Une voix africaine !

L’Afrique fait aujourd’hui l’objet de tous les fantasmes : soit une terre d’opportunités plaçant le continent au centre de toutes les convoitises, soit une terre qui continue de pâtir de son si mauvais départ comme l’indiquait Réné Dumont. Cet optimisme et ce pessimisme, trouvent leur raison d’être.  Opulence côtoie précarité. L’Afrique apparaît comme le nouveau relai de la croissance mondiale alors que le Pib par habitant dans la plupart des pays ne progresse que faiblement, voir stagne dans certaines régions. Le numérique a permis l’éclosion d’une jeunesse entreprenante mais ne reste accessible qu’à une minorité. La population s’urbanise de plus en plus alors que les bidonvilles croissent, avec des accès de plus en plus limités aux services sociaux de base.

Ce grondement d’idées et de discours, parfois laudateurs ou alarmistes, portés par des entités exogènes au continent, a fait de l’Afrique une terre d’expérience en tout genre dans la quête du développement suivant le modèle occidental, comme le rappelle si bien Felwine Sarr dans son Afrotropia. Aussi ont-ils étouffé la voix intérieure du continent qui depuis les indépendances questionne et discute son modèle de développement en faisant appel à son histoire, ses croyances et ses différentes cultures.

Cette voix devient cependant de plus en plus audible à la ferveur des nombreux défis du continent, portée par une jeunesse qui peu a peu saisi les messages que lui ont laissé ses pères. Chinua Achebe interpellait déjà dans Man of the Nation et Anthills of the Savannah quant aux dérives de l’autocratie. Dans sa si longue lettre, Mariama Bâ décrivait les conditions sociales, celle de la femme en particulier, à l’aube des indépendances en Afrique ; et Ngugi wa Thiong’o dans A Grain of Wheat annonçait les écarts économiques qui émergeaient au début de la période post coloniale.

Cette nouvelle voix se matérialise sous plusieurs formes. Les réflexions d’Achille Mbembé dans Sortir de la Grande Nuit, la jeunesse africaine qui lutte pour un avenir meilleur que décrit Mbougar Sarr dans son Silence du Chœur et l’invitation à la chose politique d’Hamidou Anne et al. dans Politisez-vous ! en sont de véritables témoins. Les initiatives pour repenser l’Afrique, par les africains eux-mêmes, se multiplient. La société civile dans les pays s’organise et assure la veille citoyenne.

Toutefois, malgré ce regain de vitalité, cette voix est encore porteuse de bruits qui annihilent la clarté du message qu’elle porte et qui vise à définir une nouvelle pensée, un nouveau paradigme en ce qui concerne le développement de l’Afrique.

A ce titre, un filtre est plus que nécessaire afin d’extraire de ce signal riche en idées et réflexions nouvelles, celles qui permettront de construire l’Afrique que nous voulons. Comme le rappelle Georges Vivien Hougbonon, un tel filtre ne peut exister que dans « un cadre bien approprié » qui favorise la confrontation des idées, seule condition nécessaire et suffisante pour l’émergence de nouveaux courants politiques, économiques et sociales, pour envisager une transformation pérenne et endogène du continent.

L’Afrique des Idées ne manquera pas d’être présent à ce rendez-vous, et de participer activement à la construction par les idées d’une Afrique qui fait rêver ses enfants, car nous croyons fermement à la philosophie de Senghor que c’est « au carrefour du donner et du recevoir où chacun se sentira à l’aise parce que se sachant à la fois donneur et receveur » que l’Afrique pourra être repensée.

Le paradigme de l’éducation en Afrique

Fac des lettres DakarL’éducation en Afrique souffre d’une dépendance significative du fait d’un paradigme social qui n’est pas resté figé dans le temps mais qui s’est trouvé un nouveau visage que nous nommons, la mondialisation.

L’éducation est un droit fondamental de la personne humaine inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Elle est un moteur de croissance économique. Les études rétrospectives sur les différentes régions du monde en développement ont clairement établi que la croissance ne peut s’installer de façon durable sans une production préalable suffisante de capital humain. Elles ont également mis en évidence l’impact positif des dépenses d’éducation sur la réduction de la pauvreté et les inégalités ; l’éducation rend les populations moins vulnérables et favorise leur participation au développement, l’exercice de la citoyenneté et la bonne gouvernance. L’éducation a, enfin, des effets positifs incontestables sur l’environnement et la gestion des ressources naturelles, la démographie, l’hygiène et l’état sanitaire. Elle est une condition du développement durable. Nous sommes ici à la croisée des droits fondamentaux et des enjeux globaux.

En abordant ici les problèmes de l’éducation en Afrique, nous n’avons pas la prétention de définir ce que devrait être « la bonne » politique pour l’Afrique : elle est de la responsabilité de ses gouvernants. Nous essayons de faire ressortir son importance sur les grands enjeux mondiaux.

En Afrique, l’éducation est considérée comme la clé qui permet d’établir une bonne conduite au sein de la société et le respect de la hiérarchie. L’éducation avait un caractère collectif prononcé, une globalité au niveau des agents. Tout le tissu social sert de cadre d’action. L’éducation est globale et intégrée à la vie. L’éducation traditionnelle se fait partout et en toutes occasions, dans le contexte habituel du travail et des loisirs.

Depuis le triomphe du capitalisme et la faveur du développement prodigieux des moyens d’information et de communication, le monde vit une mondialisation néolibérale aux conséquences dramatiques pour l’Afrique. Le faible niveau de développement de l’Afrique d’une part, la dynamique et les règles de fonctionnement de la mondialisation d’autres part, condamnent 750 millions d’africaines et d’africains à l’arriération la plus abjecte avec la paupérisation massive et continue, avec l’analphabétisme, avec des endémies et épidémies de maladies ; avec l’explosion de diverses formes de violence dont des guerres civiles fratricides.

L’Afrique a été violée à partir du 17è siècle quand les Occidentaux ont commencé à visiter les côtes africaines. Sur le plan économique, il y a au sein des groupes sociaux, des échanges qui se limitent à la communication des biens et des marchandises. Une économie de subsistance qui se réalise sans problème au sein des groupes sociaux, se basant sur les échanges matrimoniaux et les obligations de parenté. Du politique, le chef, dans l’Afrique traditionnelle, a une autorité charismatique lui permettant d’imposer le respect et l’écoute dans la vie communautaire. L’éducation dans l’Afrique traditionnelle est assurée par la famille, le clan et le lignage ; une éducation qui n’est pas détachée de la société. Avec la colonisation, le continent se voit imposer la civilisation occidentale avec tous les problèmes au niveau de la société africaine. Et le constat fait par presque tous les historiens et sociologues qui étudient les sociétés africaines est amer : l’importation des modèles étrangers sur le continent depuis sa rencontre avec l’Europe, ont entraîné un grand séisme sur les plans politique, économique et social. Cette situation a fait que, les élites africaines soient accusées de l’opprobre et du déshonneur qui frappent l’identité africaine. Aussi, après les ravages du colonialisme, la mondialisation enfonce le clou car se charge de déconstruit et reconstruit les États africains selon des modalités qui favorisent la libre circulation des capitaux, des marchandises et de la technologie. Exemple de la domination culturelle des Français dans leurs ex-colonies par la dégénérescence des langues locales marquées par le français ; celles-ci ont perdu leur originalité avec déformation des patronymes africains et interférences linguistiques. Et dans le quotidien africain, se développent de nouvelles relations sociales. Par complexe devant la civilisation occidentale, les Africains perdent leur « authenticité » par mimétisme. Les adolescents découvrent une autre image de la sexualité à travers l’audiovisuel et la littérature pornographique. Avec le choc des cultures (occidentale et africaine), les jeunes paient un lourd tribut dans l’aliénation culturelle. Ils délaissent le vêtement traditionnel et s’habillent comme le Blanc. Complexé par l’image du Blanc, le Noir africain se blanchit la peau, ignorant les conséquences néfastes de cette pratique. À cela, il faut ajouter l’impact négatif de la musique moderne africaine dans la société. Considérée comme vecteur des valeurs morales pour conscientiser le peuple, elle est bradée par des musiciens qui valorisent le sexe et l’argent.

Il est vrai, que l’Afrique est inondée par l’écrit, l’image, et le son, de produits culturels en provenance de l’Occident qui dispose de puissants canaux de diffusion de ces produits pour atteindre les villages et hameaux les plus reculés dans la brousse africaine. Si l’on y ajoute les gammes du multimédia et de l’Internet, on mesure à sa juste valeur l’ampleur destructrice de l’invasion culturelle du continent qui semble démuni pour y faire face. On aurait eu peu à réduire si ces produits culturels avaient des contenus plus enrichissants et valorisants au lieu de toujours mettre en relief les bas instincts de l’homme. Or, force est de reconnaître que chaque production culturelle véhicule évidemment une vision du monde, des valeurs, des croyances et des comportements qui sont susceptibles de conditionner puissamment et de changer les attitudes « du consommateur ». Il est en effet, prouvé dans l’histoire que toutes les dominations politiques durables, tout comme les résistances conséquentes à la domination ont été d’abord bâties sur le socle culturel.

Dans sa dynamique actuelle, la mondialisation broie le corps et l’âme de l’Afrique. Cette situation n’est pas une fatalité. Elle résulte entre autres, du retard considérable que l’Afrique accuse en matière d’éducation. Dans un sursaut d’orgueil voire de survie, l’Afrique doit se forger une nouvelle mentalité : l’afro responsabilité, pour une Afrique plus forte par une attitude de valorisation

L’Afrique doit mobiliser davantage de financements pour développer de façon harmonieuse son système éducatif. Introduire davantage les langues nationales dans le système éducatif. Faire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche un levier d’émergence économique.

L’Afrique peut se ressaisir pour se repositionner favorablement dans la mondialisation. Des alternatives existent pour cela, il ne manque pour le moment que l’expression forte de la volonté politique des Etats et de la prise de conscience des peuples africains de leur responsabilité dans le combat pour une mondialisation de la justice, du progrès social dans le respect des identités de chaque société.

Wilfried Koikson

SOURCES :

  1. Essé Amouzou, L’impact de la culture occidentale sur les cultures africaines, L’Harmattan, Paris, 2009, 190p.
  2. Anthony Stephanie, Civilisation (niveau débutant), CLE International. Deslandres, Paris: (2003)
  3. Simeon Olayiwola, Initiation à la culture et civilisation Françaises et
    Francophones. Agoro publicity company. (2005) (2ème édition)
  4. Source photo Serigne Diagne 

Collecte-t-on trop ou pas assez d’impôts en Afrique ?

L’amélioration de la performance fiscale constitue l’un des défis de développement pour les pays africains.[1] Dans sa publication récente sur les recettes publiques en Afrique[2], l’OCDE indique que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1% du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3% en Amérique Latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique). Selon l’institution, cette performance est « due à deux facteurs. D’abord, la bonne performance des économies africaines, et notamment leur forte croissance, ensuite l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales»[3] mais elle craint que la fiscalité ne devienne régressive[4] sur le continent. Elle part du constat que les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57.2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivis des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32.4 %). Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ?

Afin de répondre à cette question ; des experts de L’Afrique des Idées ont élaboré une nouvelle approche pour estimer l’écart fiscal[5]. Cette estimation permettra de déterminer le compromis à trouver entre l’assiette et la pression fiscales pour maximiser les recettes fiscales en Afrique. Il faut préciser que la performance fiscale dépend, outre l’activité économique, d’autres facteurs difficilement quantifiables : exemptions fiscales, dépenses fiscales, évasion fiscale, gestion de l’administration fiscale, etc. Ces facteurs peuvent affecter la performance fiscale d’un pays en le révisant à la hausse ou à la baisse par rapport à son potentiel fiscal réel, déterminé par la structure de son économie et la législation en place. Dans l’un ou l’autre des cas, cet écart fiscal serait nuisible à l’économie. Une moindre performance constitue un manque à gagner et pourrait limiter les investissements publics alors qu’une surperformance pourrait ralentir l’investissement privé.

Une méthode d’estimation de l’écart fiscal

L’écart fiscal se mesure comme la différence entre les recettes fiscales collectées et les recettes fiscales potentielles. Ces dernières dépendent de la structure de l’économie, qui détermine l’assiette fiscale, et des politiques publiques qui établissent le taux moyen d’imposition. La structure de l’économie se mesure à partir de la valeur ajoutée des différents secteurs de l’activité économique et du niveau de développement humain. Quant aux politiques publiques, elles sont approximées par le taux d’inflation, le niveau des inégalités et l’existence d’une rente minière.

L’estimation consiste à comparer les recettes fiscales effectivement collectées par chaque pays africain entre 1996 et 2011 à celles qu’a pu collecter un autre pays, non africain, ayant la même structure économique et le même niveau de développement. Ainsi, une performance supérieure traduirait un « trop perçu fiscal » alors qu’une moindre performance correspondrait à un « manque à gagner fiscal ».

Un trop perçu fiscal en Afrique par rapport au reste du monde

Les résultats des analyses suggèrent que même si les pays africains affichent des performances fiscales plus faibles que les autres pays du monde, leurs administrations fiscales affichent globalement des performances supérieures au regard de la structure de leur économie. Sur les 49 pays analysés, près de la moitié affichent un trop perçu fiscal.  La performance fiscale des pays concernés serait de 1.3 (Tunisie) à 3.5 (Namibie) fois supérieure à son niveau potentiel. Seuls la Côte d’Ivoire, le Djibouti et le Nigéria ont un manque à gagner fiscal ; le reste étant à des niveaux comparables avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire, pour sa part, ne mobilise pour l’heure que 90% de son potentiel. A l’exception de la Côte d’Ivoire, cet écart fiscal ne tend pas à se réduire.

Ce trop perçu fiscal se manifeste notamment dans les taxes directes composées principalement des impôts sur les bénéfices et sur les revenus[6]. En ce qui concerne les taxes indirectes et douanières, il n’y a pas d’écart par rapport au potentiel fiscal ; la quasi-totalité des pays africains étant pratiquement au même niveau que les autres pays du monde.

Ce résultat se comprend assez bien dans la mesure où le faible nombre d’entreprises et de salariés dans le secteur formel africain permet à l’administration fiscale de recouvrer plus facilement les taxes directes. Il est aussi caractéristique d’une politique fiscale trop centrée sur les taxes prélevées sur les activités du secteur privé formel. Au Sénégal par exemple, le taux d’imposition moyen sur les entreprises s’établit à 48% alors que la pression fiscale au Sénégal se situe à environ 20%.[7] Ainsi la faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie s’explique essentiellement par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales. Par ailleurs, la pression fiscale exercée sur le secteur privé, principale source des recettes fiscales, est trop forte par rapport aux pratiques dans le reste du monde et pourrait contribuer à affaiblir la capacité des Etats à élargir l’assiette fiscale.

Quelle mesure pour améliorer la performance fiscale des pays africains ?

Au regard de ces résultats, l’amélioration de la performance fiscale dans les pays africains passera essentiellement par la mise en place d’un cadre favorable au développement du secteur privé. Pour ce faire, il faudrait surtout réduire la pression fiscale exercée sur le secteur privé afin de favoriser sa croissance et sa compétitivité. Cette forte fiscalité constitue, par ailleurs, l’une des contraintes majeures à la formalisation de certaines entreprises. L’assouplissement de la pression fiscale permettra donc de faciliter l’intégration de certaines « grosses » entités informelles dans l’assiette. Une telle stratégie renforcera aussi l’attractivité des économies pour les entrepreneurs, contribuant ainsi à élargir l’assiette fiscale. Certains pays comme le Lesotho ont entamé des réformes dans ce sens, ce qui leur a permis d’améliorer sensiblement leur performance fiscale sans constituer un obstacle pour le secteur privé. Selon l’étude « Paying Taxes 2016 » de Pricewaterhouse Coopers, le Lesotho est le pays africain avec le plus faible taux d’imposition des entreprises (13,6% en 2015) alors que son ratio de recettes fiscales sur PIB est le plus élevé du continent (40% contre 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE) ; ces revenus fiscaux s’appuyant sur toutes les catégories de taxes.

Foly Ananou et Georges Vivien Houngbonon

[1] Cette amélioration se mesure par l’évolution du ratio des recettes fiscales sur le PIB.

[2] Ce rapport couvre 16 pays : Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie

[3] Interview de Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE pour Jeune Afrique à l’occasion de la publication de l’édition 2017 des Statistiques des recettes publiques en Afrique.

[4] Soit que les Etats ne lèvent que peu d’impôts directs (impôts sur les revenus notamment) quand la base s’accroît.

[5] Se rapprocher des auteurs pour en savoir plus.

[6] Certains pays, comme l’Ethiopie, mobilise jusqu’à 25 fois plus que ce qu’ils devraient dans cette catégorie.

[7] Pricewaterhouse Coopers (PwC) et World Bank, Paying Taxes 2016 : Ten years of in-depth analysis

Comment améliorer la participation des acteurs africains à la révolution énergétique ?

S’il n’est plus à démontrer les enjeux de l’accès à l’électricité durable et compétitive pour tous en Afrique subsaharienne, il est indispensable de toujours souligner que l’électricité demeure avant tout un outil de réduction des inégalités de base, sociale et économique. Les nombreux enjeux autour de l’électrification du continent africain nous interpellent sur un certain nombre de points sur lesquels nous proposons à travers ce billet de murir la réflexion.

  • La question du capital africain

D’après le GOGLA[1], environ 4 millions de solutions solaires ont été distribuées dans le monde au premier semestre 2017, impactant plus de 120 millions de personnes dans le monde, et représentant un chiffre d’affaires d’environ 96 millions USD, soit plus de 50 milliards de FCFA. De façon spécifique, l’Afrique subsaharienne, où près de 600 millions sont concernées représente la moitié de ce portefeuille en termes de ventes et de revenues. Ces chiffres mettent en avant un fait : La révolution énergétique du continent est déjà en marche. Ces initiatives sont pour la plupart financées par des capitaux privés et non des programmes publics et institutionnels classiques.

Quel que soit le modèle d’affaires de ces compagnies (cash ou PAYG[2]), les revenues de ses activités émanent des bénéficiaires eux même, quand bien même il peut exister des subventions et appuis en tout genre[3]. En conséquence, dans un environnement où la Responsabilité Sociétale et Environnementale et le Local Content sont de plus en plus défendues, il revient donc de s’interroger sur la structure du financement. Le constat est que plus de 80% des compagnies les plus actives sur le continent n’ont pas un capital africain mais plutôt américain, européen et/ou asiatique. En somme, l’électrification du continent revêt plus un enjeu financier et économique mondial, dans le contexte actuel. Nous proposons dans ce billet quelques pistes de réflexion pour permettre au continent de relever les défis de son électrification.

  • L’accès à l’information et la promotion des initiatives des start-ups

Compte tenu des enjeux sociaux et climatiques, il existe de plus en plus de fonds d’impact et d’investissement destinés à la mitigation de ces défis. Ces opportunités financières sont nivelées en différentes catégories qui vont des donneurs à du financement de dette senior.

Les quelques chiffres disponiblesmontrent que très peu de compagnies africaines sont visibles dans ces canaux d’investissement ; non pas uniquement pour une question de bancabilité mais par asymétrie d’informations. En effet, il existe très peu de canaux officiels recensés pour disséminer les opportunités mondiales qui sont disponibles ; une situation exacerbée par le  les faibles taux de couverture d’internet et d’électricité dans les pays africains. D’après GSMA, environ 35% de la population africaine a un accès imminent à la téléphonie mobile de type smartphone. Quand bien même les plus grandes plateformes de réseaux sociaux[5] développent des contenus allégés pour l’Afrique, il est capital de réduire les coûts d’accès des données et aux infrastructures.

Aussi, le succès des start-ups occidentales résident le plus souvent dans l’existence de « Call For Projects » ou de « Grants » disponibles qui sont des opportunités de financement accessibles en soutien des projets naissants. Elles ont un double intérêt dans la mesure où elles permettent de traquer les meilleurs projets sans dépenser des montants faramineux en R&D[6], ou pour promouvoir un savoir-faire local. A l’échelle de la Zone B de l’Afrique de l’Ouest[7], la balance est très déséquilibrée entre les dons locaux et internationaux[8]. En conséquence, il est indispensable pour nos instances sous régionales d’appuyer à travers des financements attractifs et accessibles pour la consolidation d’un réel cocon d’opportunités et d’acteurs innovant à l’image des Labs ouest africain de Dakar, Lomé et Cotonou, ainsi que des opporunités telles que le Energy Génération animées de jeunes togolais.

  • Des indicateurs afro-responsables

L’accompagnement des institutions et gouvernements est plus que nécessaire pour la viabilité et la pérennité des initiatives locales. . Pour ce faire, il est important pour ces derniers d’avoir une vision structurée sur les enjeux et les défis à relever. Au-delà du critère universel d’accès pour tous à l’électricité, il faut définir de nouveaux indicateurs de performance socio-économique aux échelles micro et macroéconomique. Au titre de ces exemples, nous pouvons citer le nombre de personnes impactées pour justifier l’atteinte des Objectifs du Développement Durable pour augmenter les chances d’accès à davantage de financement d’impacts, le nombre de sociétés crées dans les filières pour mettre en place les politiques fiscales et commerciales en faveur de l’employabilité, la part de projets sous régionaux cofinancés[9] pour parler en termes du commerce intra-région sous l’aval des institutions cadres (UEMOA, CEDAO, CEMAC, etc.…), etc. Ces nouveaux KPI que nous jugeons afro-responsables sont à la fois des critères de performance et de défis aux échelles nationale et sous régionale dans la mise en œuvre des multiples politiques publiques d’intégration et de développement.

  • Oui au protectionnisme panafricain !

Enfin, dans une Afrique où les taux de collecte fiscale sont relativement faibles, la crédibilité et la viabilité des Budgets des Etats hors IDE[10] dépend principalement de leur revenu disponible. Au regard de la part importante de l’économie dite informelle, l’amélioration des taux de collecte passe par des assiettes et des abattements de plus en plus larges. A contrario des grands projets miniers et d’infrastructures où les MoU[11] couvrent des facilitations et exonérations pendant les périodes d’exploitation, les enjeux microéconomiques des solutions développées pour le secteur de l’électricité imposent aux Etats d’avoir des structures de collecte adaptées à chaque niveau d’opérations. Exonérer le marché solaire revient de facto à intensifier l’extraction des ressources hors du continent car la majorité des sociétés n’ont pas du capital africain et plus de 99% des produits consommés n’y sont pas produits : Il s’agit avant tout d’un enjeu de stratégie et de développement.

Pour terminer, il n’est pas inutile de rappeler que dans les années 50, au nom du National & Patrioct Act, les USA ont labellisé et normés le marché fluvial pour favoriser les compagnies américaines les domaines de l’acier et du container. Dans les années 2000, l’Union Européenne a imposé des taxes pour décourager l’entrée sur le marché commun des modules fabriqués en Asie et en Chine particulièrement. Encore plus récemment aux USA, le leader européen de l’aéronautique Airbus a racheté la filiale CS de Bombardier, leader canadien du même domaine face aux mesures du Président Trump pour l’assemblage des appareils sur les chaines d’Airbus aux USA ; créant donc des emplois et de la croissance à l’économie américaine. Tout au même moment sur le marché africain, au Sénégal, la société Nadji –Bi développe et conçoit au niveau local des produits solaires certifiés Lighting Africa.   Au Bénin, des inventeurs, jumeaux ont conçu un foyer amélioré fiable et compétitif prêt à l’export qui promeut aussi bien des composants solaires importés et assemblés localement, ainsi que les résidus de palmier traditionnel. Enfin, au Togo, sous l’égide du Feu Président Tall, la SABER-ABREC, institution panafricaine conçoit finance, développe des projets d’impact avec l’appui de la CEDEAO et de l’UEMOA en faisant la promotion de groupements sous régionaux et internationaux.

Leomick SINSIN

[1] Global Off Grid Lighting Association

[2] Pay As You Go

[3] EnDeV de la GIZ, DFID, SNV est un programme de subvention des produits à des taux préférentiels

[4] https://www.usaid.gov/news-information/press-releases/oct-25-2017-usaid-announces-63-million-awards-bolster-sub-saharan-africas-grid

[5] Facebook, Whatsapp, Twitter, Google

[6] Recherche & Développer

[7] Côte Ivoire, Mali, Niger, Burkina, Togo, Benin, Ghana, Nigeria

[8] En Grant international, nous avons recensés ceux des organismes de développement (AFD, USAID), des Banques et Telco (Orange, SGB, etc.). S’agissant des sous régionaux et nationaux, nous avons rencensés particulièrement ceux du Nigéria (Dangote, TEFUN, et récemment de banques locales (Ecobank). Cette liste est loin d’être exhaustive.

[9] à l’instar du PRODERE de la Commission de l’UEMOA

[10] Investissement Direct de l’Etranger

[11] Memorandum Of Understanding

La pertinence de la coproduction dans l’intégration économique régionale africaine

SM le Roi Mohammed VI du Maroc et SEM. Daniel Kablan Duncan, alors Premier ministre de la Côte d’Ivoire, inaugurant des chantiers dans la commune de Yopougan le 26 février 2014

A l’aune de l’intégration du Maroc à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest[1], les opérateurs économiques marocains sont invités à renforcer leur présence en Afrique subsaharienne à travers l’installation d’unités de production délocalisées. L’industrie se révèle être le véritable véhicule d’une intégration économique régionale inclusive, créatrice de valeur et d’emploi.

Le continent Africain suscite un engouement mondial. La croissance du PIB africain est estimée à 3.2 % en 2017 et devrait passer à 3,8 % en 2018[2]. Toutefois, afin de mieux maitriser cette croissance, il convient pour les pays africains de changer de modèle de développement et d’adopter des stratégies plus innovantes couvrant des secteurs de croissance et créateurs de richesse. Avec une telle dynamique, les opérateurs marocains ont tout intérêt à considérer le sous-continent subsaharien comme un partenaire prometteur en mettant en avant des partenariats stratégiques de coproduction. L’impact sur le marché sous continental est considérable. La coproduction crée des emplois sur le territoire et professionnalise la main d’œuvre locale. Elle permet, en même temps, aux entreprises, par le biais des exportations, de renforcer leur compétitivité.

Par ailleurs, le secteur industriel contribue à rendre la croissance africaine plus inclusive. En effet, la part de l’Afrique dans l’activité manufacturière est faible. La contribution du secteur industriel africain à l’économie totale du continent a diminué, de 18% à 11% entre 1975 et 2014[3]. Et le commerce intra-africain ne représente 15% du commerce total de l’Afrique. Dès lors, comment l’industrialisation, peut-elle participer à une transformation structurelle du marché africain et à la mise en place d’un développement plus inclusif ?

Contribuer à l’industrialisation africaine à travers la co-production

La mobilisation des investissements privés étant primordiale pour la création d’emploi et de richesse, les opérateurs nationaux sont invités à partager leurs expériences et à transférer leurs connaissances avec les pays africains, tout en exploitant le potentiel de production local. Le concept de coproduction développé par l’IPEMED (Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen) constitue alors un modèle industriel pertinent pour favoriser l’intégration régionale et contribuer au développement d’une économie africaine plus équitable[4].

Le positionnement du Royaume dans l’environnement macro-économique subsaharien appelle à un recours à la coproduction, reposant sur le partage de la chaîne des valeurs et un partenariat plus équilibré. L’industrie agroalimentaire permet non seulement d’augmenter l’approvisionnement alimentaire, mais également une création de richesse à travers la valorisation des produits alimentaires transformées localement et l’exportation des denrées. Les exemples marocains ne manquent pas. Cosumar, leader marocain du sucre, a remporté en 2015 un appel d’offre – estimé à 91,5 millions d’euros – pour la construction d’un complexe sucrier (quelques 30 000 ha de plantations de canne à sucre et une raffinerie) entre Batouri et Bertoua, à l’est du Cameroun[5]. La Compagnie chérifienne de chocolaterie (CCC) a également misé sur l’Afrique en installant en 2012 une première usine de transformation de cacao au Cameroun d’une capacité de 40 000 tonnes par an. Les produits finis « made in Cameroun » sont destinés au marché local et à l’exportation, principalement vers l’Europe.

Toujours dans le secteur agroalimentaire, le groupe Holmarcom – à travers sa filiale Les Eaux minérales d’Oulmès – a acquis, en 2015, 55% du capital de la société béninoise Eau Technologie Environnement (ETE), spécialisée dans la production et la distribution d’eaux minérales en bouteilles. ETE pourrait reposer sur le savoir-faire reconnu de son nouvel actionnaire, que ce soit sur la partie industrielle ou sur la distribution et le marketing, pour renforcer sa présence dans les pays limitrophes (Burkina Faso, Niger, Nigéria et Togo). Toujours dans le cadre de ses activités agro-industrielles, Holmarcom a signé, en novembre 2016, un Mémorandum d’Entente avec la Commission Ethiopienne pour l’Investissement pour la création d’une unité industrielle pour la valorisation des fleurs locales, via la production d’huiles essentielles et d’eaux florales destinées à l’export. L’Ethiopie, 4e exportateur de roses dans le monde, écoule ses roses en l’état, principalement vers le marché européen.

Ces investissements « greenfield » sont mis en avant aussi bien par les pays investisseurs que les pays d’accueil, sous une approche gagnant-gagnant. La proximité géographique, voire culturelle permet la redynamisation du tissu industriel local en assurant la création d’emploi, et le transfert technologique et de savoir-faire industriel. Les investissements marocains dans le secteur pharmaceutique constituent un parfait exemple. En effet, lors des premières Assises sur les médicaments et les produits de santé, organisées par le Ministère marocain de la Santé en décembre 2015, le Gouvernement chérifien avait annoncé son ambition d’accéder au marché africain et sa disposition à partager son expérience en matière de l’industrie pharmaceutique avec les pays du continent[6]. Dès octobre 2016, le laboratoire marocain Cooper Pharma a signé un mémorandum d’entente avec le Rwanda Development Board en vue de la construction d’une première usine pharmaceutique spécialisée dans les antibiotiques bêta-lactamines. Opérationnelle en 2019, cette usine est le deuxième projet du genre pour le laboratoire marocain en Afrique subsaharienne. Ce dernier procède actuellement à la réalisation d’une unité industrielle de production de médicaments en Côte d’Ivoire, suite à un accord signé avec le gouvernement ivoirien en 2014. Idem, Pharma 5, pionnier dans la production de médicaments génériques, a annoncé en septembre 2016 son intention de construire une usine pharmaceutique dans la zone franche de Bassam, près d’Abidjan pour un investissement d’un peu plus de 9 millions d’euros, en partenariat avec la société Alliance Médicale de Côte d’Ivoire (AM-CI)[7].

Créer des zones industrielles dédiées aux activités exportatrices vers l’Afrique

Bénéficiant d’une situation stratégique entre les régions du Nord et l’Afrique Sub-saharienne, les régions de Sud[8] constituent un carrefour d’échanges et de commerce par excellence.

A ce titre, il devient pertinent de donner un nouveau souffle aux zones franches de Laâyoune et Dakhla et de stimuler l’investissement privé tout en accompagnant la dynamique de développement régional. Conçues en adéquation avec le contexte économique régional, ces deux plateformes devraient lancer une nouvelle offensive commerciale pour attirer les industriels nationaux et/ou étrangers désirant exporter une partie ou la totalité de leur production vers l’Afrique subsaharienne et les Etats insulaires avoisinants.

L’idée étant de faire de ces deux zones franches d’exportation de véritables plateformes de délocalisation. Pour ce faire, des mesures devront être mises en place pour inciter les entreprises à y opérer : une exonération d’impôt sur les sociétés durant les cinq premiers exercices et un taux avantageux pour les vingt exercices Le Gouvernement marocain doit également œuvrer à construire de nouvelles lignes de transports directes vers les pays du Sud et à réduire les coûts logistiques.

De tels projets donneraient un signal fort d’incitation à l’investissement, à condition que l’indice de complémentarité soit élevé et que les exportations marocaines correspondent aux importations des pays partenaires. Ainsi, l’accent sera mis sur les ressources halieutiques, la transformation des produits maritimes et la congélation, et toute autre activité industrielle en lien avec la structure économique des pays subsahariens. Unimer, groupe marocain spécialisé dans les conserves de poissons et de légumes, entend renforcer ses activités à Dakhla, à travers trois nouvelles unités : une unité de triage de poisson, une conserverie et une exploitation d’élevage aquacole de 180 hectares[9]. Ce nouveau projet de valorisation des petits pélagiques permettrait au groupe de consolider sa présence sur le continent africain qui étale déjà ses produits dans une trentaine de pays du continent (Afrique du Sud, Bénin, Guinée, Nigéria, Niger, RDC, Sénégal, Togo, etc.)

Autre marché juteux, le coton, dont la part de l’Afrique de l’Ouest dans la production continentale atteint les 65%. Le Maroc, fort de son industrie de textile, pourrait importer une partie de la production ouest-africaine (burkinabaise, malienne ou ivoirienne) et la transformer sur place avant de la réexporter, créant ainsi un « marché africain du coton ». Des unités d’égrenage mais également de valorisation pourraient voir le jour dans la zone franche de Laâyoune pour transformer la fibre en fil puis en tissu. D’autant plus que le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, apporte un appui soutenu à l’émergence d’un amont textile[10].

Ceci s’inscrit en droite ligne avec le nouveau modèle de développement des provinces du Sud initié par l’Etat marocain. « Le Maroc s’engage aujourd’hui à faire du Sahara marocain un centre d’échanges et un axe de communication avec les pays africains subsahariens et à mettre en place les infrastructures nécessaires à cet effet » déclarait le Roi Mohammed VI lors de son discours à la Nation du 6 Novembre 2015, à l’occasion du 40e anniversaire de la Marche verte.

Tous ces facteurs feront des régions du Sud un terreau favorable à l’investissement et aux échanges économiques, faisant évoluer ces régions vers un véritable hub pour l’Afrique subsaharienne.

Ainsi, les expériences de coproduction présentées dans cet article, auxquelles s’ajoutent de nombreux cas non-signalés démontrent la mutation industrielle qu’est en train de se faire en Afrique subsaharienne. Toutes ces entreprises ont franchi le cap du sud dans un même but : une internationalisation en vue d’accroître leur compétitivité. Elles ont su saisir les bonnes opportunités et s’adapter à leur environnement, ce qui leur permettront de renforcer leur capacité de développement et d’asseoir leur leadership dans un marché à l’échelle régionale, voire continentale.

L’importante implication des opérateurs marocains et leur forte présence dans le domaine de la finance, des télécommunications et du logement, font que le Royaume est à l’heure actuelle le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest. Il est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais affiche sa volonté d’en devenir le premier. En intégrant la CEDEAO, le Maroc bénéficiera de facilités d’exportations et consolidera sa présence sur le continent. La mise en œuvre des accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition accélérerait cette dynamique. En outre, un certain nombre de recommandations est proposé pour relever le défi du développement industriel africain et inscrire ce partenariat industriel dans la durée.

  • Les opérateurs marocains devraient favoriser un esprit « gagnant-gagnant » avec les pays subsahariens afin de garantir leur développement. La coproduction permettra de soutenir la montée en gamme industrielle des pays subsahariens, à travers le transfert de technologie et le redéploiement des chaînes de valeur et de production. Les entreprises commanditaires devraient également proposer des formations pour la main-d’œuvre locale et travailler en étroite collaboration avec les entreprises locales, en amont et en aval. L’accent devrait être mis sur l’industrie à forte valeur ajoutée. La « montée en gamme » africaine sera alors rendu possible par l’existence d’entreprises de pointe dans chaque secteur clé.
  • Les pays subsahariens devraient élaborer des politiques sectorielles claires, adapter leurs législations et mettre à disposition des zones aménagées afin d’exercer une attraction sur les investisseurs internationaux, marocains inclus. Ces politiques industrielles – agroindustrielles et manufacturières – impulseraient une transformation structurelle et durable des économies locales et favoriser le commerce intra régional.
  • Enfin, il serait pertinent de créer un fonds d’investissement maroco-africain dédié au secteur privé pour financer et accompagner les entreprises marocaines qui souhaitent investir dans les pays de la CEDEAO et les entreprises subsahariennes qui s’intéressent au Maroc. Ce fonds financerait des projets prioritaires dans l’industrie, l’agro-industrie, l’énergie, les télécommunications, le transport, le tourisme et autres services.

Le secteur énergétique, à travers sa chaine de valeur, suscite un grand intérêt des investisseurs internationaux. Selon une étude menée par Havas Horizon, 38% des investisseurs sondés placent le secteur des énergies à la tête des secteurs les plus prometteurs du continent[11]. L’augmentation croissante de la demande énergétique, couplée au potentiel de production de mix énergétique, représente un marché de plusieurs milliards de dollars d’investissements sur les prochaines décennies. De plus, le secteur draine davantage d’emploi et participe à la création d’un véritable écosystème, bien plus qu’un secteur manufacturier « traditionnel ». A ce titre, Nareva et Green of Africa, nouvelle joint-venture créée par les groupes marocains FinanceCom, Akwa et Sonifam ont tout à gagner en étudiant la possibilité de construction et d’exploitation d’unités de production énergétique sur l’ensemble de l’Afrique, aussi bien dans le solaire, l’éolien, l’hydroélectrique, la biomasse que le géothermique.

Hamza Alami

[1] L’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sera officialisée lors du sommet de l’organisation prévu le 16 décembre au Togo, à Lomé.

[2] Rapport économique sur l’Afrique 2017, Commission économique pour l’Afrique (UNECA) | Publié le 04 avril 2017 https://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/ERA/ERA2017_Fr/chap1_03.pdf

[3] Revue annuelle sur l’efficacité du développement (RAED), « Accélérer le rythme du changement », Groupe de la Banque africaine de développement, 2016.

[4] Maxime WEIGERT, Coproduction en Méditerranée : Illustrations et recommandations, IPEMED, Etudes & Analyses, Novembre 2014 | http://www.ipemed.coop/fr/publications-r17/etudes-analyses-c108/coproduction-en-mediterranee-illustrations-et-recommandations-a2399.html

[5] Cosumar est également en train d’étudier une implantation au Soudan à travers une unité de production de sucre à base de canne.

[6] Pharmaceutique : le Maroc prêt à partager son expérience en Afrique | Publié le 12 décembre 2015 http://www.ugppartenariats.com/index.php/news/details/5

[7] L’unité, objet du mémorandum signé par la société Pharma 5 et le Ministère ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique, sera spécialisée dans la fabrication de produits génériques. Elle commercialisera ses produits en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région.

[8] Les trois régions du Sud sont : Guelmin-Oued Noun, Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab.

[9] Ce projet fait suite au protocole d’accord signé en Mai 2014 entre le groupe Unimer et l’Autorité de la Zone Franche de Nouadhibou pour l’implantation d’un complexe industriel de transformation et de valorisation des espèces pélagiques dans la Zone Franche de Nouadhibou en Mauritanie, pour un investissement global de 28 millions de dollars.

[10] Les écosystèmes textiles lancés en février 2015 par le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique – dans le cadre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020 – visent à l’horizon 2020, la création de 100 000 emplois et la réalisation d’un chiffre d’affaires additionnel à l’export de 5 Milliards de Dirhams (500 millions d’euros).

[11] Financer la croissance africaine à l’horizon 2020 : perception des investisseurs internationaux, Havas Horizons | Publié le 03 août 2016 http://choiseul.info/wp-content/uploads/2016/08/HAVAS_HORIZONS_2016_FR.pdf

L’économie camerounaise face aux Accords de Partenariat Économique ACP/UE

Depuis le début des années 2000, l’Union Européenne et les pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) ont entamé un processus visant à permettre la libéralisation de leurs échanges. Ces accords dits « Accords de Partenariat Économique » (APE) soulèvent de nombreuses questions sur leurs effets pervers sur les pays de la zone ACP, et le Cameroun ne fait pas exception.

Cet article, après avoir rappelé les bases des APE, visera à étudier leurs effets sur la compétitivité des entreprises camerounaises.

1. Contexte de ratification des Accords de Partenariat Economique par le Cameroun

Les Accords de Partenariat Économique (APE) sont des accords commerciaux visant à développer le libre échange entre l’Union Européenne (UE) et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Plus spécifiquement, ils visent la création d’une zone de libre échange entre l’Afrique et l’UE avec l’ouverture des marchés, le transfert technologique, les coopérations et partenariats internationaux et les nouveaux débouchés.

Ces accords interviennent après la convention de Lomé initialisée en 1975 et l’accord de Cotonou passé en 2000. Ils comprenaient dans un premier temps la prolongation des « préférences commerciales » non réciproques[1] qui ont pris fin en 2014. Au cours de cette année, le Cameroun a signé un accord intermédiaire de manière isolée et ce dernier est entré en vigueur en Aout 2016 (Tidiane  Dieye, 2014). Une nouvelle étape dans son application a été conclue en Août 2016 lors de la signature de son décret d’application par Son Excellence Paul Biya (Camerpost, 2016). Il prévoit une suppression de 80% des droits de douanes pour les produits européens sur une période de 15 ans[2] (Ramdoo, 2015) ; ce qui aura tendance à densifier l’offre des biens sur le marché camerounais.

Toutefois, la ratification des APE liant les pays africains à l’Union Européenne (UE) intervient dans un contexte paradoxal pour le Cameroun. En effet, depuis plusieurs années, le pays a entamé le processus de diversification de ses partenaires internationaux. On note particulièrement la baisse de la part de l’UE dans le commerce extérieur du Cameroun et l’émergence de la Chine en terre camerounaise depuis plus de 5 ans. Elle représente aujourd’hui environ 17% des échanges extérieurs du Cameroun et est de plus en plus impliquée aussi bien au niveau du commerce des biens et services qu’au niveau des infrastructures routières, de l’hydroélectricité, des télécommunications, des logements sociaux et de l’alimentation en eau.

Si l’on s’en tient à ces aspects, on avancera que les APE vont favoriser et ou renforcer l’industrialisation des pays africains. Pourtant, l’expérience des USA, de la Corée du Sud, de la Chine et de la Suisse montre que pour se développer et s’industrialiser il faut parfois s’enfermer (Pougala, 2013). En effet, pour rester compétitifs face aux produits manufacturés venant de la Grande Bretagne au XIXème siècle, les industriels américains ont convaincu le congrès de voter une loi portant le droit de douane à 47% sur les produits manufacturés en provenance d’Europe. Cette configuration a permis à l’industrie américaine de se développer sans être perturbée par les forces extérieures.

Dès lors, nul doute que la ratification des accords de partenariat économique du 22 Juillet 2014 aura des répercussions négatives fortes sur les pays africains signataires en général. Nous étudierons ici les effets des APE sur l’économie camerounaise en particulier.

2. Conséquences ou perversité des APE au Cameroun

Le Cameroun est aujourd’hui le seul pays d’Afrique Centrale à avoir franchi le cap du démantèlement tarifaire[3]. La simulation de l’impact de ce démantèlement tarifaire, sans la mise en œuvre du volet développement et la mise à niveau des entreprises locales, dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’emploi (DSCE) exposait des pertes cumulées des recettes non pétrolières à 459,6 milliards de F CFA entre 2015 et 2020. En termes de recettes fiscales, ces pertes cumulées jusqu’en 2013 étaient estimées à 1330 milliards.

Les APE favoriseront également l’éviction des contrats réalisables à moindre coût à cause de la corruption permanente (Pougala, 2013). Alors que de nombreux projets étaient jusqu’ici négociés de pays à pays, ils devront désormais être soumis au marché des appels d’offres et à toutes ses dérives, en réponse à la législation européenne désormais appliquée.

Par ailleurs, le cœur de la politique économique de l’UE étant que l’Etat ne doit avoir de contrôle sur aucune entreprise, les APE vont également favoriser la privatisation des entreprises publiques (Pougala, 2013). De la sorte, par ces accords, le Cameroun doit s’attendre à des procès d’entreprises européennes dénonçant le fait que les entreprises camerounaises qui fournissent les services de base soient les propriétés plus ou moins exclusives de l’Etat.

Au-delà de ces aspects, la principale inquiétude réside dans le fait que la mise en œuvre des APE se fera au détriment du commerce intra africain, les entreprises nationales seront confrontées à l’intensification de la concurrence internationale des firmes plus aguerries de l’Union Européenne. Ce qui ne sera pas sans incidence négative sur l’économie camerounaise à cause de la faible productivité et de la faible compétitivité de celle-ci.

En le classant 115ème sur 145 pays en 2013[4], le forum économique mondial (World Economic Forum) réaffirme la capacité limitée des entreprises du Cameroun à créer les richesses et les emplois. Même sans les APE, la mise à niveau des entreprises camerounaises est un impératif pour exister dans un monde en pleine globalisation. Le principal défi pour cette économie est d’assurer la compétitivité de son secteur privé.

3. Les perspectives pour la compétitivité des entreprises camerounaises

Plusieurs « instruments » ont été mis en œuvre pour favoriser la compétitivité des entreprises. L’on peut citer le comité de compétitivité, le projet de compétitivité des filières de croissance, le Cameroon business forum, la banque agricole, l’agence des petites et moyennes entreprises (Eloundou, 2014). Mais les résultats obtenus ne sont pas assez satisfaisants et suscitent de nouvelles recommandations. A côté du plan d’adaptation de l’économie camerounaise, évalué à 2500 milliards de francs CFA, qui vise le renforcement du tissu économique à travers l’amélioration de la compétitivité des entreprises nationales et de l’enveloppe de 6,5 milliards de l’UE pour soutenir cette même  compétitivité, plusieurs actions sont envisageables.

L’élargissement de l’assiette fiscale

Contre la baisse des droits de douane, on peut envisager un élargissement de l’assiette fiscale. En 2011, le secteur informel représentait 90% de la population active et contribue à environ 30% du PIB de l’économie nationale avec 2,5 millions d’unités de production informelles (INS, 2011 ; Mbodiam, 2017). Les intégrer aux moyens de reformes appropriées aidera à collecter de nouvelles ressources pour répondre aux exigences de la compétitivité entre autres. La première exigence est la création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires, la deuxième exigence est la culture de l’innovation.

La création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires

Plus de la moitié des chefs d’entreprises interrogés donnent une opinion défavorable de l’environnement des affaires au Cameroun. Les facteurs les plus dégradants font référence aux infrastructures, à la corruption, à la concurrence déloyale, à l’accès au crédit, aux coûts élevés des facteurs de production, aux formalités administratives, etc. (RGE, 2009). Il en résulte que le gouvernement doit effectivement devenir un partenaire efficace du secteur privé en renforçant la construction des infrastructures, le développement des techniques de l’information et de la communication et les projets structurants dans le domaine de l’énergie. Ceci nécessite d’avoir également des institutions fortes.

La culture de l’innovation

La culture de l’innovation permet d’enrayer l’intensification de la concurrence par les prix en mettant l’accent sur d’autres facteurs de différenciation. Il est démontré qu’elle est un important facteur de production, de compétitivité ainsi qu’un levier de croissance, d’emploi, d’investissement et de consommation (Eloundou, 2014). Ainsi, les entreprises qui utilisent les innovations technologiques par exemple sont les plus productives. Par ce canal donc, les entreprises camerounaises pourront aisément se distinguer et se lancer à la conquête des gains et des nouveaux marchés.

Etant donné que cette innovation est fonction de la taille des entreprises, on peut comprendre pourquoi elle reste encore limitée au Cameroun où la plupart des entreprises sont de petite taille et ne disposent par conséquent pas de moyens pour supporter les coûts très élevés de recherche. En 2009, le pays comptait 75% de très petites entreprises[5] contre 1% de grandes entreprises[6]. La promotion de l’innovation nécessite le financement des activités de recherche-développement d’une part, et l’exploitation des résultats des travaux menés par les chercheurs d’autre part. Selon le recensement général des entreprises de 2009, seuls 11% des chefs d’entreprise en faisaient usage et on peut imaginer que ce chiffre n’ait pas beaucoup évolué.

La limitation de l’impact des mesures non tarifaires

Il s’agit de lever les obstacles non tarifaires que les acheteurs du monde imposent aux PME camerounaises et de limiter l’impact des mesures non tarifaires qui plombent les échanges commerciaux. Au moins 10% des entreprises camerounaises sont confrontées à des mesures non tarifaires contraignantes tant pour les exportations que pour les importations. Elles concernent notamment l’administration de la preuve à l’origine et des obstacles techniques au commerce. Par ailleurs, aucun produit camerounais de la première phase de démantèlement du 4 Août 2016 ne répond aux normes européennes. La limitation de l’impact de ces mesures peut se faire en assurant la cohésion au niveau national desdites règles, en rationalisant les dispositifs et en favorisant la transparence au niveau des mesures.

En somme, le développement des capacités productives du secteur privé camerounais exige que les entreprises camerounaises soient soutenues et remises à niveau pour être capables de répondre aisément aux exigences des marchés.

La signature des accords de partenariats économiques entre l’UE et le Cameroun en 2016, soulève de nombreuses interrogations, notamment sur leurs potentiels effets pervers sur l’économie camerounaise. Certaines mesures visant à améliorer la compétitivité des entreprises et le climat des affaires peuvent néanmoins être envisagées.

Claude Aline Zobo

[1] C’est-à-dire la levée des droits de douane pour les exportations des pays ACP tout en permettant le maintien des barrières tarifaires sur leurs importations en provenance de l’Europe.

[2]Pour plus de précisions sur l’évolution des tarifs, confère Brice R. MBODIAM « Cameroun : le Président Biya déclenche le démantèlement tarifaire progressif suite à l’entrée en vigueur des APE Avec l’UE », investir Au Cameroun, Août 2016.

[3] Abattement des droits de douane.

[4] 119ème sur 138 pays en 2017.

[5] C’est-a-dire les entreprises avec moins de dix salariés.

[6] C’est-à-dire les entreprises dont l’effectif est supérieur à 5000.

Références

Cheick Tidiane DIEYE (2014) : « Accord de partenariat économique : l’interminable saga aura bientôt une fin ? ».

Isabelle RAMDOO (2015) : « APE : quels gains pour l’Afrique et que peut elle perdre ? », ICTSD.

Jean Paul POUGALA (2013) : « APE Cameroun : voici pourquoi le Cameroun ne doit pas signer l’APE final », www.pougala.org.

Jocelyne NDOUMOU-MOULIOM (2016) : « APE : un déséquilibre à réduire », Cameroun Tribune.

Laurice ETEKI ELOUNDOU (2010) : « La compétitivité des entreprises camerounaises par l’innovation ».

Samuel NTOH (2009) : « La compétitivité et l’internationalisation de l’entreprise camerounaise face à l’ouverture des marchés ».

L’Afrique et son laborieux apprentissage de la démocratie

Malgré les avancées considérables consenties en matière de démocratisation, force est d’admettre certains faits têtus qui caractérisent l’espace politique en Afrique Sub-saharienne. Le processus de démocratisation s’est déroulé dans un apprentissage difficile marqué par un tribalisme politique menaçant , un détournement d’objectif alarmant , et, in fine, la non satisfaction des besoins socioéconomiques des populations .

Un tribalisme politique menaçant

Le lien ethnique constitue un paramètre déterminant dans les Etats d’Afrique Sub-saharienne. Beaucoup de partis politiques se structurent suivant des clivages tribaux, régionaux ou claniques. En effet, « on cherche à s’emparer du pouvoir, non pas en fonction d’options politiques libérales ou socialistes, mais d’un clivage purement ethnique »[1]. A cet égard, il est intéressant de relater un épisode anecdotique au Cameroun où le gouvernement « a confisqué la vie à la première expérience de faculté privée de médecine créée au sein de l’université des Montagnes à l’Ouest du pays (…) la manœuvre reposait sur la volonté d’éviter que les Bamiléké ne monopolisent la formation des médecins »[2]. Lors du génocide rwandais, il a été signalé que « toute personne de telle ou telle autre ethnie qui ne montrait pas sa détermination à défendre son ethnie était considérée par cette dernière comme traître et risquait la mort. Il y en a effectivement qui sont morts tués par des gens de leur ethnie »[3]. Au Congo-Brazzaville, la politisation du fait identitaire a causé une déconsolidation des acquis démocratiques. Ainsi, « la constitution de milices basées sur des solidarités ethno-régionales et la transformation des leaders politiques en chefs de troupes tribales ont plongé le pays dans deux guerres civiles qui l’ont dévasté et mis terme à l’expérience de démocratisation »[4]. Même dans un pays comme le Bénin, les partis politiques n’ont pas été fondés sur une base nationale : «Il s’agit de partis d’obédience ethnique dont l’apparition vient aggraver ainsi les difficultés de la construction nationale (…) Certaines régions du pays sont écartées de la scène politique au niveau élevé du pouvoir (…) Mais depuis peu, les régions minoritaires sont en train de s’organiser elles aussi pour participer aux différents jeux politiques en créant leurs propres partis politiques ». Il apparaît dès lors que certains groupes ethniques qui seraient exclus de l’espace du pouvoir pendant un certain temps sont tentés de prendre leur revanche en opérant un « rattrapage ethnique » qui galvaude la cohésion nationale et remet en question les fondements mêmes de l’Etat-Nation en Afrique Sub-saharienne.

Ce phénomène est encore plus prononcé dans un pays comme la Côte d’Ivoire où les plus grands partis politiques se basent sur des allégeances purement ethniques et/ou régionales. Ainsi, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) compte dans ses rangs les Baoulé et les Agni, concentrés à l’Est et au Centre du pays. Le Rassemblement des Républicains (RDR), quant à lui, demeure le foyer des Malinké, des Gur, des Senoufo et des Lobi. Le Front Populaire Ivoirien (FPI) est l’antre des peuples de l’Ouest, notamment les Bété, les Dida, les Guéré, les Gouro. Les Abbey, les Ebrié et les Attié, eux, peuples du Sud, ont rejoint ce dernier depuis 2000 après avoir été déçus par le PDCI[5].

La prépondérance du fait ethnico-tribal dans le jeu politique s’avère donc très néfaste pour la construction de la démocratie dans des Etats où les crises post-électorales prennent souvent une coloration ethnique, régionale ou tribale. Cela est le cas en RDC, en Centrafrique, au Burundi ou encore en Guinée Conakry.

Un détournement d’objectif alarmant

Cependant, l’un des fléaux qui touchent le plus durement le processus de démocratisation en Afrique Sub-saharienne est probablement le détournement d’objectif dont il fait l’objet. Le but ultime du pouvoir politique étant la satisfaction de l’intérêt général, cet objectif a été complètement jeté aux oubliettes par les dirigeants africains. Ce détournement d’objectif s’illustre par une nette déconnection des élites par rapport aux populations et à leurs besoins. En effet, « une mauvaise compréhension, donc une mauvaise pratique de la démocratie pluraliste, a tendance, dans notre continent aussi, à couper de plus en plus des populations une classe politique qui semble s’être enfermée dans le cercle clos de luttes de positionnement »[6].

Ainsi, la démocratie apparaît sur le continent comme « un contrat de dupes, un système trop inique car au lieu de fonder une Afrique libre, il proroge paradoxalement le monolithisme archaïque »[7].  Les gouvernants africains et leur administration ont achevé d’appauvrir leurs populations en se livrant à un pillage sauvage des ressources publiques dans la plus grande opacité et la corruption généralisée. De ce fait, « l’Etat africain reste par excellence le lieu d’accumulation et demeure une source de redistribution et de profits pour la classe dirigeante. Seuls les pourvoyeurs et bénéficiaires de la rente étatique ont changé avec l’alternance politique »[8].

Par ailleurs, les avancées démocratiques notées dans les années 1990 s’estompent vers la fin de la décennie, avec la prise du pouvoir par la force de Laurent Désiré Kabila au Congo-Kinshasa, une nouvelle guerre civile au Congo-Brazzaville, une période de troubles politiques en République Centrafricaine, une répression d’opposants et de journalistes au Nigéria du Général Sani Abacha, ainsi que des tensions au Niger, au Mali, en Guinée et en Mauritanie, voire de guerre civile en Sierra Léone et au Libéria.

Le détournement d’objectif s’illustre aussi par la rapide volte-face qu’ont opérée les pouvoirs en place quelque temps après la vague pluraliste des années 1990. Beaucoup de dirigeants se sont ainsi adonnés à des modifications substantielles de leur Constitution pour pouvoir se représenter. Ce fut le cas en Guinée avec Lansana Conté en 2002, en Tunisie avec ZineAbiddine Ben Ali en 2002, au Tchad avec Idriss Déby en 2005, au Togo avec Gnassingbé Eyadéma en 2003, au Cameroun avec Paul Biya en 2008, et cela a failli être le cas au Sénégal avec Abdoulaye Wade en 2011 et au Burkina Faso avec Blaise Compaoré en 2014, n’eussent été les contestations de la rue auxquelles ils se sont heurtés. Dans d’autres pays comme le Rwanda, le Burundi, le Congo Brazzaville et la RDC, les velléités de tordre le cou aux dispositions constitutionnelles limitant le nombre de mandats présidentiels sont légion[9].

Il apparaît dès lors que les acquis démocratiques ont été confisqués par l’élite au pouvoir contre les aspirations des peuples africains qui restent écartés de la gestion des ressources publiques.

La non satisfaction des besoins socioéconomiques des populations

Le moins que l’on puisse dire, c’est que même dans les cas où la démocratie a prévalu sur le continent, elle n’a pas pu apporter une réponse satisfaisante aux besoins socioéconomiques des populations. Ainsi, cinquante ans après les indépendances, l’Afrique reste l’une des régions du monde les plus pauvres et les plus en recul en matière de progrès social. Si on prend en compte le taux d’alphabétisation par exemple, 65 millions d’adultes Ouest-africains, soit 40% de la population adulte, ne savent ni lire ni écrire[10]. De même, selon un haut fonctionnaire sénégalais, « près de 29 millions d’enfants d’âge scolaire ne sont toujours pas à l’école et près de 159 millions de jeunes et d’adultes ne savent ni lire ni écrire »[11]. Malgré l’ouverture démocratique, le progrès social n’a pas été au rendez-vous. Selon certains auteurs, le lien entre démocratie et développement économique n’est pas encore établi et la corrélation serait non linéaire : « aux niveaux faibles de droits politiques, une augmentation de ceux-ci stimule la croissance économique. Cependant, une fois atteint un niveau modéré de démocratie, davantage de démocratie réduit la croissance »[12]. Ceci corrobore l’hypothèse de Lipset selon qui « la démocratie est liée au stade de développement économique. Concrètement cela signifie que plus un pays est prospère, plus grandes sont les chances qu’il pérennise la démocratie »[13]. En d’autres termes, la croissance économique favoriserait le processus démocratique mais l’inverse ne serait pas vérifié pour le moment, sinon de façon résiduelle, et donc non décisive pour l’Afrique.

A partir d’une situation non démocratique, la démocratie favoriserait donc effectivement la croissance économique ; cependant, à un seuil de démocratisation significative, plus de démocratie serait de nature à limiter la croissance économique. Si l’on en croit certaines études, la relation entre démocratie et développement est tributaire du contexte, des conditions initiales, et du contenu de la démocratie propre à chaque pays[14]. Le contexte africain, où la culture du partage prend le pas sur celle de l’échange chère à l’économie de marché, demeure, dans cette perspective, singulièrement réticent au processus de démocratisation. La démocratie n’a pas été un facteur réel de progrès économique.

Axelle Kabou interpellait l’intelligentsia africaine et le système néo-libéral en interrogeant : « Et si l’Afrique refusait le développement ? ». Plus de vingt ans après, malgré les taux de croissance record enregistrés sur le continent, sa question reste toujours d’actualité. Mais au-delà du développement, c’est la capacité des Etats africains à assurer leurs missions régaliennes, et même ne serait-ce que d’avoir un fonctionnement institutionnel régulier qui est mis en cause. Malgré l’adoption et la mise en place de constitutions pluralistes, l’organisation d’élections plus ou moins transparentes selon les pays, l’existence d’une société civile de plus en plus exigeante, force est de reconnaître que les principes démocratiques de base sont encore largement ignorés par la plupart des pouvoirs en place, sous fond d’ethnisme de la vie politique. Pis, les besoins socioéconomiques des populations ne sont pas satisfaits par une classe dirigeante dont la première préoccupation est son enrichissement personnel. Devant cette situation, il urge pour l’Afrique de trouver un modèle de gouvernance adapté à son héritage culturel et pertinent pour son épanouissement économique et social. Il est difficile de dire si ce modèle devrait ressembler ou non au système démocratique, car le débat sur l’universalité de ce dernier reste entier et ouvert. Mais il devra en tout cas tenir compte des énormes défis sécuritaires, environnementaux, éducatifs, et relatifs au capital humain, qui devraient être le cœur des préoccupations des pouvoirs publics, et, de plus en plus, se nourrir des principes de gouvernance essentiels au vivre-ensemble pour assurer un minimum de cohésion aux Nations africaines encore si fragiles et composites, où l’expérimentation d’un système politique fragmenté a longtemps prévalu.

                                                                                                                                            Mouhamadou Moustapha Mbengue

[1]EbénézerNjohMouelle& Thierry Michalon, L’Etat et les clivages ethniques en Afrique, Abidjan, CERAP, 2011.

[2] Jean Claude Shanda TONME, La Crise de l’intelligentsia africaine, Paris, L’Harmattan, 2008.

[3] Emmanuel Ndikumana, « Ministère de la réconciliation dans un contexte de conflit tribal » in  Le Tribalisme en Afrique… et si on en parlait ? Abidjan, Presses bibliques africaines, 2002.

[4] Mamadou GAZIBO, Introduction à la politique africaine, op. cit.

[5] Dieudonné Brou Koffi ; « Démocratie et tribalisme en Afrique » in Le procès de la démocratie en Afrique, sous dir. Justine Bindedou-Yoman, Paris, L’Harmattan, 2016.

[6]Sémou Pathé GUEYE, Du bon usage de la démocratie en Afrique, Dakar, NEAS, 2013.

[7] Jean-Rodrigue-Elysée EYENE MBA, Démocratie et développement en Afrique face au libéralisme : Essai sur la refondation politique, Paris, L’Harmattan, 2001.

[8] Grégoire, 1994.

[9] Olivier Bilé, La Démocratie africaine reste mal partie… Rectifions le tir !, Paris, L’Harmattan, 2016.

[10]http://www.irinnews.org/fr/report/84101/afrique-de-l-ouest-lutter-contre-les-taux-d-alphab%C3%A9tisation-les-plus-faibles-du-monde

[11]http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=22318:lafrique-a-le-taux-danalphabetisme-le-plus-eleve-au-monde-selon-un-officiel&catid=98:education

[12]Barro R. J. Determinants of Economic Growth : A cross-country empirical study. MIT Press, 1997, Cambridge Massachussetts

[13]Lipset S. M. Some social requisities of Democracy : Economic development and Political Legitimacy. The American Political Science Review, vol. 53, No 1 (March 1959.

[14]Huber E., Rueschemeyer D., & Stephens J. D., The Journal of Economic perspective.Vol. 7, No 3, 1993.

« Politisez-vous ! » : une invitation à la chose politique pour la jeunesse africaine

S’appuyant sur l’exemple de leur pays, dix jeunes sénégalais dénoncent dans un ouvrage collectif, la désuétude de la vie politique en Afrique, abandonnée par les intellectuels et envahie par des politiques professionnels qui peinent à transformer de façon durable et pérenne leurs pays. Fort de ce constat, ils invitent la jeunesse africaine à s’intéresser à la vie politique de leur pays parce que le développement tant recherché et souhaité par cette dernière ne peut se faire sans une gouvernance forte.

Dans cet entretien, certains des auteurs partagent leur lecture des mutations qu’a subies la sphère politique en Afrique et discutent de son renouvellement par une jeunesse engagée.

L’abandon du débat politique par les intellectuels serait la source de l’envahissement de la sphère politique par des personnes qui auraient plutôt un agenda personnel d’enrichissement. Comment peut-on expliquer ce paradigme quand ce sont les intellectuels qui avaient œuvré pour l’indépendance ? 

Racine Assane Demba – Oui la lutte pour l’indépendance a vu les intellectuels de l’époque s’engager pour l’émancipation pleine et entière des peuples africains. Puis sont arrivées les années post-indépendances avec les partis uniques, ensuite le multipartisme contrôlé et enfin le multipartisme intégral dans la plupart des pays du continent. Il y a eu deux types d’intellectuels : ceux qui se sont opposés aux nouveaux pouvoirs et les autres qui, par la force des choses, étaient devenus les intellectuels organiques de ces nouveaux pouvoirs. Les années passant, les jeux de pouvoir sont devenus de plus en plus violents. Une violence, pendant longtemps systématiquement physique contre les intellectuels qui osaient s’opposer, puis plus pernicieuse avec le vent de démocratisation qui a soufflé au début des années 1990 même si les assassinats, les enlèvements, les intimidations ont perduré ici ou là.

Cette violence de l’espace politique qu’elle soit physique ou verbale a poussé la plupart des intellectuels à déserter ce champ pour se retrancher dans les organisations dites de la société civile ou à se consacrer à leurs carrières laissant ainsi de plus en plus l’espace public à ceux que je nomme des politiciens professionnels. Il en a résulté une perte qualitative dans le débat public, dans la compétition partisane et dans l’action publique.

Quel doit être le rôle du politique et du citoyen « politisé » dans la société ? 

Racine Assane Demba – Il faut d’abord, je pense,  revenir à la nuance entre le politique et la politique  qu’introduit si bien Mohamed Mbougar Sarr dans « Politisez-vous !».  Mbougar rappelle, en résumé, que le politique est le rapport social, le lien qui se tisse toujours entre les individus pour que la vie en société soit possible. Alors que la politique consiste en l’organisation de ce rapport social déjà établi. En cela, nous dit-il, tout le monde est dans le politique. Ainsi, pour en revenir à la première partie de la question, le rôle du politique est de permettre à l’individu qui nait animal politique comme dirait le philosophe d’évoluer en société. La deuxième partie de la question concerne, quant à elle, le citoyen « politisé ». Je pense que son rôle, lui qui dans son processus de politisation a pris conscience des rapports de force et de domination dans la société, est d’essayer de faire comprendre ces enjeux à un maximum de ses concitoyens, ce que j’appelle passer du « je » au « nous » et pourquoi pas de faire la politique pour influer sur les décisions concernant le plus grand nombre. Et c’est là qu’il passe du « nous d’éveil » c’est-à-dire faire prendre conscience des enjeux au « nous de transformation » à savoir, au bout du compte,  être dans les espaces de décision et d’orientation de l’action publique.

Les défis des sociétés africaines sont multiples : justice, équité, égalité, éducation, environnement, etc. Selon votre livre, la réponse à ses défis est d’abord politique et vous estimez qu’il faudrait, pour ce faire, un plus fort engagement politique des jeunes. Comment devrait se dérouler ce processus de repolitisation auquel vous invitez  la jeunesse, dans un contexte de désaveu de la chose politique ?   

Hamidou Anne – Effectivement, les problèmes auxquels sont confrontées les populations africaines sont divers. Mais ils peuvent se retrouver sous une même matrice qu’est la faillite de la gouvernance qu’incarne le leadership politique. Et ces problèmes vont s’accroitre tant que les mêmes personnes avec les mêmes méthodes continuent à gérer les mêmes pays. La faillite de notre classe politique implique nécessairement son remplacement par une autre dotée d’une volonté de rupture, de transformation et de construction d’un nouveau peuple africain capable de relever les défis de notre époque.

Cela nécessite ainsi pour la jeunesse de quitter le registre de l’indignation stérile, de la colère non suivie d’effet car celle-ci est vaine. Ignorer le politique est une désertion coupable.

La jeunesse ne doit jamais abandonner le champ du rêve d’une société différente ; d’une société qui repense les rapports sociaux sous le prisme de la justice et de l’égalité. La politisation commence d’abord par le rêve d’une Afrique où la vie serait meilleure.

Nous devons nous mettre au fait des rapports de force en cours dans l’espace public, de la nécessité de changer qualitativement la vie des gens et de forger une destinée nouvelle.

Dans ce sens, vous invitez à une puissance publique forte ! Ne serait on pas dans une impasse si on considère que les politiques qui détiennent ce pouvoir publique n’ont pas toujours à cœur l’intérêt général ?

Nous sommes, il est vrai, dans une crise politique de long terme car nos pays, dans leur majorité, ne sont gouvernés ni dans la vertu dans la volonté de construire un présent et un futur de progrès. Dès lors, la puissance publique est aux mains de personnes qui ont perdu une légitimité  morale – parfois aussi électorale- d’agir au nom des millions de jeunes africains car elles ne sont pas mues par l’intérêt général. Nous sommes dans une triple impasse : politique, éthique et spirituelle car les valeurs sont désertées au profit de la perpétuation d’un système kleptocrate érigé depuis l’indépendance.

S’engager en politique doit être selon vous précédé d’un amour sincère pour la personne et la société. Pourquoi cet amour est il essentiel, voir fondamentale ? 

Hamidou Anne – La dimension sentimentale est importante en politique. C’est même la base de l’action publique. On ne peut pas agir, travailler, se lever pour des gens qu’on n’aime pas. Sartre disait « Pour aimer les hommes il faut détester violemment ceux qui les oppriment ». C’est de cette spiritualité  que nous parlions plus haut, celle de l’amour pour les plus faibles, les opprimés et ceux que nos systèmes de gouvernance briment au quotidien. Comme y invite le texte de Youssou Ndiaye, nous pensons que la politique dans la rigidité des statistiques et des classements est une impasse qui plonge nos démocraties dans l’ennui et la déshumanisation. Gouverner c’est gérer des Hommes et se préoccuper de leur devenir.

Tout le monde ne peut s’engager en politique mais vous estimez que l’implication de personnes honnêtes est suffisante et nécessaire. Comment alors mesurer la sincérité de l’engagement de ces hommes politiques nouveaux que vous appelez de tous vos vœux ?

Fary Ndao – L’homme politique, tout comme l’artiste ou l’écrivain, ne peut qu’inspirer, susciter le rassemblement autour de valeurs qu’il professe par ses écrits ou ses discours et  qu’il incarne dans son comportement, sa constance. A l’heure où de plus en plus de citoyens sont éduqués et que les médias classiques ou nouveaux prennent encore plus d’ampleur, l’homme politique sait que rien ne lui sera pardonné. Il a donc, aujourd’hui plus que jamais, un devoir de cohérence. C’est à cela qu’il sera jugé.  Il pourrait également se lancer dans des initiatives non partisanes et d’utilité publique (action sur l’environnement, action éducative, bénévolat etc) afin de donner, un tant soit peu, du sens aux idées qu’il développe. Cela peut également permettre de distinguer les hommes politiques sincères et cohérents de ceux qui ne font qu’adopter des postures.

Le Sénégal est toujours cité comme un exemple de démocratie, avec un espace politique vivant, une jeunesse engagée- on se rappelle encore du mouvement Y en a marre ! qui a su faire front pour amener le président Wade à revoir ses ambitions en 2012 – pourtant il constitue le cadre de vos discussions, qui s’appliquent à la majorité des pays d’Afrique subsaharienne. Qu’est ce qui explique cette dégradation et comment la jeunesse sénégalaise peut-elle encore s’approprier le combat de ses pères ?

Fary Ndao – Le Sénégal, « mondialisation » économique oblige, n’a pas échappé ces dernières décennies à l’accélération de la technicisation du monde. Or la technique nous dit Jacques Ellul, finit par faire des Hommes des îlots d’individualité sans lien réel entre eux et devient le principal moteur de l’Histoire. Un exemple : depuis 30 ans, l’ordinateur a  davantage transformé le monde que les forces classiques comme le travail ou le capital. Ainsi, les idéologies politiques dans lesquelles se reconnaissaient les militants d’hier, ne pèsent plus autant face à cette technique autonome et globalisante. Celle-ci est d’ailleurs toujours accompagnée d’une ribambelle de normes internationales qui assurent la standardisation de l’économie mondiale et « dépolitisent » les choix économiques et de société. Cet état de fait touche tous les pays du monde, et pas seulement le Sénégal. Partout, le militantisme est en net recul par rapport aux années post- seconde guerre mondiale, pour ce qui est des pays occidentaux et post-indépendances pour l’Afrique subsaharienne.

Il y’a également le fait qu’il ne semble plus y avoir, comme le rappelle Hamidou dans son texte, de dessein assez grand pour cristalliser la passion des jeunes d’un point de vue politique. « Nous sommes entrés dans l’ère des gestionnaires ». L’avènement des « pragmatiques » et des technocrates, ainsi que leur inclinaison naturelle pour la quantophrénie économique, n’a pas empêché la dégradation continue de l’environnement, l’affaissement de la justice sociale, la casse ou la privatisation des services publiques et de tant d’autres champs pouvant être importants dans la vie des hommes et d’une nation. Il faut donc arriver à trouver de nouveaux desseins collectifs assez inspirants qui pourront parler à la jeunesse sénégalaise, et africaine en général. Peut-être ainsi, sera t-il possible de la pousser à avoir un véritable projet de transformation de la société. Les taux de croissance, l’entreprise ou les kilomètres d’autoroute, bien que nécessaires, ne parlent pas au cœur des gens. Penseurs et hommes politiques doivent montrer qu’un grand défi d’humanisme, écologique et de changement de paradigme (économique notamment) nous attend pour les décennies à venir. Et, pour y répondre, nous devrons inaugurer de nouvelles utopies (sur l’humain, la nature, l’unité africaine réelle etc), les soumettre à la critique et les transformer en projet de gouvernement auquel il faudra essayer de faire adhérer les peuples africains. C’est comme cela que nous arriverons à réenchanter la politique.

Propos recueillis par Foly Ananou

Comprendre le processus de démocratisation en Afrique

Et si l’Afrique refuserait-elle la démocratie ? Nous vous proposons une série d’articles pour répondre à cette question. Ce premier article de la série fait un exposé de l’avènement du multipartisme en Afrique.

S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement, selon Jean-Jacques Rousseau. L’accès au régime démocratique, à travers le monde, s’est déroulé de manière différente selon les peuples. En Chine, c’est le progrès économique qui a été privilégié sur l’ouverture démocratique. A Hong Kong, à Singapour, en  Corée du Sud et à Taiwan, il a été noté un net progrès économique en la présence de régimes plutôt autoritaires sur une période relativement courte. En Inde, la plus grande démocratie du monde a opéré sa transition numérique et technologique sans éradiquer son système de castes et a atteint une émergence remarquable. Les pays est-européens, y compris la Russie, ont adopté un système d’économie de marché qui ne s’est pas toujours accompagné de régimes démocratiques parfaits.

Les pays d’Afrique sub-saharienne eux, cinquante ans après leur accession à la souveraineté internationale, ont connu des fortunes diverses en matière de processus de démocratisation, mais semblent tous converger vers le pluralisme politique. La démocratie apparaît, dès lors, comme un « système politique indépassable »[1], en tout cas le « moins mauvais » des systèmes de gouvernement. Si on définit la démocratie avec le triptyque « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » selon la formule du Président américain Abraham Lincoln, l’on se rend rapidement compte que l’Afrique au sud du Sahara témoigne d’un paysage contrasté en la matière. Plus scientifiquement, on peut entendre par démocratie un régime politique dans lequel on observe «  des élections régulières au suffrage universel, une administration gouvernementale responsable devant les élus du peuple et les libertés d’opinion et d’association »[2].  Selon Paul Foulquié, c’est le régime politique dans lequel « le démos, le peuple, détient le kratos, la puissance »[3]. La souveraineté, et donc le pouvoir, appartient au peuple qui le délègue à des représentants élus, à l’inverse des régimes monarchiques ou oligarchiques où le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul individu ou d’un petit groupe d’individus, et où la succession se fait le plus souvent de manière dynastique ou par cooptation selon des règles fermées.

Après une période de monopartisme plus ou moins intégral selon les pays, les pays d’Afrique sub-saharienne se sont heurtés à des crises économiques éprouvantes suite à l’adoption des Programmes d’ajustement structurels imposés par les bailleurs de fonds multilatéraux (FMI, Banque mondiale) dans les années 1980, avant d’entamer une période de transition démocratique au début des années 1990 marquée par l’organisation de conférences nationales qui ont débouché sur des élections ouvertes et un constitutionnalisme volontariste. Cependant, vers la fin des années 90 et dans les années 2000, un certain repli a été noté dans certains de ces pays sous la forme de modifications constitutionnelles substantielles qui visent à pérenniser les chefs d’Etat en place au pouvoir en plus de coups d’état militaires et crises postélectorales intempestifs. Tant et si bien que certains ont dû tirer la sonnette d’alarme, comme René Dumont qui affirmait que L’Afrique noire reste mal partie, ou simplement sonner le glas de la démocratisation du continent, à l’instar du Président français Jacques Chirac qui remarquait que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ».  Ainsi, il semble légitime de se demander si la démocratie est un système bien adapté à l’Afrique, s’il est pertinent pour le continent au vu de son héritage culturel, et s’il permet l’épanouissement économique et social des populations africaines.

En d’autres termes, la démocratie est-elle un bon système politique pour l’Afrique ? Et si l’Afrique refusait la démocratie ? Pour étudier ces questions, il sera utile de revenir sur les aspects positifs que recouvre la démocratie en Afrique en examinant les raisons pour lesquelles la démocratisation progressive qui est observée sur le continent augure de lendemains prometteurs, avant d’analyser les facteurs qui font que l’apprentissage démocratique difficile sur le continent n’a pas abouti à un progrès socioéconomique significatif pour les populations africaines.

Le caractère novateur du leg institutionnel en Afrique peut s’observer par le fait que la démocratie est presque partout restée une idée nouvelle pour le continent. Le mouvement qui consiste à associer les populations au système de gouvernement et à les amener à y participer est une innovation[4]. Les sociétés précoloniales d’Afrique noire étaient plutôt fragmentées et connaissaient des formes d’allégeances traditionnelles autoritaires et non légales-rationnelles. Les différentes formes de royauté observées sur le continent n’étaient toutefois pas généralement centralisatrices. Les royaumes du Ghana et du Mali, par exemple, centres incontournables, à l’époque, du commerce de longue distance, ont été plutôt organisés selon un système confédéral, rassemblant les différents royaumes et provinces sous l’autorité d’un chef suprême plutôt que des systèmes centralistes[5]. Le royaume du Ghana a ainsi rassemblé, en plus des Soninké ou Sarakolé, les royaumes wolof et mandingue en leur laissant une large autonomie de gestion. Même s’ils reconnaissaient l’autorité de Koumbi Saleh, ils conservaient leurs institutions de gouvernance et faisaient une allégeance symbolique au roi conquérant. C’est peut-être à cause de cette gouvernance fragmentée que le Ghana, après une apogée au Xe siècle, s’écroule sous la pression des Almoravides en 1076[6] parce que le pouvoir n’était pas centralisé par Koumbi.

Trois siècles plus tard, c’est l’Empire du Mali, fondé par Soundjata Keita, qui adopta un système de gouvernement similaire à celui du Ghana, même si les codifications coutumières ont été plus fortes. La charte de Kurukanfuga décide de l’hérédité des professions à travers le système de clans des métiers. Soundjata Keita, devenu Mansa (roi des rois) crée un gouvernement de compagnons qui reconnaît deux types de provinces : celles qui ont fait allégeance dès le début de son règne à son autorité et dont les rois conservent leur titre (Ghana et Mema), et d’autres où il nomme des gouverneurs (farin)  pour représenter[7] l’autorité impériale. Le caractère fragmenté y est prépondérant puisque les chefs traditionnels, surtout au Ghana et à Mema, reconnaissent l’autorité de Soundjata mais continuent de s’auto-administrer. La centralisation du pouvoir n’était donc pas une règle en Afrique précoloniale.

De plus, la tendance générale était à la responsabilisation des gouvernants qui ne s’autorisaient pas tous les excès. En effet, comme le montre Cheikh Anta Diop, la règle était la primauté de l’intérêt général sur les intérêts personnels des gouvernants. Les pouvoirs traditionnels étaient organisés de manière à limiter les abus du fait de la présence de mécanismes de contre-pouvoir : « en Afrique noire, ni le roi ni un seigneur quelconque n’ont jamais eu le sentiment d’une possession réelle de la terre »[8] ; « les Africains faisaient une claire distinction entre l’Etat et son appareil d’une part, et les serviteurs de l’Etat, le roi en particulier, d’autre part ; par conséquent, l’idée d’un appareil d’Etat confondu avec la base (…) est insoutenable »[9]. Ce, d’autant plus que le roi pouvait être démis, voire physiquement éliminé, s’il venait à ignorer la Constitution[10]. La gouvernance était donc relativement responsable.

La période coloniale va, quant à elle, mettre en place des institutions administratives qui vont permettre une transition souple vers l’indépendance. En effet, « dans sa dernière phase, la colonisation a connu une libéralisation politique indéniable qui s’est traduite par l’introduction au sud du Sahara d’institutions représentatives modernes, de partis politiques multiples, d’une pluralité d’organisations syndicales, d’une presse libre, d’une législation afférente », même si elle  « s’est aussi distinguée par l’ampleur des manipulations administratives destinées à contenir et à orienter ces transformations »[11]. Cela signifie que l’appareil administratif légué par les puissances coloniales a posé les bases d’une gouvernance hiérarchisée dans les Etats nouvellement indépendants. Mais la période coloniale a aussi contribué à créer une classe bureaucratique proto-bourgeoise qui utilisait la puissance publique étatique pour asseoir une domination socio-économique perverse sur des couches plus faibles de la société telles que la paysannerie et la classe ouvrière, malgré l’existence de syndicats et coopératives.

Immédiatement après, les Etats nouvellement indépendants mettent en place un régime de parti unique  où une prégnance du Chef de l’Etat et la confusion du parti avec l’appareil étatique prévalent. Dans ce contexte, les rares élections qui avaient lieu étaient destinées à entériner l’orientation donnée par le pouvoir en place. Ainsi du Dahomey avec la création de la République populaire du Bénin en 1975, de la Haute-Volta avec l’imposition du parti unique en novembre 1962 jusqu’à la disparition de la 1re République en 1966, du Mali sous la 2e République en mars 1979, et du Sénégal avec la dissolution du Parti du Regroupement africain (PRA) dans le parti au pouvoir, l’Union progressiste sénégalaise en 1966[12].  Le paysage politique était dominé par un seul parti qui pourvoyait l’essentiel du personnel administratif. Ce personnel bureaucratique a peu à peu conquis le paysage économique à travers des sociétés publiques qui ont essaimé dans tous les secteurs industriels et commerciaux de ces pays.

Les Etats africains accèdent ainsi timidement à la société démocratique internationale sous l’égide de pouvoirs centralisateurs qui mettaient en avant la sauvegarde de la cohésion et de l’unité nationales pour justifier leur centralisme. Le pouvoir politique contrôle tout dans l’Afrique postindépendances : bureaucratie, nominations, carrières, économie, société, agriculture, religion, idéologies, culture, etc. Au Mali par exemple, l’ordre économique et social était essentiellement le fait du pouvoir politique, lui-même concentré entre les mains d’une petite élite proto-bourgeoise d’Etat, qui rassemble toute l’activité industrielle et commerciale au détriment de la formation d’une classe d’entrepreneurs privés[13] indépendants. Cette prédation économico-commerciale des bureaucrates maliens est également justifiée par la volonté de garantir l’intégration nationale et de la sauvegarder afin de conserver le pouvoir de négociation malien au plan international, dans un contexte de guerre froide. Dans le même temps, elle permet d’éviter la constitution d’une classe bourgeoise nationale capitaliste qui pourrait menacer à tout moment les intérêts des bureaucrates et leur hégémonie socio-économique[14].

Le même phénomène de prédation du secteur commercial par une élite bureaucratique proto-bourgeoise a prévalu dans d’autres pays de l’Afrique postindépendances, tels que le Sénégal et le Niger. Cette prédation économique passe par la création de sociétés agricoles qui permettait, à terme, le contrôle de la paysannerie et de la classe ouvrière. La politique foncière s’est faite largement au détriment des exploitations familiales traditionnelles, du fait de l’accaparement des terres par des hauts fonctionnaires véreux. Cette expropriation continue d’avoir des conséquences terribles dans ces pays. Ces situations ont engendré beaucoup de frustration au sein des populations ; ce qui conduira par la suite à la volonté de l’instauration d’un pluralisme politique devant permettre des alternances à  la tête des pays.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

[1] Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, coll. Histoire, 1992.

[2] Huber et al.

[3] Paul Foulquié, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, PUF, 1982.

[4] Guèye, 2009.

[5] Augustin LOADA et Jonathan Wheatley (sous la dir. de)  Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest – Processus constitutionnels, société civile et institutions démocratiques, Paris, L’Harmattan, 2015

[6] Ib.

[7] Ib.

[8] Diop, 1987.

[9] Diop, 1981.

[10] Augustin LOADA et Jonathan Wheatley, op. cit.

[11] Bayart, 1991.

[12] Augustin LOADA et Jonathan Wheatley, sous la dir. de,  Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest, op. cit.

[13] « L’Etat au Mali, Représentation, autonomie et mode de fonctionnement », Shaka Bakayoko, in L’Etat contemporain en Afrique, dir…

[14] Ib.

Faut-il croire en l’Afrique ?

Une ironie et un paradoxe gouvernent l’actualité du destin africain. Ironie en ce sens que le continent « maudit » et « mal parti » est aujourd’hui le continent de l’avenir et de toutes les promesses. A tel point que des sénateurs français ont cru bon d’intituler en 2013 un volumineux rapport (N°104) (1) de 501 pages « L’Afrique, notre avenir » sous la supervision de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel. Le projet de nos deux sénateurs cité ci-dessus est sans ambigüité : « Ce rapport, écrivent-ils, est né d’une interrogation : d’abord sur l’évolution de l’Afrique, hier présentée comme un continent perdu, aujourd’hui louée comme le prochain continent émergent, ensuite sur la présence de la France dans ce continent hier ignoré, aujourd’hui convoité » (p.19). Mais plus loin nos deux sénateurs s’interrogent encore plus explicitement « Sont-ce les regards qui ont changé ou la réalité ? » En 2004, Stephen Smith donnait comme sous-titre à son livre « Négrologie » « Pourquoi l’Afrique se meurt ». A peine quelques années après qu’un autre livre en l’occurrence celui de l’ex-patron de l’Agence Française de Développement était intitulé « Le Temps de l’Afrique ». Ce dernier se demandait si l’Europe et la France n’étaient pas en train de rater le train du décollage africain. On se souviendra également du livre intitulé « L’Afrique notre Avenir » de l’ancien ministre français de la coopération Jacques Godfrain. Qui ne se souvient pas de cette une du très célèbre et réputé hebdomadaire anglais The Economist, parlant de l’Afrique, titrant en grande une le 13 mai 2000 « The hopeless continent » (Le continent sans espoir ).

Mais qui en à peine une décennie se ravisait en titrant cette fois-ci en décembre 2011 « Africa rising » (le réveil ou l’éveil africain). Moins de deux ans après, précisément le 2 mars 2013, le même hebdomadaire britannique récidivait en titrant à sa une « Emerging Africa : a hopeful continent » vantant ainsi « un continent plein d’espoir ». « En dix ans, écrivait-il, d’énormes progrès ont été accomplis, et les dix prochaines années seront encore meilleures.» Ce virage à 180 degrés n’est pas un cas exceptionnel.

L’émergence africaine fascine et enthousiasme beaucoup plus la presse hexagonale. Le Point, dans son édition (N° 2166) du jeudi 20 mars 2014, consacre un numéro spécial à l’Afrique : « le grand réveil ». On y voit « la » chance de la France qui ne sait plus trop où elle en est ». On peut lire sous la plume des journalistes Romain Gubert, Claire meynial ces quelques lignes « Malgré ses innombrables défis, c’est le nouvel eldorado de la planète. L’Afrique sidère le monde. Chinois, Américains, Indiens…tout le monde y va faire des affaires.» C’est cette même Afrique, aujourd’hui très convoitée et objet de toutes convoitises que toutes les grandes et moyennes puissances courtisent. Les sommets se succèdent : France-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique, Japon-Afrique, UE/Afrique, Afrique-Monde Arabe, Etats-Unis-Afrique, Turquie-Afrique, Brésil-Afrique, Amérique du Sud-Afrique…et la liste s’allongera sans doute à l’avenir. A tel point que Jean-Philippe Rémy, journaliste au Monde parle de « guerre des sommets Afrique » qui a commencé et Patrick Ndungidi, journaliste congolais dans un article sur huffingtonpost.fr parle de « bal des sommets ou l’Afrique pour tous ». Tous ces rendez-vous politiques mais surtout économiques placent le continent au cœur de luttes entre puissances et d’enjeux géostratégiques. Les chiffres quant à eux sont éloquents. En 2012, le Pib du continent s’est envolé à 5,5 % contre 3,4 % 2011. En 2014, il est reparti à 5,3 % contre 4,8 % 2013. A l’évidence l’Afrique est le nouvel Eldorado.

Malgré cette embellie, paradoxalement la situation africaine laisse à réfléchir. Le 16 juin de cette année, alors même que c’est la journée de l’Enfant africain, 34 migrants parmi lesquels 20 enfants sont retrouvés morts de soif dans le désert nigérien. Le 7 juin à Genève, un porte-parole du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés déclare, depuis 2014, c’est de 10.000 personnes au total qui sont mortes en mer Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. Selon plusieurs observateurs, la classe moyenne africaine a augmenté mais concomitamment les pauvres augmentent. « Manière de Voir », mensuel publié par le groupe Le Monde mettait en une de son numéro 143 « Afrique : Enfer et Eldorado ». Ce qui provoque un accroissement des inégalités sociales. En effet, la croissance africaine si enviée est tirée par les exportations de minerais (industries extractives) et l’investissement dans les grands chantiers et non par la consommation des ménages. Espérons que la richesse ainsi crée à long terme sera redistribué à travers divers mécanismes.

Les deux leçons du moment présent africain, d’une part, c’est qu’il n’y a pas de fatalité et que le développement n’est pas une course de vitesse. D’autre part c’est que la jeunesse africaine ne doit pas désespérer de son avenir sur cette terre hier déclarée « maudite » et aujourd’hui très convoitée.

Sossiehi Roche

Notes

1-Lien de téléchargement du rapport du Sénat français :

https://www.senat.fr/rap/r13-104/r13-1041.pdf

2- Jacques Attali, l’un des plus grands intellectuels et économistes français très respecté et écouté a écrit une chronique intitulée « L’Afrique, notre avenir ». Les liens de lecture : L’Express (http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/l-afrique-notre-avenir_829344.html) et Son blog : http://www.attali.com/actualite/blog/geopolitique/lafrique-notre-avenir

Les nouveaux défis de la santé en Afrique, quel rôle pour le numérique? – Livre blanc de la conférence annuelle 2017 de l’ADI

Dans un environnement d’extrême pauvreté, la maladie fait partie des principaux risques auxquels est confronté une part importante de la population africaine,[1] et ce, malgré des progrès significatifs enregistrés au cours des quinze dernières années. Selon les statistiques de l’OMS, l’espérance de vie à la naissance est ainsi passée de 44 ans en 2000 à 53 ans en 2015, soit une augmentation de 9 années.[2] Cependant, l’émergence économique de l’Afrique s’accompagne d’une augmentation de la prévalence des maladies chroniques[3] imputable aux nouveaux modes de vie et de consommation.[4] De même, l’explosion démographique, avec la concentration urbaine qui l’accompagne, augmente les risques d’épidémies, notamment de maladies infectieuses.[5]

Face à ces nouveaux facteurs de risque, l’Afrique accuse encore un retard en matière de politiques de santé, d’équipements, de personnels et de traitements. Par exemple, le nombre de médecins pour 1000 habitants a seulement cru de 0,1 point entre 1990 et 2011 en Afrique subsaharienne contre 0,9 point en zone Euro et 0,8 point dans l’OCDE.[6] Alors que les politiques publiques ont été principalement axées autour de la lutte contre le VIH-SIDA, n’est-il pas temps qu’elles intègrent les nouveaux défis en matière de santé auxquels les pays africains doivent se confronter ?

Pour répondre à cette question, L’Afrique des Idées organise sa 3ème Conférence Annuelle afin d’identifier les nouveaux défis en matière de santé en Afrique, de discuter des causes et de formuler des recommandations. Retrouvez les conclusions de ces échanges dans le livre blanc de la conférence.


[1] Selon les résultats de l’enquête Afrobaromètre de 2014/2015, la moitié des africains ont déjà renoncé à des soins de santé faute de moyens.

[3] Diabète, cancer, maladies cardio-vasculaires et respiratoires, etc.

[4] Le taux de prévalence des maladies chroniques non transmissibles est passé de 18,7% à 25% entre 1990 et 2000. BOUTAYEB A. “The Double Burden of Communicable and Non-Communicable Diseases in Developing Countries”. Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 100, 2006, pp 191-199.

[5] Selon l’OMS, la plus longue et plus grave épidémie à virus Ebola a été enregistrée en Afrique de l’Ouest en 2014, avec plus de 150 cas recensés chaque semaine.

[6] Le nombre de médecins pour 1000 habitants est passé de 0,1 à 0,2 en Afrique subsaharienne entre 1990 et 2011 alors qu’il est passé de 3 à 3,9 en zone Euro et de 2 à 2,8 dans les pays de l’OCDE sur la même période. Données Banque Mondiale : http://data.worldbank.org/indicator/SH.MED.PHYS.ZS

L’électrification rurale en Afrique: comment déployer des solutions décentralisées ?

A peine plus de 30% de la population d’Afrique subsaharienne dispose d’un accès à l’électricité, souvent précaire. Cette proportion chute à moins de 20% en milieu rural. Alors que l’extension du réseau électrique est souvent privilégiée pour pallier ce déficit, cette étude démontre que les solutions décentralisées sont particulièrement efficaces en milieu rural. En effet, l’électrification décentralisée fera partie de la solution pour nombre d’Africains, au moins pour un temps.

Cependant, soutenir son développement implique d’ajuster les politiques publiques et de créer de nouveaux modèles d’affaires, qui n’intègrent pas encore cette nouvelle conception de l’électrification. A l’aide d’études de cas, l’auteure décrit comment la technologie hors-réseau et les micro-réseaux ont été déployés avec succès au Sénégal, au Maroc et au Kenya. Les enseignements qui en résultent peuvent être utiles aux autorités en charge de l’électrification rurale en Afrique. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Chers amis, la révolution digitale n’aura pas lieu

La révolution « digitale » n’aura pas lieu. Vous avez certainement lu cette phrase et donc au vu des avancées technologiques tant vantées en Afrique, je comprends que beaucoup d’entre vous aient froncés les sourcils en me lisant. Permettez donc que je reformule. Chers amis blogueurs, influenceurs de tous bords, administrateurs de groupe Facebook et WhatsApp, lanceurs d’alertes sur Twitter… La révolution via le digital n’aura pas lieu.

Dénoncer ne suffit pas

Bon nombre de jeunes, eu égard à la réussite de quelques campagnes pour attirer l’attention de l’opinion publique, sont désormais devenus défenseurs des causes publiques, de la veuve et l’orphelin, des immigrés et des victimes de nos dictateurs…derrière leurs écrans.

En 2012, alors que les Sénégalais se levaient pour réclamer l’alternance, les blogueurs et autres influenceurs du Web ont parfaitement joué leurs rôles. C’était à qui dénonçait et à qui twittait le plus vite. Des plateformes sont nées et des leaders se sont élevés. Pourtant, ce n’est que lorsque les foules ont envahi les rues au rythme d’un Y’en a marre que la révolution a abouti, que le changement a suivi. Au Burkina Faso, tout le monde a suivi le combat des hommes intègres à travers les réseaux sociaux, les appels patriotiques et les directs Facebook où nos cœurs sursautaient au moindre bruit. Là encore, les influenceurs ont vu leur objectif atteint seulement lorsque les populations sont sorties dans les rues.

Dénoncer ne suffit pas, et envoyer  nos frères livrer un combat plus dangereux que celui que les activistes du web livrent derrière votre ordinateur est…lâche. En 2015, le Congo Brazzaville vibrait au rythme d’un #Sassoufit dont les principaux initiateurs étaient tous à l’abri derrière un ordinateur. Mieux, plusieurs appels à lutter venaient de ceux là même qui -volontairement ou pas – n’étaient pas en mesure d’être eux aussi dans les rues. Des hommes et des femmes se sont levés, se sont battus et sont tombés. Malheureusement, le combat s’est vite épuisé dans les rues quand bien même il restait intense sur Internet.

Les jeunes africains qui doivent se battre pour des lendemains meilleurs, pour une société plus responsable, pour un meilleur niveau de vie…sont  sur Internet. Plus précisément sur Facebook, sur Twitter, sur Snapchat.

Beaucoup d’entre nous mènent un combat juste, dénoncent et portent haut leurs idées de changement. Malheureusement le plus grand nombre d’entre nous, citoyens digitaux, oublions que pour que notre combat aboutisse il faudra le rendre réel. Tôt ou tard. Et non pas se contenter – tels des généraux – de motiver des troupes qui iront vers un combat plus physique dont nous serons les premiers épargnés.

Pensez-vous que nos gouvernements ne lisent pas notre mécontentement? Ils le font, ils en rient et laissent au temps, la charge d’enterrer un bad buzz créé par un de nos tweets.

On aura beau me citer les activistes de tous bords qui – pour certains – sortent parfois du digital pour porter leur message dans le monde réel. Mais nous parlons ici d’une  jeunesse qui reste en grande majorité, cloitrée dans un rôle passif où elle exprime ses sentiments au gré de clics et de mots clés (hashtags).

D’ailleurs, en parlant de nos activistes; combien -dans la vie réelle – assument ouvertement les propos qu’ils écrivent en 140 caractères? J’espère qu’on ne parle pas de ceux qui critiquent l’Europe (par exemple) et que l’on voit faire des courbettes ambassades après ambassades pour obtenir un visa. Ceci était une parenthèse…

A quoi ça sert de dénoncer si nous sommes incapables de mettre en place des stratégies collectives qui feront prendre conscience à nos dirigeants la force de notre révolution digitale ? A quoi sert notre combat virtuel s’il n’a rien à voir avec notre vie réelle ?

Il est vrai que nous avons de belles réussites de campagnes, comme la très récente #faisonsLesComptes du togolais Aphtal Cisse. Mais il n’en demeure pas moins que pour certaines causes, il faudra enfin aller plus loin que la simple dénonciation.  Dénoncer, sur internet, c’est un premier pas, un premier acte de bravoure. Il ne faut évidemment pas jeter la pierre à ceux qui font ce premier pas. Mais ce qui serait intéressant, c’est de transposer d’une façon ou d’une autre nos coups de gueules digitaux pour en faire de vraies forces dans notre quotidien, dans nos communautés. Et d’être enfin de vraies leviers qui sauront influer sur les décisions de nos sphères politiques ou économiques.

Vie digitale, vie réelle

Un ami me présentait comme une « activiste congolaise ». Titre que je refuse toujours car je pense simplement être une citoyenne congolaise qui entend profiter de sa liberté d’expression, qui a des choses à dire et qui exige des réponses. Cette position qui est mienne, ne me donne pas le droit d’inciter des gens à faire plus que ce que je ne saurais faire, moi-même.

Au delà des coups de gueules il faut savoir rendre les choses réelles. Et rendre un engagement réel, ce n’est pas forcément de sortir dans les rues ou de faire des manifestations …C’est de voir plus loin qu’un simple tweet, un article, une prise de position. C’est travailler à utiliser consciencieusement les outils que nous maîtrisons pour œuvrer à rendre ce monde plus juste.

Je crois en la force du digital. Et je sais qu’elle est une des voies de dénonciation et de contestation inévitables. Mais j’aimerais que vous aussi, vous vous posiez cette question : A quoi ça sert de dénoncer si nous sommes incapables de mettre en place des stratégies collectives qui feront prendre conscience à nos dirigeants de toute la force de notre révolution digitale? A quoi sert notre combat virtuel s’il n’a rien à voir avec notre vie réelle ?

Le digital a apporté une touche particulière à de nombreuses luttes. Une touche imprégnée de l’ouverture d’esprit de cette jeune génération qui est consciente de sa force et de son potentiel. Une jeunesse qui, pourtant ne va pas toujours plus loin que ses convictions et qui n’ose pas toujours passer du virtuel, au réel.

La révolution digitale n’aura pas lieu. Un « Like » n’a d’essence que s’il peut se transformer en un avis prononcé et appliqué. Et un nombre de followers trouve sa pertinence selon le nombre de personnes prêtes à défendre une cause tant dans le réel que dans l’irréel. Sinon, il n’est plus question d’avis. Il s’agit simplement de quelques « likes ».

Samantha Tracy

Article initialement paru sur le blog de Samantha Tracy (repris avec des modifications et rajouts de l’auteur) : http://morceau2vie.mondoblog.org/

Non, Monsieur Macron, le défi de l’Afrique n’est pas civilisationnel

Au détour d’une conférence de presse[1] en marge du sommet du G20 à Hambourg, Emmanuel Macron a affirmé en substance que « le défi de l’Afrique … est civilisationnel », une thèse passéiste, fondée sur des constats erronés, et totalement décalée par rapport aux dynamiques en cours sur le continent. Reprenons le fil du raisonnement.

Le défi de l’Afrique selon Macron

Selon Macron, les promesses d’aide au développement de l’Afrique ont été tenues, mais l’aide financière seule ne suffit pas car le défi de l’Afrique serait civilisationnel. Il serait caractérisé par des Etats faillis, des processus démocratiques complexes, une transition démographique mal maîtrisée, l’insécurité et le fondamentalisme violent. Une litanie de maux en dépit des taux de croissance significatifs de certaines économies qui peuvent laisser entrevoir des perspectives positives. Le rôle des pays développés en général et plus particulièrement de la France serait donc de promouvoir la primauté du secteur privé, de financer l’investissement dans les biens publics (infrastructures, éducation et santé) et de garantir la sécurité en lien avec les organisations régionales. Dans ce cadre, la responsabilité des gouvernements africains serait d’assurer la bonne gouvernance, de lutter contre la corruption et surtout de maîtriser la transition démographique car, selon le président français, « avec 7 à 8 enfants par femme, investir des milliards d’euros ne stabilise rien ».

Une répétition de la posture paternaliste

Parler de défi civilisationnel présuppose d’une part qu’il existerait une norme unique de progrès humain et d’autre part que l’Afrique en serait particulièrement dépourvue. Or, les connaissances accumulées à partir de recherches archéologiques permettent d’affirmer qu’il existe plutôt des civilisations, variant dans le temps et dans l’espace, avec chacune des apports majeurs à l’humanité. Il en est ainsi des civilisations égyptienne, maya, chinoise, grecque, romaine, etc. Dans ce contexte, la civilisation occidentale ne saurait servir de modèle pour tous. L’idée que l’Afrique serait dépourvue de civilisation et qu’il faille y transposer un modèle venu d’ailleurs entre en résonance avec le discours d’un passé récent prononcé par le président Sarkozy à Dakar. Il témoigne d’un déni d’histoire de l’Afrique pourtant attestée par plusieurs sources formelles. L’ouvrage de l’UNESCO sur le sujet ou les innombrables objets d’art africains présents dans les musées français en sont quelques preuves. Il entre également en résonance avec un autre discours d’un passé plus lointain, celui de Victor Hugo prononcé en 1879, en prélude à la colonisation du continent. La vraie question que soulève cette affirmation est pourquoi, plus de 150 ans après Victor Hugo, le numéro un français reprend la même thèse. Pourquoi l’Afrique n’a-t-elle pas évolué depuis ? N’est-ce pas là le résultat de la posture paternaliste qui a toujours caractérisé les relations entre l’Occident et l’Afrique ? De la colonisation sur laquelle Emmanuel Macron a plutôt eu une lecture éclairée aux indépendances molles ?

Des constats discutables

La thèse de Macron est fondée sur des constats erronés trop souvent usités par manque de recul. En effet, en matière d’aide au développement, rien n’a encore été fait pour l’Afrique. Selon les statistiques de l’OCDE seulement 0,3% du Produit National Brut (PNB) des pays développés est dédié à l’aide au développement, deux fois moins que les 0,7% promis depuis 1970. Or, l’aide au développement, loin d’être une charité, est une contrepartie des manques à gagner générés par l’ouverture commerciale des pays en développement. Ce déficit est largement comblé par les Africains de la diaspora qui prennent le relais en transférant des fonds vers leurs pays d’origine. Ces transferts dépassent largement l’aide au développement et servent à atténuer les chocs de revenus et à financer l’entrepreneuriat et l’investissement dans le capital humain.[2]

Contrairement à l’idée répandue, la croissance démographique n’est pas un problème, ni pour l’Afrique, ni pour l’Europe. La peur de la démographie africaine est trop souvent entretenue par ceux qui appréhendent l’immigration. Or, elle peut être une chance si chaque jeune africain avait la liberté de se réaliser, cette liberté parfois restreinte par les politiques des pays développés protégeant leurs intérêts par le biais de dictateurs-prédateurs sur le continent. Par ailleurs, contrairement à l’affirmation d’Emmanuel Macron, il n’y a pas de lien de cause à effet entre population et développement.[3] La théorie malthusienne de la surpopulation a longtemps été remise en cause par les effets positifs du dividende démographique et du caractère universel de la transition démographique. Les forts taux de fécondité s’observent dans des environnements où le taux de mortalité infantile est élevé. Il en a été ainsi jusqu’au XIXème siècle en Europe et cela n’a pas entravé son essor économique.

L’Afrique qui renaît

Le discours de Macron à Hambourg témoigne du regard porté encore sur l’Afrique à travers un prisme tronqué donnant lieu à des interprétations en déphasage par rapport aux dynamiques actuelles. L’Afrique se transforme par le biais de mécanismes difficilement quantifiables et donc orthogonaux aux taux de croissance du PIB. Ses jeunes entreprennent, innovent et aspirent à une société plus libre.[4] Ses leaders se renouvellent et rompent avec les liens et pratiques anciens. Comme le suggère Felwine Sarr, partout en Afrique, il y a comme une phase de travail, préalable à la naissance d’une société nouvelle dont la nature ne demande qu’à être définie. C’est en cela que consiste le défi de l’Afrique, il n’est pas civilisationnel, mais transformationnel. A l’heure où les nationalistes ont le vent en poupe, où bon nombre de jeunes africains entretiennent un rapport de défiance vis-à-vis de la France, il n’est pas opportun d’adopter une posture paternaliste dans les relations franco-africaines. Plaidons, dans la mesure du possible, pour de la co-construction.

Georges Vivien HOUNGBONON

[1] Le Président Macron répondant à la question du journaliste Philippe Kouhon d’Afrikipresse. Lien vers la vidéo de la conférence (à partir de la 25ème minute) : http://www.elysee.fr/videos/new-video-17/

[2] Cf. Perspectives Economiques Africaines 2017

[3] L’exemple de 7 à 8 enfants par femme est d’ailleurs très anecdotique car ne correspondant qu’au Niger. Selon les perspectives économiques en Afrique, le taux de fécondité y est de 4,5 enfants par femme en 2016.

[4] Voir par exemple le dernier rapport thématique des perspectives économiques en Afrique.

Mise en ligne le 12.07.17

Que peut espérer l’Afrique de la présidence Macron?

 Le 07 mai 2017, la France a élu un nouveau président, en la personne d’Emmanuel MACRON.

Le nouveau président coche toutes les cases de l’atypisme en politique[1].  Il y a environ une année qu’il a créé son mouvement politique. Personne ou presque au sein de la classe politique, ne lui donnait une chance de réussir son pari, celui de remporter les élections présidentielles. Quelques mois après, il est non seulement le 8ème président de la Ve République mais a également obtenu la majorité absolue aux dernières élections législatives. Actant au passage la définitive désintégration du Parti socialiste, le président Macron a également fortement affaibli la droite républicaine.

Affirmer que le succès d’Emmanuel MACRON a modifié l’échiquier politique français n’est qu’un euphémisme. Ses premières sorties sur le plan international sont venues confirmer cette impression. Entre la symbolique poignée de main avec le président Trump et la réception du président russe Vladimir Poutine, le jeune président a pris ses marques et a fait taire les premières critiques visant son inexpérience pour conduire une bonne politique étrangère de la France.  Si pragmatisme et opportunisme peuvent qualifier ses premières sorties face aux géants russe et américain, sa politique africaine reste plus difficile à décrypter. La longue et sulfureuse histoire de la françafrique n’aide pas le nouveau président en ce sens. En effet, durant les dernières décennies, les politiques africaines des exécutifs français se suivent et se ressemblent.  Le président Sarkozy avait, dès son arrivée au pouvoir, affirmé sa volonté de mettre fin à ce réseau d’amis et d’intérêts privés priorisés au détriment des intérêts des populations. Il n’en a pourtant été rien. La présidence Hollande, quant à elle, a très timidement tourné le dos à certains gouvernements africains considérés comme peu enclins à la valorisation de la culture démocratique. Le nouvel homme fort de la France pourra-t-il abonder dans le même sens en incarnant un tout autre postulat des relations entre la France et l’Afrique ? Quelles conséquences pourraient avoir l’élection d’un président, non rompu aux codes des relations France Afrique sur la politique africaine de la France ?

Macron, président d’une autre époque

Emmanuel Macron est né en 1977, 32 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce détail a une importance capitale. Il met en exergue sa jeunesse. Mais au-delà de son jeune âge, il est le seul président de la Ve République à ne pas avoir véritablement vécu la guerre froide. Il avait 12 ans lors de la chute du mur du Berlin.  Il ne porte donc pas l’héritage des nébuleuses relations liées à la « françafrique » qui ont brillamment porté leur fruit lors de la période de la guerre froide. Comme le résumait très excellemment Lionel Zinsou lors d’une interview sur les chaines de France 24, « il n’est pas pris dans des héritages liés à d’autres relations entre la France et l’Afrique. Il a dépassé les clivages gauche et droite, la gauche pour la décolonisation, la droite qui assume l’héritage colonial ». L’ancien premier ministre du Bénin poursuivit en affirmant qu’Emmanuel Macron a pris des risques politiques en France en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité. ».

Loin d’une posture à visée électoraliste, les prises de position du président Macron vis-à-vis de la colonisation peuvent être interprétées comme la résultante de son époque. Il s’agit là d’une chance inouïe pour l’Afrique et sa société civile, en quête d’interlocuteurs qui ne les analyseraient ni sous le prisme du néocolonialisme ni sous celui de menaces aux intérêts français en Afrique. Cette lecture des relations franco-africaine a été dominante durant ces trente dernières années. Elle pourra peut-être changer avec la présente mandature.

La jeunesse du président Macron, une chance pour la jeunesse africaine ?

L’Afrique est un continent jeune.  D’après les chiffres de l’Unesco, 70% de la population a moins de 30 ans[2]. Paradoxalement, c’est le continent sur lequel les jeunes sont les moins représentés aux postes de responsabilité.  Ceci s’explique en partie par la longévité au pouvoir de certains chefs d’Etat qui ne créent pas forcément les conditions idoines pouvant permettre à la jeunesse de faire ses preuves.

Ces règnes ont souvent été possible grâce à la bénédiction de gouvernements occidentaux, notamment français. La jeunesse du nouveau président français pourrait radicalement rompre avec cet état de fait. Elle pourrait en conséquence constituer une chance pour une jeunesse africaine qui cherche à prendre en main son destin.

Le président Macron croit en l’avenir de l’Afrique et en à la « créativité » de sa jeunesse. Lors d’une interview au journal Le monde, il a déclaré vouloir être à côté « des ONG, de la diaspora africaine et des entreprises »[3]. En un mot, le président Macron promet de soutenir les sociétés civiles africaines et forcément au détriment des pouvoirs politiques souvent décriés par les populations. L’aide au développement qu’il souhaite doubler devrait donc principalement bénéficier à ces sociétés civiles qui mènent le combat de la bonne gouvernance et de la vulgarisation des bonnes pratiques démocratiques sur le continent.

Les certitudes de sa politique

Pour son premier voyage sur le continent africain, Emmanuel Macron s’est rendu au Mali, pour saluer les troupes françaises de l’opération « Barkhane ». Par ce déplacement, il a donné un signe de ce que constituera l’un des piliers de sa politique africaine. La lutte contre le terrorisme en Afrique de l’ouest sera certainement l’une de ses priorités.

Les intérêts français dans la zone sahélo-sahélienne sont nombreux. L’énergie nucléaire est la principale source d’électricité utilisée en France avec l’uranium en provenance du Niger constituant, à elle seule, un tiers de la production énergétique du pays[4]. C’est dire à quelle point la sécurisation de cette zone peut avoir des conséquences directes sur le quotidien des populations françaises.

Toute la question qui se pose à ce propos est relative à la stratégie politique et militaire qu’adoptera le nouvel exécutif. Si un départ des troupes françaises n’est pas à l’ordre du jour, un renforcement de la présence française n’est pas non plus évoquée. Le nouvel homme fort français espère convaincre l’Allemagne à participer d’une manière plus pérenne à l’effort de guerre dans le Sahel. Le président compte également mettre l’accent sur la formation et l’équipement des troupes africaines.  Alors que l’armée malienne et ses alliés de l’Union Africaine et de la CEDAO[5] peinent à sécuriser le nord du pays, le soutien de la France à la région est plus que jamais nécessaire.

Il faudrait, somme toute, rester prudent quant aux déclarations d’intention du président élu et aux différentes analyses qui peuvent être faites sur la base de son parcours politique. Lorsque les promesses électorales rencontrent la réalité du pouvoir, l’expérience a montré que les déceptions ont assez souvent triomphé.

                                                                                                                                                                 Giani GNASSOUNOU

 


[1] Avant son élection à la magistrature suprême, il n’avait jamais exercé de mandat électoral. Son mouvement politique est devenu le premier parti politique avec seulement une année d’existence. A côté, le parti socialiste a dû attendre 12 années après sa création pour voir son candidat accéder au poste de président de la république.

[2] http://www.unesco.org/new/fr/unesco/events/prizes-and-celebrations/celebrations/international-days/world-radio-day-2013/statistics-on-youth/

[3] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/12/emmanuel-macron-son-programme-afrique-je-veux-mobiliser-plus-de-financements-pour-les-pme-locales_5110340_3212.html

[4] http://www.atlantico.fr/decryptage/combien-couterait-vraiment-prise-stocks-uranium-niger-groupes-islamistes-florent-detroy-614999.html

[5] Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.