Le numérique ne portera pas le développement des pays africains

22068197L’explosion de l’économie numérique en Afrique …

L’économie numérique reste l’un des rares secteurs dans lesquels l’Afrique a réussi à réduire son retard par rapport aux pays développés. De fait, le continent a extraordinairement réussi à s’accrocher au rythme phénoménal de la croissance de ce secteur au cours des dernières années en s’appropriant les solutions qu’il offre. Selon le rapport 2012 de l’Observatoire de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne, le taux de pénétration de la connexion mobile en Afrique est passé d’à peine 2% en 2000 à plus de 63% en 2013 et devrait atteindre 78% en 2016. Une tendance qui est confirmé par McKinsey Global Institute (MGI) dans son rapport de novembre 2013 intitulé "Les lions passent au numérique : le potentiel de transformation d'internet en Afrique", qui souligne que la contribution d'internet au PIB de l'Afrique passerait de 18 Mds USD en 2013 à 300 Mds USD en 2025.

Derrière ces chiffres mirobolants, se cachent de grosses multinationales et surtout de nombreuses PME locales détenues par des nationaux. En effet, au cours de la dernière décennie, l’on a assisté à une floraison de petites entreprises qui opèrent dans le secteur de l’économie numérique. Ces « business de stars » (pour paraphraser le ministre français de l’économie Emmanuel Macron), se développent généralement à l’initiative de jeunes africains issus de la diaspora qui essaient de dupliquer des business model  qu’ils ont eu l’opportunité de découvrir en occident. Ainsi, sans avoir la prétention d’être exhaustif, on peut classer les business du numériques en Afrique en trois grands groupes :

  • La création de sites internet qui proposent différents services dont : l’information grand public, le commerce en ligne et les réseaux sociaux.  Le site de vente en ligne « JUMIA » et le site d’information « abidjan.net » qui ont le vent en poupe actuellement en sont une parfaite illustration.

  • Développement d’applications et plateformes informatiques: Il s’agit de programmes adaptables à différents supports (ordinateur, smartphone, tablette, etc.) qui proposent entre autre des services de géolocalisation et de traçabilité aux particuliers et entreprises

  • Déploiement de systèmesd’information et de gestion : logiciels clé en main de gestion d’activité proposés aux entreprises

Le succès enregistré par les entreprises de ce secteur s’explique sans doute par le fait que les barrières à l’entrée sont très faibles. En effet, ce type d’activités est peu exigeant en investissement et en ressources humaines. Avec un ordinateur et une seule personne disposant d’une bonne maitrise de l’informatique, on peut lancer un business de ce type en quelques mois. Par ailleurs, ces entreprises offrent une grande flexibilité dans leur gestion. La plupart des grosses entreprises du numérique (Google, Microsoft, Facebook etc.) qui dominent le monde actuellement sont nées dans des chambres d’étudiant ou des garages.

…ne doit pas masquer les vrais enjeux : bâtir un secteur industriel productif

Au regard de cette forte capacité du continent à absorber les nouvelles technologies, l’on a tendance à oublier que l’Afrique accuse un retard séculaire dans le secteur de l’industrie, qui reste incontournable dans la construction d’une économie stable et durable, et qui se manifeste par une importation massive de produits manufacturés, notamment dans les secteurs de l’agro-industrie, des électro-ménagers & électroniques, du BTP, de l’industrie automobile, de l’industrie textile, de l’énergie, de l’eau & assainissement . Bien que le numérique offre des solutions permettant d’accroitre l’efficacité de l’activité économique, il ne peut être considéré comme un socle sur lequel repose l’économie d’un pays. Il sert simplement de catalyseur pour les secteurs fondamentaux qui constituent les principaux leviers du développement. A ce titre, il ne génère pas suffisamment d’emplois, canal principal de distribution des revenus, et n’a qu’un effet très limité sur les autres secteurs d’activités.  Ainsi, il est urgent que les pays africains arrêtent de s’auto-satisfaire du succès du « soft-business » pour se recentrer sur la construction d’un vrai secteur industriel (chaînon manquant de nos économies) afin d’inonder le marché local et international de produits manufacturés « made in Africa ». Ce n’est que par ce canal que l’Afrique pourra véritablement faire face aux réels défis, à savoir : la création d’emplois pérennes, la réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, la réduction du coût de la vie, l’amélioration des conditions de vie des ménages, etc.

Compte tenu de sa complexité, le développement du  secteur secondaire, requiert une forte implication de l’Etat qui doit créer toutes les conditions pour accompagner les entrepreneurs. Ainsi, la révolution industrielle africaine passera nécessairement par les étapes suivantes :

  • L’Acquisition du savoir et du savoir-faire: Développer des écoles spécialisées et refonder la formation de sorte à permettre aux jeunes apprenants de s’approprier les fondamentaux des sciences et de la technologie. Les pays développés regorgent de nombreuses personnes qui disposent d’un savoir-faire avéré dans divers domaines et qui sont aujourd’hui hors du système après avoir fait valoir leur droit à la retraite. Les Etats africains pourraient collaborer avec ces derniers en les recrutant comme formateurs afin qu’ils transmettent leur savoir-faire aux jeunes africains. L’objet de cette approche de collaboration « Etat à individus » est de contourner le schéma traditionnel de collaboration « Etat à Etat » (coopérants) qui, en raison d’enjeux stratégiques, a été nuisible aux pays africains au cours du dernier demi-siècle. 

  • S’inscrire résolument dans une logique de transfert de technologie Dans la réalisation des grands projets publics, les Etats africains ont généralement recours à des multinationales qui interviennent comme des prestataires de services, qui une fois le projet achevé, empochent leur dû et disparaissent. Il faudrait que désormais, les Etats africains mettent à profit ces projets structurants pour aider les PME nationales à devenir de véritables champions. Pour ce faire, les termes des contrats liant les Etats à ces sociétés étrangères doivent inclurent entre autre les closes suivantes: recruter des nationaux à des postes de direction,  travailler en partenariat avec des PME locales, s’engager à  transmettre le savoir-faire de manière transparente à l’acteur local etc.

  • Opter sans complexe pour un protectionnisme intelligent : pour protéger les PME locales face à la concurrence des multinationales, les Etats africains doivent courageusement opter pour un protectionnisme intelligent visant à leur accorder un accès privilégié au  marché national, notamment les contrats publics. De nombreux pays émergents d’Asie et d’Amérique latine régulièrement cités en exemple pour leur performance économique ont bâti leurs fondamentaux à partir d’un fort protectionnisme. La Corée du Sud par exemple, sous la houlette du Général Park qui régna de 1962 à 1979, a mis en place une politique de protectionnisme qui impose des barrières à l’entrée aux entreprises étrangères ; ce qui a permis d’accélérer le développement de petites entreprises locales (les chaebol). Aujourd’hui, on compte entre autres parmi ces sociétés, de grandes marques comme Hyundai, LG, Samsung, etc.

En définitive, au-delà de l’enthousiasme suscité par l’économie numérique, le développement d’un tissu industriel fort et durable doit être la priorité des pays africains au cours des années à venir. C’est uniquement à ce prix qu’elle pourra véritablement obtenir son indépendance économique. Cet objectif ne pourra être atteint, s’il n’est soutenu par un mécanisme de financement adéquat, et ce dans la mesure où il est envisagé dans un modèle pseudo-protectionniste. Un prochain article discutera des options de financement qui peuvent être développées dans cette configuration.

Lagassane Ouattara

Faire de l’éducation un levier de développement en Afrique

diplômés-africains-300x196Le discours sur l’éducation en Afrique est bien souvent sombre, empreint de soupirs face à un constat d’échec. Pourtant, une certaine perspective s’impose : l’école pour tous n’existe que depuis les indépendances, il y a seulement 50 ans en somme. Parler de crise inexorable de l’éducation en Afrique, éplucher les rapports alarmants des organisations internationales est à relativiser dans la mesure où la mutation vers un enseignement élargi est assez récente. Postindépendances, deux défis de taille émergèrent : accueillir sur les bancs de l’école non plus seulement les élites mais la masse et africaniser l’enseignement.

Or, atteindre ces objectifs signifiaient surmonter de nombreux obstacles. Pour beaucoup de pays, à l’exception notable du Bénin et de l’Ethiopie, le livre représentait un objet peu familier. En outre, offrir une éducation de masse impliquait et implique d’en avoir les moyens, problématique de taille pour de nombreux Etats. Cette difficulté est d’autant plus cruciale lorsque la démographie n’arrange guère les choses : avec plus de 50% de sa population en âge d’étudier, l’Afrique a davantage à mettre la main au portefeuille que l’Europe, qui ne compte que 15% de têtes blondes et d’étudiants. Enfin, les crises politiques connues par la majorité des Etats africains ont frappé en premier les structures institutionnelles éducatives. Le manque ou l’absence de moyens ont créé une jeunesse déscolarisée, tombant bien souvent alors dans l’escarcelle des milices en tous genres, à même de leur fournir un semblant de statut social.

Si ces problèmes ont peu ou prou été dépassés par une amélioration économique et géopolitique globale, des difficultés demeurent, handicapant de manière plus structurelle l’essor qualitatif de l’éducation en Afrique. De nombreux pays persistent à favoriser l’éducation des élites, afin de les transformer en ambassadeurs internationaux. Ambition noble mais inégalitaire et porteuse de cruelles pertes (« fuite des cerveaux ») pour le continent. De plus, la faiblesse des rémunérations des enseignants, pointée par de nombreux rapports, ne permet pas d’assurer un enseignement de qualité avec des professeurs devant jongler entre différents emplois pour joindre les deux bouts. Ce déficit qualitatif se retrouve également dans l’inadaptation des programmes scolaires qui affecte près de 31 pays, générant ainsi un gaspillage navrant comme au Burundi où 70% de l'argent est dépensé dans une éducation insatisfaisante[1]. En outre, tandis que le primaire devrait être le récipiendaire prioritaire des investissements par son rôle socle et inclusif, ainsi que par le taux de rendement d’éducation supérieur aux autres niveaux, il est celui dont le taux de croissance est le plus faible[2]. En Afrique Subsaharienne, près d’un enfant sur quatre en âge de fréquenter l’école primaire (23%) n’a jamais été scolarisé ou a quitté l’école sans terminer le cursus primaire.

Toutefois, quelques tendances positives sont à noter dans ce discours peu encourageant. Premièrement, même si l’écart entre l’éducation des filles et celle des garçons est fort (sur 30 millions d’enfants non scolarisés, 54% sont des filles), il se réduit progressivement mais à pas très lents, entravé par de nombreux obstacles combattus notamment par l’initiative « Parce que je suis une fille »[3]. Deuxièmement, les gouvernements africains, en prenant conscience du mouvement massif du continent vers les outils numériques (que l’on songe au boom du mobile banking sur le continent), ont commencé à intégrer l’enseignement des NTIC dans les programmes scolaires comme en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Troisièmement, toujours selon une meilleure compréhension des besoins de leur population, des Etats africains comme le Ghana (Loi COTVET de 2006) se mettent à promouvoir des enseignements techniques et professionnalisants, à même de répondre aux nécessités du marché de l’emploi, tant formel qu’informel[4]. Enfin, parce que l’Afrique est un ensemble non indifférencié, certains pays tirent leurs épingles du lot : si le taux d'alphabétisation des adultes en Afrique est parmi les plus faibles au monde, deux pays dépassent la barre des 50%, à savoir : le Cap-Vert (83%) et le Ghana (64%)[5].

Prendre acte de la nécessité de développer une offre éducative de qualité – et non pas tant seulement en quantité, comme nous y poussent à croire les OMD de manière partielle – et adaptée aux besoins permet de concilier au mieux éducation, développement et bien-être. En effet, de nombreuses études soulignent l’étroite corrélation entre éducation d’une part et croissance et santé d’autre part. Le rapport de l’UNESCO met en avant ces relations vertueuses : l’éducation est un moteur de croissance où, dans les pays à faibles revenus, une année supplémentaire d’éducation se traduit par un gain de revenu de près de 10% en moyenne[6]. Des gains sanitaires sont aussi présents car l’éducation permet de réduire significativement la mortalité infantile. Des femmes et des mères mieux éduquées et informées font des choix plus avisés sur leurs lieux de soin, d’accouchement et sur les vaccins. L'Unesco estime ainsi que si toutes les femmes des pays les plus pauvres achevaient au moins l’enseignement primaire, le taux de mortalité infantile reculerait de 15%. Cette corrélation se retrouve aussi pour l’épidémie du VIH Sida, l’éducation jouant un rôle clef pour enrayer la propagation[7].

Cet ensemble d’éléments amène à se demander comment l’Afrique peut poursuivre sa trajectoire de croissance tout en assurant un enseignement de qualité et de masse. S’inspirer de modèles adoptés par des pays en développement est une voie, comme nous y invitent certains spécialistes. L’idée d’un chèque éducation, ou « voucher », sur le modèle indien est une piste intéressante, permettant de renforcer la responsabilisation des établissements et des parents, en finançant directement les élèves et non les écoles[8]. De même, opter pour une sorte de « Bolsa Familia » sur le modèle brésilien permettrait de subventionner les produits de première nécessité des familles défavorisées envoyant leurs enfants à l'école.

Ces propositions démontrent in fine que l’accent mis sur l’éducation va de pair avec le développement économique. C’est toute la stratégie déployée par le Consensus de Pékin et assurée en Afrique par une offre très généreuse : le forum de coopération entre la Chine et l’Afrique de Pékin en novembre 2006 a vu de grandes promesses d’aide (renforcement de la formation de spécialistes africains dans différents secteurs, une assistance pour la mise en place de cent écoles, l’augmentation des bourses aux étudiants africains voulant étudier en Chine, et une offre de formation pour les responsables éducatifs et les directeurs des institutions éducatives majeures)[9]. Toutefois, lier étroitement éducation et croissance économique est à questionner. Si l’offre de la Chine est attrayante, l’examen de l’application de son propre modèle sur son territoire invite à s’interroger sur son adéquation pour l’Afrique. Est-ce l’éducation ou le développement économique qui est mis au service de l’autre ?[10] S’il ne s’agit pas de faire ou pas le procès du modèle chinois, il convient en revanche de s’interroger sur le modèle éducatif optimal pour l’Afrique. Ce questionnement, s’il est large et complexe, invite néanmoins à appeler de ses vœux un système africain, prenant en compte les spécificités nationales et panafricaines. L’intégration pleine et fière de l’enjeu agricole dans des formations prestigieuses et démocratiques est une piste, il y a en bien d’autres.

Pauline Deschryver


[2] En outre, le nombre d’enfants exclus de l’école y a augmenté, passant de 29 millions en 2008 à 31 millions en 2010.

 

[5] Etude « From closed books to open doors – West Africa's literacy challenge »

 

[6] Une étude par l’UNESCO menée dans 50 pays entre 1960 et 2000 a montré qu’une année supplémentaire d’éducation pouvait générer une augmentation du PNB jusqu’à 0,37% par an.

 

[7] Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2011 ; seules 59% des mères ne disposant d’aucune éducation formelle dans 16 pays d’Afrique subsaharienne savaient que le préservatif est un moyen d’éviter la contamination.

 

[10] Dans son discours de 1978 lors de la Conférence nationale sur l’Education à Pékin, Deng Xiaoping prônait un système éducatif mis au service de l’économie.

 

Sécurité alimentaire : de la nécessité de lutter contre les maladies pour végétaux

Nouvelle image (56)Alors que l’Union Africaine a célèbré en 2014, l’année de l’Agriculture  et de la Sécurité Alimentaire dans un contexte de guerre civile au Soudan du Sud et d’épidémie de virus Ebola à l’ouest du continent, cette fameuse sécurité alimentaire apparait menacée et il faudra se lever de bonne heure pour faire face à la prochaine véritable guerre qu’il faudra mener : une guerre contre les maladies s’attaquant aux végétaux.

Commençons par évoquer l’Italie. L’exemple italien peut paraître éloigné, mais devrait être scruté avec plus d’attention par les gouvernements africains. Une bactérie, nommée Xylella Fastidiosa, que l’on a d’abord retrouvée présente dans les Amériques, attaque désormais les arbres par centaines de milliers à une allure inquiétante : 800 000 arbres ont ainsi été déjà contaminés dans les Pouilles, une région célèbre pour ses nombreuses plantations d’oliviers.

Cette bactérie, véhiculée par des insectes, a fortement perturbé les chercheurs et agronomes du pays, mais aussi en Espagne, ne leur laissant comme unique solution que celle de couper les arbres infectés pour ralentir la propagation. Un pis-aller qui ne satisfait évidemment pas la communauté scientifique.

A l’instar de l’Ouganda et de bien des pays d’Afrique de l’est, l’économie de la région des Pouilles, où l’on produit l’une des meilleures huiles d’olive d’Italie, repose en grande partie sur la production et les services liés à l’agriculture. Alors que la demande pour « l’or jaune » qu’est l’huile d’olive a augmenté de 60% ces vingt dernières années, les prix du marché devraient souffrir davantage de la prolifération de la bactérie, et pourraient augmenter de 30 à 40% prochainement. Ainsi, en l’espace de quelques semaines, les prix du marché pour un litre d’huile d’olive en Espace sont passés d’une moyenne de 2,40 EUR à 2,70.

Quand on voit les ressources mises à la disposition des scientifiques et agronomes italiens, il y a lieu de s’inquiéter pour l’Ouganda notamment, qui serait sans défense face au danger d’une telle bactérie. Le pays a notamment connu une attaque de Xanthomonas sur les plans de bananes entre 2001 et 2004, un drame qui a causé entre 30 et 50% de pertes sur les exploitations dans le centre du pays. Bien que l’épidémie ait été correctement jugulée selon des analystes reconnus, on peut se demander : que ferions-nous en cas d’apparition d’une bactérie inconnue ?

Le cas du Mozambique, dont les plants de bananes souffrent depuis peu d’une maladie nommée Foc TR4 et encore peu connue, est à cet égard inquiétant.

Si aucune stratégie cohérente n’est mise en place, c’est la sécurité alimentaire nationale qui serait en jeu dans ce cas-là, notamment en Ouganda, dont la population est celle qui consomme le plus de bananes au monde, avec une moyenne de 0,7kg consommé par jour par habitant. Le pays est également le deuxième producteur mondial de bananes, devant la Chine et derrière l’Inde, avec 11 millions de tonnes produites en 2011. 120 variétés différentes de bananes produites dans le pays ne sont d’ailleurs présentes nulle par ailleurs dans le monde.

A l’échelle mondiale, le secteur de la banane permettrait de nourrir environ 400 millions d’habitants dans les pays en développement, et la production africaine de la denrée a doublé ces trente dernières années. L’Afrique consomme d’ailleurs principalement les bananes produites sur le continent, puisque seulement 15% de la production est exportée. On imagine donc bien un scénario catastrophe et des situations alimentaires aggravées en cas de bactérie affectant la production. Pour 70 millions d’Africains, la banane répond même à plus de 25% des besoins alimentaires quotidiens.

Une piste de solution pourrait être d’appliquer dans l’agriculture les stratégies employées dans le secteur de la santé, en développant des dispositifs d’anti-attaques bactériennes à l’instar de celles actuellement employées en Afrique de l’ouest pour le virus Ebola. Une étude approfondie de la faune et de la flore des milieux visés permettrait ainsi de consolider les méthodes déjà mises en œuvre.

Une stratégie plutôt préventive concernant les pathologies végétales et les biotechnologies dans les pays du continent africain permettrait ainsi de prévenir au lieu d’avoir à guérir, et de réduire par-là même les risques de carences alimentaires et de famines sur le continent. Plusieurs plateformes comme le  Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ont un rôle crucial à jouer dans la prévention de ces risques. Il est nécessaire et urgent que les continents dialoguent davantage et à une échelle globale pour faire face à ces menaces sous-estimées et potentiellement ravageuses.

Solomon Kalema Musisi, président de la section ougandaise de la Société Panafricaine des Etudiants en Agriculture

Comment faciliter l’accès au logement en Afrique ?

logementL’explosion démographique de l’Afrique s’accompagnage d’une urbanisation effrénée et anarchique, posant dans le sillage un problème crucial, celle de l’accès à un logement décent. L’Afrique est le continent avec la croissance urbaine annuelle la plus élevée au monde,  environ 3% selon l’ONU. D’après l’ONU-Habitat, alors que 40% de la population africaine était urbaine en 2009, ce taux en constante évolution atteindra 60% en 2050. Cette croissance urbaine non maîtrisée a favorisé la naissance et l’extension des bidonvilles – grandes agglomérations d’habitations précaires, insalubres et non-sécurisées. La population vivant dans des bidonvilles en Afrique subsaharienne  a plus que doublé entre 1990 et 2012, passant de 102 à 213 millions (selon l’UNCHS). Simon Walley[1] estime que la demande annuelle en nouveaux logements en Afrique est d’au moins 4 millions depuis 2012 et atteindra le seuil de 5 millions dès 2020. Face à cette situation, les autorités ont mis en œuvre de nombreuses actions pour garantir l’accès au logement aux couches les plus défavorisées. Toutefois le problème persiste et les bidonvilles continuent de s’étendre, accueillant de plus en plus de personnes. De fait, l’accès à un logement adéquat reste l’apanage des couches les plus aisées de la société, renforçant ainsi le clivage entre pauvres et riches. Cette situation suscite d’énormes interrogations relatives aux mesures à prendre pour assurer un accès au logement à tous. Cet article porte donc un regard sur les obstacles qui inhibent l’émergence d’un marché de l’immobilier pro-pauvres en Afrique.

Sans titre

Face à l’explosion des bidonvilles, les pouvoirs publics ont d’abord opté pour la construction des logements sociaux gratuits ou à bas prix comme en Afrique du Sud ou en Côte d’Ivoire. Mais ces politiques ont été détournées de leurs cibles initiales (les pauvres) et ont plutôt profité aux fonctionnaires. La demande grandissante et le manque de ressources financières publiques ont accéléré la chute de ses types de programmes. Ensuite, les gouvernements se sont tournés vers le privé pour la construction en masse de logements à bas coûts. Pour ce faire, l’Etat a soutenu le privé, en lui accordant des subventions massives come en Angola. Ces programmes ont eux aussi été un échec car conçus dans une pure logique de réduction des coûts sans aucune planification et aménagement du territoire. Les logements étaient pour la majorité excentrés des infrastructures de base : santé, transport, éducation, etc.

En théorie, la demande de logements est quasi-illimitée. Ceux qui ont en ont déjà, recherche des habitats plus spacieux et plus confortable alors que ceux qui n’en n’ont pas en veulent un nouveau. Cependant, cette demande latente se traduit difficilement en demande réelle, principalement à cause des questions de financement. D’après la Banque Mondiale, en 2011, moins de 5% de la population d’Afrique subsaharienne a utilisé un prêt pour acheter un logement contre 25% à 35% aux Etats Unis ou au Canada. Les ménages à faibles revenus étant exclus du système financier du fait du risque élevée qui leur ait associé par les institutions de crédit mais aussi du fait du manque de culture financière, empêchent ces derniers de disposer des ressources suffisantes pour prétendre à l’acquisition d’un habitat.

D’un autre côté, les promoteurs immobiliers privés se heurtent le plus souvent à des obstacles bureaucratiques, réglementaires et financiers. La lenteur des procédures administratives en Afrique est bien souvent citée comme un frein à son développement économique. Un argument qui est plus que valable dans le cas présent. Les contraintes réglementaires liées à l’accès au foncier – déjà rare et assez onéreux en milieu urbain – bloquent souvent les projets immobiliers sociaux. Par ailleurs, les promoteurs ont des difficultés à accéder à des financements de long terme car les institutions de crédit sont assez réticentes à financer des projets de constructions sociales.

Peuvent s’ajouter à ces difficultés, le coût élevé et la faible disponibilité de main d’œuvre qualifié et d’infrastructures de base (routes, électricité, assainissement, etc.).

Les tentatives de réponses à la crise de logements en Afrique, soldées par des échecs, ont mis en lumière la nécessité de mieux analyser les besoins des populations et de tenir compte de l’environnement des lieux d’habitation. Il s’agit d’opérer un véritable changement de paradigme, pour passer de simples politiques de logements à des politiques plus larges de l’habitat durable. Une politique de l’habitat durable devra impliquer tous les acteurs de la filière et intervenir sur plusieurs aspects : disponibilités foncières, types de baux autorisés, financement de la filière et  construction d’infrastructures. La consultation de différents spécialistes sera nécessaire : démographes, spécialistes de l’aménagement du territoire, économistes, assureurs, ingénieurs en génie civil, routes, etc.

En outre, puisque les ressources publiques ne suffiront jamais à satisfaire l’ensemble des besoins d’habitat, une collaboration avec le privé est indispensable.  Il ne s’agit pas de soutenir artificiellement le secteur à coup de subventions, mais plutôt de mettre en place des mesures incitatives à fort effet de levier. Les pouvoirs publics doivent créer un environnement favorable aux investisseurs privés, tout en l’encadrant pour garantir la stabilité du système.

Il faudrait commencer par sécuriser et aménager le foncier. En effet, la régulation du foncier est largement insuffisante en Afrique avec la coexistence de normes étatiques et de normes coutumières. Ce qui rend difficile la délivrance de titre fonciers incontestables ; avec un manque de clarté des règles foncières. De nouvelles réformes doivent aboutir à l’intégration du droit coutumier dans le corpus réglementaire (comme par exemple en Afrique du Sud, en Ouganda ou au Ghana). D’autres mesures réglementaires telles que le découpage du foncier sur le modèle cadastral, la simplification de procédures d’enregistrement des parcelles et l’établissement de droits collectifs peuvent être envisagés. Après la sécurisation juridique du foncier, son aménagement doit être aussi repensé par l’Etat. Bien souvent, en l’absence d’un minimum d’infrastructures préexistantes, les promoteurs immobiliers doivent supporter un surcoût qui se répercute sur le prix unitaire du logement. L’exemple du Maroc pourra par exemple être suivi avec la création d’un organe parapublic dédié à la fois à l’habitat et à l’aménagement.

L’autre grande question est celle du financement de la filière. D’une part les promoteurs privés ont besoins d’importants fonds propres pour initier leurs projets et de l’autre côté les ménages ont besoin d’emprunter à long terme pour financer l’achat de leur logement. Du point de vue hypothécaire, le marché africain représente un trillion de dollars (CSAE, 2012)[2]. Pour favoriser le développement du marché, l’Etat devra favoriser l’accès à des ressources financières de long terme et mettre en place des outils de partage de risques. Cela passe par exemple par la mise en place de banques spécialisées dans le financement de l’habitat qui permettent aux banques traditionnelles d’accéder à des ressources de long terme avec une plus grande garantie des risques. Ces banques spécialisées émettent sur le marché des titres immobiliers à long terme, garantis par des crédits hypothécaires, et financent ainsi les banques traditionnelles qui à leur tour refinancent plus facilement les ménages. Une autre solution serait d’envisager un partenariat public-privé en confiant la gestion du projet  de construction à une entreprise dédiée. L’Etat sécurise le foncier avec toutes les autorisations nécessaires, les bailleurs de fonds apportent les premiers investissements nécessaires et les promoteurs privés réalisent leur programme pour le compte de la société dédiée au projet. Pour drainer les financements restants, les investisseurs privés sont invités à financer le projet en dette senior[3], avec une garantie des promoteurs du projet, de l’Etat et des bailleurs de fonds.

L’Etat doit aussi s’intéresser aux solutions informelles mises en place par les populations elles-mêmes. Par exemple de nombreux ménages louent leurs logements sans aucun cadre régulateur. Les propriétaires peuvent ainsi faire payer très cher des logements insalubres ou même le paiement de deux ans de loyer en avance (au Nigéria).  Ce qui crée de fortes distorsions sur le marché locatif. Cependant, s’il est bien encadré le secteur locatif peut répondre aux besoins de toutes les couches sociales (plus précisément des plus pauvres) et générer des revenus fiscaux pour les collectivités. L’auto-construction est un autre exemple d’initiatives informelles partie de la base. Des ménages à revenus informel acquièrent des parcelles et construisent eux-mêmes leur propre logement, souvent de moindres qualités, favorisant l’émergence de quartiers informels. Il est donc important pour l’Etat non pas de censurer ce type d’initiatives mais de l’encadrer et de le régulariser avec l’aide des investisseurs privés. Il est donc impératif pour les Etas africains de repenser leurs politiques de l’habitat afin de faire face à la crise de logements que vit le contient. Pour être efficace, ces politiques doivent créer un cadre favorable à l’initiative privée car partout dans le monde, les politiques publiques trop volontaristes ont montré leurs limites. Les pouvoirs publics doivent concentrer leurs efforts sur la sécurisation des opérations, le partage des risques et la mise en place d’incitations ciblées.  

Teico Kadadji


[1] Mobiliser le secteur privé pour un meilleur accès au logement. Secteur Privé & Développement n°19 : relever le défis du logement avec le secteur privé. Proparco.

 

[2] CSAE. 2012. Research on Urban Mass Housing workshop. St Catherine’s College, Oxford, 26-27 mars 2012. Disponible sur http://www.oxiged.ox.ac.uk/index.php/events/ urban-mass-housing

 

[3] Une dette dite « senior » bénéficie de garanties spécifiques et son remboursement se fait prioritairement par rapport aux autres dettes

 

Réduction de la pauvreté et des inégalités : quelques leçons des BRICS ?

4brics2234Un article précédent discutait de la trajectoire des BRICS en matière de réduction de pauvreté et des inégalités. S’il dépeint une situation plutôt mitigée, l’expérience de ces pays constitue néanmoins une source d’enseignements pour les pays africains, qui aspirent tous à améliorer leur situation socio-économique. De cette précédente analyse, il ressort essentiellement trois points qui méritent une attention particulière pour garantir que les plans et autres stratégies de développement dressés par les pays puissent favoriser une croissance robuste, inclusive et suffisante pour soustraire les populations de leur situation de précarité. Il faut préciser que les points discutés dans les lignes à suivre, relèvent davantage de l’expérience de la Chine, de l’Inde et dans une moindre mesure du Brésil, la situation de l’Afrique du Sud étant assez particulière. Il ne s’agit pas ici de donner un canevas pour les stratégies de développement mais plutôt d’attirer l’attention sur des dispositions à observer pour que ces stratégies ne contribuent pas à approfondir la pauvreté et les inégalités.

Premièrement, laccès aux ressources apparaît comme lun des facteurs clés permettant de garantir que la main d’œuvre locale contribue et tire profit de sa richesse. En Afrique subsaharienne où l’agriculture demeure un secteur prépondérant, faciliter l’accès à la terre devient donc crucial. A cela, il faudra ajouter les compétences permettant de valoriser cette ressource. Les performances chinoises en termes de croissance et de réduction de pauvreté montre à juste titre que les efforts des autorités pour garantir l’accès à la terre tout en mettant en place un réseau d’infrastructures performantes en milieu rural (électricité, centre de santé, réseau routier, école) ont permis aux ruraux de valoriser leurs terres, en ne se limitant pas à la production de culture de subsistance et en s’impliquant aussi dans d’autres activités génératrices de revenus. Les deux sont indissociables. En effet, garantir l’accès aux ressources (financières ou foncières) sans renforcer le capital humain conduit à la situation de l’Inde : une croissance forte (portée par des secteurs intensifs en capital) mais non génératrice d’emplois, canal principal de diffusion de la richesse créée.

Si en Chine la stratégie visant à assurer une distribution quasi-équitable des ressources a été portée par la politique communiste des autorités ; en Inde, ce fut plutôt la réforme du secteur financier qui a favorisé l’accès aux ressources (notamment financières). Au Brésil, la mise en œuvre de la politique de redistribution conditionnée à une meilleure prise en charge de la santé et de l’éducation des enfants a permis de relever le niveau du capital humain (pour les générations futures) tout en permettant aux parents d’accéder à des ressources financières qui leur ont permis de financer des activités génératrices de revenues.

Deuxième, il est nécessaire dintensifier les investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée et générateurs demplois. De fait, les nouvelles aptitudes de la force de travail ne garantissent pas à elles seules qu’il y ait de la croissance, et encore moins qu’elle soit inclusive, si l’économie ne s’y prête pas. La main d’œuvre doit être absorbée afin de contribuer effectivement à l’accroissement de la richesse. Il faut donc pour se faire, identifier et promouvoir les secteurs porteurs de croissance capables de générer suffisamment d’emplois pour absorber la main d’œuvre. C’est le cas aujourd’hui dans certains pays d’Afrique où la jeunesse est suffisamment qualifiée mais au chômage. Une situation qui peut trouver son explication dans le fait que les secteurs pouvant absorber cette main d’œuvre ne sont pas ceux qui bénéficient le plus des investissements. L’expérience des BRICS est particulièrement édifiante sur la question. Si en Chine, la stratégie d’amélioration des conditions d’accès aux ressources et de renforcement du capital humain s’est accompagnée d’une politique d’intensification des investissements dans des secteurs intensifs en ressources humaines, notamment dans le secteur agricole; en Inde, les investissements étaient plus orientés dans les secteurs intensifs en ressources financières. On pourra toujours avancer l’argument de l’entreprenariat mais la réalité est que l’intensification des investissements dans les secteurs intensifs en capital (très généralement tournée vers l’exportation) crée ou maintient les obstacles à l’entreprenariat et contraint la main d’œuvre à s’orienter vers l’informel où les salaires sont très bas et la productivité très faible.

Enfin, la sécurité sociale constitue une mesure importante qui permet une redistribution de la richesse. Si en Chine et en Inde, la question n’est pas au centre des stratégies socio-économiques, au Brésil, elle a permis de réduire considérablement la pauvreté et les inégalités. Comme le signale Lagassane, un système de protection sociale qui fonctionne bien, permet de soustraire les plus vulnérables de leur situation tout en favorisant une relance continue de l’économie par la demande[1]. Cette sécurité sociale peut prendre plusieurs formes (un revenu minimum aux chômeurs et aux retraités, facilitation de l’accès à l’éducation et aux services de santé, etc) mais elle doit : (i) se positionner comme un complément au revenu et non un substitut, (ii) affecter les ménages et non l’individu, (iii) être conditionné à des mesures visant soit à renforcer le capital humain (inscription des enfants à l’école, santé maternelle, etc.), soit à encourager l’entreprenariat.

Au-delà de ces différents aspects, la croissance ne serait inclusive si elle ne relève pas dune détermination politique. En effet, différents modèles peuvent permettre d’atteindre des taux de croissance forts sur une longue période mais ceci ne garantit pas qu’ils puissent profiter aux populations. Il faut que le caractère « inclusif » soit une priorité des autorités. C’est le cas en Inde et en Afrique du sud, où les autorités accordaient beaucoup d’importance à la croissance, espérant que cela suffise pour réduire la pauvreté et les inégalités, s’attachant donc moins à savoir « comment » cette croissance était générée et à « qui » elle profitait. Au Brésil et en Chine (d’avant 1978), la question de l’inclusion sociale était au centre de la stratégie des autorités; une importance moindre étant accordée aux performances économiques. Il revient donc aux autorités, selon le contexte de chaque pays, de définir la stratégie optimale qui puissent permettre, non pas de faire des taux de croissance à deux chiffres (comme l’indique de nombreux « plan d’émergence ») mais plutôt d’avoir des performances socio-économiques portées par le potentiel réel (potentiel qui peut considérablement être amélioré) du pays et par son capital humain, afin que le développement des pays africains s’assimilent davantage à une course d’endurance plutôt qu’à une course de vitesse.

Foly Ananou


[1] Les ménages disposant plus de revenus, augmentent leur propension à consumer, ce qui se traduit par une hausse de la demande globale et donc à augmenter l’offre (à produire plus), à la condition que les habitudes de consommations du pays ne soient pas satisfait par des produits importés. 

Quel rôle pour les fonds souverains dans le financement du développement de l’Afrique ?

fonds-souverainsCe billet est le deuxième numéro de la série consacrée aux moyens innovants de financement du développement. Il discutera des fonds souverains.  Il s’agira d’abord d’en saisir les lignes générales, avant de mesurer leur contribution potentielle au financement du développement de l’Afrique, tant pour les fonds souverains non africains qu’africains.

Un fonds souverain est un instrument d’investissement à disposition des Etats. Selon le FMI, ils « détiennent, gèrent ou administrent des actifs pour atteindre des objectifs financiers ; ils ont recours à des placements sur des actifs étrangers et nationaux ». Aujourd’hui, le montant total géré par les fonds souverains s’élève à environ 6 000 milliards de dollars dans le monde. Un fonds souverain s’appuie sur la capacité d’un État à accumuler des devises, selon quatre types de ressources :   excédents de la balance des paiements ; opérations sur devises ; produit des privatisations ; excédents budgétaires et / ou recettes tirées des exportations de produits de base.

Créer un fonds souverain résulte d’un arbitrage sur le coût de détention de l’excédent de ressources. Selon le type d’excédents – de paiements courants ou issus de l’exportation de matières premières – le calcul diffère. Pour les premiers, l’arbitrage se situe entre le coût d’opportunité de garder les devises et l’atout qu’elles procurent pour pouvoir lisser les profils de consommation en cas de choc externe. Dans cette problématique, les fonds souverains représentent un moyen de gérer ces réserves excédentaires selon une stratégie de diversification afin d’en tirer un rendement supérieur. S’ajoute à ce choix la prise en compte d’un effet d’appréciation de la devise nationale. La Chine représente à ce titre un exemple majeur de stratégie d’accumulation de devises pour maintenir une compétitivité élevée des exportations en sous-évaluant son taux de change ; cette allocation des revenus, en termes de développement, est discutable dans la mesure où elle peut pénaliser la consommation des ménages chinois et donc leur niveau de vie. En revanche, pour les fonds issus d’excédents tirés de ressources naturelles exportées, l’enjeu est de savoir s’il vaut mieux exploiter ou garder la ressource, et en cas d’exploitation, quelle est la manière optimale d’investir les fruits de ces exportations entre consommation et investissements ? La clé de l’interrogation réside surtout dans le caractère non renouvelable de ces ressources. Ainsi, les fonds souverains permettent de faire perdurer l’avantage issu des ressources au-delà même de leur durée de vie en les investissant sur du long-terme. C’est toute la stratégie déployée par les fonds qatari[1] et norvégien[2] pour les richesses tirées du pétrole ou de l’île de Kiribati[3] pour ses mines de potasse.

Cependant, une parenthèse est requise pour introduire les fonds souverains dits de développement (FSD), qui obéissent à une logique spécifique. En effet, a priori, un fonds classique n’est pas créé selon une logique d’aide au développement. Un FSD se distingue en investissant des capitaux dans divers secteurs d’activités utiles au développement du pays et sur le long terme. Le fonds du Koweït pour le développement économique arabe ainsi que le Fonds arabe de développement économique et social en font partie. Le dernier, avec un capital d’environ 3 milliards de dollars, finance des projets de développement, fournit une assistance technique et promeut le développement du secteur privé.

Néanmoins, la distinction entre APD et contribution des fonds au développement reste floue : dans quelle mesure les investissements des fonds souverains dans les PED sont-ils des moyens innovants de financement du développement à part entière ? Ils sont distincts de l’APD classique, fonctionnent sur des partenariats entre public et privé, et sont basés sur des ressources stables et prévisibles. A l’inverse, l’APD originelle, celle du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE peut être assimilée à un fonds souverain de développement. Avec un flux annuel supérieur à 100 milliards de dollars, le CAD s’apparente à un fonds public de 2500 milliards, avec un rendement, consacré à l’APD, de 4%.

Outre les fonds spécialisés cités précédemment,  une tendance apparaît avec de plus en plus d’acuité où des fonds souverains non africains contribuent au développement de l’Afrique. La contribution chinoise sur le continent est à ce titre remarquable : les projets d’investissements d’entreprises d’Etat chinoises dans les infrastructures et les ressources naturelles ont beaucoup augmenté, et sont catégorisés « aide au développement ». Pour la Chine, il est toutefois moins question de philanthropie que d’accompagnement avisé de ses entreprises dans un espace économique en plein essor. Cependant, les deux finalités ne sont pas incompatibles, bien au contraire, et c’est tout l’enjeu pointé par Bill Gates[4], et repris lors du Forum mondial sur l’investissement de la CNUCED[5]. Inciter les fonds souverains à financer des projets contribuant au développement dans les PED implique d’établir de nouveaux partenariats avec ces pays. Dans cette logique, les fonds souverains renforceraient leur exposition à des marchés frontières offerts en particulier en Afrique et présentant un fort potentiel de croissance grâce à des ressources naturelles mais également en termes d’essor démographique et de hausse de la consommation en produits et en services. De tels partenariats auraient pour conséquence de remettre en cause le système traditionnel d’APD en bouleversant les principes de l’aide, en favorisant celui de l’efficacité et en instaurant plus de compétitivité au sein d’une sorte de « marché de l’aide ».

Selon certains économistes[6], l’impact de ces investissements innovants serait majeur : en consacrant 10% de leur portefeuille aux PED et aux pays émergents sur les 10 ans à venir, ces fonds produiraient un flux de 1,400 milliards de dollars, soit 14 fois l’APD annuelle. Ces résultats prometteurs ne doivent pas masquer les défis inhérents à l’entrée de ces fonds sur le continent africain : premièrement, il existe de nombreuses barrières à l’entrée dans des secteurs clés pour le développement mais sensibles politiquement ou socialement (l’agriculture en particulier) ; deuxièmement, les PED présentent malheureusement bien souvent un climat économique instable et préjudiciable aux affaires ; enfin, le manque de capacités dans ces pays nuit aux nécessités de préparation et d’information pour un projet d’investissement.

Ce sont ces mêmes difficultés que rencontrent les fonds souverains africains et notamment le manque de capacités, cruciales pour bien gérer un fonds. En outre, en investissant, soit via ses réserves de change, soit via ses excédents tirés de l’exportation de matières premières, dans des projets nationaux, un fonds souverain risque de favoriser l’appréciation de la devise nationale, donc l’inflation. Pourtant l’enjeu est de taille en Afrique, dans des pays où les marchés financiers locaux sont peu développés et où l’épargne privée tend à fuir à l’étranger, puisqu’un fonds permet de canaliser l’investissement au service du développement national. La majorité des fonds africains sont basés sur les ressources tirées de l’exportation de pétrole (fonds du Nigeria, du Ghana et de l'Angola), chacun se définissant spécifiquement. Ainsi, le fonds gabonais[7] se veut être un fonds visant à lisser l’épargne intergénérationnelle, et un fonds de développement, avec des ressources utilisées dans le cadre de projets de développement structurants ayant pour but d’assurer à terme une diversification[8].

On peut noter également des fonds créés par des pays non pétroliers, tels que le fonds Agaciro du Rwanda, dont l’impact n’a pas encore pu être mesuré, ou le fonds du Sénégal[9], qui soutient notamment le développement des PME, avec une préférence nationale pour les investissements.

En conclusion, le lien entre investissements des fonds souverains et financement du développement s’appuie sur la rentabilité attendue de ce dernier. Si la stratégie intrinsèque de long-terme des fonds souverains rejoint les caractéristiques des projets d’infrastructures des PED, les défis demeurent et les besoins sont majeurs.

Pauline Deschryver


[1] Le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), fondé en 2005

[2] Le fonds Government Pension Fund-Global (dit le Global), créé en 2006 (à la suite du Petroleum Fund de 1990) et considéré comme le 1er fonds mondial par montant de capitalisation

[3] Avec le fonds Kiribati Revenue Equalisation Reserve Fund, crée en 1956, et qui gère aujourd'hui 7 fois le PIB de l'archipe

[6] Santiso, J. (2008), « Sovereign Development Funds », Policy Insight 58, OECD Development Centre, janvier

[7] Le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS), créé en 2011

[8] Le fonds FGIS a ainsi pris des participations dans le groupe bancaire Oragroup et dans l’opérateur de tours de télécommunications IHS Towers

[9] Le Fonds Souverain d’Investissements Stratégiques (FONSIS) du Sénégal, créé en 2012

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

La croissance tiendra-t-elle ses promesses ?

growthA priori, la croissance économique est souhaitable parce qu’elle est la (seule) principale réponse politique que les nations ont trouvé pour établir une paix sociale durable. C’est ainsi que l’épisode de forte croissance économique que connaît la plupart des pays africains est synonyme d’une atténuation progressives des tensions entre les différents groupes sociales et entre les nations. Cela suppose que la croissance ait pour conséquence de permettre à chaque individu de subvenir à ses besoins de base et de ne pas trop se sentir moins aisés que les autres. Autrement dit, la croissance doit être source de réduction de la pauvreté et des inégalités.

Partant des travaux de Dollar et de ses coauteurs, il est aujourd’hui possible d’affirmer que la croissance économique permet de réduire la pauvreté. Toutefois, selon d’autres travaux académiques sur le sujet, les politiques sectorielles d’accès à l’éducation et à la santé jouent un rôle essentiel dans la transmission des fruits de la croissance aux couches les plus pauvres de la société. Ainsi, il faut d’abord favoriser l’accès aux infrastructures de bases telles que l’eau, l’électricité, l’éducation et la santé pour qu’une croissance économique forte puisse se traduire par une baisse significative de la pauvreté.

L’intuition derrière ces recommandations est la suivante : les personnes qui sont initialement pauvres ne disposent pas du minimum de capital (physique et humain) pour être productives. Elles sont donc durablement piégées dans un cercle vicieux alliant faible productivité à un faible niveau de vie. Ainsi, l’accès aux infrastructures subventionné par l’Etat est un moyen de donner le petit coup de pouce nécessaire aux plus pauvres pour leur permettre de briser le cercle vicieux de la pauvreté. En complément, des initiatives de protection sociale plus élaborées telles que les transferts conditionnés (ou non) peuvent favoriser davantage le lien entre croissance et réduction de la pauvreté. Actuellement en Afrique, on en sait très peu sur l’effectivité des politiques publiques mises en place pour favoriser une croissance réductrice de la pauvreté. Ce qu’on en sait le moins est surtout la capacité de la croissance économique à réduire les inégalités, non pas seulement des revenus mais des richesses et des chances.

Néanmoins, le récent livre de Piketty intitulé « Le Capital au 21ème siècle » sur le l’Etat et les perspectives des inégalités permet de dégager des perspectives sur la capacité de la croissance à réduire les inégalités de façon générale et en particulier en Afrique.[1] Globalement, deux leçons ressortent de cet ouvrage pour nous éclairer sur le sujet en cours d’analyse.[2]

inequalityLeçon n°1 : Il n’y a pas de lien mécanique entre croissance du PIB et réduction des inégalités

En s’appuyant sur la part du revenu ou du patrimoine des 10% les plus riches, l’auteur montre que les inégalités tendent systématiquement à s’amplifier au fil du temps. Cela vient du fait que le taux de rendement du capital est généralement supérieur au taux de croissance du PIB. Ainsi, les patrimoines issus du passé s’accumulent beaucoup plus vite que le rythme de progression de la production et des revenus.[3] Ce mécanisme peut être renforcé par une faible croissance démographique puisque dans ce cas les héritages sont partagés entre moins de descendants.

Cette tendance des inégalités à augmenter systématiquement peut être une menace pour le bon fonctionnement des institutions politiques dans la mesure où le pouvoir politique risque d’être capturé par des intérêts particuliers. Ainsi, non seulement les décisions de politiques publiques ne reflètent plus l’intérêt de la majorité, mais surtout la capture du pouvoir politique renforce davantage les inégalités. Par exemple, les prestations sociales peuvent être réduites au détriment d’exemptions fiscales favorables aux plus riches.

D’emblée la question est de savoir jusqu’où le creusement des inégalités peut aller et ce qu’il est possible de faire pour prévenir une situation aussi explosive qu’une société où presque la totalité des richesses appartiennent à 1% de la population. La réponse à cette question se trouve dans la deuxième leçon que nous tirons de l’ouvrage de Piketty.

157904609Leçon n°2 : La réduction des inégalités requiert la mise en place d’institutions spécifiques

A partir de l’évolution des inégalités sur longue période dans plus de vingt pays, l’auteur montre que même les chocs les plus violents comme la seconde guerre mondiale n’ont pas réduit durablement les inégalités de revenus et de patrimoine. Par contre, les politiques publiques mises en place dans les différents pays ont eu un impact décisif sur la réduction, l’augmentation ou la modération des inégalités. Dans les régimes démocratiques, l’outil le plus efficace est la fiscalité. Cependant, elle devient de moins en moins efficace à l’échelle des nations à cause de la concurrence fiscale, c'est-à-dire de la tendance qu’à chaque pays d’offrir les meilleures conditions pour attirer les patrimoines des plus riches dans leur économie. Pour cela, il recommande plutôt l’échange systématique d’informations pour lutter contre l’évasion fiscale et la mise en place d’un impôt mondial sur le capital afin de se départir des contraintes liées à sa forte mobilité.

Dans les pays ayant des institutions moins calquées sur le modèle occidental (Europe et Etats-Unis d’Amérique), on observe aussi des dispositions spécifiques pour le contrôle du capital. Par exemple, en Russie, les plus riches détenteurs de patrimoine qui veulent en user pour influencer les décisions politiques sont simplement jetés en prison. En chine, l’Etat a imposé un contrôle strict sur les flux de capitaux de sorte que le pouvoir économique que confère le capital ne se transforme pas en un pouvoir politique.

Quelles conclusions peut-on en tirer pour l’Afrique ? Puisque les inégalités ont tendance à s’accroître de manière systématique, la croissance économique en Afrique va-t-elle limiter cette augmentation ? D’abord, il faut prendre en compte le contexte dans lequel se trouve l’Afrique et qui est celle d’un monde plus ouvert où les capitaux circulent plus librement. Cela implique que les détenteurs des capitaux qui contribuent à la croissance économique en Afrique ne sont plus nécessairement des Africains, du moins pas en majorité. Ainsi, la question des inégalités en Afrique ne se pose pas dans les mêmes termes qu’ailleurs.

L’attention peut être portée en premier lieu sur les inégalités des revenus, en particulier des salaires ; et sur la capacité de la croissance à réduire ces inégalités. Mais comme nous l’enseigne les travaux de Piketty, cela nécessite la mise en place de politiques de redistribution, ne serait-ce que pour offrir à tous les mêmes conditions initiales. Ensuite, il sera nécessaire de mettre en place des cadres réglementaires pour encadrer les investissements étrangers dans les économies africaines de sorte à limiter leurs impact potentiel sur la capture du pouvoir politique tout en protégeant aussi bien leur droit de propriété.

En définitive, il ressort de cette analyse que l’épisode de croissance économique que traverse la plupart des pays africains peut être source de réduction massive de la pauvreté si seulement des investissements sont faits en amont dans l’accès aux infrastructures de base pour les populations les plus pauvres. Cependant, nous n’avons aucune certitude que cet épisode de croissance permettra de réduire les inégalités ; tout dépendra des institutions qui seront mises en place pour encadrer la montée inéluctables des inégalités liée à la croissance. C’est seulement dans ces conditions que la croissance ne s’éloignera pas trop de ses promesses d’une paix sociale durable.

Georges Vivien Houngbonon


[1] En général lorsqu’on parle d’inégalités, on pense tout de suite aux inégalités de revenu. Cependant, comme la démontré l’auteur dans son ouvrage, la source principale des inégalités provient des inégalités du patrimoine. Le focus sur les revenus est potentiellement lié à des raisons politiques, car les inégalités de revenus sont souvent beaucoup plus faibles que celles du patrimoine. Ainsi, elles permettent de donner une image beaucoup plus apaisée de l’évolution des inégalités.

[2] Ce sont mes propres enseignements.

[3] Thomas Piketty, Le Capital au 21ème siècle, p.55

Pour une couverture médicale efficace en Côte d’Ivoire

CMU

Les systèmes de protection sociale lorsqu'ils fonctionnent bien, ont le double avantage d'assurer une redistribution optimale des ressources et d’inciter la population à augmenter sa propension à consommer pour relancer l'économie. En effet, lorsque le système de protection sociale d'un pays est défaillant, les ménages ont tendance à épargner à titre privé pour prévenir les risques sociaux. Ce qui conduit à une faiblesse de la demande interne et donc à une forte dépendance de l'économie à des chocs externes.

Consciente de cette réalité, la Côte d’Ivoire s’est engagée au cours des dernières années à développer un système de protection sociale fiable. Ainsi, après les difficultés de mise en oeuvre du projet d’Assurance Maladie Universelle (AMU) par le précdent gouvernement, le nouveau gouvernement ivoirien a développé le concept de Couverture Maladie Universelle (CMU) pour promouvoir un système de protection sociale ; la lettre « A » du projet précédant étant remplacé par le « C ». Suite à l’adoption par l’Assemblée Nationale en mars 2014 du projet de loi instituant la CMU, le gouvernement ivoirien a sélectionné en octobre 2014, une société chargée d’enrôler les assurés. L’opération d’enrôlement devrait débuter le 29 décembre 2014.

Cette étape cruciale démontre que le pays a atteint un point de non retour dans le processus de déploiement d’un système de couverture maladie. Toutefois, l’instauration de ce « pacte social » suscite autant d’espoirs que de doutes. En effet la réussite de ce projet passera par la capacité du pays à relever les trois grands défis suivants : la qualité des prestations médicales, une structure de financement optimale et une gestion rigoureuse et efficace.

1. Le défi de l’amélioration de la qualité des prestations médicales

Les ivoiriens ont encore en mémoire la tragique épisode de la jeune mannequin Awa Fadiga décédée en mars 2014 au CHU de Cocody (Abidjan) où elle avait été évacuée d’urgence suite àune agression. Cette mort que ses proches mettent à tord ou à raison au passif du personnel médical accusé de négligence, avait mis en ébullition la société civile, obligeant le gouvernement ivoirien à présenter ses condoléances à la famille éplorée et à limoger le Premier Responsable de la structure concernée. Tout récemment, c’est au tour du célèbre rappeur ivoirien Stézo d’enfoncer le clou en attribuant le décès de son ami et challenger de longue date Almighty survenu en novembre 2014, à la piètre qualité du service du CHU de Treichville (Abidjan) où ce dernier s’était rendu pour recevoir des soins suite à une simple crise de paludisme.

Ces difficultés auxquelles font faceles établissements sanitaires, en matière de prise en charge des patients, constituentle premier défi auquel devrontfaire face les autorités ivoiriennes pour réussir le projet de la CMU. En effet, la pérennité du système repose avant tout sur la satisfaction des affiliés. Ainsi, le gouvernement devra renforcer sa politique en matière de santé, notamment :

  • Renforcer le personnel médical : Selon l’OMS, la Côte d’Ivoire affiche un ratio de personnels de santé (médecins, d'infirmiers et Sages-Femmes) par habitants de moins de 7/10 000 alors que la norme mondiale est de 25/10 000. L’Etat devra donc recruter en nombre suffisant, des agents de santé qualifiés dotés du sens de probité qui s’attachent à respecter le serment d’Hippocrate qu’ils ont prêté.

  • Equiper les hôpitaux en matériels de pointe: Le développement technologique de ces dernières années a permis de mettre à la disposition du secteur de la santé, des équipements sophistiqués de tout genre permettant de faciliter le travail des professionnels de la santé. Le pays devra donc renforcer son matériel médicalafin d’offrir des services de qualité aux patients.

  • Multiplier le nombre d’établissement de santé: l’accès aux structures de santé demeure toujours difficile pour les populations, notamment en zone rurale. Certaines populations continuent de parcourir plusieurs kilomètres pour recevoir les premiers soins dans un établissement de santé digne du nom. Il est dès lors impératif, afin d’assurer le succès de ce projet, de doter le pays d’infrastructures suffisantes, et plus proches des populations,

Ces actions qui nécessitent des investissements colossaux appellent à des moyens novateurs pour assurer leur financement, une question déjà abordée dans un article de Nelly Agbokou[1].

2. Le défi du financement optimal de la caisse de la CMU

Nul doute que le défi du financement de la future caisse de solidarité, demeure un enjeu crucial pour le succès de ce projet. Dans un contexte où le budget de l’Etat est limité, le gouvernement devra faire preuve d’une grande imagination pour trouver les fonds nécessaires à l’alimentation de la caisse de la CMU. Différentes options sont envisagés. Le système de la CMU tel que conçu par le gouvernement, propose deux régimes : un régime contributif et un régime non contributif.Le premier (contributif) propose aux populations, une offre de soins contre une contribution forfaitaire mensuelle de 1000 FCFA par assuré. Ceci soulève deux problématiques majeures. Les populations pourraient avoir bien de mal pour s’acquitter de ce montant. En effet, le taux de pauvreté[2] avoisine 49% en Côte d’Ivoire : près de la moitié de la population gagnerait en moyenne moins de quinze mille francs CFA (15 000 FCFA) par mois. Ainsi, consacrer 1000 F, soit 6,5% de leur revenu mensuel au financement d’une quelconque assurance santé, serait un trop grand sacrifice pour eux. Aussi, l’administration pourrait bien avoir du mal à recouvrer les cotisations. Dans un contexte où le taux de bancarisation est très faible (12%), la solution d’un prélèvement automatique sur comptes bancaires ne ferait pas sens. Il faudrait alors mettre en place un système de recouvrement innovant et efficace pour collecter les fonds dans les délais auprès des assurés.

En ce qui concerne le régime non contributif qui s’adresse aux personnes en situation d’indigence, l’Etat s’engage à injecter dans les caisses de la CMU une somme forfaitaire annuelle qui pourrait aller jusqu’à 50 Mds FCFA. Ceci souligne la nécessité pour l’Etat de centraliser les nombreux fonds existants et éparpillés sous diverses formes (Programme Présidentiel d’Urgence (PPU), Fonds d’entretien routier, Fonds d’Investissement en Milieu Rural (FIMR) etc.) en créant un fonds unique tel que discuté dans un article précédent[3], pour en assurer une gestion optimale et en tirer les ressources nécessaires pour financer de tels projets en plus d’investir dans des PME.

Par ailleurs, il peut également être envisagé de prélever une somme sur le bénéfice des entreprises privées qui réalisent de supers-profits au titre de leur contribution à la solidarité nationale. Toutefois, il convient de bien ficeler cette politique pour éviter de tomber dans le cercle vicieux que l’économiste Arthur Laffer caricature en disant « trop d’impôts tue l’impôt »

3. Le défi d’une gestion rigoureuse et efficace de la CMU

Pour qu’un système de protection sociale soit viable, il est indispensable d’assurer la bonne gestion des réserves issues des cotisations des assurés afin d’éviter les crises de liquidité. La plupart des caisses de prévoyance sociale qui fonctionnent correctement procèdent à des investissements dans des actifs rentables afin de dégager des surplus. Ceci permet d’assurer à la fois le paiement des droits des affiliés à temps et de disposer d’une marge pour la gestion des dépenses de fonctionnement courant.

Cependant, dans nombre de pays africains, l’Etat a en général une forte ingérence dans la gestion des caisses de protection sociale et a souvent tendance à utiliser ces ressources pour financer des dépenses publiques qui n’ont aucun lien avec les problématiques de protection sociale. Par ailleurs, certaines institutions de sécurité sociale procèdent à de mauvais choix d’investissement en achetant des actifs peu rentables. Ces opérations contre-productives conduisent à une destruction des ressources collectées ; ce qui conduit à de fréquentes crises de liquidité.

Cette politique de gestion approximative liée à une mauvaise gouvernance entraine naturellement des désagréments liés au retard ou au non paiement des droits ; ce qui contribue à fragiliser la confiance entre les assurés et les institutions de prévoyance sociale.

En vue de bâtir une institution de protection sociale crédible, capable d’inciter la population à souscrire aux prestations qui leurs sont proposées, l’Etat de Côte d’Ivoire devra veiller à mettre en place un écosystème de bonne gouvernance en désignant des dirigeants compétents et intègres à la tête de la caisse de la CMU.

En définitive, la Côte d’Ivoire qui aspire à l’émergence, comme nombre de pays africains, devrait s’assurer que les trois préalables sus mentionnés c'est-à-dire l’amélioration de la qualité des services de santé, la mise en place d’une structure de financement optimale et la bonne gouvernance, sont assurés afin de réussir à développer avec succès sa politique de couverture maladie universelle.

Lagassane Ouattara


[2]le pourcentage de la population qui gagne moins d’un dollar (environ 500 FCFA) par jour

Des pays africains où l’on ne paie pas d’impôts directs

5649521-le-poids-des-depenses-et-des-impots-bat-des-recordsAlors que les besoins d’inclusion politique et de financement du développement s’accroissent en Afrique, il existait en 2012 des pays où la contribution fiscale directe des particuliers et des entreprises était très insignifiante. C’est le cas notamment de huit pays dont la Lybie, la Guinée Equatoriale, Sao-Tomé et Principe, le Soudan, l’Angola, le Congo, le Nigéria et le Tchad où les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales) représentaient moins de 10% du total des recettes publiques en 2012. Or, contrairement aux autres types de recettes fiscales, l’impôt direct, quoique plus difficile à collecter, est étroitement lié à la légitimité de l’Etat, à la performance de l’administration fiscale et à sa capacité à lever de manière durable les fonds nécessaires au financement de la sécurité des personnes et des biens.[1]

La figure ci-dessous présente une photographie détaillée de la répartition en 2012 des différents types de recettes dans le revenu total de l’Etat.[2]

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Source : construit par l auteur a partir des statistiques fournies par le rapport AEO, 2014

Comme le montre le graphique ci-dessus, la part des revenus fiscaux tirés de l’exploitation des ressources naturelles va de 66% au Tchad à 95% en Lybie. Ainsi, dans des pays pétroliers comme la Guinée Equatoriale, l’Angola, le Congo ou le Nigéria, l’importance des recettes fiscales tirées de la production pétrolière semblent être un frein au développement d’autres types de taxes comme les impôts indirects. Cependant, les statistiques sur le Soudan et Sao Tomé et Principe illustrent à quel point la taxe sur les ressources pétrolières peut ne pas être suffisante pour expliquer le faible recouvrement de l’impôt direct dans un pays.

Au Sao Tomé et Principe, ce sont principalement les dons extérieurs (52%) suivis des taxes commerciales (20%) qui remplacent le manque à gagner du faible recouvrement des impôts directs. Par contre, le Soudan à une structure fiscale plus équilibrée avec des impôts indirects qui représentent 35% du total des recettes publiques suivis des revenus non-fiscaux (33%) et des taxes commerciales (20%).

Ces statistiques suggèrent que nous sommes en présence d’Etat dont la légitimité fiscale est très faible, compte tenu du niveau très bas de leurs impôts directs. En plus de cela, ceux qui disposent de ressources pétrolières ont une administration fiscale très peu performante avec comme conséquence l’absence de la collecte des impôts indirects et des taxes commerciales sur les importations. Ceux qui sont moins riches en ressources naturelles s’appuient soient sur l’aide extérieure, c’est le cas de Sao Tomé et Principe, ou sur les impôts moins coûteux à collecter ; c’est le cas du Soudan.

Très souvent, et comme mentionné dans le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2010, la prépondérance d’un secteur agricole de subsistance et du secteur informel dans la plupart des pays africains est citée comme l’une des principales raisons qui expliquent le faible taux de recouvrement de l’impôt direct. Cependant, lorsqu’on adopte une approche plus dynamique, il ressort que les deux phénomènes vont de pair : l’agriculture de subsistance et l’informel sont très développés parce que l’Etat ne dispose pas des moyens pour accompagner la formalisation des entreprises, et ce manque de moyen entretient davantage l’expansion du secteur informel et rend illégitime les tentatives de levée d’impôts auprès d’entreprises opérant dans le secteur informel. Le même raisonnement s’applique à l’impôt sur le revenu qui n’est pas non plus légitime lorsqu’il n’existe pas à priori de système de protection sociale ni pour les agriculteurs, ni pour les travailleurs du secteur informel.

A ce cercle vicieux, viennent s’ajouter des facteurs aggravant comme la présence de ressources naturelles ou l’abondance de l’aide extérieure. Ces derniers aussi s’auto-entretiennent puisqu’ils ne sont pas de nature à encourager les gouvernements à accroître leur légitimité fiscale en levant davantage d’impôts directs. Après tout, cette légitimité n’est acquise qu’en contrepartie d’une plus grande exigence d’inclusion politique, d’obligation de résultats et de compte rendu de la part des contribuables. Dès lors, il est plus intéressant pour un Etat de se justifier auprès d’institutions financières internationales ou de partenaires étrangers plutôt que de le faire auprès de ses citoyens. Ainsi, la bonne gouvernance et l’inclusion politique se trouvent au cœur même des enjeux de fiscalité en Afrique.

Pour que l’impôt direct joue pleinement son rôle dans l’édification et la consolidation des nations africaines, il faudra d’une part créer un dialogue entre les acteurs du secteur informel et l’Etat en vue de déterminer les contreparties qu’ils peuvent attendre de la levée des impôts sur le revenu et sur les bénéfices. Par exemple, la création de systèmes de protection sociale (assurance maladie universelle et chômage) et la garantie des investissements dans les infrastructures sociales et économiques susceptibles de bénéficier directement aux acteurs du secteur informel peut les inciter à se formaliser et ainsi donc contribuer à la levée des impôts directs en vue du financement des investissements publics. De manière plus classique, c’est le rôle que devrait jouer les élections des responsables politiques, mais pour le moment la question du financement du développement est rarement soulevée dans les campagnes électorales.

D’autre part, une implication plus accrue des organisations de la société civile dans la gestion des recettes fiscales issues de l’exploitation des ressources naturelles pourraient contraindre les gouvernements à s’appuyer davantage sur les impôts directs et à renforcer leurs capacités de recouvrement des impôts indirects. Enfin, une prise en compte plus importante des enjeux de renforcement de l’administration fiscale dans l’octroi de l’aide extérieure permettrait également d’inciter les Etats à compter davantage sur les impôts directs.

En définitive, la situation apparente de « paradis fiscal » que laisse entrevoir la faible contribution fiscale dans les huit pays cités ci-dessus n’a le paradis que de nom ; puisque cette faible contribution, même si elle peut être compensée par les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles ou des dons, est source d’exclusion sociale, principal moteur de la pauvreté et des inégalités.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques en Afrique, 2010, page 83.

[2] Ces différents types concernent les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales), les impôts indirects (TVA, taxes sur les vente, …), les recettes non-fiscales (droits de timbre per exemple), les revenus tirées de l’exploitation des ressources naturelles (en particulier le pétrole), les taxes commerciales (droits de douanes) et les dons.

La dette, un handicap au développement ?

185236742-281x300Le recours à la dette exterieure est connu pour sa capacité à drainer des fonds importants dans une économie en besoin de financement, contribuant ainsi à son développement via l’allocation qui se fait de ces nouvelles ressources. Cependant, il peut constituer une source de tensions dans l’économie. Les crises récentes de la dette en zone euro, les bisbilles survenues entre les élus américains autour du relèvement du plafond de leur dette souveraine ainsi que le cas argentin sont des exemples notoires d’un problème plus global. La question a déjà été abordée en partie dans un article de Foly Ananou. Il s’interrogeait en effet sur l’impact de la dette sur les performances économiques. Il a ainsi soulevé la controverse de l’endettement public en rapprochant de façon pertinente les différentes théories économiques en la matière. Le présent article pousse plus loin la réflexion en s’attachant particulièrement aux conséquences socio-environnementales.

Le recours systématique à l’endettement public dans le démarrage économique d’une collectivité entraine, sans nul doute, la  dévalorisation du rôle de l’épargne  nationale. Si aujourd’hui, de nombreux pays africains ne peuvent se prévaloir d’avoir une épargne nationale robuste capable de servir de levier aux investissements, c’est aussi parce que les outils financiers des Etats, font rarement appel à cette épargne. En outre, l’endettement public entraine  le drainage hors de la communauté  nationale  ou sous-régionale  des ressources financières nécessaires au développement local. Ceci prend notamment la forme d’intérêts sur le capital et d’intérêts sur les intérêts[1] ; une partie de la richesse créée étant consacré au remboursement de l’emprunt. Cette situation est d’autant plus critique quand les performances économiques du pays ne sont pas solides et inclusives. Le cas de l’Afrique subsaharienne est assez édifiant. En 1984, le service de la dette (les intérêts) ivoirienne représentait 12 %  de son pays. Il comptait pour plus de 40 % des recettes d’exportations de biens et services de la Guinée Bissau en 1987.

La réalité est que les pays africains n'étaient pas techniquement préparés à la gestion de cet afflux de capitaux. Depuis leur indépendance politique, ils n’ont pas connu une véritable révolution économique qui puisse assoir les bases d’une industrialisation réussie. En effet, les pays ont été embarqués dans ce programme d'aide initié par le président Truman en 1949, alors même que les conditions techniques pour son éclosion n’étaient pas au rendez-vous. Il s’agit notamment de la bonne gouvernance, de l’approche participative et axée sur les résultats ainsi que des capacités limités des gouvernants en matière de gestion de la dette. Ces insuffisances couplées avec le manque de contrôle de la part des pays donateurs ont entrainé des situations de crise de la dette souveraine, qui ont motivé les récentes initiatives PPTE[2] et ADM[3].

Une autre conséquence de l’endettement extérieur est l’extraversion des économies aidées du fait qu’il faut toujours et davantage exporter de matières premières pour acquérir les devises étrangères nécessaires au paiement du service de la dette. Les économies tendent ainsi à se spécialiser dans des secteurs pouvant rapporter, non davantage, mais le plus rapidement possible des devises. L’agriculture est orientée vers les cultures d'exportation, le secondaire se spécialise dans le secteur minier, avec parfois un ricochet sur l’industrie de l’équipement et le tertiaire est dominé par le commerce et les services. C’est le cas de nombreux pays en Afrique subsaharienne. Au sein de l’UEMOA (Union Economique Monétaire Ouest-Africaine) par exemple, les exportations de matériaux agricoles bruts du Burkina Faso font depuis 1995 plus de la moitié du total des exportations de marchandises du pays. Elles ont atteint 59 % en 2000 et représentaient 91 % des exportations du Mali, à la même période. En 2010, les exportations de matériaux agricoles s’établissaient à 56 % pour le Burkina Faso contre 48 % pour le Mali. En 2010, les exportations de minerais et de métaux du Niger représentaient 60 % du total de ses exportations de marchandises contre 41% 10 ans plus tôt.

Gelima (1994) considère que le délaissement accentué de l’agriculture vivrière au profit des cultures d’exportation  provoque  la dépendance alimentaire, la sous alimentation, souvent la famine, et constitue des pressions supplémentaires sur l’environnement, à l’heure où le réchauffement climatique est une réalité et une menace pour la survie de la race humaine[4]. Par ailleurs, l’endettement entraine une situation d’interdépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur et une dépendance croissante envers les institutions financières internationales, rendant ainsi plus difficile la mise en œuvre de politiques économiques satisfaisant les réalités locales.

Il faut également souligner que les conséquences de l’endettement extérieur ne se limitent pas seulement aux seuls pays aidés. Elles impactent aussi les pays donateurs, créant ainsi un cercle vicieux qui contribuent à maintenir le aidés dans leur situation. Dans son livre intitulé « effet boomrang, choc en retour de la dette du tiers-monde », George S. (1992) identifie les conséquences suivantes :

  • « La dégradation aux répercussions planétaires de l’environnement : destruction des forets tropicales, érosion et désertification dues à l’exploitation intensive et extensive des terres pour l’agriculture d’exportation ». Ces répercussions sur l’environnement n’épargnent en effet pas les pays développés.
  • « La migration en masse de miséreux et de réfugiés vers les pays riches, conséquence de l’appauvrissement et de la déstabilisation des sociétés sous-développées ». En effet, selon le rapport conjoint OCDE – Nations Unies, intitulé « les migrations internationales en chiffres » parut en octobre 2013, on recense aujourd’hui dans le monde 232 millions de migrants internationaux, dont environ six sur dix résident dans les régions développées. Depuis 1990, le nombre de migrants internationaux a augmenté d’environ 53 millions (65 %) dans les pays du Nord alors qu’il croissait d’environ 24 millions (34 %) dans ceux du Sud. Pendant la période 2000-2010, le nombre total de migrants a crû deux fois plus vite qu’au cours de la décennie précédente.
  • « La multiplication des conflits internes et externes ». McNamara (1991), secrétaire à la défense sous le président américain Kennedy, écrivait à cet effet : « au cours de ce dernier demi-siècle le tiers-monde a connu 125 guerres ou conflits armés laissant un bilan de 40 millions de morts, 65 conflits armés, tous internes, y ont été recensés entre 1989 et 1992 seulement. »

Le recours à la dette extérieure est une pratique en vigueur dans les pays en voie de développement depuis près de 70 ans. Malgré les efforts consentis jusque là par les pays africains concernés, le rattrapage économique semble encore très loin. Foly Ananou, dans un second article portant sur la question de la dette, expliquait que tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Moyo (2009),  insiste sur le fait que l’Afrique doit donc inventer son développement, et ne plus penser que le recours systématique à l’extérieur soit une solution pérenne pour financer leur développement. C’est d’ailleurs dans ce sens  que Georges évoque la fiscalité ou que Pauline discute du recours à des financements innovants. Si le recours à la fiscalité ou aux mécanismes de financements innovants constituent des solutions envisageables, elles demeurent cependant tributaires de l’environnement économique africain. Dans les pays de l’UEMOA par exemple, cet environnement est marqué principalement par une assiette fiscale très réduite, un secteur privé en proie à des problèmes existentiels, une bancarisation encore loin des attentes et un secteur informel prépondérant. Un prochain article discutera donc de la possibilité de renouer avec les vertus de l’épargne nationale qui est mobilisable en Afrique et proposera par la suite un modèle alternatif qui facilitera une croissance auto-entretenue.

Carmen Thirbus Agbahoungbata

Références 

Gélima, J. (1994),  Et si le tiers monde s’autofinançait : de l’endettement à l’épargne,  Ecosociété, Montréal (Québec),

George, S. (1992),  L’effet boomerang, Choc en retour de la dette du Tiers Monde, Paris, La Découverte.

McNamara, R. (1991), Toward a New World Order, in Ecodécision, N°2, P. 15

Moyo, D. (2009),  Dead Aid: Why Aid is Not Working and How There is Another Way for Africa, Ed. Allen Lane. Penguin Books


[1] Selon la Banque mondiale, les paiements d’intérêts sont « les montants réels d'intérêts payés par l'emprunteur en devises étrangères, en biens ou en services au cours de l'année donnée. Cet élément comprend les intérêts payés sur la dette à long terme, les frais du FMI et les intérêts payés sur la dette à court terme ».

 

[2] Pays Pauvres Très Endettés

 

[3] Allègement de la Dette Multilatérale

 

[4] Voir le quatrième rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) à ce sujet

 

Les financements innovants du développement en Afrique : l’ACAD

logoUn article précédent faisait un panorama général des différents instruments de financement innovant pour le développement. Il s’agit, dans cet article qui fait partie d’une plus longue série, d’examiner de plus près l’un de ces systèmes, mis en place en 2009, l’African Carbon Asset Development Facility (ACAD). C’est un partenariat public-privé, dont le dispositif est issu du protocole de Kyoto, dans la catégorie des mécanismes de développement propre[1] (MDP). Il répond à deux objectifs complémentaires : atteindre les objectifs de réduction de carbone pour les pays industrialisés et bénéficier d’investissements et de transferts technologiques pour les pays en développement.

Son principe est clair puisque l’action de l’ACAD se décline en trois offres pour stimuler le marché des crédits carbone africain.  Premièrement, c’est un partage des coûts et des risques avec les banques partenaires sur les prêts accordés aux entrepreneurs choisis – à l’instar d’un fonds de garantie classique – pour des initiatives ayant un impact sur le développement durable. Deuxièmement, c’est une assistance technique aux porteurs de projets pour les aider à les mener à bien, à la fois sur le marché que sur la validation comme projet de MDP. Dernièrement, c’est une formation et un accompagnement sur les spécificités de la finance carbone pour les institutions financières.

Le dispositif rentre bien dans la catégorie des financements innovants puisqu’il correspond aux critères énoncés par le Groupe Pilote sur les financements innovants[2]. Il repose sur une ressource relativement stable et prévisible (les revenus tirés des entreprises accompagnées); est complémentaire de l’aide publique au développement traditionnelle et fait partie des mécanismes de garantie d’emprunt. Enfin, il met en place des partenariats nouveaux entre bailleurs internationaux (UNEP, Initiative internationale pour le climat du gouvernement allemand), institutions financières (Standard Bank) et entrepreneurs.

L’ACAD a le mérite de répondre à des besoins cruciaux en Afrique puisque le continent connait un fort déséquilibre dans la répartition des certificats de réduction d’émission avec seulement 2% environ des certificats mondiaux[3]. De plus, en s’appuyant sur des projets locaux, ce système pallie le manque d’infrastructures en Afrique, ce problème entravant avec acuité la mise en œuvre et la maintenance de mécanismes de développement propres classiques. De même, il remédie au problème d’accès au financement : les coûts de MDP sont prohibitifs et empêchent l’éclosion de nombreux projets en Afrique. Les entreprises suivies sont soutenues financièrement à leur phase de lancement[4], ainsi que pour faire face aux coûts élevés de sélection (validation, évaluation d’impact). Enfin, tandis que les MDP sont peu connus en Afrique, ce programme permet de sensibiliser la société civile aux enjeux du développement durable tout en offrant des opportunités d’emplois et de croissance.

L’ACAD offre ainsi plusieurs atouts pour le continent. D’une part, il stimule un marché des crédits carbone en améliorant la capacité des banques partenaires à identifier et actionner des opportunités de crédits carbone. D’autre part, il réduit les coûts de développement de projets et d’investissement en construisant un portefeuille de projets viables et donc à même d’être répliqués en Afrique. Ce faisant, il facilite l’intégration régionale en déverrouillant des barrières de marché par des actions de sensibilisation d’échelle (forum, réseaux d’investisseurs). Le succès est au rendez-vous avec quatorze projets accompagnés dans neuf pays à ce jour. L’ACAD a accompagné des initiatives entrepreneuriales telles que « Nafa Naana » au Burkina Faso[5], pour améliorer des poêles économes en énergie ou bien des projets de plus grande envergure, comme le soutien à la certification de la plus grande zone d’éoliennes en Afrique (au lac Turkana au Kenya).

Le projet se révèle être intéressant pour le continent à court et à long termes. Aujourd’hui, il accorde une formation solide sur l’identification des projets de MDP pour les banques mais aussi pour les personnes travaillant dans l’entreprise accompagnée. D’ici quelques années, l’ambition est de stimuler un marché dynamique des crédits carbone en Afrique, d’intégrer les compétences liées à ce tissu industriel dans le secteur financier africain et de devenir un instrument de référence. Ces aspirations vont de pair avec des priorités stratégiques accroissant l’échelle de l’ACAD. L’objectif est de collaborer avec de nouvelles institutions bancaires partenaires, de créer de nouveaux mécanismes de financement (tels qu’un régime de garantie de crédits carbone prépayés), de disposer de moyens innovants de formation et de réseautage (e-learning, annuaire de marché) et de s’allier avec d’autres initiatives comparables dans le domaine du développement durable.

Toutefois, certaines limites peuvent être esquissées, en particulier en raison de la nature très discutable du marché des crédits carbone. En effet, comme cet instrument s’intègre dans ce marché, cette appartenance implique de devoir quantifier précisément les avantages réels des projets financés du point de vue du réchauffement climatique. Or, sur ce point, les données manquent. Cette absence d’information se retrouve d’une part quant à l’additionnalité financière (liée à la vente de crédits carbone), critère requis pour qualifier un MDP selon le protocole de Kyoto, et d’autre part quant aux certifications attribuées aux projets. En outre, auréolé de bonnes intentions, le marché carbone est pourtant l’arène de nombreux « carbon cow-boys » aux aspirations plus lucratives qu’écologiques, qui spéculent sur ces crédits alors assimilés à une valeur boursière lambda[6].

Il faut également souligner une certaine contradiction sur le présupposé même de cet instrument : la très faible demande énergétique en Afrique. Si la demande est faible, il en va alors de même pour les opportunités d'investissement. Il semble alambiqué de vouloir substituer à une demande quasi nulle des certificats de réduction d'émission. Néanmoins, la conjoncture actuelle suivie par l’Afrique annonce une hausse de la demande et il est possible de rétorquer à cette critique que la demande n’est pas forcément celle entrevue par la lorgnette occidentale. Le projet burkinabé cité plus haut atteste bien du potentiel de développement et des besoins de soutien d’un projet a priori dépourvu d’opportunité d’investissement.

Enfin, concernant la mise en œuvre même du projet, un point est critiquable : il semble que l’objectif de transfert de technologie, propre aux MDP, soit incertain,  puisque les projets recourent principalement à des technologies locales. Cette considération peut être vue soit par le verre à moitié plein – exploitation et développement de ressources locales, soit à moitié vide – aucun transfert technologique.

Cependant, pour ne pas finir sur une sombre note, soulignons que ce projet fait primer les bénéfices socio-économiques induits par les projets portés sur la quantité économisée de carbone. Est ainsi privilégié le « comment » au « combien », somme toute selon une bonne vieille logique de développement et de création de richesse.

Pauline Deschryver


[1] L’article 12 du protocole de Kyoto

 

[2] http://www.leadinggroup.org/rubrique332.html

 

[3] https://cdm.unfccc.int

 

[4] Ce soutien financier s’élève jusqu’à 125 000 dollars de subvention par projet

 

[5] http://www.wehavethepower2030.org

 

[6] Aurélien Bernier, « Augustin Fragnière, 2009, La compensation carbone : illusion ou solution ? PUF, 208 p. »

 

Deux intrants qui manquent à l’innovation en Afrique francophone

clipboard06Si l’on convient avec des penseurs comme Schumpeter J. et Aghion P. que le développement résulte de l’innovation, alors l’Afrique, quoique pauvre, devrait accorder une importance particulière à ses universités. Non pas pour accroître le nombre d’étudiants, ni pour augmenter le nombre de professeurs ou de chercheurs, mais pour accroître la qualité de la recherche qui y est menée. Cette préoccupation concerne bien entendu l’ensemble des pays Africains à l’exception peut être de l’Afrique du Sud, selon les classements internationaux des universités, comme celui de Shanghai. Cependant, la situation est plus critique dans les pays francophones pour deux raisons. D’une part, l’utilisation presque exclusive du français comme langue de travail dans les laboratoires alors que le monde académique devient de plus en plus anglophone. D’autre part, la faible numérisation des travaux de recherche dans un contexte où les moyens de recherches modernes reposent davantage sur le codage informatique et l’utilisation de l’internet.

Il ne s’agit pas d’une reproche faite à la communauté scientifique francophone d’Afrique, mais plutôt d’une mise en lumière de quelques défis qu’elle devra relever pour s’intégrer pleinement dans les réseaux de recherches mondiaux qui sont pour la plupart anglophones. On pourrait aussi tout de suite penser qu’il s’agit là d’une préoccupation secondaire dans une région en proie à l’extrême pauvreté et parfois aux troubles sociaux. Mais ce point de vue omet la possibilité que l’extrême pauvreté et les guerres soient tout simplement des conséquences d’un manque d’innovation.  Après tout, la recherche scientifique n’a d’autre but que d’apporter des solutions concrètes aux problèmes des Hommes, c'est-à-dire être au service de la société. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici les principales inventions et découvertes qui ont été à l’origine des progrès significatifs dans l’agriculture et l’industrie dans les pays qui sont aujourd’hui développés. Comment faire donc pour inclure l’Afrique, en particulier l’espace francophone dans le train mondial de l’innovation par la recherche ?

Très peu de statistiques existent pour mettre en évidence la proportion de chercheurs des universités d’Afriques francophones qui maîtrisent parfaitement l’anglais. Il suffit pourtant d’aller sur le site web de ces universités pour constater que très peu ou pas du tout de publications sont faites en anglais. Quant à l’appropriation de l’outil informatiques et des opportunités qu’offre l’internet, on constate déjà que le pourcentage de la population ayant accès à l’internet est plus faible dans les pays francophones et que très peu d’écoles ou d’universités disposent de salles d’informatiques équipées.[1] Or, de manière plus synthétique, l’appropriation de l’outil informatique devrait permettre d’augmenter les capacités d’innovation alors que la maîtrise de l’anglais favoriserait leur diffusion et de donc leur qualité.

En effet, le progrès fulgurant des capacités de calcul et d’édition des ordinateurs permettent aujourd’hui de tester des hypothèses scientifiques compatibles avec des situations réelles. Par exemple, dans les sciences sociales, il ne sera plus question de formuler des théories dans un laboratoire mais d’identifier des relations révélées par les comportements individuels et collectifs. Même dans les cas où des observations ne peuvent pas être faites, les capacités de calcul offertes par l’ordinateur permettent de simuler des situations réelles avant même leur mise en œuvre dans la pratique. Par ailleurs, cette expansion de l’informatique favorise actuellement l’accumulation de données massives qui vont sans doute bouleverser la pratique même de la recherche scientifique. C’est le cas par exemple du programme Data for Development lancé par Orange en Afrique sur l’utilisation des données anonymes du réseau mobile pour répondre à des questions sur la santé, l’éducation, l’agriculture, les transports et les infrastructures.

Un autre intérêt de l’appropriation de l’outil informatique est qu’elle facilite l’accès à l’internet et plus particulièrement à des ressources académiques qui peuvent être utilisées pour améliorer les résultats d’autres recherches en cours. Typiquement, un chercheur qui travaille sur l’amélioration de la productivité agricole a besoin d’accéder aux derniers résultats de recherche sur cette question. Cet accès se fait à moindre coût lorsque le chercheur dispose d’un accès à l’internet et d’une connaissance des ressources académiques disponibles en ligne. Nonobstant, combien sont-elles, les universités d’Afrique francophone connectées à l’internet haut débit accessible par tous les étudiants et chercheurs ?

En ce qui concerne l’anglais, sa maîtrise permettra de diffuser les résultats de recherches scientifiques et d’accroître leur qualité.  Il ne s’agit pas d’abandonner sa langue maternelle ni le français car en général certains sentiments voire certaines idées sont mieux exprimés dans une langue que dans d’autres. Cependant, cette richesse de la diversité linguistique ne doit pas nous empêcher de reconnaître l’importance de la maîtrise d’une langue internationale, en l’occurrence l’anglais, pour faire participer pleinement les chercheurs des universités d’Afrique francophone aux grands débats scientifiques qui auront une incidence décisive sur nos modes de vie à l’avenir.

Il existe certes de centres de recherche en Afrique francophone, souvent à l’extérieur des universités, qui entreprennent des recherches en anglais et qui promeuvent l’appropriation de l’informatique et de l’internet par les chercheurs. C’est notamment le cas du CODESRIA, du CRES au Sénégal, ou de l’African School of Economics qui vient d’ouvrir ses portes au Bénin. Cependant, ses deux intrants de la recherche scientifique que sont l’anglais et l’informatique ne sont pas encore accessibles au plus grand nombre des étudiants et chercheurs dans les universités d’Afrique francophone. C’est pour cela qu’il faut dès maintenant repenser la recherche scientifique dans cette région en mettant l’accent sur l’enseignement et les publications en anglais de même que la formation intensive des étudiants et chercheurs aux langages de programmation informatique de base et à l’utilisation des données massives générées par l’internet à des fins de recherche scientifique.

L’un des principaux obstacles à ce changement est la réticence des chercheurs séniors face à l’introduction de nouvelles technologies qu’ils ne maîtrisent pas et qui les rendraient obsolètes. Il pourrait donc s’agir d’obliger les jeunes étudiants et chercheurs à s’approprier l’anglais et l’informatique tout en encourageant les séniors à faire de même à travers des incitations à participer à des conférences de haut niveau en anglais.

Les logiciels de traduction n’aideront pas les chercheurs francophones puisqu’ils ne rendent pas compte de l’idée sous jacente à la structure d’une phrase. Par ailleurs, les obstacles liés à l’énergie que l’on évoque très souvent pour justifier la relégation de l’accès à l’internet au second plan sont très discutables dans la mesure où l’accès à l’énergie n’est qu’un moyen qui ne devient justifié que lorsque les fins pour lesquelles il sera employé sont établies. Les fins ici concernent l’accès à la connaissance moderne dont la production et la diffusion nécessite l’emploi des moyens de communication modernes dont le numérique et l’anglais.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Selon les statistiques de l’IUT pour l’année 2013, seulement 4% de la population des pays d’Afrique francophone à l’exception du Sénégal (21%) de la Tunisie (44%) et du Maroc (56%) utilisent l’internet.

 

Des OMD aux ODD : un simple jeu de mots ?

OMD-petite-fille2Ce billet se propose de revenir sur les OMD dont l’échéance est 2015 et de mettre en exergue les ODD qui seront au cœur de l’agenda post 2015.

L’année 2015 devait être une année de référence, l’aboutissement de quinze années de lutte contre la pauvreté avec le soutien des institutions internationales. Si 2015 restera une année de référence, elle constituera aussi un point de départ vers, cette fois-ci, un monde meilleur où les conditions de vie en termes économiques et sociaux seront meilleures. C’est en tout cas l’objectif que s’est fixé la communauté internationale à travers les Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prendront le relais des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et qui constituent le point focal de l’agenda post 2015.

Au début des années 2000, la Communauté Internationale avait adopté les OMD, réparti en 8 objectifs à atteindre au plus tard en 2015 : (i) Éliminer l’extrême pauvreté et la faim, (ii) Assurer l’éducation primaire pour tous, (iii) Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, (iv) Réduire la mortalité des enfants, (v) Améliorer la santé maternelle, (vi) Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies, (vii) Assurer un environnement durable, (viii) Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Bilan des OMD : des objectifs trop ambitieux ?!

Près de 15 ans après le lancement des OMD, le bilan reste mitigé. Tous les objectifs n’ont pas été atteints et ceux pour lesquels c’est le cas au niveau mondial, il subsiste des disparités, parfois énormes, entre les régions.

Si le premier objectif des OMD, qui est la réduction de l’extrême pauvreté de moitié dans le monde entre 1990 et 2015, a été atteint (36% en 1990 contre 18% en 2010), en Afrique Subsaharienne, la proportion d’individus vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 56% en 1990 à 48% en 2010 alors que cette proportion a largement baissé de 45% à 14% sur la même période en Asie du Sud Est, selon le PNUD (2014).

Concernant l’éducation primaire pour tous, le taux brut de scolarisation est passé de 52% à 78% entre 1990 et 2012 en Afrique Subsaharienne alors que dans le monde en développement en général, ce taux est passé de 80% à 90% sur la même période. La bataille pour donner avant 2015 à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens de terminer un cycle complet d’études primaires n’est pas encore gagnée. En 1990, en Asie du Sud, seulement 74 filles étaient inscrites à l’école primaire pour 100 garçons. Fin 2012, les taux de scolarisation étaient les mêmes pour les filles et les garçons.  En Afrique subsaharienne, en Océanie et en Asie de l’Ouest, les filles sont toujours confrontées à des obstacles aussi bien pour l’entrée dans l’enseignement primaire que secondaire. Les disparités sont donc persistantes contrairement à la cible qui était d’éliminer les disparités entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire dès 2005 si possible, et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015 au plus tard. Pourtant, le statut des femmes occupant un emploi salarié non agricole est en augmentation, 23% à 33% en Afrique Subsaharienne entre 1990 et 2012, 38% à 44% en Amérique latine et Caraïbes sur la même période. En janvier 2014, 46 pays se targuaient d’avoir plus de 30 % de femmes parlementaires dans au moins une des chambres des représentants.

La mortalité infantile quant à elle est passée de 177 à 98 décès pour 1000 naissances vivantes entre 1990 et 2012. Réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans était la cible de cet objectif et seules l’Afrique du Nord et l’Asie de l’Est y sont parvenues entre 1990 et 2012. Les décès maternels ont diminué, passant de 990 à 510 décès pour 100 000 naissances vivantes de femmes dont l’âge est compris entre 15 et 49 ans. Ce chiffre est passé de 380 à 210 dans le monde entre 1990 et 2013 alors que la cible était une réduction de trois quarts de décès maternels. Entre 2001 et 2012, le taux d’incidence du VIH  (nombre estimé de nouvelles infections par an pour 100 personnes âgées de 15 à 49 ans) reste élevé en Afrique Australe même s’il est passé de 1,98 à 1,02 alors qu’il est de 0,03 en Amérique Latine et de 0.01 en Afrique du Nord sur la même période alors que l’objectif était d’enrayer et commencer à inverser la propagation du VIH/SIDA.

La dégradation de l’environnement se poursuit dans le monde : 13 millions d’hectares de forêts ont disparu, la faute aux ravages naturels, à l’urbanisation et à l’expansion de l’agriculture à grande échelle. Les émissions mondiales de CO2 ont atteint 32,2 milliards de tonnes métriques en 2011, soit une augmentation de 48,9% par rapport à leur niveau en 1990. Dans le même temps, la consommation mondiale de substances appauvrissant la couche d’ozone a diminué de plus de 98% entre 1986 et 2013.

Enfin, l’aide publique au développement s’est élevée à 134,8 milliards de dollars en 2013, son niveau le plus élevé jamais enregistré, après deux années de baisse des montants. Toutefois, l’aide va de moins en moins aux pays les plus pauvres. Ainsi ces dernières années, près d’un tiers du flux de l’aide totale des donateurs était destiné aux pays les moins avancés (PMA). En 2012, l’aide des donateurs du Comité d’Aide au Développement (CAD) aux PMA se montait à 0,09 % de leur revenu national brut cumulé, son ratio le plus bas depuis 2008. L’aide bilatérale nette à l’Afrique (où se trouvent 34 des 48 PMA) a baissé de 5,6% en 2013, passant à 28,9 milliards en termes réels.

Pour autant, la Communauté Internationale ne s’avoue pas vaincu et reste déterminé à faire mieux. Pour ce faire, elle propose une nouvelle palette d’objectifs, sous le nom d’Objectifs de Développement Durable (ODD) pour remplacer les OMD afin de lutter contre la pauvreté et les inégalités et réduire les disparités entre les pays développés et les pays en développement.

Les Objectifs de Développement Durable: quelles différences par rapport aux OMD ?

La première différence notable entre les OMD et les ODD est le nombre d’objectifs. En effet, on passe de 8 objectifs avec les OMD à 17 objectifs avec les ODD décrits comme suit :

  1. Mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes et partout
  2. Mettre fin à la faim, assurer la sécurité alimentaire et une nutrition adéquate à tous et promouvoir l’agriculture durable
  3. Atteindre une vie saine pour tous à tous les âges
  4. Fournir un enseignement de qualité équitable et inclusif et des opportunités de formation tout au long de la vie
  5. Parvenir à l’égalité des sexes, autonomiser les femmes et les filles partout
  6. Assurer l’eau et l’assainissement pour tous pour un monde durable
  7. Assurer l’accès à des services énergétiques pour tous, modernes, abordables, durables et fiables
  8. Promouvoir une croissance économique inclusive et soutenable et le travail décent pour tous
  9. Promouvoir une industrialisation soutenable
  10. Réduire les inégalités entre et à l’intérieur des pays
  11. Construire des villes et établissements humains inclusifs, sûrs et soutenables
  12. Promouvoir des modes de consommation et de production soutenables
  13. Promouvoir des actions à tous les niveaux pour lutter contre le changement climatique
  14. Parvenir à une conservation et un usage soutenable des ressources marines, des océans et des mers
  15. Protéger et restaurer les écosystèmes terrestres et mettre fin à toute perte de biodiversité
  16. Parvenir à des sociétés, des systèmes juridiques, des institutions efficaces, en paix et inclusives
  17. Renforcer et améliorer les moyens de mise en œuvre et le partenariat mondial pour le développement soutenable.

Les ODD sont très ambitieux comme objectifs et se différencient des OMD par l’intégration pleine et entière des trois volets (social, économique et environnemental) du développement durable. Ensuite, la mise en place d’autres indicateurs que le PIB pour mesurer correctement le bien-être et les progrès humains, l’élimination des inégalités et l’accent sur une gouvernance efficace ont été identifiés au nombre des priorités clés des ODD. Et cette fois-ci, les objectifs sont universellement applicables à tous les pays. Leur adoption est prévue en 2015 durant l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Quelles implications pour lAfrique ?

L’Afrique reste à ce jour le continent le plus pauvre de la planète. Les défis à relever en matière de développement restent de premier plan. Le bilan des OMD a, certes, montré que des progrès ont été réalisés entre 1990 et 2015 mais l’écart avec les autres régions du monde est très grand. Les ODD tout comme les OMD se focalisent sur les questions de pauvreté, de santé, d’éducation, d’inégalités entre pays et d’environnement.

Si les pays développés prévoient de continuer d’aider les pays en développement, notamment africains, avec les ODD au travers de l’APD, il faut que ces derniers s’approprient le discours sur leur développement et oeuvrent dans ce sens. Ce qui implique pour les pays africains qu’en plus de l’assistance de la communauté internationale, il faut faudra fournir un gros effort au niveau des pays. Ainsi, des programmes ambitieux en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures et d’emplois doivent être élaborés avec des plans de financement cohérents et soutenables sur le long terme. L’amélioration de la sécurité, de la gouvernance politique et économique, l’optimisation du système fiscal afin que les pays puissent dégager plus de ressources internes sont autant d’aspect à prioriser également sur le continent Africain.

Koffi Zougbédè

Référence :

Rapport 2014 du PNUD sur les objectifs du millénaire pour le développement

Financement à long terme des entreprises : un défi majeur

185236742Le financement des entreprises constitue pour les économies africaines un défi majeur. Le secteur privé africain est constitué pour l’essentiel de PME, qui ne contribuent que très faiblement à la création de richesse sur le continent. Une situation qui résulte notamment, des difficultés qu’elles ont à financer leurs investissements. Malgré l’amélioration ces dernières années des conditions de financement, du fait de la prise de conscience des différents acteurs du potentiel que représente ce segment, une problématique demeure : celle du financement des investissements à longs termes, nécessaire à une croissance soutenue du secteur privé. Selon certaines sources, les crédits à longs termes destinés au financement de l’investissement ne représentent  que 3.5% des crédits totaux.[1] L'ouverture du capital, qui constitue un autre moyen de financement productif pour les entreprises, est également très peu développée sur le continent. Or, seules ces deux options pourraient permettre de réaliser le plein potentiel du secteur privé. Cet article se propose de discuter les contraintes à l’efficacité de ces moyens de financement tout en envisageant des approches de solutions.

La théorie économique nous enseigne que c’est l’épargne qui finance l’investissement et les établissements (institutions de microfinance et banques), ne sont que des intermédiaires qui collectent auprès d’agents disposant de capacité de financement (soit l'épargne) et octroient des crédits à ceux ayant des besoins de financement (l'investissement). Cependant, le constat fait en Afrique est que l’essentiel des ressources collectées par les établissements financiers ne sont disponibles qu’à court terme et ne permettent pas de financer les besoins à longs termes des entreprises, au risque de faire entorse aux réglementations régissant le respect du ratio de liquidité fixées par les banques centrales. Ainsi, au-delà de  l’aversion au risque qui tient au fait que le risque de défaut croît en fonction de la durée d’amortissement du crédit ; la principale cause du faible taux de crédits à longs termes est le déficit d’épargne, et plus particulièrement de celle à longue durée. Le faible taux de bancarisation en Afrique  explique entre autres cette situation. En 2012 ce taux se situait en  moyenne à 24.1% en Afrique Sub-saharienne. Aujourd’hui, la collecte de l’épargne se fait essentiellement à partir des agences bancaires. Une stratégie qui a montré ses limites. Il est donc nécessaire de repenser le système de collecte de l’épargne. Des solutions innovantes sont déjà utilisées dans certains pays tel que le Kenya, avec le « Mobile Banking ». Pour attirer les personnes non bancarisées, la téléphonie mobile offre de véritables solutions aux établissements financiers. M-Pesa, un service lancé par l’entreprise dirigée par Bob Colymore, Safaricom, y a remporté un large succès en favorisant la dématérialisation du service bancaire. Cette innovation en a entrainé une seconde. Avec l’association entre Equity Bank et l’opérateur télécom a vu le jour M-Kesho. Un système qui permet de bénéficier d’un compte bancaire, avec les services qui y sont associés tel que la micro-épargne et le micro-crédit ; et grâce auquel la banque a multiplié le nombre de ses clients par six(6). La Nigériane First Bank et le groupe panafricain Ecobank se sont elles aussi associées respectivement à Etisalat et à Airtel, dans le but de développer le même type de produit.

D’autres innovations qui contribuent à démystifier la banque, en faisant des opérateurs économiques tels que – les pharmaciens, les boutiquiers de quartiers, etc.- de véritables intermédiaires bancaires sont également de nature à favoriser la collecte des ressources auprès d’une plus large population. Une fois cette épargne collectée, il s’agira de miser sur sa conservation.

En Afrique, les populations développent une appétence pour les placements immobiliers au dépend de placements liquides, réduisant de facto la part de l’épargne long terme. Il faudra donc encourager une épargne de longue durée en aidant au déploiement des projets. Un accent devra être mis sur les plans épargnes immobiliers-logements, achats de matériels agricoles, véhicules, etc.- Une autre solution consisterait à offrir des taux de rémunération croissants aux clients n’effectuant pas de retraits, afin de limiter les décaissements. Le levier fiscal pourra être un facteur stimulant sans pour autant être déterminant, car les rendements après impôt dépendent surtout des performances financières des produits.

Par ailleurs, au-delà des stratégies de hausse de la bancarisation, les marchés financiers sont des moyens alternatifs de collecte de ressources longues. Les établissements de crédits doivent chercher à y lever des fonds, en émettant par exemple des obligations avec maturités longues. Elles peuvent également opter pour la cession de titres de participations comme l’ont déjà fait sept (7) filiales de groupes bancaires sur la BRVM (Bourse Régionale et des Valeurs Mobilières). Plus il y aura de solutions innovantes de collecte de ressources durables, plus les établissements de crédits pourront financer les investissements à longs termes des entreprises.

L’apport en fonds propres, la seconde  option qui s’offre aux entreprises, consiste à l’ouverture du capital. Dans ce cadre, elles font recours aux marchés financiers en s’y faisant coter ou  font appel aux  sociétés de private equity, qui manifestent de plus en plus un intérêt certain au continent, du fait des forts taux de croissance qui y sont enregistrés. Malheureusement ces solutions sont confrontées à des obstacles majeurs.

La gestion opaque des affaires par les entrepreneurs africains est le principal obstacle. En effet, la PME africaine a un système d’organisation du pouvoir presque toujours concentré dans les mains de l’entrepreneur, empêchant de ce fait l’ouverture du capital à d’autres actionnaires. Une revue du système de gouvernance s’impose. Il ne s’agit pas d’abandonner  totalement le système de management actuel. Mais de créer une synergie entre les bonnes pratiques du management traditionnel africain et celles du capitalisme moderne. Les recherches d’Hernandez (1997)[2] à la suite desquelles, il propose un modèle de management pour l’entreprise africaine utilisant  un troisième facteur appelé, « facteur C », est une bonne piste. En effet, il n’y a pas que le capital « k » et le travail « T » à prendre en compte comme facteurs économiques ; le  « facteur C » pour (Coopération, Communauté, Collaboration) est également générateur de productivité, car il facilite la bonne marche de l’organisation. Le management, acclimaté à l’Afrique, devrait s’approprier ce troisième facteur, afin d’y rendre réellement efficace l’approche du management du capitalisme moderne ; et par ricochet favoriser l’entrée d’investisseurs au capital des entreprises.

En plus de cet obstacle, qui est une faiblesse commune aux deux modes de financement identifiés liés à l’ouverture du capital ; il existe des contraintes spécifiques à chacune d’elles.

La cotation sur les marchés financiers, des PME africaines, est limitée car les conditions d’entrée sont très sélectives. S’ajoute aux critères tels que la présentation d’états financiers certifiés sur les dernières années, une exigence de capital minimum. Ce qui constitue une véritable barrière à l’entrée. Néanmoins des bourses de PME voient le jour sur le continent afin d’apporter des solutions ; ces dernières rencontrant des succès mitigés car très peu d’entreprises franchissent le pas. Le Ghana qui fait souvent figure d’exemple en Afrique, ne compte aucune entreprise cotée sur son compartiment des PME. Les réformes doivent donc être poursuivies en vue de rendre la bourse plus accessible aux entreprises africaines en s’inspirant notamment du modèle britannique, qui est le plus abouti à ce jour.

Concernant le private equity, s’ajoute à l’effet paradigme, un autre obstacle qui résulte du niveau trop élevé des tickets d’entrée des sociétés de private equity. Des montants pouvant atteindre 100 millions USD en décalage par rapport aux besoins réels, beaucoup plus modestes, des entreprises. Du coup, pour que les ressources énormes des fonds de private equity profitent au plus grand nombre, il faudrait que leurs tickets d’entrée soient revus à la baisse. Ce qui suggère une réorientation de leurs stratégies d’investissements, qui devront dans cette optique, être davantage axées PME.

Il résulte de cette analyse, que beaucoup reste à faire en vue d’améliorer l’accès aux ressources capables de financer les investissements en termes de production, de développement à l’international, etc. nécessaires à la croissance des entreprises. L’innovation ayant été identifié comme étant la clef dans la bataille à la collecte de ressources longues, les intermédiaires financiers devront développer des stratégies allant dans ce sens, en vue d’apporter des solutions adéquates aux entreprises. D’autres moyens de financement tel que le Crowdfunding[3], déjà très développé en occident pourrait être une alternative. Par ailleurs les initiatives comme celle du Fonds africain de garantie de la BAD, qui permet aux PME de bénéficier de prêts auprès des établissements de crédits à des durées de remboursement longues sont à multiplier. En définitif, la question du financement à long terme des entreprises requiert l’implication de tous les acteurs économiques. Cependant avant toute action, la problématique de la refonte de la gouvernance devra être résolue, sans quoi, les efforts seront vains.

                                                                                                                                                      Larisse Adewui

[1] « Les financements institutionnels » du trimestriel A24 magazine N°14

[2] M. HERNANDEZ (1997). Le management des entreprises Africaines : essai de management du développement, Paris, L’Harmattan.

[3] Le Crowdfunding ou financement participatif est une expression décrivant tous les outils et méthodes de transactions financières, qui font appel à un grand nombre de personnes pour financer un projet. L'émergence des plates-formes de financement participatif a été permise grâce à internet et aux réseaux sociaux. Il est dit désintermédié, car se faisant sans l’aide des acteurs traditionnels du financement.

 
 

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