L’état des démocraties en Afrique : mi-figue, mi-raisin

En ce début d’année 2017, que peut-on dire globalement de la situation démocratique des États africains? Alors que certains pays consolident bon an mal an les acquis démocratiques obtenus souvent de haute lutte et au prix de moult sacrifices, d’autres n’arrivent pas encore à se défaire des relents encore bien vivaces et prégnants de l’autoritarisme. Alors qu’on assiste à des passations de pouvoir pacifiques et des alternances démocratiques dans certains pays, on a encore affaire à des dirigeants qui, avec leurs affidés et sinistres thuriféraires pas assez repus des ors de la République et autres avantages dantesques, s’emploient à user des procédés retors pour prolonger indûment leur bail à la tête de l’État. Preuve s’il en est que la hantise du pouvoir demeure un tropisme vivace dans le chef de bien d’autorités politiques en Afrique. Précisons déjà que nous ne mesurons pas la bonne santé démocratique des pays africains à l’aune de la seule tenue d’élections libres et transparentes dans ces pays. Ce serait là une conception fort minimaliste et subjective de la démocratie.

Les bons élèves de la démocratie en Afrique

Le Ghana et le Bénin ont connu l’année dernière des élections apaisées et une alternance démocratique pacifique au sommet de l’État. Dans ces deux pays, le pluralisme politique est perçu comme une force et n’est pas étouffé. Les syndicats sont bien organisés, et constituent un moyen de pression vis-à-vis du gouvernement. C’est également le Bénin qui organisa la première conférence nationale sur le continent en 1990. Il est  aussi le pionnier dans l’établissement  d’une commission électorale nationale autonome. Le mérite du Bénin est qu’il n’est pas resté sclérosé dans une sorte d’exaltation de ce rôle historique de précurseur démocratique mais comme le souligne à juste titre l’analyste Constantin Somé dans son mémoire de maîtrise : «Le Bénin s'illustre par sa capacité d'innovation dans un souci d'équité et de transparence, signe de progrès refusant l'usurpation du pouvoir par tout groupe ou toute faction qui n'émanerait pas d'un choix du corps électoral. C'est pourquoi il a été mis sur pied «un arbitre» chargé des consultations électorales, qui revendique toute son autonomie et son indépendance.  Il semble cultiver le pacifisme par une gestion de plus en plus saine des compétitions électorales à travers une institutionnalisation progressive des organes chargés de réguler les élections et surtout leur indépendance vis à vis du gouvernement, du parlement et des pouvoirs publics ».[1]

En ce qui concerne le Ghana, il occupe la deuxième place en Afrique après la Namibie et la 26ème au niveau mondial du classement 2016 de Reporters Sans Frontières (RSF) sur la liberté de la presse.[2] Cette place de choix dans ce classement international traduit le souci constant de garantir à la presse ses prérogatives d’indépendance éditoriale et de liberté de ton et d’opinion. Sur le plan politique, le vote populaire est respecté et les perdants acceptent leur défaite. Lors de la présidentielle de 2012, la Cour Constitutionnelle avait déclaré Dramani Mahama vainqueur face à Akuffo Addo, après recours de ce dernier devant ladite cour. Face à ce verdict, il avait reconnu sa défaite et appelé Mahama pour le féliciter. En 2016, le président sortant Mahama a été battu lors des élections par Akuffo-Addo et a reconnu aussitôt sa défaite. Tout ceci porte à croire que la démocratie ghanéenne se consolide inéluctablement.   `

Toujours en Afrique de l’ouest, le Sénégal est également avant-gardiste en matière de démocratie sur notre continent. Même si ce pays a connu des épisodes ponctuels de « crise », il a toujours su se ressaisir. La longue et solide tradition de militantisme dans les sphères politique, associative et syndicale (Ex : Collectif Y’EN A MARRE, Raddho, Forum Civil ainsi que d’autres organisations de la société civile et des partis politiques alertes et engagés) constitue un garde-fou non-négligeable contre les velléités autoritaires et anti-démocratiques.  La défaite du président Wade contre son adversaire Macky Sall en 2012, le référendum constitutionnel organisé par ce dernier en 2016 sont illustratifs de la bonne santé démocratique de ce pays et de la volonté de ses citoyens et dirigeants de préserver l’ethos démocratique sénégalais. Les États insulaires que sont le Cap-Vert et Maurice méritent aussi d’être évoqués comme des démocraties exemplaires sur le continent. Ces pays connaissent une stabilité politique qui est notamment le fruit d’une institutionnalisation et du respect des règles et pratiques démocratiques qui encadrent aussi bien l’action publique que la sphère privée.

Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, c’est une démocratie qui fonctionne aussi bien en général.. On peut porter au crédit de cette nation et contrairement à beaucoup de pays sous nos tropiques que le pouvoir judiciaire est quand même indépendant de l’exécutif. Pour preuve, on peut citer les démêlés judiciaires du président Zuma empêtré dans des scandales de corruption et d’abus de pouvoir. On a tous en mémoire les rapports de l’ex-médiatrice de la République Thuli Madonsela qui a révélé en toute indépendance- même si elle a ensuite subi des pressions politiques- le « Nkandlagate » qui réfère à la rénovation d’une résidence privée du président avec l’argent public et aussi l’affaire concernant l’étroite collusion entre Zuma et la richissime famille Gupta. Même si les assassinats ciblés sont encore légion dans ce pays, on peut quand même voir que sur le terrain institutionnel, la liberté de parole est garantie et respectée, comme en témoignent les sévères récriminations des députés de l’EFF (Economic freedom fighters) de Julius Malema lors des sessions parlementaires en présence même du président Zuma.

Sao Tomé et Principe est aussi un modèle démocratique en Afrique. Même si ce petit pays, peu stratégique du point de vue géopolitique et économique suscite peu d’intérêt pour les observateurs et analystes internationaux, il reste que les fondamentaux de la démocratie y sont établis et valorisés. La même analyse peut être faite pour la Tanzanie.

Selon un classement de Reporters Sans Frontières (RSF) de 2014 sur la liberté de la presse, la Namibie est le seul pays d’Afrique à obtenir un score peu ou prou comparable aux pays scandinaves, en étant mieux notée (19ème  à l’échelle mondiale) que la France (37ème) et bien d’autres pays du Vieux Continent. Il est également le premier pays africain à organiser des élections présidentielles et législatives par vote électronique en Novembre 2014.

Le Botswana jouit également d’une assez bonne réputation en matière de démocratie. Ce pays organise des élections libres et transparentes de façon régulière, présente aussi un tableau plutôt reluisant en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption même si on ne peut pas ignorer les mesures coercitives et répressives prises à l’encontre de la minorité San, aussi appelée Bushmen. 

En Afrique du Nord, la Tunisie essaie de se démarquer de ses voisins. Elle s’est dotée d’une constitution progressiste et a organisé en 2014 des élections libres et transparentes. L’activisme de certaines organisations syndicales ou de la société civile telles que l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) et la ligue des droits de l’Homme en Tunisie (LTDH) a été sans contredit d’un apport capital dans ce sursaut démocratique.

Les régimes réfractaires à l’implantation durable des principes démocratiques

À côté de ces pays-à propos desquels, faut-il le rappeler on ne prétend aucunement une quelconque exhaustivité ni situation démocratique idyllique-qui présentent un profil démocratique assez remarquable, s’opposent des pays qui restent toujours prisonniers de régimes autoritaires ou peu démocratiques. En Afrique, nombreux sont les régimes qui instaurent des démocraties « cosmétiques » ou de façade. Nombreux sont les régimes qui feignent de s’enticher des fondamentaux de la démocratie comme le multipartisme, les élections libres et transparentes, un État de droit, une loi fondamentale, alors même que la gestion de leurs pays reflète nettement un pouvoir arbitraire, autocratique et/ou corrompu, c’est selon. L’Afrique des grands lacs (Ouganda, RDC, Rwanda et Burundi) et des pays comme l’Erythrée, la Gambie, le Zimbabwe, le Soudan, Djibouti, l’Ethiopie, l’Egypte, pour ne citer que ces quelques pays parmi bien d’autres sont encore loin d’avoir atteint les standards souhaitables ou escomptés d’une démocratie, pour parler en termes euphémiques. Il est évident que la situation démocratique de ces pays n’est pas tout à fait homogène. Certains de ces pays sont dirigés par des régimes tyranniques et jusqu’au-boutistes, frontalement réfractaires aux ambitions démocratiques des populations, alors que dans d’autres, malgré des lacunes démocratiques importantes, certains principes démocratiques de base sont relativement- parfois au gré des humeurs du régime- bien promus et appliqués.

Les populations africaines et notamment la jeunesse ont ardemment soif de démocratie pour exprimer librement leurs potentialités. Elles ne veulent plus que celles-ci soient étouffées par des dérives autoritaires surannées. Récemment, on a vu comment le régime de Yahya Jammeh en Gambie a tenté d’effectuer un coup de force illégitime pour demeurer au pouvoir malgré sa défaite. Cette mégalomanie de trop n’a fort heureusement connu que le destin qu’elle méritait : un échec. L’Union africaine ainsi que les organisations subrégionales se doivent de jouer un rôle actif pour enrayer les dynamiques autoritaires. Le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, braillé à tue-tête surtout par les despotes et leurs irréductibles ne saurait résoudre ces organisations du continent à de l’attentisme pendant que des populations se voient arracher injustement leur humanité et dignité. Vivement que la démocratie africaine renaisse de ses cendres et s’engage résolument vers le progrès!

                                                                                                                                                                                       Thierry SANTIME

 

                                                                                            

 

 

 

 

 

 

 


[1] Somé, Constantin (2009, pp.31-32) : « Pluralisme socio-ethnique et démocratie : cas du Bénin ». Mémoire en vue de l’obtention d’une maîtrise en science politique à l’Université du Québec à Montréal.

 

 

 

 

 

 

[2] Classement RSF : https://rsf.org/fr/classement

 

 

 

 

 

 

L’Etat de droit a-t-il régressé en 2016 ?

L’Afrique a connu une année 2016 mouvementée sur le plan politique. Entre l’organisation de plusieurs scrutins électoraux et la lutte contre le terrorisme, la solidité des institutions des pays concernés a été testée. L’état de droit a-t-il été impacté par ces différents évènements ? En fonction des situations prévalant dans chaque pays, le sort réservé aux droits humains et au respect de la constitution n’a pas été le même. Le rapport annuel de Human Right Watch (HRW) nous donne des éléments intéressants à analyser.

Le Burundi et l’enlisement de la crise.

Au Burundi, la crise politique, qui a débuté en 2015 suite au refus du président sortant Pierre Nkurunziza de ne pas briguer un nouveau mandat, s’est poursuivie en 2016. A la suite de sa réélection, des affrontements meurtriers se sont déroulés entre les partisans de l’opposition et les forces de sécurité soutenues par des regroupements de jeunes proches du pouvoir en place.

Le régime en place n’a pas hésité à instrumentaliser les voies de droit afin d’arrêter le maximum de partisans de l’opposition. Plusieurs procédures judiciaires ont été enclenchées sur la base d’éléments peu fiables. D’autres procédures ouvertes contre les forces de l’ordre ou les agents de renseignement proches du pouvoir, ont été bafouées ou biaisées afin de disculper les éventuels responsables.

Selon le rapport annuel de HRW, plus de 325000 burundais ont fui le pays vers les pays voisins depuis le début de la crise.

La situation dans ce pays de l’Afrique de l’est est de plus en plus inquiétante. Ces dernières semaines, des propos flirtant avec des intentions génocidaires, émanant d’éminentes personnalités du pouvoir ont ramené le pays à la tragique nostalgie des heures les plus sombres qu’a connues cette région en 1994.

Le Nigéria, entre justice et lutte contre le terrorisme

Le Nigéria est loué par l’ONG HRW pour sa société civile et ses médias puissants et influents, qui jouent un rôle majeur dans la responsabilisation de la fonction publique du pays face au cancer qu’est la corruption. Cependant, HRW dénonce la rédaction de certains projets de loi qui pourraient porter un frein à l’activité des organismes de la société civile ; ces dernières constituant une menace pour le gouvernement. C’est le cas par exemple du projet de loi (. Bill to Prohibit Frivolous Petitions and Other Matters Connected Therewith .) introduit au Sénat en décembre 2015  et qui vise spécifiquement les utilisateurs des réseaux sociaux et médias électroniques.

Sur le plan sécuritaire, un rapport des autorités dénonce la recrudescence des exécutions arbitraires commises par les forces de sécurité. Une commission publique instituée par le gouvernement a, par exemple, demandé que les soldats responsables du meurtre de plus de 300 membres du mouvement islamique du Nigéria dans l’Etat de Kaduna soient déférés devant la justice. La lutte contre le terrorisme islamiste incarnée par la secte Boko Haram est la principale raison de l’utilisation de plus en plus importante de moyens illégaux par les forces de sécurité. Le gouvernement pourrait-il dans ce contexte enclencher un combat judiciaire à l’encontre de ces hommes et femmes en uniforme, censés affaiblir Boko Haram ? Avoir de l’optimisme pour la poursuite objective de ces enquêtes, relèverait d’une relative naïveté.

La RDC et son président « sortant par intérim »

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à terme le 16 décembre 2016 sans que son remplaçant ne soit connu, faute d’organisation d’élections présidentielles. Le président sortant s’est donc maintenu au pouvoir malgré l’opposition de la majeure partie de la classe politique. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et de jeunes congolais demandant le départ du président Kabila. Mais pouvait-il réellement partir ?

L’opposant historique Etienne Tshisekedi avait appelé les populations à une « résistance pacifique » sans pour autant expliquer ce qu’il voulait dire en ces termes. Un accord a finalement été conclu après d’âpres négociations entre le pouvoir et l’opposition sous la supervision du clergé catholique. Les acteurs se sont mis d’accord sur un certain nombre de points clés. D’autres points, bien que faisant partie de l’accord, posent toujours problème. C’est le cas de la date des échéances électorales que l’opposition voudrait organiser au plus tôt. Au niveau de la mouvance présidentielle, on persiste à dire que des élections libres et transparentes ne peuvent être organisées avant 2018. Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouveaux rebondissements.

Le clergé catholique a quand même le mérite d’avoir pu réunir la classe politique autour de la table avec, à la clé, une solution à l’impasse juridique et constitutionnelle causée par la non tenue des élections. Malgré ses lacunes, l’accord trouvé sous l’égide des hommes de Dieu a permis une certaine décrispation de la situation dans le pays.

La Cote d’Ivoire et le Ghana, des exemples d’avancées démocratiques

D’après le rapport de l’ONG américaine, l’impressionnant redressement économique de la Cote d’Ivoire – qui a connu plus de dix ans de conflit armé –  a favorisé « une amélioration progressive de l’état de droit et de la réalisation des droits économiques et sociaux ».

L’événement symbolique de cette avancée reste sans ambages l’adoption d’une nouvelle constitution et le passage à la 3ème République. Cette nouvelle constitution, bien que critiquée par l’ONG pour sa vocation « hyper présidentielle », a supprimé la fameuse disposition relative à la nationalité. Disposition de la discorde qui a porté les germes des dix années de conflits ayant secoué ce pays.

Cependant, ces derniers jours, des mutineries d’une partie des corps habillés ont mis sur la scène publique l’une des faiblesses institutionnelles du pays. Il s’agit de la place réservée au pouvoir militaire dans la structure institutionnelle. Cette mutinerie pose un problème plus général en Afrique qui est celui du pouvoir effectif des forces armées dans nos institutions ; sujet traité par l’Afrique Des Idées au cours de l’année écoulée.

Enfin, la dernière élection présidentielle au Ghana a abouti à une alternance. Le président sortant John Mahama a été battu par l’historique opposant au NDC[1] ( National democratic congress), le chef du New Patriotic Party( NPP), Nana Akufo Addo. Ces élections, qui se sont déroulées dans la plus grande transparence, ont démontré encore une fois la solidité institutionnelle de ce pays. Le Ghana se hisse de plus en plus dans la lignée des grandes nations africaines réussissant l’épreuve de la sempiternelle équation de l’alternance pacifique en Afrique.

                                                                                                                                   Giani GNASSOUNOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le parti du président sortant John Mahama qui avait lui-même succédé à John Attah Mills après son décès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Burundi, Congo… Du silence à l’indifférence

JPG_BurundiUne grande partie de l’Afrique centrale semble aujourd’hui complètement en dehors des radars médiatiques et diplomatiques. Qui pense au Burundi, qui chaque heure, sombre un peu plus dans la violence ? Au Congo-Brazzaville, où les voix dissidentes ne nous reviennent plus qu’en de lointains échos. Faut-il inexorablement attendre le terrorisme et la guerre pour faire mine de s’intéresser à l’Afrique ? Comment ignorer qu’ils ne sont que les produits de nos indifférences d’hier ?

Tant bien que mal, le petit Burundi avait pourtant réussi à trouver un équilibre politique. C’était les accords d’Arusha, en 2000. Ils mettaient fin, progressivement, à une guerre civile qui avait coûté la vie à plus de 300 000 personnes. Ils établissaient aussi un partage du pouvoir entre la majorité hutu et la minorité tutsi et des principes simples comme la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Ces accords sont aujourd’hui en lambeaux. Après deux mandats, le président Pierre Nkurunziza s’est accroché à son fauteuil coûte que coûte, au prix d’une spirale de violence inouïe, d’assassinats ciblés, de journalistes malmenés, voire torturés. Passé à tabac par les services de renseignement, le correspondant de l’AFP et RFI a été contraint de se réfugier à l’étranger. Le pouvoir a également menacé à mots couverts une envoyée spéciale de la radio française accusée d’”action perturbatrice”, de “reportages de malédictions” et de “fausse informations incendiaires”. Depuis fin avril, des centaines de personnes ont été tuées, même si le bilan précis est difficile à établir. 5.000 soldats de l’Union africaine sont annoncés pour mettre fin aux violences. Mais quand et pour faire quoi ? Comment les déployer sans l’accord du pouvoir ?

Du côté de la communauté internationale, les appels à la modération et au calme se succèdent depuis des mois, sans effet. Le dialogue inter-burundais, piloté par l’Ouganda, est au point mort. Quand bien même les critères ethniques ne recouvrent pas les multiples lignes de fractures dans le pays, les chancelleries sont tétanisées par le fantôme de 1994. Les 800 000 victimes, tutsis et hutus modérés, du génocide rwandais qu’elles n’avaient pu empêcher. Si le pire advenait, l’ONU, dans une note dévoilée il y a quelques jours, reconnaît qu’elle ne pourrait y faire face sans moyens supplémentaires. L’ampleur des violences dépasserait “les capacités de protection des Nations Unies”, déplore ce texte.

Des appels de la communauté internationale, il y en a, aussi, au Congo-Brazzaville, mais si peu. Le paysage politique y est comme congelé. Le pays visiblement indissociable de son président Denis Sassou Nguesso, revenu au pouvoir par les armes en 1997, après une guerre civile, encore une. Pour 2016, une constitution l’empêchait de s’accrocher au pouvoir. Qu’importe, une autre a été écrite à la hâte et adoptée par référendum en octobre. Quelques jours avant le vote, François Hollande avait estimé que Denis Sassou Nguesso avait, après tout, tout à fait  le droit de consulter son peuple. La France est il est vrai un partenaire historique du Congo, où Total est le principal acteur de secteur pétrolier. Aussitôt critiqué par les ONG et l’opposition congolaise, le président français avait rectifié le tir quelques heures plus (trop) tard par un communiqué condamnant toute violence et rappelant l’importance de la liberté d’expression.

Puisque les critiques se font rares, la présidentielle au Congo a été avancée au mois de mars au lieu du mois de juillet. Avec cet inattendu changement de calendrier, l’opposition redoute de n’avoir ni le temps, ni les moyens de préparer la campagne, mais qui s’en soucie ? Les opposants ont certes depuis longtemps perdu une partie de leur crédibilité. Sans accès aux médias, ni véritable aura au sein d’une population désabusée, ils sont souvent divisés, sans ressources, exposés aux appels du pied et aux francs CFA de la présidence, qui bénéficie à plein des ressources pétrolières.

Le 20 octobre, des jeunes sont descendus dans la rue aux cris de “Sassoufit”. La répression des manifestations a fait 17 morts selon l’opposition. Dix jours après, cette même opposition annonçait des grandes marches dans tout le pays, pour contester les résultats du référendum. Sans explications crédibles, les manifestations ont finalement été annulées. Interrogé à Paris, l’écrivain Alain Mabanckou, tout en appelant le président à laisser le pouvoir, a dénoncé l’attitude d’une opposition “qui quand ça a commencé à crépiter s’est cachée et a laissé la jeunesse congolaise sous les balles”. Pessimiste, il a même prédit deux nouveaux mandats pour Denis Sassou Nguesso, “vu le larbinisme de l’opposition”.

A Bujumbura comme à Brazzaville, tout est fait pour que rien ne change. Ailleurs la situation de ces deux pays comme bien d’autres en Afrique, suscite au mieux une vague indifférence, au pire, des réponses dégainées comme des boomerang, pour dire qu’après tout “c’est ça l’Afrique”. Comme si “là bas”, plus qu’ailleurs, un président avait le droit de disposer de son peuple à guise, et de faire de son pays son jardin tâché de sang… Jusqu’à quand ?

Adrien de Calan

C’était la guerre du Cameroun

camerounC’est quasiment un travail archéologique que mènent depuis une dizaine d’années l’historien Jacob Tatsitsa et les journalistes Thomas Deltombe et Manuel Domergue. Déterrer de l’oubli la guerre du Cameroun, un conflit colonial et une guerre civile d’une rare violence, que l’Etat français et le régime camerounais ont sciemment passés sous silence.

C’est pourtant “une petite guerre d’Algérie”, selon l’expression d’un responsable français de l’époque, cité dans leur livre La Guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique paru tout récemment aux éditions de La Découverte.

Depuis ses débuts à bas bruit au milieu des années 50 aux derniers soubresauts au début des années 70, cette guerre a fait a minima des dizaines de milliers de morts. “Le chiffre de plus de 100.000 morts est crédible”, estime même Thomas Deltombe, l’un des auteurs interrogés par l’Afrique des idées

“Leur travail bat en brèche un cliché qui a curieusement encore cours : celui d’une décolonisation relativement tranquille en Afrique subsaharienne, contrairement à ailleurs. Le Cameroun prouve que c’est totalement faux”, témoigne l’historien Pascal Blanchard, spécialiste de la décolonisation.

“La France a bien connu trois guerres coloniales, l’Indochine, l’Algérie et celle du Cameroun, qui reste complètement taboue. Avec la volonté des militaires français de redorer le blason de l’armée après l’échec indochinois”, souligne-t-il encore.

Le conflit qui démarre est d’abord la répression d’un mouvement indépendantiste à l’influence grandissante, l’Union des populations du Cameroun (UPC), créée en 1948. Ancienne colonie allemande, le Cameroun est à l’époque sous la tutelle des Nations Unies. L’administration en est confiée à la France pour 85% du territoire et à la Grande-Bretagne pour les 15% restants.

Paniquées par les mots d’ordre de l’UPC et son inspiration marxiste – dans le contexte de la guerre froide – les autorités françaises font tout pour contrer le succès croissant du mouvement jusqu’à l’interdire en juillet 1955, après une série d’émeutes et de violents affrontements.

“Pacification”

Fin 56, l’UPC entre dans la lutte armée. La France lance elle une opération “de pacification” en Sanaga Maritime, une région de l’Ouest camerounais où se concentrent les principaux foyers insurrectionnels. 

La lutte est aussi psychologique, avec des dirigeants français acquis aux méthodes contre-subversives en vogue, la doctrine de guerre révolutionnaire (DGR) qui vise à discréditer l’adversaire chez les civils, à les “immuniser” contre le “communisme” et la “subversion upéciste”. Dans une circulaire de février 55, le haut-commissaire Roland Pré prône une “propagande de combat”, afin que la “masse à qui elle s’adresse puisse avoir l’illusion de penser par elle-même”.

Le conflit s’installe, le leader de l’UPC Ruben Um Nyobè est éliminé le 13 septembre 1958 lors d’une expédition de soldats tchadiens et camerounais, encadrés par des militaires français.

Le 1er janvier 1960, l’indépendance négociée par la France n’est que de façade selon les auteurs, avec un régime acquis à Paris. Le 13 octobre, un autre leader de l’UPC, Félix Moumié, est empoisonné à Genève par un agent des services secrets français qui se fait passer pour un journaliste. Moumié meurt trois semaines plus tard.

La guerre se poursuit et monte encore en intensité dans la région Bamiléké, dans l’Ouest du pays, entre les maquisards et le régime du nouveau président Ahmadou Ahidjo, soutenu militairement par les Français. Raids aériens, usages systématiques de la torture, des militaires français assistent et participent à des opérations qui font froid dans le dos. 

Le sergent-chef Max Bardet survole en hélicoptère ce qu’il appelle des “massacres contrôlés”, évoque des jets de “grenades à phosphore” sur les maquisards en fuite ou la pratique du “bennage” pour jeter à la rivière les gens fraîchement tués.

Ces violences ont pourtant lieu dans l’indifférence médiatique. Le conflit est oblitéré par la guerre d’Algérie qui a lieu au même moment et monopolise l’attention. Il n’y a pas d’appelés comme en Algérie, les officiers français sont relativement peu nombreux et les combats, éparpillés dans le temps et dans l’espace, sont en quelque sorte sous traités. Avant l’indépendance, les Français sollicitent des contingents africains notamment tchadiens. Après, c’est le régime camerounais et son armée qui sont à la manœuvre.

Se mêlent d’ailleurs au combat contre les insurgés de multiples enjeux locaux, des luttes de pouvoir, des conflits pour l’appropriation des terres, des rivalités entre chefs traditionnels et militants de nouvelles générations ou des tensions d’ordre ethnique.

“Une approche un peu franco centrée”

C’est d’ailleurs le principal reproche que l’on peut faire aux auteurs depuis leur premier livre Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971) paru dès 2011 : présenter le conflit comme une “guerre totale” intégralement pilotée par Paris et sous-estimer les dynamiques proprement camerounaises qui échappent en partie aux dirigeants français.

“C’est tout à fait compréhensible, mais c’est une approche un peu franco centrée”, constate ainsi l’historien camerounais Yves Mintoogue, tout en soulignant la somme d’archives et de témoignages collectés par les trois auteurs.

“Beaucoup d’acteurs camerounais ont utilisé le conflit colonial pour se repositionner au niveau local et jouer leurs propres cartes. C’est une association de malfaiteurs où les élites camerounaises avaient leurs intérêts”,explique-t-il . Pour Thomas Deltombe, si la question est légitime, il y a pourtant “un piège à vouloir décrire les acteurs camerounais officiels, Ahidjo et son régime en particulier comme des acteurs libres de leurs mouvements et de leurs fonctionnements”.

“Nous, on considère qu’il ne faut pas oublier les enjeux de domination coloniale et néocoloniale. Il faut faire attention de ne pas considérer qu’Ahidjo et De Gaulle discutent sur un pied d’égalité, c’est archi-faux”.

“Pure invention”

Reste que les autorités françaises ne facilitent pas le travail des historiens. En 2011, le premier ministre François Fillon a tout simplement qualifié de “pure invention” l’assassinat de responsables nationalistes camerounais par la France.

En juillet 2015, François Hollande a finalement reconnu des “épisodes extrêmement tourmentés et tragiques puisqu’après l’indépendance il y a eu une répression en Sanaga Maritime et au pays Bamiléké” et il s’est dit favorable à ce que ”les livres d’histoire puissent être ouverts et les archives aussi”.

Thomas Deltombe réclame lui “une reconnaissance claire, précise, si possible solennelle et un peu digne des autorités françaises”, et des mesures concrètes comme le déblocage de fonds pour rendre les archives accessibles aux historiens camerounais et étrangers.

Il pose aussi la question polémique de réparations financières pour les victimes du conflit puisque “tout crime doit être sanctionné, et ces sanctions souvent c’est de l’argent”.

“C’est le sujet le plus casse gueule en histoire”, considère pour sa part l’historien Pascal Blanchard. “Les historiens sont très mauvais sur le sujet. Puisqu’il est question d’argent, qui va faire le tri pour savoir qui va toucher quoi, comment le faire… Selon moi, la seule réparation qui vaille c’est de remettre l’histoire à l’endroit, une histoire au plus juste pour les enfants camerounais et français”.

Adrien de Calan

 

Pour aller plus loin, La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, octobre 2016 La Découverte

 

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Suite et fin d’une analyse relative aux opérations de maintien de la paix en Afrique, rédigée par Mouhamadou Moustapha Mbengue  dont la première partie a été publiée il y a quelques semaines. Dans cette dernière partie, Mouhamadou aborde les raisons pour lesquelles cette collaboration demeure insuffisante.

maintien-de-la-paix

Les opérations de maintien de la paix en Afrique sont caractérisées par un important manque de coopération entre les différentes parties prenantes à la résolution des conflits. Entre 1997 et 2014, 14 missions de maintien de la paix ont eu lieu dans la seule République Centrafricaine provenant d’acteurs aussi variés que l’ONU, l’UA, la CEEAC, l’UE et la France. Chaque entité déploie son personnel et ses moyens logistiques sans tenir compte d’un agenda commun devant aboutir à un rétablissement durable de la paix dans le pays concerné. Dans d’autres pays, les responsabilités sont tellement imbriquées qu’une lecture claire est impossible. Ainsi en Somalie, l’AMISOM dispose d’un personnel provenant de l’UA mais rémunéré par l’ONU, ainsi que d’un support technique provenant de l’UE, de l’Ethiopie, de Djibouti, de l’Ouganda, de l’UNSOA, et d’un organisme américain (Bancroft Global Development). La multiplicité des acteurs n’aide pas à une coordination harmonieuse de cette mission, d’autant qu’en la matière, la philosophie des acteurs engagés n’est pas toujours la même. D’aucuns adoptent une position de neutralité entre les belligérants (opération de police) tandis que d’autres comme l’UA donnent des directions plus offensives à leurs opérations de maintien de la paix.

De plus, contrairement au dispositif actuel, les missions de maintien de la paix devraient être accompagnées d'une stratégie globale de résolution des conflits, qui se matérialiserait par un processus de pacification. Ce volet politique est  en effet, indispensable à un véritable rétablissement de la paix. Lorsque ce processus n’est pas mis en œuvre  (République Centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud), il a tout simplement échoué (RDC, Soudan, Mali, Ethiopie/Erythrée). D’autre part, les troupes de ces missions sont peu préparées aux aspects civils des crises, aspects pourtant incontournables dans toute résolution de conflit. Les différentes opérations de maintien de la paix sur le continent ont très peu intégré cette dimension politique dans leur agenda. C’est pour cette raison qu’en RDC par exemple, la force onusienne n’a pu empêcher les nombreuses violations de droits humains par les FARDC (forces armées congolaises) et les nombreux crimes commis contre les populations. De même, au Soudan du Sud, l’UNAMIS n’a pu empêcher l’irruption d’une guerre civile.

Cette absence de stratégie politique s’accompagne d’une mauvaise compréhension des mandats donnés aux missions d’intervention. Cette mauvaise compréhension est due au   manque de clarté des mandats conférés. Souvent, les résolutions des Nations Unies autorisant les interventions ordonnent le maintien de la paix « par tous les moyens nécessaires ».  Les différents Etats qui participent aux missions à travers l’envoi de troupes n’ont pas toujours la même compréhension de ce terme. Si les troupes onusiennes sont généralement plus préparées à une interposition entre les acteurs du conflit (désarmement, démobilisation, réinsertion), les troupes opérant sous l’autorité de l’UA et des organisations sous-régionales tendent à adopter une posture plus offensive et guerrière. Les personnels des missions d’interventions ont une interprétation divergente  de leur mandat lorsqu’ils sont censés protéger les civils, sachant qu’ils ne peuvent protéger l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire d’un pays en conflit. Ces acceptions diverses de leurs responsabilités ont fait que l’Union Européenne (en RDC, en République Centrafricaine et au Tchad) et l’Union Africaine (au Darfour et en République Centrafricaine, au début des années 2000) ont rencontré des limites sur le terrain quand il fallait protéger les civils uniquement « sous menace imminente » ou « dans leur zone de déploiement », surtout lorsque dans certains pays, leur présence a été considérée comme illégitime par les belligérants voire par des Etats concernés par le conflit (comme au Burundi en 2006, en Erythrée en 2008, ou au Tchad en 2009). La mission Eufor au Tchad par exemple a été fortement remise en question par les groupes armés dénonçant une proximité gênante entre la France et le régime Tchadien considéré comme corrompu et autoritaire.  Les troupes d’intervention rencontrèrent donc d’énormes résistances de la part des groupes armés (Aqmi au Mali, Shebab en Somalie, M-23 en RDC, ou les Séléka et anti-Balaka en RCA).

Un autre exemple du manque de coordination entre les différents acteurs des opérations de maintien de la paix en Afrique est celui de la Côte d’Ivoire. Malgré les efforts fournis pour arriver à un règlement politique de la crise (Accra I/Accra II, Marcoussys et Pretoria), le conflit ivoirien a connu un enlisement tenace pendant une bonne décennie. Lorsque Henri Konan Bedié a introduit le concept d’ivoirité lors de l’élection présidentielle de 1995 pour faire barrage à son rival d’alors, l’actuel Président Alassane Ouattara, les divisions au sein de l’armée se sont amplifiées. Elles ont mené au renversement du pouvoir par une milice qui le confia au Général Robert Guei.

Sur le fondement de ce concept d'Ivoirité, Alassane Ouattara sera, en 2000, écarté des élections présidentielles organisées et qui seront alors remportées par Laurent Gbagbo. C’est donc dans un contexte de grande instabilité que les forces françaises de l’Opération Lincorn sont donc intervenues, avec notamment des violences dans l’Ouest du pays. Ni Lincorn, ni l’ECOMICI, ni la MINUCI ne parvinrent à faire respecter les accords d’Accra et de Marcoussis.

Le processus de paix se heurta à de fortes résistances du fait du non-respect de ces accords, auxquels il faut ajouter celui de Pretoria en 2005. Le Président Gbagbo ignora complètement la résolution 1721 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. La situation sur le terrain continua à se détériorer jusqu’aux contestées élections présidentielles de 2010 qui ont acté par la force la fin du règne de Laurent GBAGBO ; ce dernier ayant refusé de reconnaître sa défaite. Les malheureux événements qui s’en suivirent, notamment une guerre civile à partir de mars 2011, illustrent encore une fois les insuffisances des différentes initiatives internationales enclenchées pour répondre à la crise ivoirienne. La présence de multiples acteurs sur le terrain n’a pas facilité une résolution rapide du conflit. Il a fallu une intervention armée des forces françaises pour arrêter le président Laurent Gbagbo et installer  Alassane Ouattara au pouvoir le 04 mai 2011.

Lors de la crise au Mali, le  principe de subsidiarité a été encore une fois mis à mal. Après avoir fait face aux résistances de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo avec force sanctions et gel d’avoirs, la CEDEAO s’est employée à enrayer l’avancée des groupes armés du Nord. Elle a ensuite eu du mal à recevoir l’autorisation nécessaire du Conseil de sécurité de l’ONU pour déployer ses troupes, avant de devoir passer le relai à l’UA. Durant cet épisode, elle n’a pas apprécié l’appropriation de son plan d’intervention par l’UA et a considéré ce transfert d’autorité comme une « erreur de calcul stratégique »[1]. La collaboration entre ces deux acteurs, malgré une répartition des tâches[2], s’est donc mal déroulée au Mali.

Le cas libyen a achevé de montrer les énormes difficultés que rencontrent les acteurs internationaux à répondre à une crise sécuritaire sur le continent africain. L’UA, l’ONU et l’OTAN ainsi que la Ligue Arabe en sont allées chacune de leur propre compréhension de la situation. Alors que l’UA recherchait une stratégie d’intervention politique et expérimentait d’importants désaccords internes entre Etats membres, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1970 pour faire comprendre qu’elle tenait à diriger l’intervention. L’UA a ensuite formé un Haut-Comité ad hoc chargé de se pencher sur le cas libyen, avant que l’ONU n’émette la résolution 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne, que l’OTAN exploita. Elle entreprit des bombardements aériens qui ont permis l’avancée des rebelles en Août 2011 et l’assassinat de Khadafi. Le Conseil National de Transition qui gérait le pays rendit le pouvoir à un Congrès National élu dont la mission était de gérer la transition dans le pays. Un important manque de collaboration fut constaté entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et  le CPS de l’UA ; cette dernière n’ayant jamais pu accomplir les actions qu’elle souhaitait. L’interprétation de l’article 4 de l’Acte Constitutif de l’UA est l’objet de sérieuses divergences entre Etats membres, dans l’optique de réponse rapide et coordonnée aux crises[3].

La gestion des crises politiques, notamment des conflits armés, n’est pas une mince affaire. En Afrique, la présence de multiples acteurs dans les opérations de maintien de la paix a donné lieu à la création de plusieurs institutions et mécanismes de gestion des conflits. Cependant, la collaboration entre les différentes entités n’est pas encore effective et comporte de nombreuses insuffisances. Les relations entre l’ONU et l’UA notamment, et souvent entre l’UA et les organisations d’intégration sous-régionales, se heurtent  à d’importantes résistances. Il urge de trouver un dispositif institutionnel de concertation et de collaboration entre l’UA et l’ONU pour une bonne division du travail. Au moment où les deux institutions renouvellent leur exécutif respectif (Antonio Gutterres pour l’ONU et probablement Abdoulaye Bathily pour l’UA), il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces nouvelles figures réputées pour leur expérience et leur sens de la diplomatie apporteront des solutions appropriées au criant  manque de coordination dans les opérations de maintien de la paix dans les prochaines années.

 

 


[1] CEDEAO, “The Mali After-Action Review: Report of the Internal Debriefing Exercise”, novembre 2013.  

 

[2] Le leadership politique de l’AFISMA est revenu à l’UA (avec la nomination de Pierre Buyoya) et le poste d’adjoint au Représentant spécial de la CEDEAO, le leadership militaire revenant à la CEDEAO.

 

[3] Cilliers & Handy (2013), Lessons from African Peacemaking.

 

La CPI ou l’histoire d’une justice pénale internationale portant les germes de son échec

cpiLe concept même d’une justice pénale internationale n’est pas loin d’être un leurre. Le droit international n’existe que par la volonté des Etats. Il est fondé sur un rapport de forces entre Etats qui ont accepté d’aliéner une partie de leur souveraineté au profit d’une entente entre partenaires civilisés. Si en principe aucun pouvoir n’est supérieur à la puissance souveraine d’un Etat, il n’en est pas de même en pratique. En effet, la puissance souveraine d’un Etat est fonction de plusieurs facteurs : Les facteurs économique et militaire par exemple. Ces facteurs déterminent les réelles capacités d’influence dont dispose un Etat sur l’échiquier international et permettent la mise en place d’une hiérarchie entre Pays. Cette hiérarchie est déterminante lorsque les Etats se concertent dans le but de concéder au profit d’une norme internationale, une partie de leur autorité suprême dans un domaine déterminé. C’est ainsi que les concessions exigées à un pays sous développé peuvent être plus contraignantes que celles accordées par une grande puissance militaire telle que les Etats-Unis ou la France.

La Cour Pénale Internationale n’a pas échappé à ce principe.

Dans un contexte de défiance à l’égard de cette Cour se matérialisant par le retrait de certains pays africains, l’Afrique Des idées a décidé de publier une série d’articles consacrée à l’analyse de la justice pénale internationale en général et aux limites de la Cour Pénale Internationale en particulier.

Ceci en est la première partie.

L’idée de créer une juridiction pénale internationale date de la fin de la première guerre mondiale. Le traité de Versailles prévoyait la création d’un tribunal pénal international qui ne verra jamais le jour en raison d’un criant manque de coopération des Etats abritant d’éventuels    accusés.  La barbarie de la seconde guerre mondiale éveillera les consciences. La volonté des vainqueurs de juger les responsables de la guerre va permettre la mise en œuvre de la première juridiction pénale internationale : il s’agit des procès de Tokyo et de Nuremberg au cours desquels ont été jugés les responsables japonais et allemands de la guerre. Le procès de Nuremberg s’est déroulé du 20 novembre 1945 au 01er octobre 1946 en Allemagne dans la ville du même nom. Le tribunal militaire international constituait la juridiction compétente pour connaître des crimes du conflit planétaire. Sa compétence était fondée sur les divers traités signés par les alliés, vainqueurs de la guerre et en particulier un traité signé en Août 1945 par les gouvernements britanniques, américains et Nord irlandais. Dans le jargon institutionnel on parle de tribunal militaire ad hoc.

Le procès de Nuremberg a posé les bases de la justice internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui. C’est au cours de ce procès que la notion de crime contre l’humanité a véritablement été utilisée pour la 1ere fois. Le crime contre l’humanité constituait avec les crimes de guerre, le complot, les crimes contre la paix les quatre chefs d’’accusation invoqués durant le procès.

Si l’idéal poursuivi est louable, le fondement juridique des tribunaux ad hoc reste faible et non pertinent pour permettre une adhésion en masse des Etats à l’idée d’une justice internationale.  En effet les traités fondateurs ayant été élaborés par le seul camp des alliés, Il s’agissait indirectement d’une justice des vainqueurs qui ne pouvait espérer avoir un destin au-delà des procès en lien avec la seconde guerre mondiale.

Dès 1946, cette réalité a poussé les dirigeants des Etats sous l’impulsion de l’ONU à poser les bases d’une justice internationale permanente en reprenant les acquis des procès de Nuremberg et de Tokyo[1].

En 1948, la convention sur le crime de génocide a été adoptée. Les années 46-48 furent une période assez faste, parsemée de vœux pieux des Etats toujours hantés par l’apocalyptique seconde guerre mondiale.

Ces temps propices, s’achèveront par le mandat confié à la Commission du droit International aux fins de la rédaction des statuts d’une juridiction pénale internationale et permanente. Pendant près de 40 ans, la volonté politique n’y sera pas et les projets de statuts se succèderont les uns après les autres sans aucune matérialisation des objectifs fixés.

La guerre froide est à la fois la principale raison et le principal prétexte de ce rejet aux calendes grecques d’un idéal de justice internationale pour l’humanité.

Principale raison, car comme l’évoquait si bien Andre Boissarie, les deux blocs « s’opposent en tout sans transactions »[2]. Comment mettre en place une justice internationale lorsque les deux grandes puissances planétaires sont en conflit ouvert et drainent chacune derrière elle, un nombre assez conséquent d’Etats ?

Prétexte néanmoins, car les dirigeants des grandes puissances se cachaient derrière la réalité politique du monde pour se soustraire à une aliénation partielle de leur souveraineté, gage irréversible d’une justice internationale pertinente et efficace.

Il a fallu attendre la fin de la guerre froide, matérialisée par la chute du mur de Berlin en 1989, pour voir ressurgir l’idée de la nécessité de mettre en place une justice internationale.

Les conflits dans les balkans ainsi que le génocide Rwandais de 1994 constitueront des éléments catalyseurs de création d’une telle juridiction. Le conseil de sécurité des Nations-Unies mis sous pressions par des ONG dénonçant les exactions constitutives de crimes internationaux commis dans les balkans et au Rwanda, créera les tribunaux pénaux compétents pour les pays concernés (TPIY et TPIR). Ce sont des tribunaux ad hoc qui seront relativement efficaces mais souffriront des mêmes tares que les tribunaux de Tokyo et de Nuremberg. En effet, le TPIY et le TPIR ont été mis en place par le conseil de sécurité des Nations-Unies qui est une institution de régulation restreinte. La légitimité de ces juridictions peut donc être remise en cause parce qu’elles n’ont pas reçues l’adhésion de tous les Etats membres de l’ONU.

C’est pour cette principale raison que les ardents défenseurs d’une justice pénale internationale vont se tourner vers un moyen jugé plus démocratique afin de mettre en place cette fameuse juridiction internationale : le recours à l’assemblée générale des Nations-Unies.

Ce recours impliquait au préalable une consultation grandeur nature de tous les Etats membres de l’ONU à propos des dispositions devant constituer le statut de la juridiction en construction. C’est à Rome que ce statut a été adopté en 1998 et ce, non sans concessions. L’important nombre des Etats ayant pris part aux négociations a rendu cette dernière très difficile ; chaque Etat essayant de protéger ses propres intérêts. A ce jeu, les grandes puissances s’en sont évidemment mieux sorties. Et le statut de Rome qui en naquit portait déjà les germes de l’échec de cette tant espérée juridiction.

Rendez-vous pris dans quelques semaines pour la suite de cette analyse.

 

                                                                                                                                                    Giani GNASSOUNOU

 


[1] Aux origines de la cour pénale internationale : le projet français de chambre criminelle internationale (hiver 1946 – printemps 1947, page 103-109 )parLaurent Barcelo

[2] « Le développement de la justice internationale », rapport d’André Boissarie à la 6e assemblée annuelle de l’Association française pour les Nations Unies, Cahiers des Nations Unies, Paris, 1950.

 

 

 

 

 

 

 

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

maintien-de-la-paixL’Afrique et les opérations de maintien de la paix ont une longue histoire à narrer. Si, sur l’échiquier mondial, un total de 175 opérations de maintien de la paix peut être dénombré, le continent africain compte à lui seul plus de 90 opérations de ce type entre 1947 et 2013[1].

Ces opérations déployées sous la coupe d’organisations internationales telles que l’ONU, l’Union Africaine (UA) et l’Union Européenne (entre autres missions menées par des organisations sous-régionales ou de simples Etats) se heurtent à plusieurs difficultés de mise en œuvre.

Ce sont des opérations qui se déroulent généralement sur des territoires dont la situation sécuritaire est souvent complexe et où la recherche de la paix n’est pas aisée.  La trentaine de pays africains[2] ayant connu ce type d’opérations – après environ 50 conflits qui ont eu lieu sur le continent depuis 1955 – ont témoigné de résistances considérables sur le terrain. A ces difficultés initiales, s’est ajouté un manque notoire de coordination et de gestion harmonieuse entre les entités qui ont déployé des missions de maintien de la paix (ONU, UA, UE, Organisations régionales).

Du point de vue du droit international, les interventions armées ne peuvent avoir lieu que dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, du moins pour les pays signataires.  De ce fait, elles interviennent soit sous la bannière des Nations Unies, soit sous son autorité, soit sous sa permission. Parallèlement, l’Union Africaine et les Organisations de coopération sous-régionales[3] se sont dotées de mécanismes et de documents stratégiques de maintien de la paix ou de recherche de la stabilité. Ces dispositifs juridiques, alliés aux organes institutionnels[4] n’ont pas favorisé un niveau de réactivité acceptable face aux défis sécuritaires engendrés par les conflits de plus en plus multiformes et imprévisibles.  

La situation du Mali durant l’offensive des rebelles de l’AZAWAD et des Islamistes suite au coup d’Etat en 2012 est une illustration récente de l’échec desdits dispositifs.  Malgré la formation de l’AFISMA, – dont l’objectif était d’endiguer l’avancée des rebelles dans le nord du pays et des islamistes vers Bamako, – les forces non loyalistes n’ont eu aucun mal à gagner jour après jour les territoires désertées par l’armée loyaliste. Il a fallu le déclenchement de l’opération française Serval pour neutraliser les différents groupes armés qui ont mis l’Etat à terre, avant la création de la MINUSMA. Cette absence de réactivité – malgré l’existence de la Force Africaine en Attente, un Système continental d’alerte précoce et une Capacité de déploiement rapide – des organes et mécanismes institutionnels de maintien de la paix montre l’urgence pour l’Afrique et ses partenaires de se doter d’outils de coopération cohérents, rapides et coordonnés pour faire face à des situations sécuritaires de plus en plus complexes dans des pays en construction.

Des efforts soutenus dans la résolution des conflits et la recherche de la paix en Afrique

On remarque cependant que les pays africains, l’UA et leurs partenaires (ONU, UE, France, Royaume-Uni, OTAN) ont déployé des efforts considérables en faveur de la résolution des conflits sur le continent[5], contrairement à la pratique de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), qui consistait à s’impliquer le moins possible dans les affaires internes des Etats, en application du principe de non-ingérence. Ce volontarisme remarqué, a permis de mettre en place des opérations telles que, UNAMID au Soudan, MISCA/MINUSCA en Centrafrique, AMISOM en Somalie, ECOMICI/MINUCI en Côte d’Ivoire, AFISMA/MINUSMA au Mali ainsi qu’AMIB au Burundi.

Sur la scène continentale, L’UA et les organisations régionales se sont également dotées de mécanismes juridiques et institutionnels destinés à répondre efficacement aux conflits. Le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA (CPS), , la Capacité africaine de déploiement rapide de la Force Africaine en Attente, la Capacité Africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) ou encore le Mécanisme de gestion, de prévention et de résolution des conflits de la CEDEAO, et l’Architecture de Paix et de Sécurité dont s’est doté le COPAX (Conseil Paix et Sécurité de l’Afrique Centrale) de la CEEAC, sont autant d’indicateurs de la volonté des Etats de répondre aux crises sécuritaires qui surviennent sur le continent. Depuis 2008, l’UA a signé un Protocole d’Accord sur la coopération pour la paix et la sécurité avec les organisations d’intégration africaines qui s’appuie sur le principe de subsidiarité pour opérer une division du travail entre acteurs internationaux. Dans plusieurs foyers de tension, l’UA a su faire prévaloir un avantage comparatif certain dans le cadre de la réponse aux conflits. C’est le cas avec l’AMIS en 2004, l’AFISMA en 2012 et la MISCA en 2013. La CEDEAO avec l’ECOMOG, avait par le passé démontré sa volonté d’intervenir dans les pays membres secoués par des conflits, comme ce fut le cas notamment au Libéria et en Sierra Leone, dans les années 1990.

Lorsqu’elles ne s’éternisaient pas comme en Somalie (AMISOM), les missions de maintien de la paix de l’UA préparent le terrain à celles de l’ONU, après qu’une relative stabilité ait été atteinte[6].  L’Union Africaine a ainsi gagné en expertise dans le cadre des missions de stabilisation ; le respect des accords de cessez-le-feu étant de l’apanage de l’ONU. La doctrine de l’organisation continentale se révèle donc plus offensive que celle des Nations-Unies. L’UA a également développé des partenariats à l’instar de l’Accord-cadre pour un Partenariat renforcé pour la paix et la sécurité signé avec l’ONU en 2014.  Le dialogue s’est accru entre le Conseil de sécurité de l’ONU et celui de l’UA en ce qui concerne les zones de conflit (Le Mali est un bon exemple). La présence d’un Représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU au siège de l’UA en Ethiopie témoigne de ce besoin de coordonner les actions. Cette collaboration s’est illustrée lors de la transition entre différentes missions en Centrafrique, où la MINUSMA (ONU) a remplacé la MISCA (UA), elle-même ayant pris le relai de la MICOPAX (EEAC) dans de bonnes conditions de coopération.

Cependant, dans des environnements sécuritaires difficiles, des insuffisances sérieuses sont nées dans la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix par les différents acteurs. Ces insuffisances tiennent principalement au manque de collaboration, de coopération, et de division du travail entre les parties prenantes. Une étude approfondie sera consacrée à ce fait dans une seconde partie.

                                                                                                                             

                                                                                                                                                                                        Mouhamadou Moustapha Mbengue

Article mis en ligne le 10 novembre 2016


[1] Paul D. Williams, Peace Operations in Africa. Patterns, Problems and Prospects. George Washington University.

 

[2] Afrique du Sud, Angola, Burkina-Faso, Burundi, Comores, Côte d’Ivoire, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Libye, Mali, Maroc/Sahara Occidental, Mozambique, Namibie, Nigéria, Ouganda, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan/Soudan du Sud, Tanzanie, Tchad, Zimbabwe. 

 

[3] La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) ; la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD) ; le Marché commun pour l’Afrique australe et orientale (COMESA) ; la Communauté est-africaine (EAC) ; l’Autorité inter-gouvernementale pour le développement (IGAD) ; la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) ; et l’Union du Maghreb arabe (UMA).  

 

[4] tels que la Commission Paix et Sécurité de l’UA, le Conseil de Sécurité de l’ONU, le Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits de l’UA ou encore l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité,

 

[5] Plus de 40 000 troupes ont été envoyées par les Etats dans les opérations de maintien de la paix, hors Soudan.

 

[6] NUPI (2015), Options stratégiques pour l’avenir des opérations de paix africaines, 2015-2025.

 

A la recherche d’une justice internationale : l’Afrique et la CPI

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Cette « cour pénale africaine », qui est voulue comme une réponse au biais de la CPI en Afrique, souffre des mêmes manquements et restera comme celle-ci sous l’influence des intérêts politiques des États. Le Sommet de l’Union africaine à Malabo (juillet 2014) a entériné la mise en place d’une Cour africaine de justice et des droits de l’homme. La création de cette Cour termine un processus enclenché par le Protocole sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adopté en juin 1998 à Ouagadougou et entré en vigueur en 2004. Mais elle  intervient dans le cadre d’une opposition de plus en plus vive entre certains dirigeants politiques africains, l’UA et la Cour pénale internationale (CPI).

L’idée que la CPI ne s’intéresse qu’aux Africains se retrouve dans plusieurs discours. Depuis sa mise en œuvre en 2002, la CPI a inculpé une trentaine de personnes, toutes africaines. A cet égard, elle est régulièrement accusée d’être un instrument néocolonial, ayant un biais envers l’Afrique et les leaders politiques africains. Ce sentiment aurait pu être considéré comme marginal et relevant de la partisannerie politique si l’UA et nombre de leaders politiques n’avaient tenu des propos illustrant cette perspective. En 2013,l’inculpation du président kenyan Uhuru Kenyatta et de son vice-président William Ruto pour crimes contre l’humanité à cause de leur appui financier aux violences postélectorales de 2007-2008 semble avoir ravivé les tensions latentes entre l’UA et la CPI. En effet, l’organisation panafricaine avait déjà déclaré qu’elle ne collaborerait pas avec la CPI suite à l’inculpation du président soudanais, Omar el-Bechir en 2009. Le  sommet d’Addis-Abeba d’octobre 2013 a constitué un épisode de plus dans le divorce entre les deux institutions puisque l’ordre du jour était marqué par un éventuel retrait collectif des États africains de la CPI. Même si un retrait massif n’a finalement pas eu lieu, la mise en œuvre de la nouvelle Cour de justice, qui sera compétente pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes d’agression, vient couper l’herbe sous le pied de la CPI.

Il est vrai que le poids des pays occidentaux sur le financement de l’organisation (60% du budget provient de l’Union européenne) et sur la nomination des juges peut leur donner une influence plus que raisonnable sur ses activités. C’est l’opinion du professeur ougandais Mahmood Mamdani qui considère que la CPI est trop sous influence de l’Occident et qu’on assiste à du « déjà-vu » avec la place qu’occupe le continent noir dans les travaux de ladite cour, au vu des relations historiques entre l’Europe et l’Afrique. Toutefois, cette vision négative ne résiste pas à une analyse plus poussée. Il est vrai que la CPI est défaillante sur plusieurs points. Le Conseil de sécurité de l’ONU peut lui demander de se pencher sur les activités qui peuvent être qualifiées de « crimes de guerre, contre l’humanité et d’agression » alors que trois de ses cinq membres permanents n’ont pas signé ou ratifié son traité fondateur, le Statut de Rome. Ainsi, les États-Unis, la Chine et la Russie influencent ou entravent, selon leurs intérêts politiques, l’activité de la CPI, sans pour autant la reconnaître légalement. Les récentes joutes au sein de ce Conseil a propos de l’implication de la CPI dans le conflit syrien montrent assez bien la dimension politique que l’institution a acquise en étant un instrument passif de ces États.

Mais dans le contexte africain, les critiques oublient souvent que la CPI ne s’est autosaisie que dans le cas du Kenya. L’ancien procureur, Luis Moreno Ocampo, avait décidé d’enquêter sur l’implication d’Uhuru Kenyatta et de William Ruto dans les violences postélectorales de son propre chef. Il est vrai que Kenyatta et Ruto ne sont pas les seuls hommes politiques au monde sur qui pèsent des soupçons d’incitations à des violences de masse. Dans la grande majorité des autres procès contre des citoyens africains, ce sont les États du continent qui ont eux-mêmes référé ces individus au tribunal de la Haye parce que leurs juridictions nationales sont incompétentes pour juger les crimes en question. Laurent Gbagbo a été inculpé par la CPI parce que le gouvernement ivoirien a transmis son dossier d’accusation à cette cour.  Il en est de  même pour la multitude de chefs rebelles congolais traduits dans cette instance. Sans une collaboration des États africains et de ces mêmes leaders qui vilipendent la CPI, cela n’aurait pas été possible.

Le maintien des charges contre Kenyatta et Ruto est problématique étant donné qu’ils constituent les deux plus hautes autorités étatiques du Kenya.  Où s’arrête la souveraineté nationale et où commence le droit à la justice ? Comme dans le cas de Laurent Gbagbo, les procès de ces deux hommes d’État sont fortement politisés et divisent bien souvent les citoyens de leurs pays respectifs. Ces trois personnalités sont ainsi bien différentes de celles dont la CPI avait jusqu’ici l’habitude : les premières personnes inculpées avaient rarement le même capital politique pour combattre une instance de justice internationale, plus axée sur les principes que sur le monopole de la violence, trop dépendante de la volonté des États et de leurs intérêts stratégiques pour rendre une justice véritablement impartiale.

La Cour africaine pour la justice et les droits de l’homme nouvellement créée semble répondre à ce contexte de tensions entre les chefs d’État africains et la CPI. Cette cour pénale ne devrait être opérationnelle que dans quelques années, mais le fait qu’elle ait été votée presque à l’unanimité (seul le Botswana a voté contre) est un signal assez fort envers la CPI. Le principe de subsidiarité fait de la CPI une cour de dernière instance qui ne s’occupe que des crimes pour lesquelles les justices nationales sont incompétentes. L’UA coupe ainsi l’herbe sous le pied de la CPI ; mais d’ores et déjà, on peut douter de l’engagement des États d’Afrique envers une justice continentale transparente et  vraiment juste. Une clause de ce nouveau Protocole accorde l’immunité aux chefs d’État durant leur mandat et aux « hauts fonctionnaires » en exercice. Uhuru Kenyatta, William Ruto et Omar el-Bechir ne seraient pas poursuivis par cette Cour, en dépit des sérieuses accusations de crimes contre l’humanité qui pèsent sur leurs têtes.

De plus, vu la propension des chefs d’État du continent à ne céder le pouvoir que lorsqu’on leur force la main, il est à craindre que cette clause ne soit une incitation à s’accrocher encore plus au pouvoir. Cette clause et cette cour constitueraient ainsi des obstacles à la consolidation démocratique que l’Afrique connaît depuis le début des années 1990. De plus, les États africains ne se sont pas distingués par leur engouement pour une justice africaine internationale. Le Protocole sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été signé en 1998, mais n’a été ratifié que par 15 pays sur les 53 membres de l’UA.

Toute cette controverse nous renvoie au débat sur la possibilité d’une vraie justice internationale. Tiraillée entre les considérations juridiques et la morale, elle dépend au final de la bonne volonté politique des États et de leur puissance pour sa mise en œuvre.  La Cour africaine de justice et des droits de l’homme sera confrontée aux mêmes problèmes et aux mêmes critiques que la CPI, à laquelle elle semble se substituer en ce qui concerne l’Afrique. Le poids politique des États et des leaders déterminera toujours leur position face à cette cour. Au final, les États africains vont reproduire les mêmes attitudes que celles qu’ils reprochaient à la CPI. Apres tout, la partialité est inhérente à tout mécanisme qui se base sur des considérations politiques et sur des intérêts nationaux.

Ousmane Aly Diallo

L’Afrique centrale a-t-elle un problème avec la démocratie ?

Internet coupé, écemac-chefs_0lections contestées et violences ; la présidentielle du 27 août au Gabon a de tristes airs de déjà-vu. Comme si se rejouait cinq mois plus tard la mauvaise pièce du Congo voisin, à Brazzaville, où le président Sassou Nguesso a été lui aussi réélu dans des conditions controversées, après un scrutin du 20 mars peu crédible de l’aveu de l’Union Européenne et entaché “d’irrégularités généralisées” selon les Etats-Unis.

Le vent des alternances qui souffle en Afrique de l’Ouest, du Burkina au Bénin, n’a donc pas atteint l’Afrique Centrale, protégée semble-t-il par un drôle de microclimat. Bien sûr la région n’a pas le monopole du pouvoir autoritaire et du trucage électoral et les pays qui la composent ont leurs dynamiques propres. Mais de la Guinée équatoriale d’Obiang Nguema au Congo de Sassou Nguesso, en passant par le Gabon d’Ali Bongo et le Cameroun de Paul Biya, les similitudes sont troublantes jusqu’à faire de l’Afrique centrale “le cœur des ténèbres de la démocratie”, selon Achille Mbembé ?

Filles et fils de

D’abord, le pouvoir reste une affaire de famille et de clan. Les “filles et fils de” sont vice-président (en Guinée équatoriale), députés (au Congo), responsable du secteur pétrolier (encore au Congo), ou encore président comme au Gabon où Ali a succédé à son père Omar Bongo en 2009.

La présidentielle gabonaise version 2016 est un cas d’école avec un duel entre le sortant Ali Bongo et son ex-beau-frère, Jean Ping, ancien mari de Pascaline Bongo et qui fut également plusieurs années ministre d’Etat, sous le règne de Bongo père. Avec pour compliquer le tout, des relations familiales parfois transfrontalières, comme entre le Congo et le Gabon où Omar Bongo, avait pour épouse Edith Sassou Nguesso, la fille du président congolais.

37 ans en Guinée équatoriale comme en Angola, 33 au Cameroun, 32 au Congo-Brazza, les chefs d’Etat se livrent en outre à un véritable concours de longévité au pouvoir. Sur ce point, il faut l’admettre l’Afrique centrale n’est pas seule. Songez à Yoweri Museveni en Ouganda (30 ans), Robert Mugabe au Zimbabwe (28 ans, si l’on ne compte pas ses années à la primature) et Omar el-Béchir au Soudan (27).

La classe politique et la société civile y sont aussi extrêmement fragmentées et fragilisées par la force centrifuge du chef de l’Etat et de ses richesses. Interrogé par l’Afrique des idées, le philosophe Achille Mbembe dénonce ainsi “des systèmes de chefferie, où on règne sur des captifs ou au mieux sur des clients” et “une captation des élites dans une économie du désir et de la parure”.

Rentes et corruption

Autre critère fondamental, la plupart de ces régimes fonctionnent grâce à l’exploitation des ressources naturelles, notamment pétrolières, avec une économie peu diversifiée et un système de rentes, favorable à la corruption et à la confiscation des richesses.

L’exploitation du pétrole est au cœur de l’économie du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la Guinée équatoriale, déstabilisés d’ailleurs par la chute des cours ces derniers mois.

Et ce sont ces mêmes trois pays qui sont les premiers visés par la fameuse affaire des biens mal acquis où des ONG accusent des chefs d’Etat et leur entourage d’avoir détourné de l’argent public pour acquérir de luxueux biens privés.

“C’est une région où la corruption et la vilénie ont atteint des proportions transnationales, dans la mesure où ce sont des régimes soutenus par des forces économiques internationales et des acteurs politiques transcontinentaux”, déplore encore Achille Mbembe.

Enclavement et relations incestueuses

Malgré la présence de ces entreprises multinationales, l’intellectuel camerounais insiste sur le relatif isolement des populations d’Afrique Centrale, où “les pays sont les plus enclavés de la sous-région. En Afrique de l’Ouest, vous voyagez avec votre carte d’identité du Sénégal au Bénin. En Afrique Centrale, on ne peut pas circuler librement”. De quoi être à l’écart des dynamiques politiques et intellectuelles en cours sur le continent.

Dans la pratique, le Cameroun a bien été à l’initiative d’un passeport biométrique CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) en 2014 censé permettre de se déplacer d’un pays à l’autre sans visa, mais encore faut-il que les services d’immigration soient à la page.

La région reste en marge des grands carrefours de circulation du continent, avec un taux de bitumage des routes encore très faibles et pour ce qui est des lignes aériennes internationales, dans le cas de Libreville (Gabon) et Brazzaville (Congo), une polarisation vers l’ancienne puissance coloniale, la France. Pour ces deux pays, la question de la relation ambigüe avec la France tient encore une place centrale dans la vie politique, avec des nuances toutefois.

Au Gabon, la passation de pouvoir d’Omar à Ali Bongo en 2009, a amené une forme de rééquilibrage des relations et tourné en partie la page d’une “Françafrique” dont Omar Bongo était un des piliers. En contestant sa défaite, l’opposant Jean Ping en appelle à la France, en regrettant une forme de “non-assistance à peuple en danger”, comme si inévitablement, le rôle d’arbitre revenait à Paris.

Au Congo, Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir en 1979, reste lui un héritier de ces relations incestueuses franco-africaines où se mêlent diplomatie classique et réseaux d’influence parallèles. En témoigne l’embarras de l’Elysée au moment du référendum organisé dans le pays pour permettre au président de se représenter à un nouveau mandat.

Vers une recomposition politique ?

Faut-il pour autant résumer ces pays à des pétro-Etats dynastiques condamnés à échapper à la démocratie ? En se focalisant sur le scrutin présidentiel, le risque est de passer à côté des mouvements à l’œuvre au sein des différentes sociétés.

Malgré la crise gabonaise, un historien comme Jean-Pierre Bat soutient qu’une recomposition politique est bien en cours dans le pays depuis 2009. L’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo coïncide selon lui avec une série de ruptures sur le plan diplomatique mais aussi intérieur avec une fragmentation du clan Bongo et de l’autre côté une opposition mieux organisée qui est parvenue à s’accorder sur une candidature unique en la personne de Jean Ping.

A Libreville, si certains médias gabonais ont été attaqués ou incendiés pendant la crise, les journalistes étrangers sur place ont plutôt reconnu qu’ils pouvaient quant à eux travailler sans difficulté et “couvrir les violences de façon libre”. 

“Ce qui me surprend le plus au Gabon, c’est la permissivité dont les forces de sécurité font preuve à mon égard. Savoir jusqu’où l’on peut faire son travail de journaliste sans être inquiété est souvent un bon baromètre du degré de démocratie dans un pays”, raconte ainsi le photographe de l’Agence France Presse (AFP) Marco Longari.

A l’inverse, au Congo-Brazzaville, les trois journalistes du quotidien Le Monde et de l’AFP qui s’étaient risqués à interroger le principal candidat de l’opposition, Jean-Marie Michel Mokoko, après la présidentielle, avaient aussitôt été agressés et dépouillés de leur matériel par des hommes se présentant comme des policiers.

Au Cameroun, au-delà de la longévité au pouvoir de Paul Biya, on pourrait souligner la plus grande diversification de l’économie ou les progrès faits en matière agricole.

Il faut aussi mettre en évidence l’ébullition politique et sociale dans les rues, avec la manifestation inédite d’octobre 2015 à Brazzaville, où les événements de 19 et 20 septembre à Kinshasa, dans la RDC voisine, réprimés par le pouvoir en place.

Il n’en reste pas moins que l’Afrique Centrale reste orpheline des changements politiques majeurs qui ont en partie changé la donne sur le continent ces derniers mois. “Cela prendra un moment, il faut qu’une dynamique s’enclenche”, analyse Achille Mbembe. “S’il y avait eu alternance au Gabon, cela aurait eu des répercussions inéluctables sur l’ensemble de la sous-région”, conclut-il.

                                                                                                          Adrien de Calan

Repenser la construction politique et socioéconomique en Afrique pour relever les défis sécuritaires

Lboko-harames attentats meurtriers qui ont frappé cette année la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Mali entre autres ; et la fronde continuelle que mènent les extrémistes de Boko Haram dans le nord du Nigéria n’ont pas seulement ému la communauté internationale et les politiques locaux. Ils ont aussi attiré l’attention du monde universitaire et des sphères de la défense de la sécurité sur ce que l’on a vite fait d’appeler les nouveaux défis sécuritaires liés au radicalisme dans la région. Mais si le radicalisme est un nouvel outil du grand banditisme en Afrique subsaharienne, ces défis sécuritaires n’en sont pas pour autant nouveaux, ni d’ailleurs les réponses que l’on y a jusque-là apportées.

Les extrémismes se nourrissent des extrêmes sociopolitiques et historiques

Il est nécessaire de définir les menaces dont il est question, et leur ampleur. L’Afrique subsaharienne est un vaste territoire de plus de six millions de kilomètres carrés habité par cinq cent millions d’âmes environ, et délimité en une vingtaine de pays à la géométrie très variable. Avec un PIB de moins de 1 600 milliards de dollars, et un PIB par habitant de 1 500 dollars (statistiques de la Banque Mondiale, 2015) la région a connu une croissance économique certes inégale selon les pays mais globalement positive (5-7% en moyenne de 2005 à 2015) et marquée par des mutations. Deux d’entre elles ont d’importantes conséquences au sein des populations.

La première est l’approfondissement du fossé entre les plus pauvres et les classes supérieures. Si dans certains pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Ghana l’on constate une émergence (quoiqu’encore timide) de classes moyennes, celle-ci ne rééquilibre pas pour autant l’arrogante différence de fortune entre des classes supérieures souvent proches des milieux du pouvoir, et une grande masse de populations vivant en dessous du seuil de pauvreté. L’explosion du secteur informel ces dernières années en est la conséquence cardinale, et, plus effrayante encore le chômage qui frappe de plein fouet les jeunes (environ 24% pour une jeunesse qui constitue 40% de la population de la région.).

La deuxième mutation qui a accompagné la croissance économique de ces dix dernières années dans la région, est l’essor des transports et des communications, incluant l’explosion et la diversification de leurs canaux. Ceci facilite certes des échanges commerciaux vitaux pour les pays, mais elle favorise aussi insidieusement l’apparition de zones grises – territoriales, légales, politiques ou idéologiques – avec une diminution relative du contrôle et de l’intervention des pouvoirs publiques, puisque ces zones grises s’installent par défaut là où les États se sont laissé dépasser par leur ère. L’exemple le plus intuitif de ce type de configuration est la vaste bande désertique du sahel qui a servi d’espace de nidification à la majorité des groupes terroristes de la région. D’autres exemples pourtant sont au moins aussi intéressants. Ils ont pour nom la faible règlementation d’internet, la propagation de rhétoriques visant à présenter les pouvoirs publics comme des adversaires ou des ennemis, la mauvaise connaissance par les pouvoirs publics des structures et valeurs sociales (tribales, claniques, systèmes de loyauté…) et de leurs populations.

Le point culminant du terrorisme en Afrique subsaharienne, souvent identifié à la sanglante hyperactivité du groupe nigérian Boko Haram, procède bien plus, de l’installation progressive de cette nouvelle donne et de son instrumentalisation par des idéologies extrêmes. Que l’on ne s’y trompe pas : le djihadiste d’Afrique subsaharienne qui se fait exploser en 2010 avait déjà ses armes et ses réseaux de ravitaillement dès les années 1980, et ceci est à peine une hyperbole. En effet l’idée souvent répétée que la chute du libyen Mouammar Kadhafi aurait ouvert à des réseaux terroristes dormants, les vannes de leur ravitaillement en armes et munition n’est que partiellement juste. Les conflits (larvés ou éclatés) qui ont secoué plusieurs pays de la région et l’intense activité criminelle (notamment dans les espaces frontaliers et dans la bande sahélienne où le contrôle étatique reste difficile) les ont nourris à une ampleur au moins égale autant en matériels qu’en hommes. Ces « ressources » ont permis l’installation de mafias dominant divers trafics (matières premières, drogues, armes…) et tirant profit de l’apparition des zones grises mentionnées ci-dessus, à une vitesse infiniment supérieure à la capacité d’adaptation des mécaniques administratives des États de la région. Ce n’est pourtant pas les réponses apportées par les États qui manquent.

Une réponse globale… pour un problème plus global qu’il n’y paraît

Depuis 2009 et les premières vagues d’attentats systématiques dont de nombreuses villes du Nigeria, du Tchad ou du Niger ont été le théâtre, les gouvernements ont progressivement investi dans la sécurité des personnes et des biens. Un investissement qui passe notamment par l’accroissement des budgets de défense nationale (lesquels, de 2010 à 2015 passent par exemple de 690 à 738 millions de dollars au Tchad ; de 115 à 194 millions de dollars au Ghana ou de 1 724 à 2 075 millions de dollars au Nigeria, selon les statistiques du SIPRI), et par la collaboration sur une base régionale, des services de police. Le dernier né de ces mécanismes de coopération policière, AFRIPOL créé sous l’égide de la Commission de l’Union africaine et basé à Alger, est attendu pour être opérationnel en 2017. Ces efforts témoignent sans doute de la bonne volonté de ces États de garantir la sécurité de leurs populations, mais encore, faire face aux défis du terrorisme dans la région. Ce qui reviendrait en priorité, à faire face aux paradoxes qui l’ont nourri et qui l’entretiennent.

D’abord et avant tout – et il n’est pas inutile de le répéter – il est urgent de couper les sources de ravitaillement des groupes terroristes concernés. Cette démarche globale nécessite que les pays de la région soldent leur histoire récente faite de conflits qui ont souvent accentué la porosité des frontières, la circulation illégale des armes et l’entretien de trafics lucratifs dans des régions entières où le contrôle étatique s’est affaibli. Depuis la fin de la deuxième guerre civile en Sierra-Leone en 2002 par exemple ; plus de 50% de jeunes Sierra-Léonais anciens enfants soldats, sont encore désœuvrés. Et au Liberia ils sont plus de 100 000 jeunes ex-combattants en attente d’insertion sociale. Ce phénomène de jeunes actifs plus ou moins aptes au maniement des armes, rendus vulnérables par le chômage et la pauvreté et exposés aux idéologies extrémistes constituent un immense vivier de recrutement et de radicalisation pour les groupes terroristes. Une enquête de la Banque mondiale réalisée en 2015 donne d’ailleurs une valeur chiffrée à l’ampleur du risque : environ 40% des jeunes personnes qui rejoignent des mouvements rebelles et terroristes seraient motivés par le manque d’emploi.

Ensuite, il est intéressant de noter que l’on ne tire pas encore suffisamment profit des particularités de la région qui pourraient servir d’outils dans la définition des politiques publiques relatives au risque terroriste. L’une des plus importantes est d’ordre territorial. D’un point de vue sociologique et eu égard au passif historique commun, la relation des populations d’Afrique subsaharienne aux frontières de leurs États est ambivalente : elle résulte de la transversalité de certains groupes ethniques, socioculturels ou religieux et entraîne en conséquence, la perception qu’au-delà de ces limites administratives, celles-ci ont les mêmes réalités et les mêmes défis en partage. Cette conception a souvent été analysée comme un frein culturel à l’expression de l’autorité de l’État et comme l’une des raisons de la difficulté de lutter contre la petite délinquance en particulier dans les zones frontalières. Elle constitue pourtant une base pertinente pour l’atteinte des objectifs de « mutualisation » du renseignement et de la coopération policière entre les États, puisqu’il est établi que plus de 70% du renseignement policier est d’origine citoyenne.

Enfin, la dimension policière et militaire de la lutte contre les terroristes paraît la plus complexe à mettre en place en raison notamment de l’extrême variabilité des théâtres d’opération probables, et de la nature même de la menace en ce qu’elle est diffuse dans un tissu populaire susceptible d’être totalement ignorant de son existence. Il paraît ainsi plus judicieux qu’elle s’exprime par un meilleur arbitrage des outils en appoint aux efforts policiers et militaire, renseignement, lutte contre la criminalité financière, renforcement de la fiabilité des états-civils… En somme, une plus ferme implantation de l’autorité des États sur la totalité de leurs territoires, ceux-ci incluant notamment les zones grises qui représentent les premières niches de terrorismes. Et il semble que la plus imprécise d’entre elles est immatérielle : internet. 

                                                                                                                     Claude BIAO

Article mis en ligne le 29.09.2016

Achille Mbembe, remède à la “fétichisation de l’identité”

achille-mbembe_1A près de 60 ans, l’intellectuel camerounais Achille Mbembe se livre à un travail aussi ambitieux que périlleux. Tracer les lignes de force d’un monde inquiétant où l’heure est à la haine de soi transformée en rejet de l’autre, à la “fixation imaginaire sur l’étranger, le musulman, la femme voilée, le réfugié, le juif ou le nègre”. Pour lui, c’est bien un désir d’apartheid qui est à l’œuvre dans les sociétés contemporaines et qui trouve ses origines dans la construction des démocraties libérales et leur adossement au fait colonial.

Mbembe démonte méticuleusement les phobies racistes et tente de leur opposer une “pharmacie”, inspirée du travail du psychiatre martiniquais Frantz Fanon: de sa pratique des soins dans l’Algérie des années 50 et de ses textes brûlants contre la colonisation. Pour l’Afrique des idées, il revient sur son dernier essai Politiques de l’inimitié paru en mars dernier, avant un grand colloque au Sénégal, à Dakar et à Saint-Louis (27-31 octobre), où seront rassemblés une vingtaine d’intellectuels du continent, au cœur de ce renouveau de la pensée africaine.

L’heure, écrivez-vous, est au rejet de l’autre et à la généralisation de l’état d’exception. Que désignent ces “politiques de l’inimitié” qui donnent son titre à votre ouvrage ?

Le projet consistait à prendre la mesure d’un temps du monde qui me paraît dominé par le désir de violence et l’accélération des instincts guerriers. Depuis les attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis, l’état d’exception est devenu plus ou moins la règle, et avec lui la demande et l’obsession de l’ennemi. Pour ce qui nous concerne, les gens du Sud, je voulais retracer les origines historiques de cette hostilité, ces moments où le politique en vient carrément à faire de la gestion de l’hostilité et non plus de mise en lien des individus.

Vous expliquez que cette violence était déjà en germe historiquement dans les démocraties libérales. Mais qu’elle avait lieu dans la colonie ou au bagne, loin des regards…

Il s’agit de repenser la démocratie en tant que forme ultime, dit-on, de gouvernement des humains. Or une relecture historique de la démocratie moderne, libérale en particulier, permet de montrer que le système s’est constitué sous la forme d’une démocratie des semblables. Il n’y a pas de démocratie autrement que pour ceux qui sont semblables les uns aux autres. Ce fut le cas pendant très longtemps aux Etats-Unis à l’époque de la traite des esclaves, ce fut le cas en Europe au moment des conquêtes coloniales. Les démocraties, historiquement, ont toujours eu besoin d’un tiers-lieu à l'extérieur d’elles-mêmes, où elles pouvaient exercer une violence sans réserve contre ceux qui avaient été décrétés comme n’étant pas des leurs. Le moment colonial fait partie de tout cela.

Pourquoi centrer l’analyse sur les démocraties libérales ? Cette inimitié n’est-elle pas le propre de tout Etat, d’une communauté nationale qui se construit par rapport aux autres ?

C’est en effet propre à la forme Etat, et surtout à l’Etat-nation, qui comme son nom l’indique est un Etat pour les nationaux, pour ceux dont nous pensons qu’ils sont comme nous. Mais je m’intéresse de façon privilégiée aux démocraties libérales, parce qu’en fin de compte, je ne vois pas d’autres espoirs au-delà de la démocratie. Or dans le dernier quart du 20e siècle, la démocratie dont on pensait qu’elle allait triompher de toutes les autres formes du politique est soumise à un processus sinon de délitement, en tout cas d’inversion. Le conflit entre le capitalisme et la démocratie a atteint des niveaux sans précédent. Il n’est plus du tout évident qu’une certaine forme de capitalisme, notamment financier, soit compatible avec la démocratie. Je me situe donc dans le prolongement des critiques récentes de cette forme de gouvernement dont beaucoup pense qu’elle est arrivée au bout de ses possibilités. Il faudrait réinventer sinon autre chose, du moins réfléchir à la manière dont on pourrait la réanimer puisque nous en avons besoin si nous voulons sortir du procès d’ensauvagement du monde auquel nous assistons, qui se traduit par des violences paroxystiques, irrationnelles, le terrorisme en étant une, mais une certaine forme de lutte contre la terreur en étant le pendant mimétique.

Vous en appelez à la pharmacie de Frantz Fanon ? En quoi la pratique qu’il avait en Algérie est-elle l'esquisse d'un remède ?

Fanon est un auteur assez dangereux… Je l’évoque parce qu’il a bien compris, peut-être mieux que tous les théoriciens de la lutte anticoloniale, comment est-ce que la violence était à la fois un remède et un poison. L’évocation de Fanon ne vise pas à l’ériger en maître auprès duquel on se précipiterait pour trouver des solutions à nos impasses actuelles. Je parle de lui parce qu’il me semble figurer de manière très dramatique les tensions pour la plupart insolubles auxquelles nous sommes confrontés.

Fanon avait un rapport plutôt décomplexé à la violence et à la radicalité. Quelles en seraient les applications concrètes aujourd’hui ?

La violence chez Fanon joue un rôle cathartique dans le sens où elle permet au sujet colonisé de sortir de son état d’objet : si je paraphrase Fanon, ne serait-ce que parce que le sujet en vient à réaliser que le sang qui coule dans les veines du colon a la même couleur que le sien. Donc qu’il y a une similarité essentielle, fondamentale entre l’un et l’autre. La violence permet de réveiller l'assujetti de son sommeil. Mais elle a aussi une fonction tellurique. Elle agit comme un tremblement de terre qui permet de détruire le système colonial et raciste sur les ruines duquel on peut éventuellement imaginer un ordre nouveau.

Mais ce qui m’intéresse ce n’est pas vraiment cette dimension mythologique de la violence, mais le fait que le même Fanon, qui en appelle à la violence, est celui qui est très attaché à ce que j'appellerais la politique du soin. C’est ce même Fanon qui est prêt à se pencher sur les troubles psychologiques qui déchirent le policier tortionnaire qui passe son temps à torturer les nationalistes algériens. C’est cette double dialectique de la violence et du soin qui m’intéresse d’un point de vue intellectuel.

Pour résister à cette inimitié, votre proposition est celle d’une éthique du passant. De quoi s’agit-il ?

Il y a derrière l’idée du passant toute une réflexion cosmologique sur “qui sommes nous ?” et comment peut-on définir les humains en relation avec une histoire très longue de l’univers où l’espèce humaine n’est qu’une petite ponctuation, une espèce parmi d’autres. Il me semble que l’une des caractéristiques fondamentales de l’humain est d’être là provisoirement, de passage. Nous ne choisissons pas le lieu de notre naissance, c’est un choix qui est fait par d’autres. Ce que nous choisissons, c’est le type de rencontres que nous faisons chemin faisant, et c’est ce que nous faisons de ces rencontres.

Si on la prenait vraiment au sérieux, cette figure du passant nous permettrait d’ouvrir des perspectives nouvelles sur la question des identités et la fétichisation de l’identité à laquelle on assiste. Elle nous permettrait aussi de penser autrement la forme de l’Etat-nation qui est devenu une prison. Elle nous offrirait surtout, à l’ère où la mobilité s’accélère partout, de penser autrement la question des migrants, de celui qui est de passage, et des formes du droit qui pourraient être inventées pour confronter ces processus qui alimentent tant de peurs.

La figure du passant n’est-elle pas réservée à des privilégiés qui ont cette capacité de voyager et de rencontrer l’autre ?

Pas du tout. Si on se limite aux gens en mouvement, aux réfugiés, à tous ceux qui sont obligés de quitter leurs lieux de naissance, d’emprunter les chemins hasardeux sans garantie de destination, leur nombre va grandissant. La mobilité est devenue pour une grande partie de l’humanité la condition première de survie. Le drame aujourd'hui c’est de ne pas pouvoir bouger. Ce drame des millions et des millions de gens y sont confrontés. Le gouvernement de la mobilité est peut-être le défi majeur du 21e siècle. Faute de régler ce défi, de le confronter de manière humaine, nous finirons par multiplier les affres et les tragédies qu’on aurait pu éviter si on avait pris au sérieux cette affaire du passant et du passage comme fondement de notre humanité.

La tonalité de votre livre est plutôt inquiète. La dynamique intellectuelle à l’œuvre en Afrique n’est-elle pas de nature à rassurer ?

Si, absolument. Il y a une ébullition intellectuelle et artistique dans plusieurs disciplines, de la littérature à la danse en passant par les arts plastiques et la critique philosophique. Il y a effectivement un énorme mouvement dont l’ampleur, je crois, ira croissante dans les années qui viennent. Que cela vienne des gens du continent ou de la diaspora. Cette ébullition, son lieu de naissance, c’est le mouvement, la mobilité, la circulation. Il y a une pensée de la circulation qui est en cours et que je qualifie, de mon point de vue, d’afropolitaine.

 

Propos recueillis par Adrien de Calan

Pour aller plus loin – Achille Mbembe, Politiques de l’inimitié, Ed. La Découverte, mars 2016.

 

Au Gabon, une élection pour rénover le logiciel politique du pays

Ali BongoLes près de 600 000 électeurs gabonais iront aux urnes le 27 août prochain pour choisir leur président de la République. Face au sortant, Ali Bongo Ondimba, candidat du Parti Démocratique Gabonais (PDG), ils étaient 13 opposants au départ avant que Casimir Oyé Mba et Guy Nzouba Ndama ne se retirent au profit de la candidature de Jean Ping.

Ce scrutin présidentiel est une échéance importante pour la jeune démocratie gabonaise. Sept ans après la mort du patriarche Omar bongo succédé par le fils « Ali », il faut saluer le respect du calendrier électoral et l’ouverture de la compétition à toutes les sensibilités politiques du pays.

Le Gabon est dans une dynamique qui rompt avec l’immobilisme qu’a caractérisé pendant trois décennies le régime d’Omar Bongo qui a adossé le modèle économique du pays sur la rente liée à l’extraction des ressources naturelles abondantes avec notamment le pétrole, les mines et le bois. Outre cette position de vulnérabilité du pays aux fluctuations des cours mondiaux de matières premières, le Gabon était miné par les inégalités sociales et la persistance de privilèges pour une élite corrompue qui s’enrichissait en toute impunité.

Une nette amélioration dans la gestion du pays a été constatée durant le premier mandat d’Ali Bongo à travers la mise en œuvre du Plan Stratégie Gabon Emergent piloté par le cabinet sénégalais Performance Group.

En sept années de gouvernance, les indicateurs macroéconomiques du pays se sont largement améliorés avec une croissance moyenne proche de 6%. Pour rappel, entre 2004 et 2008, celle-ci était en moyenne de 1,3% par an plaçant le pays à la 50ème place sur les 53 du continent.

La diversification de l’économie est aussi en chantier afin de sortir de la dépendance du pétrole avec des investissements public massifs à hauteur de 4579 milliards de FCFA entre 2010 et 2015 réalisés, contre 4326 milliards de FCFA entre 1980 et 2009. En termes d’emplois, le pays, depuis 2009, a créé 60 000 emplois (24 000 dans le secteur privé et 36 000 pour le secteur public).

Au regard de ces données, il est indéniable que le pays est sur une trajectoire positive contrairement aux décennies précédentes. Cela dit, les chantiers en matière d’inégalité sociale demeurent. La lutte contre la corruption doit être accentuée au même titre que l’accès aux services sociaux de base pour une grande frange de la population gabonaise.

La bonne santé économique affichée par le pays doit également être un moteur pour le renforcement de sa démocratie. L’échéance du 27 août revêt donc une importance particulière pour le Gabon. Au delà du duel annoncé entre Ali Bongo et Jean Ping, c’est le logiciel politique du pays qui doit être rénové.

Le Gabon est une drôle de démocratie comme il y en a souvent en Afrique. L’opposition existe et peut participer à toutes les compétitions électorales mais sa capacité à peser dans un espace public est annihilée par le PDG, qui domine entièrement l’espace. En outre, elle subit un discrédit lié aux vieilles figures qui la représentent et qui refusent toute alternance générationnelle à la tête des appareils. Ainsi, devant un Ali Bongo qui fait campagne sur le bilan de 7 années de mise en œuvre du PSGE, les leaders de l’opposition ont d’abord joué la carte identitaire en fustigeant sa nationalité gabonaise. Ensuite, devant l’échec de cette stratégie, ils font campagne avec une légèreté et une impréparation assez surréalistes pour un scrutin aussi sérieux pour le futur du Gabon.

Le Gabon est malade de ses élites dont la majorité a joué un rôle dans le pillage pendant plusieurs décennies du pays. Parmi elles, certaines ont rejoint le camp de l’opposition dans laquelle elles incarnent un passé rédhibitoire à la jeunesse gabonaise.

Une autre partie de cette élite est encore dans les rangs du parti au pouvoir, aux cotés d’Ali Bongo, rendant ainsi sceptique l’effectivité de la transformation sociale en profondeur du pays qui devrait être marquée par la fin des privilèges et le culte du mérite.

A Port Gentil, Ali Bongo a, dans un discours offensif, appelé à une « révolution politique », une « révolution sociale » qui promeuvent « l’égalité des chances, le travail et le mérite ». Même si des actes ont été posés dans ce sens lors de son premier mandat, des efforts demeurent à faire afin de construire une société juste, égalitaire dans laquelle le partage des ressources sera équitable.

Les Gabonais voteront le 27 août, dans un scrutin à un seul tour et devront choisir entre Ali Bongo, favori compte tenu de la prime au sortant et de la machine du PDG, et son principal challenger Jean Ping qui a réussi à rallier des poids lourds autour de sa personne dont les deux anciens candidats Oyé Mba et Zouba Ndama ainsi que l’importante figure de l’opposition qu’est Zacharie Myboto.

En tous les cas, les acteurs politiques gabonais doivent préserver la paix dans le pays. Le vainqueur devra s’atteler à abréger les souffrances des Gabonais laissés en rade par les progrès économiques importants du pays sous Ali Bongo. Ce scrutin devra aussi mettre fin à un cycle entamé depuis la conférence nationale en 1991 et faire sauter le pays dans le wagon des démocraties modèles en Afrique.

Hamidou Anne

 

 

Pour un « new deal » entre l’Afrique et le monde : Croissance(s) partagée(s)

JPG_AfriqueCroissanceComment et pourquoi un continent longtemps réduit à être à la fois l’arrière-cour politique et le relais de croissance économique des puissances du monde devient graduellement l’épicentre de toutes les attentions commerciales et intentions de développement international ?

Plus de cinq décennies après des indépendances qu’il n’est point exagéré de qualifier d’autonomies circonstanciées et de forme, l’Afrique suscite aujourd’hui un intérêt gourmand voire avide en termes d’investissements internationaux et d’attractivité pour le business mondial.  Aujourd’hui, la capacité pour les pays africains, dans leur spécificité et globalité, réside dans l’émergence d’une génération décomplexée, habituée aux dynamiques de confrontation internationale en matière de gouvernance politique et économique. Ces Africains nouvelle tendance est suffisamment renseignée sur les circuits de décision internationaux et travaille à une intégration outillée du continent dans l’arène mondiale pour faire face aux enjeux de compétitivité internationale.

A l’ère de la mondialisation débridée, soumise à de multiples crises économiques, bouleversements politiques et réorientation du système et des valeurs de coopération entre les Etats, l’Afrique apparaît comme l’Eldorado de la croissance mondiale et le biotope des nouvelles énergies du monde à l’horizon 2050.

Cette nouvelle donne économique et géopolitique s’exercera t-elle au détriment du continent ?

Faire mentir l’histoire

Pour envisager sereinement l’avenir, convoquer le passé n’est pas une attitude de régression mais de compréhension des piliers qui ont permis d’implanter durablement des schémas politiques, économiques, sociaux et culturels en Afrique. La Conférence de Berlin de 1885 initiée par les conquérants coloniaux sous la houlette du Chancelier Bismarck consacrait le partage de l’Afrique et la mainmise impérialiste sur ces ressources considérées à l’époque comme démesurément illimitées. Cet acte fondateur de la ruée vers l’Afrique, prélude à la colonisation, donnait le signal d’un « gâteau africain » découpé en territoires physiques et géographiques mais aussi en viviers économiques et de rentes pour les puissances occidentales. La suite ne fut qu’une succession de « prises d’intérêt économique et de ressources vitales » à sens unique, asséchant le continent africain, souvent avec la complicité d’acteurs locaux habilités à jouer les auxiliaires de liaison entre le Nord et le Sud.

130 ans plus tard, l’Afrique est toujours au centre de toutes les attentions vues du Nord et même de l’Orient. La Chine complète le tableau des puissances classiques en quête de vitalité économique. Se joue depuis deux décennies au moins en Afrique une guerre économique avec des outils de concurrence féroce entre globalement la France, les Etats-Unis, les Anglais d’un côté et les Chinois qui, forts de leurs longs compagnonnages tiers-mondistes avec l’Afrique, souhaitent durablement s’installer en maîtres dans les secteurs stratégiques sur le continent. Ils ne sont pas les seuls mais restent sur les lignes de front les acteurs prédominants sur l’espace économique et politique africain.

Après la Conférence de Berlin, la colonisation, les indépendances, la guerre froide, et la néo-colonisation et maintenant le cycle nouveau des régimes « post- Chute du Mur de Berlin », que propose l’Afrique pour les Africains et au monde ?

A cet effet, la nouvelle génération d’Africains aguerrie aux mutations géopolitiques dispose d’un avantage imparable : une grande capacité d’adaptation aux transformations et changements culturels du monde d’une part et d’autre part la position ambitieuse d’acteurs et « influenceurs » de nouveaux modèles qu’ils soient économiques et politiques. Le changement de paradigme tient en un axiome : l’Africain des années 2000 fait précéder la vision pragmatique d’un continent émergent, avançant avec ses failles et ses attributs de satisfaction, avant la réalité hypothétique d’une Afrique forte à l’essor économique insolent et à la stabilité politique incontournable.

De quoi l’Afrique est-elle le nom ?

Le continent est aujourd’hui celui des progrès divers et variés sur l’éducation, la santé, l’agriculture, les technologies. A l’horizon 2050, sa démographie sera la plus importante au monde. Actuellement forte d’un peu plus du milliard d’habitants, elle sera la terre d’un habitant sur quatre dans le monde dans trente ans. De fait, c’est le territoire de toutes les consommations et donc des besoins et opportunités. Corrélativement, le continent est celui des ressources : une jeunesse de plus en plus qualifiée en quête de destin collectif, un patrimoine naturel riche en forêts, mers et terres arables et des atteintes climatiques amoindries par un environnement encore vert et préservé. Pour exemple, le deuxième poumon vert du monde après l’Amazonie est au cœur de l’Afrique.

Ces différentes implications placent l’Afrique, pour les puissances internationales et multinationales, comme la terre de tous les attraits car un accès à plus d’un milliard de consommateurs est à la fois source de croissance économique, d’impact culturel et rayonnement international et d’influence politique et géopolitique.

Ainsi, ce continent devenu fortement compétitif apparait de fait comme le champ de bataille économique et politique du monde. Il y a lieu de s’interroger sur les retours de croissance pour l’Afrique elle-même. Le postulat d’une Afrique imprégnée dans la guerre économique et les luttes d’influence, loin d’être démontré, est suffisamment intéressant à analyser comme un nouveau facteur du bouillonnement des relations internationales. Le développement du continent, encore inégalement réparti, déséquilibré du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, malgré des ressources enviées, souffre aujourd’hui de la démonstration objective d’une conscience politique et continentale affirmée.

Au-delà du romantisme sur l’afro-optimisme, l’émergence en action

Il n’est pas un jour où des professeurs de foi, débordants d’enthousiasme invitent à croire en l’Afrique-Lumière, celle sortie miraculeusement de ses ténèbres séculaires par la seule magie du vœu. Le progrès économique, le salut social, la stabilité politique ne peuvent être réduits à des incantations bienheureuses. Aujourd’hui, les référentiels sur les lendemains qui chantent de l’Afrique ne sont pas différents de ceux qui ont été à l’origine de l’émergence de la Chine, du Brésil, de la Turquie, de la Corée du Sud, de la Malaisie, et que savons-nous encore ?

Concrètement, l’Afrique ne peut s’analyser comme un bloc émergent, sujet aux aléas d’une éventuelle récession économique, d’une crise politique, d’un conflit géopolitique. Il existe plusieurs Afrique(s). Le Rwanda, le Maroc, dans une moindre mesure le Nigéria ou l’Afrique du Sud représentent aujourd’hui des points de satisfaction avec la précaution admise mais non souhaitée d’une rechute.

Ainsi pour garder le cap et demeurer compétitif sur les marchés internationaux, les pays africains pris spécifiquement ou dans leur globalité doivent répondre à un ensemble structurant de critères non-exhaustifs mais qui permettant d’établir un climat de confiance pour le monde des affaires. L’existence d’infrastructures routières et maritimes (autoroutes, lignes ferroviaires et fluviales) et de circulation des biens et personnes (aéroports, ports), des conditions politiques stables et la sécurité, une main d’œuvre qualifiée et des cadres techniques de haut-niveau, la réduction de la corruption, des systèmes de santé et académiques adéquats, des capacités d’accueil et d’hébergement aux standards internationaux sont quelques préoccupations pour tous ceux qui souhaitent investir et travailler en Afrique. Un pays doté de structures bancaires et d’assurances sécurisées, de circuits administratifs et institutionnels fluides et dynamiques est rassurant. Le Maroc est l’exemple le plus abouti qui cumule tous ces points ; ce qui en fait aujourd’hui un leader en Afrique et une porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne.

De fait, il est très important que les pays africains soient accompagnés, dans le cadre de l’élaboration de leurs politiques publiques et  économiques, de concepteurs d’outils méthodologiques et adaptés au contexte administratif et culturel sur le développement de stratégie internationale et de promotion d’investissements extérieurs. L’urgence de cellules d’expertise géopolitique, de veille et d’intelligence économique dans les administrations publiques et chambres de commerce, les ministères des finances, du commerce, du tourisme, des affaires étrangères, dans les ambassades demeure un impératif.

Intégration africaine, paix et croissance durable

La nouvelle génération d’Africains est consciente que ces enjeux de développement doivent prédominer tout débat d’émergence et créer les conditions d’un partenariat entre le monde et l’Afrique où la croissance est partagée de façon équitable. La seule obsession qui vaille le déploiement de toutes les énergies de Rabat à Pretoria ou encore de Brazzaville à Harare n’est pas de rattraper un quelconque retard économique sur d’autres blocs de la planète, mais de dessiner les passerelles qui mènent à une intégration économique inclusive. Cela implique aussi pour les 54 Etats l’urgence d’aboutir en définitive à une véritable Union Africaine qui disposera de moyens et ressources politiques afin de s’imposer dans cette insaisissable compétition internationale. Modernisation des procédures administratives et nationales, professionnalisation des formations et mobilisation des ressources humaines vers le même objectif à la fois défensif et offensif, diversification des partenariats et coopération sud-sud, réelle intégration africaine économique et politique permettront d’accéder à une légitime prétention, celle de faire face aux défis de ce monde virevoltant en assurant durablement la croissance économique et la paix.

Il y va de l’équilibre du continent et du monde.

Régis HOUNKPE

2016 : une année électorale pour l’Afrique

JPG_Elections1806142016 est une année qui fera date dans l’histoire des élections en Afrique. Plusieurs raisons peuvent être retenues à cela. Pas moins de 16 pays du continent ont à relever le défi de l’organisation d’élections crédibles, transparentes et démocratiques. Cela démontre bien l’apparition d’une nouvelle Afrique dans laquelle les électeurs demandent des comptes à leurs représentants, la société civile participe activement aux processus électoraux et les gouvernements vont aux élections. Il y a donc une évolution nette de la société politique africaine qui fait que désormais les citoyens sanctionnent les dirigeants lors de consultations électorales, les médias relaient les préoccupations. Les paradigmes anciens en faveur desquels l’Occident dicte sa politique aux pays africains sur les questions de gouvernance, et investit son secteur économique sans aucune appréhension citoyenne ont cédé la place à de nouvelles règles du jeu qui exigent une large participation politique en Afrique.  Cette situation nouvelle a cependant conduit les pays africains qui ont organisé des élections en 2016 à des résultats mitigés, entre certains pays où la participation est élevée et d’autres où elle est balbutiante. Les joutes électorales ont lieu dans un paysage politique contrasté et dans l’apprentissage démocratique.

Entre progrès…

On peut retenir plusieurs leçons de ces élections. D’une part les Africains n’attendent plus personne pour parler à leurs dirigeants à leur place. Auparavant, c’étaient les dirigeants occidentaux qui dictaient leur opinion à leurs homologues africains sans que les peuples ne réagissent. Les dénonciations d’élections truquées et de manque de démocraties provenaient de dirigeants européens ou américains, en plus d’ONG et d’organisations du système international. L’unité africaine était limitée à de vagues conférences au sommet, un syndicat de chefs d’État hyperpuissants qui ne craignaient rien. Ceci tend à s’éroder dans la nouvelle Afrique. Il faut désormais compter avec la force de résilience de la société civile et de l’opposition politique. Les Africains sont capables de mettre sur pied des gouvernements légaux et légitimes et de les renverser en cas d’abus de droits humains à travers des contestations sociales.  Les pouvoirs africains sont maintenant mis en face de leur responsabilité en cas de violation des droits politiques auxquels il faut désormais ajouter les droits sociaux et économiques. Les régimes issus des élections sont des régimes qui ne durent pas au pouvoir sur la simple volonté du Chef. Au Bénin, Boni Yayi a voulu positionner Lionel Zinsou sans succès, montrant les failles qu’il y a à imposer un chef non désiré par le peuple. Zinsou a été renvoyé à ses origines occidentales et a perdu une élection qu’il a eu tort de croire gagnée d’avance, face à son riche adversaire Patrice Talon qui a mis d’importants moyens dans la campagne présidentielle. Au Burkina Faso, la révolution populaire a résisté aux tentatives de récupération militaires et a permis la désignation d’un chef accepté par le peuple après une transition constitutionnelle.

A Djibouti et aux Comores, c’est la même verve électorale qui anime l’opposition et la société civile. Guelleh a du mal à se départir de la gangue corruptrice qui caractérise son régime ; et le pouvoir comorien doit se renouveler selon la Constitution du pays. Dès lors, les élections ont été l’occasion de renouveler la classe politique, même si des résistances apparaissent.

Dans certains pays, il a été plus difficile d’implémenter une participation réussie (sans heurts) de la société civile et de l’opposition aux élections. En République de Guinée, c’est l’opposant Cellou Dalein Diallo qui a contesté avec vigueur la crédibilité du scrutin, provoquant une réticence des organisations de la société civile à participer jusqu’au bout au processus électoral. Au Gabon, l’opposition a du mal à s’affranchir de la tutelle internationale car le pouvoir d’Ali Bongo a beaucoup d’arguments financiers à l’endroit de la communauté internationale qui le laisse gouverner calmement.

Le fils d’Omar Bongo n’a cependant pas la même carrure que son père ni la même capacité à diriger. Dans une moindre mesure, il lui sera plus difficile de tenir tête à ses adversaires parmi lesquels il faut compter l’ancien Président de l’Assemblée nationale qui a reculé au dernier moment lors de la dernière élection présidentielle malgré l’appel d’une bonne partie du peuple. Guy Nzouba-Ndama a démissionné de son poste de Président de l’Assemblée nationale et annoncé sa candidature à la présidentielle. Mais il ne suffit pas de se présenter contre un leader impopulaire ou non démocrate pour gagner une présidentielle, il faut aussi avoir une base sociologique passant par la société civile et démocratique. De son côté, l’ancien Président de la Commission africaine Jean Ping va catalyser une frange politique déçue par la gouvernance d’Ali Bongo composée d’anciens compagnons d’Oumar Bongo, ce à quoi il faut ajouter cette affaire de nationalité du Président qui s’est invitée dans le débat électoral et l’affaire des immigrés qui est encore une fois mal gérée par le pouvoir en place.

… et balbutiements

D’autre part, on retrouve des pays où la participation électorale est moins importante et la démocratie n’est qu’un balbutiement voire un leurre. En Somalie et à Djibouti, les observateurs en viennent à s’interroger sur la pertinence de l’existence d’une opposition si elle ne parvient pas à s’ériger en véritable défense contre la violation des droits humains. Au Congo et en Ouganda, Denis Sassou Nguesso et Yoweri Museveni  continuent à régner en chefs hyperpuissants de pays qui n’ont pas encore structuré une opposition organisée et capable de renverser le pouvoir en place. Cela est plus souvent possible lorsque l’opposition est adossée à une société civile bien organisée, et dans ces derniers pays cela n’est pas le cas.

En Somalie la tenue d’élections sera juste un épouvantail démocratique dans une Corne africaine très instable. L’environnement politique extrêmement précaire, la percée des Shebabs dans le pays et les Etats voisins comme le Kenya, l’affaiblissement continu de l’AMISOM, en font un pays au bord du gouffre, sinon en plein chaos. La reconstruction de l’Etat voulue par la communauté internationale y a connu un grand échec. Le semblant d’élections qui y est organisé ne sert qu’à apprivoiser les pions de la reconstruction étatique.

Au Djibouti, même si le cas n’est pas aussi grave, la cause était entendue. Guelleh ne souffre d’aucune contestation crédible, à peine certaines velléités opposantes, n’ayant aucun sérieux. Le système pluraliste, récemment introduit, n’a pas atteint une maturité nécessaire à la production d’une opposition sérieuse, encore moins de société civile solide. Le scrutin y a été sinon une mascarade, du moins un processus habillé d’apparats électoraux très symboliques.

Au Tchad c’est l’affaire Habré qui a peu ou prou risqué de mettre Idriss Déby en difficulté. Mais l’élection présidentielle était gagnée d’avance dans un jeu démocratique hypothéqué. La société civile ne joue pas ce rôle de contrepoids qu’elle a pu jouer dans d’autres pays. Dans un pays qui subit les attaques de Boko Haram et qui a décidé de se battre contre cette nouvelle menace, il est possible que le maintien d’Idriss Déby assure une certaine stabilité au pays.

D’autres pays connaissent une participation politique encore très rudimentaire, au égard au déroulement du processus électoral. En Ouganda, Besigye a décidé de lutter une quatrième fois contre un Museveni qui n’hésite pas à faire changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir qu’il détient depuis 1986. Là, aucune opposition sérieuse à Museveni et aucune société civile assez forte pour représenter une alternative pour inquiéter le pouvoir en place. En RDC, le fichier électoral est l’objet de vives luttes fratricides (internes au pouvoir) et internes à l’opposition.  Ce, d’autant plus que la date du scrutin n’est jamais stable (elle est repoussée plusieurs fois). L’article 70 de la Constitution est souvent brandi par le régime pour maintenir Kabila au pouvoir. La décision de la Cour Constitutionnelle qui permet à Kabila de rester au pouvoir jusqu’aux élections a poussé l’opposition à se radicaliser autour d’un Rassemblement anti-Kabila mené par Etienne Thisekedi. Mais là, la société civile n’est pas rejointe et ne peut donc pas compter sur le système judiciaire dont l’assujettissement au pouvoir à travers les liens corruptifs et patrimoniaux a fini de l’arrimer à Joseph Kabila.

L’enjeu principal de la conquête et du maintien au pouvoir en Afrique demeure économique. Les luttes pour le pouvoir en Afrique ont toujours des soubassements économiques. Le pétrole au Gabon et en Guinée équatoriale, les ressources minières au Tchad, en Guinée Conakry, l’or et le diamant en Afrique du Sud, où Julius Malema incarne un leadership jeune et débarrassé des scories des vieilles dictatures, tous ces enjeux économiques impactent la vie politique africaine au sens où ils la déterminent. Au Ghana, John Dramani Mahama fait face à une opposition qui tire l’alarme sur une inflation galopante (30%) et des taux d’intérêt très élevés, occasionnant de nombreuses pertes d’emploi. Là, le contrepoids qu’elle représente, alliée à une forte société civile, en fait un bel exemple de maturité démocratique. Les élections sont tenues régulièrement et la participation y est élevée. Il faut déplorer quelques épisodes violents dont les ressources économiques sont un soubassement, comme l’explosion d’une station-service au mois de juin. Le chômage y est un handicap très gênant pour le pouvoir.

Plus loin, la Gambie de Yahya Jammeh n’est pas l’objet d’autant d’attention sur la scène internationale alors que son leader Yahya Jammeh tient le pays d’une main dictatoriale qui ne fait de place à aucune opposition. Les rares voix discordantes sont au mieux pourchassées au pire emprisonnées si elles ne sont pas simplement exilées. La société civile est inexistante et le système judiciaire y demeure corrompu. Son voisin sénégalais est accusé de tous les maux. Jammeh a fabriqué son propre clergé, muselé l’opposition qui a implosé, et gagné toutes les élections en 2001, 2006 et 2011 dans des conditions totalement opaques, et islamisé l’Etat.

Il faut cependant saluer la transition centrafricaine réussie menée par Catherine Samba Panza qui a permis l’élection de Faustin Archange Touadéra à la présidence, malgré quelques grosses difficultés liées aux violences qui ont opposé les milices Séléka et les anti-Balaka.

Une année électorale marquante

Dans l’ensemble les élections de 2016 ont été plutôt stables puisqu’on a rompu avec les coups d’état et guerres civiles qu’on connaît. Les deux Congos font exception à cette généralité de l’année électorale africaine au paysage électoral contrasté augurant de meilleurs lendemains. 

Toutes considérations qui font que l’année 2016 restera comme une année électorale marquante. Même si à Brazzaville des heurts ont éclaté qui entachent, comme à l’accoutumée, la tenue des scrutins sur le continent, l’Afrique doit démontrer qu’elle peut organiser des élections transparentes et démocratiques. C’est une responsabilité historique pour la société civile, pour l’opposition, pour les citoyens du continent, et bien entendu, pour les pouvoirs en place. La société civile en particulier a un grand rôle à jouer puisque, comme au Tchad, elle est souvent confrontée à des forces de recul. En effet, la société civile, tout en n’étant pas pouvoir public, est amenée à participer au processus électoral. Cela le rend crédible, transparent et plus démocratique que si ce n’était pas le cas. Même si beaucoup de dirigeants actuels conservent une forte emprise sur le pays, dans certains Etats ils devront compter avec une société civile forte et informée, une opposition capable de résilience, et de nouveaux paradigmes de gouvernance liés à la modernité. Il y a donc de vrais défis à relever.

Partis politiques au Bénin : opposer le débat du développement au regroupement des partis sur des bases idéologiques

JPG_PartisBenin08061-La classe politique béninoise effectue depuis quelques temps un plaidoyer en faveur des réformes qui regrouperaient la pléthore de partis politiques sur une base idéologique au Bénin. Pourtant, la légitimité des idéologies politiques dans notre système démocratique est radicalement balayée par l’urgence des défis du développement auquel le Bénin est confronté. Le regroupement des partis politiques ne pourra pas se faire sur des bases idéologiques. Pour cause, ces partis politiques n’ont jamais présenté des divisions idéologiques depuis que le Bénin a négocié son ticket démocratique en 1990. D’ailleurs, il y a fort à parier qu’il n’y aura aucune division idéologique fondamentale pendant les trente prochaines années à venir. Pourquoi donc s’attarder à inventer des différences qui n’existent pas pour l’instant ? La réelle clé de voûte du système politique béninois se trouve à la surface du principe cardinal qui motive la création de tout parti politique. Il existe une réelle opportunité d’induire un meilleur rendement des valeurs démocratiques du Bénin en précisant le mode de contribution de ces partis au débat du développement.

Six professeurs du même collège

Que nous disent les principaux partis politiques qui ont marqué les 25 premières années de la démocratie béninoise ? Par critère de légitimité et de participation aux temps forts de la vie démocratique, les plus grandes formations politiques ont sans doute été la Renaissance du Bénin (RB), l’Union pour le Bénin du Futur (UBF), le Parti du Renouveau Démocratique (PRD), le Parti Social Démocrate (PSD), les Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), l’Union pour la Nation (UN). A la lumière de leur idéologie (en formulant l’hypothèse que chacun des partis en possède), il y a en effet très peu à apprendre sur leur différence.

De façon conceptuelle, la formation d’un parti politique est motivée par l’existence d’intérêts contraires à celui d’un courant en vogue. Ainsi, il est facile de comprendre l’émergence aux Etats-Unis d’une classe républicaine plus conservatrice que le courant démocrate ou encore le système populaire de la gauche et de la droite qui existe dans bon nombre de pays occidentaux. Les questions essentielles de politiques sociales et fiscales, des limites de la responsabilité du gouvernement par rapport au citoyen ou encore celle des politiques étrangères créent des divisions fondamentales au sein de ces démocraties.

Au Bénin par contre, les partis politiques sont créés dans l’unique but de la conquête du pouvoir. L’intérêt présenté dans ces partis est par conséquent de nature purement personnelle, c’est-à-dire totalement connectée aux ambitions égoïstes des hommes politiques qui se regroupent pour les créer. Il n’est donc pas étonnant d’assister à la dislocation quasi mécanique de ces partis après leur échec à une élection majeure.

Le problème réel dans un paysage politique aussi désorganisé est la déconnection totale de ces partis de l’objet de leur création, c’est-à-dire leur contribution au développement de la nation à travers la formulation de propositions concrètes. Il est cependant possible d’y remédier avec une bonne dose de bon sens.

Un socle d’actions programmatiques

A l’évidence, le Bénin a clairement embrassé un système politique ‘’ social-démocrate ‘’ après l’échec du marxisme léninisme en 1989. Aujourd’hui encore, la centaine de partis politiques en existence (et/ou enterrés) reflète inévitablement cette philosophie unique avec des accents plus ou moins prononcés sur le discours de l’unité nationale. L’unicité idéologique est en effet particulièrement ostentatoire sur les plans économique, politique, social et même culturel.

Sur le plan socio-économique, il s’agit notamment d’adresser le problème du sous-emploi des jeunes et de réduire la pauvreté qui touche toujours plus du tiers de la population depuis 1990. Sur le plan politique, la position stratégique du Bénin lui exige de se rendre beaucoup plus actif dans le processus d’intégration régionale afin d’étendre de façon significative sa liberté politico-économique. La conservation et la promotion des valeurs culturelles ne créent pas non plus de désaccord. Le défi à relever est plutôt celui du mainstreaming des différentes priorités socio-politiques et économiques dans des plans quinquennaux (périodicité actuelle des mandats présidentiels au Bénin) de développement.

Systématiser la contribution des partis au débat du développement

En réalité, le travail programmatique a déjà été largement effectué afin d’orienter les pays en voie de développement tels que le Bénin. Il existe bon nombre de cadres stratégiques qui définissent clairement la voie à suivre aussi bien sur les plans institutionnels qu’au niveau des stratégies-pays. Les cadres les plus importants sont sans doute les 17 objectifs de développement durables et les 5 axes du plan stratégique communautaire de la CEDEAO. Ces cadres doivent systématiquement constituer des leviers d’actions au Bénin et des bases de spéculation pour les partis politiques.

A l’heure actuelle, il s’agit d’user d’outils législatifs et institutionnels pour astreindre de façon catégorique les partis politiques à se servir de ces cadres pour proposer des plans d’actions minutieusement élaborés. Ainsi, avant les échéances électorales, leurs projets de société ou plans d’actions devraient par conséquent détailler leurs mesures opérationnelles d’atteinte de résultats et de mobilisation de ressources. Ces partis devront développer de véritables budgets pro-formats pour convaincre les électeurs du coût d’opportunité que ces derniers encourraient en optant pour des alternatives proposées par d’autres partis.

Après les élections, la conduite systématique de ces exercices prédisposera les partis politiques et leurs parlementaires à devenir plus incisifs sur les questions de reddition de comptes et de contrôle de l’action gouvernementale parce qu’ils disposeraient déjà de solides instruments de comparaison préalablement développés par leurs propres soins.

R. Alan Akakpo

Alan Akakpo est analyste de politique publique et responsable du projet IMANI Francophone-Benin. Les points de vue exprimés ne reflètent pas nécessairement ceux d’IMANI Center for Policy and Education