démocratiques. Le 4 octobre 1992, l’Accord Général de Paix de Rome entre le FRELIMO et la RENAMO aboutirent à la fin officielle des hostilités, l’envoi par les Nations Unies d’une force de maintien de la paix de 7500 hommes (ONUMOZ) pendant une période de transition de deux ans et l’envoi de plus de 2000 observateurs internationaux lors des élections historiques d’octobre 1994. Ces accords ont constitué la fin d’un conflit qui couta la vie à prés d’un million de personnes, et fit cinq millions de réfugiés (sur une population totale d’environ quatorze millions d’habitants).

 

Nacim KAID SLIMANE

 

 

 

En 2012, ne votez pas, jugez !

Choisir un candidat aux élections présidentielles parmi plusieurs n’est pas facile pour nous électeurs. Nos préférences peuvent porter sur plusieurs candidats, pourtant on ne peut en choisir qu’un seul. D’où le recours au « vote utile » comme seule voie de salut alors que ce type de vote qui, ne représente pas la préférence réelle des électeurs, est contraire à l’esprit de la démocratie. La principale défaillance du scrutin majoritaire à deux tours est ainsi son mode de scrutin. Dysfonctionnel, il pourrait déboucher en 2012 dans les nations africaines en élection sur des accidents démocratiques majeurs : la qualification en finale, et donc la mise au centre du jeu politique, de candidats très rejetés par l’opinion public (exemple en France du cas de Jean-Marie Le Pen en 2002).

En outre dans le vote parlementaire, sous-représentativité des minorités est un problème majeur et le devoir de fidélité à un parti politique fait que les députés ont moins de latitude pour faire valoir leur propre point de vue indépendamment de la position de leur parti politique. Dans une série de deux articles sur le vote, nous présentons dans une première partie le « Jugement Majoritaire » qui est une sérieuse alternative au scrutin majoritaire à deux tours comblant ses défauts, et prochainement quelques expériences (de pensée) sur comment s’attaquer aux problèmes liés au vote parlementaire.

Petit cours sur la théorie du vote

Il y a différent modes de scrutin: le scrutin majoritaire à deux tours (Benin, Egypte, Sénégal, la majorité des pays d’Afrique francophone…), le scrutin majoritaire à un tour (Cameroun, RD Congo), le scrutin de liste majoritaire (Djibouti avant 1992) etc.
Condorcet (1743-1794) a théorisé le « bon » scrutin comme celui qui satisfait les propriétés suivantes:
Universalité, ou domaine non restreint : le scrutin doit être défini dans tous les cas de figure, c'est-à-dire qu’il doit toujours déterminer un choix collectif, un candidat élu, quelles que soit les préférences de chaque individu pour les différents candidats ;
Non-dictature : il n'existe aucun individu qui décide à lui seul de l’issue du vote indépendamment du vote des autres. A ce titre, le scrutin du conseil de sécurité de l’ONU, par le droit de véto est un exemple de scrutin à « semi-dictature ».
Unanimité : lorsque tous les individus préfèrent un certain candidat A à un autre candidat B (par exemple sur un sondage où les participants doivent voter exclusivement pour A ou pour B), le scrutin doit associer cette même préférence à la société. Le résultat des élections avec tous les candidats C, D, E,… doit refléter que A est préféré à B et que B ne peut pas être élu. Le gagnant-Condorcet est finalement -s’il existe- celui qui bat tous les autres candidats à une élection à deux candidats ;
Indifférence des options non-pertinentes : le classement relatif de deux candidats ne doit dépendre que de leur classement relatif pour les individus et non du classement de candidats tierces. C'est-à-dire que l’entrée d’un nouveau candidat dans la course aux présidentielles ne doit pas altérer les préférences préétablies des électeurs entre les autres candidats.
Le vote pensé par Condorcet a tout l’air d’un vote juste. Toutefois, Condorcet et Arrow ont justifié que dès qu’il y a 3 candidats ou plus, il n’y a pas de scrutin qui satisfait les 4 propriétés énoncées dans tous les cas.

Défauts du scrutin majoritaire

Le scrutin majoritaire ne vérifie pas bon nombre de propriétés du vote de Condorcet ; tout d’abord, il trahit la volonté des électeurs : le gagnant d’une élection dépend du jeu des candidatures multiples et non de la seule volonté des électeurs. L’influence des candidatures multiples sur l’éparpillement des votes est contraire au principe d’Indifférence des options non-pertinentes de Condorcet. En outre, il fausse l’opinion de l’électorat : les décomptes des voix n’expriment en rien le sentiment des électeurs. En effet, Les partis écologistes sont souvent bien appréciés par l’opinion publique tandis que les partis nationalistes sont les plus rejetés. Toutefois, on observe souvent après les élections que les nationalistes ont de meilleurs pourcentages de vote que les verts à cause du « vote utile » qui contredit le principe d’Unanimité.

Enfin, il empêche l’électeur de s’exprimer et le force à faire un choix stratégique difficile (à la suite souvent regretté). Dans un premier tour qui n’offre qu’un choix entre beaucoup trop de candidats, que faire ?
– Voter honnêtement pour son favori même s’il n’a aucune chance de gagner ?
– Protester en votant pour un candidat aux idées extrémistes ?
– Voter « stratégique » ou « utile » pour le moins pire parmi ceux qui ont une chance de survivre le premier tour ?
– Manifester ses insatisfactions en votant blanc, conscient que la totalité des blancs n’est même pas annoncée ?
Les voix d’un candidat sont loin d’avoir le même sens: les agréger peut ne pas être très représentatif.

Le « Jugement majoritaire »

Un nouveau mode de scrutin, mis au point par deux chercheurs Michel Balinski et Rida Laraki, (et publié par le think tank Terra Nova) – le jugement majoritaire (JM) – a été conçu pour éliminer certains défauts du scrutin majoritaire. Il se déroule en un seul tour (ce qui coûte moins cher au contribuable), classe tous les candidats, et les évalue en attribuant à chacun une mention.

Le jugement majoritaire donne à l’électeur la possibilité d’exprimer son opinion sur comment il juge que chaque candidat pourra diriger son pays. Au lieu de nommer un seul candidat, le JM lui demande d’évaluer les mérites de chacun des candidats dans une échelle de mentions : Excellent, Très bien, Bien, Assez bien, Passable, Insuffisant, à Rejeter. Par exemple, avec douze candidats, le premier tour du scrutin usuel ne donne à l’électeur que 13 possibles expressions d’opinion (nommer un candidat ou voter blanc) ; le JM lui en donne presque 14 milliards. Ainsi, un électeur évalue chaque candidat selon ses convictions : il pourrait, par exemple, donner 0 Excellent, 0 Très bien, 2 Bien, 1 Assez bien, 2 Passable, 3 Insuffisant et 4 à Rejeter à douze candidats. Pour additionner les résultats, on détermine la mention-majoritaire et le classement-majoritaire de chaque candidat. La mention-majoritaire d’un candidat est la seule mention soutenue par une majorité contre toute autre mention. Le classement-majoritaire est établi de la manière suivante. Un candidat ayant une mention-majoritaire plus élevée qu’un autre est classé devant. De deux candidats avec une mention « Assez Bien », celui ayant le plus grand pourcentage des mentions meilleures qu’Assez Bien est classé devant l’autre.

L’expérience française du JM en forme d’élections fictives en 2007 révèle François Bayrou comme vainqueur du scrutin à JM ; ce qui est conforme au fait qu’il était à l’époque le gagnant-Condorcet, le candidat qui battait tous les autres au second tour selon les sondages. Par ailleurs Le Pen finit dernier dans les préférences des électeurs par JM. Toutefois, avec le scrutin majoritaire, Bayrou n’a pas passé les primaires et Le Pen a fini bon quatrième du premier tour ! Ainsi, le JM protège l’électorat contre le jeu des multiples candidatures: rajouter ou retirer des candidats ne change pas les mentions et donc ni le gagnant, ni le classement (Indifférence des options non-pertinentes). En prenant en compte l’opinion de tout électeur sur tous les candidats, le JM mesure avec précision le mérite de chaque candidat, traduisant ainsi fidèlement le sentiment de l’électorat (universalité et non-dictature du scrutin). Enfin, le JM donne à l’électeur la liberté totale d’exprimer ses opinions : le vote « utile » est le vote de « cœur », il n’y a plus de dilemme ni de regret (unanimité du scrutin). Même si le « Jugement Majoritaire » a peu de chance d’être adopté un jour dans une nation, son examen nous donne le prétexte, dans le cadre du scrutin majoritaire traditionnel, d’essayer de convaincre chaque lecteur et électeur avisé de ne pas voter mais de juger par conviction… ne serait ce que pour l’esprit de Condorcet.

 

Abdoulaye Ndiaye

L’expression du métissage dans la littérature africaine

Comme la rencontre de deux éléments différents, celle de deux cultures s'expose aux mêmes lois : soit une fusion complète dont le résultat n'a rien à voir avec la nature de l'un ou l'autre élément, soit une lutte pour la suprématie. Dans ce dernier cas, au final, l'élément victorieux présente toujours un visage bien altéré par cette rivalité. C'est le visage grimaçant de ce mélange ou de ce "métissage" que Liss Kihindou explore dans la culture africaine et ses formes traditionnelles de transmission des connaissances, puis dans le fruit de l'union charnelle du Blanc et du Noir, et enfin dans l'acte d'écriture. Et tout cela à travers trois oeuvres de littérature d'expression française : L'Aventure Ambiguë (Cheikh Hamidou Kane), Le Lys et le Flambloyant (Henri Lopes) et Les Soleils des Indépendances (Ahmadou Kourouma).

Les trois œuvres qui ont servi de support à cette étude montrent clairement, selon l’auteur, que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique a été vécue comme « une occidentalisation » de cette dernière. Aussi se dégage-t-il, avant tout, de cette littérature l’impression d’une farouche opposition à « l’école » qui constitue l’institution clef de cette « occidentalisation ». Aux yeux surtout des tenants de l’enseignement coranique, véhicule d’une tradition ancestrale – culturelle et religieuse – c’est l’enseignement du savoir qui est vécu comme une dépossession. Par voie de conséquence, c’est l’extinction des connaissances et des valeurs religieuses de tout un peuple qui motive leurs imprécations contre l’école européenne.

Le métissage culturel

La lecture de cette première partie des analyses de l’auteur fait prendre conscience de la raison profonde du désamour que la littérature africaine a laissé dans le coeur de bon nombre de personnes depuis les classes du lycée. « Il faut noter que, dit Liss Kihindou, s’agissant des valeurs de l’Afrique, sa religiosité est toujours mise en relief, et ce aussi bien dans le discours africain que le discours européen ». Et c’est justement ce que de nombreux lecteurs n'ont pas apprécié dans cette littérature africaine du milieu du XXè siècle. Jamais ils n'ont eu le sentiment d'être pris en compte par cette littérature dont les auteurs étaient essentiellement de tradition musulmane ! Les peuples africains musulmans ont toujours cru à tort que l’islam était inhérent à l’homme africain. Les peuples des forêts, chrétiens et catholiques, n’ont jamais attaché de manière aussi forte l’image de l’homme noir à sa pratique religieuse. D’ailleurs ceux-ci pratiquent souvent à la fois l’animisme et le christianisme sans jamais avoir le sentiment de damner leur âme. Alors que dans la vie quotidienne, chez tous les musulmans – du moins au regard des textes – « les différents comportements ne traduisent tous qu’une seule et même préoccupation : la recherche de l’attitude la meilleure » pour ne pas donner l’impression de renoncer à leur culture. Pour eux, la légitime préservation de cette marque identitaire devient une obsession au point où l’on peut se demander, pour paraphraser l’auteur, si le brassage des cultures doit absolument se traduire en termes de « victoire » ou de « défaite ». Devant cette obsession, il semble donc juste que certains peuples des forêts se sentent étrangers aux sentiments développés dans cette littérature.

Les sang-mêlés

Il est évident que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique noire a également entraîné un « métissage entre les populations » que l’on pourrait appeler le métissage du sang. Le chapitre consacré à l’étude de ce phénomène dans la littérature africaine est fait d’arguments bien choisis, d’analyses justes et fort précises. On devine aisément à travers ce travail que Le Lys et le Flamboyant d’Henri Lopes est porteur d’un message éminemment éloquent sur la condition du métis en Afrique noire que Blancs et Noirs devraient lire pour saisir au plus juste leur part de responsabilité dans le trouble existentiel des métis. Ceux-ci, nés à l’époque coloniale, ne pouvaient qu’être écartelés entre deux mondes. « Tous en général éprouvaient ce sentiment d’être plus africains qu’européens (mais) n’étaient pas insensibles aux avantages dont ils pourraient bénéficier s’ils étaient considérés comme Blancs ». Pouvons-nous nous permettre de dire aujourd’hui que ce sentiment du métis – qui a souvent manqué de l’affection paternelle parce que presque toujours abandonné – a évolué parce que le brassage des populations est devenu chose plus courante en ce début du XXIè siècle ? En tout cas, c’est un chapitre très intéressant et original qui donne envie de lire Le Lys et le Flambloyant.

Le métissage de la langue et de la pensée

Enfin, le dernier métissage objet de l’étude de cet ouvrage touche au visage de la langue française dans la littérature africaine. La difficulté à rendre compte des pensées et des images véhiculées par les langues locales est un des éléments que les auteurs d’Afrique noire n’ont pas manqué de relever ça et là. Liss Kihindou relève chez ces écrivains des subterfuges pour contourner la langue française académique afin d’être au plus près du mode de penser local. Certes, toute « langue, à elle seule, suffit à illustrer la culture qu’elle représente », remarque-t-elle. De ce fait, on comprend fort bien les récriminations des auteurs africains. Mais on est en droit de se demander si la difficulté qu’ils semblent présenter comme un crime contre les langues africaines n’est pas une difficulté universelle liée au fait de penser dans une langue et vouloir s’exprimer dans une autre. D’autre part, cette difficulté ne serait-elle pas aussi liée au passage de l’oralité à la transcription écrite que connaît l'Afrique ?

Ce petit livre est certes technique dans l’approche de son sujet. Mais sa lecture se révèle très plaisante et suscite des interrogations et surtout des réflexions sur les choix des cultures que les auteurs africains défendent contre « l’occidentalisation ». Nous savons que les musiques venues du Sahel, abondamment diffusées sur les ondes françaises et présentées comme l'exact reflet de la culture africaine ne sont pas du goût de tout le monde. Il serait donc bon de ne pas faire de la littérature africaine de culture musulmane le canon officiel de la littérature africaine pour éviter de dresser contre elle le ressentiment de nombreux lecteurs qui la considèrent à certains égards comme une littérature étrangère. Cette littérature ne rend compte, en effet, que d'un aspect du visage multiple de l'Afrique face à "l'occidentalisation".

Raphael Adjobi, article initialement paru sur son blog http://raphael.afrikblog.com/

L'expression du métissage dans la littérature africaine (88 pages)

Auteur : Liss Kihindou

Editeur : L'Harmattan, 2011

Voir aussi l'intervention de Liss Kihindou au débat "Palabres autour des arts" :
 


Palabres autour des arts – Mai 2011 – Liss… par Culture_video

Les conflits du Mozambique (1) : la guerre d’indépendance

A travers cet article, Terangaweb inaugure une nouvelle série dans la rubrique Histoire, dédiée aux conflits qui ont marqué le continent Africain et constituent des moments certes douloureux, mais aussi décisifs. Il s’agira non seulement d’analyser les différentes dimensions de ces conflits, des acteurs impliqués et des conséquences pour les peuples concernés, mais aussi de les replacer dans leur contexte régional et international.

Le Mozambique a connu, durant près de trois décennies, deux conflits particulièrement meurtriers, qui ont non seulement eu un impact fort sur ses habitants, mais aussi sur l’Afrique australe, et au delà, ont constitué un des terrains d’affrontement de la Guerre Froide. Avant de traiter de la guerre civile qui fera rage jusqu’en 1992, il convient de remonter à la lutte indépendantiste, conflit colonial qui dura de 1964 à 1975.

Le contexte : une des plus vieilles colonies du monde 

Présents sur le littoral de l’océan Indien dès 1498 à travers les expéditions de Vasco de Gama, les Portugais  établirent une présence durable dans la région, d’abord avec des comptoirs commerciaux dédiés au commerce des esclaves, puis remontèrent le Zambèze et explorèrent l’intérieur des terres.  Dès le XVIème siècle, des colons s’établirent dans ces territoires, et développèrent la culture du sucre et du coton. En 1752, le territoire du Mozambique sera ainsi doté de sa propre administration, concentrant tous les pouvoirs aux mains des gouverneurs militaires et maintenant les populations locales dans un état de servage.

Néanmoins, et à partir du XIXème siècle, le déclin de leur empire colonial et l’établissement d’autres puissances dans la région (Britanniques et Français), obligea les Portugais à réformer le système. Ils accordèrent à trois compagnies privées le droit d’exploiter les ressources de la majeure partie du territoire pendant cinquante ans. Plusieurs siècles de colonisation maintinrent le Mozambique dans un état de sous développement chronique et sa population dans une situation d’extrême pauvreté.  

Le régime dictatorial de Salazar amorça une nouvelle ère, qui visait à pleinement intégrer le territoire à la métropole. Des organes représentatifs furent mis en place, mais réservés aux seuls colons, et des investissements furent consacrés au développement des infrastructures de la région. Parallèlement, l’émigration Portugaise vers les colonies fut encouragée, ce qui fit passer le nombre de colons au Mozambique de 30.000 en 1930 à 200.000 au début des années 1970. En 1951, alors que les premières revendications autonomistes se font entendre, le Mozambique est proclamé province d’outre-mer par le Portugal.

Le déclenchement de la lutte 

Encouragés par un contexte régional mondial favorable à la décolonisation, des groupes nationalistes voient le  jour pour exprimer  les revendications de la population rurale et illettrée qui forme la majorité des habitants du Mozambique, et réclamant la fin du système colonial. Sous l’impulsion de l’intellectuel Eduardo Mondlane(1920-1969), sociologue formé aux Etats Unis, et avec le soutien de Julius Nyerere et Kwane Nkrumah, un Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) est formé le 25 juin 1962 à Dar es Salam (Tanzanie) pour réclamer l’indépendance du pays.

Après deux ans de structuration, et suite à l’échec de tentative de libération pacifique, le FRELIMO décide de déclencher la lutte armée à partir de 1964.Depuis sa base arrière en Tanzanie, il mène des campagnes de plus en plus structurés en territoire Mozambicain. Mais les quelques milliers d’hommes que compte l’aile militaire du FRELIMO demeureront toujours en large infériorité numérique face à l’armée Portugaise, qui déploie jusqu'à 24000 hommes en 1967, et recrute autant de soldats localement.

Les enseignements du conflit

Deux facteurs ont permis au mouvement de se maintenir : le soutien de la population,  influencée autant par la perspective de l’indépendance que par l’idéologique communiste du FRELIMO, et le soutien international dans le contexte de la Guerre Froide. Ainsi, l’Union Soviétique et la République Populaire de Chine livreront des quantités importantes d’armes au mouvement, alors que l’Algérie assurera la formation militaire des combattants.

La guérilla menée par le FRELIMO a également su prendre avantage du terrain accidenté et boisé, ainsi que du climat de la région, en menant des attaques lors des périodes de fortes pluies pour empêcher l’aviation portugaise d’exprimer sa supériorité aérienne. Les mines anti-personnelles utilisées massivement par la guérilla ont  par ailleurs contribué à affaiblir le moral des troupes coloniales et à rendre l’ennemi encore plus insaisissable.

Alors que le conflit s’enlise, le Portugal a su mobiliser ses alliés de l’OTAN pour développer des moyens de lutte anti-insurrectionnelle. En particulier, la mise en place de troupes d’élites rapidement transportables par hélicoptères et l’usage systématique de l’aviation, ont permis aux forces Portugaises de lancer des contre-offensives qu’elles espéraient décisives, telle que l’opération Nœud Gordien en Juin 1970 qui a mobilisé prés de 35000 soldats. Les ratissages de l’armée Portugaise et la politique de regroupement forcée des populations visait par ailleurs à couper la guérilla de son soutien populaire. Cette radicalisation du conflit s’accentue après l’assassinat du leader du FRELIMO Eduardo Mondlane, tué par l’explosion d’un colis piégé déposé dans son quartier général à Dar es Salam.

Le temps de l’indépendance

Après plus d’une dizaine d’années de lutte, la guerre d’indépendance du Mozambique devint une guerre d’usure qui instaura un doute profond jusqu’au sein de l’armée portugaise, des autorités et de la population de la métropole. La légitimité de la lutte anti-insurrectionnelle sera davantage ternie par la révélation de massacres commis par l’armée Portugaise à l’encontre de civils soupçonnés de soutenir le FRELIMO, tel que celui des villageois de Wiriyamu en 1972.

Economiquement, les guerres coloniales (au Mozambique mais aussi en Angola) plombaient les finances du Portugal (40% du budget national) et accentuaient son isolement sur la scène internationale. Ces conflits constituent l’un des facteurs du déclenchement de la Révolution des Œillets  en avril 1974, qui mit fin au régime dictatorial et accorda leur indépendance aux colonies portugaises, plusieurs années après la fin des dernières colonies Britanniques et Françaises sur le continent Africain. C’est ainsi l’armée qui aura menée ce changement politique majeur à partir de la métropole, exténuée par des années d’effort inefficace et déterminée à mettre fin à un dangereux statu-quo colonial en ouvrant des négociations qui déboucheront sur l’indépendance du Mozambique, le 25 juin 1975 (soit 13 ans exactement après la création du FRELIMO).

Avec un bilan de plus de 3500 morts pour l’armée portugaise, 10 000 morts pour les combattants du FRELIMO et  50 000 civils tués durant le conflit, la guerre d’indépendance du Mozambique est l’une des luttes de libération les plus meurtrières du continent, un des fronts de la Guerre Froide et un conflit riche d’enseignements historiques, stratégiques, et humains.  L’indépendance du Mozambique ne fut néanmoins qu’une étape sur le long chemin vers la paix, qui allait passer par une guerre civile longue et particulièrement destructrice.

Nacim KAID SLIMANE

 

 

Homophobie : « l’Afrique » comme excuse

Avec tous les défis que l’Afrique subsaharienne doit affronter, il est étonnant de noter l’importance que ses leaders politiques ou religieux, de même que ses opinions publiques accordent à l’homosexualité. L’Afrique est aujourd’hui le continent le plus répressif et le plus rétrograde à l’égard des LGBT. Cela n’a pas suffi.
 
Après l’Ouganda, voici que le Nigéria se lance bille-en-tête dans la répression des homosexuels, sous prétexte d’interdire le mariage gay.
 
Je pensais avoir épuisé ce sujet dans le chapitre traitant de l’homosexualité dans le dossier de Terangaweb sur l’Afrique et ses minorités. Le format un peu classique, journalistique de ce dossier appelait certaines précautions de langages dont je peux me dispenser dans cette chronique.
 
Mis simplement : il y a mille raisons de s’en prendre aux homosexuels. N’y mêlons pas l’ « Afrique ». Elle n’y est pour rien. Je ne connais aucune valeur, aucune morale, aucune sagesse proprement « africaine » supérieure aux libertés fondamentales garanties par les conventions internationales des droits de l’homme.
 
Plus clairement encore : soit toutes les pratiques et traditions des sociétés traditionnelles africaines sont à défendre et perpétuer, soit il n’en existe aucune qui par son caractère « africain » se retrouve dispensée de l’analyse critique et de l’inféodation aux principes élémentaires des droits humains. On ne peut pas rejeter l’excision et fermer les yeux devant les viols correctifs de lesbiennes, condamner les massacres d’albinos et applaudir la peine de mort par lapidation des homosexuels.
 
Allons plus loin dans l’absurde. Admettons que l’homosexualité soit une invention et une importation occidentales – cette idée farfelue est réduite à néant dans le dossier de Terangaweb, mais admettons. La démocratie parlementaire aussi a été inventée par et importée de l’Occident. Il en va de même pour le french-kiss, les antirétroviraux, l’électricité, le catholicisme ou la frite.. Si son origine occidentale supposée condamne l'homosexualité, alors, oui les sénateurs nigérians devraient se rebeller aussi contre la pizza!
 
L’explication pro-africaniste tout comme la défendre antioccidentale échouent à élever l’homophobie virulente en Afrique au dessus de son véritable rang : une obsession moyenâgeuse.
 
On pourrait me retorquer : "avec tous les maux dont souffre l’Afrique, s’il n’y a que ça qui vous indigne…" Nul besoin d’être libéral pourtant, pour se rendre compte que le sort réservé aux minorités est un indicateur sûr de l’état moral d’une société. Après les homosexuels, à qui d'autres s'en prendront-ils? Les femmes célibataires? Les handicapés? Les antimilitaristes? Les athées? Bientôt, moi?.
 
Pour le reste, c'est-à-dire la parade officielle sous laquelle cette homophobie est savamment dissimulée, i.e. la hantise du mariage gay, je ne crois pas avoir quoi que ce soit à rajouter aux lignes suivantes écrites il y a deux ans :
 
Au fond, qu’est-ce qui les choque dans le mariage homosexuel ? De voir deux hommes se tenir la main, s’embrasser (parce que l’homosexualité féminine est considérée comme un épiphénomène, un fantasme masculin, deux femmes qui s’embrassent suivent leur pente sensuelle et féminine, au pire c’est un divertissement, au mieux des préliminaires, on a tous, déjà, rêvé d’un « plan à trois ») ? De voir les fondements de la famille s’ébouler ? Alors pourquoi interdire le mariage forcé et autoriser le divorce ?
 
Si le plus important est que la famille (père-mère-enfants) soit maintenue intacte pourquoi autoriser des comportements qui la détruise ? Si le reflexe est celui de conservation, l’espèce humaine devant se perpétuer, pourquoi ne pas interdire aux femmes et hommes stériles de se marier ? Pourquoi ne pas engager des éducateurs familiaux qui vérifieront que toute femme s’acquitte de son devoir de fécondité ?
 
Je suis opposé au mariage en tant que tel, parce que ce n’est qu’un contrat, comme celui qu’on signe au début d’une location, à l’achat d’une voiture, quand on rejoint l’armée. Rien de plus, qu’un simple papier paraphé. C’est déjà une calamité qu’autant de gens succombent à ce dispendieux luxe, pourquoi devrait-on autoriser d’autres groupes humains à s’y adonner ? Mais dès lors qu’on est pour le mariage, je ne vois pas très bien sur quelles bases on refuserait  les serments des « folles ».
 
Je crois que ce qui les ulcère dans le mariage homosexuel, c’est de voir deux hommes trahir leur statut d’homme pour se rabaisser à celui de « femme ». Ils se font une idée tellement vague et bête de l’homosexualité qu’ils la considèrent comme une déchéance. La réduisant à une simple pénétration sodomite. Ils se font une idée tellement mesquine de la liberté humaine, qu’ils pensent que l’humanité est libre d’agir comme eux agissent et point autrement. Liberté d’imiter. Liberté de se taire. Liberté de mentir. Liberté de feindre. Liberté de la fermer.
 
Oh, je suis moi aussi totalement opposé aux revendications communautaires, à la gay pride, en vérité festival de débauche et flagrant attentat à la pudeur. Mais personne ne me convaincra qu’il est bon et juste de laisser des adolescents se suicider parce qu’ils se pensent différents et qu’ils n’ont jamais été attirés par les « seins des filles » alors qu’ils succombent si vite au charme d’une poitrine virile et ferme. Personne ne pourra plus me persuader qu’il est juste et bon de pendre des homosexuels parce qu’ils s’adonnent à des activités contraires à la volonté d’un dieu nouveau qui n’existait pas ou se taisait du temps d’Hadrien et de Walt Whitman.
 
La « communauté » homosexuelle aura beaucoup fait pour être ghettoïsé et accentuer sa mise à l’index. Mais jamais ces excès ne compenseront le silence d’un Mauriac, l’opprobre qui s’abattit sur Jacob Bean, les absences des autorités publiques durant les années Sida.
 
Ces ombres chinoises qui nous observent et que nos regards baissés, nos poings serrés alors qu’elles espéraient des mains tendues, ont laissé à l’abandon, nous jugent de l’au-delà, nous dévisagent et nous jaugent : hommes de peu de cœur.
 
Ceux-là ne sentent pas que c’est un peu de leur liberté qu’ils perdent lorsqu’ils ignorent les atteintes aux libertés des autres. Les cons. Il faudrait être juif pour être épouvanté par la Shoah?
 
Et puis, j’ai déjà voyagé par-delà le mur de la haine, je l’ai vue, l’ai embrassée. J’en suis revenu désillusionné et individualiste à un degré difficilement imaginable. Ce que je veux, ce n’est pas « pour la soif universelle, pour la faim universelle », c’est par pur égoïsme que je le souhaite.
 
De toute façon, d’avance, je me garde le droit de visiter toutes les rives du fleuve.
 
Joël Té-Léssia
 
Sources photo: Gay Pride New York 2008 / 20080629.10D.49816 / SML par See-Ming Lee  http://www.flickr.com/photos/seeminglee/2622323523/

La dette, un frein au développement

La dette extérieure des pays classés Pays En Développement (PED) est de 2800 milliards de dollars. La dette extérieure des pays d’Afrique est de 215 milliards de dollars. Quel avenir pour des pays comme la Côte-d’Ivoire dont la dette atteint près de 11 milliards de dollars ? Ces chiffres paraîtraient à coup sûr moins alarmants si l’endettement croissant des pays africains était généré par des politiques de développement audacieuses, nécessitant des emprunts faramineux. Il n’en est rien. L’Afrique s’endette mais reste hors du jeu de la mondialisation. Alors d’où vient cet endettement ? Qu’est-ce que cela implique pour le devenir économique du continent noir ? On cherchera ici les réponses au travers du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM). Le CADTM est une organisation fondée en 1990 en Belgique, dont l’action principale est de lutter contre la dette des pays du tiers monde. Le mouvement prendre sa source au discours de T.Sankara lors de la 25e conférence de l’OUA de 1987, où le président du Burkina Faso d’alors, demanda l’annulation de la dette de tout le continent. Cet objectif se retrouve dans l’article 4 de la charte de l’organisation : « annulation pure et simple de la dette ».

Pour le CADTM, la dette publique africaine est le résultat de trois événements. Tout d’abord, la décolonisation. Suite à leurs indépendances, les pays africains ont besoin de liquidités pour se développer alors que dans le même temps, les pays européens doivent trouver des débouchés aux dollars amassés grâce au Plan Marshall, lancé quelques quinze années plus tôt. Des prêts massifs vont donc être accordés par les Etats européens aux Etats nouvellement indépendants d’Afrique. Ensuite, le choc pétrolier. Suite à la multiplication par 30 du baril de pétrole en 1973, les membres de l’OPEP placent leurs pétrodollars dans les banques occidentales privées. Ces dernières en profitent pour accorder des prêts avantageux aux pays africains afin qu’ils investissent plus massivement. Encore aujourd’hui, les pétrodollars constituent une grande partie de la dette extérieure privée du continent. Enfin, la crise économique du milieu des années 1970. Cette crise va obliger les pays d’Europe à trouver de nouveaux débouchés pour leurs produits manufacturés. Ils se rabattent sur le continent africain, alors globalement en forte croissance. Le système des crédits d’exploitations est alors employé. Les crédits d’exploitation sont des crédits accordés à taux très faibles à condition que les pays emprunteurs consomment exclusivement des biens du pays préteurs, dans le domaine prédéfini dans le contrat. Pour le CADTM, les crédits d’exploitations sont les principaux responsables de la dette des pays africains aujourd’hui et par là même, de leur incapacité à se développer.

C’est en effet bien de cela qu’il s’agit. La dette n’aurait que peu d’importance s’il elle n’était pas un frein à la croissance des Etats africains, comme c’est le cas aux Etats-Unis, par exemple. Sur ce point précis, si les dirigeants africains sont les premiers responsables, ils sont, par ailleurs, bien aidés par les instances internationales. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD ou Banque mondiale) travaillent aujourd’hui de concert à la lutte contre l’endettement des PED. Mais que cache en réalité cette lutte ? Lorsqu’un pays se retrouve au bord de la faillite, car dans l’incapacité d’honorer ses dettes, il est placé à sa demande (mais a-t-il vraiment le choix ?) sous la tutelle du FMI. L’instance prend alors les mesures nécessaires pour permettre le recouvrement de la dette. C’est le Plan d’Ajustement Structurel (PAS). Seulement, le PAS n’est appliqué que pour permettre aux pays de rembourser leurs dettes et non de se développer. Les changements apportés à l’économie locale, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, sont souvent incompatibles avec une stratégie facilitant l’essor économique : politiques de rigueur, dévaluation monétaire etc.

Dans le même ordre d’idée, en 1996, le FMI et la BIRD ont créé l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) qui consiste à encadrer économiquement les pays les plus endettés au monde. La charte de l’initiative PPTE stipule que les pays membres doivent avoir « parfaitement mis en œuvre des réformes et de saines économies dans le cadre de programmes soutenus par le FMI et la BIRD ». Mais qu’est-ce qu’une réforme saine ? Les mêmes ressorts ne sont pas à utiliser selon que l’on soit un pays endetté et riche ou un pays endetté et exsangue. Et quels sont ces programmes soutenus par les deux instances ? Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’Economie en 2001 et ancien économiste pour le compte de la BIRD, explique dans Globalization and its discontents (2002), que des programmes tels que les PAS ou les PPTE sont des stratégies en trompe-l’œil, car le FMI, comme la BIRD ne servent que les intérêts de leur actionnaire majoritaire : les Etats-Unis. Face à une telle situation le CADTM tente de riposter intelligemment en essayant d’aider les pays concerner à mieux satisfaire les besoins de leurs populations : «encourager les alternatives économiques et sociales locales (…)en fonctions des situations » art.4 . Il tente également la synergie avec les mouvements sociaux et réseaux africains ayant le même but que lui.

En juin 2005, la Banque Mondiale, en concertation avec les PAI les plus puissants (Pays Anciennement Industrialisés), a décidé une annulation partielle de la dette du Tiers Monde. 40 milliards de dollars effacés de l’ardoise, pour 18 pays dont 14 africains. Cette annulation avait pour but de donner plus de souplesse dans les politiques budgétaires des pays concernés, afin de leur permettre de se développer. Paul Wolfowitz, alors président de la BIRD, avait déclaré que cette annulation serait cruciale dans le renouveau économique du Tiers Monde et qu’il serait attentif au fait que ce « gain » profite bien aux populations. Si les pays africains ont aujourd’hui un ratio dette/PIB qui améliore leur classement mondial, il n’en reste pas moins que plus 6 ans après les propos de Wolfowitz, les résultats concrets, sur le plan social, se font toujours attendre. L’exemple de la dette des PED permet d’observer à nouveau que les instances internationales semblent avoir pour but premier de figer les positions entre les puissantes nations et les autres. Sans compter qu’en 20 ans, les taux d’intérêt de la dette sont passés de 5% à 16% en moyenne, la situation n’est donc pas prête de s’arranger.

Giovanni Djossou

La Communauté d’Afrique de l’Est : une intégration prometteuse

La première décennie du XXIe siècle (2001-2010) aura consacré en matière géopolitique une tendance lourde qui était déjà à l’œuvre à la fin du siècle précédent : la montée en puissance des grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil notamment) et le relatif déclin de l'Occident (le Vieux monde européen plus encore que le Nouveau monde américain). Elle aura aussi mis en relief la nouvelle dynamique de croissance africaine, porteuse d'ambitions et d'espoirs inédits, tout autant que d'une perception renouvelée du continent.

L'Afrique dans l’économie-monde : un continent au poids négligeable….

Pourtant, en dépit des progrès enregistrés au cours des dernières années, l'Afrique part de loin : un septième de l’humanité (1 milliard d'habitants sur les 7 milliards que comptent la planète) sur un cinquième de la surface terrestre (30 millions de km² sur 150 millions de km²) mais pour seulement 2.7 % du PIB mondial (1.7 trillions de $ sur une masse globale de 63 trillions de $ en 2010, bien que cette donnée soit à considérer avec circonspection car elle n’intègre pas l'économie informelle, significative sur le continent africain, et par définition non comptabilisée). L’Afrique jeune et dynamique, milliardaire en habitants, pèse toujours moins que l'Italie vieillissante et à bout de souffle avec ses 60 millions d’âmes (2 trillions de $ de PIB en 2010). La réalité factuelle fait ici office d'impitoyable rappel à l'ordre et elle ne saurait être ignorée.

Il est bon aussi de redire que l'Afrique, en tant qu’entité politico-économique unique et cohérente, n'existe pas. Le continent, loin d’être un ensemble monolithique, est d'abord un agrégat de 54 nations hétérogènes, caractérisé par des situations disparates et aux intérêts parfois contradictoires. Quel point commun entre les préoccupations algériennes et sierra-leonaises, les ambitions sud-africaines et gambiennes ? Et quid d'une comparaison des structures socio-économiques de l'ile Maurice et du Tchad ? L’unité africaine à l’échelle du continent, en tant qu'alliance effective de nations œuvrant résolument en faveur d'un objectif commun, reste pour l'heure une vue de l'esprit. En un mot comme en mille, la totalité du continent pèse peu, même pris "imaginairement" comme un ensemble homogène. Divisé par les forces centrifuges des pays qui le compose, son influence devient carrément négligeable à l’échelle du monde.

… qui gagnerait à renforcer son intégration économique et politique : la Communauté d'Afrique de l'Est comme modèle.

Il existe pourtant une solution à ce diagnostic de double difficulté africaine (faiblesse intrinsèque du continent à l’échelle macro-économique et absence de réel projet fédérateur entre pays) : l’intégration au sein de sous-ensemble qui réuniraient un certain nombre de nations autour d'un communauté de destin, fédératrice des forces vives de toutes les parties prenantes. Une approche inclusive et globale qui sans être parfaite, ni dénuée d’inconvénients, n'en constitue pas moins une sérieuse option. Probablement la meilleure en l’état actuel des choses. Le continent dispose déjà d'un certain nombre d'organisations intégrées économiquement et politiquement (UMA, UEMOA, CEMAC, SADC, COMESA…), mais les résultats obtenus jusqu’à présent sont, au mieux, incomplets et peu concluants. Une communauté intégrée se détache néanmoins progressivement du lot, et ce pour une raison simple : elle est globalement effective.

La Communauté d'Afrique de l'Est (plus connue sous son acronyme anglophone d'EAC (East African Community) comprend cinq pays de l'Afrique de l'Est qui sont le Burundi, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie. Un ensemble géopolitique qui s’étend sur 1.8 millions de km² pour une population totale d'environ 140 millions d'habitants. Elle est entrée officiellement en vigueur le 7 juillet 2000, bien qu'une précédente tentative infructueuse d'organisation commune ait déjà existe par le passé (de 1967 à 1977). La vraie réussite de la Communauté d'Afrique de l'Est est cependant récente puisqu'elle date de 2010 avec l'instauration effective d'un marche commun permettant la libre circulation des biens, du travail et des capitaux sur tout son territoire. Ce marché est le premier du genre en Afrique et nul doute que son évolution sera attentivement suivie. Après moins de 2 ans d'existence, une chose est néanmoins sure : les effets de cette libre circulation se font d'ores et déjà sentir et les conséquences en sont globalement positives. Même pour des pays membres dont les spécificités (exiguïté du territoire, enclavement, relative faiblesse économique) pouvaient laisser penser que ce nouveau défi était à priori difficile a relever. Le Rwanda en est le meilleur exemple.

Signature des accords instituant la Communauté d'Afrique de l'Est

Un certain nombre de tendances récentes suggère que l'environnement économique évolue dans le sens d'une intégration réussie (voir à ce sujet le rapport "Doing Business in the East African Community" [en anglais] de la Banque Mondiale). A l’échelle de la sous-region, le commerce transfrontalier de biens et services enregistre partout des hausses significatives (allant parfois jusqu’à 50 % de progression) et ce mouvement d'accroissement n'en est encore qu'à sa phase initiale. L’Ouganda exporte avec succès ses compétences en matière de santé et d’éducation, tandis que les kényans sont les plus en pointe en matière de services financiers. La Tanzanie bénéficie de nombreux projets d'investissements liés à l'exploitation de ses terres et de son sous-sol, alors que le Rwanda cherche à compenser la faiblesse de son marché intérieur en devenant un hub régional de prestations à haute valeur ajoutée. Plus important encore est le nouveau sentiment partagé par le monde des affaires qui voit la Communauté de l'Afrique de l'Est comme une occasion historique de progresser, et non comme une menace au statut quo. Il s'agit désormais de raisonner non plus en lobbying protectionniste de défense des acquis nationaux, mais en économie d’échelle dans un cadre économique unique considérablement dilaté, et qui est le foyer de 1 africain sur 7. Au vu de l'influence que peut exercer cette caste dirigeante sur le reste de la société, on imagine sans peine les conséquences en cascade que cette inclination forte pourrait avoir dans le succès durable de ce nouvel ensemble.

Car au-delà de cette première étape réussie pointent déjà de nouvelles échéances destinées à renforcer encore un peu plus l’intégration de la Communauté d'Afrique de l'Est. Le prochain rendez-vous majeur n’étant rien de moins que l'instauration d'une monnaie unique. Le nom de cette devise commune en devenir est connue – le Shilling est-africain – et sa date de lancement initialement prévue aussi – 2012. La plupart des responsables proches de ce dossier reconnaissent volontiers en privé que cette date ne sera pas tenue en raison de la complexité de sa mise en place, mais que l'introduction de cette monnaie communautaire ne fait quant à elle aucun doute. Le lancement est simplement reporté, certains observateurs tablant désormais autour de 2016. Le contretemps est fâcheux, certes, mais si les réalisations déjà accomplies peuvent servir de caution à la bonne fois des parties prenantes, il semble alors raisonnable de leur accorder le bénéfice du doute.

Il serait cependant erroné de croire que le projet n'est qu’économique. Il est aussi, et surtout politique. Après l’adhésion du Burundi et du Rwanda en 2007, les dirigeants de la Communauté d'Afrique de l'Est se proposent aujourd'hui d'y inclure le Malawi, la République démocratique du Congo et la Zambie. Sans parler du Soudan du Sud, dernier pays africain à accéder a l’indépendance, et qui a d'ores et déjà posé sa candidature. Il est considéré par nombre d'analystes comme le prochain membre le plus probable, et ce dans un délai relativement court. La Communauté d'Afrique de l'Est est donc amenée à s’élargir et à se renforcer encore un peu plus. C'est le préalable nécessaire vers l'ultime objectif visé : la Fédération d'Afrique de l'Est. Une union politique qui agrégerait la totalité des pays membres en un état fédéral souverain (à l'image de l'exemple américain) et dont la date proposée d'instauration est fixée à 2015. En l’état actuel des circonstances, il y a tout lieu de penser que cette échéance ne sera là aussi pas respectée, car elle présuppose tant une consolidation économique avancée (qui n'est pas encore le cas, notamment s'agissant du retard rencontré avec la monnaie commune) qu'une volonté politique suffisamment forte pour pouvoir abandonner une logique de souveraineté nationale étroite au profit d'une démarche fédérative inédite. Deux conditions qui ne sont pas encore remplies à l'heure actuelle. Mais qui pourraient l’être dans un avenir pas si éloigné.

 

Jacques Leroueil

Biens mal acquis : la solitude de SHERPA

Interview de Rachel Leenhardt Chargée de communication de l’association SHERPA
 
L’image est saisissante, un camion porte-voitures s’éloigne du 42 avenue Foch, résidence parisienne du « clan » Obiang Nguema, dans le très huppé XVIème arrondissement, chargé de seize voitures de luxe, Bentley, Ferrari, Porsche, Maserati et Aston Martin. C’est la collection privée de Teodoro Obiang Nguema Mangue, ministre équato-guinéen de l’Agriculture et fils du président que les juges d’instruction français Roger Le Loire et René Grouman viennent de faire saisir. Au départ de la procédure judiciaire, on retrouve SHERPA, jeune association créée en 2001 par l’avocat français William Bourdon en vue de « protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques ». Mais derrière ce premier succès, du reste encore fragile et très préliminaire, combien réticence a-t’il fallu affronter ? Combien d’obstacles a-t-il fallu surmonter ? Nous avons rencontré l’association Sherpa dans sa solitude et sa détermination.
Qu’est-ce qui vous a amené vers Sherpa ?
Un concours de circonstances. J’ai fait des études pour travailler dans l’humanitaire, après une première expérience assez décevante en Casamance (Sénégal), J’ai eu plus envie de travailler sur les blocages, les obstacles au développement plutôt que sur des projets de terrain. Quelques temps après, je tombais sur une offre d’embauche de Sherpa…
Quelle est la composition actuelle de Sherpa?
L’association compte trois permanents : moi et deux juristes, l’une d’elles travaillant sur le volet flux financiers illicites (biens mal acquis, évasion fiscale, etc.), l’autre sur la responsabilité sociale des entreprises : actions de lobbying en France et au niveau européen et plaintes concernant les agissements des multinationales européennes dans les pays en développement – Total en Birmanie, Areva au Niger sur les mines d’uranium.
En dehors de ces trois salariées, il y a un certain nombre de bénévoles : avocats, juristes. Le président William Bourdon, avocat lui-même, est très actif sur le volet actions en justice. Des membres de son cabinet et d’autres avocats qui ont des activités parallèles collaborent aussi à l’élaboration des dossiers. Environ une quinzaine de personnes au total, en comptant les stagiaires.
 
Combien de dossiers ?
Ça dépend : entre 5 et 10 dossiers judiciaires en cours – biens mal acquis ; Mopani, affaire d’évasion fiscale en Zambie, Areva au Niger et au Gabon, un dossier sur la SOCAPALM (accaparement des terres pour l’exploitation de l’huile de palme au Cameroun)… Les délais de traitement sont très longs.
Nous avons aussi entre 5 et 10 dossiers à l’étude. Il s’agit de voir s’ils correspondent bien à notre objet et s’ils sont défendables d’un point de vue juridique (preuves, possibilité de rassembler des éléments, etc.).
 
Sherpa a-t-elle une zone géographique de prédilection ?
L’essentiel de nos dossiers concernent l’Afrique. Mais ce n’est pas un choix délibéré, c’est vraiment une question d’opportunité et de dossiers dont on nous saisit. Nous avons aussi des liens avec l’Amérique Latine et l’Asie : un dossier est en cours sur les conditions de travail pour la fabrication des jouets Disney en Chine.
Ce qui est important de saisir c’est que SHERPA travaille exclusivement en lien avec les PED. On ne traite pas par exemple de la grande corruption en France ou en Europe, même si c’est un phénomène réel. Notre stratégie est d’agir là où les crimes économiques portent le plus préjudice aux populations. Prenez par exemple le cas de la Guinée équatoriale : ce pays est très riche en ressources naturelles, notamment en pétrole. Son PIB par habitant est supérieur à celui du Japon ou de la France[i] pourtant une proportion importante de la population n’a pas accès à l’eau potable ni aux infrastructures de base. C’est quelque chose qu’on ne voit pas en France. D’où le choix de travailler avec les PED.

Travaillez-vous avec d’autres associations en Occident ou sur le terrain ?
Oui, sur chaque dossier, on a des partenaires. Sur les biens mal acquis notamment, nous sommes en partenariat avec Transparence France. Sachant que la 1ère plainte en 2007 avait été déposée avec la Fédération des Congolais de la diaspora et Survie. Sur le dossier minier en Zambie, la plainte a été déposée par cinq associations, dont deux canadiennes, une suisse et une zambienne. En général, on travaille avec des relais locaux, sinon des associations, au moins des appuis sur le terrain. C’est en partie de là que l’information vient.
En quoi votre action se différencie de celle de Transparency International France ?
Cette association travaille aussi sur les pays occidentaux. Leur rôle est plutôt de faire une veille sur la corruption, de produire des indices, de surveiller son évolution. Notre rôle à nous est de monter des dossiers qu’on peut déposer en justice.
Par exemple sur les biens mal acquis, TF nous a apporté du soutien et sa notoriété. À l’époque SHERPA n’était pas très connue, c’est ce dossier qui nous a fait connaître. Mais l’élaboration technique du dossier, c’est SHERPA qui l’a faite. Chaque fois que nous sommes sur une thématique similaire à celui d’une autre association, il nous semble plus cohérent de travailler en partenariat plutôt qu’en concurrence.
 
Comment arrivez-vous à récolter vos informations ?
En général, nous sommes contactés par quelqu’un qui accumule des informations du fait de sa situation géographique ou sa profession, un agent immobilier, ou une personne gérant un hôtel particulier, qui à un moment donné a besoin de transmettre ce qu’il sait. On fait aussi nos propres enquêtes – sur le volet biens mal acquis nous avons fait beaucoup de recherches sur les cadastres, auprès des banques et de différentes bases de données pour arriver à découvrir les biens appartenant à un dirigeant. C’est d’autant plus compliqué qu’il ne les possède pas toujours en son nom propre, mais plutôt par le biais d’une société écran, souvent placée dans une paradis fiscal. Ce sont les deux axes par lesquels nous obtenons des informations. Maintenant que l’association est un peu plus connue, sur les dossiers qu’on a ouverts, des gens nous font parvenir des informations complémentaires.
 
Les autorités françaises vous aident-elles ?
Non, au contraire, il y a plutôt des résistances. Pour arriver à faire passer la plainte sur les biens mal acquis, il a fallu trois ans. Une première plainte a été déposée avec la Fédération des Congolais de la Diaspora et Survie. L’enquête de police a confirmé nos allégations et apporté de nouveaux éléments sur des transactions suspectes et d’autres biens. Le dossier était solide mais la plainte a été rejetée. Une nouvelle plainte a été déposée en commun avec Transparency International France, celle-là aussi a été rejetée. Une troisième plainte avec constitution de partie civile a été déposée avec Transparence encore. Il y a eu un premier verdict qui a jugé la plainte recevable. Le ministère public a fait appel de cette décision. Il a fallu aller jusqu’en cassation pour obtenir l’ouverture d’une enquête judiciaire.
 
Seulement l’enquête ?
Oui. C'est-à-dire qu’il n’y a encore pas eu de procès sur les biens mal acquis. On n’en est qu’au stade de l’instruction. Il s’agit essentiellement de blocages politiques. On sait qu’il y a des liens entre dirigeants africains et français. Il s’est passé énormément de choses cette année, avec notamment les révélations de Robert Bourgi sur les mallettes… Il est clair que dans le monde politique français, tout le monde n’a pas envie que la lumière soit faite sur cette affaire.
De plus le risque existe qu’à mesure que la France se montre plus proactive dans la lutte contre ces flux financiers, ceux-ci transitent par d’autres pays. Ce sont quand même des sommes colossales qui sont injectées dans l’économie française, l’intérêt économique est évident, d’où les blocages constatés.
 
En parlant de Bourgi, justement, est-ce que ses révélations ont été intégrées au dossier sur les biens mal acquis ?
SHERPA a demandé à ce qu’il soit entendu par les juges d’instruction. Dans ses révélations sur les mallettes, il a cité les chefs d’états africains concernés par la plainte : le clan Omar Bongo, le clan Obiang – de loin le plus scandaleux de tous – et Denis Sassou Nguesso le président du Congo Brazzaville.
Bourgi a été entendu par les juges, début octobre. Il a déclaré avoir appris l’histoire des biens mal acquis… en lisant la presse.  Son audition n’a donc pas apporté de nouveaux éléments au dossier ! On a l’impression qu’il fait le tri dans ses révélations… [Ndlr : le mercredi 16 novembre 2011, la justice française a classé sans suite l’enquête ouverte suite à ces « révélations » – pour « faute de preuve »]

Hormis ces blocages politiques, est-ce qu’il y a d’autres sortes de pressions ?
Il y en a eu au départ. Un peu moins maintenant. Je pense qu’on a suffisamment de visibilité et des pressions ne feraient que rajouter foi à ce que nous dénonçons. Au départ oui, William Bourdon a été approché au moment du dépôt de la plainte, par des gens qui lui ont proposé d’importantes sommes d’argent pour retirer sa plainte. Il y a eu aussi des intimidations, des menaces.
 
Seulement sur les collaborateurs de Sherpa ?
Hélas non. Nos interlocuteurs sur le terrain sont encore plus exposés. Je pense notamment à Grégory Mintsa, citoyen gabonais qui s’était constitué partie civile avec nous dans la plainte et qui a été incarcéré fin 2010. Il a été remis en liberté mais reste en examen. Il y a aussi une troisième personne au Congo Brazzaville qui a souhaité s’associer à la plainte. Quelque temps après, sa maison a été incendiée. Lui, sa femme et ses deux filles sont morts dans l’incendie.
Tout ça fait que c’est compliqué pour nous d’associer des collaborateurs locaux aux procédures. Tout au moins de façon formelle, parce que ça les met en danger. Ici, on n’est pas aussi exposé qu’eux peuvent l’être dans leurs pays où l’impunité est beaucoup plus forte. C’est pourquoi des associations françaises ou occidentales doivent prendre en charge ce genre de dossiers, parce que les personnes sur place prennent des risques trop élevés si elles le font directement.
 
Quelle est la situation dans les autres pays européens ?
Sur les biens mal acquis, l’Institut de Bâle pour la gouvernance en Suisse et des cabinets d’avocats privés travaillent sur ces questions. En ce qui concerne l’évasion fiscale, il y a des associations très actives. Sur le cas zambien, on est en partenariat avec une association qui s’appelle la « Déclaration de Berne », qui est entre autres spécialiste de la fiscalité et du secteur extractif, et qui vient de lancer une campagne de mobilisation citoyenne sur la régulation des multinationales en Suisse. La législation européenne ne s’applique pas à la Suisse dont le régime fiscal est très attractif, ce qui fait que beaucoup d’entreprises européennes s’installent dans ce pays pour échapper aux contrôles. Heureusement qu’il y a une société civile assez mobilisée sur ces thèmes.
Il y a aussi une association espagnole, l’APDHE, qui a porté plainte contre Obiang pour l’identification et la restitution de ses biens. Une enquête est ouverte depuis 4 ans aux Etats-Unis ; elle vient de connaître une accélération, avec le lancement par le Department of Justice d’une procédure de confiscation contre le fils Obiang.
 
Comment le financement de SHERPA est-il assuré ?
Difficilement. C’est l’un de nos principaux problèmes. C’est une toute petite association, trois personnes… jusqu’à maintenant, ce sont surtout des fondations privées anglo-saxonnes qui nous ont soutenus. On n’a pas de financement public, à la fois parce que nous traitons de sujets sensibles et pour des questions structurelles. Même les fondations françaises sont assez réticentes à nous financer. Les bailleurs anglais et américains sont un peu plus ouverts sur ces questions.
On a très peu de donateurs privés. C’est d’ailleurs un des points sur lesquels nous travaillons actuellement. Pour ça, il nous faut plus de notoriété vis-à-vis du public. Il faut qu’on arrive à faire passer ce message : on a besoin de plus de financement privé pour assurer notre indépendance. C’est plus facile de proposer un projet de développement que de monter un dossier judiciaire. C‘est plus long, les résultats sont incertains. Et on ne peut pas se permettre de perdre notre indépendance. De l’extérieur, on ne se rend pas forcément compte de la difficulté de faire vivre une association comme la nôtre. Il y a un vrai travail de communication à faire.
 
Avez-vous des relais auprès des universités ?
Oui, mais surtout sur le volet responsabilité des entreprises. Il y a beaucoup de masters en droit et en management qui s’intéressent à ces questions. Et la juriste de SHERPA qui s’occupe de ce thème intervient souvent pour des cours, des conférences et colloques dans les universités. Ce qui montre bien qu’on a développé un savoir et un savoir-faire dans ce domaine-là qui intéresse les futurs entrepreneurs, les académiques etc. Sur le volet flux financiers, c’est un peu plus compliqué. Ça n’empêche pas qu’on intervient, mais plutôt auprès de l’Ecole de la Magistrature sur la question de la corruption. Nous sommes aussi en lien avec des étudiants de SciencesPo. Paris et Lille sur ces questions. Mais les cours portant sur ce thème sont encore rares. Il y a tout une recherche à faire en matière de régulation économique par le droit (conception théorique, évolution des outils juridiques…) qui se fait en lien avec les universités.
 
Ce qui prend du temps…
Oui. C’est un combat de longue haleine, faire évoluer les outils juridiques. Les seuls qui existent aujourd’hui fonctionnent sur une base volontaire. Il y a un texte de l’OCDE, « principes directeurs à l’intention des multinationales », qui recommande de respecter les règles juridiques du pays, la fiscalité, la protection des enfants, etc. Mais les entreprises qui ne respectent pas ce texte ne sont pas sanctionnées. Encore un échec de l’autorégulation

Des conventions internationales encadrent-elles les flux financiers illégaux ?
Oui, la convention Merida, signée en 2003.
 
A-t-elle déjà été utilisée ?
Il y a eu, en tout et pour tout, environ 5 milliards de dollars restitués aux pays du Sud. On estime, dans le même temps, qu’entre vingt et quarante milliards de dollars sont détournés chaque année… De plus, les procédures juridiques sont complexes et ce sont seulement les États « pillés » qui peuvent les enclencher… Ainsi, il revient à la Guinée équatoriale par exemple de demander à la France la restitution des sommes détournées par son propre président ! Même en cas d’alternance, on n’est pas sûr que la procédure soit enclenchée. C’est une grosse faiblesse de la Convention. C’est un pas en avant, mais encore très en deçà du nécessaire.
Le plus urgent est que les pays qui accueillent accueil les fonds soient proactifs, entament des enquêtes sur la provenance des fonds, fassent appliquer les règlements existants qui exigent que les intermédiaires (banques, avocats, agents immobiliers) s’assurent de la provenance des fonds avant de les accepter, par exemple. La prévention est très faible dans ce domaine.
Une illustration : Édith Bongo s’est offert une Daimler Chrysler avec un chèque tiré sur le compte du Trésor Public gabonais ouvert auprès de la Banque de France ! (illustration : http://www.bakchich.info/IMG/jpg_cheque002.jpg ) Le concessionnaire automobile, de même que la Banque de France auraient dû réagir à cette transaction.
Des lois existent sur la régulation fiscale mais elles ne sont pas appliquées. Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère des finances en France a lancé, en dix ans, onze alertes sur des transferts d’argent suspects, certaines concernant les pays mentionnés dans notre plainte. Le ministère n’a pas pris de mesures ! Ce n’est pas acceptable. C’est là que la société civile a un rôle à jouer. Les instruments juridiques existent, il faut qu’ils soient appliqués.
 
Pour conclure, quel est l’état actuel des procédures ouvertes en France ?
L’enquête est en cours, mais pendant ce temps, les acquisitions continuent… Il n’y a pas eu d’accroissement de vigilance de la part de l’État, ni des banques, ni des intermédiaires, malgré l’enquête qui vise ces personnes !
Le but des dépôts de plainte est d’obtenir à minima le gel de ces avoirs, le temps du déroulement de l’enquête, en espérant obtenir leur confiscation, il faut empêcher que ces personnes puissent les retirer et les délocaliser dans des paradis fiscaux. C’est justement pour ça que dès le début de l’année des plaintes ont été déposées contre les dirigeants Arabes, Ben Ali, Khadafi, Moubarak et plus récemment Al-Assad. La communauté internationale a très vite réagi. Il faut croire que c’est plus facile lorsqu’il s’agit de dirigeants déchus… Ça pose une fois de plus la question de la prévention : si on est capable de bloquer ces avoirs, une fois les dirigeants déchus, comment se fait-il qu’ils se soient retrouvés dans nos pays, dans un premier temps, et comment peut-on expliquer que cette situation ait duré aussi longtemps ? C’est pourquoi il faut encourager les États et la société civile à entreprendre des actions de leur propre chef, sans attendre une révolution.
 
Joël Té-Léssia
 
http://www.parti-ecologique-ivoirien.org/img/logo-Sherpa-association-avocats.gif

 


[i] Données de la Banque Mondiale 2010, en parité de pouvoir d’achat : 34.475$ contre 33.994$ pour le Japon et 33.820$ pour la France.

Les arguments économiques en faveur de l’intégration africaine (1) : les besoins

On peut qualifier à grands traits les différentes économies africaines d’économie d’autosubsistance sous-productive. Elles se caractérisent par une forte proportion de main d’œuvre présente dans le secteur primaire (agriculture, élevage) traditionnel, peu productif et générant peu ou pas de surplus qui pourrait être réinvesti. Les personnes qui travaillent dans ces activités produisent avant tout pour leur propre consommation, ce qui explique leur « stagnation », voire la dégradation de leurs conditions de vie en cas de renchérissement des prix des produits de première nécessité.

A côté de ce secteur primaire d’autosubsistance, le principal employeur de la force de travail africaine est le secteur informel. Ce dernier peut se définir comme l’ensemble des activités de service qui échappent aux normes et à la taxation de l’Etat et qui recouvrent un assez large spectre : services à la personne (femmes de ménage, coiffeurs, etc.), services alimentaires, petits commerces, récupération, recyclage, transformation et fabrication de produits artisanaux ou semi-industriels. Ces activités se caractérisent généralement par un faible coût d’entrée, par une faible productivité et par une concurrence féroce qui entraîne les prix à la baisse, limitant les profits et donc les capacités de réinvestissement. Comme l’explique l’économiste Philippe Hugon, « dans la mesure où l’argent est le facteur rare, les petits producteurs cherchent à maximiser les rendements par rapport aux dépenses monétaires. Ils subissent les aléas d’approvisionnement et de débouchés sur des marchés parcellisés et fluctuants. Ils cherchent dès lors à reporter sur l’environnement une partie du risque, à internaliser certaines transactions au niveau des unités domestiques et à amortir les chocs (utilisation de main d’œuvre familiale, logique de diversification…) ».

Les freins au développement endogène

L’agriculture vivrière, le petit commerce et les services à la personne font partie des piliers du développement endogène, c'est-à-dire l’écosystème qui voit la production interne absorbée par la demande interne. Or, en Afrique, ces secteurs échappent en grande partie à la logique d’accumulation capitaliste.
Comme Karl Marx a pu le décrire dans son maître-livre en trois tomes, Le Capital, le circuit d’accumulation comporte deux actes : la réalisation d’une plus-value sur la production (ce que Marx appelle le surtravail) ; la transformation de cette plus-value en profit monétaire après un acte de vente. Prenons une illustration simple. Un boulanger emploie 5 ouvriers dont la masse salariale représente la valeur de 10 000 pains vendus/mois, à quoi s’ajoutent les différents frais de fonctionnement ainsi que des coûts fixes, d’une valeur de 4000 pains vendus. Les 5 ouvriers produisent 20 000 pains par mois. Le boulanger réalise donc une plus-value sur la production équivalente à 6000 pains. Mais encore faut-il qu’il puisse convertir cette plus-value productive en profit monétaire, et donc trouver des clients pour ses 20 000 pains.

Enfin, pour que la définition du capitalisme soit complète, encore faut-il rajouter que l’accumulation monétaire doit être systématiquement réinvestie pour élargir le champ des profits futurs. « Ce qui, fondamentalement, caractérise le capitalisme, c’est la recherche du profit en vue d’élargir le champ des activités profitables ; pourtant l’accumulation n’est pas tout ; elle est enveloppée dans un puissant mouvement de marchandisation, stimulée par la concurrence et épaulée par l’innovation, la recherche de positions monopolistes et les projets toujours renouvelés des entrepreneurs. La logique capitaliste est une logique complexe porteuse d’incessantes dynamiques transformatrices. » Michel Beaud, dans Capitalisme, logiques sociales et dynamiques transformatrices.

Dans le cadre d’une économie d’autosubsistance sous-productive, notre boulanger ferait face à deux handicaps : du fait du manque de matériel, de capitaux ou de technique, sa plus-value productive serait faible ou inexistante et il aurait du mal à la monétiser, faute de clients solvables ou du fait d’une offre surabondante par rapport à la demande. Il est possible à cette aune d’identifier les principaux handicaps au développement endogène de l’Afrique : l’étroitesse des marchés solvables, la faible productivité des facteurs de production (terre, hommes, capitaux), la faiblesse de l’épargne locale mais surtout son non-réinvestissement dans le tissu économique. Voilà portraiturée le côté pile des économies africaines, en tant que système économique endogène. Mais ces économies sont également inscrites dans un faisceau des relations commerciales et financières avec le reste du monde, qui représentent le côté face qu’il nous reste à brosser.

L'Afrique dans l'économie-monde : des termes de l'échange défavorables

L’Afrique n’est pas, et n’a jamais été, un îlot isolé par rapport au reste du monde. Au contraire, elle est fortement imbriquée dans un réseau de relations humaines, commerciales et financières que l’on peut qualifier d’économie-monde. Concrètement, cela se traduit, outre les migrations intercontinentales de population, les échanges d’idées et de techniques, par des échanges de produits et des flux monétaires. Le problème du continent africain est que seule une faible proportion de son économie et de sa population tire profit de ces échanges, qui s’expriment particulièrement dans le secteur de l’agriculture vivrière, l’agro-business destiné à l’exportation (cultures hors saisons, produits exotiques), l’extraction minière et pétrolière, et une minuscule proportion de services à haute-valeur ajoutée (finance, ingénierie, commerce import-export, haute administration internationale, etc.). Mis à part ce dernier secteur, les autres secteurs, issus du secteur primaire, captent une faible proportion de la valeur ajoutée finale des processus dans lesquels ils sont impliqués. Si les acteurs locaux investis dans ces secteurs peuvent en tirer des bénéfices personnels, les économies africaines connaissent des termes de l’échange (rapport entre les prix moyens des exportations et des importations, pour déterminer le pouvoir d’achat d’un pays ou d’une zone) défavorables. 

La situation actuelle a ceci de paradoxale que ce sont des secteurs qui concernent une infime proportion de la population (pétrole, mines, services financiers, agro-industrie) qui tirent la croissance de la plupart des pays africains, et que les revenus de ces secteurs n’arrivent pas à être réinvestis sur place (exemple du Cameroun), pour les raisons déjà mentionnées concernant les handicaps au développement endogène. C'est pour cela que l'on peut qualifier ces pays d'économies rentières sous-productives, quand la majorité de la population locale continue à vivre dans un système d'autoconsommation. Le serpent se mord la queue. Quand bien même des entreprises africaines voudraient entrer dans la concurrence internationale sur les produits industriels à plus forte valeur ajoutée, elles devraient faire face à des handicaps importants : outre les déficits technologiques et l’accès au crédit plus coûteux et difficile, les coûts de production (énergie et transport notamment) sont beaucoup plus importants pour des services de moins bonne qualité. Du fait d’infrastructures déficientes et de contrôles douaniers répétés, un producteur béninois peux livrer sa marchandise plus rapidement à Singapour qu’au Tchad !

Enfin, à l’ensemble de ces handicaps, il faudrait rajouter des éléments comme la faiblesse de l’environnement réglementaire et de contrôle, qui incite à la corruption ; l’instabilité politique ; la faiblesse du leadership et la vision stratégique déficiente chez de trop nombreux acteurs-clé de la décision politique et économique continentale.
Telle est l’équation compliquée dans laquelle se retrouvent les pays africains, dont il semble difficile de s’extraire dans l’état actuel des forces institutionnelles. Tels sont les besoins auxquels des ensembles sous-régionaux intégrés politiquement et économiquement, solidaires et cohésifs, pourraient apporter des solutions pratiques déterminantes pour l’avenir du continent.

 

Emmanuel Leroueil

 

Pour un nucléaire africain

Le développement de l’Afrique passe par la transformation sur le continent de ses matières premières. De cette problématique, se dégagent plusieurs sujets. Celui sur lequel nous nous focaliserons est le problème énergétique et plus particulièrement celui de l’électricité. En effet, l’électricité ou plutôt l’accès à une électricité bon marché et abondante, est une condition sine qua none du développement industriel. L’industrie étant très gourmande en énergie, un des critères essentiels pour l’implantation d’une unité industrielle est le coût et la disponibilité de l’électricité. Afin de mieux appréhender ce propos, il faut garder à l’esprit que pour une usine de production d’aluminium par électrolyse contenant 200 cuves (produisant 259 kt par an) il faut près de 300 MW, ce qui correspond à environ 20% de la puissance installée en Côte d’Ivoire. De plus les cuves des alumineries, les fours électriques et les laminoirs des fonderies ainsi qu’une très grande majorité des éléments constitutifs d’un process industriel nécessitent un fonctionnement quasi-continu. Les faibles puissances électriques installées, la mauvaise maintenance des équipements électriques, les délestages, et autres aléas de la production d’électricité en Afrique ne sont donc pas compatibles avec les exigences requises par le fonctionnement d’une industrie.

La production d’électricité abondante et bon marché en Afrique doit reposer sur les ressources énergétiques de l’Afrique. L’Afrique regorge de nombreuses sources d’énergie. Les technologies permettant de transformer ces sources en électricité lui font défaut, c’est donc à l’acquisition des compétences dans ces domaines techniques qu’il faut qu’elle s’attelle. Cette quête technologique doit avoir pour objectif la réalisation d’un mix énergétique en adéquation avec le développement humain et le développement industriel de l’Afrique. Ainsi, au-delà des ressources fossiles et des sources inépuisables d’énergie (renouvelables), il importe pour l’Afrique de réfléchir à la transformation de leurs immenses ressources d’uranium en électricité à travers une (ou des) centrale(s) électronucléaire(s).

Les avantages que présente cette technologie cadrent parfaitement avec l’objectif de production d’une énergie abondante, bon marché, propre et le développement de capacités industrielles en Afrique. En effet, à puissance installée équivalente, l’électricité produite par une centrale nucléaire est la moins chère (selon le rapport « Coûts de référence de la production électrique » de la DGEMP, France 2008). L’électricité produite par les centrales nucléaires est une énergie de base, c’est-à-dire qu’elle est produite constamment au niveau de puissance maximale. Elle ne dépend quasiment pas des aléas climatiques, contrairement aux énergies renouvelables. Au-delà du fait qu’il existe différents types, différentes technologies et différentes puissances de réacteurs nucléaires à travers le monde, pour mieux comprendre l’énorme potentiel énergétique que possède cette source d’énergie, il faut retenir qu’il faut 1 kilogramme de combustible nucléaire pour fournir la même puissance électrique que 6 tonnes de pétroles dans une centrale à cycle combiné . L’énergie y est donc très condensée. En moyenne, la majorité des 440 réacteurs en fonctionnement dans le monde a une puissance de l’ordre de 1000 MWe. L’EPR, en construction aujourd’hui aussi bien Chine, en France qu’en Finlande a quant à lui une puissance de l’ordre de 1500 MWe. C'est-à-dire qu’un seul EPR équivaut à toute la production électrique installée aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Un réacteur nucléaire permettrait par conséquent d’avoir une énergie bon marché et en abondance.

Les avantages du nucléaire

L’électricité nucléaire est une électricité sans émission de gaz à effet de serre. Un réacteur nucléaire ne fait brûler aucun combustible fossile, il peut donc s’insérer dans le mix énergétique sans contribuer directement à l’augmentation des gaz à effet de serre. Ceci est un atout car la conscience collective aujourd’hui incite les entreprises à intégrer le développement durable et la préservation de l’écologie comme des variables importantes dans les choix d’investissement.

La construction d’une centrale nucléaire présente aussi l’avantage de favoriser le développement de l’industrie technologique en Afrique. Car elle fait appel à différents corps de métiers. De plus l’uranium nécessite plusieurs traitements depuis la mine jusqu’au réacteur (concentration du minerais – formation du « yellow cake » ; raffinage ; conversion ; enrichissement et fabrication du combustible) avant d’y être utilisé. C’est l’amont du cycle du combustible. De même l’aval du cycle renferme différentes opérations techniques en fonction du modèle choisi entre une filière ouverte c'est-à-dire sans recyclage du combustible et une filière fermée (avec recyclage).Toutes ces étapes du cycle du combustible nécessitent des compétences très qualifiées et des entreprises (grandes entreprises aussi bien que PME – PMI) dans les tous les domaines scientifiques et techniques. Ainsi, des pans entiers de l’économie (bâtiment ; entreprises de conception de machines-outils ; recherche scientifique et technique ; etc…) peuvent être boostés par la réalisation d’un tel chantier. En France par exemple, l’industrie nucléaire crée 125000 emplois directs. Cela ne peut être que bénéfique pour les Etats africains qui pourront occuper sainement leurs jeunesses, collecter plus d’impôts, favoriser la consommation et donc créer de la croissance économique.

Un autre avantage et non des moindres est la favorisation de l’intégration sous-régionale. La construction d’une centrale nucléaire régionale peut être une formidable aventure humaine et un puissant catalyseur de l’intégration. Elle permettra de créer une saine émulation dans les domaines scientifiques, techniques et économiques. Elle fédérera toute une région autour d’un projet de développement et permettra à l’Afrique de l’Ouest d’assurer son indépendance électrique. La collaboration avec des pays africains, en plus de ceux de l’occident, disposant déjà de la technologie nucléaire ou désireux de s’en doter accentuera une coopération Sud-Sud qui est salutaire.

Les risques du nucléaire

Ces différents avantages ne doivent pas entrainer une minimisation des risques engendrés par le développement de centrales nucléaires. La sûreté des installations doit être garantie par la compétence et la conscience professionnelle des ingénieurs, des techniciens, des autorités et des industriels. La gestion des déchets ultimes doit être envisagée avec le plus grand soin. Les différentes catastrophes nucléaires à travers le monde (Fukushima ; Tchernobyl ; TMI ; etc…) devraient nous permettre d’être plus attentifs aux aspects relatifs à la sûreté des installations au lieu de nous rendre plus frileux. Toute industrie a des risques induits, nul besoin de surestimer ou sous-estimer ceux relatifs au nucléaire. C’est seulement dans la réflexion, sans émotion et avec clairvoyance qu’il faut évaluer les avantages et les désavantages du nucléaire pour l’Afrique. C’est uniquement par l’audace que l’Afrique arrivera à se surpasser et à faire des réalisations à la dimension de ses potentialités.

Même si, in fine, du débat que nous espérons susciter autour de cette question, il ressort qu’il n’est pas opportun pour l’Afrique d’avoir des centrales électronucléaires, ne nous bridons pas dans la réflexion dès le départ. N’ayons pas peur…réfléchissons ! Osons réfléchir pour nous-mêmes et par nous-mêmes, c’est à ce prix que l’Afrique se développera.

 

Stéphane Madou