L’Egypte peut-elle sortir du gouffre ?

 

Dans un mugissement inouï depuis plus d’un demi-siècle, le peuple égyptien, mastodonte du Proche-Orient, sortait de sa léthargie pour renverser la figure catalytique de ses peines. A la faim, à l’humiliation, au désœuvrement, seul un sursaut d’audace, déraisonnée mais pacifique, put répondre. C’était il y a un an. Aujourd’hui, que reste-t-il de ce combat ? Les images ont leur force : avant, les photographies d’une foule en liesse, dont le triomphe pouvait faire renaître un espoir de changement ; dernièrement, l’insupportable spectacle d’une femme à terre, battue par la police de son pays. La régression est immense et replonge le pays dans le doute.

L’Egypte dans le rouge

Les affrontements entre l’armée et les manifestants, les dommages collatéraux engendrés par les combats sur les objets de culture,  le ciblage confessionnel de certaines violences dépeint par les médias, ont suffi à susciter la crainte des vacanciers, au grand dam d’un secteur touristique pourtant vital pour l’économie égyptienne. Les informations récentes témoignent par ailleurs d’une population prise en otage par les fluctuations des matières premières, qu’illustre la ruée sur l’essence des automobilistes par peur de pénurie et d’une hausse des prix.

Devant les symptômes d’une économie à l’agonie, le pouvoir en place a jugé bon de s’en remettre au grand médecin du monde, mobilisant un prêt de 3,2 milliards de dollars auprès du Fonds Monétaire International (FMI). Il est à regretter que le gouvernement transitoire de Kamal al-Ganzouri ait prioritairement recours à l’endettement extérieur : dans un pays longtemps lésé par l’écart de richesses, une politique d’effort national, réclamant une contribution substantielle des plus riches, eût été adéquate.

Permanence de l’ancien régime

La révolution a beaucoup coûté au peuple – « jamais trop » dira-t-on. Elle demeure néanmoins inachevée ou presque nulle dans les faits. Aussi douloureux soit le constat, les outils de répression hérités de l’ère Moubarak sont intacts :dans un rapport paru lundi, Human Rights Watch appelle le nouveau Parlement à amender au plus vite ces lois, qui « restreignent la liberté d’expression et de critique du gouvernement, limitent la liberté d’association et de réunion, détiennent des personnes indéfiniment sans inculpation, et permettent aux forces de l’ordre de commettre tous les abus ».

Ce cadre autoritaire inchangé suscite le découragement des démocrates du pays. L’annonce dimanche dernier par Mohamed Al Baradei de sa décision de ne pas se présenter à l’élection présidentielle prend la forme d’une dénonciation de l’impraticabilité du terrain politique, en l’absence de garde-fous démocratiques. Doit-on se réjouir de ce coup porté à la junte militaire ? Aucunement. La mouvance libérale et laïque incarnée par l’ancien directeur général de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), suite au fiasco électoral des législatives, se trouve pulvérisée entre le marteau militaire et l’enclume islamiste.

Un nouveau souffle

Le temps finit par user les volontés, aussi ancrées soient elles. Le peuple d’Egypte peut-il encore trouver la force de persévérer ? Pour François Pradal, la révolution se poursuit, et l’impulsion vient de Suez[1]. La ville semble abriter une profonde « culture de résistance », non seulement issue des combats anticoloniaux, mais renforcée par l’immense enjeu industriel et commercial que les habitants du détroit ont en main. Si les partisans de la lutte continue sont minoritaires, « leur optimisme et leur sens tactique paraissent redoutable », à travers le tissage d’un puissant réseau syndical et interurbain, de Sokhna à Alexandrie.

En faisant du peuple un ennemi, le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a paradoxalement aidé les égyptiens à se propulser dans l’après. La mémoire du 25 janvier et de ses martyrs n’est pas tant un soupir de nostalgie mais plutôt un message de rappel : la souveraineté populaire ne se contentera pas d’un changement factice. Aussi la manière de commémorer le 25 janvier diverge-t-elle entre le CFSA et les mouvements de jeunesse, le premier ouvrant une période de fête, les seconds un temps de deuil et de recueillement. L’évolution de la situation en Egypte, par son importance, dépasse de loin les rivages du Nil et pourra se révéler déterminante dans le prolongement du printemps arabe, ou bien son regel. C’est un peu l’exemple d’un père de famille, dont le moral et la santé se répercutent sur l’ensemble du foyer.

Punir le raïs

Nos télévisions et nos journaux se sont passionnés pour le naufrage du Costa Concordia dans la mer tyrrhénienne. Ce géant des mers, lourd et incoercible, est venu s’échouer sur un rocher banal : symboliquement, le récit fascine. Le commandant Moubarak se savait coupable d’avoir conduit son navire tout droit dans les écueils. Aujourd’hui l’embarcation s’enfonce et touche le fond, et le capitaine se défend de tout crime. Son châtiment fera justice aux victimes mais ne changera pas la réalité : le bateau continue de couler et l’Egypte reste prisonnière de sa carcasse.

Le procès de Moubarak n’est intéressant qu’à partir du moment où il constitue une étape vers le jugement de ceux qui sont toujours en place. Désormais, une lutte s’installe entre l’ancien Président, qui renvoie la responsabilité des violences aux forces armées, et le CSFA, qui peut voir dans ce procès l’occasion de blanchir le système sans perdre une once de pouvoir. En réalité, le destin de Moubarak importe peu aux égyptiens. Le peuple demande des garanties de dignité sociale, de liberté politique et de sécurité physique. Pour réaliser cela, il faudra obligatoirement changer la loi et la pratique, afin de dissocier la sphère civile et le règne militaire.

De nombreuses voix aux Etats-Unis, tel le Council on Foreign Relations se lèvent pour réclamer que le gouvernement américain cesse d’alimenter la junte en place. Si d’éventuelles sanctions sont envisageables, celles-ci ne doivent pas alourdir le fardeau qui pèse sur la population. La dimension nationale de ce bras-de-fer politique doit être préservée, dans l’attente de l’élection présidentielle. Les législatives ont permis de dessiner les grandes tendances du paysage électoral. L’émergence d’une figure charismatique chez les Frères Musulmans ne saurait tarder : l’annonce d’un candidat « d’entente nationale » est encourageante pour la suite. Encore faudra-t-il que ce scrutin ait lieu, afin de rendre aux civils leur pleine souveraineté.

Par Antoine ALHERITIERE, article initialement paru chez notre partenaire ArabsThink


[1] Lire Le Monde Diplomatique de janvier 2012, « Suez entre salafisme et révolution », p.20-21.

Histoire de l’Afrique ancienne (VIIIè s. – XVIè S.)

  Incroyable ! Mon Dieu, quelle nouvelle ! « L'Afrique a une histoire » ! Oui, vous avez bien lu : « l'Afrique a une histoire ». Ce sont les mots qui commencent ce dossier de la revue française La documentation photographique. On ne peut s'empêcher, en les lisant, de penser au fameux discours de Dakar.

Ainsi donc les pages de la vie de l'Afrique noire ne sont pas vides ou plutôt remplies du ron-ron de l'éternel recommencement qui a fait que, selon certains, l'homme noir n'est jamais entré dans l'histoire de l'humanité. Mais balayons notre colère, puisque tous les Africains sont convaincus en leur for intérieur que « moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête. » (André Gide, in Voyage au Congo).

C'est pourquoi, la première des choses que reconnaissent les auteurs de ce document, ce sont les préjugés fortement ancrés dans l'inconscient collectif européen et au premier desquels ils retiennent le déni d'une histoire africaine. A quoi tient ce préjugé ? Au seul fait que l'Europe a parlé de l'Africain sans jamais l'écouter, sans jamais prendre en compte sa parole. « Pourtant (…), les sources, tant orales qu'écrites ne manquent pas pour écrire une histoire longue de l'Afrique », assurent Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien. Aussi tentent-ils de nous faire découvrir cette Afrique ancienne qu'ils évitent d'appeler « le Moyen-âge africain » ; le terme renvoyant trop à une conception européenne de l'histoire d'une époque.

Reconnaissant que l'Afrique ne peut-être considérée comme « un vaste ensemble homogène » où les hommes ne connaissent qu'un destin commun, ils nous proposent de découvrir plutôt « des mondes africains » ou des histoires africaines. Pour ce faire, ils ont déterminé trois zones géographiques : une Afrique occidentale liée au nord de L'Afrique puis à l'Europe (Empire du Ghana, empire du Mali, Empire Songhaï), une Afrique Orientale ouverte sur l'océan Indien et le monde asiatique (outre les héritages antiques de Nubie et d'Ethiopie), et une Afrique centrale et méridionale de peuplement essentiellement bantou malgré sa diversité culturelle. Cependant, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture de cette Histoire de l'Afrique ancienne, on a le sentiment de plonger dans celle de l'humanité tout entière parce que les connexions avec les autres parties du monde se révèlent de manière tout à fait éclatante. Et on se dit que le goût des voyages ne date pas de notre époque !

On finit par se convaincre que cet excellent travail sur l'histoire de l'Afrique ancienne de notre ère – un travail de vrais historiens au service de l'humanité – s'adresse avant tout aux Européens qui enseignent dans leurs écoles et leurs universités une l'histoire de l'Afrique qui n'est rien d'autre qu'une « histoire de leur conquête et de leur oeuvre coloniale ». Chacun devra en effet retenir qu'ils n'enseignent « en réalité (que) l'histoire de l'Europe en Afrique et non l'histoire des Africains eux-mêmes ». La soixantaine de pages de ce dossier, illustré de magnifiques photos et cartes à caractère pédagogique, suffit pour abreuver l'esprit du lecteur d'une multitude de connaissances qui bouleversent des croyances communément admises. Ainsi les chapitres consacrés à l'image des Africains dans l'Europe médiévale, la renommée mondiale de l'Empereur du Mali, la relation diplomatique entre les rois du Kongo et du Portugal ne pourront que l'étonner.

Beaucoup de monde oublie ou ignore que les civilisations naissent et meurent, fleurissent puis s'étiolent, dominent puis sont soumises. L'Afrique noire a connu tout cela. Qui aurait cru que c'est en Afrique noire, dans l'actuel Mali (à Ounjougon) que les plus anciennes céramiques connues au monde (10 000 ans avt. J.C.) ont été retrouvées. Un détail matériel qui se révèle un grand pas dans l'histoire de l'humanité puisqu'il est une marque du génie humain. Mais l'Afrique, berceau de l'humanité n'a pas besoin de donner la preuve de son génie puisque c'est là qu'est né le génie humain. Ce qui fait dire à un historien anglais cette parole que chacun doit méditer pour éviter de dire des bêtises sur le génie africain : « Les Africains ont été, et sont toujours, ces pionniers qui ont colonisé une région particulièrement hostile du monde au nom de toute la race humaine. En cela réside leur principale contribution à l'histoire ». 

Raphaël ADJOBI, article initialement paru sur son blog

 

Titre : Histoire de l'Afrique ancienne (VIIIè – XVIè), 63 pages                                                                                  

Editeur : La documentation française ; mai – juin 2010 ; dossier n° 8075 

Interview avec la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France

Terangaweb : La FESSEF n’est pas qu’une simple association mais plutôt une fédération d’associations. Pouvez-vous nous présenter votre structure et le sens de votre démarche ?

B. DIALLO, A. TOURE: La FESSEF a été créée le 31 janvier 2009 à Lyon et constitue un regroupement d’associations d’étudiants et de stagiaires Sénégalais en France. La FESSEF s’appuie en effet sur un réseau d’une trentaine d’associations étudiantes sénégalaises sur l’étendue du territoire Français. Notre action est axée sur la promotion et la garantie de la défense des intérêts collectifs des étudiants auprès des organisations concernées.

Le sens de notre démarche se définit par la volonté de mettre en place une structure capable de prendre en charge l’ensemble des préoccupations et demandes des étudiants concernant leurs conditions de vie en France et leur insertion professionnelle. Cela se fait par la préparation de leur accueil, la mise en place d’un cadre favorable à une intégration rapide dans le tissu estudiantin et l’accompagnement pour un meilleur épanouissement académique. Notre approche est basée sur des analyses de situations, suivies de réflexions, avant propositions de solutions et voies d’améliorations. Nous essayons aussi de mutualiser de bonnes pratiques et des échanges d’idées sur des sujets et projets communs aux associations membres du réseau de la FESSEF.

Terangaweb : Quels sont vos principaux champs d’action ?

B. DIALLO, A. TOURE : Nos champs d’actions reposent sur les trois volets que reflètent les commissions suivantes :

La commission Vie Etudiante, chargée de recenser les besoins quotidiens des étudiants sénégalais à savoir le logement, l’intégration et l’insertion sociale. L’objectif est de mettre à la disposition des associations étudiantes locales les meilleurs outils d’informations et les solutions qui permettront de parer aux difficultés des étudiants.

La commission Insertion Professionnelle, qui met en place et développe des partenariats avec les structures publiques et privées qui s’occupent des questions de l’insertion professionnelle des étudiants. Cette commission travaille aussi sur un projet d’organisation de forum, de colloques et de conférences dont les thèmes sont axés sur l’insertion professionnelle.

La commission Partenariats, communication et relation avec les institutions, en charge des relations publiques de la FESSEF et de sa visibilité dans les réseaux d’étudiants. Elle travaille aussi à intéresser les différentes institutions (au niveau de la France et du Sénégal) aux activités de nos associations et à nos préoccupations.

Terangaweb : Beaucoup de jeunes lycéens font face à des difficultés d’accès à l’information en ce qui concerne les études supérieures en France. Quelles sont vos initiatives pour mieux les aider dans leurs démarches ?

B. DIALLO, A. TOURE : Notre principale réponse demeure la sensibilisation en amont. Campus France a créé une mission pour mettre l’accent sur l’importance des informations dont doivent disposer les lycéens qui voudront poursuivre leurs études en France. Mais cela devra être renforcé davantage, vu le manque considérable d’informations sur les orientations à prendre pour ces jeunes lycéens. 

A cet effet,  la FESSEF (associée à NJACCAAR Visionnaire et CRI) vient d’élaborer une plaquette comportant des informations concises sur les démarches à entreprendre auprès de Campus France et mettant aussi l’accent sur l’importance du choix de la filière. D’ailleurs, nous comptons faire une très large diffusion de cette plaquette auprès des lycéens sénégalais.

Nous sommes aussi en train de mener une campagne de sensibilisation sur les réalités de la vie étudiante en France. La situation des étudiants devient de plus en plus difficile avec certaines réglementations entrées en vigueur, notamment la circulaire du 31 mai 2011, « traitant des changements de statut-étudiant vers statutsalarié des diplômés de nationalité étrangère », et l’arrêté du 08 septembre 2011, « relatif à la hausse des ressources financières requises pour l’obtention d’un titre de séjour-étudiant ». 

Terangaweb : À ce propos, le cadre réglementaire concernant les étudiants étrangers en France s’est durci dernièrement avec les dispositions réglementaires que vous venez d’évoquer. Quelle est l’analyse que vous faites de cette situation ?

B. DIALLO, A. TOURE : La complication vient du fait que la France est en train de mener une politique pour faire face aux problèmes de l’emploi des jeunes. Cela se répercute par des mesures qui privilégient les jeunes diplômés « français » au détriment des étudiants étrangers.

Nous pensons qu’il est utile que les pays d’origine des étudiants étrangers mettent en place une politique incitative et davantage d’initiatives pour l’insertion professionnelle des jeunes diplômés à la sortie des écoles et universités françaises. Nous proposons concrètement à nos autorités de tutelle de créer une rencontre entre les diplômés, l’Etat, les partenaires privés et le Mouvement des entreprises du Sénégal (MDES), en collaboration avec la FESSEF en vue de l’organisation d’un forum. Cette rencontre permettra d’envisager des solutions aux difficultés de l’insertion en France. Nous allons essayer d’impliquer davantage l’Etat sur le défi de l’insertion et d’autres questions majeures  de cet ordre puisque la situation des étudiants étrangers en France devient de plus en plus compliquée. 

Par ailleurs, il revient encore à l’ordre du jour la question sur l’enjeu que comporte la cooptation de ses diplômés (pour le Sénégal), et par ricochet la limitation de la fuite des cerveaux. Des éléments qui méritent des pistes de réflexion dans la contribution au développement économique du pays. 

Terangaweb : En dépit des critiques qu’on peut avoir, cette circulaire met aussi les étudiants et jeunes professionnels africains de France en confrontation avec la  question du retour dans leur pays d’origine qui se caractérisent souvent par des difficultés d’insertion professionnelle et des situations politico-économiques instables. Quel est le regard que vous portez sur l’évolution politique et économique du Sénégal ? N’y a-t-il pas lieu d’encourager les étudiants à rentrer au Sénégal pour contribuer au développement de leur pays, et plus généralement à l’émergence de l’Afrique ?

B. DIALLO, A. TOURE : Le Sénégal est effectivement confronté à un phénomène de chômage massif des jeunes auquel l’Etat doit faire face et le fait d’envisager « ce retour au bercail » se heurte à une appréhension sur la réalité et la précarité de l’insertion professionnelle. A cela s’ajoute malheureusement un manque de visibilité sur une éventuelle politique d’incitation au retour mis en place par l’Etat pour les diplômés sénégalais expatriés. Notamment, Il faut plus de sensibilisation sur les créneaux en matière de création d’entreprise, d’offres d’emplois des entreprises multinationale ayant des filières au Sénégal et dans la sous-région, des possibilités que propose la fonction publique, le mouvement des entreprises du Sénégal, etc.…

Il ne faut pas non plus négliger l’existence, au Sénégal et dans la sous région, de très bonnes écoles qui proposent des formations de qualité en phase avec les réalités et besoins de l’Afrique en général, du Sénégal en particulier. La contribution à l’essor de notre pays ou de l’Afrique devrait donc tout aussi bien provenir de l’intérieur du continent.

Pour clore, nous dirons que : "Garder la conviction et l’esprit panafricaniste en tenant compte des réalités d’où l’on vient pourraient être la philosophie salvatrice de nos jeunes diplômés pour retourner s’investir au Sénégal et plus généralement en Afrique." 

Interview réalisée par Nicolas Simel

C’est l’histoire d’une chanson : MBUBE

C’est l’histoire d’une chanson. Une chanson qui fit le tour du monde, interprétée dans une multitude de langues. Du groupe The Weavers à Pow Wow, en passant par Henri Salvador et Miriam Makeba, ce sont plus de 150 versions interprétées, à travers le XXe siècle, toutes différentes. Toutes s’inspirant d’un chant : Mbube.

Johannesburg. Afrique du Sud. 1939. Pendant que le monde s’apprête à connaître la plus terrible guerre de son Histoire, six jeunes hommes, vont, en l’espace de 2 minutes et 45 secondes, improviser ce qui sera l’une des chansons les plus populaires du XXe siècle.

Six ans plus tôt, en 1933, Solomon Linda, modeste chanteur sud africain, venu de la région de Natal, décide de gagner la grande ville, Johannesburg, pour y connaître le succès. Il rencontrera The Evening Birds, un groupe folk, composé de 5 membres. Après avoir signé, conjointement, un contrat avec le producteur Eric Gallo, ils sont, tous les six, conviés, en 1939, aux studios Gallo Records pour enregistrer leurs morceaux. Entre deux chansons, Salomon improvise quelques notes avant que ses partenaires ne l’accompagnent au chant. Cette improvisation, de près de trois minutes, est enregistrée. Après trois autres prises, le groupe décide de la garder. Son titre : Mbube. « Lion » en Zoulou.

Très vite, la chanson est un succès en Afrique du Sud et se vend à plus de 100 000 exemplaires dans le pays, en 1940. Le succès mondial arrivera plus tard. Le groupe, lui, tombe dans l’oubli.

Il faut attendre 1952 pour qu’un groupe américain, The Weavers, ne reprenne cette chanson en en changeant le titre pour  « Wimoweh ». En 1959, un groupe jamaïcain, The Kingston Trio ira également de son interprétation. Mais c’est avec le groupe The Tokens, originaire de Brooklyn, que la chanson connaîtra ses lettres de noblesse en 1961. Le groupe changera quasi intégralement les paroles, et c’est sous le titre « The Lion Sleeps Tonight » que la chanson va faire le tour du monde.  

Dans les décennies qui suivirent, de nombreux chanteurs interpréteront « leurs » versions de Mbube. La mezzo-soprano Yma Sumac, Brian Eno, Jimmy Cliff, Miriam Makeba, R.E.M. Plus de 150 versions existent, aujourd’hui. En France, Henri Salvador (1962) et le quatuor Pow Wow(1992) l’interpréteront sous le titre « Le lion est mort ce soir ».

Salomon toucha l’équivalent de 2 dollars pour l’enregistrement de cette chanson. Il mourut dans la misère, en 1962.

Au début des années 2000, les enfants de Salomon, intentent un procès à Disney pour l’utilisation, sans droits, de la chanson dans le populaire Roi Lion (1994). Les filles du chanteur obtiendront gain de cause, en 2006.

Aujourd’hui, bien peu de personnes connaissent Salomon Linda & The Evening Birds. Pourtant leur célèbre chant a laissé son nom dans la culture musicale africaine. Le Mbube, est un style désignant l’interprétation, a capella, des chants zoulous et par extension, des chants africains.

Bonne écoute :

 http://www.youtube.com/watch?v=mrrQT4WkbNE

Sources : Wipo Magazine (Février 2006) Independant Lens : a lion’s trail (documentaire de François Verster)

Giovanni DJOSSOU

Ces fabricants de tabac qui enfument l’Afrique

« Tell me if it’s wise digging out myself, and smoking out my cash, for a tiny piece of trash.” Ainsi commence la campagne vidéo anti-tabac lancée par l’OMS en Afrique en novembre le 1er novembre dernier. Grâce à au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a ouvert à Kampala (Ouganda) son premier centre de lutte anti-tabac sur le continent africain.  Le centre vise à coordonner les actions de l’OMS dans ce domaine, et  cible dans un premier temps l’Ouganda, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Mauritanie et l’Angola. Les objectifs de la feuille de route sont clairs : favoriser la création d’espaces non-fumeurs, développer des campagnes choc anti-tabac, augmenter les taxes sur les cigarettes et interdire les campagnes de publicité menées par l’industrie du tabac.

Longtemps reléguée par l’OMS derrière la lutte contre le VIH et le paludisme, la lutte contre le tabagisme est de nouveau à l’ordre du jour. Les estimations ne sont pas rassurantes : en 2030, si aucune action de prévention n’est menée,  le nombre de fumeurs en Afrique aura plus que doublé, passant de 85 millions à 200 millions de fumeurs. Véritable frein au développement, le tabac diminue les capacités de production des pays africains en impactant le nombre de personnes en âge de travailler. L’achat de cigarettes a aussi un coût d’opportunité élevé, et se fait en effet au détriment du budget habituellement consacré à la nourriture et aux soins médicaux de la famille. Ainsi en Ouganda, près de 50% des hommes fument, tandis que 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Le tabac induit également des pertes de revenus et de productivité en cas de maladie ou de décès, sans compter les dépenses publiques liées au coût des soins de santé.

Alors que le tabagisme recule dans les pays développés, l’industrie du tabac cherche un relais de croissance dans les pays émergents. L’Afrique représente une cible idéale : avec un taux de tabagisme encore bas et une population jeune peu sensibilisée aux méfaits du tabac,  les perspectives de croissance pour les cigarettiers sont très favorables, et ont attiré bon nombre d’industriels ces derniers années. Une étude de l’OMS intitulée Tabac  et pauvreté, un cercle vicieux (2004) souligne ainsi le fait que la consommation de tabac est nettement plus élevés chez les personnes à faible revenu. Quant aux cultivateurs de tabac, ils ne bénéficient pas non plus de la profitabilité de l’industrie du tabac, les récoltes étant sous-rémunérées par les cigarettiers, et finissent bien souvent par s’endetter auprès de ces derniers.

 Les trois premiers entrants sur le marché africain ont été British-American Tobacco (Royaume-Uni), Philip Morris International (Etats-Unis) et Imperial Tobacco (Royaume-Uni). British-American Tobacco s’est progressivement imposé parmi les fabricants de tabac en Afrique et a même construit plusieurs usines de production au Nigéria. Les industriels ont su rapidement adapter leur business model aux spécificités du marché africain et développer des campagnes marketing redoutanblement efficaces. La vente de cigarettes se fait ainsi souvent à l’unité dans les pays les moins avancés, pour s’adapter au faible pouvoir d’achats des consommateurs, et pour permettre aux plus jeunes de fumer en toute discrétion. La vente à l’unité permet également de détourner le consommateur des messages de prévention souvent explicites collés sur les paquets de cigarettes. Les stratégies de vente s’accompagnent de campagnes marketing efficaces, avec la distribution de cigarettes gratuites aux jeunes et le sponsoring d’événements sportifs et culturel à fort retentissement.

Les industriels vont même plus loin pour soigner leur image de marque, en finançant des campagnes anti-paludisme ou en consacrant 1% de leurs bénéfices à l’amélioration de l’accès à l’eau et aux soins en milieu rural. Devant la forte progression du nombre de fumeurs en Afrique, estimée à 4% par an, les autorités publiques sont longtemps restées muettes, devant la manne financière représentée par les taxes sur les ventes de cigarettes. Ainsi en novembre dernier au Sénégal, la baisse unilatérale du prix des cigarettes vendues Philip Morris pour bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse et regagner des parts de marché n’a pas suscité de réaction du gouvernement.

Il est donc crucial que les pouvoirs publics ne cèdent pas face au lobbying continu de l’industrie du tabac, déterminée à s’implanter solidement sur un marché africain estimé à 700 millions de consommateurs. Malgré la ratification par certains Etats africains de la Convention –cadre de l’OMS  pour la lutte anti-tabac en 2004, les actions de prévention et les mesures législatives n’ont eu que peu d’effet sur le nombre de fumeurs en Afrique. Le tabac est désormais un véritable enjeu de santé publique en Afrique et risque à terme d’affecter la productivité du continent si l’attentisme des Etats persiste.

Leïla Morghad

 

Source photo : http://leboytownshow.com/wp-content/uploads/2011/09/Afrique-senfume1.png

Sénégal : une configuration politique inédite à 3 mois des élections présidentielles

Avec son objectif de rempiler un nouveau mandat présidentiel contre les dispositions de la Constitution, Abdoulaye Wade a paradoxalement trouvé deux alliés de taille : Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti Socialiste (PS) et Moustapha Niasse, secrétaire général de l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), les deux principaux partis de l’opposition.

L’inimitié que se vouent Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse obstrue tous les efforts de l’opposition et l’empêche sérieusement de faire front commun contre Abdoulaye Wade. Cette animosité mutuelle ne cède en effet à aucun intérêt supposé supérieur de la nation. L’incapacité de la coalition des partis d’opposition Benno Siggil Senegal de trouver un candidat unique – Niasse et Tanor ayant tous deux fini par se porter candidat – est la preuve que ces deux leaders ne sont capables d’aucun esprit de dépassement au moment où les populations souffrent plus que jamais du régime d’Abdoulaye Wade. Il y a trois  semaines, à la sortie du Conseil des ministres, le président Wade a même conseillé à Tanor et à Niasse de faire de lui le candidat de l’opposition pour les élections présidentielles du 26 février 2012! Sacré toupet ! Pourtant, à y regarder de plus près, les trois hommes ont plusieurs points communs.

Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse : le même échec

D’abord, Tanor et Niasse hier, tout comme Abdoulaye Wade aujourd’hui, ont pris part à l’exercice du pouvoir sans succès particulier, pour ne pas dire avec un échec retentissant. Ensuite, ils partagent une même logique de gestion de leur parti politique, conçu comme un appareil privé au service de son principal bailleur de fonds. Enfin, ils n’incarnent plus, si tant est qu’ils l’eussent fait par le passé, le désir d’avenir de la jeunesse sénégalaise. Il existe aujourd’hui, plus qu’un besoin d’alternance politique, un besoin d’alternance générationnelle qui ne saurait tolérer qu’un vieillard de 90 ans soit remplacé par un compère sexagénaire.

Sénégal : un besoin de projection vers l’avenir et de leadership

En effet, qu’attend le Sénégal de sa prochaine élection présidentielle si ce n’est que le vainqueur possède tout au moins deux dispositions fondamentales : la capacité à incarner le désir d’avenir de la jeunesse et le sens du leadership ?

S’il y a une chose qu’on retiendra de l’année 2011, c’est sans doute le refus des peuples de confier la marche de leurs nations à des élites complètement déconnectées de leurs réalités sociales et économiques. Les révolutions du Jasmin et du Nil, la chute du colonel Kadhafi, et même le mouvement des Indignés qui n’a pas fini de secouer l’Europe et les Etats-Unis, participent de cette tectonique ambiante qui fera de plus en plus trembler tous les pouvoirs. Le Sénégal n’y échappera pas tant que sa classe politique ne se sera pas renouvelée pour être davantage en phase avec les aspirations des populations. Dans cette perspective, l’âge sera un facteur discriminant qui devrait écarter Abdoulaye Wade (85 ans officiellement, mais en réalité plutôt 90 ans), Moustapha Niasse (72 ans) et Ousmane Tanor Dieng (64 ans) pour mettre en avant des candidats comme Idrissa Seck, Macky Sall ou encore Cheikh Bamba Dièye.

Etre apte à incarner les aspirations d’un peuple n’est cependant que d’un piètre intérêt si cela ne s’accompagne pas d’une disposition particulière à ouvrir des voies prometteuses et à amener le pays tout entier à les emprunter. On notera d’ailleurs que les solutions économiques pour placer le Sénégal sur la voie du développement sont largement connues. L’enjeu réside plutôt dans l’aptitude à les mettre en œuvre de façon efficace.  Pour cela, il faudra aussi que le prochain président sache rassembler bien au-delà de son camp politique et mobiliser différents talents, y compris ceux issus de la diaspora.

Sur ce point également, Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse ont jusque là fait preuve de sectarisme et d’absence de dépassement dans leur gestion du pouvoir au niveau étatique pour le premier et au sein de l’opposition pour les deux autres.

A contrario, Idrissa Seck et Macky Sall ont envoyé des signaux intéressants au cours des derniers mois. Par exemple, en sortant du cadre stricto sensu de son parti pour nommer Léna Sène directrice de sa campagne, Idrissa Seck envoie un double message qui rencontre un écho non négligeable chez bon nombre de Sénégalais. En confiant la coordination de sa campagne à cette diplômé d’Harvard, Idrissa Seck entend valoriser les qualités intellectuelles de l’une des Sénégalaises les plus brillantes de sa génération, là où au PDS on fait la promotion de bouffons comme Farba Senghor et on compte sur des lutteurs corrompus à coup de millions pour mobiliser l’électorat wadiste. En réussissant à convaincre Léna Sène de se plonger dans l’arène politique sénégalaise, Idrissa Seck envoie aussi un signal fort à la diaspora à laquelle il entend redonner le goût d’une implication plus forte dans le développement économique du Sénégal. En ces temps où la France renvoie les diplômés étrangers de ses meilleures écoles et universités, de plus en plus de jeunes Sénégalais de la diaspora devraient être sensibles à ce message.

Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Macky Sall dans le même panier : une vraie confusion

Hélas, Idrissa Seck et Macky Sall font encore auprès de beaucoup de sénégalais les frais de leur compagnonnage avec Abdoulaye Wade. C’est cependant une erreur majeure que de penser que le choix à l’élection présidentiel de février 2012 devra se faire entre le camp libéral au pouvoir depuis 2000 dans lequel on range Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Macky Sall d’une part et d’autre part le camp de l’opposition traditionnel avec notamment Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse. Idrissa Seck et Macky Sall, quand bien même ils sont issus des rangs du pouvoir libéral actuellement en place, incarnent une projection vers l’avenir et une aptitude à mener résolument le Sénégal sur le chemin du développement. Cette conclusion confirme par ailleurs l’échec sidérant des partis traditionnels, comme le Parti Socialiste (PS), le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), à faire émerger en leurs seins de futurs leaders pour le Sénégal.

L’élection présidentielle de février 2012, qui soulève aujourd’hui beaucoup de zones d’ombres, sera vraisemblablement inédite dans l’histoire politique du Sénégal. Elle devrait réunir un Président sortant de 90 ans candidat contre les dispositions de la Constitution, deux de ses anciens Premiers Ministres, une opposition traditionnelle sans leader et probablement le sénégalais en vie le plus connu dans le monde, l’artiste et homme d’affaires Youssou Ndour. Et cette compétition inédite risque de s’effectuer sous l’épée de Damoclès de Dame violence. Les prochains mois de la démocratie sénégalaise sont plus qu’incertains.

 Nicolas Simel

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Conference sur le FCFA et la souveraineté monétaire des Etats africains de la zone Franc

 Terangaweb – L'Afrique des Idées a organisé le 8 novembre 2011 sa première conférence. Cette table tonde qui a eu lieu à Sciences Po Paris a réuni quatre experts sur la question du franc CFA. Instauré en 1945, cette monnaie aujourd'hui commune à 15 pays d'Afrique est régie depuis par quatre grands principes : la libre convertibilité des francs CFA garantie par le Trésor Français, la fixité des parités entre franc CFA et franc français puis euro, la centralisation des réserves de change, la liberté des transferts de capitaux. Ces principes constituent-ils une entrave à la souveraineté monétaire des pays membres de la zone CFA ?

Au cours de cette conférence, nos intervenants ont été amenés à réinterroger les fondements constitutifs du franc CFA au regard des besoins économiques actuels et futurs des pays membres. Ils ont notamment répondu aux questions suivantes  : quel est l'intérêt aujourd'hui de la zone franc CFA ? En quoi les pays membres peuvent théoriquement en tirer bénéfice ? Le franc CFA est-il un levier ou un frein à la croissance et au développement des pays membres ? Quelles seraient les réformes prioritaires à mettre en œuvre ? Quel serait l'avenir souhaitable de cette zone ?

Pour cette première conférence, Terangaweb – L'Afrique des Idées a eu l'honneur de recevoir quatre éminents experts :

Lionel Zinsou
PDG du fonds d'investissement PAI Partners et conseiller au cabinet du Président de la République du Bénin.

Nicolas Agbohou
Economiste et Docteur en Sciences Politiques, professeur associé à l'Université du Gabon, il enseigne les sciences économiques en France.

Demba Moussa Dembélé
Economiste basé à Dakar, spécialiste du franc CFA, co-organisateur du Forum Social Mondial de Dakar en 2011, co-auteur de L’Afrique Répond à Sarkozy.

Jacques Nikonoff
Administrateur à la Caisse des Dépôts, Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l'Université Paris 8, ex-président de l'association ATTAC, porte-parole du M’PEP, dernier ouvrage publié : Sortons de l’euro !

Ces experts apportent un éclairage d'autant plus important aujourd'hui que les rumeurs sur une éventuelle dévaluation du FCFA se font de plus en plus insistantes.
 

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Cette conférence a été organisée en partenariat avec :

• l'Alliance pour le Développement et l’Education en Afrique (ADEA), association africaine de Sciences Po
• l'Association des Doctorants et Etudiants Panafricains (ADEP)
• l'Association Survie

 

Cliquez sur les liens suivants pour télécharger :

– le compte-rendu de la table ronde sur le franc CFA

http://terangaweb.com/2011/12/02/conference-sur-le-fcfa-et-la-souverainete-monetaire-des-etats-africains-de-la-zone-franc/compte-rendu-de-la-table-ronde-sur-le-franc-cfa/

– l'analyse de Demba Moussa Dembélé sur le franc CFA et la souveraineté des pays africains de la zone franc

http://terangaweb.com/2011/12/02/conference-sur-le-fcfa-et-la-souverainete-monetaire-des-etats-africains-de-la-zone-franc/analyse-de-demba-moussa-dembele-sur-le-franc-cfa/

Maman Maggy reçoit le Prix de la Fondation Chirac

 

Ce 24 novembre 2011, Kofi Annan, prix Nobel de la paix et ancien Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, a remis, pour sa troisième édition, le Prix de la fondation  Chirac, à la « Mère Teresa » burundaise. « Chère Maggy, vous êtes un exemple pour votre pays, pour l’Afrique et  pour le monde. Vous êtes une femme de foi, de courage et d’espérance au service de la jeunesse du Burundi », a déclaré le premier ministre François Fillon dans son discours. « Je suis contente et fière d’être une burundaise qui a remporté ce prix.  Je suis encouragée de voir toutes ses hautes personnalités et des burundais venant de différents coins du monde, s’être  déplacés pour me soutenir », a-t-elle confié.

Deux prix pour deux femmes exemplaires

La Fondation Chirac décerne chaque année deux distinctions : le Prix de la Fondation Chirac récompense une ou des personnes de la société civile et le Prix Spécial du Jury, une ou des personnalités publiques. Si semblables mais si différentes, les deux lauréates 2011, ont des parcours opposés.

L’une, Marguerite Barankitse, est enseignante de formation, et mène une vie de mère entièrement dévouée aux enfants victimes de la guerre. Ce Prix, doté de 100 000 euros va lui permettre de poursuivre son action en faveur de la réconciliation au Burundi.

Et l’autre, la Canadienne Louise Arbour est juriste et s’attaque avec détermination aux criminels de guerre. Elle a été le premier procureur du Tribunal Pénal international (TPI) pour l’Ex-Yougoslavie et du TPI pour le Rwanda. Le Prix Spécial du Jury  la récompense notamment pour ses innovations majeures qui ont permis à la justice internationale de s’affirmer contre l’esprit d’impunité. Ses nombreuses initiatives, notamment les « actes d’accusations scellés » (inculpations gardées secrètes contre des criminels de guerre, des auteurs d’actes de génocide, qu’ils soient hauts responsables politiques ou militaires), et la sensibilisation des médias au travail du TPI ont largement contribué à renforcer la justice internationale. Les inculpations prononcées aujourd’hui par la CPI témoignent de ce processus désormais inéluctable.

Une rescapée de guerre au service des enfants

L’action  de Maman Maggy a commencé en  1993, lorsque 72 personnes ont été massacrées devant ses yeux, elle-même y ayant échappé de justesse. Courageuse, elle est allée sur les champs de bataille recueillir les blessés. Elle a rassemblé  des orphelins sans distinction ethnique. Grâce à l’apport de certains bienfaiteurs, elle a pu construire la Maison Shalom de Ruyigi où vivent aujourd’hui 20 000 enfants. Un centre d’apprentissage des métiers de plomberie, menuiserie, agriculture, élevage, et couture est mis à disposition des orphelins. Marguerite Barankitse a aussi fait construire à Ruyigi l’hôpital Rema qui prend en charge la protection maternelle et infantile. Un centre de dépistage du VIH/SIDA  accueille aussi les séropositives ; les patientes y reçoivent des conseils, des antiviraux, de la nourriture.

Une ambassadrice de bonne volonté pour le Burundi

Dans certains médias internationaux, Maman Maggy  est comparée à Nelson Mandela, pour  sa lutte contre la discrimination ethnique. D’autres la comparent à Mère Teresa pour son engagement envers les enfants. Une semaine avant la  remise de son prix,  des grandes affiches ont été arborées sur les murs de différentes stations de métros  parisiens, des RER de l’île de France, et  sur le grand boulevard des champs Elysées. Grâce à l’action de Maman Maggy et à la récompense de la Fondation Chirac, de plus en plus de personnes découvrent le Burundi. Maman Maggy fait la fierté de ce pays  à l’étranger et offre un bel exemple d’engagement social.

Landry Rukingamubiri

 

Muriel Diallo : la femme du blanc

 

J’ai terminé ma lecture il y a quelques jours, et j’ai peur que les mots s’évaporent alors je tente de les cocher le plus rapidement malgré la multitude de préoccupations qui sont miennes actuellement. Je suis rentré dans ce livre avec une idée préconçue, à savoir un nouveau livre traitant du couple mixte. Ce n’est pas que je pense avoir fait le tour de la question sur le sujet, puis, très honnêtement, chaque auteur se penchant sur une question y apporte sa touche personnelle, son exploration profonde renvoyant à l’instar du sonar un écho audible ou non. Le hic ici, c’est que ce n’est pas le sujet du roman même si le titre et l’introduction le laissent fortement penser.

Fausse piste ? Intentionnelle ? Peut-être, peut-être pas. Beautiful est une femme médecine peule. Son père est commis de cuisine pour un colon qui se prend d’intérêt pour elle. Elle aménage dans sa demeure. Un couple mixte dans les années 30 en Afrique de l'ouest est perçu comme une parfaite anomalie. D'autant que Beautiful semble être une femme totalement libre, complètement atypique… Elle parle, mais sa voix se tait rapidement dans le texte pour laisser place à d'autres voix…

Sa petite-fille, plusieurs décennies après, part à la quête de Beautiful, recherche de traces, de témoignages pour cerner ce personnage emblèmatique de sa famille et sans l'aval de ses parents, plutôt sceptiques quant à l'utilité de ce voyage aux sources. Si cet itinéraire permet au personnage narrateur de pouvoir traverser mers et monts, pour revenir à cette Afrique à la rencontre de cette femme dont on ne saura que des bribes son histoire personnelle, il serait faux de penser que cette quête est centrale dans ce texte.


Plutôt que de se caresser le nombril, la narratrice conte des destins de femmes qu'elle a croisée dans la rue, dans le métro, dans des foyers pour femmes, dans sa famille… Et c'est ce regard très intime, très fort qui porte ce roman magnifique où au fil des rencontres sont brossées des portraits de femmes violentées par la société, un compagnon, un père, un corps, portraits de femmes en souffrance et marginalisées. Une violence contenue que la rencontre va révéler et permettre une nouvelle approche, ou, tout simplement un retour arrière après la vision d'une crane explosée de la femme plume, un regard triste sur ces batailles qu'elle n'avait plus la force de porter seule.

Parfois la tragédie de ces femmes se télescope soit avec la propre histoire de la narratrice celle de Beautiful, son aïeul. Beautiful. Belle mais aussi forte. Muriel Diallo nous parle de ces deuils auxquels son personnage cabossé par la vie ne sait jamais résignée.

Avec une boîte de carton comprenant des éléments intimes de Beautiful, la narratrice tente d'affronter sa réalité en se référant à cette figure qui semble si stable dans son esprit. J'ai beaucoup aimé le ton de ce roman. Je ne sais pas si l'on doit parler ici de femmes puissantes. Plutôt de femmes brisées qui luttent contre vents et marées. L'intelligence de ce texte est qu'il ne nous présente pas cette réalité en rose. La parole libérée, l'écoute attentive libère parfois, mais parfois il est trop tard. La fin du roman est de la même qualité, avec un resserrement du propos sur elle-même, la narratrice, qui a force d'avoir bourlingué, confronté à ces univers, finit par être insensible au don qui peut lui être fait. C'est un coup de coeur.

Extrait : Face à l'horreur, le rêve est une alternative. Parole de Tao
"Tu vas me dire que Icare l'a fait. Et que tout le monde sait comment son vol a fini! Mais moi, je n'ai plus rien à perdre. Pour un peu l'envol… J'ai laissé ma peur sur la terre des Hommes, et en ce moment, ma peur ronfle dans mon lit jusqu'à n'en plus pouvoir auprès de mon père.
Je tends les bras, je ferme les yeux et me jette du haut du pont. Je vais m'écraser, je m'écrase? Non. Je ne m'écrase pas, je vole, je vole comme un oiseau. Comme j'aime m'élever! Je me penche un peu, je tournoie dans les airs. Un aigle, je suis un aigle. Je ne veux plus me réveiller. J'admire là-bas d'étranges plantations. Rien de commun ni déjà vu."
Page 81, Editions Vents d'ailleurs

Bonne lecture.

Laréus Gangoueus, article initiallement paru Chez Gangoueus

Muriel Diallo, La femme du blanc
Editions Vents d'Ailleurs, 184 pages, 1ère parution en 2011
Voir également l'interview de l'auteure


Circulaire du 31 mai : Y a-t-il des gagnants ?

 

Le 31 mai dernier, les ministres de l’Intérieur et de l’Emploi Français ont pris une circulaire[1] qui restreint davantage les conditions de changement de statut d’étudiant à salarié pour les étrangers. Cette circulaire a suscité moult protestations et indignations aussi bien dans le milieu estudiantin qu’au sein du patronat français. De même, plusieurs articles ont été publiés dans les quotidiens d’information et sur des sites web comme Terrangaweb – l’Afrique des Idées. Si ces articles font une analyse fort intéressante de la circulaire, ils n’ont cependant pas clairement établi les gagnants et les perdants de cette décision. Des interrogations persistent toujours sur les pertes et les gains de chaque partie c'est-à-dire de la France et des pays d’origine.

En effet, la France accueille chaque année environ 200 000 immigrés, selon les chiffres fournis par le Haut Commissariat à l’Intégration et cités par le journal « Le Monde », dont 50 000 étudiants en moyenne[2]. Sachant que 32%[3] des étudiants suivent des études supérieures notamment dans les grandes écoles, on estime à 16 000 le nombre d’étudiants potentiellement concernés par cette circulaire. Toutefois, avec un taux de retour de 50%, il n’y a effectivement que 8 000 étudiants qui sont directement concernés par la mesure. De plus, avec un taux de chômage de 15%, selon les statistiques de l’Insee, on aboutit à 6 800 étudiants effectivement concernés par les nouvelles difficultés liées au changement de statut. Quelles sont donc les pertes et les gains liés à un refoulement de ces derniers vers leur pays d’origine ?

Du côté de la France, cette restriction va se traduire à court terme par une perte de capital à investir pour les entreprises et à long terme par une augmentation du chômage chez les autochtones. En effet, les 6 800 étudiants étrangers qui se sont vus opposer un refus de changement de leur statut ont trouvé leur emploi à l’issue d’une procédure d’embauche concurrentielle qui inclut également des étudiants autochtones. Dès lors, ils ont visiblement été embauchés par les entreprises à cause des avantages qu’ils présentent en termes de gain de productivité par rapport à leurs concurrents Français. Notons que ce gain résulte non pas de capacités professionnelles supérieures mais plutôt d’une assiduité plus importante du fait de leur statut d’étrangers et de l’espérance d’une promotion ultérieure contrairement à leurs concurrents qui ne sont pas soumis à ces contraintes.

Or, puisque ce gain de productivité ne se traduit pas par une augmentation du salaire, le surplus qu’il génère est retenu au profit de l’entreprise. Par conséquent, l’entreprise qui embauche un étudiant étranger qualifié se retrouve avec un profit supérieur à celui qu’elle aurait fait dans le cas contraire. Le surplus de profit sera donc investi pour créer de nouveaux emplois, pour embaucher d’autres travailleurs étrangers, et surtout pour embaucher davantage de travailleurs autochtones vu qu’ils ont trois fois plus de chance d’être embauchés que les étrangers[4]. C’est d’ailleurs ce gain qui suscite en partie le soutien du patronat à l’indignation des étudiants étrangers. Ainsi, avec cette circulaire, la France perd d’une part ce gain immédiat de capital supplémentaire dans le court-terme, et d’autre part tous les retours sur investissement et les emplois qu’il peut générer dans le long-terme.

De plus, il n’existe pas de gain en termes de réduction des dépenses sociales pour la France. Selon le Rapport intitulé «Immigration Sélective et Besoins de l’Economie Française», l’importance relative du poids des dépenses sociales dont bénéficient les immigrés provient surtout de la catégorie des immigrés non-qualifiés. Au contraire, les travailleurs immigrés qualifiés contribuent à un solde positif au niveau du budget de l’Etat en vertu des impôts prélevés sur leurs rémunérations élevées et du peu d’aides sociales qu’ils nécessitent.

Si l’on considère maintenant la situation des pays d’origine, on conclut qu’ils ne sont pas non plus gagnants; car la mise en œuvre de la circulaire va se traduire par plus de pauvreté. L’idée que l’arrivée de nouveaux diplômés compétents pourra mieux aider les pays d’origine à se développer ne tient pas face aux pertes énormes que cela engendre. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le travail d’un étudiant étranger qualifié comme un service d’exportation de qualité de son pays d’origine. En fait l’étudiant peut être vu comme un capital disposé à recevoir un certain niveau de travail (l’éducation de haut niveau dans notre cas) afin de produire de la valeur ajoutée. Cette éducation n’étant pas disponible dans le pays d’origine et par ailleurs, les retours de ce investissement étant plus élevés dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine, il est dans l’intérêt du pays d’origine que l’étudiant aille à l’étranger et qu’il y demeure pendant sa période d’activité. En réalité, ces étudiants ont très peu de débouchés pour valoriser leurs acquis à juste titre dans leur pays d’origine. Par exemple, on n’a pas nécessairement besoin d’un diplômé d’HEC pour gérer la comptabilité d’une entreprise ordinaire au Niger.

Selon la dernière enquête 2010 de la Conférence des Grandes Ecoles, le salaire annuel moyen d’un diplômé des grandes Ecoles est de 35 000 euros à la sortie. Dans l’hypothèse où les nouveaux salariés transféreraient 30% de leur revenu annuel vers leur pays d’origine, cela représente environ 10 000 euros par an, soit un total de 68 millions d’euros. Dans la situation actuelle où bon nombre rentreront dans leur pays d’origine, cela représente un manque à gagner équivalent au revenu annuel d’environ 10 000 ménages, soit 50 000 personnes sans ressources si nous supposons une moyenne 5 personnes par ménage. Par conséquent, dans le court terme, les pays d’origine vont faire face à un accroissement du nombre de pauvres notamment en Afrique sub-saharienne où le nombre de personnes dépendant des transferts des migrants est en constante augmentation.

Cependant, cette perte pour les pays d’origine ne se manifestera que dans le court terme, car les nouveaux diplômés pourront trouver de nouvelles destinations afin de mieux rentabiliser leurs compétences scolaires. De plus, les pertes enregistrées dans le court-terme n’ont pas un impact dans le long-terme car l’essentiel des transferts aurait été utilisé à des fins de consommation et non d’investissement.

L’impact de cette circulaire peut être évalué sous d’autres angles notamment social et culturel. Toutefois, il ressort de l’analyse sous l’angle économique que toutes les parties sont perdantes et plus particulièrement le pays d’accueil qu’est la France. Dès lors, il est probable que les motivations de cette circulaire soient loin d’être économiques mais plutôt politiques. Ainsi, il y a peu de chance qu'elle soit reconduite l’année prochaine.

Georges Vivien Houngbonon

Les pieds sales : recherche de la dignité et du sens de l’existence

 

Passionné par les romans traitant de l’exil, de l’immigration, de la quête de l’identité, l’occasion m’a été donnée de lire Les pieds sales, roman publié en 2009 par l’écrivain togolais, Edem Awumey. En juin 2010, Cinéafrique a publié un entretien réalisé avec l’auteur, en marge de la douzième édition du festival littéraire Metropolis Bleu, à Montréal. Aujourd’hui, je voudrais partager avec vous, l’essentiel despieds sales, un roman lu il y a un bon moment, mais qui continue à me parler, à me questionner, en raison de l’actualité des thèmes qu’il évoque : la figure du père absent, l’exil, l’immigration, la recherche d’identité, la quête d’un sens à la vie.

La figure du père constitue une des caractéristiques de la littérature francophone. Dans le roman Les pieds sales du Togolais Edem Awumey, un jeune homme prénommé Askia, quitte l’Afrique pour la France, à la recherche de son père. Devenu chauffeur de taxi à Paris, Askia fait la connaissance d’Olia, une photographe d’origine bulgare. Askia lui parle de son père, Sidi Ben Sylla, qui a quitté le continent africain des décennies auparavant, pour chercher une meilleure vie, à l’instar de tout immigré. La description qu’il en fait, exhume chez Olia des souvenirs de photographies qu’elle a prises d’un homme toujours enturbanné, qui serait probablement le père d’Askia. «Tu ressembles vraiment à l’homme au turban que j’ai pris en photo il y a quelques années», lui confie Olia, avec qui il développa peu après, une grande amitié. L’image du père enturbanné est tellement forte dans la tête de la mère d’Askia restée en Afrique, qu’elle voit son mari à travers son fils. « Tu lui ressembles, Askia. Si tu portais un turban toi aussi, ce serait parfait. J’aurais l’impression que c’est lui qui est revenu. Juste l’impression. Car il ne reviendra pas », dit la mère à son fils. La mère sait-elle vraiment ce qui est arrivé à son mari, ou elle s’exprime ainsi, pour faire le deuil de plusieurs années de vie commune, qu’elle est incapable de reconstituer? Difficile de répondre à cette question, mais ses propos montrent qu’elle veut oublier ce passé qui ne lui apporte que des tourments, au moment où Askia cherche à clarifier le mystère que constitue la disparition de son père. Dans cette quête de la vérité sur son père, Askia rencontre une femme, qui lui dit qu’il ressemble à un homme qu’elle a rencontré à Onitsha au Nigéria. Un homme dont la photo est affichée un peu partout au Nigéria, avec la légende suivante «Ne montez dans un taxi conduit par cet homme». Pourquoi une telle inscription en bas de la photo, peut-on légitimement se demander? A en croire la même femme, cet homme serait une ombre «qui vous embarquait pour vous tuer dans les quartiers mal famés de la périphérie d’Onitsha.»

 

Ces précisions apportées par la cliente, rappellent le passé d’Askia, quand il opérait en Afrique, comme membre d’une cellule, dont la mission principale était d’empêcher les populations de critiquer les actions des autorités en place. En tant que chauffeurs de taxi, la véritable tâche d’Askia et de ses collègues consistait à poser des questions aux clients, pour détecter les «âmes rebelles critiquant à outrance le gouvernement.»Une fois que les opposants sont repérés, l’autre étape de la mission était de «réduire au silence ces bouches puantes dont les paroles pourrissaient l’atmosphère…conduire ces rebelles très loin, à l’écart de la cité, là où on ne voyait plus les lumières du centre, là où on devait pas les voir, leur mettre la ceinture explosive et appuyer sur un bouton depuis son taxi.» Les pieds sales est un roman, qui place ses personnages dans une situation insoutenable. Poussés loin des siens et de leurs environnements immédiats, ils essaient de mener une nouvelle vie, mais leur passé finit par les rattraper, pour leur rappeler les moments sombres de leur vie. C’est particulièrement le cas d’Askia qui croyait avoir complètement fermé la page de son passé de milicien, prêt à tuer pour le compte du régime dictatorial, jusqu’au jour où il rencontra Zak, un ancien membre de la Cellule qui prenait plaisir à éliminer de pauvres citoyens. «Et je te retrouve ici, dans cette ville étrangère à ce que nous étions. Je me dis que t’es parti, t’as déserté parce que t’as cru que cette ville et sa nuit qui ne savent rien de ton passé, pouvaient te protéger. Mais, tu le sais bien, le passé, c’est comme une femme amoureuse qui ne vous lâche pas. Désolé, l’ami. Crois-moi, j’aurais voulu te retrouver dans d’autres circonstances, pour célébrer une messe autre que celle-ci», lance Zak à l’endroit d’Askia. La rencontre entre les deux ex-miliciens, est une occasion pour Zak d’expliquer à Askia, qu’après son départ, certains de leurs amis qui travaillaient avec eux, ont commencé à disparaître mystérieusement. Pour éviter d’être également éliminé physiquement, Zak raconte avoir traversé la frontière, déguisé en femme, avant de suivre plus tard le périple Bobo-Dioulasso, Bamako, Niamey, Tripoli, Tunis, Malte, Athènes, pour se retrouver finalement en France.

Les pieds sales, est l’histoire de toutes ces personnes qui ont quitté leurs pays, peu importe les continents dont elles sont originaires, pour fuir les régimes totalitaires et autres formes de dictatures. C’est aussi l’histoire de millions de personnes forcées par les situations économiques difficiles de leurs pays, à quitter pour parcourir le monde, à la recherche d’un certain bien-être. A force de parcourir les routes du monde, toutes ces personnes, sont appelées les pieds sales, parce qu’elles «…avaient les pieds crottés et blanchis par la boue et la poussière de toutes les routes qu’ils avaient courues depuis là-bas.» L’expression «pieds sales», est également utilisée par Edem Awumey, pour montrer que ces personnes endurent beaucoup de choses sur leur parcours vers le bonheur, ou la liberté. Ce sont des personnes qui emmagasinent en elles toutes les frustrations du monde. Elles acceptent malgré elles toutes les souffrances qu’elles refuseraient d’endosser dans leur pays natal. Les pieds sales, c’est le portrait de tous les immigrés qui se battent chaque jour, pour espérer mener une vie décente, qu’ils ne parviennent pas assez souvent à avoir. Ceux d’entre eux qui en ont marre de vivre cette vie, décident finalement de faire le voyage retour. Après dix ans d’exil en France, Olia décide de retourner en Bulgarie, pour revoir ses parents qui lui manquaient énormément, et prendre le plaisir de redécouvrir les lieux remplis de souvenirs. «Maintenant, elle avait juste envie de retrouver sa ville, les siens et les lieux de son enfance. Parcourir les allées du Borisova, s’asseoir, le temps d’une pause, sur les marches de Sainte-Petka-Samardshijska, l’église. Des lieux qu’elle portrait en elle mais dont elle craignait de perdre les contours avec le temps», écrit Edem Awumey, au sujet de la jeune bulgare qui a compris que le retour aux sources, participe à la santé mentale de l’immigré. A l’opposé d’Olia qui arrive à la fin de son exil occidental, son ami Askia, «lui n’avait aucune envie de revoir sa ville du Golfe avec le jardin Fréau où avaient brûlé les chiens et les hommes, le bord de mer et la tristesse des rameurs, la place de l’indépendance où la liberté avait fini de se consumer dans la flamme portée par la statue qui s’y trouvait, les trois lagunes aux eaux glauques qui puaient la mort, les lagunes dans lesquelles son père s’était peut-être noyé…» Deux destins se dressent ainsi devant nous, et nous interpellent. Le premier est celui de la personne qui décide de mettre fin à son errance, pour aller savourer la joie de vive de son pays natal, et renouer avec un pays, qu’elle n’avait en fait jamais abandonné. Le second destin est celui de la personne qui n’arrive plus à retourner sur ses pas, de peur d’y faire face, et de retrouver une situation peut-être difficile à supporter. Les pieds sales, est en définitive un roman à portée universelle, une œuvre qui parle de toutes les personnes qui sont à la quête d’un sens à leur vie, ou qui ont envie de se débarrasser de certains traumatismes qui les empêchent de s’épanouir. A la quatrième de couverture du deuxième roman d’Edem Awumey, l’écrivain marocain, Tahar Ben Jelloun, fait une analyse pertinente :«Edem a su recréer un univers où au-delà du fait lui-même, au-delà de l’histoire récente de son pays, le Togo, nous retrouvons des personnages appartenant à la douleur du monde. Que ce soit en Afrique ou en Europe, des damnés de la terre errent sous l’œil complice du romancier. Ce roman nous concerne tous parce qu’il a une portée universelle.»

Les pieds sales, paru tout d’abord aux éditions du Seuil en août 2009, et réédité la même année aux éditions du Boréal, reste d’actualité deux ans après sa publication, tout simplement parce que «les pieds sales» ne cesseront d’arpenter les routes du monde, à la recherche d’un mieux-être. Etant donné que le monde continue malheureusement à entretenir les inégalités, «les pieds sales» dont parle Awumey dans son roman, chercheront toujours à fuir leurs pays qui ne leur offrent pas le bien-être dont ils rêvent pour eux-mêmes, et leurs progénitures. Sur les routes du monde, on verra toujours défiler des personnes qui ne se sentent pas à l’aise là où elles sont. Les pieds sales, est une œuvre à lire, à relire, et à partager avec toutes les personnes qui sont taraudées par l’idée de l’exil, ou qui se posent en permanence des questions sur le sens réel de leur existence.

Anoumou Amekudji

Article initiallement paru dans CinéAfrique

Quelle identité nationale pour la Tunisie?

 

Il y a dans l’Histoire des dates que l’on ne saurait oublier. Le 20 Octobre en fait incontestablement partie : tandis que les tunisiens prennent massivement le chemin des urnes à l’occasion de l’Assemblée Constituante, le CNT libyen annonce la capture du colonel Kadhafi. Deux évènements concomitants qui rappellent– comme je l’écrivais au lendemain du 14 Janvier 2011– que le destin du peuple tunisien est sensiblement lié à celui de ses voisins, la chute de Moubarak puis de Kadhafi le prouvent.

Le 14 Janvier a ainsi ouvert la voie à ce que d’aucuns appellent « l’ivresse des possibles », à une nouvelle ère où, certes, tout reste à construire, mais où tout semble permis. Les tunisiens rêvent et se donnent les moyens de concrétiser leurs aspirations ambitieuses. Edouard Herriot n’affirmait-il pas que « L’utopie est une réalité en puissance » ?

Néanmoins, force est de constater que la configuration politique et sociétal a changé durant les dix derniers mois, la nation tunisienne cherchant de nouvelles bases, de nouveaux piliers sur lesquels s’appuyer. Dès lors, certaines questions n’ont guère tardé à  s’imposer d’elles–mêmes et se sont invitées à la table des débats. « Qui sommes-nous », « quelle société voulons-nous pour demain »? Si la Nation tunisienne s’était auparavant construite et incarnée sur et à travers des hommes forts et charismatiques à l’instar de Bourguiba, désormais il s’agit de se construire sur des idées, des concepts, qui permettront la mise en place d’une « communauté d’imaginaire »[1] solide. Le fameux kit do-it-yourself suppose qu’en plus des habituels signes distinctifs d’une Nation (drapeau, hymne), la Tunisie doive trouver et renforcer ses spécificités. Ce processus déjà amorcé change désormais de forme,  c’est une révolution de la nation en tant que telle qui est en marche.

Dès lors, la vaste question de l’identité nationale a ressurgi, question que l’on croyait pourtant réservée aux amateurs de discours populistes.

Retour sur une problématique qui divise.

Les enjeux et conséquences de l’article 1 de la Constitution de 1956

La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain: sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la république.

Force est de constater que les principaux débats ont tourné autour de cet article controversé pour les laïcs, indispensable pour les autres. En consacrant l’islam comme religion d’Etat, nous nous retrouvons dans une situation ambiguë. En effet, le Droit public tunisien ne s’inspire pas du Coran ni de la Chari’a. Nous citerons par exemple le Code du statut personnel qui a aboli la polygamie, la répudiation, ou encore la levée des réserves de la CEDAW par le gouvernement de transition, le 16 Août dernier.

Néanmoins, un problème se pose avec le maintien de cet article pour le moins discuté, problème que l’on saisit  mieux à la lumière de l’affirmation de Portalis qui affirmait qu’«  une foule de choses sont nécessairement abandonnées à l’empire de l’usage, à l’arbitrage des juges. »

En effet, tandis que les autres pays musulmans ne laissent guère la place à l’ambiguïté, la Tunisie la nourrit en restant silencieuse sur les enjeux du droit de la famille (à titre d’exemple le mariage d’un musulman et d’un non-musulman), laissant le juge tunisien trancher au cas par cas.

La position timorée de la Tunisie s’explique par la dialectique à laquelle est soumise sa population et son gouvernement- et par là même se pose la question de l’identité tunisienne. Entre aspiration à une société plus moderne, prônant et inscrivant au sommet de la hiérarchie des normes l’égalité parfaite entre les sexes, et une volonté de ne pas se couper de ses bases arabo-musulmanes, la Tunisie est aujourd’hui plus que jamais tiraillée entre ces deux perspectives.

Preuve en est, deux blocs antithétiques se sont renforcés au lendemain de la révolution : celui des laïcs d’un côté, celui des tunisiens plus favorables à la préservation des règles religieuses de l’autre.

Dans la course à la définition des piliers de la nouvelle Nation tunisienne, chacun présente sa propre vision de sa communauté d’imaginaire. Si les premiers arguent que l’exception tunisienne réside dans son avant-gardisme- en rompant notamment avec certaines pratiques jugées discriminatoires- les seconds revendiquent l’intégration de la Tunisie dans le courant suivi par ses voisins en se rattachant aux valeurs et principes prônés par l’Islam, source de Droit.

L’incident de la diffusion du film Persépolis– qui fait écho aux remous provoqués par le film de Nadia Al Fani, laïcité Inch’Allah- sur la chaine privée Nessma est une démonstration de cette dialectique et des paradoxes que vivent les tunisiens. L’islam interdisant la représentation de Dieu, une scène du film où ce dernier apparaît sous les traits d’un vieillard barbu a provoqué la colère d’une certaine partie de la population.

Bien qu’anecdotique, cet événement reflète particulièrement bien le fossé qui se creuse jour après jour entre les deux franges de la société. Si certains estiment que les règles et principes musulmans ont l’ascendant sur la notion de liberté (d’expression en l’occurrence), leurs adversaires rétorquent que rien ne saurait justifier la censure au nom d’obscures valeurs.

« Ils commencent par contrôler internet sous prétexte de nous protéger du X, s’indignent ces derniers, maintenant, ils attaquent Nessma sous prétexte que Persépolis ne respecte pas le sacré , et au lieu de condamner l’agressivité et la brutalité dirigées contre cette dernière , certains partis amplifient ce vent de haine et proposent une commission de censure religieuse !Et en suivant le même principe , ils censureront tous les films où les actrices ne sont pas voilées, la météo également puisque seul Dieu sait le divin, tout documentaire scientifique qui remet en cause la théorie de l’évolution » lit-on dans certains groupes crées dans les réseaux sociaux.

Face à ce conflit d’idées, la réaction des partis a été très attendue.

Parmi les principales forces politiques, Ettakatol propose dans le point 2 de son programme la formulation suivante : « L’identité du peuple tunisien est enracinée dans ses valeurs arabo-musulmanes, et enrichie par ses différentes civilisations ; elle est fondamentalement moderne et ouverte sur les cultures du monde ». Il propose également d’inscrire le principe de la « séparation des champs politique et religieux et l’ouverture sur les valeurs universelles ».

Le Pôle Démocratique et Moderniste– coalition du parti Ettajdid  et de listes indépendantes- dans son point 26, choisit la même voie en insistant sur le principe de la laïcité et de la surveillance des lieux de culte par l’Etat afin d’en garantir la neutralité, principe auquel adhère pleinement le Parti Démocrate Progressiste.

Seul Ennahdha fait cavalier seul en affirmant le maintien de l’article 1 et ajoute dans son programme la mention suivante : « L’islam constitue un référentiel fondamental et modéré qui est en interaction, par le biais de l’effort d’interprétation et d’application (ijtihâd), avec toute expérience humaine dont l’utilité est avérée. »

La nouvelle Nation tunisienne et le Monde

La Tunisie a été depuis le 19ème siècle un laboratoire à ciel ouvert dans le Monde arabe, et en donne une nouvelle fois la preuve. Certes, sa superficie et sa population ne sont pas de taille à rivaliser avec l’Egypte, néanmoins force est de constater que le monde a les yeux rivés sur elle, assistant à la naissance et aux balbutiements d’une démocratie naissante.

Comme l’a affirmé Benjamin Stora, d’aucuns estiment que cette révolution pour la dignité est en réalité un phénomène de rattrapage, d’  « entrée dans un monde déjà constitué ». Oui, mais seulement en regardant vers l’avenir, il est nécessaire d’être réconcilié avec son passé, en paix avec ses origines.

La Tunisie doit écrire seule son Histoire, néanmoins on ne peut que constater l’importance de l’influence de facteurs exogènes qui dictent implicitement le chemin à emprunter. En tête : Al Jazeera et les chaines satellitaires moyen-orientales à l’instar d’Iqra’ et Al Ressala. L’impact des médias sur l’imaginaire collectif n’est plus à démontrer et ces derniers œuvrent à façonner une image de soi, par looking-glass-self. Ainsi, la question « Qui suis-je ? » trouve écho dans la réponse à l’interrogation « Qui pensez-vous que nous sommes ? ».

Ces chaînes ont vocation à informer, mais elles apportent également leur propre contribution -de taille- à ce débat sensible qui taraude les esprits. Dans une optique panarabe ou panislamique et compte tenu d’un fort auditorat tunisien, le petit écran présent dans nos salons est un rappel incessant que la Tunisie se doit d’adopter des valeurs en adéquation avec celles de ses voisins. Or, ces valeurs sont le fruit de l’Histoire propre à chaque pays, et le tunisien semble nourrir une sorte de schizophrénie latente.

Lorsqu’Iqra’– et autres chaines religieuses- critiquait ouvertement le Code du Statut Personnel en fustigeant la Tunisie d’adopter sciemment des lois trop progressistes envers la femme, le reproche était davantage celui d’une chaine empreinte du wahhabisme déplorant la « perte » de valeurs musulmanes au profit de lois « occidentales », lois jugées « étrangères à notre culture » imposées par des « collaborationnistes des puissances coloniales occidentales. »

Des femmes libres de travailler, de sortir sans tuteur -indépendantes en somme- voilà de quoi susciter l’ire des e-prédicateurs religieux. Depuis, le discours a changé, les angles ont été arrondis, les chouyouks, pour certains, se sont repentis quant aux droits et au rôle de la femme musulmane.

A l’instar du slogan porté par les manifestants aux lendemains du 14 janvier 2011, « Obama : Yes we can, Tunisian : Yes we do !), à l’heure où la Tunisie est l’objet d’un véritable processus de démocratisation, les résultats du mardi 24 Octobre et l’avenir devraient nous dire si l’alliance du « Peuple et du goupillon » est viable dans ce petit pays qui n’en a pas fini de donner de grandes leçons au Monde entier.

Aïcha GAAYA

Article initiallement paru chez notre partenaire ArabsThink


[1] Traduction du concept théorisé par Benedict Anderson, « imagined communities » dans son ouvrage Imagined communities : reflections on the origin and spread of nationalism

Cinéastes africains : l’heure de la collaboration a sonné!

Le 9 septembre dernier, dans une de ses dépêches, l’Agence de presse sénégalaise (APS) nous informait de la tenue mi septembre à La Havane, d’une rencontre des cinéastes d’Afrique, de la Caraïbe, et de leurs diasporas. L’article de l’APS précise que l’objectif de la rencontre est de “matérialiser des mécanismes fonctionnels de coopération qui enrichissent les cinématographies des deux régions.” De cette rencontre, est attendue la naissance de réseaux qui pourront contribuer à “développer des plateformes subrégionales dans la même ligne et en coordination avec les réseaux se trouvant en Amérique latine et aux Caraïbes.”

C’est effectivement l’heure des réseaux, et de la mise en commun des potentialités de chaque région du monde. La Caraïbe et l’Afrique ont une histoire commune qu’on n’a pas encore totalement déchiffrée. Elle mérite d’être enseignée aux jeunes générations qui prendront la relève pour la gestion de nos pays, dans les dix ou vingt ans à venir. Se rencontrer à La Havane à Cuba, est certainement le début d’une série de productions cinématographiques qui éclaireront davantage les Africains et les Caribéens sur leur passé, mais également leur présent, et leur avenir commun. Les cinéastes devraient saisir cette occasion pour montrer au monde la richesse de nos cultures, de notre histoire, et les avancées quotidiennes dans nos pays. Point besoin d’attendre que ce soient les cinéastes d’autres continents qui le fassent à notre place.

En dehors de cette synergie qui commence à naître entre les cinéastes africains, et ceux des Caraïbes, les cinéastes africains devraient démarrer aussi la réflexion à l’interne, pour aboutir à la longue à des coproductions. Par exemple, des réalisateurs Burkinabé peuvent se mettre ensemble avec leurs collègues du Bénin, du Mali, du Gabon, du Togo, ou du Sénégal, pour faire des films sur des thèmes pouvant intéresser leurs différents publics. De telles initiatives réduiraient non seulement les coûts de production, mais donneraient également plus de visibilité à nos différentes cinématographies, et augmenteraient la qualité des films.

Cela leur permettrait aussi une circulation plus facile à travers le monde, et certainement une meilleure réception par le public. A défaut de faire des films ensemble, la coproduction peut prendre d’autres formes. Comme l’a fait Sembène Ousmane avec son dernier film Moolaadé, la post-production peut se faire dans des pays disposant d’une technologie de pointe, comme le Maroc ou l’Afrique du Sud. Des acteurs venant de plusieurs pays d’Afrique, peuvent jouer dans un même film. Des exemples de ce genre existent, mais l’heure est venue de renforcer cette vision des choses.

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a annoncé lors de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres (Fesman), en décembre dernier, qu’il allait créer à Dakar, un grand centre de production et de postproduction des films. La mise en place d’une telle structure, ne pourrait que faciliter la collaboration tant souhaitée entre les cinéastes africains. Il revient à ces derniers de se rencontrer le plus souvent pour asseoir les bases de cette collaboration nécessaire à la bonne marche et à la viabilité du cinéma africain, mais la responsabilité des autorités est également importante. Il faudra qu’elles interviennent en aval, pour accompagner cet élan de solidarité. Accompagner cela, voudrait dire accorder les moyens nécessaires à la production cinématographique dans nos pays respectifs.

Cela voudrait également dire que les autorités doivent veiller à ce qu’il y ait des infrastructures nécessaires, les textes juridiques adéquats, pour que la collaboration naissante entre les cinéastes africains, soit pérenne. Le cinéma est capable de renforcer les liens entre les citoyens, il est à même de changer positivement l’image d’un pays, il est également source d’emplois pour les jeunes qui s’intéressent de plus en plus aux métiers de l’audiovisuel. Le cinéma aux Etats-Unis et en France, pour ne citer que ces deux exemples, a montré qu’il peut contribuer au développement d’un pays.

La rencontre des cinéastes africains et caribéens à La Havane, est le signe annonciateur d’une prise de conscience, dont le résultat sera à n’en pas douter utile au continent africain. Les cinéastes africains veulent faire de bons films, individuellement ou avec la collaboration de leurs collègues. Malheureusement, les moyens manquent le plus souvent, alors que nos pays ont beaucoup d’argent. Les dirigeants africains doivent savoir qu’en soutenant la production et la coproduction en Afrique, ils résolvent une partie du chômage, et participent à la valorisation de nos cultures, à un moment où la diversité est célébrée à travers le monde.

Anoumou Amekudji

Article initiallement paru dans Cinéafrique

Novembre à Bamako

On connait la chanson, les dimanches à Bamako sont des jours de mariage. Ok, pour celles et ceux qui aiment Amadou et Mariam. Mais saviez-vous que Novembre à Bamako, c’est le mois de la culture ?

Personnellement, je savais que le Festival Etonnants Voyageurs s’y déroulait à cette période depuis quelques années. J’avais également eu vent de la Biennale africaine de la photographie, sans mesurer la portée de cet événement. Mais que dire du festival Danse Afrique danse?

Non, je ne savais rien de la densité de l'activité culturelle à Bamako à cette période de l'année. C'est donc par le biais de ce très bel ouvrage publié aux éditions Cauris (éditeur malien) et Bec en L'air que j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt les actrices et acteurs d'une certaine forme de la culture à Bamako. Valérie Marin Le Meslée, journaliste littéraire, nous introduit par sa plume dans cet univers qu'elle connait bien puisqu'elle se rend régulièrement au festival Etonnants Voyageurs de Bamako depuis plusieurs années. Elle est accompagnée dans sa démarche par la photographe Christine Fleurent.

Avant d'aborder le reportage de Valérie Marin La Meslée, je souhaite souligner la qualité et la complémentarité du travail de ces deux artistes, à savoir l'écrivaine et la photographe. Les plans, les angles d'attaque de la photographe sont fonction de l'interlocuteur ou de l'interlocutrice, de la situation à mettre en scène. Elles ont très bien su se placer en retrait pour mettre en avant le sujet de leur investigation, laissant souvent leurs propres regards aux oubliettes.

Je pense d'ailleurs que c'est tout l'intérêt du travail de fourmi réalisé par ces deux femmes. Le terme est assez faible pour décrire ce tour de Bamako de la culture de personnes souvent interviewées à domicile. A Magnambougou, à Djelibougou, à Ouolofobougou et bien d'autres quartiers de la capitale malienne. Je vous les ai cités de tête pour bien montrer qu'au fil de la lecture, on s'imprègne tant du discours, des espérances de ces hommes et ces femmes que de l'endroit où il est émis, les noms de ces quartiers étant souvent chargés de sens… Djelibougou, quartier des griots, par exemple.

Tous les champs de la culture sont passés au crible de Valérie Marin La Meslée. Les livres naturellement. Les acteurs du livres. Ceux qui écrivent comme Moussa Konaté, Ibrahima Aya, Ousmane Diarra. Ceux qui en font la promotion par l'édition, par la réalisation d'événements autour du livre comme le fameux festival déjà mentionné ou cette Rentrée Littéraire Malienne, manifestation qui entend faire la part belle aux productions locales. La démarche de la journaliste de l'Express s'exprime déjà. Par des interviews courtes, ces personnalités livrent leur impression sur leurs initiatives respectives et les moyens de toucher un public large, sur les enjeux de leur travail d'écrivains et le besoin de costumizer à la sauce local leurs actions… Un point a retenu mon attention, à savoir le contexte de travail de ces auteurs, et la difficulté de création dans un environnement laissant peu de temps au retrait, à la mise en aparté qu'exige la constitution d'une oeuvre littéraire…

Quand elle s'attaque aux musiciens, l'affaire se corse. Mettre la main sur les stars internationales que sont Salif Keita ou Rokia Traoré n'est pas une partie de plaisir, mais l'échange qui en résulte annihile toute amertume. Le discours est intéressant et un premier constat que l'on peut faire est ce contact de ces musiciens avec la terre originelle. Cheick Tidiane Seck, Habib Koité, Rokia Traoré, Amadou et Mariam ou Salif Keita, tous ont une attache forte avec leur pays et la volonté d'y développer des projets permettant le passage de témoin à d'autres… En même temps, ils parlent de leur art avec passion, avec lucidité. Sur les difficultés à être artiste dans un pays où la notion de castes est tres prenante et où par conséquent on ne s'improvise pas à certaines activités sans jeter l'opprobe sur toute une famille, fasiya quand tu nous tiens…

De la musique à la danse, il n'y a qu'un pas qui me fait découvrir Kettly Noël, chorégraphe haïtienne qui s'est installée dans la ville depuis des années et y a initié de nombreux danseurs avec la poigne du Roi Christophe, on pourrait penser. Une exigence salutaire, sûrement sélective dans un créneau où la vocation est nécessaire.

Les acteurs de la culture ne sont pas seulement maliens. Haïtien comme James Germain, camerounaise comme Marthe Bolda.

De la danse au cinéma, du cinéma à la mode, de la mode au théâtre, du théâtre aux arts plastiques, des arts plastiques au Hip Hop, du Hip Hop à la photographie…

Si les mentalités doivent continuer à être travaillées pour qu'elles éveillent à ces codes occidentaux, désormais universels de la culture, il est intéressant de constater que c'est dans la culture traditionnelle que tous ses artistes puisent pour faire entendre leurs voix, la voix de leur pays. C'est à cela qu'on entendra surement les histoires de lions qui donneront leurs versions des faits…

J'ai aimé l'ambition, l'enthousiasme de tous ses acteurs de la place culturelle bamakoise, comme Kettly Noël à propos de la danse:       

J'aimerais que cette danse soit porteuse d'espoirs pour la créativité contemporaine. Qu'un milieu en danse existe vraiment. Il faudrait qu'on parle des danseurs de Bamako et même de l'école de Bamako. Déjà on dit partout que Bamako a le truc culturel. la ville bouge. Reviens dans dix ans, tu verras.
Novembre à Bamako, page 72

La pertinence de certaines analyses, loin d'être du réchauffé servi aux journalistes occidentaux. Ecoutons par exemple Samuel Sidibé, directeur du Musée National :

Imaginer d'autres perspectives…

Lorsqu'on parle de Bamako, ce sont les Rencontres photo, Culturesfrances, Etonnants voyageurs.. Même si Moussa Konaté est malien, qui dirige ce dernier festival, ce sont toujours des pôles d'activités culturelles tenus à bout de bras par l'étranger qui servent de vecteurs à la circulation de l'image de l'Afrique. Pourquoi ne pas imaginer d'autres perspectives? (…)

Notre manque de vision

           C'est notre manque de vision… L'Afrique n'a pas été à la hauteur de proposer au monde sa propre lecture, sa propre façon de voir, c'est un véritable déficit. Il faut aujourd'hui rendre visible notre force. Et nous en avons. Ce ne sont pas les moyens techniques qui manquent. Nous avons vécu pendant quarante ans de l'aide au développement, qui nous a éliminés de notre propre champ. C'est dramatique.

              Page 154, Editions Cauris

Lareus Gangoueus

Article initiallement paru Chez Gangoueus

Valérie Marin La Meslée, Christine Fleurent : Novembre à Bamako
Cauris Editions et Le bec en air Editions
1ère parution en 2010, 221 pages, préface d'Oxmo Puccino

Crise casamançaise au Sénégal: comment gagner définitivement la paix

Le 26 décembre 1982 l’Etat sénégalais commettait l’irréparable en réprimant sévèrement la première manifestation indépendantiste à l’appel du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance). Depuis, une partie de la population issue de la Casamance est entrée en rébellion, faisant ainsi du conflit casamançais un des plus longs d’Afrique contemporaine. Dans la mesure où toute autorité est contestable, il va sans dire que l’idée d’une rébellion casamançaise reste à priori envisageable puisqu’un rebelle n’est en rien un scélérat mais celui qui s’oppose et qui remet en cause une autorité. Dès lors, il convient de s’intéresser aux causes du conflit avant de dresser le bilan des 28 années de cette drôle de guerre pour enfin esquisser les solutions susceptibles d’aboutir à une paix des braves.

Le conflit casamançais, à l’image de tous les irrédentismes africains, n’échappe pas à l’approche déterministe qui fait la part belle à l’économie et à l’ethnicité. En effet, les grilles de lecture dominantes privilégient trois hypothèses. La première est celle ethnico-religieuse qui tente d’opposer des musulmans du nord à des chrétiens Joola du sud. Cette hypothèse semble de plus en plus invalidée puisque 86% des casamançais sont musulmans et que la principale zone pourvoyeuse de rebelles (le Blouf) est musulmane. Par ailleurs, bien que le noyau dur de la rébellion soit joola la rébellion a aussi ses Peulhs, ses Malinkés, ses Manding, ses Manjak…La seconde hypothèse socio-économique souligne l’inégal développement de la Casamance par rapport aux régions du nord du pays. Cette théorie de l’inégal développement entre un centre et sa périphérie reflète une réalité indéniable : la concentration des investissements dans le secteur Dakar-Thiès. Cependant, cela n’explique pas pourquoi la rébellion a éclaté dans la partie la plus riche et la plus développée de la Casamance et non pas en Haute Casamance bien plus pauvre et bien plus déshéritée. La troisième hypothèse purement politique met en évidence des « entrepreneurs politiques » qui instrumentalisent un discours nationaliste et populiste.

Par ailleurs, beaucoup d’eau a coulé sous le pont Emile Badiane de Ziguinchor depuis la marche réprimée de 1982. Sol d’opposition du conflit, la Casamance paie au prix fort cette drôle de guerre avec environ 5000 morts, d’innombrables déplacés, le tout dans une région économiquement exsangue. De plus, la présence d’acteurs protéiformes – ONG, MFDC, Etats (Sénégal, Gambie, Guinée Bissau) et narcotrafiquants – confère à la crise casamançaise une dimension sous-régionale, voire internationale. Cette complexification croissante du conflit a manifestement abouti à son enlisement mais surtout à son singulier paradoxe. En effet, s’il est quasiment certain que le MFDC a perdu la guerre, l’Etat sénégalais n’a pas pour autant gagné la paix. Guérilla acéphale, matériellement affaiblie et populairement désavouée, le MFDC n’a atteint aucun de ses objectifs. Quant au blocage du processus de paix, il est imputable au seul Etat sénégalais qui fait preuve, par son refus d’entamer de véritables négociations avec le mouvement indépendantiste, d’un indéniable autisme politique. Il semble que les autorités compétentes en charge du dossier aient privilégié la « stratégie du pourrissement de l’intérieur ». Cependant, ce choix s’avère irresponsable en témoigne la reprise des combats en 2009 ; combats durant lesquelles quelques centaines de maquisards ont pu tenir tête aux forces gouvernementales.

Par conséquent, les acteurs directs ou indirects de la crise s’accordent sur quelques points afin de conclure une paix des braves :

1- Renforcer les moyens militaires de l’armée régulière

2- Permettre aux cadres casamançais de mettre sur pied les Assises du MFDC afin que ce dernier ne puisse parler que d’une seule et même voix

3- Associer les autochtones (jeunes surtout) et les pays limitrophes (Gambie et Guinée Bissau) au processus de paix

4- Combattre les « fossoyeurs de la paix » qui se nourrissent du sang des sénégalais

5- Investir massivement dans la région pour redynamiser son économie et pour combattre le chômage

Les armes ont parlé. Nous avons tous écouté et tous entendu ce qu’elles avaient à dire. Dorénavant, elles doivent se taire pour laisser place au dialogue car c’est faute d’un véritable espace de débat que le conflit n’a pu être résolu.

Ndiengoudy Sall

Article initiallement paru chez Le courrier du Visionnaire