Une nouvelle génération de cinéastes francophones pour prendre la parole? 

Pape_SeckAlors que l'Afrique des idées continue sa réflexion sur le cinéma africain, ses initiatives nouvelles, ses réussites et ses lacunes, il nous semble pertinent de donner la parole à de nouveaux jeunes cinéastes Africains. Lauréat de plusieurs prix internationaux pour son court métrage  Sagar, le sénégalais Pape Seck fait partie de cette nouvelle génération et il répond à nos questions.

Bonjour Pape Seck, vous êtes un jeuneréalisateur sénégalais, formé à l’école du cinéma de Marrakech, start-uper et vous appartenez à un nouveau courant du cinéma africain francophone. Mais le mieux serait que vous vous présentiez vous-même, n’est-ce pas?

Pape Seck :

Bonjour et merci beaucoup de la belle opportunité que vous m’offrez à, travers cette vitrine, de pouvoir échanger avec vous et avec nos chers amis internautes.

Je m'appelle Pape Abdoulaye SECK, jeune réalisateur sénégalais, comme vous dites, diplômé de l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech (Esav Marrakech). Je suis également « start-uper », fondateur de Doli’Motion Film et co-fondateur de Nabisso, un projet en innovation numérique.

Pour ce qui est du nouveau courant du cinéma africain francophone, je fais effectivement parti de ces jeunes qui essaient de bien orienter le boom de l’audiovisuel et du cinéma en Afrique, facilité par le numérique.

Vous avez réalisé un premier film qui a été primé dans certains festivals. Pouvez-vous nous parler de ce film, du sujet et des moyens avec lesquels vous avez pu le réaliser?

Pape Seck :

En effet j’ai écrit et réalisé le court métrage « Sagar », dans le cadre de mon travail de fin d’étude à l’Esav Marrakech en 2014. Le film a connu sa première consécration au FESPACO 2015, en remportant le prix du meilleur film fiction des écoles.

 

« Sagar » est un drame intime tourné dans les limites de la folie. L'échec chronique à l'enfantement rend une jeune mère mentalement dérangée au point de se fabriquer un bébé en tissu qu'elle essaie de protéger contre tout et tout le monde, sous le regard impuissant de son mari, partagé entre son amour pour sa femme et sa dignité d'homme qui importe à sa mère.

 

Sagar est très connu comme nom dans la société sénégalaise. Mais il signifie avant tout "chiffon". Et les deux significations ont chacune une histoire dans le film.

 

A la base, le nom Sagar est issu de nos us et coutume "Ceedo" et s'alligne dans la même catégorie que les noms "Kenbougoul" (personne n’en veut), "Yadikone", "Yakha Mbootu", etc. Ces noms servaient, suite à des rituelles, de sauver la vie de l'enfant en gestation, dont la mère peinait à avoir d'enfant, ou à les avoir vivant. Et c'est dans ce premier sens que film trouve son inspiration dans ce titre de "Sagar". Par ailleurs, le protagoniste du film utilise une pagne tissé qui métaphorise le "Sagar" (chiffon), en guise de bébé. Et donc j'ai beaucoup travaillé dans les ambigüités dans ce film. 

 

J’ai essayé d'explorer la question de l'attachement dans cette histoire. C’est l’attachement du protagoniste principal à l’inexistant (le faux bébé). Mais c’est également l’attachement du mari à sa femme et celui de la belle mère, à la dignité de son fils et celle de sa famille. J’ai fait recourt à la folie pour arriver à cerner cette question d'attachement au néant.

 

Le film a été tourné en 3 jours sur Marrakech, alors que l’histoire dans le film se déroule au Sénégal. Nous avons été, dés le départ, limité par plein de paramètres dont les décors extérieurs et les possibilités en terme de casting et autres. Mais à quelque chose malheur est bon. 

 

Les contraintes nous ont poussés, mon équipe et moi, à beaucoup réfléchir, creuser et échanger avec dextérité pour réussir le challenge du film que nous nous étions lancé.

 

Pourquoi faire des films quand vous savez que les canaux de distribution classique du cinéma ont échoué, que les salles de cinéma ont fermé depuis des années et que la plupart des films francophones ne sont vus que par des festivaliers à Ouagadougou ou en Occident?

Pape Seck :

Votre question me donne envie de vous en poser une : Pourquoi écrire des livres quand les gens ne lisent quasiment plus ?

 

Je pense que nous faisons un métier qui n’est pas forcément conditionné par le marché. Je ne vais pas vous mentir en vous disant que je ne cherche pas à vivre de mon “art”, mais ce n’est pas ce qui me motive. Je pense que, tout comme les productions littéraires, quand on fait un film, on laisse un héritage à la postérité. Et donc pour répondre à la question du “pourquoi faire des film…” c’est tout simplement parce que nous avons un regard sur notre temps que nous cristallisons à travers nos histoires, nos films, qui sont des témoins très puissants de notre époque.

 

Aujourd'hui, fréquenter les salles de cinéma n'est plus inscrit dans nos habitudes d'Africain à cause de la disparition de ces derniers dans nos pays. Mais nous sommes très télé et internet, surtout notre génération. Donc je pense que le problème est encore gérable. Il est important que les politiques suivent et que des conventions soient signées avec toutes les chaines de télévisions qui ont le potentiel de se positionner en  numéro 1 des partenaires et distributeurs du cinéma de nos pays.

 

En dehors de ça, avec des amis basés sur Paris, Djeydi Djigo, son frère Alpha et Jérome Arouna, nous travaillons sur un concept d'application et de plateforme web pour la diffusion exclusive du cinéma africain, à l'image de netflix… Affaire à suivre.

 

Juste pour dire que nous avons encore un grand potentiel pour proposer de meilleurs canaux de distribution et de diffusion plus efficaces et mieux adaptés à notre époque.

On constate, mais peut-être me démentirez-vous, que le cinéma d’Afrique francophone est une institution assistée par les fonds européens et que cela se ressent dans le contenu et certaines thématiques des films. Qu’en pensez-vous et comment vous situez-vous par rapport à cette réalité?

Pape Seck :

Personnellement, je suis conscient de la difficulté de faire un film de qualité, avec toute la logistique, les coûts et les compétences que cela implique. Donc, c’est très aisément que l’on comprenne que les cinémas d’Afrique francophone soient ainsi assistés par les fonds européens et autres – à préciser qu’ils y trouvent également leur intérêt vu que, souvent dans les conventions signées, leurs techniciens sont engagés dans les projets.

 

Mais cela reste un grand problème dans la mesure où, la liberté d’expression idéologique et artistique du réalisateur est menacée par des obligations de révision et réaménagement de certains aspects de ses propos sur des questions politiques, économiques et/ou sociales. D’où la nécessité de trouver les moyens de s’autonomiser. La question du financement du cinéma est très politique. Mais encore, faut-il qu’en Afrique, nos dirigeants comprennent les enjeux et la puissance de ce média. JEAN-MICHEL FRODON disait dans son livre « La projection Nationale – Cinéma et nation » : " Pas de nation sans cinéma. Pas de cinéma sans nation. Il existe une affinité de nature entre cinéma et nation, qui repose sur un mécanisme commun, qui les constitue l’un et l’autre : la projection. C’est en se projetant, en offrant une image reconnaissable et désirable, que s’institue la nation comme « forme » supérieure à l’existence d’un territoire et d’un Etat. » Donc avec le cinéma, il nous est possible de forger les individus ou le type d’individu que nous aimerions avoir pour nos sociétés. En cela, le valeureux Thomas Sankara disait, « un peuple qui t’impose son cinéma, éduque tes enfants, que tu le veuilles ou non. » Il avait bien compris.

 

Cette année, dans le cadre du fond pour la promotion du cinéma et de la production, le Sénégal a fait le pas en investissant un milliard de nos francs dans la production cinématographique. Il est important que cette dynamique se multiplie un peu partout en Afrique francophone, ne serait-ce que pour lancer le mouvement. Car, je reste convaincu que, si la machine de nos productions se met en marche, avec un marcher africain de notre industrie cinématographique bien maitrisé, plus rien ne nous arrêtera.

 

Toujours à propos du cinéma du continent africain, Nollywood se développe et de plus en plus avec des films ambitieux, tout en ayant un véritable contact populaire au Nigeria  et une exportation vers l’extérieur de leur cinématographie. Quels ponts existent-ils entre les jeunes réalisateurs et techniciens francophones et l’industrie du cinéma nigérian? Est-ce que les barrières nationales sont si étanches que cela?

Pape Seck :

À ce jour, je n’ai pas eu écho de collaboration de grande ampleur entre Nollywood et les cinémas d’Afrique francophone en terme de production. Mais j’ai espoir que nous arrivions à cela avec cette belle et nouvelle dynamique de partage et d’échange qui s’est instaurée au sein de la jeune génération de cinéastes africains.

 

Aujourd’hui, avec le numérique et les facilité de communication, nous discutons de plus en plus entre jeunes cinéastes et un véritable horizon de coopération se dessine entre nous, au delà des barrières nationales.

 

Par ailleurs, de manière plus large en terme de collaboration entre réalisateurs africains, la dynamique a été lancée depuis l'époque de Sembène. Il est à noter qu'à cette époque, les réalisateurs de  cinéma africain n'étaient pas aussi nombreux qu’aujourd’hui… Sembéne a d'ailleurs manifesté l'importance de ces rapports de collaboration dans son dernier film "Moladé" qu'il a tourné au Burkina Faso et dans lequel ont travaillé des sénégalais, des ivoiriens, des burkinabés. En tant que jeune héritier de ce grand homme, et ayant bien saisi ce dernier message fort de sens, dans sa dernière réalisation, je me suis naturellement inscrit dans cette même dynamique. Et c'est avec une très grande joie que je me suis rendu compte que la plus part des jeunes réalisateurs africains sont dans cette même logique.

Nollywood a mis en place des plateformes de streaming qui permettent d’étendre son aura et d’impacter un public de la diaspora. Un modèle économique intéressant. Comment vous situez-vous, en tant que francophone dans ce contexte?

Pape Seck :

Lors de la précédente édition du sommet de la francophonie à Liège (Belgique), nous présentions, avec mes 3 collaborateurs que j’ai cités en début de cet entretien, notre application et plateforme web Nabisso, spécialement dédié à la diffusion en streaming et VOD de films africains. Nous y travaillions depuis déjà 2 ans et nous en sommes en phase de finalisation pour son opérationnalité qui est pour bientôt. 

De manière générale, pouvez-vous nous parler de l’impact de la révolution numérique sur le cinéma africain en termes de création, de diffusion, de renouvellement du public et de marketing?

Pape Seck :

Le numérique donne un grand souffle à la production cinématographique africaine. Je pense que si nos cinémas (d'Afrique) tendent de plus en plus vers une certaine indépendance, c'est grâce au numérique. Il nous a facilité l'accès par rapport à beaucoup de chose, non pas simplement dans le domaine du cinéma. Aujourd'hui, toutes les grosses logistiques dont on avait besoin pour faire un film, nous sont dispensées grâce au numérique.

 

Ceci dit, j'aime souvent tirer la sonnette d'alarme sur la question de la qualité et de la profondeur dans notre travail. Il ne faut pas que nous nous laissions nous rendre paresseux par autant de facilité. Aussi avancée que sera la technologie, sophistiquées, les machines, ils ne feront jamais tout à notre place. La réflexion, c'est nous qui la menons. Donc l'exigence de qualité et de profondeur nous incombe.

 

Nous assistons à une floraison de séries africaines bien diffusé dans les chaines de télés et sur internet, dont l’audience après du publique africain est très appréciable. Qu’importe la qualité de ces séries. Ce qui suscite beaucoup d’espoir en ce qui concerne le future de cinéma africain, auprès de son publique. Et c’est assez réconfortant je trouve.

Dans Sagar,  traitez vous l'incapacité à faire le deuil d'une mère ou la stérilité dans un couple ? Pourquoi avoir voulu traiter l'un de ces deux sujets ?

Pape Seck :

« Sagar » traite bien de la stérilité dans une société où l’enfant est capital pour la survie d’un ménage. C’est une valeur qui assure une certaine stabilité dans le couple. Mais en même temps, il n’est pas donné à tout le monde d’en avoir. Et je voyais autour de moi la souffrance de ces personnes, ces femmes qui peinaient à donner de la progéniture à leurs belles familles et qui au final étaient plus des coupables que des victimes. Nous n’avons pas trop cette culture d’essayer de nous mettre à la place de ces gens pour comprendre leur souffrance au lieu de les juger avec autant de gratuité.

 

Sur cette question du jugement, il me fallait impérativement ne pas tomber dedans dans ma manière de caractériser mes personnages. Il me fallait donner à chacun d’eux des motivations qui nous font comprendre qu’au final, nous sommes tous des humains et que, ce qui cause tous nos problèmes réside peut-être dans notre incompréhension des uns et des autres.

Dans cette histoire, j’ai également essayé d’explorer la notion de l’attachement, mais surtout, à l’attachement au néant. Le mari

s’attache à sa femme malgré sa folie, la belle mère s’attache à la dignité de sa famille et le personnage principal en question s’attache à ce néant, ce bébé inexistant que j’ai essayé de faire vivre avec le son, pour raconter l’histoire que se raconte ce personnage dans sa bulle. Et donc avec  la folie, je suis arrivé à cerner cette question d’attachement au néant.

Merci pour votre disponibilité.

Pape Seck :

C’est moi qui vous remercie pour votre amabilité et pour l’intérêt que vous portez à mon travail et à ma modeste personne. 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus pour l'Afrique des idées

 

 

La lutte contre le proxénétisme en Afrique de l’Ouest

La lutte contre le proxénétisme dans les pays de l’Afrique de l’Ouest que sont : Nigéria, Niger, Ghana, Bénin, Togo, Côte-D’ivoire, Burkina-Faso, Sénégal, Gambie, Mauritanie, Mali, Cap Vert, Guinée Bissau, Libéria, Sierra Léone, n’a pas produit les résultats escomptés. Les états ont beaucoup plus axés la lutte sur la question sanitaire, à savoir les maladies sexuellement transmissibles (MST) et en particulier le SIDA. La faiblesse d’une réglementation dissuasive a constitué un terrain fertile au développement du proxénétisme.

On note néanmoins des excursions policières et des contrôles de routines dans les Etats mais ces actions ne sont pas pérennes et coordonnées dans le temps. Au Sénégal par exemple, la nouvelle plaque tournante de la prostitution en Afrique, les actions de la Division des investigations criminelles, de la sureté urbaine et du Groupement mobile d’intervention (GMI) ont permis de démanteler de nombreuses auberges, maquis et hauts lieux du proxénétisme dans les quartiers de Dakar comme la Corniche, le virage des Almadies, les Hlm, les Parcelles Assainies, Grand-Dakar ou encore Grand-Yoff. Rappelons que la prostitution est légalisée au Sénégal depuis 1969.

En Guinée Conakry, pour lutter contre la prostitution, la police arrête, rase, filme clients et prostituées et diffuse les images dans les médias audiovisuels locaux (Enquête de l’événement, L'envers et le décor du " business-sexe " à Ouagadougou, 16 juin 2009).

Au Burkina-Faso, Mali, Togo, Bénin et Côte-D’ivoire, on procède à la fermeture des bordels et chambres de passe pour freiner la propension de la prostitution dans la ville et aussi par des descentes policières musclées dans les grandes villes. Selon l'article 423 du Code pénal burkinabè, la prostitution est définie comme étant "le fait pour une personne de l'un ou de l'autre sexe de se livrer habituellement à des actes sexuels avec autrui moyennant rémunération. Est puni d'un emprisonnement de 15 jours à deux mois et d'une amende de 50 000 à 100 000 FCFA ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque se livre habituellement à la prostitution par racolage sur la voie publique". La loi du 13 avril 1946 toujours en vigueur, en son article 3, stipule que "seront punis d'un emprisonnement de 6 mois et d'une amende de 200 000 F CFA ceux qui, par gestes, paroles, écrits ou par tout autre moyen, procéderaient publiquement ou tenteraient de procéder au racolage de personnes de l'un ou de l'autre sexe en vue de provoquer la débauche ". Cette même loi réprime le proxénétisme qu'il soit exercé par un individu, un hôtel, ou un pourvoyeur de local privé, c'est-à-dire les gérants ou propriétaires de chambres de passe, de maison closes ou d'hôtel.

Au Ghana, la prostitution n’est pas reconnue comme une activité légale. La Police procède par des interpellations en vue de décourager des fois les jeunes filles et dames qui s’adonnent au plus vieux métier mais l’identification des cibles est un casse-tête car les activités se pratiquent souvent la nuit non plus dans des chambres ordinaires mais plus dans des hôtels et parfois dans des foyers conjugaux en l’absence d’un des partenaires du couple.

La prostitution est intimement liée au trafic des êtres humains et elle constitue même son bras armé. Selon le fond des nations unies pour l’enfance (UNICEF) et l’organisation internationale du travail), entre 200.000 et 300.000 enfants seraient chaque année victimes de la traite en Afrique occidentale1

La majorité de ces enfants ont plus de 90% de chance de se voir violentés, violés ou d’intégrer un réseau de prostitution. Le rapport sur la traite des êtres humains 2010 épingle la Côte d'Ivoire comme étant un pays de destination pour les enfants et les femmes victimes de la traite des personnes, en particulier à des fins de travail forcé et de prostitution forcée, encore qu’elle soit aussi un pays de transit et d’origine. Le rapport poursuit en affirmant que filles qui sont recrutées au Ghana et au Nigéria pour travailler comme serveuses dans les restaurants et les bars, finissent souvent par tomber dans la filière de la prostitution. La police ivoirienne a démontré qu’elle méconnaissait le phénomène de l’exploitation sexuelle des mineures, en effet lors d’une investigation, elle a démantelé un réseau utilisant des mineurs a des fins de prostitution mais elle a vite fait de conclure qu’il s’agissait de prostitution volontaire et non de traite des enfants2.

La Gambie est devenue une destination de choix pour les amateurs de mineurs mais plus spécifiquement pour les amatrices occidentales de très jeunes éphèbes noirs. Des femmes connues sous le pseudonyme "Marie-Claire’’, âgés entre 45-60 dont les pays d’origine sont : les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse, du Royaume-Uni, et parfois de la France, se mettent à la recherche de jeunes mineurs. On peut les apercevoir se faire appliquer de la crème solaire sur le dos faire par des adolescents surnommés les «bumsters»3

La lutte contre ce phénomène en Gambie est entrain de porter des fruits non négligeables. Elle est l’œuvre des gérants d’hôtels, dont un grand nombre commence à s’organiser pour lutter contre le phénomène des «Marie-Claire» mais on déplore que beaucoup d’entre elles bénéficient de la complicité de la police et les conditions sociales rendent la situation moins reluisante. A cela, il convient de parler aussi de la lutte contre la prostitution des africaines dans les capitales occidentales. En effet beaucoup de jeunes filles considèrent l’Europe comme un eldorado, elles tombent dans les filets des réseaux criminels qui les obligent à se prostituer. Nous avons le témoignage de Rose, victime d’exploitation sexuelle.

Rose raconte : «Je pensais être libre en Europe », lance-t-elle, songeuse, assise dans le petit appartement lugubre de la ville portuaire de Gênes qu’elle partage avec deux autres travailleuses du sexe. Nous avons été enfermés dans un appartement pendant un mois et demi », se souvient-elle. « Ils ont vidé nos sacs et confisqué nos passeports » Rose pensait qu’elle se rendait en Europe pour y poursuivre ses études et travailler à temps partiel pour se faire un peu d’argent. Mais la jeune nigériane n’imaginait pas que les études n’étaient qu’un leurre et que la prostitution était le travail qui les attendait4

Les « Mamas » (pseudonyme que portent les femmes qui envoient les filles en Europe pour la prostitution) au Nigéria sont les véritables bras armés de la prostitution. Elles transforment ces filles en de véritables esclaves sexuels, les obligeant par un rite d’alliance vaudou à leur rembourser des sommes colossales sinon ces filles risqueraient de mourir ou devenir folles.

Les trafiquants exigent des filles qu’elles leur remboursent 50 000 euros (60 000 de dollars) environ pour les frais de voyage et d’hébergement, celles-ci devant travailler pour eux jusqu’à apurement de leur dette. En Avril 2015, un réseau de prostitution nigérian a été mis au jour à Nice(France) par la sureté. Ce fut un réseau de prostitution organisé par les «mamas » et dont la figure de proue était un prêtre officiant au sein de la communauté nigériane azuréenne5 .

En Mai 2014, un important réseau de proxénétisme en bande organisée, traite des êtres humains en bande organisée, blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs a été démantelée en France. Cette Bande était sous la houlette des « mamas »6. .

Solutions contre cette nouvelle forme d’esclavage humain

La lutte contre la prostitution sous toutes ses formes passe d’abord par rééducation de nos sociétés. La société africaine est malade et agonisante. Les valeurs ancestrales de dignité, d’ardeur dans le travail sont en voie de disparition. Notre société est un centre de consommation sociale irréfléchie que la globalisation est entrain d’ensevelir. Il est grand temps de rééduquer la jeunesse africaine. L’impact néfaste de certaines déviations de la culture occidental sur nos sociétés africaine n’est plus à démontrer. Cela se perçoit dans le mode vestimentaire, la manière de parler…

Il ne s’agit pas ici de faire le procès de la culture occidentale ou de sacraliser les sociétés africaines mais de comprendre le comportement de la jeunesse africaine par les déviations occidentales (pornographie, prostitution, homosexualité…) que l’on tente d’uniformiser en valeur universelle. En effet grâce au NTIC de nouvelles valeurs comportementales ont fait leur entrée en Afrique.

Si la jeunesse africaine est défaillante, c’est parce que les anciens aussi ont échoué quelque part. Les anciens ne sont plus des modèles disait le journalisme burkinabè Norbert Zongo. Nous devons donc éduquer la jeunesse sur la base des repères car ces stars de la pop américaines en général ne sont pas des repères fiables pour notre jeunesse.

Enfin, sans être trop idéaliste, la rééducation de nos sociétés doit passer par sa reconstruction. Nous devons détruire les valeurs de médiocratie et de cupidité, et construire notre société sur des valeurs d’honnêteté et surtout de la culture du mérite.

Par ailleurs, il est impératif de lutter contre la paupérisation dans nos sociétés. Nous devons donner à chaque Homme le moyen de gagner honnêtement et dignement sa vie. Ils sont nombreux ces jeunes diplômés en Afrique de l’ouest, laissés a eux-mêmes qui vagabondent dans les rues de Lomé, Ouagadougou, Bamako. Elles sont nombreuses aussi ces familles au bord de la dépression pour qui les besoins fondamentaux restent un luxe, elles assistent impuissantes a la flambée des prix de premières nécessités. Au même moment les dirigeants se targuent d’une croissance à 5 pourcent ou 7pourcent, ils sont en réalité les fossoyeurs de leur peuple. Eux qui se pavanent avec des voitures de la jet-set parisienne ou londonienne et dont les comptes bourrés en Suisse pourrissent dans les oubliettes devant la misère de nombreuses familles africaines qui plongent dans la résignation ou la rébellion.

Pour reprendre les propos d’un homme politique burkinabè : Si l’odeur de l’argent pouvait tuer mes voisins de quartier seraient déjà morts. La lutte contre la prostitution sous toutes ces formes passe par une coopération sous-régionale et internationale beaucoup plus grande entre les services de sécurité car avec la traite des enfants et le proxénétisme international, elle est entrain de devenir transnational. Il est aussi important de renforcer la sécurité frontalière car la porosité des frontières facilite le proxénétisme transnational des zones rurales vers les capitales des pays voisins.

Pour conclure avec les solutions, nous pensons qu’il faudrait une législation dissuasive et des textes juridiques uniformisés en Afrique de l’Ouest. La lutte contre la prostitution passe par une coopération sécuritaire, juridique sous régionale mais aussi par des plans d’actions d’éducation civique et morale et de lutte contre la pauvreté.

Octave Bayili

(1) Wilfried Relwende Sawadogo,The Challenges of Transnational Human Trafficking in West African Studies Quarterly, volume13, issues1-2, printemps 2012 http://www.africa.ufl.edu/asq/v13/v13i1-2a5.pdf,p3

(2) Source : Ambassade des Etats-Unis en Côte-D’ivoire http://french.cotedivoire.usembassy.gov/tip2010.html

(3) Source : Quotidien Britannique, Gambie. Banjul, nouveau paradis des pédophiles The Guardian – Londres www.guardian.co.uk/

(4) Source : IRIN, Gênes, 7 novembre http://www.irinnews.org/fr/report/69058/nigeria-la-prostitution-brise-leur-r%C3%AAve-de-libert%C3%A9

(5) Source : Nice-Matin, http://www.nicematin.com/nice/info-nice-matin-un-reseau-de-prostitution-nigeriane-mis-au-jour-a-nice.2188696.html 

(6) Source : http://www.prostitutionetsociete.fr/actualites/actualites-france/un-important-reseau-de

Les causes du proxénétisme et les acteurs en présence

Selon le lexique des termes juridiques, le proxénétisme peut être défini comme une activité délictueuse de celui ou de celle qui, de quelque manière que ce soit, contraint une personne à se prostituer, favorise ou tire profit de la prostitution d’autrui. De nombreux faits, pouvant directement ou indirectement faciliter la prostitution, sont assimilés par le législateur à l’infraction de proxénétisme.  L’Afrique de l’Ouest est en proie a ce fléau grandissant et les rues des grandes villes ouest-africaines sont quotées à la bourse de l’immoralité et du commerce sexuel.

A titre d'illustration, quelques grandes places africaines du tapinage : l’Avenue Kwamé N’Krumah et Bolomankoté au Burkina-Faso, la rue Princesse de Yopougon en Côte d’Ivoire, la rue d’Anfangua au Mali, la croisette au Niger, l’avenue Ponty au Sénégal, etc.

Les adolescentes font l’objet d’exploitation sexuelle par les tenanciers de maisons closes comme en témoigne Ouaga Camping (une maison close a Ouagadougou) qui fut épinglé par les services municipaux. Elles sont aussi insérées dans les rouages du tourisme sexuel. C’est l’exemple de Saly, station balnéaire située à environ 90 km de Dakar, qui est surtout le haut lieu du tourisme sexuel au Sénégal.  Raoul Mbog affirme :

«Saly est le point de ralliement des Occidentaux vieillissants qui souhaitent goûter aux charmes de jeunes Sénégalais(es), pas toujours majeur(e)s.»

A cela il faut ajouter le proxénétisme des africaines dans les pays occidentaux comme la Suisse, l’Italie, la France, la Hollande, le Danemark. 

Les causes de la prostitution sont à rechercher d’abord dans les conditions de vie des populations. En effet, les programmes d’ajustement structurel (PAS) des années 1990 ont conduit au licenciement de nombreux chefs de famille. La conséquence des PAS a été la désintégration de la structure familiale. Chaque membre de la famille étant laissé à son sort. Les filles qui sont les plus vulnérables, vont développer des moyens de survie telle que la prostitution.

Après les programmes d’ajustement structurel, la dévaluation du franc CFA dans l'espace francophone va sonner le glas de la paupérisation croissante des familles africaines. En parallèle à cela, il faut noter la cupidité d’un monde libéral sans humanisme qui ne fait que creuser les écarts sociaux entre les riches et les pauvres. En témoigne la crise économique de 2008 qui soulèvera de nombreuses vagues de protestations appelées « émeutes de la faim » en Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Sénégal, Mali, Togo, etc.) où «  les pauvres demandaient des comptes au plus riches»

Il faut ensuite prendre en compte les causes politiques de la prostitution. La gabegie financière, la corruption et la  mauvaise gouvernance démocratique en Afrique matérialisées par la patrimonialisation du pouvoir politique et assassinats politiques ont conduit les populations a être abandonnées à leur sort. A cela il faut ajouter les conflits sociopolitiques et guerres civiles avec son lot de misère et d’exactions criminelles tel que le proxénétisme. 

La crise post-électorale ivoirienne ou la guerre civile au Libéria ont été des facteurs favorables au développement du proxénétisme surtout de l'exploitation sexuelle des mineurs. Combien de lycéennes et étudiantes qui pour satisfaire leurs besoins élémentaires à savoir se nourrir, se loger, se soigner, sont obligés de vendre leur corps en échange de maigres sommes d’argent. 

A coté des professionnels du sexe, il ya des mineurs qui sont esclaves des réseaux mafieux. La plupart provienne des zones rurales et venues en ville pour chercher du travail comme ménagère, serveuse dans les débits de boisson. Malheureusement elles tombent entre les mains de personnes mal intentionnées qui les utilisent à d’autres fins.  

Enfin, nous pouvons évoquer des raisons sociologiques pour expliquer la recrudescence de ce fléau. La prostitution quoiqu’on puisse en dire, répond à un besoin social. Les prostituées sont prisées par des hommes de tout âge et de toute catégorie sociale. Si la prostitution existe, est-ce parce que la société se conçoit mal sans elle ?

En 2009, le maire de la ville de Ouagadougou décide d’entrer en lutte contre les tenanciers de chambre de passe et autres hauts lieux du proxénétisme dont la plupart faisait recours à des filles mineures. Dans le rang de ces  filles on notait celles de nationalités burkinabè, nigériane et ghanéenne surtout. Il a été dénombré près de cinq mille prostituées dans la ville de Ouagadougou (selon le projet SIDA III). La lutte menée par le maire s’est heurtée à l’opposition d’une grande partie de la population, dans un pays où le poids de la tradition ancestrale et de la religion dominent la conscience collective.

Aussi nous pouvons dire que la prostitution est un métier libéral. C'est-à-dire que de la même manière que l’on décide de devenir enseignant, on décide de devenir prostituée.   

Octave Bayili

Prostitution, crime organisé en Afrique de l’Ouest

La prostitution  ou le plus vieux métier du monde peut être définie comme un fléau social qui gangrène nos sociétés africaines.  Ce terme vient du latin «prostitution »  et  désigne une activité consistant à échanger des relations sexuelles contre une rémunération. Les Programmes d’ajustement structurel (PAS) des années 1990 et les effets pervers de la globalisation ont causé la paupérisation et la désintégration du tissu social et familial qui ont permis le développement de la prostitution.  La prostitution est de nos jours une véritable industrie qui fait vivre des milliers de personnes en Afrique de l’ouest.  Les jeunes filles de tout âge, neuf ans parfoiss’adonnent  à la prostitution volontairement ou de force, dans la quête de leur pitance quotidienne sous le regard passif de la société, qui ne fait que creuser les inégalités sociales. En témoignent la crise économique de 2008 qui a été suivie par de nombreuses vagues de protestations appelées « émeutes de la faim » en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Sénégal, Mali, Togo, etc.) où les pauvres demandaient des comptes aux plus riches.

La prostitution n’est pas légale dans la plupart des états de l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal a légalisé la prostitution en 1969. Au Mali, la prostitution n’est pas interdite. La constitution malienne stipule que : La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à l’intégrité physique de sa personne, par contre le fait de pousser une personne à se prostituer, ou par exemple de recevoir l’argent de la  prostituée, est sanctionné par la loi2.

Au Ghana, Burkina-Faso, Togo, Guinée-Conakry, Nigéria, la prostitution n’est pas reconnue comme une activité légale.

Les textes en la matière en Afrique de l’Ouest interdisent le racolage et l’exploitation sexuelle. Le racolage est une forme de prostitution qui consiste à arpenter les artères des grandes villes a la recherche d’un partenaire sexuel.

Les filles mineures sont intégrées dans le cercle vicieux de la prostitution. Utilisées comme « des bêtes sexuelles » par des réseaux mafieux et criminels afin d’assouvir les appétits sexuels démesurés de leurs clients. Elles sont de plus en plus nombreuses en Afrique de l’Ouest, ces jeunes adolescentes qui se  prostituent. Selon les services officiels du Togo, 27 000 prostituées travaillent dans le grand Lomé ; 31% d’entre elles ont moins de 18 ans. Au Ghana selon le Service de santé du Ghana (GHS, 2012), 750 000 adolescentes âgées de 15 à 19 ans tombent enceintes chaque année et 15,5% ont eu des rapports sexuels avant l’âge de 15 ans.

Une étude menée par l’Alliance pour les droits de la santé reproductive (ARHR) a révélé que, l’âge du premier rapport sexuel dans certains districts du Ghana est aussi bas que huit (8) ans.

Les adolescentes sont victimes d’esclavage sexuel orchestré par les gourous du proxénétisme. L’Afrique de l’Ouest est aussi en proie au tourisme sexuel et selon Raoul Mbog,  journaliste à Slate Afrique cela est du à La faiblesse d’une réglementation dissuasive et une population libérée du poids des traditions qui font de l'Afrique un nouveau repaire pour touristes sexuels. Des pays comme la Gambie, le Sénégal, Mali, Burkina-Faso y sont confrontés.

A ce type de prostitution comme crime organisé, s’ajoute les réseaux de prostitutions africains en Europe qui ont aussi des antennes de recrutement des futures esclaves sexuels en Afrique de l’ouest. 

La Suisse est considérée comme  L'eldorado européen de la prostitution africaine. Selon l'inspecteur Sylvain Lienhard de la brigade des mœurs de Lausanne, le Cameroun et le Nigeria sont les deux pays les plus représentés dans le milieu de la prostitution africaine en Suisse. Les prostitués nigérianes et ghanéennes rivalisent d’ardeur. Celles des nigérianes sous l’influence des mamas (terme nigérian utilisé pour désigner les marraines du proxénétisme) arpentent les rues des capitales européennes (Rome, Genève, Londres, etc.).

Le choix de notre sujet s’inscrit dans un contexte de dénaturation et d’exploitation croissante de la personne humaine. Nos objectifs peuvent se résumer a la volonté d’aboutir a une lutte nationale et sous régionale en Afrique de l’Ouest contre la prostitution et surtout celle des mineurs par les réseaux mafieux et le proxénétisme africain en Europe et en Afrique, par l’élaboration régionale des politiques et textes juridiques communs en la matière mais une coopération régional beaucoup plus accrue entre les services de sécurité.

Octave Bayili

(1) Imoro T. Ayibani, Isidore Kpotufe, Prostitution des mineurs en Afrique de l’Ouest : des enfants de 9 ans dans la pratique publiée le mardi 24 juin 2014   |  Sidwaya 

(2) Bassala Touré, Source : La Nouvelle Patrie du 24 déc. 2014 – Plus de données : http://maliactu.net/mali-la-prostitution-feminine-un-phenomene-qui-prend-de-lampleur/#sthash.8htGCErl.dpuf.

(3) Photo à la une Matthias Kihr

La question raciale au Brésil

Après l’article sur La Négation du Brésil du cinéaste Joao Zito Araujo, j’ai aussi voulu faire communiquer ce film avec (Raça), son deuxième film projeté au FIFDA (Festival International des Films de la Diaspora Africaine). Les deux films ont un lien, celui de la condition noire brésilienne; le second répondant au premier. Joao Zito Araujo est un écrivain, cinéaste, spécialisé dans les documentaires sur la question raciale, notamment sur la représentation des afro-descendants. Métis, il nous livre des films sans concession où le spectateur devient témoin. Lauréat du prix MacArthur,  il a été primé de nombreuse fois, et le film Race qui fait ici l'objet de notre article a été clôturé il y a deux ans.  

Race de Joao Zito Araujo et de Megan Mylan, est un documentaire qui traite de la condition noire au Brésil, plus clairement des voies d'émancipation de la communauté noire. L'auteur engagé s’intéresse aux parcours de trois brésiliens noirs: Tiny Dos Santos, petite-fille d'esclaves, (appartenant à un groupe dont la caractéristique est qu'il a conservé des habitudes très marquées de l'Afrique comme les traditions religieuses, les chants, y associant le culte des saintes proches du catholicisme) ; Paulo Paim, seul sénateur noir (de l'époque), qui se bat pour le droit des terres; Netinho  Paula, chanteur et présentateur de télévision  qui a fondé la chaîne de télévision Da Gente, première chaîne dirigée par un Noir et pour des Noirs. Tous ces personnages nous entraînent dans une aventure palpitante où l'on voit les Noirs se battre pour leur droit à la visibilité et au respect.

Tiny se bat afin que les terres de ses ancêtres soient préservées. Cette communauté du Quilombo montre  une force sans égale afin de faire reculer les autorités qui veulent toujours plus déboiser  leur localité. Plus que la question des territoires, c'est le respect d'un groupe qui est demandé, le respect de pouvoir être différent  et de réclamer sa présence en dépit d'une envie de négation de cette dernière par les autorités.

Netinho, ex membre du groupe  Negritude Junior, tente l'impossible en fondant sa chaîne de télévision de  proximité. Une chaîne de télévision où les Noirs peuvent enfin se voir. Où ils ont l'impression qu'on s'adresse à eux, dans un pays où les plus visibles à la télévision sont les personnes de type caucasien.

Paulo Paim soutient le droit pour les démunis de conserver leurs terres, et veut faire voter  une loi  sur l’égalité raciale.

Joao Zito Araujo laisse la caméra se balader de l'un à l'autre, sans vraiment s'impliquer par la voix d'un narrateur.  Il n' y a pas ce parti pris qui ressortait de La Négation du Brésil , le lecteur est porté par l'émotion à chaque étape du film. Les étapes que chaque membre traverse sont vécues comme des montagnes à chaque fois déplacées, et c'est bien le cas. La montagne pour la naissance d'une chaîne pour les Noirs; la montagne pour faire voter une loi qui rencontre des oppositions évidentes; la montagne face à une politique d'exclusion (?)…

Les défis pour obtenir gain de cause amènent le spectateur à s'interroger sur les réels droits des Noirs au Brésil. On  a l'impression qu'il existerait une sorte de bicephalisme où d'un côté il y aurait les  avantages des Blancs et les difficultés des Noirs. Ceci ressort du fait que la tonalité même du film se veut assez pathétique,  et le ton engagé de ce documentaire ne cache pas les desseins du réalisateur. Race est clairement plus engagé que La Négation du Brésil. Le fait de laisser parler les protagonistes permet une plus grande dénonciation car ceux-ci s'expriment sans filtres.  

Race est un film épique au sens presque étymologique. Il est l'histoire d'une communauté noire  dans sa lutte pour se faire entendre, dans son droit à la parole. Le documentaire ne laisse pas le spectateur indifférent  et réussit à le  sensibiliser sur la question même du mot ‘race’, et de son emploi. En regardant le documentaire on se demande comment sont noués les fils du ‘racisme’ (forcément présent, de manière quasi évidente) dans la conscience collective. Le film nous montre que le racisme peut se cacher dans les médias, bref, les instances de pouvoir. Et pour dénouer ces fils, des individus comme les trois protagonistes du documentaire, se sentent obligés de s’impliquer.

Comme dans La Négation Du Brésil, le réalisateur interroge la visibilité noire, qui passe souvent par sa négation ou son oubli. Dans Race, les Noirs sont oubliés dans les médias, la politique. Ceux ci doivent donc créer leurs propres symboles religieux, lieux de culture, lois de vote, afin de gagner en autonomie. Si dans le La Négation Du Brésil  les Noirs avaient pu paraître passifs, dans Race, ils sont plutôt offensifs, ils font l'action politique, sociale et musicale. Ils sont aux premières lignes de leurs changements. Point de messie salutaire, dans Race, les Brésiliens noirs retroussent leurs manches et négocient, cherchent leurs propres victoires. Ils refusent le statut de victimes. En nous partageant les tranches de  vies de ces trois protagonistes Joao Zito réussit un tour de force en attirant et en captivant les spectateurs. Les combattants de la liberté que sont ces hommes et femmes, nous montrent le prix du changement.

Pénélope Zang Mba

Ce  film a été vu dans le cadre du partenariat entre l'Afrique des idées et le FIFDA (5ème édition à Paris)

La Négation du Brésil  

Negacao da Brazil

Le film, La Négation Du Brésil  de Joao Zito Araujo retrace l'histoire des telenovelas (novelas) ou des soaps operas brésiliens,  ces séries bien connues, qui jouissent d'une grande popularité en Amérique latine et même en Afrique aux heures de grande écoute.

Le réalisateur parcourt certaines séries brésiliennes qui ont marqué son enfance en s'interrogeant tout le long sur le rôle des acteurs noirs dans lesdites séries et sur la perception qu'il en a  tiré des Noirs, dans sa jeunesse. Ces séries télévisées sont vues  de manière panoramique, depuis 1963  jusqu'à 1997. On y voit des noirs ou des mulâtres campant principalement des rôles de subalternes.

Le réalisateur, qui est lauréat de la Fondation MacArthur, a déjà produit des films primés à de nombreux festivals. La Négation Du Brésil,  malgré la polémique qui a suivi sa sortie en 2000 reste un témoignage poignant de la réalité d'un racisme latent dans les médias brésiliens. Joao Zito Araujo questionne l'absence d'une communauté qui représente 50% de la population. Un nihilisme frappant, quant on sait aussi que sur "36 millions de personnes représentant la classe moyenne, les noirs représentent 6 millions", et pourtant, ils ne sont pas visibles dans les médias, comme le dit Joao Zito. La négation réside ici dans un nihilisme de l'existence d'une communauté pourtant bien présente.

Les 'petits' rôles dont on affuble bon nombre d'entre eux, ne sont pas assez représentatifs de cette communauté tout au plus sont ils dévalorisants. La force de  Joao Zito  Araujo est qu'en universitaire, il parvient à montrer plusieurs séquences où le spectateur peut percevoir la place du Noir dans les telenovelas, et comprendre l'arbitraire. Les personnages noirs n'ont quasiment pas d'existence. Ou s'ils sont là, ils doivent servir de faire-valoir.

Le réalisateur s'enquiert alors de nous montrer les divers rôles consacrés des personnages noirs en questionnant la force des stéréotypes et pourquoi pas du racisme de ce milieu télévisuel. En premier lieu arrive le  rôle de  la mammy noire,  grosse, rude et maternelle (comme dans Carinthoso). La 'mammy' confirme aussi les clichés sur la femme noire, tels qu'on le voit dans la littérature du XXème siècle. Ensuite vient  le rôle du serviteur loyal, comme dans Roque Santeiro, et le serviteur joué dans la série par Toni Tornado. Puis vient le personnage du barbouze, sorte de noir révolté et dangereux.

Tout cela indique une volonté semble-t-il de cantonner les Noirs dans des rôles secondaires et des stéréotypes où ils ne peuvent occuper les rôles d'envergure, comme le montre la série La Case de l'Oncle Tom, où un acteur blanc Sergio Cardoso est choisi pour jouer le rôle de  l'oncle Tom, ce qui provoqua une polémique, le choix d'un acteur blanc se justifiant par son talent, au lieu sans doute d'y voir une discrimination et un refus de donner à un noir un rôle principal. Tout ceci s'expliquant, aux dires  d'un réalisateur, par le "manque de maturité des acteurs noirs à cette époque" ou encore par le fait que 'les premières séries s'adressaient surtout à une classe moyenne blanche' et encore le fait que pour l'époque, "les noirs n'étaient pas télégéniques". Le même phénomène se remarquera dans Escrava ISaura où une blanche sera choisie pour jouer une esclave.

Regroupant nombre des acteurs noirs présents dans ces telenovelas, comme Zeze Motta, Ruth De Souza, Clea Simoes,  Milton Goncalves et bien d'autres,  Joao Zito Araujo tente de recueillir des témoignages expliquant le ressenti de tels rôles, et aussi du contexte dans lequel se faisait ces séries. Certains acteurs-phares vont alors donner leurs témoignages d'une époque où il n'était pas évident de dissocier le rôle joué et l'identité réelle. Plusieurs séries contribuaient à renforcer des clichés ou même dénotaient d'un certain racisme.

Tout cela conteste farouchement l'image du Brésil se voulant 'le paradis de l'intégration raciale'. Les politiques voulant vanter l'existence d'une société sans identification raciale. Ceci s'avère finalement être un 'mythe' au regard des séries et même des sujets abordés.

Les personnages noirs n'ont d'existence que par leur proximité aux maîtres blancs. Si certains réalisateurs ont tenté de mettre en scène des Noirs avancés socialement, comme dans Setime Sentido (1982), qui montre un couple mixte de la classe moyenne, cela restait en fait une pure audace et non un signe des mœurs.
Les couples mixtes étaient rares à la télévision. Les séries qui s'y heurtaient recevaient des lettres de spectateurs, tout bonnement choqués par  cela. L'actrice Zeze Motta raconte de quelle manière étaient les réactions lors des diffusions de Corpo a Corpo, une série qui racontait la vie d'une famille mixte et recomposée. Un spectateur avait pu dire: "Si j'étais acteur de télévision et qu'on me forçait à embrasser une affreuse, horrible noire comme ça, et si j'étais en manque d'argent, je me désinfecterais la bouche au javel".  Ou encore : "Je ne pense pas que Marcus Paulo ait tant besoin d'argent qu'il s'abaisse à ce point".

Autant de réactions absurdes qui  en disent long sur le climat dans lequel se déroulait ces séries.

Une autre force du film est sans aucun doute sa  manière de nous faire vivre les telenovelas à diverses époques. Avec ces séries l'on peut percevoir la société brésilienne dans ses attentes et son évolution. Même le choix des actrices était un indicateur : on choisissait les femmes noires les plus claires possibles. Tout ceci questionne aussi sur un blanchiment de la télévision, une manière de  masquer la présence noire.
Un autre constat de ces séries réside dans le fait qu'elles restent dans le cadre blanc, bourgeois, et ne reflètent en rien les réalités des favelas (bidonvilles), qui, on le sait, jouxtent pourtant nombre de quartiers et de villes huppés du Brésil.
Cette non représentation des Noirs dans leurs propres médias amènent ces derniers comme l'acteur Milton Goncalves à  se battre pour la visibilité de ceux-ci.

Les thèmes abordés sont souvent empreints d'une certaine pudeur. Dans la série Por Amor, on  voit un couple mixte confronté à la venue de leur enfant. Le père qui est blanc, refuse catégoriquement la naissance à venir. La femme, noire lui dit enfin " tu refuses cet enfant parce qu'il est noir", ce que le père refusera d'admettre. Ce silence sur le refus de  la réalité d'un 'problème' noir, devient presqu'un secret de polichinelle. Certains réalisateurs vont choisir d'en parler par la suite afin d'exposer la réalité  de la question raciale.

Les jeux des acteurs sont également analysés comme dans une série où un jeune noir se fait accuser et presque molester, sans que celui ci ne réagisse.  Cette attitude sera critiquée par une association noire comme étant une mauvaise représentation des Noirs. Cette soumission du Noir dans le jeu, ne faisant plus partie de la  norme et confortant la domination blanche,

Le film La Négation Du Brésil,  est une réussite dans sa vision panoramique. Il permet de mesurer les avancements de l'industrie des séries brésiliennes. De plus, il nous offre à voir une société aux prises avec la réalité du métissage.

Pénélope Zang Mba

Cet article est écrit dans le cadre d'un partenariat avec le 5ème édition du FIFDA qui a eu lieu du 3 au 5 septembre 2015

Negacao da Brazil, de Joel Zito Araújo (2000, 90 minutes)

La violence, creuset de la plume d’Hakim Bah

Tachetures1 est une série de six nouvelles plus ou moins courtes. L’auteur, Hakim Bah, nous transporte dans chacune de ces nouvelles en Guinée Conakry. Il y traite de sujets assez attendus quand on plonge en littérature africaine : La violence sourde, son impact, la métamorphose qu’elle engendre sur ses victimes et la question du vivre ensemble. Il est important de souligner que lorsqu’on a dit cela, un bémol est à poser tout de suite. Tachetures est transposable dans n’importe quelle société de notre planète et je pense que c’est l’une des forces du livre. Cette violence  a, dans son expression, une forme d’absurdité. Après la lecture. Au moment où je vous écris. Car, quoi de plus absurde, lors de la répression d’une manifestation de lycéens ou d’étudiants guinéens par les hommes de main du pouvoir en place, de voir le désir naissant d’une relation amoureuse volé en éclats par le fait d’une balle qui pourrait être perdue ou visée? Pourquoi l’espoir qui se forme sous les pavés est-il anéanti si brutalement? Cette première nouvelle dont je vous ai parlé de manière détournée pour ne pas trop vous en dire, donne le ton de ce recueil. Il en définit un acteur central : la jeunesse. On me dira, la jeunesse guinéenne. Mais, j’ai le sentiment que ce livre dépasse largement le cadre de la Guinée. A l’explosion du partenaire accidentel de combat, la folie ou la déshumanisation de l’individu semble être une des voies de garage. Implacablement, le système répressif rattrape ses brebis égarées pour les remettre au pas.

Hakim Bah, écrivainCette nouvelle renvoie à des manifestations importantes en Guinée. Plus, on avance dans le texte, plus les viols se succèdent. Ils prennent des formes différentes et ne prenez pas au premier degré, ce que je dis. Mais pour faire simple, comme si cela est possible quand on fait de la recension, tout écart aussi minime soit-il est violemment, sinon cruellement sanctionné. Les dominants, les adultes usent de leur puissance pour assujettir, réprimer, briser toute forme d’originalité, de beauté dans l’individu. Une des nouvelles m’a d’ailleurs rappelé « I », une magnifique texte de la comorienne Touhfat Mouhtare publié dans le recueil Ames suspendues (éditions Coelacanthe, 2012). Le texte d’Hakim Bah fait écho à celui de sa consoeur comorienne. Ils sont écrits avec la même émotion, le même sentiment d’impuissance. Ils diffèrent sur les conséquences. Là encore la désorientation, l’incapacité à assumer un acte subi s’expriment sous le portrait brossé d'une jeune guinéenne par Hakim Bah.

Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un dispositif littéraire voulu pour accentuer l’impact de la violence subie. Mais, ce sont principalement des femmes qui subissent les coups, les gifles, les viols. Que cette violence soit l’expression de l’institution politique, l’institution familiale ou l’institution du mariage. Elle se traduit aussi dans un impossible dialogue qui ne permet pas de saisir le propos de la victime. Tachetures, la dernière nouvelle, est de ce point de vue terrifiante. L’absurdité y atteint un tel niveau d’intensité que le lecteur pourrait se déconnecter si le processus narratif de la nouvelle n’avait pas été aussi rondement mené. La qualité de la plume tient en laisse le lecteur et la justesse du propos ne fait qu’asseoir la crédibilité d’une scène : une mère qui livre sa fille à peine pubère à la nuit guinéenne. Un dernier mot portera sur une nouvelle qui traite de l’albinisme, du rejet et encore une fois de la violence physique qui s’abat sur les albinos pour des raisons obscures.

Hakim Bah réussit en très peu de mots a faire parler cette jeunesse africaine. Quand on réalise que la moitié de la population africaine a moins de 20 ans, une attention particulière doit être apportée à cette prise de parole. Hakim Bah, 27 ans, est également dramaturge. Si sa plume doit encore gagner en puissance, il a déjà la maîtrise de la mise en scène de son propos. Comment sortir de ce cycle de violence est la question qui se pose à chaque lecteur et plus largement aux africains de ma génération et de celle de mes parents qui sont aux manettes du pouvoir et qui dévoient, oppressent cette jeunesse. Mais, là, c’est moi qui parle, et non Hakim Bah.

Le livre dont je vous ai parlé est court, mais il est particulièrement dense dans son propos. Je vous le recommande.

Laréus Gangoueus

1. Tachetures, recueil de nouvelles (éditions Ganndal, Conakry Guinée, 2015) / Photo Hakim Bah – source RFI

Nelson Mandela : un Combattant de la Liberté

Nelson Mandela, un leader atypique

Je ne peux ne pas adresser ce billet à la mémoire d’un homme d’exception, ni cacher mon respect et mon admiration envers celui qui, de sa vie, en a fait un chant de lutte, afin que des millions soient libérés. Le 466ème  prisonnier, de 1964, de Robben Island, la désormais tristement célèbre prison. Nelson Mandela est plus qu’un homme, il est devenu le symbole de la lutte pour la liberté, pour le respect des individualités, et la libre conscience. Qu’il me soit permis de rendre hommage à Madiba (son nom de clan), et à Rohlilala, son prénom xhosa, signifiant  "celui qui amène les problèmes".

Les problèmes, Nelson Mandela en a résolu, il a été en cela le type même du leader, en résolvant les problèmes et en apportant des solutions. Partout, sur son chemin, de Ford Hare où il fut exclu avec son ami Oliver Tambo, à la création du Mk (partie de la division armée de l’ANC, dont il fut le fondateur, et une des raisons de sa condamnation), il a su apporter les mesures qui, une fois insufflées, ont imposé le changement.

Mandela était de ceux qui n’aimaient pas la stagnation, et qui, de par leur simple présence apportait des changements positifs. Que l’on ne s’inquiète pas des nuages, des tourments, des problèmes apparents; avec lui, le moment le plus sombre précédait toujours l’aube, et les solutions venaient après les luttes et les souffrances. Des geôles de Robben Island à la présidence, seul le Joseph de l'Ancien Testament a fait mieux.

Que l’on pense à l’homme, un humain, normal, fait de chair et d’os, refusant à plusieurs reprises la liberté offerte par le parti nationaliste sud-africain, refusant par conviction, refusant pour ne pas se compromettre, car il avait compris que la liberté sans les autres n’était pas la liberté. 

Mandela a défié les limites de l’Homme et montré une race d’hommes qui refusait de se compromettre. Il a choisi de se battre contre le système et compris qu’il ne s’agissait pas de se battre contre l’homme. Le système de l’apartheid qui voulait que l’homme noir se sente inférieur, limité, pauvre et ignorant. Il a refusé de se limiter par le langage de l’oppresseur, et a désiré jalousement la liberté qui lui était refusée.

Mandela, c’est aussi « le père de la nation », celui qui, dans son émouvant et captivant livre Un long chemin vers la liberté nous parle avec son cœur et reconnait les choix qui l’ont amené, inexorablement loin des siens. Le cri d’un père qui reconnait avoir fait des choix qui se sont avérés difficiles pour ses enfants, sa femme, Winnie Mandela.

Ce que je retiens de Mandela, c’est le sillage d’un homme qui a brillé pour montrer l’exemple. C’est la capacité à s’oublier pour être un repère pour les générations futures. C’est un homme de paix, qui pourtant, avait toutes les raisons pour haïr, détester, et refuser de pardonner. Mandela nous montre encore aujourd’hui qu’un leader, ce n’est pas ce qui est vu par le phrasé, le charisme ou encore les promesses de campagne, mais le sacrifice réel d’un homme pour les siens, l’exemplarité dans la conduite quelque soient les circonstances, en supportant l’insupportable, en gardant le moral.

Je suis fière que Mandela ait existé, et plus fière encore qu’il ait été AFRICAIN. Fière que l’Afrique ait engendré un tel leader, loin des dictateurs qui nous font souvent mauvaise presse. Mandela ne s’est pas affalé dans un pouvoir éternel. Le cri de ralliement de l’ANC était : « Amandla ! Ngawethu ! », ce qui veut dire « le Pouvoir, nous appartient ! » avec le poing levé. Il aurait pu rester indéfiniment et ‘mourir au pouvoir’ comme bon nombres de faux leaders ont décidé de le faire dans certains pays ; mais non, il a montré jusqu’au bout le chemin de la droiture,  du respect de l’autre.

La rectitude de son caractère, était sa marque de fabrique :

« Tout homme ou toute institution qui essaieront de me voler ma dignité perdront. »

Mandela a refusé tout compromis et pris sur lui de montrer le chemin de la liberté. Voilà pourquoi il n’est pas qu’aux Sud-Africains, mais au monde entier, car sa vie inspire chacun d’entre nous et nous sert de repère.

Pour ne pas conclure, je cite ici, la célèbre déclaration de Nelson Mandela, lorsqu’il devait recevoir la sentence pour le procès de Rivonia :

« Au cours de ma vie, je me suis entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. J'espère vivre assez pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

 Une citation que l’on entend ou lit et qui résonne longuement en nous : Et nous ? Sommes-nous prêts à dire de même ?

Pénélope Zang Mba

Un long chemin vers la liberté, Editions Fayard, 1994

Nelson Mandela-2008 (edit)" by South Africa The Good News / www.sagoodnews.co.za. Licensed under CC BY 2.0 via Wikimedia Commons – 

Coeur d’Aryenne de Jean Malonga

coeur d aryenneLe Congo est encore une colonie française, l’homme Blanc y est maître, tout-puissant, libre d’exploiter les ressources du pays en même temps que ses ressources humaines, avec la bénédiction du prêtre qui se charge d’inculquer aux autochtones que le Blanc représente leur salut : il leur apporte la civilisation, il leur apporte aussi le salut par la foi. Le climat de peur instauré conjointement par la menace de l’Enfer et la puissance des armes de l’homme blanc garantit au colon la soumission des Noirs dont la priorité est désormais de sauver leur peau. Mais la conscience du pouvoir et l’avidité sans bornes qui incite toujours à posséder plus alors qu’on en a déjà trop, poussent parfois à la folie, pour ne pas dire à l’inhumanité. Si Roch Morax avait un cœur, celui-ci devient un roc, inapte à être sensible, ni même à être reconnaissant des bienfaits reçus.

Roch Morax est le Blanc qui règne à Mossaka et ses environs, dans le Nord du Congo-Brazzaville, une région inondée une bonne partie de l’année, de sorte que les déplacements ne se font qu’en embarcation. Ses affaires sont florissantes : vente d’ivoire, de caoutchouc, de produits de la chasse et de la pêche… Ses désirs sont des ordres. Ses ordres doivent être exécutés avec la plus grande diligence, même au péril de sa vie. Qu’est-ce que la vie d’un Nègre de toutes façons, pour Roch Morax et ceux qui lui ressemblent, sinon qu’elle doit servir au bien-être du Blanc ?

Autant les Noirs sont considérés comme des êtres inférieurs, indignes de la moindre considération de la part du Blanc, autant lorsqu’il s’agit d’assouvir une lubricité intempestive, la femme noire, et bien souvent la jeune fille noire, devient une denrée dont Roch Morax ne peut se passer. Des vierges lui sont livrées, car le bonhomme a les moyens d’obtenir tout ce qu’il désire, toutes celles qui ont le malheur de lui plaire deviennent siennes, même s’il s’agit de la femme de son dévoué serviteur, son sauveur même.

Personne ne restait jamais longtemps au service des Morax à cause de la cruauté du maître, sa femme notamment avait du mal à trouver un cuisinier. Yoka, de la tribu Likouba, finit par accepter. C’est un excellent cuisinier qui a fait ses armes à Brazzaville. Il est marié avec la fille du chef du village de Mossaka, Dongo. Tous deux ont deux enfants : un fils, Mambeké, sportif hors pair, et une fille, Omboka. Le couple blanc de son côté a une fille, Solange. Interdiction formelle est faite à Solange et Mambeké de se fréquenter. Mais la jeunesse n’a aucune considération pour les préjugés, les deux enfants se voient en cachette et échangent leurs savoirs. Solange, qui a environ dix ans, apprend à lire et à écrire à Mambeké qui en a douze. Lui, en retour, lui apprend à nager, à pêcher etc.

Un jour, Solange est entraînée dans les flots du grand fleuve, et serait morte si Mambeké ne s’était pas jeté à l’eau pour la sauver. En remerciement, Roch Morax fera emprisonner sous des prétextes fallacieux son dévoué serviteur Yoka, le père de Mambéké, pour pouvoir mieux jouir de sa femme qu’il trouve irrésistible. Le petit Mambéké est battu puisque l’on découvre que les deux enfants continuaient à se voir, et Solange est envoyée au couvent à Léopoldville, ancien nom de Kinshasa. Roch Morax peut désormais donner libre cours à ses excès, au grand désespoir de sa femme qui, découvrant la conduite ignoble de son mari, se laisse mourir.

malonga_jean0127r4Prendre la plume pour écrire, à cette période de l’histoire, n’est pas une petite chose. C’est même une responsabilité dont Jean Malonga, premier écrivain congolais, est conscient. Il veut montrer l’hypocrisie ou la mauvaise foi qui consiste à faire croire qu’on ne s’installe en Afrique que par pur dévouement, pour apporter la ‘‘civilisation’’ à des êtres humains qui, donc, avant le Blanc, n’avaient pas de vie, n’étaient pas organisés, ne savaient rien, bref étaient dans la nuit totale ! Il a voulu donner la mesure des abus qui ont été commis pendant la période coloniale : ce ne sont pas seulement les richesses du pays qui sont pillées ; mais les vies privées qui sont bafouées, les viols qui sont commis sans que personne ne s’en émeuve, pas même les soi-disant hommes d’église, constituent des faits plus révoltants encore.

Des petits Métis, œuvre de Roch Morax, naissent comme des champignons de jeunes filles qui ne sont encore elles-mêmes que des enfants, qui voient leur avenir compromis : qui acceptera de les épouser ? Qui s’occupera de leurs enfants ? Un tout petit nombre de géniteurs blancs acceptent de reconnaître leurs enfants métis ou les traitent avec dignité, comme on peut le voir dans la saga d’Aurore Costa, Nika l’Africaine, dans laquelle le Blanc Manuel pleure sa Négresse Kinia, l’amour de sa vie, et fait tout pour récupérer les deux filles qu’elle lui a données. Je lis avec d’autant plus de plaisir un roman que celui-ci provoque un agréable télescopage dans mon esprit : des scènes de différents romans se croisent dans ma mémoire, tel personnage me fait penser à tel autre et je me laisse entraîner dans une ronde dans laquelle des romans que j’ai appréciés, écrits à différentes époques, par différents auteurs, me tiennent la main : Outre Nika l’Africaine, c’est aux Montagnes bleues de Philippe Vidal, avec la scène du sauvetage de l’enfant du maître, que je pense, c’est de Noir Négoce d’Olivier Merle, dont je me souviens, roman dans lequel on voit l’amour naître entre Blancs et Noirs, à une époque où les peuples ne sont pas encore prêts à une union entre personnes de couleur différente. C’est surtout à African Lady, l’excellent roman de Barbara Wood, que je pense, et il n’en faut pas plus pour que mes doigts se mettent tout de suite en action, pour aller sortir ce roman et relire certains passages chers à ma mémoire. Je pense bien que c’est le roman que mes doigts ont caressé un nombre incalculable de fois, suivi en cela par Au bonheur des Dames de Zola… Je m’égare !

Revenons à Jean Malonga. Tout le monde ne se ressemble pas, tous les Blancs ne sont pas des Roch Morax. Comme le dit si bien Henri Djombo dans sa préface, Cœur d’Aryenne, comme toute œuvre littéraire, « dépeint l’homme non seulement dans ce qu’il a de bestial mais aussi dans ce qu’il a de noble ». La femme de Morax ainsi que sa fille Solange ont plutôt un cœur généreux et c’est sur la jeunesse que se porte l’espoir de Jean Malonga, espoir en l’avènement d’une Humanité faite non d’Aryens, c’est-à-dire de gens qui se considèrent supérieurs, avec d’autres qui passeraient pour inférieurs, mais faite de personnes qui se respectent, qui peuvent s’aimer librement, se compléter, comme le symbolisent Solange et Mambeké, que le destin met sur la route l’un de l’autre. Les nombreux kilomètres qu'on a ménagé entre eux ne les ont pas empêchés de se retrouver… et de s’aimer.

Enfin cette œuvre qui marque la naissance de la littérature, en 1953 (ou en 1954 ? Les sources sont parfois contradictoires, comme on peut le voir dans un numéro de la Revue Notre Librairie, consacré à la littérature congolaise, qui indique 1953 comme année de publication de ce roman dans la Revue des Editions Présence Africaine, puis fournit une autre date quelques pages plus loin : 1954), cette œuvre, disais-je est enfin disponible, grâce aux Editions Hémar et Présence Africaine. La volonté de voir cette œuvre rééditée est née à la suite de la célébration des 60 ans de la littérature congolaise, fin 2013.

Jean Malonga distille dans le texte français des expressions typiques du Nord du Congo. C’est une œuvre que j’aurais aimé intégrer à mon corpus lorsque j’ai publié L’Expression du Métissage dans la Littérature Africaine, puisqu’il s’agit du premier roman congolais, et que déjà son auteur manifeste le désir de faire honneur à la culture de son pays, à ses coutumes, à ses langues, en particulier le Likouba, que Solange, la jeune française, apprend et parle avec aisance. Là encore, je pense à Noir Négoce où le héros du roman, motivé par l’amour, se met à apprendre le wolof en un temps relativement court pour pouvoir communiquer avec sa princesse noire sans intermédiaire. Pour terminer avec les comparaisons, l’intelligence de Mambeké peut faire penser à celle de Christian, le héros des Montagnes bleues. Sa capacité à assimiler les connaissances, à mémoriser les textes ahurissent, c’est le mot, le Père Hux, qui n’aurait jamais soupçonné de telles capacités chez un Nègre.

J’ai aussi aimé la dose d’ironie dont Jean Malonga habille son texte. En voici un exemple :

« Il paraît que cette insouciance invraisemblable de laisser deux enfants, deux gamins ensemble, surtout de race différente – une blanche, c’est-à-dire une maîtresse, et un petit nègre qui n’est autre chose qu’eun vil objet – était un grand crime, une atrocité sans nom au yeux du « bon » Père Hux. Comme cela se devait, il avait d’abord fait un sermon sentencieux à Solange, puni sévèrement Mambeké et averti les parents inconscients et coupables de ce lèse-humanité aryenne. – Ma petite Solange, avait susurré l’apôtre de la fraternité humaine. Ma petite Solange, mais tu es extraordinaire. Comment oses-tu te faire conduire en pirogue par un petit Nègre tout sale ? N’as-tu pas peur de te voir jeter à l’eau par ce sauvage qui se régalera ensuite de ta chair si tendre ? N’as-tu pas peur de te contaminer de sa vermine ? Je ne te comprends pas, mon enfant. Non, réellement, je ne peux pas arriver à te comprendre. Oublies-tu donc que tu es une Blanche, une maîtresse pour tous les Nègres, quels qu’ils soient ? Il faut savoir garder ses distances, que diable ! – Mais mon Père, avait essayé de protester l’innocente Solange. Mais, mon Père, Mambeké est un garçon très habile. Il manie la pagaie mieux que tous ceux de la factorerie. En outre, il est poli, correct, discipliné et ne m’a jamais rien dit de méchant. Il se couperait lutôt la main que de me voir souffrir. Je m’amuse énormément à son bord. »

(Cœur d’Aryenne, pages 22-23)

Liss Kihindou, l'article est tiré de son blog Valets des livres

Jean Malonga, Cœur d’Aryenne, Editions Hémar et Présence Africaine, 2014, 192 pages, 7 €. Première publication Revue Présence Africaine 1953.

Quand Théo Ananissoh évoque Sony Labou Tansi

Cette année 2015 est vraiment très riche sur le plan littéraire francophone. Elle est source d’une certaine frustration aussi pour moi. J’aimerais tant donner la parole à nombre d’auteurs qui animent par leurs publications cette seconde rentrée littéraire : Gaston-Paul Effa, Charline Effah, Eugène Ebodé, Kangni Alem, Théo Ananissoh, Mohamed Mbougar Sarr, Abdourahman Waberi, Alain Mabanckou, Hakim Bah… 

Ananissoh romanIl y a aussi toute cette ambiance autour de la figure passionnante de Sony Labou Tansi. L'homme de lettres congolais est décédé, il y a 20 ans, déjà. Plusieurs rencontres auxquelles j'ai pu assister autour de Sony Labou Tansi m'ont données de reconsidérer le personnage. Loin de la figure aigrie et clivante que nombre de congolais ont connu à la conférence nationale, le Sony dans ce monde littéraire est tout autre : un personnage aux propos engageants, vrais sans réelle retenue. Depuis le début de l’année, j’entends un homme en véritable dialogue avec d’autres. Pas un écrivain frustré et isolé dans la tour d’ivoire de ses écrits.

Le nouveau roman de Théo Ananissoh consacré à Sony Labou Tansi s’inscrit réellement dans ce portrait engageant qui chaque jour est enrichi par tous ces témoignages de personnes l'ayant cotoyé. Ici, toutefois, les mots viennent du Togo. Celui qui témoigne est Charles Koffi Améla, un professeur de lettres classiques, latiniste impénitent, spécialiste de l’époque romaine. L’homme de lettres togolais a rencontré Sony Labou Tansi au cours d’un long voyage commun aux Etats Unis. Les deux hommes se sont pour l'occasion apprivoisés, se sont découverts et ils ont fini par sceller un pacte. Quel est-il ? Pour le savoir, il faut lire Le soleil sans se brûler de Théo Ananissoh.

Dans ses incessants retours au Togo, le personnage narrateur ici nommé Théo, ressemble beaucoup au profil du romancier. On est en 1995. Le narrateur vient de terminer une thèse de lettres sur Sony Labou Tansi et il profite de son séjour à Lomé pour rendre visite à son ancien professeur, Charles Koffi Améla qui vient de sortir de prison.

Autofiction, dire le faux pour exprimer le vrai ?

La première phase du roman oscille à la fois entre les échanges strictement littéraires entre l’élève et son ancien mentor. Sony Labou Tansi vs Ahmadou Kourouma. Le propos libre d’Améla, dans une discussion de salon, lui permet de présenter sous un jour surprenant et critique son ami Sony. Il peut parler vrai. Enfin, vrai si cela est possible puisque techniquement Charles Koffi Amela n’existe pas (j’ai fouillé sur Google). Amela Edoh Yao lui, est bien réel. Cette petite recherche sur Google a remis en cause les certitudes dans lesquelles le très beau récit d’Ananissoh me conduisait. Mais ce n’est pas un récit. C’est un roman. Une autofiction. Comment démêler le vrai, de l’envisagé, du supposé. Théo Ananissoh a-t-il discuté de Sony Labou Tansi un jour avec Amela ?

Photo Théo Ananissoh – copyright C. Hélie

Ce qui est finalement essentiel, c'est d'observer le dispositif que Théo Ananissoh met en place pour évoquer Sony Labou Tansi avec plus de liberté.

J'avais accordé foi à des écrits bâclés, livrés avec hâte et sans réflexion véritable. Ces romans de la fin sans queue ni tête, ces pièces de théâtre annuelles qu'avaient financées quatre, cinq ans de suite un festival à Limoges, en France… Facilité, politique, manipulation…

p. 21, éditions Elyzad

Soyons juste. J'ai été séduit, épaté même, je l'avoue, par Sony. Aux USA, lors de nos discussions interminables, et ici, en 1988. Il a le sens des formules, Sony. Ca fuse, et cela plaît. Il a secoué les gens ici, lors de son passage. Il les a saisis. Mais (soupir), c'est finalement qu'un perroquet.

p. 32 Ed. Elyzad

Je parlais d’oscillations dans la narration de Théo. S’il y a discussion sur Sony Labou Tansi, il y a aussi une observation très discrète du professeur Amela par Théo. Sans être dans une révérence forcenée, il échange avec beaucoup de respect avec cet homme déchu, ayant perdu sa superbe, vivant dans des conditions extrêmes, ayant goûté aux geôles malodorantes de Gnassingbé Eyadéma. Un peu comme dans Ténèbres à midi, un précédent roman de l'écrivain togolais, se dessine le portrait d'un homme broyé par un système politique impitoyable. La prouesse comme toujours chez Ananissoh, c’est que tout cela n’est jamais dit de manière frontale. Mais par des observations, avec une science portée sur le détail, qui je dois dire, comme chez Nimrod sont un régal pour le lecteur patient. J’aimerais juste sur ce point du détail, dire quelque chose de nouveau apparait dans la narration : une forme de jugement chargé de mépris. C’est assez étonnant. Il y a quelque chose de très subjectif, je pense quand il écrit le texte suivant à propos d’un haut fonctionnaire :

« Il a choisi, comme Améla, un demi-poulet rôti accompagné de frites qu'on lui sert dans une assiette à part. Le maître d'hôtel apporte lui-même deux tubes de ketchup et de mayonnaise. C'est pour Térémé dont il connaît le goût. Celui-ci dépose à l'ombre du demi-poulet une portion généreuse de chaque sauce qu'il mange comme ceci : il prend avec les doigts trois ou quatre frites, les plonge dans l'une puis dans l'autre sauce, et introduit le tout en une fois dans sa bouche. Le geste est adroit. Il enfonce et pivote en même temps les frites afin de les couvrir d'une bonne couche de ketchup et de mayonnaise. Il faut de l'application, je pense. Il s'occupe ainsi environ une minute sans plus parler. C'est ensuite qu'il se saisit de la fourchette et du couteau et entame le demi-poulet. Alors seulement, il revient à Améla et à moi. Il mange de cette façon dans les nombreuses rencontres de la Francophonie. Il s'alimentait de la sorte avant d'être promu aux fonctions qu'il occupe »

p.72 Ed. Elyzad

Sony, instruit ou pas ?

Sciemment, je n’aborderais pas la seconde partie du roman. J’aimerais juste dire qu’on termine ce roman, quand on s’est laissé un poil embarquer par le savoureux professeur Améla, avec une pointe de colère ou d’impuissance, selon l’humeur du lecteur. Les bonnes questions qui interpellent le lecteur ne sont pas tellement celles de savoir qui de Kourouma ou Sony Labou Tansi fut le plus instruit, le plus brillant, le plus original. Cette affaire de l’instruction pose problème. Construit sur les fondements de la culture kongo, peut-on dire que Sony Labou Tansi n’était pas instruit parce qu’il ne s’était pas suffisamment nourri aux références occidentales de la littérature moderne et peut-être trop influencé par Garcia-Marquez ? C’est naturellement de la provocation venant d’Améla. C’est peut être aussi le regard entre deux intellectuels arc-boutés sur deux postes d’observation du monde : Le latin et le kongo.

Au fond, la question qui importe pour Ananissoh est celle de cette relation complexe entre intellectuels africains et un pouvoir local qui les consume sans tenter de mettre un minimum de forme car là, seule compte l’allégeance complète et définitive, et une élite française qui sublime certains de leurs discours, car au final, elle finance et expose selon leur bon désir ces intellos dépendants. C’est ce qui se dégage du final de ce roman passionnant. Après lecture, on pourra peser le pour et le contre, mais il sera difficile d’ignorer ce texte engageant.

Laréus Gangoueus

Entretien avec Hemley Boum : Plongée dans le maquis camerounais

Hemley Boum, écrivaine camerounaise, est l'auteure d'un roman remarquable alliant faits historiques et fiction autour du leader nationaliste Ruben Um Nyobé et du volet bassa du maquis camerounais. Les maquisards, ce roman,  est publié aux éditions La Cheminante et disponible en librairie ou en ligne. La romancière camerounaise a accepté de se prêter au jeu des questions-réponses sur ce thème sensible, douloureux et peu connu de la décolonisation en Afrique.


HemleyBoum

Hemley Boum, Bonjour. Vous avez choisi d’écrire sur le maquis camerounais. Un roman plutôt qu’un essai…

C’est un roman intense, complexe avec plusieurs entrées, plusieurs histoires qui s’imbriquent, s’enlacent afin de donner de la cohérence à l’ensemble. Il est assez métaphorique aussi. Je comprends que l’on choisisse certaines portes d’entrée plutôt que d’autres, c’est la liberté du lecteur. Même si « Les Maquisards » est un roman très documenté mais il ne s’agit en aucun cas d’un essai. J’ai délibérément choisi les éléments historiques qui venaient nourrir ma fiction et mis la grande Histoire au service des existences individuelles des hommes et des femmes dont il est question ici. Bien que certaines actions en background se déroulent ailleurs, j’ai choisi une unité de lieu, la forêt bassa, et partant de là, d’étendre ma narration sur plusieurs générations de personnes. L’idée étant d’être au plus près des êtres, au plus près de leur parcours de vies, leurs espoirs, leurs ambitions afin d’expliquer pourquoi toutes ces personnes, ces paysans se sont engagés dans un combat de cette ampleur. Je n’aurais probablement pas pu me permettre une telle licence dans le cadre d’un essai. 

C’est votre marque de fabrique déjà observée dans le précédent roman Si d’aimer…

Oui, nous sommes au plus près des désordres humains, de nos humanités. C’est une littérature qui est dans l’intime, elle se veut être au plus près des hommes.

Comment passe-t-on de Si d’aimer… à ce nouveau roman Les maquisards?

C’est difficile à expliquer, des évènements personnels, des commentaires, des rencontres m’ont fait comprendre qu’il y avait là un sujet d’une extrême gravité et que comme beaucoup de camerounais de ma génération, je passais à côté d’un pan important de l’histoire de mon pays. Ce qui était une vague curiosité s’est changé en interpellation puis en nécessité impérieuse. Je me suis aperçue que plusieurs personnes dans mon entourage immédiat avaient été impactées par cette histoire, avaient personnellement souffert dans cette lutte, elles avaient perdu des membres de leurs familles, des patronymes avaient dû être changés pour échapper à la répression, des villages que je croyais immuables dataient des déplacements forcés de population organisés par l’administration coloniale dans sa stratégie pour isoler les rebelles réfugiés dans la forêt.

En pays bassa, les paysannes pratiquent l’agriculture par jachère. Elles laissent respirer la terre pendant de longues périodes. Des personnes m’ont expliqués qu’encore dans les années 80-90, il arrivait qu’en abordant une nouvelle terre, qu’elles tombent sur des charniers. J’avais l’impression d’ouvrir une boite de Pandore.

J’ai effectué quasiment toutes mes études au Cameroun, et dans mon parcours scolaire je n’ai pas été frontalement confrontée à cette histoire. Si je l’ai rencontrée, c’était tellement édulcoré, peu mis en avant que j’ai zappé. Jusqu’à quel point mon esprit subodorant la supercherie s’est fermé aux faux-semblants officiels. Combien sommes-nous de ma génération à avoir réagi ou à réagir encore ainsi ?

Ecrire sur Um Nyobé, est-ce que le projet a été difficile? D’ailleurs Um Nyobé, est-il personnage prétexte dans votre roman? Comment avez-vous reconstitué cet univers?

Dans les maquisards, Mpodol* n’est pas un personnage prétexte. C’est un vrai personnage qui impulse des choses. Il existe. Il y a quelque chose qui va se mettre en place entre lui et ses proches. Pour connaitre Mpodol, il faut écouter ses discours.  Il est très différent d’un Césaire ou plutôt d’un Senghor, d’ailleurs ils n’avaient aucune sympathie l’un pour l’autre. L’homme d’Etat Sénégalais a été particulièrement injuste avec les nationalistes camerounais, mais ce n’est pas le sujet. Mpodol a du respect pour le français, la langue française, mais il n’a pas cette admiration béate devant la culture française que vont avoir certains leaders africains. Son père est un patriarche traditionnel et il est lui-même très ancré dans la culture bassa. Il a peu d’amis hormis un noyau dur de personnes qui restera jusqu’au bout et dont plusieurs partageront son sort tragique. Il n’est pas mondain. Ce qui va faire le roman, c’est cela, toute cette force, ces passions, cet engagement sans concession, tout cela concentré dans cette forêt, cette cabane, leur environnement naturel. Mpodol n’est pas un poète, un grammairien ou quelqu’un qui a le goût des belles phrases, des envolées lyriques. Il cherche le mot juste, la bonne intonation. Ses discours aux Nations Unies sont révélateurs, il est précis, convaincant, factuel. Il a une mentalité de juriste. Quand il rentre dans les textes français, il les aborde avec profondeur, il les dissèque car il pense que c’est là que ça se joue et qu’il s’agit d’un combat loyal. C’était leur force et leur terrible faiblesse, ces hommes étaient capables de comprendre la complexité d’un texte, sans toutefois saisir l’esprit des rédacteurs. Il pensait sincèrement que cela se jouait à la loyale.

 Au début le livre devait se concentrer sur Um Nyobe, j’ai travaillé sur cinquante pages puis j’ai bloqué. La construction avait du mal à avancer. C’est à ce moment que j’ai créé le personnage d’Amos qui est son double. Ainsi Amos existe et Um Nyobé prend sa place de leader. Il devient un personnage. Je peux donc exploiter les aspects historiques et la dimension personnelle, je peux l’insuffler dans leur relation.

Ces personnages de fiction prennent une place très importante. Le roman prend la forme d’une saga familiale. Il y a des femmes fortes. Il est question de deux femmes particulièrement Thérèse Nyemb et Esta Mbondo Njee.

Elles sont toutes fortes. Likak aussi est une femme forte. Si être une femme forte c’est ne pas se laisser briser, dévaster par l’adversité, même Jeannette et Christine Manguele sont fortes à leur manière.

C’est un roman très féminin. Il y a une démarche de montrer ces femmes qui bougent, bousculent la société bassa traditionnelle.

Votre propos est étonnant. Il y a des hommes forts dans ce roman. Amos Manguele est une grosse personnalité. Alexandre Muulé Nyemb, Ruben Um Nyobe aussi… Mais, comme ils coexistent avec des femmes de caractère dans une relation de complémentarité, vous en déduisez que le roman est féminin. L’important c’est que ces personnes, hommes et femmes, sont puissantes en tant qu’individus mais aussi en tant que communauté, les deux sont liés, imbriqués même. Cela explique leur engagement.

En outre, l’immense implication des femmes dans le mouvement national Camerounais et la guerre de libération est une vérité historique. Mes personnages sont fictifs, cependant dans la réalité, des femmes seront assassinées en même temps que Ruben Um Nyobe ce jour là à Boumnyebel.

Ici, le propos n’est-il pas de dire que ce sont les femmes qui introduisent une certaine rupture? De plus, on pense à un roman comme Cent ans de solitude de Gabriel Garcia-Marquez : La malédiction et le silence. Y-a-t-il de votre  part une réflexion sur la malédiction et les chaines de silence qui se reproduisent de génération en génération? Qu'est-ce que ce silence ?

Le poids des non-dits, le poids du silence sur des faits aussi graves, sur des atteintes aussi importantes aux populations d’un pays provoque un sentiment de honte diffus mais bien réel. Un manteau de violence et de peur a été posé sur cette période.

On peut se demander pourquoi Um Nyobé n’a pas eu la même reconnaissance que Lumumba. D’abord, ce n’est pas le même profil de personne. D’une part. Et d’autre part, le maquis Camerounais s’est fait en deux temps. Il y a le maquis en pays bassa qui fait l’objet du traitement de mon roman. Puis après l’indépendance, il y a eu le volet en pays bamiléké. Le gouvernement camerounais d’Ahidjo avec l’appui logistique, financier et militaire de l’ancienne métropole s’attèlera  à la traque des partisans qui continuent le combat en pays bamiléké. Vous savez, dans la spiritualité bamiléké, il y a des pratiques très fortes autour du crâne des ancêtres. Alors les forces conjointes en lutte contre les nationalistes vont systématiquement trancher les têtes de leurs adversaires et les accrocher sur des pics. Peut-on imaginer une telle violence, une si grande volonté de destruction va au-delà de la nécessité de mater la rébellion, il s’agit de soumettre, de dévaster et d’instaurer durablement la terreur.  Sauf qu’au moment où cela a lieu, le gouvernement au pouvoir est Camerounais. Certaines personnes impliquées dans ces exactions sont encore au pouvoir aujourd’hui. Cela ne facilite pas le devoir de mémoire. Mais les temps changent, j’ai bon espoir. Nous devrons tôt ou tard affronter nos propres démons.

Sur la place des colons : Pierre Le Gall, le colon, est le personnage pour lequel vous introduisez le moins de nuances. Qu’incarne-t-il pour vous? Sur la rencontre entre la femme africaine et l’homme occidental?

Non, je n’ai pas introduit de nuance sur ce personnage pour une raison simple, ce que j’ai écrit sur ce personnage est bien en deçà de ce que les témoignages laissent entendre du comportement de certains colons. La colonisation en elle-même était un système d’une extrême violence uniquement justifiée par des intérêts économiques. La nuance s’inscrira plus globalement dans le livre, le roman dans son ensemble fait coexister des personnes que tout oppose et qui malgré tout se rejoignent dans une commune humanité.

Vous savez certains sujets sont plus porteurs que d’autres. Par exemple dans mon précédent roman Si d’aimer… je raconte cette relation entre le personnage de Céline et son proxénète. Et plus loin dans le roman, je parle aussi de la relation d’amour entre Céline et Paul. Une relation plus apaisée beaucoup plus belle. Mais on me parle toujours de la première et rarement de la seconde. Avec Les Maquisards, c’est un peu la même chose. Il y a Pierre Le Gall, mais aussi son pendant, son fils Gérard, ou la sœur Marie-Bernard qui offre une vision différente des relations entre les personnages y compris dans ces configurations tendues.  Et puis, au cœur même de la rébellion, lorsque les choses se corsent, des partisans se retournent contre les populations, ceux dont l’implication dans le mouvement est mise en doute sont molestés, terrorisés, le personnage de  Joseph Manguele traduit bien cette réalité aussi. 

Ce n’est pas un problème de couleur de peau, cela ne l’a jamais été, en tout cas pas dans mon écriture. Il s’agit plus fondamentalement du respect de l’autre dans son humanité et sa singularité, du respect de l’autre comme unique garantie d’une relation que l’on veut sincère.

Pouvez-vous nous parler la construction de vos personnages? 

Je suis profondément dans l’intime. Les écrivains américains sont doués pour cela, quelqu’un qui fait cela et qui me bouleverse, c’est l’auteur américaine Toni Morrison mais aussi Philip Roth dans un livre que j’adore qui s’appelle « La tache », ou Faulkner dans « Absalon, Absalon ». Même l’incroyable James Ellroy est sacrément doué dans cet exercice. Et Balzac dans la littérature française.

Lorsque vous avez fini de les lire, les pires personnages ont une humanité. Il y a des choses à voir au-delà des actes qu’ils posent. Ils ont une intériorité. C’est de la bonne fiction. Celle qui donne l’impression que nous sommes dans une tragédie antique, chaque personnage est potentiellement Orphée, Perséphone Médée…C’est la fiction que j’aime, celle qui repousse les limites et qui dit l’Histoire, la vie et ses bifurcations dans toute leur complexité en partant de l’humain lambda, vous, moi, n’importe quel personnage de roman. C’est celle que j’essaie d’écrire.

Sur la place de spiritualité dans le livre, il y a une approche un peu manichéenne. Mais sans aller dans le détail, vous présentez cette thématique sous un angle particulier, avec l’idée d’un éventuel retour en arrière, vers ces croyances ancestrales. Est-ce le cas?

Peut-on revenir en arrière? Tant de choses ont été détruites. Pour illustrer mon propos, je raconterai une situation que Soyinka a vécue en Jamaïque à l’époque où il est chassé du Nigéria par Sani Abacha. Soyinka raconte dans ses mémoires que son errance à travers le monde le mène à un village en Jamaïque qui porte le même nom que son propre village de naissance et où l’on pratique un rite à un dieu Yoruba qui est profondément pur. En fait, les jamaïcains avaient gardé des aspects de ces pratiques qui avaient été violemment combattus par le système colonial.  

Les croyances et la spiritualité des groupes humains en Afrique datent de l’Egypte ancienne, Cheikh Anta Diop ainsi que des anthropologues de l’Afrique anglophone, Nigéria, Ghana, ont longuement analysé cet héritage. Il faut comprendre que les croyances africaines, ces spiritualités si anciennes ne sont pas, dans leurs essences, prosélytes. C’est une manière d’être, d’exister dans un accord parfait avec son environnement, son groupe incluant les vivants et les morts. Ce sont des communautés qui comprennent bien que la spiritualité est intime, confidentielle. Elle dépend de votre relation, votre histoire propre en tant qu’individu et en tant que groupe avec les divinités que vous vénérez et à ce titre ne peut en aucune manière être imposée à d’autres.  

Aujourd’hui et c’est bien là le paradoxe, le retour des jeunes vers ces spiritualités africaines se fait contre, en réaction de… Il ne s’agit plus d’un être au monde fluide et naturel, mais d’une spiritualité de combat et de revendication.  Je comprends la démarche mais je ne suis pas certaine que ce soit judicieux.

Est-ce que la fiction peut permettre un changement, introduire le débat?

C’est le rôle de la fiction. Elle permet la prise de recul sur la situation. L’Histoire sur laquelle l’on choisit d’édifier la mémoire d’un peuple est avant toute chose un choix idéologique, cela a l’air d’une science, mais au fond c’est un tri de ce qui va renforcer la conscience de faire corps, le lien, la communauté. Appelez-le prise de la Bastille, République, Guerre de Sécession, Shoah, ainsi s’écrit la légende des peuples, les valeurs qu’ils partagent. La fiction participe à bâtir des édifices imaginaires forts.  Au Cameroun, nous n’avons pas tant que cela des motifs de fierté collective et symbolique, les forces disproportionnées lâchées sur ces personnes de rien, ces paysans désarmés, ces instruits de premières générations, sont une honte et le resteront de toute éternité. Le courage de ces hommes et ces femmes, de même que le sacrifice consenti, est notre plus grande fierté ; quelque chose d’assez solide pour bâtir une Nation. 

Vous avez une profonde connaissance de la culture bassa. Pouvez-vous nous en parler?

Je me suis intéressé à ces données. Comme je l’ai dit plus haut, je voulais ancrer mes personnages dans une réalité sociale et spirituelle forte. Etre au plus près de leur réalité, de leur vécu. Pour cela je devais m’imprégner de la culture bassa, la comprendre dans ses nuances et ses non-dits. Me l’approprier. Je ne regrette pas, j’ai beaucoup appris, mieux compris. Cela reste une belle expérience personnelle.

Il y a  une déstructuration très forte portée au niveau des filiations. Quel est votre propos à ce sujet?

La sexualité telle que la conçoit, l’église catholique, avec cette notion de culpabilité est très peu présente dans les sociétés traditionnelles, elle n’a même pas de sens dans ce contexte. Dans l’organisation sociale traditionelle, la parenté est sociale avant d’être biologique Chez moi, quand une femme avait un enfant avant le mariage, c’était un très bon point, elle avait fait la preuve de sa fécondité alors sa dot était plus importante. Les peuples sont pragmatiques, la cohésion du groupe prime sur l’idéologie, la spiritualité et les croyances travaillent dans ce sens. À ce titre la complémentarité des hommes et de femmes est à la fois économique, sociale, politique et spirituelle.

Un dernier point sur la place de la langue bassa. Manguele communique en bassa avec les autres membres de la guérilla. Quel regard portez-vous sur les langues africaines. Y-a-t-il un enjeu à revenir vers elles, comme elles ont été un moyen de communication sécurisé dans le maquis bassa?

Les bassa, comme quelques autres groupes tribaux au Cameroun ont très vite appris à écrire leur langue. Les églises protestantes américaines installées dans cette zone dès la fin du XIXème choisissent de commencer les apprentissages avec l’écriture et la lecture du bassa. Elles n’ont pas la même appréhension de la question que les catholiques français qui en interdisent formellement l’utilisation à l’école. Ce qui donne une génération de personnes qui non seulement évolue dans leur environnement naturel en parlant leur langue maternelle, mais en plus ont appris à l’intellectualiser à la façon occidentale. C’est un vrai atout. 

En outre, les pères fondateurs de l’UPC étaient issus de tous les grands groupes ethniques camerounais. Cela a permis une transmission du message en langue locale qui a surtout infusé auprès de ceux à qui personne ne prenait la peine d’expliquer les enjeux économiques dont ils étaient l’objet. Tout d’un coup, nous sommes dans de l’entre soi, un immense entre soi qui réunit les camerounais en excluant l’occupant. Et bien sûr les communications qui ont lieu dans les centres urbains plus hétéroclites en terme de population que les villages le sont en français. Le mouvement développe ainsi une souplesse, une adaptabilité supplémentaire.

La langue est un enjeu de communication majeur. Chacune d’elle véhicule ses propres subtilités, un imaginaire, une histoire que l’on peut traduire dans une autre langue bien sûr mais sans jamais être assuré d’avoir respecté au-delà de la lettre, l’esprit. Malgré tout, comme le reste, elles vivent et meurent, remplacées par d’autres plus accessibles ou que sais-je. Mais à chaque fois qu’ainsi disparaît une langue, la perte est à la fois silencieuse, dévastatrice et sans rémission. 

Hemley Boum, merci !

Merci!

Propos recueillis par Laréus Gangoueus

Apologie d’un cinéma africain populaire et indépendant

Sans être un grand expert du cinéma africain, je suis avec intérêt les films qui ont le rare privilège d’être projetés dans les grandes salles obscures françaises. Franciliennes, je préciserais même. De Carmen de Joseph Gaye Ramaka à Viva Riva de Djo Tunda Wa Munga, de Sia Yatabaré, ou le rêve de Python de Dany Kouyaté, de Bamako à Timbuktu, deux voyages proposés par Abderahmane Sissako. Des films souvent bien bâtis, avec de belles images, une tonalité entendue.Kunle Afolayan

Kunle Afolayan, réalisateur nigérian

Le cinéma comme la littérature sont des objets culturels qui peuvent déconstruire ou renforcer une certaine image de l’Afrique et des Africains en général. Sans vouloir rentrer dans des considérations techniques, philosophiques, esthétiques, au fil de ces rendez-vous occasionnels, ratés souvent, si on excepte Timbuktu de Sissako, la conviction suivante s’est progressivement installé dans mon esprit : ces films « africains » financés par des fonds européens ne sont pas adressés à un public africain. Ils servent un discours néo-colonial au pire, sinon ils poursuivent l’entretien de clichés faux sur l’Afrique qui, d’une certaine manière, ont le mérite de rassurer le public qui paie pour les voir. Je suis conscient d’être quelque peu excessif. Mais entre nous, je ne suis pas le premier à le dire. Boubacar Boris Diop, le grand romancier et essayiste sénégalais en parle très bien dans la première nouvelle intitulée La petite vieille de son recueil La nuit de l’Imoko paru aux éditions Mémoires d’encrier. La révolte d'un intellectuel africain marginal quant à cette prise de parole biaisée et exprimée par le septième art piloté à distance est d’ailleurs durement réprimée. Quand on sait que l’un des principaux champs de bataille de Boubacar Boris Diop est la dénonciation d’une Françafrique qui fait la pluie et le beau temps sur le continent, la palabre est terminée, le sujet bien défini.

Le festival Nollywood week à Paris a motivé l'écriture de cette note. Il me semble avoir cru saisir la nuance entre un cinéma assisté et un cinéma indépendant. Si j’entends l’exigence de qualité qu’un observateur avisé comme l'artiste et producteur haïtien Jimmy Jean-Louis exprime avec insistance, il est une chose certaine au niveau du cinéma nigérian : les lions racontent désormais des histoires aux lions, laissant à la lisière de la forêt un chasseur désabusé. Et étrangement, cela se traduit dans les réactions du public dans la salle majoritairement d’origine africaine se reconnait dans ce qui est narré, mis en scène. Franches rigolades dans la comédie dramatique se déroulant à Londres (Gone too far, Destiny Ekaragha). Râles, soupirs, pleurs devant le triste destin d’Halima (Dry, Stephanie Okéréké-Linus). Que dire des enquêtes de l’inspecteur Waziri? Le point de vue de Kunlé Afolayan, réalisateur d'October 1, est brillant, discutable, subjectif. C’est un nigerian qui revisite avec lucidité une tragédie à l’orée de l’indépendance de son pays. L’issue de ce polar historique offre au spectateur un aperçu de la complexité et du défi pour une nation multiculturelle qui doit prendre en main sa destinée. Elle doit le October-1-World-Premiere-28-September-2014-AlabamaU2-02faire en portant les stigmates des violences sourdes infligées par le colon par des voies parfois inattendues.

Je pourrais parler d’autres films que j’ai pu voir, mais mon propos ici est dire que j’ai réellement vu du cinéma indépendant au sens le plus noble du terme. Et c’est passionnant. Le contenu diffère. Car il est essentiel que l’Afrique puisse produire un discours qui lui appartienne. Pourquoi ne suis-je pas surpris que ces films de très bonnes factures soient absents de la programmation du FESPACO de Ouagadougou? Peut-on vraiment dire que Dry ou October 1 ne soient pas compétitifs?

Soyons honnêtes, je ne connais pas les tenants et les aboutissants des sélections des jurys de ce genre de festival, mais encore une fois, je pense que Boubacar Boris Diop n’est pas loin de la vérité, quand il s’agit plus de faire allégeance aux structures qui financent toutes ces initiatives. La cohabitation avec des producteurs nigérians et indépendants serait un contre sens, comme introduire le ver dans la pomme…

La force d’un cinéma indépendant se mesure à la liberté du discours accordée aux créateurs que sont les scénaristes et les réalisateurs. Et d’une certaine manière, cette affirmation vaut pour le monde littéraire. Les procès faits à certains auteurs africains qui écriraient pour un public occidental est une fuite en avant et un déni de responsabilité. Ce qui fait l’artiste, c’est le consommateur, celui qui accepte de se confronter à l’oeuvre produite et qui juge qu’un tel investissement en vaille la chandelle. Nollywood s’est trouvé un vrai public en produisant des oeuvres qui lui parlent. La puissance économique de ce cinéma repose sur la base populaire très large fidélisée, non sur une élite restreinte qui regarde de haut toutes ses productions endogènes. Le modèle est instable. Il ne s’appuie pas sur un réseau de salles de cinéma. Mais, ce n’est pas le sujet de cet article que je vais conclure. Il y a une vraie fierté à réaliser que sur le continent, des réalisateurs nigérians ou ghanéens peuvent être soutenus par des programmes et financements autonomes à la fois des pouvoirs publics et de l’aumône des institutions étrangères et plus particulièrement occidentales. Nous faisons donc l’apologie de ce type de cinéma, même s’il n’est capable de produire qu’un bon film par an…

Laréus Gangoueus

L’artiste dans l’Afrique précoloniale

Personne aujourd’hui, même sans y porter un intérêt particulier, n’ignore ce qu’est l’art Africain, formellement, du moins. Présent dans les collections permanentes des plus grands musées du monde, objet de nombreuses expositions temporaires et sujet d’une abondante littérature, l’art africain, notamment la sculpture, son élément majeur quant aux arts plastiques, est bien connu quant à ses catégories, ses nuances. Pourtant lorsqu’on pose le regard sur ces pièces, qui comme les œuvres des autres cultures illustrent la manière spécifique dont une culture donnée conjugue l’universel, et que l’on s’interroge sur ce qu’elles nous disent de notre condition, l’absence d’un élément important pour la compréhension et l’interprétation de cet art se fait cruellement ressentir : l’artiste Africain. Toute œuvre en ce qu’elle est une objectivation des considérations et de la sensibilité propres de l’auteur en porte le cachet. Seulement l’établissement des traits caractéristiques ce dernier ne peut se faire sans un recensement préalable de son œuvre, laquelle est ardue sans l’aide de la signature si son origine ne peut être attestée par aucune tradition. Mais la signature est propre aux civilisations de l’écrit auxquelles l’Afrique subsaharienne n’appartient pas. 

Emprisonnés dans leur anonymat, ces artistes ne se révéleront jamais à nous, nous laissant les imaginer et les deviner à travers leurs œuvres centenaires. Si des indications d’ordre général existent sur les créateurs et le contexte social de leur travail, on ignore tout de ce qui les singularise : le nom, la biographie, la formation, les influences et l’éclosion du génie. Même si ce silence inouï n’ôte rien à la puissance esthétique de l’art africain longtemps relégué dans des sous catégories (art primitif, art nègre), elle prive cependant sa production de l’auréole de sainteté qu’apporte un nom, surtout quand il désigne un maitre, et complique l’établissement d’une histoire de l’art grâce à laquelle s’établissent les généalogies, se mettent au clair influences et apports. Ces œuvres dans leur troublant mutisme, nous révèlent tout au plus leurs origines géographiques et ethniques, et nous laissent dans le trouble dans lequel précipite l’absence de leurs géniteurs. Bien que le créateur d’une œuvre d’art – puisque cette qualité injustement refusée aux œuvres africaines leur a finalement été reconnue -, est un artiste, il ne cesse de peser sur les auteurs Africains piégés dans l’épaisse nuit de l’anonymat, de lourdes hésitations quant à leur reconnaitre pleinement cette qualité.

Deux raisons principales fondent ces hésitations. D’une part, le caractère holiste des sociétés africaines précoloniales ne permettant pas l’éclosion d’individualités capables d’exprimer leur sensibilité ou leur vision propre à travers des œuvres qui en soient le juste reflet ; d’autre part, le caractère utilitariste de l’art africain. En effet, pris sous l’angle de la proximité avec le sacré dont il parait un prolongement en ce qu’il produit des supports cultuels ou des symboles de divinités, les créations africaines ont été réduites à leur aspect fonctionnaliste ; étrangères donc à toute considération purement esthétique et dénuées d’autonomie. 

Or des travaux d’anthropologues et l’histoire de l’art elle-même contredisent de telles considérations, qui établissent que la Standing Female Figure (Buti) / Copyright Brooklyn Museumdestination utilitariste ne dévalue les qualités esthétique d’un art donné, et que l’artiste africain partage avec les artistes d’autres horizons des invariants caractéristiques de la condition de créateur. De même que pour les ouvrages de l’art de l’Occident médiéval, dont l’évidente destination religieuse ne remettait pas en cause la vocation au beau, le caractère fonctionnaliste de certains éléments de l’art africain ne leur ôte nullement leurs qualités. L’utile est le beau ne sont pas antinomiques. A ce propos, Michel Leiris affirmait « Les productions plastiques négro-africaines répondent certes à des buts religieux ou magiques, à des buts proprement sociaux, à des buts politiques, à des buts de prestige. Toutefois, cela n'exclut nullement qu'elles puissent susciter une réaction esthétique chez les Noirs Africains qui en usent ou simplement les regardent ». Au XVIe siècle où commencent à peine les relations entre l’Afrique et l’Europe renaissante, l’habileté artistique des créateurs Africains se manifesta impérieusement au jugement des voyageurs Européens. Valentim Fernandes qui l’a évoquée dans ses écrits sur l’Afrique ( Description de la côte occidentale de l’Afrique) estime que ces artistes « très habiles et très ingénieux » font de merveilleux travaux en ivoire . Ces ivoireries, essentiellement des objets de la vie courante (cuillers, salières, poivriers, coupes, etc.) sont ouvragés avec tant d’art qu’elles séduisent l’aristocratie européenne, dont elle finit par garnir les collections, reconnaissant ainsi, quoique tacitement, les qualités artistiques des sculpteurs Nègres. Loin des côtes, d’autres matériaux, ouvragés eux-aussi pour servir un quelconque but, sont toutefois d’une remarquable beauté. Les sabres et coutelas exposés au Musée Royal d’Afrique Centrale à Tervuren (Belgique) ainsi que les appuis têtes, pilons en bois sculptés sont si finement travaillés et ornés que ce n’est pas sans peine qu’on se fait à l’idée que des œuvres de cette qualité, révélant la finesse et du talent de leur auteur, aient servi à de telles besognes. Il y au contraire tout lieu de s’en réjouir, car infiniment élégants, les Africains ne reléguaient pas le beau à quelque activité, mais il était exigence dans les moindres gestes de la vie quotidienne

Mis à part l’indéniable valeur de ses créations articulant exigences esthétiques et finalité utilitaire, le créateur Africain, comme les artistes d’ailleurs, s’il jouit au sein de sa société d’un prestige et de privilèges liés à la haute considération pour son œuvre (plus importants lorsqu’il est artiste par vocation et non par cooptation), partage avec eux le même désintéressement et le même non-conformisme, de sorte qu’il donne l’impression d’être un doux rêveur. En effet, nombre d’entre eux détiennent des charges nobiliaires dans les sociétés centralisées et hiérarchisées, sont exonérés de corvées et d’impôts : privilèges non pas de vulgaires exécutants de commandes, mais de créateurs d’œuvres de grande valeur à qui doivent être épargnés les impédimenta que constituent le travail. Les mécènes Occidentaux l’avaient compris, qui dotaient largement leurs protégés afin que rien ne vînt gêner leur création exigeant une infinie disponibilité d’esprit. 

Philippe Ngalla-Ngoïe

Photo1 Male figure (butti), Teke people, Democratic Republic of the Congo, first half 20th century, carved wood, Honolulu Museum of Art, accession 2456.1

Photo 2 Standing Female Figure (Buti) / copyright Museum of Brooklyn

La polémique du «joueur typique Africain », est-elle le symbole d’un football africain pas encore indépendant?

En novembre dernier, les déclarations d’un entraîneur français relancent le débat du racisme au sein des institutions du football français, et le style du football africain. Des propos qui poussent à la réflexion. Explication en remontant le temps.

Retour sur la polémique

L’ancien international français (58 sélections), et entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, répondait aux questions de lecteurs d’un journal local. La thématique de la CAN, et le départ d’une partie de ses joueurs internationaux africains (12) furent abordés. L’entraîneur dérape et déclenche la polémique. Il annonce que sous son mandat la politique de recrutement du club bordelais ne sera plus tournée vers l’Afrique. Dans des propos remplis de préjugés, il y va de sa caricature en décrivant le joueur « typique » africain comme « pas cher quand on le prend, (…) qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot (…), c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline». L’entraîneur s’enfonce en appuyant son discours d’une comparaison avec les « Nordiques » et leurs « bonnes mentalités ». Des propos condamnables et condamnés qui seront rapportés par l’ensemble des médias nationaux, sortant de la grille de lecture sportive de cette intervention.  

Photo 1 (2)Symptomatiques d’une France schizophrène de sa diversité qui flirte avec le parti d’extrême droite à chaque élection, l’ensemble des joueurs noirs et maghrébins sont considérés comme des joueurs africains. Faisant abstraction de ceux qui sont nés, ont grandi, et ont été formés en France. Les propos sont jugés de racistes par certains, ou de maladroits par d’autres. Au final, ce fut un buzz médiatique, qui disparut dans des excuses publiques aussi rapidement qu’il est apparu. Seul l’auteur des propos restera avec ses propos sur la conscience. Beaucoup de bruit, pour une bonne leçon. Et une casserole de plus pour le football français, habitué des polémiques racistes dans ses plus hautes sphères.

 

Le paradoxe du style africain. L’histoire comme preuve. 

Depuis de nombreuses années, les sélections nationales de football d’Afrique subsaharienne ont la réputation d’être construites sur les qualités physiques et athlétiques de ses joueurs. 

Paradoxalement, ce ne sont pas des qualités qui correspondent à la pratique naturelle et généralisée du football. Les matchs joués sur des espaces réduits et pas toujours uniformes contribuent à développer la technique et l’agilité. Comme au Brésil, où les plus grands joueurs sortent des Favelas et de leurs terrains vagues. L’histoire elle aussi va dans ce sens-là.

Chercheur à l’Observatoire du football de Neuchâtel, Raffaele Poli date les premières filières de transfert dans les colonies africaines au début des années 50. Le Portugal recruta, en 1960, le meilleur joueur de son histoire au Mozambique. « O pantera Negra » EUSÉBIO. L’AS Saint-Étienne fera fuir illégalement Salif Keita pour qu’il puisse les rejoindre. Des efforts immenses à l’époque pour attirer des joueurs très talentueux qui avaient fait leurs preuves sur le continent. 

Photo 2 (1)Dans son livre sur le parcours du triple champion d’Afrique, le HAFIA FC de Conakry, Cheick Fantamady Condé nous rapporte des propos de Maitre Naby Camara. L’actuel président du CNOSF de Guinée était l’entraîneur de l’équipe de Conakry quand il répondait aux questions du journaliste Amady Camara. C’était juste après la défaite face au CANON de Yaoundé, en finale de la coupe des champions d’Afrique, perdue en 1978. (0-0 à Conakry, et 2-0 au Cameroun).  Questionné sur les ingrédients utilisés par l’entraîneur Serbe Ivan RIDANOVIC,  il déclare : « La recherche du résultat a tout pris a provoqué le recours à des tactiques peu spectaculaires, le béton, et à des expédients peu élégants comme l’antijeu. (…) Ce n’était pas le vrai visage du football camerounais. Les Leppé, Koum, Tokoto, Léa, Ndongo, Milla, etc., ce sont épanouis en jouant avant tout au ballon ».

Car le spectacle était de rigueur dans les tribunes africaines. En Guinée, le président Sékou Touré, avait la volonté de valoriser l’indépendance de son pays, en démontrant la supériorité de ses représentants. Pendant 8 ans, il contribuait à la réputation flatteuse du style de jeu d’une équipe qui portait le sceau de sa révolution.

Outre la philosophie de certains entraîneurs, qu’est-ce qui a conduit à ce changement radical? La réponse se trouve peut-être en France.

« L’arroseur, arrosé »

Depuis la victoire au mondial 1998, les orientations données par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française de Football, prônent un style de jeu fondé sur la solidité défensive. Les éducateurs sont formés dans cette optique. La recette du succès du football français qui s’est généralisée dans les centres de formation s’appuie essentiellement sur le physique. Même si des exceptions existent, beaucoup de joueurs furent recalés, car trop petits ou pas assez rapides, et malgré leurs talents certains.

La France est le pays qui recrute le plus de joueurs africains depuis l’arrêt Bosman en 1996.  Et pour répondre aux attentes des clubs qui les emploient, les recruteurs Français, sont à la recherche de joueurs qui correspondent à ces critères. 

Une fois expatriés, le statut des joueurs suffit à en faire des joueurs internationaux. Accompagnés des bi-nationaux formés en France, au fil du temps,  certaines sélections africaines se sont transformées en armada de joueurs du même profil : physique et défensif. 

En caricaturant le footballeur africain, Willy Sagnol n’a fait que pointer le doigt sur le football de son pays, et les directives de ses dirigeants.

Photo 3 (1)Car bien au contraire, « Le joueur typique africain » avait pour mission de faire lever les foules grâce à ses dribbles et ses actions imprévisibles. C’est ce qu’ont fait chaque week-end les meilleurs joueurs du continent. Salif Keïta, Pierre Kalala, Laurent Pokou, Roger Milla, George Weah, Rashid Yekini, Japhet N’Doram,  Nwankwo Kanu, Samuel Eto’o, Mickael Essien, Yaya Touré… 

Mais seulement quand leurs entraineurs leur laiss(ai)ent la possibilité de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme Hervé Renard qui avant la finale de la dernière CAN 2015, déclarait que pour gagner, il faut : « bien fermer leurs joueurs offensivement importants (… ) Ce sera très serré. Peut-être que ça se décidera sur coup de pied arrêté ». Soit bétonner et être réaliste, comme le Canon de Yaoundé de Ivan RADINOVIC en 1978, malgré Roger Milla, malgré Gervinho, Yaya, etc… 

Pierre-Marie GOSSELIN

 

Source citation et données :

Lien vers l’intégralité de l’intervention de Willy Sagnol dans son face à face avec les lecteurs. La question que nous abordons est disponible à partir de la 18ième minute : https://www.youtube.com/watch?v=wv6JVci1XG4&feature=player_embedded

Cheikh Fantamady CONDÉ (2009) Sport et Politique en Afrique, Le Hafia Football Club de Guinée, L’Harmattan Guinée

Conférence de presse de Hervé RENARD le 08/02/2015 avant la finale de la CAN, source AFP, disponible sur www.lequipe.fr http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Renard-ne-pas-laisser-passer-cette-chance/534891

Bibliographie : 

Raffaele POLI : Migrations et commerce de footballeurs africain : aspect historique, géographique et culturel, We Are Football Association http://www.wearefootball.org/PDF/une-nouvelle-traite.pdf

Illustration :

Photo 1 : l’équipe de France en 2008, Willy Sagnol (n°19) entouré de Patrick Viera et Lilian Thuram

Photo 2: Le Hafia FC de 1977, photo de couverture du livre de Cheick Fantamady CONTÉ

Photo 3 : Caricature de Dadou, sur le style de jeu des girondins lors de la saison 2013/2014, et la réaction des supporteurs . www.foot-land.com

Bruits de couloirs à Nollywood week

J’ai pris mon pied à aller voir ces films montés, produits au Nigéria. Chaque soir, au cinéma l'Arlequin, la crème des réalisateurs nigérians étaient présents avec leurs tenues aux couleurs vives et chatoyantes, bonnets yoruba pour certains. Ces artistes, producteurs, réalisateurs prenaient un plaisir fou à discuter entre eux. Ce genre de rencontres permettent souvent le temps d’un week-end, loin des bases du pays, d’échanger autour de nouveaux projets, de repenser le pays sinon le continent.

Il y avait entre eux et moi, la barrière de la langue. Ma maîtrise de l’anglais se réduisant à la simple lecture, je n’allais pas livrer ma nudité à ces anglophones arrogants qui peinent à faire le moindre effort pour dire un simple mot en français. J’ai contourné la situation en discutant avec des spectateurs. Il faut le dire, à chaque séance, la salle a rarement été pleine. Mais il y a tout de même eu du monde si on considère que la principale salle du cinéma L’Arlequin a une capacité d’au moins quatre cent personnes. Les personnes présentes, souvent des femmes d’ailleurs avaient des profils différents. Avant la projection du film Octobre 1 de Kunlé Afolayan, j’ai pu discuter avec une chef de projet informatique Nigériane, très sympathique, accompagnée par un brésilien, du moins je pense. Elle a souligné le fait d’avoir été agréablement surprise par la qualité des films présentés. Mais entre nous, est-elle objective ?

De manière générale, me dit-elle, l’élite Nigériane se tient à distance de Nollywood. Le succès de cette industrie repose avant tout sur sa réception par la base populaire nigériane. Il y a une forme de snobisme pour ces productions qui, il est vrai, ne sont pas toujours de très bonne qualité sur le plan technique. Son père, par exemple, cadre supérieur, abhorre les productions nigérianes. La mère de mon tinterlocutrice ne va pas rejeter un programme Nollywood s’il passe à la télévision, mais elle n’investira pas un écu dedans. Ce rapport quelque peu méprisant de l'intelligentsia nigeriane me fait sourire, même si on peut y voir une critique de l'esthétique et de l'improvisation qui caractérisent ces projets qui relèvent souvent de l'artisanat.

Un peu plus tard dans la soirée, assistant aux mondanités africaines et m’apprêtant à voir le dernier film du festival, à savoir Dry de Stéphanie Okéréké, deux jeunes nigérianes sont venues s’asseoir à mes côtés. Plus jeunes que ma précédente interlocutrice, elles ont un profil différent et elles sont de vrais fans des petites productions populaires de Nollywood. Ayant eu vent du festival, elles sont venues par curiosité au cinéma l’Arlequin. D’ailleurs, pour « immortaliser le moment », l’une d’entre elles ne se gêne pas  de sortir son smartphone pour filmer le film. Piraterie en direct sachant qu’il s’agissait de la première de Dry en France et qu’il n’est pas sorti au Nigeria. Courtois, je n’ai pas eu l’énergie pour faire des remontrances. Le saint des producteurs existe puisque la batterie du smartphone est tombée en rade en plein milieu du film. Cocasse. J’avais là une illustration en live de l’énorme problème que rencontre cette industrie : un téléphone portable puissant et Internet pour diffuser, tout cela étant fait avec une profonde naïveté et dans un souci de partage que pour des enjeux mercantiles. Un film n’est pas un logiciel open source.

J’ai naturellement saisi l’occasion d’échanger avec un vrai francophone, à savoir Jimmy Jean-Louis. Si je vous parle de la série américaine à succès Heroes et en particulier du personnage nommé l’Haïtien, vous verrez tout de suite qui est le comédien haïtien. Il est le parrain de cette 4ème édition de Nollywood week à Paris. L’homme est avenant et d’une extrême franchise à l’image du documentaire Jimmy goes to Nollywood.

Sur la qualité des films présentés, Jimmy Jean-Louis indique que sur ce qu’il a pu voir, les films ne sont pas encore au point. Techniquement parlant, il y a des aspects à retravailler. Disons qu’on passe un bon moment, on rigole bien, mais les standards sont loin d’être respectés.

A propos de la question de l’esthétique qui est un point souvent relevé, n’y a-t-il pas là un risque de rupture avec le public populaire qui a porté les productions de Nollywood ? Tant que les thématiques originales qui sont au cœur de Nollywood sont traitées avec qualité, la question ne se pose pas.

Comment selon lui est perçu Nollywood à Hollywood ? Pour l’instant, la perception qu’en ont les américains, c’est un épiphénomène. 

Doit-on voir une corrélation entre la place grandissante à Hollywood des comédiens d’origine nigériane comme Chiwetel Ejiofor, David Oyelowo et l’émergence progressive de Nollywood ? Non, il n’y a aucune connexion entre ces deux faits.

Entretien avec OC Ukeje, acteur nigérian

gonetoofar11La différence de production est importante entre Gone Too Far, film de petit budget produit au Royaume-Uni et les autres productions du festival.

Interrogé sur la différence de ses expériences anglaises et nigerianes, OC Ukeje, l’une des figures de cette édition 2015, confirme avec humour

 

« Il y a définitivement une différence de professionnalisme, en terme de sécurité, en terme de timing, en terme de logistique, c’était beaucoup plus standardisé à Londres. Il reste encore beaucoup de choses à accomplir au Nigeria».

Pour lui, ce manque de standards et d’exigence explique en partie l’attirance des acteurs et actrices nigérianes pour l’Occident

« Si certaines personnes se contentent de se faire un nom au Nigeria, il est important pour d’autres d’aller plus loin et de se confronter à une industrie plus compétitive».

Hollywood un Eldorado pour les acteurs nigérians ? «C’est possible» selon OC Ukeje qui avoue lui même être attiré à l’idée. Il n’en demeure pas moins parfaitement conscient du pouvoir de Nollywood sur la société nigériane. Pour lui, il reste crucial que Nollywood continue à produire des films abordants des sujets sociétaux ordinairement tabous et ce, avec un ton progressiste.

Si Before 30 a choisi de le faire par la comédie, Dazzling Mirage, de Tunde Kelani, prend un ton plus sérieux. Le film lauréat de l’édition 2015 de la Nollywood Week est saisissant en ce qu’il présente une double problématique en mettant en scène l’histoire d’une femme atteinte de la drépanocytose. Ce drame romantique, adapté du roman d’Oyinka Egbokhare montre la capacité de Nollywood à devenir une vitrine de la culture et de la littérature nigériane.

award_winners_2015                                                                                                    

Dazzling Mirage a des chances de conquérir un public autre que le public nigérian, car Nollywood s’exporte de mieux en mieux. La preuve, c’est le film Gone Too Far qui a fait de Destiny Ekaragha la première réalisatrice noire dont le film a été distribué en cinéma au Royaume-Uni.

        Un article écrit à quatre mains de Lareus Gangoueus et Ndeye Diarra